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Cécile DEJOUX

« TYPOLOGIE DES ORGANISATIONS ENGAGEES DANS UN PROCESSUS


DE GESTION DES COMPETENCES »

INTRODUCTION
Le concept de « Compétence » est largement utilisé en Sciences de Gestion. La GRH le
place au cœur de ses politiques de ressources humaines dans le cadre de la GPPEC 1. La
« théorie des Ressources », en Stratégie, propose une démarche méthodologique centrée
autour des « compétences d’entreprises stratégiques »2. Aussi, suite à ces constats, la
problématique de cet article s’articule autour de la question suivante : « Est-il possible de
caractériser les organisations qui gèrent les compétences ? ».
La première partie théorique de cette communication précise les concepts de
« Compétence individuelle » et « Compétence organisationnelle ». La deuxième partie
empirique présente une typologie des organisations engagées dans un processus de
gestion des compétences. Les résultats sont obtenus en deux temps. Tout d’abord, une
analyse quantitative, est réalisée, par questionnaire, sur un échantillon de 30 entreprises.
La première phase donne lieu à une analyse factorielle3 qui permet de construire des indices
de maturité en gestion des compétences individuelles et organisationnelles. La deuxième
phase consiste à réaliser deux analyses discriminantes de façon à établir des degrés de
maturité correspondants à ces différents indices. Suite à la construction de cette typologie
de 9 cas, nous nous sommes engagés dans une analyse qualitative afin de spécifier les
caractéristiques de chacun des groupes d’entreprises et à formuler des hypothèses
exploratoires. La méthodologie déployée s’appuie sur l’administration d’entretiens semi-
directifs auprès des 14 entreprises de l’échantillon qui ont accepté de nous recevoir et sur
une analyse de contenu de ces différents sites.

1. Une approche transversale du concept de « Compétence »

Après avoir appréhendé différents champs disciplinaires tels que les sciences cognitives, la
linguistique, les sciences de l’éducation, l’ergonomie, force est de constater que le concept
de « Compétence » a émergé simultanément dans la plupart des disciplines en relation avec
les Sciences de Gestion. Aussi, nous proposons d’étudier ce concept à partir d’une
approche transversale GRH-Stratégie qui nous semble propice à de nouvelles réflexions
concernant notre objet d’étude. Dans cette première partie, nous présentons les définitions
des concepts de «compétence individuelle », « compétence collective », « compétence
stratégique d’entreprise ».

1
Gestion Prévisionnelle et Préventive de la Gestion des Compétences
2
dans le cadre de la gestion des compétences organisationnelles
3
en utilisant la méthode des classifications hiérarchiques
1.1 Présentation du concept de « Compétence individuelle et collective »

Depuis le début des années 1990, la GRH fait une place centrale au concept de
« Compétence individuelle » (BESSEYRE DES HORTS, 1988 ; AMADIEU, ROJOT,
ALLUE, 1991 ; DONNADIEU, DENIMAL,1993 ; LE BOTERF, 1994 ; LIVIAN,
1994). Au niveau théorique de nombreux travaux en sociologie du travail (STROOBANT,
1993), en sciences cognitives (MICHEL, LEDRU, 1991), en linguistique et en ergonomie
(MONTMOLLIN, 1984), ont permis de préciser son contenu et ses apports. La « gestion
des compétences individuelles » possède, à présent, sa propre instrumentation (bilan de
compétences, cartographie des métiers, système d’évaluation des compétences,
« Assessment Center »,...) et est reconnue par tous comme une politique performante de
GRH. Faute de consensus sur une définition commune, la compétence individuelle est
appréhendée par les invariants qui la caractérisent 4. Différents processus de Gestion des
Compétences Individuelles sont proposés par les cabinets de conseil ou mis en place dans
les organisations. Suite à une analyse qualitative de 15 processus de gestion des
compétences individuelles, il nous semble qu’il existe trois étapes incontournables dans un
processus de gestion des compétences :
1. l’évaluation des individus et des emplois qui peut être réalisée de façon sélective
(on évalue seulement les compétences individuelles stratégiques) ou de façon exhaustive
(on établit un inventaire précis et détaillé des compétences individuelles)
2. l’instrumentation qui doit être élaborée au sein de l’organisation (avec ou sans l’aide
d’un cabinet de conseil) en fonction de la culture d’entreprise, des politiques GRH
précédentes et de l’engagement hiérarchique de la Direction Généale dans la politique
de gestion des compétences
3. l’informatisation qui opérationnalise l’instrumentation, la délocalise, et l’homogénéise.
La « Compétence collective » est également un objet d’étude de la GRH. Elle
représente l’ensemble des compétences individuelles des participants d’un groupe plus
« une composante indéfinissable », propre au groupe, issue de la synergie et de la
dynamique de celui-ci. La littérature sur les « groupe de projet », sur le « travail en
groupe » dans les structures hiérarchiques transversales fait référence à ce concept qui est,
également, étudié dans la problématique du passage de l’apprentissage individuel à
l’apprentissage organisationnel (CHARREIRE-PETIT, 1996 ; GIROD, 1996).

