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De la néologie dans les manuels de tamazight : Nécessité d’un dictionnaire scolaire

Par Malika SABRI et Saliha IBRI


Département de langue et culture amazighes
Université Mouloud Mammeri-Tizi-Ouzou.

Plusieurs travaux ont été effectués par des chercheurs en lexicographie de tamazight depuis
les années quarante. Ces travaux expliquent une certaine « dynamique néologique »1. Ce
mouvement d’aménagement est caractérisé par une "autonomie", à savoir que le travail s’est fait
indépendamment de toute institution. Parmi ces travaux nous citerons celui de Mohammed Idir Aît
Amrane, au milieu des années quarante. Il activait au sein du groupe de lycéens nationalistes et s’est
intéressé, plus particulièrement, à la néologie de la langue berbère. Des néologismes sont apparus
dans les chants berbéro-nationalistes composés par les militants kabyles du mouvement national
algérien2.
Les travaux les plus cités dans ce domaine restent l’« Amawal » (lexique de termes
modernes 1972-1974) qui est l’œuvre de Mouloud Mammeri et d’un groupe de chercheurs,
« Tajerrumt n tmaziγt » (grammaire berbère) fait par le même auteur en 1976, et le « vocabulaire de
l’éducation » de Bélaîd Boudris (1993). L’un des objectifs était de moderniser le lexique berbère,
de l’adapter aux nouveaux besoins et d’éviter de recourir à chaque fois à l’emprunt. Le flambeau est
passé à une autre génération de chercheurs qui œuvrent aujourd’hui à l’amélioration de
l’enseignement de la langue tamazight et de sa promotion. Citons à titre d’exemple le Centre
National Pédagogique et Linguistique de Tamazight (CNPLET) qui a déjà organisé plusieurs
colloques et journées d’études afin de mieux réfléchir à la question de l’intégration de
l’enseignement de la langue tamazight.3
Adossé à son expérience dans le domaine de l’enseignement de la langue tamazight,
Mouloud Mammeri a réalisé l’importance d’un métalangage pour la langue amazighe. Il a pour cela
multiplié ses efforts et a réalisé « Tajerrumt n tmaziγt ». A ce propos, Vermondo Brugnatelli écrit :

1
CHAKER Salem le note dans la préface faite pour l’ouvrage écrit par ACHAB Ramdane, La néologie lexicale
berbère (1945-1995), Peters, Paris Louvain, 1996.
2
ACHAB Ramdane, La néologie lexicale berbère (1945-1995), Op. cit, 1996, p. 59.
3
« Tamazight langue nationale en Algérie : Etat des lieux et problématique d’aménagement », Sidi Fredj, du 5
au 7 décembre 2006, et « l’enseignement de la langue nationale tamazight en Algérie : Quelle stratégie
d’intégration ? CNPLET, s/d de Abderrezak DOURARI, Tipaza, 2007.
« Ce n’est pas par hasard que Mouloud Mammeri a considéré prioritaire, dans son œuvre de
réhabilitation de la langue berbère, la composition d’une grammaire, abrégée mais complète,
de taqbaylit en taqbaylit (Tajerrumt n tmaziγt) »4.

L’enseignement de la langue tamazight a été introduit à l’école sans aménagement préalable.


Ses premières années se sont faites sans manuels ni programmes. Le document de base des
enseignants et des apprenants était « Tajerrumt n tmazi$t » de M. Mammeri. Cette référence qui
était pour plusieurs années un des supports pédagogiques les plus utilisés par les enseignants de la
langue tamazight, continue à être un produit d’inspiration des concepteurs des manuels en usage.
Ces deux références (« Tajerrumt n tmazi$t »et « amawal ») sont marquées par le poids du touareg
qui occupe une place particulière dans la démarche néologique car il est considéré comme la variété
la « plus pur et (la) plus complète » comme il est noté dans la préface de l’Amawal.

Le passage de l’oral à l’écrit pose le problème du vocabulaire à utiliser afin de produire des
textes pour l’activité de lecture, en plus des concepts grammaticaux. C’est pourquoi, la création
lexicale était le but poursuivi par les concepteurs. Ces derniers n’avaient pas d’autres choix que de
recourir à l’Amawal de M. Mammeri, si l’on considère que les échéances qui leur ont été imposées
ne favorisaient pas la recherche approfondie de termes adéquats à l’âge et à la culture de
l’apprenant.

