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Jean PETITOT
Morphologie et esthétique
Paris, Maisonneuve et Larose, 2004
Présentation de
Herman PARRET
Source de l'article
Larges extraits du livre : books.google.fr
Il n’y a pas de lecteur idéal pour ce nouveau livre de Jean Petitot. Quel lecteur maîtriserait
en même temps la philosophie transcendantale, la phénoménologie husserlienne, la
théorie des catastrophes, la sémiotique structurale, la Gestalttheorie en psychologie,
la pensée morphologique en biologie, dans les mathématiques, en géométrie, l’histoire de
l’esthétique ; et en complément, quel lecteur pourrait témoigner de si larges intérêts
artistiques (Piero della Francesca, Canova, le Laocoon) et littéraires (Proust, Valéry,
Stendhal), d’une sensibilité si sophistiquée et si intelligente du phénomène esthétique,
d’une si profonde connaissance de l’histoire, celle de la bataille de Waterloo par exemple ?
Et pourtant, l’intuition centrale qui inspire l’analyse de ce corpus diversifié, est constante,
solide et consistante.
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de la Faculté de juger, et surtout chez Kant, dirions-nous, pour aboutir à la pensée sémio-
morphologique d’importants auteurs contemporains (Valéry, Peirce, Husserl et Merleau-
Ponty, D’Arcy-Thompson, Turing et Umberto Eco). La seconde partie, Etudes
littéraires, comporte donc des analyses très approfondies de deux « cas » : Proust et
Stendhal. Les deux textes sur Proust montrent merveilleusement comment la sémiotique
modale et actantielle (performée par Greimas et son « groupe » dans les années quatre-
vingts) est hautement pertinente : il s’agit de l’analyse détaillée de la petite phrase de
Vinteuil dans Un amour de Swann et de l’épisode des « clochers de Martinville » dans Du
côté de Guermantes. Les deux derniers chapîtres sont « stendhaliens » : le premier
concerne le dispositif morpho-sémiotique de la bataille de Waterloo dans La Chartreuse de
Parme, et le second la possibilité d’injecter l’assomption du mythe d’Eros et de Psychè dans
les héros amoureux, Fabrice et Clélia, de ce chef-d’œuvre de Stendhal.
C’est Herder qui oppose l’haptique à l’optique, le toucher et la vue, corrélés à la sculpture et
la peinture. Il nous semble que la sémio-esthétique de Lessing et surtout l’apport
fondamental de Herder n’est pas vraiment mis en valeur dans notre livre. En insistant sur
un Goethe « naturaliste », Petitot montre surtout en quoi la morphologie goethéenne peut
être mise en perspective par rapport à la Troisième Critique de Kant. Il explicite ainsi
comment Goethe analyse en détail le Groupe du Laocoon. Ce « chef-d’œuvre parfait », ce
« suprême achèvement des arts plastiques » démontre « une nature vivante hautement
organisée » (52). Si l’on suit Petitot, il y aurait une compréhensivité et une intelligibilité
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purement visuelles de la sculpture pour Goethe, une « dimension perceptive sui generis du
sens » (54), organisant l’espace selon le « principe de non généricité » fournissant
« un critère immanent purement perceptif de pertinence significative » (57). Organisant
également le temps compressé dans le « présent vivant » (Husserl), dans le « moment
fécond » d’un instantané, dans une prégnance, comme on le dirait en sémiotique
thomienne. Le modèle goethéen qui intéresse Petitot est bien celui de la « montée morpho-
sémiotique » (65) : au départ, les relations d’oppositions et de contrastes sont perceptives
et non conceptuelles (il y aurait, par conséquent, une « intelligibilité purement visuelle »)
et elles s’incarnent ensuite dans des rôles actantiels et thématiques qui se
« passionnalisent » alors dans des figures, voire des personnages.
Voici donc chez Goethe un « parcours génératif » quasi-greimassien ! Important également
est le fait que l’unification « naturaliste » (en fait, « vitaliste ») chez Goethe présuppose
« un concept de Nature qui débouche sur la sphère du sens à travers des processus
cognitifs de sémiotisation » (66). Petitot propose, en conclusion à ce premier chapitre sur
la morphologie de Goethe, trois annexes. La première surtout est importante en vue de
comprendre la « généalogie morphologique du structuralisme ». En effet, il semble bien
qu’il existe une filiation qui conduit la morphologie goethéenne au structuralisme de
Jakobson et de Lévi-Strauss en passant par le formalisme russe (1914-1930). C’est ainsi
que, le couple goethéenprototype-transformation est considéré par Lévi-Strauss comme le
noyau épistémologique du structuralisme. Et Petitot d’étudier in extenso la référence
morphologique chez Lévi-Strauss.