1.2 Présentation du concept de « Compétence organisationnelle » ou


« Compétence d’entreprise »

En Stratégie, le concept de « Compétence d’entre prise » ou « Compétence


organisationnelle » s’est imposé à la communauté scientifique, dans les années 1980
(WERNERFELT, 1984, 1989), avec l’avènement de la théorie des Ressources,

4
la compétence est une mise en situation (principe d’action), elle est contingente, contextualisée à une finalité
(principe téléologique), elle est une construction dans le temps (principe de dynamique), elle est un attribut de
l’homme, elle doit être reconnue par les autres pour acquérir une crédibilité (principe normatif du regard d’autrui),
elle est transférable dans le cadre d’un processus d’apprentissage individuel et/ou organisationnel, elle a un
caractère permanent si elle est mise en oeuvre (principe de régularité).

2
«the Ressource-based view ». Cette approche stratégique prône la complémentarité d’une
analyse reposant sur l’identification et la maximisation des ressources de l’organisation
avec une analyse stratégique classique qui s’appuie sur la connaissance et l’adaptation de
l’entreprise à son secteur d’activité et à ses concurrents. En effet, « la théorie des
Ressources » insiste sur l’importance de la réalisation d’un diagnostic des ressources
stratégiques de l’organisation (image de marque, réputation, compétences d’entreprise...)
afin de concentrer, sur celles-ci, les efforts d’investissement. BARNEY, 1991, qualifie les
ressources stratégiques de rares, peu imitables, peu substituables et procurant de la valeur
aux yeux du client. Elles ont pour vocation d’apporter à l’organisation une rente dans le
temps. En interne, il est à noter que les « Compétences d’entreprises stratégiques »
seront transcrites en « Compétences individuelles stratégiques » en fonction des
métiers qu’elles concernent. En externe, la gestion des compétences d’entreprises
stratégiques consiste à les transférer sur de nouveaux marchés ou lors d’alliances. Ainsi
sont exploités à moindre coût des savoir-faire totalement maîtrisés (HAMEL,
PRAHALAD, 1989 ; DIERICKX, COOL, 1989 ; GRANT, 1991, GRANT, BADEN-
FULLER,1995 ; BARNEY, 1991). Lors de l’analyse de 15 processus de gestion des
compétences organisationnelles, peu de différences sont apparues par rapport à l’ensemble
des variantes observées dans l’étude des processus de gestion des compétences
individuelles. Un consensus méthodologique semble exister autour du modèle proposé par
MC GRANT5 (cf: annexe n°1).

2. Proposition d’une typologie des organisations engagées dans un processus de


Gestion des Compétences

Pour répondre à la problématique de l’article, nous avons eu recours à une méthodologie


mixte qui s’appuie sur une analyse quantitative puis qualitative. Ces deux approches ont été
utilisées de façon complémentaire sur le même échantillon. L’analyse quantitative a permis
de construire l’architecture de la typologie, l’analyse qualitative de l’interpréter, en
dégageant les profils des organisations qui en constituent les classes. Elle est également à
l’origine d’un corps de deux hypothèses. Comme le souligne WACHEUX, 1993 « le
choix de la méthode ne dépend pas des objectifs, mais des questions soulevées par la
recherche »6.

2.1 Design général de la recherche empirique

La schéma ci-dessous propose une visualisation des étapes successives de la méthodologie


déployée.

Schéma n°1 : Design général le recherche sur la typologie des organisations


engagées dans un processus de gestion des compétences

5
GRANT, MC, 1991, p 115
6
WACHEUX, 1993, p 147

3
L’étude empirique a débuté par trois entretiens semi-directifs auprès de décideurs afin de
tester si les 33 variables construites à priori (cf : annexe n °2) suite à une revue de la
littérature pouvaient être considérées comme caractéristiques de la gestion des
compétences individuelles, organisationnelles7 et du management des organisations8. Ainsi
nous avons testé la bonne compréhension du questionnaire et envisagé des modifications.

