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Fédération Internationale des Instituts d ’Études Médiévales

TEXTES ET ETUDES DU MOYEN AGE, 26

DUNS SCOT A PARIS


1302-2002

Actes du colloque de Paris, 2-4 septembre 2002

édités par
Olivier B o u l n o is
Elizabeth K a r g e r
Jean-Luc S o l e r e
Gérard S o n d a g

BREPOLS
; :•
Le colloque «D uns Scot à Paris, 1302-2002» (2-4 septembre 2002) a
com m ém oré le sept centièm e anniversaire de l ’arrivée, à l ’Université de
Paris, de Jean Duns Scot, l’une des rares dates connues dans la vie du plus
grand philosophe et théologien du tournant des X IIIe et XIVe siècles. Il a
perm is de faire le point des dernières découvertes historiques et philolo­
giques, et de donner un état des recherches scotistes en cours, qui ont connu
un essor rapide et même inattendu ces dernières années. Après une intro­
duction de caractère historique ( ‘Paris, 1302’), l ’on trouvera dans ce volume
une succession d ’études portant sur la logique, l ’épistémologie et la séman­
tique (2e partie), la m étaphysique (3e partie), l ’éthique et la psychologie
(4e partie), la théologie (5e partie). L a sixième partie enfin ( ‘Paris 2002’)
com pare les contributions de D uns Scot aux réflexions contem poraines
(sur le temps, autrui, le langage). Cet volume est un instantané des travaux
les plus récents : à la fois un bilan des connaissances sur la fin du X IIIe
siècle, une série d ’interprétations originales et une somme d ’analyses phi­
losophiques.

ISBN 2-503-51810-9
9782503518107

9 7 8 2 5 0 3 518107"
Fédération Internationale des Instituts d ’Études Médiévales
TEXTES ET ÉTUDES DU MOYEN ÂGE, 26

DUNS SCOT À PARIS, 1302-2002

BREPOLS
2004
FÉDÉRATION INTERNATIONALE DES INSTITUTS
D’ÉTUDES MÉDIÉVALES

Présidents honoraires :
L. E. BOYLE (I) (Biblioteca Apostolica Vaticana e Commissio Leonina,
1987-1999)
L. HOLTZ (Institut de Recherche et d ’Histoire des Textes, Paris, 1999-
2003)

Président :
J. HAMESSE (Institut Supérieur de Philosophie, Louvain-la-Neuve)

Vice-Président :
O. MERISALO (University o f Jyvälskylä)

Membres du Comité :
P. BOURGAIN (Ecole Nationale des Chartes, Paris)
Ch. BURNETT (The W arburg Institute, London)
M. C. PACHECO (Universidade do Porto, Gabinete de Filosofía Medieval,
Porto)
O. PECERE (Università degli Studi di Cassino)
N. VAN DEUSEN (Claremont College, CA / Medieval Academy o f
America)

Secrétaire :
J. MEIRINHOS (Universidade do Porto)

Trésorier :
O. WEIJERS (Constantijn Huygens Instituut, Den Haag)
Fédération Internationale des Instituts d ’Études Médiévales
TEXTES ET ÉTUDES DU MOYEN ÂGE, 26

DUNS SCOT À PARIS, 1302-2002

Actes du colloque de Paris,


2-4 septembre 2002

É dités p ar

Olivier Boulnois
Elizabeth Karger
Jean-Luc Solére
Gérard Sondag

BREPOLS
2004
© 2004, Brepols Publishers n.v., Turnhout,
Belgium
All rights reserved. No part o f this publication
may be reproduced stored in a retrieval
system, or transmitted, in any form or by any
means, electronic, mechanical, photocopying,
recording, or otherwise, without the prior
permission o f the publisher.
D/2004/0095/155
ISBN 2-503-51810-9
Printed in the E. U. on acid-free paper
TABLE DES MATIÈRES

Introduction............................................................................................. ix

Index siglorum..................................................................................... xxiii

I - P a r is , 1302

Duns Scotus at P a ris................................................................................ 3


Antonie Vos

Duns Scot et la politique. Pouvoir du prince et conversion des Juifs ..21


Eisa Marmursztejn - Sylvain Pirón

II - THÉORIE DE L’ESPRIT, ÉPISTÉMOLOGIE, SÉMANTIQUE

Duns Scotus on Mental Content..............................................................65


Peter King

« Objet premier d’inclusion virtuelle ». Introduction à la théorie de la


science de Jean Dims Scot....................................................................... 89
Dominique Démangé

Formal Consequence in Scotus and Ockham : Towards an Account of


Scotus’ Logic.......................................................................................... 117
Christopher J. Martin

Sur la signification du terme forte dans le latin de Jean Duns Scot ..151
Jacques Chollet - Gérard Sondag

III - MÉTAPHYSIQUE

Étienne Gilson et Jean Dims Scot : VÊtre et l ’essence et l’histoire de


la métaphysique...................................................................................... 179
Ludger Honnefelder
VI TABLE DES MATIÈRES

Duns Scot et le point de rupture avec Avicenne ............................... 195


Pasquale Porro

Au-delà de la physique ? .....................................................................219


Olivier Boulnois

L ’univocité dans les Quaestiones super libros de anima...................255


Timothy B. Noone

Substance, Accident, and Inherence. Scotus and the Paris Debate on the
Metaphysics of the Eucharist ..............................................................273
Giorgio Pini

The Independence of the Possible According to Scotus....................313


Fabrizio Mondadori

La doctrine scotiste de la contingence dans la Reportatio I A ......... 375


Joachim R. Söder

Duns Scot et l’infini dans la nature .................................................... 387


Joël Biard

IV - PSYCHOLOGIE ET ÉTHIQUE

La genèse de la volonté rationnelle de la Lectura à la Reportatio.... 409


Mary B. Ingham

L’affection de justice chez Duns Scot. Justice et luxure dans le péché


de l’ange ...............................................................................................425
Christophe Cervellon

Le lien entre la prudence et les vertus morales chez Duns S cot....... 469
Jean-Michel Counet

Uakrasia selon Duns Scot ................................................................. 487


Tobias Hoffmann
TABLE DES MATIÈRES VH

V - THÉOLOGIE

Scotus’s Parisian Teaching on Divine Sim plicity.............................. 519


Richard Cross

Du miracle au surnaturel. De Thomas d’Aquin à Duns Scot : un


changement de problématique...............................................................563
Gilles Berceville, o.p.

Était-il nécessaire que le Christ mourût sur la croix ? Réflexion sur la


liberté absolue de Dieu et la liberté de Jésus-homme, d’après Jean Duns
Scot......................................................................................................... 581
Luc Mathieu, o.f.m.

V I - PARIS, 2002

The Concept of Time in Theology and Physics ................................. 595


Axel Schmidt

Soi, intersubjectivité et langage chez Duns Scot.................................607


Ansgar Santogrossi, o.s. b.

L’autre singulier : l’haeccéité d’autrui et l’horizon de la finitude.... 623


Emmanuel Falque

In d e x

Index scotisticum...................................................................................665

Index manuscriptorum...........................................................................675

Index nominum 677


INTRODUCTION

Les Actes que nous publions ici sont ceux du colloque « Duns Scot
à Paris, 1302-2002 », qui s’est tenu du 2 au 4 septembre 2002 à l’Ecole
Pratique des Hautes Etudes, puis à l’Université de Paris IV-Sorbonne,
enfin à l’Institut Catholique de Paris. En organisant ce colloque, nous
poursuivions trois objectifs. En premier lieu, commémorer le sept
centième anniversaire de l’arrivée de Duns Scot à l’université de Paris,
où il devait poursuivre son œuvre commencée à Oxford, acquérir le
grade de maître en théologie, puis devenir maître régent pour un an,
avant de repartir définitivement en 1307 : ces six années d’activité en
France, en dépit d’une interruption forcée d’un an, expliquent pourquoi
Ernest Renan fit entrer Duns Scot dans son Histoire littéraire de la
France, pâme en 1869. En second lieu, faire le point des recherches
scotistes, qui ont connu un essor rapide et même inattendu ces dernières
années. Contribuer enfin au développement général des études de phi­
losophie médiévale dans notre pays. Si les deux premiers de ces
objectifs ont été atteints par la seule réalisation du colloque, il est
évidemment plus hasardeux de se prononcer dès maintenant pour le
troisième. C’est que, comme l’observe Duns Scot, d’une libre initiative
ne suivent pas des conséquences nécessaires.
Avant de présenter le contenu de ce volume, il nous faut tout
d’abord nous acquitter de l’agréable tâche des remerciements, sans
formalité aucune mais avec une sincère reconnaissance. Soit pour
l’accueil amical qu’elles ont réservé aux conférenciers et leurs débats,
soit pour leur généreux soutien financier ou matériel, soit enfin parce
qu’elles ont procuré l’un et l’autre à la fois, nous exprimons chaleureu­
sement notre gratitude aux institutions suivantes : le Haut Comité aux
Célébrations Nationales (Direction des Archives de France), le Centre
National de la Recherche Scientifique et le Groupement de Recherches
2522 « Philosophie de la connaissance et philosophie de la nature au
Moyen Age », l’Institut Catholique de Paris (Faculté de philosophie,
Laboratoire de philosophie patristique et médiévale), l’Université de
Paris IV-Sorbonne en la personne de M. R. Imbach (Centre Pierre
Abélard), l’Ecole Pratique des Hautes Etudes (Section des Sciences
Religieuses), le couvent dominicain Saint-Jacques. La composition de
ces Actes a été réalisée au Centre d’Etudes des Religions du Livre
(UMR 8584 EPHE/CNRS) par Mme Dominique François, que nous
X INTRODUCTION

remercions pour sa patience. Nous remercions enfin M. Jacob Schmutz


pour son aide précieuse.
En dépit de la mort prématurée de son auteur, qui ne vécut que
quarante-deux ou quarante-trois ans, l’œuvre de Duns Scot est nom­
breuse. Elle présente aussi de multiples aspects. C’est que, théolo­
gien avant tout, Dims Scot est également un philosophe, et le témoin
d’un âge où la philosophie reçoit un infléchissement irréversible, dont
les riches conséquences se propagent dans la suite des temps et jusqu’à
notre époque (les origines médiévales de la pensée moderne sont
aujourd’hui le sujet d’une recherche intense et prometteuse). Duns Scot
est aussi un homme versé dans la science de son temps. Métaphysique
aristotélicienne et avicennienne, géométrie, physique, logique, gram­
maire spéculative, droit canonique et droit civil, etc., il fait dans ses
écrits un usage extensif de ces divers savoirs. Cette diversité devait se
refléter partiellement dans le colloque. Il fallait donc aux éditeurs
diviser le volume des Actes en parties distinctes, et regrouper les con­
tributions des nombreux conférenciers en fonction de leur sujet prin­
cipal. Les dates anniversaires qui figurent dans le titre du colloque
donnent au sommaire du présent volume son incipit et son explicit.
Après une introduction de caractère historique («Paris, 1302»), l’on
trouvera des études portant sur la théorie de l’esprit, l’épistémologie et
la sémantique (section II), la métaphysique (section III), l’éthique et la
psychologie (section IV), la théologie (section V). La sixième section
enfin (« Paris 2002 ») doit son en-tête et son unité au fait que dans les
trois contributions qui y figurent, leurs auteurs font un parallèle entre
les conceptions de Duns Scot et celles qui ont cours de nos jours sur les
mêmes sujets (le temps, autrui, le langage et la communication). Avec
sa part d’empirisme et de contingence, cette table des matières révèle,
saisie dans l’instantané, l’état présent d’une recherche qui se poursuit.

I. PARIS, 1302

Dans sa contribution, Antonie Vos examine la carrière parisienne


de notre auteur et ses étapes successives. Le cursus académique pari­
sien de Duns Scot est déjà connu dans ses grandes lignes, mais certains
points restent à élucider. Est-il arrivé à Paris en 1302, comme on le
pensait jusqu’ici, ou peut-être un an plus tôt ? A-t-il participé, et à quel
titre, à la controverse fameuse qui opposa le franciscain Gonsalve
d’Espagne au dominicain Maître Eckhart ? En quelle année exactement
INTRODUCTION XI

Duns Scot devint-il baccalaureus formatus ? Quelles furent ses rela­


tions avec Godefroid de Fontaines ? Après avoir rappelé que Duns Scot
ne publia pas une ligne de son vivant, Antonie Vos attire l’attention sur
l’importance du Quodlibet parisien, probablement l’un des derniers
travaux de Duns Scot, en lequel il voit le premier monument « sco-
tiste », c’est-à-dire le début d’une école qui s’est rapidement déve­
loppée à la disparition du fondateur, et a crû continûment jusqu’aux
seizième et dix-septième siècles (appelés aetas aurea scotismi).
Elsa Marmursztejn et Sylvain Pirón s’intéressent sur la situation
politique de l’époque, à travers un point particulier, à savoir la conver­
sion des Juifs, ou plus précisément, la licéité de la conversion forcée
des enfants des Juifs et des infidèles. Duns Scot semble la reconnaître
et approuver, mais il insiste sur l’idée qu’elle doit être pratiquée
avec prudence et circonspection (sans doute afin de prévenir les réac­
tions dont la vie des enfants pourrait avoir à pâtir de la part des pa­
rents dépossédés). Pour justifier sa position, il invoque le droit du
Prince sur tous ses sujets, qui est reçu dans la conception féodale de la
société. Le lecteur ne peut pas ne pas penser ici à l’adage cujus regio,
ejus religio. Mais les auteurs font aussi une hypothèse originale sur les
raisons de politique qui auraient pu pousser Duns Scot à arrêter sa
position dans le contexte du conflit mettant aux prises la France et
l’Angleterre.

IL T h é o r ie d e l ’e s p r i t , é p is t é m o l o g ie , s é m a n t iq u e

Dans son essai, portant sur les doctrines scotistes en matière de


philosophie de l’esprit, Peter King se propose de montrer qu’il revient à
Duns Scot d’avoir le premier articulé une notion de « contenu mental »,
notamment dans son enseignement parisien. Scot avait en effet élaboré
une analyse de la pensée résolument nouvelle, s’opposant nettement à
la théorie d’inspiration aristotélicienne, encore couramment admise à
son époque. Selon lui, un acte de pensée est présent dans l’esprit « sub­
jectivement », alors que ce sur quoi porte cet acte est dans l’esprit
« objectivement » (selon ime terminologie qu’on lui doit). Cette
analyse permet à Scot de concevoir d’une manière neuve l’intention­
nalité de la pensée, en recourant notamment à la métaphore du conte­
nant et du contenu. L’acte de pensée pourra en effet être considéré
comme comportant un « contenu » (puisque celui-ci est présent « ob­
jectivement» dans celui-là) et comme étant dirigé vers ce même
XII INTRODUCTION

contenu. Cette doctrine résout certaines difficultés inhérentes à l’ana­


lyse traditionnelle aristotélicienne, mais elle en soulève d’autres, no­
tamment en matière d’ontologie de l’esprit. P. King montre que Scot
était parfaitement conscient de ces difficultés et qu’il a tenté de les
résoudre en concevant l’objet de pensée comme « supervenant » onto­
logiquement à l’acte par lequel il est pensé, c’est-à-dire comme n ’étant
rien par soi et n’ayant d’être qu’en dépendance de l’être (réel) de la
pensée dont il est le contenu. Il aurait finalement tenté de rendre
compte du contenu mental en puisant à la métaphysique des relations.
Tel est l’apport, considérable, il faut l’avouer, de Scot à la philosophie
de l’esprit.

Dominique Démangé étudie divers aspects du concept scotiste de


la science (ou « scotien », comme il préfère dire). Appliquant, pour la
développer, la proposition bien connue d’Aristote dans les Analy­
tiques : « principium scientiae cognoscimus inquantum terminos
cognoscimus », Duns Scot explique que ce qui engendre l’évidence
d’un principe premier, exprimé par une proposition, c’est que, par un
acte intellectuel qui n’est pas lui-même perçu, l’intellect perçoit immé­
diatement la conformité de la proposition qu’il considère avec les
termes composés, plus précisément avec le rapport des termes entre
eux, car le prédicat est ici virtuellement inclus dans le sujet. En
revanche, l’intellect percevrait inévitablement la « difformité » de la
proposition, c’est-à-dire sa non-correspondance avec les termes
composés, si l’on disait « la partie est plus grande que le tout ». L’on
voit ici que l’évidence d’une proposition connue par soi n’est pas pour
Duns Scot le vœu d’une opinion unanime mais le résultat d’une
inférence implicite effectuée chaque fois par l’esprit, de sorte qu’il n’y
a pas d’opposition entre l’évidence de la proposition et la conclusion
implicite de sa vérité. Pour finir, l’auteur revient sur la doctrine selon
laquelle l’objet connu est la « mesure » de la connaissance. Cela est
vrai de l’intellect humain, non de l’intellect divin, qui est mesure de
toutes choses. Si Ton applique cette idée à la connaissance de l’infini,
Ton doit admettre qu’il ne nous est pas impossible de saisir l’infini
comme un objet distinct, mais « ce que nous y concevons par notre
intellect est déterminé par notre puissance d’intellection ». Tant est il
est vrai que ce n’est pas la même chose de concevoir un objet distinct et
de concevoir cet objet distinctement.

L ’essai de Christopher Martin est consacré à la notion de consé­


quence logique et à une certaine étape - importante - de son histoire.
INTRODUCTION xm

L’auteur établit d’abord que Scot reconnaissait deux relations de consé­


quence. Selon l’une, une proposition (le conséquent) s’ensuit d’une
autre (l’antécédent) pourvu qu’il soit impossible que l’antécédent soit
vrai sans que le conséquent le soit. Cette condition ne suffit toutefois
pas, selon Scot, à faire qu’une proposition s’ensuive formellement
d’une autre. Pour qu’une conséquence soit formelle, il faut que le con­
séquent soit conceptuellement inclus dans l’antécédent. Si une proposi­
tion s’ensuit d’une autre sans que ce soit formellement, la conséquence
sera dite « accidentelle ». Se tournant ensuite vers Ockham, Martin
montre que celui-ci a rejeté cette doctrine, n’admettant qu’une seule re­
lation logique de conséquence, notamment celle qui requiert que l’anté­
cédent ne puisse être vrai sans que le conséquent le soit, éliminant la
conséquence formelle de Scot. Ockham retient néanmoins l’appellation
« conséquence formelle », mais il l’applique à la relation unissant deux
propositions dont la première ne peut être vraie sans que la seconde le
soit, à condition que ce fait puisse être justifié par une règle (« medium
extrinsecum ») et non par la seule impossibilité de la première ou né­
cessité de la seconde. Il s’ensuit qu’Ockham dira qu’il y a conséquence
« formelle » dans la plupart des cas où Scot aurait considéré la
conséquence comme étant « accidentelle ». A la distinction entre deux
relations logiques de conséquence, Ockham substitue cependant une
distinction purement épistémique entre conséquence évidente et non-
évidente. Aussi, traitant du même exemple d’une proposition condition­
nelle dont l’antécédent, en vertu d’un dogme de l’Eglise latine, est cen­
sé être impossible, Scot nie-t-il que le conséquent de cette proposition
conditionnelle s’ensuive formellement de son antécédent, alors qu’Ock­
ham l’affirme, niant seulement que la conséquence soit évidente.
La dernière contribution de cette partie porte sur un point particu­
lier de sémantique latine médiévale dans les écrits de Duns Scot, à sa­
voir la signification de l’adverbe forte, que le docteur emploie fréquem­
ment dans l’exposé de ses raisonnements. Jacques Chollet établit en
philologue que le latin médiéval a hérité deux homonymes d’origine
différente et signification contraire, l’un signifiant « peut-être », l’autre
« tout à fait », « assurément ». Cette distinction lexicale est confirmée
par plusieurs dictionnaires. De son côté, Gérard Sondag montre à partir
de quelques extraits entre cent autres que Duns Scot utilise l’un et
l’autre termes sans les confondre, tandis que trop de traducteurs les dis­
tinguent mal. Si la démonstration est exacte, il faudra tant au traducteur
qu’à l’interprète prêter dorénavant une plus grande attention à ce voca­
ble, afin de décider si, dans les propositions où il figure, son sens est
XIV INTRODUCTION

h y p o th étiq u e o u b ie n asserto riq u e, s ’il ex prim e u n doute o u une


certitu d e chez l ’écrivain.

ni. M é t a p h y s iq u e
Ludger Honnefelder souligne le fait que « ce n’est pas la méta­
physique de Thomas qui marque le point de départ de la métaphysique
des Temps Modernes et détermine sa forme mais, de Suárez et Wolff
jusqu’à Kant, l’approche de la métaphysique choisie par Scot déploie
son potentiel ». Pour le prouver, il expose le concept de la métaphy­
sique comme « science transcendantale », qui se répand et communique
après Duns Scot. Il rejette ensuite le reproche de « théologisme »
qu’Étienne Gilson faisait au Docteur Subtil, parce que cet interprète
attribuait à Duns Scot ime conception de la métaphysique qui n’est pas
la sienne. Elle reflète en réalité F« augustinisme avicennisant » des
philosophi du Prologue de 1'Ordinatio (Texpression est de Camille
Bérubé), c’est-à-dire ce que l’on appellera plus tard « onto-théologie ».
Le reproche d’« essentialisme » est rejeté à son tour : Yens n’est ni une
quiddité ni une forme ou essence comparable à la natura d’Avicenne.

C’est aussi par opposition à celle de Gilson (l’heure est aux


révisions) que Pasquale Porro situe son analyse, comme l’indique le
titre de sa contribution : « Duns Scot et le point de rupture avec
Avicenne », qui prend le contre-pied de l’article fameux écrit par le
grand historien français en 1927 : « Avicenne et le point de départ de
Duns Scot». Ce n ’est pas Duns Scot mais Henri de Gand qui suit
Avicenne et quand, au sujet des idées divines notamment, Duns Scot
rejette les conceptions d’Henri il s’écarte aussi d’Avicenne par le même
mouvement. L’auteur rappelle tout d’abord les raisons pour lesquelles
Duns Scot refuse Vesse essentiae que Henri attribue au créable dans
l’intellect divin (il note au passage que cet « être d’essence », dans
lequel il faut voir selon lui un simple « contenu mental », a peut être été
abusivement réifié par Duns Scot dans la critique qu’il en fait).
Contrairement à ce que Ton pensait jusqu’ici, Duns Scot réinterpré­
terait dans un sens qui lui est propre la doctrine avicennienne dite de
T« indifférence des essences ». L’auteur doute aussi si Ton peut établir
qu’Avicenne a posé, comme le fera Duns Scot, un concept univoque de
l’être (du moins si cet universel est pris universellement). Il conclut
qu’Avicenne n’est pas pour Duns Scot un point de départ mais un point
INTRODUCTION XV

terminal, celui d’une histoire « avec laquelle il faut régler ses comptes,
par procuration, à travers la médiation essentielle d’Henri de Gand ».
L’étude signée d’Olivier Boulnois prend son départ dans une
comparaison que Duns Scot établit au livre I de la Lectura entre la terre
« centre pour les corps » et Dieu « centre pour les esprits » - avec des
accents pré-pascaliens. En substituant le théocentrisme au géocen­
trisme, Duns Scot « inaugure une rupture radicale avec la détermination
cosmologique de l’humanité que l’on trouvait chez ses prédécesseurs
gréco-arabes et scolastiques latins ». C’est à la métaphysique qu’in­
combe dorénavant la preuve rationnelle de Dieu. Cette science n ’a pas
pour vocation de considérer « ce qui est au-delà de la physique ». En
effet si, conformément à la signification originelle de ce mot, l’on
entend par là l’être tout entier, il n ’y a rien au-delà de la physique.
L’objet propre de la métaphysique est l’être en tant qu’être. Ce sont
aussi et surtout les « passions transcendantales ». A partir des passions
transcendantes convertibles de l’être (telles que l’un, le vrai et le bien)
et des passions disjointes (comme fini/infini, créé/incréé, etc.), le
métaphysicien remonte par voie inductive vers le Premier Principe de
toutes choses. La voie métaphysique est par conséquent toute différente
de la voie cosmologique, plus naturelle sans doute mais peut-être naïve,
qui croit pouvoir aller directement du monde à Dieu.
Bien que la contribution de Timothy B. Noone porte sur les Quaes­
tiones super libros De anima, elle relève bien de la métaphysique car
elle examine avec une attention particulière la 21e question, qui porte
sur l’univocité du concept de Yens quand il se dit de la substance et de
l’accident. T. Noone relève que les principaux arguments en faveur de
l’univocité utilisé par Duns Scot dans ses écrits théologiques sont em­
ployés ici, ce qui lui permet de plaider en faveur de l’authenticité de ces
Quaestiones, qui est depuis longtemps controversée.
C’est également au rapport entre substance et accident que se
consacre Giorgio Pini, dans le cadre particulier de la transsubstantia­
tion, qui à la fois trouve sa meilleure expression à travers l’ontologie
aristotélicienne et y rencontre sa principale difficulté. Pour partie, la
position de Duns Scot n’est pas très éloignée du principe de celle de
Thomas d’Aquin, puisqu’elle repose elle aussi sur la possibilité de
l’existence séparée des accidents. Mais, dans la version la plus élaborée
de sa pensée, qu’il développe à Paris, Scot ne considère pas l’eucharis­
tie comme une exception à laquelle il faut accommoder une ontologie
construite indépendamment d’elle, mais au contraire comme un aperçu
XVI INTRODUCTION

profond sur la façon dont les choses sont en réalité, et non telles
qu’elles apparaissent dans l’ordre contingent dont nous avons ordinai­
rement l’expérience : en particulier, il s’avère qu’un accident est en lui-
même une essence absolue, indépendamment du fait qu’il inhère ou
non dans ime substance.

Avec l’essai de Fabrizio Mondadori, nous quittons le registre du


réel pour nous engager dans celui du possible. L’auteur nous invite en
effet à réexaminer avec lui la question épineuse de l’origine divine du
possible. Il aborde cette question en établissant une distinction entre le
statut ontologique du possible (son mode d’être) et son statut modal (le
fait qu’il soit possible, plutôt qu’impossible ou nécessaire). Le possible
(logique) étant, chez Scot, une quiddité complexe (ou proposition), il
convient de lui assigner en outre un statut formel (le fait qu’il ait les
constituants formels qu’il a, et non d’autres). La question de l’origine
divine du possible devient dès lors une question multiple: le possible
dépend-il de Dieu par son statut ontologique, par son statut modal ou
par son statut formel, par plusieurs de ces aspects à la fois, ou par
aucun ? Une analyse rigoureuse des textes concernés permet alors à
l’auteur d’établir que, selon Scot, le possible (non réalisé) dépend de
l’intellect divin pour son statut ontologique, mais non pour son statut
modal. Il ne serait rien, en effet, s’il n’était conçu par Dieu, mais qu’il
soit conçu par Dieu n’explique pas qu’il soit possible. La raison de la
possibilité du possible réside dans le fait que les quiddités qui le
constituent sont formellement de nature telle qu’elles sont compos-
sibles. Or, qu’une quiddité ait le statut formel qu’elle a n’est pas le fait
de Dieu. Le statut modal du possible ne dépend donc pas non plus de
Dieu. Plus exactement, le fait que le possible ait le statut modal qu’il a,
et non un autre, ne dépend pas de Dieu ; cependant le fait qu’il ait un
statut modal dépend de Dieu dans la mesure où s’il n’était pensé par
Dieu il ne serait rien et n’aurait par conséquent aucun statut.

Corrélativement, Joachim Söder étudie la notion de contingence.


L ’auteur a édité ailleurs la Reportatio I A d’après un manuscrit de
Vienne, rapport de cours donné par Dims Scot à Paris, dont le texte a
été revu par les soins du docteur et autorisé. Cette reportatio examinata
est un document plus complet et fidèle que les Reportata Parisiensia
édités par Luke Wadding. C’est sur elle que l’auteur se fonde pour
contester certaines interprétations de la théorie scotiste de la contin­
gence, selon lesquelles la synchronicité des possibilités alternatives
concernerait exclusivement le vouloir divin, alors que la volonté hu-
INTRODUCTION XVII

maine serait soumise à la contingence traditionnelle, dite « successive »


ou « diachronique », où l’homme peut vouloir des choses différentes à
des moments différents. En opposition explicite à Thomas d’Aquin,
Scot pense la contingence moins comme un mode d’être que comme un
mode d’agir, subordonné à la volonté, humaine aussi bien que divine.
Duns Scot analyse le problème de l’infini en théologien avant tout.
Pour lui, en effet, le concept d’un être infini ou d’une nature infinie est
le concept le plus élevé que nous puissions former de Dieu par les
moyens naturels de notre intelligence. Toutefois, dans son étude sur
« Duns Scot et l’infini dans la nature », Joël Biard insiste sur le rôle que
les conceptions scotistes relatives à l’infini ont joué dans l’effort ulté­
rieur visant à « penser certains phénomènes naturels ». L’auteur souli­
gne la différence entre le concept théologique de la toute-puissance
divine et le concept d’une puissance intensivement infinie, que la rai­
son peut concevoir par elle-même (c’est pourquoi Duns Scot n’hésite
pas à attribuer cette puissance au Premier Moteur aristotélicien). Les
rapports entre l’infini quantitatif et l’infini de perfection sont étudiés
d’après le texte du cinquième Quodlibet. L’auteur passe ensuite à l’étu­
de des relations entre l’infini et le continu (à cet égard, Duns Scot reste
dans la perspective aristotélicienne et euclidienne de l’indivisibilité du
continu en indivisibles ou points discrets). Il conclut en disant que dans
l’histoire des conceptions relatives à l’infini dans la nature « Scot n ’est
sans doute qu’une étape, mais une étape décisive ».

IV . É t h iq u e e t p s y c h o l o g ie

Ouvrant cette nouvelle section avec une étude sur la genèse de la


volonté rationnelle, Mary Beth Ingham remet en chantier le problème
des causes de la volition. La volonté est-elle, avec l’objet intelligé,
cause concourante partielle de son acte, ou bien cause totale de celui-
ci ? Il semble que Duns Scot tienne pour la première solution dans la
Lectura, pour la seconde dans la Reportatio. M. B. Ingham ne nie pas
que la position de Duns Scot ait changé, mais que la solution terminale
de Duns Scot rejoigne celle de Henri de Gand. A cette fin, elle montre
comment Duns Scot a progressivement approfondi son analyse de la
volonté, jusqu’à voir en elle une « puissance rationnelle », d’une ex­
pression tirée de la distinction aristotélicienne entre puissances ration­
nelles et puissances irrationnelles. Sous-tendue par cette conception
nouvelle, la position que Duns Scot tient à Paris sur les causes de la vo-
XVIII INTRODUCTION

lition ne revient pas la dichotomie sans reste raison / liberté que posait
Henri. Ce que Duns Scot conceptualise maintenant, ce n ’est pas l’arbi­
traire des volontaristes, mais le libre-arbitre. Il occupe alors cette « po­
sition intermédiaire » entre intellectualisme et volontarisme, qu’il
cherchait dès le début. Dans la mesure où le libre-arbitre enveloppe à la
fois l’intellect et la volonté optative, il est exact de dire qu’il est cause
totale de son acte. L’on assiste ici à une étape importante dans l’histoire
de la notion de responsabilité.

Duns Scot n ’est pas le premier à distinguer dans la volonté


Y affectio iustitiae et Y affectio commodi. Ce qui caractérise en revanche
sa position, comme le montre Christophe Cervellon, c’est de poser que
l’amour porté à un objet ou un être pour sa valeur en soi non seulement
est supérieur au désir de l’avantageux, mais lui est présupposé, parce
que le second ne se comprend pas rationnellement sans le premier.
Duns Scot explique par là beaucoup de choses, le péché de l’ange en
premier lieu. Ce n ’est pas la recherche de son bien (être l’égal de Dieu)
qui poussa Lucifer à la révolte mais la luxure spirituelle, par laquelle il
s’attribue à lui-même une valeur supérieure à toute autre. L’orgueil par
lequel il la refuse à Dieu ne vient pas en premier mais en second. En
second lieu, à moins de posséder l’affection de justice, la créature
rationnelle ne saurait être libre, puisqu’elle serait tenue en lisières par le
désir naturel de l’avantageux. Bien qu’elle ne se confonde pas avec le
libre-arbitre, l’affection de justice est donc une condition indispensable
du choix, partant de la liberté. Le problème le plus délicat est de savoir
si l’amour de la justice ou l’amour du bien en soi d’une part, l’amour
de soi ou du bien propre, d’autre part, sont compatibles entre eux. Duns
Scot pense qu’ils le sont, ou du moins peuvent l’être. En effet, seul le
second est une tendance à proprement parler. Or une tendance psycho­
logique est une inclination passive, comparable à la force qui porte la
pierre vers le centre. Passive, elle peut être orientée sans violence faite
à sa nature (du moins si l’on entend par là un mouvement violent au
sens d’Aristote). L’affection de justice, qui vient toujours en premier,
est donc à même de diriger l’amour de soi.

Jean-Michel Counet examine le lien entre la prudence et les vertus


morales chez Duns Scot. Cette question en présuppose ime autre, la
classique question de la connexité des vertus entre elles. Les vertus mo­
rales sont-elles connexes entre elles, de sorte que posséder l’une serait
les posséder toutes ? Le sentiment des anciens philosophes, surtout
stoïciens, inclinait dans ce sens. Au Moyen Age, Henri de Gand ou
INTRODUCTION XIX

Thomas d’Aquin sont encore de cet avis, du moins s’il s’agit de la vertu
accomplie. L’auteur en donne la raison, qui est la mystique de l’unité.
Afin que l’homme soit un, il faut qu’il réunisse en lui toutes les vertus
sans exception. Plus empirique, Duns Scot observe que celui qui de­
vient courageux par des actes répétés de courage ne devient pas propor­
tionnellement tempérant, et vice versa. Mais surtout, cause particulière
de l’action morale, la disposition acquise détermine la cause universel­
le, qui est la volonté, et la particularise inévitablement. En outre, la pru­
dence est pour Duns Scot un habitus de l’intellect pratique, non de la
volonté. Elle peut être engendrée dans l’intellect par la répétition
d’actes prudentiels sans qu’un habitus moral, de justice ou de force par
exemple, le soit nécessairement dans la volonté. Enfin, la volonté ne
suit pas toujours le dictamen de la raison droite. Faut-il voir pour finir
en Duns Scot un adversaire de l’unité ? Non, car à ses yeux toutes les
fins que l’homme peut se proposer sont subordonnées à la charité et en
dépendent, si ses actions doivent être non seulement bonnes mais aussi
méritoires, c’est-à-dire capables de gagner à l’homme la vie étemelle.
Etudier la question de Yakrasia chez Duns Scot est d’autant plus
difficile que le correspondant latin du mot grec, à savoir incontinentia,
ne figure pas une seule fois dans les écrits du docteur (l’on trouve ce­
pendant infirmitas, impotentia). Tobias Hoffmann en donne la raison
essentielle. Dans une éthique de type aristotélicien, où la volonté (qui
n ’est pas encore clairement distinguée du désir naturel) est une faculté
d’exécution, si les conclusions pratiques de l’intellect ne sont pas
suivies d’effet (sachant que celui-ci choisit toujours ce qu’il y a de plus
excellent pour lui-même, selon Aristote), c’est à la faiblesse de la vo­
lonté qu’il faudra l’attribuer. Au contraire, dans une éthique de type
scotiste, où la volonté est cause principale, voire cause totale de son
acte (sur cette hésitation, voir l’analyse de M. B. Ingham), la nolition,
c’est-à-dire le fait de ne pas vouloir ceci ou cela, est un acte positif. Ce
n’est donc pas une volition faible ou une volition en négatif. D ’un autre
côté, Scot ne peut pas ignorer que l’acte de vouloir a une intensité va­
riable et des degrés inégaux, puisqu’il peut être résolu ou réticent, fort
ou faible. Il y a donc place pour la velléité, qui n’est pas autre chose
qu’une volonté amoindrie ou acratique. L’on pourrait évidemment met­
tre toutes les conduites défectueuses au compte des passions et de la
force des passions. Mais cette explication, qui satisfait le psychologue,
est trop courte pour le moraliste. Pour ce dernier, les passions ne sont
pas imputables sans le consentement de la volonté. Il s’avère alors que
l’acrasie n’est pas tant une impuissance à vouloir qu’une mauvaise vo­
XX INTRODUCTION

lonté (ce qui n’est pas la même chose qu’une volonté mauvaise). Quand
elle ne veut pas ce que l’entendement l’incite à vouloir, la volonté
rebelle a recours à des subterfuges de son invention : soit elle détourne
l’attention de l’esprit, visant à l’endormir; soit elle l’égare en suscitant
en lui des raisonnements sophistiques d’auto-persuasion et tromperie.

V . T h é o l o g ie

L’essai de Richard Cross porte sur la théologie trinitaire de Duns


Scot. La thèse la plus marquante de cette étude très riche est sans doute
la suivante. Bien que sa doctrine sur la simplicité divine et les attributs
essentiels soit toujours restée fondamentalement la même, l’enseigne­
ment de Scot concernant la distinction, dans ime personne divine, entre
l’essence divine et la propriété constitutive de cette personne a, selon
l’auteur, évolué, et dans un sens contraire à celui considéré jusqu’ici
comme établi. Scot avait en effet d’abord admis que l’essence divine et
une propriété personnelle telle que, par exemple, la paternité, consti­
tutive de la personne du Père, sont deux formalités distinctes, et donc
deux réalités, certes, mais dont le statut ontologique est « diminué ».
Dans son dernier enseignement parisien, par contre, il aurait, selon
l’auteur, admis qu’il s’agit non de deux formalités, mais bel et bien de
deux choses - au sens plein de « chose » - , dont seule la distinction est
« diminuée », puisqu’elle n’est que formelle. Ainsi, loin d’atténuer,
comme on l’avait cru, la distinction entre essence divine et propriété
personnelle, Scot l’aurait au contraire renforcée, en substituant à une
distinction entre formalités une distinction entre choses. A l’appui de
cette thèse, l’auteur cite un texte du dernier commentaire que Scot fit à
Paris des Sentences, un texte bien connu des interprètes, mais générale­
ment dans la version tronquée que Wadding avait imprimée, et qui doit
être corrigée, comme le montre R. Cross, par la version manuscrite.
Sous le titre « Du miracle au surnaturel », Gilles Berceville montre
comment s’effectue de Thomas d’Aquin à Duns Scot un changement de
problématique. Tandis que Thomas démontrait philosophiquement sa
possibilité, Duns Scot exclut le miracle du champ de la philosophie.
Selon ce dernier, la toute-puissance divine, telle que l’entendent les
théologiens (ce que la cause efficiente première peut faire avec la cause
seconde, elle le peut immédiatement par elle seule) n ’est pas connue à
partir des termes qui la signifient. Elle est objet de foi. En outre, le
miracle n’est plus pensé par Duns Scot « en lien avec l’Incarnation »,
INTRODUCTION XXI

quand c’est en elle que le miracle trouvait sa véritable signification


pour Thomas, s’il est vrai que l’Incarnation est à ses yeux le miracle
des miracles. D ’une façon générale, le miracle n’a plus dans la théo­
logie de Duns Scot la place centrale qui lui revenait chez Thomas.
Gilles Berceville en voit un indice en ceci que dans la liste des huit
arguments pour convaincre par la raison de la vérité de l’Ecriture, que
Duns Scot établit dans la deuxième partie du Prologue de YOrdinatio,
la « limpidité des miracles » vient en dernière position.
Luc Mathieu pose la question suivante : était-il nécessaire que le
Christ mourût sur la croix ? Du temps de Duns Scot, le Cur Deus homo
d’Anselme fait autorité, qui pose que la Passion eut pour fin de
procurer à Dieu une « satisfaction substitutive » en réparation des
péchés de l’humanité. Cette explication a pour elle les premiers con­
ciles. Sans nier la nécessité du rachat, Duns Scot pose cependant que le
Christ aurait pu sauver les hommes autrement, par exemple au moyen
d’un acte unique et suffisant de charité parfaite. Le rachat est nécessaire
afin de rétablir l’homme dans l’union avec Dieu, mais le moyen est
contingent, puisqu’il aurait pu être différent.

VI. PARIS, 2002

Une comparaison entre pensée scotiste et pensée contemporaine


est proposée par Axel Schmidt, dans le domaine de la science physique.
L’auteur recourt à la distinction entre la « puissance lointaine » et la
« puissance prochaine » d’un effet. La première est une « aptitude » à
produire l’effet, qui est une « passion » de sa cause. La seconde est un
« ordre plus immédiat à l’acte dans le récepteur propre et prochain de
celui-ci ». En d’autres termes, avec la première nous avons une loi
générale, avec la seconde un cas concret et singulier. De cette diffé­
rence, l’auteur tire la conclusion qu’un événement matériel ne peut pas
être entièrement décrit et prévu « dans la mesure où toutes ses
déterminations existentielles sont incluses ». Cette conclusion est effec­
tivement consonante avec la position de Duns Scot sur les rapports
entre la quiddità d’une chose et son existence concrète (si l’on admet
que ces rapports peuvent être étendus d’une chose à un événement).
L’acte, c’est-à-dire l’existence actuelle, « détermine ultimement », dit
le docteur, mais cette détermination est extérieure à Tordre quidditatif
(c’est là d’ailleurs ce qu’enseignait déjà Avicenne). La loi est abstrac­
tive de l’existence, qu’elle met entre parenthèses. La connaissance de
XXII INTRODUCTION

l’existant en tant qu’existant et du présent en tant que présent est


intuitive, c’est-à-dire expérimentale ou plutôt expérientielle. Le théori­
cien prévoit, le physicien observe et mesure.
Duns Scot n’a pas étudié le rôle du langage dans la connaissance
de soi, observe avec regret Ansgar Santogrossi, qui propose d’y sup­
pléer. Le phantasme, c’est-à-dire le produit de l’imagination, est néces­
saire dans tout acte de connaître. Cette idée est héritée d’Aristote. Or le
phantasme peut contenir des traces d’impressions sonores liées au lan­
gage et à l’élocution. Dans la communication de soi à soi le langage
intérieur joue son rôle. La distinction entre le moi qui se parle et le moi
qui s’entend est évidemment phénoménologique et non pas substan­
tielle. La communication angélique est immédiate car, de même qu’il
intuitionne son être directement, tout ange intuitionne celui de chacun
de ses compagnons. Transparent à soi, il est transparent à ses sembla­
bles comme un cristal. Il en va différemment de l’homme, qui ne peut
faire l’expérience de l’âme opaque d’autrui. A défaut, il se reposera sur
la fides, qui veut dire croyance ou plutôt confiance. Celle-ci fait partie
intégrante de l’homme en tant qu’il est politicus et civilis.
Enfin, Emmanuel Falque explore les ressources que recèle le con­
cept scotiste de l’heccéité, c’est-à-dire la singularité des êtres irréduc­
tible à la communauté de l’espèce. La « philosophie du neutre », que
Lévinas attribue à Heidegger, ignore la réalité du singulier, mais ce
reproche s’applique à Lévinas lui-même, car autrui qui se révèle dans le
visage est lui aussi impersonnel. Après cette critique, E. Falque étudie
les rapports entre heccéité et fmitude, singularité et nature commune.
Davantage que le « réquisit de l’être », la singularité éclaire et explique
le nom que Dieu s’attribue à lui-même dans l’Exode. « Je suis Celui qui
est » - (en termes scotistes, Dieu seul connaît naturellement la nature
divine ut haec). Si elle la rend digne d’un amour d’amitié, la singularité
de toute créature est en même temps ce par quoi elle doit nous échapper
et demeurer finalement inconnaissable, car Dieu seul a une connais­
sance parfaite du singulier comme singulier et de l’infinité des singu­
liers. E. Falque conclut à propos son étude sur une évocation des har­
moniques scotistes dans la poésie de Gerard Manley Hopkins : « Gloire
à Dieu pour tout le bigarré ».

O. Boulnois J.-L. Solére


E. Karger G. Sondag
INDEX SIGLORUM

ÉDITIONS DE RÉFÉRENCE DES OEUVRES DE DUNS SCOT :

Wad. Editio Waddingi : Opera omnia, Lugduni, 1639.


Viv. Editio Vivès : Opera omnia, editio nova juxta editionem
Waddingi, Parisiis, 1891 sqq.
Vat. Editio Vaticana : Opera omnia, studio et cura
Commissionis Scotisticae, Civitas Vaticana, 1950 sqq.
St. Bon. Editio Franciscan Institute : Opera philosophica, Saint
Bonaventure (N. Y.), 1997 sqq.

T it r e s l e s p l u s c o u r a n t s :

Add. magn. Additiones magnae secundi libri


(ed. C. Balie, Louvain 1927)
De pr. princ. Tractatus de primo principio
In Cat. Quaestiones in librum Praedicamentorum
In Elench. Quaestiones in libros Elenchorum
In Met. Quaestiones super libros Metaphysicorum
In Peri herm. Quaestiones in I et II librum Peri hermeneias
Lect. Lectura
Op. ox. Opus oxoniense
Ord. Quaestiones in IV libros Sententiarum
QQ De anima Quaestiones super libros De anima
Quodl. Quaestiones quodlibetales
Rep. I A, etc. Reportatio IA , etc.
Rep. par. Reportata parisiensia
Sup. Univ. Porph. Quaestiones super Universalia Porphyrii
XXIV INDEX SIGLORUM

AUTRES ABRÉVIATIONS :

BA Bibliothèque Augustinienne

Busa S. Thomae Aquinatis Opera omnia, curante R. Busa,


Stuttgart/Bad Cannstatt, 1980.

CCSL Corpus Christianorum, Series Latina, Tumhout

Leon. S. Thomae Aquinatis Opera omnia, iussu Leonis XIII P.M.


edita cura et studio Fratrum praedicatorum, Rome, 1882 sq.

00 Opera omnia

OPh Guillelmi de Ockham Opera philosophica

OTh Guillelmi de Ockham Opera theologica

PL Patrologia Latina, ed. J.-P. Migne, Paris, 1878-90

ST Summa theologiae S. Thomae Aquinatis

STGMA Studien und Texte zur Geistesgeschichte des Mittelalters


PARIS, 1302
Antonie V os

DUNS SCOTUS AT PARIS

I. INTRODUCTION

As in the case of Socrates and Jesus, the idea once put forward that
this John would never have existed, does not exist any more, although
Allan Wolter could rightly point out, in the wake of Ernest Renan, how
little biographical material is still available in the case of Duns Scotus.1
We know he was bom in Scotland, studied for years in Oxford and
sailed for France at the beginning of the fourteenth century, but why
did he sail for France? In order to study and teach in Paris, but what did
he look for in Paris?
Dordrecht, by then the major city of the Northem-Netherlands,
numbered a bit more than 5.000 inhabitants and Oxford some thou­
sands more,2 while a population of about 25.000 persons inhabited
Rome - in sharp contrast to the half a million during her ancient
prosperity, but Paris numbered more than 100.000 inhabitants,
including over 20.000 students at the University of Europe, but I have
to concede that many Parisian mothers were not amused. Coming from
Oxford, intimate as it was, John Duns, soon sumamed Scotus, must
have felt impressed in the scholarly capital of Europe. John Duns was

1 A. B. WOLTER, « Reflections on the Life and Works of Scotus », American


Catholic Philosophical Quarterly 67 (1993), pp. 2-5.
2 See J. VAN HERWAARDEN - D. DE BOER - F. VAN KAN - G. VERHOEVEN,
Geschiedenis van Dordrecht tot 1572, Hilversum, Verloren, 1996, p. 246 (pp. 234-
248), and M. B. HACKETT, « The University as Corporate Body », in The History o f
the University o f Oxford, vol. I. : The Early Oxford Schools, ed. J. I. Catto, Oxford,
21986, pp. 37-95, and J. I. CATTO, « Citizens, Scholars and Masters », Ibid., pp. 155
ff.
4 ANTONIE VOS

also an Oxonian magister designatus and a Franciscan. So, he lived in


the Parisian studium.
There are still biographical questions to be answered. First, we pay
attention to some aspects of John Duns’ Parisian environment (§ II)
and, then, we ask when he did arrive at Paris and what he wrote during
his two first Parisian years (§ III). Did Duns Scotus combat Eckhart
(§ IV)? What did he produce during the year of his exile (§ V)? When
did he become baccalaureus formatus (§ VI)? Did Godfrey of
Fontaines support Duns Scotus (§ VII) and when did Scotus conduct
his only Quodlibet (§ VIII)? Final considerations are found in § IX.

II. PARIS

From the 1250s until the end of the 1320s, the Franciscan Minister
General was usually a former Parisian master of divinity. This acade­
mic tradition of the Order’s leadership had started with the glorious
example of Bonaventure while several Ministers General before Bona-
venture had already been familiar with theological teaching. With
Roest, we may relegate the alleged anti-rational origins of the Francis­
cans to the realm of fantasy.3 The triangle of the Cardinal Protector, the
Minister General and the Parisian Master of Theology formed the
power center with the Franciscans. Matthew of Acquasparta, John
Minio of Morrovalle - both former masters of divinity, both Cardinal
Protector on the Franciscan side, linked by Matthew Rubei, advising
the Pope and looking after the interests of the movement - and
Gonsalvo of Spain, the future minister general, must have paid
attention to the case of John Duns over the years. In the spring of 1301,
Iohannes Duns had satisfied almost all requirements for becoming a
magister at Oxford. Nothing stood in his way to incept except the
glorious plans the leadership of the Order had for Dims ahead by
sending him to the more prestigious university at Paris, Europe’s alma

3 See B. ROEST, A History o f Franciscan Education, ca. 1210-1517, Leiden, Brill,


2000 (Education and Society in the Middle Ages and Renaissance, 11).
DUNS SCOTUS AT PARIS 5

mater.AApparently, at the end of the 1290s the Franciscan leadership in


England had realized their mistake and they sought for opportunities to
amend their decisions. The change must have been caused by the
impression the brilliant logician John Duns made in the field of
theology in his quality as sententiarius. Now it was clear he was not
only a very smart researcher, but that he was also a thinker. The moves
needed to launch an alternative strategy must also have been welcomed
by the international leadership of the Order at Paris, because, according
to the by-laws o f the Franciscan Order, the appointment of the
bachelors and the new holder of the Franciscan chair in Paris was under
control of the Minister General.45 When England sent a baccalaureus
formatus of 35 years of age in order to become a sententiarius, it must
be clear that the Minister General had been involved in this decision. A
formed bachelor of Oxford did not join on his own initiative the
community of the Grand Couvent des Cordeliers.
In Oxford, John Duns’ spiritual milieu and faculty had been
impressed by his splendid achievements. His fame had been esta­
blished. His city and university are unforgettable, but his own name is
now never-to-be-forgotten too. Lectura I-II affected the life of the
young John Duns in a profound way, for in these same years, the
leadership of the Order did not plan to send him to Paris. They must
have changed their mind when Duns had already finished most
requirements for the Oxonian doctorate. If they had observed Duns’
theological potential before, they should have avoided the burden of

4 Now I side with Courtenay that the hypothesis of a great number of bachelors
waiting for inception is a speculative one. In A. VOS - H. VELDHUIS - A. H.
LOOMAN-GRAASKAMP - E. DEKKER - N. W. DEN BOK, Johannes Duns Scotus.
Contingentie en vrijheid. Lectura I 39, Zoetermeer, Boekencentrum, 1992, pp. 14 ff,
and ID., John Duns Scotus. Contingency and Freedom. Lectura I 39, Dordrecht-
Boston, Kluwer, 1994, p. 6, we still adopted spontaneously the view of Brampton and
Wolter. See W. J. COURTENAY, « Scotus at Paris », in Via Scoti methodologica ad
mentem Joannis Duns Scoti, ed. L. Sileo, Rome, PAA-Ed. Antonianum, 1995, vol. I,
p. 152 (pp. 149-163).
5 See H. DEMELE - Fr. EHRLE, Archiv fü r Litteratur-und Kirchengeschichte des
Mittelalters VI, Berlin, 1892, p. 107: «De fratribus lecturis sententias et ad
magisterium praesentandis Parisius, minister provideat generalis » ; cf. DENIFLE -
EHRLE, Archiv, p. 55.
6 ANTONIE VOS

reading the Sentences twice. I agree with Wolter that it was a definite
honor for Duns to be sent to the more prestigious university, but to go
on for another series of years of acting as a bachelor is no small thing
and it complicated Duns’ career. However, Duns Scotus would spend
almost five years in Paris, altogether years extremely important for the
future impact of his work.
Duns probably enrolled at Paris in the Indian summer of 1301 (see
§ III). By 1298, there were about 140 Franciscans living in the Great
Convent of the Cordeliers.6 Since the days of Alexander of Hales
(f 1245), the role of the Franciscans within theology had changed.7 The
Friars Minor had already arrived at Paris in 1219, just two years after
the Dominicans had done so, and even as early as 1217 has been
assumed.8 In 1223 the Franciscans received full confirmation from
Honorius III (1216-1227) and in 1228 there were thirty Friars living on
grounds of the Benedictines of St. Denis, preaching and saving souls.
« Already in 1230, they received episcopal permission to start with a
new building program, now on a new site intra muros received from
the Abbey of Saint-Germain-des-Prés »,9 which itself was outside the

6 J. R. H. MOORMAN, A History o f the Franciscan Order from its Origins to the


Year 1517, Oxford, Clarendon Press, 1968, p. 132.
7 See J. C. M. VAN WINDEN - A. H. SMITS, Bonaventura. Itinerarium. De weg
die de geest naar God voert, Assen, Van Gorcum, 1996 (Scripta franciscana, 3), pp.
1-7 and pp. 29 f., edited by the Research Group Bonaventura : A. H. BREDERO - P.
G. J. M. RAEDTS - A. H. SMITS - A. VOS - J. C. M. VAN WINDEN - Th. H.
ZWEERMAN. According to Weisheipl, there was hardly any theological teaching at
all before Alexander became a Franciscan - J. A. WEISHEIPL, Friar Thomas
d ’Aquino. His Life, Thought and Works, Oxford, Blackwell, 1975, pp. 64 f. An
alternative thesis states that John of La Rochelle already lectured to the Franciscan
community before 1236 : B. ROEST, A History o f Franciscan Education, op. cit., p.
14.
8 Cf. F. de SESSEVALLE, Histoire générale de l'Ordre de Saint François, Paris,
Editions de la Revue d’histoire franciscaine, 1935, vol. I, p. 425.
9 ROEST, A History o f Franciscan Education, op. cit, p. 13 (pp. 11-21). See
SMITS, Bonaventura. Itinerarium, pp. 2 ff, and consult the maps of medieval Paris
on pp. 29-30.
DUNS SCOTUS AT PARIS 7

city, like Saint Victor.10 Their site, near the university quarter, was
enlarged in 1240 and the Grand Couvent des Cordeliers was built. The
church was consecrated in 1263 and became one of the academic
churches for preaching university sermons. Eventually, the street of
their convent was renamed Rue des Cordeliers, intersecting the Rue de
Saint Jacques at the Dominican Priory of Saint-Jacques.11 Both the
street and the gate of Saint Jacques owed their name to the many
pilgrims on their way to Compostella in Spanish Galicia.

III. S a i l i n g for F r a n c e : 1302 o r 1301 ?

It is still to be discussed where Duns spent the year 1301-1302.


The evidence at our disposal tells us that 1300-/30/ was his last -
responsalis - year at Oxford. At the beginning of the academic year
1302-1303, he was teaching on the Sentences at the University of
Paris.12 Courtenay defends the thesis that Duns was at Paris during
1301-1302. Why should Duns not have acted as a magister regens at
Oxford, if he could not have started at Paris before 1302? One may
wonder whether Duns might have been baccalaureus biblicus at Paris
in 1301-1302, since there one read cursorily on the Bible before
lecturing on the Sententiae. However, probably a dispensation from the
lectureship on the Bible was readily granted to John Duns, when he

10 At the beginning of the French Revolution, the Grand Couvent was suppressed.
The Church was destroyed in 1795 and the friary itself in 1877. Only the Réfectoire
has survived. A simple restoration is now going on.
11 See WEISHEIPL, Friar Thomas d ‘Aquino, pp. 64 f. Now, there is a plaquette at
the comer of Rue Soufflot and Rue Toullier (very near to Rue Saint Jacques) which
indicates the site of the former Dominican friary : « Emplacement du Couvent des
Jacobins 1217-1790».
12 See A. VOS, Studies in John Duns Scotus ’ Philosophy (DPMI), forthcoming,
§ 2.2.2. Cf. ID., Johannes Duns Scotus, Leiden, Groen, 1994 (Kerkhistorische
monografieën, 2), pp. 31-33.
8 ANTONIE VOS

enrolled there, because he had already become familiar with the text of
the Bible.1314
The arguments concerning dating the Collationes Parisienses are
stronger than this issue. In 1300 Duns had decided to compose a new
large-scale Sententiae Book, not only to improve on his Lectura.
During the summer of 1300 he was busy of revising the Prologue of his
Ordinatio.14 So, the terminus a quo of the period we have to get a better
grasp of is the summer of 1300. The size of Reportatio Parisiensis I
and of Reportatio Parisiensis IV leaves little doubt that the terminus ad
quern is the summer of 1302, but what point of Ordinatio I might he
have arrived at when he moved on to Paris? Thus, two questions arise:
first, what has John Duns achieved between the indicated terminus a
quo and terminus ad quern, and, second, what point might he have
arrived at in composing Ordinatio I?
Two communications found in Ordinatio I 5 and in Ordinatio 110,
respectively, are most revealing. There is a research note belonging to
Ordinatio I 5,118 which contains the phrase « in Collationibus
Oxoniensibus 1 ».15 It must have been added in Paris, for it does not
make any sense to write down « in Collationibus Oxoniensibus » in
Oxford. The huge collection of the Collationes Oxonienses is later than
Ordinatio I 5 and for this reason I place the Collationes Oxonienses in
the first half of 1301. The main text of Ordinatio I 10,36 advises to

13 J. A. WEISHEIPL, Friar Thomas d ’Aquino, op. cit., p. 50 : « The normal course


for a secular cleric at Paris was this : on becoming a bachelor, he was a cursor
biblicus for one or two years before going on to the Sentences. (...) Even from what
little we know now, we can say that no Dominican ever lectured on the Bible when he
came to Paris. A dispensation from this first lectureship was readily granted to
Dominicans. (...) The purpose of the cursor biblicus was to familiarize himself and
his students with the text of Scripture. » The dispensation also bears on the
Franciscans and the other orders.
14 See DPMI §§ 1.7-1.8. Vat. volume I (1950) contains the Prologue.
15 If the spring of 1301 is the latest possible date for any Oxonian collatio, we are
able to derive from Ord. I, d. 5, n. 118 that most of the Oxonian part of Ordinatio I -
at any rate up to the fifth distinction - precedes the Collationes Oxonienses. Would
Collationes Oxonienses 1 have been anterior to Ord. I, d. 5, Duns would not have
appended a note in Oxford in order to link Ord. I, d. 5 with Collationes Oxonienses 1.
See DPMI § 2.2.
DUNS SCOTUS AT PARIS 9

consult the last Parisian collatio.16 From Ordinatio I 10,36 we conclude


that the Collationes Parisienses are anterior to Ordinatio 110, for we
dispose of an integral communication in the main text of Ordinatio 110
where the last Parisian collatio is strikingly referred to. By that time,
Duns disposed of an entire set of twenty Parisian Collationes. This is in
keeping with the fact that after Ordinatio I 10 the references to the
Collationes disappear: the simultaneity of the Collationes and
Ordinatio I 5-10 ended. Duns Scotus was on his way to Reportatio
Parisiensis I, at the same time revising the Lectura by writing
Ordinatio I 11 - II 3.17
Duns was so much involved in conducting his collationes, both at
Oxford and at Paris, that working on his new Sententiae Book almost
came to a standstill. 1301, the year of his migration to Paris, was
mainly the year of the collationes. The borderline between the Oxonian
and Parisian parts of Ordinatio I lies somewhere between Ordinatio I 5
and Ordinatio 110. Duns must have taken up the thread of writing his
Sententiae Book in the course of the academic year 1301-1302. The
Parisian revision of the largest part of Ordinatio I and the beginning of
Ordinatio II and the Collationes Parisienses are strong arguments
supporting the hypothesis of a stay of Duns’ at Paris during the
academic year 1301-1302.18
At Paris Duns had to teach courses on the Sententiae for the
second time and during the academic year 1302-1303 he read on
Sententiae I and IV. Lectura I (1298) is the « Vorlage » of Ordinatio I
and Ordinatio I must have been largely finished by the autumn of 1302,
when Duns embarked on the ambitious project of his Parisian course on
the Sententiae. We meet now another literary phenomenon: the lecture
notes of a student or a secretary.19 We dispose of a reportatio

16 Ord. I, d. 10, n. 36 : « Quaere in ultima collatione Parisiensi (= Collationes


Parisienses 20). » In the Opus Oxoniense, the references to the Collationes are
missing.
17 This phenomenon is analogous to the fact that the Lectura is neither referred to
in the Ordinatio. It had been digested, not referred to.
18 There is no room for them in the years to come, namely 1302-1306.
19 On reportationes, see W. J. COURTENAY, « Programs of Study and Genres of
Scholastic Theological Production in the fourteenth Century », in Manuels,
programmes de cours et techniques d ’enseignement dans les universités médiévales,
10 ANTONIE VOS

examinata of Duns’ Parisian course on Sententiae I. In contrast to Ox­


ford, the baccalaureus sententiarius enjoyed the assistance of a socius
at Paris and Duns’ secretary was called Thomas. The achievement of
writing the text of Reportatio Parisiensis I Examinata must be due to
Duns’ Parisian socius Thomas. The assistant (socius) prepared a copy,
tracked down quotations and filled in arguments.20 Dating Reportatio
Parisiensis I in the autumn and early winter of 1302-1303 is due to the
important colophon of the excellent Codex F 69 of Worcester
Cathedral, written only a few years after Duns Scotus’ death, which
reads concerning Book I as follows:
Here end the questions on the first book of the Sentences given by brother
J. of the Order of the Friars Minor at Paris in the year of the Lord thousand
three hundred and two and the beginning of the third.

This colophon offers precious information on Duns lecturing on


the first Book of the Sententiae at Paris during the term ending in the
first half of January. There is still another interesting colophon in the
crucial Worcester Codex F 69 which concerns Book IV and runs as
follows:
Here end the questions of Sentences (IV) given by the afore-mentioned
brother J. in the House of Studies at Paris in the year of the Lord M CCC
IIJ’.21

ed. J. Hamesse, Louvain-la-Neuve, Publications de l’Institut d’Études Médiévales,


1994 (Textes, études, congrès, 16), pp. 338-341. If a reportatio is checked and
supervised by the teacher himself, such a notebook is called a reportatio examinata.
20 On brother Thomas, see DPMI § 3.6.7. For the name of Duns Scotus’ socius -
Thomas -, see the royal list of 1303. On the functions of a socius, see COURTENAY,
« Programs of Study and Genres », art. cit, pp. 342 ff. (pp. 325-350).
21 The order of the books of the Sententiae is not the chronological one. Pelster
was also able to prove on internal grounds that Reportatio Parisiensis TV is earlier
than Reportatio Parisiensis II by pointing out that Duns quotes from Reportatio
Parisiensis IV 1 quaestio 1 in Reportatio Parisiensis II 1 quaestio 1 in replying to his
Dominican baccalaureus socius {ibidem). Reportatio Parisiensis II has to be referred
to the autumn of 1304. This fact also mirrors the lively debate going on among the
bachelors belonging to different chairs. See F. PELSTER, «Handschriftliches zu
Skotus mit neuen Angaben über sein Leben », Franziskanische Studien 10 (1923), pp.
8-9, and DPMI § 2.2.2 and § 3.6.11. Fr. Ehrle had already discovered the colophons in
the 1880s.
DUNS SCOTUS AT PARIS 11

The years 1300-1302 were dominated by doctrines and problems


lurking in Sententiae I. The Parisian adventure constituted a real
challenge for Duns, for in the first half of 1303 he had to lecture on
Sententiae IV and the attention paid to Sententiae IV at Oxford must
have been rather poor. Duns Scotus was eager to cope with a wealth of
new problems. The courses of 1302-1303 show an enormous amount of
new materials.2223The Parisian course was not « more of the same ». He
did everything possible to prove that he was the right choice, covering
new ground in Reportatio Parisiensis IV. In contrast to Ordinatio I-III,
resting on Lectura I-III as they are, Ordinatio IV rests on Reportatio
Parisiensis IV. This proves that there has been no Lectura Oxoniensis
IV.23

IV . M e i s t e r E c k e h a r t a n d M a e s t r o G o n s a l v o

Gonsalvo’s colleagues in the neighboring Dominican Studium of


Saint-Jacques were remarkable men. In the academic year 1302-1303
the Dominican chairs were held by Dietrich of Freiberg and Johannes
Eckhart of Hohenheim, Meister Eckhart (* about 1260), slightly Duns’
senior. It was Gonsalvo’s first year of regency and Eckhart’s first year
of regency as well, but Dietrich of Freiberg had already acted as master
since 1297.24 Klibansky and Armand Maurer drew attention to the
debate between Gonsalvo and Meister Eckhart on the primacy of the
intellect or of the will. « As Klibansky pointed out, Scotus would

22 Reportatio Parisiensis I has much new material : 52 out of 129 quaestiones of


the Prologus and of Book I have no counterpart in Lectura I and Ordinatio I. There is
also a brand-new text on Sententiae IV. See Opera Omnia XIX 35*, cf. 55*-66*, and
DPMI § 2.2.2.
23 Ordinatio III is a revision of Lectura Oxonienisis III (1303). When we take into
account all of Duns Scotus’ tasks in 1304, we have to conclude that Ordinatio III is
later than Lent 1305. See § V.
24 See E. GILSON, History o f Christian Philosophy in the Middle Ages, London,
Sheed & Ward, 1955, pp. 433-437 and pp. 753-755, and F. SOMERSET, « Dietrich of
Freiberg (c. 1250 - after 1310) », Routledge Encyclopedia o f Philosophy, London,
Routledge, 1998, vol. Ill, pp. 69-71.
12 ANTONIE VOS

undoubtedly have participated as opponent, or more probably


respondent, in the famous dispute between Gonsalvus and Eckhart that
year ».25 Édouard Wéber indicated a series of points of crucial doctrinal
divergence between Eckhart and Duns Scotus, but I do not think that
Eckhart and Duns discussed these points. Such hypotheses assume that
Eckhart’s general target was not only the Franciscan view, but that
Eckhart also knew Duns’ thought quite well.26 For these authors, Duns
is the subtle doctor, but although he was subtle right from the begin­
ning, he was not a doctor by then, world-famous in the Grand Couvent
des Cordeliers, but not yet, I think, in the Parisian University as a
whole.
Maurer assumes that Eckhart immediately became familiar with
the results of Duns’ ongoing courses on the Sentences, but at the time
Duns had published nothing at all. At the University of Paris, dozens
and dozens of bachelors were lecturing on the Sentences at the time,
piling up every year thousands of pages, crammed with brilliant notes.
It will take much time to read the hundreds of pages of Duns’
Reportatio Parisiensis I and IV.27 It was simply out of question that
any master, no matter how much of genius he might have been, could
have known what was going on in the universe of the unrushing
bachelors. Moreover, the Franciscan baccalaureus responsalis of 1302-
1303 was the baccalaureus formatus during Gonsalvo’s regency and by
then Duns was only the baccalaureus incipiens. My guess would be
that the next holder of the Franciscan chair, Alan of Tongeren, acted as

25 A. B. WOLTER, « Duns Scotus at Oxford », in Via Scoti, op. cit., voi. I, p. 185.
The Klibansky reference concerns R. KLIBANSKY, Commentarium de Eckardi
magisterio. Magistri Eckardi Opera Latina XIII, Leipzig, 1936, pp. XXX-XXXIH. See
also O. Boulnois’s prudent verdict in his excellent Duns Scot. La rigueur de la
charité, Paris, Cerf, 1998 (Initiations au Moyen Âge), p. 8.
26 E.-H. WÉBER, « Eckhart et l’ontothéologisme : histoire et conditions d’une
rupture », in Maître Eckhart à Paris. Une critique médiévale de l ’ontothéologie.
Etudes, textes et introductions, eds. E. Zum Brunn - Z. Kaluza - A. de Libera, Paris,
PUF, 1984 (Bibliothèque de l’Ecole des Hautes Etudes. Sciences Religieuses, 86), pp.
13-83. See also A. DE LIBERA, « Les Raisons d’Eckhart », ibid., pp. 109-140, and P.
VIGNAUX, « Pour situer dans l’école une question d’Eckhart », ibid., pp. 141-154.
27 Compare, e.g., Balliol College, Codex 205, ff. 1-185 and Codex 206, ff. 143-
269, respectively.
DUNS SCOTUS AT PARIS 13

baccalaureus formatus in that year and that Alexander of Alessandria,


or Albert of Metz, was the first baccalaureus sententiarius and John
Duns the second one. Duns may have participated in the course of the
ongoing debate, but he was certainly not one of the main participants.
I do not see that any historical evidence has been established
regarding a possible exchange of ideas between Meister Eckhart and
John the Scot. A clash between these great minds of European thought
is surely an attractive idea, but the naked facts do not show any traces
of Eckhart in Duns Scotus’ oeuvre. Duns Scotus was eager to keep in
touch with the thought of the grand old men of the previous generation
and the colleagues who were slightly his juniors. However, no trace of
Eckhart is found. His was not a character spontaneously to be drawn
into easy conflicts. Duns simply let the matter drop.28 His target were
the great representatives of non-Christian philosophia - Aristotle and
Avicenna -, not theologians.

V. 1303-1304

Duns Scotus did not spend the academic year 1303-1304 in Paris. I
offer two hypotheses: he spent the second half of 1303 in Oxford, his
home studium, where he wrote his Lectura Oxoniensis HI, his first
commentary on Sententiae III - this doublure text offers a complete
version - , and he spent the first half of 1304 in Cambridge, producing
his Lectura Cantabrigiensis I. Fortunately, he was able to return to
Paris in the summer of 1304.29

28 In terms of his thought, the thesis that God is essentially only knowledge is
incompatible with Trinitarian theology. Duns was eager to analyze this central topic.
29 See DPhil § 2.3: « Oxford : again at home and baccalaureus sententiarius at
Cambridge » and § 2.4 : « Baccalaureus at Paris II : 1304-1306 ».
14 ANTONIE VOS

V I. T h e d a t e o f D u n s S c o t u s ’ f o r m e d b a c c a l a u r e a t e

The first fact to be accounted for is the festive occasion of the


inception of a master: the inceptio of master Giles of Loigny, added
lustre by two disputations. The first disputation deals with theses pro­
posed by the incoming master, but, in our case, the theme is derived
from the final of Duns Scotus’ last Sentences course (see Reportata
Parisiensia III 18,2). The defender of the disputation of the next
morning is the baccalaureus formatus of the incoming master.
A disputatio like the Parisian disputatio in aula Domini Episcopi
celebrating the inception of a master numbered four actors : the bacca­
laureus responsalis being the formatus of that year, the magister novus
aulandus, the magister aulator and the Lord Chancellor. Pelster
proposed an identification of all four actors in the case of the disputatio
text found in Reportata Parisiensia III 18,3. There is a specific order of
entrance. There is only one anonymous actor in the list of Reportatio
Parisiensis III 18,3. However, the text of the disputation is Reportatio
Parisiensis III 18,3 (Worcester Codex F. 69). John Duns Scotus is the
baccalaureus responsalis,30 In a text apparently Duns’, three actors are
mentioned by name: Goffredus, Alanus and Egidius: Goffredus is
Godfrey of Fontaines, regularly replacing the chancellor; Alanus is
Alan of Tongeren, already Franciscan master of theology in 1303 - he
is the magister aulator of the disputatio in aula, and Egidius is Giles of
Loigny, already mentioned in the letter of Gonsalvo as Duns’
predecessor - he is the coming man, the incoming master of theology,
the magister novus aulandus. Alan of Tongeren and Giles of Loigny
are the outgoing and the incoming Franciscan professors of theology.
The first opponent is the new professor. The second actor is the
magister regens, the magister aulator, and the last one in the row is the
Lord Chancellor or his representative.

30 On Paris and Oxford graduation procedures, see G. LEFF, Paris and Oxford
Universities in the Thirteenth and Fourteenth Centuries. An Institutional and Intellec­
tual History, New York, John Wiley & Sons, 1968, pp. 168 ff., on Bologna
procedures, see ROEST, A History o f Franciscan Education, op. cit., pp. 108-115.
DUNS SCOTUS AT PARIS 15

When might the inception of Giles of Loigny have taken place?


The new approach of the 1920s and 1930s assumes that the expeditio of
Giles of Loigny entails that he was already master in November 1304,
but this assumption cannot hold water. If Giles of Loigny were already
to have incepted Mid-September 1304, then, of course, he would have
been master of theology in November 1304. However, then, it does not
make sense to recommend Giles as the next master, if he already were a
regent master. Moreover, in that case there is no period of Alan of
Tongeren having acted as a regens, because the academic year 1303-
1304 had dropped out.31
The date of the inception of Giles of Loigny must also make room
for Duns Scotus’ Reportatio Parisiensis II and III 1-17. The inception
of Giles of Loigny coincided with the last stage of Duns Scotus
activities as a sententiarius. Scotus had returned some time during the
summer of 1304, having absolved one half of his Sententiae courses.
So, in the early autumn of 1304 he had to continue lecturing on
Sententiae II. His last course to be delivered on the Sentences concerns
Sententiae III, but judging by Reportatio Parisiensis III Duns already
concluded this course halfway. So, he must have finished this course
unexpectedly halfway the first half of 1305 and Lent is quite an
acceptable time for an inception. We conclude that Duns Scotus started
as baccalaureus formatus in Lent 1305.

V II. G o d f r e y o f F o n t a in e s a n d D u n s S c o t u s

Gonsalvo’s disputations had been debated at Paris in 1302-1303


and Quodlibet XV of Godfrey of Fontaines critically discusses the
contents of some of Gonsalvo’s disputations.32 « Glorieux concluded
that Godfrey’s Quodlibet XV could be no earlier than Easter 1303, and
should more likely be placed in the academic year 1303/1304, either at

31 Pelster’s thesis implies dating the disputatio in aula in the early autumn of
1304, but his mistaken interpretation of the royal list does not endanger his
identification of the actors of the disputatio in aula.
32 See DPMI § 2.2.
16 ANTONIE VOS

Christmas or Easter. Since it was apparently not included in the


University stationer’s list of exemplaria of Godfrey’s Quodlibets dating
from February 25, 1304, Glorieux also suggested that it had not been
released for public circulation by that time ».33 Both Glorieux and
Wippel place Quodlibet XV in the academic year 1303-1304.34 There is
substantial theoretical distance between the coming man Duns Scotus
and Godfrey of Fontaines, the old Nestor of the theological faculty, in
some respects even more an Aristotelian than Aquinas. On one side, the
Franciscan circles felt critical of Meister Eckhart’s thought and, on
quite the opposite side, Godfrey of Fontaines felt rather critical of the
Franciscan way of ideas. Godfrey must have attended a meeting of
February 26, 1304, connected with the Sorbonne, several other secular
masters also being present.35 The day before, February 25, 1304, the
librarius - the «book-maker», i.e., the official publisher of the
University - had listed all quodlibeta of Godfrey of Fontaines available
at that time, but Quodlibet XV is not included in the official list.36
Godfrey must have utilized his visit to Paris to make sure the
publication of the impressive series of his quodlibeta, the heart of his
vital contribution to theology and philosophy. Godfrey had been absent
from the University after 1298-1299. He had returned to Paris to
resume his functions some time before Lent 1305, for he was in town at
the occasion of the inception of Giles of Loigny. However, he had
already been back in town in February 1304.
We observe a striking coincidence of Duns’ last period of lecturing
on the Sententiae and his responding in a disputatio in aula: the last
distinction of his last sentential course is Reportatio Parisiensis III 17.
Reportata Parisiensia III 18 quaestio 2 is the disputatio of Giles’s

33 J. F. WIPPEL, The Metaphysical Thought o f Godfrey o f Fontaines. A Study in


Late Thirteenth-Century Philosophy, Washington D.C., The Catholic University of
America Press, 1981, p. XXVII. See also P. GLORIEUX, «Notations brèves sur
Godefroid de Fontaines », Recherches de théologie ancienne et médiévale 11 (1939),
pp. 171-173.
34 See J. F. WIPPEL, « Godfrey of Fontaines : the Date of Quodlibet XV »,
Franciscan Studies 31 (1971), pp. 300-369.
35 See H. DENIFLE - A. CHÂTELAIN, Chartularium Universitatis Parisiensis II,
Paris, 1891, n. 617.
36 See DENIFLE - CHÂTELAIN, Chartularium Universitatis Parisiensis II, n. 642.
DUNS SCOTUS AT PARIS 17

inceptio Duns took part in. This is accompanied by a striking


participation on the part of Godfrey of Fontaines, for Godfrey fairly
supported the acceleration of the career of Duns Scotus, having taken
Godfrey of Fontaines very seriously for many years. It is clear that
Godfrey represented the Chancellor at the occasion of the inception of
Giles of Loigny. At the same occasion, Duns Scotus became bacca-
laureus formatus, although he had not yet satisfied all obtaining requi­
rements. So, Duns Scotus could only take this accelerating course with
the consent of Godfrey of Fontaines. We know that accelerating the
academic course of events was part and parcel of the policy of the
Franciscan Minister General: Gonsalvo of Spain. Godfrey supported
his opponents, to the benefit of Duns Scotus’ future.

THE DATE OF GODFREY’S QUODLIBET X V

We are aware of several kinds of activities of Godfrey of Fontaines


during the years 1304 and 1305. These activities and Godfrey’s
involvement in fostering Duns Scotus’ Parisian career also shed new
light on the issue of the date of his Quodlibet XV. The hypothesis
which refers Quodlibet XV to the academic year 1303-1304 cannot be
right, for Godfrey cannot have returned to lecture or to dispute, because
the university had been closed and there were neither lectures, nor
disputations. It seems to be reasonable to suggest that just the turmoil
of 1303-1304 occasioned Godfrey to return in the winter of 1304. His
Quodlibet XV may be referred to Christmas 1304, or to Lent 1305.37

VTIL D u n s S c o t u s ’ Q u o d l ib e t

In 1306 Duns Scotus must also have crossed swords with the
Dominican master Godin on individuation against the thesis that matter

37 At any rate, Quodlibet XV does not discuss ideas of Duns Scotus.


18 ANTONIE VOS

is the principle of individuation.38 He also produced a monumental


series of Quaestiones Quodlibetales - Advent 1306. Lent 1306 is
incompatible with a simultaneous inception and Lent 1307 seems too
late taken into consideration the vast amount of redrafting Duns had
already invested in his Quaestiones Quodlibetales when he died. I opt
for the second or third week of Advent 1306. The Cistercian master
James of Thérines (tl321) also conducted his first quodlibetal
disputation in the second or third week of this same Advent.39 There is
a considerable overlap of themes in these two quodlibeta. The
Quodlibet of James of Thérines is one of the earliest testimonies of
Duns’ influence spreading over the theological faculty of Paris. Duns
Scotus’ quodlibet itself testifies of the fact how Duns himself was
becoming a current of the day. The fact that the audience danced
attendance on him, shows that the guiding interest was Duns’ personal
approach. The scholars present had carefully prepared themselves in
order to use the opportunity to the full and asked for what was new to
them, not to Duns Scotus. Scotus was new to them and they were very
much interested. Duns Scotus’ Quodlibet constitutes a unique source of
systematic information. One is struck by the fact that we here meet just
the bottlenecks of the Lectura and the Ordinatio. In particular, I point
at the Trinitarian issues in Quodlibet 1-6 and matters of divine
omnipotence in the quaestiones 7-11. From quaestio 12, theology of
creation and anthropology are dealt with.40 The Quaestiones
Quodlibetales are the first « Scotist » monument. Duns received much
admiration and support, but there had already been the exile of the year
1303-1304 and he had to leave helter-skelter Paris again in 1307.41

38 See T. B. NOONE, « Scotus’s Critique of the Thomistic theory of Individuation


and the Dating of the Quaestiones super libros Metaphysicorum VII q. 13 », in Via
Scoti, op. citi, vol. I, pp. 391-406. See also DPMI § 10.2 and § 11.2.
39 See P. GLORIEUX (ed.), Jacques de Thérines. Quodlibets I et II. Jean le Sage.
Quodlibet l, Paris, Vrin, 1958 (Textes philosophiques du Moyen Age, 7), p. 11.
40 See WOLTER, « Scotus’ Quodlibet », in John Duns Scotus. God and Creatures.
The Quodlibetal Questions, ed. and trans. F. Alluntis - A. B. Wolter, Princeton,
Princeton University Press, 1975, p. XXVII-XXXI.
41 By then, the Knight Templars had to be afraid of dangerous processes. See A.
B. WOLTER, « John Dims Scotus », in The New Encyclopaedia Britannica : Macro-
paedia V, Chicago/London, 1976, p. 1084, and A. G. LITTLE, « Chronological Notes
on the Life of Dims Scotus », English Historical Review 47 (1932), pp. 577-582.
DUNS SCOTUS AT PARIS 19

Paris was still fiali of unrest. Theological creativity could easily be


interpreted as heresy. He suddenly died the next year, 42 years of age,
having published not one single work: his œuvre is a series of Unvol­
lendeten.

IX . F in a l c o n s id e r a t io n s

His students and friends were desperate, but, nevertheless, they


managed to salvage his heritage, both on the Continent and in Oxford.
His influence was growing steadily over the centuries to come,
reaching its zenith in the seventeenth century in most of Europe’s
universities, in particular in the Reformed universities, and in Harvard
and Yale. It is an old adage that the sixteenth and seventeenth centuries
were the golden age of Scotism (aetas aurea scotismi) 42
However, the impact of Duns Scotus’ innovations collapsed at the
end of the eighteenth century, when scholasticism collapsed altogether.
The nineteenth century, the century of history - das Jahrhundert der
Geschichte - was « l’âge de l’oubli de Duns Scot ». The twentieth
century slowly rediscovered him. It is up to the twenty-first century to
realize that his philosophy and the Western main tradition living behind
it are just the alternative philosophy Western thought needs now. We
have to remind ourselves just this promise living up to 2008.

Utrecht University
Dordrecht (Netherlands)

42 See G. SONDAG, « Jean Duns Scot et la métaphysique classique », Revue des


Sciences Philosophiques et Théologiques 83 (1999), p. 4.
E l s a M a r m u r s z t e j n e t S y l v a in P ir ó n

DUNS SCOT ET LA POLITIQUE


POUVOIR DU PRINCE ET CONVERSION DES JUIFS

D’un point de vue d’historiens, ce n ’est pas tant l’entrée en


fonction de Jean Duns Scot comme bachelier sententiaire à la faculté de
théologie parisienne, à l’automne 1302, qui constitue un événement
marquant ; ce sont plutôt les circonstances dans lesquelles le futur
maître a dû quitter Paris avant même la fin de l’année universitaire.
L’exil auquel Duns Scot fut contraint, entre l’été 1303 et le printemps
1304, est la conséquence de son refus de souscrire à l’offensive lancée
par le roi de France dans son conflit avec le pape. Comme on le verra,
il s’agit là d’un choix proprement politique que l’œuvre savante du
théologien franciscain ne suffit pas à éclairer. Sur un autre terrain, nous
disposons en revanche d’un texte qui peut se lire comme une réflexion
portant sur un événement politique majeur dont il fut également le
témoin, l’expulsion des juifs d’Angleterre décidée par Edouard Ier en
juin 1290. C’est en fonction de ces deux points d’appui que l’on
aimerait inciter à repenser la fonction et la place du politique dans la
pensée de Scot. Celle-ci est généralement abordée à partir de son
principal texte relevant expressément de la philosophie politique que
forment les considérations sur l’origine de la propriété privée et du
gouvernement civil, présentées en préalable à la question sur la
restitution des biens mal acquis (TV Sent., dist. 151). En l’approchant

1 Voir en dernier lieu, JOHN DUNS SCOTUS, Political and Economie Philosophy,
ed. and transi, with an introduction by A. B. Wolter, St. Bonaventure (N.Y.),
Franciscan Institute, 2000 et l’analyse de R. LAMBERTINI, « Aspetti etico-politici del
pensiero di Duns Scoto », in Etica e persona. Giovanni Duns Scoto e suggestioni nel
moderno, Bologne, Edizione Francescane, 1994, pp. 35-86, repris in ID., La povertà
pensata. Evoluzione storica della definizione dell’identità minoritica da Bonaventura
ad Ockham, Modène, Mucchi Editore, 2000, pp. 111-139. Nous considérons par
22 ELSA MARMURSZTEJN - SYLVAIN PIRON

sous un autre angle, pour l’inscrire dans la situation politique de son


temps, nous voudrions suggérer que l’essentiel de la pensée politique
de Duns Scot est peut-être à chercher ailleurs que dans cette déduction
des origines du pouvoir. Les années durant lesquelles s’est déroulée son
activité intellectuelle ont vu se modifier radicalement l’équilibre des
pouvoirs spirituels et politiques et leur emprise sur les sociétés
occidentales. L’expulsion des juifs d’Angleterre, en 1290, et celle des
juifs de France, en 1306, peuvent être considérées comme des indices
notables de la cristallisation politico-religieuse que connaissent alors
les deux principales monarchies d’Occident. Le bref texte dans lequel
Scot s’exprime à ce sujet, à la première personne et de façon très
singulière, offre un ancrage de première importance pour procéder, de
façon plus large encore, à ime mise en situation politique de sa pensée.
Au mois de juin 1303, au paroxysme de l’affrontement entre le roi
de France et le pape, les universitaires parisiens furent à leur tour
impliqués dans ce conflit. Dans l’escalade des répliques de Philippe le
Bel aux affirmations de la primauté papale avancées par Boniface Vili,
notamment dans la célèbre bulle Unam sanctam, l’assemblée tenue au
Louvre le 13 juin marque une nouvelle étape. Lors d’une précédente
réunion, au mois de mars, Guillaume de Nogaret avait qualifié le pape
d’« hérétique manifeste » et d’« horrible simoniaque, tel qu’il n’y en a
pas eu depuis le commencement du monde » ; cette fois-ci, Guillaume
de Plaisians dressait en vingt-neuf articles la liste infamante des
hérésies professées par Boniface et des énormités qu’il avait commises,
qui justifiaient sa déposition et son jugement par un concile général2.
Le roi et ses conseillers entendaient de surcroît obtenir l’appui de
l’ensemble des corps constituant le royaume. Les religieux résidant à
Paris ou ailleurs dans le royaume furent ainsi mis en demeure
d’apporter leur soutien à cette démarche, sous la menace de devoir
quitter la France dans les trois jours. William Courtenay qui est
récemment revenu sur cet épisode pour en tirer une image détaillée de
la composition des couvents de religieux parisiens à cette date a sou-

ailleurs qu’il n’existe aucun motif valable de tenir le traité De perfectione statuum
pour une œuvre authentique de Duns Scot.
2 La plus récente édition de l’acte d’accusation figure in Boniface V ili en procès.
Articles d ’accusation et déposition des témoins (1303-1311), éd. critique, introduction
et notes par J. Coste, Rome, L’Erma di Bretschneider, 1995, pp. 140-173.
DUNS SCOT ET LA POLITIQUE 23

ligné l’existence de deux types de documents3. Lors d’une première


visite des agents du roi venus lire le texte de l’appel dans les couvents,
un notaire dressa les listes des frères qui avaient alors, l’un après
l’autre, déclaré leur assentiment ou exprimé leur opposition à l’appel.
Après coup furent mises en forme des lettres de soutien dans lesquelles
ne figuraient que les noms des frères favorables à la démarche du roi,
laissant ainsi croire à une unanimité factice. Au sein du couvent
franciscain, 68 frères acceptèrent de souscrire à l’appel tandis que 87
refusèrent. Parmi ces derniers figure le nom de Johannes Scotus
accompagné de son socius Thomas.
La ligne de partage entre refus et adhésion recoupe pour l’essentiel
la fidélité au roi de France. Dans leur très grande majorité, avec quel­
ques exceptions notables comme celle du maître franciscain Jacques du
Quesnoy4, les sujets de Philippe le Bel se rangèrent derrière leur
souverain. En sens inverse, l’unanimité du refus est presque aussi forte
parmi les Italiens et les ressortissants de l’Empire avec, là encore, quel­
ques exceptions ou revirements entre les deux stades de la procédure.
La situation est aussi complexe pour les autres nations. Ainsi, deux des
trois franciscains irlandais qui avaient dans un premier temps refusé de
souscrire à l’appel apparaissent sur la liste finale des soutiens au roi.
Les alliances avec la France pèsent également, ce qui permet de com­
prendre la présence dans le même camp de quatre dominicains
écossais. Comme le note W. Courtenay pour expliquer sa position
contraire, John Duns est un « lowlander » qui a, de plus, été éduqué en
Angleterre. Et pourtant, même parmi les Anglais, le choix n’est pas
unanime. On découvre ainsi que l’un des plus proches disciples de
Scot, Guillaume d’Alnwick, donne son assentiment au roi dès la
première étape, pour être rejoint dans la liste finale des soutiens

3 W. J. COURTENAY, « Between Pope and King : The Parisian Letters of


Adhesion of 1303 », Speculum 71 (1996), pp. 577-605 ; ID., « The Parisian Francis­
can Community in 1303 », in Franciscan Studies, 53 (1993), pp. 155-171 ; ID.,
« Scotus at Paris », in Via Scoti. Methodologica ad mentem Joannis Duns Scoti, ed. L.
Sileo, Rome, PAA-Ed. Antonianum, 1995, vol. 1, pp. 149-163.
4 II est présenté dans cette liste comme magister jacobus de quarcheto Viroman-
dia, ce qui permet d’exclure qu’il soit originaire de la ville du Quesnoy, place forte
des comtes de Hainaut. Plusieurs toponymes identiques existent en Vermandois, le
lieu le plus probable étant la commune actuelle de Parvillers-Le-Quesnoy (Somme).
24 ELSA MARMURSZTEJN - SYLVAIN PIRON

franciscains par un Johannes de Anglia. Ce désaccord entre Duns Scot


et son meilleur assistant permet également de faire remarquer que les
positions théoriques n’ont pas simplement dicté leur règle. Il s’est agi
d’un véritable choix personnel dans lequel ont pu entrer des
considérations d’ordres divers dont l’une des moindres n’était sans
doute pas la perspective de l’exil promis aux dissentientes.
Duns Scot n ’a pas commenté sa décision. À aucun moment, dans
ses cours ou ses écrits, il n ’a livré de réflexion explicite sur les rapports
entre les deux pouvoirs - royal et pontifical - qui permettrait de resti­
tuer l’arrière-plan de sa décision. Ephrem Longpré qui, le premier, a
retrouvé le document attestant cette prise de position a intitulé l’article
qu’il a consacré à cet épisode : « Pour le Saint-Siège, contre le gallica­
nisme»5. L’emploi d’un terme évidemment anachronique suffit à indi­
quer que cette interprétation ne fait qu’exprimer les propres convictions
de l’historien franciscain. Depuis lors, les diverses tentatives qui ont été
faites pour étayer cette interprétation n’ont pas donné de résultat pro­
bant. Le seul et bien faible indice qui ait pu être invoqué en ce sens
tient au fait que « Boniface » soit cité, en tant qu’ayant promulgué le
Liber Sextus, aussi bien dans 1’Ordinatio que dans les reportata parisi-
ensa6. En réalité, comme en convient R. Lambertini qui s’est posé la
même question7, aucun texte ne permet de déterminer de façon univo­
que les motivations du choix fait par Scot en 1303. Le refus de donner
son assentiment à l’appel au Concile peut tenir à une multiplicité de
facteurs entre lesquels rien ne permet de trancher. Le point sur lequel
nous pouvons en revanche insister est que cet acte ne signifie en rien
une opposition de principe à la montée en puissance des monarchies
territoriales, y compris en matière religieuse. De façon relativement
imprévisible, c’est dans une distinction sur le baptême que le francis-

5 E. LONGPRÉ, « Le B. Duns Scot : pour le Saint-Siège, contre le gallicanisme


(25-28 juin 1303) », La France franciscaine 11 (1928),pp. 137-162.
6 S. LORENZINI, « Probabili motivi del rifiuto di G. Dims Scot ad aderire all’ap­
pello al concilio contro Bonifacio Vili », in Da Dante a Cosimo I, ed. D. Maselli,
Pistoia, Tellini, 1976, pp. 21-26.
7 R. LAMBERTINI, « Il consenso della volontà : Filippo, Bonifacio e il pensiero
politico del dottor sottile », in Antropologia ed etica politica, ed. G. Lauriola, Bari,
Levante, 1995 (Centro Studi Personalisti «Giovanni Duns Scoto», 4), pp. 211-235,
repris in ID., La povertà pensata, op. cit.
DUNS SCOT ET LA POLITIQUE 25

cain s’exprime le plus clairement à ce propos, dans des termes que l’on
peut lire comme ceux d’une approbation de l’action d’Edouard Ier.

I. L a q u e s t io n d u b a p t ê m e f o r c é d e s e n f a n t s j u if s

Le document sur lequel nous voudrions nous attarder est une


question de Y Ordinatio sur le quatrième livre des Sentences : « Faut-il
baptiser les enfants des juifs et des infidèles contre le gré de leurs
parents ? »8. Afin de démontrer la licéité de tels baptêmes, Duns Scot
met en œuvre une argumentation exclusivement politique, invoquant le
pouvoir que les princes chrétiens étaient en droit d’exercer sur leurs
sujets non-chrétiens. L’enfance étant classiquement définie par les
théologiens comme un état d’incapacité à exercer son libre arbitre - et
donc à manifester sa volonté propre et à consentir au baptême- ,
l’enfant apparaît dans ce cas comme un enjeu de pouvoir. Il constitue
plus précisément l’objet d’un conflit de droits, entre le ius patrie potes­
tatis du parent juif et les droits du prince chrétien sur les juifs de son
royaume. La condition juridique des juifs, à partir du XIIe s., avait été
progressivement assimilée à celle des serfs, ce qui soumettait théori­
quement leurs enfants à la volonté des seigneurs dont ils dépendaient9.

8 Op. ox. IV, d. 4, q. 9 : « Utrum parvuli Iudeorum et infidelium sint invitis


parentibus baptizandi ». Une édition de cette question est proposée en annexe. Les
Reportata parisiensa ne contiennent pas les deux dernières brèves questions de la
distinction 4.
9 Cette assimilation est le fruit d’une mutation insensible qui se produit à partir du
X ne siècle. Quoique jamais formellement établie, elle se traduit dans les chartes
royales ou seigneuriales de France et d’Angleterre par la mention récurrente de ludei
nostri. Ce statut a notamment été officialisé à l’échelle d’une grande partie de la
France par une ordonnance de Louis VIII datée de 1223. Cf. G. DAHAN, Les
intellectuels chrétiens et les juifs au Moyen Age, Paris, Cerf, 1990 (Patrimoines), p.
67 ; ID., « Le pouvoir royal, l’Église et les juifs ou de la condition politique des juifs
dans l’Occident médiéval », in Politique et religion dans le judaïsme ancien et
médiéval. Interventions au colloque des 8 et 9 décembre organisé par le Centre
d’Etudes juives de l’Université Paris-IV Sorbonne, ed. D. Tollet, Paris, Desclée, 1989
(Relais - Etudes, 7), pp. 85-107.
26 ELSA MARMURSZTEJN - SYLVAIN PIRON

1. D e s d é c r é t i s t e s à T h o m a s D’A q u in

Comme l’a montré en détail Gilbert Dahan dans les pages qu’il a
consacrées à cette question10, les premières discussions autour du
baptême forcé des enfants juifs ont été formulées par les canonistes, à
l’occasion de commentaires de textes d’époque wisigothique insérés
dans le Décret de Gratien. Le canon 61 du concile de Tolède IV (633)
stipulait que les enfants juifs, pour n’être pas davantage entraînés dans
les erreurs de leurs parents, devaient leur être enlevés pour être confiés
à un monastère ou à une famille chrétienne, où ils seraient élevés dans
le culte chrétien11. Le précédent wisigoth, on le verra, a une certaine
importance dans l’argumentation de Duns Scot. Mais pour leur part, les
décrétistes, à l’instar d’Huguccio à la fin des années 1180 ou de Jean le
Teutonique vers 1216, avaient donné de ce canon une interprétation
défavorable aux baptêmes forcés. Deux arguments étayaient cette prise
de position. Le premier prenait la forme de l’adage selon lequel il ne
fallait faire d’injustice à personne (Nemini facienda est iniuria), en
l’occurrence, ne pas porter préjudice aux parents juifs en leur enlevant
leurs enfants pour empêcher qu’ils ne les élèvent dans l’erreur à
laquelle le baptême était censé les arracher. Cet adage de droit naturel
pouvait être de plus renforcé par une référence à la très importante
bulle Sicut iudeis, publiée à de nombreuses reprises du XIIe au XIVe
siècle, qui accordait aux juifs la protection pontificale, en réclamant
qu’ils ne subissent aucun préjudice12. Le second argument était lié au
souci de ne pas faire obstacle, par l’assimilation complète des juifs à la
société chrétienne, à l’accomplissement de la prophétie d’Isaïe, citée

10 G. DAHAN, Les intellectuels chrétiens, op. cit, pp. 143-152.


11 Decretum Gratiani, 28, 1, 11 (ed. Friedberg I, 1087) : « Iudeoram filios vel fi­
lias, ne parentum ultra involvantur erroribus, ab eorum consortio separari decernimus,
deputatos aut monasteriis aut Christianis mulieribus ac viris, Deum timentibus, ut sub
eorum conversatione cultum fidei discant, atque melius instituti tam in moribus quam
in fide proficiant ». Pour sa part, G. Dahan insiste surtout sur le canon 56 du même
concile, Grat. 45,5 (ed. Friedberg 1 ,161-162) sur lequel on reviendra plus loin.
12 Sur l’histoire de ce texte, cf. S. GRAYZEL, « The Papal Bull Sicut Judeis », in
Studies and Essays in Honor o f Abraham A. Neuman, eds. M. Ben-Horin - B. D.
Weinryb e.a., Leiden, E. J. Brill, 1962, pp. 243-280.
DUNS SCOT ET LA POLITIQUE 27

par saint Paul13, selon laquelle les « restes d’Israël » se convertiraient à


l’approche de la fin des temps14.
C’est dans la ligne de l’interprétation des décrétistes que se situait
Thomas d’Aquin qui traita la question à deux reprises, dans un Quod­
libetI5, puis dans la Somme de théologie16. Il faut noter que la question
a précisément été introduite dans le champ du débat théologique par le
maître dominicain. Sa détermination quodlibétique de 1269 coïncide
chronologiquement avec la décision prise par Louis IX de rendre
exécutoire la prescription du concile de Latran IV (1215) concernant le
port de la rouelle17. En dépit du poids de ce contexte, la solution de
Thomas d’Aquin vise à démontrer l’accord entre la coutume de l’Église
et la loi naturelle exprimée par l’adage juridique selon lequel nemini
facienda est iniuria18. Dans la mesure où, en termes aristotéliciens,
l’enfant était « naturellement quelque chose de son parent », il était
naturel qu’il restât, jusqu’à l’âge de raison, « au soin de ses parents

13 Ro. 9, 27 : « Et pour ce qui est d’Israël, Isaïe s’écrie : Quand le nombre des en­
fants d ’Israël serait égal à celui du sable de la mer, il n ’y en aura qu ’unpetit reste de
sauvés ».
14 HUGUCCIO, Summa super Decretorum, Biblioteca Apostolica Vaticana, Borgh.
272, f. 161ra (cité par R. A. GAUTHIER in THOMAS DE AQUINO, Quodlibeta, Leon.
XXV-2, 222) : « Quidam intelligunt hoc capitulum in eo casu cum ambo parentes
sunt iudei et habent filios parvulos, qui auferendi sunt ab ei, ut dicunt, et debent
baptizari. Set adulti non debent eis auferri, quia nullus cogendus est ad fidem, cum
nullus possit salvari invitus. Set dico quod nec filii parvuli sunt eis auferendi, quia
nulli est facienda iniuria. Ergo nec parentibus talium. Preterea, usque ad modicum
tempus nulli essent iudei si hoc fieret ; qualiter ergo reliquie Israel salve fierent in
ultimis temporibus ? Dico ergo quod hoc capitulum loquitur de filiis iudeorum
baptizatis sive parvulis sive adultis, et presertim de illis qui circumcisi sunt a parenti­
bus ex quo facti erant Christiani ». Pour le second argument, voir également JOHAN­
NES TEUTONICUS, Glossa ordinaria in Decretum, Rome, 1582, col. 2035.
15 THOMAS DE AQUINO, Quodlibet II, 7 : « Circa fidei sacramentum, utrum
parvuli Iudeorum sint baptizandi invitis parentibus » (Leon. XXV-2,221-224).
16 ID., ST Ila-IIae, q. 10, a. 12, où Thomas d’Aquin reprend littéralement le
contenu de sa détermination quodlibétique de 1269 (II, 7) ; ST, Ilia, q. 68, a. 10.
17 Ordonnance de 1269 traduite par G. NAHON, « Les ordonnances de Saint Louis
et les juifs », Les Nouveaux Cahiers 23 (1970), p. 29.
18 THOMAS DE AQUINO, Quodlibet II, 7 (Leon. XXV-2, 223).
28 ELSA MARMURSZTEJN - SYLVAIN PIRON

comme dans un sein spirituel >>19. Cette norme fondée sur la justice
naturelle n’admettait, en tant que telle, aucune dérogation. Thomas
d’Aquin ajoutait qu’en soustrayant un enfant aux soins de son père, on
agissait autant contre la justice dans Tordre du droit naturel qu’en
dérobant à leur propriétaire légitime un bœuf ou un cheval - aussi
dépourvus de raison qu’un enfant - dans Tordre du droit civil20.
C’est également l’opinion soutenue par le franciscain Richard de
Mediavilla (de Menevyl, comme Ta récemment signalé le Père
Bataillon21), qui fut régent en théologie à Paris au milieu des années
128022. La solution qu’il propose s’inspire très manifestement des
textes de Thomas d’Aquin sur la même question. Les arguments pro et
contra exposés par les deux auteurs présentent en effet une large
similitude. L’axiome selon lequel « il ne faut faire d’injustice à
personne » est opposé, comme chez Thomas, au principe d’assistance
aux personnes en « danger de mort spirituelle »23. La responsio propre-

19 « Filius enim naturaliter est aliquid patris, et primo quidem a parente non
distinguitur secundum coipus, quandiu in matris utero continetur ; postmoderni vero,
postquam ex utero egreditur, ante quam usum liberi arbitrii habeat, continetur sub
parentum cura sicut sub quodam spirituali utero » {ibidi).
20 « Quandiu enim usum rationis non habet puer, non differt, quantum ad ea que
agit, ab animali irrationali ; unde, sicut bos vel equs hire gentium vel civili est
possessoris ut utatur eo cum voluerit sicut proprio instrumento, ita de hire naturali est
quod filius, ante quam habeat usum rationis, sit sub cura patris » {ibidi).
21 L.-J. BATAILLON, « Les nouvelles éditions critiques d’Henri de Gand et de
Gilles de Rome », Revue des Sciences Philosophiques et Théologiques 78 (1994), p.
425, n. 2.
22 RICARDUS DE MEDIAVILLA, In IV Sent., d. 6, a. 3, q. 3, Brescia, apud
Vincentium Sabbium, 1591 (repr. Francfort/M., Minerva, 1963), pp. 78-79 : «Utrum
parvuli Iudaeorum et Paganorum sint invitis parentibus baptizandi ».
23 « Magis subveniendum est homini contra periculum spiritualis mortis quam
contra periculum mortis corporalis ; sed si aliquis non subveniret homini si posset
contra periculum mortis corporalis, peccaret ; cum ergo parvuli Iudaeorum et
Paganorum sint in periculo mortis spiritualis, nisi invitis parentibus baptizentur,
videtur quod sint invitis parentibus baptizandi, ut sic eis subveniatur contra periculum
mortis spiritualis [...] Contra : Nemini facienda est infuria ; sed Iudaeis et Paganis
fieret iniuria si parvuli eorum baptizarentur, quia quamdiu carent usu liberi arbitrii,
sunt quasi parentum possessio et de iure sub eorum cura ; ergo non sunt invitis
parentibus baptizandi » {ibidi).
DUNS SCOT ET LA POLITIQUE 29

ment dite, qui s’appuie elle aussi sur la « coutume de l’Église », arti­
cule les deux arguments développés par Thomas, à savoir le periculum
fidei et la iusticia naturalis : les enfants juifs baptisés de force et rendus
à leurs parents seraient élevés, au péril de la foi, dans l’erreur et dans le
mépris du sacrement reçu dans l’enfance ; en outre, un tel baptême
bafouerait le droit que les parents exercent sur leurs enfants tant que
ceux-ci sont incapables de faire usage de leur libre arbitre.
Toutefois, au cours de son raisonnement, Richard de Mediavilla
introduit certaines idées et formulations spécifiques qui seront reprises
par Duns Scot, mais dans une perspective rigoureusement opposée. Il
en va ainsi de l’argument, mentionné mais non retenu par Richard,
selon lequel les enfants seraient davantage soumis au pouvoir de Dieu
qu’à celui de leurs parents :
L’enfant relève davantage du pouvoir de Dieu que de celui de ses parents
charnels ; il est donc juste qu’il soit soustrait à ses parents charnels pour
être consacré, par le baptême, à son seigneur supérieur24.

Cette idée figurait déjà dans la liste d’arguments contradictoires


élaborée par Thomas d’Aquin, mais elle y était exprimée dans des
termes qui se référaient à une hiérarchie des ordres de la chair et de
l’esprit25. Pour sa part, Richard de Mediavilla emploie un vocabulaire
différent, en parlant d’une hiérarchie de pouvoirs. Il ouvre ainsi la voie
au développement d’un argumentaire spécifiquement politique que
Duns Scot empruntera largement. Mais chez Richard, l’hypothèse d’un
conflit de pouvoir, dont les instances se résument à deux termes, se
trouve ainsi résolue :
Bien que les enfants relèvent davantage du pouvoir de Dieu que de celui
de leurs parents charnels, Dieu veut toutefois que les parents conservent,
intact, le droit qu’ils possèdent sur le corps de leurs enfants ; dans la
mesure où ils conservent ce droit intact, baptiser [leurs enfants] contre leur

24 « Parvulus est magis sub dominio Dei quam parentum carnalibus. Ergo, iustum
est ut subtrahatur a carnalibus, ut superiori domino per baptismum consecretur»
(ibid.).
25 THOMAS DE AQUINO, Quodl. II, 7 (Leon. XXV-2, 222) : « Quilibet homo
magis est Dei, a quo habet animam, quam patris carnalis, a quo habet corpus. Non
ergo est iniustum si pueri Iudaeorum carnalibus parentibus auferantur et Deo per bap­
tismum consecrentur ».
30 ELSA MARMURSZTEJN - SYLVAIN PIRON

volonté conduirait davantage, dans la plupart des cas, à déshonorer qu’à


honorer le sacrement de la foi26.

Ces pages apportent une autre inflexion importante à la


démonstration de Thomas d’Aquin. Tandis que ce dernier n’envisageait
à aucun moment l’éventualité que les enfants baptisés contre la volonté
de leurs parents leur fussent enlevés, Richard construit toute sa
responsio sur la distinction entre le cas où les enfants seraient rendus à
leurs parents (qui les élèveraient dans l’erreur) et le cas où ils leurs
seraient enlevés (au mépris de leur droit). Or les deux branches de la
distinction ne s’opposent pas ; elles se confortent mutuellement. Si la
sauvegarde du droit des parents est conforme à la volonté de Dieu, le
baptême forcé n ’est rien d’autre qu’une occasion de déshonorer le
sacrement. Le souci de concilier T« honneur du sacrement de la foi » et
le respect du droit des parents débouche ainsi sur le refus des baptêmes
forcés d’enfants. En intégrant la réfutation d’une objection théorique à
l’encontre de l’argument du periculum fidei (car pour faire disparaître
ce danger, ne suffisait-il pas que les enfants juifs baptisés fussent
enlevés à leurs parents ?), Richard conforte et enrichit la solution
Thomas. Mais les distinctions qu’il introduit se retrouveront, étoffées et
assorties de conclusions contraires, chez Duns Scot qui avait
vraisemblablement le texte de Richard sous les yeux lorsqu’il rédigea
son propre texte27.
Duns Scot n’est toutefois pas le premier théologien à avoir adopté
une position résolument favorable aux baptêmes forcés : à la fin du XIIe
siècle, Pierre le Chantre, dans la troisième partie de sa Somme sur les

26 RICARDUS DE MEDIAVILLA, In IV Sent., d. 6, a. 3, q. 3, loc. cit. : « Quamvis


parvuli magis sint sub dominio Dei quam parentum carnalium, vult tamen Deus quod
parentibus maneat ius salvum quod habent in corporibus parvulorum suorum, quo iure
eis manente salvo, baptizare eos ipsis invitis magis esset, ut in pluribus, ad
dehonorationem sacramenti fidei quam honorem ».
27 II semble ainsi que l’accent placé par Duns Scot sur la « cautela bona » que le
prince devait observer en enlevant les enfants juifs baptisés à leurs parents soit une
forme de réponse à l’argument que Richard invoque en ces termes, contre la sépara­
tion des parents et des enfants : « S’ils n’étaient pas rendus à leurs parents, on s’expo­
serait au danger que les parents les tuent en secret pour éviter qu’ils ne deviennent
chrétiens ».
DUNS SCOT ET LA POLITIQUE 31

sacrements28, se disait déjà « très bouleversé et très étonné » de ce que


l’Église ne baptise pas les enfants juifs et de ce que la volonté de leurs
parents prévale en pareil cas, alors que le Christ avait souffert pour tous
et voulu imprimer à tous le caractère du baptême, condition sine qua
non du salut29. Duns Scot est néanmoins le premier à avoir soutenu la
licéité et la nécessité de ces baptêmes sur la base d’un argument
politique distinct de celui de la servitude des juifs. Ce dernier argument
avait déjà été utilisé à plusieurs reprises pour justifier que les enfants
juifs baptisés fussent séparés de leurs parents. On le rencontre
notamment dans le commentaire du dominicain Guillaume de Rennes
sur la Somme de pénitence de Raymond de Peñafort, composé dans les
années 1240, dans un passage repris presque à la lettre au milieu du
siècle dans le Speculum doctrinale de Vincent de Beauvais30, puis dans
le commentaire sur les Sentences élaboré vers 1307-1308 par Durand
de Saint-Pourçain31. Contre la thèse thomiste selon laquelle la servitude
civile des juifs vis-à-vis des princes ne primait pas l’ordre du droit
naturel ou divin32, Guillaume de Rennes exposait que :
les princes, dont les juifs sont serfs, peuvent leur enlever leurs enfants sans
leur porter préjudice puisqu’ils n’ont, en tant que serfs, aucun pouvoir

28 PETRUS CANTOR, Summa de sacramentis et animae consiliis, pars III, 2b,


Liber casuum conscientiae, chap. 21, § 259, ed. J.-A. Dugauquier, Louvain-Lille,
Giard, 1967 (Analecta Mediaevalia Namurcensia, 21), spécialement p. 728. Le cas
considéré par Pierre le Chantre est celui d’une femme juive qui, ayant jeté son dévolu
sur un jeune chrétien et lui ayant promis devant témoin de se convertir, se trouvait
enceinte et était détournée, par la malignité des juifs, de son projet de conversion ;
qu’advenait-il de l’enfant en pareil cas ? Lequel de ses parents devait-il suivre ?
29 PETRUS CANTOR, loe. cit : « Ego moveor et multum miror, cum Christus sit
passus pro omnibus et omnibus voluerit imprimi caracterem baptismi, sine quo non
est salus, maxime parvuli decedenti, quod ecclesia non baptizat parvulos iudeorum,
cum teneatur providere proximorum saluti, maxime in hiis que sunt ad vitam etemam,
et quare in hoc prevalet parentum prava voluntas ? »
30 VINCENTIUS BELLOVACENSIS, Speculum doctrinale, lib. 9, c. 42, Douai,
Bellóre, 1624, t. II, c. 797.
31 DURANDUS A SANCTO PORCIANO, In IV Sent., d. 4, q. 6, Lyon, Gaspard de
Portonaris, 1556, f. 260ra.
32 THOMAS DE AQUINO, Quodl. II, 7 (Leon. XXV-2, 224) : « Ad tercium
dicendum quod Iudei sunt servi principimi servitute civili, que non excludit ordinem
iuris naturalis vel divini ».
32 ELSA MARMURSZTEJN - SYLVAIN PIRON

et que :
de même que les mêmes princes peuvent donner ou vendre les enfants [des
juifs] en tant qu’esclaves contre la volonté de leurs parents, ils peuvent les
offrir au baptême ; et cela serait méritoire, à condition toutefois qu’ils ne le
fassent pas pour contraindre les parents à [embrasser] la foi, mais pour
sauver leurs enfants par le sacrement de la foi qui est reçu pour autant qu’il
ne se heurte pas à l’obstacle d’une volonté contraire33.

Si la position adoptée par Durand de Saint-Pourçain présente


substantiellement le même contenu que celle de Guillaume de Rennes,
le théologien enrichit toutefois l’argumentaire d’une distinction entre
infidèles libres et non-libres : s’il n ’était pas licite d’enlever et de faire
baptiser de force les enfants des infidèles libres (par exemple les
marchands infidèles de passage), car ce serait dérober le bien d’autrui
et « offrir à Dieu le fruit d’une rapine », il était permis, en revanche, de
faire baptiser les enfants des juifs soumis aux princes en tant que serfs,
à condition de les leur enlever préalablement34. La solution, radicale, se
fonde sur la primauté de l’argument juridique de la servitude des juifs,
mais s’en tient au seul cas des enfants.