Le Chapitre II, Morphologie et esthétique transcendantale, est la charnière du livre entier. Sa
lecture est exigeante puisqu’elle présuppose une connaissance approfondie de la
philosophie transcendantale, surtout de l’esthétique kantienne. Le texte reprend une
intervention très remarquée de Jean Petitot à un colloque sur la Critique de la faculté de
juger qui a fait date à Cerisy en 1990. Pour ceux qui veulent se familiariser davantage avec
l’interprétation que Petitot propose de la philosophie kantienne, surtout de sa
réintroduction en philosophie des sciences (le problème de la constitution des
objectivités), nous renvoyons à son essai La Philosophie transcendantale et le problème de
l’objectivité (avec la participation e.a. de F. Marty, F. Gil, J.M. Salanskis et J.P. Desclés),
Editions Osiris, Les Entretiens du Centre Sèvres, 1991. Dans le Chapitre II du livre que
nous commentons maintenant, Petitot lance une hypothèse radicale qui ne convaincra pas
la plupart des experts de Kant : « la théorie de la forme constitue le fil directeur et le
principe unifiant de toute la Critique de la faculté de juger » (85).
Même si cette hypothèse est idiosynchrasique et osée, elle est possible et pertinente,
surtout si on tient compte de l’enseignement de l’Opus Postumum. Est étudiée en première
instance la notion de forme dans la Critique de la faculté téléologique, et ensuite dans
la Critique de la faculté esthétique. Sous-jacente à l’hypothèse mentionnée en est une autre :
que, chez Kant, « il existe une obstruction transcendantale à l’accession de la théorie
morphologique au rang d’une science proprement dite de la forme » (85). C’est
précisément cette hypothèse qui est générée par l’étude de la Critique de la faculté
téléologique. Cette étude est menée par Jean Petitot avec une extrême finesse
interprétative. Vue la structure de l’expérience (Première Critique), la nature est
nécessairement « mécanique », d’où le réductionnisme physicaliste inhérent à la science.
Mais il y a dans la nature des « fins naturelles », des êtres organisés : il y aura pour
n’importe quel projet scientifique toujours un « résidu » concernant la contingence de la
forme des êtres organisés. Cette organisation n’est pas explicable « mécaniquement »
puisqu’elle n’est pas (extérieurement) « objective ». Et c’est ainsi que ce principe de finalité
« interne », pourtant absolument nécessaire pour déterminer adéquatement notre faculté
de juger humaine, ne peut se présenter que comme s’ (als ob) il est un principe objectif.
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Le concept de fin naturelle transcende la faculté de juger déterminante : il provient, nous
dit Kant, de la finitude de notre entendement. Et Petitot conclut ainsi cette section sur le
jugement téléologique : « C’est précisement parce que les formes naturelles sont
contingentes qu’elles peuvent affecter esthétiquement le sujet. Dans le jugement
esthétique, le défaut d’objectivité effective dans la finalité interne objective se convertit en
un supplément de subjectivité affective dans la finalité subjective formelle » (92). Il est
évident pour tout lecteur assidu de la Troisième Critique que le als ob régit la « logique »
du jugement esthétique.
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commentaire d’Aristote et de Leibniz comme « annonciateurs » de la philosophie
kantienne du jugement réfléchissant. C’est ainsi que Petitot projette l’architectonique
leibnizienne dans l’ultime œuvre de Kant, l’Opus Postumum. Il faudrait regarder de plus
près si l’on n’a pas à faire ici à des rapprochements allusifs sans trop de fond
théorématique, même s’ils génèrent une heuristique intéressante.