2.2 l’analyse quantitative

L’analyse quantitative a été réalisée par une enquête postale et par fax auprès de 100
entreprises. Celles-ci proviennent de deux sources : la base de données du magazine
l’Expansion qui publie chaque année le classement des 1000 entreprises françaises les plus
performantes9 et quelques entreprises contactées directement par opportunité. Le taux de
réponse obtenu a été de 30% 10. Nous ne prétendons pas effectuer une analyse statistique
sur la base d’un échantillon représentatif avec pour objectif une généralisation des résultats.
Notre objet consister à réaliser une étude exploratoire et à proposer des observations, des
hypothèses concernant les caractéristiques des entreprises qui ont un processus de gestion
des compétences.
Nous tenons à souligner que certaines organisations appartiennent au même groupe (par
exemple : ACCOR, ACTAIR, NOVOTEL ; France TELECOM, TDF ; TF1, LCI). Ce
type de liaison capitalistique ne signifie pas que ces entreprises ont une politique de gestion
des compétences identiques. En effet, sur ce sujet, même s’il est possible de constater des
influences réciproques, on remarque une autonomie en terme de stratégie et de mise en
œuvre.
Suite à la sélection des entreprises, une analyse factorielle en composantes principales
avec rotation Varimax a été effectuée sur les 33 variables a permis de les réduire en trois
facteurs que nous nommerons « degré de maturité » (cf : annexe n°4). Ces trois facteurs
expliquent 76, 9 % de la variance des données initiales. Ils sont constitués de la
combinaison linéaire des variables suivantes :

7
Nous utiliserons les abréviations suivantes :
Gestion des Compétences Individuelles : GCI
gestion des Compétences organisationnelles : GCO
8
la matrice de corrélation réalisée sur les 33 variables a permis d’en éliminer deux dont le coefficient de corrélation
=1
9
numéro de 1994
10
Les 30 entreprises sont : ACCOR, ACTAIR, ANDERSEN, AUCHAN, CARREFOUR, COMETHERM,
CREDIT LOCAL, DANONE, EDF, France TELECOM, GSF, HOPITAL, HEWKETT, IBM, KRITER, LCI,
LYONNAISE DES EAUX, NOVOTEL, ODA, OTIS, PROCTER ET GAMBLE, POCALIN, SEITA, SITA,
SNCF, SOCIETE GENERALE, TDF, TEXAS, TF1, THOMSON SINTRA

4
Tableau n°2 : Présentation de la composition des Degré de maturité en GCI et en
GCO

Facteur 1 Facteur 2 Facteur 3


« degré de maturité en « Degré de maturité en « Degré de maturité en
gestion des compétences gestion des compétences management et en
organisationnelles » individuelles » structure »
existence d‘un processus existence d’une politique de existence de groupes
d’identification et d’évaluation gestion des compétences transversaux pour travailler sur
des actifs matériels et individuelles un sujet
immatériels
recensement des ressources existence de bilans de existence d’une organisation des
stratégiques de l’organisation compétences au sein de services en groupes de travail
l’organisation
existence d’un processus existence d’une formalisation de existence d’une vision commune
d’identification et d’évaluation ressources humaines de l’entreprise
des compétences
organisationnelles
existence d’un processus existence de documents
d’identification et d’évaluation formalisant la politique de
des compétences gestion des compétences
organisationnelles stratégiques individuelles

L’alpha de CRONBACH calculé sur les 11 variables restant après la factorisation est
significatif11.
La deuxième étape de l’analyse quantitative a consisté à créer des groupes de maturité
différentes au sein des politiques de gestion des compétences individuelles et
organisationnelles. Deux analyses hiérarchiques ascendantes selon la méthode de
WARD ont été effectuées ainsi que deux dendrogrammes (cf: annexe n°5).
Les résultats de l’analyse hiérarchique concernant le facteur 1 révèlent la constitution de
trois classes A, B, C12.
Le dendrogramme met avant une opposition entre la classe A et les classes C et B. En
effet les classes C et B ont une distance de séparation de 4 alors qu’elles ont une distance
de séparation de 25 avec la classe A.
Les résultats de l’analyse hiérarchique concernant le facteur 2 révèlent la constitution de
trois classes 1, 2, 3.
Le dendrogramme met avant une opposition entre la classe 3 et les classes 3 et 2. En effet
les classes 3 et 2 ont une distance de séparation de 3 alors qu’elles ont une distance de
séparation de 25 avec la classe 1.
Dans une troisième étape, nous proposons de rassembler les résultats ci-dessus dans un
tableau à double entrée afin de construire la typologie des 30 entreprises qui ont participé à

11
alpha de CRONBACH = 0, 7663 > 0,6 (seuil pour une étude exploratoire)
12
Le nombre d’entreprises par classe est mentionné dans le tableau ci-après présentant la typologie

5
l’analyse quantitative tout en spécifiant celles qui sont rentrées dans le cadre de l’analyse
qualitative.

