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TEXTE 8 : Le Malade Imaginaire, Molière : acte I, scène 5 (explication linéaire)

Introduction

Jean Baptiste Poquelin, dit Molière, est un des plus célèbres dramaturges du 17 ème siècle. Acteur et
directeur de troupe, il est la figure de proue de la comédie classique à laquelle il donne ses lettres de
noblesse. S’il excelle dans un premier temps dans la farce, c’est avec la comédie, qui est plus
profonde et sérieuse car elle peint de manière satirique les vices humains et a une visée morale, qu’il
se distinguera. Protégé de Louis 14, Molière est pourtant de nombreuses fois attaqué, notamment
par les religions pour ses critiques des faux-dévots dans Tartuffe. Il meurt en 1673 lors d’une
représentation du Malade imaginaire. Cette pièce est une critique des médecins et propose aussi une
réflexion sur la manipulation et sur les mariages arrangés. Dans l’acte I, Argan, hypocondriaque,
compte ses traitement et s’affronte avec sa servante Toinette qui le met en garde contre son
apothicaire M. Fleurant et son médecin M. Purgon, qui l’exploitent sans le soigner. Angélique, la fille
d’Argan, confie à Toinette son amour pour Cléante. Mais pour réduire ses frais médicaux Argan veut
marier sa fille à un médecin, Thomas Diafoirus. Toinette s’oppose à ce mariage tandis que Béline, la
seconde épouse d’Argan et belle-mère d’Angélique, défend le projet de son mari et le pousse à
rédiger un testament en sa faveur. Dans le passage étudié, Toinette s’oppose fermement au mariage
arrangé et une dispute éclate.
Nous verrons donc comment à travers cette dispute nous avons une scène caractéristique de la
comédie.
1-une servante audacieuse
2- un bourgeois avide
3- un échange vif et comique

1-une servante audacieuse


Le passage s’ouvre par l’interjection « Ma foi » qui appartient au vocabulaire populaire et insiste sur
le statut social de Toinette, elle n’est qu’une servante. De plus, cette interjection et la ponctuation
exclamative marque l’engagement de Toinette dans cette situation, elle n’est pas indifférente à ce
qui arrive à Angélique. De même, dans cette réplique, Toinette se qualifie d’ « amie » ce qui est une
forme d’irrespect car elle est une domestique ; elle outrepasse son rôle. On peut lire à travers cette
qualification un thème récurrent chez Molière qui prône l’égalité entre les hommes et insiste sur le
fait que les domestiques sont proches des maîtres et finalement plus sincères dans leurs relations
avec eux.
«je vous donne un conseil / ce conseil ? » / « la raison ?/ la raison », « n’y consentira point x2 » : on
constate que les répliques reposent sur la répétition de mêmes termes ce qui produit un effet
comique et montre aussi une sorte de moquerie de l’un envers l’autre ; aucun n’a vraiment envie de
faire aboutir la conversation. Toinette a conscience qu’elle risque gros à s’opposer à Argan et Argan
n’ayant pas l’intention de se rabaisser à argumenter avec sa servante.
Pour autant dans la suite du passage, on constate l’emploi de nombreuses négations dans la bouche
de Toinette : « ne… point, non, ni ». Cette accumulation traduit l’opposition forte de Toinette à Argan
ainsi que l’absence de respect hiérarchique de Toinette.
« Monsieur Diafoirus, Thomas Diafoirus, tous les Diafoirus du monde » : on lit une répétition du nom
propre ainsi qu’une antonomase (lorsqu’un nom propre devient un nom commun « les Diafoirus »)
cela sert à marteler le refus de Toinette tout en insistant sur le caractère ridicule de ce nom.
 Le comique de cette scène apparaît à travers la servante qui parle avec audace en sortant de
sa condition pour s’opposer à son maître.