2. D u n s S c o t e t l a c o n v e r s i o n f o r c é e d e s J u if s

Pour Duns Scot, l’objection thomiste selon laquelle on ne pouvait


commettre l’injustice d’enlever un enfant à ses parents valait sans doute
pour une personne privée {de quacumque persona privata), mais pas
pour le prince dont les infidèles étaient les sujets. L’unique argument
avancé est celui de la hiérarchie des puissances qui réclame qu’un
pouvoir supérieur s’impose, y compris en contrecarrant la volonté d’un
pouvoir inférieur à l’égard de ses propres sujets. Un passage de saint
Augustin, développant la formule célèbre de l’Epître aux Romains 13
(« qui résiste au pouvoir, résiste à l’ordre de Dieu »), permet d’exem­
plifier cette imbrication des différents degrés de pouvoir35. Le postulat
qui permet son application dans ce cas consiste à présenter le droit (ius

33 GUILLELMUS DE RENNES, in Summa Raymundi de Pennafort o. p. cum


glossis, Avignon, Mallard, Delorme & Chastanier, 1715, p. 45.
34 DURANDUS A SANCTO PORCIANO, In IVSent., d. 4, q. 6, loe. cit.
35 AUGUSTINUS, Sermo VII, 13 (PL 38, c. 420-421).
DUNS SCOT ET LA POLITIQUE 33

dominii) dont dispose Dieu sur l’enfant dans un rapport de supériorité à


celui que ses parents ont sur lui. À ce titre, puisque le prince doit par
priorité servir Dieu, son seigneur suprême, il a non seulement la
licence, mais le devoir (non solum licet, sed et debet) de soustraire leurs
enfants à des parents qui voudraient les élever contre le culte de Dieu,
précisément afin de les faire élever dans ce culte. Seul cet argument de
la hiérarchie et de l’imbrication des puissances permet à Duns Scot de
contourner l’objection thomiste selon laquelle la servitude civile des
juifs vis-à-vis des princes n ’était pas exclusive de l’ordre du droit divin
ou naturel36. L ’unique réserve apportée à ce devoir religieux du prince
est que de tels enlèvements d’enfants soient menés avec prudence,
c’est-à-dire en secret, afin que les parents, prévenus du projet, ne soient
tentés, par désespoir, de mettre fin aux jours de leur progéniture, par
une clause qui ne fait que répondre à l’objection soulevée par Richard
de Mediavilla.
Mais Duns Scot ne s’en tient pas là. Il poursuit par une recomman­
dation qui va ouvertement à l’encontre de l’interdiction canonique des
baptêmes forcés d’adultes37. De plus, cette mise en cause - et cela
mérite d’être souligné - se présente sous la forme d’une prise de
position personnelle :
Qui plus est, je crois que Ton agirait de façon pieuse et religieuse, si Ton
contraignait les parents eux-mêmes, par la menace et Teffroi (minis et ter­
roribus), à recevoir le baptême et à le conserver une fois reçu parce que,
même s’ils n’étaient pas véritablement fidèles en leur for intérieur, il serait
cependant moins mauvais qu’ils ne puissent plus observer impunément
leur loi illicite, plutôt qu’ils puissent l’observer librement. Et leurs fils,
s’ils étaient bien éduqués, deviendraient de vrais fidèles en trois ou quatre
générations.
À l’argument de la prophétie d’Isaïe, Duns Scot répond en deux
temps. Il y oppose tout d’abord une autre prophétie, fondée sur Jean, 5,
43 (« Qu’un autre vienne en son propre nom, celui-là vous le
recevrez !»), qui permet d’annoncer que, dans une perspective
apocalyptique, les juifs se convertiraient d’abord à l’Antéchrist. Ce

36 THOMAS DE AQUINO, Quodl. II, 7 (Leon. XXV-2, 224).


37 Decretum Gratiani, 45, 5 (ed. Friedberg I, 161-162) et Liber Extra, 5, 6, 9 (ed.
Friedberg II, 774).
34 ELSA MARMURSZTEJN - SYLVAIN PIRON

n ’est qu’une fois celui-ci détruit qu’interviendrait leur conversion finale


qui ne concernerait donc qu’un tout petit nombre. La conclusion qui en
est tirée se fonde sur d’étonnantes considérations démographiques38.
Puisque cette conversion ne représentera qu’un « fruit modique pour
l’Église » et si tardif qu’il ne s’accroîtra d’aucune descendance :
il ne serait pas nécessaire de supporter que tant de juifs, dans tant de
contrées du monde, pendant si longtemps, persistent à observer leur loi. Il
suffirait que l’on permette à un petit nombre d’entre eux, mis à l’écart dans
une île (aliquos paucos in aliqua insula sequestratos) d’observer leur loi,
pour que la prophétie d’Isaïe puisse s’accomplir.

Le seul argument d’autorité allégué par Duns Scot pour justifier la


conversion forcée des adultes, dans le dernier paragraphe de la
question, nous reconduit aux temps wisigothiques. L’exemple du roi
Sisebut, qualifié de « prince très religieux » par le concile de Tolède
pour avoir contraint des infidèles à recevoir le baptême, est l’unique
point d’ancrage canonique invoqué en faveur de ce programme de
conversion massive « par la menace et l’effroi ». Cette référence est de
plus employée en détournant expressément le sens d’un canon qui, dans
son ensemble, loin de faire la louange du roi, cherchait surtout à régler
le problème posé par son action intempestive : les juifs baptisés de
force devraient conserver la foi chrétienne, mais l’exemple de Sisebut
ne devait pas être imité39. Le recours de Duns Scot à cette unique auto­
rité canonique signale bien la singularité de sa position et l’originalité
d’un propos dont on ne trouve aucun équivalent avant lui. L’interpréta­
tion du canon wisigothique imposée par Innocent III dans la décrétale
Maiores (1201) confirmait certes que les infidèles baptisés de force au
temps de Sisebut dussent observer la foi chrétienne40 ; mais elle ne

38 Sur la « pensée démographique » médiévale, voir les perspectives nouvelles


ouvertes par P. BILLER, The Measure o f Multitude. Population in Medieval Thought,
Oxford, Oxford University Press, 2000.
39 Ce détournement est notamment repéré par CAIETANUS, Commentarius in
Summam Theologiae, Ila-IIae, q. 10, a. 8 (Leon. VIII, 89) : « Ad primum autem Scoti
dicitur quod sententia synodi duo continet, scilicet laudem principis et prohibitionem
facti. Et ex secundo patet quod non approbat factum. Ac per hoc insinuat quod
laudatur princeps de intentione : multa enim mala intentione bona fiunt ».
40 Extra 3, 42, 3 (ed. Friedberg II, 646) : « Is, qui terroribus atque suppliciis vio­
lenter attrahitur, et, ne detrimentum incurrat, baptismi suscipit sacramentum, talis
DUNS SCOT ET LA POLITIQUE 35

justifiait ni ne préconisait en aucun cas la pratique des baptêmes forcés


d’adultes (quoiqu’elle en garantît les effets). Duns Scot est ainsi le
premier et pratiquement le seul théologien médiéval qui ait prôné des
baptêmes forcés d’adultes que le droit canonique prohibait
explicitement. Singulier face à ces devanciers, Scot l’est aussi par
rapport à ses contemporains. Ainsi, comme on l’a vu, Durand de Saint-
Pourçain se prononce pour le baptême des enfants en fonction du seul
argument de la servitude des juifs, sans envisager le cas des adultes ni
celui de l’expulsion ou du cantonnement des juifs.
On pourrait être tenté de penser que les positions de l’un et de
l’autre se rejoignent toutefois, et qu’elles accompagnent simplement,
sur le plan théorique, la dégradation très nette de la condition des juifs
au XIVe siècle. Deux textes contemporains infirment cette hypothèse.
Dans son commentaire sur le quatrième livre des Sentences, le
dominicain Pierre de la Palud aborde, entre 1310 et 1315, la question
de savoir s’il faut baptiser ceux qui sont privés de l’usage de la raison41.
Confrontant les arguments de Thomas d’Aquin et ceux de Durand de
Saint-Pourçain, Pierre recentre la question sur la volonté de l’enfant et
conclut que la « volonté interprétative » des parents infidèles doit
l’emporter sur celle de l’Église, non parce que l’Église n ’aurait pas le
droit de baptiser leurs enfants (elle détient ce droit en vertu de la
plénitude de sa puissance), mais parce que ce genre de baptême
contrevient à la volonté de Dieu42. Les enfants des infidèles ne

quidem, sicut et is, qui ficte ad baptismum accedit, characterem suscipit Christiani­
tatis impressum, et ipse, tanquam conditionaliter volens, licet absolute non velit,
cogendus est tamen ad observantiam fidei Christianae. In quo casu debet intelligi
decretum illud concilii Toletani, ubi dicitur, quod, qui iam pridem ad Christianitatem
coacti sunt, sicut factum est temporibus religiosissimi principis Sisebuti, quia iam
constat eos sacramentis divinis associatos, et baptismi gratiam suscepisse, et chris­
mate unctos est, et corporis Domini exstitisse participes, oportet etiam, ut fidem,
quam necessitate susceperunt, tenere cogantur, ne nomen Domini blasphemetur, et
fides, quam susceperunt, vilis ac contemptibilis habeatur. Ille vero, qui nunquam con­
sentit, sed penitus contradicit, nec rem, nec characterem suscipit sacramenti, quia plus
est expresse contradicere quam minime consentire ».
41 PETRUS DE PALUDE, In IV Sent., d. 4, q. 4, a. 1, Paris, 1514, ff. 19 ra-20 vb.
42 « Unde cum habeat plenitudinem potestatis in omni terra, et in omni homine
eam habet, et sic nec parentes, nec ipsi se subiiciant, Deus tamen subiicit sibi omnem
hominem. Unde non hoc facit defectus iuris, sed prohibitio superioris, unde et de aliis
36 ELSA MARMURSZTEJN - SYLVAIN PIRON

pourraient être baptisés que dans le cas où tous les liens naturels
entretenus avec leur milieu d’origine seraient dénoués, par exemple si
leurs parents étaient morts, si aucun proche parent n ’avait pu les
recueillir et si ceux auxquels ils auraient été confiés voulaient les faire
baptiser43.
Dans un texte issu du commentaire du carme catalan Guido
Terreni sur le Décret de Gratien (1339), on trouve également une
position défavorable au baptême forcé d’enfants44. G. Dahan a observé
que ce commentaire marquait dans l’ensemble une plus vive hostilité
aux juifs que ceux des décrétistes des XIIe et XIIIe siècles. Cette
radicalisation sensible se traduit en particulier par la récurrence du
motif de la servitude des juifs, ainsi que par la position assez rigoureuse
adoptée par le carme catalan à propos des baptêmes forcés d’adultes :
seule la contrainte absolue (qui excluait la crainte de la mort, classée
parmi les contraintes relatives) invalidait le baptême. Guido Terreni
concluait toutefois qu’il ne fallait pas contraindre les juifs à recevoir le
baptême, même de cette manière. Compte tenu de la ligne générale du
commentaire, la position de son auteur quant aux baptêmes forcés
d’enfants prend un relief particulier. Fondée sur l’argument thomiste du

criminibus punit infideles, sed de isto non, quia Deus prohibet, cui coacta servitia non
placent. Et si ecclesia potest de his qui foris sunt iudicare, sicut potest arcere infideles
a communione fidelium propter peccatum in moribus, non propter peccatum in fide,
quod est in eorum ritu ». (éd. cit., f. 20 va).
43 « Et si quidem pater et mater iudei mortui essent, sicut aliquando pater moritur,
relicta uxore pregnante, que etiam moritur in partu vel moriuntur antequam puer
habeat usum rationis, tunc propinquiora de genere sunt tutores legitimi loco parentum.
Unde non deberet nec posset baptizari ipsis invitis, sicut nec parentibus invitis. Sed si
non apparent nec parentes, nec propinqui, loco parentum succedit quicumque vult. Et
ideo quicumque vellet, posset eum tunc baptismo offerre, quia naturalis ratio dictat, ut
cui parens deficit, alius parens sit, sicut una avis alios pullos nutrit quando mater
deficit ». (éd. cit., ff. 20 va-vb).
44 GUIDO TERRENI, Commentarius super Decreto Gratiani. De consecratione,
d. 4, c. 100, « Utrum parvuli Iudaeorum sint invitis parentibus baptizandi », ed. in
B. F. M. XIBERTA, Guiu Terrena carmelita de Perpinyà, Barcelone, Institució
Patxot, 1932 (Estudis universitaris catalans. Sèrie monogràfica, 2), pp. 315-318.
DUNS SCOT ET LA POLITIQUE 37

primat et de l’immutabilité du droit divin ou naturel45, la démonstration


de Guido Terreni constitue en outre ime réfutation de celle de Duns
Scot qu’il paraphrase sans le nommer. Guido Terreni juge en effet
« fausse et erronée » l’opinion selon laquelle, dans le respect de la
hiérarchie des puissances, le prince mettrait son pouvoir au service de
Dieu en enlevant leurs enfants aux parents infidèles pour les faire
baptiser et les faire élever dans le culte chrétien, et au-delà, en
contraignant les juifs à recevoir le baptême «par la menace et
l’effroi ». Cette opinion est, dit-il :
expressément contraire à ce que dit saint Augustin [...], à savoir qu’il ne
faut pas contraindre ceux qui n’ont jamais reçu la foi ni le sacrement de la
foi à les recevoir. Il faut les y amener en les y incitant par la prédication et
par l’exhortation, non par la contrainte.

S’il faut contraindre « ceux qui dévient de la voie de la foi reçue »


à rentrer dans le droit chemin, « le prince ne doit pas contraindre les
juifs qui n’ont jamais reçu la foi à recevoir le baptême »46. L’argument
invoqué par Duns Scot est donc nul, car :
Dieu n ’ordonne ni dans l’Ancien ni dans le Nouveau testament que les
enfants soient enlevés à leurs parents, bien au contraire ; il interdit en effet
d’enlever à quiconque ce qui lui appartient et de faire injustice à
quiconque [...]. Le prince ne doit chercher [à défendre] le droit et le
pouvoir de Dieu que pour autant que Dieu le veuille. Or il ne veut pas être
servi sous la contrainte47.

Guido Terreni réfutait dans les mêmes termes l’argument selon


lequel :
les fils et les descendants [des adultes convertis de force] deviendraient
fidèles au bout de trois ou quatre générations », car les baptêmes forcés
d’adultes contreviennent à la volonté divine et les « infidèles occultes,
chrétiens en pure apparence, pourront exercer plus facilement leur

45 « Unde iure divino et naturali filii sunt sub cura parentum, donec usum rationis
habeant sic quod possint nolle et velle. Ita quod servitus inducta iure positivo non tol­
lit ius divinum et naturale » (éd. cit., p. 316).
46 Ibid., p.317.
47 Ibid., p. 318.
38 ELSA MARMURSZTEJN - SYLVAIN PIRON

séduction, et surtout sur leurs enfants, qui habitent avec eux, jusqu’à la
troisième ou la quatrième génération48.
Guido Terreni formulait donc, en termes inspirés de Thomas, une
critique vigoureuse de l’opinion de Duns Scot, dont il analysait tous les
arguments et qu’il rejetait comme « irrationnelle, insensée et contraire à
toute la coutume de l’Église universelle >>49. Le débat semble, dès lors,
s’être cristallisé dans l’opposition de deux opinions rigoureusement
contradictoires : celle de Thomas d’Aquin et celle de Duns Scot.
Ce dernier apparaît en définitive comme le seul théologien de son
époque qui ait préconisé la disparition presque complète des juifs par la
conversion forcée. Seule la prophétie d’Isaïe, dont on a vu qu’il
cherche à minorer le poids, lui inspire cette solution, à l’époque unique
en son genre, de l’expulsion et du cantonnement des juifs « dans une
île » où ils continueraient d’observer leur loi. De ce point de vue, il
s’agit bien d’un texte hors norme. Pour autant, sa ligne argumentative
centrale n’entre pas en dissonance aiguë avec d’autres passages de
Scot. Une précédente question, dans la même distinction, montre que le
baptême d’un non-consentant qui ne proteste pas explicitement produit
valablement son effet. Le cœur du raisonnement soutient que la volonté
contrainte reste une volonté dans l’absolu (simpliciter)50. C’est ainsi
que le marchand qui jette ses marchandises par-dessus bord pour sauver
sa vie a bien voulu, dans l’absolu, jeter ses marchandises par-dessus
bord, même s’il aurait préféré avoir la vie sauve sans perdre sa
fortune51. La formule qui justifie que le dissentiens soit contraint
d’observer la religion chrétienne correspond presque littéralement à
celle qui est utilisée pour justifier les baptêmes forcés d’adultes :

48 Ibid.
49 Ibid.
50 Dans cette exacte mesure, Duns Scot se situe dans la droite ligne de la décrétale
Maiores citée plus haut, note 40.
51 DUNS SCOTUS, Op. ox. IV, d. 4, q. 4, Utrum non consentiens possit recipere
effectum baptismi (Wad. Vili, 237-238) : « Ille qui, ut fugiat aliquod incommodum,
vult aliquid, simpliciter vult illud : sicut proiiciens merces in mare, ut fugiat
submersionem, simpliciter vult proiicere merces. Nam potentiam suam motivam ad
proiiciendum, voluntas movet imperando et ipsa seipsam libere movet, qui cogi non
potest. Simpliciter ergo volens proiicit ; sed secundum quid nolens, hoc est sub
conditione nolens, quia nollet, si posset alio modo salvare vitam ».
DUNS SCOT ET LA POLITIQUE 39

c’est un moindre mal qu’il observe la loi chrétienne contre son gré, plutôt
qu’il lui soit permis d’agir impunément contre elle, parce qu’il est moins
mauvais de bien agir et de fuir le mal sous la contrainte que de mal agir et
de fuir le bien librement et impunément52.

Mais s’il y a bien écho d’un texte à l’autre, la position vigoureuse


prise au sujet du baptême d’un non-consentant ne suffit pas à expliquer
le projet d’une conversion forcée systématique. Quant à l’argument de
la hiérarchie des puissances qui fait le cœur de la démonstration, sa
coloration scotiste est indéniable. C’est d’ailleurs expressément dans
ces termes qu’Eugenio Randi résumait l’une des conséquences les plus
remarquables de la doctrine de la toute-puissance chez Scot, qui pullule
comme on le sait d’exemples de type juridico-politique :
Il existe donc une ‘hiérarchie’ de pouvoirs absolus, qui correspond à une
échelle de dispositions croissantes, procédant de l’individu à Dieu [...]
comme il existe, corrélativement, une échelle de puissances ordonnées53.

Toutefois, là encore, rien n ’imposait a priori de projeter une telle


articulation théologico-politique sur la question juive. Pour l’éclairer,
nous voudrions proposer un retour sur l’événement qui a été, à notre
sens, déterminant dans l’élaboration de cette position.

52 Ibid. (Wad. Vin, 238) : « Quantum ad iudicium Ecclesiae iudicantis de


manifestis, et eum qui tacet praesumentis consentire, non cogetur reclamans ad
observantiam religionis Christianae ; cogeretur autem non reclamans. Nec in hoc
potest argui Ecclesia quod isti nolenti, tamen non reclamanti fiat iniuria. Minus enim
malum est sibi quod invitus servet legem Christianam quam quod impune permittatur
agere contra eam, quia minus malum est invitum aliqua bona facere et mala fugere
quam libere et impune mala agere et bona dimittere ».
53 E. RANDI, Il sovrano e l'orologiaio. Due immagini di Dio nel dibattito sulla
‘potentia absoluta’ fra XIII e XIV secolo, Florence, La Nuova Italia, 1987
(Pubblicazioni della Facoltà di lettere e filosofia dell’Università di Milano, 121), p.
64. Les passages les plus importants sur ce point sont traduits par O. BOULNOIS,
« Contingence et alternatives : Duns Scot », in La puissance et son ombre. De Pierre
Lombard à Luther, Paris, Aubier, 1994, pp. 267-285.
40 ELSA MARMURSZTEJN - SYLVAIN PIRON

II. D u n s S c o t e t l ’e x p u l s io n d e s J u if s d ’A n g l e t e r r e

Quelques mots d’historiographie ne sont pas inutiles à ce stade de


l’enquête. Disponible et connu depuis longtemps, ce texte n ’avait
pourtant jusqu’à présent guère été mis en avant par les lecteurs de Dims
Scot. Georges de Lagarde ne le signale qu’incidemment, dans une note
qui ne le cite que partiellement et laisse dans l’ombre la suggestion
finale de déportation des « restes » d’Israël54. On peut trouver des
références plus détaillées à cette question dans les travaux portant sur
l’attitude des intellectuels chrétiens face aux juifs, de la part de
chercheurs tels que Guido Kisch, Solomon Grayzel, et en dernier lieu
Gilbert Dahan55. Plus récemment, Robert Lemer l’a brièvement
mentionnée, en contrepoint à un courant d’inspiration joachimite,
moins hostile aux juifs, représenté par des auteurs comme Pierre de
Jean Olivi56. Les pages que Luca Parisoli consacre à cette prise de
position scotiste, « afin de montrer sa rationalité et la défendre contre
toute accusation anachronique [d’intolérance] », s’attardent davantage à
contester la réplique de Guido Terreni qu’à rendre véritablement
compte d’un texte dont le point le plus choquant (le cantonnement sur
l’île) est encore une fois passé sous silence57. Cette ligne de défense qui
cherche à édulcorer les documents et à minimiser les faits est évidem­
ment inacceptable. Elle traduit à sa façon un embarras qui a longtemps
régné dans l’historiographie quant à la situation des juifs dans l’Occi­
dent médiéval. Il y a une douzaine d’années de cela, Colin Richmond a

54 G. de LAGARDE, La naissance de l ’esprit laïque au déclin du Moyen Age, vol.


2, Secteur social de la scolastique, Paris-Louvain, Nauwelaerts, 21958, p. 259.
55 G. KISCH, « Toleranz und Menschenwürde », in Judentum im Mittelalter, eds.
P. Wilpert - W. P. Eckert, Berlin, W. de Gruyter, 1966 (Miscellanea Mediaevalia 4),
pp. 1-36 ; S. GRAYZEL, « Popes, Jews, and Inquisition from Sicut to Turbato », in
Essays on the Occasion o f the Seventieth Anniversary o f the Dropsie University,
Philadelphie, Dropsie College, 1979, pp. 159-160 ; G. DAHAN, Les intellectuels chré­
tiens et les juifs, op. cit., pp. 149-150.
56 R. LERNER, The Feast o f Saint Abraham. Medieval Millenarism and the Jews,
Philadelphie, The University of Pennsylvania Press, 2001, p. 4.
57 L. PARISOLI, La philosophie normative de Jean Duns Scot. Droit et politique
du droit, Rome, Istituto Storico dei Cappuccini, 2001 (Biblioteca Seraphico-
Capuccina, 63), pp. 92-98.
DUNS SCOT ET LA POLITIQUE 41

dressé l’inventaire détaillé des oublis et des omissions dont les


médiévistes anglais se sont rendus coupables sur ce point, en faisant
apparaître par contraste l’importance qu’a revêtue l’hostilité envers les
juifs, fantasmatique ou traduite en actes, dans l’histoire anglaise des
XIIe et XIIIe siècles58. Le royaume d’Angleterre se distingue en effet
par la précocité de manifestations d’anti-judaïsme caractéristiques de
l’Europe de la fin du Moyen Age : les accusations de meurtres rituel
d’enfants chrétiens, apparues au milieu du XIIe siècle, se prolongent un
siècle plus tard par le culte du « petit saint Hugues de Lincoln », censé
avoir été crucifié par un juif. Les massacres d’York, en 1190, ont pour
conséquence de placer des juifs sous le contrôle étroit de
l’administration royale, qui crée à cette fin un « Echiquier des juifs ».
L’expulsion totale et définitive des juifs du royaume vient elle-même
s’ajouter à plusieurs expulsions partielles, de telle ou telle ville, mais
qui se voulaient déjà définitives. Bien que l’historiographie anglaise ait
depuis lors largement corrigée ses lacunes, la question de Duns Scot sur
le baptême forcé pourrait encore venir compléter le tableau dressé par
C. Richmond. Il est en tout cas nécessaire, pour saisir les ressorts de ce
texte, de le replacer au sein de cette histoire anglaise dont il constitue
presque l’ultime maillon médiéval.
La résolution singulière de cette question sur le baptême forcé ne
paraît en effet prendre sens qu’en étant mise en relation avec la
politique royale anglaise à l’égard des juifs, dont le dernier acte fut
l’expulsion de l’ensemble de la communauté (environ 2000 personnes),
décidée le 18 juin, proclamée le 18 juillet et effective au 1er novembre
1290. Lorsque, moins de dix ans plus tard à Oxford, Duns Scot fait
surgir, d’une façon inédite et insolite au sein de la réflexion théologique
médiévale, la perspective d’un « isolement » des juifs, on est fondé à
penser que cet événement était non seulement présent à son esprit, mais
plus encore, qu’il constituait l’horizon immédiat de sa réflexion.

58 C. RICHMOND, « Englishness and Medieval Anglo-Jewry », Immigrants and


Minorities 10 (1991), pp. 42-59. Nous tenons à remercier Peter Biller de nous avoir
fait connaître ce texte important.
42 ELSA MARMURSZTEJN - SYLVAIN PIRON

Dans leurs études récentes sur la question, des historiens comme


Robert Stacey ou Robin Mundill59 ont en partie expliqué l’expulsion
générale de 1290 comme conséquence de l’échec d’une politique
royale de conversion initiée au début des années 123060. La fondation à
Londres par Henri III, en 1232, de la domus conversorum, traduisait
emblématiquement ce projet. Dédiée à la Vierge, cette « maison des
convertis » était conçue et organisée comme un monastère, où des
« frères » (hommes, femmes, enfants) menaient une vie commune
rythmée par des offices religieux quotidiens, célébrés par des
chapelains qui étaient eux-mêmes des convertis. Robert Stacey a mis en
évidence l’attachement des juifs convertis à ce monde clos, à cet
« entre-deux » situé à la charnière des sociétés juive et chrétienne, qui
leur épargnait les périls d’une intégration réelle. L’institution,
subventionnée par le souverain, manifeste tout l’intérêt porté aux
conversions dans un contexte où les dominicains, arrivés en Angleterre
dans les années 1220, déployaient simultanément des efforts
significatifs en ce sens61.
Or après un pic de conversions atteint dans les années 1240-1250,
l’entreprise marque le pas. Le nombre des conversions diminue
nettement sous le règne d’Edouard Ier, moins marqué par la volonté de
convertir que par la crainte de voir apostasier les convertis et par des
persécutions sanglantes. Robert Stacey évoque à ce propos une
« grande peur », enracinée dans le contexte de la guerre des barons
(1263-1265) qui fut l’occasion d’un certain nombre de conversions
opportunistes (la conversion apparaissant comme la seule solution pour
échapper au meurtre), et qui s’exprime à travers les massacres de 1278-

59 R. STACEY, « The Conversion of Jews to Christianity in Thirteenth Century


England», Speculum 67 (1992), pp. 263-283 ; R. R. MUNDILL, England’s Jewish
Solution. Experiment and Expulsion, 1262-1290, Cambridge, Cambridge University
Press, 1998.
60 STACEY, « The Conversion... », art. cit., p. 282 : « Comme en France, la
frustration liée à l’échec de ces efforts de conversion doit avoir joué un rôle dans la
décision d’expulser toute la communauté juive d’Angleterre en 1290 ».
61 STACEY, ibid., note que les Dominicains se sont installés à proximité du
quartier juif ; il souligne en particulier le rôle de Robert Bacon qui encourage les
conversions, prend des convertis sous sa protection, en conduit certains à la prêtrise.
DUNS SCOT ET LA POLITIQUE 43

127962. Dans un registre différent, on peut signaler l’obligation faite


aux juifs, à partir de janvier 1280, d’assister chaque semaine aux ser­
mons sur la conversion prêchés par les dominicains63. Mais on trouve
aussi des échos répétés de cette inquiétude du côté de la papauté. La
bulle Turbato corde, promulguée par Clément IV en 1267 qui plaçait
les relaps sous l’autorité de l’Inquisition, est ainsi réitérée quatre fois de
suite en quelques années. L’apostasie des juifs convertis semble bien
être devenue un réel sujet d’inquiétude dans les cercles du pouvoir
anglais, dans les années 1280, comme en témoigne de manière
éloquente l’enquête réclamée en 1281-1283 par Jean Pecham, arche­
vêque de Canterbury, au sujet d’une groupe de convertis londoniens64.
La crainte de l’apostasie exprimait clairement l’échec de la
politique de conversion : plusieurs décennies de soutien royal à la
domus conversorum, de sermons dominicains et de lourdes taxations
n’avaient pas réussi à élever le nombre de baptêmes à plus de quelques
centaines. Peu de temps avant l’expulsion, en 1290, deux événements
viennent en particulier corroborer ce constat d’échec : à Oxford, un
converti qui prélevait une taxe destinée à subventionner la domus
conversorum fut violemment pris à partie par des juifs (il s’agit en
l’occurrence d’un des rares cas d’émeutes juives relatés par les
sources)65 ; la même année, les juifs de Londres protestèrent avec
véhémence contre le baptême d’un enfant ju if à l’église de Saint-
Clément, au motif qu’ils n’y avaient pas consenti66. L’émeute des juifs
d’Oxford, comme la protestation des juifs de Londres, expriment bien
le rejet ou le refus de la conversion auquel se hernie en définitive la
politique royale.

62 Cf. Z. ROKEAH, « Money and the Hangman in Late-13th-Century England »,


Jewish Historical Studies 31 (1988-90), pp. 83-109.
63 MUNDILL, England's Jewish Solution, op. cit., p. 274.
64 F. D. LOGAN, « Thirteen London Jews and Conversion to Christianity : Prob­
lems of Apostasy in the 1280’s », Bulletin o f the Institute o f Historical Research 45
(1972), pp. 214-229.
65 V. D. LIPMAN, « The Anatomy of Medieval Anglo-Jewry », Transactions o f
the Jewish Historical Society o f England 21 (1968), p. 64.
66 Cf. Rotuli Parliamentorum, vol. I, p. 46, n°7, cité par MUNDILL, England's
Jewish Solution, op. cit., p. 276, n. 168.
44 ELSA MARMURSZTEJN - SYLVAIN PIRON

Celle-ci s’est du reste infléchie dès le milieu des aimées 1270,


comme l’atteste le Statutum de Judeismo de 127567. Il s’agit du premier
acte de la législation relative aux juifs du règne d’Edouard Ier, et aussi
du document le plus détaillé et le plus radical de toute la législation du
XIIIe siècle concernant les juifs. Ce statut, qui mettait en application les
dispositions du concile de Lyon (1274) en leur interdisant de pratiquer
le prêt à intérêt et la prise de gages, stipulait en outre l’expulsion des
juifs des villages normands68 et imposait le port d’un insigne distinctif
à tous les juifs âgés de plus de sept ans. Le souverain anglais n’avait
toutefois pas abandonné tout espoir de conversion, puisqu’à la même
date, il donnait l’ordre d’agrandir la domus conversorum de Londres.
Les années 1280 sont également marquées par un changement
d’attitude de la papauté à l’égard des juifs. Cette évolution est
notamment perceptible dans une lettre qu’Honorius IV adressa en 1286
aux archevêques de Canterbury et d’York69 : le pape y dénonçait les
actes horribles commis par les juifs à l’encontre de Dieu et de la foi
chrétienne et condamnait en particulier leurs tentatives pour circonvenir
les convertis et séduire les chrétiens ; il mettait en cause l’efficacité du
clergé anglais qui avait échoué à mettre un terme à ces abus. Cette
lettre pontificale donna vraisemblablement un élan nouveau à la
campagne religieuse conduite contre les juifs d’Angleterre, dans
laquelle certains prélats étaient déjà largement engagés. Ainsi, en 1278,
l’évêque de Lincoln Richard de Gravesend avait excommunié treize
chrétiens employés par des juifs et fait procéder à l’arrestation d’un
certain nombre de domestiques et de nourrices. À la différence de son
prédécesseur, Robert Kilwardby, qui s’était montré plus soucieux de
promouvoir les dominicains que de s’en prendre aux juifs - qu’il
comptait convertir grâce à l’argumentation théologique et à la
prédication - , Jean Pecham, qui avait accédé à la tête de l’archevêché
de Canterbury en 1279, illustre tout particulièrement le changement
d’attitude de l’Église anglaise vis-à-vis des juifs dans les années 1280.
Il avait notamment entretenu des contacts secrets avec l’évêque de
Londres, en juillet 1281, dans le but d’interrompre la construction

67 Le texte de ce statut est traduit par MUNDILL, England’s Jewish Solution, op.
cit., pp. 291-293.
68 Le décret est enregistré en avril 1276 par l’Échiquier de Normandie.
69 Cf. MUNDILL, England’s Jewish Solution, op. cit., p. 272.
DUNS SCOT ET LA POLITIQUE 45

d’une synagogue ; en août 1282, il ordonna au même évêque de faire


détruire toutes les synagogues londoniennes à l’exception d’une seule ;
en 1285, il se plaignit au Parlement de l’incapacité de la cour à lutter
contre le mal ju if et fit des remontrances à la reine qui tirait profit de
l’usure juive70.
L’échec du projet de conversion, doublé de celui de la « réforme »
des juifs par le statut de 1275, déboucha sur l’expulsion des juifs
d’Angleterre en 1290. Mais cette décision ne fait pas figure d’exception
dans le contexte des années 1280-1300. Elle doit être reliée à une série
d’expulsions régionales, inaugurée par Edouard Ier lui-même, qui or­
donna en 1287 le départ des juifs de Gascogne71. A cette occasion, les
biens des juifs avaient été saisis, mais la majeure partie du produit de
ces extorsions avait été distribuée à l’Église, en particulier aux Men­
diants, et l’opération avait fort peu profité au roi72. En 1289, c’est
Charles II, roi de Naples et de Sicile et neveu de saint Louis, qui
expulsa les juifs de ses comtés d’Anjou et du Maine. Cette expulsion
fut l’occasion d’une innovation importante car les sujets de Charles
d’Anjou lui concédèrent une taxe destinée à compenser la perte par le
souverain d’une source importante de revenus73. Le même procédé est
appliqué par Edouard Ier en 1290, comme il le sera à la suite de l’expul­
sion des juifs de Poitou et de Saintonge par Philippe le Bel en juillet
129174.
Cet aspect financier a été mis en avant dans l’interprétation de
l’expulsion donnée par Robert Stacey : en 1290, Edouard Ier aurait opté

70 Ibid., p. 273.
71 C’est la date retenue par les études les plus récentes. Voir notamment
R. C. STACEY, « Thirteenth Century Anglo-Jewry and the Problem of Expulsion », in
Exile and Return. Anglo-Jewry Through the Ages [en hébreu], eds. Y. Kaplan - D.
Katz, Jérusalem, Israel Historical Society, 1993, pp. 9-25 ; MUNDILL, England’s
Jewish Solution, op. cit., p. 276.
72 Cf. MUNDILL, England’s Jewish Solution, op. cit., p. 281.
73 Charles II se vit concéder une taxe de trois sous par feu par une assemblée de
prélats et de nobles. Cf. J. STRAYER, Studies in Early French Taxation, Westport
(Conn.), Greenwood, 1972, p. 19 ; R. CHAZAN, Medieval Jewry in Northern France.
A Political and Social History, Baltimore, The John Hopkins University Press, 1973,
p. 186.
74 Cf. Archives Historiques du Poitou 44 (1923), 1.1, CXLVII, p. 227.
46 ELSA MARMURSZTEJN - SYLVAIN PIRON

pour l’expulsion des juifs parce qu’il savait pouvoir obtenir davantage
des subsides levés sur ses sujets que d’une taille imposée aux juifs.
L’expulsion serait intervenue à titre d’argument dans la négociation
entre le souverain et la « nation » qui s’est affirmée, comme telle, au
XIIIe siècle75. Dans le même ordre d’idée, R. Mundill a noté que les
difficultés rencontrées par Edouard Ier, surtout à partir de 1283, pour
obtenir que des décimes fussent levées à son profit, s’évanouirent juste
après l’expulsion des juifs. À la fin de l’année 1290, le clergé anglais
concéda ainsi une nouvelle décime au souverain qui la demandait76.
Mais R. Mundill plaide néanmoins en faveur d’une interprétation de
l’expulsion comme résultant d’une pluralité de facteurs, qui concourent
à une évolution résumée en ces termes par William Jordan :
In location after location on the borderlands of France, princes and their
consellors were abandoning the policy, dear to Saint Louis, of attempting
to coerce Jews to convert by means of economic and social disabilities and
were offering them instead a starker choice : convert or depart77.

Duns Scot n’ignore évidemment pas ces différents épisodes ; il a


probablement été le témoin direct de certains et assurément du dernier
d’entre eux. Jusqu’en 1290, il existait une communauté juive à Oxford
qui entretenait des relations intellectuelles et économiques avec l’uni­
versité78. Sans vouloir lire sa question sur le baptême forcé comme une
pure et simple apologie de l’expulsion, on doit reconnaître qu’elle n’a
de sens qu’en fonction de cet événement. Le texte prend en effet pour
prémisse un axiome qui correspond à la situation historique créée par
l’expulsion et qui n ’est alors réalisée dans aucun autre royaume occi­
dental : tous les sujets d’un prince chrétien doivent être eux-mêmes
chrétiens, fut-ce en apparence. La proposition ne laisse aux juifs rési­
dant en terre chrétienne que le choix entre la conversion et l’exil. Dans
une question portant sur le baptême, le théologien n’examine que la
première option mais les deux branches de l’alternative sont solidaires.
Si le prince chrétien a le devoir de convertir les juifs de son royaume,

75 Cf. STACEY, « Thirteenth Century Anglo-Jewry... », art. cit., p. 2.


76 Cf. MUNDILL, England’s Jewish Solution, op. cit., p. 274.
77 W. C. JORDAN, The French Monarchy and the Jews, Philadelphie, The Univer­
sity of Pennsylvania Press, 1989, p. 180.
78 C. ROTH, The Jews o f Medieval Oxford, Oxford, Clarendon Press, 1951.
DUNS SCOT ET LA POLITIQUE 47

leur expulsion est la seule issue possible s’ils refusent de recevoir le


baptême. L’extension de cette séquence logique à tous les royaumes
chrétiens débouche sur la mesure d’isolement radical préconisée par
Duns Scot, le cantonnement dans 1’« île » traduisant symboliquement la
mise à l’écart des juifs et l’absence de tout contact avec la chrétienté.
Plusieurs indices permettraient peut être d’associer encore plus
étroitement ce texte à l’événement qui le sous-tend et au contexte de la
politique royale anglaise dans son ensemble. On peut ainsi se demander
dans quelle mesure le choix de remettre au goût du jour les projets
d’éducation chrétienne d’enfants juifs enlevés à leur parents pourrait se
comprendre comme un écho au modèle de la domus conversorum ; de
même, le scepticisme quant au nombre de générations nécessaires pour
conduire les convertis à une foi sincère pourrait apparaître comme un
aveu des difficultés rencontrées par le projet de conversion. Mais plus
encore, le choix de la seule autorité sur laquelle s’appuie Duns Scot
pourrait bien suffire à révéler la signification implicite de ce passage.
Le fait de donner en exemple un roi wisigoth qui par excès de zèle était
allé au-delà des normes canoniques pourrait aisément se lire comme
l’évocation de l’action récente d’Edouard Ier, nouveau Sisebut.
L’examen auquel on vient de procéder n’apporte aucune indication
qui aiderait directement à expliquer le choix de 1303. Il est toutefois
frappant de noter que Duns Scot prend ici une position très forte - et
très inhabituelle - en faveur du pouvoir du Prince en matière religieuse.
Là où Thomas d’Aquin et Richard de Mediavilla avaient argué de la
« coutume de l’Église » pour rejeter les baptêmes forcés, Duns Scot
invoque le devoir du souverain. Rien n’est dit dans ce texte d’un
pouvoir supérieur éventuel qui pourrait venir s’interposer entre le roi et
Dieu. La « hiérarchie des puissances » est décrite d’une façon qui ne
laisse guère de place au pape, et le rôle traditionnel de protecteur des
juifs que jouait celui-ci depuis le début du XIIe siècle est totalement
ignoré. La bulle Sicut iudeis, principale expression de cette protection,
est passée sous silence. L’ensemble des éléments présentés nous
autorise donc à formuler au moins une hypothèse supplémentaire pour
expliquer les motifs possibles de son opposition à Philippe le Bel.
Outre les fidélités au pape, à l’Église et à l’ordre franciscain, et peut-
être même davantage qu’elles, sa fidélité envers son propre souverain,
Edouard Ier d’Angleterre, a pu jouer un rôle déterminant dans la
décision prise le 25 juin 1303.
48 ELSA MARMURSZTEJN - SYLVAIN PIRON

Les résultats qu’apporte cette mise en relation d’un écrit doctrinal


et de l’événement qui en constitue l’arrière-plan doit inciter les histo­
riens à renouveler les questions qu’ils adressent aux philosophes. Une
opération de contextualisation bien menée peut en effet apporter un
surcroît d’intelligibilité à chacun des termes qu’elle met en présence,
aussi bien à une réflexion, si abstraite soit-elle, qu’à l’horizon
historique sur le fond duquel elle s’élève. Sans qu’il y ait donc lieu de
postuler des causalités univoques ou des déterminations immédiates, il
faudrait du moins se demander si la rupture que constitue la pensée de
Scot dans l’histoire de la métaphysique n ’entretient pas des rapports
étroits avec la mutation qualitative que connaissent, à la même date, les
monarchies occidentales. La formule exacte de ce changement est
encore peu claire, en dépit de nombreux signes, bien connus, de
transformation profonde. Ce moment d’histoire pourrait gagner à être
abordé sous l’angle de ses implications métaphysiques. Et dans un tel
cadre d’analyse, nul doute que Duns Scot doit tenir une place centrale.

ni. R e m a r q u e s s u r l a p o s t é r it é d u t e x t e

Dans ses commentaires qui accompagnent l’édition des questions


sur le quatrième livre des Sentences procurée par Luke Wadding,
Anthony Hickey formule deux remarques qui méritaient que soit
menée, à titre exploratoire, une courte enquête sur la postérité de ce
texte. Le franciscain irlandais signale d’une part que la doctrine
énoncée dans cette question aurait été communément soutenue par les
disciples de Scot79 et qu’elle aurait, d’autre part, été mise en œuvre par
les Rois catholiques lors de l’expulsion des juifs d’Espagne. La nuance,
de grande importance, qu’introduit à ce propos Hickey pour faire
explicitement apparaître la perspective de l’expulsion, porte sur

79 A. HICKEY (HICQUAEUS), In IV Sent., d. 4, q. 9 (Wad. VIII, 276) : « Doctor


[...] quem in praesenti quaestione sequuntur omnes eius discipuli. » ; Ibid. (Wad. Vili,
280) : « Habemus etiam exemplum Ferdinandi Catholici & aliorum regum Hispaniae
qui Mauros et Iudaeos compulerunt ad Baptismum, inter quos non est dubium fuisse
multos invitos ad baptismum proprium et filiorum ».
DUNS SCOT ET LA POLITIQUE 49

l’interprétation de la formule « par la menace et l’effroi ». Il ne peut


s’agir, de la part du pouvoir civil, que de menaces en matière civile et
non pas de menaces de mort. Autrement dit, la seule menace
concevable serait celle de l’exil80.
S’il est possible qu’au XVIIe siècle, cette doctrine ait constitué l’un
des nombreux points caractérisant l’appartenance à une école
« scotiste », tel n’était assurément pas le cas pour les premiers élèves et
disciples du maître. Pour sa part, François de Meyronnes ne soulève
pas même le problème du baptême forcé, mais ce silence n’autorise à
tirer aucune conclusion sur son sentiment à l’égard de la méthode
prônée par Scot81. Dans la question unique qu’il pose au sujet du
baptême, Jean de Bassoles ne traite pas davantage ce cas. On peut
toutefois noter qu’il met fortement en avant le principe de la nullité du
baptême d’un dissentiens absolu, reprenant en les accentuant davantage
les propres mots de Scot à ce sujet ; mais là encore, cette accentuation
ne doit pas nécessairement être interprétée comme une désapprobation
implicite de la thèse sur les baptêmes forcés82. Parmi les franciscains
des premières décennies du XIVe siècle dont les commentaires du
quatrième livre sont facilement accessibles, seul Pierre Auriol affronte
directement la question. Après avoir rapporté textuellement l’opinion
de Thomas et celle que défendait le Docteur Subtil, il incline
expressément pour la première, en l’absence de toute disposition
contraire prise par l’Église. Si celle-ci avait eu le devoir de contraindre
les juifs au baptême, il eût été criminel de sa part de négliger, de fait, le
salut de tant d’âmes. Pourtant, la formule qui vient clore ce paragraphe
nuance considérablement le propos, et c’est sans doute en raison de
cette phrase qu’Auriol est parfois cité parmi ceux qui ont adhéré à la
doctrine scotiste : « Je considère toutefois que celui qui, par piété pour

80 Ibid. : « Sed tantum intelligendum dico esse Doctorem de minis et terroribus in


materia civili, et exilio, non autem in iis minis quae tendunt ad mortem corporalem ».
81 FRANCISCUS DE MAYRONIS, In quatuor libros Sententiarum, Venise, O.
Scoti, 1520, f. 181.
82 IOANNES DE BASSOLIS, In quartum Sententiarum, Paris, Régnault & Frellon,
1516, f. 24rb : «E t primo dico de voluntario simpliciter, qui omnino dissentit, ita
quod nulla ratione consentit, sed potius omnino dissentit, quod illud non recipit
aliquem effectum baptismii spiritualem. Deus enim non vult aliquem ascribere militie
sue nec esse de familia sua invitum. Non vult enim coacta servitia ».
50 ELSA MARMURSZTEIN - SYLVAIN PIRON

la foi, agirait en sens inverse, ne pécherait pas gravement »8384. Ce sont


en revanche des propos sans ambiguïté que tient, dans la seconde
moitié du XVe siècle, un scotiste influent de la province d’Aquitaine,
Gui de Briançon, pour qui la position de Richard de Mediavilla est ici
la « plus sûre ». Sa démonstration invoque notamment le principe de la
protection des juifs, en citant sur ce point la décrétale Sicut iudeisu .
Aux mêmes dates, le franciscain angevin Nicolas d’Orbelles, suivant
plus fidèlement la leçon de Duns Scot, intègre littéralement dans son
résumé l’ensemble de la question, jusqu’à la suggestion finale de la
déportation dans une île85.
La brève enquête que nous avons pu mener dans la scolastique
tardive sur la façon dont ces pages de Duns Scot ont été reprises, citées
ou contestées, demande à être poursuivie. De prime abord, il semblerait
que vers la fin du XVe siècle, la ligne de partage sur la question du
baptême forcé des enfants juifs ait été moins doctrinale que
géographique. Si le problème ne présentait guère d’enjeux pratiques

83 PETRUS AUREOLI, Commentarium in quartum librum sententiarum, Rome,


Zanetti, 1605, f. 56rb : « Pro ista autem opinione, quae iustitiae innititur, potest ratio
una adduci ; si enim esset illud licitum, ut alii dicunt, imo secundum eos congruum,
quare Ecclesia Romana nullum super hoc praeceptum legibus, et principibus hactenus
promulgavit ; nec enim potuit sine culpae periculo tot, quot baptizad fuissent, salus
negligi animarum. Ideo ad quaestionem respondeo quia aliud est, utrum Principes ad
hoc teneantur, et aliud est, utrum hoc eis liceat de bono et aequo. Certum est quod non
tenentur, sed utrum eis liceat est dubium, praecipue autem movet me ratio illa de
Ecclesia, quomodo tantam salutem neglexisset, propter quod magis declino ad
rigorem iustitiae quia parvuli possessio sunt parentum. Puto tamen quod qui pietate
fidei motus oppositum faceret, non multum graviter peccaret». La question a
également été abordée au début du XIVe siècle dans le deuxième Quodlibet de Petrus
Sutton, mais seul le titre en est conservé « Utrum parvuli Iudeomm sint baptizandi
inivitis parentibus », cf. G. J. ETZKORN, « Petrus Sutton (?) O. F. M. Quodlibeta »,
Franciscan Studies 23 (1963), pp. 72-139.
84 GUIDO BRIANSONIS, Collectarium super quartum sententiarum, Lyon,
Baland, 1512, f. 39va : «Quomodo autem, si principes possint inviti iudeis ipsos
convocare ad baptismum ecclesia neglexisset tantam salutem ? sed ecclesia docta
spiritu sancto nullum coactum vult habere discipulum [...] immo ecclesia prohibet ne
fiat ei aliqua iniuri ; ut patet extra de iudeis et sarracenis, capitulo Sicut iudeis ».
85 NICOLAUS DE ORBELLIS, In quartum Sententiarum, Paris, Balligaut, 1498,
f. 12.
DUNS SCOT ET LA POLITIQUE 51

dans un royaume de France d’où les populations juives avaient été défi­
nitivement chassées à la fin du XIVe siècle, il n ’en allait pas de même
dans la vallée du Rhin où l’on rencontre des partisans des baptêmes
forcés qui prennent appui sur Scot sans pour autant figurer au catalogue
de ses disciples. Il en va ainsi du plus fameux théologien de la région,
Gabriel Biel, qui, à Tübingen, se range aux arguments de Duns Scot
concernant les baptêmes forcés d’enfants, après avoir passé en revue
les principales opinions proposées sur ce point. Biel se montre en
revanche plus prudent en ce qui concerne les baptêmes forcés
d’adultes, notamment en raison des dangers que de faux convertis
pourraient faire courir aux vrais chrétiens86. Quelques années plus tard,
en 1508, Ulrich Zasius, professeur de droit à Fribourg, fit paraître à
Strasbourg un opuscule consacré au problème87. Rédigée à l’occasion
d’une controverse suscitée par le cas du baptême d’un enfant juif laissé
par son père en gage chez des chrétiens, dans l’attente du paiement
d’une rançon, cette dissertation récapitule la plupart des arguments
soulevés dans les discussions précédentes. Si l’autorité du Docteur
Subtil est invoquée en bonne place, ce n’est pourtant pas sa
démonstration qui sert de fil conducteur au propos de Zasius, et l’on ne
saurait imputer à la seule influence de Duns Scot la réponse qui est
donnée, dans une soudaine bouffée de haine, à la prophétie d’Isaïe. Les
juifs, dit en somme Zasius, sont assez nombreux dans les contrées
infidèles pour qu’il n ’y ait pas à craindre que «périsse la semence
d’Israël » si l’on baptisait de force tous ceux qui demeurent en terre
chrétienne88.
Parmi les auteurs sur lesquels s’appuie Zasius figurent un certain
nombre de franciscains italiens. Angelo Carletti (Angelus de Clavasio)
est l’un de ceux dont l’influence fut sans doute la plus forte, en raison
de la diffusion de sa Summa, imprimée pour la première fois en 1485 et

86 GABRIEL BIEL, Collectorium in IV libros sententiarum Guillelmi Occam,


Tübingen, 1501 (repr. Hildesheim, Olms, 1977), IV, d. 4, q. 2, dub. 5 (non paginé).
Voir notamment : « plus possunt nocere ecclesie infideles occulti quam manifesti,
quia sub simulatione christianitatis possunt veros Christianos facilius seducere ».
87 ULRICH ZASIUS, Quaestiones de parvulis Iudeorum baptisandis, Strasbourg,
Gruniger, 1508. A propos de ce texte, voir les commentaires de G. KISCH, « Toleranz
und Menschenwürde » (art. cit. note 55).
88 Ibid., cahier C, f. 3v.
52 ELSA MARMURSZTEJN - SYLVAIN PIRON

constamment rééditée dans les années suivantes. Dans son chapitre sur
le baptême, la question des enfants juifs est traitée suivant l’opinion de
Scot. Angelo se range également à son avis quant aux baptêmes forcés
d’adultes mais en introduisant une restriction très forte qui vient
répondre à la bulle de protection Sicut iudeis. La contrainte ne doit
s’exercer qu’indirectement, afin de susciter chez les juifs la volonté de
se convertir en rendant leur situation sociale intenable89. Il faudra sans
doute poursuivre l’enquête, en examinant notamment les argumentaires
des campagnes de prédication anti-juives des franciscains italiens au
XVe siècle. Pour lors, on trouve chez Cajétan un indice clair de l’impact
des propos de Duns Scot. On sait qu’à Padoue, le commentateur de
Thomas d’Aquin entretenait un débat constant avec des adversaires
scotistes. Ce débat porta aussi sur le point qui nous intéresse. Dans son
commentaire de la Somme de théologie, l’article concernant la
conversion forcée des infidèles est intégralement consacré à une
réfutation de la position de Duns Scot sur le baptême forcé des adultes,
quia videtur habere sequaces90. Mais la réponse la plus importante est
présentée un peu plus loin, à propos du cas des enfants. A la fameuse
hiérarchie des puissances qui subordonne, sans recours possible, le
droit des parents au droit du prince et de Dieu, Cajétan oppose une
dissociation des ordres de la nature et de la grâce. Le conflit n’oppose
pas deux instances inégales, mais deux aspects de la même puissance
divine, Dieu en tant qu’instituant d’une part la nature et d’autre part la
foi. Or puisque « Tordre de la grâce parachève et ne détruit pas Tordre
de la nature », c’est au moyen des lois de la nature que la loi de la foi
peut se réaliser. En l’occurrence, la nature requiert que l’adulte puisse
atteindre la foi par l’usage de la raison et de la volonté, et l’enfant par
l’intermédiaire des facultés de ses parents91. Comme on le constate,

89 ANGELUS DE CLAVASIO, Summa angelica, cum additionibus suis nitidius et


castigatius, Paris, Renaud, 1502, f. 29v : « ... intelligendo de compulsione indirecta,
hoc est ita sunt aggravandi et in servitutem redigendi, quod eis eveniat voluntas
convertendi ».
90 CAIETANUS, In Ilam-IIae, q. 10, a. 8 (Leon. VIII, 89), cité plus haut, note 39.
91 Ibid., a. 12 (Leon. VIII, 95) : « Et hic autem adiuncta illa maxima Gratia
perficit, non destruit naturam et Ordo gratiae perficit, non dissolvit ordinem naturae
manifeste apparet primo quod dominium parentum supra filios non est tam ipsorum
naturae ac Dei qui illam instituit. Ac per hoc, comparatio non est facienda inter
parentes et Deum, sed inter Deum institutorem naturae et seipsum Deum institutorem
DUNS SCOT ET LA POLITIQUE 53

loin de porter sur un point anecdotique, le débat engage effectivement


les clivages les plus forts qui peuvent opposer thomistes et scotistes.
Le débat, relancé de la sorte, a trouvé de nombreux échos dans les
écoles espagnoles des XVIe et XVIIe s.92. Domingo de Soto, en
particulier, attache une grande importance à cette question turn
celeberrima, tum subinde gravissima par le biais de laquelle il aborde,
dans son commentaire du quatrième livre des Sentences, le problème
posé par le baptême des Indiens d’Amérique93. De leur côté, les
scotistes espagnols paraissent avoir défendu avec une certaine
constance la doctrine du baptême forcé, d’autant plus aisément qu’ils
pouvaient se targuer d’avoir désormais d’autres exemples à associer à
celui de Sisebut. Exposant les thèses scotistes, Gregorio Ruiz peut ainsi
ajouter, à la suite du nom du roi wisigoth, ceux des Rois catholiques94.
Comme on l’a vu, Hickey procède de même. Mais avant ces mentions
qui viennent justifier la théorie par les faits, on peut se demander dans
quelle mesure les débats doctrinaux n’ont pas eux-mêmes pesé sur le
cours des événements. Une enquête minutieuse serait requise pour
apporter une réponse circonstanciée. On dispose toutefois d’un indice
important qui montre que les thèses de Duns Scot sur la question ont pu
inspirer la prédication anti-juive dans les décennies qui précèdent
l’expulsion de 1492. Le Fortalitium fidei du franciscain Alonso de

fidei ; uterque enim ordo ab ipso et ipsius est. Apparet secundo quod Deus non sic
legem fidei instituit ut voluerit pro ea servanda legem naturae solvi, quamvis hoc
posset ; sed instituit ut per media secundum naturae ordinem instituta lex fidei
impleatur ; ut patet ex maxima allegata ; et in communi, quia divina sapientia disponit
omnia suaviter et infima per media reducit in summum ; et in proposito quia statuit ut
adultus media propria ratione ac voluntate legem fidei impleat, quia suae curae
naturaliter commissus est, puer autem media ratione et voluntate parentum, quorum
curae naturaliter commissus est ».
92 Voir par ex. F. SUÁREZ, Commentaria ac disputationes in tertiam partem
D. Thomae, in ID., Opera Omnia, Paris, Vivès, 1860, vol. XX, pp. 420-431 ; G.
VÁZQUEZ, Commentariorum ac disputationum in tertiam partem S. Thomae,
Ingolstadt, 1613, disp. 155, pp. 506-515.
93 D. DE SOTO, In quartum Sententiarum, Venise, I. M. Lenum, 1575, pp. 290-
299.
94 G. RUIZ, Controversiae theologicae in totum quartum Sententiarum Scoti,
Valladolid, Juan Godinez de Miliis, 1613, pp. 108-115.
54 ELSA MARMURSZTEJN - SYLVAIN PIRON

Espina, composé à Valladolid autour de 1460, publié pour la première


fois à Strasbourg en 1470 et fréquemment réédité dans les années
suivantes contient, dans sa douzième considération sur le sort des juifs,
au titre de leur conversion, un résumé fidèle de la question de Scot.
Outre la large diffusion qu’a connue cet écrit, principalement dans la
péninsule ibérique et en Rhénanie, on peut noter qu’il est le premier, à
notre connaissance, qui reprenne explicitement le thème du
cantonnement dans une île95.
L’édit d’expulsion des juifs d’Espagne du 31 mars 1492 constitue
le point d’aboutissement des campagnes de conversions massives
menées depuis la fin du XIVe s.96. Les Rois catholiques y justifient en
effet l’expulsion, en termes très explicites, par la crainte de la
« contagion » et le souci de soustraire les nouveaux chrétiens aux
séductions du judaïsme97. L’expulsion des juifs apparaît ici comme la
conséquence nécessaire de la politique de conversion des souverains
espagnols, et non comme la seconde branche d’une alternative entre
conversion et expulsion. La même politique sera appliquée au Portugal
en 1496, puis en Navarre en 1498, mettant un terme à la présence des
juifs sur le sol ibérique.
Si l’édit d’expulsion du Portugal98, promulgué en décembre 1496,
se démarque peu de l’édit espagnol de 1492 dont il reprend succincte­
ment les termes, le cas portugais présente par ailleurs des traits
singuliers qui méritent de retenir l’attention. En 1493, le roi Jean II, qui
avait admis pour huit mois les juifs expulsés d’Espagne et promis de les
aider à partir, ordonna que ces juifs fussent vendus comme esclaves et

95 Fortalitium fidei contra Judeos, Sarracenos, aliosque Christiane fidei inimicos,


Lyon, G. Baisarm, 1487, f. 235v. Voir, au sujet de ce texte, A. MEYÛHAS GINIO, La
Forteresse de la foi. La vision du monde d ’Alonso de Espina, moine espagnol, trad. Z.
Rabi, Paris, Cerf, 1998 (Histoires - Judaismes).
96 Au terme des violences perpétrées en 1391, des communautés entières furent
détruites et des dizaines de milliers de juifs furent baptisés de force. Cf. Y. H. YERU-
SHALMI, Sefardica. Essais sur l ’histoire des juifs, des marranes et des nouveaux
chrétiens d'origine hispano-portugaise, Paris, Chandeigne, 1998, p. 24.
97 Cf. B. LEROY, Les édits d'expulsion des Juifs, Biarritz, Atlantica, 1998,
pp. 29 sq.
98 Ibid., pp. 61-63.
DUNS SCOT ET LA POLITIQUE 55

contraints à la conversion". En décembre 1493, leurs enfants leur


furent enlevés pour être déportés sur l’île de Sao Tomé, découverte par
les navigateurs portugais en 147110°. En décembre 1496, Manuel Ier,
successeur de Jean II et époux de la princesse espagnole Isabelle,
ordonna aux juifs de quitter le Portugal dans un délai de dix mois.
Cependant, voyant les juifs prêts à partir, il leur fit enlever leurs enfants
pour les confier à des familles chrétiennes puis, dans l’hiver 1497, leur
interdit de quitter le pays et les fit baptiser de force101, reproduisant
ainsi le processus de 1493.
Certes, la déportation des enfants juifs à Sao Tomé en 1493 ne
répondait pas au projet d’y conserver un petit nombre de juifs jusqu’à
leur conversion finale. Du reste, d’après les chroniques juives du XVIe
siècle, très peu d’enfants survécurent à la déportation et au séjour dans
l’île, réputée particulièrement inhospitalière. Prise globalement, l’atti­
tude de Manuel Ier, en 1497, témoigne de sa volonté de convertir plutôt
que d’expulser les juifs. La conversion forcée apparaît dans ce cas
comme le seul moyen dont le souverain portugais disposait pour
empêcher leur départ, alors même qu’il s’était engagé envers
l’Espagne, à expulser tous les infidèles de son royaume102. Il n’en reste
pas moins que la déportation des enfants, en 1493, de même que les
conversions forcées de 1497, sans équivalent dans la péninsule ibérique
depuis l’époque wisigothique, peuvent être considérées comme la mise
en œuvre la plus complète du programme de Duns Scot. Par une triste
ironie de l’histoire, l’île en question portait le nom de saint Thomas103.

" Cf. A. NOVINSKY, « Juifs et nouveaux chrétiens du Portugal », in Les Juifs


d'Espagne. Histoire d'une diaspora, 1492-1992, ed. H. Méchoulan, Paris, L. Levi,
1992, p. 80.
100 Cet épisode est relaté, en particulier, dans le Seder Eliahou Zouta, Chronique
de l ’expulsion ("1523), présentation, traduction et annotation par S. Sultan-Bohbot,
Paris, Cerf, 1994, pp. 135-136 et dans la Vallée des pleurs de Joseph HA-COHEN
(vers 1560), tr. de l’hébreu par J. Sée, Paris, Centre d’études Don Isaac Abravanel,
1981, p. 104.
101 C f NOVINSKY, « Juifs et nouveaux chrétiens du Portugal », loc. cit., p. 81.
102 Ibid.
103 Comme on le sait, le projet de déportation des juifs dans une île a ressurgi au
XXe siècle. Les dirigeants nazis ont envisagé à plusieurs reprises, entre 1938 et 1942,
de transférer l’ensemble des juifs européens à Madagascar, une fois la guerre achevée.
56 ELSA MARMURSZTEJN - SYLVAIN PIRON

Le fantasme de l’île lointaine, coupée du monde, a certainement contribué à cris­


talliser l’intérêt pour ce plan qui avait été initialement proposé comme solution d’émi­
gration pour d’autres populations. Envisagé en 1937 pour accueillir des paysans
polonais dont leur gouvernement souhaitait se défaire, le « plan Madagascar » fut
relancé par le Foreign Office lors de la conférence internationale sur les réfugiés
(juifs) allemands et autrichiens réunie à Evian en juillet 1938. Quelques mois plus
tard, Hitler se l’était approprié. Sur cet épisode, voir notamment R. PAXTON - M. R.
MAURUS, Vichy et les Juifs, Paris, Calmann-Lévy, 1981 ; C. R. BROWNING, « Nazi
Resettlement Policy and the Search for a Solution to the Jewish Question, 1939-
1941 », in ID., The Path to Genocide. Essays on Launching the Final Solution,
Cambridge, Cambridge University Press, 1992 ; R. HILBERG, La destruction des juifs
d ’Europe, New York, 1985, trad. fr. Paris, Fayard, 1988 ; Ph. BURRIN, Hitler et les
juifs. Genèse d ’un génocide, Paris, Seuil, 1989 ; C. NICAULT, « L’abandon des Juifs
avant la Shoah : la France et la conférence d’Évian », in Les Cahiers de la Shoah 1
(1994) - http://www.anti-rev.org/textes/Nicault94a/.
ANNEXE : ÉTABLISSEMENT DU TEXTE

L’intérêt que présente cette brève question méritait qu’elle soit


rendue accessible en annexe de ce travail. Nous avons tenté d’en établir
le texte en nous appuyant sur les deux témoins les plus fréquemment
employés par les éditeurs de Duns Scot - Assise, Bibl. Com., 1361 et
Oxford, Merton College, 66 - qui représentent l’un et l’autre des
versions de Y Ordinatio relue et corrigée par des élèves ou des proches
du maître, peu après à son décès. Nous avons également tenu compte
des cinq plus anciens manuscrits disponibles à la Bibliothèque
Nationale de France. En raison du nombre trop important de variantes
singulières qu’il comporte, le cod. Paris, BNF, lat. 15854 a finalement
été écarté de l’apparat critique. Les manuscrits employés dans l’édition
sont désignés par les sigles suivants :
A : Paris, BNF, lat. 3062 ; B : Paris, BNF, lat. 3114 -2 ; C : Paris,
BNF, lat. 12332 ; D : Paris, BNF, lat. 15361 ; M : Oxford, Merton
College, cod. 66 ; S : Assisi, Biblioteca Comunale, cod. 136.
La taille trop réduite de l’échantillon examiné ne permet de
formuler aucune conclusion générale quant à la tradition textuelle du
quatrième livre de Y Ordinatio. Nous avons accordé la préférence aux
leçons de S en adoptant la graphie de ce manuscrit qui peut à juste titre
être pris comme témoin de base2. Nous ne l’avons laissé de côté qu’en
deux cas seulement. S’il présente le texte le plus satisfaisant, il faut

1 Nous sommes particulièrement reconnaissants à l’égard de Pietro Maranesi,


OFMCap. qui a eu l’amabilité de nous transmettre une reproduction des deux feuillets
de ce manuscrit contenant la question.
2 La qualité de ce manuscrit, reconnue depuis longtemps dans les études scotistes
et les améliorations qu’il permet d’apporter au texte de YOrdinatio sont telles que
Ton souhaiterait pouvoir disposer, dans l’attente d’une édition complète longue à
venir, de solutions transitoires, que ce soit une transcription simple de ce manuscrit ou
une reproduction fac-similé consultable par internet.
58 ELSA MARMURSZTEJN - SYLVAIN PIRON

toutefois signaler qu’il s’écarte souvent de façon notable des autres


témoins. Parmi ces derniers, le témoin D nous a semblé le plus
intéressant représentant d’une tradition universitaire parisienne. Afin de
faciliter le travail des chercheurs, il a semblé utile de rappeler le texte
de l’édition Wadding (sigle W).

Johannes Duns Scotus, Ordinatio in I V Sent., dist. 4, q. 9

De parvulis iudeorum et infidelium, an sint invitis parentibus


baptizandi.
Dicitur quod non, quia aut redderentur parentibus, et tunc
baptizado eorum esset in contumeliam fidei Christiane, quia post
nutrirentur a parentibus in errore parentum, aut non redderentur, et time
fieret eis3 iniuria, quia dum sunt4 parvuli, ius habent parentes in eis5.
Sed hec ratio, licet forte concludat de quacumque persona privata,
quod non posset6 parvulos a talibus auferre7 iuste et baptisare8, non
videtur tamen concludere de principe, cui in regimine rei publice tales
sunt subditi. Nam in parvulo deus9 habet maius ius dominii quam
parentes. Universaliter enim in potestatibus ordinatis10, potestas inferior
non obligat in hiis que sunt contra superiorem, sicud docet Augustinus
De verbis11 Domini, omelia sexta, et ponitur capitulo ultimo secundi

3 eis] om. A+W


4 sunt] fuerunt, C
5 eis] eos, M ; opinio Tho. et Richardi, adnot. in mg. C
6 possint, BD
7 auferri, A
8 iuste et baptisare] nec iuste baptizare, C+W ; iuste, M
9 deus] dominus, B
10 ordinatis] om. M
11 verbo, D
DUNS SCOT ET LA POLITIQUE 59

libri : Si illud12 iubet potestas quod non debes13 facere, hic sane
contempne potestatem14 timendo potestatem maiorem, et declarat in
exemplo15 de curatore et proconsule, et imperatore et deo16. Igitur qui17
habet regere rem publicam, magis debet18 cogere unumquemque subdi
domino superiori quam inferiori, immo19 superiori contempto inferiori,
quando20 inferior in21 tali dominio resistit superiori22. Sicud si23
imperator deberet24 sentenciare25 aliquem obedire debere proconsuli,
contempto precepto curatoris, id est inferioris proconsule, si
contradiceret proconsuli. Ita etiam si essent sub eodem dominia26
ordinata, scilicet quod aliquis esset servus Ticii, et Ticius Petri, magis
deberet imperator cogere illum servum27 servire Petro, quia superior est
Ticio, quam Ticio, si Ticius vellet uti28 servo illo29 contra dominium

12 illud] id, M ; aliquid, W


13 debes] debet, M
14 potestatem] om. A
15 in exemplo] om. A
16 de curatore ... deo] de curatore et proconsule et imperatore, S ; de curatore et
pronconsule et imperatore, et de imperatore et deo, BM ; de curatore et proconsule
(consule, C), de proconsule et imperatore, de (et, C) imperatore et deo, AC + W ; cf.
AUGUSTINUS, Sermo VII, 13 (PL 38, c. 420-421) repris dans le Décret : Grat. 11, 3,
97.
17 qui] si quis, A+W ; hic qui, B
18 quantum in se est, add. W
19 ergo qui habet... immo] scr. in mg. D
20 quando] quia, S
21 in] om. B
22 quam inferiori... resistit superiori] om. C ; ergo qui habet regere rem publicam
magis debet cogere unumquemque subditum domino superiori, add. D
23 si] ergo, M+W
24 deberet] debet, M
25 sententiare] suadere, ACDM
26 dominia] diversa, AD ; dominio, W
27 illum servum] servum suum, D ; servum, ACM+W
28 uti] om. D
29 ilio] om. B
60 ELSA MARMURSZTEJN - SYLVAIN PIRON

Petri. Igitur maxime debet princeps zelare pro dominio30 servando


suppremi domini, scilicet dei, et per consequens non solum licet, sed
et31 debet princeps auferre parvulos a dominio parentum volencium eos
educare contra cultum dei, qui est supremus et honestissimus dominus,
et debet eos applicare cultui divino.
Dico ergo breviter quod si princeps hoc faceret cum cautela bona,
scilicet ne parentes hoc cognoscentes in futurum32 occiderent
parvulos33, et quod baptizatos facerent34 religiose educari, bene fieret.
Immo quod plus est, crederem35 religiose fieri si ipsi parentes
cogerentur minis et terroribus ad suscipiendum36 baptismum et ad
servandum37 postea susceptum. Quia esto quod ipsi non essent omnes38
fideles veri39 in animo40, tamen minus malum esset41 eis non posse
impune legem suam illicitam42 servare, quam posse eam libere servare.
Item filii eorum, si bene educarentur, in tertia et quarta progenie essent
vere fideles.
Si43 dicas quod secundum Ysaie prophetiam quam recitat Paulus,
A d Romanos44 [9 : 27], reliquie Israel convertentur in fine, et ideo
iudeos45 non oportet cogi46 totaliter ad baptismum suscipiendum47 et

30 domino, C
31 et] oiti. ACDM+W
32 hoc cognoscentes in futurum] prius cognoscentes hoc futurum, ABCD ; hoc
cognoscentes futurum, W
33 parvulos] parvulos suos, B ; pueros suos, AC+W
34 facerent] faceret, CM ; facet, A
35 crederem] credo, D ; crederet, BM
36 et, add. C
37 conservandum, A+W
38 omnes] om. ABCDM + W
39 fideles veri] veri fideles, M ; vere fideles, ABCD+W
40 animo] anima, B
41 esset] est, CDM
42 illicite, D
43 si] et si, ABCDM+W
44 ad romanos] om. A
45 iudeus, B
DUNS SCOT ET LA POLITIQUE 61

relinquendum legem suam, respondeo, non dubito quin vera sit


prophetia Christi, quam recitat Christus Joan. 5 [43]: Ego veni in
nomine patris mei, et non accepistis me ; si alius venerit in nomine
suo4S, illum suscipietis4647849. Igitur, ad minus ex verbo Christi erunt
pervertendi, quia adherebunt illi pessimo antichristo, de quo est sermo
Christi50 predictus.
Et si dicas quod visa destructione Antichristi, illi qui sibi
adheserant convertentur, dico quod pro ita51 paucis et sic tarde
convertendis, quia52 modicus erit fructus ecclesie, et53 de quibus nulla
erit propagacio filiorum in lege Christiana54, non oporteret55 tot iudeos,
in tot partibus mundi, tantis temporibus sustinere in lege sua56
perstare57, sed58 sufficeret aliquos paucos in aliqua insula sequestratos59
permitti legem suam60 servare, de quibus tandem illa prophetia Ysaie
impleretur.
Istud autem de parentibus infidelibus cogendis61 per minas et
terrores videtur probari, quia simile illud concilium Tolletanum
commendat supra allegatum dicens : Qui pridem ad christianitatem

46 cogere, A+W
47 sustinendum, C
48 meo, A
49 suscepientes, D
50 Christi, om. A
51 pro ita] pro tam, ABCDM+W
52 quia] quod, BCDM
53 et, om. A
54 quia modicus ... Christiana] om. C+W
55 oporteret] oportet, ACDM+W
56 sua] om. D
57 perstare] persistere, M+W ; quia finalis fructus de eis ecclesie erit (est et erit,
C+W) modicus, add. BCDM+W
58 sed] unde, ABCDM+W
59 sequestratos] sequestracionis, C
60 suam] om. M
61 cogendum, D
62 ELSA MARMURSZTEJN - SYLVAIN PIRON

coacti62 sunt, sicud factum est temporibus religiosissimi principis63


Syssebuti64. Igitur in hoc approbat eum tanquam principem religiosum,
quia65 coegit66 infideles ad fidem.

Université de Reims -
Ecole des Hautes Etudes en Sciences Sociales, Paris

62 cogendi, B
63 principis] om. D
64 Assebuti, BD ; Assueri, A ; cf. Grat. 45, 5 (éd. Friedberg, 1 ,161-162)
65 quia] qui, A ; quod, B
66 coegit] cogeret, D ; cogit, M+W
II

THÉORIE DE L’ESPRIT,
ÉPISTÉMOLOGIE, SÉMANTIQUE
Peter King

DUNS SCOTUS ON MENTAL CONTENT

Scotus’s Paris lectures embody some of his most mature thinking


on the topics he addressed : later than the corresponding treatments
found in his Ordinatio, they are on a par with his late works De primo
principio, Quodlibeta, and parts of his Quaestiones in MetaphysicaS. I
shall examine what Scotus had to say in Paris about what we now call
‘mental content’ : the feature of mental acts in virtue of which each has
the character it does qua mental act. When I think about Socrates, the
content of my thought is Socrates, which is what makes my act of
thinking be about Socrates rather than about Plato ; since Socrates may
not exist when I happen to think of him, there must be some feature of
the mental act that goes proxy for him in my act of thinking, and this
feature is ‘mental content’ properly so-called12. Scotus offers some

1 See A. B. WOLTER, “Reflections About Scotus’s Early Works”, in John Duns


Scotus. Metaphysics and Ethics, eds. L. Honnefeider - R. Wood - M. Dreyer, Leiden-
New York-Köln, E. J. Brill, 1996 (STGMA, 53), pp. 37-57. After he arrived in Paris
in 1302, Scotus seems to have made further revisions to the text of his Oxford lectures
on the Sententiae, with notes on how he would incorporate some of the new material
he had developed in Paris ; this is perhaps the liber Scoti, the new Ordinatio used by
the scribe of Codex A, which is the basis for the Vatican Edition. Scotus never
completed these revisions, instead working up new material found only in his Paris
lectures. Some measure of the importance of this new material can be seen from the
fact that Scotus personally examined and corrected the transcription of the first book
of his Paris lectures, Rep. par. I A.
2 This is not to hold, though it is compatible with holding, mental content to be the
(intentional) object of thought or the item of which we are immediately aware in
thinking. It merely asserts that there must be some feature of the mental act rather
than of the world that makes the act have the character it does, that is, to be about
what it is about. Mental content in the strict sense, then, is more fundamental than
intentionality and may explain it.
66 PETER KING

“startlingly new ideas about cognition,”3 making a radical break with


his predecessors and contemporaries, in his proposal that mental
content is a (perhaps complex) internal constituent of an act of
thinking. More succinctly, Scotus invents the notion of mental content.
I will begin by looking at psychological theory at the time Scotus
took up these issues in Paris (§ I), turning thereafter to his account
(§ II) and its foundations (§ III), closing with a look at Scotus’s attempt
to provide a solid metaphysical footing for his account (§ IV).

I. T h e c r is is in A r i s t o t e l i a n p s y c h o l o g y

The traditional Aristotelian account of psychology, widely adopted


in the latter half of the thirteenth century, holds that cognition is
properly understood as the form of the object coming to be in the
(sensitive or intellective) soul of the thinker. What it is for Socrates to
think of a cat is for Socrates to have the cat’s form inhere in his
intellective soul. This is literally the same form in the soul as in the cat,
in the same way in which sealing-wax takes on identically the same
form as found on the signet-ring : hence the name ‘conformality’ for
this analysis of cognition.
It is a fundamental principle of Aristotelian metaphysics that the
inherence of a form cp in the appropriate kind of matter makes that
matter into something cp, namely the very thing or the kind of thing it
is. Applied to psychology, this principle takes a twist. The presence of
the form of a thing in a cognitive faculty doesn’t turn it into the thing
itself, other than metaphorically ; when Socrates thinks of a cat he does
not literally have a cat in his head. Instead, the presence of the form in
the soul produces in the agent a sensing or a thinking of the thing,

3 Contrary to R. PASNAU, “Cognition”, in The Cambridge Companion to Duns


Scotus, ed. T. Williams, Cambridge, Cambridge University Press, 2003, p. 285 : “As
in most matters, John Duns Scotus does not distinguish himself in cognitive theory by
adopting a radically new perspective... Scotus is interesting, then, not because he
offers any startlingly new ideas about cognition, but because he gives a careful and
penetrating analysis of the field”.
DUNS SCOTUS ON MENTAL CONTENT 67

depending on whether the form is present in the sensitive or in the


intellective soul respectively4. The twist is at least partially due to the
fact that the soul isn’t the appropriate matter for the form in question -
since the intellective soul is not material at all, it is a fortiori not
‘appropriate’ matter - and so the form cannot organize the subject in
which it inheres into something exemplifying the form, as it ordinarily
would. Nevertheless, because it is the form it is, it somehow manages
to impart to the soul the qualities it engenders in the external object.
Different forms systematically engender different qualities ; just as
dogs and cats are not the same, thoughts of dogs and thoughts of cats
are not the same. The upshot is that the mind successively becomes
each of the things it thinks about, so that “the cognizer becomes what is
cognized.”5
Since the intellect can think of (or become) many things, it is in
potency to be thinking of (or being) those things. Two consequences
follow. First, the intellect is passive or receptive of the forms it may
take on, and, as such, it is known as the ‘possible intellect’ or ‘material
intellect.’ The reception of the form of the object determinately
actualizes the intellect, previously only potentially the same as the
object, such that it is conformal with it, i. e. the intellect is actually
identical with the object, formally speaking, and is a case of thinking of
the object.
Second, since nothing is reduced from potency to act without an
agent cause, and the intellect is only potentially the same as its object,
in addition to the possible intellect there must also be an active
principle whose activity determines the intellect to be thinking now of a
cat, now of a dog. This active principle was traditionally identified as a
feature internal to the intellect itself, the so-called ‘agent intellect,’
which somehow (a) actualized the possible intellect, and (è) did so by
means of one determinate form rather than another. There were

4 The precise details of the conformality account depend on substantive


metaphysical theses that varied from thinker to thinker : whether there are individual
forms or only non-individual forms that are (non-formally) individualized in
individuals, for instance. But despite the differences in details, the analysis of
cognition as the presence of a form in a cognitive faculty remains the foundation of
Aristotelian psychological theory.
5 ARISTOTLE, De an. Ill 4 430a3-5 ; see also IE 7 43la i and III 8 431b20-29.
68 PETER KING

disagreements over the details with regard to (a), in particular whether


the agent intellect was a total or only a partial cause of occurrent acts of
thinking6. By contrast, there was broad consensus on the explanation of
(b). For the conformality account was embedded in a much more
comprehensive theory, for the most part meant to be a causal theory, of
the reception of forms in the soul. According to this more
comprehensive theory, the object’s form is transmitted through the
intervening medium to causally affect the sense-organs, thereby
reducing the associated sense-faculty from potency to act as a sensing
of the object ; the deliverances of each of the senses is recombined by
the inner sense, and, perhaps with some extra processing in the brain, a
phantasm or sensible species of the object is produced in the sensitive
soul7. To the extent that this physiological account of sensation could

6 Traditional ‘illumination’ theories of cognition, for instance, maintain that the


agent intellect is at best a partial cause, aided by God’s activity or influence : the
agent intellect is guided by the Divine Ideas, which are ideal patterns or archetypes in
God’s mind, i. e. exemplars (or exemplary forms) of mundane objects. The exemplar
explains why the mundane object is what it is, and so ‘illuminates’ the mundane
thing ; the exemplar is the actually intelligible structure of the mundane object.
Bonaventure, for example, takes the activity of the agent intellect to be the abstraction
of an intelligible species from the sensible species, followed by a double impression
on the possible intellect of the abstracted intelligible species (called the ‘created
exemplar’) with the Divine Idea (called the ‘uncreated exemplar’) through God’s
efficacy to produce human understanding, which “co-intuits” the created and
uncreated exemplars, though the latter only obscurely : BONAVENTURA,
Quaestiones disputatae de scientia Christi q. 4 ( 0 0 V, 17-27). Cf. P. KING,
“Scholasticism and the Philosophy of Mind : The Failure of Aristotelian Psychology”,
in Scientific Failure, eds. T. Horowitz - A. Janis, Lanham (Md.), Rowman &
Littlefield, 1994, pp. 109-138.
7 Psychology on thiks score is not merely consonant with metaphysics, but
continuous with natural philosophy. For the broader theory of the reception of forms
in the soul see any of the recent surveys of mediaeval cognitive psychology :
K. TACHAU, Vision and Certitude in the Age o f Ockham. Optics, Epistemology, and
the Foundations o f Semantics 1250-1345, Leiden-New York-Kobenhavn-Köln,
E. J. Brill, 1988 (STGMA, 22) ; L. SPRUIT, Species intelligibilis. From Perception to
Knowledge, vol. 1 : Classical Roots and Medieval Discussions, Leiden-New York-
Köln, E. J. Brill, 1994 (Brill’s Studies in Intellectual History, 48) ; and R. PASNAU,
Theories o f Cognition in the Later Middle Ages, Cambridge, Cambridge University
Press, 1997.
DUNS SCOTUS ON MENTAL CONTENT 69

be verified through experience, the more plausible the conformality


account, since it relied on the same fundamental principles : the form,
present in a cognitive faculty through the activity of some agent cause,
produces in that faculty a determinate cognition of the object.
The only remaining task is to connect the physiological and the
intellective accounts. Here too there was consensus. First, the agent
intellect takes the (individual) phantasm and abstracts from it
something (more) universal, called the intelligible species. That is to
say, the agent intellect takes the particular phantasm and processes it so
that it is fit for the intellect’s use. This is a transition from being
potentially intelligible to actually intelligible, though not yet to being
actually understood. Second, the agent intellect, perhaps with divine
assistance, impresses the intelligible species on the possible intellect, so
that what was merely intelligible - what was able to be understood -
then becomes actually understood. Thus does abstract thought come
about in the intellect.
By the close of the thirteenth century this traditional aristotelian
account of psychology had come under attack, with much of the critical
fire directed at the connection between the physiological account of
sensory cognition (still widely accepted) and intellectual cognition. In
particular, the function of the agent intellect and the need for
intelligible species were the subject of much debate, and philosophers
such as Peter John Olivi and Godfrey of Fontaines argued that the
intelligible species was theoretically superfluous. But the philosopher
whose criticisms were most deeply felt within the Franciscan Order,
and by Scotus himself, was Henry of Ghent.
According to Henry, the agent intellect retains the sensible species
in memory as something less fixed and definite, and thereby less
particular ; Henry calls them ‘universal phantasms’ for this reason - not
because they present the essence, but because they do not definitely
present an individual. Once such universal phantasms are present in
memory, the exemplar directly actualizes the possible intellect. There is
no call for an intelligible species ; the exemplar rather than the agent
intellect acts on the possible intellect, by means of God’s agency8.

8 HENRY OF GHENT, Summae quaestionum ordinariarum, a. 1 q. 2, modified and


amplified in a. 58 q. 2 ; Quodl. V, q. 14, Quodl. VIII, q. 12, and Quodl. IX, q. 15.
70 PETER KING

(Henry even calls God a kind of “second agent intellect.”) Of course,


Henry did not merely present an alternative ; he paired it with a strong
negative case against the traditional account, hammering away at its
deficiencies, especially with regard to its account of intellectual
activity. The traditional account of cognitive psychology can therefore
be simplified, Henry concludes, resulting finally in a theory that
severely restricts the activity of the agent intellect and dispenses with
the intelligible species altogether9.
At the turn of the fourteenth century, then, Scotus was confronted
with a crisis in psychological theory. On the one hand, the traditional
account of sensory cognition was widely accepted, which seemed to
underwrite its account of intellective cognition as well. On the other
hand, some philosophers, most notably Henry of Ghent, had made a
powerful case against the key elements of the theory’s explanation of
thinking.

II. SCOTUS’S WAY OUT

Scotus’s response to the crisis was characteristically direct. In his


Paris lectures, he devotes an entire question to the intelligible species,

Henry called the process of rendering the clear and lively sensible species into the
vague and indefinite universal phantasm ‘abstraction.’ Henry’s theories underwent a
marked evolution during the course of his career. The account presented here is
largely drawn from Henry’s writings composed after 1279, when he rejected the
intelligible species. See the more detailed account of Henry’s development in
St. MARRONE, Truth and Scientific Knowledge in the Thought o f Henry o f Ghent,
Cambridge (Mass.), The Medieval Academy of America, 1985 (Speculum Anni­
versary Monographs, 11).
9 Henry’s philosophical development tends toward this final simplification,
though not as directly as suggested here. Even in his mature phase represented by
Quodl. IX q. 15, for instance, Henry distinguished the possible intellect as material
(receptive of the exemplar) and the possible intellect as speculative (able to reflect on
its actualization and so gain deeper insight into the exemplar) : HENRY OF GHENT,
Quodl. IX, ed. R. Macken, Louvain, Leuven University Press, 1983 (Henrici de
Gandavo Opera Omnia, 13), pp. 258-269. Cf. St. MARRONE, Truth and Scientific
Knowledge, op. cit., pp. 136-137.
DUNS SCOTUS ON MENTAL CONTENT 71

namely Rep. par. I A, d. 3, q. 4 : “Whether in the intellective part taken


strictly there is memory having an intelligible species that is really
distinct from and prior to the act of understanding” (Utrum in parte
intellectiua proprie sumpta sit memoria habens speciem intelligibilem
realiter distinctam ab actu intelligendi et praeuiam actui intellectus)101.
Scotus focusses almost exclusively on Henry of Ghent’s arguments and
objections. He defends much of the traditional account, but in the
course of his discussion he elaborates a new paradigm to replace the
core of that account.
Scotus draws his third principal argument against the need to
postulate intelligible species from Henry of Ghent, which he pithily
restates as follows (Rep. par. I A, d. 3, q. 4) :
If there were an intelligible species in the intellect, it would inform it as an
accident informs its subject ; the intellect would thus bear its object as a
real attribute, and so not as an intentional attribute ; it then follows that
understanding is not “the movement of a thing towards the soul”
(Dean. I l l 4 429a13-15)n .

Henry’s objection is this. The intelligible species is meant to be the


vehicle by means of which the (abstracted universal) form of the object,
previously sensed, comes to be present in the intellect. But the way in
which a form is present in the intellect is to inhere in it, that is, for the
intellect to be a subject for the form. (Scotus speaks here of ‘attributes’

10 Here and throughout, I give the text of Rep. par. I A, d. 3, q. 4, transcribed from
the two Oxford manuscripts : Merton College Library, Coxe lat. 59 ff. 35v-37v and
Balliol College lat. 205 ff. 34v-36v. For earlier parallels see Duns Scotus, QQ De
anima, q. 17, “Utrum in intellectu nostro sint species intelligibiles priores naturaliter
actu intelligendi”; Lect. I, d. 3, pa. 3, q. 1, “Utrum in parte intellectiua sit proprie
memoria habens speciem intelligibilem obiecti priorem actu intelligendi obiectum” ;
Ord. I, d. 3, pa. 3, q. 1, “Utrum in parte intellectiua proprie sumpta sit memoria
habens speciem intelligibilem priorem naturaliter actu intelligendi”.
11 “Praeterea, si esset species intelligibilis in intellectu, informaret eum sicut
accidens subiectum suum ; ergo intellectus patietur ab obiecto passione reali ; non
ergo passione intentionali, et sic sequitur quod intelligere non est motus rei ad
animam”. The argument is taken from HENRY OF GHENT, Quodl. V q. 14, Venice,
1613, f. 175F. Scotus raises it practically verbatim in Ord. I, d. 3, pa. 3, q. 1, n. 336
(Vat. Ill, 203), and again, though couched in different terms, in Lect. I, d. 3, pa. 3,
q. 1, n. 254 (Vat. XVI, 327).
72 PETER KING

rather than accidents or inherence in order to underline the peculiar


way forms are in the intellect.) The presence of the form in the intellect
is therefore just like the presence of any real attribute in its subject, the
way, for example, whiteness is present in a material body, thereby
making the body in which it is present white. But if so, the intelligible
species, like whiteness, can then only make its subject have the features
it engenders, and so not to be ‘intentionally directed’ at something
e ls e - any more than the presence of whiteness in a white body
somehow makes that body to be ‘about’ whiteness12. In short, the
intelligible species can’t do the job it was designed for.
There are two obvious replies to Henry’s objection. The first
maintains that there is something special about the subject in which the
form is present ; the second, that there is something special about the
way in which form is present in its subject. Yet a moment’s reflection
shows that neither of these replies will do.
According to the first reply, it is the mind itself, not the form, that
makes the presence of the form be intentionally directed at the object.
Yet this merely names the difficulty rather than explaining it. What is it
about the mind such that forms present in it are intentionally directed at
their objects?
According to the second reply, the work is done by the form’s
special mode of presence in the intellect ; after all, we know that the
form is not in the intellect the way it is in the external object. Yet this
too provides no explanation ; the ‘intentional’ mode of presence
remains completely mysterious.
Since neither of these two obvious ways of replying to Henry’s
objection will do, Scotus takes another way out, one not obvious at all :
breaking with tradition, he rejects simple conformality as a way of
understanding thought. Instead, Scotus proposes an analysis of thinking
wherein there are at least two distinct components {Rep. par. I A,

12 In Ord. I, d. 3, pa. 3, q. 1, n. 336 (Vat. HI, 203), Scotus concludes his statement
of the objection by adding that then “every understanding will be an absolute action
of the intellect, like a form obtaining in it, not having any outside terminus” : “omnis
intellectio erit actio eius absoluta, sicut forma stans in se, non habens aliquem
terminum extra”. Hence an act of thinking would not be ‘directed’ at anything, and so
not have intentionality at all.
DUNS SCOTUS ON MENTAL CONTENT 73

d. 3, q. 4) :
I declare that the intellect bears a second attribute the way an organic
potency or organic sense does : at first in receiving the species, though it
isn’t real as an intentional attribute ; and once this has taken place, there
follows a cognizable or intentional attribute through which the intellect
bears the object in the species intentionally, and hence understanding
really is a “movement toward the soul,” since it derives from the object as
it is in the species. Thus the first attribute is in the intellect, the second
derives from the object as it shines forth once again {relucet) in the
species13.

The reception of the intelligible species involves (a) a real


attribute, present in the intellect as in a subject ; (b) an ‘intentional
attribute,’ derived from the object, following on the real attribute. Now
(a) is modelled on the metaphysical inherence of an accident in the soul
as its (quasi-) substance. That is to say, (a) describes the respect in
which the intellect receives the intelligible species as something only
episodically present in the soul as its subject, namely as something that
exists ‘subjectively’ in the soul. But (b) is different. First, it is not
present in the soul subjectively, as (a) is. Although it is derived from
the object, it depends on (a). Second, Scotus later asserts that the mind
can make an “intentional production” such as (b) “only if there is some
form that has been really produced [in the mind] by a real production in
which there is the object of the intentional production,” as described
here14. Third, (b) is the vehicle for the object’s presence in the intellect,

13 “Dico quod intellectus patietur secunda passione, sicut potentia organica uel
sensus organicus : primo realiter recipiendo speciem, licet non sit realis sicut passio
materiae ; et, hac praemissa, sequitur passio cognoscibilis siue intentionalis qua
patitur ab obiecto in specie intentionaliter, et ideo intelligere est motus ad animam,
quia ab obiecto ut in specie. Prima ergo passio est in intellectu, secunda est ab obiecto
ut in specie relucente”. Cf. Lect. I, d. 3, pa. 3, q. 1, n. 298 (Vat. XVI, 345) ; Ord. I,
d. 3, pa. 3, q. 1, nn. 386-387 (Vat. HI, 235).
14 Rep. par. I A, d. 27, q. 2 (Merton 59, f. 127r = Balliol 205, f. 1131) : “Sed nulla
productio intentionalis est esse obiectum, nisi prius sit aliqua forma producta realiter
aliqua productione reali in qua est obiectum productionis intentionalis ; de hoc dictum
est supra in isto libro d. 3”. In the corresponding passage in Ord. I, d. 27, qq. 1-3,
n. 54, Scotus tells us that the object has intentional being in the real attribute : “istae
actiones et passiones intentionales non conueniunt obiecto nisi propter aliquam
74 PETER KING

derived from its evident presence in the intelligible species (where it


“shines forth once again”), which clearly specifies the character of the
act of thinking. These three features of (b), namely its dependence on
{a), its existence ‘in’ it, and its presentation of the object, license us to
speak of (b) as the mental content of the thought (a)15.
Scotus does speak of the intentional object as being borne in the
species rather than in the occurrent thought. That is because he can talk
of either equally well : the act of thinking inherits all its characteristics,
including its content, from the intelligible species ; hence a full
description of the intelligible species just is an explication of the
content of an act of thinking. Scotus can draw the distinction as needed,
but for the most part treats talk of the intelligible species and of the
occurrent act of thought as completely interchangeable, and I’ll follow
his practice in this regard.
Now Scotus elucidates the sense in which the object is ‘in’ the
intelligible species, and thence the act of understanding, in replying to
the second principal argument, which runs as follows : The presence of
the object causes the existence of the species in the cognitive power,
not the other way around; hence the object in the species isn’t present
in the cognitive power as a cause, but rather as something that is itself
caused16. Scotus’s response is to distinguish two ways in which
something can be present {Rep. par. IA d. 3 q. 4) :
We declare that there is an ambiguity in ‘presentness’ : (z) the presentness
of the real object to the potency, that is, what is active to what is passive ;
(z'r) the presentness of the cognizable object, and this doesn’t require the
real presence of the object, but does indeed require something in which the

actionem uel passionem realem, quae conueniunt ei in quo obiectum habet esse
intentionale” (Vat. VI, 86).
15 Scotus conflates the first two of these features in Lect. I, d. 3, pa. 3, q. 1, n. 298,
where he reasons that “an intentional attribute must presuppose a real attribute, for
otherwise it would be founded in nothing” : “oportet ut passio intentionalis
praesupponat passionem realem, aliter enim fundaretur in nihilo” (Vat. XVI, 345).
16 Rep. par. I A, d. 3, q. 4 : “Praesentia obiecti respectu potentiae causa est speciei
in potentia, et non e conuerso ; ergo non per speciem ut per causam obiectum est
praesens potentiae”. The argument is taken from HENRY OF GHENT, Quodl. V, q. 14,
ed. eit, f. 174Z. Scotus also mentions it in QQ De anima, q. 17, n. 2 ; Lect. I, d. 3,
pa. 3, q. 1, n. 250 (Vat. XVI, 325-326) ; Ord. I, d. 3, pa. 3, q. 1, n. 334 (Vat. III, 202).
DUNS SCOTUS ON MENTAL CONTENT 75

object shines forth once again. Therefore, I say that (z) the real presence of
the object is the real cause of the species, and (z'zj the object is present in it.
Accordingly, in (z) the object is an efficient cause, whereas in (zz) there is
the formal presence of the species, for the species has the kind of nature
such that the object is cognizably present in it - not effectively or really,
but instead in the manner in which it shines forth once again17.
The real object is the agent cause, which, when present, triggers
the cognitive power’s ability to receive the species. The agent cause
therefore has presentness in sense (zj, which thus must be part of the
causal account of cognition integrating psychology with natural
philosophy. But presentness in sense (zz) is a matter of the object being
“cognizably present” in the species, that is, the object being contained
in the intelligible species as its sole and evident content. This is not real
presence, since the object is not really in the intelligible species (the
species of a cat does not include the real cat) ; nor is the object in the
intelligible species as a cause present in its effect (as we can ‘see’ the
cat from the shape of the indentation on the pillow). Instead, Scotus
tells us, the object is present “in the manner in which it shines forth
once again.” What does he mean by this dark saying ?
In part this is a logical precondition on thought. In order to think
about a cat, the intellect must be in potency, either essential or
accidental, to be thinking of a cat, and this in turn requires the object
(the cat) to be available to the intellect prior to the occurrent thought so

17 “Dicendum quod aequiuocatio est de praesentialitate : quaedam enim est


praesentialitas realis obiecti et potentiae, siue actiui et passiui ; et alia est
praesentialitas obiecti cognoscibilis, et haec non requirit praesentiam realem obiecti,
sed bene requirit aliquid in quod relucet obiectum. Dico ergo quod praesentia realis
obiecti est causa realis speciei, et in illa est obiectum praesens ; unde in prima
praesentia obiectum est causa efficiens, sed in secunda praesentia est speciei
praesentia formalis : species enim est talis naturae quod in ea est praesens obiectum
cognoscibiliter, non effectiue uel realiter sed per modum relucentis”. Cf. Vat. III,
App. A 366-367. There is an earlier version of this reply in Ord. I, d. 3, pa. 3, q. 1
n. 382 (Vat. in, 232-233). See also Lect. I, d. 3, pa. 3, q. 1, n. 294 (Vat. XVI, 342-
343), which uses instants of nature in his answer ; and QQ De anima, q. 17 n. 17. The
notion of ‘presentness’ is discussed in J. BIARD, “Intention et Présence : la notion de
presentialitas au XIVe siècle”, in Ancient and Medieval Theories o f Intentionality, ed.
D. Perler, Leiden-Boston-Köln, E. J. Brill, 2001 (STGMA, 76), pp. 265-282.
76 PETER KING

that it may determinately actualize the intellect18. (The cat, of course, is


present by its form, so that we may speak either of the object or of the
form indifferently : cf. § III below.) But there is more to it than that.
Scotus is making the point that in order to be cognized at all, we need
not the object as such but rather the object qua cognizable, towards
which we direct our mental a c t- in short, we need the object to be
‘cognizably’ present, to be the mental content of our act of thinking,
whether the real object be present or not19. Furthermore, mental content
is transparent in the sense that it is immediately evident what the
content of a given act of thought is ; the thinker is not, and cannot be,
unclear about what he is thinking about. This is the point of Scotus’s
insistence that the object “shines forth once again” as the mental
content of the act of thought : ‘once again’ because it is the cognizable

18 This line of reasoning is a key feature in Scotus’s defense of the intelligible


species in Rep. par. I A, d. 3, q. 4. He offers it twice. The first time it shows up as the
initial principal argument: “Intellectus quandoque est in potentia essentiali ante
addiscere, quandoque est in potentia accidentali ante addiscere, II De anima et III et
VIII Physicorum ; ergo aliter se habet quando est in potentia accidentali quam ante,
quando est in potentia essentiali. Obiectum autem non se habet aliter sed eodem
modo. Si ergo intellectus se habet aliter ut est in potentia accidentali, ergo est
mutatus ; sed omnis mutatio terminatur ad aliquam formam ; ergo aliqua forma
praecedit actum intellectionis, et illam uoco speciem”. Cf. QQ De anima, q. 17, n. 6 ;
Lect. I, d. 3, pa. 3, q. 1, n. 255 (Vat. XVI, 327) ; Ord. I, d. 3, pa. 3, q. 1, n. 339 and the
textus interpolatus there (Vat. Ill, 204-205). The second time Scotus endorses it as his
own reason for postulating the intelligible species : Intellectus potest habere obiectum
actuale < per se> * sibi praesens prius natualiter quam intelligat ; ergo habet
speciem obiecti in intellectu et non in phantasmate priusquam intelligat.
Antecedens**patet, quia sicut obiectum, ita per se condicio obiecti intellectus, cuius
est uniuersalitas, praecedit actum intellectus [ * = perfectione MB ; ** = Consequens
M ]. Cf. QQ De anima, q. 17, n. 7 ; Lect. I, d. 3, pa. 3, q. 1, n. 267 (Vat. XVI, 332) ;
Ord. I, d. 3, pa. 3, q. 1, nn. 349-350 (Vat. III, 210-211).
19 Cf. D. PERLER, “What Am I Thinking About ? John Duns Scotus and Peter
Aureol on Intentional Objects”, Vivarium 32/1 (1994), pp. 72-89 ; D. PERLER,
“Things in the Mind: Fourteenth-Century Controversies over ‘Intelligible Species’”,
Vivarium 34/2 (1996), pp. 231-253 ; and R. PASNAU, “Cognition”, loc. cit. pp. 285-
311. As Scotus puts it later in Rep. par. I A, d. 36, qq. 1-4, n. 34 : “The basis for
understanding the object is really different from the object,” ratio intelligendi differt
realiter ab obiecto (text given by T. NOONE, “Scotus on Divine Ideas : Rep. Paris. I-
A, d. 36”, Medioevo 24 (1998), p. 407,11. 22-23).
DUNS SCOTUS ON MENTAL CONTENT 77

rather than the real presence of the object ; and it ‘shines forth’ because
the object transparently discloses itself in the act of thinking. It could
hardly do less, since it gives the mental act the character it has20.
Scotus’s idea - to distinguish acts of thinking from their content -
is new and startling. There is no room for it on the traditional account
of Aristotelian psychology, which takes both the occurrence of an act
of thinking and the content of that act to be given by one and the same
thing, namely the form’s presence or inherence in the soul. For Scotus,
while thinking initially appears to be ontologically simple, it turns out
to be really composite, consisting in a form that is present in the soul
subjectively in combination with another form that is present only
intentionally, existing in and depending on the first form ; the second
form is identifiable as the object of the thought, at least to the extent
that forms are identifiable with the objects of which they are the
(essential) forms21. The intelligible species is the vehicle for these

20 From the transparency of mental content Scotus deduces that each object in the
mind can have only a single representative character. This carries the weight of his
argument in Rep. par. I A, d. 3, q. 4 against Henry of Ghent’s theory of cognition,
since it is a key feature of Henry’s account that one and the same mental item, for
Henry the phantasm, can have distinct representative characters in distinct acts of
thinking - e. g the phantasm of Felix the Cat can at one time represent Felix, the
particular cat, and at another represent felinity. Scotus argues as follows : “Eadem
species et eiusdem rationis, non est per se repraesentatiua obiecti sub oppositis
rationibus repraesentabilis ; ratio singularis et ratio uniuersalis sunt oppositae rationes
in cognoscibili et repraesentabili ; igitur nulla eadem species et unius rationis potest
esse repraesentatiua alicuius obiecti sub uniuersalis et singularis. Species in
phantasmate repraesentat obiectum singulare sub ratione singularis, ergo non potest
repraesentare sub ratione uniuersalis idem obiectum. Maior probatur, quia species sub
illa ratione qua repraesentat obiectum, mensuratur ab obiecto. Sed idem non potest
mensurari duabus mensuris oppositis, nec e conuerso ; tunc enim idem bis diceretur,
secundum Philosophum. Igitur eadem species non potest repraesentare duo obiecta
opposita, nec idem obiectum sub oppositis rationibus obiectiuis”. Cf. QQ De anima,
q. 17, n. 8 ; Lect. I, d. 3, pa. 3, q. 1, n. 268 (Vat. XVI, 332) ; Ord. I, d. 3, pa. 3, q. 1,
n. 352 (Vat. IE, 212, especially the textus interpolatus).
21 A delicate point is how the object exists in and through the act of thinking,
since that seems to make it an accident of an accident, something proscribed by
Aristotelian metaphysics. Scotus does not say, but one suggestion might be that the
two forms are a kind of composite entity with one part dependent on the other, but not
78 PETER KING

forms to exist in the intellect. More precisely, the intelligible species


‘contains’ the object, and, when impressed on the possible intellect,22
results in the actualization of both forms required in the intellect for
thinking. But the fine points aside, it is clearly an articulation of the
notion of mental content. When Socrates thinks of a cat he does so in
virtue of an act of thinking whose content is the form of the cat, or,
loosely speaking, a concept whose content is the cat. Such concepts or
mental acts can thus be sorted by their contents as well as (formally) by
the mental acts that include them23. At the price of doubling the number
of forms, then, Scotus can offer a theory of intellective cognition that
claims to make good on the notion of mental content, avoiding the
difficulties raised by Henry of Ghent24.

conversely - not unlike the way human beings are traditionally understood as
composites of body and soul, where the body depends on the soul for its continued
existence, but the soul can survive the body’s dissolution.
22 There are two joint co-causes responsible for impressing the intelligible species
on the possible intellect : (z) the object, either in itself or as present in the intelligible
species ; (zzj the intellect itself, perhaps only the agent intellect or perhaps the intellect
as a whole. Although they are joint causes they are not of equal rank, for Scotus
maintains that the causality of (z) is essentially ordered to that of (z'z) : Rep. par. I A,
d. 3, q. 6 (cf. Ord. I, d. 3, pa. 3, q. 2).
23 DUNS SCOTUS, Quodl. q. 15, n. 30, ed. F. Alluntis, Obras del Doctor Sutil
Juan Duns Escoto, edición bilingüe : Cuestiones Cuodlibetales, Madrid, BAC, 1968,
p. 552 : “The [intelligible] species also seems to be classified according to the object,
not as an intrinsic formal principle but instead as an extrinsic principle” : “Videtur
etiam sortiri speciem ab obiecto, licet non sicut a principio formali intrinseco, tamen
sicut a per se principio extrínseco”. Scotus here uses ‘sortiri’ as the deponent verb ‘to
sort or classify’ rather than in its classical sense ‘to select by lot.’
24 Scotus’s account might be taken as a sophisticated variant of the second
obvious reply to Henry, described above, in that according to Scotus the form of the
object is present in a special way, namely in the dependent secondary attribute. But
the burden of Scotus’s ontological multiplication of forms is precisely to give
structure and content to the way in which the form can be present in the mind, unlike
the second obvious reply. See further the discussion at the end of § 4.
DUNS SCOTUS ON MENTAL CONTENT 79

III. T h e b e i n g o f o b j e c t iv e b e in g

It is awkward to refer to mental content as ‘the secondary


dependent attribute present in the intellect via the primary real attribute,
conveyed by the intelligible species.’ Scotus therefore coins a new
vocabulary. Since the real attribute characterizing the intellect is
present in it as a subject, or ‘subjectively,’ Scotus declares the
intentional attribute that characterizes the intellect, by contrast, to be
present objectively (as described above)-w hich is to say that it, or
more generally the form or object it contains, has ‘intentional being’
(esse intentionale) or ‘objective being’ (esse obiectiuum) in the mind25.
The last term is especially well-chosen, since it contrasts with the
‘subjective being’ of ordinary attributes but is closely linked to the
‘object’ that is thought about. Further, it suggests and perhaps even
encourages a slide between the mental item and the real item. Indeed,
in Rep. par. IA d. 36 qq. 1-4 n. 58, for example, Scotus describes the
mental content of an act of thinking by talking about the object that is
thought of :
The house in the mind of the architect is objectively in the species of the
house. Furthermore, the species of the external house is in the soul, since
in no other way can the external house be present to the soul itself, for “the
stone is not in the soul but rather its species” (De an. 3.8 43l'>28-432al).
Hence the external house comes to be from the house as it is objectively in
its species in the soul. Therefore, the house objectively in the soul

25 Scotus seems to have been the first to use this turn of phrase. It also shows up at
roughly the same time in the De intellectu et specie of Hervaeus Natalis : see the text
given by P. STELLA, “La prima critica di Hervaeus Natalis O.P. alla noetica di Enrico
di Gand : il De intellectu et specie del cosidetto De quattuor materiis”, Salesianum 21
(1959), pp. 125-170, especially pp. 162-164. However, the best date for this treatise is
sometime in the first decade of the fourteenth century, probably in the latter half,
which would likely put it after Scotus’s Paris lectures. (Scotus and Hervaeus began
lecturing on the Sententiae at Paris in the same year.) Hervaeus’s other references to
objective being are found in quodlibetal disputations that can be securely dated to
1307-1310 : HERVAEUS NATALIS, Quodl. Ill q. 1, Venice, 1513, f. 68rb. In each
case Hervaeus is writing about debates that had taken place earlier in Paris. It is
plausible to think that Scotus was the direct or indirect source of those debates ;
Scotus, after all, had a philosophical basis for introducing the new terminology.
80 PETER KING

according to which the external house comes to be is the idea of [the


external house], since it is the house that is understood26.

The talk of an external house naturally suggests that we think of


the mental content of the idea as an ‘internal house,’ so that Scotus’s
theory now licenses us to speak of a thing as ‘existing’ in the thought of
it. The external house has real being whereas the ‘internal house’ has
only the being that is associated with being cognized (esse cognitum).
But that brings us face-to-face with the question : What is the being of
objective being ? Or in contemporary terms : What is the ontological
status of mental content ?
One answer can be ruled out immediately. As we have seen,
Scotus is clear that the ‘internal house,’ whatever it may prove to be, is
completely different from the external house. Mental content is an
intrinsic component of mental acts, and therefore categorically different
from nonmental items. Hence the objective being of the house is not a
feature or property of the external house, that is, it is not a feature of
the only house there is. Thus it is not, for instance, a new mode of
being that the real house might have. Nor is it an oblique way of talking
about the real house, an extrinsic denomination of it, since if it were,
objective being would not be an internal component of the act of
thought. In fact, there is a quick and dirty argument to the conclusion
that objective being cannot be tied in any fashion to the being of the
real item, since we can think of the real item (and so have the
appropriate mental content) even after it has been destroyed. But what
then is objective being ?
Scotus addresses this question in Rep. par. I A, d. 3, q. 4, in the
context of his second positive argument for postulating intelligible
species. He applies the metaphysical axiom “A real action must have a

26 “Domus enim in mente artificis est obiectiue in specie domus ; species autem
domus extra est in anima, quia aliter non potest domus extra esse praesens ipsi
animae, quia lapis non est in anima sed in species eius. Et ideo a domo ut est
obiectiue in sua specie in anima fit domus extra. Ergo domus obiectiue in anima
secundum quam fit domus extra est idea eius, quia domus intellecta” (text given by
T. NOONE, “Scotus on Divine Ideas”, art. d t , pp. 419.25-420.5). Everyone in the
Aristotelian tradition, including Aristotle, would on occasion talk this way ; Scotus
takes it literally and has a theory to back it up.
DUNS SCOTUS ON MENTAL CONTENT 81

real terminus” (Omnis actionis reális oportet aliquid dare terminum


realem) to the case of the agent intellect, arguing that it must have an
intelligible species to serve as the other terminus in its activity of
bringing about thought. However, someone might object that the
universal object qua universal in the phantasm might serve as the real
terminus, thereby avoiding the need for the intelligible species. Scotus
replies :
The ‘universal object qua universal’ has only diminished being (esse
deminutum), namely as being cognized, the way Hercules in the statue has
only diminished being, namely what is represented in an image...
Therefore, since the terminus of a real action is not an object having
diminished being, as being cognized or being represented, but instead
something real, it follows that the real action of the agent intellect is
terminated at a real form, in existence, by means of which it formally
represents the universal as universal. This real form is accompanied by an
intentional terminus, namely the universal object qua being represented,
which it has in the [intelligible] species27.

Scotus’s response to the question at issue should be no surprise :


the real form that is the terminus of the agent intellect’s real action is
the form existing subjectively in the mind, which is not to be confused
with the object existing objectively in the mind. Whether this reply
would convince Henry of Ghent is a point we can set aside, since we
aren’t interested in Scotus’s argument for its own sake but rather for
what it can tell us about the ontological status of mental content. Let’s
review his response carefully.

27 “Uniuersale obiectum sub ratione uniuersalis’ non habet nisi esse deminutum,
ut esse cognitum (quemadmodum Hercules in statua non habet esse nisi deminutum,
quia repraesentatum in imagine) ; sed si aliquod esse reale habet, hoc est in quantum
est in aliquo ut repraesentante ipsum sub illa ratione, ita scilicet quod intellectus agens
facit aliquid repraesentatiuum uniuersalis de eo quod fuit repraesentatiuum singularis.
Ergo cum terminus actionis realis non sit obiectum habens esse deminutum ut esse
cognitum uel repraesentatum, sed aliquid reale, sequitur quod realis actio intellectus
agentis terminatur ad realem formam, in exsistentia, qua formaliter repraesentat
uniuersale ut uniuersale, quam formam realem concomitato terminus intentionalis, ut
obiectum uniuersale secundum esse repraesentatiuum quod habet in specie”. Cf.
Vat. Ill, App. A 363 ; QQDe anima, q. 17, n. 13.
82 PETER KING

Scotus’s reply seems to turn on the newly-introduced notion of


diminished being. He mentions two varieties of diminished being :
cognized being and represented being, which are the kinds of being had
by items insofar as they are cognized or represented. Thus diminished
being is the kind of being Hercules has in his statue28. That is to say,
diminished being is the sort of being that Hercules-as-represented has.
O f course, a representation of Hercules need not be ‘mental’ (statues
are not mental), though a cognition of Hercules must be. Therefore,
‘diminished being’ can apply to mental and nonmental items.
Now the very terminology of ‘diminished being’ suggests that
Scotus is talking about a kind of being, albeit one that picks out a lesser
ontological status : frogs and bats have one status, pictures of frogs and
thoughts of bats another ; God presumably has the greatest ontological
status of all. On this score, mental contents are entities, if second-rate
entities. They have less being than other things. Nevertheless, they are
not nothing, for if they were nothing they could hardly determine the
character of mental acts. Hence diminished being applies to any
ontological status that is somehow ‘less’ than the status enjoyed by the
ordinary things of this world29. Scotus’s notion of diminished being is a
way of distinguishing ontological levels.
Scotus describes esse deminutum in this ontological fashion in his
earlier writings. For example, when he discusses the nature of the

28 Scotus’s way of putting his point might suggest that we are dealing with some
property of the real Hercules, but this would be a misunderstanding. Diminished
being is no more a property of the real Hercules than the objective being of the
‘internal’ house a property of the real (external) house.
29 Alternatively, diminished being is perhaps relative to the ontological status
something is ‘supposed’ to have. On this view, there need not be a single ontological
level where entia deminuta are to be found. Instead, anything shifted downwards from
its proper level will count as a diminution. For example, Hercules is a thing, but a
representation-of-Hercules is something less than Hercules, though still a thing in its
own right. Likewise human beings are an ‘image’ of God, who therefore has lesser
being in humans, although humans are on a higher ontological level than mere
representations of Hercules. Whether we construe diminished being as absolute or as
relative will affect the proper translation of esse deminutum, of course. Cf.
A. MAURER, “Ens diminutum : A Note on its Origin and Meaning”, Mediaeval
Studies 12 (1950), pp. 216-222.
DUNS SCOTUS ON MENTAL CONTENT 83

Divine Ideas in Ord. 1 d. 36 q. un. n. 45 (Vat. VI, 288), Scotus explains


the relation between diminished being and ordinary being as a version
of the relationship of being secundum quid to being simpliciter,
likening it to Aristotle’s case of the Ethiopian who is white in respect
of his teeth but black overall ; diminished being is genuinely an
instance of being, just as the Ethiopian’s teeth are genuinely white, but
it is not the full story with respect to its subject30. If we follow out the
analogy, diminished being is the sort of being something has in respect
of being cognized or represented, not in virtue of what it is absolutely ;
it is a kind of ‘partial’ being, the way whiteness only partially applies to
the Ethiopian. Moreover, if we ask where this lesser ontological level is
located, Scotus seems to have an answer : it is produced and sustained
by the Divine Mind in its thought31. Since the real world is also
produced by the action of Divine thought, there is no reason not to
explain lesser kinds of being the same way.
By the time he came to Paris, however, Scotus no longer endorsed
this ontological interpretation of diminished being. His discussion of
the Divine Ideas in Rep. par. IA d. 36 qq. 1-4 has been elaborated into
a more careful, articulated, and sophisticated treatment of the issues
than found in the Lectura or the Ordinatio - and he drops the
explanation of diminished being as being secundum quid as compared
to being simpliciter. In fact, he drops all mention of diminished being.
He speaks freely of objective being, but no longer finds it productive to
explain it in terms of diminished being. He clearly retained the notion
of diminished being, however, since he makes use of it in his second
positive argument for postulating intelligible species given in
Rep. par. IA d. 3 q. 4, as noted above. If he had it, why not use it ?
I think Scotus became dissatisfied not with the notion of
diminished being but with his explanation of it. In particular, he
seemed to find that it misled people, that they didn’t understand what

30 Cf. Ibid., n. 34. Note that Scotus doesn’t offer this explanation in the correspon­
ding passage of his earlier Oxford lectures, namely Lect. I, d. 36, q. un., n. 26 (Vat.
XVII, 468-469).
31 See Ord. I, d. 36, q. un., n. 28. This is the reading favored by D. PERLER,
“What Am I Thinking About ?”, art. cit., p. 80 : “The intelligible being constitutes a
‘third realm’ of being located in God’s intellect”.
84 PETER KING

he was driving at by appealing to diminished being in the first place.