Tableau n° 5 : Typologie des organisations de l’échantillon en fonction de leur


degré de maturité en gestion des compétences individuelles et en gestion des
compétences organisationnelles13

d° GCO14 fort 017 2 7


CLASSE C
(17 entreprises15)
« les entreprises « les leaders « les leaders
entreprises ayant connu une métier » réveillés » secoués »
« rupture » (financière ou
commerciale) sur leur marché
forte restructuration16
d° GCO moyen 1 2 2
CLASSE B
« les entreprises « les leaders vont « les leaders en
(7 entreprises)
tranquilles » s’éveiller » éveil »
marché maîtrisé adaptation en
permanence de la structure
d° GCO faible 0 1 0
CLASSE A
« les entreprises « les entreprises « les entreprises
(6 entreprises)
dans le en sommeil en sommeil
marché stable ou protégé commas » profond » régulier »
pas de difficultés financières
ou de remise en cause
structurelle
facteur 1 ? d° GCI18 faible d° GCI moyen d° GCI élevé
(indice de maturité en GCO) CLASSE 1 CLASSE 2 CLASSE 3
(5 entreprises) (9 entreprises) (16 entreprises)

facteur 2 ? GCI reste au niveau importation et tests de réelle volonté de la DG


(indice de maturité en GCI) du discours quelques outils de GCI de mettre en place une
politique GCI

Afin de connaître les caractéristiques des groupes d’entreprises composant cette typologie,
nous avons effectué une analyse discriminante pas à pas sur le facteur 1 et le facteur 2.
Mais les résultats statistiques obtenus sont décevants. Aussi, il nous a semble plus judicieux
d’interroger les décideurs (DRH, Responsable de la politique générale, DG) au sein d’une

13
Les résultats présentés dans ce tableau n’engagent que la responsabilité de leur auteur. Ils sont en cours de
présentation auprès des entreprises concernées. Les noms des entreprises n’ont pas été mentionnés pour raison de
confidentialité.
14
d° GCO = degré de maturité en gestion des compétences organisationnelles
15
Le nombre correspond aux entreprises interrogées lors de l’étude quantitative
16
Ce tableau anticipe les résultats trouvés par l’analyse qualitative mais permet ainsi une visualisation globlae
17
nombre d’entreprises interrogées dans le cadre de l’analyse qualitative
18
d° GCI = degré de maturité en gestion des compétences individuelles

6
étude qualitative afin de percevoir les causes des différents degrés de maturité en gestion
des compétences.

2.3 L’analyse qualitative

la méthodologie qualitative déployée pour spécifier la typologie, s’appuie sur les principes
de YIN, 1994 et MILES, HUBERMAN, 1991. Nous avons utilisé des séquences
logiques « d’aller-retour » entre la question de recherche de l’article, la formalisation
théorique, les données empiriques et les résultats obtenus. Nous avons procédé en fonction
des 5 étapes suivantes considérées comme incontournables par les auteurs afin de réaliser
une analyse de contenu inter-sites :

Etape 1 : Sélection des entreprises et des informants


Nous avons tenté d’interroger des décideurs faisant partie des 30 organisations de
l’échantillon constitué lors de l’étude quantitative. 15 entreprises ont accepté de participer à
l’étude qualitative. Pour chaque société, nous avons essayé d’obtenir deux entretiens semi-
directifs d’une à trois heures avec deux décideurs différents afin de pouvoir recouper les
informations et d’obtenir un discours plus objectif. Quand, cela était possible, nous avons
interrogé un informant fonctionnel au siège et un informant plus opérationnel délocalisé en
région.

Etape 2 : Sélection des thèmes à priori et construction d’un guide d’entretien


Afin de répondre à notre question de recherche, nous avons utilisé des questions telles
que :
?? Quels sont les facteurs internes et externes qui ont influencé la mise en place de la
gestion des compétences ?
?? Qui a pris la décision de mettre en place une politique de gestion des compétences ?
?? Avez-vous débuté par une gestion des compétences individuelles ou organisationnelles ?
?? A quel niveau de développement évaluez-vous votre processus de gestion des
compétences ?
?? Avez-vous vécu une restructuration ?
?? Quelles sont les dernières difficultés économiques que vous avez rencontrées ? etc...