Aujourd’hui, après l’introduction de la langue tamazight dans le système éducatif,


l’apprenant se trouve confronté au problème de cette néologie. Son emploi abusif entrave la
communication. L’apprenant a conscience alors qu’il doit réapprendre sa « langue maternelle », car
la langue qu’il pratique quotidiennement est différente de celle qu’il apprend à l’école.
C’est pour cela que nous avons choisi d’aborder la néologie, d’en recenser les différents
types à travers l’étude du vocabulaire utilisé dans les manuels de tamazight du primaire et du moyen
dans un premier temps, et de mesurer le poids de ces néologismes sur la fonctionnalité et la vitalité
de la langue dans un second temps. Notons que ces supports pédagogiques sont élaborés pour une
catégorie d’âge de 8 à 14 ans et que le vocabulaire à vocation didactique devrait être adapté à cet
âge.

4
« Enseigner tamazight en tamazight. Notes de métalinguistique berbères », Actes du colloque sur
l’enseignement des langues maternelles, s/d de Noura TIGZIRI, Tizi-Ouzou, 2006 ; p. 99.
Mais avant de soumettre ces manuels à l’analyse, un cadre théorique s’impose afin de cerner la
question, de la définir et de délimiter nettement le problème de la néologie pour mieux l’étudier.

I. De la néologie :

La néologie c’est

« Tout mot de création récente ou emprunté depuis peu à une autre langue, ou toute acception
nouvelle d’un mot déjà ancien »5. Il est considéré aussi comme un « processus par lequel
toute langue enrichit continuellement son lexique afin de répondre aux exigences de
l’évolution du monde (mode de vie, sciences, techniques, mentalités,… »6.

Les concepts déduits de ces deux définitions et qui marquent la néologie sont : création
récente, emprunté, revivifier un mot ancien et enrichissement de la langue. Ces éléments sont
la base de notre analyse.

II. Les différents types de néologie :

Adapter le lexique aux changements qui se produisent dans la société et exprimer de nouvelles
réalités était et demeure l’une des préoccupations des concepteurs. Ils ont opté pour une démarche
qui a comme principal objectif de puiser d’une part dans le stock lexical des différentes variétés
linguistiques du berbère et d’autre part, de créer de nouvelles unités lexicales. Ces dernières
renvoient à deux types de néologie, voire :

- la néologie sémantique (de sens) qui est l’attribution de nouvelles significations à un lexème en
usage dans la langue. Elle consiste

« à employer un signifiant existant déjà dans la langue considérée en lui conférant un


contenu qu’il n’avait pas jusqu’alors que ce contenu soit conceptuellement nouveau ou qu’il
ait été exprimé par un autre signifiant »7.

C’est le cas de : tallit (période) pour signifier « cycle », asami (fait de se rapprocher) pour signifier
« approche », et tuttra (fait de quémander) pour signifier « demander ».

-la néologie syntaxique : elle s’opère par les procédés de la dérivation et de composition, ex : tagnit
n tazwara (situation initiale), tasnedwelt (pédagogie)

5
DOBOIS Jean, GIACOMO Mathée et autres, Dictionnaire de linguistique, Larousse, 1989, p. 335.
6
MEJRI Salah, « Néologie des variétés lexicales », Visages du français variétés lexicales de l’espace
francophone, AUPELF-UREF. John. Libbey.Eurotext, Paris, 1990, p.11.
7
DUBOIS Jean, GIACOMO Mathée et autres, Dictionnaire de linguistique, Larousse, 1989, pp. 334-335.
1II. Les objectifs de la création lexicale :

Déterminer les fonctions et objectifs des néologismes est important surtout lorsqu’il s’agit
d’un domaine d’utilisation relatif à l’école et aux locuteurs qui sont des apprenants dont l’âge varie
entre 8 et 14 ans. Il est vrai que la question qui se posait et qui se pose toujours consiste dans la
norme à enseigner, une réalité qui rend la tâche des enseignants et des concepteurs eux-mêmes
délicate. C’est pourquoi il fallait entamer le processus d’aménagement. Ce dernier est conçu par les
concepteurs comme l’une des urgences ; il s’agit de :

-la standardisation du lexique en exploitant la diversité linguistique de la langue berbère


comme le note S. Chaker :
« […] redire sans cesse que la diversité est une caractéristique inhérente au domaine berbère
qu’il faut considérer comme une chance et une richesse et non comme une tare. Que la
standardisation-uniformisation de la langue doit se faire avec réalisme et prudence et qu’il ne
saurait y avoir une « norme du berbère »8.