Consider again his analogy with the Ethiopian white in respect of his
teeth. A salient feature of the analogy - the feature with which I believe
Scotus became dissatisfied - is that it makes diminished being a kind of
being in the first place. Hercules-as-represented is an entity ; it just
isn’t much of one. But when Scotus returns to the subject in his Paris
lectures, he gets rid of anything that suggests the ontological reading of
diminished being. Instead, he offers a starkly explicit denial in
Rep. par. I A, d. 36, qq. 1-4, n. 54 : “A stone in cognized being is in
reality nothing at all” (lapis in esse cognito tantum nihil est secundum
rem)32.
If we return to Scotus’s argument for the intelligible species with
this in mind, an alternative interpretation of diminished being naturally
suggests itself. In his response on behalf of the intelligible species, after
giving the example of Hercules, Scotus goes on to contrast diminished
being with the sort of being possessed by “something real.” Items with
diminished being, Scotus suggests, must “accompany” (concomitatur)
something real, ‘in’ which they are to be found. On the ontological
interpretation of diminished being, these claims would be read as
asserting the existence of something which, although existing, has a
lesser ontological status than the real thing on which it depends for its
existence. But his remarks can be read another way. Scotus might mean
that items with diminished being have no being at all in their own right.
They are instead completely dependent, having being only in and
through something else, namely the real item they accompany. But
what has no ontological status of its own, yet ‘exists’ in dependence on
another ?
The answer : something that supervenes on a given (real) item.
Scotus tells us that diminished being is the sort of being Hercules-as-

32 Text given by T. NOONE, “Scotus on Divine Ideas”, art. cit., p. 418,11. 16-17.
Scotus also seems to no longer suggest that human cognition is indebted to God’s
production of the Divine Ideas in intelligible being qua intelligible, although this
claim is less certain since Scotus also maintained that God has Ideas and that human
cognition ‘aspires’ toward Divine knowledge, at least in the sense that God’s act of
thinking of things is necessarily perfect in ways in which our cognitive acts could
only hope to be. Hence the suggestion that mental content is a third realm sustained
by God is tempered, if not jettisoned, in the Paris lectures.
DUNS SCOTUS ON MENTAL CONTENT 85

represented has in the statue33. But Hercules-as-represented is nothing


other than the statue, that is, bronze shaped in a particular way ; in its
own right it really is nothing at all. Now this point takes some delicate
handling. The shape of the statue is a form, and it thereby has the
ontological status Scotus accords to forms that belong to composite
substances. Of course, the shape of the statue is (closely similar to) the
shape possessed by Hercules in his lifetime, which is how the statue
can represent Hercules. But Hercules-as-represented is not the shape,
and self-evidently is not the bronze, but instead is the bronze ’s being so
shaped, which is neither the form nor the matter nor the composite,
though supervening on th e m -a n appropriately subtle view for the
Subtle Doctor.
Diminished being, then, despite the misleading implications of its
name, is not really a form of being at all. Likewise, objective being -
the being had by the object of thought - is a form of diminished being,
and hence not really a being. That is, it is not a being in its own right ;
it has no independent ontological standing. It ‘exists’ only in and
through the real item on which it supervenes, just as the bronze’s being
so shaped exists only in and through the shaped bronze that is the
statue, though it cannot be identified with the statue34.

33 This is something Scotus retains from his earlier writings. In Ord. I, d. 36,
q. un., n. 45, right before introducing the analogy of the Ethiopian white in respect of
his teeth, Scotus describes diminished being by talking about a statue of Caesar.
Indeed, Scotus takes statues to be paradigm cases for semantic signification (another
form of intentionality) as early as his questions on Aristotle’s De interpretatione.
34 In contemporary terminology, Scotus’s view is that the intentional attribute
supervenes on, but is not reducible to, the real attribute on which it depends. Now
there is a Pickwickian sense in which one could maintain that the supervening item
does ‘exist,’ in that it is always and only present when the real item on which it
supervenes exists, but this sense clearly doesn’t attribute further ontological status to
the supervenient item and so poses no threat.
86 PETER KING

IV . T h e m e t a p h y s ic s o f c o g n it iv e p s y c h o l o g y

The ‘supervenience’ reading of diminished being fits well with


the changes Scotus made in his Paris lectures from his earlier writings.
It also provides a clear model of how two attributes can be present in
one and the same thing, one subjectively and the other objectively. Yet
as an explanation of mental content it seems to leave a fundamental
question unanswered, and indeed unaddressed. How does mental
content get hooked up with an act of thought, or, more loosely, why
does a given concept have the content it does ? The statue of Hercules
has Hercules-as-represented for its intentional content because, we
might say, the bronze of the statue has this shape rather than another,
where this shape is (closely similar to) the shape Hercules had during
his life. But there seems to be nothing concrete we can point to as the
‘matter’ of the mental content to play the role in thought analogous to
that played by the bronze of the statue35. Instead, we seem to be left
with the brute fact that an act of thinking has the content it does. So, it
might be objected, Scotus in the end leaves mental content a mystery.
On Scotus’s behalf we might reply that this is just to ask what
makes one form different from another, which is an unanswerable
question. Each form is what it is and not another thing. If the difference
between unobservable mental contents seems more mysterious than the
difference between observable geometrical shapes, that is due to our
psychological limitations in thinking of the immaterial rather than

35 This is related to, but different from, the question of what kind of distinction
holds between the subjective and objective forms in the mind : a real distinction, a
distinction of reason, a formal distinction, a modal distinction, or something else ?
Scotus doesn’t address this question, but clearly it is neither a real distinction (since
the objective form is not a real thing) nor a distinction of reason (since this would
threaten regress). Nor does it fit the paradigm Scotus proposes for the modal
distinction, in which there is a single nature that ‘varies’ through each of the modes
(like shades of a given color). That leaves us with the formal distinction. In his later
works Scotus is concerned to deny that the formal distinction carries any ontological
baggage, and, if we allow one term of a formal distinction to be a real thing, then
perhaps that is the best answer we can supply on Scotus’s behalf, although it does
seem to be a case of obscurum per obscurius.
DUNS SCOTUS ON MENTAL CONTENT 87

anything special about mental content. In short, we could brazen it out.


Yet I believe Scotus felt the force of the objection and tried to
address it. There are two indications that Scotus was starting to give a
more technical analysis of mental content at the time of his death.
First, when discussing the nature of the Divine Ideas in
Rep. par. I A, d. 36, qq. 1-4, Scotus restructures his earlier discussions
of the material to concentrate on Aristotelian third-mode relations, that
is, what Aristotle calls relations of the measurable to the measure
(Met. V 15 1020b26-32). His single-minded focus on whether the third-
mode relations involved in cognition - in this case divine cognition -
are real relations or relations of reason shows his method at work,
where he tries to replace his earlier psychological accounts with
technical metaphysical apparatus. The centerpiece of his analysis is the
creation of ideas in the Divine Mind, for which he gives an analysis of
how mental content is constructed, in terms of four instants of nature.
Admittedly, it is God who so constructs mental content, but it is at least
a beginning on how mental content can be constituted, at least in part,
by the number, kind, and character of the relations that it involves.
The second indication comes from Scotus’s Parisian quodlibetal
disputation. In Quodl. q. 13, Scotus raises the question whether
cognitive and affective acts are essentially absolute or essentially
relative. He replies that such acts have both absolute and relational
components, the latter providing the grounds whereby a mental act is
directed towards something, both in general (thereby explaining
intentionality) and in particular (thereby explaining why an act has the
mental content it does). Most famously he applies his analysis to
intuitive and abstractive cognition, and his explanation is again
couched in the technical apparatus of the metaphysics of relations
(Quodl. q. 13, nn. 21-Al).
The details of Scotus’s account of the Divine Ideas on the one
hand, or of intuitive and abstractive cognition on the other, need not
detain us here. What does matter is that Scotus, at the time of his death,
was beginning to recast problems in cognitive psychology by making
use of the metaphysics of relations to further explicate the notion of
mental content. If his untimely death had not prevented him, there is
every reason to believe he would have continued to explore the nature
of mental content in a radically new way, by embedding it squarely in
metaphysics.
88 PETER KING

Scotus’s efforts were not unrecognized, but he was, at best, only


partly successful. Upon his death, his students in both England and
France recognized the centrality of mental content to Scotus’s thought,
and set to work to finish what they took him to have left unfinished in
the theory36. For instance, William of A lnw ick-w ho as Scotus’s
secretary knew his thought as well as anyone and better than most -
argues in his Quaestiones disputatae de esse intelligibili q. 1 that the
intelligible being of an object just is the act of intellect representing it,
along the lines of Scotus’s mature thinking, although he does not avail
himself of the theory of relations37.
Whether Scotus’s students, or for that matter Scotus himself,
succeeded in producing a defensible theory of mental content is a
question for another time. But we may still admire the revolution
Scotus wrought in the philosophy of mind as well as his attempt to
penetrate the cognitive and metaphysical depths of mental content38.

The University o f Toronto

36 For a description of how the early Scotists tried to carry on in their Master’s
footsteps, see : K. TACHAU, Vision and Certitude, op. cit. pp. 93-104, 157-179, 317-
335 ; L. SPRUIT, Species intelligibilis, op. cit. pp. 277-290 ; and D. PERLER, “What
Are Intentional Objects ? A Controversy Among Early Scotists” in Ancient and
Medieval Theories oflntentionality, op. cit., pp. 203-226.
37 WILLIAM OF ALNWICK, Quaestiones disputatae de esse intelligibili et de
quolibet, ed. A. Ledoux, Ad Claras Aquas, 1937.
38 I’d like to thank T. Noone for providing me with his working version of the
forthcoming critical edition of Scotus’s QQ De anima, q. 17. I would also like to
thank Drs. M. Stansfield and P. Bulloch, the archivists of Merton College (Oxford)
and of Balliol College (Oxford) respectively, for allowing me to examine the
Reinbold manuscripts of Dims Scotus they have in their charge.
DOMINIQUE DEMANGE

« OBJET PREMIER D ’INCLUSION VIRTUELLE »

INTRODUCTION À LA THÉORIE DE LA SCIENCE


DE JEAN DUNS SCOT

Quando obiectum ex se totum supplet quod esset


requisitum, ibi quaerere aliud lumen esset simile
quaerenti candelam ad videndum Solem1.

Selon Duns Scot, qui s’approprie en cela l’un des énoncés


essentiels des Seconds Analytiques2, une connaissance est scientifique,
c’est-à-dire nécessaire et certaine, en tant qu’elle remplit deux
conditions : elle est connaissance par la cause, et elle est connaissance
que cette cause est bien celle de la chose connue. La science est une
connaissance par la cause nécessaire et par soi. L’univocité de la
connaissance, qui est la source de sa certitude, résulte de l’évidence,
pour l’intellect, du rapport de causalité qui s’établit entre la
connaissance et son objet :
Cependant nous parlons de ‘science’ dans le même sens que le Philosophe
dans le premier livre des Seconds analytiques, lorsqu’il dit : « Car nous
pensons connaître quelque chose absolument, et non de façon sophistique,
lorsque nous estimons en connaître la cause, que la cause lui revient, et
qu’il est impossible qu’il soit autrement. » Et la science exprimée de cette
façon remplit quatre conditions : Premièrement elle est certitude de
connaissance, ce pourquoi il est dit : « nous estimons connaître quelque
chose absolument, et non de façon sophistique » ; grâce à quoi se

1 DUNS SCOTUS, Rep. par. ni, d. 14, q. 2, n. 15 (Wad. XI, 472). Cf. Ord. I, d. 3,
n. 188 (Vat. ÏÏI, 115).
2 ARISTOTE, An. post, I, c.2, 71b9-13.
90 DOMINIQUE DEMANGE

retrouvent exclus toute incertitude ou doute. Deuxièmement elle doit


porter sur le connu nécessaire, de sorte que pour ce qui est su « il est
impossible qu’il soit autrement. » Troisièmement elle doit être causée par
ime cause évidente pour l’intellect, et c’est pourquoi il dit que savoir la
chose c’est « en connaître la cause », comme par cela qui est évident à
l’intellect. Quatrièmement cette cause doit être appliquée à la conclusion
par un discours syllogistique, et c’est pourquoi il faut savoir « que la cause
lui revient », par un acte exercé de causer et d’appliquer les principes aux
conclusions3.

I. DE L’UNITÉ HABITUELLE À L’UNITÉ OBJECTIVE :


LE RENVERSEMENT SCOTISTE

Chez Thomas d’Aquin, Gilles de Rome ou Henri de Gand, la


question de l’unité de la science est abordée selon l’angle suivant. On
sépare deux sujets de la science, ce qui oblige dans un second temps à
les faire coïncider par une construction. On a en effet, d’une part, un
sujet réel défini par sa perfection et son éminence, le premier sujet de la
science, le subiectum ex consequenti ; et d’autre part, un sujet commun
servant à la saisie de tous les autres objets, le subiectum formale. Ce
dernier se donne comme la raison commune sous laquelle toutes les
choses sont saisies, de même que c’est sous la raison formelle du
visible que toutes les choses sont connues par la vue. Le sujet formel
assure l’extension de la science. Le sujet premier ou éminent s’impose
comme la source réelle d’intelligibilité, comme ce qui réalise en soi-
même le plus parfaitement la raison intelligible, et comme ce qui assure
l’ordre causal dans l’être comme dans la connaissance. Or ce sujet
premier ne saurait être saisi parfaitement sous la raison d’intelligibilité
commune, sans cesser d’être la source intelligible grâce à laquelle les

3 DUNS SCOTUS, Rep. par. III, d. 24, q. un., n. 16 (Wad. XI, 519-520). Cf. Rep.
par., Prol., q. 1, a. 1, n. 4 (Wad. XI, 2) ; Ord., Prol., pa. 4, qq. 1-2, n. 208 (Vat. I,
141).
« OBJET PREMIER D ’INCLUSION VIRTUELLE » 91

autres objets doivent leur intelligibilité dans cette science4. Cette


théorie de l’unité de la science a deux conséquences majeures :
1 — Ex parte scientis, soit du côté de l’intellect : puisqu’à une
science unique correspond une raison formelle d’intelligibilité unique,
elle relève d’un habitus unique, c’est-à-dire d’une disposition
psychique unique dans l’âme5.
2 — Ex parte scibilis, soit du côté de l’objet : de par le caractère
purement formel de son objet commun, l’unité de la science ne
coïncide pas avec l’unité d’un sujet ou d’un genre réel.
Scientia non dicitur una propter unitatem realem secundum genus aut
speciem eorum de quibus considerat, sed propter unitatem rationis et modi
considerandi circa subjectum unum, ad quod plura attribuuntur propter
unam formalem rationem considerandi omnibus convenientem6.

Si les sons de la voix humaine sont différents, selon leur origine


naturelle, des sons produits par les corps inanimés, il n ’y a pourtant
qu’une seule science musicale qui s’occupe de la voix et des
instruments, dès lors qu’elle les considère tous selon la même raison
intelligible, à savoir la consonance. Inversement, ce n’est pas parce que
le corps mathématique est ontologiquement inséparable du corps
matériel qu’il n’y a qu’une seule science qui s’occupe des deux : l’un
est connu par les principes de la quantité, l’autre par les principes du
mouvement7. Les principes d’une même science sont des principes de
connaissance, qui s’unissent pour former une unité de connaissance, un
« genre connaissable » (genus scibilis) qui n ’a rien de commun avec le
genre naturel, puisqu’il obtient son unité d’un modus considerandi :
Nec tamen intelligendum est quod sufficiat ad unitatem scientiae unitas
principiorum primorum simpliciter, sed unitas principiorum primorum in
aliquo genere scibili. Distinguuntur autem genera scibilium secundum
diversum modum cognoscendi8.

4 Cf. THOMAS DE AQUINO, ST Ia, q. 1, a.7 ; AEGIDIUS ROMANUS, Quaestiones


metaphysicales, q. 5.
5 Cf. THOMAS DE AQUINO, STIa-IIae, q. 54, a. 4.
6 HENRICUS DE GANDAVO, Quodl. IX, q. 4 ( 0 0 XIII, 93-94).
7 Cf. THOMAS DE AQUINO, I n i An. Post., lect. 41 (Leon. 1/2, 154-155).
8 Ibid. : « Sicut autem formalis ratio visibilis sumitur ex lumine, per quod color
videtur, ita formalis ratio scibilis accipitur secundum principia, ex quibus aliquid
92 DOMINIQUE DEMANGE

Duns Scot va réfuter cette théorie de l’unité de la science en


s’attaquant à ses deux thèses principales :
1 — Réfutation de la thèse de l’unité psychique, habituelle de la
science - thèse thomasienne qu’Henri de Gand, dans la question 4 de
son Quodlibet DC, avait continué de soutenir, déjà au prix de beaucoup
de difficultés9. Si nous considérons, en effet, une science complexe
comme la géométrie, dès lors il est clair que la multiplicité des
principes et des conclusions qu’elle contient d’une part, et d’autre part
les diverses possibilités et degrés différents d’état de connaissance et
d’ignorance pour l’intellect relativement à cette même science,
imposent de considérer que la géométrie in anima est un complexum
speculandi, un ensemble complexe d’habitus, et non une disposition
psychique simple. Duns Scot conclut ainsi qu’à toute connaissance
simple, correspond un habitus simple dans l’âme, et à toute connais­
sance complexe, un ensemble ou un complexe d’habitus10.
2 — Réfutation de la thèse selon laquelle l’unité de la science ne
serait pas celle d’un sujet réel, et qu’il suffirait de l’adéquation d’une
puissance intellective déterminée pour rassembler dans une même
science les objets actualisés par cette puissance. Pour Duns Scot, si la
métaphysique ou la physique sont des sciences du réel, leur objet ne
saurait être qu’un objet réel, et non une simple ratio cognoscendi11.
On assiste donc à un retournement complet : chez Henri de Gand
et Thomas d’Aquin, la science est une raison formelle simple, et ainsi

scitur. Et ideo quantumcunque sint aliqua diversa scibilia secundum suam naturam,
dummodo per eadem principia sciantur, pertinent ad unam scientiam; quia non erunt
iam diversa in quantum sunt scibilia. Sunt enim per sua principia scibilia. »
9 DUNS SCOTUS, In VIMet., q. 1, nn. 17-38 (St. Bon. IV, 9-15) ; HENRICUS DE
GANDAVO, Quodl. IX, q. 4 ( 0 0 XIII, 88-99). L’argumentation de Dims Scot, dans
ses grandes lignes comme sur certains points particuliers, sera reprise par
GUILLELMUS DE OCKHAM, In I Sent., Prol., q. 8 (OTh I, 211-217) ; In Phys., Prol.
(OPh IV, 6-10).
10 DUNS SCOTUS, In VIMet., q. 1, nn. 39-40 (St. Bon. IV, 15).
11 Cf. DUNS SCOTUS, In VI Met., q. 1, n. 43 (St. Bon. IV, 18) : « Ubi sciendum
est quod intelligendum est hic primo de scientia speculativa reali, quae scilicet
considerat intentiones primas abstractas a singularis realibus et dictas de illis in
quid. »
« OBJET PREMIER D’INCLUSION VIRTUELLE » 93

une disposition psychique simple, qui se multiplie en s’actualisant dans


les objets connus ; pour Duns Scot, la science est simple dans son objet
qui est sujet premier, mais multiple dans sa réalité psychique. Pour
Henri de Gand, la progression dans la connaissance d’une science
correspond, au niveau psychique, à une intensification de l’habitus de
cette science, à la manière d’une couleur qui devient de plus en plus
parfaite en s’intensifiant. C’est en ce sens qu’il faut entendre la formule
d’Henri selon laquelle l’intellect angélique simple « contient
virtuellement » toutes les connaissances possibles sur les créatures12 :
ce qui n’est rien d’autre que dire que cet intellect est une puissance
simple qui est disposée envers toutes les créatures, qu’il est en
puissance indéterminée de les connaître toutes. Duns Scot lui répond,
posant ainsi un principe que l’on retrouvera jusque dans la troisième
des Méditations métaphysiques de Descartes, que c’est chose
impossible pour un intellect fini : s’il « contenait virtuellement » tout ce
qu’il est en puissance de penser, l’intellect angélique contiendrait
l’infinité de ses objets possibles13. Or voici précisément en quoi Henri
de Gand se trompe : ce n ’est pas, comme il l’affirme, l ’intellect qui
« contient virtuellement » la connaissance, c’est son objet14. ‘Révolu­
tion copemicienne’, donc, prenant comme pivot ce concept d’inclusion

12 « Unicus habitus scientiae virtute continet omnia intelligibilia circa quae est
scientia, et tanto magis actualiter quanto simplicior est, ita quod intellectus capere non
possit id quod est scientia in re nisi accipiendo scibile cuius est. <...> Habitus unicus
est, non determinatum ad aliquod obiectum, virtute tamen in se habens singula, ita
quod si essent infinitae species et essentiae creaturarum, unico habitu sufficeret
intelligere singulas, - et in infinitum procedendo, unam post aliam. » (HENRICUS DE
GANDAVO, Quodl. V, q. 14, in corp. Ce texte est cité par DUNS SCOTUS, Ord. II, d.
3, pa. 2, q. 3, nn. 355-363, Vat. VII, 571-576).
13 DUNS SCOTUS, Ord. II, d. 3, pa. 2, q. 3, n. 367 (Vat. VII, 579) : «Non potest
una ratio creata esse principium cognoscendi infinitas quiditates, sive non tot quin
plures.»
14 DUNS SCOTUS, Ord. II, d. 3, pa. 2, q. 3, n. 370 (Vat. VII, 581) : « Omnis
autem ratio cognoscendi quae est in intellectu creato <...> se habet ad ipsum
cognitum sicut mensuratum ad mesuram, et ita sicut ‘posterius naturaliter’ ad prius;
quare unitas eius necessario dependet ab unitate obiecti mensurantis. Igitur necesse
est aliquod unum obiectum esse mensuram eius. Sed obiectum quod est mensura eius,
est ei adaequatum ; ergo non est ratio cognoscendi alia, nisi quia continentur
virtualiter in primo obiecto quod est mensura eius. »
94 DOMINIQUE DEMANGE

virtuelle, lequel ne signifie plus désormais la disposition ou puissance


de connaître de l’intellect, mais la réalité éminente, intégrative, de
l’objet. Si donc il faut soutenir, contre Henri de Gand, que l’intellect
angélique ne peut connaître l’infinité des créatures par un seul concept
formel (une seule espèce intelligible ou un seul habitus), et qu’il lui
faut même autant de raisons formelles qu’il connaît de créatures, c’est
pour la raison que connaître distinctement plusieurs choses sous un
même concept, c’est nécessairement le comprendre comme un objet les
incluant parfaitement. Or l’intellect angélique ne saurait connaître
l’infini des créatures par un objet procurant une telle évidence, car Dieu
seul peut le posséder. Duns Scot écrit :
Quidquid est ratio distincte cognoscendi plura, habet unum obiectum in
quo perfecte continentur illa plura. <...> Nihil est ratio cognoscendi alte­
rum perfecte, nisi vel sit propria ratio eius, vel contineat propriam
rationem eius cognoscendi ; sed non primo modo, cum sit ratio cognos­
cendi distincte plura alia ; ergo oportet quod contineat virtualiter rationes
cognoscendi plurium, si sit distincta ratio cognoscendi illa15 .
(1) Connaître distinctement plusieurs choses sous un même concept
commun, c’est connaître ce concept comme un objet les incluant
parfaitement. Il n ’est d’universel commun univoque et non commun
par confusion qu’en vertu de la structure d’inclusion virtuelle, c’est-à-
dire objective.
(2) En retour - et nous y reviendrons - si la connaissance par inclusion
virtuelle n’est autre, pour le docteur subtil, que la connaissance par
l’évidence de la constitution interne d’un objet, elle ne se distingue
donc de la connaissance par distinction formelle que par son degré de
perfection. Connaître virtuellement, c’est ramener la connaissance des
‘formes’ à leur cause, c’est-à-dire à leur unité objective.
Toujours est-il que la théorie de la connaissance en sort
entièrement refondée. Le sujet de la science sera désormais un « objet
d’inclusion virtuelle » : de la Lectura à VOrdinatio et aux Reportata
parisiensia, Duns Scot affirme et réaffirme que dans une science, toute
la connaissance est « virtuellement incluse » dans son sujet premier16.

15 DUNS SCOTUS, Ord. II, d. 3, pa. 2, q. 3, nn. 369-370 (Vat. VII, 580-581).
16 « Illud ergo dicitur primum subjectum scientiae, quod primo continet in se
virtualiter notitiam pertinentium ad scientiam » (Rep. par., Prol., q. 1, a. 2, n. 5, Wad.
« OBJET PREMIER D’INCLUSION VIRTUELLE » 95

Le prologue des Reportata parisiensia s’attache tout spécialement à


démontrer que la science ne saurait se satisfaire d’une unité de savoir
par simple communauté de prédication, mais qu’elle demande une
communauté de virtualité17. En quoi l’unité d’inclusion virtuelle est-
elle susceptible de réaliser pleinement l’unité de la science, à travers et
au-delà des diverses connaissances formelles que nous pouvons avoir
sur son sujet, ou à partir de son sujet ? Selon nous, c’est bien cette
articulation entre, d’une part, ime unité objective de la science par
inclusion virtuelle (c’est-à-dire par intégration ultime de toutes les
connaissances dans un sujet premier), et d’autre part, une unité
psychique de la science comme complexum speculandi (comme
complexité réelle des diverses connaissances formelles acquises,
directement ou déductivement, à partir de cet objet), qui fait toute
l’originalité de la réponse scotienne à la question de l’unité de la
science. En tout état de cause, c’est bien cette articulation que
Guillaume d’Ockham fera éclater, reprenant de Duns Scot l’idée de
complexum speculandi, et rejetant son principe d’inclusion virtuelle
dans un sujet premier18.

II. SUBIECTUMINCLUDITPREDICATUM :
LA STRUCTURE LOGIQUE DU SUJET

Le principe de la réduction de toute la connaissance de la science à


son sujet premier par inclusion virtuelle est exposé dans un article du
prologue des Reportata parisiensia (« Quid requiritur ad rationem
primi sublecti alicuius scientiae ? >>19). Duns Scot rappelle tout d’abord
que dans une science, toutes les connaissances peuvent être ramenées

XI, 3 ; Ord., Prol., pa. 3, q. 3, nn. 141-145, Vat. I, 95-97 ; Ord. I, d. 3, pa. 3, q. 1, nn.
395-397, Vat. III, 241-242 ; Lect., Prol., pa. 2, qq. 1-3, n. 66, Vat. XVI, 26).
17 DUNS SCOTUS, Rep. par., Prol., q. 1, a. 2 (Wad. XI, 4) : «Habitai autem
scientiae semper adaequatur aliquid commime secundum virtualitem ad omnia, non
autem commune secundum praedicationem. »
18 GUILLELMUS DE OCKHAM, In I Sent, Prol., q. 8-9 (OTh I, 211-240).
19 DUNS SCOTUS, Rep. par., Prol., q. 1, a. 2 (Wad. XI, 3-6).
96 DOMINIQUE DEMANGE

aux principes ; or ce qu’on appelle principe dans une science, c’est un


principe de connaissance {principium cognoscendi) à partir duquel on
démontre des propriétés. En ce sens, l’un des principes de la
métaphysique sera : ’l’étant est un’, ou encore ‘l’étant est fini ou
infini’ ; en géométrie, on trouvera comme principe ‘la ligne est
curviligne ou rectiligne’. C’est à partir de telles propositions, utilisées
comme moyen terme d’un syllogisme, qu’en métaphysique on procède
à la démonstration des propriétés de l’étant, ou en géométrie à la
démonstration des propriétés des figures. Cependant ce n’est rien
affirmer d’autre que ceci : ‘les principes de la science’ sont des
propositions connues par soi sur le sujet, à partir desquelles on
démontre les autres propriétés du sujet ; or les termes de ces
propositions sont eux-mêmes connus à partir du sujet sur lequel elles
portent, puisqu’elles en expriment des propriétés ‘par soi’.
Dans les choses essentiellement ordonnées il est nécessaire qu’elles se
réduisent à quelque chose de premier absolument. Cependant les connais­
sables de toute science ont entre eux un ordre essentiel en connaissabilité,
puisque les conclusions sont connues à partir des principes. Cela ressort de
ce qui a été dit. A la fin, si les principes sont immédiats, ils sont connus à
partir des termes, ainsi qu’il a été dit, mais le terme du principe lui-même
est également connu par la raison du sujet, puisque les principes sont
connus par soi au second mode; par conséquent le sujet tombe dans la
définition du principe20.

Dans une science, toutes les connaissances obtenues peuvent être


ramenées à des propriétés au second mode du sujet. Duns Scot
conclut en ces termes : « Illud dicitur primum subiectum scientiae,
quod primo continet in se virtualiter notitiam pertinentium ad
scientiam. » L’exemple du triangle vient appuyer cette thèse : c’est lui,
le sujet per se primo, et non l’un de ses inférieurs comme le triangle
isocèle, qui contient virtuellement la géométrie. Dans les Questions sur
la métaphysique, Duns Scot s’exprime dans le même sens :
Puisqu’en effet les conclusions sont virtuellement dans les principes, et les
principes virtuellement dans le sujet - car le sujet inclut le prédicat dans
les premiers principes, et cela ou bien essentiellement s’ils sont par soi au
premier mode, ou bien virtuellement s’ils sont par soi au second mode - il
s’en suit que dans un sujet incomplexe, connu quidditativement, les princi­

20 DUNS SCOTUS, Rep. par., Prol., q. 1, a. 2 (Wad. XI, 3).


« OBJET PREMIER D’INCLUSION VIRTUELLE » 97

pes et les conclusions d’un tel sujet sont contenues virtuellement, et ainsi
on tient toute la connaissance qui résulte de ce sujet même21.

Les principes s’expriment sous la forme de propositions au


premier mode ou au second mode portant sur le sujet ; or ces deux
types de propositions sont réductibles à la forme « subiectum includit
predicatum », c’est-à-dire au principe d’inclusion virtuelle. En se
fondant sur la théorie scotienne de la prédication essentielle22, il
devient alors possible de comprendre la situation ainsi : (1) Tout
élément, tout caractère déterminant le sujet, et qui intervient ainsi dans
sa définition (comme ‘animal’ pour ‘homme’), lui est prédiqué ‘in
quid’, c’est-à-dire ‘par soi au premier mode’, ou encore ‘formellement’.
(2) Tout élément, tout caractère non plus déterminant, mais cette fois-
ci qualifiant le sujet de façon essentielle, reçoit ce sujet dans sa
définition par une prédication ‘in quale’, et revient au sujet ‘par soi au
second mode’, ou encore ‘virtuellement’. De plus, les deux textes cités
ci-dessus semblent bien s’appuyer sur cette propriété que (3) le contenu
complet de la définition (comme ‘animal rationnel’ pour ‘homme’),
peut être considéré comme une passion propre et convertible du sujet,
et lui est ainsi prédicable au second mode23. De ce fait, (4) ce qu’on
appelle ‘principe’ dans une science, est une proposition au premier ou
au second mode sur son sujet, qui exprime une propriété convertible de
ce sujet - convertibilité seule en mesure d’assurer l’univocité du sujet

21 DUNS SCOTUS, In VIM et, q. 1, n. 40 (St. Bon. TV, 15-16).


22 Cf. en particulier DUNS SCOTUS, Ord. I, d. 3, pa. 1, q. 3, n. 134 (Vat. III, 83).
23 Un exemple de convertion d’une définition en passion propre nous en est donné
par Duns Scot dans la sixième question sur les Universaux de Porphyre. Si je
considère la science ayant pour sujet l’Universel, alors la question se pose de savoir si
ce sujet a des ‘passions’, des propriétés, étant entendu qu’il est absolument simple. Or
il se trouve que nous avons une proposition au premier mode, une définition de ce
sujet, qui nous est donnée dans le Perihermeneias, à savoir que l’Universel est
prédicable de plusieurs, « Universale est praedicabile de pluribus ». Maintenant, si
cette définition est vraie, c’est qu’elle est naturellement convertible avec le sujet
qu’elle définit ; elle joue donc à son égard comme une passion propre, à savoir
comme la propriété d’« être dit un en plusieurs et de plusieurs », « esse unum in
multis et de multis » donnée par les Seconds Analytiques. Ainsi : « Definitio, definiens
sufficienter, indicat essentiam cuiuslibet. Igitur cuicunque inest aliquid convertibiliter,
praeter ea quae ponuntur in eius definitione, illud habet tale inhaerens pro passione »
{Super Univ. Porph., q. 6, n. 6, St. Bon. I, 30).
98 DOMINIQUE DEMANGE

dans la démonstration. Tout ce qui est démontré dans une science,


résulte alors de ce qui est ‘virtuellement inclus’ dans son sujet, car la
définition elle-même, comme tout principe de démonstration de la
science, ne fait qu’exprimer la nature même de ce sujet. Par ‘principes
d’un sujet’, on ne doit donc pas entendre des principes réels, extérieurs
au sujet qu’ils définissent, mais les propriétés intrinsèques de ce sujet, à
partir desquelles il est possible de former des propositions connues par
soi sur ce sujet24.
La primauté que Duns Scot donne ici au second mode peut par
ailleurs se comprendre comme une influence d’Avicenne. Chez
Avicenne en effet, la différence entre le prédicat essentiel et le prédicat
‘concomitant’ est fondée sur une conception de l’attribution essentielle
comme inclusion par causalité intentionnelle. Cette théorie de la
prédication articule deux thèses : (Tl) Le prédicat est essentiel lorsque
l’intellect qui le conçoit ne peut pas ne pas le concevoir comme
prédiqué de son sujet ; (T2) Le prédicat est essentiel lorsqu’il est pour
l’intellect qui le conçoit comme une partie constitutive de la quiddità de
son sujet.
(Tl) Ainsi quand tu conçois ce qu’est l’animal, l’homme, le nombre, le
quatre, tu ne peux pas ne pas concevoir que l’homme est animal et que
quatre est nombre. Mais si à la place de l’animal et du nombre, tu mets
existant ou blanc, tu peux ne pas savoir si l’homme existe ou si quatre
existe ou si l’homme est blanc ou ne l’est pas25.
(T2) Le prédicable qui constitue la quiddità du sujet, est autre que le
prédicable qui accompagne sa quiddità, et ne le constitue pas. <...> Il est
nécessaire en effet que ce qui est prédiqué de quelque chose, s’il se trouve
être constitutif de sa quiddité, soit dans l’intellect et dans la pensée comme

24 DUNS SCOTUS, Ord, Prol, pa. 3, qq. 1-3, n. 191 (Vat. I, 128) : « Dico quod
non oportet principia scibilis esse principia ipsius subiecti in se, quia entis inquantum
ens, quod ponitur subiectum Metaphysicae, nulla sunt principia, quia tunc essent
cuiuslibet entis; sed oportet cuiuslibet subiecti esse principia per quae demonstrentur
eius passiones de eo, et ex quibus principiis tamquam ex mediis demonstrationis
formantur principia complexa, sicut propositiones per se notae. Hoc modo cuiuslibet
subiecti, quantumcumque imprincipiati respectu suarum passionum, possimi esse
principia. »
25 AVICENNE, Le livre de science, trad. M. Achena - H. Massé, Paris, Les Belles
Lettres-Unesco, 1986, p. 69.
« OBJET PREMIER D’INCLUSION VIRTUELLE » 99

une partie de sa quiddità. De sorte que tout ce qui conviendrait au


predicable dans son intention, convienne au sujet en cela qu’il est ime
partie de sa quiddità pour l’intellect, la pensée et la définition26.

Lorsque Duns Scot dit que toute propriété essentielle du sujet doit
s’exprimer in fine ‘au second mode’, la cause en est que lorsque je
saisis le prédicat au second mode « dans l ’intellect, dans la pensée et
dans la définition », je ne peux pas le saisir comme n’étant pas dans
son sujet. Lorsque je pense à curviligne ou à rectiligne, je ne peux pas
ne pas penser à une ligne ; lorsque je pense à pair ou impair, je ne peux
pas ne pas penser à un nombre, puisque dans le concept, et par
conséquent dans la définition du prédicat au second mode tombe la
‘note intentionnelle’ du sujet (« Subiectum cadit in ratione predicati »).
Si la prédication secundo modo est considérée ici par Duns Scot
comme directement constitutive, c’est en tant qu’elle saisit le prédicat
non pas sous le mode de la présence simple, formellement, mais sur le
mode de la nécessité, c’est-à-dire causalement. L ’antériorité du second
mode est cognitive, elle découle directement de l’antériorité du sujet
dans toute définition ou prédication essentielle, en tant qu’il est
considéré comme étant la cause en fonction de laquelle toutes les autres
choses sont dites (dicitur de quo).
La connaissance virtuelle produit l’évidence de l’inclusion, dans
un sujet, d’une propriété essentielle qui lui est formellement autre, au
sens de la non-identité formelle27. Une telle prédication, qui est dite
‘<denominative’ ou ‘in quale’, peut ainsi s’exprimer, de façon
logiquement équivalente, mais différente dans son aspect intentionnel
ou cognitif, comme relevant d’une distinction formelle, ou d’une
inclusion virtuelle. On trouvera, tout aussi bien, l’affirmation selon
laquelle la propriété (passio) est « virtuellement incluse » dans son
sujet, et celle selon laquelle les propriétés, en tant qu’elles se donnent
dans le sujet, y sont « formellement non-identiques », selon le modèle
de la contenance unitive. Cette conception scotienne de la ‘virtualité’ -

26 AVICENNA LATINUS, Liber de philosophia prima sive Scientia divina, V, c. 6,


ed. S. Van Riet, Louvain-Leiden, 1977-1980, pp. 280-281.
27 Sur inclusion virtuelle et distinction formelle, cf. DUNS SCOTUS, Lect. I, d. 2,
pa. 2, qq. 1-4, nn. 272-275 (Vat. XVI, 215-217) ; Ord. I, d. 2, pa. 2, qq. 1-4, nn. 400-
403 (Vat. II, 355-357) ; et dans le présent volume, R. CROSS, “Scotus’s Parisian
Teaching on Divine Simplicity”.
100 DOMINIQUE DEMANGE

qui apparaît comme une reprise du principe grossetestien de l’identité


réelle, dans la cause univoque, de la forma et de la virtus - ne va pas de
soi en aristotélisme. A plusieurs reprises, Duns Scot devra réfuter ce
supposé principe aristotélicien que Godefroid de Fontaines lui oppose,
en vertu duquel on ne pourrait affirmer en même temps que ‘A inclut
virtuellement B ’, et que ‘A est en puissance de recevoir formellement
B ’. Duns Scot répond qu’il n’y a aucune contradiction à ce qu’un corps
soit à la fois virtuellement chaud, et formellement chaud.
Caractéristique de sa position sur l’automotricité des corps28, de la
connaissance29, de la volonté30, cette thèse s’enracine pour Dims Scot
dans la nature de l’unité formelle-virtuelle de tout sujet en général :
Si dicas, quod nihil idem potest esse simul in potentia ad aliud, et actu
habere illud eminenter, vel virtualiter, dico quod hoc est falsum quia hoc
non est aliud dicere, quam quod tale non sit capax suae perfectionis. <.. >
Unde credo quod universaliter omne subiectum virtualiter continet pas­
sionem suam, tamen formaliter recipit eam31.

Si la propriété ‘avoir la somme de ses angles égale à deux droits’


est dite « virtuellement incluse » dans le triangle - en tant qu’elle ne
résulte que de la seule nature ou essence du triangle, comme un effet
essentiel résulte naturellement de sa cause - c’est pourtant bien une
propriété qui le constitue « formellement » comme triangle. De fait,
dans le prologue des Reportata parisiensia, la thèse de l’automotricité
est appliquée de façon similaire à la question du sujet de la science.
C’est de nouveau à Godefroid de Fontaines que revient le rôle de
soutenir l’objection : le sujet de la science ne peut être objet d’inclusion
virtuelle, en vertu de ce principe selon lequel ce qui meut et ce qui est
mû ne peuvent être identiques subiective32 ; il faudrait donc que ce qui

28 DUNS SCOTUS, In IXMet., q. 14, nn. 88-106 (St. Bon. IV, 660-667).
29 DUNS SCOTUS, Ord. I, d. 3, pa. 3, q. 2, nn. 515-517 (Vat. III, 305-307).
30 DUNS SCOTUS, Ord. II, d. 25, q. 1 (Wad. VI, 880-884).
31 DUNS SCOTUS, Rep. par. Il, d. 25, q. un., n. 13 (Wad. XI, 369) : « Non igitur
est hoc solum quia praehabet aliquid virtualiter, quod non habet suscipere illud
formaliter, quia nunquam impedit, quantum est ex se, quando praehabet talem
virtualiter limitate. Unde subiectum habet virtualiter et eminenter propriam passionem
effective, et tamen potest esse tale formaliter. »
32 DUNS SCOTUS, Rep.par., Proh, q. 1, a. 2, n. 10 (Wad. XI, 4) : « Quod continet
virtualiter notitiam aliquam intellectus, non habet esse in intellectu; obiectum scibile
« OBJET PREMIER D ’INCLUSION VIRTUELLE » 101

meut la connaissance, c’est-à-dire son objet, sorte de l’intellect. Duns


Scot, de nouveau, nie ce soi-disant principe universel : l’âme
intellective est bien subiective identique à la puissance imaginative, et
il en est de même pour l’espèce intelligible et son objet intentionnel33.

III. L a t h é o r ie
d e l a VÉRITÉ PROPOSITIONNELLE :
INCLUSION VIRTUELLE ET ÉVIDENCE OBJECTIVE

L’inclusion virtuelle est pour Duns Scot la forme même de la


vérité de la connaissance, en tant qu’elle produit nécessité et évidence.
Son modèle de savoir est celui du principe connu ‘par soi’ : en
connaissant un terme, je ne peux pas ne pas avoir l’évidence de son
inclusion dans un autre, en connaissant ‘partie’ je ne peux pas ne pas
avoir la certitude et la connaissance ‘par soi’ que cette partie,
puisqu’elle est partie, est plus petite que son tout. Ou pour s’exprimer
formellement : dans le prédicat au second mode ‘plus petit qu’un tout’
tombe la ‘note intentionnelle’, la raison qui inclut le prédicat, à savoir
‘partie’. Les premiers principes de la science, comme nous l’avons vu
plus haut, sont donc des principes ‘connus par soi’, c’est-à-dire secundo
modo en tant que le sujet ‘tombe’ immédiatement dans leur définition.
Selon Dims Scot, il n’y a de vérité dans une proposition que parce que
les entités signifiées formellement par les termes (les extrêmes)
incluent essentiellement (virtualiter) la vérité de la proposition, c’est-à-
dire leur unité essentielle comme entités - et non parce qu’il y aurait
une quelconque conformité formelle entre les termes, entre les
‘concepts’. Lorsque je dis : «un tout est plus grand que sa partie »,

habet esse in intellectu; quia est universale, et universale non est in re, nec in sensu,
ergo etc. Maior probatur : quod continet virtualiter notitiam aliquam intellectus, est
motivum intellectus ad illam ; sed motivum est distinctum subiecto a mobili: ergo tale
continens non habet esse in intellectu. »
33 DUNS SCOTUS, Rep. par., Prol., q. 1, a. 2, n. 13, n. 15 (Wad. XI, 5) : « Anima
autem intellectiva est eadem subiecto virtuti phantasticae ; igitur etiam intellectus est
idem illi, et ergo etiam phantasmati, quod est in illa virtute. » « Dico ergo <.. .> quod
aliquid existons in intellectu, sive subiective, ut species intelligibilis, sive obiective, ut
illud quod relucet in tali, continet virtualiter notitiam intellectus. »
102 DOMINIQUE DEMANGE

mon intellect peut un bref instant concevoir une disjonction formelle


0deformitas) entre les termes ‘tout’ et ‘partie’, en tant que formellement
donnés dans la proposition ; mais il ne peut pourtant pas, s’il en vient à
considérer les significations de ces termes, à savoir la nature du tout et
la nature de la partie, ne pas penser que ces natures ont entre elles le
rapport indiqué, à savoir que le tout doit être plus grand que la partie.
Car la conformité de l’union de ces termes selon ce rapport, est
virtuellement incluse dans les significations de ces termes eux-mêmes,
c’est-à-dire dans les ‘entités’. Il s’en suit par conséquent que la
connaissance formelle de ce rapport ne peut pas ne pas se conformer à
ce qui se produit par inclusion virtuelle, et ainsi ne peut que conclure à
la conformité formelle de la proposition :
Considérons les termes de cette proposition : ‘un tout est plus grand que sa
partie’. Si la conformité (conformitas) de la composition d’être-plus-
grand’ (maioris) avec ‘partie’ et ‘tout’ n ’était pas incluse dans le tout et
dans P être-plus-grand, alors dans l’intellect concevant les termes il
pourrait se produire (stare) une non-conformité (deformitas) de cette
union, et ainsi subsisteront {stabunt) ensemble l’appréhension des termes
dans l’intellect ainsi que la non-conformité de la composition de ces
termes. Cependant, alors que l’intellect appréhende les termes il ne peut
empêcher {stare) que ‘tout’ n’inclue ‘être-plus-grand’, de sorte qu’ici la
conformité de l’union des termes est incluse causalement {igitur ibi
causaliter includitur conformitas unionis terminorum). Si, par conséquent,
avec l’appréhension des termes subsiste (stet) la non-conformité
(deformitas) de l’union, alors dans le même intellect se trouveront des
opinions contraires : une formellement, et une autre causalement, ce qui
est impossible34.

Le concept complexe (complexum) que l’intellect forme lorsqu’il


entend une proposition, peut très bien n ’avoir pour lui aucune valeur de
vérité. Si formaliter cette opération de l’intellect est toujours vraie ou
fausse en tant qu’elle exprime ou non la chose telle qu’elle est,
cependant obiective, c’est-à-dire intentionnellement, elle peut être
neutre pour l’intellect puisqu’il peut ne pas appréhender la conformité
ou la non-conformité de sa propre opération à son objet35. Pour que se

34 DUNS SCOTUS, Lect. I, d. 3, pa. 1, q. 3, n. 174 (Vat. XVI, 293). Cf. Ord. I, d. 3,
pa. 1, q. 4, nn. 230-234 (Vat. El, 138-141).
35 DUNS SCOTUS, In VIMet., q. 3, nn. 36-37 (St. Bon. IV, 69).
« OBJET PREMIER D’INCLUSION VIRTUELLE » 103

produise un assentiment (assensus) ou un rejet (dissensus) de la


proposition, il faut que l’intellect s’aperçoive de sa conformitas ou
deformitas - c’est-à-dire de la conformité ou non-conformité à l’objet,
de la composition qu’il produit en lui en pensant la proposition. C’est à
ce sujet que Duns Scot parle alors de ‘réflexion’ : « neutra veritas est in
intellectu obiective nisi reflectente se super actum suum, comparando
illum ad obiectum »36.
Au terme de cette reflexio, la proposition n ’est connue comme
vraie objectivement, que si l’objet est visé conformément à ce qu’en
pense l’intellect dans la proposition. Pour que se produise Yassensus,
l’évidence objective, il faut que je « retourne » au même objet, et selon
le même rapport (« converto ad idem et eodem modo ») que ce que je
vise dans la proposition - c’est-à-dire « ad rem cognitam collative », à
la chose telle qu’elle est composée par la proposition. C’est bien
pourquoi, tant que j ’en resterai à concevoir que c’est la proposition qui
constitue, qui cause la complexion que je vise, jamais je ne saurai si
elle est vraie ; il faut que, de la pensée d’une chose constituée par ce
que dit la proposition, je passe à la pensée d’une chose qui est la cause
de ce que dit la proposition. Le complexum visé est compris
objectivement, lorsqu’il n’est plus compris comme proposé formelle­
ment, mais comme déjà donné virtuellement. Il répond alors à une
disposition objective, déjà-là, antérieure à toute comparaison par la
raison des termes de la proposition37. L’intellect assentit lorsqu’il
s’aperçoit que la composition qu’il a produite en lui était virtuellement
incluse dans les termes qu’il a mis en rapport, que ce qu’il a composé
en lui n’est que Veffet de ce qu’il découvre comme l’ayant précédé : un
objet, qui est la cause de la vérité de la proposition38.

36 Ibid.
37 Ibid., n. 48 (St. Bon. IV, 73) : « Hoc ‘esse’ est habitudo inclusa virtualiter in
extremis ante naturaliter quam extrema comparentur a ratione ») ; ibid., n. 54 (St.
Bon. IV, 75) : « Quando ergo intellectus confert terminos illos componendo, statim
videt conformitatem actus sui ad illam habitudinem quam prius natura habuit notam
ex terminis. »
38 DUNS SCOTUS, In VI Met, q. 3, n. 63 (St. Bon. IV, 77-78) : « Iudicium de
veritate complexi non est nisi collatio notitiae conferentis ad notitiam incomplexam
extremi, si sibi est conformis. Et haec conformitas statim quandoque patet, quando
notitia simplex naturali necessitate statim includit notitiam collativam. »
104 DOMINIQUE DEMANGE

Comment par une réflexion (reflectendo) la vérité vient à être connue, cela
pose ime difficulté. Si dans la composition je connais la chose non pas
seulement en absolu (non tantum absolute) mais collativement et par
réflexion, je rapporte l’acte <de composer> à la chose, et ce sera alors à la
chose connue collativement, ainsi que le dit le troisième argument. Parce
que si je me tourne vers la chose sans rien {nude), sans rapporter, de cette
façon je ne pourrai pas juger de la vérité de la composition, qui est un acte
de recollection {actus collativus). C’est pourquoi on s’aperçoit que pour
juger de quelque chose, je retourne au même et de la même façon
{converto ad idem et eodem modo), dès lors que dans la première
composition et dans ce à quoi je retourne, je trouve la chose en tant que
connue collativement {habeo rem ut cognitam collative).
Apprend, comme cela a été dit, pourquoi un complexe {complexum) est
vrai : parce que l’identité des extrêmes, ou une autre disposition qui leur
est virtuellement incluse, précède naturellement la complexion produite
par la raison, et qu’être vrai pour cet acte de raison c’est se conformer <à
cette identité ou disposition> comme à sa mesure. {Quia complexionem,
quae est a ratione, praecedit naturaliter identitas extremorum, vel alia
habitudo virtualiter inclusa in ipsis, cui actum rationis conformari ut
mensurae est ipsum verum esse). C’est pourquoi je dis queje sais que cette
complexion est vraie lorsque je connais sa conformité à cette disposition
virtuellement incluse dans les extrêmes. {Ita dico quod illam
complexionem cognosco esse veram cognoscendo conformitatem eius ad
illam habitudinem virtualiter inclusam in extremis)39.
Il ne faut donc pas se méprendre sur le concept de « réflexion »
qu’introduit ici Duns Scot : ce n’est ni une opération de l’intellect sur
les termes de la proposition pour en faire sortir une vérité, ni une
comparaison recherchant une adéquation formelle entre la proposition
et son objet, mais bien l’acte de conférer à l’opération de composition
propositionnelle une signification objective, qui fait comprendre alors
qu’il y a conformité ou non-conformité de cette opération avec les
entités qui sont en jeu : « intellectus componens statim percipit actum
componendi esse conformem entitati compositorum. »40 Dès lors, que
devons-nous entendre par « connaissance objective » chez Duns Scot ?
L’objet n’est pas tant la chose formellement appréhendée, que ce qui en

39 DUNS SCOTUS, In VI Met, q. 3, nn. 50-53 (St. Bon. IV, 74-75).


40 Ibid., n. 38 (St. Bon. IV, 70).
106 DOMINIQUE DEMANGE

individués, présents sur le mode de l’unité intégrative42. Or la quantitas


virtualis, en tant qu’elle est pour Duns Scot un transcendantal43,
n ’exprime pas une propriété particulière de l’étant dont elle est la
quantité, mais son mode de perfection intrinsèque, comme entité pure.
La virtualité est le mode de Pessentialité44. La quantitas virtualis - en
tant qu’elle se trouve opposée à la quantité numérique, ou quantitas
aggregationis - est le mode propre de l’unité se produisant dans l’ordre
essentiel de l’entité :
A l’argument s’appuyant sur la similitude entre l’ordre des nombres et
celui des essences, il faut répondre que bien que l’ordre des essences pris
en entier (in universo) soit comparable à l’ordre des nombres sur de
nombreux aspects, la similitude cependant ne vaut pas en particulier (in
speciali) : il y a similitude comme dépendance, mais aussi inverse, car les
nombres postérieurs dépendent d’un nombre antérieur qui est moins
parfait puisqu’il est partie du nombre postérieur. Le tout dépend en effet
de sa partie, par conséquent ici ce qui est plus parfait dépend de ce qui est
moins parfait. Or il n’en est pas ainsi dans les entités essentiellement
ordonnées (in entitatibus essentialiter ordinatis), mais inversement : l’être
moins parfait n ’est pas une partie pour l’être plus parfait, pas plus que
l’être plus parfait n ’est un ensemble composé des entités moins parfaites
(totum aggregatum ex entibus imperfectioribus), mais c’est un tout
contenant virtuellement les perfections des étants imparfaits, et les
précontenant (totum virtualiter continens perfectiones entium imperfecto­
rum, et praehabens eas). Ainsi donc ce n’est pas semblable en particulier
(in speciali), quoi qu’il en soit de la similitude générale (in generali), à
savoir que de même qu’un nombre dépend d’un autre, de même dans les

42 Cf. DUNS SCOTUS, Lect. I, d. 17, pa. 2, q. 4, n. 238 (Vat. XVII, 257). Sur la
théorie de l’unité intégrative, cf. R. CROSS, The Physics o f Duns Scotus, Oxford,
Clarendon Press, 1998, pp. 141-150.
43 DUNS SCOTUS, Quodl. VI, n. 1 (Wad. XII, 144) : «Quantitas aliquo modo
convenit omni enti cuiuscumque generis, et per consequens licet magnum et parvum
secundum eum sint passiones proprie quantitatis, tamen translative accepta sunt
transcendentia et passiones totius entis. »
44 DUNS SCOTUS, Quodl. VI, n. 2 (Wad. XII, 144) : « Infinitas intensiva non dicit
proprietatem, vel passionem eius, cuius est, sed modum intrinsecum eius.
Circumscripta etiam quacumque proprietate, nulli ergo potest convenire, nisi cui ex
natura rei intrinsece convenit. Probatio minoris : quia entitati quiditatis absolutae,
quae nata est habere rationem mensurae vel mensurabilis, vel convenit finitum, vel
infinitum ; cui ergo repugnat finitum, ei convenit infinitum : talis est essentia divina. »
« OBJET PREMIER D’INCLUSION VIRTUELLE » 107

choses essentiellement ordonnées (in essentialiter ordinatis) une chose


quelconque dépend d’une autre45.

Lorsque l’entité numérique, de simple agrégation, s’accroît, elle


augmente en complexité, et dépend toujours davantage d’éléments plus
nombreux dans sa composition. Sa grandeur est inversement
proportionnelle à sa perfection. Lorsque l’entité essentielle, d’unité
intensive, s’accroît, elle croît en simplicité, en perfection et en
indépendance. Sa grandeur est proportionnelle à sa perfection. Le
concept de pré-contenance essentielle, appelée encore inclusion
virtuelle, signifie alors que toute entité essentielle plus parfaite contient
en acte, mais comme non-séparée, soit intensivement toutes les entités
inférieures qui en ‘émanent’46. Or comme cette grandeur intrinsèque
(magnitudo) qui exprime le degré intensif de l’entité, c’est-à-dire sa
perfection, s’exprime ainsi intérieurement comme puissance de pré­
contenance, dans l’unité essentielle il n’est pas d’autre fondement de la
puissance que l’intensité. De même, en effet, que le degré intensif
interne de chaleur d’un corps, se retrouve totalement dans sa puissance
externe de chauffer, de même la quantité virtuelle de l’entité se
retrouve entièrement dans sa puissance d’extériorisation47. C’est
pourquoi B est dit ‘virtuellement inclus’ dans A, en tant qu’il ne s’y
trouve pas simplement présent intensive, mais également en tant qu’il
peut être extériorisé par A : la puissance d’extériorisation de A n’est
qu’une autre façon de concevoir son intensité. Le Quodlibet V propose
un exemple de ce que cela signifierait si nous imaginions une telle
situation pour les grandeurs extensives. Ce nombre 2, en tant que ‘ce-
nombre-ci’, est bien distinct et séparé de ce nombre 3 en tant que ‘ce-
nombre-ci’; cependant à l’intérieur même du nombre 3, nous

45 DUNS SCOTUS, Rep. par. I, d. 2, n. 9 (Wad. XI, 30). Cf. AVICENNA LATINUS,
Liber de philosophia prima, V, c. 2 (ed. Van Riet, 244-245).
46 Cf. DUNS SCOTUS, Rep. par., Prol., q. 1, a. 4, n. 40 (Wad. XI, 12) : « Cognitio
‘quid est’ est omnino prima <...> et sicut absolute cognitio ‘quid est’ est prior
cognitione aliorum ; ita in eodem cognitio ‘quid est’ eiusdem est cognitio eius prima
et omnino perfectissima, ergo illa maxime veritatis contentiva omnium cognoscibi­
lium de illo cuius est. Consequentia patet, quia continere virtualiter obiecta cognosci­
bilia competit perfectissime cognoscibili. »
47 DUNS SCOTUS, Quodl. VI, n. 4 (Wad. XII, 143) ; HENRICUS DE GANDAVO,
Quodl. IX, q. 2 ( 0 0 XIII, 29).
108 DOMINIQUE DEMANGE

retrouvons en acte, selon le mode de l’unité intégrée, le nombre 2,


lequel, en tant qu’il est considéré extrinsèquement, pourrait alors être
dit « virtuellement inclus » (s’il s’agissait d’unité essentielle, et non
comme ici d’unité d’aggrégation) dans le nombre 348. Le nombre 2
serait alors dit appartenir au nombre 3 « per participationem ».
C’est en partant de cette structure que Duns Scot établit sa théorie
de la vérité représentative. Le Quodlibet XIII reprend en effet ce même
modèle de la participation en le transférant de l’ordre de l’entité à celui
de l’intelligible. Cette analyse prend place à l’intérieur d’une définition
de la connaissance comme mesure, selon ce qu’en avait déjà expliqué
Aristote49. Le rapport de Y intellection à Yobjet est un rapport de
mesure, que Duns Scot analyse comme un rapport de dépendance dans
l ’entité, ou encore de participation du mesuré à sa mesure :
S’agissant de la relation de mesure, Aristote dit dans la Métaphysique
qu’elle appartient au sens propre au troisième mode des relatifs. Il faut
comprendre cela : quelque chose est mesuré quand l’intellect est rendu
certain de sa quantité déterminée par un autre, de sorte que ce qui est
mesuré entretient une certaine relation (respectum) à l’intellect auquel
advient la certitude, et une certaine relation (respectum) à la mesure, par
laquelle se produit la certitude. <...> Toute chose est quant à sa
connaissabilité, telle qu’elle est quant à son entité. Par mesurable on
entend donc ce substrat {substratum), par la raison de ce qui lui revient
comme mesurable, à savoir son entité causée ou participée. C’est ainsi que
dans le troisième mode des relatifs, quand quelque chose est dit comme le
mesurable à la mesure, il est dit ainsi en tant qu’on le comprend comme
étant dépendant en entité de ce qui le fait participer de l’entité (tanquam
dependens in entitate ad illud a quo participat entitatem), de telle sorte
qu’il se produise une relation absolument réelle du côté du mesurable dans
ce troisième mode ; car il est compris comme être par participation ou
imitation relativement à un autre. En outre, comme quelque chose peut
être dit diversement participer d’une perfection en vertu d’autre chose
{participare perfectionem ab alio), l’acte de connaître se trouve être ainsi
participativement relativement à l’objet, comme la similitude relativement
à ce dont elle a <la similitudo. Je ne dis pas similitude par
communication de la même forme, comme ce qui a le blanc <participe> du

48 DUNS SCOTUS, Quodl. V, n. 26 (Wad. XII, 136).


49 ARISTOTE, Met. A 15, 1021a26-b4.
« OBJET PREMIER D’INCLUSION VIRTUELLE » 109

blanc, mais similitude par imitation, comme ce qui participe d’une idée à
son idée (sicut est ideati ad ideam)50.

La vérité de la connaissance consiste dans une mesure de Y entité,


c’est-à-dire dans un rapport de quantitas virtualis. Ce qui est intelligé
est conçu comme étant vrai en tant qu’il ramené à la cause qui l’inclut
virtuellement. Ce qui est ramené à l’objet-cause n’est pas « vu » dans
cet objet formellement, car aucune vérité n’en résulterait ; mais il est
conçu comme participant ou exprimant la nature essentielle de la cause
qui l’inclut, de même que Videatus est pensé comme participant de
l’idée, et non pas formellement dans l’idée.
Ce rejet par Duns Scot de toute correspondance formelle ou de
toute proportionnalité entre la chose et l’intellection a été souligné à
juste titre51 : s’il fallait une telle correspondance pour que s’établisse la
vérité, certaines propositions comme « homo est homo » ou « Deus est
Deus », qui n ’ont aucun corrélât dans une relation entre des termes in
re, seraient des propositions fausses52. La théorie scotienne de la vérité
est certes une théorie de la représentation objective, mais en tant que
c’est l’objet lui-même qui fonde, dans l’intellect, la vérité qu’il contient
virtuellement, produisant ainsi lui-même l’évidence de la
représentation. L’exemple de la proposition « homo est homo », montre
qu’il n’y a rien de faux à séparer formellement ce qui se trouve, dans la
chose, réalisé parfaitement. On ne produit non plus aucune erreur à
penser un prédicat abstractivement de son sujet, dès lors que ce prédicat
n’est pas pensé de cette façon comme un être autre, mais seulement
dans un mode d’être autre : « abstrahens enim non intelligit rem aliter
quam est, licet intelligat rem aliter esse quam est. »53

50 DUNS SCOTUS, Quodï. XIII, n. 12 (Wad. XII, 312).


51 P. C. VIER, Evidence and Its Function According to John Duns Scotus, St.
Bonaventure (N.Y.), The Franciscan Institute, 1951 (Philosophy Series, 7), pp. 35-38.
52 DUNS SCOTUS, In VIMet., q. 3, n. 66 (St. Bon. IV, 80).
53 DUNS SCOTUS, Op. ox. Ill, d. 14, q. 2, n. 5 (Wad. VE, 288).
110 DOMINIQUE DEMANGE

B . O b j e t e t in c l u s io n v ir t u e l l e : in t e l l ig ib il it é e t
INTELLECTUALITÉ

Selon Thomas d’Aquin, la chose est pensée adéquatement par


l’intellect lorsqu’elle y est présente selon le mode même que lui
prescrit son essence. Duns Scot répond que s’il en était ainsi, il faudrait
admettre que l’intellect ne puisse pas du tout concevoir des êtres qui lui
sont supérieurs par nature ; en réalité rien n ’empêche à une chose, quel
que soit son mode d’être, de lui être présentée comme objet54. Ceci
impose de reconsidérer de façon totalement différente la nature de la
vérité, en tant qu’elle apparaît dans le processus intellectif. Certes, pour
Thomas comme pour Duns Scot, la vérité relève d’une ‘mesure’ ; mais
pour Duns Scot toute mesure de l’intellect à la cause de son
intellection, c’est-à-dire à son objet, présuppose déjà au moins
formellement leur adéquation, car si l’objet n’est pas saisi
adéquatement par l’intellect, c’est qu’il n’est pas saisi du tout.

54 Sur ces questions, cf. O. BOULNOIS, Être et représentation. Une généalogie de


la métaphysique moderne à l'époque de Duns Scot (XIIF-XIV siècles), Paris, PUF,
1999 (Epiméthée), pp. 88-105. Thomas d’Aquin écrit (ST la, q. 12, a. 4, resp., Leon.
I, 92) : « <1> Cognitio enim contingit secundum quod cognitum est in cognoscente.
<2> Cognitum autem est in cognoscente secundum modum cognoscentis. <3> Unde
cuiuslibet cognoscentis cognitio est secundum modum suae naturae. Si igitur modus
essendi alicuius rei cognitae excedat modum naturae cognoscentis, oportet quod
cognitio illius rei sit supra naturam illius cognoscentis. » Duns Scot concède les deux
premières propositions et récuse la troisième : « Quando dicitur quod nihil
cognoscitur nisi per hoc, quod cognitum est in cognoscente, concedatur suo modo
‘essendi in’, scilicet per speciem obiecti, vel per habitum secundum alios, vel per
actum, non curo. Quando autem additur quod cognitum est in cognoscente per
modum naturae suae, ex hoc habemus tantum quod cognitio est perfectio
proportionata naturae cognoscentis, et quod per cognitionem obiectum est
proportionatum naturae cognoscentis. Et quando dicitur quod si modus naturae
cognitae, etc., illud argumentum, si debet valere, valet in virtute istius propositionis
quod sicut se habet modus essendi cognoscibilis ad modum essendi ipsius
cognoscentis, sic se habet intelligibilitas cognoscibilis ad cognoscentem ; sed hoc est
falsum quia cognitio potest esse obiecti alicuius habentis in se modum essendi
superiorem quam sit modus essendi ipsius cognoscentis » (Op. ox. IV, d. 49, q. 11,
n. 4, Wad. X, 545).
« OBJET PREMIER D’INCLUSION VIRTUELLE » 111

La primauté à'adéquation de l’objet dans 1’intellection, s’entend


comme analogue au rapport de l’objet visible à la vue. Cependant si
l’on doit parler ici de proportion entre objet et intellect, la seule qui soit
requise en l’occurrence est la proportion de ce qui meut à ce qui est mis
en mouvement, et dans ce cas il est davantage demandé une
disproportion des natures (une supériorité de la cause), qu’une égalité55.
Il y a intellection adéquate lorsqu’est remplie la condition formelle
posée par le terme final de l’opération intellective, condition pour qu’il
soit atteint dans cette opération non point en tant que nature, mais en
tant qu’objet (« adaequari in terminando »). Ainsi l’objet adéquat de
l’intellect béatifique est Yens infinitum, bien qu’il n ’y ait ici aucune
proportion assignable entre l’intellect fini et l’être infini.
Si la primauté d’adéquation s’entend ainsi comme analogue au
rapport de l’objet visible à la vue, la primauté de virtualité s’entend
comme analogue au rapport de la lumière à la vue56 : la connaissance
virtuelle ne s’arrête pas à la saisie adéquate d’un intelligible, elle va
puiser dans la puissance d’intelligibilité qu’il recèle, en laquelle elle
trouve sa perfection ultime, de même que la vue ne trouve sa perfection

55 DUNS SCOTUS, Op. ox. IV, d. 49, q. 11, n. 4 (Wad. X, 545-546) : « Dico quod
inter obiectum et potentiam, non oportet esse aequalitatem, sed quandam
proportionem ; talia autem, inter quae requiritur sola proportionalitas, possunt esse
maxime dissimilia, ut patet de materia et forma, similiter de activo et passivo. Sic est
hic : non enim requiritur inter obiectum et intellectum nisi proportio motivi ad mobile.
Obiectum enim se habet per modum moventis potentiam, et inter talia magis
requiritur dissimilitudo, quam similitudo. Potentia enim capax est operationis tantum
respectu huius obiecti, et ideo proportionatur si potentia est ex se elicitiva, sicut
terminus operationis et operatio, non sicut proportione quantitativa aequalia. Hoc
similiter patet in aliis : ens ordinatum ad finem suum proximum habet proportionem
immediatam ad illum, et tamen distat in infinitum ad fine, nec tamen impedit hoc
proportionem eius, quod est ad finem. Ad illud genus proportionis pertinet proportio
obiecti et actus. » Cf. Ord. II, d. 3, pa. 2, q. 2, nn. 333-334 (Vat. VII, 561-562).
56 DUNS SCOTUS, Quodl. V, n. 10 (Wad. XII, 126) : «Una primitas obiecti
dicitur esse primitas adaequationis quando scilicet potentia non excedit illud
obiectum, quomodo coloratum vel luminosum dicitur esse primum obiectum visus.
Alio modo primum potest dici virtute cuius omne aliud intelligitur vel cognoscitur a
tali intellectu, quomodo lux est primum obiectum visus. Tertio primum potest dici
perfectionis, quod continet in summo perfectionem omnium obiectorum et virtutem
perficiendi potentiam. »
112 DOMINIQUE DEMANGE

que dans la couleur la plus parfaite, c’est-à-dire le blanc le plus intense,


et non dans l’espèce commune de la couleur5758. On se souviendra ici,
que selon Duns Scot la couleur la plus intense contient en acte,
intégrativement, toutes les espèces inférieures de la couleur, de même
que tout intelligible contient intensivement ses parties essentielles.
C’est bien pourquoi Duns Scot ne manque pas de critiquer
l’interprétation de la métaphore lumineuse dans la connaissance, dans
le sens d’une simple conjonction de la lumière intelligible et de l’objet.
La cause en est, on le voit bien, autant dans la nature de l’objet que
dans la nature de sa ‘virtualité’. La primauté de virtualité exprime
l’objet dans sa puissance de manifestation objective, qui n’est autre que
sa vérité propre; par conséquent l’intensité intelligible de l’objet n ’est
rien d’autre, quant à sa nature, que son intellibilité comme objet. Plus
un objet est parfait, plus il manifeste de lui-même sa vérité objective,
plus il donne à voir ce qui le constitue dans son essence, plus il a
d’intensité, d’évidence pour l’intellect.
Dès lors que l’objet de la science et l’objet de l’intellect sont le
même, la critique que Duns Scot adresse à Thomas d’Aquin et Henri de
Gand quant à leur conception du sujet de la science se confond avec
celle qu’il leur adresse quant à leur conception de l’intelligibile.
Lorsque Thomas d’Aquin et Henri de Gand assignent une raison
formelle comme objet à l’intellect ou à la science, telle que le vrai ou
l’intelligible, ils ne font que subvertir le concept d’objet ; car il suffit de
savoir parler pour savoir ce qu’est l’objet. Personne ne dit : « L’objet
de la vue est la visibilité » (primo modo) alors que tout le monde dit :
« L ’objet de la vue est le visible » (secundo modo). L’objet de
l’intellect, c’est l’objet intentionnel, et il s ’exprime au second mode5S.

57 DUNS SCOTUS, Lect. I, d. 3, pa. 1, qq. 1-2, n. 130 (Vat. XVI, 276) : « Sed ubi
est primum obiectum secundum adaequationem tantum et secundum communitatem,
et non secundum perfectionem, ibi est maior falsa, sicut visio quae est circa coloris
absolute, non est perfectissima visio, sed illa visio quae est circa colorem
perfectissimum, ut circa album intensissimum. »
58 DUNS SCOTUS, In VI Met., q. 3, n. 22 (St. Bon. IV, 64) : « Hic autem modus
videtur abuti termino isto ‘obiectum’. Nam quod respectus ad potentiam sit formalis
ratio obiecti, non invenitur a philosophis communiter, sed illud quod movet potentiam
passivam. Unde Aristoteles 11 De anima : ‘cuius quidem est visus, hoc est visibile’,
sic quod in ratione praedicati cadit subiectum : ‘cuius est visus, est obiectum visus’.
« OBJET PREMIER D’INCLUSION VIRTUELLE » 113

De plus, lorsqu’ils demandent comme condition préalable à


1’intellection que soit donnée à l’objet cette raison formelle
d’intelligibilité, cette « lumière » intelligible dont ils parlent, ils ne
s’aperçoivent même pas que l’objet n’en a pas besoin. Car le propre de
l’objet comme objet, est de donner à voir ; il n ’est pas simple forme
intelligible, il est, à travers cette forme même, ce en quoi ‘luit’
l’intelligible59 - il est, en d’autres termes, cause efficiente et finale de
1’intellection. Il y a donc une double erreur sur la nature de
l’intelligibile : erreur sur la nature de l’objet formel de l’intellect, erreur
sur la nature de l’intelligibilité de l’objet, dès lors que si l’objet a une
certaine intensité intelligible, celle-ci n’est rien d’autre, quant à sa
nature, que son intellibilité comme objet.
Ainsi, connaître plus ‘intensivement’, c’est saisir avec davantage
de discernement les multiplicités objectives et les inclusions
essentielles que l’objet, que l’entité recèle comme nature essentielle.
Dieu seul à ce privilège de ne rien connaître formellement, de tout
connaître virtuellement, c’est-à-dire à la fois en acte, distinctement et
intégrativement, avec un discernement saisissant toutes les multiplicités
et inclusions objectives. En connaissant le triangle, il le connaît sous le
même rapport comme ayant la somme de ses angles égale à deux
droits, il le connaît comme triangle rectangle, isocèle et équilatéral, il le
connaît comme incluant virtuellement le rectangle et le losange, bref il
connaît toute la géométrie rectiligne60. Or cela ne lui est connu qu’en
vertu de la quantitas virtualis intelligible propre du triangle, dans la
mesure en effet où la puissance de discernement de l’intellect divin
peut la saisir parfaitement. Et s’il est vrai, comme le dit Thomas, que
l’intellect du bienheureux, quant à lui, ne peut pas ‘comprendre’61,

De isto, secundum ipsum ibi, praedicatur per se secundo modo - non primo -
‘visibile’ quod dicit respectum ad potentiam. Sed si talis respectus esset ratio formalis
obiecti, esset per se primo modo. » Cf. Ord. I, d. 3, pa. 1, q. 3, n. 183 (Vat. Ili, 111) ;
Lect. I, d. 3, pa. 1, qq. 1-2, n. 183 (Vat. XVI, 281).
59 Cf. DUNS SCOTUS, Ord. I, d. 3, pa. 3, q. 1, n. 386 (Vat. III, 235).
60 Cf. déjà R. GROSSETESTE, I n i Anal. Post, c. 11, p. 187.
61 La noétique de la vision béatifique est étroitement liée à la question de la nature
de la quantitas virtualis. Cf. en particulier THOMAS DE AQUINO, In IV Sent, d. 49,
q. 2, a. 3. Pour un historique sur cette question, voir A. CÔTÉ, L ’infinité divine dans
114 DOMINIQUE DEMANGE

saisir parfaitement l’essence divine, ce n’est pas par aveuglement de


l’intellect fini devant l’infini62, mais c’est parce que l’intellect fini ne
peut pas avoir autant à’intellectuality que l’essence divine comme objet
a & intelligibilité :
Videtur enim solus ille intellectus <(scil. intellectus Dei)> comprendere
aliquod intelligibile cuius tanta est perfectio in intellectualitate, quanta est
perfectio vel intelligibilitas intelligibilis <...> Quia nullo intellectus
creatus potest habere tantam intellectualitatem, neque in acto primo, neque
in acto secundo, quanta est intelligibilitas Dei ut obiecti ; imo in infinitum
excedit. Ideo nullus talis intellectus creatus, etsi videat quodcumque
visibile ex parte Dei, potest ipsum comprehendere63.

Que la puissance de compréhension de notre intellect soit limitée,


ne signifie pas que nous ne puissions pas saisir l’infini comme objet,
cela signifie que ce que nous y concevons par la puissance de notre
intellect est déterminé par notre puissance d’intellection, par l’intensité
0quantitas virtualis) de notre faculté intellective, soit encore par notre
puissance de connaissance virtuelle. La quantité virtuelle de notre
intellect, ou encore son intellectualité, consiste donc dans sa puissance
de discernement objectifM. Il n ’y a pas d’autre différence, quant à leurs
natures, entre la science divine et la nôtre : dans le prologue des
Reportata parisiensia, Duns Scot justifie directement sa définition de la
science par inclusion virtuelle dans un sujet premier, par la nature de la
science que Dieu a de toute chose par inclusion virtuelle en Lui-même
comme objet premier65. Le fait de déduire ainsi directement la

la théologie médiévale (1220-1255), Paris, Vrin, 2002 (Etudes de Philosophie Médié­


vale, 84), pp. 108-125.
62 DUNS SCOTUS, Op. ox. IH, d. 14, q. 2, n. 6 (Wad. VII, 289) : « Nihil nisi sub
ratione infiniti formaliter potest quietare intellectum, ita quod si non inquantum
infinitum formaliter apprehenderetur, sed infinitas tantum concomitaretur, non plus
quietaret potentiam apprehensivam quam aliud intelligibile. »
63 DUNS SCOTUS, Op. ox. Ill, d. 14, q. 2, n. 7 (Wad. VU, 290).
64 C’est ce qui rend impossible la ‘compréhension’ de Yens infinitum par
l’intellect fini : DUNS SCOTUS, Op. ox. III, d. 14, q. 2, n. 20 (Wad. VII, 299) :
« Experimur quod attentio circa plura obiecta est minus perfecta ; et ideo videtur quod
impossibile sit potentiam finitam perfecta attentione videre infinita simul. »
65 DUNS SCOTUS, Rep. par., Proh, n. 7 (Wad. XI, 3): «Hoc modo est
intelligendum de intellecto divino, quia licet per se intelligat omnia intelligibilia,
« OBJET PREMIER D’INCLUSION VIRTUELLE » 115

définition générale de la science, de la science que possède en acte


l’intellect parfait, indique que la nature de la science ne dépend pas de
la nature particulière de l’intellect, ou encore que la différence entre
notre science et la science divine n’a pas à être située dans la structure
épistémologique, qui est purement d’inclusion virtuelle.
L’objet - non pas seulement en tant que formellement présent,
mais en tant précisément qu’il produit une évidence pour l’intellect -,
est donc objet d’inclusion virtuelle, c’est-à-dire essentielle et objective
(« continere virtualiter obiecta cognoscibilia competit perfectissime
cognoscibili «66). Cependant l’intellect fini ne peut concevoir les vérités
contenues dans cet objet qu’à proportion de sa puissance de
compréhension, qui parce qu’elle est finie se trouve déterminée
formellement. La compréhension, en effet, consiste dans la puissance
propre de l’intellect (sa quantitas virtualis) à discerner les vérités et
inclusions objectives constitutives de l’essence d’un objet.
Comprehensio est quando tanta est intellectualitas potentiae, quanta est
intelligibilitas obiecti67.

V . C o n c l u s io n

Nous nous sommes efforcés de montrer que pour Jean Duns Scot,
l ’objet a une structure, qui est à la fois logique, noétique, cognitive.
Cette structure est logique en tant qu’elle articule, autour de l’objet
comme sujet logique, les modes de la prédication essentielle (per se
primo modo, per se secundo modo) en vertu desquels il reçoit son unité
logique, c’est-à-dire son univocité pour la démonstration. Elle est

tamen a nullo movetur ad actum intelligendi nisi a primo obiecto suo. Nullum etiam
obiectum secundarium primo terminat per rationem propriam actum ipsius, sed
tantum ex consequenti virtute illius primi ; et ideo illud per se adaequatum obiectum
intellectui non est aliquid commune omnibus per se intelligibilibus, sed aliquid
primum intelligibile per se continens omnia. » Cf. Quodl. V, nn. 11-12 (Wad. XII,
126-127).
66 DUNS SCOTUS, Rep. par., Prol., q. 1, a. 4, n. 40 (Wad. XI, 12).
67 DUNS SCOTUS, Rep. par. IH, d. 14, q. 2, n. 20 (Wad. XI, 473).
116 DOMINIQUE DEMANGE

noétique en tant que ces deux modes prédicatifs correspondent, pour


Duns Scot, respectivement aux modes de la perception par simple
présentation (formaliter), ou bien selon le mode intentionnel de
contenance objective (virtualiter), c’est-à-dire finalement de
représentation (d’un objet par un autre)68. Elle est enfin cognitive dès
lors que, si la connaissance par présentation définit l’objet, la
connaissance par représentation produit l’évidence de ce qui le
constitue objectivement. Cette structure de l’objectivité est ainsi la
matrice de la théorie de la connaissance et de la science.
Cette orientation de la théorie de la connaissance vers l’évidence
de la constitution objective n’est pas sans ouvrir la voie à une nouvelle
logique de la vérité. Pour expliquer comment l’intellect conçoit la
vérité de la proposition « la somme des angles du triangle est égale à
deux droits », Aristote n’en appelle qu’à la vision de la figure
construisant cette propriété, et récuse l’idée qu’une définition
génétique-causale deviendrait nécessaire par le fait de la construction69.
Pour qu’il conçoive la vérité de la proposition « la somme des angles
du triangle est égale à deux droits », Duns Scot quant à lui demande à
l’intellect de concevoir l’inclusion des notions impliquées dans cette
proposition dans ‘l’idée’ du triangle. On est passé ce faisant d’une
évidence fondée sur la vision de la cause, à une évidence fondée sur la
compréhension par la cause, ce qui constitue en fait une excellente
préparation en vue de l’idée leibnizienne de définition réelle - à savoir
une définition qui manifeste à l’intellect la nature, la possibilité et
l’unicité de son objet à partir des caractères exprimant son mode de
constitution par la pensée70.

École Pratique des Hautes Études, Paris

68 DUNS SCOTUS, Lect. I, d. 3, pa. 1, qq. 1-2, n. 80 (Vat. XVI, 255) :


« Cognitionem autem ‘virtualem’ voco quando aliquid includitur in alio, et ideo
intelligi potest ad intellectionem illius. »
69 ARISTOTE, Met. © 9, 1051a22-33.
70 Cf. J.-B. RAUZY, La doctrine leibnizienne de la vérité. Paris, Vrin, 2001,
pp. 67-68.
C h r is t o p h e r J. M a r t in

FORMAL CONSEQUENCE IN SCOTUS AND OCKHAM :


TOWARDS AN ACCOUNT OF SCOTUS’ LOGIC

The status of a striking and important counter-possible conditional


claim is much disputed in the late thirteenth and fourteenth centuries.
Thomas Aquinas argues that the proposition “if the Holy Spirit does
not proceed from the Son, then it is not distinct from the Son” is true
and he is followed in this by Godfrey of Fontaines and Thomas of
Sutton. Henry of Ghent, to the contrary, insists that it is false and this is
also the view of John Dims Scotus who claims to prove the falsity of
the conditional by showing that the consequent does not follow
formally from the antecedent. William of Ockham for his part argues
for just the opposite, maintaining that the consequent of the conditional
does indeed follow formally its antecedent, but he insists that despite
this the conditional is not evidently true.
We know a good deal about Ockham’s theory of conditional
propositions1 but not very much about Scotus’ views on the subject. In
this paper I will try to make some progress towards understanding
Scotus’ logic by considering his account of the conditional in solving
this particular theological problem and propose that his theory of
formal consequence can be connected with that of the formal distinc­
tion. I will then argue that in the light of this connection Ockham’s
different theory of consequences can be understood as part of his
general rejection Scotus’ metaphysics.

1 GUILLELMUS DE OCKHAM, Summa Logicae (OPh III-3).


118 CHRISTOPHER J. MARTIN

I. T h e p r o b l e m f o r m u l a t e d

The problem of whether, if the Holy Spirit were2 not to proceed


from the Son, it would not be personally, or really3, distinct from the
Son, is discussed by both Scotus and Ockham as the second question of
their commentaries on distinction 11 of Book I of Peter Lombard’s
Sentences4. The question was perhaps introduced into the syllabus at
this point in response to Aquinas’ assertion of the contrary in his
treatment of the same distinction, the general problem for which is
whether the Holy Spirit proceeds from both the Father and the Son5. If
Aquinas’ conditional question could be answered in the affirmative,
modus tollens could be invoked to refute the Greeks6.
Thomas maintains that7 :

2 For the authors I will consider here nothing seems to turn on whether the
conditional is indicative or subjunctive.
3 The question is formulated in terms of their being really distinct and the nature
of real distinction is part of what is at issue. Real distinction must be distinguished
from existential distinction, where A is existentially distinct from B if A may exist
without B existing. See the discussion of the Scotist notions of real, formal, and
existential distinction and its application to the Trinity in C. J. MARTIN, “Logics for
Distinctions : Peter of Navarre and the Scotistic Treatment of Impossible
Hypotheses”, in Medieval and Renaissance Logic in Spain. Acts of the 12th European
Symposium on Medieval Logic and Semantics, held at the University of Navarre
(Pamplona, 26-30 May 1997), eds. I. Angelelli - P. Pérez-Ilzarbe, Hildesheim, Olms,
2000 (Philosophische Texte und Studien, 54), pp. 439-463.
4 Peter Lombard simply sets out the authorities on either side and rejects the
anathematization of the Latins implied by his Greek sources. He argues that the Latins
would be heretically in error only if they denied the principles affirmed by the Church
Councils whereas, in fact, they simply add to these principles a truth to be found in
Scripture and the writings of the Church Fathers.
5 Aquinas gives the same answer in his most explicit and extensive discussion of
the question in De potentia, q. 10, a. 5 (Busa III, 237-239).
6 So GUILLELMUS DE OCKHAM, In I Sent., d. 11, q. 2 (OTh III, 368). See part II
below.
7 THOMAS DE AQUINO, In I Sent., d. 11, q. 1, a. 1 (Busa I, 31). Cf. ST la, q. 36,
a. 2 (Busa H, 238). Aquinas asserts other counter-possible conditionals in his
Sentences commentary : “if the Father and the Son were distinct in essence, they
FORMAL CONSEQUENCE IN SCOTUS AND OCKHAM 119

it is to be said without qualification that the Holy Spirit proceeds from the
Son. For if this (procession) is removed, the distinction between the Son
and the Holy Spirit is inevitably removed. For since the divine persons are
distinguished by nothing absolute, it is necessary that every distinction
between them is according to relations of origin. Whence if the Holy Spirit
and the Son were not distinguished by the fact that one is from the other,
they would both be one person.
Aquinas has nothing to say about what principles of inference
might in general guarantee the correctness of claims about the
consequences of acknowledged impossibilities. The hypothesis that the
Holy Spirit does not proceed from the Son must be held to be such an
impossibility, however, since it is the opposite of a truth about the
persons of the Trinity which is held as a matter of faith, and all such
truths are necessary. The beginnings of an analysis of the reasoning
under an impossible hypothesis which must be considered in evaluating
this counter-possible conditional8 are found in Henry of Ghent’s
discussion of the same question.
The authority that is crucial for all discussions of our counter­
possible question is Boethius’ observation in his de Trinitate9 that in
the Godhead “substance preserves unity while relation multiplies the
Trinity”. Aquinas construes Boethius as requiring that the persons of
the Trinity are distinguished pairwise only by their standing in opposed
relations to one another. If this opposition is removed, then so is the
distinction. Henry of Ghent holds, to the contrary, that the conditional
at issue is false since the Son and Holy Spirit would in the situation
corresponding to the antecedent continue to be really distinguished by
the different but not opposed relations in which each stands to the
Father.

would still love one another” (In I Sent., d. 11, q. 1, a. 2, Busa I, 32); “with the
distinction of the persons removed by the intellect, creation would still remain” (In I
Sent., d. 11, q. 1, a. 4, Busa I, 32). The procedure of mental separation which Aquinas
appeals to here is one of the sources of the logical device of positio impossibilis to be
discussed below.
8 HENRICUS DE GANDAVO, Quodl. V, q. 9, in Quodlibeta Magistri Henrici
Goethals a Gandavo, Paris, 1518 (repr. Louvain, 1961), ff. CLXVÏÏ[0]-CLXVIII[Z]
(dating from Christmas 1280).
9 BOETHIUS, De Trinitate VI (Loeb, 28).
120 CHRISTOPHER J. MARTIN

When, as it in fact does, the Holy Spirit proceeds from the Father
and the Son together it uniquely possesses the relational property of
being passively spirated by the Father which constitutes it as the person
which it is. The Father and the Son on the other hand each possess the
relational property of actively spirating the Holy Spirit and so this is a
common property which thus does not constitute a person. The Son and
the Holy Spirit consequently possess opposed, contrary, or as we would
say, converse, relational properties, the properties of actively spirating
and of being passively spirated.
Opposed relational properties cannot exist in the same subject but
different active relational properties may, and they do so in the case of
the Father who has the properties both of generating the Son and of
spirating the Holy Spirit. Henry insists, on other hand, that different
passive relational properties cannot exist in the same subject since each
emanation is both necessary and sufficient for the production of the
complete being which is its terminus.
As an objection to his position Henry argues that the second and
third persons of the Trinity would not in the situation hypothesised be
distinct10 :
Because, as Boethius seems to say, relations distinguish only if they are
opposed, so that in this case an impossibility would follow, that is, that the
Holy Spirit and the Son would both be distinguished and not distinguished
if the Holy Spirit did not proceed from the Son. And with this it is clearly
shown that something impossible is posited, that is, that the Holy Spirit
does not proceed from the Son.
In response Henry maintains, in effect, that the argument commits
the fallacy of conflating what is true secundum quid with what is true
simpliciter. Since, he argues, the Son and the Holy Spirit are the
termini of distinct emanations from the Father and would remain so
under the hypothesis, they would thus remain distinct from one another
when compared in terms of their relation to the Father. This, according
to Henry, is the appropriate comparison to make since each emanation
is constitutive of the being of the corresponding person. The Son and
Holy Spirit would therefore be distinct simpliciter if the latter did not
proceed from the former.

10 HENRICUS DE GANDAVO, Quodl. V, q. 9, ed. cit., f. CLXVTI [S],


FORMAL CONSEQUENCE IN SCOTUS AND OCKHAM 121

If, on the other hand, they are compared to one another in terms of
their relations to one another they would not under the impossible
hypothesis be distinct. However, according to Henry, this failure to be
distinct is only a relative failure {secundum quid) since the comparison
to one another with respect to one another is not the proper one11. Thus
the claimed contradiction does not follow from the hypothesis.
Henry apparently presents the rejected argument as a reductio ad
impossibile but does not explain further why it might be embarrassing
to be shown that an impossibility follows from something already
known to be impossible. Godfrey of Fontaines writing on the problem
perhaps a decade later and at much greater length provides a more
detailed analysis of the argument12.
Godfrey holds, contrary to, and arguing directly against Henry,
that the conditional is true since the real distinction of the Holy Spirit
from the Son requires that it proceed from both the Father and the Son
as the result of their mutual love. If, Godfrey argues, the Holy Spirit did
not proceed from the Son as well as from the Father, the two remaining
emanations from the Father, generation and active spiration, and their
termini, the Son and the Holy Spirit, would be distinct only by a
distinction of reason. Like Aquinas, Godfrey holds that only opposed
relations can serve to really distinguish persons. The real distinction
between the passive generation of the Son and the passive spiration of
the Holy Spirit is supervenient, he claims, on the real distinction
between the active spiration of the Son and the passive spiration of the
Holy Spirit.
Godfrey thus argues that two contradictions, that the Holy Spirit is
both distinct and not distinct from the Father and that the Holy Spirit
both proceeds in the mode of will and does not so proceed, do indeed
follow from supposing that the Holy Spirit does not proceed from the

11 Henry’s argument, loc. cit., is dreadful. He proposes as a counter instance that


we cannot infer that two is both double and not double because it is double one but
not double three, since as far as being double is concerned the proper comparison is
with one rather than three.
12 GODEFRIDUS DE FONTIBUS, Quodl. VII, q. 4, ed. M. De W u lf- J. Hoffmans,
Les Quodlibet Cinq, Six et Sept de Godefroid de Fontaines, Louvain, 1914 (Les
Philosophes Belges, 3), pp. 287-299 (dating from 1291).
122 CHRISTOPHER J. MARTIN

Son but nevertheless still proceeds from the Father, in the mode of will,
and so remains distinct from the Son, which proceeds in the mode of
nature. Though he does not say so, Godfrey like Henry thus offers an
argument with the structure of a reductio ad impossibile. It is of course
not the usual kind of reductio since the hypothesis is known to be
impossible at the beginning of the argument but what it shows, if
Godfrey’s analysis is correct, is that a formal contradiction, both a
proposition and its negation, follows from assuming both the
antecedent of our conditional and the opposite of its consequent and so
that the conditional is true in that it is impossible, in the sense of
contradictory, for the antecedent to be true and the consequent false.
Godfrey rejects Henry’s claim that the argument to a contradiction
conflates unqualified and relative distinction and insists that persons
are distinguished really only by opposed relations of origin. That is to
say, persons P j and P2, differ really only if P2 originates from P i or
vice versa. He then goes on to discuss a further response which is not
found in Henry’s discussion but which will be crucial in Scotus’
treatment of the problem.
According to Godfrey, some proponents of the view that the Holy
Spirit would remain distinct from the Son even if it did not proceed
from the Son, claimed that the hypothesis that it does not so proceed
does not imply contradictories. They argued that while the hypothesis
that the Son and the Holy Spirit are not distinguished by the opposed
relations of active and passive spiration is posited per impossible it is
not posited per incompossible where13 :
something is posited per incompossibile only when along with that which
is principally (principaliter) posited its contradiction is implied
(implicatur), that is, when something is removed which belongs to its
signification and essence. As, for example, if I were to say “if a human
being were to be a non-rational animal, it would <not> differ from a
brute”; because with rational removed there remains only that in which it
agrees with a brute. When <the hypothesis» does not imply the
contradictory of that which belongs to the signification and essence of
what is posited, but there is posited, nevertheless, something which is
repugnant (repugnans) to something connected (pertinens) to the principle
positum, then the contradiction of it is not principally posited but only in a

13 GODEFRJODUS DE FONTIBUS, Quodl. VII, q. 4, ed. cit., p. 295.


FORMAL CONSEQUENCE IN SCOTUS AND OCKHAM 123

certain consequence (per quondam consequentiam). And so such a


positum is posited per impossibile but not per incompossibile.

Godfrey’s opponents thus make a distinction between what is


implied (implicatur) by the hypothesis - those features of the positum
which are included in its essence and signification - and what is
connected (pertinens) to the positum - features which are not included
in the essence, or signification, of the positum14 but which nevertheless
follow from it in a certain kind of consequence. Godfrey says nothing
further here about the nature of this consequence relation. In the case in
question, his opponents argue, “active spiration lies outside of the Son
but, as it were, follows on his person in a certain order”15; so the
conditional “if the Son did not spirate the Holy Spirit, he would still be
distinct from it by his nativity” is true.
Godfrey provides a rule for reasoning about impossibilities. Under
the hypothesis that the Son is really distinct from the Holy Spirit but
the Son does not actively spirate the Holy Spirit, the proposal that the
Son does not differ from the Holy Spirit by active spiration is to be
denied since16 :
this is repugnant to the positum, that is, that the Holy spirit differs really
from the Son. Where something repugnant to the positum which lies
outside of its essence and signification is always to be denied in positio
falsa, according to the ars obligatoria formulated in the Book 8 of the
Topics.

Godfrey goes on to argue that his opponent’s argument fails since


although active spiration is not essential to the constitution of the Son
as a person, nevertheless it is essential in distinguishing the Son from
the Holy Spirit. His discussion seems to conflate reduction to
impossibility with the use of an obligatio17 but what is important is to

14 There is something of an ambiguity here. In the theory of obligationes, which


will be discussed below, the “positum” is the initial hypothesis. Godfrey clearly also
uses the term for the subject of the hypothesis.
15 Loc. cit.
16 Loc. cit.
17 I am also rather uneasy about the text here since given the conjunctive positum
it seems to me that one should concede this proposal.
124 CHRISTOPHER J. MARTIN

locate the argument as a form of obligatio and it is this analysis of it


which Scotus will defend.

n . D u n s S c o t u s a n d t h e l o g ic o f c o n s e q u e n c e s

Discussion of Duns Scotus’ theology is notoriously complicated by


the existence of both the Lectura and Ordinatio of his Oxford lectures
on the Sentences as well as the Reportata of his quite distinct Paris
lectures. In the case of the question which interests us the differences,
save on a couple of points, are not great. The Ordinatio in this question
seems to draw upon the Reportata which in its turn in some places
develops and in others omits material from the Lectura. In what follows
I will work from the Lectura and only note differences between the
three texts where they are significant.
In the Lectura, after posing the question and giving the authorities
first for the affirmative answer, that Holy Spirit would not in this case
be distinct from the Son, and then for the negative answer that it
would18, Scotus notes that there are some who object that the question

18 DUNS SCOTUS, Lect. I, d. 11, q. 2 (Vat. XVII, 134-135). Scotus’ appeal to


authority here is interesting and perhaps relevant to the question of the relation
between his various commentaries. The same authorities appear on each side in both
the Lectura (Vat. XVII, 134) and the Ordinatio (Vat. V, 9). In favour of there being
no distinction between Son and Holy Spirit if there were no procession, Scotus cites
two very famous texts, BOETHIUS, De Trinitate c. 6 : “Essence contains unity but
relation multiples the trinity”, and AUGUSTINUS, De Civitate Dei XI, c. 10 : “We call
[God] simple because He is that which He has, with the exception that each person is
said relative to another, thus the Father has the Son, but nevertheless is not the Son.”
To the contrary, for there being a distinction, Scotus cites Augustine, de Trinitate V,
c. 17 : “... it is clear that the Son is not the Holy Spirit, even if the Son does goes out
(exit) from the Father, since the Son does not go out as given (datus) but as in a
certain way generated (natus).” In the Reportata (Wad. XI/1, 87), on the other hand,
while he gives the same passages from Boethius “quod sic” and from Augustine
“quod non”, instead of Augustine for the absence of distinction Scotus offers Anselm,
de Processione Spiritus Sancti, c. 2. In discussing Aquinas’ answer to the question in
the Ordinatio (Vat. V, 15), however, but not in the Lectura, Scotus notes that both
FORMAL CONSEQUENCE IN SCOTUS AND OCKHAM 125

is not well formed since it involves hypothesising something that


includes opposites.
The Vatican edition of the Lectura refers this objection to the
treatment of the question by Godfrey of Fontaines19 discussed above.
Scotus disagreed with Godfrey over a number of issues including his
conception of the formal distinction and Friedrich Wetter has proposed
that this disagreement caused him to avoid discussion of such
controversial questions in the early part of the Reportata written at the
beginning of his stay in Paris. Wetter suggests that the difference
between the Reportata and the Lectura may be explained by Scotus’
wish not to confront Godfrey whom, relying on suggestion by Balie, he
apparently believes to have been the Chancellor of the University in
1302-320. The most that is true, however, seems to be that in 1304
Godfrey took the place of the chancellor at a University function and,
indeed, he may well not have been in Paris at all in the years 1302-321.

sides appeal to the authority of Anselm and that there is much disagreement over
Anselm’s intention. For this reason he declines to consider it.
19 GODEFRIDUS DE FONTIBUS, Quodl. VII, q. 4, ed. cit., p. 294.
20 F. WETTER, Die Trinitätslehre des Johannes Duns Scotus, Münster, Aschen-
dorff, 1967 (Beiträge zur Geschichte der Philosophie und Theologie des Mittelalters,
41), pp. 64, 69, citing C. BALIO, Les Commentaires de Jean Duns Scotus sur les
quatre livres des Sentences, Louvain, 1927, pp. 161-198. Wetter is followed by H.
GELBER, Logic and the Trinity. A Clash o f Values in Scholastic Thought, 1300-1335,
PhD thesis, University of Wisconsin at Madison, 1974, p. 71. Gelber (op. cit. p. 72)
suggests that Scotus suppressed discussion of the formal distinction while his dispute
with Godfrey continued and claims to find the end of the dispute precisely with the
difference between Scotus’ treatment of the formal distinction in questions 2 and 3 of
distinction 33 of Book I.
21 Cf. J. F. WIPPEL, The Metaphysical Thought o f Godfrey o f Fontaines. A Study
in Late Thirteenth Century Philosophy, Washington D. C., Catholic University of
America Press, 1981, p. XVI. For the refutation of Balic’s suggestion that Godfrey
was Chancellor of the University see P. GLORIEUX, “Duns Scot et les ‘notabilia
Cancellarii”’, Archivum Franciscanum Historicum 24 (1931), pp. 3-14 ; A. MAEER,
“Literarhistorisch Notizen über P. Aurioli, Durandus und den “Cancellarius” nach der
Handschrift Ripoll 77bis in Barcelona”, Gregorianum 29 (1948), pp. 213-51.
126 CHRISTOPHER J. MARTIN

If it is indeed Godfrey whom Scotus is reporting22, then he is


certainly not particularly polite to him when, in a remark that first
appears in the Reportata and is repeated in the Ordinatio, he describes
the objection that the question is void (nulla est) as simply “shirking
the question”23.
According to the Lectura the objector rejects the question because,
he claims, although the rules for the ars obligatoria allow one to posit a
possibility, and an impossibility which does not include contradictory
opposites, it is not permissible to posit an impossibility which does
contain such opposites. In the Reportata and Ordinatio the objection is
that one may posit impossibilia but not incompossibilia. The latter, it is
argued, is the most impossible form of impossibility and since the
truths about the Godhead are maximally necessary, the hypothesis that
the opposite holds is maximally impossible.
Scotus defends the use of hypotheses acknowledged to be
impossible by setting out some details of the theory of obligationes, or
ars obligatoria2*. This was a logical procedure developed in the twelfth
century to regiment inference under various kinds of hypothesis25.
Godfrey, as we saw, locates the argument as an instance of positio
falsa. In such an obligatio a respondent is required to suppose that the
positum, that is, a false claim stipulated by his opponent, is true and
then to reply consistently to questions, or proposita, put to him by his
opponent. The respondent’s aim is to avoid contradicting himself and
success in the exercise lies in conceding only what follows from the

22 Curiously the editors of the Vatican edition of the Ordinatio do not cite
Godfrey at this point but note rather that the argument is mentioned by Richard
Middleton and extensively discussed and rejected by William of Ware. They also note
that William of Nottingham attributes the argument to John of Berwick and William
of Macclesfield. Cf. DUNS SCOTUS, Ord. I, d. 11, q. 2 (Vat. V, 10).
23 “Fuga”, Rep. par. (Wad. XI/1, 87) ; “fuga quaestionis” Ord. (Vat. V, 10). In the
Lectura Scotus simply remarks that Godfrey’s objection is faulty (peccat) (feet. Vat.
XVII, 136).
24 DUNS SCOTUS, Lect. I, d. 11, q. 2 (Vat. XVII, 135-137).
25 Cf. “The treatises on obligationes by William of Sherwood (?) and Walter
Burley”, in R. GREEN, The Logical Treatise ‘De Obligationibus ’. An Introduction
With Critical Texts o f William o f Sherwood and Walter Burley, unpublished thesis,
Louvain, 1963.
FORMAL CONSEQUENCE IN SCOTUS AND OCKHAM 127

original positum taken together with anything which has already been
conceded and the opposite of anything which has already been denied.
Positio falsa has two forms, positio possibilis in which the original
positum is something known to be false but which might possibly be
true, and positio impossibilis in which the positum is an acknowledged
impossibility.
The problem according to the objector is that the hypothesis of our
question includes opposites and so the respondent will be forced either
(i) to conceded opposites, and so “there will be no end to the
disputation” or (ii) to deny something which follows from the positum,
and so it will not be possible to prove anything “because nothing
follows”26. In reply Scotus makes more precise the distinction between
consequences invoked by the proponent of the argument to show that
both of these claims are false. It will be possible to prove something but
it will not be possible to prove everything.
The positum in an impossible positio cannot be an explicit self-
contradiction, “A & not A”, but, Scotus points out27 :
some consequences are natural, in which the consequent is understood per
se of the antecedent, and some consequences are accidental, which hold in
virtue of an extrinsic locus, in which the antecedent cannot be true without
the consequent but the consequent is not understood per se of the antece­
dent, as when the antecedent is the cause of the consequent (as the subject
is the cause of a passion), or by the locus “from something similar”.

The positum in positio impossibilis may include contradictories,


Scotus maintains, so long as at least one of them follows from the
positum only in an accidental consequence. Given this, the other
contradictory may be included essentially (essentialiter)28 in the posi-

26 Scotus does not explain why these consequences would follow. In support of (i)
he might appeal to the Lewis argument to prove anything from a contradiction. But if
this is so, then (ii) does not make a distinct point. Granted that if the positum is “p &
not p ” if “p ” is contingent and “p ” implies “q” then the only way to force the
respondent to deny “q” is to prove “not q” by the Lewis argument. For the history of
the Lewis argument see C. J. MARTIN, “William’s Machine”, Journal o f Philosophy
83 (1986), pp. 564-572.
27 DUNS SCOTUS, Lect. I, d. 11, q. 2 (Vat. XVII, 136).
28 DUNS SCOTUS, Lect. I, d. 11, q. 2 (Vat. XVII, 137).
128 CHRISTOPHER J. MARTIN

turn and so follow from it in a natural consequence, for the truth of


which it is necessary and sufficient that the consequent is “understood
per se in the antecedent”.
Save, perhaps, in one respect which will be discussed below, the
Ordinatio agrees with the Lectura in the terminology used to
distinguish between two kinds of consequence. The Reportata, on the
other hand, does not explicitly contrast the essential with the accidental
but rather contrasts including opposites “as first understood” {de primo
intellectu) with including them in virtue of “something extrinsic”
{quaedam extrínseca).
As an illustration, Scotus observes that we may be asked to posit in
impossible positio that a human being is not able to laugh. Having
accepted this we must concede only what follows in a natural
consequence and in particular we should not concede the conditional
propositum “if Socrates is a human being, then Socrates is able to
laugh” because, Scotus says, the consequence has been “destroyed by
the antecedent”. This last remark seems to be a mistake since although,
as we will see, positing the antecedent of a conditional may destroy the
corresponding consequence, in this case it is the quite distinct positum
which is to blame.
The same holds, Scotus argues, for the proposition in question
since the impossible positum that the Holy Spirit does not proceed from
the Son includes “quasi-accidentally” that the Son and the Holy Spirit
are not distinct. In contrast, the same positum includes essentially that
the Son is the Son and that the Holy Spirit is the Holy Spirit.
Presumably this is so because the hypothesis concerns the Son and the
Holy Spirit and when a name is not empty the corresponding identity
holds.
In the corresponding passage in the Ordinatio Scotus’ language is
slightly more circumspect but his argument is rather clearer29 :
such (an impossible positio) may indeed be admitted, because with such a
positio posited the rules of disputation may be upheld. For one may indeed
concede what follows in an essential consequence and deny what is
repugnant. If, however, something repugnant is inferred which follows in

29 DUNS SCOTUS, Ord. I, d. 11, q. 2 (Vat. V, 11).


FORMAL CONSEQUENCE IN SCOTUS AND OCKHAM 129

virtue of an extrinsic locus, or in an accidental consequence, it is to be


denied that it follows, because the proposition in virtue of which such a
consequence would hold would be destroyed by the positio. Now,
however, active spiration is not of the per se understanding of the Son, as
the person that He is, but is rather a quasi-passion common to the Father
and the Son; therefore with this circumscribed, positing the Son to exist as
the Son, one does not posit contradictories immediately in the under­
standing of the positum, but only one of a pair of contradictories, that is
that the Son is the Son, and the other only in a quasi-accidental conse­
quence <holding> in virtue of the extrinsic locus that with the removal of a
quasi-passion the quasi-subject is removed. Therefore this positio does not
include opposites in such a way that it may not be admitted.

Here, then, it is the positum admitted in the positio which


“destroys”, that is to say, is the negation of, the proposition in virtue of
which the proposed consequence holds. The point is made most clearly
in the Reportata where the positum is indeed the antecedent of the
consequence proposed30 :
if one posits that a human is not able to laugh, then he who is obligated
should deny the consequence “a human is not able to laugh; therefore a
human is not human” because he is to deny the middle (medium) through
which the consequence holds.
Scotus’ reference to an extrinsic locus is to the classification of
argument forms in topical, or local, inference developed in the twelfth
century on the basis of Boethius’ de Differentiis Topicis31. The aim of
the theory of the topics, or loci, is to provide procedures for answering
any question. For example, if we are asked : “Is S P or not ?”, what we
must find is a reason, technically known as an argumentum, and
sometimes called a middle {medium), which will convince our
questioner of the affirmative or the negative answer. The source for the
argumentum is the locus which provides us with a principle of
inference from an accepted premiss to the answer as our conclusion.
So, for instance, if we are asked the question “Is Socrates a human
being or not?” providing we accept that Socrates is a mortal rational
animal, we may argue : “Socrates is a mortal rational animal; therefore

30 DUNS SCOTUS, Rep. par. I, d. 11, q. 2 (Wad. XI/1, 87b).


31 BOETHIUS, De differentiis topicis (PL 84,1173-1261).
130 CHRISTOPHER J. MARTIN

Socrates is a human being”. To justify our argument we must appeal to


the general principle, technically a maximal proposition, “of whatever
the definition is predicated, the defined term is also predicated” and the
premiss “mortal rational animal is the definition of human being”. The
locus consists of both the locus differentia, that is, the feature of things
from which we draw the argumentum, here “from definition”, and the
maximal proposition.
The locus in this case said to be intrinsic because it relies on a
feature of the substance of one of the things {substantìa rei) about
which the question is asked - in this case the predicate term in the
question. Extrinsic loci, on the other hand, are said to be the sources of
argumenta which are distinct from the substance of the things about the
question is asked. For example the locus “from opposites” which is the
source for the argumentum in the argument “Socrates is a human
being ; therefore Socrates is not an ass” where the maximal proposition
is “from what one of a pair of opposites is predicated of the other is
removed” and the suppressed premiss is “human being and ass are
opposites”.
Two things are very striking about Scotus’ appeal to the theory of
topical inference. First he associates extrinsic loci with accidental
consequence and apparently holds that a consequence is accidental if
and only if it is warranted by an extrinsic locus. The question of what
kind of connection between premiss and conclusion a given maximal
proposition may warrant and so of what kind of conditional might be
proved by appealing to it had preoccupied Abaelard but is not
mentioned in any of the few thirteenth century texts on the topics which
have so far been published. Abaelard himself held that an extrinsic
locus either guarantees an accidental consequence - it is impossible for
the antecedent to be true when the consequent is false - or does not
guarantee any kind of necessity32. He argues at length, on the other
hand, that many intrinsic loci can likewise guarantee only accidental
consequence. He agrees with Scotus that the connection between
properties and their subjects is accidental but he does not mention them
in his account of the topics nor, indeed are they mentioned in any of the

32 See C. J. MARTIN, “Logic”, in The Cambridge Companion to Abelard, eds. J.


B row er-K . Guilfoy, Cambridge, Cambridge University Press, 2004, p. 158-199.
FORMAL CONSEQUENCE IN SCOTUS AND OCKHAM 131

published twelfth or thirteenth century lists, since they do not occur in


Boethius’ canonical list of loci.
The second striking feature of Scotus’ account is the claim,
implied by his aside in the Lectura on extrinsic loci, that the maximal
proposition at issue here, “with the removal of a quasi-passion, or
property, the quasi-subject is removed”, is drawn from the locus “from
a cause” and that this locus is extrinsic. Following Boethius, all twelfth
and thirteenth centuiy treatises on the loci classify the locus “from
cause” as intrinsic. Scotus does not say what kind of cause is involved
but Aquinas in discussing the relationship between the non-personal
properties and the persons says that it is like that of an accidental form
to the subject in which it exists as in matter, so the causal relationship
would correspond to that of material cause to form33.
The maximal proposition here is the mie that if P is a quasi­
passion of a quasi-subject S, then for any x, if x does not have the
quasi-passion P, then x is not S. The reference is to “quasi-passions”
rather than passions since the subject is God and God suffers no proper
passions. The corresponding principle for the passions of creatures, that
is, for properties, or inseparable accidents, with respect to their
subjects, guarantees the truth of the accidental consequence that if
something is not able to laugh, then it is not human - if something does
not have the property of a given kind of subject, then it is not a subject
of that kind.
In each case, however, the guarantee is only of an accidental
consequence. Having posited per impossibile that the Holy Spirit does
not proceed from the Son we are bound still to concede that the Son is
the Son but we must not allow an appeal to the extrinsic locus in a
proof that the Son is not the Son.
Scotus’ claim in the Ordinatio that what is destroyed is the
proposition in virtue of which such {talis) a consequence holds seems
to indicate that he supposes that positing that a human is not able to
laugh renders false the maximal proposition that he here calls an
extrinsic locus. If this is his view, then he is clearly wrong, if he
supposes that maximal propositions are employed to prove conditionals

33 THOMAS DE AQUINO, In I Sent., d. 33, q. 1, a. 3 (Busa I, 87).


132 CHRISTOPHER J. MARTIN

in something like the way originally proposed by Abaelard. According


to that theory, the topical justification for the truth of a given
conditional has for its premisses both a maximal proposition and a
categorical assertion that an instance of the appropriate topical
connection holds. So, for example, from the maximal proposition “a
genus is predicated of whatever its species is predicated” and the
assignment of the locus “human being is a species of animal” we infer
“if something is a human being, then it is an animal”.
In Scotus’ example what is destroyed by the impossible hypothesis
that a human being is not able to laugh is not the maximal proposition
but rather the truth, indeed necessary truth, that being able to laugh is a
property of human beings. This is the middle to which Scotus refers in
the Reportata. The warrant provided for the conditional by the maximal
proposition does not fail since in no possible situation does having the
ability to laugh not coincide with being human. If the impossibility is
posited, however, the conditional can no longer be conceded because
the necessary truth that all and only humans are able to laugh has been
denied.
The division of consequences into accidental and natural employed
by Scotus is ultimately taken from Boethius and its connection with the
topics perhaps draws upon the work of Abaelard. The division was the
standard one in the thirteenth century but it does not seem then to have
been very uniformly or very satisfactorily explained. Most accounts,
however, do notice the corollary of the definition of accidental
consequence that anything follows accidentally from an impossibility
and treatments of impossible positio tell us that this principle cannot be
appealed to in drawing inferences from an impossible hypothesis.
Scotus, too, notes the rule, though only by implication, and only in the
Ordinatio. One of a number of authorities to which he appeals there for
the use of hypotheses acknowledged to be impossible is a question
asked by Aristotle in the Physics which Scotus construes as positing the
impossible hypothesis that a space exists in which there is no body but
there is both colour and sound34 :
with such a positio posited, which, however, posits incompossibilia (that
an accident such as sound or colour exists without a subject), one may ask,

34 DUNS SCOTUS, Ord. I, d. 11, q. 2 (Vat. V, 13-14).


FORMAL CONSEQUENCE IN SCOTUS AND OCKHAM 133

nevertheless, whether something follows. This must be understood to refer


to <following> in a natural consequence, because even if the positum
includes incompossibilia it does not include all these incompossibilia in a
natural consequence, but from it one contradictory may follow in a natural
consequence and another only in the way that everything follows from an
impossibility.
Though Scotus does not say so, mediaeval logicians located the
principle “ex impossibili sequitur quodUbef under the extrinsic locus
“from the less likely” : since an impossibility is less likely than
anything else, they argued, if an impossibility were to hold, then
anything would hold35.
In another defence of the legitimacy of the question of whether if
the Holy Spirit did not proceed from the Son, it would be distinct
Scotus observes that there is a difference between asking a question
about the truth of a conditional and asking what the appropriate
response would be to the consequent of that conditional as propositum
in a positio with its antecedent as positum.
That there can be a difference is a corollary of the distinction made
in the first defence. Since in impossible positio, as Scotus understands
it, natural consequence is preserved, if the antecedent of a given natural
consequence is posited, then the respondent is bound to concede the
consequent. In the case of certain accidental consequences, on the other
hand, posting the antecedent destroys the consequence so in such a
positio neither the corresponding conditional nor its consequent should
be conceded.
Scotus insists that the question here concerns the conditional “if
the Holy Spirit were not to proceed from the Son, it would not be
distinct from the Son”. He is now in a position to affirm, if he wishes,
that the conditional is true, though if its antecedent is admitted in
impossible positio neither the conditional, nor its consequent should be
conceded. Instead of this, however, he maintains rather that the proper
response is that the conditional is false, since, according to the Lectura,

35 Cf. GUALTERUS BURLEY, De Puritate Artis Logicae Tractatus Longior, ed.


Ph. Boehner, St. Bonaventure (N.Y.), Franciscan Institute Press, 1955 (Franciscan
Institute Publicationes, 9), p. 61. Though I do not have space to explore it here,
Burley’s logic for consequences seems to be just that which is employed by Scotus.
134 CHRISTOPHER J. MARTIN

the question has to be understood as asking whether the consequent of


the conditional follows formally (formaliter) from the antecedent, and
according to the Ordinatio36 :
whether from the Holy Spirit not proceeding from the Son it follows
essentially that it is not distinguished from Him, in such a way that the
opposite of the consequent cannot hold with the antecedent, speaking of
the formal understanding of them.
The terminological difference in this question between the Lectura
and the Ordinatio which I mentioned above is that while in the Lectura
Scotus speaks of the consequent following formally from the
antecedent he does not characterise it in this way in the Ordinatio
though he does there, as in the Lectura, use “formally” to qualify
distinction and constitution. Probably nothing much turns on this,
however, since in the Ordinatio he explicitly identifies “formally” with
“essentially” in qualifying possession.
Curiously, although his account there of the answer is the same as
in the Lectura and Ordinatio, Scotus does not in the Reportata
explicitly insist that the question is about the truth of a conditional. Nor
does he use “formally” to qualify consequence but rather in answering
the question observes that37 :
this consequence does not hold in virtue of form (gratia formae) : the Son
is distinguished from the Holy Spirit; therefore the Holy Spirit proceeds
from the Son.