Etape 3 : Constitution d’un plan d’échantillonnage


Le plan d’échantillonnage se décompose en l’étude de quatre paramètres d’échantillonnage
qui permettent de cerner l’objet de la recherche.
Les acteurs interrogés19 ont été sélectionnés en fonction leur pouvoir de décision dans le
processus de gestion des compétences. Certains d’entre eux étaient en charge de la gestion

19
Nous tenons à remercier tous les informants d’avoir bien voulu nous consacrer du temps lors des entretiens face
à face ou par téléphone. Nous leur en sommes infiniment reconnaissants.
Les entreprises qui font partie de l’étude qualitative appartiennent à différents secteurs d’activités : conseil,
grande distribution, industrie, alimentation, électricité, téléphonie, semi-conducteur, réseau d’eau, publicité,
transport, télévision. Certaines appartiennent au secteur public, d’autres au secteur privé. Leur nombre
d’employés varie entre 1400 et 215 787. Leur chiffre d’affaires varie entre 828 million de FF et 99 965 million de
FF.

7
des compétences individuelles (DRH), d’autres n’étaient concernés que par la gestion des
compétences d’entreprises ou par les deux. Nous sommes totalement conscients de n’avoir
obtenu que leurs propres représentations sociales des processus étudiés. C’est pourquoi,
dans la mesure du possible, nous avons mené au moins deux entretiens par entreprises en
essayant de recouper les informations retenues avec des documents internes, des articles
de journaux et les données récoltées lors de notre analyse statistique par questionnaires.
Nous avons réalisé du « design émergent » au sens de Denzis, 1989 c’est à dire que les
outils de recueil des données ont connu une perpétuelle évolution. Le guide d’entretien et
les questions s’y rapportant ont été enrichi et précisé après chaque interview .
Le milieu est constitué d’organisations appartenant au secteur public et au secteur privé. Il
nous a été également possible de nouer des contacts avec les cabinets de consultants en
charge de la gestion des compétences dans certaines organisations. Les informations
apportées par ces informants nous ont permis de croiser et de compléter celles que nous
avions déjà recueillies.
Les événements étudiés concernent les politiques de gestion des compétences. Pour
parfaire l’analyse, nous avons construit des dimensions d’échantillonnage composées d’un
ensemble de variables repérables dans l’étape de codage de 1er niveau (codage par mot)
ou de 2nd niveau (codage par thème). Ainsi chaque facteur déclenchant a-t-il été associé à
une variable de repérage afin de procéder à un comptage réalisé par deux personnes
différentes afin de diminuer les biais dus à l’interprétation.

Etape 4 : Choix d’outils méthodologiques : La carte causale inter-sites


Suite à chaque entretien enregistré et dactylographié mot à mot, des fiches de synthèse
ont été élaborées en fonction des thèmes du guide d’entretiens. Elles ont permis, par la
suite de mettre en place la technique du codage. Le principe de codification permet de
structurer les données et d’atteindre un niveau d’abstraction supérieur à celui obtenu par
une exploitation de données brutes. Un code est associé à un groupe de mots de façon plus
ou moins subjective. Il peut être descriptif, interprétatif ou significatif d’un contexte. Cette
technique a pour objectif de faire émerger des thèmes récurrents ou transversaux
(« pattern ») entre les sites analysés. Trois phases ont été entreprises :
?? l’établissement d’un tableau de thèmes recherchés et des éléments de verbalisation
?? le décompte fréquentiel des unités thématique
?? la recherche de coocurrences des unités d’enregistrements (associations, exclusions)
l’analyse des résultats a nécessité la construction de cartes causales intra-site puis d’une
carte causale inter-sites qui a permis de dégager deux types de résultats :

1. la présentation des caractères communs se rapportant aux organisations


composant chacun des neuf groupes

« Les entreprises métier » sont des filiales, des entreprises en création, des entreprises
du service public qui possèdent la volonté de mettre en place une gestion des compétences
individuelles mais celle-ci n’est pas formalisée car leur politique de GRH est en démarrage
ou en vitesse de croisière. Par contre, ces organisations positionnées dans des

8
environnements concurrentiels instables, ont déjà acquis une maturité élevée dans la gestion
de leurs compétences organisationnelles.

