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ÉLÉMENTS D’ANALYSE

Extrait de L’Histoire comique des États et Empires du Soleil,


Cyrano de Bergerac, 1662

L’Histoire comique des États et Empires du Soleil est un roman utopique qui critique la société du souverain
du temps de Cyrano (Louis XIV). Celui-ci raconte l’histoire d’un homme qui voyage sur le soleil.
Dans l’extrait que nous allons étudier, le narrateur, qui voyage sur le soleil, découvre la République des
Oiseaux, dont la pie lui explique le fonctionnement.

La phrase nominale « Le gouvernement du bonheur » affiche d’emblée une volonté didactique et


argumentative. On y retrouve deux thématiques qui peuvent sembler antithétiques : la politique avec le
terme gouvernement et les sentiments intimes avec la notion de « bonheur ». Le texte s’ouvre par une
appréciation méliorative du narrateur.

Dès le début du texte, la pie et l’homme dialoguent. C’est une figure de style : la personnification.
La pie parle la même langue que l’homme puisqu’ils dialoguent, celle-ci est donc personnifiée. L’aigle est
également personnifié par le biais du verbe d’action « se vint asseoir ».
Le registre de cet extrait est merveilleux. D’abord l’histoire se déroule dans les « États et Empires du
Soleil », étoile inexplorable du fait de son extrême chaleur, ici plus précisément sur « les rameaux d’un
arbre ». Le narrateur humain est en présence d’une pie et d’un aigle. La pie et l’homme dialoguent. Le
lecteur est donc plongé immédiatement dans la fiction.
L’intention spontanée du narrateur lorsqu’il rencontre l’aigle est de s’agenouiller devant lui. En effet
l’aigle est un symbole traditionnel de l’empire et de la force. Cette intention est exprimée par le verbe
de volonté « je voulus », le narrateur en donne clairement l’explication « croyant que ce fut le roi ». Le
participe présent « croyant » montre d’emblée l’erreur du narrateur.

L’expression « ne m’eut contenu dans mon assiette » signifie « m’a fait rester à ma place »

La présence des guillemets et de l’incise contenant le verbe de déclaration indique que le récit fait place
au discours direct.
En bonne oratrice, la pie attise l’intérêt de son destinataire par le recours à une question rhétorique qui
lui permet de lancer sa longue interprétation. Cette question montre également la surprise de la pie face
au comportement du narrateur.

Le champ lexical de l’erreur de jugement et du manque de lucidité se retrouve dans les termes :
« imagination », « cru » et « jugeant ». En effet la pie répond à sa question rhétorique en affichant
son mépris sans détour : par l’apostrophe « vous autres hommes » qui a une connotation péjorative,
par l’utilisation de l’adverbe insultant « sottement ». Par ailleurs nous pouvons noter que le pronom
personnel ne renvoie plus seulement à Cyrano mais le rend représentatif du genre humain.

Le narrateur critique ensuite explicitement :


— Le roi de France, par la gradation en rythme ternaire constituée de trois superlatifs : « aux plus grands,
aux plus forts, aux plus cruels ». Ce dernier adjectif souligne le manque de justice du gouvernement
français
— L’ethnocentrisme, par l’expression « jugeant de toutes choses par vous »
— La loi du plus fort et de la soumission servile des Hommes, par « que vous vous laissez commander
aux plus grands, aux plus forts et aux plus cruels… »
« Mais », au début du deuxième paragraphe, est une conjonction de coordination. Elle exprime
l’opposition. Elle est employée également pour changer de paragraphe et exprimer une nouvelle idée, un
argument clair : « notre politique est bien autre ».

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Ici la conjonction « Mais » est renforcée par l’utilisation de l’adverbe d’insistance « bien », ce qui
différencie nettement le gouvernement français de celui des États du Soleil. Il s’agit de montrer à quel
point les deux systèmes politiques sont opposés.

Pour mieux opposer les deux systèmes, la pie reprend la même structure de phrase mais remplace
chaque adjectif par son antonyme. Il s’agit ici d’un parallélisme antithétique de la présentation du roi :
d’un côté « plus grands », « plus forts », plus cruels » et de l’autre « plus faible », plus doux », « plus
pacifique ». Le contraste est d’autant plus frappant du fait de la proximité de ces deux propositions.
À noter que « car » annonce l’explication de la cause, de l’origine de cette différence absolue.

Les termes qui soulignent le pouvoir du peuple sont « nous le choisissons », « le changeons nous »,
« nous le prenons ». Même si l’on parle de « roi », on comprend alors qu’il s’agit d’une démocratie
républicaine.

Le mandat de « six mois » du roi est une critique indirecte adressée à la monarchie absolue de droit divin
où le roi ne perd son titre qu’à sa mort.

La pie explique l’adjectif « faible » prévoyant la question du narrateur (ici porte-parole du lecteur étonné)
grâce à la proposition subordonnée circonstancielle de but introduite par « afin que ».
L’explication est surprenante car elle annonce la vulnérabilité du roi, la possibilité de se venger de lui, et
contraste alors avec l’aspect intouchable du roi français. Le droit est donné de se venger qui que nous
soyons (« le moindre ») et quelque minime qu’ait été le mal qu’il a pu commettre (« quelque tort ») qui est
d’ailleurs évoqué au conditionnel passé pour souligner l’hypothèse, l’irréel « aurait fait ».

