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Revue du Contrôle de la Comptabilité et de l’Audit

ISSN: 2550-469X
Numéro 1 : Juin 2017

La contribution de l’audit interne à la gouvernance des


collectivités territoriales marocaines

The contribution of internal audit to the governance of the


Moroccan territorial collectivities

Mohamed BASSRIH
Doctorant : FSJES Agadir
mohamed.bassrih@gmail.com

Said AKRICH
Enseignant chercheur à la FSJES Agadir, Département Economie-Gestion.
akrichsaid@yahoo.fr

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ISSN: 2550-469X
Numéro 1 : Juin 2017

Résumé:

Les collectivités territoriales exercent des compétences de plus en plus larges suite aux
transferts organisés par l’Etat en leur faveur. Cependant, les problèmes de gouvernance
affectent négativement les activités de développement territorial. Ainsi, les collectivités
territoriales doivent mettre en place et animer des dispositifs leur permettant de maîtriser
leurs activités, d’aider à la réalisation de leurs objectifs et de limiter leurs risques. L'audit
interne apparaît comme une excellente réponse aux besoins de fonctionnement et de
sécurisation, ainsi que celui d’optimiser la gestion publique locale. Le présent travail vise à
démontrer les dysfonctionnements attachés à la gouvernance des collectivités territoriales
marocaines, tout en évoquant comment l’audit interne intervient dans les mécanismes de leur
gouvernance.

Mots clés : Audit interne, Collectivités territoriales, Bonne gouvernance, Régionalisation


avancée, Nouvelle constitution.

Abstract:
The territorial collectivities exert increasingly broad competences following the transfers
organized by the State in their favour. However, the problems of governance affect the
activities of territorial development negatively. Thus, the territorial collectivities must set up
and animate devices allowing them to control their activities, to help with the realization of
their objectives and to limit their risks. The internal audit seems an excellent answer to the
needs for operation and security, like that to optimize the local public administration. This
work aims at showing the dysfunctions attached to the governance of the Moroccan territorial
collectivities, while evoking how the internal audit intervenes in the mechanisms of their
governance.

Keywords:

Internal audit, Territorial collectivities, Good governance, Regionalisation advanced, New


constitution.

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Introduction :

La bonne gouvernance devient au centre des préoccupations des pouvoirs publics. En fait, la
nouvelle constitution marocaine de 2011 a présumé que les services publics sont soumis aux
normes de qualité, de transparence, de reddition des comptes et de responsabilité, et sont régis
par les principes et valeurs démocratiques consacrés par la constitution. En outre, la nouvelle
constitution a constatée que l’organisation territoriale du Royaume est décentralisée fondée
sur une régionalisation avancée. Dans ce cadre, les collectivités territoriales exercent
désormais des compétences de plus en plus larges, suite aux transferts organisés par l’Etat en
leur faveur. Elles ont donc des responsabilités juridiques, financières accrues dans de
nombreux domaines. En fait, les collectivités territoriales joueraient un rôle crucial au niveau
régional et local dans le développement des atouts de l’économie, la lutte contre la pauvreté,
l’éradication de l’analphabétisme et la dynamisation de l’emploi.

Cependant, les collectivités territoriales sont aujourd’hui confrontées à une dégradation de


leur situation financière, l’inefficience et l’inefficacité de leur la gestion. Elles se trouvent
par conséquent, dans l’obligation de chercher par tous les moyens à optimiser leurs dépenses
et leurs recettes, afin d’exercer leurs compétences au meilleur coût possible.

En revanche, les problèmes de gouvernance affectent négativement les activités de


développement territorial. Depuis plusieurs années, les collectivités territoriales sont
confrontées aux différents problèmes organisationnels mettant en cause notamment leur
capacité à maîtriser les dépenses publiques et les risques locaux : scandales financiers dans
l’attribution des marchés publics, quasi-faillites financières, inefficacité des aides publiques
locales, gaspillages, offre des services locaux insuffisante ou incohérente avec les besoins des
acteurs locaux, ou encore dysfonctionnements des modes d’organisations (Beauregard, 2008).

Pour surmonter les divers problèmes de gouvernance, à l’échelle internationale on assiste à


l’alignement des administrations du secteur public sur les standards du secteur privé très
souvent développés par le New Public Management. Un engouement qu’on peut constater
chez les organisations publiques marocaines. D’ailleurs, la reddition des comptes constitue
l’un des principes les plus marquants de la gestion moderne de l’administration publique au
Maroc. C’est la raison pour laquelle l’audit interne s’avère plus que jamais indispensable
pour les organisations publiques, en particulier les collectivités territoriales.