« Les leaders réveillés » constituent un groupe d’entreprises leaders ou au


comportement de leader sur leur marché. Elles ont vécu de profondes restructurations suite
à des performances économiques déclinantes. Dans ce cadre, la DRH a pris l’initiative de
s’engager une politique de gestion des compétences individuelles à la suite du succès de la
politique gestion des compétences organisationnelles.

« Les leaders secoués » représentent deux catégories d’organisations. Tout d’abord, il


s’agit des entreprises du secteur privé, leaders ou challengers qui ont subies les vicissitudes
du marché et ont dû s’engager dans des mutations stratégiques et structurelles. Elles ont
ainsi vécu de profondes restructurations s’accompagnant d’une volonté hiérarchique
déterminée de la Direction Générale concernant la mise en œuvre d’une politique globale
de gestion des compétences (individuelles et organisationnelles). Le deuxième groupe
d’entreprises concernent les organisations du secteur public qui pour la plupart ont une
situation de monopole mais sont contraintes de transformer leur management public en
management privé afin de pouvoir rester compétitives au sein de l’intégration européenne.
Ces organisations, sous la pression stratégique et hiérarchique de leur Direction générale,
ont mis en place depuis 4 ou 5 ans de réelles politiques de gestion des compétences
(individuelles et organisationnelles) et sont arrivées, à présent, à des degré de maturité
élevés. Leur expérience dans ce domaine en font des modèles.

« Les entreprises tranquilles » représentent des organisations en vitesse de croisière ou


qui se positionnent sur des marchés protégés. Bien qu’elles s’adaptent en permanence à
leur concurrence, elles n’ont pas connu de restructuration retentissante. Leur situation
financière est en progression continue ou stable. Si elles possèdent quelques instruments
relatifs à une politique de gestion des compétences individuelles, celle-ci n’est pas
formalisée.

« Les leaders vont s’éveiller » constituent un groupe d’entreprises qui vit des
modernisations, essentiellement, au niveau de leur politique de ressources humaines. Ainsi,
c’est à l’initiative du DRH qu’un processus de gestion des compétences individuelles a été
initié. Simultanément et sans rapport direct, une cellule de projet peut s’être engagée dans
une réflexion stratégique sur la gestion des compétences organisationnelles. Mais ce travail
se positionne dans une première étape de réflexion.

« Les leaders en éveil » se composent d’organisations concernées et entreprenantes


quant à une politique de gestion des compétences (individuelles et organisationnelles).
Ayant dépassée la phase de réflexion, elles expérimentent les premiers outils et obtiennent
les premiers retours du vécu de cette politique sur le terrain. Elles sont sensibilisées à la
gestion des compétences organisationnelles.

9
« Les entreprises dans le comas » ne se sentent absolument pas concernées pas une
politique de gestion des compétences. Nous n’en n’avons pas rencontré dans notre
échantillon. Mais, il est possible de présager que ce type d’organisation est en situation de
déclin.

« Les entreprise en sommeil profond » concernent des organisations de taille et de


chiffres d’affaires moyen par rapport aux standards de l’échantillon. Elles vivent des
adaptations de leur structure de façon permanente. La gestion des compétences
individuelles a été imposée au DRH par la DG qui ne s’est pas engagée dans une politique
de gestion des compétences organisationnelles.

« Les entreprises en sommeil régulier » symbolisent des filiales «tranquilles » qui ne


sont pas concernées pas de profondes restructurations pour l’instant car elles n’ont pas de
difficultés financières mais une politique de gestion des compétences individuelles leur a été
imposée par l’entreprise mère dans le cadre d’une homogénéisation des politiques du
groupe.

2. l’élaboration de deux hypothèses proposant une explication quant aux raisons


de la segmentation des organisations qui gèrent leurs compétences

L’étude de contenu qualitative nous a amené à formuler les hypothèses suivantes :

H 1 : « Le degré de maturité en gestion des compétences individuelles est associé


positivement à l’engagement de la hiérarchie (DG ou DRH) dans la prise de décision et la
mise en œuvre de cette politique ». Toute nouvelle politique de GRH est coûteuse et lourde
à gérer si elle s’applique à l’ensemble de l’organisation de façon professionnelle. Aussi, il
est noté que la gestion des compétences individuelles peut exister sous trois formes
progressives. Dans un premier temps, l’entreprise peut l’utiliser au niveau de son discours
institutionnel interne et externe à travers le DRH. Puis, elle peut importer quelques outils
(bilans de compétences, évaluations stratégiques des compétences individuelles de
quelques métiers cibles) et tester leurs intégration auprès des employés. Enfin, elle peut
exister sous la forme d’un processus propre à l’organisation, édicté par la DG, ayant des
objectifs précis, quantifiés et accompagné de moyens financiers, humains et stratégiques
(forte implication hiérarchique) et s’insérant dans a politique générale de l’organisation.