Restreindre les écarts entre les différentes variétés de tamazight en utilisant des mots pris de
l’ensemble de ces variétés pour combler un déficit au niveau du vocabulaire serait une démarche
qui pourrait « contribuer à jeter des passerelles entre les aires dialectales, à recoudre le tissu
linguistique, à résorber les écarts et à favoriser les convergences »9.

L’orientation du travail de standardisation s’est faite vers les différentes variétés


linguistiques (inter-dialectales). Cette démarche est préconisée par S. Chaker :

« la base de travail doit toujours rester la forme régionale effective (kabyle, chleuh,
touareg,…) et l’on doit essayer à partir de là d’enclencher le processus de normalisation
convergente, ‘rapprocher les dialectes autant que faire se peut »10.

-la création de nouveaux lexèmes pour exprimer de nouvelles réalités et d’enrichir le lexique. Une
démarche qui va diminuer le recours aux emprunts aux autres langues ;

8
Textes en linguistique berbère. Introduction au domaine berbère. Paris, CNRS, 1984, p. 37.
9
ACHAB Ramdane, Op cit, p.83
10
Berbères aujourd’hui, Paris, l’Harmattan, 1989, p. 131.
« …le travail d’enrichissement lexical assure aussi une fonction de stimulation à l’intérieur
de la langue en mobilisant l’ensemble des potentialités du lexique pour combler des déficits, il
permet de créer de nouveaux signes linguistiques, … »11.

S.Chaker attire aussi l’attention sur l’importance d’un état des lieux avant d’entamer le
processus de création lexicale ; il écrit :

« L’aménagement linguistique suppose l’existence d’outils descriptifs linguistiques sinon


complets du moins représentatifs. Cela est particulièrement vrai pour l’élaboration des
terminologies pour lesquelles on doit disposer d’instruments lexicographiques aussi complets
que possible. Pour créer, il faut d’abord connaître l’existant et donc pouvoir le vérifier dans
toutes les variétés de la langue. Cette condition est loin d’être réunie,..»12.

- la diminution des lexèmes empruntés en particulier à la langue arabe (emprunt externe). C’est le
cas de : lehna (tanufli =bonheur), rriha (tafenda), lferê (tumert), tasebêit (tanezzayt).

Ces unités lexicales sont remplacées en dépit du fait qu’elles sont totalement berbérisées. Ce travail
va jusqu’à devenir systématique ; il conduit au purisme voire « à la création d’une langue de
laboratoire »13. Alors que les locuteurs ont l’habitude de s’exprimer dans leur langue maternelle ;
ils se trouvent influencés par un phénomène idéologique qui les pousse à purifier la langue, à la
rendre plus « authentique ». R. Achab note que

« Pour une bonne part en effet, ces néologismes répondaient aussi à une entreprise de
purification du lexique »14.

Ce texte extrait du manuel est un exemple de l’écart entre la langue enseignée à l’école et
celle que l’apprenant utilisé dans son environnement familial et social.

Exemple : « Mi i d-kkreγ tanezzayt,( tasebêit) yemma tseww-iyi-d lexfaf. Tenna-d : « s lexfaf


ad yixfif uqerru-ik ». Ddmeγ agra-inu,(aqrab-inu) cwiî kan wwveγ s aγerbaz. Mi yendeh
unayna, yal wa yekcem γer tesmilt-is’ 15.