Scotus uses the expression “in virtue of form” in the Reportata just
where in the Lectura and Ordinatio he uses “formally” or “essentially”.
That is to say, a consequence holds in virtue of form, in this sense, if
and only if it is a natural consequence. The antecedent is thus
inseparable from the consequent and in addition the consequent is
“included in the per se understanding of the antecedent”. A paradig­
matic example is “if Socrates is human, then Socrates is an animal”
since the definition of human includes being an animal.
The consequence “if Socrates is human, then Socrates is an
animal” is obviously not formally true in the modem sense of holding

36 DUNS SCOTUS, Ord. I, d. 11, q. 2 (Vat. V, 12-13).


37 DUNS SCOTUS, Rep. par. I, d. 11, q. 2 (Wad. XI/1, 88a).
FORMAL CONSEQUENCE IN SCOTUS AND OCKHAM 135

for every uniform substitution of terms. Formal truth in this sense had
already been precisely characterised by Abaelard in the early twelfth
century but it had not been referred to in terms of “forma” and its
cognates38. The first writer known to do so seems to be Simon of
Faversham commenting on the Sophistici Elenchi in Paris around 1280.
Simon also provides us with the first known division of consequences
into formal or material rather than natural or accidental. Discussing
putative objections to the claim that one cannot validly argue by
affirming the consequent, Simon notes that39 :
when it is said that “an animal is a substance; therefore a man is a
substance is a good consequence” I reply that this consequence does not
hold in virtue of form (ratione formae), but rather in virtue of matter.
Because according to the Commentator on the first book of the Physics40
an argument which is valid (concludens) in virtue of form must hold in all
matter. This consequence, however, holds only for features which are
essential... and so this consequence is not formal (formalis).
Having insisted in his description of the workings of impossible
positio that no positum is to be admitted which immediately includes
opposites, Scotus goes on to claim that in certain cases even such
incompossibilia are legitimately posited. He describes a procedure
which I will call radical circumscription with the aid of which, he

38 Abelard refers to what we would call its form as the “complexio” of a


syllogism.
39 SIMON DE FAVERSHAM, Quaestiones Super Libro Elenchorum, ed. S.
Ebbesen - J. Longeway e.a., Toronto, PIMS, 1984 (Studies and Texts, 60), p. 200.
40 The reference is to Averroes’ commentary on ARISTOTLE, Physics I, 3,
186a21-33. Cf. De Physico Auditu Arisotelis cum Averrois commentariis, I. 25, Iunta,
Venice, 1550. ff. 9va-b. Aristotle here rejects Parmenides’ argument as both invalid
and unsound. He proves its invalidity with a counter instance produced by uniform
substitution. He does not, however, either here or anywhere else, explicitly make a
distinction between the matter and form of an argument. Averroes comments, loc. cit.
that “... <Aristotle> says that <Parmenides and Melissus> are alike in that then-
syllogisms are corrupt with respect to both matter and form”. To explain the
construction of the counter instance he observes that “an argument which is valid
(concludens) must be valid for all matter.”
136 CHRISTOPHER J. MARTIN

claims, we may establish what it is in the first place that distinguishes


one thing from another41.
Radical circumscription is crucial to Scotus’ solution of the
question at hand since he needs to know whether what it is that in fact
distinguishes the Son from the Holy Spirit would continue to
distinguish them if the Holy Spirit did not proceed from the Son. The
procedure which he describes is supposed to allow him to posit, for
example, that a human being is not rational. That is to say, something
which we have just seen we are explicitly not allowed to admit in
impossible positio, and then to ask whether a human being would still
be distinct from a stone. Thus in the Reportata we read that42 :
with something circumscribed which is included in the per se
understanding of something it may still be asked of some predicate
whether it is repugnant to it or whether it inheres. As, for example, with
rationality removed per impossibile from a human being it would still be
distinguished from a stone, because <a human> is not only distinguished
from <a stone> by rationalness but also by animalness.
and in the Ordinatio43 :
if something which is included essentially in something is posited to be
removed from it, which, however, was not the reason for the inherence of
some predicate, it may properly be asked whether with this or that circum­
scribed such a predicate inheres or not; and no matter how much the posi­
tum includes contradictories it is not, nevertheless, repugnant to the posi­
tum that one part of what is asked is determinately given (as the answer).

Scotus, then, describes a procedure which goes beyond his own


account of impossible positio in allowing posita from which both of a

41 Circumscription is what is sometimes called “abstraction with precision” in


contrast to “abstraction without precision”, which Scotus, appealing to Aristotle,
refers to simply as “abstraction”. He distinguishes circumscription from abstraction in
the Reportata where he explicitly characterises it as a form of positio. Cf. DUNS
SCOTUS, Rep. par. I, d. 26, q. 3 (Wad. XI, 142) : “... circumscription is the positing
of one thing in the understanding without another in order to see what would follow.
... Abstraction is the consideration of one thing without another, not saying that one
exists without the other but rather considering one without the other...”
42 DUNS SCOTUS, Rep. par. I, d. 11, q. 2 (Wad. XI/1, 87b).
43 DUNS SCOTUS, Ord. I, d. 11, q. 2 (Vat. V, 12).
FORMAL CONSEQUENCE IN SCOTUS AND OCKHAM 137

pair of contradictories follow in natural consequences. Although the


terminology that he uses in describing radical circumscription is the
terminology of impossible positio, the only suggestion that he seems to
offer for avoiding the hazard of self-contradiction is simply to refrain
asking the dangerous questions.
Scotus holds that radical circumscription reveals that the
conditional we are interested in is false if for its truth it is required that
the consequent follows formally from the antecedent44 :
Thus I say that it does not follow formally that if the Holy Spirit is not
from the Son, it is not distinguished from Him, but it does follow
concomitantly, for the Son has a will fecund with respect to spirating just
as the Father does and with the same fecundity : and thus if the Son were
not to Spirate, the Father would not Spirate; and so it follows concomi­
tantly that the Son and the Holy Spirit would not be distinguished. It does
not, however, follow formally, because the Son is now distinguished from
the Holy Spirit and from any non-Son by filiation, as a human being is
distinguished from anything non-human by being rational; and so, with
every other notion (ratio) of the Son circumscribed, and in particular that
notion by which the Son is not the Son and which is not included in the
understanding of the Son as Son, He would still be distinct - and spiration-
action is this kind of feature, the Son is not constituted by it.
Scotus here again uses “formally” to mean the same as “naturally”,
or “essentially”, and requires for following formally that the
consequent is included in the antecedent. The same term, apparently in
the same sense, is used by Walter Burley in his treatment of impossible
positio where he requires that the positum does not formally include
opposites45.

44 DUNS SCOTUS, Lect. I, d. 11, q. 2 (Vat. XVII, 145-146).


45 Cf. R. GREEN, The Logical Treatise ‘De Obligationibus’, op. cit., p. 311 : “And
so only an impossibility which does not formally include opposites is to be posited.
And some say that only a believable <opinabile> impossibility should be posited.”
The requirement of believability is explicitly imposed in the text attributed to
Sherwood, GREEN, op. cit., p. 213. If Burley means the same by natural consequence
here as he does in his de Consequentiis and de Puritate Artis Logicae, then by
“formally” he means naturally and for this he requires conceptual containment. On
the other hand he goes on to add to his description of positio impossibilis a
requirement of evidence which we will see is characteristic of Ockham’s account. Cf.
138 CHRISTOPHER J. MARTIN

To follow “concomitantly” (concomitanter), on the other hand, is


to follow in an accidental consequence and for concomitant following
no more is required than inseparability of the truth of antecedent and
consequent.
The problem with concomitance is that, since everything follows
concomitantly from an impossibility, where the antecedent is
impossible, and acknowledged to be so, to be told merely that a
conditional expresses a concomitance is entirely uninformative. The
conditional with the contradictory consequent is equally true as an
expression of an accidental consequence.
Scotus, it seems, holds that there are some conditionals with
impossible antecedents which are of interest to us and others in which
we have no interest at all. The conditionals that he wishes to assert
express an accidental consequence in virtue of a non-trivial connection
between antecedent and consequent as well, of course, as being trivially
true on account of the impossibility of their antecedents46. Merely
trivially true conditionals on the other hand are simply to be ignored.
The observation that, granted that “if the Holy Spirit did not proceed
from the Son, then it would not be distinct from the Son” is true as an
accidental consequence but so too is any conditional with the same
antecedent, is presumably to be met by agreeing and saying that of all
such conditionals this is the interesting one.
After defending the legitimacy of hypotheses known to be
impossible Scotus goes on to argue against those who accept that the
original question is well-formed but argue that the answer is that the
conditional is true : If the Holy Spirit did not proceed from the Son, it
would, indeed, not be really distinct from the Son. The first of two
arguments in support of this position which Scotus discusses in each of
his commentaries is of particular interest to us.

GREEN, op. cit., “... only natural consequence is to be maintained here, and not every
natural consequence but only that which is such that it is manifestly the case that its
opposite cannot be believed. Such a consequence, that is, as “if this is a whole, then it
has parts” and “if this is a whole, then it is greater than its parts.”
46 As for example in the use of reductions to impossibility in the proof of
syllogisms.
FORMAL CONSEQUENCE IN SCOTUS AND OCKHAM 139

The argument seems to be derived from Giles of Rome who asks


as question 2 of distinction 11 of his Commentary on Book I of the
Sentences, whether relations in the Godhead distinguish the persons by
their distinct being {esse)A1. His answer is that they do not but rather
only by their distinct quiddities. Following the canonical authority of
Boethius’ de Trinitate, according to which two predicaments alone
apply to God, those of substance and relation, Giles argues that
relations cannot have distinct being in the Godhead since the essence
and its relations would then constitute a composite being, where God is
entirely simple. Relations in the Godhead must thus, as Giles says, as
far as their being is concerned pass away (transit) into the essence. The
distinction between the persons of the Trinity is due not to the distinct
being of the relations which constitute them but rather to their distinct
quiddities.
Giles is here following and developing Aquinas’ account of the
relationship between the persons of the Trinity, their constitutive
relations, and the divine essence. According to Aquinas4748 the essence
differs only by reason from the persons and the relations. Each person,
he claims, is, however, really distinct from every other since each
relation is really distinct from the opposed converse relation. Giles adds
to this that the relations have no being numerically distinct from that of
the essence and so their difference is due entirely to the opposition of
relations to the corresponding converse relations. The argument for the
truth of the conditional follows immediately : remove the opposition
and the real distinction is removed.
Scotus rejects Giles’ argument and rightly so. All that Thomas and
Giles have done is to stipulate that a real distinction exists in the
Godhead, numerically one thing, between opposed relations and
between the persons that they constitute. Against them Scotus argues
that the relations which constitute the persons of the Trinity are distinct

47 AEGIDIUS ROMANUS, Super Primo Sententiarum, Venice, 1493, n. p. The


question of whether the Holy Spirit would be distinct from the Son if it did not
proceed from the Son is question 3 of distinction 11.
48 THOMAS DE AQUINO, In I Sent., d. 2, q. 1, a. 5, in corp. (Busa I, 9) ; In I Sent.,
d. 34, q. 1, a. 1 (Busa I, 88). Cf. GELBER, Logic and the Trinity, op. cit., ch. II.
140 CHRISTOPHER J. MARTIN

from the essence both in quiddity and being but they are also both the
same as the essence.
The relations according to Scotus are, on the one hand, the same
“by identity” as the divine essence, that is, there is here only
numerically one thing. On the other hand they are formally distinct
beings. As he puts it in the Lectura49 :
relation passes away <into the essence> with respect to identity but it
nevertheless remains with respect to its formal notion (ratio formalis).
and in the Ordinatio50 :
Both the quiddity and the being remain, because the relation is not
formally the divine essence ... both, however, pass away cinto the
essence> because, while formally not the same, they are truly (veré) the
same <as the essence>.

Though he does not quite use the language of formal distinction


and formal non-identity in answering this question, Scotus can now
argue that the removal of a quasi-passion does not formally entail the
removal of the quasi-subject because, while they are one and the same
thing (res), they are formally distinct. A necessary and sufficient
condition for A to be a formally distinct from B is that A and B are
numerically one and the same thing but being B does not follow
formally from being A, that is being B is not included in the definition
of what it is to be A. Thus, if the Holy Spirit does not proceed from the
Son, since active spiration formally requires procession, it follows that
the Son does not have the property of active spiration. It does not
further follow formally, however, that the Son does not possess
filiation, and so it does not follow formally that the Son is not distinct
from the Holy Spirit. Each retains its distinct being in the Godhead and
its formal distinction from the other.
The treatment of Giles’ position in the Reportata is quite different
and perhaps reflects the reluctance on Scotus part to invoke the formal
distinction at this stage in his lectures. Formality plays a role but
curiously it is the formality of formal truth as characterised by Simon
of Faversham rather than the formality of formal following which

49 DUNS SCOTUS, Lect. I, d. 11, q. 2 (Vat. XVII, 148).


50 DUNS SCOTUS, Ord. I, d. 11, q. 2 (Vat. V, 23).
FORMAL CONSEQUENCE IN SCOTUS AND OCKHAM 141

Scotus appealed to earlier in the same question. The text of the


Reportata at this point seems to me to be very corrupt and so I will
limit myself simply to reporting what I take to be a plausibly corrected
version. The point which Scotus wishes to make is anyway clear
enough. After having claimed in reply to Giles’ argument that relations
both pass away in to the essence and remain, he responds to an
objector51 :
You will say that in so far as it passes away into the essence, thus it does
not remain; since if it were thus to remain, it would in the same way
remain and not remain.

Scotus replies :
I say that where a predicate is concluded of a predicate the conclusion with
“per se” or “in so far as” never follows in virtue of the form (ex forma)
<of the arguments. Because “in so far as” indicates that the cause lies in
the subject in respect of the predicate and there may be a cause in the
subject with respect to different predicates even though in no predicate is
there the per se the cause of another predicate.
That Scotus intends here to deny the consequence is formally true
in Simon of Faversham’s sense is clear from what follows - counter
instances obtained by the uniform substitution of terms.
So within a couple of paragraphs in the Reportata we find Scotus
appealing to quite distinct notions of formality to characterise
consequence. In Ockham we will find yet another.

III. OCKHAM AND THE REJECTION OF SCOTISTIC LOGIC

Ockham, in his answer to question 2 of distinction l l 52, follows


Scotus in rejecting Aquinas’ argument that active spiration as the
relation opposed to passive spiration is the sole source of the real, or
personal, difference between the Son and the Holy Spirit. With
everything except filiation circumscribed, Ockham argues, the Son

51 DUNS SCOTUS, Rep. par. I, d. 11, q. 2 (Wad. XI/1, 88b).


52 GUELLELMUS DE OCKHAM, In I Sent., d. 11, q. 2 (OTh HI, 361-373).
142 CHRISTOPHER J. MARTIN

would still be distinct from the Holy Spirit53 in accordance with the
principle that if some x has a real feature F, as a part, or a constituent,
that is really distinct from y, then x is really distinct from y. Since
filiation is really distinct from passive spiration and so from the Holy
Spirit, the divine essence with filiation is really distinct from the divine
essence with passive spiration, independently of the conjunction of
filiation and active spiration in the Son54.
While Ockham agrees with Scotus that Aquinas is wrong,
however, though he does not mention him by name, he disagrees with
Scotus over the solution to the problem. Ockham maintains that the
question is not in the first place, as Scotus supposed it to be, about the
truth or falsity of a conditional. Rather what we are asked is whether
there is something other than the relational property of active spiration
which really distinguishes the Son from the Holy Spirit55. As we have
just seen, Ockham thinks that there is, the property of filiation. Thus if
it is posited that the Son does not actively spirate the Holy Spirit and
then asked whether the Son and the Holy Spirit are still distinct, the
answer is that they are. They are distinguished by their disparate
relations to the Father56.
Much more importantly, however, Ockham disagrees with Scotus
over the status of the conditional “if the Holy Spirit were not to proceed
from the Son, then it would not be distinct from the Son.” Ockham
maintains that, “on account of the Greeks”, Distinction 11, question 2,
has a secondary interest in whether the procession of the Holy Spirit
from the Son follows, as he says, in an evident consequence from the
existence of three persons with a single essence. He maintains that it
does not, since it does not follow evidently57 from the fact that there are

53 Ibid. (OTh El, 367).


54 Ibid. (OTh ID, 365). Note that relations are characterised by Ockham, and by
the mediaevals generally, not as holding between subjects, and so as dyadic, or
polyadic, but rather as monadic, as accidents had by a single subject with the converse
relation had by another.
55 Ibid (OTh m , 368).
56 Ibid. (OTh m , 371).
57 GUILLELMUS DE OCKHAM, In Sent., Prol., q. 1 (OTh I, 5), defines evident
cognition as follows : “... evident cognition is the cognition of some true complex
FORMAL CONSEQUENCE IN SCOTUS AND OCKHAM 143

three persons that two of those persons have opposed relations. They
might alternatively be distinguished by absolute attributes or non-
opposed, i.e. disparate, relational properties. Likewise, the
contrapositive of this consequence, the conditional that we are
interested in, is not evidently true58.
Ockham, as I said, makes no reference here to Scotus or to the
formal distinction. His next claim, however, makes it perfectly clear
that it is Scotus and his metaphysics that are his target and that the
ammunition he proposes to use against them is a new account of what it
is to follow formally and so a new account of the logic of
consequences.
Scotus had claimed that it does not follow formally that if the Holy
Spirit were not to proceed from the Son, then it would not be distinct
from the Son, but it does follow concomitantly or accidentally. Ockham
insists to the contrary that the consequent does indeed follow formally
from the antecedent. His argument, however, reveals that for formal
consequence he requires no more than that concomitance is guaranteed
in a particular way59 :
I maintain that this follows formally and necessarily : the Holy Spirit does
not proceed from the Son, therefore it is not distinguished from the Son,
because this follows : (a) the Holy Spirit does not proceed from the Son;
therefore active spiration is not in the Son. And this follows : (b) active
spiration is not in the Son, therefore filiation is not in the Son. And further,
therefore the Son is not distinguished really from the Holy Spirit. The first
consequence [(a)] is manifestly <valid>. The second consequence [(b)] is
proved because (1) when two items are really the same of which one, or
both, is proper to that in which it is, in whatever the other is not found,

which is such as to be adequately caused either immediately or mediately by the non­


complex cognition of terms. In such a way, that is, that when this non-complex
cognition of certain terms - whether they are the terms of the proposition in question,
or of another proposition, or of diverse propositions - is in some understanding
having such cognition, it causes, or is such as to cause either mediately or
immediately cognition of the complex ...” At In Sent., ProL, q. 7 (OTh I, 201), he tells
us that “... that is known evidently of which it is known evidently that from it there
does not follow something impossible.”
58 GUILLELMUS DE OCKHAM, In I Sent., d. 11, q. 2 (OTh III, 369).
59 GUILLELMUS DE OCKHAM, In I Sent., d. 11, q. 2 (OT III, 369-370).
144 CHRISTOPHER J. MARTIN

there is not found that which is proper to that which it is in. But (2) active
spiration and filiation are really the same, and filiation is proper to that
which it is in <etc> ... The major [(1)] is m anifestly true> : when two
items are proper <to what they are in> and are really (realiter) one
<thing>, it is m anifestly true> that in whatever one of them occurs the
other also occurs. Because if not, - since neither of them may be in several
things, since each is proper to what it is in, - it follows that if one of these
can be in something with the other not existing in the same, then those two
do not exist in one thing, and consequently are not really the same.

Ockham argues in the same way for the case in which one of the
items is proper to what it is in and the other common60. His example
here is the divine essence and paternity. Without the divine essence
paternity cannot be present but the essence can occur without paternity.
The same holds for common spiration - common to the Father and the
Son - and filiation - proper to the Son.
Scotus would accept Ockham’s argument as an application of the
extrinsic locus that with the removal of a quasi-passion the quasi­
subject is removed. What he would not accept is that this proves that
the consequent of the conditional that we are interested in follows
formally from the antecedent. Rather all that is proved is that the
consequence holds concomitantly.
Just as Ockham allows no distinction on the side of reality other
than the real distinction, so, it seems to me, he allows no logical
relation of following other than that of accidental consequence.
Ockham’s often repeated appeal against Scotus to the indiscemibility
of real identicals61 is, in another form, a dogmatic insistence that there
is only one kind of consequence relation, and that this requires merely

60 Ockham thus appeals to the extrinsic middle (M) ‘when two items are really the
same of which one, or both, is proper to that in which it occurs, in whatever the other
is not found, that is not found which is proper to that in which it occurs’ to warrant
the inference of the conditional ‘if active spiration is not in the Son, then filiation is
not in the Son’ from the premisses (pi) ‘active spiration and filiation are really the
same’ and (p2 ) ‘filiation is proper to what it is in’. The consequence is formal but it is
not evident since (pi) is not evidently true.
61 See M. M. ADAMS, “Ockham on Identity and Distinction”, Franciscan Studies
36 (1976), pp. 5-74, and EAD., William Ockham, Notre Dame, Indiana University
Press, 1987 (Publications in Medieval Studies, 26), ch. 16.
FORMAL CONSEQUENCE IN SCOTUS AND OCKHAM 145

the impossibility of the antecedent being true without the consequent


also being true. The additional requirement of evidence mentioned
above is crucial for Ockham’s answer to the question of the status of
the consequence but is not a logical requirement, much less the basis
for an ontologically significant distinction since its satisfaction in no
way alters the logical relationship that exists between the antecedent
and consequent.
Ockham thus relies on a quite different notion of formal
consequence to Scotus and it is this new notion that appears in the
canonical account of the classification of consequences that he gives in
his Summa Logicae. Here, the distinction between the accidental and
the natural which had appeared in all earlier accounts is replaced by
Ockham with one which divides consequences into the material and the
formal.
The distinction between material and formal consequences as he
explains it seems original to Ockham. For him, as for all other
mediaeval logicians, a relation of consequence of some kind holds
between the antecedent and consequent of a conditional or the
premisses and conclusion of the corresponding argument just in case
they satisfy what we may call the inseparability condition. That is, if
and only if is not possible for the antecedent to be true when the
consequent is false.
Ockham first divides consequences62, as they had been divided
since the end of the twelfth century, into those which hold ut nunc and
those which are simple. A conditional “if p, then q” is a true ut nunc
consequence at a time t just in case it is not possible for “p” to be true
but “q” false at t. Since Ockham accepts that if “p ” is true at t, it is not
possible at t for it to be false at t, it follows for him that a conditional
with a false antecedent or a true consequent at t is a true ut nunc
consequence at t. A conditional is a true simple consequence, on the
other hand, if it is not possible at any time for the antecedent to be true
and the consequent false. Thus any conditional with an impossible
antecedent or a necessary consequent is a true simple consequence.
Consequences which satisfy the inseparability condition in this way,

62 GUILLELMUS DE OCKHAM, Summa Logicae III-3.1 (OPh I, 587-590).


146 CHRISTOPHER J. MARTIN

merely because of the truth values of their antecedents or consequents,


are called by Ockham material consequences.
To characterise formal consequences Ockham appeals to the
notion of a middle. “If p, then q” is a formal consequence true in virtue
of an extrinsic middle according to Ockham if it is an instance of a
general rule “which makes no reference to the particular terms
occurring in the antecedent and consequent”63. So for example “if only
a human being is an ass, then every ass is a human being”64, and any
other instance obtained by uniform substitution for “human being” and
“ass” holds in virtue of the extrinsic middle, that is the general rule, “an
exclusive and the corresponding universal proposition with the terms
transposed signify the same and convert with one another.”
Ockham claims that every syllogism holds in virtue of an extrinsic
middle65, that is to say, in virtue of the metalogical description of
arguments of that form. So for example “if every man is an animal and
every animal is a substance, then every man is a substance” would hold
according to Ockham in virtue of the general rule for Barbara that “if
one thing is predicated of another universally and the second
universally of a third, then the first is predicated universally of the
third.”
“If p, then q”, and the corresponding argument, is, other hand, a
consequence holding in virtue of an intrinsic middle, according to
Ockham, just in case it is possible for “p ” to be true and “q” false but
there is a proposition “r” formed from terms appearing in “p ” and “q”
such that it is not possible for “p ” and “r” both to be true and “q” false.
Here “r” is the intrinsic middle in virtue of which the consequence
holds. So, for example, “if Socrates is not running, then a human being
is not running” holds according to Ockham in virtue of the intrinsic
middle “Socrates is a human being.”
Ockham goes on to note that someone might object that the
consequence “if Socrates is not running, then a human being is not
running” in fact holds through the extrinsic middle “from a singular

63 Ibid. (OPhI, 588).


64 Ibid.
65 Ibid.
FORMAL CONSEQUENCE IN SCOTUS AND OCKHAM 147

with a negated predicate to the corresponding indefinite is a good


consequence”. He replies that this general rule cannot on its own
warrant the consequence but only in conjunction with the intrinsic
middle which confirms that Socrates is a singular falling under human
being. Thus, he maintains, the consequence holds “more immediately
and more adequately” through the intrinsic middle and only “mediately
and inadequately” through the extrinsic middle.
Ockham’s answer will not do. The extrinsic and intrinsic middle
each are equally necessary to guarantee the consequence. His mistake
is to suppose that the consequence may be supported by the intrinsic
middle alone when on his own account every syllogism - and by
“syllogism” he seems to mean any non-enthymematic argument -
requires an extrinsic middle. Furthermore, without the requirement that
there be an extrinsic middle for each and every formal consequence
Ockham’s procedure for distinguishing material from formal
consequences would collapse, since there would be nothing to prevent
an arbitrary impossibility constructed from terms occurring in the
antecedent and consequent of a consequence being cited as its intrinsic
middle. The inseparability condition would thus be satisfied but not in
virtue of any formal connection between the antecedent and
consequent. It is the extrinsic middle which guarantees that the
consequences which it warrants are formal.
The description and the examples given by Ockham in chapter 1 o f
Book III of the Summa seem to limit extrinsic middles to rules referring
only to the form of the antecedent and consequent in the modem sense
of form. They are mies which are stated using only syncategorematic
terms and, in effect, variables.66 It is clear, however, from the examples

66 Ockham’s only other account of extrinsic middles is found in his commentary


on the Sophistical Refutations (OPh III, 201-209), in a discussion of the fallacy of
figure of speech. The definition that he gives there is more generous and seems to
allow topical rules. The examples, however, are the same and he speaks of
consequences holding in virtue of an extrinsic middle alone being “formal by reason
of the way the terms are put together”. The definition is that a conditional “if p, then
q” holds in virtue of an extrinsic middle “r” just in case “if p, then q” is true if and
only if “r ” is true, and “if p and r, then q” is not an instance of a mood of categorical
or hypothetical syllogisms.
148 CHRISTOPHER J. MARTIN

given in the following chapters67, from his argument in distinction 11,


question 2, and from his treatment of the same issue in his account of
impossible positio6*, that for Ockham an extrinsic middle is any rule o f
inference which guarantees the inseparablity o f the truth o f the
premiss, or premisses, from the conclusion. All of the traditional
warrants are included and all of them for Ockham are extrinsic.69
Ockham’s extrinsic middle may thus refer to more than form in
our sense. In particular they include rules such as that on which both he
and Scotus rely on to connect the presence or absence of properties,
inseparable accidents, and quasi-passions with the presence or absence
or their subjects, or quasi-subjects. The difference between them is that
for Ockham the availability of an extrinsic middle is all that is needed
to guarantee formal following whereas for Scotus more is required.
Ockham’s class of formal consequences thus includes many
consequences which Scotus would hold to be merely accidental. Indeed
the only accidental consequences which are not included are those
which Ockham classifies as material, and these are the merely trivial
consequences which are true because of the semantical principles ex
impossibili quodlibet and quodlibet ad necessarium. Ockham can thus
find a formal consequence where Scotus found only an interesting
concomitance.
According to Scotus the proposition “if the Holy Spirit does not
proceed from the Son, then it is not distinct from the Son” is not a
formal consequence and so if a respondent admits its antecedent as
positum in an impossible positio, he is not bound to concede its
consequent. Ockham gives just this impossible positum as an example
in his treatment of obligationes in the Summa Logicae and he too thinks
that the respondent should not concede the consequent if it is proposed.

67 GUILLELMUS DE OCKHAM, Summa Logicae El-3.2-10.


68 GUILLELMUS DE OCKHAM, Summa Logicae III-3.42.
69 Including, for example, the locus from authority. Cf. GUILLELMUS DE
OCKHAM, Summa Logicae IÏÏ-3.7 (OPh I, 614). If the authority is infallible then the
consequence warranted by the extrinsic locus ‘What a wise man says is true’ is a
formal consequence . Sadly Aristotle has no such authority: ‘Et ideo ista consequentia
non est formalis “Aristoteles dicit hoc, igitur hoc est verum”, nam inter vera, quae
locutus est, multa etiam falsa dixit.’
FORMAL CONSEQUENCE IN SCOTUS AND OCKHAM 149

Unlike Scotus, however, his reason is not that a logical condition for
consequence fails to be met but rather that the epistemological
requirement of evidence is not satisfied.
Ockham begins his account of impossible positio by noticing like
Scotus that there is a difference between accepting a consequence with
an impossible antecedent and consequent and posting a categorical
impossibility. Like Scotus, too, Ockham notes that in the case of
impossible positio one may on occasion admit as positum the
antecedent of a good consequence but not be required to concede its
consequent. Unlike Scotus, however, he does not explain this
possibility in terms of the difference between accidental and natural
necessity but rather introduces into the characterisation of impossible
positio the requirement that the positum does not evidently entail
contradictories. As far as the positum is concerned70 :
not every impossible proposition is to be admitted, because that impossible
proposition is not to be admitted which manifestly for every understanding
entails contradictories. Whence only that proposition is to be accepted
from which contradictories may not be inferred by means of mies known
per se which no understanding may doubt.

Ockham’s rules of procedure for impossible positio thus contain a


requirement of evidentness. Much more importantly, although he refers
here to natural consequence, and it is one of the few places that he
does71, where Scotus and earlier writers on obligationes had explained
such consequence in terms of conceptual containment, Ockham

70 GUILLELMUS DE OCKHAM, Summa Logicae H3-3.42 (OPh I, 739).


71 In Summa Logicae, IH-2.15 (OP I, 531), Ockham glosses the requirement for a
demonstration that the principles are the cause of the conclusion as meaning that they
entail the conclusion in a natural consequence. In two other places, discussing
predestination, he insists on the same point. The causal relation, however, is explained
in terms of natural consequence rather than vice versa. See GUILLELMUS DE
OCKHAM, De praedestinatione, q. 1, suppositio 9 (OPh H, 519) ; and esp. In I Sent.,
d. 41 (OTh IV, 605-606). The only other relevant discussion I have found, and the
most important, is In I Sent., d. 3, q. 7 (OTh II, 523), on the cognition of singulars.
Here Ockham does not mention natural consequence but, by implication,
characterises the paradigmatic natural consequence “if something is a human being,
then it is an animal” as formal and rejects the conceptual containment account of its
truth in favour of a purely extensional account of coincidence in all situations.
150 CHRISTOPHER J. MARTIN

explicitly refers them to the kinds of rules in terms of which he has


defined formal consequence72 :
the rules given for possible positio, that is that everything following is to
be conceded and everything repugnant denied, are not generally preserved
in impossible positio but rather are to be restricted. Whence this rule may
be given : everything following from the positum in a natural and simple
consequence, holding in virtue of a proposition or rule known per se is to
be conceded. From which it follows that in impossible positio whatever
follows syllogistically from what has been posited or properly conceded is
to be conceded. Similarly whatever follows in virtue of rules having to do
with the form required, such as : “from a universal to an exclusive with
transposed terms is a good consequence”, and “from an affirmative with
infinite predicate to a negative with finite predicate is a good
consequence”, and others of this sort, are to be conceded. If such
consequences were denied, there could be no disputation. That, however
which follows in an ut nunc consequence, or a material consequence, or
some consequence other than one of this kind, may be denied however
much it follows truly from the positum. And similarly mutatis mutandis
for the denial of what is repugnant.

Why does Ockham here refer to such consequences as “natural”


rather than “formal” ? I suppose that he does so simply because earlier
accounts of impossible positio had done so. Much more important, I
think, is the question of why Ockham refers to formal rather than
natural consequence in his account of the various forms of inference.
Natural consequence and conceptual containment are at the heart of
Scotus’ account of the formal distinction. Ockham rejects such a
distinction and his formal consequence cannot be used to support it.
Thus not only did Ockham deny Scotus and his followers their
distinction, he seems to have added insult to injury by taking from them
the name that they would naturally have chosen for the kind of
consequence that is crucial for their metaphysics.

Department o f Philosophy,
Auckland University (New Zealand)

72 GUILLELMUS DE OCKHAM, Summa Logicae III-3.42 (OP I, 740).


Ja c q u e s Ch o l l e t e t Gé r a r d So n d a g

SUR LA SIGNIFICATION DU TERME FORTE


DANS LE LATIN DE JEAN DUNS SCOT

La présente recherche a pris naissance dans la constatation qu’un


certain nombre de passages de Duns Scot où figure le terme forte sont
difficilement compréhensibles si l’on voit dans ce terme l’adverbe
signifiant ‘peut-être’. D ’une part, une étude philologique permet de
montrer que le latin médiéval a hérité deux homonymes, l’un signifiant
‘peut-être’, l’autre ‘assurément, tout à fait’. D’autre part, une analyse
philosophique des textes confirme que Duns Scot connaît bien
l’existence de ces deux homonymes sans les confondre.

I. ÉTUDE PHILOLOGIQUE

Le latin médiéval a connu deux homonymes forte, l’un au sens de


‘peut-être’, l’autre au sens de ‘tout à fait, beaucoup’. Ils étaient très
probablement homophones, mais certains scripteurs prenaient la peine
de les différencier par l’orthographe :forte et forte1.
Le premier est bien connu. Il s’agit de l’ablatif singulier de fors,
fortis f. ‘le sort, le hasard, la fortune’, employé adverbialement avec le
sens de ‘peut-être’, et qui a fourni les dérivés fartasse et fortassis. Ce
mot, qui est attesté dès les textes les plus anciens, est resté bien vivant
dans l’usage pendant toute l’Antiquité, y compris chez les auteurs chré­
tiens2, et il est passé dans le latin médiéval tout naturellement.

1 Probablement pour rattacher l’adverbe à la formation classique en -e long.


2 Sur ses emplois, cf. Thesaurus Linguae Latinae VI 1130, 17-1136, 29 s. u. fors
et sur son origine, cf. A. ERNOUT - A. MEELLET, Dictionnaire étymologique de la
langue latine, Paris, 1959-1960, s. u.fors.
152 JACQUES CHOLLET - GÉRARD SONDAG

Le cas du second est beaucoup plus compliqué, car il a subi depuis


le latin classique une évolution sémantique et un renouvellement
morphologique. Il continue en fait l’adverbe lat. class, fortiter, qui
signifie ‘avec force (physique ou morale)’, attesté lui aussi dès les
premiers textes, par exemple Plaute, Bacchides 823 : adstringite ad
columnam fortiter, « attachez-le sans ménagement à la colonne ». Dans
la littérature de l’époque augustéenne, l’on commence à voir apparaître
des emplois de cet adverbe avec une valeur intensive sans autre
précision : ‘bien, beaucoup’. Lorsqu’Ovide écrit dans Les Pontiques 3,
1,71-72,
Quodque ego praestarem, si te magis ipse ualerem,
Id mihi, cum ualeas fortius, ipsa refer.
« Ce que je ferais pour toi, si j ’étais le plus valide, fais-le aussi
pour moi, puisque c’est toi la plus valide »3.
Ici fortius ne vaut sémantiquement guère plus que magis. Cette
évolution sémantique était latente dans l’exemple de Plaute : « attacher
avec force l’individu à la colonne » peut facilement être compris « bien
attacher (attacher fermement, attacher au mieux) l’individu à la colon­
ne » Cette nouvelle valeur sémantique rend délicate l’interprétation de
certains passages, par exemple celui-ci, dans Ovide, Les Métamor­
phoses 6, 708 :
Dum uolat arserunt agitati fortius ignes,
Doit-on comprendre, comme Georges Lafaye4, « ses feux, agités
par son vol, brûlèrent d’un force nouvelle », ou tout simplement
«brûlèrent davantage5 » ? De même les vers d’Horace, Satires 1, 10,
14-15 :
Ridiculum acri
Fortius et melius magnas plerumque secat res,

3 OVIDE, Pontiques, texte établi et traduit par J. André, Paris, Les Belles Lettres,
1968.
4 OVIDE, Les Métamorphoses, texte établi et traduit par G. Lafaye, Paris, Les
Belles Lettres, 1928.
5 Même perplexité chez le rédacteur du Thesaurus Linguae Latinae VI 1165, 81.
SUR LA SIGNIFICATION DU TERME FORTE 153

doivent-ils être traduits par « la plaisanterie la plupart du temps tranche


sur des sujets importants avec plus de force et mieux qu’une remarque
désagréable » ou bien « tranche plus et mieux » ? Porphyrion semble
incliner vers la deuxième solution quand il commente le passage par
uenuste magis mordent dicta : les deux adverbes d’Horace ne valent
guère mieux que le simple magis. Porphyrion n’est-il pas lui-même
influencé dans son choix par l’usage de son temps, où l’adverbe n’est
plus usité qu’avec sa nouvelle valeur sémantique ? Aussi en latin tardif
ne le trouve-t-on qu’avec cette seule valeur sans que le doute soit
possible, comme dans Vulg. II Macc. 14, 31 : cum ille cognouit fortiter
se a uiro praeuentum, « quand il eut reconnu qu’il avait été bien joué
par cet homme, » où fortiter traduit le grec gennaiôs, qui a connu une
évolution sémantique analogue, ou encore dans la traduction latine
d’Oribase, Synopsis 1, 26, coctis ... ficis fortiter (fortiter pour le grec
hikanôs), « des figues bien cuites », 6, 14, où meta ... sphrodran
katharsin est rendu par cum fortiter fuerit purgatus67.
D’un point de vue morphologique, les formations adverbiales en -e
sont en règle générale bâties sur les thèmes thématiques : doctus, docte,
et les formations en -ter sur les thèmes en -i :fortis, fortiter1. Mais très
tôt des processus analogiques ont brouillé la répartition originelle ;
ainsi en latin archaïque trouve-t-on amiciter à côté à’amicus, ampliter à
côté à'amplus..., alors que le latin classique utilise amice, ample... Ces
formations en -ter ont connu un regain de faveur chez des auteurs
archaïsants comme Apulée8 ou Aulu-Gelle9.

6 Sur ce sens de fortiter et sur ses divers emplois, cf. Thesaurus Linguae Latinae
VI 1165, 80-1166, 48 et J. B. HOFMANN, Lateinische Umgangssprache, Heidelberg,
Winter, 1951, § 71, p. 76.
7 F. CUPAIUOLO, La formazione degli avverbi in latino, Naples, Libreria
Scientifica Editrice, 1967, pp. 29-38 et 42-47, qui propose davantage un relevé de
formes que l’évolution des différentes formations.
8 L. CALLEBAT, Sermo cotidianus dans les « Métamorphoses » d ’Apulée, Caen,
Pubi, de la Faculté des Sciences Humaines de Caen, 1968, p. 518.
9 P. MARACHE, Mots nouveaux et mots archaïques chez Fronton et Aulu-Gelle,
Paris, PUF, 1957, pp. 209-211.
154 JACQUES CHOLLET - GÉRARD SONDAG

Dans la langue parlée tardive10, les formes adverbiales en -iter ont


été concurrencées par des formes en -e. Plusieurs explications peuvent
être avancées de ce renouvellement. Il faut d’abord rappeler qu’à l’épo­
que où l’évolution a eu lieu, par suite de la perte des oppositions
phonologiques de quantité, les voyelles finales sont réalisées brèves
dans la langue parlée, même si elles étaient longues en latin classique et
peuvent l’être encore dans la langue tardive soutenue. On peut invoquer
l’influence des adverbes particulièrement fréquents bene et male, qui
comportent un e bref final en raison de la loi des mots iambiques, ainsi
que la confusion avec les formes d’adjectifs neutres employés
adverbialement comme suaue, turpe ..., qui ont fonctionné d’abord
dans la langue poétique, puis dans la langue parlée tardive comme des
doublets de suauiter, turpiter...-, il a même pu se produire le
phénomène inverse : en face du classique facile est apparu faciliter au
grand dam de Quintilien1112. Enfin, l’analogie a pu jouer à partir des
formes de comparatif et de superlatif identiques dans les deux types de
formations :
lat. class. docte / doctius, doctissime
fortiter / fortius, fortissime
lat. parlé tardif forte / fortius, fortissime
Ces deux formations adverbiales ont fini pendant la période
romane primitive par être remplacées par deux procédés syntaxiques
qui étaient en germe en latin parlé : l’usage de l’adjectif au neutre et le
tour périphrastique constitué de l’adjectif au féminin et de -mente. Le
premier procédé est adopté surtout en Orient : roum. frumos
«jolim ent», mais les autres langues en ont conservé des traces : ital.
alto, basso..., esp. alto, bajo..., fr. haut, bas.... ; le second a prévalu en
Occident : solamente dans les Gloses de Reichenaun .

10 Sur les différents niveaux de communication dans l’Antiquité tardive, cf. M.


BANNIARD, Viua uoce. Communication écrite et communication orale du IVe au IXe
siècle en Occident latin, Paris, Institut d’Études Augustiniennes, 1992 (Collection des
Études augustiniennes, Série Moyen-Âge et Temps Modernes, 25).
11 QUINTILIEN, Institution oratoire I, 6, 17.
12 K. VOSSLER, Einführung ins Vulgärlatein, ed. H. Schmeck, Munich, Hueber,
1954, § 217, p. 154 ; E. BOURCIEZ, Eléments de linguistique romane, Paris,
Klincksieck, 51967, § 241, pp. 259-261.
SUR LA SIGNIFICATION DU TERME FORTE 155

En latin littéraire tardif, la situation dépend du niveau de langue


utilisé consciemment ou non par récrivainl13. Contrairement à ce qui
se passe dans la langue parlée, les formes en -iter ne disparaissent pas ;
elles peuvent même fournir des créations en langue soutenue, comme
chez Augustin14, mais si Jérôme15 semble préférer la formation en -e
pour les calques qu’il fait d’adverbes grecs, il faut noter qu’il s’agit le
plus souvent de formations thématiques : angelice pour aggelikôs,
commatice pour kommatikôs ... Mais rien n ’empêche que
s’introduisent dans la langue écrite des formes fréquentes de la langue
parlée, comme c’est le cas pour forte.
C’est de cette forme forte que sont sorties les formes romanes :
esp. fuerte, ital .forte, %:,fo rt (adv.), roum. foarte. Sa valeur intensive se
retrouve dans des formations de superlatif : roum. foarte crud, « très
cruel »16.
Le latin médiéval possède bien une forme forte « bien, beaucoup ».
Le lemme, qui ne figure pas dans le dictionnaire de Du Cange17, se
trouve dans ceux d’Amaldi18 et de Niermeyer19.

13 C. H. GRANDGENT, An Introduction to Vulgar Latin, New York, Hafder, 1962


(reprint de l’éd. de 1934), § 40, p. 26.
14 C. I. BALMUS, Etude sur le style de saint Augustin dans les Confessions et la
Cité de Dieu, Paris, Les Belles Lettres (Collection d’études anciennes), 1930, pp. 65-
67.
15 H. GOELZER, Etude lexicographique et grammaticale de la latinité de saint
Jérôme, Paris, Hachette, 1884, pp. 193-197.
16 On le trouve aussi en Gaule, cf. E. BOURCIEZ, Éléments de linguistique
romane, op. cit., § 231b, p. 251 et § 497a, p. 589.
17 C. D. DU CANGE, Glossarium mediae et infimae latinitatis, Niort, 1883-1887.
18 Fr. ARNALDI, Latinitatis ìtalìcae medii aevi lexicon imperfectum, Bruxelles,
Palais des Académies, 1939, vol. I, s.u.forte : « fortiter » ; « valde ».
19 J. F. NIERMEYER, Mediae latinitatis lexicon minus, Leiden, Brill, 1954, s.u.
forte : « avec force — strongly ».
156 JACQUES CHOLLET - GÉRARD SONDAG

II. A n a l y s e p h il o s o p h iq u e

Scotus connaît la différence entre forte signifiant « peut-être » et


forte signifiant « assurément », et ne les emploie pas l’un pour l’autre.
On donne d’abord en exemple trois textes où forte signifie à l’évidence
« peut-être ».

A . F o r t e a u s e n s d e « p e u t -ê t r e »

1. Sur la théologie des bienheureux :

L’on demande si la théologie des Bienheureux est une science


discursive ou une connaissance intuitive de Dieu. Au paragraphe 108
du Prologue de la Lectura20, il est dit que ce n’est pas une science
discursive, «pas plus que la théologie divine n’est science, puisque
Augustin dit que chez les bienheureux les pensées ne sont pas en mou­
vement {non sunt volubiles cogitationes) ». Le texte d’Augustin auquel
il est fait allusion dit ceci : « Fortassis etiam volubiles non erunt nostrae
cogitationes ab aliis in alia euntes atque redeuntes»2021. Répondant à
cette autorité d’Augustin, Scotus écrit :
Ad Augustinum dicitur quod intendit ibi dare differentiam inter Verbum
divinum et humanum. Nam verbum nostrum prius est formabile quam
formetur ; et hoc etiam in patria, quia beati cognoscunt res in genere
proprio, et potest esse volubilis cogitatio ‘nunc’ dicta (et ideo dicit forte’)
et non per successionem temporis22.

On voit qu’ici le terme forte correspond au fortassis d’Augustin.

20 G. SONDAG, Jean Duns Scot. La théologie comme science pratique (Prologue


delà ‘L ectura’), Paris, Vrin, 1996,p. 187.
21 AUGUSTINUS, De Trinitate XV, c. 16, n. 26 (BA 16, 498).
22 DUNS SCOTUS, Lect., Prol., n. 110 (« En réponse au texte d’Augustin, on dit
que son intention est ici de marquer la différence entre le Verbe divin et le verbe
humain. En effet, notre verbe est formable avant d’être formé ; et cela est vrai même
dans la patrie, puisque les bienheureux connaissent les choses dans leur genre propre,
et qu’une pensée en mouvement peut être conçue ‘dans l’instant’ (c’est pourquoi
Augustin dit ‘peut-être’), non dans une succession temporelle »).
SUR LA SIGNIFICATION DU TERME FORTE 157

2. Sur la raison pour laquelle l’intellect est conjoint à l ’imagination


dans l’état présent :

Et quare hoc ? forte propter peccatum, sicut videtur Augustinus dicere XV


Trinitatis cap. 27 : ‘Hoc tibi fecit infirmitas, et quae causa infirmitatis nisi
iniquitas ?’ (idem dicit Commentator VI Ethicorum, et Lincolniensis
ibidem et super librum Posteriorum similiter). Vel forte ista causa est
naturalis, prout natura isto modo instituta est (non absolute naturalis), puta
si ordo iste potentiarum (de quo dictum est in I diffuse) necessario hoc
requirat, quod quodcumque universale intellectus intelligat, oportet phan­
tasiam actu phantasiare singulare eiusdem) ; sed hoc non est ex natura (nec
ista causa est absolute naturalis), sed ex peccato, - et non solum ex pecca­
to, sed ex natura potentiarum pro statu isto, quidquid dicat Augustinus23.
Scotus envisage deux explications possibles : « Forte propter
peccatum, sicut videtur Augustinus dicere » ; « vel forte ista causa est
naturalis ». Nous avons donc au début des deux phrases les membres
d’une alternative, bien que l’auteur semble admettre ensuite que les
deux causes qu’il a distinguées peuvent être conjuguées : « Sed ex
peccato, - et non solum ex peccato, sed ex natura potentiarum pro statu
isto ». Quoi qu’il en soit de cette précision, il semble impossible de
traduire : « Assurément à cause du péché » ; « ou assurément cette
cause est-elle naturelle ». Il faut plutôt comprendre : « peut-être à cause
du péché », « ou peut-être cette cause est-elle naturelle » (quoiqu’en
dise Augustin).

3. Sur l’opinion d’Aristote concernant la survie de l’âme :

Aristote a-t-il enseigné que l’âme humaine survit à la mort


corporelle ? De l’avis de Scotus, le Philosophe est resté incertain sur ce
point :
Dubium est quid Philosophus circa hoc sensit. (...) Item dicit quod fortè
non est tota anima, sed pars, quae manet post corpus. Igitur ubique
loquitur incertè et dubitativè de perpetuitate <animae>24.

C’est-à-dire :

23 DUNS SCOTUS, Ord. II, d. 3, pa. 2, q. 1, n. 290 (Vat. VII, 536-537).


24 DUNS SCOTUS, Rep. par. IV, d. 43, q. 2 (Wad. XSJ2, 837).
158 JACQUES CHOLLET - GÉRARD SONDAG

A ce propos, il affirme que ce n’est peut-être pas toute l’ame <qui survit>,
mais une partie qui reste après le corps. Donc, en tout état de cause, il
s’exprime de façon imprécise et qui laisse un doute sur la survie <de
l’âme>.

Duns Scot fait vraisemblablement allusion ici au traité De l ’âme


III, c. 5, 430a23-25 : « (Nous ne nous souvenons pas cependant parce
que <rintellect agent> est impassible, tandis que l’intellect patient est
corruptible) ». En dépit du fait que le -e est accentué dans l’édition
Wadding, le terme forte signifie ici ‘peut-être’, comme le montre une
comparaison avec le texte parallèle de YOrdinatio, où l’on a forsan et
fortassis :
Ad illud de 12. Metaph. dicitur quod Aristoteles ponit illud sub dubio, et
dicit forsan : sed non dicit forsan ad istud, quod intellectus manet
posterius, id est post totum, sed non omnis anima, sed intellectus : et
sequitur, omnem namque fortassis impossibile est : ubi dubitat, an possi­
bile sit omnem animam manere post compositum25.

B. F o r t Èa u sen s d e « c e r t a in e m e n t »

Dans la sélection de citations de Duns Scot qui suivent, forte ne


peut avoir pour sens ‘peut-être’, mais a pour sens ‘assurément,
certainement’. En effet, si ce terme avait pour sens ‘peut-être’, il
s’ensuivrait une contradiction manifeste dans la pensée de l’auteur -
soit une contradiction interne au lieu considéré, soit une contradiction
avec d’autres lieux de l’auteur sur le même sujet.

1. Preuve contre l’opinion attribuée à Platon, voulant que toutes


choses reviendront numériquement identiques au terme d’un
cycle de 36000 ans :

Praeterea aliqui forte motus coelestes, vel corporum coelestium, sunt


improportionabiles et incommensurabiles, quia magnitudines super quas
sunt possunt esse incommensurabiles et improportionabiles, ut patet ex 10.
Euclidis de costa et diametro quadrati. Unde motus factus super costam et
eius diametrum, non possunt esse commensurabiles, quia magnitudines

25 DUNS SCOTUS, Op. ox. IV, d. 43, q. 2, n. 18 (Wad. X, 29).


SUR LA SIGNIFICATION DU TERME FORTE 159

non possunt esse commensurabiles, et per consequens non possunt mensu­


rari aliqua una et eadem mensura, et ita non possunt redire ad eandem
dispositionem quam prius, et ita nec eadem numero26.

Dans ce passage, Scotus avance un argument contre ceux qui


pensent, conformément à l’opinion attribuée à Platon, que toutes choses
reviendront telles qu’elles étaient, numériquement identiques, au terme
de ce qu’on appelle la ‘Grande Année’ (soit 36000 ans, selon une
inférence tirée de l’explication ptolémaïque de la précession des équi­
noxes). Il raisonne sur le cas des corps célestes. La disposition de ces
corps dans le ciel ne pourra jamais se reproduire à l’identique, dit-il,
parce que, nécessairement, certains d’entre eux parcourent des
distances ayant des longueurs incommensurables, pour peu que deux
corps célestes au moins se déplacent à vitesse égale l’un sur le côté,
l’autre sur la diagonale d’un carré idéal27. Scotus anticipe ici la thèse de
l’incommensurabilité des mouvements célestes, qui sera développée
par Nicolas Oresme et les anti-conjonctionnistes du XIVe siècle28. Il est
clair que dans ce texte l’adverbe forte ne peut avoir pour signification
‘peut-être’. En effet, le raisonnement est le suivant :
magnitudines super quas [aliqui motus coelestes] sunt possunt esse
incommensurabiles ; si autem magnitudines super quas sunt possunt esse
incommensurabiles (ex. 10. Euclidis de costa et diametro quadrati), ergo
sunt incommensurabiles ; ergo aliqui forfè motus coelestes sunt incom­
mensurabiles.
Ce qui confirme le fait que Scotus ne s’exprime pas ici dubitativè,
c’est qu’il déclare ailleurs la thèse de l’étemel retour « tout à fait
inadmissible » :

26 DUNS SCOTUS, Rep. par. IV, d. 43, q. 3 (Wad. XI/2, 844).


27 On pourrait objecter ceci, bien que ce ne soit pas à propos : puisque, selon
Scotus, le lieu n’est pas le principe d’individuation, cette inférence ne tient pas :
«Non possunt redire ad eandem dispositionem quam prius, et ita nec eadem
numero ». Cependant, son argument est acceptable si l’on considère le Ciel en totalité,
lequel ne pourra revenir numériquement identique, pour la raison que donne Scotus.
28 Cf. E. PASCHETTO, « Scoto e Pietro d’Abano sul Grande Anno », in Homo et
Mundus. Congressus scotistici intemationalis 5e, Salmanticae 21-26 sept. 1981, ed. C.
Bérubé, Rome, Antonianum, 1984 (Studia Scholastico-Scotistica, 8), pp. 407-415.
160 JACQUES CHOLLET - GÉRARD SONDAG

Prima opinio enim de reditu omnium est omnino improbabilis, saltem quia
est contra fidem29 ; nec pro ea est ratio efficax, quia illa de reditu coeli et
dubium antecedens supponit et dubia est illatio30.

Et un peu plus haut dans le même texte :


Illud fundamentum acceptum a Ptolemaeo improbatur per Thebit, qui pro­
bat coelum stellarum non sic moveri ab occidente in orientem (...) et sic
moventur stellae in octavo caelo secundum longitudinem et latitudinem
simul31.

2. Sur le fait que rien ne se dit univoquement de deux


contradictoires :

Ad tertium ‘enti et non enti nihil est univocum’, si intelligatur de istis


secundum quod habent rationem contradictoriorum : sic forfè nihil est eis
univocum32.

C’est-à-dire :
A [la raison] que ‘rien n ’est univoque à l’être et au non-être’, [je réponds
que] que si [cette proposition] est entendue au sens où elle porte sur l’être
et le non-être en tant que [ces termes] expriment des notions
contradictoires, à cette condition sans aucun doute (forte) rien n’est
univoque à l’un et à l’autre.

29 On sait que la thèse des retours cycliques est condamnée par E. Tempier en
1277 : « Quod redeuntibus corporibus coelestibus omnibus in idem punctum quod fit
in 36.000 annorum redibunt idem effectus qui sunt modo » (DENIFLE - CHÂTELAIN,
Chartularium Universitatis Parisiensis, Paris, 1889-1897, I, p. 544). Observons, à
l’occasion de la citation de Scotus, que le terme improbabilis, ainsi que son opposé
probabilis, ne peuvent pas être traduits, comme on le fait fréquemment, par ‘impro­
bable’ et resp. ‘probable’, en prenant ces deux termes au sens statistique : est pro­
bable, en ce sens, ce qui a plus de chances d’être vrai que d’être faux. En réalité, pro­
babilis doit être rendu par ‘digne d’être approuvé’ et son contraire, improbabilis, par
‘non-digne d’être approuvé’.
30 DUNS SCOTUS, Op. ox. IV, d. 43, q. 3 (Wad. X, 45).
31 DUNS SCOTUS, Op. ox. IV, d. 43, q. 3 (Wad. X, 41).
32 DUNS SCOTUS, Quaestiones in Primum Librum Perihermeneias - Opus pri­
mum, q. 8 (Wad. 1 ,196).
SUR LA SIGNIFICATION DU TERME FORTE 161

3. Sur la question de savoir si la nature peut être cause suffisante


(ou active) de la résurrection :

Dico quod forma corporis humani forte posset redire eadem numero, si
eadem materia eius esset aeque approximata potentiae activae, ut si
materia seminis, de qua generatur corpus hominis, postea rediret eadem
praecise et sub omnimoda dispositione (...)• De facto tamen nunquam
redit materia aequaliter disposita respectu illius virtutis ; si tamen Deus
faceret quod sic rediret, non est aliqua impossibilitas vel impedimentum ex
parte illius virtutis naturalis aequalis, quin modo posset in illam, sicut
prius potuit33.
Ce texte ne peut pas être interprété, comme on l’a fait quelquefois,
comme signifiant que, selon l’auteur, la forme d’un corps humain
pourrait peut-être revenir numériquement identique, et que donc, peut-
être, la nature pourrait être cause suffisante (ou active) de la
résurrection. En effet, nul théologien ne peut soutenir cette opinion. Il
faut donc comprendre le texte comme suit : si la matière de la semence
pouvait revenir la même exactement, alors, sans nul doute (forte), le
corps humain engendré par cette semence reviendrait numériquement
identique. Or, de facto, jamais une matière séminale ne revient la même
exactement. Plus précisément, nulle matière séminale ne revient
disposée exactement de la même manière à l’égard de son pouvoir
d’engendrement. Donc, la nature ne peut être cause suffisante (ou
active) de la résurrection. Mais si, par une action surnaturelle, Dieu
faisait que telle matière séminale revienne la même exactement, alors le
corps humain qu’elle engendrerait serait numériquement identique à
celui engendré auparavant.

4. Sur l’impossibilité pour les sens de se retourner sur l’espèce


sensorielle :

Quoad secundam probationem Augustini, dicendum quod sensus forte non


reflectitur supra speciem, et ideo non discernit utrum tantum specie
informetur, vel utrum obiectum sit praesens - specialiter de phantasia34.

33 DUNS SCOTUS, Rep. par. IV, d. 43, q. 3 (Wad. XI/2, 847).


34 DUNS SCOTUS, I n i Met., q. 4, n. 103 (St. Bon. Ill, 126) ; cette édition imprime
toujours forte sans accent.
162 JACQUES CHOLLET - GÉRARD SONDAG

C’est une doctrine centrale dans le scotisme que les sens ne sont
pas capables de réfléchir sur l’espèce sensible qu’ils reçoivent et/ou sur
l’acte de sentir. Dans l’incapacité des sens à réfléchir sur leur acte, et la
capacité de l’intellect à réfléchir sur le sien, Scotus va jusqu’à voir la
marque distincte que l’intellect n’est pas une faculté matérielle, puisque
« nul quantum ne réfléchit sur soi35 ». Il est donc impossible de
comprendre : ‘il faut répondre que le sens ne réfléchit peut-être pas sur
l’espèce’.

5. Sur le ravissement de Paul :

Dico quod Deus potest causare supematuraliter cognitionem incomplexo-


rum, sicut forte habuit Paulus in raptu367.3

Dans le contexte de ce passage, Scotus distingue, d’une part, la


‘révélation commune’ ou ‘de loi commune’, qui est transmise aux
hommes par l’Ecriture et, d’autre part, les ‘révélations spéciales’ faites
à Paul (ainsi qu’à « divers saints », comme le précise le texte parallèle
du Prologue de Y Ordinatio01. Une différence - qui n ’intéresse pas le
présent propos - entre ces deux sortes de révélation est que la première,
transmise par l’enseignement, est constituée de propositions (ou
‘complexes’, dans le vocabulaire aristotélicien), tandis que la seconde,
comparable à une vision, est la connaissance de termes simples (ou
‘incomplexes’). Pour notre propos, l’important est que le terme forte ne
peut pas être entendu ici au sens de ‘peut-être’, cela pour deux raisons.
D ’une part, il est peu probable que Scotus, clerc et théologien, ait
conçu et, qui plus est, exprimé des doutes sur le fait que Paul et bien
d’autres saints ont reçu une semblable révélation. D’autre part, au
paragraphe 104 de ce même Prologue de la Lectura, il s’exprime sur ce
point de façon affirmative :

35 DUNS SCOTUS, Op. ox. IV, d. 43, q. 2, n. 9 : « Quantum autem non est super se
reflexivum».
36 II Cor. 12, 2-4. Cf. DUNS SCOTUS, Lect, Prol, q. 1, n. 33 (Vat. XVI, 14) ;
cette édition imprime toujours forte sans accent (« Je réponds que Dieu peut causer
sumaturellement la connaissance de termes simples, comme c’est assurément le cas
de celle que Paul reçut dans son ravissement »).
37 DUNS SCOTUS, Ord., Prol., pa. 2, n. 105 (Vat. I, 66).
SUR LA SIGNIFICATION DU TERME FORTE 163

Notre théologie, quant à elle, n’est pas toute connaissance, ni n’inclut toute
connaissance, puisque la révélation commune ne le permet pas, bien que,
par une révélation spéciale, Dieu puisse faire que cela soit ; ainsi de Paul,
quand il vit l’essence divine38.

6. Sur la lumière :

Ista lumina primaria multiplicatione diffusa, sunt immediate species lucis


gignentis ; forte ita immediatè gignuntur ab ea, loquendo de immediatione
ad causam, non excludendo ordinem effectuum ordinatorum, respectu
eiusdem causae39.

Ce que Pauteur veut dire, c’est que les espèces de la lumière


(lumina) sont engendrées immédiatement ou directement par la
lumière-source {lux), et non pas par des espèces différentes comme par
leur cause. Mais cela n’empêche pas que l’engendrement des espèces
par la lumière se fasse selon un ordre. Le terme forte n ’exprime donc
pas une hésitation de la part de l’auteur, comme s’il doutait que les
espèces lumineuses soient engendrées immédiatement ou directement
par la lumière - puisque c’est là sa thèse. Du reste, forte ne semble pas
porter sur immediatè, mais sur ita immediatè, ita étant développé par
loquendo de immediatione ad causam, non excludendo ordinem effec­
tuum ordinatorum.
Ce qui confirme cette conclusion, c’est que l’auteur expose ailleurs
la même idée. Voir, par exemple, le passage suivant du Prologue de
Y Ordinatio :
Exemplum, si sol illuminaret partem aliquam sibi propinquam, et alia pars
a sole remotior non esset illuminabilis nisi a sole propter eius opacitatem,
sol illuminaret partem illam remotam, non autem prior primo illuminata ;
esset tamen ordo inter propinquam partem et remotam sicut ordo effectu-

38 DUNS SCOTUS, Lect., Prol., n. 104 (trad. Sondag, 183).


39 DUNS SCOTUS, Op. ox. II, d. 13, q. un. (Wad. VI-2, 710) : « Ces lumières
premières diffusées par multiplication sont immédiatement des espèces de la lumière
qui les engendre ; elles sont assurément engendrées par elle de façon immédiate,
s’agissant d’une immédiation de l’effet par rapport à la cause, sans exclure un ordre
entre des effets ordonnés par rapport à une même cause ».
164 JACQUES CHOLLET - GÉRARD SONDAG

um eiusdem causae, et tamen non ordo causae ad effectum, quia pars illu­
minata nihil agit in partem opacam remotam40.

7. Sur la nécessité de la foi acquise :

Et sicut hic, ita dico proportionaliter de habitu theologiae, qui perfectus


exsistens includit fidem infusam et acquisitam articulorum et aliorum
revelatorum a Deo in Scriptura, ita quod non est tantum haec infusa fides
nec tantum illa acquisita sed simul ambae. Est ergo necessaria theologia,
verum est loquendo de potentia ordinata et loquendo de principaliori
habitu sive priori pertinente ad theologiam, qui scilicet est fides infusa, et
hoc generaliter, quantum ad omnes ; non sic quantum ad secundum
habitum quem includit, qui est fides acquisita, sed forte de necessitate
ordinata est necessaria in adulto potente habere doctorem et eum intelli-
gere, et hoc quantum ad aliquorum generalium fidem acquisitam41.

Après avoir, dans le paragraphe précédent, exposé comment Dieu


peut agir « selon la puissance absolue », à l’égard des non-baptisés,
Scotus explique comment il agit « selon la puissance ordonnée » envers
les baptisés. L ’habitus théologique principal, qui est la foi infuse,
administrée lors du baptême, est évidemment nécessaire. Qu’en est-il

40 DUNS SCOTUS, Ord., Prol., n. 200 (Vat. I, 135). Exemple : si le soleil éclairait
une région qui lui est proche, une autre région, plus éloignée du soleil, ne pourrait être
éclairée que par le soleil à cause de son obscurité : c’est le soleil qui éclairerait cette
région éloignée, et non celle d’abord éclairée ; il y aurait cependant un ordre entre la
région proche et la région éloignée, à savoir un ordre entre les effets d’une même
cause, puisque la région éclairée n ’agit en rien sur la région obscure éloignée ».
41 DUNS SCOTUS, Ord., Prol., n. 56 (Vat I, 34-35) : « Ce qui vaut dans le cas
précédent, vaut proportionnellement de l’habitus de la théologie, lequel, lorsqu’il est
parfait, comprend la foi infuse et la foi acquise en les articles de foi et les autres
révélations de Dieu dans l’Écriture, de sorte que, dans cet habitus parfait, il n’y a pas
la foi infuse seule, ou la foi acquise seule, mais l’une et l’autre en même temps. Par
conséquent, dire que la théologie est nécessaire est vrai si Ton se place au plan de la
puissance ordonnée et si Ton parle de l’habitus théologique principal ou premier, à
savoir la foi infuse, et ceci est universellement vrai, pour tous les hommes ; il en va
différemment du second habitus compris dans le premier, à savoir la foi acquise, bien
qu’au plan de la nécessité ordonnée, la foi acquise soit assurément nécessaire chez un
adulte ayant un docteur pour l’instruire et capable de comprendre ce qu’il dit ; c’est
nécessaire pour la foi acquise en des vérités générales ».
SUR LA SIGNIFICATION DU TERME FORTE 165

de l’autre habitus théologique, qui est la foi acquise, résultat de


rinstruction religieuse ? Il est clair que « chez un adulte ayant un
docteur pour l’instruire et capable de comprendre ce qu’il dit », la foi
acquise est assurément nécessaire, et non pas peut-être nécessaire. Est-
il, en effet, vraisemblable que Scotus, clerc et théologien, émette le
moindre doute sur la nécessité de l’instruction religieuse et de la foi
acquise ex auditu, c’est-à-dire par la prédication ? En outre, la précision
qu’il apporte (« chez un adulte, etc ») ne constitue pas une restriction.
En effet, si Scotus apporte cette précision, c’est pour marquer la
différence entre le cas qu’il est en train d’examiner, celui de la
puissance ordonnée, et le cas qu’il a étudié au paragraphe précédent,
celui d’un homme qui « n ’a personne pour l’instruire », un homme
auquel cependant, selon la puissance absolue, Dieu peut, s’il le veut,
donner la grâce, puisqu’il « n’est pas lié par les sacrements ».

8. Pourquoi nous ne pouvons pas savoir que l ’intellect créé est


ordonné à cette fin, à savoir Dieu en tant qu’il est « cette
essence-ci, singulière de soi » :

Et ista forte est ratio quare non possumus scire de intellectu creato quod
ordinatur ad hunc finem ut hic est, quia non possumus cognoscere respec­
tum fundatum in natura intellectuali ad istam essentiam tanquam ad pro­
prium finem, quia nec extremum ad quod est respectus, et ideo nec ratio­
nem imaginis respectu istius naturae in se, sicut sancti loquuntur de ima­
gine42.
Dans le paragraphe dont cette phrase est la conclusion, Scotus
explique qu’il ne nous est pas impossible de connaître l’essence divine
« sous la raison d’un attribut naturellement connaissable de nous ».
Ainsi, dirons-nous, nous pouvons savoir que Dieu est sage, puisque la
sagesse est divine en sa pureté (c’est une ‘perfection pure’, comme
disait Anselme, c’est-à-dire telle qu’elle peut être conçue sans aucun

42 DUNS SCOTUS, Ord, Prol., n. 206 (Vat. I, 139) : « Telle est assurément la
raison qui fait que nous ne pouvons savoir que l’intellect créé est ordonné à cette fin
en tant qu’elle est ‘celle-ci’, parce que nous ne pouvons connaître le rapport, fondé
dans la nature intellectuelle, à cette essence comme à sa fin propre, puisque nous ne
pouvons pas connaître le terme de ce rapport, ni par conséquent savoir ce qu’est
l’image de cette nature en soi, à la façon dont les saints parlent de cette image ».
166 JACQUES CHOLLET - GÉRARD SONDAG

degré intrinsèque de limitation). Mais il ne nous est pas possible de


connaître l’essence divine en tant qu’elle est ‘cette essence-ci’, ainsi
qu’il est prouvé ailleurs. Or, l’essence divine est le terme de notre
rapport à Dieu en tant qu’elle est ‘celle-ci’. Donc, nous ne pouvons pas
naturellement « savoir que l’intellect créé est ordonné à cette fin en tant
qu’elle est ‘celle-ci’ ». C’est cette conclusion que Scotus exprime
lorsqu’il écrit : « Telle est assurément la raison qui fait que nous ne
pouvons savoir que l’intellect créé est ordonné à cette fin en tant
qu’elle est ‘celle-ci’ ».

9. Sur l’objet de la science des mœurs et celui de la médecine :

Homo enim forte est subiectum tam moralis scientiae quam medicinae -
non autem felicitas vel sanitas - quia utriusque finis ratio includitur in
ratione illius circa quod est praxis43.
Il n’est pas possible de comprendre ici que le sujet tant de la
science des mœurs que de la médecine est peut-être l’homme, et non
pas la félicité ou la santé. D ’une part, Scotus explique pourquoi il en est
ainsi : c’est que la fin de l’une et l’autre sciences est contenue dans la
connaissance de l’homme, sujet premier de ces deux sciences. D ’autre
part, au paragraphe 185 de ce même Prologue de Y Ordinatio, il se
montre affirmatif :
Il est admis que l’homme est le sujet de la science morale et de la
médecine en ceci qu’il contient à l’état virtuellement connu toutes les
vérités de l’une et l’autre de ces sciences44.

10. Sur l’objet de la théologie :

Theologia ergo est habitus unus simpliciter, licet forte cum ipsa possit in
Scriptura esse aliqua notitia quae sit de alio subiecto45.

43 DUNS SCOTUS, Ord., Prol., n. 262 (Vat. I, 204) : « Assurément, en effet, c’est
rhomme - non la félicité ou la santé - qui est le sujet tant de la science des mœurs
que de la médecine, parce que la raison de l’une et l’autre fins est incluse dans la
raison de ce sur quoi porte l’acte pratique ».
44 DUNS SCOTUS, Ord., Prol., n. 185 (Vat. 1 ,123).
SUR LA SIGNIFICATION DU TERME FORTE 167

Scotus fait face ici à l’objection suivant laquelle la science


théologique n ’est pas un habitus absolument un. L’auteur de cette
objection s’appuie sur l’Ecriture. Il observe, sans plus de précisions,
que « rien de ce qui lui est propre n ’est rapporté de Dieu dans tel livre
de l’Ecriture, car nul fait n’y est rapporté qui aurait exigé de Dieu
quelque chose de plus qu’une influence générale ». L’objecteur conclut
en conséquence que « ce livre n ’a pas Dieu pour sujet » 4546. En réponse,
Scotus admet que cette opinion peut être « approuvée dans une certaine
mesure s’agissant de la théologie telle qu’elle est transmise par
l’Ecriture », mais qu’elle doit être rejetée « s’agissant de la théologie en
soi, dont le sujet est l’essence divine en tant qu’elle est ‘cette essence-
ci’ ». Il en donne la raison :
En effet, puisque [l’essence divine] est un sujet connaissable qui est de
toute vérité un, il faut qu’il y ait immédiatement une connaissance
véritablement une par nature portant sur ce sujet47.

Ayant accepté, au début du paragraphe 308, que l’objection peut


être approuvée s’agissant de la théologie telle qu’elle transmise par
l’Ecriture, il ne se peut pas qu’à la fin de ce même paragraphe 308,
Scotus déclare que ‘peut-être, en même temps que la théologie, on
trouve dans l’Ecriture des connaissances portant sur un sujet autre que
Dieu’. Il faut donc comprendre :
Donc, la théologie est un habitus absolument un [comme il vient de le
prouver], ce qui n’empêche assurément pas qu’il puisse y avoir dans
l’Ecriture une connaissance qui porte sur un autre sujet [ainsi qu’il l’a
concédé].

C . I n t e r p r é t a t io n s e t t r a d u c t io n s e r r o n é e s

Divers commentateurs s’exposent à interpréter de façon erronée la


pensée de notre auteur parce qu’ils ignorent la distinction sémantique

45 DUNS SCOTUS, Ord., Prol., n. 308 (Vat. I, 204) : « Donc, la théologie est un
habitus absolument un, ce qui n’empêche assurément pas qu’il puisse y avoir dans
l’Écriture une connaissance qui porte sur un autre sujet ».
46 DUNS SCOTUS, Ord., Prol., n. 179 (Vat. I, 121).
47 DUNS SCOTUS, Ord, Prol., n. 308 (Vat. I, 204).
168 JACQUES CHOLLET - GÉRARD SONDAG

entre forte et forte. Cette confusion est au demeurant excusable, du


moins sous la plume de commentateurs contemporains travaillant sur
l’édition critique, dans la mesure où, tandis que Wadding (1639)
imprime forte (avec accent), pour marquer que, selon lui, ce terme
signifie ‘assurément’, l’édition critique, dite vaticane (1950-...) ne fait
pas de différence typographique entre forte et forte, imprimant forte
dans tous les cas.

1. Sur la théorie scotiste de la lumière :

Au livre II, distinction 13, de 1’Ordinatio, Scotus définit la lumière


{lumen). La lumière est une chose (res) et aussi une intention {intentio),
c’est-à-dire « l’espèce sensible de la lumière-source {lucis) ». Intentio,
comme il le précise, est à entendre ici au sens de ratio tendendi in alte­
rum ut in obiectum. Il écrit en effet :
Ita in distinctione rei et intentionis, licet intentio sit res, et forte sensibilis
res, in quam possit sensus tendere : tamen illa dicitur intentio, quae non est
tantum res, in quam tendit sensus, sed est ratio tendendi in alterum, cujus
est propria similitudo. Hoc modo dico : quod lumen proprie est intentio,
sive species sensibilis ipsius lucis.
C’est-à-dire :
Il en va de même de la distinction entre une chose et une intention : bien
que l’intention soit une chose, et assurément (forte) une chose sensible,
vers laquelle le sens peut tendre, on appelle intention ce qui n’est pas
seulement une chose, vers laquelle tend le sens, mais ce qui, parce qu’il en
est une similitude propre, permet au sens de tendre vers autre chose. C’est
pourquoi je dis que la lumière est proprement une intention, c’est-à-dire
l’espèce sensible de la source lumineuse.

L’objectif de Scotus dans ce passage est de rendre compte d’un fait


d’expérience au sujet de la lumière-effet {lumen). D ’une part, la
lumière-effet est sensible de soi ; d’autre part, elle est ce qui permet de
voir la lumière-source {lux). Le cas de la lumière est de fait paradoxal.
Normalement, en effet, une espèce sensible n’est pas vue, car ce qui est
vu c’est ce dont cette espèce sensible est une similitude, car lorsqu’on
voit du blanc au moyen d’une espèce du blanc, ce qui vu, c’est le blanc,
ou quelque chose de blanc, et non pas son espèce. La lumière déroge à
cette règle générale car elle est, d’une part, visible et, d’autre part,
permet de voir autre chose. Scotus aperçoit ici dans la lumière une
dualité. Par ailleurs, le fait que la lumière soit sensible ou visible par
SUR LA SIGNIFICATION DU TERME FORTE 169

soi constitue pour Scotus un fait d’expérience, comme pour n’importe


qui. Il en tire même un argument, le premier qu’il avance pour prouver
que la lumière n’est pas substance car, si elle était une substance, elle
ne serait pas visible par soi :
De primo dico, quod lux non potest poni substantia, quia est per se sensi­
bilis, non sic substantia.
Or, commentant le passage en question, Vivès écrit ceci :
Adverte autem, quando dicit Doctor quod intentio sit fortè sensibilis
qualitas, propterea illum addidisse ly forte, quia inter Doctores dubitatur
an species visibiles videri possunt : unde noluit Doctor absolutè id
asserere, sed dubitativè, quia nondum resolvit quid esset dicendum »48.

Ainsi, le même commentateur, qui vient de lire dans le texte que


lux est « per se sensibilis », juge, à cause d’un fortè, que le docteur est
resté dubitatif sur ce point. Vivès reproduit Wadding, qui imprime
fortè, et pourtant il interprète ce fortè comme un forte !

2. Sur l’immuabilité de l’essence divine :

Ad quaestionem, quantum ad exponentem negativam illius exclusivae


[scii, quod nihil aliud a Deo est immutabile], respondeo : concedo
conclusiones istarum rationum, quarum licet forte aliquae non
convincerent philosophos quin possent respondere, sunt tamen
probabiliores illis quae adducuntur pro philosophis, et aliquae forte
necessariae49.
Alléguant ce passage, B. Landry écrit :
Scot fait reposer toute sa théologie sur la liberté divine : c’est de la liberté
qu’il déduit l’infinité et tous les attributs ; mais la liberté elle-même, il sait
qu’il ne peut l’établir. Aussi présente-t-il son oeuvre comme simplement
probable ; il avoue que ces démonstrations ne convaincraient sans doute
pas les philosophes : ce qu’il se contente d’affirmer, c’est qu’elles sont
plus probables que celles apportées par ses adversaires50.

Or le texte doit être traduit comme suit :

48 DUNS SCOTUS, Op. ox. II, d. 13 (Viv. XII, 619).


49 DUNS SCOTUS, Ord. I, d. 8, pa. 2, q. un. (Vat IV, 321).
50 B. LANDRY, La philosophie de Duns Scot, Paris, Alcan, 1922, p. 330.
170 JACQUES CHOLLET - GÉRARD SONDAG

... J’accepte les conclusions de ces arguments : bien que certains d’entre
eux ne convaincraient assurément pas les philosophes, qu’ils ne puissent y
répondre, ils sont cependant plus dignes d’être approuvés que ceux
avancés en faveur des philosophes, et certains sont assurément nécessaires.

Passons sur la grossière erreur consistant à soutenir que Scotus


déduit l’infinité divine de la liberté divine (comme si c’était possible !)
pour ne considérer que les forte qui sont dans le texte, et semblent avoir
gêné Landry. Il rend le premier par ‘sans doute’, ce qui est une
échappatoire, puisque cette expression peut signifier en français soit
‘peut-être’, soit ‘très probablement514. Quant au second forte (« et
aliquae forte necessariae »), il s’en débarrasse en supprimant la fin de
la phrase5152 ! Le but de Landry était manifestement de présenter Duns
Scot comme un penseur qui doute de la valeur de ses arguments, un
esprit hésitant et incertain, un théologien craignant les philosophes. En
réalité, au paragraphe 292 de la distinction d’où est extrait le texte,
Scotus procède, comme à son habitude, à une évaluation des arguments
antérieurement avancés : certains d’entre eux ne convaincraient
assurément pas les philosophes, juge-t-il, bien qu’ils soient plus dignes
d’être approuvés (et non pas ‘plus probables’) que les arguments
avancés en faveur de ces derniers. D ’autres sont assurément néces­
saires, c’est-à-dire concluants.

3. Sur l’objet de l’intellect et du désir :

Circa secundum in isto articulo distinguo de operatione, et est distinctio


manifestior in actu cognoscendi, potest tamen poni forte in actu appetendi.

51 ‘Il est sans doute malade’ = ‘il est peut-être malade’ ; ‘il n’est pas là, sans doute
est-il malade’ = ‘s’il n’est pas là, c’est très probablement parce qu’il est malade’. Le
sens assertorique de cette expression (sine dubio) a précédé le sens hypothétique.
Cf. A. REY, Dictionnaire historique de la langue française, Paris, Le Robert, 1994, s.
V. ‘doute’.

52 Comme l’observe E. Longpré, « en second lieu, M. Landry a tronqué le texte


qu’il cite ». Reproduisant la citation complète, Longpré met en majuscules la partie
tronquée : ET FORTE ALIQUAE NECESSARIAE. Cf. E. LONGPRÉ, La philosophie du
B. Duns Scot, Paris, Société et librairie S. François d’Assise, 1924, p. 125.
SUR LA SIGNIFICATION DU TERME FORTE 171

As for the second point in this article, I make a distinction in regard to


operations that is more manifest in regard to the act of knowing, but can be
assumed to be present, perhaps, also in the act of appetition53.

Dans la célèbre question 13 de son Quodlibet, Scotus distingue


deux sortes de connaissance, l’une appelée ‘intuitive’, l’autre
‘abstractive’. Par la première, un objet existant et présent est connu des
sens et de l’intellect en tant qu’existant et présent. Par la seconde, un
objet qui n’est pas présent, ou bien n’existe pas, peut être connu de
l’intellect au moyen d’un représentant, c’est-à-dire une espèce
intellectuelle de cet objet. Ainsi, la distinction entre les deux modes de
connaissance dépend de la présence ou absence de l’objet. Une
distinction similaire, selon que l’objet est présent ou pas, existe, dit
Scotus, dans le cas de l’acte de désirer. Cependant, faut-il considérer
que cette distinction est peut-être présente, ou bien qu’elle est
assurément présente dans l’acte de désirer ? Il paraît évident que, de
même que nous pouvons connaître un objet présent, nous pouvons
désirer un objet présent et que, de même que nous pouvons connaître
un objet absent au moyen de son espèce, nous pouvons désirer un objet
absent, au moyen de l’impression que nous a laissée un objet similaire.
Il nous semble donc que la distinction en question n’est pas peut-être
présente, mais assurément présente dans l’acte de désirer. Cependant,
comme Scotus dit que cette distinction est « plus manifeste » dans
l’acte de connaître, il est normal que le traducteur ait pensé qu’elle est
« peut-être présente », parce que moins manifeste dans l’acte de
désirer, alors qu’à notre avis, elle est « assurément présente », quoique
moins manifeste, cela pour la raison que les opérations du désir et de la
volonté sont moins simples et évidentes que celles de l’intellect (c’est
pourquoi Scotus commence régulièrement par l’analyse de ces der­
nières).

4. Sur l’unité numérique :

Ita concedo quod quidquid est in hoc lapide, est unum numero, - vel
primo, vel per se, vel denominative : ‘primo ’forte, ut illud per quod unitas

53 DUNS SCOTUS, Quodl. XIII, n. 27 ; trad, anglaise par F. ALLUNTIS - A. B.


WOLTER, God and Creatures. The Quodlibetal Questions, Princeton, Princeton
University Press, 1975, p. 290.
172 JACQUES CHOLLET - GÉRARD SONDAG

talis convenit huic composito ; ‘per se’ hic lapis, cuius illud quod est
primo unum hac unitate, est per se pars ; ‘denominative’ tantum, illud
potentiale quod perficitur isto actuali, quod quasi denominative recipit
actualitatem eius54.
And so I concede that whatever is in this stone is one numerically - either
primarily or per se or derivatively. That [individuating difference or
haecceity] through which such unity pertains to this composite would
perhaps be such primarily55.

Dans ce passage, Scotus répond à l’objection suivant laquelle


« tout ce qui est dans un même individu, numériquement un, est un
numériquement »56. Cette objection est dirigée contre sa propre théorie,
voulant que chez ‘cette pierre-ci’, douée de l’unité numérique, il y a
aussi une unité qui est « moindre que l’unité numérique et cependant
réelle », à savoir l’unité d’une nature, en l’occurrence celle de la pierre.
En réponse à cette objection, Scotus déclare que l’expression
‘numériquement un’ s’entend en trois sens différents : soit primo
(immédiatement ou encore au principe), soit per se (par soi et non par
accident), soit denominative (dénominativement ou par appellation). La
différence individuelle, par quoi un individu diffère numériquement
d’un autre individu de même espèce, est numériquement une primo,
c’est-à-dire immédiatement ou au principe57. Cela est assuré et certain

54 DUNS SCOTUS, Ord. Il, d. 3, pa. 1, qq. 5-6, n. 175 («De principio indivi-
duationis ») (Vat. VII, 477) : « J’admets donc que tout ce qui est chez cette pierre-ci
est numériquement un, soit au principe, soit par soi, soit par appellation : ‘au principe’
assurément, s’agissant de ce par quoi l’unité numérique convient au composé qu’est
cette pierre-ci ; ‘par soi’, s’agissant de cette pierre-ci, dont ce qui est au principe un de
Limité numérique constitue une partie par soi ; ‘par dénomination’ seulement,
s’agissant de quelque chose de potentiel qui est déterminé par le sujet actuel qu’est
cette pierre-ci, et qui reçoit, par appellation en quelque sorte, l’actualité de celui-ci ».
55 W. A. FRANK - A. B. WOLTER, Duns Scotus, Metaphysician, West Lafayette
(Indiana), Purdue University Press (Series in the History of Philosophy), 1995, p. 185.
56 DUNS SCOTUS, Ord. II, d. 3, pa. 1, qq. 5-6, n. 173 (Vat. VII, 477) .
57 Comme l’expliquent FRANK - WOLTER, Duns Scotus, Metaphysician, op. cit.,
p. 161 : « We can distinguish several types of ultimate differences : an individuating
difference, which Scotus refers to also as an individual’s haecceity, or ‘thisness’ ; the
ultimate specific difference of anything; and the generic and transcendantal
differences that qualify ‘being’ where it can be predicated univocally ».
SUR LA SIGNIFICATION DU TERME FORTE 173

(‘primo ’ forte). En effet, la différence individuelle est une différence


absolument ultime (simpliciter ultima). Ainsi que Scotus l’explique à la
distinction 3 du livre I de V Ordinatio, toute différence absolument
ultime est absolument simple58 (simpliciter simplex).
En second lieu, ‘cette pierre-ci’ est numériquement une par soi,
mais non pas primo. En effet, ce qui fait que ‘cette pierre-ci’ diffère de
‘cette pierre-là’, c’est sa différence individuelle, laquelle est numéri­
quement une primo. Or sa différence individuelle est une partie (ou
plutôt ‘quasi-partie’) par soi, non par accident, de cette pierre-ci. Donc,
cette pierre-ci et cette pierre-là sont numériquement unes par soi, c’est-
à-dire non par accident.
En troisième lieu, en tant qu’elle est une nature commune, la pierre
est présente dans cette pierre-ci et cette pierre-là, et constitue l’autre
‘quasi-partie’ de cette pierre-ci et de cette pierrre-là. Considérée en tant
que telle, la pierre n’est pas ime numériquement mais une spécifique­
ment. En d’autres termes, son imité n’est pas celle d’un individu mais
celle d’une espèce. Cependant, la pierre peut être dite une
numériquement, ou encore elle est une numériquement par
dénomination en tant qu’elle est contractée à ‘cette pierre-ci’ par la
différence individuelle. La dénomination ‘une numériquement’ est
extérieure à la pierre en tant que nature commune. En effet, de ce que
‘ceci est irne pierre, numériquement une par soi’, il ne suit pas que ‘la
pierre est numériquement une par soi’. Par analogie avec la théorie
mathématique des ensembles, l’on pourrait dire que l’ensemble E est
numériquement un, puisqu’il diffère numériquement de l’ensemble F.
Mais l’unité de E est l’unité d’un ensemble, et non pas l’unité
numérique de x, élément de E. Aux paragraphes 173 et 174, Scotus
applique aux rapports entre l’unité de l’espèce et l’unité du genre le
même raisonnement qu’il applique ici aux rapports entre l’unité
numérique et l’unité spécifique. ‘Le blanc est une espèce du genre de la
couleur’ : cela est vrai. ‘La couleur est blanche’ : cela n ’est pas vrai par
soi de la couleur, mais seulement dénominativement. La couleur est
dite blanche : ici la couleur est contractée ou réduite à la blancheur.
Notons enfin que la prédication per denominationem est déjà examinée,

58 DUNS SCOTUS, Ord. I, d. 3, pa. 1, q. 3, n. 160 (Vat. III, 98).


174 JACQUES CHOLLET - GÉRARD SONDAG

avant Scotus, par Pierre d’Espagne dans ses célèbres Summule


logicales, sous le nom à 'appellatio.
Pour le présent propos, qui concerne principalement la
signification du terme forte, c’est le premier point qu’il faut retenir. Il
est absolument impossible de dire que « that [individuating difference
or haecceity] through which such unity pertains to this composite
would perhaps be such primarily ». Bien plutôt doit-on comprendre : it
certainly would be such primarily. Cela est de première importance
pour comprendre exactement la doctrine scotiste de l’individuation. En
effet, s’il y a deux pierres numériquement différentes, il y a une
différence individuelle pour chacune de ces deux pierres. Mais - c’est
là le point - ces différences individuelles sont ‘ultimes’ (de même que
certaines différences spécifiques - par exemple ‘rationnel’ - sont
ultimes également). En d’autres termes, il ne peut exister une espèce
des différences individuelles (sinon, il faudrait de nouvelles différences
pour distinguer ces différences à l’intérieur de l’espèce, et l’on irait à
l’infini). Il existe seulement une espèce commune aux individus
distingués par les différences individuelles, lesquelles, prises séparé­
ment, n’ont rien en commun. Ce n’est pas le lieu ici d’expliquer com­
plètement cette magnifique doctrine, ni d’en indiquer les multiples con­
séquences. Pour le présent propos, tenons seulement pour certain que
Scotus n ’aurait jamais admis que les différences individuelles diffèrent
peut-être au principe59.

D . C o n c l u s io n

Si la démonstration qui précède est exacte, il suit que les


traducteurs de Scotus devraient prêter attention à la différence séman­

59 A noter également que l’édition critique paraît fautive au paragraphe 175 :


« ’denominative’ tantum, illud quod perficitur isto actuali, quod quasi denominative
respicit actualitatem eius ». En effet, on ne voit pas comment potentiale potest
respicere actualitatem alicuius. Le seul sens possible est : potentiale potest recipere
actualitatem alicuius (leçon donnée dans l’appareil critique). Je signale que ma propre
traduction de ce passage (DUNS SCOT, Le principe d ’individuation, trad. G. Sondag,
Paris, Vrin, 1992, p. 170) contient un contresens, queje corrige ici, et une interpré­
tation erronée en note. Il ne m’appartient donc pas de jeter la première pierre (G.S.).
SUR LA SIGNIFICATION DU TERME FORTE 175

tique entre forte peut-être et forte assurément. Par ailleurs, comme les
occurrences de forte sont nettement plus nombreuses que celles de
forte, les commentateurs et interprètes devraient, quant à eux, consi­
dérer que les propositions scotistes contenant un forte sont le plus
souvent assertoriques et non pas hypothétiques. Il se peut que cela
entraîne des révisions concernant un certain nombre de doctrines de
Scotus, soit en théologie soit en philosophie et en logique.

Université Blaise-Pascal, Clermont-Ferrand


Ill

MÉTAPHYSIQUE
LUDGER HONNEFELDER

ÉTEENNE GILSON ET JEAN DUNS SCOT

« L’ÊTRE ET L’ESSENCE »
ET L’HISTOIRE DE LA MÉTAPHYSIQUE

La redécouverte de l’œuvre et de la pensée de Jean Duns Scot


(1265/6-1308) au cours du XIXe et du XXe siècle, représente dans
l’histoire complexe de la redécouverte de la philosophie et de la
théologie du Moyen Age latin un exemple significatif des difficultés et
problèmes qui accompagnent ce processus aujourd’hui comme hier, et
des obstacles contre lesquels butent - aujourd’hui comme hier - les
tentatives en vue d’obtenir une image aussi juste que possible de la
pensée scotiste et de l’histoire de son influence. Les raisons en sont
connues1 : à cause de sa mort prématurée, le Docteur Subtil a laissé une
œuvre inachevée. C’est pourquoi l’histoire de sa tradition s’est déroulée
de façon chaotique. D ’autre part, l’influence de la pensée scotiste a fait
que de nombreux écrits inauthentiques sont venus s’ajouter à ses
œuvres authentiques. Les connaissances limitées des données
biographiques ont compliqué l’identification des œuvres authentiques
et leur datation. De plus, la concurrence des ordres et des écoles - au
Moyen Age comme dans la néo-scolastique du XIXe et du XXe siècle -
et les préférences pontificales eurent pour effet que l’attention portée à
la pensée scotiste s’est effacée devant de celle de Thomas d’Aquin.
Tout cela eut pour conséquence que la liste des œuvres authentiques
n’a pu être dressée que très tard, et que l’édition critique - non achevée
à ce jour - n’a pu être commencée qu’en 1950.

1 Cf. en détail L. HONNEFELDER, « Metaphysik und Ethik bei Johannes Duns


Scotus: Forschungsergebnisse und -Perspektiven. Eine Einführung », in John Duns
Scotus, Metaphysics and Ethics, eds. L. Honnefeider - R. Wood - M. Dreyer, Leiden,
Brill, 1996 (STGMA, 53), pp. 1-33.
180 LUDGER HONNEFELDER

I. D u n s s c o t e t l ’bœ sto ire d e l a m é t a p h y s iq u e


D’APRÈS GILSON

Dans son entreprise de donner une image précise de la pensée du


Docteur Subtil et d’évaluer son importance, l’œuvre d’Etienne Gilson
joue un rôle éminent, mais aussi problématique. Dans le contexte de ses
études sur Descartes23,Gilson avait fixé très tôt déjà son attention sur le
Moyen Age. Il s’était occupé, dans de grandes monographies, non
seulement d’Augustin, de Bernard et surtout de Thomas d’Aquin, mais
aussi de Jean Duns Scot. En 1927 il publie dans les Archives d ’Histoire
Doctrinale et Littéraire du Moyen Age son étude Avicenne et le point
de départ de Duns Scofi, où il recherche les origines de la conception
scotiste de la métaphysique chez Avicenne. En 1937-38, il publie dans
les Archives l’article sur Les seize premiers Theoremata et la pensée de
Duns Scot4, où il traite de cette œuvre qui, parmi les écrits du Docteur
Subtil, est celle qui pose le plus de difficultés pour une interprétation
consistante, et que l’on a souvent considérée à cause de cela comme
non-authentique. Ces deux études représentent pour Gilson des travaux
préparatoires à la grande interprétation de la philosophie scotiste dont il
s’occupe dans les années quarante (du XXe siècle) et qui paraît en 1952
sous le titre Jean Duns Scot, introduction à ses positions
fondamentales56.
Auparavant - en 1948 - , Gilson avait publié un ouvrage intitulé
L ’Être et l ’Essence6 ; il s’agissait de cours faits en langue française au
Collège de France. Ceux-ci furent suivis en 1949 par des cours en

2 Cf. É. GILSON, Études sur le rôle de la pensée médiévale dans la formation du


système cartésien Paris, Vrin, 1930 (Etudes de philosophie médiévale, 13).
3 Cf. É. GILSON, « Avicenne et le point de départ de Duns Scot », Archives
d ’Histoire Doctrinale et Littéraire du Moyen Age 2 (1927), pp. 89-149.
4 Cf. É. GILSON, « Les seize premiers Theoremata et la pensée de Duns Scot »,
Archives d ’Histoire Doctrinale et Littéraire du Moyen Age 12-13 (1937-38), pp. 5-86.
5 Cf. E. GILSON, Jean Duns Scot. Introduction à ses positions fondamentales,
Paris, Vrin, 1952 (Etudes de philosophie médiévale, 42).
6 Cf. É. GILSON, Z,'Être et l ’essence, Paris, Vrin, 1948.
ÉTIENNE GILSON ET JEAN DUNS SCOT 181

anglais à Toronto, intitulés Being and some Philosophers1, qui


traitaient le même sujet. Parmi les œuvres de Gilson, ce livre est celui
où il expose sa conception de l’histoire de la métaphysique et
l’importance de la conception de Duns Scot dans le projet de
métaphysique. Car, dans ses grandes monographies, il présente une
interprétation de la pensée médiévale qui reste quasiment immanente,
et fait, en règle générale, des évaluations comparatives - dans l’œuvre
Jean Duns Scot il s’agit avant tout d’une comparaison avec Thomas
d’Aquin - qui se limitent à une comparaison entre la pensée médiévale
et ses origines antiques. En revanche, dans L ’Être et l ’essence, il classe
les projets médiévaux dans ime histoire de la métaphysique qui s’étend
de Parménide jusqu’à Hegel, Kierkegaard et au XDCe/XXe siècle.
La thèse de Gilson est connue et n ’a pas besoin d’être expliquée ici
dans le détail. Gilson la développe au fil conducteur des deux concepts
du titre de l’ouvrage : l’être et l’essence. L’identification initiale,
platonicienne et néoplatonicienne, de l’être avec l’Un, est suivie par
l’interprétation aristotélicienne de l’être comme substance, jusqu’à ce
que Thomas d’Aquin cherche le sens de l’être dans la relation de l’être
et de l’essence, et le trouve dans la priorité de l’existence comme acte
de l’être. C’est avec la priorité de l’essence sur l’existence - idée
remontant à l’origine à Avicenne et formulée par Scot - que commence
la riposte problématique qui mène, dans l’histoire de la métaphysique -
de Suárez, Wolff et Kant - à la neutralisation de l’être et à la déduction
de l’être à partir de l’essence, en fonction de l’opposition de l’existence
et de l’essence. Cette priorité de l’essence par rapport à l’existence
mène enfin au développement moderne, avec la dissolution du rapport
entre la connaissance, le langage et l’être.7

7 Cf. É. GILSON, Being and some Philosophers, Toronto, Pontifical Institute of


Mediaeval Studies, 21952 (*1949).
182 LUDGER HONNEFELDER

II. L a m é t a p h y s iq u e m é d ié v a l e c o m m e p l u r a l it é
DE PERSPECTIVES D’APRÈS GILSON

Ce qui est important dans le contexte donné, c’est la place


historique que Gilson attribue à la métaphysique médiévale dans son
interprétation, ainsi que la place qu’il attribue, dans cette interprétation,
à la métaphysique de Scot et à son influence. La métaphysique
médiévale n’apparaît plus comme un bloc erratique, ni non plus
seulement comme une réminiscence médiévale des théories antiques ou
une application de celles-ci à la théologie, mais comme une phase de la
métaphysique, sans laquelle la métaphysique de l’Antiquité serait
restée épisodique et sans laquelle l’histoire de la métaphysique des
Temps Modernes n’aurait pas eu conscience de l’existence des
problèmes à résoudre, qui étaient leur point de départ. Qui plus est,
c’est seulement dans l’attention critique que la théologie chrétienne de
la Révélation a provoquée chez les lecteurs médiévaux s’intéressant à
l’héritage antique de la métaphysique, que, le sens de la question de la
métaphysique posée par l’Antiquité : la question du sens de l’être. C’est
cette question-là, posée au Moyen Age, ce sont les réponses
médiévales, qui décident du sort de la question et, par là, du sort de la
métaphysique aux Temps Modernes.
Dans son livre, Gilson corrige l’idée de l’existence d’une
métaphysique médiévale au singulier, et fait le bilan de ses études
d’histoire de la philosophie en montrant avec quelle diversité de
théories les penseurs médiévaux ont essayé de répondre aux questions
comprises dans le corpus metaphysicum d’Aristote, et comment de
nouvelles questions philosophiques ont ainsi pu se présenter. C’est
ainsi que les théories métaphysiques médiévales obtiennent leur
véritable rang philosophique et sont capables d’entrer en rapport
critique avec les autres théories de l’histoire de la métaphysique.
Par cette interprétation, Gilson rompt avec la position apologétique
de la néo-scolastique du XIXe siècle envers la pensée médiévale,
laquelle justement à cause de cela, a été conservée comme une sorte de
ghetto dans l’histoire de philosophie. D ’autre part, Gilson maintient la
prééminence de la philosophie de Thomas d’Aquin, si caractéristique
de la néo-scolastique, en la démontrant au fil conducteur de la question
du sens de l’être. L’histoire de la métaphysique avant Thomas se
ÉTIENNE GILSON ET JEAN DUNS SCOT 183

présente comme l’histoire des précurseurs, et l’histoire après lui comme


l’histoire d’un déclin.

III. LE JUGEMENT DE GILSON SUR L’IMPORTANCE


DE LA MÉTAPHYSIQUE SCOTISTE

La métaphysique scotiste reçoit dans ce contexte une évaluation


péjorative, mais cela n ’empêche pas Gilson de reconnaître, de souligner
et de décrire l’importance éminente de son influence8. Car ce n’est pas
la métaphysique de Thomas qui marque le point de départ de la
métaphysique des Temps Modernes et qui détermine sa forme mais, de
Suarez et Wolff jusqu’à Kant, l’approche de la métaphysique choisie
par Scot déploie ses virtualités. Pour la première fois, on manifeste
l’existence d’une puissante influence de Scot en dehors de l’école
scotiste. Tout portrait de la métaphysique des Temps Modernes qui
néglige ces rapports devra être considéré comme incomplet.
En effet, non seulement la conception scotiste de la métaphysique
comme science transcendantale (scientia transcendens), mais aussi des
théories centrales comme celle de la détermination formelle et modale
du concept d’« étant » sont repris par Suárez et, à cause de la grande
influence de ses Disputationes metaphysicae, transmis à la
métaphysique au XVIIe et XVIIIe siècle, notamment par l’intermédiaire
de Wolff et d’autres auteurs, jusqu’à Kant9. Et Kant, dans sa Critique
de la raison pure, explique explicitement que son projet envisage de se

8 Cf. GILSON, L 'Être et l ’essence, op. cit. ; ID., Being and some Philosophers, op.
cit., pp. 84-153.
9 Cf. en détail L. HONNEFELDER, La métaphysique comme science transcenden-
tale entre le Moyen Age et les Temps modernes, trad. I. Mandrella - O. Boulnois - J.
Greisch - Ph. Capelle, Paris, PUF, 2002 (Chaire Etienne Gilson) ; ID., Scientia trans­
cendens. Die formale Bestimmung der Seiendheit und Realität in der Metaphysik des
Mittelalters und der Neuzeit (Duns Scotus - Suárez — W oljf- Kant - Peirce), Ham­
bourg, Meiner, 1990 (Paradeigmata).
184 LUDGER HONNEFELDER

rattacher à la « philosophie transcendantale des anciens »101 et de


reprendre leur intention fondamentale sous une forme critique,
corrigée.
La thèse centrale de la métaphysique scotiste, celle qui a été la plus
efficace pour la métaphysique des Temps Modernes, s’exprime dans
l’idée qu’une philosophie première qui recherche le tout de la réalité et
ses causes, c’est-à-dire le sens de l’être, n’est pas possible comme
science d’un étant premier par l’intermédiaire duquel le tout serait
connaissable, mais seulement comme science d’un premier connu,
c’est-à-dire comme science du concept le plus universel, ou comme
science des concepts les plus universels qui sont contenus dans tous les
concepts objectifs. La métaphysique n ’est pas une philosophie première
considérée du point de vue de Dieu, mais une philosophie première
comme scientia transcendens, c’est-à-dire comme résolution
(iresolutio) ramenant aux concepts les plus universels contenus dans les
connaissances objectives humaines, lesquels prennent leur départ de la
perception sensorielle. Il s’agit donc en particulier, d’une résolution au
concept d’« étant «n . En effet, déjà Aristote attribue le concept le plus
universel d’« étant » à la philosophie première, comme le fait aussi
Thomas d’Aquin. Mais ces deux penseurs lient la question de la
signification du commune praedicatum « étant » à la question du
premier étant prééminent, soit la substance, soit Dieu, car ils ne sont
pas capables d’attribuer au concept « étant » une unité significative
univoque, mais seulement analogue. À cause de cela, ces auteurs
répondent à la question de l’ontologie sur le mode d’une onto-
théologie12.

10 I. KANT, Kritik der reinen Vernunft, B 113 sqq. ; cf. L. HONNEFELDER, « Die
‘Transzendentalphilosophie der Alten’: Zur mittelalterlichen Vorgeschichte von
Kants Begriff der Transzendentalphilosophie », in Proceedings o f the Eighth
International Kant Congress, Memphis 1995, eds. H. Robinson - G. G. Brittan,
Milwaukee (Wis.), Marquette University Press, 1995, vol. I, 394-407.
11 Cf. en détail L. HONNEFELDER, Ens inquantum ens. Der Begriff des Seienden
als solchen als Gegenstand der Metaphysik nach der Lehre des Johannes Duns
Scotus, Münster, Aschendorff, 1979, pp. 144-168, 268-365.
12 Cf. L. HONNEFELDER, « Der zweite Anfang der Metaphysik. Vorausset­
zungen, Ansätze und Folgen der Wiederbegründung der Metaphysik im 13./14.
Jahrhundert », in Philosophie im Mittelalter. Entwicklungslinien und Paradigmen,
ÉTIENNE GILSON ET JEAN DUNS SCOT 185

Scot, par contre, suppose une unité du sens d’« étant » en séparant,
d’un côté, l’unité significative d’un concept quidditatif et, de l’autre,
l’unité d’un état de choses catégoriel, qui est liée par les concepts de
genre et d’espèce à l’unité significative du concept de 1’« étant ». Seule
l’extrapolation du caractère transcendantal de la prédication des
concepts les plus universels comme « étant », que Scot réalise par sa
thèse de Vunivocatio entis13, est capable de fournir les conditions
nécessaires pour la conception d’une philosophie première comme
ontologie, et démontre en même temps que la question
traditionnellement attribuée à la philosophie première, c’est-à-dire la
question du premier étant excellent ne peut être posée également et
résolue que dans ce cadre. C’est ce concept-là de scientia transcendens
qui permet à Kant - par intermédiaire de Suarez et Wolff - de réaliser
le projet d’une métaphysique comme science transcendantale, et
précisément sous les conditions d’une critique de la connaissance
formulées par lui, non seulement en ce qui concerne l’exigence de
principe, mais aussi suivant certains traits structurels caractéristiques14.
Parmi ces traits caractéristiques, l’on compte la détermination
formelle du sens d’« étant » (ratio entis), selon laquelle ens est
considéré comme le concept le plus universel et le plus simple, par
lequel seul une chose peut être comprise sous la ratio subiecti,
c’est-à-dire sous la forme d’une détermination capable d’être le sujet de
prédicats quidditatifs15. Par rapport à toute autre détermination, le
concept de Yens reste indéterminé. En ce sens, chaque étant déterminé
de façon quidditative peut être nommé « étant » in quid. Chaque étant
qui est seulement qualitatif peut être nommé « étant » en tant qu’il
apparaît en rapport avec un « étant » au sens quidditatif. Pris en ce sens
double et complémentaire, « étant » peut être dit de tout étant de façon

eds. J. P. Beckmann et al., Hambourg, Meiner, 1987, pp. 165-186 ; ID., « Möglichkeit
und Formen der Metaphysik », in Metaphysik und Ontologie eds. L. Honnefeider - G.
Krieger, Paderborn, Schöningh, 2001 (Philosophische Propädeutik, 3), pp. 9-60.
13 Cf. en détail HONNEFELDER, Ens inquantum ens, op. eit, pp. 268-395 ; ID., La
métaphysique, op. eit, pp. 30-34.
14 Cf. en détail HONNEFELDER, Scientia transcendens, op. eit, pp. 403-486,
passim ; TD., La métaphysique, op. eit, pp. 69-110.
15 Cf. note 11 supra.
186 LUDGER HONNEFELDER

univoque, en tant qu’il ne retient que telle unité significative qui -


affirmée et niée simultanément - a pour conséquence une contradiction.
C’est de cette façon que Suárez et Wolff expliquent le sens du
concept « étant », bien que - comme chez Suárez - l’interprétation du
mode de prédication d’« étant » ne soit pas désignée comme « univo­
que »16. Kant reprend cette détermination formelle quand il explique
que chaque prédication doit référer à un « objet transcendantal = X »,
c’est-à-dire à « ce qui peut procurer à tous nos concepts empiriques en
général une relation à un objet, c’est-à-dire une réalité objective. »17
Selon Scot, cette détermination formelle conduit, par l’analyse des
modes de prédication et par résolution (resolutio) de nos concepts
objectifs, à une ratio qui - comme il dit à la suite d’Avicenne - doit
être considérée comme quelque chose de premier dans la suite de nos
connaissances abstractives, et qui, en tant que première et tout à fait
simple, « ne peut être expliquée par rien de plus connu » (per nihil
notius explicatur)18. Il ne reste donc qu’un moyen indirect pour clarifier
le sens du concept d’« étant », compris et expliqué de telle façon. Ce
moyen indirect consiste pour Scot dans l’explication par le contraire du
non ens. Mais cette explication se fait à l’aide d’une explication modale
de la ratio entis. Car, dans la troisième question du Quodlibetum, Scot
dit que 1’« étant » (ens vel res), pris au sens général (communiter),
n’exprime pas ce qui n ’inclut pas de contradiction logique, mais ce
« qui a ou peut avoir une entité qui ne provient pas de la considération
de l’intellect » (quod habet vel habere potest aliquam entitatem non ex
consideratione intellectus)19. L ’« étant » est donc considéré comme
séparé de ce qui est contradictoire en soi-même et de ce qui contredit la
possibilité de l’existence hors de l’intellect, ou bien il est considéré -
pour reprendre la célèbre expression de Scot - comme « ce à quoi l’être

16 Cf. en détail HONNEFELDER, Scientia transcendens, op. eit, pp. 200-381, 282
sq. ; ID., La métaphysique, op. eit, pp. 79-98.
17 I. KANT, Kritik der reinen Vernunft, A 109 ; cf. L. HONNEFELDER, Scientia
transcendens, op. eit, pp. 453-454 ; cf. aussi ID., La Métaphysique, op. eit, pp. 104
sqq.
18 DUNS SCOTUS, Ord. I, d. 2, pa. 1, qq. 1-2, n. 132 (Vat. II, 207).
19 DUNS SCOTUS, Quodl. III, n. 2 (Viv. XXV, 113-114) ; cf. HONNEFELDER,
Scientia transcendens, op. eit, p. 6 sqq. ; ID., La métaphysique, op. eit, pp. 43 sqq.
ÉTIENNE GILSON ET JEAN DUNS SCOT 187

ne répugne pas » {hoc cui non repugnat esse)20. À la différence du


« non-étant », le sens d’« étant » est ainsi expliqué par la possibilité de
l’existence, qui, de la part de 1’« étant », présuppose la possibilité
intérieure des contenus quidditatifs.
Non seulement Suárez et Wolff reprennent cette explication
modale et la célèbre formule de la non repugnantia ad esse dans des
passages centraux de leurs écrits, mais pour Kant lui-même - ce que
manifeste le « tableau du néant » dans la Critique de la raison pure -
elle constitue le fil conducteur pour l’explication du sens d’« étant »21.
Il faut cependant dire que la formule de la non repugnantia subit une
transformation profonde : la « réalité objective » ne peut être attribuée
au possible logique, mais seulement au possible réel, et ce possible réel
est celui qui ne contredit pas les principes de l’expérience22. Le concept
d’« étant » est remplacé par le concept de 1’« objectivité réelle », et
celui-ci est expliqué par la non-répugnance {non repugnantia ad esse).
Au lieu de l’esse s’installe l’espace d’existence décrit par les principes
de l’expérience. La critique de Kant contre Wolff concerne
l’identification de la non repugnantia ad esse avec la possibilité
logique, et donc la tentative de dériver la possibilité réelle de la
possibilité de pensée. Et en effet, Wolff essaye de supprimer la
restriction critique que Scot avait établie au sujet de la possibilité de
comprendre la métaphysique comme une scientia propter quid,
c’est-à-dire comme une discipline capable de saisir le concept « étant »
comme un concept positif compréhensif qui permet de démontrer en
même temps chaque étant plus déterminé. La métaphysique qui est
possible pour nous, la metaphysica in nobis, est seulement capable de
saisir 1’« étant » comme un concept connaissable de façon abstractive,
mais restant indéterminé en ce qui concerne le contenu. Elle ne peut
donc apprendre la possibilité réelle de 1’« étant » qu’a posteriori. Kant
nous rappelle dans sa critique adressée à Wolff ces limites imposées à

20 DUNS SCOTUS, Op. ox. IV, d. 8, q. 1, n. 2 (Viv. XVII, 7).


21 KANT, Kritik der reinen Vemunfl, A 290-291 ; cf. HONNEFELDER, Scientia
transcendens, op. eit, pp. 428-428 ; ID., La métaphysique, op. eit, pp. 104-110.
22 KANT, Kritik der reinen Vernunft, A 156/B 195 ; cf. HONNEFELDER, Scientia
transcendens, op. eit, pp. 450-451, 459, 470 ; ID., La métaphysique, op. eit, pp. 104-
110.
188 LUDGER HONNEFELDER

« notre métaphysique », comparée à une métaphysique du point de vue


de Dieu23.