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Outre, les collectivités doivent faire face à des pressions des citoyens et de l’Etat concernant
leur gestion et leur utilisation des fonds publics. En effet, étant libres de s’administrer, elles
doivent mettre en place et animer des dispositifs leur permettant de maîtriser leurs activités,
d’aider à la réalisation de leurs objectifs et de limiter leurs risques. L'audit interne apparaît
alors comme une excellente réponse aux besoins de fonctionnement et de sécurisation, ainsi
que celui d’optimiser la gestion publique locale.

Le présent travail vise à démontrer comment l’audit interne intervient dans les mécanismes
de la gouvernance des collectivités territoriales. Elle consiste à identifier la valeur ajoutée de
la mise en place de l’audit interne et sa capacité à surmonter les nombreuses difficultés de
gouvernance auxquelles sont confrontées les collectivités territoriales. La réponse à l’objectif
fixé par cette recherche, s’effectue à travers un processus exploratoire théorique, nous allons
ainsi définir notre cadre d’analyse ; les collectivités territoriales Marocaines leurs attributions
et les dysfonctionnements attachés à leurs gouvernance, nous traitons ensuite l’audit interne
comme étant l’instrument fondamental de gouvernance de ces collectivités.

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1. Les collectivités territoriales marocaines : évolutions des compétences


et défis de gouvernance
1.1. Fondements théoriques de la décentralisation territoriale

La mondialisation de l’économie et de l’information, ainsi que la montée en puissance des


aspirations des populations locales à plus d’autonomie, ont remis en cause le rôle
prépondérant joué par les Etats. C’est dans ce sens que, plusieurs auteurs et organisations
internationales insistent sur le rôle crucial des collectivités territoriales et la participation de la
population locale dans le processus du développement économique et durable et dans les
prises de décisions qui affectent leur qualité de vie (Ayeva, 2003). En fait, à l’échelle
internationale, les interventions économiques des collectivités territoriales se sont très
largement développées et diversifiées depuis la vulgarisation des lois de la décentralisation
(Madiès, 2002).

D’ailleurs, la théorie de l’économie publique locale évoque deux arguments principaux à


l'appui d'une décentralisation au bénéfice des collectivités territoriales. Le premier argument
est avancé par le théorème de la décentralisation, énoncé en ces termes :"l'offre décentralisée
d'un service public local particulier est plus efficace, à coûts d'information donnés, qu'une
offre centralisée car elle permet la prise en compte des disparités locales de préférences
concernant les services publics locaux" (Derycke et Gilbert, 1988, p : 33). Le théorème de
décentralisation de Oates Cité par (Montulet et Kaufmann (2004), p 223), constate la difficulté
pour les gouvernements d’offrir efficacement des biens ou services collectifs à une population
hétérogène il suppose ainsi que les unités spatiales de plus petite taille ont de point de vue de
leurs habitants plus de chances d’être homogènes que les unités plus larges, Oates (1972)
propose ainsi, pour une population immobile, d’accroitre l’efficacité de l’offre par le biais de
la décentralisation au profit des collectivités locales.

Le second argument est lié à la recherche d'informations. En fait, l'économie d'informations


est considérée comme l'un des arguments principaux qui incite à la décentralisation des
activités publiques au profit des collectivités locales1. Informer d’une manière parfaite les
membres d'une grande organisation constitue une mission significativement lourde et
coûteuse. D’ailleurs, à l'instar des grandes firmes qui cèdent une grande marge de manœuvre

1
Cet argument est retenu par Smith (1989) pour justifier la décentralisation de toutes activités publiques.

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en termes de gestion de leurs activités au niveau local à des filiales, l’Etat central peut
également déléguer la totalité ou une partie de la responsabilité des activités publiques aux
collectivités locales. Cette opération, d’après la division du grand groupe en plusieurs unités
réduites, limite de manière automatique le nombre de liens informationnels permettant
l’accès à l'information parfaite à l'intérieur de chaque groupe. Ainsi, plus la taille du groupe
est réduite et plus il est facile pour un agent d'être informé sur les caractéristiques des autres
agents et d'informer les autres agents sur ses propres caractéristiques (Rocaboy, 1995).