11
ACHAB Ramdane, Op cit, p.81.
12
« Quelques réflexions générales sur le travail néologique dans le domaine berbère : une décantation difficile
mais nécessaire », Actes des journées d’étude « Néologie et terminologie grammaticale amazighe, Rabat (les 27
et 28 juin 2005) et Paris (les 12 et 13 février 2007), Rabat, 2009, p. 16.
13
Cité par LACEB Mohand Oulhadj, « Evaluation de l’expérimentation de l’introduction de tamazight dans le
système éducatif-Etat des lieux », Actes du colloque International « Tamazight face aux défis de la modernité,
s/d de LACEB Mohand Oulhadj, Boumerdès, Alger, du 15 au 17 juillet 2002, p. 71.
14
ACHAB Ramdane, Op cit, p.81.
15
Adlis n tmazight aseggas wis 4, ONPS, 2008-2009, p. 21.
Cette tendance à remplacer certains lexèmes très usités -sous prétexte qu’ils sont des emprunts- par
d’autres tout à fait nouveaux, déstabilise la variété kabyle : cet « enrichissement de la langue » a
pour conséquence la suppression de mots qui sont déjà en usage.
Louis Guilbert dit au sujet de la néologie :
« selon la perspective diachronique dans la mesure où elle [la néologie] se traduit par
l’apparition d’un élément linguistique nouveau ; mais pour répondre aux critères
saussuriens, il faudrait que cette apparition du nouveau se traduise corollairement par la
disparition d’un élément ancien dont le nouveau prendrait la place, c’est-à-dire, par la
substitution »16.
-la substitution des lexèmes kabyles par d’autres emprunts internes ou externes. C’est le cas de :
a$lad (rue) et bien d’autres présentés dans le tableau suivant :

La néologie Sa traduction en français Proposition en kabyle

Aggag mw Intellectuel Lqari, lεalem

Akasan,ksen mcγ, clê Haine Karuh, kreh

Ales mc$ Raconter, répéter hku

Ameksan, acengu Ennemi Aεdaw

Amuken mcγ Préparation, organisation Aheyyi

Anekruf, kref=entraver kb Prisonnier Amehbus

Anirset seg ers : aîlas alemmasCalme, tranquilité Arkad

Arexsas kb Frais (adjectif) Ajdid

Asekraf Prison Lêebs

Awel, iwel: aîlas alemmas Se marier Zweo

Ayis Cheval Aεudiw

Mennaw mzb Plusieurs Aîas ,xilla

Senfel kb, clh Changer, substituer Abeddel

16
GUILBERT Louis, « Théorie du néologisme », Cahiers de l’association internationale des études française,
vol 25, 1973, p. 11.
Taflest mcγ, mw Confiance, croyance Laman

Taγuri s utram atram Lecture à haute voix Taγuri s ssut εlayen

Tanezzayt cw Matin, matinee Tasebhit

Tanufli mcγ Bonheur Lehna

Tahiwwa kb Grand plat à couscous Loefna

Tinnubga, seg: inebgi kb, clh Invitation Ancad

Tumert Joie, Bonheur Lferh

Uskir Plat en terre pour cuire la galette


îajin, aferrah

Agensan, agensu : clê Interieur Adaxli

Almus seg ammas Centre Alemmas

Amli seg li :avoir, posséder, mw


Propriétaire Imawlan, ayla, bab.

Asaka kb Gué Taεsast

Suggem kb, mzb, γdm Attendre, espérer Araou, asirem, amenni

Tafulki clê Beauté Ccbaêa

Tanakt clê Rouille Sdid

Usem mw Eclair Lebreq

Sefled mw Ecouter Smusget, sel, semhes

Swingem Penser, réfléchir Xemmem

Addag mw Arbre Ttejra

Aseklu branche Afurk

Agra mcγ Cartable Aqrab

Anersam mw Coiffeur Aheffaf

Aγlad mzb Rue Abrid


Assar mcγ Besoin Lêewj

Astan mw Défense, protection Ahami

Tamendit mw Joie Lferh

Tamert (timar): mw Heure Ssaεa

Tunéart mw Énigme Taqnuzt, timseεreqt

Untim mcγ Solide, fort Yeohed

Amallal Adjuvant Amεiwen

Amaval Monde Ddunit

Amidaw Compagnon, collègue Ameddakel

Taγayemt: qqim,assoir;s’assoirBase Llsas

Taferγust Savate Icifav

tasgunfut kb Pause Asteεfu

-La substitution de lexèmes anciens (emprunts entre autres) par des termes nouveaux fait que la
communication, qui est l’objectif final, s’en retrouve altérée.

IV. Les conséquences de l’usage abusif des néologismes :

Les nouveaux mots employés dans les manuels scolaires de langue tamazight sont certes
dictés par les nécessités de l’évolution, mais ils y sont en si grande quantité que l’objectif de la
communication en est presque perdu. Les apprenants se heurtent à une réalité incontestable : celle
que la langue de l’école s’éloigne de celle de leur espace vital (la maison, la rue…).