La lecture du Chapitre III sur l’histoire de La Pensée morphologique : de Peirce et Husserl à
Valéry et Eco ne présuppose pas vraiment cette même expertise philosophique puisque le
texte est surtout informatif et indicatif. Passent en revue deux sémioticiens, un
mathématicien, un anthropologue, un philosophe et un écrivain qui illustrent tous la
permanence de la pensée morphologique dans la pensée moderne. Valéry, entre autres
dans son texte tardif L’Homme et la Coquille (1937), pose la question de l’essence d’une
forme naturelle (comme une coquille) qui, dans son apparaître morphologique, fait hésiter
le sujet « entre la recherche d’un introuvable principe organisateur et l’évaluation
esthétique contemplative » (117). Il est vrai que Valéry vise une véritable « intelligence des
formes ». En plus, Petitot enracine Valéry dans l’esthétique kantienne : Valéry, tout comme
Kant, reconnaît qu’une esthétique transcende la construction mécanique causale pour
découvrir la production vivante téléologique, « l’énigmatique tendance ‘technique’ de la
Nature à produire des formes » (118).
Bien que Eco, lui aussi, soit opposé à tout réductionnisme naturaliste, il admet, semble-t-il,
l’existence de contraintes morphologiques du sens. Petitot l’explique dans la section
intitulée « Les racines morphologiques du sens chez Umberto Eco » (133-139). Il note que,
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selon certaines affirmations dans Kant et l’Ornithorynque, Eco pose l’existence de formes
pré-sémiotiques de la réalité et qu’il modère ainsi la « conception purement culturelle de
la sémiose ». Petitot, évidemment, soutient tout programme de recherche de naturalisation
du sens contre l’effort de culturalisation de la Nature dont il prétend que c’est la tendance
dominante dans les sciences humaines. Notre auteur ne croit pas au manichéisme,
« d’un côté la nature, l’objectivité, l’explication, et de l’autre la culture, l’auto-réflexion, la
saisie d’un sens existentiellement éprouvé » (134). Et il voit dans Eco certains signes de
solidarité avec son option de naturalisation.
Evidemment, Eco comme Petitot se tournent contre l’idéalisme sémiotique, mais il me
semble douteux que le « socle dur de l’être » dont nous parle Eco dans ses publications
récentes, puisse être compris, à la manière de Petitot, comme « son organisation
morphologique et gestaltiste faisant de la forme le phénomène de l’organisation de la
matière » (139). Pour admettre cette identification, il faut souscrire à toutes les idées-
forces que Petitot met en avant dans son épistémologie : que la couche sémiotique
s’enracine dans la structure morphologique du monde naturel ; qu’il faut une organisation
pré-sémiotique (et non conceptuelle, anté-prédicative et pré-judicative) du monde
naturel ; que le concept structural de forme soit remplacé par un concept génétique de
forme « comme auto-organisation émergente » (136). Encore une fois, on peut douter que
la pensée récente d’Umberto Eco réalise vraiment tout le programme épistémologique de
Petitot dans son ambition généralisante et dans son étonnante consistance.
La seconde partie du livre que nous avons sous la main, comporte quatre études
consacrées à Proust et à Stendhal. Il ne s’agit pas vraiment d’ « applications » puisque
Petitot tient à préciser : Proust et Stendhal, pour lui, sont de « véritables savants » (141),
« d’authentiques savants, ... de grands penseurs des rapports entre la Forme et le Sens »
(9). Il est dit que « Proust se révèle ... un égal de savants comme Hjelmslev, Lévi-Strauss,
Jakobson et Greimas, un maître de la théorie structurale. Il invente une esthétique
spécifique sur la base d’une réflexion théorique » (183), et Petitot de citer Luc Fraisse :
« Marcel Proust représente, incarne, domine, toute l’esthétique du XXe siècle ». On trouve
en note de bas de page, en parlant d’un texte de Proust : « On croirait lire du Saussure ou
du Hjelmslev » (159) ! « Proust est un théoricien de génie » (144). Et on apprend que
« le concept proustien d’ ‘impression’ est proche du concept thomien de ‘prégnance’, et
d’ailleurs aussi du concept freudien de ‘pulsion’ » (184, note 10).