Par ailleurs, la mise en place d’une politique publique nécessite une connaissance parfaite de
la situation économique et sociale sur le lieu de développement de cette politique et sur le
ciblé lui-même (ses ressources ses capacités…). Une offre de prestations injustifiée est
susceptible de compromettre le développement de la politique de redistribution en pesant
lourdement sur les finances publiques. A l'inverse, l'existence d'individus ne bénéficiant
d'aucune aide alors que leur situation la justifierait, montre le dysfonctionnement éclatant de
la politique et, de ce fait, la met directement en péril (Smith, 1989).

De manière générale, il est admis que la décentralisation des activités publiques permet
d'éviter de tels écueils. Quoi qu'il en soit, en pratique, la nécessité de gérer au plus proche des
assistés a toujours conféré aux collectivités locales un avantage substantiel sur le centre. Par
conséquent, les compétences transférées aux collectivités territoriales, modifient l'équilibre
des pouvoirs entre les administrations centrales et locales, permettant ainsi, aux collectivités
de jouer un rôle déterminant dans la dynamique économique au niveau local.

1.2. Collectivités territoriales marocaines: compétences accrues et limites de


gouvernance

Les collectivités territoriales sont chargées d’une grande partie d’attributions anciennement
dévolu à l’appareil administratif central et contrôlent une part croissante des politiques
publiques, la mise en œuvre de celles-ci étant de plus en plus laissée entre leurs mains (Le
Galès, 2004). Au Maroc, d’après l’instauration de la nouvelle constitution de 2011, les
collectivités territoriales en particulier les régions deviennent d’un point de vue
socioéconomique, le moteur de l’économie nationale de demain. D’ailleurs, vu sa
prééminence au niveau local, la région aura pour vocation d’assurer la coordination et
l’intégration des visions, des plans et des programmes des autres collectivités territoriales

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(communes, provinces) dans le respect de l’autonomie et de l’égalité juridique de ces


dernières et leurs compétences respectives (CCR, 2011) .Ainsi, les réformes de la
régionalisation avancée instaurée au Maroc sont considérées comme des mutations profondes
caractérisant les modalités d’intervention de l’État et ses rapports avec les acteurs territoriaux.

Généralement, le domaine de compétence des collectivités territoriales est élargi. En fait,


l’article 140 de la nouvelle constitution à présumé que sur la base du principe de subsidiarité,
les collectivités territoriales ont des compétences propres, des compétences partagées avec
l’Etat et celles qui leur sont transférables par ce dernier.

Les lois organiques (Il s'agit de la loi organique 111-14 relative aux régions, la loi organique
112-14 concernant les préfectures et les provinces et la loi organique 113-14 sur les
communes, publiées dans le bulletin officiel N° 6380 du 23 juillet 2015) qui se réfèrent aux
dispositions de l'article 146 de la Constitution, viennent de préciser le domaine de
compétence des collectivités territoriales. Ces lois évoquent les compétences propres, les
compétences partagées avec l’Etat et celles qui leurs sont transférables au profit des régions et
des autres collectivités territoriales, le régime financier, l’origine des ressources financières et
les règles de gouvernance relatives au bon fonctionnement de la libre administration, au
contrôle de la gestion des fonds et programmes, à l’évaluation des actions et à la reddition des
comptes.

En dépit de l’importance des compétences attribuées aux collectivités territoriales, des


études et rapports réalisés au niveau national, viennent de mettre en exergue la pluralité des
dysfonctionnements touchant la gouvernance territoriale.

La gouvernance locale ou territoriale s’y définit comme « le processus d’articulation


dynamique de l’ensemble des pratiques et des dispositifs institutionnels entre des acteurs
géographiquement proches en vue de résoudre un problème productif ou de réaliser un projet
de développement » (Beauregard et al. 2008, p6), ou comme un « processus en perpétuelle
évolution, se nourrissant de la volonté des acteurs (les contribuables, les élus, etc.) de
participer activement à la gouverne des administrations locales » (Gilly & Wallet, 2005 :
p8) .

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Au Maroc, divers problèmes qui empêchent ou limitent la gouvernance locale (Proyecto Local
& ADELMA, 2008). Entre autres:

- L’inefficience ou l’inefficacité de la gestion publique.


- La pauvreté en matière de capacité de gestion des fonctionnaires et techniciens
municipaux.
- La faiblesse de la culture ou de la conscience civique des citoyens.
- La non-implication des municipalités dans le développement durable de leurs territoires.