L’emploi abusif de la néologie dans les manuels scolaires a créé un « malaise » au niveau
de la communication. Dans de telles conditions, comment les apprenants vont-ils s’approprier
autant d’unités lexicales ?
La conséquence de l’usage abusif des néologismes, voire « l’attitude ultra-normalisatrice
[…] couperait la « langue standard » des usages réels »17. Les cas recensés dans les manuels et
justifiant cette action sont innombrables, citons à titre d’exemples :

« lmut » par «tamettant » : (yettmettat d lehram, yettmeçça d lehlal) (devinette)

(mort répugnant, vivant il est mangeable)

-« lehna par «tanufli » : (lehna teghleb leghna) ( le bonheur est plus important que la
richesse) et « lferh » par « tumert » : (a lferh nnegh, yehla ughyul nnegh) (oh notre bonheur,
notre âne est guéri)

Notons que ces lexèmes ont une charge sémantique et un champ lexical, voire une valence
lexicale en kabyle, une caractéristique qui apparait aussi dans les exemples suivants :

Le lexème « ssuq » qui est remplacé par « agadez » à titre d’exemple a fait usage de plusieurs
acceptions « isewweq leεemr-is » (il est pensif), « isewweq γef uqerruy-iw » (il s’est moqué de
moi), « isewweq ass n l εid » (il a fait le marché le jour de l’Aîd), « ulac di ssuq-is » (il manque de
sérieux).

L’emploi de « arezg », qui est un terme kabyle (arabe algérien aussi : ar-rizq), a un usage populaire
limité « a arezg-ik » comparé à son équivalent « zzher », un terme emprunté à la langue arabe. En
plus de son usage littéraire massif, il est aussi usité dans le milieu populaire. Ceci est attesté dans les
exemples suivants tirés d’une chanson kabyle:

“A zzher-iw, zzher n yemma O ma chance, comme celle de ma mère


Anda ddiγ, ddant tlufa” là où je vais les soucis m’accompagnent
γef wasmi d- yusa zzher-iw lorsque ma chance fut enfin arrivée
Nek yufa-yid di tegzirt. Elle m’a trouvée à Tigzirt
Am tneqlet n ubrid, win iεeddan ixerref 18 Telle un figuier de rue, qui passe s’en régale

L’usage de « lhebs » lui aussi a une charge sémantique et un champ lexical dérivé plus important
que « asekraf » nous avons : amehbus, lhebs, ihebbes,…

17
CHAKER Salem, « Le berbère : de la linguistique descriptive à l’enseignement d’une langue maternelle »,
Actes du colloque International sur l’enseignement des langues maternelles, Tizi-Ouzou les 23, 24 et 25 mai
2003 s/d de Noura TIGZIRI, TO 2006, p. 130.
18
YACINE Tassadit, L’izli ou l’amour chanté en kabylie. Ed Alpha, Alger 2008, p. 180.
Il faudrait donc que cette racine fonctionnelle serve à communiquer, elle gagne à être utile dans la
société qui l’a vu naître.

Pourquoi remplacer des lexèmes qui sont utilisés dans l’usage courant par des néologismes ? Et
comment donc substituer un emprunt ancien qui a un passé culturel et social importants par un autre
terme nouveau sans charge sémantique quelconque pour le plaisir d’avoir une racine berbère ?

Boudjemaa Aziri signale l’importance des emprunts berbérisés dans la communication, il


note :

« Les néologismes issus d’emprunts sont faciles à comprendre et à mémoriser par les
berbérophones de différents dialectes, dans la mesure où les mêmes emprunts se trouvent
dans la majorité des dialectes et font partie du langage usuel. Dans leur majorité, les
emprunts appartiennent au fond lexical amazigh commun »19.

Mohammed Idir Ait Amrane dit à propos de l’usage des néologismes dans le texte « wwiγ-d
tafat » (je n’ai pas fermé l’œil de la nuit) :

« Le texte était farci de mots touaregs […] c’était une expérience que je n’ai plus renouvelée
en raison des difficultés de compréhension que pareils écrits posaient aux berbérophones
moyens. Les mots nouveaux doivent être introduits progressivement, je dirais à dose presque
homéopathique sous peine de faire de nos écrits des rebus incompréhensibles »20.