H 2 : « Le degré de maturité en gestion des compétences organisationnelles est associé


positivement au niveau de la restructuration de l’organisation ». En effet, on observe que les
organisations qui sont engagées dans une politique de gestion des compétences
organisationnelles ont toutes connu à un moment donné des difficultés économiques sur
leur marché, ce qui les a amené à se restructurer et à envisager une approche stratégique
complémentaire : la gestion de leurs ressources et plus particulièrement de leurs
compétences d’entreprises. Nous n’avons pas eu connaissance (contrairement aux
entreprises qui ont une politique de gestion des compétences individuelles), d’organisations

10
s’engageant de façon proactive, dans une politique de gestion des compétences
organisationnelles, sans avoir été contraintes à le faire à la suite d’une « rupture »20.

CONCLUSION
Cet article a pour objet d’approfondir notre connaissance des organisations qui possèdent
une politique de gestion des compétences. Celle-ci est envisagée à deux niveaux d’analyse :
en GRH et en Stratégie. Dans une première partie nous présentons le concept de
Compétence individuelle, de Compétence collective ainsi que les trois étapes récurrentes
du processus de gestion des compétences individuelles : l’évaluation, l’instrumentation et
l’informatisation. Les définitions des Compétences organisationnelles seront également
mises en avant et plus particulièrement, celles qui concernent les compétences
organisationnelles stratégiques. Un consensus semble observé autour de la méthodologie
concernant le processus de gestion des compétences d’entreprises (cf: GRANT, 1991). La
deuxième partie débute par l’exposé des méthodologies quantitatives et qualitatives qui
permettent de traiter la problématique, à savoir la construction d’une typologie des
organisations engagées dans un processus de gestion des compétences individuelles et/ ou
organisationnelles. L’analyse des résultats rend compte de deux apports principaux :
Tout d’abord, la caractérisation de 9 groupes d’entreprises correspondants à des degrés
de maturité en gestion des compétences individuelles et organisationnelles différents (faible,
moyen, fort). Ensuite, l’énonciation de deux hypothèses exploratoires quant à l’explication
envisageable de cette segmentation. D’une part, nous pensons que la maturité en gestion
des compétences individuelles est fonction de l’importance de l’ engagement de la DG.
D’autre part, il nous semble que la gestion des compétences organisationnelles est toujours
motivée par une « rupture » vécue par l’entreprise sur son marché, alors qu’une
organisation peut s’engager sans raison apparente (ou par mode) dans un discours fondé
sur la gestion des compétences individuelles.
Cet essai sur la mise en relation des politiques de gestion des compétences en GRH et en
Stratégie nous semble intéressant à approfondir dans le cadre d’une nouvelle étude
empirique concernant l’exploration des hypothèses ci-dessus. Mais, il nous semble
également envisageable d’étudier le concept de compétence à travers ses applications au
niveau de la structure de l’entreprise. En effet, certaines configurations organisationnelles
intègrent la compétence dans leur pyramide hiérarchique en organisant leurs centres de
décision autour de « pôles de compétences ». Nous pourrions nous interroger sur les
caractéristiques des entreprises qui exploitent le concept de Compétence de façon
totalement transversale «GRH -Stratégie-Structure » et sur les bénéfices concurrentiels
qu’elles en retirent.

BIBLIOGRAPHIE

20
Nous entendons le mot rupture au sens de : apparition d’une nouvelle technologie, d’un nouveau concurrent,
rétrécissement du marché du à des contraintes légales, échec de l’entreprise lors d’une diversification, etc...

11
Annexe n° 1 : Méthodologie du processus de gestion des compétences
organisationnelles21

4. Sélection d'une stratégie qui exploite au


mieux les ressources de la firme et les STRATEGIE
compétences organisationnelles qui sont en
relations avec les opportunités exterieures

3. Evaluer le potentiel de rentes apportées


par les ressources et les compétences de
l'organisation en termes de: AVANTAGE
COMPETITIF
a) leur potentiel pour constituer un avantage
compétitif durable et
b) le montant du retour sur investissement 5. Iidentifier les rIdentifier les
(appropriability of returns ??) ressources en déifficulter. Prévoir
des mesures pour les renforcer.
Investir en augmentant le
portefeuille de ressources de la
firme
2. Identifier les compétences
organisationnelles de la firme: Qu'est-ce
que la firme fait mieux que ses concurrents COMPETENCES
? Identifier les ressources qui sont à ORGANISATIONNELLES
l'origine de la constitution de chaque
compétence, et de la complexité de chaque
compétence.