IV . L a c r it iq u e d e G il s o n I :
LE POINT DE DÉPART DE LA MÉTAPHYSIQUE DE DUNS SCOT

Scot lui-même - et nous retournons maintenant à l’interprétation


de Gilson - a tracé ces limites dans le cadre de la détermination du
primum cognitum ou, pour mieux dire, de Vobiectum primum
intellectus, c’est-à-dire, strictement parlant, de la totalité comme l’objet
adéquat de l’intellect dans notre état actuel, en tant qu’il comprend ; de
ce que notre intellect est capable de connaître sous les conditions
actuelles de connaissance, ou encore en tant qu’il concerne la portée de
notre capacité intellectuelle. Au terme d’une discussion sur le sujet,
Scot décide quel est le subiectum primum de notre métaphysique, ce
qui veut dire de quelle façon la métaphysique comme philosophie
première est à proprement parlé possible24. Les questions à débattre
sont les suivantes : Est-ce que le primum obiectum intellectus nostri
pro statu isto est exclusivement la quiddité des choses perceptibles de
façon sensorielle (comme, selon Scot, l’affirment Aristote et Thomas),
ou est-ce Tétant divin (comme le dit Henri de Gand), ou est-ce que
Tétant fini et infini est capable de mouvoir notre intellect de façon
naturelle, en tant que T« étant » (ens) est compris comme un concept
indifférent aux deux façons d’être (indifferens ad sensibilia et
insensibilia)25? Scot critique non seulement la possibilité de
comprendre Dieu comme le premier objet de notre intellect, mais réfute
aussi la troisième opinion - évidemment représentée par des interprètes

23 Cf. HONNEFELDER, Scientia transcendens, op. eit, pp. 448-449 ; ID., La


métaphysique, op. eit, pp. 100-104.
24 Cf. en détail HONNEFELDER, Scientia transcendens, op. cìt. ; ID., La
métaphysique, op. cit., pp. 27-30.
25 DUNS SCOTUS, Ord., Prol., pa. 1, q. un., n. 33 (Vat. I, 19-20).
ÉTIENNE GILSON ET JEAN DUNS SCOT 189

« philosophes » d’Avicenne26 - en se servant de l’argument qu’ainsi


chaque étant serait capable de mouvoir notre intellect de façon
naturelle à la connaissance, ce qui n ’est pas le cas en ce qui concerne
l’étant infini. De plus, cette opinion manque de pertinence, car l’étant
infini qu’est Dieu comme obiectum voluntarium exclut toute
considération intellectuelle en tant que connaissance naturelle (et non
donnée par grâce)27. Seule est possible la connaissance du concept
d’« étant » accessible de façon abstractive, mais ce concept - ce que
Scot objecte à Aristote et Thomas - n’est pas limité à la quiddité des
choses matérielles pour ce qui concerne sa ratio.
L’interprétation de Gilson part justement de ce point-là : le débat
sur le primum cognitum d’Avicenne. Mais il manque la pointe de cette
détermination des limites de Scot parce qu’il se méprend28 - comme l’a
montré son élève canadien Camille Bérubé29 - sur un passage dans la
suite compliquée des arguments de la question 14 du Quodlibetum. Il
s’agit de la position que Scot cite comme position contraire à celle
d’Aristote et de Thomas, et que Bérubé attribue à un « avicennisme
augustinisant » provenant de l’entourage de Scot. Gilson interprète
cette position comme étant celle de Scot lui-même, mais en suivant
exactement les arguments, il apparaît que Scot distingue bien sa propre
opinion de cet argument qu’il cite sous les « contra »30. C’est à cause
de ce malentendu que l’interprétation de Gilson mène à une position
qui jette sur Scot le soupçon d’un « théologisme »31, c’est-à-dire
l’utilisation - comme le dira Kant plus tard - d’une connaissance
« débordante » (überschwänglich)32 et donc illégitime en philosophie.
Bien que Gilson souligne ensuite l’influence de la métaphysique de

26 Cf. C. BÉRUBÉ, « Critique de Tavicennisme augustinisant », in Acta IV Con­


gressus Scotisti Internationalis, Oxoniae 1966, Rome, 1968, vol. I, pp. 207-243.
27 Cf. DUNS SCOTUS, Ord. I, d. 3, pa. 1, qq. 1-2, nn. 56-57 (Vat. III, 38-40).
28 C f É. GILSON, Jean Duns Scot, op. cit., p. 31.
29 Cf. C. BÉRUBÉ, « Interprétations virtualisantes de la thèse scotiste de l’objet de
l’intellect », Laurentianum 8 (1967), pp. 234-250, 380-401.
30 Cf. DUNS SCOTUS, Quodl. XIV, n. 13 (Viv. XXVI, 47).
31 Cf. A. B. WOLTER, « The ‘Theologism’ of Duns Scotus », Franciscan Studies
1 (1947), pp. 257-273, 367-398.
32 KANT, Welche sind die wirklichen Fortschritte, die die Metaphysik seit
Leibnizens und Wolffs Zeiten in Deutschland gemacht hat ? A 17.
190 LUDGER HONNEFELDER

Scot aux Temps Modernes, il manque dans sa propre interprétation des


textes la raison précise, pour laquelle la détermination scotiste de
l’objet de la métaphysique fut le point de départ qui permit l’histoire de
la métaphysique des Temps Modernes.
Ce n’est donc pas l’option de Gilson pour la conception de la
métaphysique de Thomas d’Aquin qui mène à l’interprétation
péjorative de Scot. Dans son œuvre Jean Duns Scot, il souligne à juste
titre que les perspectives philosophiques de Thomas et de Scot se
comportent l’une envers l’autre de façon alternative33. Selon la
perspective pour laquelle on se décide, l’autre apparaît comme
critiquable et c’est pourquoi Scot - comme Thomas - doit être compris
par rapport à sa propre perspective. Il est donc d’autant plus important
de bien comprendre cette perspective !
En prenant pour point de départ la discussion sur le primum
obiectum intellectus, à laquelle Gilson avait consacré - avec raison ! -
une telle attention, il reste à savoir si Gilson a vraiment bien compris la
pointe de la conception de la métaphysique de Thomas34. Est-ce que la
métaphysique de Thomas est vraiment une métaphysique qui se
rattache à la description de Dieu comme « sum qui sum », donnée dans
le chapitre 3, verset 14, de VExode ? Si c’était le cas, il serait
difficilement explicable pourquoi la métaphysique de Scot reprend éga­
lement cette formule du « sum qui sum », et de la même façon positive.
Gilson lui-même fait remarquer les ressemblances structurelles de
Vactus essendi chez Thomas avec Tinfinitas chez Scot35. En prenant,
par contre, la discussion sur le primum obiectum intellectus lui-même
comme fil conducteur, la question décisive est celle de savoir comment
la métaphysique peut être possible pour l’intellect humain fini. Mais
cette question est identique à celle de la possibilité de la métaphysique
comme scientia transcendens. Si l’on choisit alors la question des
concepts qui transcendent les catégories (et par conséquence capables
de rendre possible la connaissance de Dieu) comme fil conducteur, il

33 Cf. GILSON, Jean Duns Scot, op. eit, pp. 625-669, 661 sqq.
34 Cf. E. GILSON, Le thomisme. Introduction à la philosophie de Saint Thomas
d ’Aquin, Paris, Vrin, 61997, pp. 120-136.
35 Cf. GILSON, Jean Duns Scot, op. eit, pp. 208 sqq.
ÉTIENNE GILSON ET JEAN DUNS SCOT 191

faut - comme le souligne Jan Aertsen36 - compter déjà Thomas parmi


ceux qui développent une métaphysique comme philosophie
transcendantale.

V . L a c r it iq u e d e G i l s o n II :
L’ « ESSENTIALISME » DE DUNS SCOT

Mais la critique de Gilson de Scot ne contient pas seulement le


reproche d’avoir fait dépendre la possibilité de la métaphysique de
prémisses théologiques, c’est-à-dire le reproche de « théologisme »,
mais aussi celui d’avoir soutenu, en ce qui concerne l’interprétation du
sens d’« étant », un « oubli de l’existence ou de l’être » très
problématique, c’est-à-dire l’incrimination d’« essentialisme »37. Cette
critique de sa part peut être comprise comme une conséquence de
l’option de Gilson en faveur de la métaphysique de Thomas d’Aquin,
qui décrit le sens d’« étant » comme un acte surgissant d’un acte
illimité de l’être (actus essendi), limité par le principe potentiel de
l’essence (essentia) en tant que celui-ci reçoit cet acte pour devenir
ainsi un étant fini concret. Dans le contexte d’une telle inteiprétation du
sens d’« étant » comme composé des principia quo, Tètre et l’essence,
antérieurs à toute concrétisation, alors que l’être a nettement la priorité,
une métaphysique comprenant T« étant » comme un quid à qui l’être ne
répugne pas, et comprenant l’être comme un actus ultimus qui s’ajoute
à l’essence complètement constituée, c’est-à-dire comme esse extra
causas38, serait en effet exposée au verdict d’oubli de l’être.
Mais dans le contexte donné, la critique de Gilson concernant Scot
ne se fonde pas (ou pas seulement) sur la comparaison avec Thomas,

36 Cf. J. A. AERTSEN, Medieval Philosophy and the Transcendentals. The Case o f


Thomas Aquinas, Leiden, Brill, 1996 (STGMA, 52).
37 Cf. GILSON, L ’Être et l ’essence, pp. 128-140 ; ID., Being and Some Philo­
sophers, op. cit., pp. 84-95.
38 Cf. DUNS SCOTUS, Ord. H, d. 3, pa. 1, q. 3, nn. 61-65 (Vat. VII, 418-421) ;
Ord. I, d. 36, q. un., nn. 48-49 (Vat. VI, 290) ; cf. HONNEFELDER, Ens inquantum
ens, op. cit., pp. 257-267.
192 LUDGER HONNEFELDER

mais sur son interprétation de certaines positions centrales de Scot. Il


me semble que là pareillement Finterprétation de Gilson manque la
pointe définitive de la solution scotiste. Car, certes, Scot détermine le
sens du concept « étant » par une analyse des concepts quidditatifs,
c’est-à-dire par une considération formelle qui porte le caractère d’une
ultima abstractio ou d’une absoluta consideratio39, comme Avicenne le
fait pour la connaissance de la natura communis4041, afin de comprendre
la chose comme telle (equinitas ut tantum equinitas) malgré sa
réalisation sous la forme d’un singulier ou sa compréhension sous la
forme du concept universel se référant aux singuliers. Mais 1’« étant »
lui-même n’est pas un quoi (quid) délimitable, ni non plus - comme
l’interprétation de Gilson le suggère - une natura communis.41 La ratio
entis, considérée en tant que telle, n’est pas proprement une formalité,
ce qui veut dire qu’elle n ’est pas l’objet d’un conceptus proprius, mais
- comme Scot le souligne - qu’elle est seulement appréhensible sous la
forme d’un conceptus imperfectus, qui appréhende les res sine modo42.
Mais ce concept en tant que concept imparfait reste un concept réel
(conceptus realis) causé par la res. Ici se manifeste que le concept
« étant » ne comprend pas quelque chose dans l’étant, mais l’étant en
tant qu’étant. Ce résultat ne peut être expliqué qu’au fil conducteur de
l’analyse des concepts quidditatifs, c’est-à-dire d’une considération
formelle ; mais son objet n’est ni une quiddité, ni un objet formel, ni -
comme le montre la critique de Scot contre Henri de Gand - la
connaissance d’un esse essentiae antérieur à l’existence43. Ce qui est
appréhendable, c’est la détermination tout simplement simple qui
convient à chaque étant en tant qu’étant, et qui justement pour ces
raisons-là ne peut être délimitée d’autres existences formelles
au-dedans de l’étant, mais seulement du non-étant. La considération

39 Cf. en détail HONNEFELDER, Ens inquantum ens, op. cit., pp. 212-218.
40 Cf. HONNEFELDER, « Natura communis », in Historisches Wörterbuch der
Philosophie, ed. J. Ritter - K. Gründer, vol. VI, Bâle, Schwabe & Co., 1984, coli.
494-504.
41 Cf. GILSON, Jean Duns Scot, op. cit, pp. 109 sqq. ; cf. HONNEFELDER, Ens
inquantum ens, op. cit., pp. 426 sqq.
42 Cf. DUNS SCOTUS, Lect. I, d. 8, pa. 1, q. 3, n. 129 (Vat. XVII, 46-47) ; cf
HONNEFELDER, Ens inquantum ens, op. cit, pp. 365-395, 375.
43 C f en détail HONNEFELDER, Scientia transcendens, op. cit, pp. 22-56.
ÉTIENNE GILSON ET JEAN DUNS SCOT 193

formelle et l’explication modale sont des fils conducteurs qui doivent


être utilisés parce que, sans ces fils conducteurs, la détermination
fondamentale mais absolument simple, par suite non-définissable
directement, ne peut pas être comprise. Mais, après leur utilisation, l’on
est pour ainsi dire obligé de les rejeter, car cette détermination
fondamentale elle-même n’a plus de quiddité ou de formalité, c’est une
ratio première qui est aussi bien connue ('notissimum)44
qu’inexplicable. Ce qui intéresse Scot dans sa « philosophie première »,
c’est l’explication de cette ratitudo entis fondamentale45, qui est
seulement appréhendable par un concept au contenu absolument simple
et par voie indirecte, c’est-à-dire par la considération formelle et
l’explication modale. Il s’agit d’une connaissance sui generis.

V I. C o n c l u s io n

Ces remarques critiques ne diminuent pas le mérite de Gilson en ce


qui concerne l’interprétation de Scot et l’histoire de la métaphysique.
Personne avant lui n’a fait ressortir avec une telle précision que la
métaphysique médiévale représente une partie indispensable de
l’histoire de la métaphysique occidentale, et que sans ce que
j ’appellerais le «second commencement»46 de la métaphysique au
Moyen Age, la métaphysique des Temps Modernes aurait manqué d’un
point de départ pour reprendre sous des conditions nouvelles le projet
antique d’une philosophie première comme métaphysique. De plus,
personne avant Gilson n’a fait comprendre de façon si impressionnante
que ce « second commencement » de la métaphysique au Moyen Age
se présente comme une pluralité de théories différentes, parmi

44 Cf. note 18 supra.


45 Cf. en détail L. HONNEFELDER, « Die Lehre von der doppelten ratitudo entis
und ihre Bedeutung fur die Metaphysik des Johannes Duns Scotus », in Deus et Homo
ad mentem Ioannis Duns Scoti. Acta tertii Congressus Scotistici Intemationalis,
Vindebonae 29 sep. - 2 oct. 1970, Rome, Societas Intemationalis Scotistica, 1972, pp.
661-671.
46 Cf. note 12 supra.
194 LUDGER HONNEFELDER

lesquelles celle de Thomas d’Aquin et celle de Duns Scot, non


seulement possèdent un rang exceptionnel, mais doivent être comprises
comme des tentatives alternatives, c’est-à-dire comme étant chacune
une conception propre de la philosophie première. Et personne avant
Gilson n’a fixé ses regards sur le fait que la métaphysique de Duns Scot
a non seulement connu une forte réception dans le Moyen Age tardif,
mais qu’elle représente la théorie médiévale qui exerce, par
l’intermédiaire de Suárez et Wolff, la plus grande influence sur la
métaphysique des Temps Modernes. Il y a alors lieu de se souvenir de
Duns Scot à Paris et des grands exploits d’Etienne Gilson en ce qui
concerne l’histoire de la philosophie.

Universität Bonn
Pa sq u a le P orro

DUNS SCOT ET LE POINT DE RUPTURE AVEC AVICENNE*

1. Il est bien connu que Scot formule une bonne partie de ses
positions les plus originales et significatives à partir d’une rencontre,
souvent très critique, avec les thèses d’Henri de Gand.
Je voudrais commencer justement par ce point, c’est-à-dire par la
façon dont Scot utilise, interprète, critique, et parfois se méprend sur
quelques positions d’Henri de Gand, afin de remonter jusqu’à
Avicenne. Ce double pas en arrière (de Scot à Henri, et d’Henri à
Avicenne) - j ’en suis conscient - s’oppose à la tendance
historiographique qui me semble dominante, une tendance dont le but
est justement de vérifier l’influence de Scot sur la métaphysique
postérieure, suivant une lignée qui, à travers Suárez, décide de
l’ontologie moderne au sens strict. Mais il s’agit d’abord ici de réparer
un tort historiographique qui me semble déjà impliqué par la
déclaration programmatique de Gilson :
Chercher à comprendre les positions fondamentales du Docteur Subtil
n ’est aucunement le situer dans son temps. L’intérêt du philosophe ne peut
pas ne pas faire tort ici à la vérité de l’histoire. Duns Scot a dialogué avec
plusieurs autres théologiens, entre lesquels on peut dire qu’Henri de Gand
est son interlocuteur de prédilection. Pour lui, Henri était plus important
que Thomas ;pour nous, et en soi, le contraire est vrai1.

Je tiens à remercier ici Francesco Marrone, Christophe Erismann et Olivier


Boulnois, non seulement pour l’aide au moment de la préparation de la version
française de cette communication, mais également pour leurs suggestions et pour
leurs indications.
1 E. GILSON, Jean Duns Scot. Introduction à ses positions fondamentales, Paris,
Vrin, 1952 (Etudes de philosophie médiévale, 42), p. 10. Cependant, il est aussi vrai
que Gilson lui-même s’était déjà promis de combler cette lacune « historiale » : « Si
196 PASQUALE PORRO

C’est un passage qui m ’a toujours frappé parce que les implica­


tions méthodologiques et historiographiques d’une telle décision sont
pour le moins surprenantes, sinon déconcertantes. Mais aujourd’hui ma
question est beaucoup plus simple: est-il vraiment possible de com­
prendre les « positions fondamentales » de Duns Scot sans approfondir
la façon dont il se confronte à Henri (et sans se borner à attribuer
simplement à Henri ce que Scot entend lui faire dire ou maintenir) ?
Pourtant, il ne s’agit pas seulement d’envisager sérieusement la relation
de Scot à l’une de ses sources les plus importantes - ce qui me semble
être en bonne partie déjà fait de façon excellente par les études récentes
sur Scot. Ce que je voudrais tenter de soutenir ici, c’est que la prise en
compte des écarts, des césures, et des reprises - bref, des moments de
continuité et de discontinuité - qui s’instaurent entre Scot et Henri, peut
suggérer une lecture différente du contexte global dans lequel se situe
le projet scotiste lui-même. Et puisque le rôle capital joué dans ce
contexte par Avicenne semble être déterminé justement par la
médiation d’Henri de Gand (comme l’avait remarqué le Père Balie,
tous les textes cités par Scot avaient été déjà utilisés par Henri)2, cette
lecture différente pourrait sans doute mener au renversement de l’autre
formule très célèbre utilisée par le même Gilson dans sa contribution -
elle aussi très célèbre - au deuxième numéro des Archives d ’histoire
doctrinale et littéraire du Moyen Age : au lieu de « Avicenne et le point
de départ de Duns Scot »3, on pourrait peut-être dire - et il s’agit aussi
bien du titre que je voudrais adopter pour cette communication, que de
la thèse que je voudrais suggérer - « Duns Scot et le point de rupture
avec Avicenne ».
2. Afin d’inaugurer ce parcours à rebours je commencerai par la
discussion relative au possible et à l’impossible. Il est connu que la

nous en avons le temps, nous aimerions suivre de près, dans un autre livre, la
conversation entre Duns Scot et Henri de Gand... » (p. 10).
2 Cf. C. BALIO, « Circa positiones fundamentales Ioannis Duns Scoti », Anto­
nianum 28 (1953), pp. 261-306 ; J.-M. COUNET, « Avicenne et son influence sur la
pensée de Jean Duns Scot », in Avicenna and His Heritage. Acts of the International
Colloquium, Leuven - Louvain-la-Neuve, September 8 - September 11, 1999, eds. J.
Janssens - D. De Smet, Leuven, Leuven University Press, 2002, pp. 225-252.
3 Cf. É. GILSON, « Avicenne et le point de départ de Dims Scot », Archives d ’his­
toire doctrinale et littéraire du moyen âge 2 (1927), pp. 89-149.
DUNS SCOT ET LE POINT DE RUPTURE AVEC AVICENNE 197

question relative à l’origine et aux limites de la possibilité et de l’im­


possibilité est l’une des questions où Scot a remarqué un évident
changement de perspective au sein de la production de Henri (un autre
cas semblable concerne la doctrine de la relation, dont je m’occuperai
par la suite). D ’autre part, la même oscillation ou ambiguïté n ’a pas été
dénoncée seulement par Scot, mais aussi, pour ne citer qu’un exemple
parmi les plus influents, par Ockham4.
Mais en quoi consiste cet écart ? Dans la q. 3 de son Quodlibet VI
(« Utrum impossibile quod attribuitur Deo respectu creaturarum oriatur
causaliter ex parte Dei an ex parte creaturae »), Henri organise cette
problématique en associant à la distinction déjà solidement établie entre
puissance active et puissance passive, une distinction beaucoup plus
particulière, dont il est l’un des inventeurs, entre potentia obiectiva et
potentia subiectiva5. On peut nommer quelque chose en puissance par
rapport à un acte, soit comme le subiectum par lequel quelque chose
d’autre peut et doit être produit (c’est le cas de la matière par rapport à
la forme), soit comme Vobiectum qui constitue le terme même de la
production (en ce sens, toujours dans le cas de la génération, il s’agit de
la forme ou - encore plus précisément - du composé de matière et de
forme)6. Cela signifie que tant la puissance active que la puissance

4 Cf. A. B. WOLTER, « Ockham and the Textbooks : On the Origin of Possibi­


lity », Franziskanische Studien 32 (1950), pp. 70-96. À ce sujet, je me permets de
renvoyer à P. PORRO, «Henry of Ghent on Ordained and Absolute Power», à
paraître dans les Actes du Colloque International sur Henry o f Ghent’s Contribution
to the Transformation o f Scholastic Thought (Leuven, 12-16 septembre 2001), eds. C.
Steel - G. Guldentops, Leuven, Leuven University Press, 2003.
5 Cf. L. HÖDL, « Neue Begriffe und neue Wege der Seinserkenntnis im Schul-
und Einflussbereich des Heinrich von Gent », in Die Metaphysik im Mittelalter. Ihr
Ursprung und ihre Bedeutung. Vorträge des II. Internationalen Kongresses für
mittelalterliche Philosophie, Köln 31. August - 6. September 1961. Im Aufträge der
S.I.E.P.M., eds. P. Wilpert - W. P. Eckert, Berlin, W. de Gruyter, 1963 (Miscellanea
Mediaevalia, 2), pp. 607-615.
6 Cf. HENRICUS DE GANDAVO, Quodl. VIII, q. 9, Paris, Badius, 1518, f. 314vM
(ci-après : Badius) ; quelque chose est dit « in potentia respectu alicuius actus
dupliciter, aut ut subiectum de quo aliquid habet produci, quemadmodum materia, de
qua habet generari, dicitur esse in potentia, ut de ipsa generatur homo, alio modo, ut
obiectum quod est ipsum productibile, et terminus productionis, quemadmodum
homo dicitur esse in potentia, ut generetur ».
198 PASQUALE PORRO

passive peuvent être prédiquées selon un double rapport : par rapport


au sujet dans lequel elles subsistent et par rapport à l’objet vers lequel
elles tendent. En ce sens, en Dieu, il existe une puissance active
subjective, c’est à dire indépendante de toute référence à des créatures
déterminées, et une puissance active objective, orientée vers les
créatures. De façon analogue, dans la créature il existe une puissance
passive subjective, rapportée à sa propre nature, et une puissance
passive objective rapportée à l’action divine. Afin de comprendre le
rapport qui relie ces puissances, il faut envisager ce qui se passe quand
on parle des attributs divins. Tout ce qui exprime une perfection simple
doit se rapporter d’abord et essentiellement à Dieu, et de façon
seulement secondaire et dérivée aux créatures (bien que Y impositio
nominum dépende de l’application aux créatures) : c’est bien le cas des
attributs divins essentiels (sagesse, bonté, etc.).
Par contre, tout ce qui n’exprime pas une perfection simple doit
être rapporté d’abord aux créatures et ensuite à Dieu, en raison de la
référence de chaque créature au Créateur. Cette dernière classe
comprend les dénominations qui n ’expriment pas directement par elles-
mêmes un contenu positif, mais seulement des privations
(‘incorruptible’, ‘invisible’, etc.), aussi bien que les dénominations qui
expriment une perfection relative et non absolue. Par exemple, Dieu ne
peut être nommé Seigneur qu’en tant que la créature lui est asservie, et
non le contraire. Il s’agit en effet d’une relation temporelle qui n ’est
réelle que du côté des créatures, alors qu’elle est, du côté de Dieu,
secundum rationem.
Or, dans la mesure où la puissance subjective évoquée plus haut
nomme quelque chose de simple et d’absolu, d’indépendant de toute
référence aux créatures, il faut qu’elle soit référée d’abord à Dieu, puis
seulement après et de façon secondaire, en tant que puissance
subjective passive, aux créatures mêmes. Absolument parlant, il ne peut
exister dans les créatures aucune possibilité passive qui ne dérive de la
puissance active du Créateur. Mais la puissance objective désigne au
contraire quelque chose de relatif, et précisément la référence à une
créature comme l’objet possible de l’action divine. Par conséquent, il
faut qu’elle soit attribuée d’abord aux créatures (en tant que puissance
passive objective) et ensuite au Créateur (en tant que puissance active
objective). De cette façon, on obtient une succession précise : du posse
activum Dei secundum se dérive le posse passivum creaturae secundum
se ; et de ce dernier dérive à son tour le posse passivum creaturae
DUNS SCOT ET LE POINT DE RUPTURE AVEC AVICENNE 199

respectu Dei, auquel correspond finalement le posse activum Dei


respectu creaturae. Il s’agit bien sûr d’un ordre métaphysique et non
chronologique : aucune puissance passive ne pourrait exister dans la
créature sans la puissance active simple du Créateur ; et pourtant, la
puissance active objective de Dieu envers chaque créature dépend de sa
possibilité passive instaurée précédemment.
Le même discours, symétrique et contraire en même temps, vaut
aussi pour l’impossibilité : dans la mesure où cette dernière ne désigne
pas une perfection simple (mieux : où elle ne désigne aucune
perfection), elle doit être attribuée premièrement aux créatures
secundum se, deuxièmement aux créatures par référence à Dieu, et
troisièmement à Dieu envisagé dans sa relation avec les créatures. Mais
cette attribution ne vaut jamais et d’aucune façon pour Dieu secundum
se. Cet ordre différent est aisément compréhensible : la possibilité
désigne quelque chose de positif qui, en quelque façon, présuppose une
cause ; au contraire, l’impossibilité ne désigne que quelque chose de
privatif, et la privation peut être dans l’effet sans pour autant qu’il n ’y
ait dans la cause un défaut correspondant.
En ce sens, la cause de l’impossibilité passive de quelque chose ne
peut être attribuée à l’impuissance de l’agent. Citons l’exemple proposé
par Henri : l’impossibilité d’éclairer un corps situé au delà de la
circonférence extrême du ciel ne peut être attribuée au soleil que parce
qu’il est impossible que dans cet au-delà il y ait quelque chose de
susceptible d’être éclairé, et non pas parce que le soleil s’avère
impuissant à l’éclairer. De même, si Dieu ne peut pas faire deux
contradictoires en même temps, c’est parce que cela s’avère impossible
en soi, et sans que dans cette impossibilité soit impliqué aucun défaut
ou limitation de la puissance divine7. Ainsi Henri ne fait-il que s’ali-

7 Cf. HENRICUS DE GANDAVO, Quodl. VI, q. 3, ed. G. A. Wilson, Louvain,


Leuven University Press, 1987 (Henrici de Gandavo Opera Omnia, 10), 1987, p. 47,
53-57 (ci-après : 0 0 ) : « Non posse facere contradictoria esse simul attribuitur Deo
quia impossibile est quod ipsa in se recipiant simultatem, nec est huius aliqua ratio
requirenda ex parte Dei, sive ex parte idearum sive alio modo, quia non habet
rationem nisi pure privativam, quae ex parte Dei secundum se inveniri non potest, ut
patet in exemplo de sole»; ibid., pp. 49,15-50,19: «Positivum enim in essentia
creaturae non est nisi a positivo in Deo, privativum vero in creatura, aut etiam pure
negativum circa non creaturam, non est ab aliquo privativo vel negativo in Deo, sed
200 PASQUALE PORRO

gner sur la position la plus commune au XIIIe s., représentée par exem­
ple par Thomas d’Aquin. Selon le lexique spécifique d’Henri, on peut
énoncer cette thèse en ces termes : ce qui est constitué comme res rata
ou res a ratitudine - c’est à dire l’essence qui est effectivement pour­
vue d’une solide constitution formelle, si bien qu’elle peut accéder à
l’existence actuelle - est tel parce qu’il existe dans l’entendement divin
une idée correspondante. Quant à ce qui n’est ni une res a ratitudine ni
une res a reor reris - c’est à dire toute chose simplement concevable
en tant que telle, y compris les figmenta - c’est le contraire qui vaut :
l’impossible n ’est pas impossible parce qu’aucune idée ne lui corres­
pond, mais plutôt, au contraire, parce qu’il n ’est pas du tout une ress.
Deux années plus tard, comme je l’ai déjà dit, Henri semble
renverser cette conclusion. Dans la q. 3 de son Quodlibet V ili (« Utrum
aliquis possit agere quod impossibile est fieri ») on lit en effet que :
Non est verum dicere de impossibili simpliciter quod Deus non potest illud
facere quia non potest fieri, sed potius non potest fieri quia Deus non
potest facere, sicut et in affirmativa non dicitur Deum possibile aliquid
facere quia illud possibile est fieri, sed e converso quia Deus potest illud
facere, ideo possibile est fieri9.

En réalité, la signification dépend ici d’abord de ce simpliciter qui


qualifie l’impossible et qui ne peut être interprété qu’à partir du
contexte global de la quaestio. Même en cette occasion, en effet, Henri
a recours au couple conceptuel obiective /subiective, mais afin de
proposer une nouvelle tripartition de l’impossibilité. Si le possible
obiective est ce qui peut être le terme de l’action d’autre chose,
l’impossible obiective peut être défini comme ce que nul agent ne peut
jamais réaliser, parce qu’il ne peut justement être le résultat d’aucune
action et d’aucune puissance active. En ce sens, l’impossible est le

ex se ipso, secundum quod malum et non ens privativum non habet nisi causam
privativam ».
8 Cf. HENRICUS DE GANDAVO, Quodl. VI, q. 3 { 0 0 X, 49, 10-15) : « Licet enim
res a ratitudine dicta ex hoc est res et natura vel essentia aliqua, quod habet ideam in
Deo, illud tamen quod non est res a ratitudine dicta, et maxime nec a reor reris dicta,
non ex hoc non est res quod non habet ideam in Deo, sed potius < ex hoc > non habet
ideam in Deo quod secundum se non est res ».
9 HENRICUS DE GANDAVO, Quodl. Vili, q. 3 (Badius, 304vQ).
DUNS SCOT ET LE POINT DE RUPTURE AVEC AVICENNE 201

néant absolu de ce qui non seulement n’existe pas actuellement, mais


de qui n’est même pas constitué formellement en tant qu’essence : en
d’autres termes, ce qui est privé non seulement de l’esse existentiae,
mais aussi de l’esse essentiae.
En ce qui concerne l’impossible subiective, on peut remarquer
deux cas différents. Peut être subjectivement impossible ce qui est tout
à fait dépourvu d’un sujet potentiel dont quelque chose puisse être tiré,
ou bien ce qui ne représente pas un sujet potentiel vis-à-vis de certains
agents déterminés, mais qui peut fonctionner comme sujet vis-à-vis
d’autres agents. Un exemple relatif au premier de ces deux cas consiste
en la création à partir du néant (en ce cas il manque un sujet potentiel
antérieur à la création elle même) ; du second cas relèvent les miracles,
qui selon le langage théologique traditionnel étaient désignés comme
potentia oboedentialis : redonner la vue à l’aveugle, ou faire ressusciter
un mort sont des événements qui ne procèdent pas du néant, mais à
partir de sujets qui ne sont pas naturellement en puissance par rapport à
eux.
Or - cela paraît déjà évident - ce qui est dit « impossible » selon
ces deux dernières acceptions (les deux figures de l’impossible
subiective) n’est pas de facto impossible pour Dieu : en fait, Dieu a créé
à partir du néant (en l’absence complète de possibilité subjective) et
peut faire que les créatures elles-mêmes soient en puissance de ce
envers quoi elles ne sont pas en puissance naturellement. Tout ce qui
est impossible subiective n’est donc pas impossible au sens absolu - ou
impossible simpliciter - parce que cela peut être fait par Dieu. Par
conséquent, est impossible simpliciter ce que même Dieu ne peut pas
faire, c’est-à-dire l’impossible obiective. A ce propos, Henri semble en
premier lieu postuler une certaine convertibilité ou réciprocité :
Non enim est impossibile simpliciter nisi quod est impossibile simpliciter
potenti [...]. Et illud est solummodo impossibile primo modo [scii.
obiective] ita quod nihil sit impossibile Deum agere, quin illud sit impossi­
bile fieri, et e converso nihil est impossibile fieri quin sit impossibile
Deum agere illud10.

Pourtant - poursuit Henri - on ne peut pas dire que Dieu ait la


puissance de faire ce qui est simplement impossible, et que, s’il ne le

10 HENRICUS DE GANDAVO, Quodl. VIII, q. 3 (Badius, 304vQ).


202 PASQUALE PORRO

fait pas, c’est parce que c’est impossible en soi. Au contraire il faut dire
que Dieu n ’a pas la puissance de le faire - de même qu’il n ’a pas la
puissance de pécher - et que ce type d’incapacité, selon une tradition
qui remonte au moins à Anselme de Cantorbéry, n ’indique pas un
défaut en Dieu, mais une perfection. De là découle la conclusion déjà
rappelée: il ne faut pas dire que Dieu ne peut pas faire l’impossible
simpliciter parce que ce dernier ne peut pas se réaliser, mais qu’il ne
peut pas se réaliser parce que Dieu ne peut pas le faire.
Ce qui a changé par rapport au Quodlibet VI, c’est donc la thèse
selon laquelle l’impossibilité, étant une privation, doit être attribuée
toujours et premièrement aux créatures secundum se : mais puisque
toute forme d’impossibilité subjective n’est nullement une impossibilité
(au moins elle ne l’est pas pour Dieu), il ne reste que l’impossibilité
objective, qui est en elle-même relative. Mais l’origine des relations -
c’est là la clef de voûte de la métaphysique exemplariste d’Henri - ne
peut être ailleurs qu’en Dieu : dans le cas contraire, la même puissance
de Dieu se heurterait à une limite extérieure, représentée par le fait qu’il
y aurait des choses que Dieu non plus ne pourrait pas faire. Mais tout
au contraire, c’est Dieu qui ne peut pas le faire, et cette limite est
purement intrinsèque : comme nous l’avons déjà vu, cela n ’indique pas
un défaut, mais une perfection, et cela permet de contourner la règle
qui, dans le Quodlibet VI, empêchait d’attribuer en premier à Dieu
quelque chose d’apparemment privatif. Quant à la solution précédente,
d’un côté le principe selon lequel en Dieu il n’y a aucune impuissance
subjective ou absolue s’avère respecté, mais de l’autre, on attribue à
Dieu une impuissance objective ou relative, ce qui dénote en réalité une
puissance (« nec est propter impotentiam aut defectum potentiae, sed
propter potentiae abundantiam, ut de talibus bene dicatur quod Deus
potenter non possit ea facere »). Dans cet oxymore (potenter non
potest) on reconnaît donc le propre de l’entreprise d’Henri, qui
demeure identique aussi bien dans le Quodlibet VI que dans le
Quodlibet V ili : c’est Dieu qui décide de ce qui est possible et de ce qui
ne l’est pas, de ce qui peut être constitué dans Vesse essentiae en tant
que res rata et de ce qui va demeurer au contraire impossible
simpliciter, absence totale d’une constitution formelle, pur néant. Pour
le dire encore autrement, c’est Dieu lui-même qui fonde positivement
un ordre au moyen des relations, et par conséquent il n ’y a aucun ordre
qui s’impose à lui en le contraignant à entrer dans une relation.
DUNS SCOT ET LE POINT DE RUPTURE AVEC AVICENNE 203

3. Il est presque mutile de rappeler comment, entre les deux


solutions proposées à deux différents moments, Scot trouve (modéré­
ment) préférable la première, ainsi qu’il le déclare lui-même dans la
dist. 43 (q. un.) du premier livre de Y Ordinatio :
Hic dicitur ab Henrico VT Quodlibet quaestione 3, - cuius oppositum,
manifeste, quaere VIII Quodlibet quaestione 3. Contra istam secundam
sententiam, sive sit dicta retractando primam sententiam de isto articulo,
sive sit dicta ut retractata per primam, - non oporteret tamen arguere
contra eum nisi ex verbis suis propriis, quae implicant manifeste oppo­
sita11.

La raison pour laquelle Scot peut qualifier la thèse du Quodlibet


V ili ut retractata per primam demeure pour nous un mystère sur lequel
il ne vaut peut être pas la peine de s’arrêter. Ce qui doit être remarqué
ici, c’est que Scot n ’est d’accord avec la position adoptée par Henri
dans le Quodlibet VI qu’en ce qui concerne l’origine de l’impossibilité,
et que cet accord s’avère également partiel. En effet, comme l’impossi­
bilité d’une res, sa possibilité même dérive selon Scot de sa nature
formelle, quoiqu’elle dépende aussi de l’entendement divin en tant que
principe : comme le dit l’énoncé commun, pour Scot les choses sont
possibles formaliter en elles-mêmes, mais elles dépendent principiative
de l’entendement divin12. Plus précisément : face à Henri, Scot conteste
la thèse selon laquelle la possibilité des essences dépend directement de
la toute-puissance divine. Par contre, il faut distinguer deux moments
différents (qui ne sont évidemment que des instants de nature, et non
des phases réellement successives) : au premier moment, les choses
sont produites par l’entendement divin ; au deuxième, elles se
constituent en possibles parce qu’il n ’y a en elles aucune répugnance
formelle par rapport à l’être même. En ce sens, la possibilité des choses
suit l’entendement divin, mais précède sa toute-puissance en tant que
puissance active (et non pas évidemment en tant que perfection

11 DUNS SCOTUS, Ord. I, d. 43, q. un., n. 3 (Vat. VT, 352,6-353,4).


12 Cf. DUNS SCOTUS, Ord. I, d. 43, q. un., n. 17 (Vat. VI, 360,9-14) : « Sic ergo
impossibilitas prima est formaliter ex parte impossibilis et principiative in Deo ; et si
principiative reducatur ad aliquid, non tamen reducitur ad negationem possibilitatis in
Deo : immo reducitur principiative ad intellectum divinum, principiantem illud in illo
esse in quo partes illae formaliter repugnant, propter quam formalem repugnantiam
totum ex eis est simpliciter impossibile ».
204 PASQUALE PORRO

absolue). En ce qui concerne 1’ « impossible », il est pour Scot un


figmentum constitué par deux ou plusieurs entités positives, chacune
d’elles est possible en elle-même, mais est telle qu’elle ne peut être
combinée avec telle autre entité dans l’unité d’un seul être. En d’autres
termes, l’impossible est une tentative de concilier deux notions
incompatibles. Ainsi, si l’on cherche la raison profonde de l’impossibi­
lité d’une telle chose, il faut la trouver en définitive dans la nature
formelle des deux éléments que l’on cherche à composer - c’est à dire
dans leur incompossibilité réciproque13. Même à propos de l’impossibi­
lité, l’on peut dire qu’elle dérive formellement des choses elles-mêmes
(en tant qu’elle sont incompossibles) et principiative de Dieu (en tant
que Dieu produit dans l’être intelligible des choses différentes et
possibles en elles-mêmes) : et même à ce propos, il n’est pas nécessaire
d’avoir recours à quelque relation que ce soit, comme par exemple
lorsqu’on fait l’hypothèse qu’il y ait, en Dieu, un respectus négatif.
Au delà des détails, le nœud de la solution scotiste consiste à
maintenir que les choses (les essences) ne sont pas immédiatement
produites par Dieu en tant que possibles parce qu’elle sont pensées ;
elles sont d’abord produites par Dieu dans leur être intelligible, et
ensuite, elles se constituent de façon autonome (ou se manifestent) en
tant que possibles sur la base de leur nature propre. S’il en est ainsi, la

13 Cf. DUNS SCOTUS, Ord. I, d. 43, q. un., n. 16 (Vat. VI, 359,8-360,8) : « Quod
intelligo sic : ‘impossibile simpliciter’ includit incompossibilia, quae ex rationibus
suis formalibus sunt incompossibilia, et ab eo sunt principiative incompossibilia, a
quo principiative habent suas rationes formales. Est ergo ibi iste processus, quod sicut
Deus suo intellectu producit possibile in esse possibili, ita producit duo entia
formaliter (utrumque in esse possibili), et illa ‘producta’ se ipsis formaliter sunt
incompossibilia, ut non possint simul esse unum, neque aliquid tertium ex eis, hanc
autem incompossibilitatem, quam habent, formaliter ex se habent, et principiative ab
eo - aliquo modo - qui ea produxit. Et istam incompossibilitatem eorum sequitur
incompossibilitas totius figmenti, includentis ea, et ex ista impossibilitate figmenti in
se et ex incompossibilitate partium suarum est incompossibilitas eius espectu
cuiuscumque agentis ; et ex hoc habet compleri totus processus impossibilitatis rei,
quasi ultimus gradus incompossibilitatis vel impossibilitatis sit negatio respectus ad
quodcumque agens. Nec oportet habere aliquem respectum negativum ex parte Dei,
nec ex parte cuiuscumque alterius (nec est aliquis, forte, in natura rei), licet intellectus
possit comparare Deum - vel aliud agens - ad istud sub negatione respectus ».
DUNS SCOT ET LE POINT DE RUPTURE AVEC AVICENNE 205

distance par rapport à Henri de Gand remonte à la source, c’est à dire à


la description du procédé de constitution des essences des créatures.
4. Selon le schéma d’Henri, la connaissance que Dieu a de ce qui
est différent de lui coïncide avec la connaissance des différentes façons
dont Lui-même se considère comme imitable par les créatures. Partant,
Henri utilise des termes semblables à ceux dont usait Thomas d’Aquin :
les idées divines sont les différentes relations d’imitabilité (respectus
imitabilitatis)14 par lesquelles l’essence divine s’ouvre à la connais­
sance de ce qui est autre qu’elle sans qu’il soit nécessaire d’admettre
une pluralité de contenus objectifs réels. Aux idées divines correspon­
dent ensuite, en tant qu’objets noétiques secondaires, mais en tout cas
selon une correspondance bi-univoque15, les essences des créatures. On
peut dire - et il s’agit sans aucun doute de l’un des traits les plus
originaux de la structure de l’intelligible selon Henri - que la connais­
sance divine se déploie à deux niveaux, mais en trois moments diffé­
rents, du moment que le deuxième niveau s’articule en deux phases
distinctes. En effet, selon Henri, la science divine a un double objet : un
objet premier et principal (c’est-à-dire l’essence divine même,
absolument simple et indivisible) et un objet secondaire, qui est déjà de
quelque façon autre que Dieu (l’essence divine envisagée en tant
qu’imitable de différentes façons par les créatures, c’est-à-dire connue
par rapport aux essences des créatures possibles). Mais la connaissance
de cet objet secondaire se subdivise à son tour - nous l’avons vu - en

14 Cf. HENRICUS DE GANDAVO, Quodl. VIII, q. 1 (Badius, 299vB-300rB) :


« Sed ut cognoscendo suam essentiam cognoscat illa distincte secundum distinctio­
nem quam habent inter se oportet quod cognoscat suam essentiam ut imitabilem ab
illis, et secundum hoc sua essentia habet rationem ideae, ut idea nihil aliud sit quam
ipsa divina essentia sub ratione respectus imitabilitatis qua alia a se nata sunt eam
imitari. » ; Quodl. IX, q. 2, ed. R. Macken ( 0 0 XIII, 28,72-29,81) : « Illa autem ratio
in divina essentia, secundum quam sua essentia est ratio qua cognoscit alia a se, nihil
aliud est quam imitabilitas qua ab aliis imitetur, quam vocamus ideam [...]. Et per hoc
secundum actum habet ratio illa esse in essentia ex consideratione intellectus circa
eam, in comprehendendo eam sub ratione imitabilis. Ut secundum hoc idea nihil aliud
sit de ratione sua formali quam respectus imitabilitatis ex consideratione intellectus in
ipsa divina essentia ».
15 Cf. HENRICUS DE GANDAVO, Quodl. IX, q. 2 ( 0 0 XIII, 33, 95-96) : « ...
Oportet in Deo ponere tot respectus imitabilitatis sive ideas, quot sunt species
specialissimae rerum illarum quarum sunt ideae... ».
206 PASQUALE PORRO

deux moments : au premier moment, toute essence est encore considé­


rée comme coïncidant avec l’essence divine, dont elle n ’exprime juste­
ment qu’un simple respectus imitabiîitatis ; au second moment, au con­
traire, elle est considérée de façon distincte, comme pourvue d’un mode
d’être spécifique - Yesse essentiae - qui pourtant dérive de sa relation
de participation formelle à l’essence divine, c’est-à-dire du fait que
Dieu la pense comme possible. Selon le lexique d’Henri, ces deux
derniers moments déterminent respectivement Yexemplar (l’idée
divine) et Yexemplatum ou ideatum, l’essence pleinement constituée
dans son contenu quidditatif, apte à être actualisée. Les exemplata sont
donc des objets doublement secondaires de la connaissance divine, qui
semblent en tant que tels aptes à être pourvus d’un être intelligible très
faible. En d’autres termes, de même que tous les autres contenus
mentaux, les essences constituées dans leur être essentiel sont des entia
diminuta, mieux - il faut l’avouer - des entia doublement diminuta. Il
faut cependant rappeler que l’entendement divin n’a pas les mêmes
caractéristiques que le nôtre : en effet, afin de connaître quelque chose,
notre entendement requiert d’être informé (per speciem) par ses
contenus mêmes, tandis que l’entendement divin en est la cause. La
conséquence est ici que l’existence mentale des contenus dans
l’entendement divin n ’est pas comparable à celle dont ils sont doués
dans notre entendement : en effet, l’entendement humain ne peut pas
actualiser ces contenus ; alors que Dieu peut donner à ce qui est
constitué formellement en tant qu’essence et nature non seulement
l’être cognitif, mais aussi l’être actuel16.
5. A cette tripartition du procédé de production des essences, Scot
oppose aussi bien dans Y Ordinatio que dans la Reportatio Parisiensis
I-A un schéma essentiellement quadripartite. Au premier moment ou
instant de nature, Dieu se pense lui-même de manière absolue ; au

16 Cf. HENRICUS DE GANDAVO, Quodl. IX, q. 2 ( 0 0 XIII, 31, 44-52) : « ... Ista
eadem entia respecta entis quod Deus est, sunt diminuta entia, non tamen sic diminuta
sicut sunt entia operata ab intellecta nostro, quia illa nullo modo nata sunt habere
aliquod esse verum extra intellectum praeter esse cognitum quod habent in intellecta.
Ista autem non sunt sic diminuta respectu entis quod Deus est, et existentia in esse
cognito, quin in illo esse sint aliquid ad se per essentiam, quod natum est, Deo
efficiente, etiam existere extra divinum intellectum praeter esse cognitam, in esse
existentiae quod est esse verum et perfectum ».
DUNS SCOT ET LE POINT DE RUPTURE AVEC AVICENNE 207

deuxième, il produit les choses dans l’être intelligible, de sorte qu’il


puisse y avoir une relation des objets ainsi produits à l’entendement
divin. Au troisième moment, l’entendement divin peut probablement se
rapporter et se comparer aux intelligibles et causer en lui-même une
relation de raison avec eux ; au quatrième, de quelque manière que ce
soit {quasi : nouveau adverbe de prudence), il peut réfléchir sur cette
relation et la connaître en tant que telle :
Hoc potest poni sic : Deus in primo instanti intelligit essentiam suam sub
ratione mere absoluta; in secundo instanti producit lapidem in esse intel­
ligibili et intelligit lapidem, ita quod ibi est relatio in lapide intellecto ad
intellectionem divinam, sed nulla adhuc in intellectione divina ad lapidem,
sed intellectio divina terminat relationem ‘lapidis ut intellecti’ ad ipsam; in
tertio instanti, forte, intellectus divinus potest comparare suam
intellectionem ad quodcumque intelligibile ad quod nos possumus compa­
rare, et tunc comparando se ad lapidem intellectum, potest causare in se
relationem rationis; et in quarto instanti potest quasi reflecti super istam
relationem causatam in tertio instanti, et tunc illa relatio rationis erit co­
gnita17.

L’originalité de cette approche par rapport à toute la tradition des


métaphysiques exemplaristes a été déjà reconstituée de manière
exhaustive par les études de L. Honnefelder, T. Noone, O. Boulnois et
T. Hoffmann18 ; c’est pourquoi il serait tout à fait superflu de l’exa­
miner dans son détail. Peut-être suffira-il de rappeler les deux pivots
essentiels sur lesquels s’articule la stratégie de Scot.
a. II est tout à fait inutile et infondé d’avoir recours au modèle des
relations afin d’expliquer la modalité de l’accès divin à la connaissance
de ce qui est autre que lui. Selon Scot, il faut ici intervertir l’ordre

17 DUNS SCOTUS, Ord. I, d. 35, q. un., n. 32 (Vat. VI, 258, 4-15).


18 Cf. L. HONNEFELDER, Scientia transcendens. Die formale Bestimmung der
Seiendheit und Realität in der Metaphysik des Mittelalters und der Neuzeit (Duns
Scotus - Suárez - W oljf- Kant - Peirce), Hambourg, Meiner, 1990 (Paradeigmata) ;
T. NOONE, « Scotus on Divine Ideas : Rep. Paris. I A, d. 36 », Medioevo 24 (1998),
pp. 359-453 ; O. BOULNOIS, Être et Représentation. Une généalogie de la méta­
physique moderne à l'époque de Duns Scot, Paris, PUF, 1999 (Epiméthée) ; T.
HOFFMANN, Creatura intellecta. Die Ideen und Possibilien bei Duns Scotus mit
Ausblick auf Franz von Mayronis, Poncius und Mastrius, Münster, Aschendorff, 2002
(Beiträge zur Geschichte der Philosophie und Theologie des Mittelalters, NF 60).
208 PASQUALE PORRO

établi entre connaissance et relation : aucune relation ne précède


l’objectité immédiate des idées (comme le dit la Reportatio Parisiensis
I A, «nulla intellectio comparativa praecedit intellectionem simpli­
cem »). Si notre entendement n ’a besoin d’aucune relation de raison
pour connaître les choses, dans la mesure où il est informé directement
par l’espèce de la chose elle-même, pourquoi ne devrait-on pas
concéder que même l’entendement divin (qui d’ailleurs est la cause de
ses contenus, et n ’en est pas informé) peut connaître ses propres objets
directement secundum se et sans aucune relation intermédiaire ?19
Néanmoins, si les choses sont produites et connues, ce n’est pas parce
que Dieu, en tant qu’imitable, se met en relation avec les créatures ;
tout au contraire, elles ne peuvent être en relation avec Dieu (et donc
Dieu ne peut être en relation avec elles) qu’après la production des
choses dans leur être intelligible. Autrement dit encore, ainsi que nous
l’avons vu à travers le schéma rappelé précédemment, Dieu ne produit
pas les choses en se connaissant. Il produit d’abord les idées, puis il se
connaît comme producteur : l’acte de production des intelligibles
précède tout acte réflexif ou relationnel. En ce sens, comme l’a écrit
Olivier Boulnois, on peut dire que chez Scot la production des
intelligibles « bascule hors du divin »20 : les intelligibles sont
immédiatement posés dans leur être cognitif ou objectif par l’essence
divine, sans qu’elle doive réfléchir sur elle-même afin de se mettre en
relation avec eux (« Sola ergo essentia est principium repraesentandi ea
distincte et determinate sine quocumque respectu »)21.

19 Cf. DUNS SCOTUS, Rep. par. I A, d. 36, n. 41 (ed. Noone, 411-412) : « Quando
enim cognosco album per speciem albedinis, non oportet prius illam speciem referri
respectu rationis ad album quam cognoscam album per talem speciem. Quia tunc
numquam possem cognoscere albedinem nisi prius compararem speciem eius ad
ipsam, quod est inconveniens. Quia tunc actus reflexus praecederet actum rectum et
prius compararem ad absolutum quam illud cognoscerem. Species igitur albi ducit in
cognitionem eius sine omni respectu praecedente vel sequente ad talem actum. Sive
igitur aliquid intelligatur per aliud ut per obiectum cognitum sive per rationem
cognoscendi sive per actum intelligendi, non oportet prius ad aliud comparari quam
illud secundum se intelligatur ».
20 BOULNOIS, Être et représentation, op. eit, p. 415.
21 DUNS SCOTUS, Rep. par. I A, d. 36, n. 49 (ed. Noone, 415, 21-22). La non­
existence de relations de raison comme fondement de la constitution des essences est
démontrée par Scot même par un argument plus complexe : pour le Docteur Subtil
DUNS SCOT ET LE POINT DE RUPTURE AVEC AVICENNE 209

Pour l’instant, il suffit de remarquer de quelle façon se déploie ici


une rupture décisive avec la tradition avicennienne : le nœud de la
métaphysique émanationniste d’Avicenne consiste à dire que l’Un ou
necesse esse fraye le chemin au surgissement de la multiplicité à
travers les relations qui en découlent.
b. Adopter le système des relations, non seulement contredit tout
principe d’économie, mais est aussi fourvoyant et dangereux - c’est là
pour Scot le deuxième point essentiel. La théorie des respectus
imitabilitatis d’Henri présuppose, au moins selon l’interprétation de
Scot, que l’essence de la créature soit le fondement d’une relation
étemelle avec l’entendement divin : en tant que telle, et justement parce
qu’elle se trouve à l’intérieur d’un tel respectus, l’essence parviendrait
à acquérir un vrai être réel (yesse essentiae, justement). Mais de cette
façon, les créatures seraient pourvues d’un être réel avant même d’être
actualisées, et la création elle-même n’aurait plus lieu à partir du néant
absolu. La dist. 36 de V Ordinatio est ainsi entièrement consacrée à une
sévère critique de la doctrine de Y esse essentiae, qui détruirait l’idée
d’une création ex nihilo, rendrait incompréhensible la possibilité d’une
annihilatio et subordonnerait Dieu même à un ordre de nature, en un
certain sens prédéfini (il faut envisager, en effet, que la correspondance
biunivoque entre les idées et les essences mène Henri à postuler la
finitude des idées divines, alors que le Dieu de Scot est infini justement
dans la mesure où il est capable de représentations infinies).

cela est déterminé par le fait que Henri lui-même semble comprendre les rapports
entre les créatures et Dieu (même) dans le domaine de la troisième classe
aristotélicienne des relations (c’est-à-dire, cette classe de relations selon laquelle l’un
des deux termes ne se réfère à l’autre qu’en tant que le premier se réfère à lui, et
fonde la possibilité même de son être relatif). Une telle relation est celle qui s’instaure
entre la mesure et ce qui est mesuré ou entre l’activité noétique et son objet. Mais du
fait que, dans ce cas, la relation n’est pas vraiment réciproque il est inévitable que ce
qui constitue le terme de la relation elle-même soit quelque chose d’absolu (en effet,
la connaissance dépend réellement de la présence de l’objet, mais ce dernier - pour
Aristote et les médiévaux - ne dépend pas de la présence de l’entendement). Quant à
la relation qui est entre l’entendement divin et les essences, l’ordre se renverse parce
que ce sont les objets qui dépendent de la science divine : ainsi, c’est la science de
Dieu qui s’institue en terme absolu, et nullement en terme relatif (cf. Ord. I, d. 35, q.
un., n. 27, Vat. VI ; Rep. I A, d. 36, n. 10, ed. Noone, 416).
210 PASQUALE PORRO

Il y a néanmoins quelque chose de paradoxal dans cette double


critique scotiste contre la métaphysique d’Henri. D ’une part, on repro­
che à Henri de ne pas sauvegarder assez l’autonomie des créatures,
dans la mesure où tout type d’être créaturel se trouve interprété comme
une sorte de relation et de dépendance (et pour Scot il n ’est pas
admissible qu’une relation puisse être antérieure à son fondement,
conformément au principe selon lequel « quod nihil est ad se, nihil est
ad aliud»)22 et dans la mesure où l’on ne fait pas dépendre la
possibilité des choses de leur constitution formelle, mais du respectus
qu’elles entretiennent par rapport à Dieu. D ’autre part, au contraire, on
reproche à Henri de garantir une autonomie excessive aux créatures, et
de les doter par conséquent d’un être essentiel nécessaire et étemel.
Bref, tout se passe comme si Scot accusait Henri de pécher en même
temps par défaut et par excès, et de concéder trop et trop peu aux
créatures.
Cette double attitude se fait plus claire si l’on se réfère au fait que
Scot entend Y esse essentiae comme un être réel distingué de l’être
intelligible, objectif et cognitif, dans lequel Dieu produit les essences.
Pour Henri, par contre, Y esse essentiae désigne justement les essences
comme des entia diminuta ; c’est pourquoi il ne s’agit que d’une forme
d’être mental, même si cet être entretient une relation avec un
entendement qui est capable - nous l’avons vu - d’actualiser ses
contenus (dans le seul genre d’être admis par Henri). Si on le sépare de
Y esse intelligibile, l’on n’est plus en mesure de comprendre ce qu’est
l’esse essentiae, et l’on finit par l’envisager comme un simple doublet
étemel de l’esse existentiae. A l’évidence, c’est cette dissociation qui
rend possible pour Scot l’utilisation d’expressions qui, dans le lexique
d’Henri, n ’ont aucun sens, comme par exemple au cas où, dans la dist.
36 du I livre de YOrdinatio, on lit que Dieu peut penser depuis
l’éternité une pierre au moyen d’une intellectio realis et metaphysica,
et non logica, sans que toutefois la pierre soit une essence ou bien une
existence (« nec tamen plus sequitur - ex hoc - de lapide quod sit
essentia quam exsistentia »)23.

22 D’ailleurs, Henri lui-même concède sans difficulté le même principe (cf. Quodl.
IX, q. 1).
23 DUNS SCOTUS, Ord. I, d. 36, q. un., n. 53 (Vat. VI, 292, 6-8).
DUNS SCOT ET LE POINT DE RUPTURE AVEC AVICENNE 211

Mais il y a plus. Chez Henri l’esse essentiae indique que quelque


chose est constitué en tant que pensé ou « ratifié » par Dieu ; comme
nous l’avons déjà vu, Scot rejette cette ratification extérieure de la
possibilité des choses de la part de Dieu. En réalité, pour Scot - ainsi
que L. Honnefelder l’a très bien montré - les étants ont une double
ratitudo : la première est relative à l’existence actuelle, qui dépend
réellement de Dieu ; et la seconde relative à leur constitution formelle,
et dépend au contraire de la simple non-contradiction ou non
répugnance des étants par rapport à l’être. Ce qui implique que chez
Scot il faut admettre, au-delà de la possibilité réelle, un niveau
ultérieur, celui de la possibilité logique. La façon dont cette possibilité
logique se rapporte à la production divine des intelligibles n’est pas
facile à déterminer, et c’est pour cette seule raison qu’une telle question
demeure l’un des points les plus délicats de la tradition scotiste (il suffit
de rappeler à ce propos la divergence entre Poncius et Mastrius, qui a
été fort bien reconstituée par S. Sousedik et T. Hoffmann)24. Car Scot
s’avère attentif aussi bien à préciser que la possibilité même ne précède
pas la constitution des créatures dans l’être intelligible (il n’est rien
d’intelligible qui précède l’intellection), qu’à affirmer que la possibilité
est quand même indépendante, en tant que pure non-contradiction, de la
pensée divine. La possibilité logique, prise comme non répugnance par
rapport à l’être, définit ainsi un domaine autonome, neutre, dépourvu
en lui-même de tout être et même indifférent à l’être (en acte).
On a souvent tenté de trouver en ce domaine l’accomplissement
parfait de la doctrine avicennienne de l’indifférence des essences,
résumée par le slogan trop connu equinitas est equinitas tantum. Mais
là se cache une véritable méprise essentielle, parce que la vraie théorie
de l’indifférence des essences implique aussi bien chez Avicenne (ainsi
que l’a montré de façon excellente A. de Libera dans son livre L ’art des
généralités)25 que chez Henri de Gand (j’ai essayé de le montrer

24 Cf. St. SOUSEDÍK, « Der Streit um den wahren Sinn der scotischen Possibilien-
lehre », in John Duns Scotus. Metaphysics and Ethics, eds. L. Honnefelder - R. Wood
-M . Dreyer, Leiden, Brill, 1996 (STGMA, 53), pp. 191-204 ; HOFFMANN, Creatura
intellecta, op. cit.
25 Cf. A. DE LIBERA, L ’art des généralités. Théories de l ’abstraction, Paris,
Aubier, 1999, pp. 499-607.
212 PASQUALE PORRO

ailleurs)26 quelque chose de radicalement différent, et même quelque


chose de tout à fait opposé : cette théorie n’implique pas l’existence
d’un domaine d’essences neutres et indifférentes par rapport à l’être
physique ou mental, mais la conviction que toute essence existe tou­
jours ou bien dans la réalité extérieure ou bien dans l’être mental,
même si elle peut être envisagée en faisant abstraction de ses condi­
tions universalisantes ou individualisantes. La métaphysique de Scot
admet de cette façon la dissociation possible entre res et ens27, alors
que celle d’Avicenne se fonde, contre les mu’tazilites, sur l’absolue
coextensivité et sur l’indissociabilité de la res et de Verts. Telle que la
conçoivent Avicenne et Henri, la théorie de l’indifférence des essences
implique d’ailleurs qu’il n’existe pas de contenus objectifs sans
porteurs ; au contraire, Scot admet que la distinction entre le possible et
l’impossible se donne même en l’absence d’un porteur, c’est-à-dire en
l’absence de quelqu’un qui pense de tels contenus, et même dans le cas
où Dieu n’existerait pas28. En ce sens, dans la mesure où Scot remplace
la théorie des idées par une « pure strate de l’objectité », ainsi que la
définit Olivier Boulnois29, et admet que si les essences sont produites,
les vérités restent également immuables30, sa pensée pourrait
véritablement être approché de celle de Meinong ou Frege : mais
justement pour cette raison, c’est à dire dans la mesure où il admet
réellement un drittes Reich d’objets indépendants de la pensée en acte
et de la réalité physique, il s’éloigne décidément d’Avicenne.
6. D ’après ce qu’on a vu jusqu’ici, le tournant de Scot par rapport
à la pensée d’Henri se joue entièrement sur le terrain des relations :
Scot renonce aux relations aussi bien en tant que modèles explicatifs de

26 Cf. P. PORRO, « Universaux et esse essentiae : Avicenne, Henri de Gand et le


‘troisième Reich’ », in Le réalisme des universaux. Philosophie analytique et
philosophie médiévale. Actes du Colloque de Caen, 28 février - 2 mars 2001), ed. S.
Chauvier, Cahiers de philosophie de l ’Université de Caen 38-39 (2002), pp. 9-51.
27 Cf. BOULNOIS, Être et représentation, op. cit., pp. 448-449.
28 Cf. DUNS SCOTUS, Ord. I, d. 43, q. un , n. 5 (Vat. VI, 353, 14-354, 1) : « Illud
ergo est simpliciter impossibile cui per se repugnat esse, et quod ex se primo est tale
quod sibi repugnat esse, - et non propter aliquem respectum ad deum, affirmativum
vel negativum ; immo repugnaret sibi esse, si per impossibile Deus non esset ».
29 Cf. BOULNOIS, Être et représentation, op. cit., p. 438.
30 Cf. BOULNOIS, Être et Représentation, op. cit., p. 444.
DUNS SCOT ET LE POINT DE RUPTURE AVEC AVICENNE 213

la connaissance divine, qu’en tant que structure ou signe distinctif de


l’être de la créature {esse essentiae en même temps qu’esse
existentiaé). Mais ici beaucoup de choses dépendent de la manière dont
Henri et Scot interprètent la relation elle-même. Même dans ce cas - je
l’ai indiqué d’avance - selon Scot, Henri aurait maintenu deux thèses
différentes « quae videntur quasi contraria »31, au point que ses lecteurs
restaient dans la plus complète hésitation (« sic igitur diversimode
loquitur de hac materia in diversis locis, et qui magis laboraverit ad
intelligendum eum, in fine erit magis incertus »)32. En réalité, Scot
semble ne pas s’apercevoir du fait que Henri n’utilise pas relatio et
respectus comme synonymes, ce qui impose évidemment ime plus
grande prudence terminologique. Mais d’autre part la discordance des
textes d’Henri n’élimine et ne résout pas pour Scot le problème de
fond : dans les deux cas Henri continue à penser la relation comme un
modus, et non pas comme une res.
À l’évidence, l’examen détaillé des positions d’Henri et de Scot à
propos de la relation ouvrirait un chapitre trop vaste ; je me bornerai
donc à observer que, même sur ce sujet, l’écart par rapport à Henri est
en même temps un écart par rapport à Avicenne. La théorie d’Henri sur
la relation s’appuie fondamentalement sur Avicenne. Il suffira de
rappeler ici que pour Avicenne (je me réfère ici principalement au
développement contenu dans le chapitre 10 du livre III de la Méta­
physique du Kitâb al-Shifâ’), la relation n ’est pas quelque chose de réel
entre les deux extrêmes qui entrent dans la relation même, mais dépend
de différentes propriétés présentes dans chacun des deux extrêmes.
Pour en rester à l’exemple même d’Avicenne, si le cygne est aussi
blanc que la neige, cela n’implique pas que la blancheur soit quelque
chose qui existe de quelque façon entre le cygne et la neige et qui les
mette en rapport : il ne faut considérer, au contraire, que deux choses
distinctes, douées de propriétés distinctes (la blancheur du cygne n’est
pas numériquement identique à la blancheur de la neige) qui permettent
d’instaurer la relation elle-même. En d’autres termes, la relation n’est
pas une troisième chose existant au delà des choses relatives et qui
s’ajoute à elle, mais c’est le caractère même de relativité (ad aliud,
respectus, intentio selon le lexique de VAvicenna Latinus) que l’un des

31 DUNS SCOTUS, Ord. II, d. 1, q. 5, n. 192 (Vat. VII, 96, 4-6).


32 DUNS SCOTUS, Lect. II, d. 1, q. 5, n. 183 (Vat. XVII, 61,1-3).
214 PASQUALE PORRO

extrêmes entretient avec l’autre. Il faut comprendre que la relation


atteint un double être : un être accidentel absolu (esse absolutum, esse
in alio) qui se réfère au sujet dans lequel il se trouve, et un être relatif
au sens strict (esse respectivum, esse ad aliud) qui désigne l’intention­
nalité envers l’autre. Cette doctrine est reprise et développée par Henri
aussi bien dans la q. 4 du Quodlibet IH que dans la q. 12 du Quodlibet
V : la relation a en propre de posséder un être accidentel (comme res
fundamenti) et un être intentionnel tourné vers quelque chose d’autre
(respectus), et en ce sens l’on peut dire que la relation est res
fundamenti cum respectu (ou comme l’entend Scot : « res cui convenit
in alio esse, non absolute sed in respectu ad aliud »). Dans la q. 3 du
Quodlibet IX, où d’après Scot aurait eu lieu la rupture par rapport à la
tradition précédente, Henri semble au contraire définir la relation
comme respectus characterizatus. Or, comme l’a bien montré J.
Decorte33, le nœud avicennien de la définition de la relation n ’a pas
vraiment changé ; ce qui a été modifié n’est que la description verbale
extérieure, empruntée cette fois au Commentaire des Catégories de
Simplicius qui était depuis peu accessible en latin dans la version de
Guillaume de Moerbeke. Mais Simplicius lui-même avait défini la
relation comme une catégorie composée de character (fondement) et
aponeusis pros heteron, c’est à dire tension, tendance envers autre
chose. Tout en adaptant la terminologie différente, Henri ne renonce
pas, après la lecture de Simplicius, à la thèse de la duplicité de l’être
des relations : si Vesse ad aliud continue d’être indiqué par le terme
respectus (qui peut rendre aussi aponeusis), Y esse in alio, au contraire,
va être indiqué par un renvoi au character. Et de là dérive justement le
syntagme respectus characterizatus. D ’ailleurs, toujours selon une
optique de continuité avec la doctrine avicennienne, Henri continue à
maintenir que fondement et relation ne sont pas distincts réellement,
mais seulement intentionnellement. Cela signifie, que sur la base de la
définition avicennienne, la relation est une intention qui appartient à la
chose relative elle-même, lui est intrinsèque et indépendante de tout
ajout et facteur externes. La possibilité des relations se fonde sur le fait
qu’une certaine note intentionnelle d’une chose est déjà en elle-même
tournée vers quelque chose d’autre ; et c’est pourquoi Henri peut

33 Cf. J. DECORTE, « Avicenna’s Ontology of Relation. A Source of Inspiration


to Henry of Ghent », in Avicenna and His Heritage, op. cit., pp. 197-224.
DUNS SCOT ET LE POINT DE RUPTURE AVEC AVICENNE 215

concevoir l’univers entier comme le résultat d’une série de relations


constitutives. Dieu est essentiellement pourvu d’une ouverture inten­
tionnelle envers la réalité créée (sans envisager ici les relations
trinitaires), ce qui fait que les créatures elles-mêmes se constituent à
leur tour comme des relations au Créateur. Et c’est cette même nature
relative des essences qui fonde leur ordre : s’il n’y avait cette ouverture
intentionnelle, il ne pourrait y avoir aucun ordre. Ici, l’on peut sans
doute remarquer la divergence de fond entre Scot et Henri : pour Scot,
les essences des créatures sont essentiellement neutres par rapport à
tout ordre ; les relations entre elles (et aussi entre elles et le Créateur)
sont en quelque façon postérieures et secondaires. D’après Henri, les
essences se constituent selon leur nature originairement relative même,
et selon un ordre déterminé : au moment où elles sont établies en tant
qu’essences, les choses se déploient dans une série de rapports qui
définit la structure métaphysique de l’univers. Quoiqu’on ait l’habitude
de penser le contraire, pour Henri de même que pour Avicenne, il n’y a
aucune véritable indifférence des essences par rapport à l’être (quel que
soit le type d’être) : les essences sont toujours déjà en relation, et la
relation définit leur être. Si l’on veut concevoir les essences comme
neutres et indifférentes, on ne peut le faire qu’abstraitement, c’est à dire
en les concevant dans leur relation exclusive à elles-mêmes. Ici aussi,
la version de la doctrine de l’indifférence des essences maintenue par
Avicenne et Henri est radicalement différente de celle maintenue
ensuite par Scot.
7. Jusqu’ici, donc, la confrontation polémique de Scot avec les
thèses d’Henri a permis de relever aussi - me semble-t-il - un éloi­
gnement consistant de Scot vis-à-vis de la tradition métaphysique
avicennienne. Cependant, on pourrait remarquer qu’au moment où
Gilson écrivait son très influent article sur Avicenne et le point de
départ de Scot, il ne songeait pas aux aspects que je viens d’envisager,
mais à autre chose, c’est à dire à la théorie de la connaissance et surtout
au choix avicennien de faire de l’étant en tant qu’étant le subiectum de
la métaphysique. Est-ce donc à ce niveau, c’est à dire autour de la
question de l’univocité de l’étant, et en dépit des dissonances
envisagées jusqu’à maintenant, que l’on devrait retrouver la continuité
entre Avicenne et Duns Scot? A vrai dire, il est déjà extrêmement
problématique d’établir si Avicenne comprend le concept d’étant
comme univoque ou bien analogue, simplement parce que ce problème
semble n’être jamais posé explicitement à propos du rapport entre le
necesse esse et les autres étants (abstraction faite de la question du
216 PASQUALE PORRO

rapport entre substance et accidents). Mais ce n’est pas le moment de


faire ressurgir ime question interprétative d’une si grande portée.
Certes, ainsi qu’on le lit au début de la Métaphysique, la considération
de l’étant en tant qu’étant inclut aussi la considération de l’existence de
l’étant nécessaire et de la cause première - et en ce sens l’étant précède
et englobe le divin. Néanmoins, si l’on ne s’arrête pas au premier
chapitre de la première maqâla, on remarque une structure très
semblable à celle qui a été utilisée successivement par Thomas d’Aquin
et Henri de Gand : la métaphysique se règle sur l’articulation entre ime
acception positive et une acception négative de l’immatérialité (ou de
l’être-séparé). Cette articulation se fonde à son tour sur la distinction,
tout à fait capitale au sein de l’entreprise avicennienne, qui subsiste
entre ce qui peut être envisagé cum condicione non rei alterius et ce qui
peut être envisagé non cum condicione rei alterius. Ainsi, alors que
Dieu est esse exspoliatum non condicione affirmandi (c’est-à-dire cum
condicione non addendi compositionem - à condition de ne rien
ajouter), Yens commune s’avère indéterminé condicione negandi
(savoir, non condicione additionis - non à condition d’être considéré
avec ce qui l’accompagne)34. Il s’agit là justement et précisément de
l’horizon à l’intérieur duquel Thomas propose la question du sujet de la
métaphysique dans son Commentaire au De Trinitate de Boèce35, et en

34 Cf. AVICENNA LATINUS, Liber de philosophia prima sive scientia divina, V-X,
ed. S. Van Riet, Introduction doctrinale par G. Verbeke, Louvain-Leiden, Peeters-
Brill, 1980, Vm, c. 4, pp. 402,11. 48-60 : « Primus igitur non habet quidditatem, sed
super habentia quidditates fluit esse ab eo ; ipse igitur est esse exspoliatum,
condicione negandi privationes et ceteras proprietates ab eo. Deinde cetera alia quae
habent quidditates sunt possibilia, quia habent esse per ipsum. Intentio autem de hoc
quod dicimus quod ipse est esse exspoliatum condicione negandi ceteras additiones
ab eo, non est quod ipse sit esse exspoliatum in quo communicet aliquid aliud esse, si
fuerit esse cuius haec sit proprietas : ipse enim non est illud ens exspoliatum condi­
cione negandi, sed est ens non condicione affirmandi, scilicet de primo, quod est ens
cum condicione non addendi compositionem, sed hoc aliud est ens non condicione
additionis, et, quia illud fuit universale quod praedicatur de omni re, istud vero non
praedicatur de eo in quo est additio, ideo in omni quod est praeter illud est additio ».
35 Sur ce sujet, je me permet de renvoyer à P. PORRO, « Tommaso, Avicenna e la
struttura della metafisica », à paraître dans les Actes du Colloque Tommaso d ’Aquino
e l'oggetto della metafisica. Approfondimenti e dibattiti (Pontificia Università della
Santa Croce, Roma, 27-28 février 2003).
DUNS SCOT ET LE POINT DE RUPTURE AVEC AVICENNE 217

même temps du mécanisme théorique qui permet à Henri de fonder un


rapport d’analogie entre ce qui est négativement indéterminé et ce qui
est privativement indéterminé36. Mais ce que Scot conteste c’est
précisément cette structure, et surtout la configuration qu’en donne
Henri sous la forme de l’analogie d’indétermination (qui implique au
fond une équivocité effective) : bien queje sois conscient du fait que ce
point mériterait bien d’autres approfondissements, il me semble que
même à ce propos Scot s’éloigne d’Avicenne, et d’une distance qui
n ’est pas moindre.
8. En conclusion, je ne veux pas contester ici l’idée que l’on puisse
attribuer à Scot le projet d’un zweiter Anfang der Metaphysik (ou, plus
en général, d’un anderer Anfang, qui n ’est pas à interpréter au sens
heideggerien de l’expression). Je voudrais me borner à remarquer que
probablement la généalogie de ce projet est moins banale et plus
complexe qu’il ne paraît normalement. Je voudrais tenter de soulever
quelques doutes sur le théorème historiographique déjà consolidé selon
lequel Scot mettrait fin à l’oscillation aporétique de la métaphysique
aristotélicienne entre ontologie et thé(i)ologie grâce au nouveau
matériel conceptuel fourni par Avicenne (en poursuivant également
bien au delà d’Avicenne). Ainsi, Avicenne serait l’instrument grâce
auquel Scot clôture la question du premier et ambigu début de la méta­
physique - le début aristotélicien. Mon hypothèse est qu’en réalité Scot
marque une césure radicale, précisément par rapport aux grandes
synthèse métaphysiques qu’Avicenne avait fait surgir à Paris pendant la
deuxième moitié du XIIIe siècle, et dont les représentants les plus
significatifs sont justement Thomas d’Aquin et Henri de Gand. Cette
rupture a essentiellement eu lieu, comme nous avons tenté de montrer,
à travers la confrontation de Scot avec Henri, et peut être résumée à
travers quelques thèses fondamentales :

36 Cf. P. PORRO, Enrico di Gand. La via delle proposizioni universali, Bari,


Levante, 1990 (Vestigia. Studi e strumenti di storiografia filosofica, 2) ; J. DECORTE,
« Henry of Ghent on Analogy. Critical Reflexion on Jean Paulus’ Interpretation », in
Henry o f Ghent. Proceedings o f the International Colloquium on the Occasion o f the
700th Anniversary o f His Death (1293), ed. W. Vanhamel, Louvain, Leuven
University Press, 1996 (Ancient and Medieval Philosophy, 1/15), pp. 71-105 ; M.
PICKAVÉ, « Heinrich von Gent über das Subjekt der Metaphysik als Ersterkanntes »,
Documenti e studi sulla tradizione filosofica medievale 12 (2001), pp. 493-522.
218 PASQUALE PORRO

a. La négation de l’exemplarisme en tant que flux des essences


possibles à partir de la cause première ;
b. La réduction de l’importance des relations pour expliquer
l’activité créatrice et même le statut des créatures, précisément à cause
d’une interprétation plus strictement réaliste ;
c. La dissociation entre la res et Yens et la nouvelle interprétation
de la théorie de l’indifférence des essences qui en découle ;
d. La négation de l’articulation métaphysique entre l’étant trans­
cendental et l’étant suprême à travers l’analogie d’indétermination.
À partir de ces thèses, je me demande si l’objectif polémique
immédiat de Scot est représenté par la tradition aristotélicienne ou par
celle, plus proche, d’Avicenne. S’il en était ainsi, en exagérant un peu,
on devrait dire que, pour Scot, Avicenne ne représente pas tant un point
de départ qu’une véritable issue - ime histoire avec laquelle il faut
régler ses comptes, par procuration, à travers la médiation essentielle
d’Henri de Gand. C’est pourquoi il faudrait évaluer le nouveau début
de Scot à l’intérieur d’une dimension historiquement plus circonscrite,
mais non moins significative : la dimension caractérisée par la synthèse
métaphysique qui avait surgi à Paris quelques décennies auparavant, et
que justement l’arrivée de Scot aurait contribué à pousser vers son
déclin.

Università di Bari
O l iv ie r B o u l n o is

AU-DELÀ DE LA PHYSIQUE ?

Il est assurément possible d’étudier la métaphysique en elle-même,


dans sa structure propre, comme la discipline autonome pour laquelle
elle se donne. Je voudrais plutôt ici en faire la généalogie, l’étudier par
rapport à ses conditions de possibilités externes. Car la métaphysique
comme science ne naît pas de rien, elle s’insère dans un contexte
cosmologique, éthique et épistémologique. Quelle est la situation de
l’homme dans le monde qui rend possible l’émergence d’une telle
attitude scientifique ? Quel est le contexte épistémologique qui permet
à la métaphysique de se développer comme science à partir de Duns
Scot?
En posant cette question, je me réfère aux travaux déjà classiques
de Rémi Brague. Même si celui-ci s’attarde fort peu sur la pensée de
Thomas d’Aquin, ses analyses me semblent éclairantes pour compren­
dre l’insertion de la sagesse humaine dans la cosmologie, cette sagesse
étant indissolublement métaphysique et éthique. Dans La Sagesse du
monde (Paris, 1999), il insiste sur le fait que, pour la pensée antique et
médiévale, « L’univers était le précepteur de l’homme ». L’homme
était orienté vers le ciel, dont il contemplait Tordre pour y trouver un
modèle de sagesse. « L’ordre et la beauté du monde étaient le modèle
du bien. Tendre vers la vertu, c’était imiter le ciel. »' Trouve-t-on la
même orientation cosmologique de la sagesse et de l’éthique dans la
pensée de Duns Scot ?

1 R. BRAGHE, La Sagesse du monde, Paris, Fayard, 1999, quatrième page de


couverture. Voir déjà R.BRAGUE, «L e géocentrisme comme humiliation de
l’homme », in Herméneutique et ontologie. Hommage à P. Aubenque, eds. R. Brague
- J.-Fr. Courtine, Paris, PUF, 1990 (Epiméthée), pp. 203-223.
220 OLIVIER BOULNOIS

J’examinerai donc le cadre épistémologique de la métaphysique,


principalement à partir de ces questions architectoniques que sont le
Prologue de Y Ordinatio et la q. 1 de la d. 1, le Prologue des Questions
sur la Métaphysique et la q. 1 du livre I.

I. U n e p a r a b o l e c o s m o l o g iq u e

Pour Scot, la pensée et l’action humaine sont-elles déterminées par


leur situation cosmologique ? Il semble que oui. Il existe en particulier
un texte remarquable, au tout début de Y Ordinatio, I, d. 1, c’est-à-dire
au commencement de la grande synthèse théologique où Duns Scot
pense la fin de l’homme à partir de sa relation au centre de la terre. Il
s’agit de répondre à plusieurs questions : « Toutes choses, les animaux,
l’homme pécheur, l’homme voyageur sur terre, Dieu, connaissent-ils la
béatitude ? » Scot répond que la jouissance (fruí) est un repos. On peut
donc savoir si des êtres peuvent atteindre la béatitude, et de quelle
sorte, en analysant les formes de repos qui leur sont accessibles.
[§.170] [Pour connaître les différentes sortes de béatitudes] je présente
d’abord en exemple la façon dont les corps atteignent le repos de diverses
manières. Le terme dernier du repos des corps graves est le centre. [1] Or à
ce centre, un corps grave adhère par soi et immédiatement comme à un
terme ultime : c’est la terre ; elle n’y adhère par le biais d’aucune autre
nature d’où elle participerait sa gravité et son adhérence.

[§. 171] [2] Et un autre corps adhère au centre de manière immobile et par
soi, mais non immédiatement, puisqu’il y adhère par une gravité et par une
adhérence qui lui sont participées par la terre. Il y adhère cependant par
soi, parce qu’il y adhère par une forme intrinsèque, et de manière fixe
(firmiter), c’est-à-dire immobile, parce qu’il est pour ainsi dire intrinsèque
à la terre (qui est immédiatement en repos) : c’est la [masse] des pierres et
des métaux dans les entrailles de la terre. Et de telles choses, même si elles
ne reposent pas immédiatement, le font pourtant parfaitement, puisqu’elles
sont parfaitement unies au centre par l’intermédiaire de ce qui repose
immédiatement, [la terre] à laquelle elles sont comme parfaitement unies.

[§.172] [3] D’une troisième manière, un autre corps adhère au centre par
l’intermédiaire de la terre à laquelle il est uni, mais de manière mobile et
non fixe (firmiter), comme le grave qui existe sur la surface de la terre. Et
un tel [corps], même s’il repose véritablement pour un temps, n’est
AU-DELA DE LA PHYSIQUE ? 221

pourtant pas déterminé au repos comme le corps qui repose de la seconde


manière.

[§.173] [4] D’une quatrième manière, un autre corps peut adhérer


uniformément à un corps proche, et être en repos par rapport à lui, tout en
n’étant pas en repos par rapport à l’univers, si ce à quoi il adhère comme
proche n’adhère pas uniformément au centre. Par exemple, pour un
homme porté dans un navire : même s’il est au pouvoir de ce corps grave
de se reposer lui-même, s’il repose lui-même en un tel mobile en le
prenant pour fin, et non dans le centre, ni médiatement, ni immédiatement,
il se repose de manière désordonnée, car, même si, par lui-même, il atteint
le repos à cause de son adhérence fixe à un tel corps mobile, il n’adhère
pas au [terme] auquel il doit adhérer pour être en repos.

[§. 174] Si on applique cela à la question proposée, dans les réalités


spirituelles la volonté correspond au poids du corps, car "comme le corps
est porté par le poids, l’âme est portée par l’amour, où qu’elle se tourne",
selon Augustin, Cité [de Dieu] V [= XI!], ch. 28. Le centre, qui est par
nature le principe ultime du repos, c’est la fin dernière ; c’est pourquoi le
sage a dit, suivant la vérité, que «Dieu est une sphère intellectuelle dont le
centre est partout et la circonférence nulle part» [Ps. Hermès Trismégiste,
Livre des XXIV philosophes, proposition 2, citée par Alain de Lille,
Regulae de sacra theologia, regula 7 ; PL 210, 627]. - [1] A ce centre, la
volonté divine adhère d ’emblée et par soi (sans participer d’aucun autre
que soi), de manière immobile et nécessaire, parce que cette volonté aime
ce souverain bien de manière très parfaite et nécessaire, et non par un
habitus, ni par un acte différent, ni en vertu de quelque cause supérieure.

[§.175] [2] Au second degré, il y a la volonté créée bienheureuse. Elle


adhère fixement (firmiter) à ce bien, non pas d ’emblée, mais en participant
de Dieu, et pourtant par soi, car elle y adhère par sa forme intrinsèque, et
ceci parce qu’elle est rendue presque intérieure (intrinseca) à la volonté du
Premier en repos, car elle demeure toujours dans son bon plaisir.

[§.176] [3] Au troisième degré, il y a la volonté du juste, pèlerin (viator)


[sur cette terre]. Même s’il s’appuie sur la volonté divine et, par sa
médiation, sur le souverain bien où repose [cette] volonté elle-même, il
n ’adhère pas de manière fixe (firmiter) et immobile au bon plaisir de cette
volonté même. C’est pourquoi tantôt il adhère à ce bien, et tantôt il en est
détourné (avertitur). - Mais il y a ici quelque chose qui ne ressemble pas
au troisième membre du [modèle] corporel ; car dans ce cas-là, un corps
peut cesser de reposer même si la forme par laquelle il repose demeure
[identique], alors qu’ici, la forme par laquelle l’[âme] repose est supposée
détruite dès que la volonté se détourne du centre.
222 OLIVIER BOULNOIS

[§.177] [4] Au quatrième degré, il y a celui qui pèche mortellement. Car


même si, pour ce qui relève de l’acte de la volonté, celui qui se repose
adhère fortement à quelque chose d’autre que Dieu, de sorte que, ni par sa
médiation, ni immédiatement, il n’est inhérent à Dieu, pourtant, du côté de
l’objet, il ne peut pas être en repos au sens absolu. Au contraire, comme le
corps en repos par rapport au navire et non par rapport au centre ne repose
pas au sens absolu, de même la volonté qui se repose autant qu’elle peut
dans un objet autre que Dieu n’est pas en repos au sens absolu, parce
qu’elle n’est pas en repos par rapport à ce qui est dans l’univers le
[principe] dernier et parfait du repos de la volonté. Et ceci est aussi
manifeste, parce que la volonté n’y est jamais rassasiée, si fixement
(firmiter) qu’elle s’immerge en lui pour l’aimer.

[§. 178] De tout cela, je tire, pour les questions posées, que la jouissance
(fruí), soit signifie le plaisir (delectatio), soit signifie l’acte d’adhérer
(inhaerendi) à l’objet pour lui-même, qui accompagne le repos dans le
plaisir, ou bien qui est le plaisir ou le repos lui-même, c’est-à-dire l’acte
qui termine ultimement la puissance en tant que la puissance se termine
elle-même par son propre acte ; de telle sorte que, si la notion de
jouissance signifie un acte, cela ne semble pas être parce qu’elle donne le
repos à la puissance en tant qu’elle est du côté de l’objet, mais en tant
qu’elle est du côté de la puissance qui adhère (inhaerentis) à un objet pour
lui-même : de sorte que la volonté divine jouit absolument,
nécessairement, par soi et d’emblée ; que la volonté créée bienheureuse
jouit absolument, perpétuellement, par soi, mais non d’emblée ; que la
volonté juste du pèlerin jouit absolument, par soi, mais non de manière
immobile, ni d’emblée. La volonté de celui qui pèche mortellement jouit
absolument, parce que, pour ce qui relève de la volonté, elle se repose,
autant qu’elle le peut, dans l’objet qu’elle aime pour lui-même ; pourtant,
elle n’[y] repose pas absolument du point de vue de l’objet, et elle ne
cherche pas à en jouir ; mais, puisque son objet n’est pas [principe] de
repos autant que la puissance se repose en lui par son acte, cette jouissance
est désordonnée ».

On peut résumer ce texte en quatre points : I o) La terre est


immobile parce qu’elle adhère immédiatement et nécessairement à son
centre de gravité. 2°) Les métaux dans la terre sont nécessairement
immobiles mais ils ne sont pas immédiatement unis au centre. 3°) Les
corps à la surface de la terre sont mobiles en droit mais au repos en fait.
4°) Les corps à la surface de quelque chose de mobile sont en repos par
rapport à ce mobile, mais en mouvement par rapport à la terre.
Or la tendance de l’homme vers sa fin est une forme de gravité, le
pondus amoris dont parlait Augustin. De même que le centre est la fin
AU-DELA DE LA PHYSIQUE ? 223

dernière du mouvement, Dieu est le terme de cette tension de l’amour


vers sa fin. Par conséquent : I o) La volonté divine adhère immé­
diatement et nécessairement au souverain bien. 2°) Les bienheureux
adhèrent fixement au souverain bien, mais non immédiatement. 3°) Le
juste adhère au souverain bien, mais de manière mobile (il pourrait ne
pas y être uni). 4°) Le pécheur adhère à un autre bien que le souverain
bien, il est donc en repos par rapport à ce bien, mais en mouvement par
rapport au point fixe absolu.
Duns Scot choisit délibérément le ton de la comparaison : il parle
plus loin de « cette parabole sur le repos des corps »2. Par là, il se
donne les moyens de relativiser toute approche cosmologique (en la
réduisant au statut de narration mythique), et ainsi de penser Dieu
comme centre, dans l’esprit d’Augustin, au lieu de rechercher Dieu
parmi les réalités célestes, séparées des réalités terrestres. Ici, Dieu
n ’est pas recherché dans une partie suprême du monde, ou à partir de
l’expérience du monde supra-lunaire ; il est Yanalogon d’un monde.
Comme le dit ia Lectura, « Dieu est centre pour les esprits, [...] comme
la terre est centre pour les corps »3. En faisant du cosmos une simple
comparaison, Duns Scot le dépouille de son statut de référence absolue.
Au lieu de tendre vers Dieu en s’élevant vers le ciel (c’est-à-dire encore
en fonction des lieux naturels cosmiques), on pourra maintenant penser
une tendance vers Dieu qui soit un analogon de la pesanteur. - Selon
cette correspondance, Dieu repose en lui-même comme la terre sur son
centre immobile, immédiatement et nécessairement au repos ; les
bienheureux reposent en lui comme les métaux dans la terre : ils sont
immobiles par soi, mais médiatement, grâce à une participation à la
gravitation divine ; les justes, comme ceux qui adhèrent à la surface de
la terre, sont, comme les arbres et les plantes, au repos mais non pas
nécessairement immobiles - ils peuvent en être séparés ou être
déplacés ; les pécheurs, enfin, sont analogues à l’homme dans son
navire, qui trouve son repos en adhérant à un être en mouvement : du
point de vue de leur acte, leur adhésion est immobile, mais l’objet dans
lequel ils reposent, le navire, est en mouvement. En outre, les animaux,
qui ne peuvent parvenir à ce repos, n ’atteignent pas la béatitude, sauf
en un sens abusif, métaphorique, au sens où ils prennent un bien pour

2 DUNS SCOTUS, Ord. I, d. 1, n. 180 (Vat. Il, 119).


3 DUNS SCOTUS, Lect. I, d. 1, n. 138 (Vat. XVI, 106).
224 OLIVIER BOULNOIS

terme de leur désir, sans le référer à rien d’autre4. Enfin, les autres
créatures, dépourvues de connaissance, n ’ont aucune béatitude, parce
que, faute de connaissance, elles n ’établissent jamais quelque chose
pour centre5.
L ’analyse de l’état des pécheurs rappelle une célèbre Pensée de
Pascal : « Ceux qui sont dans le dérèglement disent à ceux qui sont
dans l’ordre que ce sont eux qui s’éloignent de la nature, et ils la
croient suivre ; comme ceux qui sont dans un vaisseau croient que ceux
qui sont au bord fuient. [ ...] // faut avoir un point fixe pour en juger. Le
port juge ceux qui sont dans un vaisseau : mais où prendrons-nous un
port dans la morale ? »6. Pascal énonce clairement le désarroi qui est le
sien à partir du moment où l’ordre de la morale ne peut plus, après la
révolution copemicienne, se référer à un centre naturel et universel. Le
désordre, traduit ici par « dérèglement », correspond précisément à
l’acte de prendre pour centre un point qui n’est pas immobile, et donc à
s’ « éloigner de la nature » sans le savoir. Car Scot, avant Pascal, se
référait au Livre des vingt-quatre philosophes, et à l’idée que le centre
est partout et la circonférence nulle part. Chez Pascal, l’absence de
fondement cosmologique de la morale, désormais dépourvue de centre,
illustre parfaitement les analyses de R. Brague sur les conséquences
éthiques de la rupture copemicienne. - Pourtant, chez Scot, la métapho­
re se distingue de cette Pensée de Pascal sur deux points : I o) Scot
n ’adopte pas le point de vue polémique selon lequel l’homme déréglé
accuserait l’homme fidèle à l’ordre de désordre, ce qui constitue chez
Pascal le nerf de l’argument ; 2°) chose plus importante, le comparant
(le monde), est bien pourvu d’un centre ; le problème de Scot n’est pas
celui de la situation de l’homme dans la cosmologie moderne (c’est-à-
dire sans point de référence absolue). S’ensuit-il nécessairement que la
structure du monde dicte à l’homme la structure de son éthique, comme
le pensait nostalgiquement Pascal ?

4 DUNS SCOTUS, Lect. I, d. 1, n. 142 (Vat. XVI, 107).


5 DUNS SCOTUS, Lect. I, d. 1, n. 143 (Vat. XVI, 107).
6 PASCAL, Pensées, éd. L. Lafiima 697, Paris, Seuil, 1962, associé au n° 698 :
« Nature s ’imite » ; cf. DESCARTES, Principes II, 13 (AT IX, 69-70), Lafuma 449 :
«Jésus-Christ est [...] le centre où tout tend», ou encore, Lafuma 545:
« Immobilement affermis sur ces fleuves ».
AU-DELA DE LA PHYSIQUE ? 225

Scot récapitule dans son analyse tous les degrés constitutifs de la


nature : les éléments minéraux, qui sont unis au centre, les végétaux,
qui sont à la surface de la terre mais ont leurs racines dans le ciel, les
êtres vivants, qui tendent vers le repos sans le savoir, les êtres doués
d’intellect, qui prennent Dieu ou un bien fini pour objet de repos, selon
qu’ils sont des justes ou des pécheurs. Il est clair pourtant que le
modèle reste métaphorique, inapplicable à la lettre : si les créatures
gagnent progressivement des degrés de liberté en s’avançant sur
l’échelle des êtres, il ne s’agit que d’une comparaison, qui n’est pas
applicable au sens propre, les animaux n’ayant de béatitude que
métaphoriquement et les végétaux n ’en ayant pas du tout.
Cette analyse permet pourtant à Scot de montrer que la jouissance
(fruí) réside dans l’acte par lequel une puissance reçoit un terme, ou
dans le plaisir qui l’accompagne. Bref, la jouissance n ’est pas un ordre
objectif, mais un rapport à la puissance. C’est précisément pourquoi
elle peut être désordonnée - détachée de l’ordre objectif. La première
racine de la faute consiste précisément en ce que le pécheur jouit de lui-
même (peccans fruitur se), comme le disait Augustin7. Ainsi, Duns
Scot déplace le cadre de l’analyse, allant jusqu’à dire que notre désir
(appetitus sensitivus) est comme accolé à l’aimant qui l’attire. Au lieu
de tomber vers le centre, et d’y trouver le repos, il trouve son repos par
une force extérieure. Inversement, seule la liberté proprement dite
serait la force intérieure capable de procurer à l’âme le repos à l’intime
d’elle-même, mais cette liberté ne correspond pas à l’appétit sensitif,
elle ne dépend pas de notre désir8.

7 AUGUSTINUS, Cité de Dieu XIV, 28 ; De Genesi ad litteram XI, 15, 20 ;


Thomas d’Aquin, lui, restreint la faute à un type d’amour de soi « désordonné » : ST
Ia-IIae, q. 77, a. 4 resp. : « Inordinatus amor sui est causa omnis peccati ».
8 DUNS SCOTUS, Ord. I, d. 1, n. 180 (Vat. II, 119): «Appetitus sensitivus
assimilatur ferro quasi infixo adamanti vi adamantis attrahentis, et sic nec in centro
mediate nec immediate quietato, nec in aliquo alio, vi illa quae esset quietativa in
centro, [...] sed tantum vi extrinseci quietantis. Ita hic, vis obiecti quietai, non autem
illa intrinseca quietativa in centro vel quasi in centro, quae est quasi sola libertas, quae
non convenit appetitui sensitivo ». Cf. HENRICUS DE GANDAVO, Quodl. IX, q. 5 in
corp. (Badius, 361G-H) ; Quodl. IV, q. 11 in corp. (Badius, 101O) ; GODEFRIDUS DE
FONTIBUS, Quodl. Vili, q. 16 in coip., ed. J. Hoffmans, Louvain, 1924 (Les
Philosophes Belges, 4), pp. 156,158.
226 OLIVIER BOULNOIS

La détermination cosmologique de l’éthique, que ce passage


semblait impliquer à première vue, est donc une simple métaphore chez
Duns Scot. Elle est triplement décalée : premièrement, parce que,
comme pour une longue tradition augustinienne, son centre est Dieu et
non la terre9 ; deuxièmement, parce qu’elle oppose l’amour de soi à
l’amour de Dieu, comme chez Augustin, au lieu de faire culminer
l’amour de soi dans l’amour du bien infini, comme chez Thomas ;
troisièmement, parce qu’elle ne s’accomplit que par la liberté, et non
dans une orientation naturelle et nécessaire de l’intellect.

II. L a d é t e r m i n a t i o n c o s m o l o g iq u e
DE LA MÉTAPHYSIQUE ET DE L’ÉTHIQUE CHEZ THOMAS D’AQUIN

Pour saint Thomas, la pensée humaine se loge à l’intérieur de


l’ordre du monde. Comme le dit la Somme contre les Gentils (III, 2) et
le début du Commentaire de la Métaphysique, « toute chose désire
naturellement sa propre perfection »I0 : chaque être tend vers une fin où
il trouve son repos ; il cherche à accomplir sa propre opération pour y
parvenir. Qu’un agent soit doué de connaissance ou non, il agit en vue
du bien, la fin suprême de toutes choses11, car « le bien est ce que
toutes choses désirent»12. Les corps graves s’efforcent d’imiter
l’essence divine en atteignant leur propre perfection, c’est-à-dire en

9 Cf. AELREDUS RIEVALLENSIS, Sermon 76, 30-31, in Sermones inediti, ed. C.


H. Talbot, 20, p. 140 ; GUILLELMUS A SANCTO THEODORICO, Meditativae
Orationes XI, 26-27, ed. J. Hourlier, 1985 (SC 324, 182), et la remarque de Ph.
NOUZILLE, Expérience de Dieu et théologie monastique au X l f siècle. Etude sur les
sermons d ’A elred de Rievaulx, Paris, Cerf, 1999 (Philosophie & Théologie), p. 35,
n. 4.
10 THOMAS DE AQUINO, In IMet., lectl, n. 2 (ed. Cathala - Spiazzi, 6) ; cité par
DUNS SCOTUS, In Met., Prol., n. 5 (St. Bon. III, 4).
11 THOMAS DE AQUINO, ScG HI, 2, ed. C. Pera, Turin, 1961, vol. III, pp. 3a-5a.
12 ARISTOTE, Éthique à Nicomaque I, c. 1, 1094a2-3 ; cité par DUNS SCOTUS,
Lect. I, d. 1, n. 135 (Vat. XVI, 105).
AU-DELA DE LA PHYSIQUE ? 227

parvenant par le mouvement à leur lieu naturel, la terre13. Les corps


célestes, eux, actualisent leur puissance d’être en un lieu par la
succession dans le temps, ce qui explique la perfection de leurs
mouvements circulaires et étemels, qui imitent l’éternité divine dans
leur durée propre14. Mais le corps céleste pris comme totalité (le ciel)
est mû par une substance intellectuelle15 ; or, comme celui-ci englobe la
totalité des mouvements particuliers du monde, il en découle que les
actions et les mouvements des corps inférieurs découlent de l’intention
de la substance intelligente motrice du monde16. Ainsi, chaque chose
vise à sa manière l’union à Dieu qui lui est accessible17. Selon le
résumé lapidaire de Duns Scot : « chacun désire naturellement son
opération propre, ainsi le [corps] grave [désire] être mû vers le bas »18.
Le désir de Dieu est un moteur cosmique qui entraîne l’ensemble des
mouvements de l’univers, du corps grave à l’homme, vers leur fin
naturelle.
Mais cette opération se réalise de diverses manières. Pour tous les
êtres dépourvus de connaissance, agir pour une fin, désirer la
ressemblance divine ou tendre vers sa perfection propre signifient
exactement la même chose19. Et puisque la nature n ’échoue pas dans
les réalités inférieures et imparfaites, à plus forte raison elle y parvient
pour les êtres supérieurs20. Ainsi, les créatures intellectuelles atteignent

13 THOMAS DE AQUINO, ScG III, 22, n. 2026 (ed. Pera, 26a).


14 THOMAS DE AQUINO, ScG III, 22, nn. 2027-2028 (ed. Pera, 26).
15 THOMAS DE AQUINO, ScG HI, 24, n. 2046 (ed. Pera, 30).
16 THOMAS DE AQUINO, ScG IH, 24, n. 2049 (ed. Pera, 30b-31a); trad. V.
Aubin, Paris, Garnier-Flammarion, 199, p. 100 (légèrement modifiée) : «Les corps
naturels dépourvus de connaissance [...] tendent vers leur fin en étant dirigés vers elle
par une substance intelligente, à la façon dont une flèche tend vers la cible en étant
dirigée par l’archer ».
17 THOMAS DE AQUINO, ScG III, 25, n. 2056 (ed. Pera, 31b-32a).
18 DUNS SCOTUS, In Met., Prol., n. 6 (St. Bon. IH, 5) ; cf. THOMAS DE AQUINO,
In I Met., lect.l. n. 3 (ed. Cathala - Spiazzi, 6) : « Quaelibet res naturalem inclina­
tionem habet ad suam propriam operationem ».
19 THOMAS DE AQUINO, ScG IH, 24, n. 2051 (ed. Pera, 3 la).
20 THOMAS DE AQUINO, De Veritate, q. 14, a. 10, arg. 4, 13, ed. R. Spiazzi,
Rome-Turin, Marietti, 1964, p. 299 ; cité par DUNS SCOTUS, Ord., Prol., n. 2 (Vat. I,
3).
228 OLIVIER BOULNOIS

leur fin, leur perfection et la ressemblance avec Dieu d’une manière


plus parfaite : en pensant les intelligences séparées, y compris Dieu. Or
s’unir à Dieu par la pensée est plus parfait qu’obtenir une simple
ressemblance avec lui21. Dans son devenir, l ’homme imite le monde,
mais il s ’unit à Dieu. En effet, chaque être s’approche de Dieu sur son
mode propre ; « or l’opération propre de l’homme en tant qu’homme
est la pensée » (In Metaphysicam I, lectio l)22, et celle-ci est la plus
intense quand elle s’unit à l’intelligible le plus parfait, qui est Dieu.
C’est pourquoi elle désire naturellement connaître, ce qui est, pour sa
puissance, parvenir à la perfection23. « Chaque chose désire être unie à
son principe ; car c’est en cela que réside la perfection de chaque chose.
C’est pourquoi le mouvement circulaire est le plus parfait, car il unit la
fin au principe [...]. Or l’homme n ’est uni aux substances séparées que
par l’intellect ; c’est pourquoi c’est aussi en cela que consiste l’ultime
félicité de l’homme »24. La fin de l’homme est donc l’intelligence des
substances séparées (la félicité philosophale).
C’est en cela que Thomas se rattache aux philosophes gréco-
arabes : « Les Philosophes, qui ont soutenu que nos âmes émanent de
l’intelligence agente, soutenaient que la plus haute félicité de l’homme
se trouve dans la conjonction (continuatio) de notre intellect à celle-
ci »2526. C’est à ses yeux une illustration du principe que, « l’âme ayant
été faite par Dieu immédiatement, elle ne peut être bienheureuse que si
elle voit immédiatement Dieu »2<5. Ou, plus généralement, « par la
connaissance des effets, le désir est incité à connaître la cause [...]. Le
désir de savoir, naturellement inscrit dans toutes les substances
intellectuelles, ne trouve donc le repos que lorsque, connaissant déjà les

21 THOMAS DE AQUINO, ScG III, 25, n. 2056 (ed. Pera, 31b-32a).


22 THOMAS DE AQUINO, In I Met. I, lect. 1, n. 3 (ed. Cathala - Spiazzi, 6) ; cité
par DUNS SCOTUS, In Met., Prol., n. 5 (St. Bon. III, 5).
23 THOMAS DE AQUINO, In I M et, lect. 1, n. 4 (ed. Cathala - Spiazzi, 6) ; cité
par DUNS SCOTUS, In Met., Prol., n. 6 (St. Bon. ni, 5).
24 THOMAS DE AQUINO, In Met. I, lect. 1, n. 4 (ed. Cathala - Spiazzi, 6) ; cité
par DUNS SCOTUS, In Met. I, Prol., n. 7 (St. Bon. III, 5).
25 THOMAS DE AQUESTO, Quodl. X, q. 8, a. un. [17] resp. (Leon. XXV, 147b52-
55). Scot cite ce texte dans la Lect. I, d. 1, n. 13 (Vat. XVI, 66).
26 THOMAS DE AQUINO, Quodl. X, q. 8, a. un. [17] resp. (Leon. XXV, 147b41-
43).
AU-DELA DE LA PHYSIQUE ? 229

substances des effets, elles connaissent aussi la substance de la cause.


Lors donc que les substances séparées connaissent que Dieu est la
cause de toutes les choses dont elles voient les substances, leur désir
naturel ne parvient au repos en elles que si elles voient aussi la
substance de Dieu lui-même»27. Cela revient à dire que l’intelligence
inférieure trouve le repos en se tournant vers l’intelligence supérieure
qui l’a produite, et en faisant retour vers elle. L’ordre du ciel est un
ordre parfait, c’est pour l’âme le modèle de la vie droite. Néanmoins,
puisque l’âme a été produite par Dieu, son désir ne s’apaisera qu’au-
delà du ciel, lorsqu’elle aura vu Dieu, la fin dernière28. L’ordre du
monde parviendra à son accomplissement avec la perfection de
l’intellect humain.
Non sans raison, Scot voit dans cet argument une adaptation du
principe avicennien de la béatitude des sphères célestes : la cause
première produit la première intelligence, qui produit l’âme du ciel en
pensant sa propre actualité et celle de son principe, puis le corps
céleste, et ainsi de suite, en une cascade caractérisée par l’adage « ex
uno non fit nisi unum »29 - un adage condamné en 1277 parce qu’il
semble nier la possibilité d’une création immédiate de toutes choses par
Dieu. Mais ce qui importe, aux yeux de Scot, c’est que ce système
cosmique est aussi un système de la béatitude : « la seconde
intelligence produite, en revenant et en se retournant vers ce par quoi
elle est produite, trouve par lui le repos et donc la béatitude »30.
Comme le dit Avicenne : « Chaque ciel a donc le désir de s’assimiler à
la substance intelligible séparée qui lui est propre [...]. La cause

27 THOMAS DE AQUINO, ScG III, 50, n. 2277 (ed. Pera, 68a). Scot cite ce texte
dans la Lect. I, d. 1, n. 14 (Vat. XVI, 66).
28 Thomas d’Aquin s’éloigne ainsi déjà du modèle cosmologique de l’éthique : ce
n’est pas seulement « l’ordre du monde supérieur » qui est pour lui « le modèle de la
conduite correcte de la vie » (R. BRAGHE, La sagesse, op. cit., p. 153).
29 AVICENNA LATINUS, Liber de Philosophia prima IX, ch. 4, ed. S. Van Riet,
Louvain, Peeters - Leiden, Brill, 1980, vol. II, p. 481, 50-51. Cf. A. DE LIBERA, « Ex
uno non fit nisi unum. La Lettre sur le Principe de l ’univers et les condamnations
parisiennes de 1277 », Historia Philosophiae Medii Aevi, Studien zur Geschichte der
Philosophie des Mittelalters. Festschrift fü r Kurt Flasch zu seinem 60. Geburtstag,
eds. B. Mojsisch - O. Pluta, Amsterdam - Philadelphie, Grüner, 1991, pp. 543-560.
30 DUNS SCOTUS, Lect. I, d. 1, n. 9 (Vat. XVI, 65).
230 OLIVIER BOULNOIS

première est l’objet commun du désir du monde (<universitatis), et tel


est le sens de ce qu’ont dit les anciens : que le monde a unique moteur
désirable. Mais chaque sphère a un moteur qui lui est propre et un
désiré qui lui est propre. Donc chaque ciel a une âme qui pense la bonté
[...]. Mais ce qui pense le Premier [Dieu] et ce qui pense le principe
qui lui est propre et qui est proche de soi, est le principe du mouvement
de son désir. Chaque ciel a donc une intelligence qui est son principe
propre et proche, un principe séparé, qui se rapporte à son âme comme
l’intelligence agente à nos âmes »31.
Certes, l’intellect humain ne peut accéder à une saisie parfaite de
l’intelligible absolument meilleur (optimum intelligibile simpliciter),
mais, comme l’a montré Aristote, il vaut mieux connaître un peu le
meilleur que beaucoup le moins parfait. « Si peu que l’intellect puisse
saisir de la connaissance divine, cela sera pour lui la fin ultime,
davantage qu’une connaissance parfaite d’intelligibles inférieurs »32. La
fin ultime de l’homme est donc de connaître Dieu, même sous la forme
abstraite du concept de cause première, comme l’a également dit
Aristote33. C’est pourquoi la considération des créatures et de l’ordre
du monde est utile à la foi34. Comme le disait aussi Albert le Grand,
« le monde entier est pour l’homme une théologie »35. Et selon la juste
formule de R. Brague, « La physique est une théologie oblique, une
anthropologie indirecte »36.
Pourtant, Thomas se détache de ce fond gréco-arabe par sa
doctrine de la grâce. Le propre de l’homme n’est pas le désir d’être
comblé, qu’il partage avec les autres créatures, mais l’intellectualité,
qui transforme le désir en volonté. L’essentiel de l’homme situé dans le

31 AVICENNA LATINUS, Liber de Philosophia prima IX, ch. 3 (ed. Van Riet II,
474-475,11. 97 - 12).
32 THOMAS DE AQUINO, ScG HI, 25, n. 2060 (ed. Pera, 32b ; trad Aubin, 114).
33 THOMAS DE AQUINO, ScG III, 25, n. 2065 (ed. Pera, 33b) ; cf. ARISTOTE,
Met. A 3, 983a25-26.
34 THOMAS DE AQUINO, ScG II, 2 (ed. Pera, 115a-116a) ; c’est ce que dit R.
Brague à propos d’Albert le Grand.
35 ALBERTUS MAGNUS, In Mattheum, 13, 35 (ed. Borgnet XX, 571a) ; cité par
R. BRAGUE, La sagesse, op. cit., p. 202.
36 R. BRAGUE, La sagesse, op. cit., p. 202.
AU-DELA DE LA PHYSIQUE ? 231

monde étant l’intellect, le bonheur consiste dans un acte de l’intellect et


non de la volonté. C’est par son propre, l’intellect, que l’homme
parviendra à la fin ultime, qui est la béatitude37. Néanmoins, « le fait de
penser la quiddité de la chose sensible par des phantasmes [ne permet
pas] de penser la quiddité de la substance séparée38 » - l’insuffisance
de la connaissance abstractive nous empêche de connaître l’essence
divine et les substances séparées39. C’est donc une initiative divine qui
permet à l’homme d’atteindre sa fin et de voir Dieu par essence : la
grâce vient combler le désir de la nature en nous40.
La situation cosmologique de l’homme détermine donc son
orientation métaphysique d’une manière décisive. Mais elle laisse déjà
une marge de liberté à son éthique. Si les corps inférieurs sont régis par
les corps célestes, ceux-ci sont les médiations de la providence divine41.
Par conséquent, les effets corporels au sein des réalités inférieures ne
résultent pas de façon nécessaire des corps célestes42. Et, dans le cas de
l’homme, les corps célestes ne sont pas causes de son vouloir ni de ses
choix43.

ni. S c o t , c r it iq u e d e s a in t T h o m a s

À cette cosmologie béatifiante, Scot oppose le principe qu’une


puissance ne trouve son repos que dans son objet propre porté au plus
haut degré de perfection. La béatitude véritable, la fruitio ordinata,
conforme à l’ordre des choses, se trouve donc dans la fin dernière

37 THOMAS DE AQUINO, ScG III, 26, n. 2078 (ed. Pera, 34b-35a) ; V. Aubin
traduit felicitas par « bonheur » (p. 118), ce qui est tout aussi défendable.
38 THOMAS DE AQUINO, ScG III, 41, n. 2184 (ed. Pera, 49a).
39 THOMAS DE AQUINO, ScG III, 42, n. 2201 (ed. Pera, 52b).
40 THOMAS DE AQUINO, ScG IH, 53 (ed. Pera, 71b-73a).
41 THOMAS DE AQUINO, ScG III, 82 (ed. Pera, 117-118).
42 THOMAS DE AQUINO, ScG III, 86 (ed. Pera, 124b-126b).
43 THOMAS DE AQUINO, ScG III, 85 (ed. Pera, 121b-124b).
232 OLIVIER BOULNOIS

seule, et jamais dans un bien inférieur44. L’ordre qui mesure notre


béatitude n’est donc pas l’ordre du cosmos, mais l’ordre normatif
auquel notre faculté doit se conformer : la loi morale, divine autant que
naturelle.
Aux yeux de Scot, l’argumentation de Thomas, dans la Somme
contre les Gentils III, selon lequel le désir naturel ne s’apaise que dans
la vision de Dieu, repose sur un paralogisme. Il faut en effet distinguer,
selon Aristote, De l ’âme II45, l’acte premier de l’acte second, ou la
perfection première de la perfection seconde : la première est l’habitus
(ou la forme), comme « savoir lire », la seconde est l’opération
actuelle, « être en train de lire ». Certes, chaque être désire
naturellement ces deux perfections, puisque l’opération est la fin de
l’habitus. Si « tout être désire sa propre perfection », comme le dit
Thomas, ce principe signifie que l’âme désire à la fois le savoir en
général et l’intellection actuelle. Mais on ne voit pas pourquoi la
seconde perfection serait nécessairement donnée46: je peux désirer
savoir lire sans être toujours en train de lire. Autrement dit, on ne peut
pas déduire du fait que nous désirons 1’intellection des substances
séparées que celle-ci nous soit jamais donnée en acte, comme si une
capacité générale de connaître suffisait à me combler. Seul nous est
promis un savoir général et abstrait. La distinction entre intuition et
abstraction vient disjoindre le concept gréco-arabe d’intellection des
substances séparées.
Plus radicalement, c’est le désir de perfection qui est lui-même
frappé d’équivocité : toute puissance est par essence orientée vers la
forme ou l’habitus, mais accidentellement vers l’opération. On ne peut
donc pas déduire de l’être en puissance la réalisation d’une opération
ou d’un acte. Mais réciproquement, le désir d’un habitus ou d’une
forme ne peut être apaisé sans l’action d’une cause extérieure procurant
cette forme ou cet habitus ; au contraire, le désir d’une opération en
acte peut être réalisé par la puissance seule, ime fois les obstacles

44 DUNS SCOTUS, Lect. I, d. 1, n. 18 (Vat. XVI, 67).


45 ARISTOTE, De Anima II, l,4 1 2 a l0 -ll.
46 DUNS SCOTUS, In Met., Prol., n. 8 (St. Bon. III, 5-6).
AU-DELA DE LA PHYSIQUE ? 233

écartés47. L’équivocité du désir introduit donc un chiasme qui rend pro­


blématique et incertain tout passage du désir à sa réalisation.
C’est finalement dans le concept de nature même que réside une
équivoque : on entend par là tantôt le principe intrinsèque d’une action
(opposé au principe extérieur), tantôt le principe naturel de l’action
(opposé au principe volontaire), qu’il soit interne ou externe. Au
premier sens, il n ’est pas vrai qu’un principe actif intrinsèque corres­
ponde naturellement à toute puissance passive pour lui permettre de
passer à l’acte : beaucoup de puissances sont naturellement destinées à
recevoir un acte sans posséder le principe actif capable de le produire.
Au second sens, la proposition n’est pas toujours vraie : il arrive qu’une
puissance soit ordonnée à recevoir une perfection si éminente qu’elle
ne puisse pas lui être conférée par une cause naturelle : c’est le cas de la
béatitude, qui suppose une cause volontaire48.
Sans remettre en question le principe, Duns Scot le reformule donc
autrement. « C’est par un même désir essentiel que peut être
immédiatement désirée l’opération comme fin, et la forme en vue de la
fin »49. Mais le désir, ou plutôt le vouloir n ’est pas de même nature
dans les deux cas : la fin est ce par quoi (quo) on désire autre chose,
tandis que les moyens qui sont en vue de la fin sont désirés comme des
termes (quid) proprement dits. Mais si la fin, l’opération, est la forme
par laquelle (quo) on désire, elle fonctionne comme la lumière par
rapport à la vue : invisible en elle-même, la lumière n’est pas vue, mais
elle est ce par quoi les objets sont vus50. Reportée à notre problème,
cette comparaison signifie que, même si l’intelligence des substances
séparées n’est pas atteinte, c’est en la désirant que l’on parvient à
l’intelligence des autres objets. Les objets sont vus à la lumière de
l’intelligibilité suprême des substances séparées, mais celles-ci peuvent
rester invisibles. Même si Dieu est invisible, le désir de Dieu nous
pousse à connaître les choses visibles.
La puissance passive n ’est donc pas vaine dans la nature, car
même si un agent naturel ne peut l’amener à l’acte, elle peut cependant

47 DUNS SCOTUS, In Met., Prol., n. 9 (St. Bon. III, 6).


48 DUNS SCOTUS, Ord., Prol., n. 73 (Vat. I, 45).
49 DUNS SCOTUS, In Met., Prol., n. 13 (St. Bon. III, 7).
50 Cf. DUNS SCOTUS, In Met., Prol., n. 13 (St. Bon. III, 7).
234 OLIVIER BOULNOIS

recevoir la disposition qui lui permettra d’être amenée à l’acte par Dieu
ou par une cause surnaturelle51.
Une fois cette précaution prise, Scot analyse les caractéristiques de
la science suprême : elle est la science la plus haute et la plus désirable
parce qu’elle est la science des conditions sine qua non de la connais­
sance et la science des objets les plus certains. Sont les conditions sine
qua non de la connaissance les transcendantaux, (com-munissima), et
sont les objets les plus certains les premiers principes et les premières
causes52. Si l’on excepte le vocabulaire des conditions sine qua non,
cette position reprend le prologue de la Métaphysique selon Thomas
d’Aquin.
Malgré un dédoublement essentiel entre l’objet abstrait, naturelle­
ment connaissable, et l’objet d’intuition suprême, invisible et incon­
naissable naturellement, Scot reprend donc le même dispositif que
Thomas : il existe un désir naturel d’intellection du divin, et il ne peut
être comblé par la seule nature.