De cette analyse, il ressort un nombre important de néologismes constituant le vocabulaire


en usage dans les manuels que ce soit au niveau de la terminologie spécialisée ou autre. Par ailleurs,
les glossaires pouvant aider les apprenants et les enseignants ne figurent pas dans tous les manuels.
Ajoutons à cela, l’usage de mêmes lexèmes dans différents contextes, une polysémie que
l’apprenant ne pourra pas assimiler durant la première année de tamazight au primaire. C’est le cas
par exemple du mot « udem » qui originellement signifie « visage », et personne grammaticale en
néologie. Evoquer la question des glossaires nous amène à insister sur l’importance du dictionnaire
aussi bien pour l’enseignant que pour l’apprenant.

19
AZIRI Boudjemaa, Néologismes et calques dans les médias amazighs. Origines, formation et emploi.
Confusions paronymiques, homonymiques et polysémiques, HCA, 2009, p. 142.
20
Iles amaziγ atrar. La langue berbère moderne, 1992, p. 66, cité par ACHAB Ramdane, Op cit, p.79.
V. L’élaboration d’un dictionnaire :

Le passage à l’écrit pose des difficultés aux apprenants amazighophones et non


amazighophones ; l’élaboration d’un dictionnaire est un des moyens pouvant les guider dans le
processus d’apprentissage et dans les productions de discours. C’est l’un des objectifs et l’une des
préoccupations de l’aménagement.
Signalons la nécessité de disposer d’une terminologie scolaire dans un premier temps, en
attendant le dictionnaire dont l’usage ne peut pas être facile pour un jeune apprenant. Autrement dit,
dans une perspective d’utilisation en situation scolaire, il serait intéressant d’exploiter le travail déjà
effectué : il s’agit des travaux faits dans le domaine du lexique et de la terminologie berbère21, de
les simplifier, les adapter et en faire des outils linguistiques pouvant être utilisés comme moyen par
différentes classes d’âge pour faciliter l’apprentissage de tel ou tel aspect de la langue et
permettre « une grande aisance énonciative »22dans les domaines non personnels. S. Chaker signale
l’importance d’un tel travail quand il dit :

« un dictionnaire classé par racines comme le sont tous les bons dictionnaires contemporains
[…] ne peut être un outil immédiatement accessible à un enfant ou même à un apprenant
adulte : il faut pour pouvoir l’utiliser posséder déjà une solide culture berbérisante et
maîtriser de nombreuses règles phonético-phonologiques et morphologiques et éviter bien des
pièges […]Tous les dictionnaires par racines hésitent et généralement se trompent ! »23.

À partir de ce constat, cet auteur propose l’élaboration de glossaires alphabétiques et de


dictionnaires orthographiques qui ne seront pas classés par racines pour qu’ils soient accessibles
pour les différentes catégories d’âges.

Par ailleurs, la construction d’une norme lexicale pour une langue comme tamazight dépend
aussi de l’élaboration d’un dictionnaire comme le note Abdellah BOUMALK :

21
Voir à titre d’exemple, les travaux élaborés par Jean Marie DALLET ( Dictionnaire kabyle/français : parler
des Ait Menguellat, Algérie, Paris Selaf, 1982. ), Miloud TAIFI ( Dictionnaire tamazight/français (parler du
Maroc central), Paris, L’Harmattan, Awal, 1991.
22
SINGY Pascal, « La francophonie de périphérie : une certaine communauté de destins », », Actes du colloque
International sur l’enseignement des langues maternelles, Tizi-Ouzou, les 23, 24 et 25 mai, 2003, p.94.
23
« Le berbère : de la linguistique descriptive à l’enseignement d’une langue maternelle», Actes au colloque sur
les langues maternelles, TO, 2006, pp. 131-132.
« La confection d’un dictionnaire de langue standard s’impose avec force en ce sens qu’il
assure la diffusion et l’implantation de la norme orthographique, morphologique, lexicale
(régulation des variantes et des emprunts, propositions et consécration des néologismes) »24.

Conclusion :

Dés lors qu’on ressent le manque d’une unité lexicale, les concepteurs des manuels ont
utilisé les ressources de l’Amawal en plus de celles des variétés berbères. Néanmoins, la création
néologique est favorisée au détriment de l’emprunt ainsi que certains lexèmes kabyles de large
diffusion.