La petite phrase de Vinteuil, dont traite la magistrale première étude proustienne, est
déterminée par Petitot comme « un dispositif morpho-sémiotique génial qui remonte
d’une base morphologique sensorielle et perceptive jusqu’aux niveaux cognitifs et
métapsychologiques les plus élevés des processus de sémiotisation. C’est un opérateur qui
permet à Proust de définir un statut ‘esthétique’ du sujet intentionnel » (176). Et c’est dans
ce contexte que le roman de Proust est qualifié d’un « traité de sémiotique théorique
et d’épistémologie amoureuse » (ou « épistémologie sentimentale » [144]). De cette
« épistémologie amoureuse » qu’est A la recherche du temps perdu, Petitot est l’herméneute
amoureux, dirions-nous. Derrière toute une façade de sécheresse constructionniste, on
découvre un analyste admirablement « amoureux » des nuances du sensible et des
tonalités psychiques des personnages qu’il nous reconstruit avec sa machinerie
sémiotique impressionnante.
Les recherches sur Proust – l’une sur la petite phrase de Vinteuil, et l’autre sur les clochers
de Martinville – datent des années quatre-vingt et sont bien connues par ceux qui ont suivi
de près les travaux de Jean Petitot. Quand Proust est dit avoir réussi « ce tour de force
d’actorialiser le fonctionnement sémiotique des valeurs axiologiques investies dans un
objet-valeur (Odette) dans la fameuse petite phrase de Vinteuil » (144), il est évident que
Proust ne regarde que derrière l’épaule de Jean Petitot. Nous avons réécouté, dans
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l’arrière-fond au cours de cet exercice de compte-rendu, les sonates pour piano et violon
de Saint-Saëns et de Fauré pour se mettre quelque peu dans l’ambiance proustienne de la
« petite phrase de Vinteuil ». Certes, on a également feuilleté Un amour de Swann pour y
retrouver tous ces passages concernant la « petite phrase » mais, en fait, l’exercice n’était
pas vraiment nécessaire puisque les références au texte proustien, chez Petitot, sont
exhaustives et bien précises. L’analyse que Petitot propose des quatorze fonctions de la
« petite phrase » est savoureusement délicate, subtile et extrêmement pertinente. Dans le
déroulement de la réalisation des quatorze fonctions, nous discernons une montée
intensifiante (de 1 à 7) et une descente qui se présente comme une « détente » (de 8 à 14).
De la « petite phrase » comme saillance figurative, de la « petite phrase »
comme Gestalt, comme impression ou prégnance thymique et comme affect esthétique, ne
constitue que le long chemin sémiotique pour arriver à l’essentiel : la « petite phrase »
comme visée idéale, objet modal et forme de l’Idée.
C’est dans l’assomption de la forme de l’Idée (Platon et Kant) que l’essentiel est conquis et
que la signifiance essentielle de la « petite phrase » est comprise. Petitot commentera dans
l’Annexe 3 de ce Chapitre la thèse d’Anne Henry, Marcel Proust. Théories pour une
esthétique (1983) où elle décrit la Recherche comme « odyssée de l’absolu » (229) et
qualifie la philosophie esthétique proustienne comme proche de
la Naturphilosophie schellinguienne. La « petite phrase » devient ainsi également une
« structure intelligible », une traduction-trahision de l’indicible par l’intelligence. Et c’est
sans doute le point culminant de la signifiance de la « petite phrase » que d’être saisie
comme la forme de l’Idée (voir Proust : « On sentait en elle un contenu si consistant, si
explicite, auquel elle donnait une force si nouvelle, si originale, que, ceux qui l’avaient
entendue, la conservaient en eux de plain-pied avec les idées de l’intelligence », cité par
Petitot, 159). A partir de ce niveau de réalisation sémiotique, nous semble-t-il, on est en
droit de considérer ce qui se superpose encore, comme une complexification de la
signifiance qui ne fait qu’enrichir l’essentiel déjà acquis : la « petite phrase » comme magie,
la petite phrase comme « sujet cognitif, informateur/observateur et supposé savoir »,
la « petite phrase » comme signifiant et objet-valeur métaphore de l’objet d’amour. Cette
magnifique analyse de la « petite phrase de Vinteuil » est évidemment tributaire des
méthodologies performantes dans les années quatre-vingts : la sémiotique narrative,
modale et actantielle et la phénoménologie de la valeur dont Jean Petitot a été (et est) un
éminent pratiquant.
L’analyse de l’épisode des « clochers de Martinville » – qui a été également l’objet d’une
approche sémiotique de Jacques Fontanille dans Le Savoir partagé. Sémiotique et théorie de
la connaissance chez Marcel Proust (1987) – est intitulée : « Un mémorialiste du visible.