La Cour des comptes et la Commission consultative sur la régionalisation, confirment à leur


tour, la pluralité des dysfonctionnements relative à la gestion des collectivités locales
(Repères, 2011, p29):

 Au niveau des ressources :

- Une forte dépendance des ressources transférées par l'Etat.


- L'absence d'un système adéquat de répartition des ressources transférées par l'Etat et d'un
dispositif de péréquation et de solidarité entre les communes.
- Une insuffisance des ressources propres par rapport au potentiel mobilisable.

 Au niveau des dépenses :

- Le poids prépondérant des dépenses de personnel.


- Des besoins en infrastructures et en services locaux persistants, malgré l'accroissement des
excédents de trésorerie.
- Les irrégularités et les retards dans l'exécution des marchés des collectivités territoriales.

 Au niveau de la capacité de gestion :

- Une faiblesse de la capacité de gestion des projets.


- L'inexistence de planification stratégique et de programmation efficiente des crédits
budgétaires. D'ailleurs, les communes n'ont pas encore adopté leurs plans de développement,
qui est pourtant une obligation légale de par la charte communale.

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- L'absence de bases de données pour la programmation annuelle des projets. En plus, les
outils de gestion moderne ne sont pas mis en place pour assurer le suivi de l'exécution
budgétaire.
- Les budgets communaux ne reflètent pas l'équilibre réel entre les recettes et les dépenses, en
ce sens que de nombreux décalages sont enregistrés entre les prévisions et les réalisations, tel
qu'ils ressortent des différents comptes administratifs.
- L'insuffisance de formation des élus et du personnel notamment en matière de marchés
publics.

Des insuffisances et dysfonctionnements entachées à la gouvernance au Maroc, ont été


recensés également par ICPC (2011), et ce à tous les niveaux susmentionnés, notamment :

 L’absence de responsabilisation et de reddition des comptes de la part des


gestionnaires des affaires publiques.
 La corruption comme l’une des manifestations de la mauvaise gouvernance. (Dans ce
contexte, le Maroc occupe la 80ème place en 2014 selon l’indice de perception de la
corruption parmi 175 pays avec un score de 3,9 sur 10).
 En ce qui concerne la gestion publique : une gestion des ressources humaines avec des
insuffisances en matière de gestion de carrière ; une gestion des marchés publics, qui
se caractérise par un pouvoir discrétionnaire quasi absolu du maître d’ouvrage ; une
gestion déléguée des services publics qui manque de critères objectifs définissant les
secteurs productifs susceptibles d’être cédés dans ce cadre et ne s’étend pas pour
inclure la tarification des services.

Une dernière étude de Collectif Démocratie et Modernité (2013) a montré encore, des
limites organisationnelles et structurelles des collectivités territoriales, en particulier les
communes rurales et urbaines, celle de moins de 35 000 habitants. Parmi ces limites,
certaines concernent directement la gouvernance économique et financière des communes.
Les insuffisances constatées concernent :

 Un Faible réseautage des collectivités territoriales : le non recours à


l’intercommunalité compromet la synergie qui peut être réalisé en mutualisant les ressources
pour effectuer des projets collectifs surtout pour les communes de moins 35 000 habitants qui

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ont de faibles moyens (mutualiser les projets de formation, d’équipement, de routes,


d’infrastructures sociales…).
 Financièrement, la majorité des collectivités ne dispose pas d’une autonomie
financière (pour la plupart des communes rurales elle ne dépasse pas 40%). La faible
exploitation du potentiel économique des communes explique la modestie des recettes
propres. Généralement, l’insuffisance des recettes ne permet pas de répondre aux demandes
socio-économiques de la collectivité ce qui entrave la réalisation de l’ensemble de ses
missions. Il y a aussi une faible exécution des prévisions budgétaires, qui réside dans les
dépenses d’investissement qui ne sont généralement réalisées qu’à un faible pourcentage.
Cela est dû à une faible capacité à préparer, lancer, exécuter et contrôler les marchés publics
objet de ce type de dépenses. L’étude constate également la lourdeur du contrôle de la tutelle,
ce qui ne favorise pas l’efficacité de la procédure des dépenses et l’engagement de la totalité
des crédits.
 Au niveau de suivi-évaluation des réalisations, des remarques sont adressées à la
faiblesse du processus de suivi. En fait, à l’exception du contrôle technique des travaux ou
des études (fait selon le décret sur les marchés publics) dont les objectifs ne correspondent pas
à la finalité du suivi-évaluation, le suivi exercé peut être considéré comme informel et oral
ou encore occasionnel. Outre, la qualité des prestations (fournitures, travaux et services), leur
nature et les délais d’exécution, sont faiblement contrôlés. Il y a également, une faible
appréciation de la réalité et de la matérialité des travaux exécutés, des fournitures livrées ou
des services réalisés.