IV . C o n t r e l a f é l ic it é p h il o s o p h a l e :
LES DEUX SENS DU MOT « NATUREL »

Duns Scot rencontre encore le problème du rapport entre l’éthique


et la cosmologie à propos de la félicité philosophale, identifiée à partir
des condamnations de 1277 à l’averroïsme. Il en fait une discussion
serrée dans les Questions sur la métaphysique II, qq. 2-3. Pour faire
face à cette théorie, il dissocie l’intelligence des réalités abstraites de la
connaissance par abstraction.
Averroès démontre la possibilité d’une félicité philosophale en
affirmant que l’ordre de la nature doit s’accomplir en tout étant, chacun
devant parvenir naturellement à sa fin naturelle. Il en découle que
l’homme doit pouvoir réaliser par nature ce à quoi il aspire également
par nature, l’intellection des substances immatérielles.

51 DUNS SCOTUS, Ord, Prol., n. 74 (Vat. I, 45).


52 DUNS SCOTUS, In Met., Prol., nn. 17, 21 (St. Bon. III, 8, 10).
AU-DELA DE LA PHYSIQUE ? 235

Tandis qu’Aristote affirme au livre II de la Métaphysique que


« notre âme se rapporte aux réalités les plus intelligibles en soi comme
l’œil de la chouette (¡nycticorax) à la lumière du soleil »53, Averroès
ignore cette restriction : « Cela ne démontre pas qu’il nous est impos­
sible de penser (intelligere) les choses séparées {abstractas), comme
regarder le soleil est impossible à la chauve-souris {vespertilio),
puisque, s’il en était ainsi, la nature aurait agi en vain, car elle aurait
fait que ce qui est naturellement pensé ne soit pas pensé par un autre,
comme si elle avait fait que le soleil ne soit compris par aucun
regard »54. Pour que la nature ne fasse rien en vain, il faut que tous les
finalités de la nature s’accomplissent, que l’intelligible soit intelligé, et
donc que l’homme puisse avoir l’intellection des substances séparées.
Averroès orchestre les passages d’Aristote affirmant que « tous les
hommes désirent savoir »55. Il en déduit qu’ils désireront au plus haut
point la science suprême. En effet, « celui qui désire le savoir pour lui-
même désirera au plus haut point la plus haute science, or elle est la
science de la réalité la plus connaissable »56, c’est-à-dire les premières
causes et les premiers principes57. La science des premières causes est
naturellement désirée au plus haut point par l’homme. Or l’ordre du
monde (ou le désir naturel) n’est pas orienté vers l’impossible, comme
le dit Averroès : « Nous avons le désir de connaître la vérité, et si la
compréhension en était impossible, notre désir serait vain. Et tous
concèdent que rien n’est en vain dans la constitution de la nature
{fundamentum naturae) et de la créature »58. Si donc l’homme a le désir

53 ARISTOTE, Met. a 1 993b9-ll (AL XXV/3, 43) ; cité dans DUNS SCOTUS, In
IIM e t, q. 3, n. 5 (St. Bon. III, 201).
54 AVERROES CORDUBENSIS, In IIM e t, comm. 1 (ed. Iantina, Vili, 29 rC) ; cité
par DUNS SCOTUS, In IIM et, q. 3, n. 6 (St. Bon. III, 201).
55 ARISTOTE, Met A 1, 980a21 (AL XXV/2, 7) ; cité par DUNS SCOTUS, In II
M et, q. 3, n. 27 (St. Bon. III, 208).
56 ARISTOTE, Met A, 2 ,982a32-b2 (AL XXV/2,10) ; cité au même n. 27.
57 ARISTOTE, Met A, 2, 982a32-b2 (AL XXV/2, 10) ; cité au même n. 27 : « Les
réalités les plus connaissables sont les réalités premières et les causes, car c’est par
elles que les autres sont connues ».
58 AVERROES CORDUBENSIS, In IIM e t, comm. 1 (ed. Iuntina VTH, 28vl) ; cité
par DUNS SCOTUS, In IIM et, q. 3, n. 27 (St. Bon. III, 208).
236 OLIVIER BOULNOIS

de savoir, et par excellence le désir de connaître les plus hautes vérités,


les plus intelligibles, elles doivent lui être accessibles.
Un autre argument vient d’Aristote, orchestré encore par
Averroès : c’est la notion de félicité elle-même. Aristote prouve que la
félicité de l’homme consiste dans la contemplation spéculative de la
vérité ; il en conclut à la fin du livre X, que « le sage sera en tout point
bienheureux »59. Or selon Aristote même, la sagesse consiste dans la
connaissance des causes les plus hautes : la félicité de l’homme
consiste donc par excellence dans la contemplation des causes les plus
hautes. « Or il n’est pas impossible que l’homme parvienne à la félicité,
puisque c’est la fin propre de l’homme. »60. En effet, la nature a donné
à l’homme le moyen de parvenir à sa fin, et « aucun homme ne
s’efforcerait d’atteindre une fin si celle-ci ne devait survenir»61.
Comme le fait observer Averroès, la nature qui a soin des animaux en
leur donnant l’instrument du mouvement ne peut pas laisser les êtres
les plus nobles sans instrument pour parvenir à leur fin62.
Il semble probable que, plus près de lui qu’Averroès, Scot vise
Boèce de Dacie. Dans le De Ætemitate mundi, le philosophe identifie
science physique et explication par les causes naturelles. Se targuant de
« parler selon la nature » (loquens ut naturalis), Boèce vise à la fois
l’analyse physique du monde (selon le cours de la nature) et
l’explication naturelle (excluant tout recours au surnaturel, à la
causalité libre de Dieu). « J’appelle philosophe tout homme qui vit
selon l’ordre correct (rectus) de la nature, celui qui a acquis le meilleur
et la fin dernière de la vie humaine »63.

59 ARISTOTE, Éthique à Nicomaque X, c. 9, 1179a31-32 (AL XXVI/3, 364) ; cité


par DUNS SCOTUS, In II Met., q. 3, n. 28 (St. Bon. III, 209).
60 DUNS SCOTUS, In IIMet., q. 3, n. 28 (St. Bon. III, 209).
61 ARISTOTE, Met. G 2, 994b14-15 (AL XXV/2, 438) ; cité par DUNS SCOTUS,
In IIMet., q. 3, n. 28 (St. Bon. III, 209).
62 AVERROES CORDUBENSIS, De caelo II, comm. 50 (ed. Iuntina V, 62va).
63 BOETHIUS DE DACIA, De summo bono, ed. N. J. Green-Pedersen, Copen­
hague, Gad, 1976 (Corpus philosophorum danicorum VI, pa. 2), pp. 377,11. 240-242.
AU-DELA DE LA PHYSIQUE ? 237

C’est cette position que Scot résume sous le nom de controverse


entre philosophes et théologiens64 : « Les philosophes soutiennent la
perfection de la nature et nient la perfection surnaturelle »65. La
description que Scot donne du « philosophe » coïncide sur trois points
avec l’idéal de Boèce : - il cite pour la réfuter sa tripartition exhaustive
de la « philosophie » en « physique, mathématique et métaphy­
sique »66 ; - il reconstitue sa définition de la félicité intellectuelle,
entendue comme acquisition de la fin naturelle de l’homme67 ; - enfin,
en distinguant deux sens de « naturel », l’un se limitant à la physique,
ayant pour corrélât le mouvement violent, l’autre étant couplé à la
théologie du surnaturel68, Scot interdit l’identification présupposée par
Boèce de Dacie dans l’expression « loquens ut naturalis ». C’est pour­
quoi il me semble que le « philosophe » visé par Scot correspond à
l’idéal défendu par Boèce de Dacie, sans doute transmis et filtré par la
critique d’Henri de Gand.
Duns Scot mentionne une autre interprétation de la félicité, celle
de saint Thomas. Celui-ci est au contraire d’avis que l’intellect ne
pense pas les choses séparées directement, mais qu’il a besoin d’un
phantasme, d’un acte de l’imagination, et donc d’une expérience

64 Cf. O. BOULNOIS, Duns Scot. La Rigueur de la charité, Paris, Cerf, 1998


(Initiations au Moyen Age), notamment le chapitre I. Duns Scot donne aux condam­
nations d’Etienne Tempier une autorité doctrinale universelle, au-delà de leur portée
canonique limitée au diocèse de Paris.
65 DUNS SCOTUS, Ord., Prol., n. 5 (Vat. I, 5).
66 DUNS SCOTUS, Ord., Prol., n. 8 (Vat. I, 6) : «V I Metaphysicae distinguitur
habitus speculativus in mathematicam, physicam et metaphysicam ; et ex probatione
eiusdem, ibidem, non videtur possibile esse plures habitus speculativos, quia in istis
consideratur de toto ente, et in se et quoad omnes partes ». Cf. BOETII DACI, De
Ætemitate mundi, p. 347, 1. 320-328. L’argument a été transmis par HENRICUS DE
GANDAVO, Summa, a. 2, q. 3 in corp. ; a. 3, q. 3, in corp. et arg. 2 (Badius, 24M et
29L-K)
67 DUNS SCOTUS, Ord., Prol., n. 2 (Vat. I, 3) : « Ergo si non deficit in potentiis
inferioribus quantum ad necessaria eorum propter actus suos habendos et finem
earum consequendum, multo magis nec deficit in necessariis potentiae superiori ad
actum suum et finem consequendum ».
68 DUNS SCOTUS, Ord., Prol., n. 57 (Vat. I, 35).
238 OLIVIER BOULNOIS

sensible pour atteindre cet objet69. L ’objet de notre intellect est la


quiddité de la substance matérielle70. Le séparé est atteint, non pas
comme séparé en soi, mais comme abstrait à partir des sens.
Or Duns Scot critique à la fois l’idéal averroïste et la position de
Thomas.
I o) A l’idéal d’Averroès et Boèce, il répond tout simplement que la
possession de la plus haute science et la contemplation des causes les
plus hautes, y compris les intelligences célestes, n ’aboutissent qu’à
nous faire connaître l’existence de ces substances séparées, ou à inférer
qu’elles sont les causes non vues d’effets inférieurs. Elle ne permet pas
de parvenir à une connaissance quidditative, ou par la cause : un effet
déficient ne permet pas de connaître la quiddité de sa cause71. On peut
même dire qu’une telle connaissance est purement négative : on sait
seulement « ce que ne sont pas » ces substances séparées, car « elles ne
sont aucune de ces réalités inférieures, puisque nous connaissons
qu’elles sont des causes supérieures éminentes par rapport à elles »72.
Connaissance relative ou négative, cette conception de la métaphysique
ne nous donne aucune connaissance positive et quidditative des
substances séparées. L’argument de la finalité n’est d’ailleurs pas
valable aux yeux de Scot, car ce qui serait vain, ce serait de produire
des intelligibles qui ne puissent être pensés en eux-mêmes ; mais si des
intelligibles ne sont pas pensables par nous, cela ne rend pas pour
autant vaine leur intelligibilité73. La finalité n ’organise l’univers que
pour les êtres pourvus d’organes, afin qu’ils puissent atteindre leur fin.
L’idéal du monde comme tout organique ne vaut que pour ses parties
organiques. Lorsqu’une puissance est organique, l’organe a été fourni
par la nature. Mais lorsqu’une puissance n’est pas organique, la nature
a la puissance de tendre vers sa fin, sans que les propriétés postérieures
à cette puissance et lui permettant de parvenir à l’acte lui aient été

69 THOMAS DE AQUINO, ST la, q. 84, a. 7, resp. ; cité par DUNS SCOTUS, In II


Met., q. 3, n. 22 (St. Bon. III, 206).
70 THOMAS DE AQUINO, ST la, q. 88, a. 3, resp. ; cité par DUNS SCOTUS, In II
Met., q. 3, n. 25 (St. Bon. III, 207).
71 DUNS SCOTUS, In IIMet., q. 3, n. 49 (St. Bon. III, 215).
72 DUNS SCOTUS, In IIMet., q. 3, n. 50 (St. Bon. III, 215).
73 DUNS SCOTUS, In II Met., q. 3, nn. 39-40 (St. Bon. III, 212-213).
AU-DELA DE LA PHYSIQUE ? 239

données74. Dans le cas de la pensée, seule la puissance de penser a été


donnée aux êtres intelligents, et non des organes naturels pour atteindre
leur fin. L’intelligibilité des objets n’implique pas nécessairement
l’existence d’organes destinés à les penser. - Scot remplace donc la
notion ambiguë d'intellection abstraite par deux éléments dépourvus de
toute ambiguïté : l’intellection des réalités séparées, d’une part, (une
intuition qui ne nous est pas accessible), et celle qui nous est
naturellement accessible, qu’il appelle précisément la connaissance
« abstractive >>75.
2°) À la position de Thomas, Scot objecte que l’intellect est ime
puissance supérieure au phantasme et à l’imagination76. Si l’on devait
affirmer que nous ne pensons que ce dont nous avons reçu l’espèce
dans un phantasme, il faudrait en conclure que seul le sensible est
intelligible, ce qui est contraire à l’orientation de la métaphysique
défendue par Thomas lui-même77. Au contraire, nous pouvons con­
naître la quiddité des substances séparées à partir de la connaissance
que nous tirons des phantasmes ; c’est la définition de l’abstraction78.
En outre, l’âme connaît beaucoup de quiddités qui ne produisent pas de
phantasmes adéquats à leur nature ; par exemple, l’âme se connaît elle-
même, elle connaît les puissances de l’âme et les intentions secondes79.
Puisque nous connaissons dans leur quiddité beaucoup de choses qui ne
sont pas des substances matérielles, nous ne pouvons pas dire que la
substance matérielle est le premier objet de notre intellect, car elle n’est
pas la raison sous laquelle toutes choses sont connues par nous80. Nous
ne pourrions pas prétendre connaître la quiddité de la rose même s’il
n ’existait aucune rose, puisque dans ce cas cette quiddité ne se

74 DUNS SCOTUS, Ord., ProL, n. 76 (Vat. I, 46-47).


75 Cf. O. BOULNOIS, « Abstractio metaphysica. Le séparable et le séparé, de
Porphyre à Henri de Gand », in Die Logik des Transzendentalen. Festschrift fü r Jan
A. Aertsen zum 65. Geburtstag, ed. M. Pickavé, Berlin-New York, W. de Gruyter,
2003 (Miscellanea Mediaevalia, 30), pp. 37-59.
76 DUNS SCOTUS, In IIMet., q. 3, n. 56 (St. Bon. DI, 217-218).
77 DUNS SCOTUS, In IIMet., q. 3, n. 57 (St. Bon. III, 218).
78 DUNS SCOTUS, In IIM et, q. 3, n. 57 (St. Bon. HI, 218).
79 DUNS SCOTUS, In IIM et, q. 3, n. 58 (St. Bon. III, 218).
80 DUNS SCOTUS, In IIM et, q. 3, n. 67 (St. Bon. IE, 221).
240 OLIVIER BOULNOIS

réaliserait pas dans une matière81. Or nous pouvons penser la rose en


l’absence de tout bouquet.
Cette position noétique a des répercussions sur la structure de la
métaphysique. Aux yeux de Scot, la restriction de l’intellect aux
réalités matérielles barre l’accès aux transcendantaux. L’étant, la res, et
les autres transcendantaux s’impriment d’emblée dans notre intellect,
comme nous le rappelle Avicenne. Or ce ne sont pas des quiddités
matérielles82. L’objet premier de la métaphysique doit coïncider avec
l’objet premier de la noétique : comme l’enseigne Aristote, dans la
Métaphysique G, celui-ci est l’étant en tant qu’étant83. Duns Scot
conclut en introduisant la distinction entre la connaissance intuitive et
la connaissance abstractive. Même si la connaissance intuitive des
substances séparées est inaccessible, elles sont connues par ime
combinaison d’espèces intelligibles, de la même façon que l’imagina­
tion se représente la « montagne d’or » par combinaison de diverses
espèces sensibles84. Mais pour cette raison, l’essence spécifique d’une
de ces substances n’est connue que par l’entremise d’un concept
universel, celle-ci n’étant saisie en propre que par l’entrecroisement de
toutes ces déterminations, comme un individu par une description85.
L ’accès aux substances séparées est donc réalisée par l’entrecroisement
de déterminations transcendantales ou quasi-transcendantales. On peut
même parvenir alors à penser en propre une substance séparée, comme
ce sera le cas pour Dieu dans Y Ordinatio.
Scot conclut ainsi très classiquement que deux sortes de félicités
coexistent. La première est active, et consiste dans la plus haute
spéculation que nous puissions naturellement atteindre, la connaissance
abstractive de Dieu et des substances séparées. La seconde est passive,
et consiste dans la réception d’une autre félicité, plus éminente encore :
nous en sommes naturellement capables, même si elle provient d’un

81 DUNS SCOTUS, In IIMet., q. 3, n. 69 (St. Bon. El, 221).


82 DUNS SCOTUS, In IIM et, q. 3, n. 70 (St. Bon. El, 221-222).
83 DUNS SCOTUS, In II Met., q. 3, n. 93 (St. Bon. III, 227-228) ; cf. ARISTOTE,
Met. G 1 ,1003a21-22.
84 DUNS SCOTUS, In II Met., q. 3, n. 85 (St. Bon. IE, 225) ; cf. n. 80 (St. Bon.
IE, 224).
85 DUNS SCOTUS, In IIMet., q. 3, n. 85 (St. Bon. El, 225).
AU-DELA DE LA PHYSIQUE ? 241

agent surnaturel. Ainsi, notre nature est plus digne que ne le supposent
les philosophes : « En cela , la nature reçoit davantage de dignité que si
l’on soutenait que la plus haute félicité qui lui est accessible soit la
félicité naturelle ; et il n’est pas étonnant qu’il y ait dans une nature une
capacité passive de recevoir une plus grande perfection que celle à quoi
sa causalité active peut s’étendre »86.

V . C o n t r e T h o m a s d ’A q u in : a u t r e m e n t q u e l ’i n t e l l e c t

Cette doctrine de la double félicité peut se réclamer de saint


Thomas. Mais Scot ne s’accorde pas avec lui sur le moyen d’y accéder.
Pour Thomas d’Aquin comme pour Aristote, la volonté désire
nécessairement sa fin dernière, et de manière contingente les moyens
pour la rejoindre. Le libre arbitre se réduit donc à la délibération sur les
moyens. Ainsi, la distinction entre une science pratique et une science
spéculative est peu marquée, voire purement « accidentelle », comme le
dit Thomas, épinglé par Scot87. En effet, « il est accidentel à un objet
saisi par l’intellect qu’il soit ou non ordonné à l’action. Et c’est en cela
que diffèrent l’intellect spéculatif et l’intellect pratique. L’intellect
spéculatif est celui qui, lorsqu’il appréhende quelque chose, ne
l’ordonne pas à l’action, mais à la seule contemplation de la vérité. Au
contraire, est appelé intellect pratique celui qui ordonne à l’action ce
qu’il appréhende »88. Par exemple, l’intellect spéculatif appréhende la
santé comme un bien, l’appétit la désire, et l’intellect pratique
considère ensuite qu’il faut acquérir la santé. Ayant le désir de la fin,
l’intellect pratique délibère sur les moyens les meilleurs pour se
procurer ce qu’il recherche, et il termine son syllogisme pratique par
une conclusion concrète qui commande l’action. Tout ce raisonnement
aboutit à choisir l’action à accomplir en vue de cette fin. Mais,
puisqu’il a pour principe l’appréhension de la fin désirée, objet premier

86 DUNS SCOTUS, Ord., Prol., n. 75 (Vat. I, 46-47).


87 THOMAS DE AQUINO, ST la, q. 79, a. 11, resp. ; cf. DUNS SCOTUS, Ord.,
Prol., n. 239 (Vat. 1 ,164-165).
88 THOMAS DE AQUINO, ST la, q. 79, a. 11, resp.
242 OLIVIER BOULNOIS

de l’intellect pratique, on peut dire que la délibération présuppose la


volition de la fin, et n’est ordonnée qu’au choix des moyens qui y
conduisent89. Fondamentalement, la fin de la praxis humaine se
confond avec l’objet de la spéculation : « La fin de l’intellect est la fin
de toutes les actions humaines »90.
Or pour Duns Scot, cette thèse n’est pas acceptable. L’intellect
spéculatif et l’intellect pratique ne se distinguent pas seulement d’après
la fin qui est liée accidentellement à l’objet, mais l’habitus pratique et
l’habitus spéculatif ont des objets spécifiques, formellement et
essentiellement différents91. On ne dira pas davantage que notre action
est entraînée par la causalité qu’exerce la fin, car la cause finale n’est
qu’une cause métaphorique92 : « la fin n’est cause qu’en tant qu’elle est
aimée et désirée >>93. C’est donc ce qui exerce une causalité efficiente
sur nos actions, à savoir la volonté, qui détermine le mouvement que
nous accomplissons : nous pouvons donc connaître la fin sans la
vouloir, ce qui nous met aux antipodes de saint Thomas94.
Une connaissance ne devient pas pratique simplement parce que
l’action est sa fin, mais parce que l’action est son objet95. Or l’essentiel
de l’action, la praxis, est un acte de la volonté, c’est-à-dire d’une
puissance distincte de l’intellect, et naturellement postérieure à lui ; cet
acte volontaire est distingué par son rapport à la justice (la rectitudo de
saint Anselme): pour qu’un acte soit juste (rectus), il doit être choisi
par conformité à la connaissance pratique préalable96. Scot se plaît à
déduire cette interprétation de la droiture à partir d’un passage de
YEthique à Nicomaque VI : « La vérité de l’intellect pratique et de

89 Selon le résumé de DUNS SCOTUS, Ord, Prol., n. 240 (Vat. 1 ,165).


90 THOMAS DE AQUINO, ScG IH, c. 25, n. 2064 (ed. Pera, 33ab) ; cf. ARISTOTE,
Éthique à Nicomaque VI 2, 1139a27-29, et I’Expositio de ce lieu par THOMAS DE
AQUINO, lect. 2 (Leon. 1130).
91 DUNS SCOTUS, Ord, Prol., n. 241 (Vat. 1 ,166).
92 DUNS SCOTUS, Op. ox. II, d. 25, q. 1, n. 24 (Viv. XIH, 223).
93 DUNS SCOTUS, Ord, Prol., n. 253 (Vat. I, 170).
94 DUNS SCOTUS, Ord., Prol., n. 253 (Vat. I, 170).
95 DUNS SCOTUS, Ord, Prol., n. 260 (Vat. I, 176).
96 DUNS SCOTUS, Ord, Prol, n. 228 (Vat. I, 155) ; cf. n. 236 (Vat. I, 161).
AU-DELA DE LA PHYSIQUE ? 243

l’intellect dianoétique est d’être conforme à l’appétit droit »9798. Lorsque


Aristote écrit « le principe de l’action morale (praxis) est l’arbitre
(proairesis) »9S, Scot se borne à traduire ce terme par le concept de
volonté. Son volontarisme est donc plus aristotélicien qu’on ne le dit. Il
reconduit la rectitudo de saint Anselme à la « droiture » d’Aristote.
L’opposition entre ces deux interprétations d’Aristote, celle de
Scot et de Thomas, rejaillit sur l’essence de la béatitude. - Selon
Thomas, celle-ci « consiste dans l’acte de l’intellect » ". En effet, la
béatitude consiste dans « l’obtention de la fin dernière », qu’on
n’atteint pas par un simple acte de la volonté. Car la volonté « se porte
vers la fin à la fois en tant qu’absente, puisqu’elle la désire, et en tant
que présente, puisqu’elle y trouve son plaisir en reposant en elle ». Le
désir n’est pas l’obtention de la fin, mais le mouvement qui y conduit ;
et le plaisir s’ajoute à la présence de l’objet mais n’en est pas la source.
Nous atteignons donc notre fin par le fait qu’elle « nous devient
présente par un acte de l’intellect », et seul le plaisir qui suit cette
béatitude appartient à la volonté100.
Pour Scot, au contraire, notre fin est le souverain bien. Or le
souverain bien doit être voulu souverainement, il est donc par
excellence l’objet propre du vouloir. En outre, le vouloir ne dépend pas
de la pensée, mais c’est l’inverse101. Certes, c’est aussi par l’intellect
qu’est atteint l’objet béatifique, et cette obtention est primordiale, dans
Tordre de la génération, parce que par nature, l’intellection précède la
volition, mais elle n’est pas première dans Tordre de perfection. « Un
acte n ’est plus parfait que parce qu’il s’unit à un objet parfait ; or l’acte
de la volonté unit à la chose en elle-même, telle qu’elle est en soi ; et
l’acte de l’intellect ne s’unit qu’à la chose en tant qu’elle est un objet
dans le connaissant. Or l’objet béatifique est en soi sur un mode
absolument plus noble qu’il n’est dans le connaissant ; donc l’acte de la
volonté unit à l’objet béatifiant sous irne raison plus noble au sens

97 ARISTOTE, Éthique à Nicomaque VI 2, 1139a29-31.


98 ARISTOTE, Éthique à Nicomaque V I2, 1139a31.
99 THOMAS DE AQUINO, ST Ia-IIae, q. 3, a. 4.
100 THOMAS DE AQUINO, ST Ia-IIae, q. 3, a. 4.
101 DUNS SCOTUS, Op. ox. IV, d. 49, q. 4, n. 4 (Viv. XXI, 97 sq.).
244 OLIVIER BOULNOIS

absolu >>102. Selon Scot, donc, la béatitude est essentiellement volontai­


re, et la vision n’en est que la condition préalable. C’est donc à tort que
Thomas invoque Jean 17, 3 : « La vie étemelle, c’est qu’ils te
connaissent, toi le seul vrai Dieu », car il ne s’agit pas d’une définition
de l’essence de la béatitude : il faut au contraire comprendre le texte
« sine glossa », de la connaissance que l’on atteint de Dieu lorsqu’on
l’aime et qu’on jouit de sa présence (selon une herméneutique bien
franciscaine)103.
La jouissance (fruì) est un acte suscité par la volonté, et il ne
consiste pas dans le plaisir, ce qui revient à dire que le plaisir de l’objet
béatifiant n’appartient pas à l’essence de la béatitude, mais qu’il
l’accompagne, « comme la beauté la fleur de l’âge », pour reprendre
une image aristotélicienne104. La béatitude ne consiste donc en rien
d’autre qu’en l’acte d’adhérer à l’objet pour lui-même, d’aimer Dieu
pour lui-même, où la liberté de la volonté se détache de la nécessité
naturelle de l’intellect, mais cet acte libre est suivi de plaisir, comme
tout acte parfait105.
Nous touchons ici à que l’on a appelé le « volontarisme » de Scot.
Mais le terme, avec ses connotations péjoratives, est bien impropre. Il
vaut mieux le dire positivement : puisque, selon Duns Scot, l’éthique
relève de la pratique, et la pratique d’une autre puissance que le seul
intellect (Prologue de VOrdinatio), l’éthique (de la volonté) sort de
l’orbite de la spéculation métaphysique (de l’intellect). Entendue
comme discipline autonome, l’éthique se libère de la métaphysique
comme science.

102 DUNS SCOTUS, Op. ox. IV, d. 49, q. 4, n. 5 (Viv. XXI, 98) ; cf. d. 49, q. ex
latere, n. 20 (Viv. XXI, 163a).
103 DUNS SCOTUS, Op. ox. IV, d. 48, q. 1, n. 16 (Viv. XX, 515b).
104 ARISTOTE, Éthique à Nicomaque X 4, 1174b31-33 ; cité dans DUNS SCOTUS,
Ord. I, d. 1, n. 62 (Vat. II, 47).
105 DUNS SCOTUS, Ord. I, d. 1, nn. 67-68 (Vat. II, 51).
AU-DELA DE LA PHYSIQUE ? 245

V I. LA LIBÉRATION DE LA MÉTAPHYSIQUE
À L’ÉGARD DE LA COSMOLOGIE

Cette autonomie va de pair avec ime libération de la métaphysique


à l’égard de la cosmologie. J’en vois trois indices.

1. LA MEILLEURE PREUVE DE DIEU N’EST PAS COSMOLOGIQUE

Si la connaissance de Dieu demeure pour Scot la fin de la


métaphysique, l’accès privilégié à Dieu n’est pas donné à partir d’une
expérience du monde physique, mais du concept de l’étant en général.
Dans la question 1 du livre I de la Métaphysique, Scot soutient
qu’il existe une supériorité de la voie métaphysique sur la voie
physique pour accéder à l’existence de Dieu. Certes, toutes les deux ont
une certaine pertinence. Mais la physique n ’atteint pas Dieu dans son
essence la plus véritable. « Les deux sciences peuvent prouver qu’il
existe. Mais celle-ci [la métaphysique] plus immédiatement, car les
propriétés générales de l’étant créé, en tant qu’elles sont considérées
ici, conduisent davantage à la connaissance positive des perfections du
premier étant par voie d’excellence que les caractères spécifiques
considérés dans les autres sciences [...] En effet, la primauté du
mouvement semble moins excellente que l’existence absolue du
premier étant »106. L’accès physique à Dieu débouche toujours sur une
théologie négative, comme les œuvres d’Aristote, Maimonide et
Thomas d’Aquin permettent de le vérifier aisément. En revanche,
l’accès métaphysique débouche sur une théologie affirmative, qui
permet d’énoncer positivement quels sont les attributs divins.
En effet, le physicien, qui remonte vers Dieu à partir du
mouvement, n’atteint qu’un premier moteur, et non un premier étant.
« Le physicien ne démontre jamais l’existence du premier étant que par
accident, de sorte qu’il ne montre pas qu’il y a un premier étant, mais
qu’il y a un premier moteur »107. Ainsi, la connaissance physique est

106 DUNS SCOTUS, In IM e t, q. 1, n. 113 (St. Bon. III, 54-55).


107 DUNS SCOTUS, In IM e t, q. 1, n. 145 (St. Bon. m , 66).
246 OLIVIER BOULNOIS

plus accidentelle, plus extérieure à l’essence divine que la connaissance


métaphysique, qui est essentielle et interne à son essence. « Le
physicien démontre qu’il y a un premier moteur (primum movens), et à
partir de cette raison, dont la vérité est démontrée, le premier moteur
est démontré être immobile, incorruptible, etc. La métaphysique et la
physique portent donc un objet identique par accident. Mais le
physicien atteint Dieu plus par accident, car la plus haute description à
laquelle il parvienne est plus éloignée de la quiddité divine que la plus
haute [description] du métaphysicien »108. Au lieu de la série des
déductions qui permettent par entrecroisements successifs de déduire
les attributs divins les uns des autres, comme au début de la Somme
théologique, Scot propose de saisir les propriétés essentielles de la
nature divine, sa description, c’est-à-dire une quasi-définition, et d’en
déduire directement les attributs.
Au fond, les intelligences ne peuvent être l’objet de la
métaphysique que dans la mesure où celle-ci est abordée à partir de la
physique. Les intelligences ne produisent d’effet que par le
mouvement. Elles n ’ont donc le statut de causes qu’au titre de la cause
motrice. Elles ne sont donc considérées comme des causes qu’en
physique (dans la scientia naturalis) : l’interprétation cosmologique de
la métaphysique est en son fond une interprétation physico­
théologique109.
Pas plus que la métaphysique ne peut se contenter de porter sur les
substances séparées en visant le premier moteur, elle ne peut se
satisfaire d’un accès à Dieu comme cause agente. En effet, on ne
connaît un effet que par une cause nécessaire d’action. Or Dieu n’est
cause d’aucun effet de cette manière : il est une cause volontaire,
agissant librement - son action ne peut se laisser cerner par un accès
causal, efficient, nécessaire et métaphysique110.

108 DUNS SCOTUS, I n i M et, q. 1, n. 163 (St. Bon. III, 71).


109 DUNS SCOTUS, I n i Met., q. 1, n. 38 (St. Bon. III, 30).
110 DUNS SCOTUS, In I M et, q. 1, n. 39 (St. Bon. III, 30).
AU-DELA DE LA PHYSIQUE ? 247

2. LA MÉTAPHYSIQUE DÉTACHÉE DE LA NATURE

En outre, Scot montre que cette science est transcendantale parce


qu’elle est au-delà de la physique. Il le prouve par une étymologie
fantaisiste, mais instructive.

a. L’étymologie fantaisiste : science des transcendantaux

« Cette science, nous l’appelons métaphysique, ce qui vient de


«meto», c’est-à-dire «trans», et «ycos», «science», au sens de science
transcendantale (transcendens scientia), parce qu’elle porte sur les
transcendantaux »m . La métaphysique tire son nom de « science qui
transcende » (transcendens, ce qu’on traduit ordinairement par
« science transcendantale ») parce qu’elle est la science de ce qui est
au-delà {trans). Mais au-delà de quoi, sinon de la physique ? Scot le
justifie ensuite autrement : parce qu’elle porte sur « la connaissance des
réalités communes » {communium cognitio), elle est nécessairement
une science universelle {scientia universalis) »m . Malgré le sens obvie
de l’expression, transcender la physique n’est pas remonter au-delà,
vers le divin, mais se fonder en-deçà, vers la connaissance la plus
commune. Les autres sciences particulières ne peuvent être connues
avant que les réalités communes aient été connues : la métaphysique est
donc une science en droit antérieure aux autres112113.

b. La question de la substance

Contre une telle extension transcendantale, Scot rencontre une


première difficulté : la remarque d’Aristote selon laquelle l’étant se dit
d’abord de la substance114. La métaphysique peut-elle être une science
de l’étant si elle n’est pas d’abord science des substances ? En effet,
selon les Seconds Analytiques, dans une science, le sujet d’une science

111 DUNS SCOTUS, In Met., Prol., n. 18 (St. Bon. III, 9).


112 Ibid.
113 DUNS SCOTUS, In Met., Prol., n. 18 (St. Bon. El, 8).
114 DUNS SCOTUS, In Met., Prol., n. 18 (St. Bon. III, 9), en référence à ARIS­
TOTE, Met. G 2 , 1003b6-10.
248 OLIVIER BOULNOIS

est ce dont elle démontre les propriétés115. Or une propriété diffère


essentiellement de son sujet. Mais l’étant est inclus dans l’essence de
chaque chose, puisqu’il est prédiqué « in quid » de tout objet116. Il n’y a
donc pas de propriétés extérieures à l’étant démontrables à son
propos117, alors que c’est évidemment le cas pour la substance, sous-
jacente à tous les accidents et à toutes ses propriétés. - La réponse de
Scot est complexe : « Si ce n’est pas également, mais [que la science
traite] premièrement d’un [objet], dans la science de ce premier, on
traitera de ce qui appartient à l’étant en tant que tel et non dans l’autre
science [portant] sur un objet postérieur. Et ainsi, comme avant, il y
aura une science universelle, non pas parce que son sujet est universel
dans la prédication, mais selon un ordre de perfection »118. Autrement
dit, si la métaphysique est d’abord science de la substance, elle doit
néanmoins être universelle, et étudier la substance en tant qu’étant, et
non en tant que substance. Certes, la substance est première par la
perfection, mais l’étant reste le seul objet universel possible de la
métaphysique.
Scot développe également un autre argument : la substance n’est
première qu’en tant qu’elle est munie de quantité119. Or la science de
l’étant en tant qu’étant porte sur ce qui est commun aux diverses
catégories, donc qui est antérieur à la catégorie de la quantité. Elle ne
se limite donc pas à la substance.

3. LA p h y s iq u e e s t e l l e -m ê m e u n e s c i e n c e q u i d d it a t iv e

Troisième indice : la physique elle-même cesse d’être simplement


la science du mouvement, et du cours de la nature, elle devient une
science quidditative. Au lieu que la métaphysique soit interprétée du
point du vue de la physique, c’est réciproquement la physique elle-
même qui se trouve interprétée dans l’horizon de la métaphysique.

115 ARISTOTE, Anal. Post. I, 1, 71al 1-12.


116 ARISTOTE, Met. G 2, 1003b5-10.
117 DUNS SCOTUS, In I M et, q. 1, n. 8 (St. Bon. III, 18).
118 DUNS SCOTUS, In Met., Prol., n. 20 (St. Bon. III, 10).
119 DUNS SCOTUS, I n i Met., q. 1, n. 99 (St. Bon. III, 50).
AU-DELA DE LA PHYSIQUE ? 249

Cette relation est indiquée par Aristote, dans la Métaphysique E :


« La physique [porte sur] des réalités inséparables et mobiles ; la
mathématique, sur des réalités immobiles et inséparables ; la
philosophie première, sur des réalités séparables et immobiles » - il
faut noter que Scot comprend les expressions réalités « non-séparées »
ou « séparées » d’Aristote comme des réalités séparables ou non-
séparables. Dès la traduction, l’objet de la métaphysique est donc
moins les substances séparées que les réalités séparables, y compris par
abstraction120.
L’existence d’une métaphysique semble conditionnée par
l’existence de réalités immobiles et séparées : « S’il n ’y a pas de
substance autre que celles qui résultent de la nature {natura
consistentes) », la physique sera la première science, « car la physique
porterait alors sur la totalité des étants, comme elle porte maintenant
sur tous les objets naturels, car dans ce cas, tous les étants seraient
naturels »121. Soulignons-le : le motif donné par Scot est moins
l’excellence de l’objet constitué par l’intelligible séparé, que le
caractère universel, total, de la métaphysique : celle-ci porte sur la
totalité des étants, et, s’il n ’y avait pas d’autre objet que les réalités
mobiles et inséparables, ce serait en tant q u ’elle resterait universelle
que la métaphysique se réduirait à la physique.
Une autre difficulté provient du rapport d’antériorité de la
métaphysique comme science transcendantale. Si la métaphysique
traite de toutes les quiddités en tant que telles, il semble que les
sciences particulières, et notamment la physique, considèrent les
mêmes quiddités en y ajoutant une caractéristique extérieure,
accidentelle : dans le cas de la physique, son objet serait l’étant mobile
et inséparable122. Mais alors, l’objet de la physique n’aurait d’unité

120 ARISTOTE, Met. E 1, 1026al4-17, dans la citation qu’en donne DUNS SCO-
TUS, I n i M et, q. 1, n. 14 (St. Bon. IH, 20).
121 DUNS SCOTUS, I n i Met., q. 1, n. 70 (St. Bon. IH, 39).
122 DUNS SCOTUS, In I Met., q. 9, n. 18 (St. Bon. EU, 169). L’analyse évoque
AVERROES CORDUBENSIS, In IVMet., comm. 1 (ed. Iuntina, 64) ; In IPhys., conm.
83 (ed. Iuntina, 47).
250 OLIVIER BOULNOIS

qu’accidentelle, extérieure à l’objet, or, comme l’a signalé Aristote, une


imité accidentelle n’est pas objet de science123.
Dans sa réponse, Scot s’appuie sur le Commentaire de la Physique
d’Albert le Grand, pour lequel la considération des corps comme tels
est trop imprécise pour fonder l’unité d’une science, tandis que celle
des corps « en tant que mobiles » constitue « une raison formelle
unique », produisant un objet connaissable unique, qui est donc l’objet
« d’une science unique »124. La physique connaît par soi la mobilité
grâce à laquelle le corps est connu, elle connaît donc cette mobilité à
son tour comme une quiddità, et cette quiddità est la raison formelle de
la connaissance dans cette science125. La physique considère donc la
quiddità du mobile, en même temps que sa mobilité, ce qui l’ordonne à
être le sujet propre du mouvement126 ; la mobilité est donc une
propriété plus connue que le sujet du mouvement, elle est la ratio
cognoscendi de ce sujet : c’est par elle que l’on atteint ce sujet, c’est-à-
dire l’objet de la physique127. La mobilité est une propriété de la
quiddità, c’est pourquoi elle est connue avant l’être des substances
mobiles. Il y a donc entre la métaphysique et la physique une quasi-
déduction, une relation de supérieur à inférieur logique : l’objet de la
métaphysique est inclus, en raison de sa communauté, dans la
définition de celui de la physique128. La mobilité ajoute une différence
propre à l’être, sujet de la métaphysique.
Autrement dit, pour Scot, la différence que la physique ajoute à la
métaphysique est elle-même quidditative. « Selon ma position, elle
ajoute quelque chose d’essentiel, à savoir cette quiddità qui s’ajoute à
la quiddité »129. La physique est donc devenue, comme la

123 DUNS SCOTUS, In I Met., q. 9, nn. 18, 20 (St. Bon. El, 170), renvoyant à
ARISTOTE, Met. E 2, 1027a20-21 et 1026a34-b 4.
124 DUNS SCOTUS, In I Met., q. 9, n. 19 (St. Bon. El, 170), qui fait allusion à
ALBERTOS MAGNUS, Physica I, tr. 1, c. 3 (K IV/1, 5b) : « Non corpus tantum, sed
corpus mobile est subiectum scientiae naturalis ».
125 DUNS SCOTUS, In I Met., q. 9, nn. 24-25 (St. Bon. IE, 171).
126 DUNS SCOTUS, In I Met., q. 9, n. 38 (St. Bon. IE, 174).
127 DUNS SCOTUS, In I Met., q. 9, n. 39 (St. Bon. IE, 175).
128 DUNS SCOTUS, In I Met., q. 9, n. 31 (St. Bon. IE, 173).
129 DUNS SCOTUS, In I M et, q. 9, n. 40 (St. Bon. IE, 176).
AU-DELA DE LA PHYSIQUE ? 251

métaphysique, une science quidditative : elle considère en propre la


quiddità de la mobilité, et non simplement les étants mobiles. C’est
paradoxalement en imitant la métaphysique qu’elle en est plus
autonome. Car en ayant son propre objet quidditatif, elle est moins
subaltemée qu’une science qui porte sur le même sujet que la
métaphysique en y ajoutant une simple différence accidentelle.
Considérer la mobilité de l’être mobile rend une science plus autonome
que de considérer l’être mobile : car ce serait considérer le même sujet
que la métaphysique en lui ajoutant simplement un accident130. Si la
quiddité du mouvement est par soi le sujet de la physique, cette science
peut démontrer par elle-même ses principales propriétés. La
métaphysique n’est donc pas la seule science à considérer les
quiddités131.
Nous pouvons maintenant dissiper l’ambiguïté du titre et justifier
le point d’interrogation qui l’accompagne. Si l’expression « au-delà de
la physique » veut dire que Scot envisage une métaphysique comme
dépassement de la physique, un tel titre ne convient pas (même si
l’étymologie qu’il donne de « metaphysica » est « transcendens
naturam >>132). Scot n’envisage précisément pas la métaphysique
comme dépassement de la physique, mais comme science des
« transcendantaux »I33. Mais au sens où l’expression signifie que Scot
développe sa métaphysique et sa cosmologie à partir du dépassement
de toutes les conditions cosmologiques, il peut être maintenu. « En-

130 DUNS SCOTUS, In IMet., q. 9, n. 40 (St. Bon. III, 175-176).


131 DUNS SCOTUS, I n i Met., q. 9, n. 41 (St. Bon. HI, 176) : « Si sola haec per se
consideraret quiditates [ ...] » ; (St. Bon. HI, 177): «Sed secundum positionem
meam, si haec quiditas esset per se subiectum naturalis, cum habeat per se propriam
passionem, istam posset demonstrare ».
132 Vat. lat. 3022, f. 84va, cité dans DUNS SCOTUS, In Met., Prol., n. 18 (St. Bon.
m , 9).
133 Dans le Ms. Ripoll 109, par exemple. Même étymologie dans «Une
introduction à l’étude de la philosophie : Ut ait Tullius », § [16], ed. G. Dahan, in
L'Enseignement de la philosophie au XIIF siècle, Autour du « guide de l ’étudiant »
du ms. Ripoll 109, Actes du colloque international édité, avec un complément
d ’études et de textes, ed. C. Lafleur - J. Carrier, Tumhout, Brepols, 1997 (Supple­
menta Artistarum, 5), p. 52.
252 OLIVIER BOULNOIS

deçà de la physique » serait alors un titre moins ambigu et plus


pertinent.

Je crois avoir montré cinq points : I o) En utilisant la cosmologie


comme une parabole, et non comme le cadre du désir de Dieu, Scot
remplace en éthique le géocentrisme par le théocentrisme. 2°) Scot
rejette l’accomplissement cosmo-théologique de la félicité comme fin
de la nature, telle que la développait Averroès et l’averroïsme du
dernier tiers du XIIIe siècle. La distinction entre la pensée et son
organe, comme la séparation entre intelligence des substances séparées
et connaissance abstractive sont les outils philosophiques de cette
rupture. Mais 3°) Scot se bat aussi contre la position de Thomas
d’Aquin, encore partiellement ancrée dans ime cosmologie, mais, à
l’inverse de l’averroïsme, trop modérée quant aux capacités de notre
intellect. Nous avons une connaissance des quiddités dont nous n’avons
pas l’intuition, et même des possibles qui ne se réalisent jamais.
L’ordre du pensable ne se réduit donc pas à l’ordre du monde. En outre,
4°) l’ordre de la praxis et de la volonté ne se réduit pas à l’ordre
théorique. L’éthique est donc autonome par rapport à Tordre du
pensable, elle se réfère à la droiture instituée par Dieu dans sa loi
nécessaire, ou par l’homme dans son ordre contingent. Enfin, 5°) la
métaphysique et même la physique se constituent comme science sur le
plan quidditatif des essences et des relations nécessaires qu’elles
entretiennent entre elles. C’est pourquoi la démarche de Scot se détache
de Tordre physico-théologique qu’implique une remontée du cosmos à
sa cause.

À la lumière des résultats acquis, il me semble qu’il faut sur un


point modifier radicalement le modèle historiographique que propose
R. Brague. Certes, son analyse est remarquablement éclairante pour
désigner les formes de l’éthique ancienne et médiévale, et pour les
caractériser comme imitation du monde. Mais pour celle-ci, le passage
à la pensée moderne, où le monde cesse d’être le modèle de l’action,
provient essentiellement d’un fait historique et scientifique, l’abandon
du géocentrisme, avec le modèle cosmologique de Copernic. Une
rupture éthique et métaphysique serait donc le résultat d’un simple fait
positif. Or nous avons vu qu’à partir de Duns Scot, « le cosmos a perdu
sa fonction constitutive par rapport au sujet humain ». Il n ’apparaît plus
que comme le cadre où se déploie l’activité humaine, le décor du drame
de la liberté humaine confrontée à la liberté divine. Mais le monde lui
est, au fond, étranger, et l’homme « ne lui doit rien de ce qui [le] fait
AU-DELA DE LA PHYSIQUE ? 253

accéder à son humanité ». « Le monde ne peut plus nous aider à


devenir des hommes »134. J’utilise ici à propos de Duns Scot des
expressions que R. Brague applique à la rupture des temps modernes.
En effet, en puisant dans le profond « cosmoclasme » de saint Augustin
et d’Anselme, Scot inaugure ime rupture radicale avec la détermination
cosmologique de l’humanité que l’on trouvait chez ses prédécesseurs
gréco-arabes et scolastiques latins. Il peut le faire au nom de plusieurs
principes : le principal est la déduction des possibles dans l’intellect
divin, qui a pour corollaire la radicale contingence de notre monde, et
l’éventualité d’une coexistence d’autres compossibles. Le second est
l’idée que l’ordre droit n’est pas l’ordre du monde, mais la norme du
bien instituée par la volonté divine. La métaphysique et l’éthique
dépendent d’un ordre législatif et quidditatif universel, et non de notre
situation dans l’ordre du monde. Comme dans les sagesses bibliques
décrites par ailleurs par R. Brague, c’est la loi divine qui norme
l’éthique humaine, mais celle-ci est d’abord la loi ontologique qui
ordonne les relations entre les possibles et les essences. Cette nouvelle
interprétation serait donc non « positiviste » : la rupture dans le cadre
de l’éthique serait scotiste avant d’être copemicienne, c’est-à-dire
qu’elle serait métaphysique avant d’être scientifique.
On peut trouver une confirmation de cette hypothèse dans les
développements de la physique théologique du XIVe siècle. Dans le
sillage des réflexions sur la toute-puissance divine et la pluralité des
mondes, les spéculations sur le vide entre les divers mondes,
conduisent à penser l’espace comme un intervalle imaginaire,
indépendant des mondes qu’il contient135. L’espace et le temps
deviennent des mesures homogènes, universelles, remplaçant le lieu
des corps et la durée des mouvements136. Chez Nicolas de Cues aussi,

134 BRAGUE, La sagesse, op. cit., p. 247.


135 Voir O. BOULNOIS, La Puissance et son ombre. De Pierre Lombard à Luther,
Paris, Aubier, 1994.
136 Pour une préhistoire de cette évolution, voir O. BOULNOIS, «D u lieu
cosmique à l’espace continu ? La représentation de l’espace selon Duns Scot et les
condamnations de 1277 », in Raum und Raumvorstellung im Mittelalter, eds. J. A.
Aertsen - A. Speer, Berlin-New York, W. de Gruyter, 1998 (Miscellanea
Mediaevalia, 25), pp. 314-331 ; ID., « Du temps cosmique à la durée ontologique ?
Duns Scot, le temps, Laevum et l’éternité », in The Medieval Concept o f Time. The
254 OLIVIER BOULNOIS

Dieu est à la fois le centre et la circonférence du cosmos, privant ainsi


la terre de sa situation centrale. Les calculatores d’Oxford, en
multipliant les hypothèses quantificatrices pour mesurer l’intensité des
formes, facilitent leur utilisation aux quantités extensives. Et Jean de
Ripa n ’hésite pas à considérer l’infinité divine comme le « terme
inclusif» de l’infinité créée du monde137. Or dans ces innovations
conceptuelles, c’est la théologie qui sert de « banc d’essai » à toutes les
hypothèses physiques. Et même si toute cette évolution ne découle pas
directement d’une hypothétique influence de Scot, il est manifeste que
la rupture scotiste est la première des nombreuses secousses qui ont
détruit le primat théorique de la cosmologie aristotélicienne au XIVe-
XVe siècle.

École Pratique des Hautes Études, Paris

Scholastic Debate and Its Reception in Early Modem Philosophy, ed. P. Porro,
Leiden-Boston-Köln, Brill, 2001 (STGMA, 75), pp. 161-188 .
137 Voir J. COLEMAN, « Jean de Ripa and the Oxford Calculators », Medieval
Studies 37 (1975), pp. 130-189.
T im o t h y b . n o o n e

L ’UNIVOCITÉ DANS LES

QUAESTIONES SUPER LIBROS DE ANIMA

C’est vraiment un honneur et un privilège pour moi de donner une


conférence à Paris au colloque célébrant l’arrivée de Jean Duns Scot, il
y a 700 ans, afin de commenter les Sentences de Pierre Lombard et
obtenir son doctorat dans la célèbre faculté de théologie de l’université
de Paris. Il nous faut remercier le comité organisateur de nous avoir
invités à cette fête, ainsi que pour ses efforts de promotion des études
médiévales, scotistes en particulier.
Tout d’abord, je dois présenter des excuses parce que je ne pourrai
pas faire face à une difficulté. Comme vous le savez, il y a de grands
savants qui hésitent à accepter les Quaestiones super libros De anima
comme un ouvrage authentique de Jean Duns Scot1. Je suis donc con­
fronté au dilemme suivant : si je donne une démonstration complète de
l’authenticité des QQ De anima, je dois renoncer à traiter le sujet
annoncé ; mais si je donne ma communication sans discuter l’authenti­
cité de l’ouvrage, ma présentation semblera manquer d’un fondement
suffisant. Pour surmonter ce dilemme, du moins dans une certaine
mesure, j ’ai préparé une annexe qui contient des informations d’impor-

1 Pour des doutes, voir G. SONDAG, « Note sur les œuvres de Jean Duns Scot et la
littérature scotiste récente », in DUNS SCOTUS, Prologue de I’Ordinatio, trad. G.
Sondag, Paris, PUF, 1999 (Epiméthée), p. 10 ; C. BÉRUBÉ, La connaissance de
l ’individuel au Moyen-Age, Montréal, Presses de l’Université de Montréal, 1964, p.
224 ; C. BÉRUBÉ, « Antoine André, témoin et interprète de Scot », Antonianum 54
(1979), pp. 386-389. Dans ce qui suit, je citerai les Quaestiones super libros De
anima Aristotelis par l’expression QQ De anima, et je me référerai à l’édition de
Vivès, ainsi qu’à l’édition à paraître de notre Projet Scotiste de l’Université
Catholique de Washington.
256 TIMOTHY B. NOONE

tance sur l’authenticité de l’ouvrage ; à ma connaissance, ces informa­


tions ne sont pas connues des savants que j ’ai mentionnés. Toutefois,
présenter des documents tendant à confirmer l’authenticité d’un ouvra­
ge n ’est pas du tout la même chose que de la démontrer. Je le recon­
nais, et c’est pourquoi je vous prie de m ’en excuser. Disons pour le
moment que ma communication assume l’hypothèse bien fondée que
l’ouvrage est de Jean Duns Scot.

I. L ’a r r i è r e -p l a n d e l a d i s c u s s i o n d e l ’u n iv o c it é
DANS LES Q Q D E ANIMA

Si l’on considère l’ordre des textes dans la première partie de la


troisième distinction du premier livre de Y Ordinatio, l’on perçoit la
succession suivante : après une brève discussion de la cognoscibilité de
Dieu par le viateur à partir des créatures, l’on a la première formulation
de l’univocité de l’étant, dans les questions 1 et 2. Puis, dans la
question 3 de la même partie, « Dieu, est-il le premier objet naturel
adéquat au regard de l’intellect du viateur? », Ton trouve l’examen des
opinions de Thomas d’Aquin et Henri de Gand sur l’objet de notre
intelligence, avec les critiques avancées par Jean Duns Scot, suivies
d’une discussion de l’univocité et de la conception scotiste de l’objet
premier et adéquat de notre intelligence. Le texte de la Lectura suit
pratiquement le même ordre, quoiqu’il se réduise à deux questions
seulement, qui correspondent aux trois questions de Y Ordinatio, la
discussion de l’objet propre de notre intelligence étant intégrée dans la
structure de la deuxième question.
Quand on examine les QQ De anima, Ton découvre une série des
questions telles que celles-ci : q. 18, « Utrum intellectus noster possit
intelligere sine phantasmate » ; q. 19, « Utrum quiditas sensibilis
tantum sit obiectum intellectus » ; q. 20, « Utrum verum vel ens sub
ratione veri sit obiectum primum intellectus » ; enfin, q. 21, « Utrum
ens sit obiectum primum intellectus nostri ». La discussion de la thèse
de Thomas d’Aquin, selon laquelle l’objet de l’intelligence humaine,
c’est-à-dire son objet naturel et adéquat, est l’essence d’une substance
sensible, se trouve aux questions 18 et 19 ; la thèse d’Henri de Gand est
discutée à la question 20 ; enfin, la présentation attendue de la doctrine
de l’univocité se trouve dans la dernière question, q. 21.
L’UNTVOCITE DANS LES QQ DE ANIMA 257

Si l’on considère la structure de l’un et l’autre textes, l’on peut dire


que l’ordre des questions dans les QQ De anima est l’inverse de celui
des questions et arguments développés dans les commentaires théolo­
giques : la présentation de la doctrine de l’univocité est réservée pour la
fin, et l’on arrive à cette doctrine comme par un processus d’élimi­
nation, pour ainsi dire par une méthode inductive. Dans les commen­
taires théologiques, en revanche, l’on rencontre d’abord une doctrine
magistrale et fondamentale pour toute connaissance rationnelle ou
révélée de Dieu, en dépit de la note d’hésitation qui apparaît au
moment de la seconde présentation de l’univocité dans les commen­
taires théologiques, quand, par exemple, on lit dans la Lectura : « Ideo
concludo quod vel nullum obiectum erit primum intellectus nostri, vel
oportet ponere univocationem entis, modo praedicto »2. A ce sujet, l’on
remarque que le doute dans les commentaires théologiques porte sur la
manière de poser l’univocité, la façon exacte dont l’étant se prédique
des choses, relativement à l’objet propre de l’intellect humain ; l’aspect
de certitude est situé avant, dans la discussion sur la cognoscibilité de
Dieu et les conditions de possibilité de cette connaissance. Par ailleurs,
dans les QQ De anima, le point de certitude concerne la résolution du
problème de l’objet premier de l’intelligence humaine ; il n’y a pas de
doute dans la manière de poser la doctrine de l’univocité, et ses
applications au problème de la connaissance naturelle de Dieu sont
subordonnées au problème principal du commentaire sur le texte
d’Aristote, qui traite de l’âme humaine et de ses propriétés, y compris
ses puissances cognitives. L’examen de la théorie de l’analogie, en
particulier telle qu’on la trouve dans l’oeuvre d’Henri de Gand, et ses
implications pour notre connaissance rationnelle de Dieu sont
minimisées ; la théorie d’Henri mise en question dans ce passage est
celle de la Summa, a. 34 q. 2-5 et du Quodlibet III q. 14, c’est-à-dire les
mêmes textes que ceux utilisés par Scot dans la question parallèle à la
question 20 des QQ De anima dans les Quaestiones super libros
Metaphysicorum Aristotelis, VI q. 33.

2 IOANNES DUNS SCOTUS, Lect. I, d. 3, pa. 1, qq. 1-2, n. 97 (Vat. XVI, 261).
3 IOANNES DUNS SCOTUS, In VI Met., q. 3, nn. 7-14 (St. Bon. IV, 58-61). Cf.
QQ De anima, q. 20, nn. 5-13 (Viv. q. 20 n. 1-3, 608a-609a). Les textes d’Henri sont
les suivants : HENRICUS DE GANDAVO, Quodlïbeta III q. 14, Paris, 1520, f. 70rC ;
258 TIMOTHY B. NOONE

II. A n a l y s e d e s q u e s t io n s p r é l im in a ir e s

Commençons donc notre analyse des textes dans l’ordre des


questions des QQ De anima, avec la réfutation de l’opinion de Thomas
d’Aquin par Duns Scot à la question 19. Ici, comme dans les commen­
taires théologiques, la discussion porte sur la position de saint Thomas
dans sa Summa theologiae, première partie, question 85, article 1, où le
Doctor Angelicus, comparant les facultés naturelles des bêtes, des
anges et des hommes, présente le raisonnement suivant : les objets des
puissances cognitives doivent correspondre à ces puissances ; les objets
des puissances organiques correspondent aux puissances sensitives, ce
sont donc les matériels ; l’objet des puissances intellectuelles corres­
pond aux Intelligences séparées dans leur être et dans leurs opérations ;
en tant que l’objet de leurs puissances est séparé de la matière dans son
être, c’est une quiddité immatérielle ; l’objet de l’intellect humain,
donc, doit être un objet intermédiaire, un objet matériel en son être,
mais séparé par l’intelligence humaine grâce à son effort d’abstraction,
et c’est la quiddité de la chose matérielle4.
La critique formulée ici par Duns Scot est presque la même que
celle qu’il proposera dans les commentaires théologiques : notre

ID., Summa, a. 34 q. 3, Louvain, Leuven University Press, 1991 (Opera Omnia


Henrici de Gandavo XXVII), pp. 189-194.
4 QQ De anima, q. 19, n. 5 (Viv., q. 19, n. 2, 599a-b) : « Ad hoc dicunt quidam,
scilicet Thomas, quod quiditas rei sensibilis est obiectum adaequatum intellectus
nostri, quod sic probant. Obiectum proportionatur potentiae cognitivae. Modo ita est
quod quaedam potentia cognitiva est organica, et ideo eius obiectum est materiale, et
quia materia est principium individuationis secundum eos, ideo earum obiectum est
signatum ; alia autem potentia est omnino immaterialis et secundum esse et secundum
operationem, sicut intellectus angeli, et ideo primum eius obiectum est quiditas
omnino immaterialis ; alia est potentia cognitiva, quae est quidem secundum esse in
materia, sed secundum operationem non, sicut intellectus humanus qui secundum esse
corpus informat, non tamen utitur organo in sua operatione, et ideo obiectum eius
proprium est quiditas exsistens in materia secundum esse, quam tamen non intelligit
ut in materia, sed ut abstractam secundum rationem ab ea ». Cf. DUNS SCOTUS, Lect.
I, d. 3, pa. 1, qq. 1-2, n. 38 (Vat. XVI, 239) et Ord. I, d. 3, pa. 1, q. 3, nn. 111-112
(Vat. HI, 69-70). Pour les textes de Thomas d’Aquin, voir ST la, q. 85, a. 1 in corp.
(Leon. V, 330b-331a).
L’UNIVOCITE DANS LES QQ DE ANIMA 259

intelligence sera capable de voir l’essence de Dieu, mais cette activité


serait impossible si l’intellect humain avait la quiddité matérielle pour
objet propre, puisque Dieu ne tombe pas sous cet objet. Si l’on répond
avec saint Thomas que la vision béatifique reste possible, soit parce que
le lumen gratiae élèvera l’intellect humain à la vision de Dieu, soit
parce que l’intellect humain acquerra cette capacité dès qu’il devient
séparé, Duns Scot réplique selon son habitude à la première réponse de
Thomas que le donum luminis gratiae ne peut métamorphoser ou
recréer la nature de l’intellect humain et donc, si Dieu est vu par nous,
c’est parce qu’il tombe sous l’objet propre de l’intellect humain ; à la
seconde réponse, par laquelle Thomas veut élever la condition naturelle
de notre intelligence même si son objet propre reste la quiddité
matérielle, Duns Scot objecte que l’intellect, dans quelque statut que ce
soit, ne pourra voir ni Dieu ni aucune autre Intelligence séparée si son
objet propre est la quiddité de la chose matérielle. Duns Scot remarque
par ailleurs que la théorie de saint Thomas met en question l’objet de la
métaphysique, qui est Yens inquantum ens, un concept qui dépasse la
quiddité matérielle, et qu’elle présente aussi des difficultés pour
expliquer notre connaissance naturelle de Dieu. Par exemple celle-ci :
si l’on arrive à Dieu par une preuve, à la fin de la démonstration
connaît-on Dieu par un concept qui lui soit vraiment propre ? Si non,
nous ne satisfaisons pas notre désir de connaître Dieu, un désir naturel
décrit par Aristote5 lui-même au début de la Métaphysique ; si oui,
alors on forme un concept propre de Dieu qui évidemment transcende
celui de la quiddité matérielle6.
La réponse de Scot à la question 19 est la suivante : quoique selon
le processus d’appréhension de notre intelligence la quiddité matérielle
soit l’objet connu en premier, elle ne constitue pas l’objet propre de
notre intelligence, puisque nous pouvons avoir une certaine connais­
sance de Dieu, même si celle-ci est très limitée7. De ce point de vue, il

5 ARISTOTE, Met. A 1, 980a21-29 (ed. Jaeger, 1).


6 DUNS SCOTUS, QQ De anima, q. 19, nn. 6-15 (Viv., q. 19, nn. 2-4, 599b-600a).
Les textes parallèles dans la Lectura et Y Ordinatio sont les suivants : Lect. I, d. 3, pa.
l, qq. 1-2, nn. 41-44 (Vat. XVI, 240-241) ; Ord. I, d. 3, pa. 1, q. 3, nn. 114-122 (Vat.
m , 71-75).
7 DUNS SCOTUS, QQDe anima, q. 19, n. 18 (Viv., q. 19 n. 5, 601a) : « Dicendum
igitur ad quaestionem quod via generationis vel acquirendo scientiam prius
260 TIMOTHY B. NOONE

faut faire une distinction importante : le premier objet de notre


intelligence selon l’ordre de perfection est Dieu et les autres substances
séparées, alors que le premier objet selon l’ordre d’appréhension est la
quiddità matérielle.
Avant de terminer la présentation de la critique de Thomas
avancée par Duns Scot dans les QQ De anima, nous devons faire une
autre remarque importante. Dans la question 19, Scot décrit le proces­
sus pour la construction d’un conceptus proprius complexus par lequel
nous pourrions obtenir un conceptus proprius de Dieu. L’analogie
utilisée ici par Scot est, comme souvent, le triangle : je peux acquérir la
notion de triangle comme étant la première figure géométrique, sans
avoir jamais vu un triangle dans sa spécificité et son essence. De même,
je peux construire un conceptus complexus ex conceptibus simplicibus
qui pourrait avoir Dieu comme objet et fonctionnerait comme base
d’une théologie naturelle8.
Comme déjà indiqué, la théorie d’Henri de Gand à laquelle Duns
Scot se réfère dans les QQ De anima est celle qu’Henri propose dans sa
Summa, article 34, questions 3-5, ainsi que dans son Quodlibet III,
question 14. Selon cette théorie, nous devons dire que l’objet propre de
notre intelligence est le vrai, ou l’étant sous la notion du vrai, plutôt
que l’étant comme tel. Henri raisonne ainsi : l’âme, indéterminée en
elle-même, reçoit sa détermination aux puissances sensitives par les
organes du corps, mais les puissances supérieures, l’intellect et la
volonté, sont dépourvues d’organes. Pour ces dernières, il faut supposer
que leur distinction ressort d’une différence formelle de leur objet res­
pectif, le bon pour la volonté et le vrai pour l’intellect. Le bon et le vrai
sont des relations (respectus) ajoutées à l’étant. Si l’on dit que l’objet
de l’intellect est seulement l’étant et non Tétant determiné par la

apprehendimus quiditates sensibilium, quia pro statu naturae lapsae nihil intelligimus
nisi cum ministerio sensibilium ; tamen illa non sunt proprium et adaequatum
obiectum intellectus nostri ; sed etiam possumus intelligere substantias separatas. Et
tale obiectum est prius via perfectionis et simpliciter, quia per talem cognitionem
attingitur obiectum perfectissimum quod est Deus et substantiae separatae aliae, etiam
pro statu viae ; et licet talis cognitio sit aenigmatica, tamen perfectior est omni alia
cognitione nostra respectu inferioris creaturae ».
8 DUNS SCOTUS, QQ De anima, q. 19, nn. 20-26 (Viv., q. 19, nn. 5-7, 60 la-
602b).
L’UNIVOCITE DANS LES QQ DE ANIMA 261

relation au vrai, l’on ne peut distinguer entre la volonté et l’intellect,


parce que ces deux puissances partageraient alors un seul et même
objet, l’étant en tant que tel.
Duns Scot répond, comme d’habitude, que les respectus ne peu­
vent pas spécifier quelque chose ; seul un absolutum peut le faire. Un
exemple suffit pour le montrer : nous pouvons comprendre quelque
chose non seulement secundum rationem veri mais aussi secundum
rationem boni. « Donc, la raison du vrai n’est pas la raison formelle de
l’objet de l’intellect ». De même, « ils disent [Henri et Richard de
Middleton9] que la raison formelle du bon n’est pas la raison formelle
du vrai ; donc le bien peut être conçu en tant qu’il est différent du
vrai ». Par suite, « tout ce qui est conçu est conçu sous la raison
formelle de l’objet de l’intellect10 ». Une autre considération, encore,
est que le vrai ne peut être prédiqué des choses intelligibles selon le
premier mode de prédication, ce qui devrait être le cas pour le premier
objet d’une puissance cognitive11.

III. LA 21 e QUESTION DES QQ DE ANIMA

Comme nous l’avons vu, quand on arrive à la question qui traite de


l’univocité dans les QQ De anima, l’on a déjà examiné comment Duns
Scot rejette les théories de Thomas et Henri, qui sont les principales au
temps de Duns Scot en ce qui concerne l’objet premier de notre
intelligence. La problématique se développe ainsi : si l’on pose l’étant
comme l’objet propre et premier de l’intellect humain, il semble que le
modèle aristotélicien pour une puissance psychologique n’est pas suivi.
Une puissance doit tendre à tout ce qui est contenu dans son objet, mais
notre intelligence ne peut pas tendre à tout ce qui est compris sous le
concept d’étant. Par ailleurs, l’objet premier doit avoir un seul concept
pour qu’il meuve l’intelligence et que l’intelligence puisse le com­

9 RICARDUS DE MEDIAVILLA, In II Sent., d. 24, p. 1, q. 5, Brescia, 1591, f.


97va-b.
10 DUNS SCOTUS, QQ De anima, q. 20, n. 4 (Wad. II, 562).
11 DUNS SCOTUS, QQDe anima, q. 20, n. 14 (Viv., q. 20, n. 5, 609b).
262 TIMOTHY B. NOONE

prendre dans un seul acte (unico actu), mais l’étant n’est pas un
concept univoque parce qu’il ne se dit pas d’une seule manière des
choses qui tombent sous sa notion. Enfin, selon le principe que les
choses ont des degrés proportionnels à leur propre entité et
cognoscibilité, Dieu doit être le premier objet de l’intellect, puisqu’il
est l’Étant Premier, et que toutes les autres choses sont seulement par
participation12. Dans le Sed contra, l’on trouve une version du dictum
praeclarum d’Avicenne : l’étant et l’un sont les premières notions
imprimées dans notre intelligence. Comme argument selon la raison,
l’on a l’affirmation que l’étant est prédiqué essentiellement de toutes
les choses que nous pouvons connaître13.
Il faut remarquer ici que la dimension théologique de la discussion
est introduite par la nécessité de répondre à l’objection suivant laquelle,
si l’étant est l’objet de l’intellect humain, Dieu doit être pleinement
connaissable pour nous. Dans les QQ De anima, la discussion vise à
expliquer comment Dieu n’est pas totalement compris par nous mais
est, néanmoins, connaissable par notre intelligence ; au contraire, dans
les commentaires théologiques, la discussion cherche à justifier la pos­
sibilité de notre connaissance naturelle de Dieu. Cela entraîne pour le
moins une importante différence d’accentuation entre les QQ De anima
et les commentaires théologiques.
Comme dans la Lectura et Y Ordinatio, dans les QQ De anima
Duns Scot prépare sa discussion de la problématique en distinguant les
sens selon lesquels on peut dire qu’un objet est premier14. Un objet est
dit premier en trois sens : soit dans l’ordre de la génération, comme
dans l’exemple du père et son fils ; soit dans l’ordre de la perfection (en
ce sens, Dieu est l’objet premier de notre intelligence) ; soit enfin dans
l’ordre d’adéquation. Pour le présent propos, seul le dernier sens nous
intéresse. Il faut noter aussi une distinction ultérieure entre deux sens
de l’adéquation : un objet peut être adéquat ou bien secundum virtutem
ou bien secundum praedicationem. Si l’on prend le premier sens, il faut

12 DUNS SCOTUS, QQDe anima, q. 21, un. 1-3 (Viv., q. 21, n. 1, 612a-b).
13 DUNS SCOTUS, QQ De anima, q. 21, un. 4-5 (Viv., q. 21 n. 1, 612b).
14 DUNS SCOTUS, QQ De anima, q. 21, n. 6 (Viv., q. 21, n. 2, 612b). Cf. DUNS
SCOTUS, Lect. I, d. 3, pa. 1, qq. 1-2, nu. 66-67 (Vat. XVI, 249) ; Ord. I, d. 3, pa. 1,
qq. 1-2, nn. 69-70 (Vat. III, 48-49).
L’UNIVOCITE DANS LES QQ DE ANIMA 263

que l’objet d’une puissance puisse la mouvoir à connaître toutes les


choses qu’elle peut connaître ; si l’on prend le second, il faut que
l’objet de cette puissance puisse être prédiqué de toutes les choses
qu’elle peut connaître. Les exemples des deux sens de l’adéquation
sont les suivants : l’essence divine peut mouvoir l’intellect divin à
connaître toutes choses, alors que le terme ‘essence divine’ ne peut,
quant à lui, être prédiqué de toutes les choses dont l’intellect divin a la
connaissance, par exemple la couleur, qui ne peut être prédiquée que
des choses visibles.

IV . L ’OBJET PREMIER ADÉQUAT À NOTRE INTELLIGENCE

En se fondant sur ces distinctions, Scot explique le plan de son


exposé. Ce qu’il veut montrer, c’est que l’étant est l’objet premier de
notre intelligence. Les premiers arguments visent à prouver la thèse de
l’adéquation de l’étant indirectement, les autres directement. La
discussion de l’univocité n’est introduite qu’après la démonstration de
l’adéquation de l’étant à notre intelligence secundum virtutem. D ’autre
part, pour pouvoir revendiquer l’adéquation de l’étant secundum prae­
dicationem, il apparaît que cette deuxième sorte d’adéquation ne peut
être défendue qu’à la condition d’accepter l’univocité15.
Les preuves indirectes de l’adéquation de l’étant ne sont pas autre
chose que des arguments déjà avancés contre Thomas et Henri,
maintenant appliqués au problème par division. Il y a quatre candidats
pour l’objet premier : 1) l’étant, 2) le vrai, 3) Dieu, 4) la substance. La
seconde possibilité a été éliminée dans la question vingt ; la troisième
est écartée, car Dieu ne peut pas être prédiqué de toutes les choses
connaissables par nous, et ne peut induire notre intellect, du moins dans
notre status actuel, à connaître toutes les choses que lui-même connaît.

15 DUNS SCOTUS, QQ De anima, q. 21, n. 21 (Viv., q. 21, n. 7, 615a) : « Sed


quod sit etiam obiectum respectu suorum inferiorum, scilicet Dei et creaturae,
primitate praedicationis, ostendo, quia ad hoc requiritur, ut dictum est, quod tale
obiectum praedicetur essentialiter et per se de omnibus intelligibilibus, et per
consequens univoce aliqua univocatione ; sed ens est huiusmodi ; igitur etc. ».
264 TIMOTHY B. NOONE

Une autre considération est que Dieu n’a aucune proportion avec notre
intelligence, puisque toute notre connaissance prend son origine dans
les sens. En ce qui concerne la substance, elle ne peut pas servir comme
objet premier de notre intelligence, puisqu’elle ne peut être prédiquée
de toutes les choses que nous connaissons (par exemple les accidents),
ni ne peut fonctionner comme le moteur de notre intellect pour
connaître toutes les autres choses, comme le montre le cas de
l’Eucharistie. La seule possibilité qui reste est l’étant, qui doit donc être
l’objet premier.
Les preuves directes sont divisées selon le mode de prédication
qu’elles visent à illustrer. Les premières cherchent à montrer que l’étant
est le premier objet selon la virtualité, car lui seul meut l’intellect
humain à connaître tout ce qu’il peut connaître. Dans cette section de la
question 21, Duns Scot vise à montrer que l’un, la vérité, et le bon ne
peuvent jouer le rôle d’objet premier1617.

Y . L ’UNIVOCITÉ

Plus intéressante est la section suivante, dans laquelle on trouve


des preuves directes pour l’adéquation de l’étant par prédication. Ici, le
Docteur Subtil pose que, pour être prédiqué de toutes choses
connaissables par nous, le concept d’étant doit être univoque. Il allègue
l’autorité d’Aristote, selon lequel le feu est la cause du chaud dans
toutes les choses qui sont chaudes, puisqu’il fonctionne comme une
cause univoque. Duns Scot argumente ensuite ainsi : si l’on pose que
l’étant est dit de Dieu et de la créature aequivoce vel analogice, non
univoce, il suit que l’étant convient à Dieu pris au sens primordial, et
aux créatures par participation seulement. Or, si le concept d’étant est
dit primordialement de Dieu et non des créatures, ce concept est propre
à Dieu, et il est ce par quoi Dieu se distingue pour nous de la créature,
ce qui est faux, puisque nous ne connaissons Dieu que confusément par
notre concept de Yens11. D’autre part, Duns Scot avance l’argument

16 DUNS SCOTUS, QQ De anima, q. 21, nn. 14-20 (Viv., q. 21 5-6, 614b-615a).


17 DUNS SCOTUS, QQ De anima, q. 21, n. 22 (Viv., q. 21 n. 7, 615b-616a).
L’UNIVOCITE DANS LES QQ DE ANIMA 265

suivant : chaque concept d’une créature nous fait connaître le concept


de l’étant ; mais aucun concept d’aucune créature ne nous donne un
concept propre de Dieu ; donc le concept d’étant et le concept propre
de Dieu sont distincts18.
L’on pourrait penser que l’examen de la question soulevée étant
maintenant terminé, Duns Scot va se tourner vers les objections posées
au début de la question. En effet, la question demandait si Yens est
l’objet premier de notre intellect, pris au sens de l’adéquation. C’est ce
que le Docteur Subtil vient de montrer.
Cependant, au lieu de revenir aux argumenta ad oppositum, Duns
Scot introduit en ce point de nouveaux arguments en faveur de
l’univocité de l’étant. Le texte mérite d’être cité en larges extraits :
Quod etiam conceptus entis sit communis univoce substantiae et accidenti,
probo, quia si non, nullum conceptum de substantia haberemus. Aut enim
haberemus de substantia conceptum proprium et quidditativum et intuiti-
vum, aut abstrahibilem ; non primum, ut probatum est ; igitur conceptum
abstrahibilem a substantia et accidente et communem utrique ; sed nullus
est conceptus communis utrique nisi conceptus entis ; igitur etc. Quod
autem substantiam in via non possumus conceptu simplici et primo
cognoscere, patet ex hoc quod omnis nostra cognitio oritur a sensu ; sub­
stantia autem per se non est sensibilis ; et ideo intuitive vel conceptu
simplici non possumus eam cognoscere (...).
Item, omnis intellectus certus de uno et dubius de duobus, oportet quod
habeat alium conceptum de certo et alium de duobus, quia aliter per
eundem conceptum idem intellectus esset dubius et certus ; sed aliquis
potest esse certus de aliquo, quod sit ens, dubius autem utrum sit
substantia vel accidens - sicut de potentiis animae, patet, et de primo
principio, ut dubitaverunt antiqui philosophi, ut patet I Physicorum, et de
luce ; igitur alius est conceptus entis, alius substantiae et accidentis ; sed
ille est communis utrique et non importat illos conceptus plures ; igitur est
communis univoce.
Item, omnis ille conceptus qui sufficit ad contradictionem est univocus,
quia contradictio est affirmatio et negatio circa idem univocum - hic enim
non est contradictio : canis19 currit, canis20 non currit ; sed conceptus entis

18 DUNS SCOTUS, QQDe anima, q. 21, n. 23 (Viv., q. 21 n. 8, 616a).


19 Subaudi : animal latrabile.
20 Subaudi : sidus caeleste.
266 TIMOTHY B. NOONE

sufficit ad contradictionem secundum Philosophum Vili Metaphysicae -


immo prima contradictio est formata de ente, sicut ‘de quolibet esse vel
non esse’ ; igitur etc.
Item, primum principium debet esse firmissimum secundum Philosophum
IV Metaphysicae ; sed primum principium formatur de ente, sicut dictum
est ; igitur firmissime ; sed si ens diceret plures conceptus, non esset
certum de quo conceptu esset verum, immo semper esset distinguendum ;
igitur etc21.

Le point le plus important est que la portée explicite de P univocité


de Pétant ici est appliquée aux concepts de substance et d’accident. Il
semble s’agir de l’univocité horizontale principalement, et de l’uni­
vocité verticale par extension, quoiqu’un de ces arguments soit utilisé
par Duns Scot dans les commentaires théologiques pour montrer
l’univocité de Pétant en ce qui concerne Dieu et ses créatures22. Si, en
effet, l’on compare les arguments avancés ici aux arguments pour
l’univocité dans la Lectura et 1’Ordinatio, l’on remarque que seul cet
argument, c’est-à-dire ‘omnis intellectus certus de uno et dubius de
duobus...’, se retrouve dans toutes les œuvres23. Les points qui sont

21 DUNS SCOTUS, QQ De anima, q. 21, nn. 25-27 (Viv., q. 21 n. 9-10, 616b-


617a).
22 DUNS SCOTUS, Lect. I, d. 3, pa. 1, qq. 1-2, n. 22 (Vat. XVI, 232-233) : « Hoc
ostenditur primo sic : omnis intellectus certus de uno conceptu et dubius de duobus,
habet aliquem conceptum de quo certus est, alium ab utroque de quo dubius est, aliter
enim de eodem conceptu esset dubius et certus ; sed omnis intellectus viatoris habet
conceptum certum de ente et bono, dubitando per accidens de bono Dei et bono
creaturae, et de ente Dei et de ente creaturae ; igitur ens et bonum secundum se
important alium conceptum a conceptu boni et entis in Deo et creatura » ; Ord. I, d. 3,
pa. 1, qq. 1-2, n. 27 (Vat. III, 18): «E t univocationem sic intellectam probo
quintupliciter. Primo sic : omnis intellectus, certus de uno conceptu et dubius de
diversis, habet conceptum de quo est certus alium a conceptibus de quibus est dubius ;
subiectum includit praedicatum. Sed intellectus viatoris potest esse certus de Deo
quod sit ens, dubitando de ente finito et infinito, creato vel increato ; ergo conceptus
entis de Deo est alius a conceptu isto vel illo, et ita neuter ex se et in utroque illorum
includitur ; igitur univocus ».
23 Par exemple, le texte suivant des Collationes Oxonienses, q. 3 (ed. Harris, II
371) : « Contra : si sunt duo conceptus, ille unus de quo est certus, iam non esset
certus de uno conceptu, sed de duobus ; et ita esset certus de uno conceptu et non
certus ». On remarque d’ailleurs ceci dans le même passage : « Contra pedem :
L’UNIVOCITE DANS LES QQ DE ANIMA 267

exprimés ici par les autres arguments en faveur de l’univocité fonction­


nent plutôt comme des postulats que comme des arguments dans les
commentaires théologiques.

V I. Q u e l l e s o r t e d ’u n iv o c it é ?

Comme dans les commentaires théologiques, la thèse nouvelle de


l’univocité provoque des objections. Plusieurs de ces objections se
rencontrent aussi dans la Lectura et Y Ordinatio14. La première est que
si le concept est univoque, il devrait figurer parmi les prédicables de
Porphyre. Or, le concept d’étant ne s’identifie ni avec le concept de
species, puisqu’il n’a pas de supérieur, et que ses inférieurs, substance
et accident, sont eux-mêmes des genera, ni avec la differentia (qui
serait alors la même pour substance et accident, et aurait donc aussi un
genus comme supérieur), ni avec le genus puisqu’il aurait alors des
différences distinctes de lui, ce qui est impossible, étant donné que rien
n ’est situé hors de l’étant25. Un problème voisin concerne la prédicabi-
lité de l’étant, puisque, s’il était prédicable, il ne pourrait être prédiqué
que comme un des prédicables de Porphyre26. Mais un autre problème,
plus grave, se présente : tout concept indéterminé et déterminable
descend dans ses inférieurs par addition de quelque chose qui le con­
tracte. Ainsi, le genus est contracté par les differentiae, et la species par
les principes individualisants. Or, cette addition déterminante est im­
possible dans le cas de l’étant, puisque ce qu’on ajouterait ne pourrait

quando proponitur hoc nomen ‘canis’, certus sum quod est conceptus canis, et tamen
dubito utrum sit latrabile animal vel caeleste sidus ; ergo, si ratio fundamentalis sit
bona, sequitur quod canis sit univocum ad illa ; quod est contra omnes ». L’exemple
du chien se trouve dans le texte cité ci-dessus.
24 DUNS SCOTUS, Lect. I, d. 3, pa. 1, qq. 1-2, nn. 105-109 (Vat. XVI, 264-265) ;
Ord. I, d. 3, qq. 1-2, nn. 152-157 (Vat. III, 94-95).
25 DUNS SCOTUS, QQDe anima, q. 21, n. 29 (Viv., q. 21 n. 11, 617a-b). Cf. Lect.
I, d. 3, pa. 1, qq. 1-2, n. 106 (Vat. XVI, 264) ; Ord. I, d. 3, pa. 1, q. 3, n. 152 (Vat. III,
94).
26 DUNS SCOTUS, QQDe anima, q. 21, n. 31 (Viv., q. 21 n. 11, 617b).
268 TIMOTHY B. NOONE

être ni un ens ni un non-ens. Par suite, l’étant n ’est pas un concept


indéterminé au sens nécessaire à la notion de l’univocité27.
Pour éviter certaines de ces difficultés, Duns Scot propose une
analogie entre, d’un côté, le genus et la differentia et, de l’autre,
l’étant : le genus et la differentia ne sont pas la même chose
formellement (quoiqu’ils soient le même identice), puisque la
differentia est prédiquée dénominativement, et non pas in quid comme
le genre. Ainsi, l’on pourrait dire que, dans le cas de l’étant, l’addition
est, comme la différence, en dehors de la ratio entis, laquelle est dite in
quid ou formellement de l’objet, et non identice. Le problème de la
descente reste cependant posé. Dans les QQ De anima, Duns Scot
envisage deux solutions possibles. Tout d’abord, nous pourrions faire
une distinction au sein des indeterminata : certains d’entre eux
descendent avec une détermination additionnelle, et tous les deux,
Pindeterminé et l’addition, expriment la totalité qu’ils constituent, mais
l’un selon le mode d’une pars determinabilis et l’autre selon le mode
d’une pars determinantis, exactement comme le genre et la différence,
qui définissent l’espèce. D ’autres, en revanche, descendent comme une
totalité, comme l’espèce, par exemple, qui descend dans les individus.
Ce second type d’indéterminé pourrait fournir un modèle pour l’étant,
qui descend sans addition dans ses inférieurs. L’autre solution avancée
par Duns Scot est de poser que Tens est un quasi-genus, en insistant sur
le fait que l’addition par laquelle il descend est seulement formelle et
non pas réelle. Il remarque en outre que l’inférence concluant que la
différence est un non-ens si elle n’est pas un ens est fallacieuse.
Cependant, l’on pourrait s’interroger sur la nature exacte de
l’univocité que Duns Scot propose ici. Il répond lui-même à cette
question quand il traite la deuxième objection principale. L’objection
observe que l’étant ne se dit pas de la même façon de toutes choses.
Duns Scot donne la réponse suivante : « Ad auctoritatem qua dicitur
quod dicitur [ens] aequivoce : dicendum quod verum est metaphysice

27 DUNS SCOTUS, QQDe anima, q. 21, n. 30 (Viv., q. 21 n. 11, 617b). Cf. Lect. I,
d. 3, pa. 1, qq. 1-2, n. 109 (Vat. XVI, 265). La même difficulté trouble Scot dans In IV
Met., q. 1, nn. 50-56, principalement nn. 52-53 (St. Bon. IH, 308-313). Elle est
discutée par les premiers scotistes. Voir St. D. DUMONT, « The Univocity of the
Concept of Being in the Fourteenth Century : II. The De ente of Peter Thomae »,
Mediaeval Studies 50 (1988), p. 199.
L’UNIVOCITE DANS LES QQ DE ANIMA 269

loquendo vel naturaliter, non tamen verum est logice loquendo ; immo
dicit unum communem conceptum omnibus entibus »28.

V i l . C o n c l u s io n

Il me semble que nous pourrions tirer les conclusions suivantes de


la discussion de l’univocité dans les QQ De anima.
Dans les QQ De anima :
Scot soutient la thèse que l’étant n’est pas un analogue logique
parce qu’il serait dans ce cas équivoque.
Dans une certaine mesure, l’étant est univoque à Dieu et à la
créature, mais en un sens que Scot n’explique pas.
L’étant est univoque en ce qui concerne substances et accidents, et
c’est dans le contexte de la discussion sur les substances et les
accidents que Scot utilise un des arguments principaux qu’il em­
ploie dans les œuvres théologiques pour établir l’univocité de
l’étant.
Scot a déjà adopté la doctrine des Incerti auctores29 de la division
stricte de l’équivocité selon laquelle elle n’a pas lieu pour un terme
logiquement analogue, comme il le dit aussi dans les œuvres
logiques.

28 DUNS SCOTUS, QQDe anima, q. 21, n. 39 (Viv., q. 21 n. 11, 619a).


29 DUNS SCOTUS, Quaestiones super librum Elenchorum, q. 16, n. 13 (Viv. q. 16
n. 4, 24b) : « Et licet ens quod est accidens in re habeat attributionem ad substantiam,
in voce tamen significante nullam habet habitudinem. Et ideo omnia talia analoga
habent reduci ad primum modum aequivocationis ». Voir O. BOULNOIS, « Duns
Scot, théoricien de l’analogie de l’être », in John Duns Scotus. Metaphysics and
Ethics, eds. L. Honnefelder - R. Wood - M. Dreyer, Leiden-New York-Köln, Brill,
1996 (STGMA, 53), pp. 294-315. Voir aussi les INCERTI AUCTORES, Quaestiones
super Sophisticos Elenchos q. 57, ed. S. Ebbesen, Copenhague, Gad, 1977 (Corpus
philosophicorum danorum medii aevi, 7), version S-F, 134.
270 TIMOTHY B. NOONE

Annexe :

ÉLÉMENTS DE CRITIQUE INTERNE ET EXTERNE


TENDANT À CONFIRMER L’AUTHENTICITÉ DES QQ DE ANIMA

A - Critique interne :

L’on trouve dans la plupart des manuscrits, et d’origine les plus


diverses, Y explicit suivant :
Expliciunt quaestiones Doctoris Subtilis super H et IH libros Aristotelis De
anima.

L’on trouve également dans la plupart des manuscrits contenant la


version la plus ancienne du texte Y incipit suivant :
Incipiunt quaestiones Doctoris Subtilis [ou : Scoti] super libros De anima.

Il est à noter que les preuves de critique interne pour l’authenticité des
Quaestiones super libros Perihermenias Aristotelis sont comparables.

B - Critique externe :

1) Adam Wodeham, Lectura secunda, I prol. q. 3 n. 9 (ed. Gál - Wood,


81) [ca. 1330] :
Nec solum decipitur tunc auditus erroribus rectis sed reflexis, quia homo
quandoque somniat se somniare et imaginatur se imaginari et syllogizare
et discurrere et componere et dividere [et] multa huiusmodi. Cuius causam
assignat Scotus super De anima quaestione 9, quia actus imaginandi mul­
tiplicat speciem suam in organum alterius sensibilis, etc.

Cf. Scotus, QQ De anima, q. 9 n. 16 [ad quartum argumentum


principale] :
Ad aliud dicendum quod imaginatio sentit actum proprium : imaginamur
enim nos imaginari vel imaginatum fuisse, et memoramur nos memoratum
fuisse, et somniamus nos somniare, sicut experimur manifeste.
La situation est très semblable pour Quaestiones super libros
Perihermenias de Duns Scot : Wodeham dans sa Lectura secunda, d. 1
q. 1 n. 4 (ed. Gál - Wood, 187) les cite aussi.
L’UNIVOCITE DANS LES QQ DE ANIMA 271

2) Guillelme de Missali (XIVeme s.), dans son Abbreviano, donne une


liste comprenant vingt-deux des vingt-trois questions des QQ De
anima, et confirme que l’œuvre est de Duns Scot.

School o f Philosophy,
The Catholic University o f America,
Washington, D. C.
Giorgio pini

SUBSTANCE, ACCIDENT AND INHERENCE

SCOTUS AND THE PARIS DEBATE


ON THE METAPHYSICS OF THE EUCHARIST*

Scotus’s mature doctrine of substance and accident is a daring new


conception of how things are in the world. Notwithstanding its
originality and historical importance, this doctrine has rarely been
investigated. Its reconstruction is particularly delicate, as Scotus did not
give just one discussion of the topic. In his works, we find at least two
fully worked-out treatments of the relationship between substance and
accident. As it happens, these two treatments differ in some important
respects. In addition to this difficulty, there is a fact that is not likely to
increase the appeal of Scotus’s doctrine for a contemporary audience :
Scotus develops his treatment of substance and accident largely as an
attempt to give a philosophical defensible interpretation of the now
generally discredited doctrine of transubstantiation.
As is well-known, transubstantiation was the historically most
successful attempt to explain the Catholic dogma of the real presence
of the body and blood of Christ in the consecrated host. The substance
of bread and the substance of wine are said to be converted into the
body and blood of Christ, while the accidents of bread and wine (for
instance, their color, smell, and taste) remain there without inhering in
any subject.

* Some of the views that I express in this paper were previously presented in a
lecture at Yale University (Department of Philosophy, November 17^, 2000). I wish
to express my gratitude to Marylin McCord Adams, Robert Adams, and all the par­
ticipants to the discussion both in Yale and in Paris.
274 GIORGIO PINI

We can distinguish two kinds of problems concerning transubstan-


tiation. First, there are some historical questions, such as when
transubstantiation arose, when and how it emerged as the only viable
solution in opposition to the other two explanations proposed, consub­
stantiation (also called ‘coexistence’, according to which both the
substance of bread and the body of Christ coexist in the consecrated
host) and annihilation (also called ‘substitution’, according to which the
substance of bread is destroyed and is substituted by the body of
Christ).1 Second, there are some philosophical questions. The central
issue is that transubstantiation is framed in typical Aristotelian terms
but at the same time it poses some serious challenges to several impor­
tant notions of Aristotle’s philosophy.2
Scotus played an important role both from a historical and a
philosophical point of view. With regard to the historical question, he
was probably the first to distinguish between transubstantiation, which
must be stated by faith, and its philosophical defensibility. He appealed
to the authority of the Church to defend transubstantiation as the only
viable option to account for the real presence of Christ in the consecra­
ted host. But at the same time he maintained that, on strictly philoso­
phical terms, consubstantiation and annihilation would be preferable.3
With regard to the philosophical questions, Scotus proposed an
original solution to two kinds of problems.
First, Scotus gave a new formulation of what has been called ‘the
physics of the Eucharist’, i.e. a set of problems connected with

1 Cf. H. JORISSEN, Die Entfaltung der Transsubstantiationslehre bis zum Beginn


der Hochscholastik, Münster, Aschendorff, 1965 (Münsterische Beiträge zur
Theologie, 28/1) ; J. F. McCUE, « The Doctrine of Transsubstantiation from Berengar
through Trent : The Point at Issue », Harvard Theological Review 61 (1968), pp. 385-
430 ; G. MACY, « The Dogma of Transsubtantiation in the Middles Ages », Journal
o f Ecclesiastical History 45 (1994), pp. 11-41.
2 Cf. M. M. ADAMS, « Aristotle and the Sacrament of the Altar : A Crisis in
Medieval Aristotelianism », in Aristotle and His Medieval Interpreters, eds. R.
Bosley - M. Tweedale, Calgary, 1992 (Canadian Journal of Philosophy, suppl. voi.
17), pp. 195-249.
3 Cf. MCCUE, «The Doctrine of Transsubtantiation », art. cit., pp. 403-407;
MACY, « The Dogma of Transsubtantiation », art. cit., pp. 16-17.
SUBSTANCE, ACCIDENT AND INHERENCE 275

transubstantiation (and, for that matter, with any philosophical explana­


tion of real presence) that posit a challenge to the Aristotelian notions
of quantity, space, and motion.4
Second, Scotus put forward a new view of what can be called ‘the
metaphysics of the Eucharist’, i.e. the challenge that transubstantiation
poses to the notion of accident. Transubstantiation presupposes an
Aristotelian ontology based on the notion of substance and accident,
where substances are described as basic subjects and accidents are their
modifications, whose existence and identity depend on the existence
and identity of the substances they modify. But at the same time, such
notions must be radically revised, since in transubstantiation the
accidents of bread and wine - for instance, their color and taste - can
be still perceived while their subjects - i.e., bread and wine - do not
exist anymore, since they have been converted into a different
substance, i.e. the body and blood of Christ. So we perceive some
accidents that do not inhere in any substance. But this is at odds with
the Aristotelian definition of an accident as something for which to
exist means to exist in a substance, i.e. to modify a substance. This
description, based on passages both in the Categories and in the
Metaphysics, seems to lie at the basis of Aristotle’s ontology.5 So, first,
how can we explain the existence of accidents that do not inhere in a
substance without dropping the very distinction between substance and

4 Cf. D. BURR, « Scotus and Transsubtantiation », Mediaeval Studies 34 (1972),


pp. 336-360 ; ID., Eucharistic Presence and Conversion in Late Thirteenth-Century
Franciscan Thought, Philadelphia, American Philosophical Society, 1984, pp. 76-98 ;
ADAMS, « Aristotle and the Sacrament of the Altar », art. cit., pp. 222-230.1 take the
expression ‘physics of the Eucharist’ from E. D. SYLLA, «Autonomous and
Handmaiden Science : Thomas Aquinas and William of Ockham on the Physics of
the Eucharist », in The Cultural Context o f Medieval Learning, eds. J. E. Murdoch -
E. D. Sylla, Dordrecht - Boston, D. Reidel, 1975 (Boston Studies in the Philosophy
of Science, 26), pp. 349-391. On some semantic aspects, cf. A. DE LIBERA - I.
ROSIER, « L’analyse scotiste de la formule de consécration eucharistique », in
Vestigia, Imagines, Verba. Semiotics and Logic in Medieval Theological Texts
(Xllfh-XIVth Centuries), ed. C. Marmo, Tumhout, Brepols, 1997 (Semiotic and
Cognitive Studies, 4), pp. 171-201.
5 ARISTOTLE, Cat. 1, Ia23-b3 ; Met. VU 1, 1028al3-20. On the formula
accidentis esse est inesse, cf. THOMAS DE AQUINO, In I An. Post., lect. 2 (Leon. I*
2,11, apparatus fontium ad lin. 40).
276 GIORGIO PINI

accident ? And, second, how can we account for the individuation of


accidents, which are usually taken to be universal forms individuated
by their inhering in an individual subject ?
In this paper, I intend to present Scotus’s metaphysics of the
Eucharist, i.e. his explanation of how accidents can exist without
inhering in a substance. I will argue that Scotus struggled to explain
how accidents can exist without inhering in a substance quite early in
his career, but only in his Parisian teaching did he succeed in proposing
a coherent view of the relationship between substance and accident. In
order to argue for my point, I will first describe the most influential
treatments of the topic in the thirteenth century, notably Thomas
Aquinas’s doctrine and the reactions that it provoked in Paris. Second, I
will turn to Scotus’s treatment of the topic in his Oxford works and in
all his writings preceding the fourth book of the Ordinatio. Third, I will
turn to his mature treatment in his Parisian works, notably in the fourth
book of his Ordinatio.

I. T h o m a s A q u i n a s ’s t h e o l o g ic a l t r e a t m e n t

According to the doctrine of transubstantiation, after the consecra­


tion of the host, the substance of bread is converted into the body of
Christ, but the accidents of bread persist, as our senses testify. So it
must be possible for an accident to exist and not to inhere in any
substance. But these two conditions, i.e. an accident’s existence and its
non-inhering in a substance, seem to contradict each other, if we accept
the Aristotelian description of an accident as something for which ‘to
exist’ means ‘to inhere in a substance’. Consequently, it seems to be
logically impossible for an accident to exist without inhering.
In the 1250s, Thomas Aquinas formulated what would become the
most influential attempt to give an intelligible treatment of the problem.
Aquinas’s doctrine, first found in his Sentences commentary, appears
SUBSTANCE, ACCEDENT AND INHERENCE 277

again in several of his writings throughout his career, up to the third


part of the Summa theologiae, left unfinished because of his death.6
Aquinas’s treatment can be articulated in three main points,
according to whether a substance is taken as the subject of an accident,
as a cause of its existence or as the cause of its individuation.7 First,
Aquinas establishes the logical possibility for an accident to exist and
not to inhere in a subject. He obtains this result by modifying the
Aristotelian account of what an accident is in such a way that it is not
contradictory for an accident to exist and not to inhere in a subject.
Second, Aquinas establishes what we may call the real possibility of
non-inhering accidents in the Eucharist. He appeals to God’s
omnipotence to show that, even though in the normal course of events
accidents are caused by the substances in which they inhere, God can
cause accidents immediately, i.e. without having them caused by any
substance. Third, Aquinas localizes this exception to the normal course
of events to one case, i.e. quantity, by making qualities depending on
quantities for both their existence and their individuation.
As to the first point, Aquinas shows that it is not contradictory for
an accident to exist and not to be in a substance thanks to an application
of his theory of the distinction between essence and existence. For
Aquinas, every category can be analyzed into two constituents.8
Aquinas usually calls the first constituent the ‘ratio’ of a category. This
is the essence of things belonging to a specific category. Each category
has a different ratio or essence. So a substance, for example, is dif­
ferent from a quantity or a quality by its essence. A substance is a thing

6 THOMAS DE AQUINO, In IV Sent., d. 12, q. 1, a. 1, ed. M. F. Moos, Paris,


Lethielleux, 1947, pp. 496-504 ; ST III, q. 77, a. 1. See also Summa contra gentiles
IV, 65 (Leon. XV, 209) ; Quodl. IX, q. 3 (Leon. XXV/1, 97-99).
7 R. IMBACH, « Le traité de l’eucharistie de Thomas d’Aquin et les averroïstes »,
Revue des Sciences philosophiques et théologiques 77 (1993), pp. 175-194.1 take the
distinction of the three issues of Aquinas’s treatment from Imbach’s important study,
but I change their order and their systematic formulation. Cf. also ADAMS, « Aristotle
and the Sacrament of the Altar », art. cit., pp. 200-202.
8 THOMAS DE AQUINO, In I Sent., d. 8, q. 4, a. 3, ed. P. Mandonnet, Paris,
Lethielleux, 1929, p. 224 ; ST1, q. 28, a. 2. For an illuminating commentary on these
passages cf. M. G. HENNINGER, Relations. Medieval Theories 1250-1325, Oxford,
Clarendon Press, 1989, pp. 13-17.
278 GIORGIO PINI

by itself, whereas a quantity is a measure of a substance and a quality is


a disposition of a substance. But categories are not only constituted by
their essences. The second constituent of a category is its being or
existence (esse), which can be described as the mode in which a
catégorial essence exists. Now, whereas there are ten kinds of essences,
one for each category, there are only two modes of being, i.e. being by
itself and being in something else (also called ‘inhering’, inesse).
Substances exist by themselves, whereas all the accidental categories
exist by inhering in something else. So, Aquinas keeps the Aristotelian
description of an accident (i.e., as something for which ‘to exist’ means
‘to inhere’) as a valid description of the existence of an accident, for
inherence is the mode of being of all accidental categories. But
existence is just one of the two constituents of an accident. Its essence
must be taken into account, too. Aquinas maintains that inherence not
only is the mode of being of accident, but also enters the essence of
non-relative or absolute accidents, i.e. quantity and quality. But with a
crucial difference. Whereas quantities and qualities exist by actually
inhering in a subject, the inherence contained in their essences is not
actual inherence, but only a tendency to inhere. By its essence, an
accident is something that has a tendency to inhere and to which it
pertains to inhere. Only because of its existence does an accident
actually inhere in a substance. But for Aquinas the mode in which
something exists is not part of its essence. So there is no contradiction
if something exists in a way that usually does not pertain to it, as long
as its essence remains unchanged. For example, by its definition and
essence a quantity is a measure of a substance. This reference to a
substance, however, does not imply that a quantity actually inheres in a
substance, but only that it has a tendency to inhere. So, a quantity can
be a measure of a substance and not actually measure any substance,
even though it is true that, in the normal course of events, quantities
actualize their tendency to inhere in their subjects and actually measure
or modify them. But a quantity could receive a different mode of
existence without any contradiction, since by its essence a quantity is
not an actual measure of a substance, but only a potential measure,
which can remain not actualized without any contradiction.
Aquinas’s application of his doctrine of the composition of essence
and existence to each category allows him to reformulate the Aristote­
lian description of an accident as something for which ‘to exist’ means
‘to inhere in a substance’. He can accommodate this description to the
doctrine of transubstantiation. For Aquinas, a non-relative accident is
SUBSTANCE, ACCIDENT AND INHERENCE 279

something (Le., an essence) to which inherence pertains by a natural


tendency. Actual inherence in a substance, however, is not part of an
accident’s essence ; it is only the mode of existence that pertains to an
accident according to the order of nature. But there is no contradiction
if an accident does not inhere in a substance and does not have the
mode of being that naturally pertains to it. This is indeed something
against the natural course of events, but no contradiction is implied.
And this is all that Aquinas needs in order to posit the logical
possibility for an accident to exist without inhering.9
As to the second point, Aquinas defends the real possibility of non­
inhering accidents in the Eucharist by an appeal to God’s omnipotence.
He states that, although accidents are caused by substances in the natu­
ral course of events, God can cause directly any effect that is usually
caused by secondary causes. Specifically, God can cause accidents
without having them caused by the substances that naturally cause
them.10
The third point of Aquinas’s doctrine is that only accidents belong­
ing to the category of quantity are actually non-inhering. In transub-
stantiation, individual quantities play the role of subjects for qualities.
This has two important consequences for Aquinas. On the one hand, it
localizes to accidents belonging to the category of quantity the viola­
tion of the natural order according to which accidents exist by inhering
in a subject. On the other hand, and more importantly, it allows
Aquinas to solve an embarrassing problem concerning individuation.
For Aquinas, accidents are by themselves universal, and are individua­

9 THOMAS DE AQUINO, In IV Sent., d. 12, q. 1, a. 1, ad 2 (ed. Moos, 499) : « Et


similiter esse in subiecto non est definitio accidentis, sed e contrario res cui debetur
esse in alio. Et hoc nunquam separatur ab aliquo accidente, nec separari potest ; quia
illi rei quae est accidens, secundum rationem suae quidditatis, semper debetur esse in
alio ». Cf. ST Illa, q. 77, a. 1, ad 2 ; Quodl. IX, q. 3, ad 2. Cf. É. GILSON, « Quasi
definitio substantiae », in St. Thomas Aquinas 1274-1974. Commemorative Studies,
Toronto, Pontifical Institute of Mediaeval Studies, 1974, pp. 111-129 ; J. F. WIPPEL,
The Metaphysical Thought o f Thomas Aquinas. From Finite Being to Uncreated
Being, Washington, D. C., The CUA Press, 2000 (Monographs of the Society for
Medieval and Renaissance Philosophy, 1), p. 228-237.
10 THOMAS DE AQUINO, In IV Sent., d. 12, q. 1, a. 1, resp. ; ST III, q. 77, a. 1,
resp. ; Quodl. IX, q. 3, resp.
280 GIORGIO PINI

ted only because they inhere in an individual substance. So, for


example, Socrates’ whiteness is different from Plato’s whiteness only
because it is the whiteness that inheres in Socrates. There is no other
difference between the two whitnesses. But if in the Eucharist there are
free-floating accidents, how can we account for their individuation ?
Positing universals existing in the extra mental world is contrary to
Aquinas’s (and Aristotle’s) basic tenet that only individuals exist in the
extra mental world. Aquinas’s doctrine of individuation offers a handy
solution to this problem. For Aquinas maintains that individuation is
caused by division, and that division is caused by extension. Now,
extension is part of the essence of quantity. It follows that quantities are
the only accidents that can be individuated by themselves and not
through a substance. And since Aquinas maintains that in the Eucharist
quantity functions as the subject of quality, quantity acts as the cause of
the individuation of quality as well as of its existence.11
In Aquinas’s theory, transubstantiation is a miracle, as he often
reminds, for it is an infringement of the natural order of things. But
miracles, in order to obtain, must be logically possible, i.e. they cannot
posit any contradiction. By his theory, Aquinas successfully manages
to save as much of the Aristotelian framework as possible while at the
same time making room for the existence of non-inhering accidents.
Aquinas maintains the dependence of accidents on substances - on
which the theory of the analogy of being is based - both in the natural
course of events and in the miracle of transubstantiation. In the natural
order, accidents have a mode of existence that clearly shows their
dependence on substances, for they actually inhere in a substance. In
transubstantiation, quantity does not inhere in anything, but keeps, by
its own essence, a tendency to inhere. So even in the supernatural
order, the analogy of being and the dependence of accidents on
substance is maintained, but is moved from the level of existence to the
level of essence. Within the essence of any non-relative accident there
is a tendency to be dependent on a substance, and such a dependence

11 THOMAS DE AQUINO, In TV Sent., d. 12, q. 1, a. 1, ad 3, p. 503. ; ST III, q. 77,


a. 1, ad 3. On Aquinas’s doctrine of individuation, cf. J. OWENS, « Thomas Aquinas
(b. ca. 1225 ; d. 1274) », in Individuation in Scholasticism. The Later Middle Ages
and the Counter-Reformation, 1150-1650, ed. J. J. E. Gracia, Albany (N.Y.), State
University of New York Press, 1994, pp. 173-194.
SUBSTANCE, ACCIDENT AND INHERENCE 281

on substance is constitutive of an accident’s essence. So Aquinas


manages to maintain a basically Aristotelian account of the relationship
between substance and accident.

II. T h o m a s A q u i n a s ’ s p h il o s o p h ic a l t r e a t m e n t

Something more must be said concerning Aquinas’s doctrine of


non-inhering accidents in the Eucharist. On the one hand, Aquinas
consistently adopts this doctrine throughout his career. He first formu­
lates it in his Sentences commentary, then he refers to it on several
occasions until he gives its definitive exposition in the third part of his
Summa theologiae. On the other hand, if we turn to Aquinas’s
commentaries on Aristotle and to his philosophical works (including
the De ente et essentia), we find no mention of his account of the
possibility of non-inhering accidents. In his commentary on the
Metaphysics, however, there would have been many opportunities to
introduce the revised description of an accident as something to which
inherence pertains and that has the tendency to inhere in a substance.
But in the relevant places, Aquinas is content with repeating the
standard Aristotelian doctrine according to which for an accident to
exist is to inhere in a substance. So actual inherence, and not just a
tendency to inhere, is part of an accident’s essence. As a matter of fact,
an accident has an essence in a secondary sense, i.e. only insofar as it
modifies a substance, which has an essence in a primary sense.12
This contrast between Aquinas’s theological and philosophical
writings in dealing with accidents cannot be explained as the result of
an evolution on the part of Aquinas. For he mentions the possibility for
accidents to exist without inhering in a substance neither in the De ente
et essentia, which is an early work, nor in the commentary on the
Metaphysic, which belongs to the last years of his activity. By contrast,
in Aquinas’s commentary on the Sentences, which is more or less

12 THOMAS DE AQUINO, In V Met., lect. 9, n. 894, eds. M.-R. Cathala - R. M.


Spiazzi, Torino, Marietti, 1964 ; In VII Met., lect. 1, n. 1251 ; ibid., lect. 4, n. 1333-
1334. Cf. De ente et essentia, c. 6 (Leon. XLIII, 379-381).
282 GIORGIO PENI

contemporary to the De ente, and in the third part of the Summa theo­
logiae, which is contemporary to the commentary on the Metaphysics,
we find the explanation of how accidents can exist without inhering in
a substance that I have presented above.
It is not surprising that in his philosophical works Aquinas does
not make any reference to God’s capacity to cause accidents directly,
namely to what I have referred to as the cause of the real possibility of
non-inhering accidents. After all, God’s causing non-inherent accidents
is a miracle, i.e. an infringement of the natural course of events, and
miracles concern the theologian but not the philosopher. What is
surprising is that in Aquinas’s philosophical works we do not find any
mention of the logical possibility for an accident to exist without
inhering in a substance. For this is a point that has important conse­
quences also from a merely philosophical point of view and that
imposes a reformulation of the Aristotelian description of an accident.
This difference in Aquinas’s treatment of accidents can only be
explained as a difference between a theological and a philosophical
approach. Only when speaking as a theologian does Aquinas introduce
his reformulation of the account of what an accident is. In his
theological works, Aquinas claims that the Aristotelian dictum that for
an accident ‘to be’ means ‘to inhere’ is to be understood as an
abbreviated and simplified version of the correct description of an
accident as something to which inherence pertains and that has an
essential tendency to inhere in a substance, but that does not necessarily
accomplish this potentiality.13
So it seems that the doctrine of transubstantiation compels Aquinas
to a revision of Aristotle’s description of an accident, which does not
affect, however, his work as a commentator or modifies his general
interpretation of Aristotle’s metaphysics. His reformulation of the
description of an accident can be seen as a local adjustment of the
Aristotelian doctrine, carried out in order to make room for the doctrine

13 THOMAS DE AQUINO, In IVSent., d. 12, q. 1, a. 1, ad 2, n. 26, p. 499 : « Et si


aliquando hoc dicatur definitio accidentis, praedicto modo intelligenda est definitio
dicta ; quia aliquando ab auctoribus definitiones ponuntur causa brevitatis non secun­
dum debitum ordinem, sed tanguntur illa ex quibus potest accipi definitio ».
SUBSTANCE, ACCIDENT AND INHERENCE 283

of transubstantiation without modifying the basic elements of the


Aristotelian ontology.