2- un bourgeois avide
Le mariage d’Angélique est un mariage arrangé qui vise à faire baisser les frais médicaux d’Argan. Il
prend ici les traits d’un vieillard avide et égoïste, reprenant le topos du personnage du vieillard dans
la commedia dell’arte.
La dernière réplique de Toinette dans le 1 er mouvement début par l’affirmation « elle n’a que faire
de » insistant sur le fait qu’il ne s’agit pas d’un mariage d’amour. Argan va rebondir sur cette
expression avec un calembour « j’en ai affaire moi ». On note ‘insistance portée sur le pronom
personnel « je » qui est renforcé par l’emploi de la forme tonique « moi ». Il s’agit bien de l’intérêt
d’Argan qui est en jeu non de celui de sa fille. De plus, l’expression « avoir affaire » marque son
intérêt financier et s’oppose par ce jeu de mot à la dimension affective « elle n’a que faire ».
Argan poursuit dans le développement de son idée en présentant son futur gendre comme « le parti
le plus avantageux », cette expression marque l’intérêt financier d’Argan et insiste dessus avec
l’emploi de l’adjectif au comparatif de supériorité. La suite de la réplique vise à dérouler le
mécanisme de la pensée d’Argan qui repose sur l’héritage supposé de Diafoirus. Ce mécanisme de
pensée est marqué par l’enchaînement des différentes propositions qui marquent les différents
phases du plan d’Argan mais qui ne sont que des suppositions : « Monsieur Diafoirus n'a que ce fils-là
pour tout héritier; et de plus Monsieur Purgon, qui n'a ni femme, ni enfants, lui donne tout son bien,
en faveur de ce mariage; et Monsieur Purgon est un homme qui a huit mille bonnes livres de rente. »
La réponse de Toinette est assez paradoxale et crée un effet comique ; elle associe la richesse de
Purgon à sa capacité à tuer ses patients avec la subordonnée circonstancielle de conséquence « pour
s’être fait si riche », ce qui est peu logique mais qui renvoie à la mauvaise réputation des médecins à
l’époque.
« 8000 livres de rentes », cette expression est répétée à 2 reprises par Argan faisant le seul et unique
argument à ce mariage et dénonçant un nouveau vice d’ Argan qui apparaît cupide.
« Monsieur, tout cela est bel et bon; mais j'en reviens toujours là. Je vous conseille entre nous de lui
choisir un autre mari, et elle n'est point faite pour être Madame Diafoirus. » : la réplique de Toinette
balaye l’argument financier scandé par Argan en faisant un argument non recevable. Une fois de
plus, elle outrepasse ses fonctions en conseillant Argan et développe comme argument à opposer la
personnalité d’Angélique, affirmant que ce coupe serait mal assorti.
 Récurrent au 17ème siècle, le thème de l’argent et la condition des filles est évoqué dans ce
passage. Argan apparaît comme un homme obnubilé par l’argent et qui se moque du bien-
être de sa fille. On lit également à travers les propos de Toinette et le choix des noms par
Molière une critique vive des médecins.

3- un échange vif et comique


Le ton finit par monter entre les 2 personnages comme en témoignent les interjections « Eh fi, Hé
non » suite à l’affirmation sans concession d’Argan « je veux moi que cela soit » où l’on peut lire à
nouveau une insistance sur le pronom personnel je et le verbe de volonté qui insistent sur le fait qu’il
ne veut rien entendre.
« Ne dites pas cela » : Toinette donne des ordres à Argan inversant clairement les rôles ce qui crée un
effet comique. Elle met un avant un argument peu performant « on dira de vous » celui de la
réputation d’Argan, ce qui ne fonctionne pas. Elle finit par changer de stratégie ; elle arrête d’essayer
de convaincre Argan et joue le rapport de forces en affirmant « elle ne le fera pas, vous dis-je ».
S’en suit un dialogue de sourds autour de la question de la mise au couvent d’Angélique qui se lit à
travers des stichomythies ( échanges de répliques très brèves ) qui insistent sur l’absence
d’argument. « TOINETTE.— Vous?
ARGAN.— Moi.
TOINETTE.— Bon.
ARGAN.— Comment, «bon»? »
Cela crée un comique de répétition qui sera poursuivi dans la suite du texte avec la reprise mot à mot
par les 2 personnages des mêmes phrases.
« Je ne mettrai pas ma fille au couvent ? » : il s’agit d’une question rhétorique qui sert à réaffirmer
l’autorité du père sur sa fille et qui traduit une forte tension entre Toinette et Argan comme en
témoigne la réplique de Toinette « non, vous dis-je » où la négation marque une opposition forte et
assumée « vous dis-je ».
« Qui m’en empêchera ? » cette question marque le fait qu’Argan ne se remet pas en question. La
réponse d’Angélique crée alors la surprise : « vous-même » et cela produit un nouvel effet comique
car Toinette sous-entend la faiblesse du personnage.
Enfin le dernier argument de Toinette « vous n’aurez pas ce cœur-là » est celui de l’amour paternel.
Pour la première dans cet échange autour de la question du mariage on évoque la dimension
affective. Molière sous-entend ainsi en portant un discours féministe la souffrance infligée aux
femmes mariées de force.
Enfin, la tournure que prend la scène est elle-même comique car au début de la scène Toinette
défend Angélique pour lui éviter un mariage arrangé. Du fait de son intervention, à la fin de la scène,
Angélique se voit confrontée à un nouvel obstacle : la mise au couvent. La liberté de ton que
s’octroie Toinette est donc une catastrophe pour Angélique et fait du personnage de la servante un
personnage maladroite et donc comique (comique de caractère). D’où la nécessité absolue pour
Toinette de trouver un dernier argument pour essayer de récupérer la situation.

CONCLUSION
Le projet de mariage décidé par le tyrannique Argan provoque la tristesse de sa fille et la résistance
comique de sa servante. Cette scène 5 de l’acte I est capitale car elle pose le nœud de l’intrigue. Si
Angélique se soumet à son père, Toinette s’insurge malgré les hiérarchies sociales, provoquant une
dispute comique. Cependant Molière met habilement le comique au service d’une féroce satire
sociale : l’hypocondrie d’Argan est une véritable maladie sociale qui menace de détruire sa famille
tandis que les médecins sont représentés comme des charlatans.

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