L’analyse des dysfonctionnements et les limites relatives à la gouvernance des collectivités


territoriales marocaines, permet de déduire que ces dernières sont dans l’obligation de mettre
en place des mécanismes de gestion leur permettant de surmonter ces difficultés. L’audit
interne constitue dans ce cadre un outil précieux à la disposition des élus et les gestionnaires
locaux.

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2. L’audit interne comme instrument de gouvernance des collectivités


territoriales
2.1. Les collectivités territoriales et le passage vers le nouveau management public

Le début des années 1980, est marqué par une crise financière caractérisée par une dette et un
déficit publics trop importants dans de nombreux pays. Cette crise devenait l’élément
déclencheur des anomalies ayant touchés la gestion publique : manque d’efficacité, lourdeur
bureaucratique, manque de transparence, manque de coordination entre services
administratifs, gestion incohérente et manque de flexibilité de l’administration. C’est dans ce
cadre que les méthodes de management traditionnellement employées dans le secteur privé,
sont transposées à la sphère publique constituant le courant du New Public Management
(NPM) également appelé la Nouvelle Gestion Publique (NGP). Ce processus a touché, de
manière plus ou moins importante et sous des formes diverses, l’ensemble des pays de
l’OCDE et de multiples pays en développement (Amar & Berthier, 2007).

D’ailleurs, les collectivités territoriales sont les premières ayant introduit les outils
managériaux transposés du secteur privé à tous les niveaux de l’organisation dans les années
1970-1980. La planification stratégique, la maîtrise de coûts, la mobilisation des ressources
humains, le marketing territorial ou encore l’évaluation des politiques publiques territoriales
en sont les exemples (Lamarzelle, 1997). Au cours de ces dernières années, le gouvernement
du Royaume du Maroc commence à poser les jalons du nouveau management public dans ses
différentes organisations publiques (Etat, collectivités territoriales, entreprises publiques).
Une tendance visant la modernisation et l’amélioration de la gouvernance de la gestion
publique (Tazi, 2007). Les initiatives du Maroc à ce propos, se manifestent dans le
renforcement de l’arsenal juridique visant la consolidation d’une gestion publique moderne.
En fait, la nouvelle constitution marocaine a confirmée l’importance et l’utilité de
l’évaluation, notamment dans l’article 156 : « les services publics rendent compte de la
gestion des deniers publics conformément à la législation en vigueur et sont soumis à cet
égard aux obligations de contrôle et de l’évaluation ».

A préciser, également, que le décret sur les marchés publics reprend quelques principes de
l’évaluation dans le cadre de l’audit des marchés publics, notamment dans l’article 165 : « Les
marchés et leurs avenants sont soumis, en dehors des contrôles institués par les textes
généraux en matière de dépenses publiques, à des contrôles et audits à l’initiative du ministre
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concerné. Ces contrôles et audits portent sur la préparation, la passation et l’exécution des
marchés… Les contrôles et audits sont obligatoires pour les marchés dont les montants
excèdent cinq millions (5.000.000,00) de dirhams toutes taxes comprises, et pour les marchés
négociés dont les montants excèdent un million (1.000.000,00) de dirhams toutes taxes
comprises…".

Dernièrement une nouvelle Loi Organique relative à la Loi de Finances a été adoptée, ayant
pour vocation la promotion d’une culture de résultats, la nouvelle constitution financière
évoque deux concepts clés, performance et transparence. Ainsi, les innovations
managériales importantes apportées par la nouvelle LOLF peuvent être regroupées autour
des points suivants :

- Un budget axé sur la performance : A chaque programme sont associés des objectifs
définis en fonction des finalités d’intérêt général et des indicateurs chiffrés permettant de
mesurer les résultats atteints (Articles 39 et 66).
- Un budget s’inscrivant dans un cadre budgétaire triennal : la loi de finances est
élaborée en référence à une programmation budgétaire triennale actualisée annuellement,
et ce, afin d’accroître la visibilité des choix stratégiques et d'améliorer la cohérence entre
les stratégies sectorielles tout en préservant l'équilibre financier de l'Etat (Article 5).
- Un nouveau système comptable à trois dimensions :
 Consécration de la comptabilité budgétaire des recettes et de dépenses (Article 32).
 La tenue de la comptabilité générale qui permet de fournir la situation financière et
patrimoniale de l’Etat (Article 33).
 La tenue de la comptabilité d'analyse des coûts qui permet de renseigner sur la
performance de l’action publique (Article 31).