III. T h e p o s it io n s in t h e P a r is a r t s f a c u l t y

Aquinas’s theological treatment was very successful. If it is true


that not everybody was willing to accept his solution, it is nonetheless
his way of dealing with the issue that set the agenda for the debates on
the status of accidents in Paris in the last two decades of the thirteenth
century.
Since the core of the problem lay in the interpretation of the
Aristotelian texts concerning the relationship between substance and
accidents, it is not surprising that the controversy arose in the arts
faculty, which was the official place where Aristotle was interpreted.
I have called the attention to a tacit tension between Aquinas’s
theological and philosophical treatments of accidents. Such an
ambiguity was scarcely tolerable for the official interpreters of
Aristotle. They posited the question in clear terms, by asking whether
inherence is part of the essence of an accident. Aquinas had answered
‘yes’ in his philosophical writings, while in his theological works he
had qualified his answer, by distinguishing between a tendency to
inhere, which is part of an accident’s essence, and actual inherence,
which is an accident’s mode of existing but is not part of its essence.
Predictably, this last solution was particularly appreciated among
theologians. In the late 1270s, Giles of Rome followed Aquinas and
systematically pursued the distinction between an accident and its
mode of being and between actual and aptitudinal (i.e., potential) inhe­
rence.14

14 AEGIDIUS ROMANUS, Theoremata de corpore Christi, Rome, 1555, prop. 39-


41, ff. 26rb-29ra. Cf. ADAMS, « Aristotle and the Sacrament of the Altar », art. cit.,
pp. 217-220. On the discussion on inherence in the arts faculties of both Paris and
Oxford see S. DONATI, « Utrum accidens possit existere sine subiecto. Aristotelische
Metaphysik und christliche Theologie in den Physikkommentares des 13. Jahr­
hunderts», in Nach der Verurteilung von 1277. Philosophie und Theologie an der
284 GIORGIO PINI

What about philosophers teaching in the Paris arts faculty ? They


had to make a clear choice between the two approaches sketched by
Aquinas.
Accordingly, we can detect two parties among philosophers. On
the one hand, there are those who reject Aquinas’s interpretation of
accidents as essences characterized by a tendency to inhere. By
contrast, these authors are sympathetic with the treatment of accidents
that Aquinas gives in his commentaries on Aristotle and in general in
his philosophical works. Siger of Brabant, Boethius of Dacia and others
maintain that it is impossible for an accident to exist and not to inhere
in a substance. Not only does this possibility contradict Aristotle’s
explicit statements, it is also at odds with what reason teaches. So, even
though the possibility of non-inhering accidents must be professed by
faith in the case of transubstantiation, there is no philosophical
explanation that can be given of such a fact, which is not only contrary
to the natural order but also logically impossible. Philosophically
speaking, it is a contradiction for an accident to exist and not to inhere
in a substance, because for an accident ‘to exist’ means ‘to inhere’.
Accidents are nothing else than properties and modifications of
substances. Properly speaking, an accident does not have an essence.
Only a substance does. Accordingly, an accident cannot even be
understood or defined without taking into account the substance in
which it inheres.15

Universität von Paris im letzten Viertel des 13. Jahrhunderts. Studien und Texte, eds.
J. A. Aertsen - K. Emery, Jr. - A. Speer, Berlin-New York, de Gruyter, 2001
(Miscellanea Mediaevalia, 28), pp. 577-617.
15 SIGER DE BRABANT, Quaestiones in Metaphysicam. Texte inédit de la
reportation de Cambridge, édition revue de la reportation de Paris, ed. A. Maurer,
Louvain, Publications Universitaires, 1983 (Philosophes médiévaux, 25) : Cambridge
reportatio, 1. V, q. 23, pp. 237-238 ; 1. VII, q. 1, pp. 328-329 ; 1. VII, qq. 10-11,
pp. 341-344 ; Paris reportatio, 1. VII, q. 1, p. 452 ; 1. VII, qq. 5-6, pp. 454-455 ;
BOETHIUS DE DACIA, Quaestiones super librum Topicorum, eds. N. J. Green-
Pedersen - J. Pinborg, Hauniae, 1976, III, q. 1, p. 167 ; q. 4, p. 174 ; q. 6, p. 177 ; Ein
Kommentar zur Physik des Aristoteles aus der Pariser Artistenfakultät um 1273, ed.
A. Zimmermann, Berlin, de Gruyter, 1968,1.1, q. 13, pp. 24-25. For an illuminating
analysis of these passages cf. IMBACH, « Le traité de l’eucharistie », art. eit, pp. 185-
192.
SUBSTANCE, ACCIDENT AND INHERENCE 285

On the other hand, there are those who adopt Aquinas’s


theological solution. They try to develop a coherent interpretation of
Aristotle according to this line. Peter of Auvergne and Simon of Fa-
versham are among them. They accept Aquinas’s distinction between
two constituents within each category, i.e. an essence or ratio and its
mode of being. Both the essence and the mode of being reveal the
dependent status of accidents as compared to substances. But only the
mode of being of an accident indicates its actual inherence in a
substance. Accidents do have an essence on their own, and even though
in their essence there is a tendency to inhere in a substance, such an
essence is not constituted by the accident’s actually inhering in a
substance. Since an accident’s essence has some autonomy as com­
pared to the essence of a substance, an accident’s essence can be under­
stood without referring to the accident’s subject. Accordingly, an acci­
dent can receive a sort of definition that does not comprise any
reference to the substance in which it inheres, even though it is com­
monly admitted that an accident’s proper definition must comprise such
a reference.16

16 PETRUS ALVERNUS, Quaestiones in Metaphysicam, Ms. Paris, Bibl. Mazarine


3498, 1. VII, q. 2, f. 67vb : « Tunc ad quaestionem, cum quaeritur utrum accidentia
sint entia per substantiam, dicendum quod accidens illud quod est, puta albedinem
esse albedinem vel albedinem esse qualitatem, non habet ex subiecto, quia id quod
inest alii ex propria ratione non inest ei per aliud [...]. Ex hoc sequitur unum, quod
intellectus qui comprehendit quidditatem accidentium potest comprehendere accidens
non in habitudine ad substantiam. Et quia significare sequitur intelligere, ideo
contingit significare accidens non in habitudine ad substantiam et per modum
abstracti, et sic accidens per nomen abstractum significatur [...]. Propter quod dicen­
dum est quod accidens secundum rationem propriam eius non dependet a subiecto,
sed ei ex se inest quod pertinet ad rationem eius et secundum hoc dicitur habere
rationem entis, non quidem entis simpliciter, sed entis diminuti. Secundum etiam hoc
accidens non habet quid simpliciter sicut substantia, sed quid diminutum, sicut conse­
quenter dicit Philosophus. Nihilominus tamen accidentia non sunt entia in effectu nisi
per substantiam. Quod declaratur sic : quod ex se essentiam <non> habet non deter­
minatur ad esse nisi ab alio, sed, sicut prius acceptum est, accidentia ex se et propria
ratione non sunt, ideo non determinantur ad esse nisi per aliud. Hoc autem dicimus
substantiam, propter quod accidentia rationem entis non habent nisi per substantiam,
et hoc est quod Philosophus dicit hic, quod accidentia sunt entia quae (pro : quia)
totaliter entis, puta alicuius substantiae existentis in effectu » ; SIMON OF
286 GIORGIO PINI

It is well-known that the first position, according to which an


accident cannot exist without inhering in a substance, is condemned in
no fewer than four articles in 1277.17 All these articles were dictated by
the intention to save the possibility of non-inhering accidents in
transubstantiation. Surprisingly, however, the condemnation did not put
an end to the standard Aristotelian position. For we find it well attested
in the philosophical treatises of the Dominican friar, Thomas of
Freiberg, written in the 1280s, and again in the philosophical
commentaries of Radulphus Brito, written in Paris in the 1290s.18
Brito aptly summarizes the possible interpretations of Aristotle’s
teaching on the accidents. There are those who maintain that inherence
is not part of the essence of an accident, and so that the existence of
non-inhering accidents does not imply any contradiction. Brito
observes that these thinkers are driven by theological motivations.
Second, there are those who distinguish between actual and aptitudinal
(or potential) inherence, and maintain that the latter, but not the former,
is part of the essence of an accident. We can recognize in this position
Giles of Rome’s elaboration of Thomas Aquinas’s theological doctrine.
Third, there are those who maintain that inherence is part of the essence
of an accident and that an accident is constituted by its inhering in a
substance. Consequently, these thinkers deny the possibility of non-

FAVERSHAM, Quaestiones super libro Porphyriì, ed. P. Mazzarella, Padova,


CEDAM, 1957, q. 32, pp. 62-65. On Peter of Auvergne, cf. G. GALLE, «A
Comprehensive Bibliography on Peter of Auvergne », Bulletin de philosophie
médiévale 42 (2000), pp. 53-79.
17 The articles concerning the separability of accidents are nn. 138-141 (Man-
donnet : pp. 196-199). Cf. D. PICHÉ, La condamnation parisienne de 1277, Nouvelle
édition du texte latin, traduction, introduction et commentaire, Paris, Vrin, 1999 (Sic
et Non), pp. 120-122 ; R. HISSETTE, Enquête sur les 219 articles condamnés à Paris
le 7 mars 1277, Louvain, Publications Universitaires (Philosophes médiévaux, 22),
1977, pp. 287-291 ; IMBACH, «Le traité de l’eucharistie», art. cit., pp. 175-176;
DONATI, « Utrum accidens possit existere sine subiecto », art. cit., pp. 614-616.
18 Cf. IMBACH, «L e traité de l’eucharistie», art. cit, pp. 192-193 ; ID.,
« Pourquoi Thierry de Freiberg a-t-il critiqué Thomas d’Aquin ? Remarques sur le De
accidentibus », Freiburger Zeitschrift fü r Philosophie und Theologie 45 (1998),
pp. 116-119 ; St. EBBESEN, «Radulphus Brito on the Metaphysics », in Nach der
Verurteilung von 1277, op. cit, pp. 464-465, 483-484 ; DONATI, « Utrum accidens
possit existere sine subiecto », pp. 616-617.
SUBSTANCE, ACCIDENT AND INHERENCE 287

inhering accidents, since it would imply a contradiction to posit an


accident that does not inhere in a substance. Brito endorses this last
position as the only correct philosophical option, even though he
admits that the existence of non-inhering accidents must be posited on
strictly theological grounds. Philosophically speaking, however, the
possibility of non-inhering accidents is inexplicable.19

IV . SCOTUS’S PROBLEM

These were the main positions debated in Paris on the inherence of


accidents when Scotus arrived there in 1302 (or 1300/1301).20 Already
in Oxford, however, Scotus had put great effort to clarify the relation­
ship between substance and accident. His attempt to formulate a cohe­
rent metaphysics of the Eucharist lies at the centre of his philosophical
reflection and runs through his works both in Oxford and in Paris.
Scotus’s reflections on inherence undergo several changes. We can
divide his treatments in three main stages. The first stage,
corresponding approximately to his Oxford period, is followed by a
second period which culminates in the comprehensive treatment of
inherence he gives in his Questions on the Metaphysics, written
probably in several versions between Oxford and Paris. The third stage,
corresponding to his Paris period, culminates in the fourth book of the
Ordinatio.
Before illustrating Scotus’s position, let me consider what are the
points at issue for him. We have seen that there are two issues in the
metaphysics of the Eucharist. The first issue concerns the possibility of

19 RADULPHUS BRITO, Quaestiones super Isagogen Porphyrii, ed. S. EBBESEN,


« Termini accidentales concreti'. Texts from the Late 13^ Century», Cahiers de
l ’Institut du Moyen Age Grec et Latin 53 (1986), pp. 85-87.
20 For an assessment of the evidence concerning the date of Scotus’s arrival in
Paris and some new proposals, cf. W. J. COURTENAY, « Scotus at Paris », in Via
Scoti. Methodologica ad mentem Joannis Duns Scoti. Atti del Congresso
Intemazionale, Roma 9-11 marzo 1993, ed. L. Sileo, Roma, PAA-Edizioni Anto­
nianum, 1995, vol. I, pp. 149-163.
288 GIORGIO PINI

non-inhering accidents. The second issue concerns their individuation.


Thomas Aquinas had solved the second point by the third thesis that I
have illustrated above, according to which, after the Consecration, only
quantity exists without inhering, while the other accidents inhere in
quantity. For Aquinas, this solves the individuation problem, since he
maintains that quantity is the only accident that is individuated by itself
and not by the subject in which it normally inheres. Scotus is not
compelled to posit such a distinction between quantity and the other
accidents. For he maintains that every accident is individuated by itself
in any situation. It is a basic tenet of Scotus’s ontology that each
category comprises a whole range of items, from the most general to
the individual ones. So, just as in the category of substance we
encounter individual substances, in the category of quality we encoun­
ter individual qualities, which are individuated by their own principle
of individuation and not because they inhere in a substance. The same
reasoning applies to all the other accidental categories. So for Scotus
there is no individuation problem in the metaphysics of the Eucharist.
Since any accident is individuated by its own principle of individua­
tion, there is no need to explain how a non-inhering accident is indivi­
duated.21 Scotus, however, must still explain the first issue, i.e. how an
accident can exist without inhering in a substance.
Scotus’s main problem while dealing with inherence is to reconcile
two different theses, which we can label ‘the independence thesis’ and
‘the priority thesis’.22
The first thesis establishes the independence of accidents as simple
essences. Scotus maintains that an accident has a simple and indepen­
dent essence, which is constituted as such prior to the accident’s rela­
tionship to a substance. He assumes this position because of a variety
of reasons. For one thing, he is not willing to reduce absolute accidents

21 DUNS SCOTUS, Lect. II, d. 3, pa. 1, q. 4, nn. 91-92 (Vat. XVIII, 258) ; Ord. II,
d. 3, pa. 1, q. 4, nn. 89-91 (Vat. VII, 433-435). Cf. R. CROSS, The Physics o f Duns
Scotus. The Scientific Context o f a Theological Vision, Oxford, Clarendon Press,
1998, pp. 95-99.
22 For the ‘independence thesis’ cf. DUNS SCOTUS, In VMet., qq. 5-6, nn. 81-103
(St. Bon. Ill, 466-471). For the ‘priority thesis’ cf. In VII Met., q. 2, nn. 21-24 (St.
Bon. IV, 109-11) ; In VII Met., q. 3, nn. 6-16 (St. Bon. IV, 115-119) ; In VII Met., q. 4
(St. Bon. IV, 121-129).
SUBSTANCE, ACCIDENT AND INHERENCE 289

(i.e., quantity and quality) to relative entities (a quantity of a substance,


a quality of a substance). They are what they are before being referred
to the substance in which they inhere. Accordingly, Scotus gives a
strict interpretation of Aristotle’s statement that being per se is divided
into substance and accident, and that consequently accidents are beings
per se.23 Of course, a very strong reason to adopt such an interpretation
of Aristotle is the necessity of positing non-inhering accidents in the
Eucharist.
Scotus, however, never effaces the ontological difference between
substance and accident. So the second thesis is that of the priority of
substance over accidents. The crucial issue is how to interpret such a
priority. Scotus faces - and refuses - two views. The first view
expresses the priority of substance over accidents in existential terms :
a is prior to b if and only if a can exist without b but b cannot exist
without a. This is the interpretation of people such as Siger of Brabant
and Radulphus Brito, who maintain that, according to Aristotle, no
accident can exist without inhering in a substance. This interpretation,
however, cannot be adopted by those who, like Scotus, want to
preserve the possibility of non-inhering accidents in the Eucharist. The
second view expresses the priority of substance over accidents in essen­
tial terms : a is prior to b if and only if the essence of a does not contain
any reference to b, but the essence of b contains a reference to a. This
is the position of Thomas Aquinas and his followers Giles of Rome,
Peter of Auvergne, and Simon of Faversham. These thinkers maintain
that, since the tendency to inhere in a substance is part of an accident’s
essence, the reference to substance is constitutive of an accident’s
essence. Scotus cannot adopt this line of thought, however, because he
maintains that it is in contrast with the independence thesis concerning
accidents.
So, how else can Scotus explain that substance is prior to accidents
while at the same time accidents are independent essences ? Scotus’s
final solution, as we shall see, is to say that both substance and
accidents are caused by God, but that substance is caused primarily and
accidents are caused secondarily. This does not imply, however, that
there is a necessary causation and dependence of accidents on

23 ARISTOTLE, Met. V 7, 1017a22-27.


290 GIORGIO PINI

substance. The only necessary dependence of all creatures, whether


substances or accidents, is on God. So the priority of substance over
accidents is due to a different relationship towards God, not to an acci­
dent’s relationship towards a created substance.
These two general theses (i.e., the independence of accidents and
the priority of substance) characterize Scotus’s metaphysics of the
Eucharist throughout his career, with the exception of his early position
in the Questions on the Categories. Because of these two theses, Scotus
is induced to posit inherence as something external to an accident’s
essence. But then, Scotus faces two technical problems, which also run
through his several treatments of inherence.
The first problem concerns the ontological status of inherence. If
an accident’s inherence is different from an accident’s essence, what
sort of thing is it ? It should be something belonging to a determinate
category. But at the same time, inherence pertains to and is predicated
of all the accidental categories. And it seems that no item belonging to
a determinate category can be predicated of subjects falling into
different categories. For it is a basic tenet of Aristotelianism that a
specific accident only pertains to a specific kind of subjects, as it is
clear in the case of quality and of relation, which are divided into
species according to the kind of subjects to which they pertain. Since
inherence is specifically the same for all the accidents, if inherence is
an item belonging to a determinate category, specifically the same item
would be predicated of different categories. It is for this reason that
Simplicius states that inherence does not constitute a determinate
category : because, as he says, the same (kind of) inherence pertains to
all the accidents.24 But if inherence is not an item belonging to a
determinate category, it is not clear what kind of thing it may be.
The second problem is a threat of infinite regress concerning
relations. If inherence is external to an accident’s essence, it seems that
inherence itself must be regarded as an accident inhering in the

24 SIMPLICIUS, In Cat. 2, ed. C. Kalbfleisch, Berlin (CAG, VIII), 1907, p. 44 ;


ID., Commentaire sur les Catégories d ’Aristote. Traduction de Guillaume de
Moerbeke, ed. A. Pattin, Louvain-Paris, Publications Universitaires-Éditions Béatrice
Nauwelaerts, 1971, p. 71. Cf. DUNS SCOTUS, Op. ox. IV, d. 12, q. 1, n. 7 (Viv. XVII,
535a-b).
SUBSTANCE, ACCIDENT AND INHERENCE 291

accident’s essence. But if it is so, we are compelled to posit a second


inherence by which the first inherence inheres in the accident. But this
opens the way to an infinite regress, because the second inherence
inheres in the first inherence by a third inherence, and so on. Scotus is
familiar with this argument in the formulation that Henry of Ghent had
given of it.25
Scotus’s successive treatments of inherence can be seen as
attempts to keep the two theses concerning accidents together and at
the same time to find a solution to the two technical difficulties arising
from them. Scotus’s texts dealing with these problems can be divided
into seven groups, roughly belonging to three periods.
To the Oxford period there belong two different works : (1) the
Questions on the Categories, where Scotus still adopts the standard
position of Peter of Auvergne and Simon of Faversham ; (2) Lectura I,
where Scotus first states the problems concerning inherence.
To a successive period, which could coincide with either the late
Oxford years or the first Parisian years, there belong: (1) the Questions
on the Metaphysics, where Scotus gives his first comprehensive treat­
ment of the metaphysics of the Eucharist ; (2) Ord. II, where Scotus
gives a solution to the infinite regress problem concerning relations.
To the Paris period there belong three different works : (1) Ord. Ill
and Quodlibet, q. 19, where Scotus distinguishes an accident’s
dependence on a substance from its inhering in it ; (2) Reportatio II,
where Scotus tries to give a solution to the problem of the ontological
status of inherence ; (3) Ordinatio IV, where Scotus gives his second
and last treatment of the metaphysics of the Eucharist.26

25 HENRICUS DE GANDAVO, Summa quaestionum ordinariarum, a. 32, q. 5,


Paris, Badius, 1520 (repr. St. Bonaventure, 1953), voi. I, f. 199 O.
26 Scotus deals with the inherence issue in connection with the Eucharist also in
the Reportata parisiensia. Since the text of the fourth book of the Reportata printed in
the Vivès edition is usually regarded as unreliable (cf. C. BALIC, Les commentaires
de Jean Duns Scot sur les quatre livres des Sentences. Etude historique et critique.
Louvain, Bureau de la Revue, 1927), I have decided not to take it into account in the
present paper. It is clear, however, that such a text should reflect a stage preceding
Op. ox. IV. Cf. DUNS SCOTUS, Rep. par. IV, d. 12, qq. 1-2 (Viv. XXIV, 134-150).
292 GIORGIO PINI

V. S c o T U S ’s Ox f o r d t r e a t m e n t s o f in h e r e n c e

1. T h e Q u e s t io n s o n t h e Ca t e g o r ie s

In his Questions on the Categories, dating probably from the first


1290s, Scotus does not deal explicitly with the issue of the inherence of
accidents. He clearly states, however, that an accident has an essence
distinct from its subject’s essence. Consequently, an accident can be
understood and signified without making reference to its subject. Such
is the case when an accident is understood in an abstract way. But
Scotus also maintains that this independence of accidents as far as they
are understood and signified does not hold on the level of existence, for
he explicitly says that accidents cannot exist without their subject.27 On
this respect, he seems to be close to the standard Aristotelian
interpretation of accidents that Siger of Brabant, Radulphus Brito and
others had given. Indeed, Scotus is not isolated on this respect in
Oxford, for in the same years at least another Oxford master, William
of Bonkys, maintains that inherence is part of the essence of an
accident.28
So in his Questions on the Categories Scotus distinguishes
between two issues concerning the relationship between an accident
and a substance. On the one hand, there is an epistemological and
semantic question, i.e. whether understanding and signifying an acci­
dent implies understanding and signifying the substance in which it
inheres. On the other hand, there is a metaphysical question, i.e.
whether an accident can exist without inhering in a substance. Scotus
answers ‘yes’ to the former question, ‘no’ to the latter. Scotus, at this
early stage, is not yet willing to admit the metaphysical independence
of accidents as items capable of existing without inhering.
Consequently, he maintains that inherence is part of the essence of an

27 DUNS SCOTUS, In Cat., q. 8, n. 18 (St. Bon. I, 318).


28 WILLIAM OF BONKYS, In Met., VII, q. 1. Ms. Cambridge, Gonville and Caius
College 344, f. 55vb. On William of Bonkys, who was a regent master of arts in
Oxford in 1291, cf. Ch. H. LOHR, « Medieval Latin Aristotle Commentaries. Authors
G-I », Traditio 24 (1968), p. 196.
SUBSTANCE, ACCIDENT AND INHERENCE 293

accident, even though he admits that an accident can be understood


without taking into account its inhering in a substance.

2. L e c t u r a I, d . 17 (O xford , 1297-1300)

Scotus, when still in Oxford, devoted some attention to the issue of


the unity between substance and accident. In an important passage of
the Lectura, he admits that ‘unity’ is one of the most difficult words in
philosophy, because there are many unities that are nonetheless hidden
to us. He also states that on a certain occasion he put great effort to
determine the way in which a substance, say a man, and an accident,
say white, constitute a unity. The difficulty lies in the fact that Scotus,
at this stage, is not willing to admit that inherence is something added
to substance and accident, i.e. something belonging to a determinate
category, really distinct from the accident that inheres and so
constituting a composition with it. But Scotus also recognizes that the
accident ‘white’ and the substance ‘man’, taken by themselves, do not
constitute a unity. There is a unity between substance and accident only
when the accident ‘white’ inheres in the substance ‘man’. In other
words, it is not sufficient to have a substance and an accident to get the
composite of substance and accident ; in addition to them, there must
be something that accounts for their union, i.e. inherence. At this stage,
however, Scotus does not know what the status of inherence is, even
though he is aware of the problem.29
This problems is particularly difficult for Scotus because he
maintains that accidents are essences by themselves, and because he,
unlike Aquinas and his followers, maintains that all the categories are
simple essences. As we have seen, for Aquinas both substance and
accidents are composed of two constituents, an essence and a

29 DUNS SCOTUS, Lect. I, d. 17, pa. 2, q. 4, n. 239 (Vat. XVII, 257-258) : « Credo
autem quod hoc est unum verbum de difficilioribus philosophiae, scilicet ‘unitas’ ;
multae enim sunt occultae unitates rerum, quae nobis latent. Considerabam aliquando
multoties quomodo homo-album verius faciunt unum quam si essent separata : quod
enim facit inhaerentia albedinis ad hominem, non est aliqua realitas addita, — et
tamen quando albedo est in homine, tunc est homo-album ‘unum’, et non quando sunt
separata ». On this passage, cf. CROSS, The Physics o f Duns Scotus, op. eit, p. 106.
294 GIORGIO PINI

corresponding mode of being. By contrast, Scotus thinks that such a


composition would endanger the status of the categories as the ultimate
types of things, which according to him implies simplicity. So, Scotus
cannot say that an accident inheres in a substance because the
accident’s mode of being is precisely inhering in a substance. Since
accidents, like substances, are not composed of an essence and a mode
of being, there is no mode of being by which they inhere. So how can
he account for the unity between two distinct essences ? When a
substance and an accident are considered as separated essences, it is
clear that they do not constitute a unity. But Scotus, in the Lectura,
maintains that when an accident inheres in a substance there is no third
thing apart from the accident and the substance. But if so, how can they
constitute a unity, if they do not constitute a unity when they are
separated one from the other ?
Scotus is unwilling to see inherence as a third item probably
because he is aware of the two problems I have mentioned above, i.e.
the difficulty of positing a catégorial item as pertaining to more than
one category and the infinite regress argument concerning relations. So
it would seem more convenient to assume that inherence is not a third
thing apart from substance and accident. But if this is so, Scotus must
admit that there remains the problem to explain how two essences,
which do not constitute a unity when separated, do constitute a unity
without the addition of any third factor. At this stage, Scotus seems to
admit that the reason for the unity between substance and accident
escapes human reason.
This passage also shows that Scotus, as early as the Lectura,
adopts an attitude quite opposite to the one we have found in Thomas
Aquinas and basically in all the other authors of the thirteenth century.
Scotus maintains that what should be explained is not so much that
accidents can exist without inhering in a substance, but that accidents
do inhere in a substance in such a way that they constitute a unity with
substance. Scotus’s starting point (i.e., the existence of separate
accidents) is what for the other authors is an exception to be explained.
SUBSTANCE, ACCIDENT AND INHERENCE 295

V I. BETWEEN OXFORD AND PARIS

1. THE QUESTIONS ON THE METAPHYSICS, V II, Q. 1

Scotus’s first comprehensive treatment of the metaphysics of the


Eucharist is found in his Questions on the Metaphysics. In the Lectura,
as we have seen, Scotus refers to an occasion in which he had put great
effort to determine the nature of the union between substance and acci­
dent. It is possible, even though not sure, that this could be interpreted
as a reference to the first question on the seventh book of the Metaphy­
sics, but notoriously dating of the Questions on the Metaphysics is a
complex matter. The Questions on the Metaphysics underwent several
revisions, and it is possible that Scotus worked on the Metaphysics both
in Oxford and in Paris.30
Be that as it may, Scotus devotes the entire first question on the
seventh book of the Metaphysics to the problem of the inherence of
accidents.31 This question is Scotus’s most elaborate treatment of the
topic before the fourth book of the Ordinatio.
Even at a cursory look, Scotus’s question appears to be heavily
influenced by the Paris debates on inherence. Scotus’s solution is here
not too far from what we have found in Peter of Auvergne and Simon
of Faversham, namely an application of Aquinas’s theological position
to Aristotle’s metaphysics.
Scotus introduces several distinctions, two of which must retain
our attention. First, Scorns distinguishes between, on the one hand,
inherence as the union of an existing accident with an existing sub­
stance and, on the other hand, inherence as the dependence or essential
order of an accident with regard to a substance according to the essence
of the accident itself.32 It is not difficult to see that this distinction is

30 On the complex problem of dating the Questions on the Metaphysics, cf.


« Foreword », in DUNS SCOTUS, In Met. (St. Bon. Ill, xlii-xlvi).
31 DUNS SCOTUS, In VII M et, q. 1 (St. Bon. IV, 91-101).
32 DUNS SCOTUS, In VII Met., q. 1, n. 9 (St. Bon. TV, 92). Scotus also
distinguishes between two meanings of ‘accident’, i.e. ‘being accidental’ and
‘something that is accidental’. The former meaning is a synonym of ‘inherence’. The
296 GIORGIO PINI

nothing else than a version of Aquinas’s distinction between the actual


mode of being of an accident as inherent in a substance and the essence
of an accident as constituted by a tendency to inhere in a substance.
Scotus takes Aquinas’s point, which also Giles of Rome, Peter of
Auvergne and others had taken : it is necessary to distinguish between
an accident’s essence and the way in which it actually exists. An
accident’s essence has a dependence on substance and is ordered
towards substance, but it is nonetheless an essence by itself, and as
such it is in some way independent of substance.
The second distinction that Scotus introduces is peculiar to him,
and as such it is an interesting sign of where his preoccupations lie.
Scotus distinguishes between two ways in which we can interpret the
question whether inherence is essential to an accident. In a first way,
we intend to ask whether inherence is part of the essence of an acci­
dent. In a second way, we intend to ask whether inherence is something
really identical to an accident. This distinction is not very clear, but it
plays an essential role in Scotus’s solution to the question. Scotus tries
to clarify the distinction between ‘being part of the essence of some­
thing’ and ‘being really identical to something’ by referring to the case
of transcendental notions, such as one and true. Such notions are really
identical with being, for they have the same extension as being : if
something is a being, then it is one and true. So there is real identity
between being, one, and true. Nonetheless, Scotus maintains that being
is not part of the essence (or quidditative concept) of one or true, be­
cause it is possible to define one or true without any reference to
being.33
This reference to transcendentals clarifies what Scotus intends to
say. Scotus is here trying to reconcile the two theses I have mentioned
above, i.e. the independence and the priority theses. On the one hand,
accidents are essences by themselves. Neither substance nor inherence
in a substance is part of their essence, because they are constituted as
essences quite independently of their reference to substance. On the
other hand, we must account for the union of substance and accident,

latter meaning refers to things in the nine accidental categories. Scotus states that only
the latter meaning is relevant here. Cf. In VII Met., q. 1, n. 8 (St. Bon. IV, 92).
33 DUNS SCOTUS, In VII Met., q. 1, n. 11 (St. Bon. IV, 93).
SUBSTANCE, ACCIDENT AND INHERENCE 297

and we can do so only if we assume an essential order or dependence of


accidents on substances. Scotus tries to keep both points by saying that
something can be the same thing as something else while at the same
time not being part of its essence. Specifically, an accident’s depen­
dence on a substance is the same thing as the accident but is not part of
its essence.
Scotus here seems to suggest that an accident’s essence and its
tendency to inhere axe formally distinct, as he formulates formal dis­
tinction in the Ordinatio and earlier in the Lectura (as a virtual
distinction).34 So, an accident and its tendency to inhere are two
formalities (not two things) formally distinct. Scotus does use the
terminology of the formal distinction, but all its elements are there.
In any case, Scotus’s general point is clear. Inherence, when taken
as an actual relationship between an existing accident and an existing
substance, is neither part of the accident’s essence nor really identical
with it. Similarly, inherence as the essential order and dependence of an
accident on a substance is not part of an accident’s essence, for any
accident is constituted as an essence by itself, not by reference to a
substance. But inherence as dependence on a substance is really iden­
tical with an accident, for the dependence of accidents on substance is
grounded on the necessary order of the possible essences, as Scotus
here says.35
I have noticed above the similarity between Scotus’s notion of an
accident’s dependence on substance, on the one hand, and Aquinas’s
and his followers’ notion of potential or aptitudinal inherence. But now
we can see that, notwithstanding the similarity, there is a difference.
Scotus himself makes this clear in an addition to his question, when he
says that an accident’s dependence on a substance is denominatively
predicated of an accident, whereas the upholders of aptitudinal inhe­
rence maintain that such a concept is essentially predicated of an
accident.36 So whereas Scotus sees an accident’s essential dependence
on a substance as external to the accident’s essence, and so as
denominatively predicated of it, Aquinas and his followers maintain

34 Cf. Richard Cross’s paper in this conference.


35 DUNS SCOTUS, In VII Met., q. 1, nn. 12-22 (St. Bon. IV, 93-97).
36 DUNS SCOTUS, In VII Met., q. 1, n. 10 (St. Bon. IV, 92-93).
298 GIORGIO PINI

that an accident’s tendency to inhere in a substance is constitutive of


the accident’s essence. This is an important difference between the two
approaches. It is the same difference that Scotus defends by suggesting
that an accident’s dependence on a substance is really identical but
formally distinct from the accident’s essence. Scotus wants to stress
that the relationship towards substance is not constitutive of an acci­
dent’s essence, since an accident is a simple and independent essence
independently of its dependence on a substance.
But, apart from Scotus’s insistence that inherence, even when
conceived as essential dependence, is not part of an accident’s essence,
his position does not seem to be very different from the one of, say,
Peter of Auvergne. Since actual inherence is not part of an accident’s
essence, it is not contradictory for an accident to exist without inhering
in a substance. But a tendency to inhere in a substance is inseparable
from the accident’s essence. Scotus even maintains that this depen­
dence on a substance is grounded on the immutable order of possible
essences. Illuminatingly, Scotus draws a parallel between an accident’s
relationship to a substance and the creatures’ relationship to God. As
God is necessary for the existence of creatures but is not included in
their essences, so it is the case for substance. Substance is still seen as
the cause of accidents, even though it is their efficient cause and not the
formal cause of their being, for accidents are formally what they are by
themselves.37 An accident’s dependence on substance is causal, as it
seems, just like a creature’s dependence on God is causal. In both
cases, the causation is not formal, but efficient. And in both cases, the
causal dependence is formally distinct but really identical with the
essence of the dependent item, i.e. with the creature’s essence and the
accident’s essence, respectively.

2. AGAINST THE INFINITE REGRESS CONCERNING RELATIONS :


O r d in a t ion,
d . 1, q . 4-5
Scotus admits that a relation has its own inherence, since it is an
accident, but he now adds that a relation and its inherence do not give
rise to a real composition. As far as relative accidents are concerned,

37 DUNS SCOTUS, In VII Met., q. 1, n. 39 (St. Bon. IV, 101).


SUBSTANCE, ACCIDENT AND INHERENCE 299

there is no real composition between an accident and its inherence.


They are really identical, since it is contradictory for a relation to exist
and not to inhere in its foundation. The real identity between a relation
and its inherence stops the infinite regress. Since a relation is identical
with its inherence, it inheres by itself and not by something added, so a
relation’s inherence is not an accident different from the relation itself,
and so a relation’s inherence does not inhere by virtue of some other
inherence.38
So Scotus maintains that a relative accident and its inherence are
really identical. But he still thinks that there is some sort of
composition between the two. It is not the composition that holds
between two things, but the same composition that holds between a
thing and its proper attribute (for example, between the species man
and its proper attribute ‘being capable of laughing’).39 This deserves
some clarification. A proper attribute necessarily pertains to its subject
but is not part of its essence. In the same way, inherence necessarily
pertains to a relative accident, because it is really identical with it, but it
is not part of its essence. Scotus admits that there may be some
problems when describing inherence as a proper attribute of an
accident, even though he does not say more. But it is clear that he
intends to deny that a relative accident and its inherence are really
different while maintaining that they are different in some respect.
Scotus does not label this less-than-real difference ‘formal difference’,
and he is apparently embarrassed to indicate what kind of difference it
is. But his strategy is clear. He now says that between a relative
accident and its inherence there is the same relationship that, in the
Questions on the Metaphysics, he had posited between the essence of
any accident and its tendency to inhere. So he now interprets what in
the Questions on the Metaphysics was a general solution for any

38 DUNS SCOTUS, Ord. II, d. 1, qq. 4-5, n. 239 (Vat. VII, 119). Cf. HENNINGER,
Relations, op. cit., pp. 89-92. Scotus is likely to have carried out the revision of the
second book of his Oxford Lectura, which will constitute the second book of his
Ordinatio, when he was still in Oxford. Cf. A. B. WOLTER, « Reflections about Sco-
tus’s Early Works », in John Duns Scotus. Metaphysics and Ethics, eds. L. Honne-
felder - R. Wood - M. Dreyer, Leiden-New York-Köln, Brill, 1996 (STGMA, 53),
pp. 37-57.
39 DUNS SCOTUS, Ord. II, d. 1, qq. 4-5, n. 237 (Vat. VII, 118).
300 GIORGIO PINI

accident as a particular solution applying to the case of relative


accidents.

VII. Sc o tu s ’s P aris treatm ents o f inh erence

So far, we have seen that Scotus is aware of the debates concer­


ning the status of accidents and that he is particularly concerned to
show how the unity of substance and accident occurs. In his Questions
on the Metaphysics, he tries to adapt one of the current accounts,
derived from Thomas Aquinas, in order to answer his worries about the
unity of substance and accident. This position is not Scotus’s final word
on inherence, however. Probably after moving to Paris, Scotus starts
considering the whole issue again. Apparently, he is not satisfied with
the solution of the Questions on the Metaphysics. The distinction
between actual and aptitudinal inherence, which Scotus takes from his
predecessors, does not fit with his doctrine of the real distinction
between categories. Specifically, it is not clear what kind of thing
inherence is. Both actual and aptitudinal inherence seems to escape a
clear classification into a real category. Scotus’s new strategy consists
in giving up a single answer to the two technical problems concerning
inherence, i.e. the ontological status of inherence and the infinite
regress concerning relations. He now chooses to adopt a separate
approach to absolute accidents, i.e. quantity and quality, on the one
hand, and relative accidents, i.e. the remaining seven categories, on the
other hand.

1. D ependence and in h er en c e : Or d . I ll and Q u o d l ., q . 19

Both in Ord. Ill and in his Quodl, q. 19, Scotus gives a new and
sophisticated analysis of the relationship between an accident and its
subject.
In the third book of the Ordinatio, Scotus distinguishes between an
accident’s dependence on substance and its causal dependence. His
point is that not every dependence is causal. Whereas in his Questions
on the Metaphysics he had stated that an accident’s dependence on
substance is causal (even though the causation involved is efficient and
SUBSTANCE, ACCIDENT AND INHERENCE 301

not formal), his preoccupation is now to distinguish an accident’s


relation of dependence on a substance from the relation of causation.
The relation of dependence or of essential order between an accident
and a substance merely implies that accidents are less perfect than
substances. It does not imply, however, that accidents are caused by
substance. For, as Scotus makes clear in his De primo principio, there
is essential order or dependence of an entity on another even if neither
causes the other but both are caused by some third thing.40 In the case
of substance and accident, both substance and accident are caused by
God, but since substance is caused by God as an essence more perfect
than accidents, accidents are said to be essentially ordered to
substances or to be dependent on them. So accidents are less perfect
than substances, but nothing implies that they are caused by substances.
Consequently, nothing implies that accidents cannot exist without there
being substances acting as their causes.41
In his Quodlibet, Scotus introduces a distinction between depen­
dence and inherence which seems to be equivalent to the distinction
between dependence and causation introduced in Ord. HI. Something
can be dependent on something else even though it does not inhere in
it. Scotus adds that an inhering accident is related in two ways to a
substance, i.e. by way of dependence and by way of inherence. But
these relationships must be distinguished. Since dependence is prior to
inherence - it acts as its foundation - , an accident can be dependent on
a substance without inhering in it.42 This seems to be the case in the
Eucharist.
In the same question of the Quodlibet, Scotus also repeats
Aquinas’s and his followers’ distinction between actual dependence
and the aptitude to depend. He now distinguishes the case of creatures

40 DUNS SCOTUS, Tractatus de primo principio, in ID., Traité du Premier


Principe, ed. W. Kluxen, tr. fr. J.-D. Caviglioli - J.-M. Meilland - F.-X. Putallaz,
sous la direction de R. Imbach, Paris, Vrin, 2001, pp. 78-80.
41 DUNS SCOTUS, Op. ox. Ill, d. 1, q. 1, n. 3 (Viv. XIV, 8-9). Cf. R. CROSS, The
Metaphysics o f the Incarnation. Thomas Aquinas to Duns Scotus, Oxford, Oxford
University Press, 2002, pp. 123-124.
42 DUNS SCOTUS, Quodl. XIX, n. 23 (Viv. XXVI, 292-293). Cf. CROSS, The
Metaphysics o f the Incarnation, op. cit., pp. 124-125.
302 GIORGIO PINI

from the case of accidents. A creature depends on God because of


actual inherence. An accident depends on a substance as something
caused depends on a secondary cause. Since an accident could be
caused immediately by the first cause, i.e. by God, it could exist
without actually depending on a substance, even though it would still
have an aptitude to depend on substance.43
So Scotus describes the kind of dependence that an accident has on
a substance as different from actual dependence or inherence (in the
Quodlibet) or from causation - not just formal, but any kind of
causation (in the third book of the Ordinatio). It is clear that, in the
normal course of events, an accident bears both the dependence and the
inherence/causation relation towards a substance. But the subsistence
of non-inhering accidents in the Eucharist reveals that these two
relations are different from each other and that the former (i.e., depen­
dence) is prior to the latter (i.e., inherence or causation). For in the
Eucharist an accident’s dependence on a substance subsists, whereas
inherence or causation ceases to exist.
Let us consider the relation of dependence a little more closely.
The relevant point is that something, call it a, is dependent on or essen­
tially ordered to something else, call it b, not just if a is caused by b,
but also if both a and b are directly caused by a third thing, which
causes b as a more perfect entity than a is. So, something can be essen­
tially ordered to something else even if it is not caused by it, but by a
third thing that causes it as something less perfect than something
else.44
This distinction between causation and dependence opens the way
to considering an accident’s dependence on a substance as a relation
independent of the substance’s actual causing the accident. By contrast,
an accident’s dependence on a substance is due to its relation not to
substance, but to the first cause, i.e. God, who causes a substance and
an accident as essentially ordered one to the other. Since Scotus
considers inherence as a causal relation (a substance acts as the
material cause of an accident and an accident acts as the formal cause
of a substance), he can now keep an accident’s dependent status on a

43 DUNS SCOTUS, Quodl. XIX, n. 23 (Viv. XXVI, 292-293).


44 Cf. the texts referred to in notes 40-41 above.
SUBSTANCE, ACCIDENT AND INHERENCE 303

substance even when the accident is not inherent and even though
inherence is not part of an accident’s essence.
Scotus’s distinction between causation and dependence or essential
order completely supersedes the distinction between actual and aptitu-
dinal inherence, which Scotus had taken from his predecessors. Scotus
can now say that the causal relationship between a substance and an
accident is not part of an accident’s essence and does not constitute it
as an essence. But he can also maintain that an accident has a
dependent status because of its dependence on substance, which is due
to a relationship not to substance but to God.

2. THE ONTOLOGICAL STATUS OF INHERENCE : REPORTATIO II

Scotus now faces the first problem that I have mentioned above,
i.e. the ontological status of inherence. He states that inherence is not
part of the essence of any accidental category. By contrast, inherence is
denominatively (as opposed to essentially) predicated of an accident.
But then, what is it ? Scotus proposes two answers. Either inherence is
a relation or it is a respectus extrinsecus. It is not clear what Scotus
means here by ‘respectus extrinsecus’’. It seems that, whereas a
respectus intrisecus is a relation following upon the essence of either
extreme, a respectus extrinsecus is a relation that is not implied by any
essential feature of either extreme. But here Scotus does not identify
this respectus extrinsecus with an item belonging to one of the last six
relative categories (i.e., action, passion, when, where, position,
habitus), as he will do in Ord. IV.
So, inherence is either a relation or a respectus extrinsecus. If
inherence is a relation, Scotus states that it is a species of the category
of relation. He now maintains that something belonging to a determi­
nate category such as relation can be predicated of items belonging to
all the other accidental categories, as long as the predication is not
essential but denominative. So now Scotus has an answer to the first
technical problem I have mentioned above in connection with the
ontological status of inherence : something can be predicated of items
belonging to more than one category if it is denominatively predicated.
By contrast, if inherence is a respectus extrinsecus, it is not an item
belonging to a determinate category, but a transcendental notion predi­
cated of all the accidental categories. Accordingly, for a qualify to be
304 GIORGIO PINI

inherent is nothing else than for a quality to be an accident and not a


being per se.45
Scotus here prefers the latter solution, according to which
inherence is a transcendental respectus extrinsecus, even though
already in the Questions on the Metaphysics he had carefully distin­
guished between two senses of ‘accident’, and he had recognized that
the sense in which ‘inherence’ and ‘accident’ are synonyms is not
relevant to the question concerning whether inherence is part of an
accident’s essence.46

3. O r d in a t io IV , d . 12, q . l

In the fourth book of the Ordinatio, Scotus comes back to the issue
of an accident’s inherence and gives a new full account of the
relationship between a substance and an accident. It is quite sure that
Scotus’s fourth book of the Ordinatio reflects his most mature
teaching, as it was given in Paris from 1302 onwards. Since there is no
critical edition available for this part of the Ordinatio, I have checked
the Wadding-Vivès text of d. 12, q. 1 against ms. Assisi, Biblioteca
Comunale 137, the so-called ‘A manuscript’.47
At the beginning of his treatment, Scotus mentions the current
theological position concerning the existence of non-inhering accidents
in transubstantiation. According to a standard opinion, when accidents
do not inhere, they receive a special mode of being from God. This is
basically Aquinas’s and Giles of Rome’s position, based as it is on the
distinction between essence and existence within each accidental
category.
Scotus criticizes this position, because it posits a transformation
from the absence of a new mode of being to its acquisition ; but there
seems to be no space for such a transformation within the limits of

45 DUNS SCOTUS, Rep. par. II, d. 1, q. 7, nn. 15-16 (Viv. XXII, 564-565).
46 Cf. above, note 32.
47 For a description of this manuscript, cf. « De Ordinatione I. Duns Scoti disqui­
sitio historico-critica », in DUNS SCOTUS, Ordinatio. Prologus (Vat. 1,12*-28*).
SUBSTANCE, ACCIDENT AND INHERENCE 305

Aristotelian physics. Moreover, it is not clear what kind of thing the


term of such a transformation could be.48
So, it is clear for Scotus that the status of an accident, when it does
not inhere in its subject, cannot be accounted for as the result of an
acquisition or a mutation. By contrast, such a status is the result of a
loss. So what is to be explained is not the ontological status of an
accident when it does not inhere ; on the contrary, it is an accident’s
inhering in a substance that is in need of an explanation. Something
different from both substance and accident must be posited as added to
the accident itself.
Scotus now explicitly states that an accident’s inherence in a
substance is an item belonging to a determinate category, really
different from the accident that inheres. Accordingly, Scotus gets rid of
the problematic notion of being identical to something without being
part of its essence, which had played an important role in his Questions
on the Metaphysics. Now Scotus draws the conclusion that, since
inherence is not part of the essence of an accident, it is an item in a
different category. Which category ? Scotus answers that inherence is
either a passion or an action, if we extend the meaning of these two
categories in such a way that they comprise not only the relationship
between an agent and a patient but also the relationship between a form
and what is informed. In any case, Scotus claims that inherence is a
respectus extrinsecus adveniens, and here he takes this expression as
meaning an item in one of the last six categories. He insists that
inherence is not a respectus intrisecus (i.e., an item belonging to the
category of relation), for a respectus intrinsecus is a relation that
necessarily holds when the extremes that it links are posited. But such
is not the case for inherence, since, once we posit a substance and an
accident, inherence does not necessarily follow, as an accident can
subsist side by side with a substance without inhering in it.
Scotus is aware of the novelty of positing inherence as an item in a
determinate category really distinct from the inhering accident. Indeed,
it was commonly assumed that an item belonging to a determinate
category cannot pertain to more than one category. Scotus, nonetheless,
is ready to reject such an assumption. When Simplicius’s authority is

48 DUNS SCOTUS, Op. ox. IV, d. 12, q. 1, n. 3 (Viv. XVII, 520-521).


306 GIORGIO PINI

evoked to show that inherence cannot belong to a determinate category


but must be seen as an aspect pertaining to each accidental category,
Scotus flatly states that Simplicius’s authority is not such that we
should reject what reason suggests only because Simplicius had said
the opposite. Now, reason shows that inherence is a respectus different
from an accident’s essence, at least in the case of absolute accidents
such as quantity and quality. If this were not so, absolute accidents
would not be essences by themselves, but only entities intrinsically
related to their subjects, namely the substances in which they inhere,
and so they would not be absolute but relative, contrarily to what is
assumed.49
So inherence is itself an accident (either a passion or an action),
and in turn it inheres in the items that belong to an accidental category.
Scotus exploits what he had already posited in Ord. II, and
distinguishes between two cases. On the one hand, there are relative
accidents, i.e. the last seven categories, which cannot exist without their
subjects. This is so, however, not because they necessarily inhere in
their subjects insofar as they are accidents, but only because a relative
term necessarily requires its correlative. So a relative accident cannot
exist without its subject not because it is an accident, but because it is
relative. On the other hand, there are absolute accidents, namely quan­
tity and quality, which can exist without inhering in their subjects.
The way in which Scotus argues for this last conclusion is
particularly revealing of his new views on substance and accident. He
argues that an absolute accident, for the very fact that it is an absolute
essence, is not a relative entity, which is necessarily related to
something else because of its essence. This immediately follows from
the claim that an absolute accident is absolute and not relative. So, if an
absolute essence has a necessary relation towards something else (i.e., a
relation without which that essence could not exist), such a relation is a
relation towards something external to its essence. But - and this is a
crucial stage in Scotus’s argument - there is only one external thing on
which created absolute essences such as quantity and quality
necessarily depend, i.e. God. So, since the subject of an accident is not
part of its essence and since the only necessary dependence on an ex-

49 DUNS SCOTUS, Op. ox. IV, d. 12, q. 1, nn. 5-7 (Viv. XVII, 534-535).
SUBSTANCE, ACCIDENT AND INHERENCE 307

trinsic thing is the dependence on God, it follows that the dependence


that an accident has on a substance is not necessary, but contingent.50
So Scotus explicitly claims that an accident’s dependence on a
substance is contingent. He bases this remarkable claim on the thesis of
God’s omnipotence, according to which God can cause immediately
whatever is caused by a secondary cause. Already Aquinas, in his
Sentences commentary, had referred to God’s omnipotence to explain
how accidents can exist without inhering. But there is a clear difference
between Aquinas and Scotus. According to Aquinas, God’s
omnipotence explains why an accident can subsist without inhering
even though a tendency to inhere is part of the accident’s essence. So
Aquinas’s reference to God’s omnipotence explains why an exception
to the natural order is possible. By contrast, Scotus posits God’s
omnipotence not as what explains an exception, but as what accounts
for the very structure of things. The order between substance and
accident is grounded on God’s omnipotence. This theological position
becomes for him the basis of a new doctrine of the relationship between
substance and accident. Still in the Questions on the Metaphysics,
Scotus had maintained that an accident’s dependence on substance,
even though not part of its essence, is necessary, because an accident
could not be what it is without having an essential dependence on a
substance. Such a dependence, according to Scotus in the Questions on
the Metaphysics, was grounded on the immutable order of possible
essences. He now comes to a completely different conclusion. Thanks
to the distinction between dependence and inherence that he had drawn
in Ord. Ill and in Quodl., q. 19, he can drop the notions of actual and
aptitudinal inherence. Scotus simply states that the only relation of
dependence on something external to the essence that necessarily
pertains to a thing is the dependence on God. All the other relations, if
they are external to a thing’s essence, are contingent. An accident’s
relation of inherence in a substance is no exception.
From this point of view, Scotus now concedes that the philosophi,
i.e. Aristotle and Averroes, denied that an accident can exist without
inhering in a subject. He is not compelled anymore to find a difficult
agreement between Aristotle and the doctrine of transubstantiation, as

50 DUNS SCOTUS, Op. ox. IV, d. 12, q. 1, n. 9 (Viv. XVII, 545).


308 GIORGIO PINI

Thomas Aquinas and his followers had done, and as he himself had
done in the Questions on the Metaphysics. Scotus now indicates the
reason why the philosophi denied the possibility of non-inhering
accidents. The reason is not because it is contradictory for an accident
to exist and not to inhere in a subject, as Siger of Brabant and
Radulphus Brito had maintained. According to Scotus, Aristotle had
recognized that accidents - at least, absolute accidents - are absolute
essences and beings per se, and as such they do not depend on anything
external to them because of a relationship inscribed in their essence. By
contrast, Scotus now maintains that the reason why the philosophi had
denied that an accident can exist without inhering in a substance is that
the philosophi posited a necessary order among causes in such a way
that the first cause cannot directly cause the effect of a secondary cause.
Consequently, the philosophi could not recognize the possibility of
non-inhering accidents because they endorsed the doctrine of the
necessary order of causes - a thesis condemned in 1277, some 25 years
before Scotus wrote.51
Scotus, by contrast, posits God’s omnipotence at the basis of his
ontology. Thanks to his new acquisition, Scotus explicitly rejects the
conclusion that he had maintained in the Questions on the Metaphysics,
namely that (aptitudinal) inherence is not part of the essence of an
accident but is nonetheless really identical with it, and that accordingly
it necessarily follows upon the essence of an accident. Scotus now
claims that this is not the case, because there is only one relation to
something external that is necessary, namely such that without it the
essence to which it pertains cannot exist. This is the relation of depen­
dence on God. Since the subject is external to the essence of an
accident, it follows that the relation between an accident and its subject
is contingent.
Still, it seems that an accident’s complete definition requires a
mention of the substance in which it inheres. Is this not a sign that a
relation to substance is part of an accident’s essence, or at least that

51 DUNS SCOTUS, Op. ox. IV, d. 12, q. 1, n. 10 (Viv. XVII, 545-546). Cf. PICHÉ,
La condamnation parisienne de 1277, op. cit, art. 63 (Mandormet 69), p. 100 :
« Quod deus non potest in effectum cause secundarie sine ipsa causa secundaria » ;
HISSETTE, Enquête, op. cit., pp. 128-129.
SUBSTANCE, ACCIDENT AND INHERENCE 309

such a relation necessarily follows upon an accident’s essence ? No,


Scotus answers. He now maintains that the reason why substance is
sometimes mentioned in an accident’s definition is not that the accident
ontologically requires a subject, but that the intellect, when
understanding a form, finds “some rest” only when it also understands
what that form informs. But this is not peculiar to accidental forms :
even though the body is not a part of the soul’s essence, the body is
sometimes mentioned in the so-called physical definitions of the soul,
exactly for the same reason by which substance is sometimes men­
tioned in the definitions of accidents. But for Scotus it is clear that the
soul does not depend on the body. Accordingly, from the structure of a
perfect definition, we cannot draw a conclusion concerning the
structure of the thing defined, but only concerning the way in which the
intellect understands things. The reason why substance is sometimes
mentioned in an accident’s definition is not ontological, but epistemo­
logical.52
So for Scotus inherence is a relation different from and posterior to
both substance and accident. It occurs when an agent causes an
accident in a substance. Scotus now explicitly denies that inherence is a
proper attribute of an accident, as he had maintained in Ord. II. For a
proper accident is necessarily attributed to its subject. But inherence is
contingently attributed to an accident. So, inherence is an accident
(either an action or a passion) inhering in an accident.53
But then, why do accidents inhere in substances in the normal
course of events ? This is not due to a tendency to inhere internal to the
accident or identical with its essence, as it was for Thomas Aquinas’s
followers and even for Scotus in the Questions on the Metaphysics. An
accident inheres in a substance only because for its essence it is not
contradictory to inhere, namely because it is logically possible for an
accident to receive an external relation of dependence on substance and
because God chooses that accidents inhere in substances as the normal
course of events. But apart from this non-repugnancy to inhere, there is
no positive tendency to inhere in an accident’s essence. So Scotus
keeps the notion of aptitude to inhere, but he now interprets it as an

52 DUNS SCOTUS, Op. ox. IV, d. 12, q. 1, nn. 18-20 (Viv. XVII, 551-553).
53 DUNS SCOTUS, Op. ox. IV, d. 12, q. 1, nn. 21-22 (Viv. XVH, 554-555).
310 GIORGIO PINI

accident’s non-repugnancy to inhere. This non-repugnancy pertains to


an accident not because of some positive formality present in it, but
simply because, as Scotus says, “this nature” (i.e., an accident’s
essence) “is this nature.” No further feature is needed to explain why
accidents inhere in substances except that it is logically possible for
accidents to receive an external relation of dependence on a substance.
This is so because of the essential order between all things created by
God. But, as Scotus had already made clear in the third book of the
Ordinatio, an accident’s being essentially ordered to a substance does
not imply that an accident is caused by a substance. Scotus also
maintains that this does not even imply that an accident is essentially
dependent on a substance, but only that it is less perfect than a
substance, since for an accident, and not for a substance, it is logically
possible to inhere in a subject.54
Since by themselves both substance and absolute accidents (i.e.,
quantity and quality) are absolute essences and there is no reason why
the latter necessarily inhere in the former, Scotus comes as close as
possible to drop the distinction between substance and absolute acci­
dents, on which a large part of Aristotle’s metaphysics is based. The
link between substance and absolute accidents is a contingent one, and
the only necessary relationship is between all creatures (whether sub­
stances or accidents) and their creator.

VIII. C onclusion

Scotus comes to his original doctrine of the relationship between


substance and accident by degrees and after trying out several solu­
tions. In all his attempts, however, there are some constant aspects. Of
the three points in which Thomas Aquinas had articulated his treat­
ment, Scotus does not consider the individuation issue as a problem,
since he maintains that each category is individuated by a principle of
individuation in its own category. As to the other two points, Scotus,
like Aquinas, maintains that it is not contradictory for an accident to

54 DUNS SCOTUS, Op. ox. IV, d. 12, q. 1, mi. 23-24 (Viv. XVII, 557).
SUBSTANCE, ACCIDENT AND INHERENCE 311

exist and not to inhere, and he resorts to divine omnipotence to explain


how an accident can subsist without inhering.
But Scotus starts from what Aquinas had considered as an
exception, namely the existence of accidents that do not inhere in a
substance in transubstantiation. He takes this alleged exception as a
case revealing something about the deep structure of reality. In the nor­
mal course of events, this deep structure remains hidden, because
accidents usually do inhere in their subjects. But the fact that an
accident can exist without inhering in a substance indicates that such an
accident is by itself an absolute essence and that inherence is not
constitutive of it. In Scotus, the recourse to divine omnipotence is not
an ad hoc solution to explain an exception to the normal course of
events, as it was in Aquinas. This recourse lies at the basis of the deep
structure of reality. Both substances and accidents are necessarily
dependent on God. All the other relationships are contingent. Speci­
fically, an accident’s inherence in a substance is contingent. There is
still a relationship of order concerning substance and accidents. But this
relationship is not to be seen as a consequence of a relation grounded
on the essence of either substance or accident. By contrast, Scotus
considers the order concerning substance and accidents as due to the
way in which substance and accident are necessarily related to God.
So Scotus’s attitude seems to be quite the opposite of Thomas
Aquinas’s. According to Scotus, we do not have to accommodate what
looks like an exception to the framework of an ontology built on
independent grounds. Instead, we must start from the alleged excep­
tions in order to build an ontology based on them, because these alle­
ged exceptions reveal the way in which things are according to their
essence and not according to the contingent order which we currently
experience. On this regard, Scotus’s attitude is not so distant from the
thought experiments of which contemporary analytic philosophers
make use.

Scuola Normale Superiore, Pisa


F a b r iz io M o n d a d o r i

THE INDEPENDENCE OF THE POSSIBLE

ACCORDING TO SCOTUS *

I. PRELIMINARY DISTINCTIONS

Scotus’ characterization of the “possibile logicum” - o r , equiva­


lently, the “potentia logica” - a s a “modus compositionis” strongly
suggests that he regarded propositions as the “bearers” of logical
possibility.1 This is perfectly consistent with, and is actually confirmed
by, the fact that “compositio” has an act-object ambiguity : a “com­
positio” may be either a proposition, or the “result” of an “act” of the
intellect, which typically consists in putting together (“compounding”)
a predicate-concept and a subject-concept - and this indeed yields a
proposition. Either way, the assertion that the “possibile logicum” is a
“modus compositionis” naturally leads up to the view that propositions
are the “bearers” of logical possibility. Now a proposition p typically
has “constituents”, viz. complex quiddities, each of which is a “quiditas

* I am deeply grateful to Elizabeth Karger, who has made it possible for this
article to be written, and published. I dedicate it to the memory of Jerry Katz.
1 The suggestion is strong indeed : witness, for instance, Scotus’ assertion that “...
possibile uno modo significat possibilitatem logicam ... . Possibilitas ... logica est in
propositionibus quando termini non repugnant” (Lect. I, d. 2, pa. 2, qq. 1-4, n. 188,
Vat. XVT, 176) ; and that “Potentia logica non est aliqua nisi quando extrema sic sunt
possibilia quod non sibi invicem repugnant sed uniri possunt,...” {Lect. I, d. 39, qq. 1-
5, n. 49, Vat. XVII, 494 : “Sic sunt possibilia quod ... uniri possunt” is, of course, a
somewhat tortuous way of saying “sunt sibi invicem compossibilia”).
314 FABRIZIO MONDADORI

intellecta”,2 and each of which is, or makes up, a compossible set of


(simpler) quiddities (jointly taken, the “constituents” of p also make up
a compossible set). If we maintain, as Scotus does, that compossibility
is necessary and sufficient for (logical) possibility, propositions, as well
as their constituent quiddities, will evidently have to be counted as
possibilia : they will possess, too, what Scotus often refers to as an esse
deminutum, i.e., an esse intelligibile or an esse cognitum or an esse
possibile. More specifically, to say, of a proposition p or of a complex
quiddity q, that it is a possibile is to say, first, that p - or, as the case
may be, qualifies as logically possible (this is a purely modal
claim), and, second, that p - or, as the case may be, ^ —is endowed
with a modus essendi (this is a purely ontological claim).
In fact, more precisely, according to Scotus the possible -
propositions and complex quiddities - should be ascribed a three-fold
status : (1) a modal status ; (2) an ontological status ; and (3) a formal
status. They may be characterized as follows. To ascribe a modal status
to a proposition p is to ascribe to it the property of being possible (or,
as the case may be, impossible, or, as the case may be, necessary).3 To

2 A “quiditas intellecta”, Scotus contends, is an idea in the divine mind : "... idea
est quiditas intellecta ... in primo instanti intellectus divinus intelligit essentiam suam,
et in secundo quiditates aliorum quae - ut sic intellectae sunt - ideae dicuntur” (Lect.
I, d. 35, q. un , n. 33, Vat. XVh, 456).
3 A certain amount of care must be exercised here : whereas reference to the logi­
cally possible is reference to a proposition which possesses an ontological status, and
whose constituents make up what Scotus calls an “unum intelligibile”, reference to
the impossible simpliciter is not at all reference to a proposition properly so-called,
since the “constituents” of the impossible simpliciter cannot make up an “unum
intelligibile”. As we shall see later in the main text, on Scotus’ view the impossible
simpliciter cannot be conceived by any intellect : more precisely, it cannot be
conceived (by any intellect) as an “unum intelligibile”, since its “parts” are mutually
incompossible, and mutual compossibility is a necessary condition for something -
say, a “string” of quiddities- to be conceived as an “unum intelligibile”, and to
qualify as a proposition properly so-called (see the second of the two passages cited in
fit. 35). To conceive of the impossible simpliciter, or of an absolutely impossible
proposition, is really to conceive, not so much of something which possesses an esse
deminutum, or of a proposition properly so-called, i.e, of an “unum intelligibile”, as
of the “parts” of “the” impossible, or of “the” proposition : unlike the possible, “the”
impossible does not have a “quid rei” - it only has a “quid nominis” (“Non-entia
THE INDEPENDENCE OF THE POSSIBLE 315

ascribe an ontological status to a proposition p , or to a complex


quiddity q, is to assert that p - or g - is endowed with an esse
deminutum. Finally, to ascribe a formal status to a quiddity q is to
assert that q is the (kind of) quiddity it is, i.e., more specifically, that q
has such-and-such formal constituents : thus, for example, the formal
status of the quiddity of (a) man consists in its having as formal
constituents the “formalitas” expressed by “animal”, and the
“formalitas” expressed by “rational”. There is no doubt, I believe, that
Scotus has (l)-(3) in mind when he contends that :
impossibilitas prima est formaliter ex parte impossibilis et principiative in
Deo ; et si principiative reducatur ad aliquid, ... reducitur principiative ad
intellectum divinum principiantem illud in illo esse in quo partes illae
formaliter repugnant, propter quam formalem repugnantiam totum ex eis
est simpliciter impossibile,4

Talk of “esse” - in “principiantem illud in illo esse” - is, clearly,


talk of the ontological status of quiddities :5 at play here is the divine

autem omnino, quae scilicet non habent quid rei sed tantum nominis, non sunt proprie
scibilia sed secundum quid, sicut quid nominis tantum est ‘quid’ secundum quid”, In
VI Met., q. 2, n. 36, St. Bon. IV, 50). The view I have just briefly outlined is
(implicitly) put forth by Scotus in the following passage : “... si infinitum repugnat
enti statim intellectus istam disconvenientiam et repugnantiam percipiet, et tunc non
posset apprehendere ens infinitum pro obiecto, sicut nec repugnantia ut hominem esse
irrationalem potest habere pro obiecto, quia obiectum includit repugnantiam, ... illud
dicitur cogitari quod potest intelligi sine contradictione : unde quod homo sit
irrationalis est incogitabile. Unde sicut in rebus nihil est unum nisi sit simplex vel
compositum ex potentia et actu, ita et in conceptibus. Contradictoria autem non
faciunt unum nec simplex nec compositum ; ergo non erit unus conceptus cogitabilis”
(Rep. I A, MS Città del Vaticano, Biblioteca Apostolica Vaticana, Borgh. lat. 325, f.
13ra-b : from now on, “Rep. I A” will be shorthand for “Rep. I A, MS Città del
Vaticano, Biblioteca Apostolica Vaticana, Borgh. lat. 325”).
4 Ord. I, d. 43, q. un., n. 17 (Vat. VI, 360). See also Lect. I, d. 7, q. un., nn. 32-33
(Vat. XVI, 484) ; d. 43, q. un., nn. 15-16 (Vat. XVII, 533-534). It matters not that the
passage footnoted deals with the impossible simpliciter : with obvious modifications,
the same view applies to the possible as well ; the main difference between the former
and the latter is that the latter, unlike the former, has an ontological status (see fri. 3
and fa. 5).
5 Not, of course, that the impossible simpliciter possesses anything like an onto­
logical status : but, rather, that its “constituents” possess such a status ; the “esse” at
316 FABRIZIO MONDADORI

production of quiddities in esse intelligibili, the divine intellect being


the “principium” of such a production. Talk, in turn, of “formaliter
repugnant”, and of “formalem repugnantiam”, is talk of the formal
status of quiddities : implicitly at play here is Scotus’ view that the
(“intrinsic” or “formal”) reason why two or more quiddities qualify as
mutually formally repugnant is exclusively to be found in the formal
nature of those quiddities, i.e., more precisely, in the formal content of
the corresponding concepts (in a word : in the formal status of
quiddities).6 Talk, finally, of “simpliciter impossibile” is talk of the

stake here is, accordingly, the “esse” of the “constituents” of “the” impossible. The
“totum ex eis”, on the other hand, since its “constituents” are mutually incompossible
quiddities, cannot make up an “unum intelligibile”, and has, therefore, no ontological
status whatsoever (cf., “Verissime ... illud est nihil quod includit contradictionem, et
solum illud ; quia illud excludit omne esse extra intellectum, et in intellectu : quod
enim est sic includens contradictionem, sicut non potest esse extra animam, ita non
potest esse aliquid intelligibile, ut aliquod ens in anima”, Quodl. IH, n. 2 (Wad. XII,
67).
6 Cf., “... sicut... cuicumque aliquid repugnat, repugnat ei formaliter ex ratione
eius, ita cui non repugnat formaliter, non repugnat propter rationem ipsius” (Ord. I, d.
36, q. un., n. 50, Vat. VI, 291) ; “...ratio prima quare alicui repugnat esse erit
intrinseca ex repugnantia formali ex quibus constituitur : quia enim unum illorum
formaliter repugnat alteri, ideo non possimi constituere unum” (Lect. I, d. 43, q. un.,
n. 12, Vat. XVII, 532). The qualification “intrinseca” clearly suggests that two or
more quiddities qualify as mutually formally repugnant in virtue of their being the
(kinds of) quiddities they are, and, hence, in virtue of their formal status : “...
quaelibet forma seipsa est talis forma, nec est alia ratio intrinseca quare est talis
forma” (Ord. I, d. 26, q. un., n. 88, Vat. VI, 46) ; “... repugnantia aliquorum
consequitur proprias rationes illorum immediate (sicut repugnantia albedinis ad
nigredinem consequitur naturam albedinis et nigredinis,...)” (Lect. I, d. 2, pa. 2, qq. 1-
4, n. 246, Vat. XVI, 205) ; “Repugnantia ... quaecumque est extremorum ex ratione
sua formali et per se essentiali, circumscripto quocumque alio respectu utriusque
extremi - positivo vel negativo - ad quodcumque aliud,...” (Ord. I, d. 43, q. un., n. 5,
Vat. VI, 353) ; “... repugnantia ... formalis, et non repugnantia, primo reducitur
formaliter ad rationem eius, cui dicitur esse repugnantia” (Quodl. V, n. 25, Wad. XII,
136 - the sense of “primo” at play here is explained by Scotus in a passage wherein
he claims that “Distingui autem ‘primo formaliter’ non est distingui per aliquid
inclusum in imo, et in alio convenire, sed se toto formaliter distingui, etiam si per
impossibile omne aliud a ratione sua circumscribatur”, Ord. I, d. 13, q. un., n. 80, Vat.
V, 107 : “Distingui primo” - and not, of course: “Distingui primo formaliter” -
THE INDEPENDENCE OF THE POSSIBLE 317

modal status of a given collection c of quiddities : in the present case, c


is a collection which, on account of the fact that its constituents are mu­
tually incompossible, must be regarded as impossible simpliciter. How
are the ontological, the formal, and the modal status related ? That is,
more precisely : which status is “naturally” prior to which ? The
passage I have just been talking about explicitly suggests that the onto­
logical status is “naturally” prior both to the formal and to the modal
status : to contend - as Scotus does - that the impossible “reducitur
principiative ad intellectum divinum principiantem illud in illo esse ...”7
is indeed to contend that quidditities can intelligibly be ascribed a
formal status, and collections of quiddities, a modal status, only
provided they “already” possess an ontological status to begin with.8

should accordingly be taken to mean, “se toto formaliter distingui, etiam si per
impossibile ...” ; to contend, then, that the mutual repugnance, or, as the case may be,
non-repugnance, of two quiddities “primo reducitur formaliter” to their “rationes
formales” is to contend that the formal grounds of their mutual repugnance, or, as the
case may be, non-repugnance, ultimately and exclusively lie in their formal status ; cf.
also, “... ‘primo continere’ est non dependere ab aliis in continendo, sed alia ab ipso,
hoc est, quod, per impossibile, circumscripto omni alio in ratione obiecti, manente
intellectu eius, adhuc contineret obiective”, Orci., Prol., pa. 3, qq. 1-3, n. 144, Vat. I,
97). Reference to a “form”, a “nature”, a “ratio”, and a “ratio formalis” is of course
reference to the formal status of quiddities.
7 The same is true of the possible : on Scotus’ view, “... lapis ... est ex se
formaliter possibilis et quasi principiative per intellectum divinum” (Ord. I, d. 43, q.
un., n. 7, Vat. VI, 354). Note, incidentally, that to claim that “... lapis ... est ex se
formaliter possibilis” need not be to ascribe to a stone an esse possibile, since talk of
“esse possibile” is ambiguous : it may be talk of the modal status of quiddities, or it
may be talk of their ontological status (as concerns the latter alternative, cf. Scotus’
remark that “... si esse praeteritum et esse futurum dicant modos essendi secundum
quid, multo fortius esse possibile dicit modum essendi secundum quid”, Lect. H, d. 2,
pa. 2, qq. 5-6, n. 329, Vat. XVDI, 200). The ambiguity I have just described goes
hand-in-hand with the distinction Scotus draws between “ex se formaliter possibilis”
(modal status) and “possibilis ... principiative per intellectum divinum” (ontological
status).
8 In this connexion, cf. Frassen’s remark that “... cum ... non repugnantia sit
alicujus rei non repugnantia, necessario supponit conceptum rei, in quo illa non
repugnantia fundetur : ergo ut creaturae possibiles dicantur habere non repugnantiam
ad existendum, prius supponi debent habere aliquod esse ; illud autem esse non
possunt habere ab alio quam ab intellectu divino” (Scotus Academicus I, Rome, 1900,
318 FABRIZIO MONDADORI

The formal status of the constituents of a(ny) given collection c of


quiddities, in turn, is “naturally” prior to the modal status of c : as
Scotus explicitly asserts in the passage I have just been talking about, it
is on account of, or as a result of (cf., “propter quam”), the formal
status of the constituents of c that c qualifies as e.g. impossible
simpliciter. The two cases differ, however, in the following crucial
respect. The priority of the formal status with respect to the modal
status is both a “natural” and an explanatory priority (possession, on
the part of the constituents of c, of the formal status they possess
explains why c has the modal status it has). The priority of the
ontological status with respect to the formal and the modal status, on
the other hand, is a “natural” priority which could hardly be taken to
have a (modally and formally) significant explanatory value. It is one
thing, in other words, (a) to ascribe a modal status to a collection c of
quiddities ; quite a different thing, (b) to explain what grounds - i.e.,
formally grounds - that modal status, or, equivalently, to explain why c
possesses this, rather than that, modal status. We may ascribe a modal
status to c only on the condition that the constituents of c may “first” be
ascribed an ontological status : if they were devoid of any kind of
“esse”, so that c could not be ascribed any ontological status, it is
difficult to see how c could intelligibly be ascribed a modal status (if
quiddities did not have any “esse” whatsoever, that is, “possible” - or,
as the case may be “impossible” - would not be a “denominatio” of
anything at all).
Not so in the case of (b) : possession, on the part of c, of an
ontological status is, clearly, modally - as well as formally - irrelevant
to an explanation both of what grounds the modal status of c, and of
why c has this, rather than that, modal status. From the fact, in other
words, that, if the constituents of c did not have any ontological status
at all, c could not intelligibly be ascribed a modal status, it follows in
no wise either that its modal status depends (i.e., formally depends),
even in part, on its possessing an ontological status, or that, in an

p. 37). The source of the view I have ascribed to Scotus, whereby the ontological
status is “naturally” prior to the formal and the modal status, is to be found- I
believe- in the view according to which the question “quid sit?” can only be
answered after the question “an sit ?” has been answered. (This view the schoolmen
traced back to Aristotle : see e.g. An. Post. 92b4-18.)
THE INDEPENDENCE OF THE POSSIBLE 319

explanation of why e.g. a given proposition p has this, rather than that,
modal status, reference must be made to the fact that p has an
ontological status.9 More simply put, a precondition for the intelli­
gibility of an ascription of a modal status to p is not, and could hardly
be, also a precondition for the correctness of such an ascription. Two
questions are implicitly at play here, and they should sharply be
distinguished : first, what conditions must obtain if we are intelligibly
to ascribe a modal status to p ? (Answer : such an ascription is
intelligible only provided p “already” possesses an ontological status).
Second : what conditions must obtain if our ascription of a modal status
to p is to count as correct ? (We shall see later how Scotus answers this
question : it should be obvious, however, that the correctness - or
incorrectness - of such an ascription could hardly be taken formally to
depend on possession, on the part of p, of an ontological status).
There is of course no denying that propositions have (that is : can
have) a modal status (only) insofar as they “already” have an
ontological status. This claim is, however, ambiguous : “insofar as” is a
“reduplicatio”, and can therefore be taken either “reduplicative” or
“specificative”.10 If “insofar as” is taken “reduplicative”, that claim is
plainly false : for it would then mean that possession, on the part of a
proposition p, of an ontological status, is the “causa inhaerentiae” in p
of the property expressed by “... has a modal status”. It is true, on the
other hand, but devoid of any modal significance, if “insofar as” is
taken “specificative” : for it would then mean that propositions,

9 Or, equivalently, to the divine intellect and the divine production of quiddities in
esse intelligibili.
10 Cf. here Scotus’ claim that “... etsi [Christus] inquantum Deus sit aliquid, et
inquantum homo sit aliquid, non tamen sequitur quod inquantum homo sit idem
aliquid, quod est Deus, nec aliud aliquid : quia proprie accipiendo ‘inquantum’, ut,
scilicet, notat illud, quod sequitur esse rationem inhaerentiae praedicati, est fallacia
consequentis, ... . Si tamen ly inquantum non acciperetur stricte prout dicit inhaeren-
tiam praedicati, sed tantum specificando, prout dicit rationem illam, secundum quam
subiectum accipitur in se, posset concedi quod inquantum homo est idem aliquid quod
est Deus, sed tunc non sequitur quod humanitate esset Deus, quia hoc pertinet ad
illum intellectum de ly inquantum reduplicativum” (Op. ox. III, d. 6, q. 2, nn. 3-4,
Wad. VII, 178). See also Ord. I, d. 1, pa. 1, q. 2, n. 58, Vat. II, 42-43, and Ord. I, d. 3,
pa. 2, q. un., n. 326, Vat. DI, 196.
320 FABRIZIO MONDADORI

precisely because they have a modal status, cannot but have an


ontological status - which is true, but, as I have just said, modally
insignificant. A similar kind of ambiguity applies to the contention that
if, per impossibile, God did not have an intellect, nothing would be
(im)possible. That is, more precisely : (1) if God did not have an
intellect, there would - or better : could - be no production of quid­
dities in esse intelligibili ; (2) if no such production were possible,
quiddities would - or better : could - not have any ontological status ;
hence, trivially, (3) if quiddities did not have any ontological status,
there could be no such things as quiddities ; now (we shall see later) to
assert that a given collection c of quiddities qualifies as (impossible is
to assert that the constituents of c are related by a relation of (in)com-
possibility ; (4) no quiddities, however, no relation of (inpompossibi-
lity ; therefore, (5) no relation of (in)compossibility, no (im)possibility ;
therefore, (6) no divine intellect, no (impossibility.11
Are we entitled to infer (6) from (l)-(5)? Not quite : (6) is two-way
ambiguous. It may be taken to mean that the modal status of a given
collection c of quiddities depends, i.e., formally depends, at least in
part, on the divine intellect : thus understood, (6) clearly does not
follow from (l)-(5 )-n o t, that is, without the further premiss that the
formal (and not just the ontological) status of the quiddities which
make up c depends on God’s intellect. Alternatively, we may take it to
mean that the modal status of c depends - i.e., ontologically depends -
on the divine intellect, or, more precisely, that, if God did not have an
intellect, there would be nothing to which “(impossible” could
intelligibly apply : thus understood, (6) does indeed follow from (1)-

11 A view of this sort has been ascribed to Scotus by - among others - Mastrius
(Disputationes in XII Aristotelis libros Metaphysicorum, tom. 2, Venice, 1647, disp.
8, q. 1, a. 3, nn. 37-38, pp. 71-72) ; Krisper (Theologia scholae Scotisticae, tom. 1,
Augsburg - Innsbruck, 1748, tract. I, d. 11, q. un., n. 16, p. 163a); and, more
recently, Calvin Normore (“Scotus, Modality, Instants of Nature and the Contingency
of the Present”, in John Duns Scotus. Metaphysics and Ethics, eds. L. Honnefelder -
R. Wood - M. Dreyer, Leiden-New York-Köln, Brill, 1996 (STGMA, 53), pp. 165-
166, 169). As we shall presently see, this view lends itself to two quite different
interpretations : on one of them, it is clearly incorrect (nor is there any reason to
suppose that Scotus had anything like it in mind) ; if we choose the other, the view is
indeed correct, but it is devoid of any modal significance.
THE INDEPENDENCE OF THE POSSIBLE 321

(5), but it does not possess any modal significance, since, thus
understood, it has no modally significant bearing on the question of
why c has the modal status it has.
Implicitly at play here are, again, the two questions I have
distinguished earlier : the question of whether or not c can be ascribed a
modal status, and, if so, under what conditions ; and the quite different
question of why c qualifies as e.g. possible rather than as e.g. impos­
sible. (6) enables us to answer the first, not the second, of these two
questions. Implicitly at play here is also an ontological - not a modal,
let alone a formal - dependence of the modal status of c on the
ontological status of c, and, therefore, a purely ontological dependence
of the modal status of c on the divine intellect. The ontological
dependence of the former on the latter is best thought of as (a kind of)
counterfactual dependence : to maintain that the modal status of c
ontologically depends on the divine intellect is to maintain that, if God
did not have an intellect, c would - or better : could - have no modal
status at all. (As we shall see later, this is the view which Scotus should
be taken to have in mind when he contends that the (im)possible is
(im)possible “principiative per intellectum divinum”.)12
Now then, since the possible - 1 have just said - has an ontologi­
cal, a modal, and a formal status, talk of (independence of the possible
must be regarded as ambiguous ;13 it may be regarded as talk of :

12 Cf., “... lapis, productus in esse intelligibili per intellectum divinum, ..., est ex
se formaliter possibilis et quasi principiative per intellectum divinum” (Ord. I, d. 43,
q. un., n. 7, Vat. VI, 354) ; “... impossibilitas ... si principiative reducatur ad aliquid,
... reducitur principiative ad intellectum divinum, principiantem illud in illo esse in
quo partes illae formaliter repugnant”(CW. I, d. 43, q. un., n. 17, Vat. VI, 360). As the
passage just cited clearly shows, to claim that the impossible “reducitur principiative
ad intellectum divinum” is to claim that the impossible - more precisely, the “parts”
of the impossible - is (are) endowed by the divine intellect with an esse intelligibile :
the “reduction” at play here is in effect a production - a “principiado” - of quiddities
in esse intelligibili (in this connexion, see also Ord. I, d. 36, q. un., n. 46, Vat. VI,
289 ; Lect. I, d. 43, q. un., n. 16, Vat. XVII, 534).
13 The same is true of talk of the (in)dependence of the impossible. The distinction
I am about to draw in the main text is similar to, but not quite the same as, the
distinction Gilson draws between two ways in which the notion of independence may
be understood (in the context of Descartes’ claim that the truth of eternal truths cannot
322 FABRIZIO MONDADORI

(A) (in)dependence of the ontological status of the possible (more


simply : ontological (in)dependence) ;
or as talk of :
(B) (independence of the modal status of the possible (more
simply : modal (in)dependence) ;14
or, finally, as talk of :
(C) (independence of the formal status of the possible (more
simply : formal (independence).15
Talk of (A), as well as of (B) and (C), in turn, is also ambiguous,
since the possible may ontologically (and/or modally, and/or formally)
depend on, or else be ontologically (and/or modally, and/or formally)
independent of, the divine intellect, and/or the divine will, and/or the
divine power. This gives rise to a considerable number of (mathe­
matically) possible combinations : three of them are especially worthy
of notice here. According to the first, the possible is ontologically,
modally, and formally dependent on the divine intellect, will, and
power : I am assuming here that no distinction, not even a distinction of
reason, obtains between God’s intellect, will, and power (see fn. 16
below). According to the second, the possible is ontologically, modally,
and formally independent of the divine intellect, as well as of the divine
will, as well as of the divine power. According to the third, the possible
is ontologically dependent on the divine intellect, but modally and
formally independent of it : I am assuming here not only that the divine
intellect is “naturally” prior to, and formally distinct from, the divine

be regarded as independent of God) : “Descartes voulait-il dire simplement que les


vérités mathématiques ne doivent pas être conçues comme subsistant de toute éternité
dans l’entendement de Dieu et indépendamment de sa volonté ? Ou bien fallait-il
prendre le terme ‘indépendance’ au sens fort, comme signifiant une antériorité des
vérités étemelles et des essences des choses par rapport à la volonté et ensemble, à
l’entendement de Dieu ?”. (É. GILSON, La liberté chez Descartes et la théologie,
Paris, Alcan, 1913, p. 35).
14 The modal (in)dependence at play here is, of course, the modal (in)dependence
of the possibility of the possible.
15 The formal (in)dependence at play here is, of course, the formal (in)dependence
of the “constituents” of the possible.
THE INDEPENDENCE OF THE POSSIBLE 323

will and power, but, also, that God’s intellect is bound by the principle
of Contradiction (which implies - we shall soon see - that the possible
is modally and formally independent both of the divine will and of the
divine power).
According to the first of the first of these combinations, which we
may plausibly associate with Descartes’ doctrine of the creation of
eternal truths,16 possibilia count as objects of pure invention : their
ontological, modal, and formal status is entirely of God’s own making
(so that, had God willed otherwise than he in fact did, they would have
had a different modal and formal status than the modal and formal
status they in fact have : see fin. 16 below). According to the second,
whose source is to be found in Plato’s theory of Forms, possibilia
count, rather, as objects of pure discovery : this comes of the fact that
Forms (are supposed to) make up a realm of self-subsistent entities ;
and, plainly, if possibilia do make up such a realm, their modal and
formal status could hardly be regarded as dependent either on God’s
intellect, or on God’s will, or on God’s power. According to the third,
finally, possibilia count as objects of discovery : not of pure discovery,
however, since their ontological status is bestowed on them by the
divine intellect, and, in this respect at least, they qualify as objects of
invention (but not of pure invention, since their modal and formal

16 Consider, for instance, the following passages : “Vous demandez ce que Dieu a
fait pour les [= the eternal truths] produire. le dis que ex hoc ipso quod illas ab
aetemo esse voluerit et intellexerit, illas creauit, ou bien ... illas disposuit et fecit. Car
c’est en Dieu une mesme chose de vouloir, d’entendre, et de creer, sans que l’un
precede l’autre, ne quidem ratione” (AT I, 152-153) ; “C’est en effait parler de Dieu
comme d’un Iuppiter ou Saturne, et l’assuiettir au Stix et aus destinées, que de dire
que ces vérités sont indépendantes de luy (AT I, 145) ; “Pour les verriez etemelles, ie
dis derechef que sunt tantum verae aut possibiles, quia Deus illas veras aut possibiles
cognoscit, non autem contra veras a Deo cognosci quasi independenter ab illo sint
verae. ... les hommes ... ne pourraient iamais dire sans blaspheme, que la vérité de
quelque chose precede la connoissance que Dieu en a, car en Dieu ce n’est qu’un de
vouloir et de connoistre ; de sorte que ex hoc ipso quod aliquid velit, ideo cognoscit,
et ideo tantum talis res est vera. Il ne faut donc pas dire que si Deus non esset,
nihilominus istae veritates essent verae” (AT I, 149-150) ; “... Dieu ne peut avoir esté
determiné à faire qu’il tust vray, que les contradictoires ne peuuent estre ensemble, et
..., par consequent, il a pû faire le contraire” (AT IV, 118). See also fh. 69 below.
324 FABRIZIO MONDADORI

Status is m o d a l l y - a s w e ll as fo rm ally - independent o f the divine


in tellect ).17

II. T h e altern ativ e Scotus chose

I shall now attempt to show that the third of the three combinations
I have just described is the combination Scotus had in mind : that it
correctly characterizes, in other words, his conception of the
possibility - and of the (in)dependence - of the possible.
There is no question that he took the ontological status of the
possible to depend on the divine intellect : this much at least is implied
by his doctrine of the divine production of quiddities in esse
intelligibili, as well as by his contention that the possible is possible
“principiative per intellectum divinum” (see fia. 12). Things are by no
means as clear-cut as this, however, when it comes to the modal and

17 Each of the combinations I have described in the main text has a counterpart of
sorts in the philosophy of mathematics : I have in mind here Dummett’s claim that “...
someone who accepts the intuitionist standpoint in mathematics will not be inclined to
adopt the platonist picture. Must he then go to the other extreme, and have the picture
of our creating mathematics as we go along ? To adopt this picture involves thinking
with Wittgenstein that we are free in mathematics at every point ; no step we take has
been forced on us by a necessity external to us, but has been freely chosen. This
picture is not the only alternative. If we think that mathematical results are in some
sense imposed on us from without, we could instead have the picture of a
mathematical reality not already in existence but as it were coming into being as we
probe. Our investigations bring into existence what was not there before, but what
they bring into existence is not of our own making” (“Truth”, repr. in M. DUMMETT,
Truth and Other Enigmas, London, Duckworth, 1978, p. 18). As we shall see later in
the main text, the alternative picture Dummett describes captures the spirit - if not
quite the letter - of Scotus’ conception of the (in)dependence of the possible : in the
context of the latter, talk of “coming into being as we probe” is of course to be
understood in terms of talk of the divine production of quiddities in esse intelligibili,
and talk of “not of our own making”, in terms of talk of the modal and formal
independence of the possible (“not of our own making” should of course be taken to
mean, “not of God’s own making”).
THE INDEPENDENCE OF THE POSSIBLE 325

(especially) the formal independence of the possible with respect to the


divine intellect. We do not have to worry here about either the divine
will or the divine power : for, on Scotus’ view, (1) “...prima operatio
divina est ipsius intellectus, qua res producuntur primo in esse
intelligibili”,18 and (2) the divine intellect is governed by the principle
of Contradiction. It follows from (1) that the divine intellect is
“naturally” prior to the divine will and the divine power, and, hence,
that God can only will, and only has power over, that which his
intellect can conceive ; it follows from (2) that God cannot conceive the
impossible simpliciter : from (1) and (2) taken together it follows,
plainly, that the divine will can only will, and the divine power, only
have power over, that which “already” qualifies as (logically) possible.
But to revert. That Scotus regarded the possible as modally
independent of the divine intellect, or, equivalently, that he regarded
the modal status of the possible as independent of the divine intellect, is
conclusively shown, I believe, by (among others) a passage in which
the view is put forth whereby :
lapis, productus in esse intelligibili per intellectum divinum, ..., est ex se
formaliter possibilis et quasi principiative per intellectum divinum.19

A sharp two-fold contrast is drawn here by Scotus, first between


“(possible) formaliter” and “(possible) principiative” ; and, second,
between “ex se” and “per intellectum divinum” (i.e., “ab alio”). What is
it to claim that som ething-a stone, its complex quiddity, the

18 Lect. I, d. 43, q. un., n. 17 (Vat. XVII, 534). The following passages are also
relevant : “... primo res producuntur in esse cognito, et post ostenduntur voluntati et
producuntur in esse volito” {Led. I, d. 43, q. un., n. 19, Vat. XVII, 534) ; “Potentia
activa qua Deus dicitur omnipotens, non est formaliter intellectus, sed quasi
praesupponit actionem intellectus, sive illa omnipotentia sit voluntas sive alia potentia
exsecutiva” {Ord. I, d. 43, q. un., n. 6, Vat. VI, 354) ; “Intellectus autem divinus ut
distinguitur ab omnipotentia praecedit omnipotentiam” (Rep. I A, f. 89ra) ; “... cum
voluntas divina nihil velit nisi cognitum, igitur intellectus divinus prius intelligit
aliquid secundum esse intelligibile quam velit illud, cum voluntas non possit habere
actum nisi respectu cogniti ab intellectu” (Led. I, d. 3, pa. 1, q. 3, n. 191, Vat. XVI,
302) ; “... intellectus divinus in quantum aliquo modo prior est actu voluntatis divinae
producit ista obiecta [i.e., quiddities] in ‘esse intelligibili’ ” (Ord. I, d. 3, pa. 1, q. 4, n.
268, Vat. III, 163 : 1 take it that “aliquo modo prior” means “naturaliter prior”.)
19 Ord. I, d. 43, q. un, n. 7 (Vat. VI, 354).
326 FABRIZIO MONDADORI

proposition that a stone e x ists-is possible “formaliter” as well as


“principiative”? According to Scotus, omne formaliter tale, est tale
per aliquid sibi intrinsecum” :20 to assert that a proposition p is formally
possible is to assert, therefore, that p is possible “per aliquid sibi
intrinsecum”. The “aliquid” at play in this case can, evidently, only be
the formal status of the quiddities which make up p : or, more
generally, the mutual compossibility of those quiddities. Two questions
arise here. First : what is “intrinsic” to what ? Second : what does
“intrinsic” mean? The first of these two questions is not to be
answered just by saying that the formal status of the constituent
quiddities of p is what is “intrinsic” to p : this only qualifies as correct
provided we take it to be shorthand for the claim, first, that it is in
virtue o f the formal status of its constituent quiddities that p counts as
possible (cf. “per” in “per aliquid sibi instrinsecum”), and, second, that
the quiddities which make up p, as well as their formal status, are
indeed “intrinsic” to p. As we shall see later, the qualification “ex se” -
in “ex se formaliter possibilis” - is intended by Scotus to bring out the
fact that the possible counts as formally possible in virtue of, and only
in virtue of, the formal status of its constituent quiddities.
I turn now to the second of the second of the two questions I have
raised in the previous paragraph ; consider, to begin with, Scotus’ con­
tention that :
prima ratio extrínseca quare huiusmodi [i.e., the impossible simpliciter]
non potest fieri, est potentia Dei qua producuntur res primo in esse intelli­
gibili ; prima tamen ratio formalis est formalis repugnantia partium ex qui­
bus imaginatur compositum.21

20 Ord., Prol., pa. 5, qq. 1-2, n. 363 (Vat. I, 235). Cf. also, “... esse formaliter tale
est includere ipsum secundum suam rationem formalem praecisissime assumptam”
{Rep. par. I, d. 45, q. 1, n. 5, Wad. XI/1, 233) ; "... quidquid est ex se aliquale, est
necessario tale” {Ord. I, d. 3, pa. 2, q. un., n. 323, Vat. ID, 195) ; “Ideo enim aliquid
est compossibile vel incompossibile alicui, quia ipsum est tale in se, et non e
converso” {Ord. I, d. 13, q. un., n. 18, Vat. V, 72).
21 Lect. I, d. 43, q. un., n. 16, Vat. XVII, 534. The following passage is also
relevant here : “Si intelligatur de potentia logica [i.e., if “potest”, in “angelus malus
non potest habere volitionem meritorie bonam”, is taken to express logical
possibility], quae dicit modum compositionis formatae ab intellectu, - hoc modo
impossibilitas potest esse in ‘compositione’ vel ex repugnantia intrinseca extremorum
THE INDEPENDENCE OF THE POSSIBLE 327

A number of points are worthy of notice here. First, what Scotus


says of the impossible simpliciter also applies, with obvious modi­
fications, to the (possibility of the) possible : the latter only differs from
the impossible simpliciter in this, that, unlike the impossible
simpliciter, it has an ontological status. Formally speaking, however,
they are perfectly on a par (possibility is, formally, entirely a matter of
compossibility, or non-repugnantia : 22 impossibility simpliciter is,
formally, entirely a matter of incompossibility, or repugnantia).

inter se, vel ex extrínseca quae [as the remainder of the text shows, the reading “ex
aliquo extrínseco quod” is clearly preferable to “ex extrínseca quae”] requiritur ad hoc
quod extrema sint unita. Exemplum primi : ‘homo est irrationalis’. Exemplum
secundi : si oculus esset in tenebris, et impossibile esset illud opacum - causans tene­
bras - amoveri, impossibile esset videre ; non quidem ex repugnantia intrinseca termi­
norum (quae est oculi et ‘videre’), sed ex repugnantia alicuius extrinseci ad alterum
extremorum, scilicet huius opaci ad ‘videre’. [...] Ad propositum igitur applicando,
dico quod non est hic [i.e., in “angelus malus non potest habere volitionem meritorie
bonam”] impossibilitas ex repugnantia intrinseca extremorum sive terminorum, immo
in subiecto non est repugnantia intrinseca ad praedicatum. Si qua igitur sit impossibi­
litas, erit ex repugnantia alicuius extrinseci ad unionem istorum extremorum : ...”
(Ord. II, d. 7, q. un., nn. 50-51, Vat. VIII, 99 ; cf. also Scotus’ claim that “Incom-
possibilitas separationis potest esse ex ratione ipsius a quo aliquid est inseparabile, et
potest esse ab aliquo extrínseco”, Ord. II, d. 1, qq. 4-5, n. 265, Vat. VII, 131-132).
Two points should be made here. First, the (kind of) impossilility which comes of the
“repugnantia intrinseca extremorum inter se” implies the (kind of) impossibility
which comes “ex extrínseca” : if something is impossible “ex repugnantia intrinseca”,
it is bound to be impossible “ex extrínseca” - but not, plainly, conversely. Second,
appearances to the contrary, the distinction between these two kinds of impossibility
is not a distinction between two ways in which a “compositio” may count as logically
impossible : the first of the two cases Scotus describes involves an absolute - or
intrinsic- “repugnantia”, whereas the second involves a merely conditional- or
extrinsic - “repugnantia” (unlike an intrinsic “repugnantia”, an extrinsic
“repugnantia” is context -dependent : there are contexts in which “Oculus videt”
involves a “repugnantia”, and contexts in which it does not, but there are - and there
could b e - no contexts in which “Homo est irrationalis” does not involve a
“repugnantia”).
22 Cf., “Potentia logica non est aliqua nisi quando extrema sic sunt possibilia quod
non sibi invicem repugnant, sed uniri possunt” (Lect. I, d. 39, qq. 1-5, n. 49, Vat.
XVII, 494 : as I have already remarked, “... sic sunt possibilia quod ... uniri possunt”
is just another way of saying, “sunt sibi invicem compossibilia”).
328 FABRIZIO MONDADORI

Second, Scotus’ reference to a “ratio formalis” is reference to a “ratio


intrinseca” :23 the contrast at play in the passage just cited is, accordin­
gly, a contrast between, on the one hand, a “ratio extrínseca” and, on
the other, a “ratio intrinseca”. Finally, third, the “ratio extrínseca”
Scotus alludes to is the divine intellect, i.e., more precisely, the divine
production of quiddities in esse intelligibili. In view of the two points
last made, as well as of Scotus’ reference to a “lapis productus in esse
intelligibili per intellectum divinum” (see the passage cited on p. 325
above), the suggestion is plausible indeed that for e.g. a sto n e-th e
quiddity of a stone, the proposition that a stone exists - to be possible
“principiative per intellectum divinum” is for the divine intellect to be
the “prima ratio extrínseca” of why a stone - the quiddity of a stone,
the proposition that a stone exists - is possible “principiative”.
To claim, then, that the formally possible is possible “per aliquid
sibi intrinsecum” is to claim not only that the formal status of its
constituent quiddities is the primary “ratio intrinseca” of its possibility,
but, also, that such a “ratio” is intrinsic to the quiddities which make it
up, i.e., more precisely, that there is nothing relational about the
possibility of the formally possible : “intrinsic” comes to mean,

23 Cf., "... ratio prima quare alicui repugnat esse erit intrinseca ex repugnantia
formali ex quibus constituitur ;...” (Lect. I, d. 43, q. un., n. 12, Vat. XVII, 532). I am
just scratching the surface here : as the following remarkable passage clearly shows,
there is a lot more to Scotus’ conception of (im)possibility than what I say in the main
text : “Ideo dico aliter, quod quot sunt rationes repugnantiae, tot sunt rationes impos­
sibilitatis, et aliqua illarum amota, est aliqua possibilitas quae prius non fuit, non
quidem possibilitas simpliciter, sed ex parte illius : verbi gratia, visus non potest
recipere intellectionem, tum quia intellectio inextensa est, et visus extensus, tum quia
visus est cognoscens tantum aliquid sub ratione singularis, intellectus autem intelligit
non praecise sub ratione singularis ; tolle imam impossibilitatem, ulpote si esset po­
tentia, quae posset habere obiectum sub ratione universalis, et cum remaneret alia
ratio impossibilitatis, simpliciter esset impossibile hoc, sicut illud, et tamen diceretur
hoc possibile respectu illius non simpliciter, sed quia illa ratio impossibilitatis ibi, non
est ratio impossibilitatis hic” (Op. ox. IV, d. 11, q. 2, n. 8, Wad. VIII, 598-599). See
also Quodl. X, n. 5, Wad. XII, 243, where Scotus introduces the notion of what his
twentieth-century counterpart, David Lewis, refers to as comparative possibility (see
“Counterfactuals and Comparative Possibility”, reprinted in D. LEWIS, Philosophical
Papers II, Oxford, OUP, 1986, pp. 10-11, and Counterfactuals, Oxford, Blackwell,
1973, pp. 52-56).
THE INDEPENDENCE OF THE POSSIBLE 329

accordingly, “non-relational”.24 Now, I suggest, the distinction Scotus


draws between a “ratio intrinseca” and a “ratio extrínseca”, and, hence,
between “formaliter” and “principiative”, should be understood - at
least in p a r t- in terms of the distinction he draws between an
“intrinsic” and an “extrinsic” cause. A formal cause is, on his view, an
“intrinsic” cause (hence, I take it, his claim that the possible is possible
“formaliter”, or that the formal status of quiddities is the “prima ratio
intrinseca” of the possibility of the formally possible : never mind the
qualification “ex se” for the moment). An efficient cause, on the other
hand, is, on his view, an “extrinsic” cause.251 note, in this connexion,
that, according to Scotus, something - say, a proposition - can
intelligibly count as possible both “ex se” and “ab alio” (for
instance : “formaliter ex se” and “principiative per intellectum
divinum”, i.e., “principiative ab alio”) only provided “ex” and “ab” are

24 “... there is nothing relational about ...” is not meant to suggest that there is
nothing relational about compossibility : “relational” is meant, rather, to pick out the
kind of relation Scotus has in mind where he claims that, on Henry of Ghent’s view,
“Homo ... est ens ratum in quantum participat primum ut exemplar ; hoc autem est in
quantum habet relationem aeternam ad Deum ut scientem et exemplantem” (Ord. I, d.
36, q. un., n. 1, Vat. VI, 271) ; and that Henry “p o n it... quod lapis ex hoc quod est
exemplatus ab intellectu divino habet entitatem ratam quiditatitivam et per
consequens possibilis est esse extra” (Rep. I A, f. 89va). The passage cited on p. 325
in the main text is part of an objection Scotus raises to Henry’s view that the
possibility of the possible, thought o f - as Henry says - “in comparatione ad suum
subiectum in quo est”, rather than “in comparatione ad suum obiectum ad quod est”
(¡Quodl. VI, q. 3, voi. I, p. 333, col. 4), is grounded in the divine power, thought of as
an absolute perfection, and not against the view which Scotus ascribes to Henry in the
two passages just cited : note, however, that Scotus’ claim that the possible is possible
“ex se formaliter” counts as an objection to both of those views, at least insofar as it
rules out as incorrect any account of the possibility of the (formally) possible whereby
the notion of (formal) possibility is to be understood in terms of the notion of a
relation (i.e., the relation which the possible bears either to the divine intellect, or to
the divine power).
25 See e.g. Theoremata, theor. 19, n. 1 (Wad. Ill, 305), and the following passage :
“Formalis praedicatio est ubi subiecto ex suo intellectu inest praedicatum, circum­
scripta a subiecto omni habitudine ad causam extrinsecam quae non est de quiditate
eius [there should be a comma between “extrinsecam” and “quae”] ; cuiusmodi
semper est efficiens et materia ‘in qua’” (In VII Met., q. 4, n. 23, St. Bon. IV, 126 ;
see also I n i Met., q. 1, n. 80, St. Bon. Ill, 42).
330 FABRIZIO MONDADORI

taken to express different kinds of causes :26 this, taken together with
the fact that “ex” - in “ex se” - is synonymous with “ex ratione sui” as
well as with “de se” and with “seipso” (see the passages cited in fn. 30
below), fairly clearly suggests that “formaliter ex se” and “principiative
per intellectum divinum” must be taken to correspond, as it were, to
two quite different kinds of groundings the possible has.
It has, on the one hand, a purely formal grounding, which is provi­
ded by the formal status of quiddities, and which we may associate
with the notion of a formal cause : this is where “formaliter” enters the

26 Cf., dico quod si idem genus causae importetur per haec duo, ‘ex se’ et ‘ex
alio’, verum est quod sic nihil est necessarium ex se et ex alio ; si autem aliud genus
causae importetur, puta per illud ‘ex se’ causa formalis et per illud ‘ab alio’ causa
effectiva vel productiva, non est inconveniens idem esse necessarium ex se uno modo
et ab alio alio modo” (Ord. I, d. 2, pa. 2, qq. 1-4, n. 259, Vat. II, 280). The same line
of reasoning also applies, evidently, to the case of the possible : the argument Scotus
objects to in the passage just cited essentially relies on the claim that, if something is
necessary “ex se”, it cannot (also) be necessary “ab alio”, and if it is necessary “ab
alio”, it cannot (also) be necessary “ex se”, since “ex se” and “ab alio” are mutually
incompatible (see Ord. I, d. 2, pa. 2, qq. 1-4, n. 202, Vat. II, 252 : with minor and
obvious modifications, the same claim can also be made with respect to the possible
“ex se”, i.e., the possible “ex se formaliter”, and the possible “ab alio”, i.e., the
possible “principiative per intellectum divinum”). That Scotus would have applied
that line of reasoning to the case of the possible is shown, albeit only indirectly, by a
passage in which he puts forth the view that “Differentiae specificae non sunt a se
effective et tamen sunt se ipsis primo distinctae formaliter, ab eo tamen sunt distinctae
effective a quo stmt effective. Distingui autem ‘primo formaliter’ ... est ... se toto
formaliter distingui, etiam si per impossibile omne aliud a ratione sua
circumscribatur” {Ord. I, d. 13, q. un., n. 80, Vat. V, 107 : the distinction between
“effective” and “formaliter” is, plainly, equivalent to that between “principiative” and
“formaliter”). Cf. also the following passages : “Nec ... est contradictio quod aliquid
quasi originaliter vel causaliter habeat ab alio hoc quod sibi convenit formaliter, sicut
calidum formaliter contrariatur frigido, licet causaliter sit ab igne, cui non contrariatur
formaliter. Ita est in aliis, quod illa entitas qua constituitur aliquid in esse specifico, ex
se formaliter est indivisibilis in plures species, etiam dato per impossibile quod esset
incausata, licet modo istam indivisionem habeat causaliter unde est causaliter” {Ord.
I, d. 26, q. un., n. 94, textus interpolatus, Vat. VI, 50) ; “... potest aliquid esse
necessarium formaliter per se, et tale potest esse ab alio, quia sicut ipsum necessarium
formaliter in se effective est ab alio, ita et necessitas” {In VMet., q. 3, n. 430, St. Bon.
HI, 430).
THE INDEPENDENCE OF THE POSSIBLE 331

picture. It has, on the other, an ontological grounding, which we may


associate with the notion of an efficient cause : this is where
“principiative”, as well as the doctrine of the divine production of
quiddities in esse intelligìbili, enter the picture. So : to claim that the
possible is possible “formaliter” is to claim that its possibility is
grounded in the formal status of quiddities ; to claim that the possible is
possible “principiative”, on the other hand, is to claim that its ontolo­
gical status is grounded in (i.e., is bestowed on it by) the divine intel­
lect. Now, we have seen, Scotus contends that the possible is possible
not just “formaliter”, but “ex se formaliter” : what is the point of the
qualification “ex se” here ? In the present context at least, “formaliter”
and “ex se formaliter” could hardly be regarded as equivalent, for the
following reason : the latter, unlike the former, cannot be qualified by
“principiative”, that is, more precisely, a proposition p, while it may
well qualify as possible “formaliter” (and not just as possible)
“principiative per intellectum divinum”, does not, and cannot, qualify
as possible “ex se formaliter” “principiative per intellectum divinum”.
(If the further claim is made that p cannot be formally possible unless it
is formally possible “ex se”, then, plainly, it would make little or no
sense to assert, as I have just asserted, that “formaliter”, unlike “ex se
formaliter”, can be qualified by “principiative”.)
The qualification “ex se”, in other words, is meant by Scotus to
“seal o ff’ the formal grounds of the possibility of the possible from the
divine intellect : it is intended by him to show that the possibility of the
(formally) possible, although it is ontologically dependent on the divine
intellect, is in fact modally independent of it, and formally dependent
on the formal status of quiddities, and only on the formal status of
quiddities.27 In other words, “ex se” is intended by Scotus to rule out as
incorrect the view whereby the “aliquid sibi intrinsecum”28 which,
according to him, grounds the possibility of the (formally) possible,
formally depends on the divine intellect : equivalently, it is intended by

27 This raises the very tricky question of what - if anything - the formal status of
quiddities depends on : we shall see later in the main text that it cannot depend on the
divine intellect - not, that is, unless we are prepared to contend that the modal status
of the possible depends (at least in part) on it.
28 I have in mind here the passage, cited on p. 326 above, in which Scotus asserts
that “... omne formaliter tale, est tale per aliquid sibi intrinsecum”.
332 FABRIZIO MONDADORI

him to rule out as incorrect the view whereby the possibility of the
possible (also) depends on something other than the formal status of its
constituent quiddities, as well as the (probably equivalent) view
whereby the possibility of the (formally) possible is (formally)
grounded in the fact that quiddities bear a relation to the divine
intellect.29 There is a considerable amount of very convincing (albeit
only indirect) textual evidence for interpreting “ex se” in the way I
have just described :
Prima ... omnino ratio et non reducibilis ad aliam, quare homini non
repugnat ‘esse’, est, quia homo formaliter est homo.30

29 Scotus claims, for instance, that “... nihil simpliciter est impossibile nisi quod
implicat contradictionem ; contradictoria autem se ipsis contradicunt circumscripto
omni respectu ad quodcumque aliud ...” (Rep. I A, f. 89va - italics mine ; see also
Ord. I, d. 43, q. un., n. 5, Vat. VI, 353-354). Two points here. First, with obvious
modifications the same line of reasoning clearly applies to the case of possibility (the
passage just cited should, therefore, be regarded as a rejection of the third of the three
views described in the main text). Second, to put forth the view that the possible is
possible “ex se formaliter” and to put forth the view that the possible is possible in
virtue of the formal status of its constituent quiddities, “circumscripto omni respectu
ad quodcumque aliud”, is in effect to put forth one and the same view.
30 Ord. I, d. 36, q. un., n. 62, Vat. VI, 295 (italics mine). Cf. also, “... homo est ex
se ens ratum, quia formaliter ex se non repugnat sibi esse : Sicut enim cuicumque
aliquid repugnat, repugnat ei formaliter ex ratione eius, ita cui non repugnat forma­
liter, non repugnat propter rationem ipsius ; et si homini de se repugnaret esse, per
nullum respectum advenientem posset ei non repugnare” (Ord. I, d. 36, q. un., n. 50,
Vat. VI, 291) ; “... dico quod per hoc quod [Avicenna] dicit quod ‘equinitas est
tantum equinitas’, non excludit illa quae sunt per se de ratione equinitatis (cuiusmodi
est entitas rata)” (Ord. I, d. 3, pa. 2, q. un., n. 324, Vat. III, 195) ; “... cum dicitur
propositio per se nota, per ly ‘per se’ ... excluditur quaecumque causa et ratio quae est
extra per se conceptus terminorum propositionis per se notae” (Lect. I, d. 2, pa. 1, qq.
1-2, n. 14, Vat. XVI, 114-115). Now, I submit, the qualifications “ex se”, “ex ratione
eius”, “propter rationem eius”, “de se”, and “per se” should not only be regarded as
equivalent (each of them is the Latin rendering of “kath’ hauto” in An. Post., I, 4),
but, also, be contrasted with “per respectum advenientem” : if an “ens ratum”, that is,
qualifies as “ratum” “ex se”, or “ex ratione eius”, or “propter rationem eius”, or “de
se”, it cannot also qualify as such “per respectum advenientem”, i.e., in virtue of
something which is not a constituent of its formal nature or quiddity. In fact, it
qualifies as such “circumscripto omni respectu ad quodcumque aliud” : see the
THE INDEPENDENCE OF THE POSSIBLE 333

homo est homo ex natura terminorum, nec est alia causa formalis, quare
homo est talis naturae, cui non repugnat esse, ..., nisi ... quia homo est
homo. [...] ... formaliter ratum seipso est ratum formaliter, si per ratum
intelligatur, cui non repugnat esse ; et causaliter est a Deo. Sic, cui
repugnat esse, formaliter a se [read : ex se] est tale, et causaliter est tale a
Deo ;... .31
quaelibet forma seipsa est talis forma, nec est alia ratio intrinseca quare
est talis forma.32
Licet ... aliquid secundum quidlibet sui sit causatus a causa extrínseca,
tamen potest praedicationem alicuius accipere, ac si non esset causatum,
quia causa extrínseca non est medium de quo prius dicatur illud, et inde de
causato. Exemplum : formaliter creatura est ens, licet totaliter a Deo.33

passage cited in fa. 29 above. (Analogously, if a possible proposition qualifies as


possible “ex se (formaliter)”, it cannot also qualify as such - i.e., as possible “ex se
(formaliter)” - “per respectum advenientem” : for instance, “principiative per
intellectum divinum”.) A similar contrast is drawn by Scotus in Ord. I, d. 3, pa. 2, q.
un., n. 314, Vat. Ill, 191 : “... quod repugnat alicui ex parte sui, non potest ei non-
repugnare stante natura eius, et ita non fit sibi non-repugnans per aliquem respectum
advenientem” (the surrounding text makes it quite clear that the qualifications “ex
parte sui” and “de se” must be regarded as synonymous).
31 Rep. par. II, d. 1, q. 2, nn 15-16 (Wad. XI/1, 246, italics mine).
32 Ord. I, d. 26, q. un., n. 88 (Vat. VI, 47, italics mine).
33 In VII Met., q. 1, n. 27 (St. Bon. IV, 97-98, italics mine). “... licet totaliter a
Deo” is followed by this adnotatio posterius interpolata : “... quando dicitur quod
‘accidens non est ens nisi quia entis’ [Scotus is discussing here the view that “Quo
aliquid formaliter est ens, est de eius essentia ; sed accidens est ens quia entis”, ibid.,
n. 5, St. Bon. IV, 91 : this view is meant to explain why an affirmative answer must
be given to the question, ‘utrum inhaerentia sit de essentia accidentis’], dicendum
quod haec coniunctio ‘quia’ non mediat inter praedicatum ‘ens’ et subiectum quod est
accidens, quasi reddens causam formalem entitatis ipsius accidentis, sed solum
efficientem et materialem. Et ideo non sequitur quod essentia accidentis sit includens
in suo conceptu quiditativo ipsam inhaerentiam. Verbi gratia, si dicam sic ‘creatura
est quia Deus, ergo esse formale creaturae est dependentia ad Deum’, non sequitur ;
sic in proposito”. This is best understood in the context of Scotus’ contention that “...
per se ratio respectus non includit formaliter rationem absoluti, nec e converso ratio
absoluti per se includit formalem rationem respectus” (Ord. II, d. 1, qq. 4-5, n. 272,
Vat. VII, 135 ; and that “... definitio indicat totam quiditatem rei, si est perfecta ; sed
definitio lapidis non includit essentialiter vel formaliter respectum ad aliud, quia tunc
334 FABRIZIO MONDADORI

I proceed now briefly to discuss the passages just cited. In the first
of them, reference to a “ratio” is, I suggest, reference to a “ratio
formalis” (equivalently, a “ratio intrinseca”) : to say of such a “ratio”
that it not “reducibilis ad aliam” is to say, first, that it is not “reducible”
to another, more fundamental, “ratio” (say, the divine intellect, or the
divine production of quiddities in esse intelligibili), and, second, that
the modal status of the possible is independent of the divine intellect,
and dependent on the formal status of its constituent quiddities. This is
confirmed by Scotus’ contention, in the second of the passages just
cited, that that which is “formaliter ratum” is “ratum formaliter”
“seipso” : that is, the “ratio formalis” why it qualifies as “formaliter
ratum” lies in the “formaliter ratum” itself, and not in the fact that it has
been endowed with an esse intelligibile by the divine intellect (“nec est
alia ratio formalis” and “non reducibilis ad aliam” are, clearly, but two
sides of one and the same coin). The same account holds for “seipsa” in
the third of the passages cited above : a(ny) given “form” is the (kind
of) form it is in and of itself, i.e., in virtue, and only in virtue, of its
constituent quiddities (if it is a complex form). I take it, of course, that
“in virtue o f ’ expresses - or as it were picks out - a “ratio
intrinseca” : from which it follows that a form’s being the (kind of)
form it is cannot be taken to depend - i.e., formally to depend - on the
divine intellect. In a word : the possible is possible not just
“formaliter”, but “formaliter ex se” (think of the possible as a possible
proposition, and of a possible proposition, as a collection of quiddities
or “forms”).
I turn, finally, to the last of the passages cited above. Let us
suppose that the “aliquid” Scotus alludes to in that passage is a
proposition p ; that the “causa extrínseca” he speaks of is the divine
intellect ; and that the “quidlibet sui” he refers to includes the modal
status of p as well as the formal status of its constituent quiddities. Let
us suppose, finally, that p is possible, or, equivalently, that “p is
possible” is a true predication. Now, I suggest, to hold that p “potest
praedicationem alicuius immediate recipere formaliter” is in effect to

non esset definitio lapidis ut est in genere absoluto, et ita non esset lapidis ut est in
genere substantiae vel ut est species substantiae ; igitur in essentia lapidis, formaliter,
non includitur aliquis respectus” {ibid., n. 246, Vat. VII, 122). See also Ord. I, d. 3,
pa. 2, q. un., n. 323 (Vat. H, 194).
THE INDEPENDENCE OF THE POSSIBLE 335

hold not so much that p is possible, as that p is possible “ex se forma-


liter”. To hold, in turn, that p “potest praedicationem ..., ac si non esset
causatum” is in effect to hold that the modal status of p, as well as the
formal status of its constituent quiddities, are independent of their
“extrinsic cause”, i.e., more specifically, of the divine intellect - or,
what comes down to the same, the divine production of quiddities in
esse intelligibili. The divine intellect is, accordingly, the “extrinsic
cause” of the ontological status both of p and of the quiddities which
make up p : but it cannot be taken to have any bearing - formally
speaking, that is-e ith e r on the modal status of p, or on the formal
status of its constituent quiddities.
A certain amount of care must be exercised here : to claim that
something - say, a proposition p - “potest praedicationem alicuius
immediate recipere, ac si non esset causatum” is not to claim that p
could intelligibly be ascribed a modal status even if p did not have any
ontological status. It is to claim, rather, that, in an answer to the
question of why p has the modal status it has, no reference needs to be
made to the fact that p has an “extrinsic cause” : that is, we can provide
an account of what grounds the possibility of a possible proposition,
which has been endowed with a modus essendi by the divine intellect,
as if it had no modus essendi whatever. The kind of independence
which the (possibility of the) possible enjoys with respect to the divine
intellect is, therefore, counterfactual independence : to hold that the
modal status of the possible is independent of the divine intellect, that
is, is to hold that, even i f —per impossibile - God did not have an
intellect, mutually compossible quiddities would still qualify as
mutually compossible. This is to maintain, in turn, that, in an
explanation of what it is for two quiddities to be mutually compossible,
and, hence, of what (formally) grounds the possibility of the possible,
the fact that those quiddities have been produced in esse intelligibli by
the divine intellect is modally (as well as formally) irrelevant. This, I
believe, is the point of Scotus’ contention that “... si esset possibile
Deum non esse, [contradictoria] adhuc contradicerent sibi” :34 there is,
of course, no reason to suppose that Scotus would have rejected a

34 Rep. I A, f. 89rb. Cf. also, “... repugnaret sibi [i.e., the impossible simpliciter]
esse, si per impossibile Deus non esset” (Ord. I, d. 43, q. un., n. 5, Vat. VI, 353-354).
336 FABRIZIO MONDADORI

parallel contention with respect to (the mutual compossibility of)


compossibilia.
That Scotus did indeed regard the possibility of the possible as
modally independent of the divine intellect is also, and conclusively,
shown by the fact that he took the principle of Contradiction to be a law
of (human as well as divine) thought, and to be definitive of the
possibility of the (logically) possible. Consider, to begin with, the
following passages :
Verissime ... illud est nihil quod includit contradictionem, et solum
illud ; quia illud excludit omne esse extra intellectum, et in intellec­
tu : quod enim est sic includens contradictionem, sicut non potest esse
extra animam, ita non potest esse aliquid intelligibile, ut aliquod ens in
anima, quia nunquam contradictorium cum contradictorio constituit unum
intelligibile.35
ens fictum distinctum contra ens ratum, ut chimera vel homo irrationalis et
huiusmodi includens contradictionem, non est aliquod unum conceptibile
nisi ab intellectu errante, et quod est conceptibile ab intellectu errante ut
errans est, nihil est.36

35 Quodl. III, n. 2. Cf. also Scotus’ reference to “... figmentis, non intelligibilibus
propter contradictionem inclusam in eis” (Ord. I, d. 3, pa. 2, q. un., n. 317, Vat. III,
192-193), as well as the following passage : “... illa ratio est in se falsa, cuius partes
includunt repugnantiam, et illa non potest concipi aliquo actu simplici intellectus, et
per oppositum ista, ens summum, potest uno actu concipi, quia alterum istorum non
repugnat alteri” (Quodl. XIV, n. 4, Wad. XII, 351).
36 Rep. I A, f. 89va. Cf. also, “Quando autem sunt aliqua contradictoria virtualiter,
sed non apparenter, tunc intellectus potest intelligere ea et potest assentire eis, non
tamen in quantum contradicunt ; et tunc intelligit contradictoria, quia non sub ratione
contradictionis” (Lect. II, d. 1, q. 3, n. 150, Vat. XVIII, 49 ; see also In VI Met., q. 3,
n. 33, St. Bon. IV, 68, as well as the second of the two passages cited in fia. 3 above).
The passage footnoted explicitly suggests that no (human) intellect, short of being an
“intellectus errans”, could conceive of a contradiction as an “unum”, and hence (see
also the passage just cited) that an intellect which is not “errans” is bound by the
principle of Contradiction. There are, of course, no conditions in which the divine
intellect could intelligibly qualify as “errans” ; further, Scotus holds that the “ratio
formalis” of the divine intellect is the same as the “ratio formalis” of the human
intellect (see e.g. Ord. I, d. 3, pa. 1, qq. 1-2, n. 39, Vat. Ill, 26 ; Ord. I, d. 8, pa. 1, q.
THE INDEPENDENCE OF THE POSSIBLE 337

figmenta vel contradictoria [non habent] ydeas in Deo nisi secundum


partes illorum, que tamen partes non faciunt per se unum nec in re nec in
intellectu... 37
Possibile logicum est modus compositionis formatae ab intellectu cuius
termini non includunt contradictionem.38

The last of the four passages just cited explicitly says that for a
proposition p to qualify as logically possible is for the constituents of p
not to involve a flouting of the principle of Contradiction. The remai­
ning passages suggest - albeit only implicitly - that that principle must
be regarded as a law of thought, both human and divine : the reason is
that no intellect can conceive of the impossible as an “unum intel­
ligibile” - and it cannot conceive of it as such an “unum” precisely
because it is governed by that principle (were we to ask, that is, why it
is so that “nunquam contradictorium cum contradictorio constituit
unum intelligibile”, or that no intellect can conceive of two mutually
contradictory quiddities as an “unum intelligibile”, the natural answer
would be that this is because any intellect is bound by the principle of
Contradiction). Now plainly, from the fact that the divine intellect is
governed by that principle, it follows that the latter must be
independent of the former, i.e., more precisely, that whether or not two
quiddities involve a violation of that principle cannot depend on the
divine intellect. From this, and from the fact that the principle of
Contradiction is definitive of the possibility of the logically possible, it
follows, in turn, that also the modal status of the possible must be
(modally) independent of the divine intellect. Since, in other words,
God cannot but think according to that principle, he cannot but
conceive of (all and only) that which involves no violation of that
principle, and, hence, of (all and only) that which is logically4

4, nn. 192-193, 213, Vat. IV, 261-262, 271) : this clearly suggests that the divine
intellect, too, is governed by that principle.
37 Rep. I A, f. 89va.
38 Ord. I, d. 2, pa. 2, qq. 1-4, n. 262 (Vat. II, 282 ; same characterization in Lect. I,
d. 7, q. un., n. 32, Vat. XVI, 484 ; Lect. I, d. 39, qq. 1-5, n. 49, Vat. XVH, 494 ; Ord.
I, d. 7, q. un„ n. 27, Vat. IV, 118 ; In IX M et, qq. 1-2, n. 18, St. Bon. IV, 514).
338 « FABRIZIO MONDADORI

possible : the possibility of the logically possible must, therefore, be


deemed to be (modally) independent of the divine intellect.39
Further, from the fact that God’s intellect is bound by the principle
of Contradiction, and that the latter is definitive of the possibile
logicum, it follows, also, that Scotus’ contention whereby the possible
qualifies as such “principiative per intellectum divinum” cannot just be
taken to m e a n -a s I have suggested earlier-that the divine intellect
produces the possible in esse intelligibili. For, were we to take it to
mean just this, we should leave out of the picture the principle
according to which such a production takes place, or, equivalently, the
principle by which such a production is governed - namely, the
principle of Contradiction. (I should point out in passing that, on
Scotus’ view, there is no distinction to be drawn between the divine
intellect’s producing quiddities in esse intelligibili and the divine
intellect’s conceiving of quiddities : for the divine intellect to conceive
of quiddities is for it to produce quiddities in esse intelligibili - and
conversely.)
What should be said, rather, is that to contend that the possible is
possible “principiative per intellectum divinum” is to contend, first,
that the divine intellect produces quiddities in esse intelligibili ; and,
second, that such a production is bound by - or takes place according
to - the principle of Contradiction. This, clearly, in no way implies that
the possibility of the possible must be regarded as “naturally” prior to
its production in esse intelligibili. Nor, of course, does the fact that the
possibility of the possible is “naturally” posterior to its production in
esse intelligibili40 imply in any way that the possibility of the possible

39 The same interpretation has been put forth by Walter Hoeres : “Die intelligiblen
Inhalte stammen ... aus der göttlichen Erkenntnis, ihre Kompossibilität aber ergibt
sich aus ihnen selbst. Daher bedeutet also die Erzeugung des Möglichen im göttlichen
Verstand sowie die Gleichsetzung von Sein des Möglichen mit Erkanntsein in Gott,
..., keineswegs, dass Gott nicht an die Gesetzlichkeit des Widerspruchsprinzips
gebunden sei, die das Möglich definiert, oder dass das Mögliche eine variable
Setzung des göttlichen Verstandes sei” (“Wesen und Dasein bei Heinrich von Ghent
und Duns Scotus”, Franziskanische Studien 47 (1965), p. 165).
40 It does indeed qualify as “naturally” posterior : “Concedo ... quod omne
creabile prius erat possibile ex parte sui, sed ista possibilitas vel potentialitas non fun­
datur in aliquo esse simpliciter sed in esse cognito (ita quod esse cognitum concomi-
THE INDEPENDENCE OF THE POSSIBLE 339

modally and formally depends on, or must be characterized by making


reference to, the divine intellect. Two instants of “nature” are at play
here : in the first of them, the divine intellect bestows an esse
intelligibile on the possible, i.e., more precisely, on a collection of
(complex) quiddities which jointly involve no flouting of the principle
of Contradiction ; in the second, the possible qualifies as such “ex se
formaliter”. How are those instants related ? More precisely : what
makes it so that - “after” having been produced in esse intelligibili by
the divine intellect- a possibile qualifies as possible “ex se
formaliter” ? This is the question we have to answer if we are to make
any sense of the following two passages (both of which implicitly raise
that question) :
illud quod producitur ab eo [=a Deo], praesupponitur habere esse
cognitum et volitimi, quod est ‘esse secundum quid’. Et ex hoc fuit
‘possibile ex parte sui antequam crearetur’, quia si antequam crearetur
habuit esse cognitum et volitan, igitur tunc non repugnavit sibi esse, et
per consequens fuit possibile ex parte s u i... 41
quando [res] est in esse intelligibili, non repugnat sibi esse, nec est ex se
formaliter necessaria ; igitur est possibile.42

In both passages the suggestion is explicitly made by Scotus that


the possibility of the possible is “naturally” posterior to possession, on
its part, of an esse intelligibile (“quando”, in the second of those
passages, should be taken to mean something like “as soon as”, or
“after”). In both of them, accordingly, two instants of “nature” are
involved : the instant of “nature” in which a “res” - that is, more
specifically, a (complex) quiddity or a collection of (complex)
quiddities - is endowed by the divine intellect with an esse
intelligibile ; and the instant of “nature” in which that “res” qualifies as

fa ta potentialitas ad esse simpliciter), licet formaliter esse cognitum non sit esse
possibile, ...” (Ord. II, d. 1, q. 2, n. 93, Vat. VII, 49) ; “...lapis, productus in esse
intelligibili per intellectum divinum, ... est ex se formaliter possibilis” {Ord. I, d. 43,
q. un., n. 7, Vat. VI, 354 : I take “productus” here to mean “after it has been
produced” ; “after” expresses, of course, a relation of “natural” posteriority).
41 Lect. II, d. 1, q. 2, n. 82 (Vat. XVm, 26, italics mine).
42 Ord. II, d. 1, q. 2, n. 80 (Vat. VII, 43, italics mine). See also Ord. I, d. 43, q.
un., n. 14 (Vat. VI, 358) ; and Ord. II, d. 1, q. 2, n. 83 (Vat. W , 44).
340 FABRIZIO MONDADORI

possible “ex parte sui”. Now, we have seen earlier, to assert that a “res”
is produced in esse intelligibili by the divine intellect is to assert not
only that (a) the divine intellect bestows on it a modus essendi, but,
also, that (b) its production in esse intelligibili is governed by the
principle of Contradiction. To put forth (a), while at the same time
holding that possession, on the part of a proposition p, of a modus
essendi, is “naturally” prior to its being possible “ex se formaliter”, is
implicitly to maintain - we have also seen - that “possible” can
intelligibly apply to p only provided p is endowed with a “reality” of
sorts (whether or not it correctly applies to p is, of course, a quite
different question). The truth of (a) guarantees that there indeed are - in
some sense of “there are” - such things as “bearers” of possibility, i.e.,
“things” to which “possible” may intelligibly be applied.