Il y a deux figures de style dans la fin de la phrase :


— Une métaphore en apposition « canal de toutes les injustices »
— Une hyperbole : « toutes les injustices »

On perçoit d’abord un objectif moral : aucun sentiment négatif ne doit émaner du roi ou être tourné
vers lui. L’objectif premier ici est en réalité « d’éviter la guerre ». L’hyperbole « de toutes les injustices »
relevée précédemment montre un aspect utopique : supprimer la guerre ferait disparaître le moindre
souci d’équité dans le monde. Le pacifisme est donc lié à la justice et crée ainsi un gouvernement idéal.
Le titre « gouvernement du bonheur » trouve ici son explication.

La pie enchaine avec des exemples concrets. Nous sommes en présence d’une structure argumentative
efficace : d’abord elle pose une question rhétorique à laquelle elle apporte une réponse, ensuite une
nouvelle idée est exprimée (changement de paragraphe et emploi du mot de liaison « mais »), puis il y a
un nouveau paragraphe qui présente des exemples concrets pour étayer l’argument précédent.

La pie décrit précisément le fonctionnement du gouvernement. D’abord une assemblée est convoquée
dans la proposition « il tient ses états » (le jugement royal fait donc partie intégrante de la politique
intérieure de la République du Soleil) ainsi que sa périodicité « chaque semaine ». L’importance de
chaque individu est une nouvelle fois mise en valeur par l’expression globalisante « tout le monde » ;
Chaque citoyen a la possibilité de dire ce qu’il pense du roi, très régulièrement. La justice est la même
pour tous, le roi subit la justice également. Il écoute les plaintes et les critiques de tous les citoyens à son
égard.
C’est le système démocratique qui est clairement évoqué ici avec la référence à une « élection ». Sur tout
un peuple, si « trois » sont « mal satisfaits », le roi est « destitué » de son « gouvernement ». Une nouvelle
fois l’accent est mis sur le pouvoir du peuple (désigné ici par le pronom indéfini « on »). La faible marge
d’erreur du roi est présente dans l’adverbe « seulement » et l’adjectif numéral « trois ».
La description du positionnement du roi par les compléments circonstanciels de lieu « au sommet d’un
grand if sur le bord d’un étang » et le complément circonstanciel de manière « les pieds et les ailes liés »
permet de visualiser la scène et nous indique que le roi est privé de liberté du fait de ses liens, il est
exposé au jugement de ses sujets.

2 CNED PREMIÈRE FRANÇAIS


Nous assistons donc ici à la désacralisation de la personne du roi et à la démystification du pouvoir du roi,
qui n’est d’ailleurs jamais désigné avec la majuscule traditionnellement employée pour les monarques
européens.
Un if est un arbre qui peut mesurer jusque 20 m de haut pour les plus grandes espèces.

Le Roi est placé stratégiquement en haut d’un if qui est, pour les Chrétiens, le lien entre le ciel et la terre
du fait notamment de sa longévité.

N’importe quel citoyen peut juger le roi coupable et le mettre à mort immédiatement. L’expression
globalisante « tous les oiseaux » montre une fois encore qu’aucun citoyen n’est mis de côté. C’est une
société ordonnée et respectueuse qui est présentée « l’un après l’autre ». Un seul sujet du royaume peut
accuser le roi du « dernier supplice ».
Il s’agit ici d’une critique implicite du système judiciaire français. L’insistance sur la probité exigée
de tous les juges sous-entend l’arbitraire de la justice contemporaine. Seuls les grands de ce monde
peuvent juger les autres, le peuple ne peut que subir. Les jugements sont souvent liés aux intérêts
personnels et perdent de vue la pure justice.

Le citoyen est soumis à une obligation (« il faut ») de « justifier la raison » de son acte « sur-le-champ ».
Dans le cas contraire, l’injustice du citoyen est punie, il est condamné à une « une mort triste ».
Les juges doivent être justes envers le roi. La justice n’est pas salie par les intérêts personnels. Tous les
citoyens apprennent à être aussi justes et aussi raisonnables que le roi.
Notons que la « mort triste » est une peine inconnue des Hommes et paraît obscure. La « mort triste
semble être un pléonasme qui fait surgir des questions : la mort peut-elle ne pas être triste ?
Y aurait-il des formes de mort plus tristes que les autres ?

L’extrait présenté ici articule l’imaginaire et la réalité, la narration et la réflexion, il a la fonction de


l’apologue : par le détour de la fable, l’auteur rêve à un monde meilleur et critique le monde réel. Cyrano
de Bergerac critique alors le gouvernement de son époque et l’ethnocentrisme. C’est pourquoi il nous
présente l’utopie d’une république où tous les Hommes sont égaux, où chaque citoyen a autant de poids
que le roi.
Nous remarquons que la liberté de pensée et la force contestataire qui passent dans le texte de Cyrano de
e
Bergerac sont celles d’un libertin du XVII siècle, d’un précurseur des Lumières mais qui ne parvint pas à
faire publier ses utopies de son vivant.
Ce recours à des animaux personnifiés afin de critiquer indirectement la société contemporaine, le
pouvoir royal et la justice, fait évidemment penser aux Fables de La Fontaine.

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