- Sincérité comptable : Les comptes de l'État doivent être réguliers, sincères et donner une
image fidèle de son patrimoine et de sa situation financière et seront certifiés par la Cour
des comptes (Article 31).

Une autre mesure de modernisation concerne le développement de l’administration


électronique, qui permet de tirer profit des possibilités offertes par les nouvelles technologies
de l’information et de la communication. Par exemple, le système gestion intégrée de la

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dépense (GID)2permet d’optimiser la gestion de la dépense publique et d’améliorer la qualité


des services offerts aux différents acteurs.

Au niveau des collectivités territoriales, l’adoption du plan communal du développement


devient une obligation légale de par la charte communale, à cet effet « Le plan de
développement communal décrit pour six années, dans une perspective de développement
durable et sur la base d'une démarche participative prenant en considération notamment,
l'approche genre, les actions de développement dont la réalisation est prévue sur le territoire
de la commune », (Article 36 de la loi n°17-08 modifiant et complétant la loi n°78-00 portant
charte communale).

Par ailleurs, la vulgarisation des principes et des standards du New Public Management ainsi
que les impératifs d’ordre constitutionnel et réglementaire, qui insistent sur l’instauration
d’une culture de performance et de reddition des comptes, rendent légitime et nécessaire
l’adoption d’un système d’audit interne au sein des collectivités territoriales.

2.2. De la nécessité d’un système d’audit interne pour une meilleure gouvernance des
collectivités territoriales marocaines

L'audit interne se développe de plus en plus au sein des collectivités territoriales. Suite à
l’évolution de leurs compétences, sur fond de crise économique et de déperdition des
budgets, les collectivités territoriales sont dans l’obligation de faire face à de nombreux
risques qui les incitent à rechercher des outils permettant de sécuriser leur fonctionnement.
L'audit interne est appréhendé ainsi comme une excellente réponse à ce besoin ainsi qu'à
celui d'optimiser la gestion publique locale (Portelli, 2012).

Pour l’Institut français de l’Audit et du Contrôle Internes (IFACI, 2001), chapitre français de
l’IIA (Institute of Internal Auditors), « L’audit interne est une activité indépendante et
objective qui donne à une organisation une assurance sur le degré de maîtrise de ses
opérations, lui apporte ses conseils pour les améliorer, et contribue à créer de la valeur. Il
aide cette organisation à atteindre ses objectifs en évaluant, par une approche systématique

2
La Trésorerie Générale du Royaume a procédé, depuis le 1er janvier 2010, à la généralisation du déploiement
du système d’information de la gestion intégrée de la dépense à l’ensemble des départements ministériels. Le
déploiement de GID a concerné les collectivités territoriales depuis le 1 er janvier 2014.

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et méthodique, ses processus de management des risques, de contrôle et de gouvernement


d’entreprise et en faisant des propositions pour renforcer son efficacité ».

Il nous semble que s’il existe vraiment un secteur d’activité où l’audit devrait constituer sa
place, c’est le secteur public en général. En fait, les administrations centrales et locales
fonctionnent avec de l’argent public, elles rendent services aux citoyens. Il est donc légitime
de s’assurer qu’elles le font de manière efficiente et sécurisante.

Analyser les procédures internes pour y révéler les risques de non-conformité ou de non
performance dans la gestion des collectivités territoriales est une démarche de prévention,
considérée comme une valeur ajoutée apportée par l’audit interne. L’analyse des risques par
l’auditeur interne peut porter sur plusieurs domaines (Conseil de l’Europe, Comité directeur
sur la démocratie régionale, 2007) entre autres :

- Respect des lois, règlement et contrats.