La quête du réel chez Proust » (177). Après avoir rappelé l’essentiel de la conception
deleuzienne de la « sémiotique proustienne » (178-181) et après avoir défini le statut
proprement esthétique du sujet sémiotique chez Proust (186-187), Petitot introduit un
point de vue topologique : la structuration du sujet esthétique est pensée à partir de
l’axiologie figurative liée aux « deux côtés », le côté de Guermantes et le côté de Méséglise,
deux « visages de ce Janus bifrons qu’est ‘le Combray de mon enfance’ » (189). L’analyse
figurative du cosmos aquatique de la Vivonne, « du côté de Guermantes », lieu de figures
florales, crée une prégnance euphorique du plaisir.
Voici une belle sémiotique du paysage, démarcation entre ciel, terre et eau, et
transposition, suppression même de cette démarcation marquant profondément l’âme du
sujet esthétique. Et surgit dans cette topologie le château de Guermantes, et de suite la
duchesse de Guermantes, sa légende, son nom et son corps (203) : il en est même que
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« dans sa complexité, la duchesse de Guermantes représente un acteur symétrique de la
Vivonne » (205). Et quand les « clochers de Martinville » sont mis en scène, c’est l’épreuve
décisive lors de la quête épistémique par le sujet Marcel. On est en pleine épreuve
véridictoire : c’est une révélation « conjuguant une assomption (passage du conflit
Secret/Mensonge à l’évidence du Vrai) à un état passionnel euphorique d’ivresse et
d’enthousiasme » (215). Et Petitot de conclure à propos de l’épisode des « clochers de
Martinville » :
Cet épisode ... fournit un exemple de la façon dont s’opère chez un artiste
la constitution (j’aimerais dire transcendantale) de la réalité : l’énonciation – ce que Kant
appelait la finalité subjective formelle – s’y égale à un approfondissement du réel – ce que
Kant appelait la finalité interne objective (221).
L’esthétique transcendantale de Kant n’est jamais très loin...
Les deux derniers chapitres du livre sur la table offrent autant de découvertes sémiotiques
d’une égale valeur. Il s’agit de La Chartreuse de Parme dont Petitot se dit « un amateur
passionné » (239), tout comme l’auteur de ce compte-rendu ! Le texte sur l’épisode de
Waterloo date de 1968 (repris en 1983 au séminaire de Greimas) et est la plus ancienne
étude de Jean Petitot. Méthodologiquement elle est bien marquée par les travaux de Lévi-
Strauss et de Greimas. Il faut savoir que l’épisode de Waterloo est dimensionnellement
infime dans cette énorme cathédrale qu’est La Chartreuse de Parme. Et pourtant, elle
semble avoir eu pour Jean Petitot une importance considérable : « Waterloo », écrit-il,
« est un récit d’initiation décrivant la construction d’une subjectivité à partir d’un cosmos
mythologique encrypté dans une mise en scène figurative » (241).
L’étude que nous avons sous la main en ce lieu est très savante (les œuvres critiques de
théoriciens de la littérature sont souvent citées et commentées), elle est parsemée de longs
passages historiques (surtout sur « la vraie bataille de Waterloo », de 277 à 292) et elle
performe une analyse narrative extrêmement détaillée où on a souvent le sentiment de
perdre le fil. Toutefois, le punctum est clair et sera d’ailleurs repris dans la seconde étude
sur Stendhal au Chapitre suivant : la bataille de Waterloo
fonctionne discursivement comme un épisode initiatique où le « héros » Fabrice est
confronté à différents mondes symboliques, et au fond au mythologique. Dans ce sens,
l’épisode de Waterloo, même dans sa brièveté compacte, est un véritable traité de
sémiotique (321).
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dans une masse d’informations, d’hypothèses et d’arguments qu’il ne parvient pas à
maîtriser au moment même de son effort de compréhension. Toutefois, dans ce livre, la
thèse de base est si brillamment soutenue, avec une consistance sans failles, dans la forme
de mille propositions locales concernant des corpus passablement hétérogènes, que
l’attention reste captée, d’abord par l’intelligence des propos et ensuite par le style
honnête d’un homme de convictions. Et ceux qui lisent Petitot depuis 1980 auront ici un
surplus de satisfaction : de redécouvrir ces études rassemblées dans un seul ouvrage
témoignant d’une pensée tenace que l’on ne peut que respecter et admirer.
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