1. Identifier et classer les ressources de la


firme. Evaluer les forces , les faiblesses des RESSOURCES
concurrents. Repérer les opportunités pour
mieux utiliser les ressources.

21
inspiré du schéma de GRANT, RM; " The resource-based theory of competitive advantage ", California
Management Review, 33, n° 3, 1991, p 115

12
Annexe n°2 : Présentation des 33 variables de l’analyse quantitative

Variables relatives à la gestion Variables relatives à la gestion Variables relatives à la


des compétences individuelles des compétences structure et au management
organisationnelles
1. existence d’une politique de 1. existence d’un processus 1. formalisation des ressources
gestion des compétences d’identification et d’évaluation humaines
individuelles des actifs matériels et
immatériels
2. nombre d’année d’existence 2. existence d’un processus 2. existence de définition de
d’une politique de gestion des d’identification et d’évaluation fonctions en terme de
compétences dans l’organisation des compétences responsabilités
3. organisationnelles
3. réalisation de bilan de 4. existence d’un processus 3. changement de qualification
compétences d’identification et d’évaluation possible dans un poste
des compétences
organisationnelles
5. stratégiques
4. pourcentage d’évaluations 6. existence d’un processus de 4. % de turnover dans
annuelles gestion compétences l’entreprise
organisationnelles stratégiques
5. recours à des critères de 7. évaluation de l’organisation en 5. appartenance du DRH au
compétences dans l’évaluation terme de processus comité de direction
individuelle
6. ressenti des employés vis à vis 8. détermination des processus 6. vision de l’entreprise
de la politique de gestion des qui confèrent à l’organisation
compétences individuelles un avantage concurrentiel
7. existence de documents 9. recensement des ressources 7. style de management
informant sur les principes stratégiques de l’organisation
d’application de cette politique
8. formation à de nouvelles 10. adaptation à la concurrence ou 8. nombre de niveaux
compétences maximisation des hiérarchiques réels sur le
ressources nombre de niveaux
hiérarchiques théoriques
9. pourcentage de salariés formés 9. exemples de mises en pratiques 9. situation sur l’échelle de
par rapport à l’effectif de stratégies basées sur la gestion l’organisation qualifiante
des ressources
10. nombre d’heures de formation 10. existence de groupe 10. pourcentage de la masse
par salariés formés transversaux salariale accordée à la
formation
11. intégration du développement de 11. les services sont organisés en 11. pourcentage de
la compétence individuelle dans groupes de travail changement de qualification
les critères de rémunération par poste

13
Annexe n° 3 : Principaux résultats statistiques de l’analyse factorielle 22

Tableau n° : Statistiques initiales de l’analyse factorielle

Facteurs Valeurs Propres % de la Variance % cumulé


1 3,7864 34,4 34,4
2 2,7887 25,4 59,8
3 1,8833 17,1 76,9

Les 3 facteurs retenus expliquent 76,9 % de la variance des données initiales.

Tableau : Matrice des facteurs sous rotation Varimax

Variables Facteur 1 Facteur 2 Facteur 3


RBV2 ,9286 -,0785 -,0924
RBV3 ,9249 ,0332 ,0519
RBV7 ,8772 ,1611 ,1785
RBV1 ,7992 -,0992 ,2315
GESTC ,0426 ,92074 -,0496
BILC -,1229 ,8454 -,0043
FORMARH -,0594 ,8198 -,2443
DOCGC ,4610 ,6627 ,2195
RBV10 ,1266 -,0417 ,9312
RBV11 ,2162 ,0033 ,9033
VISION -,0224 -,0799 ,6474

Ce tableau permet d’identifier les corrélations entre les différentes variables et les facteurs.
Les indicateurs ayant les coefficients les plus élevés sont considérés comme représentatifs
du facteur.

Les tests KMO et Bartlett sont significatifs.

Annexe n° 4 : Dendrogrammes

Analyse hiérarchique sur le facteur 1

Analyse hiérarchique sur le facteur 2

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effectués par le logiciel SPSS/PC

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