Le procédé rentrerait dans le cadre de la volonté de standardisation de tamazight : le nombre


important de néologismes pris de l’Amawal montre que ce dernier est l’une des références les plus
importantes sur laquelle se sont basés les concepteurs et montre encore une fois qu’il demeure le
plus utilisé car il est le premier ouvrage d’aménagement du lexique.

Pour conclure, nous insistons sur l’importance de l’aménagement du corpus et en particulier


le lexique vu les besoins grandissants en matière de terminologie. Néanmoins, à ce stade de
l’enseignement/ apprentissage de la langue amazighe et dans l’intérêt de la vivacité de la langue
amazighe, nous proposons les points suivants :

-permettre à l’apprenant de connaître les variétés linguistiques du berbère avec leur


variantes ; un avis que partagent Christian MARCELLESI et S. CHAKER. Le premier dit :

« D’autant plus indispensable encore pour notre recherche que cette dialectique de l’unité et
de la multiplicité que nous posons implique une dialectique de la langue à la fois une et
multiple. Une recherche nouvelle en didactique des langues […] trouve donc en la
sociolinguistique un utile appui théorique et méthodologique. Celle-ci lui permet de discerner
et de traiter parmi les variations du langage »25.

Pour le cas de tamazight, S. Chaker note

24
BOUMALK Abdellah, « Construction d’une norme en amazighe, passage obligé, risque d’impasse ? », Actes
du colloque International sur l’enseignement des langues maternelles, T.O les 23, 24 et 25 mai, 2003, p.94.
25
« Sociolinguistique et didactique de la variation », dans Actes du Symposium linguistique franco-algérien de
Corti (1983), Studui corsi éds, Bastia, 1994, p. 64.
« […] on ne doit pas envisager une norme coercitive et fermée, mais plutôt un cadre assez
fluide où, même pour les données centrales de la morphosyntaxe et du lexique, on laisserait
une certaine marge de variation et de choix. Les faits chleuhs, même à un niveau fondamental
ne sont pas les mêmes que ceux du kabyle ou d’un autre dialecte. Les différentes possibilités
doivent être intégrées dans la ‘norme’ et offertes au pédagogue et à l’élève. Nous devons
intégrer la variation dans la norme »26.

-recourir à la périphrase qui nous épargne l’emploi abusif des néologismes ;

- expérimenter les néologismes auprès d’un échantillon avant leur diffusion ;

-éviter les contenus sémantiques opposés ou différents des unités lexicales dans les manuels
du premier cycle ;

- opter pour la simplicité et éviter l’usage des néologismes et les unités lexicales existantes
pour désigner le même référent ;

-éviter l’écart entre la langue enseignée et l’usage quotidien : le processus de scolarisation


devrait être un moyen bénéfique pour la vitalité de la langue ;

-insister sur le « principe de progressivité »27 dans le sens où la création de nouvelles unités
lexicales doit se faire d’une manière progressive et selon l’urgence.
L’idéal serait que ces nouveaux termes coexistent avec les anciens et que l’usage populaire
décide de la disparition et/ou de la survie de ces mots nouveaux.
Il est vrai qu’il existe des insuffisances au niveau lexical en langue amazighe ; toutefois il faut
procéder à la réalisation d’un dictionnaire regroupant le vocabulaire déjà existant avant de passer à
la création lexicale.

Pour terminer, nous dirons que l’homme utilise la langue pour communiquer. Si les manuels
scolaires en usage emploient des néologismes de manière abusive et qu’un dictionnaire scolaire est
inexistant ; comment la communication peut-elle être assurée ?

Références bibliographiques :
-ACHAB Ramdane, La néologie lexicale berbère (1945-1995), éd Peters, Paris Louvain, 1996.

26
Berbères aujourd’hui, Op. cit, p. 132.
27
« Quelques réflexions générales sur le travail néologique dans le domaine berbère : une décantation difficile
mais nécessaire », Actes des journées d’étude « Néologie et terminologie grammaticale amazighe, Rabat (les 27
et 28 juin 2005) et Paris (les 12 et 13 février 2007), Rabat, 2009, p. 18.
-AKBAL-IBRI Saliha, BERDOUS Nadia, CHEMAKH Said , IMARAZEN Moussa et SABRI Malika Etude
du profil des enseignants de tamazight des wilayas de Tizi-Ouzou, Bouira, Béjaia et Boumerdès , CNPLET,
Alger, 2008. A paraître.
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