- Exécution des budgets.
- Tenue des comptes.
- Collecte des impôts et autres revenus.
- Fiabilité et intégrité des informations financières.
- Poids de l’endettement.
- Protection du Patrimoine.
- Gestion des ressources humaines, Financières et matérielles (risques de gaspillage,
risques de performances insuffisantes, risques de fraude et de corruption).
- Respect des valeurs éthiques.

Au maroc, plusieurs arguments jugent indispensable la mise en place de l’audit interne. En


effet, la décentralisation (la régionalisation avancée pour le cas du Maroc) attribue plus de
pouvoir et latitude aux élus et décideurs au niveau régional et local. Néanmoins, cette
décentralisation exige fréquemment des actions de contrôle et d’audit des actions entreprises,
par les responsables locaux eux-mêmes, en vue de faire assurer les pouvoirs publics centraux
de la bonne foi dans la gestion locale, mais aussi de les faire assurer de la bonne conjugaison
des orientations générales de l’Etat (El kadiri & Gallouj, 2014).

Outre, la nouvelle LOLF adoptée en 2015 au Maroc, a pour dessein de promouvoir une
culture de résultats. Cependant, le succès d’une gestion axée sur résultats est tributaire de
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l’efficacité des systèmes de contrôle à posteriori, dont l’audit fait partie. Le contrôle à
posteriori (contrôle interne et audit interne), constitue l’élément capital de responsabilisation
permettant de garantir la qualité de l’information diffusée. Par conséquent, le refus de se
soumettre à l’audit, ou un manque de coopération, est désormais considéré comme une
tentative grave de dissimuler un secret ou des activités frauduleuses (Tremblay et Malsch,
2012).

Le besoin de mise en place de l’audit interne tire sa légitimité également, dans le principe de
reddition des comptes. Ce principe est considéré comme pierre angulaire de la bonne
gouvernance. Il convient de signaler que la nouvelle Constitution marocaine a consacré la
règle de corrélation entre l’exercice des responsabilités dans la fonction publique à la
reddition de comptes.

Les collectivités territoriales exercent des activités vitales pour les citoyens, de plus elles
emploient l’argent des contribuables et prennent aussi des décisions aux conséquences vastes
et exécutoires. Par conséquent, les activités de vérification de la responsabilité, dont des
fonctions d’audits internes et externes, sont essentiels (Dees, 2012).

En fait, l’entrée en vigueur de la nouvelle constitution, a transformé le rôle des agents publics
qui ne se limite pas seulement à assurer une bonne gestion des services publics. Car, ils
doivent également rendre compte aux contribuables tout en justifiant la destination des
ressources qui leur ont été allouées. Cette nouvelle prérogative est satisfaite, pour une large
part, par la contribution de l’audit (El kadiri & Gallouj , 2014).

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Conclusion :

Force est de constater que l’audit interne est une partie intégrante du système de gouvernance
(Dees, 2012). En fait, l’audit interne joue un rôle déterminant dans la maîtrise des risques au
niveau des collectivités territoriales et contribue à la consolidation des principes de la
reddition des comptes et la transparence, considérés parmi les piliers sur lesquels se base la
bonne gouvernance.

Le besoin énorme en audit interne au milieu des collectivités territoriales marocaines se


manifeste d’abord dans la tendance de l’alignement des organisations publiques sur les
standards du nouveau management public, mais aussi dans les dispositions de la nouvelle
constitution marocaine.

Les pouvoirs publics marocains prennent conscience de l’intérêt de mise en place des
structures d’audit interne au sein des collectivités territoriales. Le Programme de
Gouvernance Locale (PGL) entre le Ministère de l'Intérieur et l'Agence Américaine pour le
Développement International (l’USAID), a soutenu trois collectivités territoriales (les
communes urbaines de Salé, El Jadida et Safi) pour réussir la mise en place de l’audit
interne au courant de l’année 2013, cette initiative est considérée comme expérience pilote.
D’autres collectivités territoriales (provinces et préfectures, communes urbaines) ont procédé
à la mise en place des structures d’audit à leurs propres initiatives, exemple de la commune
urbaine d’Agadir.

En dépit des efforts déployés, le chemin vers la généralisation de l’audit interne au sein des
collectivités territoriale reste long. Ainsi, une autre piste de recherche future est possible, elle
consistera à étudier les facteurs clés de succès de l’adoption et de la mise en place de l’audit
interne au sein des collectivités territoriales, à fin de pouvoir généraliser cette expérience au
niveau de toutes les collectivités territoriales marocaines.

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ISSN: 2550-469X
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