The truth of (b), in turn, explains why “possible”, if it applies at all


to those “bearers”, correctly applies to them : it also explains why, in
the second instant of “nature”, a collection of (complex) quiddities each
of which “already” possesses a mode of being qualifies as possible “ex
parte sui” - o r “ex se formaliter”. The explanation is this. We know
that (1) the divine production in esse intelligibili of a(ny) given
collection c of (complex) quiddites must be governed by the principle
of Contradiction. We also know that, since the divine intellect is bound
by that principle, and cannot, therefore, but be exercised according to
it, (2) the latter must be independent of the former. We know, finally,
that (3) for c to qualify as logically possible is for the constituents of c
jointly not to involve a flouting of the principle of Contradiction. It
follows from (l)-(3), plainly (cf. “ex hoc” and “igitur” in the two
passages cited above), that - supposing it is in fact logically possible -
a collection of (complex) quiddities each of which has been endowed
with an esse intelligibile by the divine intellect cannot but qualify as
logically possible “ex parte sui” (“ex parte sui” is intended by Scotus to
bring out the fact, first, that the possibility of the logically possible is
ultimately grounded in the principle of Contradiction, and, second, that
the divine production of quiddities in esse intelligibili is modally
irrelevant to the modal status of the possible).

So : the possibility of the logically possible is ontologically


dependent on the divine intellect, since the mode of being the former
possesses is bestowed on it by the latter. It is, however, modally inde­
pendent of God’s intellect, since, first, the question of whether or not
two (complex) quiddities are mutually compossible, and therefore
THE INDEPENDENCE OF THE POSSIBLE 341

make up a logically possible proposition, exclusively depends on


whether or not, jointly taken, those quiddities involve a violation of the
principle of Contradiction ; and, second, the divine intellect is bound by
that principle. This implies, we have seen, that the modal status of the
possible must be deemed to be independent of God’s intellect. There
are, however, two ways in which its independence may be under­
stood : a weak way, and a strong way.

According to the former, to contend that the modal status of the


possible is independent of the divine intellect is to contend no more
than that the question of whether or not a proposition p counts as
(logically) possible can satisfactorily be answered ju st by considering
the formal status of the quiddities which make up p - never mind the
question of what their formal status depends on. According to the
strong way, on the other hand, to maintain that the modal status of the
possible is independent of God’s intellect is to maintain not only that
the possible qualifies as such “ex se formaliter”, but, also, that the
formal status of its constituent quiddities is (formally) independent of
the divine intellect. There is no doubt that Scotus accepted the first of
the two ways just described : did he also accept the second ? I believe
that the textual evidence in favour of an affirmative answer to this
question is (almost) conclusive, and shall discuss it later : suffice it to
say, for the moment, that the view according to which the possibility of
the possible is modally independent of the divine intellect and the view
according to which the formal status of quiddities is (formally)
dependent on the divine intellect are mutually inconsistent (in both of
the senses of “modally independent” I have distinguished above :
given, at any rate, that modal independence, weakly or strongly inter­
preted, entails formal independence).
I have claimed earlier, it will be remembered, that, on Scotus’
view, the possibility of the possible is modally independent of the
divine power : that claim, and that view, must now be qualified in at
least one very important respect. I begin by considering the following
passage :
Potentia ... logica ostendit modum compositionis factae ab intellectu cuius
extrema non repugnant, et ista potentia [unlike the “potentia realis”]
nullam realitatem requirit nisi quod extrema non repugnent, - quod autem
sit potentia realis in uno extremo vel in alio, hoc accidit, nec hoc
requiritur ad istam potentiam : unde tantum requirit quod termini compo­
sitionis non repugnent. ... accidit potentiae logicae quod habeat potentiam
342 FABRIZIO MONDADORI

activam vel passivam in aliquo extremorum, et huius causa non est alia
nisi natura talium terminorum, quia termini sunt huiusmodi quod non
repugnent. [...] Unde potentia hoc modo [= potentia logica] nec dicit ‘quid’
[i.e., a ‘principium agendi’] nec ‘ad aliquid’ [i.e., a relation to a being
which has the relevant kind of power], sed tantum non-repugnantiam et
compossibilitatem terminorum. Et quando est talis compossibilitas, tunc
est veritas in propositione modali, et quando non est talis non-repugnantia
terminorum, tunc est falsitas in propositione modali.43

In the last part of the passage just cited, Scotus explicitly contends
that for a proposition p to count as logically possible (or for a
possibility to count as a logical possibility) it is necessary and sufficient
that the relevant quiddities should be mutually compossible, i.e., that
they should jointly involve no repugnantia. From this, and from the
rest of the passage, we may safely infer that, on Scotus’ view, the (logi­
cally) possible must be deemed to count as such independently of
whether or not the “corresponding” (kind of) power exists. Thus he
maintains, first (cfi, “hoc accidit”), that the existence of such a power is
merely an accidental, and by no means an essential or a constitutive,
trait of the logically possible (as we shall see later, two cases must be
distinguished here : the case in which actual existence is at play ; and
the case in which possible existence is at play - in the latter, unlike in
the former case, talk of an “accidental” trait is, we shall also see, quite
incorrect). He maintains, second (cfi, “... nec hoc requiritur ...”), that, in
a proper characterization of the possibility of the logically possible, no
reference needs to be made to the (actual) existence of anything like a
“corresponding” power.44 Counterfactually put : even if no such power
had ever existed, and were never to exist, the mutual compossibility of
quiddities would still have been -w o u ld still be-necessary and
sufficient for the possibility of the logically possible.
He maintains, third (cfi, “... et huius causa non est alia ...”), that the
possibility of the logically possible is “naturally” prior to the actual

43 Lect. I, d. 7, q. un., nn. 32-33 (Vat. XVI, 484, italics mine).


44 In the passage I am now discussing, Scotus, while he clearly holds that the pos­
sibility of the logically possible is independent of the actual existence of the “corres­
ponding” power, gives no clue as to whether or not he also holds that the logically
possible would (still) have qualified as such even if no being could have existed
which had the power to bring it about (I take up this question later in the main text).
THE INDEPENDENCE OF THE POSSIBLE 343

existence - and to the actual exercise - of the “corresponding”


power : the former could, therefore, hardly be said to depend on the
latter. I take it, of course, that “huius causa” - in “...et huius causa non
est alia ...’’-m eans something like, “the reason why the ‘corres­
ponding’ power exists (and can be exercised)” : not, plainly, that the
mutual compossibility of the “extrema” is responsible, causally or
otherwise, for the existence (and the exercise) of the relevant kind of
power ; but, rather, that, if such a power is at all to exist (and to be
exercised) its “object” must qualify as (logically) possible to begin
with. The possibility of the logically possible must, accordingly, be
deemed to be independent of the (actual) existence of the
“corresponding” (kind of) power, and to be purely a matter of non-
repugnantia terminorum. This view is put forth by Scotus in quite a
few passages ; for instance :
illa potentia [ = potentia logica] quantum est de se posset esse sine
activa,... .45
illa propositio dicitur possibilis, quae potest esse vera, et illa impossibi­
lis, quae non potest esse vera. Sed hoc non est propter aliquam poten­
tiam activam, vel passivam, sed solum propter convenientiam, et repug­
nantiam terminorum.46
illam possibilitatem [=possibilitatem logicam] consequitur possibilitas
obiectiva, et hoc supposita omnipotentia Dei quae respicit omne possi­
bile..., tamen possibilitas logica, absolute - ratione sui-posset stare,
licet per impossibile nulla omnipotentia eam respiceret.47

In all the passages just cited, Scotus contends that (a) whether or
not a proposition qualifies as logically possible exclusively depends on

45 In IXMet., qq. 1-2, n. 33 (St. Bon. IV, 520).


46 In Elench., q. 28, n. 2 (Wad. I, 250). Two (minor) points here : first,
“possibilis” expresses logical possibility (earlier on in the same paragraph, the claim
is made by Scotus that “... possibile ... non dicimus in Logicalibus propter aliquod
principium transmutationis, sed solum propter ordinem ad verum ...”) ; second, “con­
venientia” is synonymous with “compossibilitas”.
47 Ord. I, d. 36, q. un , n. 61 (Vat. VI, 296).
344 FABRIZIO MONDADORI

whether or not its “constituents” are mutually compossible,48 and,


therefore, that (b) the possibility of the logically possible does not
depend on whether or not the “corresponding” active power exists. In
particular, to assert that logical possibility “quantum est de se posset
stare ...” is to assert that, since it is exclusively a matter of non-
repugnantia terminorum (this is what “quantum est de se” should be
taken to mean or suggest), logical possibility can - and does - subsist
without the “corresponding” active power.49 To assert, in turn, that
logical possibility “absolute - ratione su i-p o sset stare, ...” is to assert
that, since it is exclusively a matter of non-repugnantia terminorum
(this is what “absolute - ratione sui” should be taken to mean or
suggest), logical possibility co u ld -an d would - subsist, even in the
absence of the “corresponding” active - or real - power.50 If, therefore,

48 The first and the third of the passages cited in the main text occur in a context
in which Scotus explicitly puts forth (a) : see In IX Met., qq. 1-2, n. 18 (St. Bon. IV,
514), and Ord. I, d. 36, q. un., n. 60 (Vat. VI, 296).
49 The textual evidence for so taking “quantum est de se” is conclusive : in In IX
Met., qq. 1-2, n. 18 (St. Bon. IV, 514), Scotus contends, among other things, that “Et
licet communiter correspondeat sibi in re aliqua potentia realis, tamen hoc non est per
se de ratione huius potentiae [=potentia logica]”. "... quantum est de se” is, plainly,
just another way of saying “... quantum est de ratione huius potentiae”. It is not “de
ratione huius potentiae”, that is, that there should exist any active - or real - power
which “corresponds” to it : this is because, Scotus contends (ibid., n. 18), the
possibility of the logically possible is exclusively grounded in the mutual
compossibility of its constituents. Cf. also, “...nec ... ista ‘mundus erit’ fuit pos­
sibilis - formaliter loquendo - potentia Dei, sed potentia quae erat non-repugnantia
terminorum istorum, quia isti termini non repugnarent licet istam non-repugnantiam
concomitaretur potentia activa respectu huius possibilis” (Ord. I, d. 7, q. 1, n. 27, Vat.
IV, 118-119) : “quia isti termini non repugnarent licet ...” should be taken to mean,
“on account of the fact, first, that these terms are not mutually repugnant, and, second,
that they qualify as not mutually repugnant quite independently of whether or n o t...”
(that it should be so taken is confirmed, indirectly at least, by Scotus’ contention,
cited a few lines back, that “Et licet communiter ..., tamen hoc non e st...”). I note in
passing that “absolute - ratione sui”, in the third of the passages quoted in the main
text, is obviously equivalent to “quantum est de se”.
50 The textual evidence for so taking “absolute- ratione sui” is equally
conclusive : in the two paragraphs which lead up to the last of the passages quoted in
the main text, Scotus explicitly contends that the possibility of the logically possible
is entirely a matter of the mutual non-repugnantia of its constituents. Now the quali-
THE INDEPENDENCE OF THE POSSIBLE 345

the question is raised of why the logically possible would still qualify
as such even if the “corresponding” active - or real - power did not
exist, the answer is that the logically possible qualifies as such
“quantum est de se”, or “absolute - ratione sui” : which is to say, we
have just seen, that it counts as such exclusively in virtue of the fact that
its “constituents” are mutually compossible, and, hence, independently
of whether or not the “corresponding” active - or real - power exists.
The contention that the logically possible qualifies as such
independently of whether or not the “corresponding” active - or real -
power exists is, however, ambiguous. It may be taken to mean that :
(1) the possibility of the logically possible is independent of the actual
existence of the “corresponding” power ;
or it may be taken to mean that :
(2) the possibility of the logically possible is independent (not just of
the actual but also) of the possible existence of the “corresponding”
power.
There is no doubt that Scotus accepted (1) : did he also accept (2) ?
We cannot provide a satisfactory answer to this question unless we first
draw a sharp distinction between three quite different notions of possi­
bility : the notion of a possibility which is in fact realizable ; the notion
of a possibility which is in principle (but not in fact) realizable ; and,
finally, the notion of an absolutely unrealizable possibility. A possibili­
ty which is in fact realizable is a possibility which would be realized if,
first, the appropriate kind of pow er-w hich actually exists-w ere
exercised, and, second, the (causal) process which such an exercise sets
in motion were not interfered with.51 A possibility which is in principle
realizable is a possibility which would have been/ would be realized, if,
first, the appropriate kind of power had existed/ were to exist, and,
second, nothing interfered with the (causal) process it sets in motion.52

fication “absolute - ratione sui” is clearly meant by him to be a cross-reference to that


contention : it is, therefore, also meant by him to explain why “... possibilitas logica ...
posset stare, licet per impossibile nulla omnipotentia eam respiceret”.
51 This is a counterfactual characterization of “in fact realizable”, not of the notion
of possibility.
52 This is a counterfactual characterization of “in principle realizable”, not of the
notion of possibility.
346 FABRIZIO MONDADORI

Finally, an absolutely unrealizable possibility is a possibility to which


“realizable in principle” does not - or better : need not at all - apply.

Three quite distinct, but related, claims are involved in the con­
tention that there are such things as absolutely unrealizable possibi­
lities. The first is the claim that, in order for a logical possibility intel­
ligibly to qualify as a possibility, properly so-called, it need not be
required that it should be possible that conditions should have obtained
which, had they obtained, that possibility would have been realized
(this claim is best understood in the context of the view that a
possibility, properly so-called, is a possibility which is, at least in
principle, realizable : from which it follows, plainly, that a logical
possibility, if it is to qualify as a possibility, properly so-called, must
be, at least in principle, realizable).The second is the claim that, from a
logical possibility’s being indeed a possibility, and even a possibility,
properly so-called, it need not at all follow that it must, therefore, be -
at least in principle - realizable (this claim is best understood in the
context of the view that “logical” - in “logical possibility” - expresses
something like a “determinatio deminuens”). The third, finally, is the
claim that what distinguishes an absolutely unrealizable possibility
from an impossibility simpliciter is the fact that the “constituents” of
the former, unlike the “constituents” of the latter, are mutually
compossible, and (hence) that the former, unlike the latter, may well -
although it need n o t- b e such that it is not “repugnant” to it to be
realized.

But to revert : did Scotus accept (2) above ? There is, to my


knowledge, only one text in which Scotus takes up (and rejects) the
notion of what I have just called an absolutely unrealizable possibi­
lity ; it goes as follows :

potentia logica ... est modus quidam compositionis factus ab intellectu,


causatus ex habitudine terminorum illius compositionis, scilicet quia non
repugnant. Et licet communiter correspondeat sibi in re aliqua potentia
realis, tamen hoc non est per se de ratione huius potentiae. Et sic possibile
fuisset mundum fore ante eius creationem, si tunc fuisset intellectus
formans hanc compositionem ‘mundus erit’, licet tunc non fuisset potentia
THE INDEPENDENCE OF THE POSSIBLE 347

passiva ad esse mundi, nec etiam activa, posito hoc per impossibile, dum
tamen sine contradictione possetfore potentia ad hoc activa,53

The qualification, “dum tamen sine contradictione...”, is, evidently,


crucial here (so is, we shall see, the distinction Scotus draws between
“factus” and “causatus”).54 With a view to explaining why it is crucial,
and what it should be understood to mean, I proceed, first, to describe
the steps which lead up to it. Scotus contends, to begin with, that :
(a) Whether or not a proposition p qualifies as logically possible
depends on whether or not its constituent “terms” are mutually
compossible (that is : for a proposition p to qualify as logically possible
is for the constituents o îp to be mutually compossible).
He contends, next, albeit only implicitly,55 that :
(b) For the “terms” of a proposition p to count as mutually compossible
and, hence, for p to count as logically possible, is for the “rationes
formales” of those “terms” jointly to involve no repugnantia.
As we shall see later, (b) explains, at least in part, why Scotus
holds that the “modus compositionis” which corresponds - as it were -
to a logically possible proposition is “caused” by the “habitudo” of the
“terms”, or, equivalently, by the fact that the “rationes formales” of
those “terms” are related by a relation of compossibility. The
equivalence is proved as follows : reference to “habitudo terminorum”
is reference to a relation ; in the case of the “terms” which make up a
logically possible proposition, such a relation can only be a relation of

53 In IXMet., qq. 1-2, n. 18 (St. Bon. IV, 514, italics mine).


54 I should point out in passing that, of all the passages in which Scotus gives a
definition of the notion of logical possibility, the passage footnoted is the only one in
which a distinction is drawn by him between “factus” and “causatus”.
55 I ascribe this view to Scotus on the basis of the following passages : “...
repugnantia ... formalis, et non repugnantia, primo reducitur formaliter ad rationem
eius, cui dicitur esse non repugnantia” (Quodl. V, n. 25, Wad. XII, 136) ; "... non
repugnantia, sive compossibilitas, est ex propriis rationibus compossibilium” {Ord. I,
d. 2, pa. 2, qq. 1-4, n. 377, Vat. II, 344 ) ; "... sicut contradictoria ex rationibus
propriis contradicunt, nec potest per aliquid manifestius hoc probari, ita non
repugnantia ex rationibus propriis non repugnant, nec videtur posse ostendi nisi
explicando rationes terminorum” {Ord. I, d. 2, pa. 1, qq. 1-2, n. 132, Vat. II, 207).
348 FABRIZIO MONDADORI

compossibility ; the relata of the latter can only be the “rationes


formales” of the relevant “terms” ; talk of “habitudo terminorum” is,
therefore, shorthand for talk of a relation whose relata are the “rationes
formales” of those “terms”, and, hence, of a relation of compossibility.
Further, Scotus maintains, the actual existence of a “potentia realis”
which “corresponds” to a given “potentia logica” has neither a modal
nor a formal bearing on the question of what grounds the possibility of
the latter kind of “potentia” : to deny, as Scotus does, that the actual
existence of the former kind of “potentia” is “per se de ratione ...
potentiae [logicae]” is but another way of saying that “quod autem sit
potentia realis in uno extremo vel in alio, hoc accidit, nec hoc requiritur
ad istam potentiam”56 (“non est per se de ratione” and “hoc accidit” are
meant by Scotus to make the same point : given, at any rate, that “non
... per se” is clearly synonymous with “per accidens”). Now, from (a)
and (b) above, taken together with the point last made, Scotus
concludes - cf., “Et sic possibile fuisset...” - that :
(c) The logically possible qualifies as such - both as logically possible,
that is, and as possible - independently of whether or not a being
actually exists which has the power to bring it about.
Having reached this conclusion, Scotus somewhat abruptly shifts
from talk of a “potentia” which actually exists-cf., “Et licet com­
muniter correspondeat sibi in re aliqua potentia realis” - to talk of a
“potentia” which could exist (cf., “... dum tamen sine contradictione
posset fore potentia ...”).57 What is the point of the qualification “dum

56 Lect. I, d. 7, q. un., n. 32, Vat. XVI, 484 (the passage is quoted in full on pp.
341-342 in the main text).
57 Two questions arise here. First, why the future tense “fore” ? Second, why
“sine contradictione” (does “posset” not suffice) ? I answer the second question by
saying that the impossible supposition that God does not exist (cf., “posito hoc per
impossibile”) need in no wise be taken to imply that the supposition that God - a
being which has the power to bring the world into existence - could begin to exist “a
se” is self-contradictory. Having made the first supposition, we can, therefore,
proceed to make - albeit only conditionally - the second. (The answer just given
appears to be inconsistent with Scotus’ claim that “... si ante mundi creationem
mundus non solum non fuisset, sed, per incompossibile, Deus non fuisset sed incepis­
set a se esse, et tunc fuisset potens creare mundum, ..., ‘mundus erit’ ... fuisset
possibilis quia termini non repugnarent”, Ord. I, d. 7, q. 1, n. 27, Vat. IV, 118. Note,
THE INDEPENDENCE OF THE POSSIBLE 349

tamen sine contradictione ...” ? Notice, to begin with, that to put forth
(c) is in effect to put forth the view whereby a (logical) possibility
would still count as a possibility even if “realizable in fact” did not
apply to it : and, I suggest, the view I have just described is the view we
should take Scotus to have in mind when he contends that the actual
existence of a “potentia realis” is not part of the “ratio” - i.e., the “ratio
quiditativa”, the “ratio formalis” - of the logically possible. I suggest,
also, that “... possibile fuisset mundum fore ante eius creationem, si
tunc fuisset intellectus formans hanc compositionem ‘mundus erit’,
licet tunc non fuisset potentia passiva ad esse mundi, nec etiam activa”
should be understood to mean : “Even were we to suppose that there
had been neither a passive power for the being of the world, nor an
active power, it would still have been possible, before the world
existed, that the world should (later) exist, provided-and only

however, that “per incompossibile”, since it could hardly be taken to qualify “et tunc
fuisset potens creare mundum”, must be taken to qualify either “Deus non fuisset sed
incepisset a se esse, et tunc fuisset potens ...”, or just “Deus non fuisset” ; if it is taken
to qualify the latter, as I believe it should, there is, plainly, no inconsistency between
the answer given above and the passage just cited. Note, also, that the qualification
“sed incepisset a se esse” is employed by Scotus with a view to showing that, even if
a being which has the power to bring the world into existence were to begin to exist
“a se”, the logically possible would still count as such in and of itself, independently
of the existence of that being : this is precisely the view Scotus puts forth in the first
of the passages cited in fit. 58 below.) The first question is a lot trickier : in order to
answer it, we must suppose that what is not self-contradictory (“dum tamen sine
contradictione”) is not so much the supposition that God could begin to exist “a se”,
as the supposition that he could begin to exist “a se” and could (in particular) have the
power to bring the world into existence. More precisely, in a context in which the
question of the possibility of the logically possible is being discussed, the modally
relevant supposition is not the supposition that God could begin to exist “a se”, but
the supposition that, if it is possible that e.g. he should begin to exist “a se”, it is
(also) possible that he should have the power to bring the world into being. Now,
before the world came into being, it was (logically) possible that it should come into
being ; further, a possibility - logical or otherwise - is temporally as well as
“naturally” prior to its realizability : and, I suggest, “fore” is meant by Scotus to bring
out the fact that a possibility is (in particular) temporally prior to its realizability. I
suggest, also, that talk of the (possible) existence of a being which has the power to
bring the world into existence is in effect talk of the realizability in principle of the
possible.
350 FABRIZIO MONDADORI

provided - ’the world will exist’ expresses a logically possible propo­


sition”58 (“si tunc ...” is intended by Scotus to single out the kind of
possibility which grounds the truth of the counterfactual, “Even were
..., it would have been possible ...” : we are, of course, to take mutual

58 Reference to an intellect may safely be left out here, for the following two
reasons : first - we have seen earlier in the main text - the actual existence of an intel­
lect which “composes” a proposition is only intended by Scotus to provide the possi­
bility of the possible with an ontological foundation ; second, in “... possibile fuisset
..., si tunc fuisset ...” Scotus takes up, and answers, the question of what grounds
(formally : not ontologically) the possibility of the possible. The following passage
should be taken into account here : “Potentia logica non est aliqua nisi quando
extrema sunt sic possibilia quod non sibi invicem repugnant sed possunt uniri, licet
non sit possibilitas aliqua in re ; et sic fuit haec vera antequam mundus esset ‘mundus
potest esse’ ; et si intellectus creatus tunc fuisset, vere potuisset dixisse hoc, ‘mundum
posse esse’, - et tamen nulla fuit realitas in re correspondons extremis” (Lect. I, d. 39,
qq. 1-5, n. 49, Vat. XVII, 494). This is one of the very few passages in which Scotus
characterizes the notion of logical possibility without making reference to the
existence of an intellect : the passage suggests, in fact, that it is precisely because the
proposition expressed by “the world will be” qualifies as logically possible to begin
with, that an intellect, had there been one, could truly have “said”, before the world
was, “the world could come into being”. Scotus’ characterization of the possibile
logicum I have just cited bears a striking similarity to his characterization of the
notion of a “propositio per se nota” : “... non est distinguere inter propositionem per
se notam et per se noscibilem, quia idem sunt ; nam propositio non dicitur per se nota
quia ab aliquo intellectu per se cognoscitur (tunc enim si nullus intellectus actu
cognosceret, nulla propositio esset per se nota), sed dicitur per se nota quia quantum
est de natura terminorum nata est habere evidentem veritatem contentam in terminis
etiam in quocumque intellectu concipiente terminos [this exactly parallels
Scotus’claim, discussed later in then main text, that “... hoc est hoc et illud illud, et
hoc quocumque intellectu concipiente”]. Si tamen aliquis intellectus non concipiat
terminos, et ita non concipiat propositionem, non minus est per se nota quantum est
de se” (Ord. I, d. 2, pa. 1, qq. 1-2, n. 22, Vat. II, 136). Now, I submit, to claim that “...
si intellectus creatus tunc fuisset, vere potuisset dixisse hoc, ‘mundum potest esse’ -
...” is in effect to claim that the proposition expressed by “mundus potest esse” “nata
est habere veritatem [but not : evidentem veritatem] contentam in terminis ...” : “... si
intellectus creatus tunc fuisset, ...” is the counterfactual counterpart of “nata est
habere ... etiam in quocumque intellectu ...”. In fact, more precisely, the fact that a
proposition “nata est habere ... etiam ...” is that which grounds the truth of “... si
intellectus creatus tunc fuisset...”.
THE INDEPENDENCE OF THE POSSIBLE 351

compossibility to be necessary and sufficient for logical possibility if


that counterfactual is to make any sense at all).
I turn now to the question, raised in the previous paragraph, of why
Scotus, after putting forth (c), adds the qualification, “dum tamen sine
contradictione The answer, I suggest, is th a t- in the absence of
that qualification - one might not unreasonably be tempted to infer
from (a) and (b) above, not so much (c), as the much stronger view
whereby :
(d) The logically possible qualifies both as logically possible and as
possible independently of whether or not a “corresponding” active
power could (absolutely speaking) exist, or have existed.
To put forth (d) is, clearly, equivalent to contending that the logi­
cally possible need not be realizable, not even in principle, in order to
qualify as (in particular) possible, or - what comes down to the same -
that e.g. a state of affairs 5 may intelligibly count both as logically
possible (as well as possible) and as absolutely unrealizable. There is,
of course, nothing formally wrong with the inference from (a) and (b)
to (d) ; and we should be fully justified in drawing it on the grounds
that (it might be claimed) we are dealing here with “merely” logical
possibility, i.e., with the kind of possibility which (it might also be
claimed) is the ideal candidate for role of an absolutely unrealizable
possibility. Now, I submit, the conception of possibility which (d) puts
forth was (would have been ?) regarded by Scotus as modally untena­
ble : and, I also submit, the point of the qualification “dum tamen sine
contradictione ...”, wherein reference is implicitly made to the notion of
a possibility which is, at least in principle, realizable, is precisely to
disallow, or to rule out as modally unacceptable, the inference from (a)
and (b) to (d) (I am assuming, of course, that Scotus would have been
unwilling to give up either (a) or (b) : note, incidentally, that to contend
that that inference is modally unacceptable is to contend no more than
that (d) is modally unacceptable).59 To disallow that inference is also,

59 In this connexion, it may be of some interest to consider the following


passages : “... si nulla esset in natura aut in Deo potentia ad omne id quod est
possibile secundum se, frustra diceretur possibile, imo careret intrinseca possibilitate.
Nam sequitur bene et evidenter : Secundum se est possibile, ergo possibilis est poten­
tia in aliquo agente quae illud efficiat ; at omne quod possibiliter Deo convenire
352 FABRIZIO MONDADORI

evidently, to hold that (a) and (b) are not inconsistent with a denial of
(d) : more precisely, it is to hold that, the truth of (a) and (b)
notwithstanding, (d) must be regarded as (modally) untenable, and
must, therefore, be rejected.
Two questions arise here. First : exactly what is it to claim that the
qualification “dum tamen sine contradictione ...” disallows, or renders
modally unacceptable, the inference from (a) and (b) to (d) ?
Second : what is it to assert that (d) is modally untenable (or false) ? I
answer the second question first, as follows : to assert that (d) is
modally untenable (or false) is to maintain that, precisely because it is
possible and not absolutely impossible, the possible - even the
logically possible - cannot but be, at least in principle, realizable.60

potest, de facto convenit Deo ; ergo de facto Deus habet potentiam in ordine ad omne
possibile ut sic” (F. ZUMEL, In primam D. Thomae partem commentaria, Venice,
1597 ['Salamanca, 1587], q. 25, a. 3, p. 633a : note the shift from “... si nulla esset
potentia actual existence - to “possibilis est potentia ...” - possible existence. I
take it, of course, that “possibilis est potentia ...” means, “est potentia possibilis ...”) ;
“L icet... [creaturae possibiles] ex se habeant non repugnantiam ut producantur, non
tamen essent proxime producibiles, nec consequenter complete producibiles, si nulla
esset causa, quae posset illas producere” (FRASSEN, Scotus Academicus, ed. cit, voi.
I, p. 44) ; “Obiicies tertio : si Deus repugnaret, repugnaret etiam creatura possibilis,
ergo creatura possibilis habet esse suum a Deo. Respondeo distinguendo antecedens :
ex defectu influxus ullius in esse possibili, nego ; ex eo quod si Deus repugnaret, non
esset aliqua causa quae posset dare creaturae esse simpliciter, et consequenter non
haberet esse possibile, concedo antecedens ; et distinguo consequens, quatenus non
esset possibilis, nisi Deus esset, concedo consequentiam ; quatenus Deus communica­
ret ipsi esse possibile per influxum aliquem realem aut intentionalem, nego conse­
quentiam” (PONCIUS, Philosophiae ad mentem Scoti cursus integer, Lyons, 1672
['Rome, 1642], p. 904a-b ; Poncius is careless here : “non esset aliqua causa” should
be taken to mean, “no cause could exist”, and “nisi Deus esset”, be taken to mean,
“unless it were possible that God should exist”).
60 Although Scotus does not quite put things this way, there is a certain amount of
fairly convincing textual evidence for ascribing to him (something like) the view I
have described in the sentence footnoted : “N ihil... creatur quod non prius habuit esse
intellectum et volitum, et in esse intellecto fuit possibile formaliter, ... ; et tunc fuit
quasi in potentia propinqua ut posset esse obiectum omnipotentiae et poni in esse
simpliciter” (Ord. II, d. 1, q. 2, n. 83, Vat. VII, 44 : this clearly suggests that the
possible “formaliter” is, at least in principle, realizable - all the more so, given that
what Scotus says in the passage just cited applies, not just to the possibilia which
THE INDEPENDENCE OF THE POSSIBLE 353

Now th is-i.e ., the view whereby the possible must be, at least in
principle, realizable - is (I take it) the modal import of the qualification
“dum tamen sine contradictione ...” : to employ the latter, in other
words, is explicitly to hold that - from the fact that the possibility of
the logically possible is entirely a matter of non-repugnantia
terminorum, and, hence, independent of the actual existence of the
“corresponding” (kind of) p o w er-w e are not entitled to infer that
“realizable, at least in principle” need not, therefore, apply to it. It

make up our own world, thought of as possible, but, also, to the possibilia which are
members of all the other possible worlds) ; “... homini in aeternitate inest ‘non esse
aliquid’ ... ; sed homini non repugnat affirmatio quae est ‘esse aliquid’, sed tantum
inest negatio propter negationem causae non ponentis [I take this to mean that, unlike
“in fact realizable”, “realizable in principle” must be true of a(ny) given possibile] ...
[...]... quia homini non repugnat, ideo est possibile potentia logica [I take this to mean
that the logically possible cannot but be, at least in principle, realizable]” (Ord. I, d.
36, q. un., nn. 60-61, Vat. VI, 296). A distinction must be drawn here between the
claim that (a) the logically possible is that which involves no repugnantia, and the
claim that (b) the (logically) possible is that to which it is not repugnant to exist, (a)
and (b) are by no means equivalent, (a) should be understood to mean that the (logi­
cally) possible cannot but be, at least in principle, realizable : and, on the plausible
assumption that all (and only) that which is internally inconsistent could in no wise
have been realized, and that the distinction between realizability in principle,
realizability in fact, and absolute unrealizability is exhaustive, the reason why the
(logically) possible must count as, at least in principle, realizable, is precisely that its
“constituents” jointly involve no repugnantia (see also the first of the two passages
cited in fn. 63 below, as well as Scotus’ claim that “... impossibile simpliciter includit
contradictionem, quia omne quod non includit formalem repugnantiam vel
contradictionem est possibile Deo”, Rep. I A, f. 89rb : “est possibile Deo” is best
understood in terms of its purely modal counterpart, viz. “is, at least in principle,
realizable”). Scotus’ assertion that “... quia homini non repugnat [affirmatio quae est
‘esse aliquid’], ideo est possibile potentia logica” (this is in effect (b) above) cannot,
therefore, quite be taken at face value (nor can, therefore, (b)) : more precisely, we are
not to take “quia” to express the kind of causation which pertains to the first mode
“dicendi per se”, and (hence) take the non-repugnance to exist on the part of a given
possibile to be the “ratio formalis” of its logical possibility, since its non-repugnance
to exist follows from the fact that it is a possibile (or, as Scotus puts it, “... nec est alia
causa formalis, quare homo est talis naturae, cui non repugnat esse, ..., nisi quia ...
homo est homo”, Rep. par. Il, d. 1, q. 2, n. 15, Wad. XI. 1, 246). In a word : (a) is
“naturally” prior to (b).
354 FABRIZIO MONDADORI

would, plainly, make little or no modal sense to put forth (a) and (b),
add the qualification “dum tamen sine contradictione and then put
forth (d), since (a), (b) and (d), taken together with that qualification,
make up an incompatible set (this answers the first of the two questions
I have raised a few lines back).
At play here are two conflicting conceptions o f - a n d intuitions
concerning - the notion of possibility (or the notion of what I have
alluded to above as possibility properly so-called). According to one of
them, (1) a possibility need not be realizable, not even in principle, in
order to qualify as a possibility : according to the other, which Scotus
implicitly puts forth in the passage I have been discussing, (2) a
possibility, even a logical possibility, cannot but be, at least in
principle, realizable. It follows from (2), but not from (1), that we must
regard as modally untenable the view whereby a state of affairs s may
well qualify both as logically possible and as absolutely unrealizable. It
follows from (2), in other words, but not from (1), that the following
view must be dismissed as incorrect : such-and-such quiddities are
mutually compossible, and thereby give rise (as it were) to a logical
possibility, but the possibility they jointly give rise to need not be, not
even in principle, realizable. To espouse (2) is not, of course, to
maintain that that the possibility of the (logically) possible depends, at
least in part, on the possibility of the existence of the “corresponding”
active power ; nor (therefore) is it to deny that the logically possible
qualifies as such “ex se formaliter”. It is to maintain, rather, that the
notion of an absolutely unrealizable possibility is modally
unacceptable : since a possibility, precisely because it is a possibility
(logical or otherwise), must be, at least in principle, realizable61 (this, I

61 Realizability in principle bears to (logical) possibility the same relation which


e.g. risibility bears to rational animality, in the following three respects : first, just as
risibility is not a constituent of the quiddity of (a) man, so realizability in principle
does not belong to the “ratio formalis” of the logically possible ; second, just as
risibility follows, of necessity, from the quiddity of (a) man, so realizability in
principle is a necessary consequence of the “ratio formalis” of the logically possible ;
finally, third, just like “A man is risible”, “The (logically) possible is, at least in
principle, realizable” is a predication “secundo modo dicendi per se”. In this
connexion, see Quodl. VIII, n. 14, Wad. XII, 210.
THE INDEPENDENCE OF THE POSSIBLE 355

submit, is what the qualification “dum tamen sine contradictione ...”


should be taken to suggest).

Now plainly, quite independently of which of the two - (1) or (2)


above-w e put forth, we shall contend that mutual compossibility is
necessary and sufficient both for logical possibility and for possi­
bility : the fact that, were we to espouse (2), we should dismiss as
modally incoherent the notion of an absolutely unrealizable possibility
is, clearly, irrelevant to that contention. (1) and (2) differ, however, in
the following crucial respect : according to (1), once we have said that
mutual compossibility is necessary and sufficient both for logical
possibility and for possibility, we have said all there is to be said about
possibility (thus understood, a possibility need not qualify as realizable,
not even in principle). Not so according to (2). Not, of course, that
mutual compossibility is either not necessary, or not sufficient, for
possibility : but, rather, that, from the fact that a possibility is a
possibility, or (more precisely) that the logically possible is that which
involves no repugnantia, it follows that it must be, at least in principle,
realizable (in the same way, and by the same line of reasoning, from
the fact that the impossible simpliciter is impossible simpliciter, o r -
more precisely - that the impossible simpliciter is that which is self­
contradictory, it follows that the impossible simpliciter could in no
wise have been realized). It follows from this, in turn, that the
possibility of the (logically) possible is “naturally”, as well as
explanatorily, prior to its realizability in principle, or to the (possible)
existence of a being which has the power to bring it about : trivially so,
since nothing could intelligibly qualify as realizable in principle unless
it “first” qualifies as (logically) possible.

The “natural” priority I have just alluded to is, of course,


consistent with the supposition that the (logically) possible should not
be, not even in principle, realizable. The proponent of (1) above would
regard such a supposition as perfectly correct, since, according to him,
the possible need not b e - n o t even in principle - realizable. The
proponent of (2) would, however, regard such a supposition as wholly
untenable, thereby implicitly contending, first, that the “natural”
priority of the possibility of the (logically) possible with respect to its
realizablity in principle implies in no way that the possible may well
356 FABRIZIO MONDADORI

qualify as absolutely unrealizable, and, second, that the possible must


be, at least in principle, realizable.62 On this view, the possible is not so
much (all and only) that to which it is not “repugnant” to exist, i.e., to
be realized, as (all and only) that which involves no “repugnantia” : the
fact that it is not “repugnant” to it to be realized, or, equivalently, that it
is, at least in principle, realizable, is a (necessary) consequence of the
fact that it involves no “repugnantia”.63 The (possible) existence of a

62 We may safely ascribe this line of reasoning to Scotus : “... quando dicitur quod
‘si est possibile ex se non esse, ponatur non esse, igitur non est ; et si hoc, igitur non
formaliter necessarium nec a causa necessario causante’, dico quod non sequitur, quia
‘homo non habet in ratione sua quiditativa risibilitatem sed est ordine naturae prius ea
et potest intelligi sine illa, est igitur homo in quantum est de se in potentia ad
risibilitatem ; ponatur igitur in esse quod non sit risibilis ; igitur non est formaliter
necessario risibilis’ non sequitur ; nec sequitur quod non sit causa necessaria
risibilitatis in homine, quia licet homo ordine naturae praecedit risibilitatem et in ilio
instanti naturae non habet risibilitatem in natura sua, quia tamen non est in potentia
ante actum, ideo actu extra animam non potest esse sine risibilitate” (Lect. I, d. 8, pa.
2, q. un., n. 232, Vat. XVII, 88) : Scotus is objecting here to the view, ascribed by him
to Henry of Ghent, whereby “... si intelligentia sit ex se ‘possibile’, ex se potest non
esse ; ponatur igitur ipsum non esse ; sed hoc posito causa sua non necessario ipsum
causat” {Lect. I, d. 8, pa. 2, q. un., n. 228, Vat. XVII, 86).
63 Fairly convincing textual evidence for ascribing this view to Scotus is provided
by the following passages (see also fit. 60 above) : “... ratio prima quare alicui
repugnat esse erit intrinseca ex repugnantia formali ex quibus constituitur : quia enim
unum illorum formaliter repugnat alteri, ideo non possunt constituere unum, sed illi
propter eorum incompossibilitatem repugnat esse ; ...” {Lect. I, d. 43, q. un., n. 12,
Vat. XVII, 532 - italics mine ; with obvious modifications, the same line of reasoning
applies to the case of the logically possible : just as it is “repugnant” to the impossible
simpliciter to exist, on account of the mutual incompossibility of its “constituents”, so
the reason why it is not repugnant to the logically possible to exist is that its
“constituents” are mutually compossible - which is but another way of saying that the
possibility of the possible is “naturally” prior to its realizability in principle) ; “...
homo est ex se ens ratum, quia formaliter non repugnat sibi esse : sicut enim
cuicumque aliquid repugnat, repugnat ei formaliter ex ratione eius, ita cui non
repugnat formaliter non repugnat propter rationem ipsius” (Ord. I, d. 36, q. un., n. 50,
Vat. VI, 291 : in view of the surrounding text, “formaliter non repugnat sibi esse”,
i.e., “non repugnat sibi esse propter rationem ipsius”, should be taken to mean that the
non-repugnance between “man” and “exists” is a consequence of the fact that the
“ratio” of man involves no “repugnantia”, and, hence, that (a) man is a logically
THE INDEPENDENCE OF THE POSSIBLE 357

being which is endowed with the power to bring the possible about
must, therefore, be taken to provide an explanation, not so much of
what formally grounds the possibility of the (logically) possible, as of
what grounds - ontologically, not formally - the realizability in
principle of the (logically) possible.
I turn now to a discussion of Scotus’ claim, in the passage cited on
pp. 346-347 above, that potentia logica ... est modus quidam
compositionis factus ab intellectu, causatus ex habitudine terminorum
illius compositionis, scilicet quia non repugnant”. To claim that logical
possibility is a “modus compositionis”, or a “compositio”, is to claim
(we have seen earlier) that talk of logical possibility is in effect talk of a
logically possible proposition, i.e., more precisely (cf. “scilicet quia”),
a proposition whose “constituents” are mutually compossibile. To
assert, in turn, that logical possibility is a “modus compositionis” which
is “caused” by the fact that the “terms” of the “compositio” do not
jointly involve any repugnantia is to assert that the possibility - the
modal s ta tu s-o f a logically possible proposition is grounded in the
mutual compossibility, and hence in the formal status, of its
“constituents”.
Two (related) questions arise here. First : what is the point of the
distinction Scotus draws between “factus” and “causatus” ?
Second : what is it to say that a logically possible proposition is, on the
one hand, “made” by the intellect,64 and, on the other, “caused” by the
“habitudo terminorum” ? The point of that distinction is, I believe, the
same as the point of the distinction Scotus draws between

possible being - implicitly at play here is the distinction I have talked about in fii. 60
above). See also Ord. I, d. 3, pa. 2, q. un., n. 314, Vat. Ill, 190-191, as well as the
following passage : “Unde oritur prima radix impossibilitatis, et quid est illud ad quod
omnia alia talia reducuntur. Dico quod radix impossibilitatis est incompossibilitas.
Ideo enim creaturam infinitam deus facere non potest quia creatura et infinitas sunt
incompossibilia. Sed ulterius que est ratio incompossibilitatis et radix? Dico quod
nihil est nisi rationes formales incompossibilium : quia enim tales sunt, ideo
incompossibiles sunt, et quia incompossibiles sunt, ideo aliquid fieri ex eis est
impossibile” (this is not Scotus, but FRANCISCUS DE MAYRONIS, In Libros
Sententiarum I, d. 43-44, q. 1, Venetiis, 1520, f. 123vb).
64 Be it the divine intellect or a human intellect : only the former is, of course,
relevant to our present purposes.
358 FABRIZIO MONDADORI

“principiative” (in “possibilis principiative per intellectum divinum”),


and “formaliter” (in “ex se formaliter possibilis”). Like the latter
distinction, the distinction between “factus” and “causatus” is intended
by Scotus to bring out the fact that the grounding of the possibility of
the (logically) possible is two-fold : the intellect - i.e., the divine
intellect - provides a purely ontological grounding, whereas the
“habitudo terminorum” - i.e., more precisely, the mutual compossi-
bility, and hence the formal status, of the “terms” - provides a formal,
and therefore also a modal, grounding. The function of the intellect, in
other words, is to conceive of, put together, and (hence) bestow an esse
deminutum upon, such-and-such “terms” : the result is a proposition p
which is endowed with the same kind of esse its “constituents” are
endowed with.65 The modal status of p exclusively depends, however,
on whether or not the “constituents” of p are mutually compossible : it
exclusively depends, accordingly, on the formal status of those
“constituents”.
To maintain, then, that the possibile logicum is a “modus compo­
sitionis” which is “made” by the intellect is to maintain no more than
that the latter, by conceiving of, and putting together, such-and-such
“terms”, forms - and conceives of - a proposition, which, as a “result”
of its being conceived, comes to acquire an ontological (but not : a
modal) status. To maintain, on the other hand, that the possibile
logicum is a “modus compositionis” which is “caused” by the mutual
compossibility of its constituent “terms” is to maintain that its modal
status is entirely grounded in, and is to be accounted for only by
making reference to, the formal status of the “terms”. The fact, in other
words, that an intellect exists which “forms” a proposition p is
(modally as well as formally) irrelevant to the question both of whether
or not p qualifies as (logically) possible, and of what it is for p to be
logically possible (supposing it is, in fact, logically possible). For,
although p is indeed “made” by an intellect, its modal status - Scotus
contends - is “caused” by the formal status of its “constituents” : which

65 This should not be taken at face value : there is nothing like a “compositio”, nor
is there anything like a “result”, nor anything like a “discursus”, when it comes to the
divine intellect. See e.g. Lect. I, d. 39, qq. 1-5, nn. 64-65 (Vat. XVII, 500-501) ; Rep.
par. I, d. 38, q. 2, n. 5 (Wad. XI/1,218-219).
THE INDEPENDENCE OF THE POSSIBLE 359

is but another way of saying that the modal status of p is (formally)


grounded in the formal status of its “constituents”.
In a context of this sort, it would, evidently, make little or no sense
to hold that (a) the “non-repugnantia terminorum” is the (formal) cause
of the possibility of the (logically) possible, while at the same time
holding that (b) the formal status of the “terms” formally depends on
the divine intellect, (a) and (b) are mutually inconsistent. It follows
from (b) that the divine intellect, rather than the “non-repugnantia
terminorum”, is correctly deemed to be the (formal) cause of the
possibility of the (logically) possible : for, clearly, if the formal status
of the “terms” formally depends on the divine intellect, then the mutual
compossibility of the “terms”, and therefore their “non-repugnantia”,
and therefore the possibility of the logically possible, will also formally
depend on the divine intellect. But this is precisely what (a) denies : we
cannot, then, consistently hold on both to (a) and to (b).
This strongly suggests that, since he accepted (a) above, Scotus
took the formal status of quiddities to be formally independent of the
divine intellect66 (we shall presently see that there is a certain amount

66 To maintain that the formal status of quiddities is (formally) dependent on the


divine intellect is to accept the view, characterized as “ridiculous” by Poncius,
according to which "... homo habet... entitatem in qua non est repugnantia ex eo quod
intelligatur a Deo” (Philosophiae ad mentem Scoti cursus integer, ed. cit., p. 907a) ;
or, equivalently, the view - dismissed by Suarez as incorrect - according to which "...
enim homo est talis essentiae, quia talis cognoscitur a Deo” {Disputationes Meta-
physicae, disp. 31, s. 12, n. 46). Dupasquier’s contention is relevant here, th a t-
according to Scotus - “Creaturae habent esse possibile intrinsecum, seu Logicum, ex
se ipsis, et ex ratione sua formali” {Summa philosophiae scholasticae, et scotisticae,
Padua, 1705 [‘Lyons, 1692], p. 224 : the surrounding text makes it quite clear that
reference to “esse possibile intrinsecum, seu Logicum” is actually reference to
“possibilitatem intrinsecam, seu Logicam” ; talk of “ratio formalis” is, clearly, talk of
the formal status of quiddities). Dupasquier proceeds to show, next, not so much why
that contention should be ascribed to Scotus, as why it should be regarded as correct :
one of the arguments which he puts forth, and which (we may plausibly assume) he
takes Scotus to have had in mind, goes as follows : “... homo non habet esse talis
naturae, verbi gratia animal rationale, quia cognoscitur a Deo : sed potius e contra,
aut saltem concomitanter : sed possibilitas Logica venit ex natura intrinseca rerum,
ergo venit praecise ex ratione formali rerum” {loc. cit., p. 225). I take it that
“praecise” is given by Dupasquier the same sense the schoolmen gave it, and is
360 FABRIZIO MONDADORI

of pretty convincing textual evidence for ascribing this view to him).


He could, of course, hardly have taken their formal status to depend
either on the divine power, or on the divine will, since - we have seen
earlier - according to him the divine intellect is “naturally” prior both
to the divine power and to the divine will : from which it follows,
evidently, that the “objects” of the divine power and of the divine will
can only be quiddities which “already” possess a formal status. The
latter must, therefore, be regarded as independent both of God’s power
and of God’s will. Let us turn, accordingly, to an analysis of the textual
evidence which - 1 have just remarked - favours an ascription to Scotus

therefore meant by him to show that God - i.e., the divine intellect - plays no role
whatsoever in the formal constitution of the possibility of the possibile logicum (or,
equivalently, that the formal status of quiddities is formally independent of the divine
intellect). This line of reasoning - which was first explicitly employed by Poncius - is
rejected, at least in part, by Rrisper : “Dices [this is an objection to the view Krisper
puts forth in the immediately preceding paragraph, according to which “... si Deus
non intelligeret ab aeterno, nec verum esset dicere, quod creatura non repugnaret ab
aeterno”] : ergo ideo creaturae non repugnant, quia intelliguntur a Deo non
repugnare ; sed hoc videtur absurdum, cum potius intelligantur non repugnare, quia
non repugnant ex se : ergo [that is : it cannot therefore be so that “... si Deus non
intelligeret ab aetemo, ... .”]. Contra cone, illatum et nego min. ita ut ly ideo dicat
causalitatem efficientem non formalem ; ... quia ex Scoto... Possibilitas logica est
quidam modus compositionis factae ab intellectu judicante praedicatum in aliqua
propositione convenire subiecto, et nullam esse repugnantiam inter ea ex suis
rationibus formalibus” (Theologia scholae Scotisticae, ed. cit., tract. I, d. 11, q. un., n.
16, p. 163a : the objection Krisper discusses in the passage just cited is taken almost
verbatim from Poncius, according to whom “... nihil absurdius videri posset quam
quod [creaturae] ideo non repugnent quia intelliguntur”, Philosophiae ad mentem
Scoti cursus integer, ed. cit., p. 907a ; Krisper’s reply to it, in tum, is taken verbatim
from MASTRIUS, Disputationes Theologicae in primum librum Sententiarum, disp. 3,
q. 2, a. 2, Venice, 1719 ['Venice, 1655], p. 123b). I note in passing that Mastrius’
claim, “... possibilitas logica in rebus consurgit ex rationibus earum formalibus
interveniente judicio intellectus, et unum absque alio non sufficit” (Disp. Theol. ...,
ed. cit., p. 123b), could hardly be regarded as a serious objection to Poncius’ view
whereby (according to Scotus) the possibility of the (logically) possible is
independent - i.e., formally independent - of the divine intellect : the fact that the
latter is the efficient cause of the esse possibile of the (logically) possible is, plainly,
wholly irrelevant to the question of what grounds- i.e., formally grounds- the
possibility of the (logically) possible.
THE INDEPENDENCE OF THE POSSIBLE 361

of the view whereby the formal status of quiddities is (formally) inde­


pendent of the divine intellect. I begin by considering the following
passage :
quare homini non repugnat [affirmatio quae est ‘esse aliquid’] et
chimaerae repugnat, est, quia hoc est hoc et illud illud, et hoc quocumque
intellectu concipiente, quia ... quidquid repugnat alicui formaliter ex se,
repugnat ei, et quod non repugnat formaliter ex se, non repugnat.67

The passage just cited can be broken down into four interrelated
parts (I leave chimeras out, since I am now dealing with the possible,
not the impossible) :
(1) Homini non repugnat [affirmatio quae est ‘esse aliquid’],
(2) quia hoc est hoc, et
(3) hoc quocumque intellectu concipiente,
(4) quia quod non repugnat formaliter ex se, non repugnat.
Four (minor) terminological points, to begin with : first, “quia” in
(2) is meant by Scotus to express something like formal causation,
whereas “quia” in (4), taken together with the rest of (4), is intended by
him to provide the correct way of interpreting (3) ; second, (3) should
be read as follows, “(quocumque intellectu concipiente) hoc est hoc”
(“quocumque intellectu concipiente” is, plainly, a universal
quantifier) ; three, “hoc” in (2) picks out a “ratio formalis” or a
quiddity ; finally, four, “hoc est hoc” in (2) should be regarded as
shorthand for “hoc est hoc, et huic, quia hoc et non illud, non repug­
nat ...”68 (“quia” is a “reduplicatio”, and expresses the kind of causality

67 Ord. I, d. 36, q. un, n. 60 (Vat. VI, 296).


68 I rely here on these two passages : “Et si obiicias ‘quare aliqua entitas oritur in
essentia communicabilis et ista incommunicabilis?’, - dico quod huius non est ratio
formalis nisi quia haec entitas est haec et illa entitas est illa ; et haec entitas ‘quia
haec’ est communicabilis et illa entitas ‘quia illa’ est incommunicabilis,...” (Ord. I, d.
26, q. un , n. 94, textus interpolatus, Vat. VI, 50 : the “reduplicatio” “quia” must be
understood “reduplicative”) ; “Dico tunc quod identitas, quia identitas, est relatio
rationis, nec est alia ratio formalis ‘propter quid’, - paternitas, quia paternitas, est
relatio realis, nec est alia ratio formalis ‘propter quid’” (Ord. I, d. 26, q. un, n. 88,
Vat. VI, 46 : again, the “reduplicatio” “quia” must be understood “reduplicative”). Cf.
also Rep. I A, f. 63ra, as well as the passages cited in fn. 72 below.
362 FABRIZIO MONDADORI

which pertains to the first - or, as the case may be, the second - mode
“dicendi per se”). I shall now attempt to explain what all of this means.
I remark, first, in connexion with the first of the points just made, that
“ex se formaliter” in (4) must sharply be distinguished from
“formaliter”, for the following reason : the claim that (a) two mutually
compossible quiddities count as mutually compossible “formaliter”
(i.e., as mutually formally compossible) need not at all imply the claim
that (b) two mutually compossible quiddities count as such “formaliter
ex se”.

(a) leaves the possibility open-w hich (b), on account of “ex se”,
plainly rules out - that the formal status of quiddities should depend on
the divine intellect. Unlike (b), that is, (a) is not incompatible with the
contention that it so depends : for, even supposing it did so depend, it
would still be true to assert that two mutually compossible quiddities
are mutually compossible “formaliter”, i.e., in virtue of their formal
status (but not : in virtue of their formal status, and only in virtue of it).
It would still be true to assert, in other words, that two mutually
compossible quiddities are mutually formally compossible “principia-
tive per intellectum divinum”. Things take a rather different and more
drastic turn, however, in the case of (b) : the qualification “ex se” fairly
clearly and explicitly suggests that two mutually compossible
quiddities qualify as su ch -i.e., as formally compossible - in and of
themselves, i.e., in virtue, and only in virtue, of their formal status, and,
hence, independently of everything else. This is where “quia”, in (4)
above, comes into its own : to maintain, as Scotus does, that “hoc est
hoc ..., et hoc quocumque intellectu concipiente, quia ...”, is to maintain
that, since two mutually compossible quiddities count as such
“formaliter ex se”, they must qualify as such “quocumque intellectu
concipiente” (if “ex se”, that is, then not “ab alio”, and, therefore,
“quocumque intellectu concipiente”). (4) should be taken to mean,
accordingly, that the formal status of quiddities is (formally)
independent of the divine intellect : more generally, it should be taken
to mean that an(y) other infinite intellect, had there been one, would
have conceived of the same collection of complex quiddities - with
exactly the same “constituents” - as the collection of quiddities the
divine intellect conceives of.

There is independent textual evidence for interpreting (4) in the


way I have just interpreted it. In a passage which I have quoted earlier,
Scotus claims that “... homo est homo ex natura terminorum, nec est
THE INDEPENDENCE OF THE POSSIBLE 363

alia ratio formalis, quare homo est talis naturae, cui non repugnat esse,
... nisi quia ... homo est homo”.69 Now plainly, the qualification “alia”,

69 Rep. par. II, d. 1, q. 2, n. 15 (Wad. XI/1, 246). The following two passages are
also relevant here : “... prima cognitione de aliquo cognoscitur illud quod primo sibi
inest, quia illud est omnino inostensibile ; alia omnia demonstrabilia per illud, sicut
passiones ; vel ostensibilia, sicut praedicata essentialia alia. ... hominem esse animal
rationale per nihil est ostensibile. Unde hoc quaerere nihil est quaerere, ex VII
Metaphysicae, cuius non est alia causa ut ‘homo est homo’, V Metaphysicae ...” (In I
Met., q. 9, n. 10, St. Bon. HI, 167) ; “... non est quaerenda ratio eorum, quorum non
est ratio...... Ita dico ..., quod ... ista est immediata, et necessaria, voluntas divina vult
bonitatem divinam ; nec est alia ratio, nisi quia haec est talis voluntas, et illa talis
bonitas” (Quodl. XVI, n. 9, Wad. XH, 454). On Scotus’ view, then, it would be quite
pointless to raise the question of why a quiddity has the formal status it has, since
there can be no answer to it : a quiddity’s having the formal status it has “per nihil est
ostensibile” ; that is, its having the formal status it has belongs in the category of
“things” whereof it is true to say that “... non est quaerenda ratio eorum, quorum non
est ratio”. Note, incidentally, that reference to the formal status of a quiddity is in
effect reference to the formal status of the quiddity of e.g. a man (a rose, a horse,...) :
so that the question to which, I have just said, there can be no answer, is the question
of why the quiddity of e.g. a man is the kind of quiddity it is. A distinction must
accordingly be drawn between the (trivial) claim that (1) it is impossible that a
quiddity should have had a different formal status than the formal status it has, and
still have been the (kind of) quiddity it is, and the (by no means trivial) claim that (2)
it is impossible that the quiddity of (a) man (a rose, a horse) should have had a
different formal status than the formal status it has, and still have been the quiddity of
(a) man (a rose, a horse). The truth of (1) implies in no way that of (2) : not, at any
rate, if we take (2) to mean that it is impossible that a man (a rose, a horse) should
have had a different (kind of) quiddity than the (kind of) quiddity it in fact has, and
still have been a man (a rose, a horse). The assertion, “... quia hoc est hoc, et illud
illud” should - 1 submit - be understood in the context of (2), not (1), and be taken to
mean something like, “... because the quiddity of a has the formal status it has, and a
could not have had a different (kind of) quiddity than the (kind of) quiddity it has, and
still have been a, and the quiddity of b has the formal status it has, and b could not
have had a different (kind of) quiddity than the (kind of) quiddity it in fact has, and
still have been b”. In other words : Scotus would have dismissed as untenable the
view - which La Ville took to be a consequence of Descartes’ doctrine of the creation
of eternal truths - whereby “S’il [Dieu] l’eût voulu, l’homme n’aurait eu pour son
essence que ce qui est aujourd’hui l’essence du cheval et néanmoins aurait été
véritablement homme” (cited by G. RODIS-LEWIS, Idées et vérités éternelles chez
Descartes et ses successeurs, Paris, Vrin, 1985, p. 147, fh. 23). It goes without saying
364 FABRIZIO MONDADORI

in “nec est alia ratio formalis”, would make little or no sense if the
formal status of quiddities did in fact (formally) depend on the divine
intellect : for, if it did so depend, the formal status of the quiddity of
man could hardly be said to be the o n ly -i.e., more precisely, the
ultimate - “ratio formalis” why man is of such a nature, that it is not
“repugnant” to it to exist, since there would be another, more ultimate
“ratio formalis” for this - viz. the divine intellect. The same view is put
forth by Scotus in a passage, already cited earlier, in which he asserts
that :
Prima ... ormino ratio et non reducibilis ad aliam, quare homini non
repugnat ‘esse’, est, quia homo est formaliter homo ... .70

The “ratio” at play here is, clearly, a “ratio formalis” : and to hold
not only that it is “omnino prima”, but, also, that it is not “reducibilis
ad aliam” (i.e., “non reducibilis formaliter ad aliam”),71 is in fact to
hold that the formal status of the quiddity of man is the ultimate - and
the o n ly - “ratio formalis” why it is not “repugnant” to man to
exist ; which is to hold, in turn, that the formal status of quiddities (we
may generalize now) is formally independent of the divine intellect. It
would, of course, make little or no sense to maintain both that :
(1) the “ratio formalis” why it is not “repugnant” to (a) man to exist is
that “homo est formaliter homo”, i.e., that the quiddity of (a) man has
the formal status it has,
and that :
(2) the “ratio formalis” why “homo est formaliter homo” is to be traced
back to the divine intellect (or, equivalently, to the fact that the latter
produces quiddities in esse intelligibili).
The reason is obvious ; from (1) and (2) it follows that :
(3) the “ratio formalis” why it is not “repugnant” to (a) man to exist is
to be traced back to the divine intellect.

that, were we to put forth this view, we should in fact be rejecting (2), while at the
same time consistently holding on to (1).
70 Ord. I, d. 36, q. un., n. 62 (Vat. VI, 296).
71 It is indeed “reducibilis ad aliam”, but only “principiative” : not “formaliter”.
THE INDEPENDENCE OF THE POSSIBLE 365

(3) , however, is flatly inconsistent with Scotus’ view whereby


(4) the formal status of the quiddity of (a) man is not only the “ratio
formalis” - or the “ratio intrinseca” - why it is not “repugnant” to (a)
man to exist (no problems thus far : (3) and (4) are mutually
consistent), but, also, and more importantly, a “ratio formalis” which is
not “reducible” to another “ratio formalis” - contrary to what both (2)
and (3) assert.
I conclude that there can be no room for anything like (2) and (3)
in the view Scotus puts forth in the passage I have just been talking
about : I mean, specifically, the view whereby, first, the chain of formal
dependencies must come to an end (cf., “... et non reducibilis ad
aliam”),72 and, second, the last link of the chain is provided by the

72 The following passages should be taken into account here : "... repugnantia
albedinis ad nigredinem consequitur naturam albedinis et nigredinis, nec est alia ratio
quare albedo et nigredo repugnant, nisi quia albedo est albedo, et nigredo nigredo”
{Lect. I, d. 2, pa. 2, qq. 1-4, n. 246, Vat. XVI, 205-206 - italics mine ; after “albedo
est albedo, et nigredo nigredo”, Scotus might as well have added, “et hoc quocumque
intellectu concipiente”) ; “... quaelibet forma seipsa est talis forma, nec est alia ratio
intrinseca quare est talis forma” (Ord. I, d. 26, q. un., n. 88 - italics mine, Vat. VI,
46) ; “... etiam in genere principij formalis est status, hoc enim accipit infinitatem,
illud non ; quia hoc est hoc, et illud est illud, sicut hoc accipit communicabilitatem,
illud incommunicabilitatem, quia hoc est hoc, et illud est illud” (Quodl. V, n. 25,
Wad. XII, 136 - italics mine : I take it that the “status” Scotus refers to here is
provided by the “formal principle” whereby “hoc est hoc, et illud est illud”, i.e., more
simply, by the formal status of quiddities). This conclusively refutes the objection
Vázquez raises in the following passage : "... dicemus ... contra Scotum, non ideo res
esse possibiles, et non implicare contradictionem, quia intelliguntur a Deo : sed potius
e contra, res intelligi a Deo, quia in se non implicant contradictionem. Quare ante
intellectum Dei res dicuntur in se verae (ut dici solet) causaliter, quatenus aptae sunt,
ut vere intelligantur ab aliquo intellectu, si esset” (Commentariorum ac disputationum
in primam partem Sancti Thomae tomus primus, Lyons, 1631 [’Alcalá, 1598], q. 16,
a. 8, p. 304a). Two points here. First, as we have seen in the main text, and as the
passages just quoted unequivocally suggest, according to Scotus the divine intellect
only bestows on “things”, as it conceives of them, a modus essendi, not their
possibility. Second, “ab aliquo intellectu, si esset” (see the passage just cited) exactly
parallels, and makes exactly the same point as, Scotus’ “et si intellectus aliquis
creatus tunc fuisset” {Lect. I, d. 39, qq. 1-5, n. 49, Vat. XVII, 494 : the passage is
cited in full in fh. 58 above). Cf. also Lect. I, d. 7, q. un., n. 32 (Vat. XVI, 484) : “si
366 FABRIZIO MONDADORI

formal status of quiddities, not by the divine intellect. The point I have
last made is, of course (we have already seen), in no wise at odds with
Scotus’ contention that the divine intellect, and the divine production of
quiddities in esse intelligibili, are “naturally” prior to the formal status
of quiddities : such a priority involves a dependence indeed, but not a
formal dependence. It involves (we have already seen) a purely
ontological dependence : otherwise put, the divine intellect is the
efficient-not the form al-cause of the formal status of quiddities.
That the latter was regarded by Scotus as (formally) independent of the
divine intellect, is also clearly shown by the following passages :
si per impossibile Deus non esset et quidam triangulus esset, et adhuc
habere tres resolveretur in naturam trianguli....73
nulla causa causaret triangulum formaliter nisi produceret aliquid quod
necessario haberet tres etc., et si posset producere aliquid quod non
necessario haberet tres, non produceret istum sed alium, - nec est alia ratio
huius nisi quia formalis ratio trianguli est ut sit triangulus ....74

I interpret as follows the first of the two passages just cited. Scotus
is of course not asserting that, even if God did not exist, the nature (i.e.,
the quiddity) of a triangle would (1) still be endowed with a modus
essendi, and (2) still be such that the property of having three angles
which are equal to two right angles follows of necessity from it. He is
asserting, rather, that, even if God did not exist, (2) would still apply to
a triangle, whereas (1) would not. He is asserting, more precisely, that a
nature’s being the (kind of) nature it is does not formally depend on
whether or not God exists (or on whether or not God conceives of it),
and, therefore, that the “natural” priority of the divine intellect with
respect to the formal status of quiddities involves in no way a formal
dependence of the latter on the former. The step I have just taken -
from talk of the nature of triangles to talk of natures in general-
requires little or no justification : the formal “constituents” of the
nature of e.g. a rose (a horse, a man, ...) are as necessary to it as the
formal “constituents” of the nature of a triangle are necessary to it, and

ante mundi constitutionem fuisset aliquis intellectus ...” ; Ord. I, d. 7, q. 1, n. 27 (Vat.


IV, 118) : “si fuisset intellectus ante mundum...” ; and fn. 58 above.
73 Rep. I A, f. 8vb.
74 Ord. I, d. 26, q. un., n. 94, textus interpolatus (Vat. VI, 50).
THE INDEPENDENCE OF THE POSSIBLE 367

all quidditative predications, i.e., specifically, predications “primo


modo dicendi per se”, as well as predications “secundo modo dicendi
per se”, are absolutely necessary75 (it matters not, evidently, what the
relevant nature is the nature of).
I turn now to a discussion of the second of the two passages cited
above. I note, first, that “causaret triangulum formaliter” is ambigu­
ous : it could be taken to mean, “would formally cause a triangle” ; or it
could be taken to mean, “would cause something which is formally a
triangle”. I believe the latter interpretation is preferable to the first. I
note, second (the surrounding text makes this quite clear), that Scotus’
claim - viz., “... nulla causa causaret...” - applies to the divine intellect
as well, so that “produceret” is shorthand for “produceret in esse intel­
ligibili”. It follows from the two claims just made, taken together with
“nec est alia ratio huius ...”, that the divine intellect could produce in
esse intelligibili the quiddity of (say) a triangle only provided it

75 Cf., “... conclusiones Metaphysicae sunt absolute necessariae, nec posset Deus
eas falsificare” (Rep. par. II, d. 1, q. 7, n. 20, Wad. XI. 1, 264). As the surrounding
text clearly shows, a “metaphysical conclusion” is one in which a so-called passio -
for instance : risibility in man - can be demonstrated to follow from the quiddity of
the subject to which it is ascribed : thus understood, a “metaphysical conclusion” is a
predication “secundo modo dicendi per se” - such as, for instance, “A man is
risible” - as well as the conclusion of a “demonstratio propter quid”. In this
connexion, it is important to note that, according to Scotus, “... si nullum praedicatum
esset per se primo modo, tunc nullum secundo modo, quia omnis propositio vera
secundo modo per se reducitur ad aliquam veram per se primo modo” (In IV Met., q.
2, n. 40, St. Bon. Ili, 330). Three points here i first, each “demonstratio propter quid”
formally depends on the formal status of quiddities, since the necessity of each of the
steps of the demonstration so depends (cf., “... propositiones ‘verae primo modo’ sunt
verae ratione quiditatis sic acceptae [i.e., considered purely in terms of that which “is
essentially included in it”], quia nihil dicitur ‘per se primo modo’ de quiditate nisi
quod includitur in ea essentialiter, in quantum ipsa abstrahitur ab omnibus ..., quae
sunt posteriora naturaliter ipsa”, Ord. II, d. 3, pa. 1, q. 1, n. 32, Vat. VII, 403);
second, if God cannot “falsify” a “metaphysical conclusion”, i.e., a predication
“secundo modo dicendi per se”, he cannot, evidently, “falsify” a predication “primo
modo dicendi per se” either ; hence, three, the formal status of quiddities must be
formally independent of the divine intellect (on the plausible assumption that God can
“falsify” a “metaphysical conclusion” iff the formal status of quiddities depends on
his intellect).
368 FABRIZIO MONDADORI

produced in esse intelligibili a quiddity which possesses the correct


(kind of) formal status (i.e., the kind of formal status which makes it
possible to give a “demonstratio propter quid” whose “metaphysical
conclusion” is “A triangle has three angles which are equal to two right
angles”).76 It follows from this, in turn, that the formal status of quid­
dities must be deemed to be formally independent of the divine pro­
duction of quiddities in esse intelligìbili, and, hence, of the divine intel­
lect.
I should now like briefly to discuss one more piece of textual evi­
dence for ascribing this view to Scotus : it can be found in his
contention that “... principiare naturaliter et libere sunt modi oppositi
principiandi ;... intellectus principiat naturaliter, voluntas libere”.77 I
take this to mean (see also the passage cited in fn. 77) that the divine
production of quiddities in esse intelligibili is a “natural” - as opposed
to a free - production, i.e., a production in which no choice is
involved : such a claim is, however, ambiguous - and so is the claim
that “intellectus principiat naturaliter”. It may be understood to mean
that (1) the divine intellect has no choice but to produce in esse
intelligibili all possible quiddities ; or it may be understood to mean
that (2) the divine intellect has no choice but to bestow on each
quiddity q it produces the formal status it in fact bestows on q, i.e.,
more precisely, that the divine intellect cannot but bestow on q the

76 The example of the triangle goes back to Aristotle : “ ‘Accident’ has also
another meaning, i.e., what attaches to each thing in virtue of itself but is not in its
substance, as having its angles equal to two right angles attaches to the triangle”
(Metaph. VII, 1025a 30-32).
77 Quaestiones de formalitatibus, q. 2, n. 3 (Wad. Ill, 449). Cf. also, “... in primo
[signo naturae Deus] intelligit essentiam suam ut primum obiectum, in secundo autem
intelligit omnia alia a se ut constituta naturaliter in quodam esse intelligibili per actum
intelligendi divinum [at play here is, of course, the divine production of quiddities in
esse intelligibili] : et respectu rerum aliarum a se [i.e., quiddities], ut habent esse
intelligibile, est Deus causa naturalis per actum suum intelligendi. Cuius probatio est :
quia cum voluntas nihil velit nisi cognitum, igitur intellectus divinus prius intelligit
aliquid secundum esse intelligibile quam velit illud, ... ; sed omnis causa praecedens
voluntatem et praevia voluntati est causa naturalis, et omne quod praecedit actum
voluntatis est mere naturale ; igitur Deus est causa naturalis aliorum a se secundum
esse intelligibile” (Lect. I, d. 3, pa. 1, q. 3, n. 191, Vat. XVI, 302). See also Ord. I, d.
3, pa. 1, q. 4, n. 268 (Vat. IH, 163-164) ; Ord. I, d. 38, q. un„ n. 6 (Vat. VI, 305).
THE INDEPENDENCE OF THE POSSIBLE 369

formal status q cannot but have ; or, finally, it may be understood to


mean both (1) and (2). We should definitely choose-and take Scotus
to have had in m in d -th e third of the three alternatives just
described : witness the following passage (which is only relevant to
(2) : there is no doubt that Scotus accepted (1) :
ideae mere naturaliter repraesentant illud quod repraesentant, et sub ratio­
ne qua aliquid repraesentant ; quod probatur ex hoc, quod ideae sunt in
intellectu divino ante omnem actum voluntatis divinae,... ,78

A distinction is drawn here by Scotus between, on the one hand,


“illud quod”, and, on the other, “sub ratione qua” : “illud quod” refers
to that which is represented (e.g., a rose, a man, ...) ; whereas “sub
ratione qua” refers to the way in which that which is represented is
represented, or - equivalently - to the kind of thing an idea represents
(for instance : the idea of e.g. (a) man represents (a) man as a rational
animal). Both that which is represented by an idea, and the kind of
thing an idea represents, are, therefore, “naturally” represented by it : in
particular, the idea of (a) man cannot but represent (a) man as a rational
animal. If it is so, however, not only that the kind of thing an idea
represents is represented “naturally” by it, but, also, that the intellect
“principiat naturaliter”, and, hence, that “nulla contingentia potest esse
in sciendo aliquid quod [intellectus divinus] non scit, vel in intelligendo
aliquid quod non intelligit tali intellectione prima”,79 it must also be so
that the divine intellect, “when” it produces in esse intelligibili the idea
of e.g. (a) man, cannot but produce an idea - a quiddity - which cannot
but represent (a) man as a rational animal. I take it, of course, that

78 Ord. I, d. 39, qq. 1-5 (Vat. VI, 407). As we have seen earlier, an id ea-
according to Scotus- is a “quiditas intellecta”. Cf. also, “... ideae sicut sunt
necessariae in essendo, ita in repraesentando ; igitur repraesentant quidquid possunt”
(Lect. I, d. 39, qq. 1-5, n. 21, Vat. XVII, 485).
79 Vat. VI, 416 (the passage footnoted is preceded by the following claim :
“Oportet igitur contingentiam ... quaerere in intellectu divino, vel in voluntate divina.
Non autem in intellectu ut habet actum primum ante omnem actum voluntatis, quia
quidquid intellectus intelligit hoc modo, intelligit mere naturaliter et necessitate
naturali, - et ita ...”). Cf. also, “... contingentia non est ex parte intellectus divini in
quantum ostendit aliquid voluntati, quia quidquid cognoscit ante actum voluntatis,
necessario cognoscit et naturaliter, ita quod non sit ibi contingentia ad opposita”
(Lect. I, d. 39, qq. 1-5, n. 43, Vat. XVII, 492).
370 FABRIZIO MONDADORI

“nulla contingentia potest esse ... in intelligence quod non intelligit tali
intellectione prima” means that the divine intellect could not have
produced quiddities in esse intelligibili in a different way, or with a
different formal status, than the way, or the formal status, in which, or
with which, it has in fact produced them (the contrast which “nulla
contingentia potest esse ...” implicitly involves is a contrast between
the divine intellect and the divine will, which could have willed that
which it has in fact not willed).

III. C o n c l u d in g r e m a r k s

I conclude, accordingly, that, on Scotus’ view, the formal status of


quiddities must be regarded as (formally) independent of the divine
intellect.80 This conclusion fits in quite well with, and is in fact required

80 It might be objected that this conclusion is inconsistent with Scotus’ view that
“... incompossibilia ... ab eo sunt principiative incompossibilia, a quo principiative
habent suas rationes formales. Est ergo ibi iste processus, quod sicut Deus suo
intellectu producit possibile in esse possibili, ita producit duo entia formaliter (utrum­
que in esse possibili), et illa ‘producta’ se ipsis formaliter sunt incompossibilia... ;
hanc autem incompossibilitatem, quam habent, formaliter ex se habent, et principia-
tive ab eo ... qui ea produxit” (Ord. I, d. 43, q. un., n. 16, Vat. VI, 359 - italics mine ;
cf. also, “... album et nigrum primum esse possibile quod habent ab intellectu divino
habent principiative et per consequens ab intellectu divino principiative habent suam
incompossibilitatem sicut et suas rationes formales, sed ex se formaliter sunt talia
circumscripto quocumque alio quod est extra illa”, Rep. I A, f. 89va). To hold, how­
ever, that “... incompossibilia ... ab eo sunt principiative incompossibilia, a quo princi-
piative habent suas rationes formales” is not to hold that the formal status of quid­
dities formally depends on the divine intellect : it is just to hold that the latter bestows
an esse deminutum on quiddities and their “rationes formales” (or formal status) ; and,
we have seen earlier, without such an esse “incompossible” could not intelligibly
apply to anything. To claim, then, that “Deus ... producit duo entia formaliter” is not
to suggest that the formal status of quiddities formally depends on God’s intellect : it
is to suggest, rather, that the divine production of quiddities in esse deminuto is, in
particular, a production in esse deminuto of the “rationes formales” of those
quiddities. And this, I submit, is the point of the contrast Scotus draws between, on
the one hand, “se ipsis formaliter” (“formaliter ex se”), and, on the other, “princi­
piative ab eo ... qui ea produxit” : the “formal production” Scotus alludes to can,
THE INDEPENDENCE OF THE POSSIBLE 371

by, Scotus’ contention, discussed earlier, that the modal status of the
possible is independent of the divine intellect. It raises, however, a very
tricky question : how is the formal independence of the formal status of
quiddities to be accounted for ? If quiddities made up a realm of self-
subsistent entities, and, therefore, of objects of pure discovery (this,
plainly, would leave no room for anything like a divine production of
quiddities in esse intelligibili), the answer to the question I have just
raised would be very simple indeed : the formal independence of the
formal status of quiddities is an immediate consequence of the fact that
a quiddity - and hence its formal status - is a self-subsistent entity. A
view of this sort cannot, however, be ascribed to Scotus, for the
following two reasons : first, according to it quiddities qualify as
primary - and not, contrary to what Scotus holds, secondary - objects
of the divine intellect ; 81 second, to hold, as Scotus does, that
quiddities are produced in esse intelligibili by the divine intellect is
flatly to deny that a quiddity is a self-subsistent entity. The formal
independence of the formal status of quiddities cannot, then, be taken
to be grounded in the quiddities themselves : “before” they are
produced in esse intelligibili by the divine intellect, quiddities and their
formal status have no modus essendi whatever,82 and, hence, no formal
independence either (on the plausible assumption that that which does
not exist, in any sense, however weak, of “exist”, has no properties).

therefore, only be the production - but not : the formal production - in esse deminuto
of the formal status of quiddities. A similar interpretation applies to Scotus’ claim that
“... cum [intellectus] composuerit [terminos compositionis], ut illa compositio sit
conformis terminis hoc videtur necessario sequi rationem terminorum quam habent ex
intellectu Dei, causante illos terminos in ‘esse intelligibili’ naturaliter” {Ord. I, d. 3,
pa. 1, q. 4, n. 268, Vat. III, 164 - italics mine).
81 Cf., "... primum obiectum intellectus divini... est sola essentia divina, et omnia
alia sunt tantum secundaria obiecta et producta aliquo modo in tali esse [read : in esse
obiecti] per intellectum divinum” (Ord. II, d. 1, q. 1, n. 18, Vat. VII, 10).
82 Cf., “Potest aliquid produci (licet non creari) de simpliciter nihilo, id est non de
aliquo secundum esse essentiae nec esse exsistentiae, nec secundum aliquod esse
secundum quid, - quia creatura producitur in esse intelligibili non de aliquo esse, nec
simpliciter nec secundum quid” (Ord. II, d. 1, q. 2, n. 84, Vat. VII, 44) ; “... in illa
productione, qua sic [aliquid] producitur in esse intelligibili, nihil praesupponitur ex
parte sui” (Lect. II, d. 1, q. 2, n. 82, Vat. XVTII, 27).
372 FABRIZIO MONDADORI

In other words, the reason why God, “when” he conceives of the


quiddity of (a) man, cannot but conceive of a quiddity which cannot but
have as “constituents” the “formalitas” expressed by “animal” and the
“formalitas” expressed by “rational”, could hardly be taken to lie in the
quiddity itself : for - Scotus holds - “before” the divine intellect
conceives of it, the quiddity of (a) man is devoid of any esseP And yet,
if the formal status of quiddities is indeed formally independent of the
divine intellect, that reason must somehow lie in the quiddities
themselves : all the more so, in fact, given that the qualification “et hoc
quocumcuque intellectu concipiente” (in “hoc est hoc et illud illud, et
hoc quocumque intellectu concipiente”) strongly suggests, at least on
the interpretation of it I have put forth earlier, not only that God’s
production of quiddities in esse intelligibili must be a law-governed
production, but, also, that that which governs such a production cannot
just be the principle of Contradiction (like the latter, “hoc est hoc” may

83 He also maintains, though, that quiddities are “virtually” contained in the divine
essence (see the passages referred to in fh. 85 below), and that the latter
“perfectissime omnia repraesentat” {Op. ox. IV, d. 50, q. 3, Wad. X, 639). In this
connexion, William of Alnwick has argued that “... essentia divina, secundum absolu­
tam perfectionem et infinitam, repraesentat omnia alia objecta secundaria, ... ; igitur
alia prius repraesentantur per essentiam quam intelligantur ab intellectu divino, non
ergo alia a Deo instituuntur in esse intelligibili per actum intelligendi divinum. Unde
Iohannes Dons, qui dicit quod creaturae instituuntur in esse intelligibili per actum
intelligendi divinum, et tamen quod essentia secundum absolutam perfectionem
repraesentat omnia alia, dicit expresse opposita, quia si essentia divina secundum
absolutam perfectionem repraesentat omnia alia, tunc sunt prius intellectui
repraesentata quam ab intellectu divino intellecta, et ita prius sunt intelligibilia quam
ab intellectu divino intellecta” {Quaestiones disputatae de esse intelligibili et de
quodlibet, ed. A. Ledoux, Florence, 1937, p. 137). Scotus’ view that quiddities are
produced in esse intelligibili by the divine intellect need not at all imply, however,
th a t- side-by-side with an esse intelligibile- the divine intellect bestows on
quiddities their intelligibility : analogously, the fact that “... Deus suo intellectu
producit possibile in esse possibili” {Ord. I, d. 43, q. un., n. 16, Vat. VT, 359) need not
at all imply that the possibility of the possible is (formally) grounded in the divine
intellect. (I note in passing that this is the correct way of understanding Poncius’
claim that “... quamvis creaturae quoad esse possibile essent obiectum secundarium
intellectus divini, non tamen propterea deberent recipere illud esse ab ipso”, Philoso­
phiae...cursus integer, ed. cit., p. 906b : talk of “esse possibile” is, plainly, talk of the
modal, not the ontological, status of the possible.)
THE INDEPENDENCE OF THE POSSIBLE 373

plausibly be regarded as a law of thought). I do not know how to solve


this problem.84 I will just point out, by way of conclusion, that the
solution to it may perhaps be found in Scotus’ contention, first, that
quiddities are “virtually” contained in the divine essence,85 and, second,
that the latter is the “primum motivum motione naturalz”86 of the
divine intellect : it appears to follow from this that the reason why God,
when he conceives of the quiddity of (say) a man, cannot but conceive
of a quiddity which cannot but have as “constituents” such-and-such
“formalitates”, is that his thinking is governed by the law which
“corresponds” to that quiddity.87

84 William of Alnwick may well have this problem in mind when he remarks that
“doctor iste [Duns Scotus] dicit frequenter quod res creabilis est ex se formaliter
possibilis esse, sicut chimera est ex se impossibilis esse, nec est alia causa quare lapis
est possibilis esse et chimera impossibilis esse, nisi quia lapis est lapis et chimera est
chimera, et hoc non arguit aliquam productionem” {Quaestiones disputatae..., ed. cit.,
p. 170). So may Poncius, in a passage in which he claims that “... nisi [creaturae] ex
se formaliter non repugnarent pro illo priori [the instant of nature “quo scientia Dei
terminatur ad obiectum primarium”, p. 906a], profecto non continerentur virtualiter
aut radicaliter in essentia divina, nec possent postea intelligi per modum possibilium”
(Philosophiae... cursus integer, ed. cit., p. 906b).
85 See Rep. par. I, d. 35, q. 2, n. 9 (Wad. XI/1, 198) ; Lect, Prol, pa. 2, qq. 1-3, n.
103 (Vat. XVI, 36-37) ; Ord. I, d. 10, q. un„ n. 41, adnotatio (Vat. IV, 371, 368-
369) ; Ord. I, d. 36, q. un., n. 39 (Vat. VI, 286) ; Ord. n , d. 1, q. 1, n. 26, textus
interpolatus (Vat. VII, 14-15); Collatio 31, n. 16 (Wad. Ill, 410). Montefortino’s
contention is relevant here, that (on Scotus’ view) “... divinus intellectus non intelligit
obiecta secundaria, secundum quod sunt in essentia, nam iuxta eum modum non sunt
quid distinctum ab illa : intelligit autem prout movetur in secundo signo ad
intellectionem eorum omnium, quorum rationes sunt in ipsa virtualiter secundum esse
intelligibile, atque ita secundario terminant divinam cognitionem per esse cognitum,
et possibile, et intelligibile, distinctum ab obiecto, in quo continentur virtualiter”
{Summa Theologica I, q. 14, a. 6, Rome, 1900, p. 354-355).
86 Quodl. XIV, n. 14 (Wad. XII, 376, italics mine).
87 Scotus’ contention is relevant here, that "... intellectio Dei, licet non sit
absolute causata, tamen ut est huius obiecti secundarii (puta lapidis) est quasi
principiata, et hoc ab essentia quasi ratione formali obiectiva aequivoca, - ... . Et
intellectionem, ut ‘huius’, esse quasi principiatam aequivoce, est ‘hoc’ principiari in
esse deminuto,..., sicut per speciem subiecti ‘principiari intellectionem passionis’ est
passionem ut actu intellectam principiari [implicitly at play here is a predication
“secundo modo dicendi per se”]” {Ord. I, d. 36, q. un., n. 39, Vat. VI, 286). This
374 FABRIZIO MONDADORI

makes it quite clear that, according to Scotus, the divine essence bears to the divine
production of quiddities in esse intelligibili the same relation which the “species of a
subject” bears to the “passiones” of the latter : the divine “principiado” of quiddities
in esse deminuto must, therefore, be a law-governed principiatio (on the plausible
assumption that for an “intellectio” to be “quasi principiata” is, among other things,
for it to take place according to a law of thought). The view I have just ascribed to
Scotus is best understood in the context of his claim that “Deus omnia causat vel
causare potest, - non irrationabiliter, ergo rationabiliter; ergo habet rationes secundum
quas format. Non autem eandem omnium, - ergo singula propriis rationibus format;
non autem rationibus extra se ..., ergo rationibus in mente sua” (Ord. I, d. 35, q. un.,
n. 39, Vat. VI, 261).
JOACHIM R. SÖDER

LA DOCTRINE SCOTISTE DE LA CONTINGENCE


DANS LA REPORTA TIO I A

Le monde sensible « se trouve dans ime dépendance telle qu’elle le


frappe de contingence jusque dans la racine de son être. ... Cette vision
métaphysique nous est aujourd’hui familière, car le monde chrétien
n’est pas seulement celui de saint Thomas, de saint Bonaventure et de
Duns Scot, c’est tout autant celui de Descartes, de Leibniz et de
Malebranche ; nous ne nous rendons plus compte que difficilement du
changement de perspective qu’elle suppose par rapport à la conception
grecque de la nature »L
Ces propos sont d’Etienne Gilson en 1932 ; à bon droit, il constate
que la conception antique du monde et la conception moderne se
distinguent l’une de l’autre fondamentalement. Généralement, l’univers
des philosophes anciens est caractérisé par une détermination radicale
de la part des causes naturelles. Faut-il s’étonner qu’à cette cosmologie
corresponde une ontologie analogue ? Parménide n’est pas du tout seul
à affirmer une connexion étroite entre le véritable étant et sa manière
d’être nécessaire. Les philosophes mégariques, par exemple, dont fait
mention Aristote dans le neuvième livre de la Métaphysique
(1046b29 et sq.), prétendent que seules les choses réelles seraient en
fait possibles. Ce qui n’est pas réel n’est pas non plus possible. La
possibilité se réduit à la facticité brute, c’est-à-dire, faute de possibilités
alternatives, à la pure nécessité.
Par contre, les temps modernes éprouvent le monde d’une manière
tout à fait différente. C’est l’être humain qui se sent « plastes et fictor

1 É. GILSON, L ’Esprit de la philosophie médiévale, Paris, Vrin, 1932, p. 74.


376 JOACHIM R. SÖDER

sui ipsius »2, qui se sent libre de se former et de se transformer soi-


même, ainsi que l’ensemble de son environnement. Le cosmos offre
une abondance inépuisable de possibilités. Rien n’est impossible -
« anything goes ». La liberté moderne repose sur une métaphysique de
la possibilité ou, autrement dit, sur une ontologie de la contingence.
Ainsi, les approches philosophiques de Heidegger ou de Sartre, par
exemple, s’efforcent toujours de tracer une philosophie qui rende
compte de la contingence universelle moderne. Selon Sartre, qui inter­
prète Heidegger, « le «Dasein» va réaliser la contingence du monde,
c’est-à-dire poser la question : «D’où vient qu’il y ait quelque chose
plutôt que rien ?» La contingence du monde apparaît donc à la réalité
humaine en tant qu’elle s’est installée dans le néant pour la saisir »3.
Pour Gilson, le changement de perspective qui survient entre
l’Antiquité et les Temps modernes est ime des contributions impor­
tantes de la philosophie chrétienne. Même si la conception gilsonienne
d’une « philosophie chrétienne » pose des problèmes intrinsèques, il est
cependant vrai que ce sont les penseurs médiévaux qui ont amené ce
bouleversement en s’efforçant d’élaborer une théorie cohérente et
consistante d’un monde créé par un créateur tout-puissant, omniscient
et parfaitement libre.
De nos jours, le rôle décisif joué par Duns Scot pour établir une
philosophie de la contingence est reconnu, grâce aux recherches effec­
tuées pendant les deux dernières décennies (je songe notamment aux
travaux de Simo Knuuttila4, d’Antonie Vos5 et de Ludger Honnefel-

2 G. PICO DELLA MIRANDOLA, Oratio de hominis dignitate, Stuttgart, Reclam,


1997, p. 8.
3 J.-P. SARTRE, L 'Être et le néant, Paris, Gallimard, 1994 (' 1943), p. 52.
4 Voir, entre autres, S. KNUUTTILA, « Duns Scotus’ Criticism of the ‘Statistical’
Interpretation of Modality », in Sprache und Erkenntnis im Mittelalter, eds. J. P.
Beckmann et a l, Berlin, W. de Gruyter, 1981 (Miscellanea Mediaevalia, 13/1), vol. I,
pp. 441-450 ; ID., «Time and Modality in Scholasticism», in Reforging the Great
Chain o f Being. Studies in the History o f Modal Theories, ed. S. Knuuttila, Dordrecht,
Reidel, 1981 (Synthese Historical Library, 20), pp. 163-257 ; ID., Modalities in
Medieval Philosophy, London-New York, Routledge, 1993 ; ID., «Duns Scotus and
the Foundation of Medieval Modalites », in John Duns Scotus. Metaphysics and
Ethics, eds. L. Honnefeider - R. Wood - M. Dreyer, Leiden, Brill, 1996 (STGMA,
53), pp. 127-143.
LA DOCTRINE SCOTISTE DE LA CONTINGENCE 377

der56). Mais quelques auteurs nous proposent des interprétations un peu


exagérées ou insuffisamment nuancées ; cela résulte de l’ignorance du
cours sur les Sentences donné par Scot à Paris il y a 700 ans.
Je me propose ici de montrer l’importance du cours parisien pour
la doctrine scotiste de la contingence.

I. L e s t r o is v e r s io n s
DU TRAITÉ DES FUTURS CONTINGENTS

Comme on sait, les questions posées par le problème de la


contingence sont traitées régulièrement aux distinctions 38 à 40 du
premier livre des Sentences de Pierre Lombard. Là, le thème de la con­
naissance de Dieu entraîne une discussion sur l’état ontologique des
choses ou des événements futurs et contingents. Ainsi, dans les
différentes versions du commentaire des Sentences de Scot, on trouve
au passage indiqué un traité détaillé de futuris contingentibus. Nous
possédons au moins trois rédactions authentiques de ce traité :
1) la plus ancienne est contenue dans les notes du cours fait à
Oxford (la Lectura Oxoniensis), qu’à la différence des éditeurs de la

5 A. VOS, Kennis en Noodzakelijkheid, Kämpen, I. H. Kok, 1981 ; ID., « On the


Philosophy of the Young Duns Scotus. Some semantical and logical aspects », in
Mediaeval Semantics and Metaphysics. Studies dedicated to L. M. de Rijk on the
Occasion o f his 60th Birthday, ed. E. P. Bos, Nijmegen, Ingenium, 1985, pp. 195-
220 ; ID. et al., Johannes Duns Scotus. Contingende en Vrijheid, Zoetermeer,
Meinema, 1992 (trad, anglaise : John Duns Scotus : Contingency and Freedom,
Dordrecht, Kluwer, 1994).
6 L. HONNEFELDER, Scientia transcendens. Die formale Bestimmung der Seiend-
heit und Realität in der Metaphysik des Mittelalters und der Neuzeit (Duns Scotus -
Suárez - W o lff-Kant - Peirce), Hambourg, Meiner, 1990 (Paradeigmata). Voir aussi
J. R. SÖDER, Kontingenz und Wissen. Die Lehre von den futura contingentia bei
Johannes Duns Scotus, Münster, Aschendorff, 1999 (BGPhMA, NF 49), Münster,
Aschendorff, 1999.
378 JOACHIM R. SÖDER

«Vaticane», Brampton, Wolter et Courtenay datent des années


1298/12997.
2) Les années suivantes, Duns Scot rédigea le cours pour le
publier. Ce remaniement manifestement inachevé est connu sous le titre
d'Ordinatio. Il est vrai que l’édition vaticane a repoussé en appendice
la seconde partie de la distinction 38 et la distinction 39, c’est-à-dire le
traité de futuris contingentibus ; cela, parce que le célèbre manuscrit
d’Assise (Biblioteca Comunale n° 137) présente une note marginale :
« ab isto loco est album in Scoto usque ad distinctionem quadrage­
simam » (fol. 90v). Duns Scot a-t-il donc négligé la doctrine de la
contingence, alors qu’il rédigeait VOrdinatio ? Allan Wolter a expliqué
de façon convaincante que 1’Ordinatio est loin d’être une œuvre d’un
seul tenant8. Scot y a rédigé beaucoup de questions les unes à la suite
des autres, selon le modèle de la Lectura. Mais parfois il a sauté l’une
ou l’autre question pour la reprendre ensuite et l’insérer dans des
espaces laissés disponibles. Ainsi, presque tous les manuscrits de
Y Ordinatio transmettent le traité de futuris contingentibus, dont
Timothy Noone a démontré l’authenticité9.
3) Le cours parisien sur les Sentences est conservé seulement par
des comptes rendus (reportationes) de qualité souvent médiocre, mani­
festement dus à des étudiants. Une version de qualité notoirement
mauvaise se lit dans les éditions faites par Luke Wadding et par Louis
Vivès. Par contre, il existe une reportatio dont le texte du premier livre
était corrigé par Scot lui-même comme en témoigne le manuscrit de
Vienne cod. lat. 1453 : « Explicit Reportatio super primum Sententia­
rum sub magistro loarme Scoto et examinata cum eodem venerando

7 Voir C. K. BRAMPTON, « Dims Scotus at Oxford 1288-1301 », Franciscan


Studies 24 (1964), pp. 5-20 ; A. B. WOLTER, « Dims Scotus at Oxford », in Via Scoti.
Methodologica ad mentem Ioannis Duns Scoti, ed. L. Sileo, Roma, Antonianum,
1995, vol. I, pp. 183-192 ; ID., « Reflections about Scotus’s Early Works », in John
Duns Scotus. Metaphysics and Ethics, op. cit. pp. 37-57 ; W. J. COURTENAY,
« Scotus at Paris », in Via Scoti. Methodologica ad mentem Ioannis Duns Scoti, op.
cit., vol. I, pp. 149-163. Par contre, dans l’introduction au volume XIX, les éditeurs de
la «Vaticane» donnent les années 1300/1301 ; voir L. MODRIC et al., «Prolego­
mena » (Vat. XIX, p. 33*).
8 WOLTER, « Reflections about Scotus’s Early Works », art. cit., p. 39.
9 Ibid., pp. 52-53 ; SÖDER, Kontingenz und Wissen, op. cit, pp. 8-9.
LA DOCTRINE SCOTISTE DE LA CONTINGENCE 379

doctore ». Cinq manuscrits transmettent cette Reportatio Parisiensis


authentique, qu’on cherche en vain dans l’édition Vivès ! J’ai édité
ailleurs ce traité des futurs contingents10.
Si l’on compare entre elles les trois versions du traité de futuris
contingentibus, cette comparaison fait apparaître d’une part la con­
nexion étroite entre la Lectura et 1’Ordinatio ; elle manifeste aussi
d’autre part la position particulière de la Reportatio.
Le texte de la Lectura présente pour ainsi dire le matériau de ce
qui est poli et peaufiné par 1’Ordinatio ; à quelques détails près, la
structure et la composition du traité sont pareilles. En tête de la disser­
tation, Scot pose cinq questions étayées par des arguments pour et
contre ; ces questions portent sur la détermination, l’infaillibilité, l’im­
muabilité et la nécessité de la connaissance divine, ainsi que sur la
compatibilité entre une telle connaissance et la contingence des choses.
Ces questions sont posées ensemble, parce que leur solution est
commune11. Ensuite, Scot esquisse trois conceptions traditionnelles
pour résoudre les questions soulevées : l’une recourt aux idées divines,
l’autre envisage l’éternité présente à toutes les choses temporelles ; la
troisième enfin prétend que les choses contingentes peuvent néanmoins
être nécessaires relativement à la Cause première. Aucune de ces
tentatives n ’est satisfaisante du point de vue philosophique. C’est pour­
quoi Scot élabore une solution propre en deux étapes. Il commence par
développer une nouvelle ontologie du contingent ; il vérifie ensuite la
compatibilité entre la contingence et la connaissance divine. La réponse
aux objections termine la distinction.
Venons-en à la Reportatio. Elle réorganise le traité totalement, en
disposant la matière sur deux distinctions séparées l’une de l’autre. Il
s’agit d’abord de quelques problèmes noétiques, à savoir la connais­
sance déterminée et infaillible de Dieu (dist. 38) ; vient ensuite l’onto­
logie des choses contingentes (dist. 39-40). Mais à la place de la discus­
sion sur la compatibilité, on trouve une question nouvelle, afférente à la
distinction 40 : « Est-il possible qu’une personne prédestinée soit

10 SÖDER, Kontingenz und Wissen, op. eit, pp. 225-270.


11 DUNS SCOTUS, Ord. I, d. 38/2-39, n. 1 (Vat. VI, 402) : «haec simul quaeri
possunt, quia per eadem simul solvuntur ».
380 JOACHIM R. SÖDER

damnée ? » {Utrum sit possibile praedestinatum damnari)12. Bien que


tous les éléments constitutifs du traité soient conservés, le remaniement
donne à Scot la possibilité d’apporter des précisions sur quelques
points, dont le rapport entre le temporel et l’éternité et la « contingence
double ». Je voudrais maintenant m’arrêter à ces deux points.

IL L e t e m p o r e l e t l ’é t e r n it é

Pour éclairer les relations du temporel avec l’éternité, le point de


départ est donné par la théorie traditionnelle mentionnée ci-dessus.
Selon cette théorie, l’éternité serait présente à toutes les choses existant
de manière spatio-temporelle. Le traitement de cette doctrine se trouve
déjà, je l’ai dit, dans la Lectura et Y Ordinatio, mais de façon courte et
réduite à l’essentiel. Dans la Reportatio, l’explication est plus détaillée
et vise un adversaire précis : Thomas d’Aquin. Scot cite presque tex­
tuellement la Somme de théologie (I q. 14 a.13)13 ; il renvoie au maître
dominicain par l’expression « ce docteur-là » {iste doctor)14, et il
l’appelle deux fois - fait insolite - par son nom : « Vide in prima parte
Summae Thomae»15 et « A d illud pro opinione Thomae ... »16.
Pourquoi cela ? La théorie thomasienne de l’intelligibilité du contin­
gent s’avère toutefois plus complexe et plus élaborée que la plupart des
théories contemporaines. Evidemment, Thomas d’Aquin a relevé
quelques unes des incohérences dans les approches traditionnelles.
Thomas réagit en distinguant deux modes d’approche : un événement
futur et contingent peut être considéré de manière double ; en ce qu’il
est en soi {in se ipso) ou en ce qu’il est par rapport à sa cause {ut in sua
causa). Par la considération « en soi », on envisage un fait pur, sans
aucune relation aux autres faits, ni passés, ni simultanés, ni futurs,

12 DUNS SCOTUS, Rep. I A, d. 39-40, n. 16, ed. J. R. Söder, Kontingenz und


Wissen, op. eit, p. 244 (ci-après : ed. Söder).
13 DUNS SCOTUS, Rep. I A, d. 38, nn. 14-15 (ed. Söder, 227-228).
14 DUNS SCOTUS, Rep. I A, d. 38, n. 16 (ed. Söder, 228).
15 DUNS SCOTUS, Rep. I A, d. 39-40, n. 10 (ed. Söder, 243).
16 DUNS SCOTUS, Rep. I A, d. 38, n. 51 (ed. Söder, 238).
LA DOCTRINE SCOTISTE DE LA CONTINGENCE 381

c’est-à-dire sans aucune temporalité ni modalité. Toutefois, une propo­


sition portant sur un fait pur peut être ou vraie, ou fausse. Par contre, la
considération « u t in sua causa» fixe l’attention sur la cause d’où
provient l’événement. En d’autres termes, l’événement est considéré
comme quelque chose devant être causé, c’est-à-dire en tant qu’il est
futur et en tant que la causalité s’exerce de manière nécessaire ou
contingente. Selon Thomas, un événement contingent futur en tant qu’il
est contingent et futur, n’est ni vrai ni faux ; mais si on le considère en
soi, il n’est ni contingent ni futur : il est vrai ou faux. Par conséquent,
c’est selon que Dieu considère une chose « u t in sua causa», qu’il
connaît cette chose en tant que future et contingente ; si, en revanche, il
la considère « en soi », alors elle s’impose comme vraie. C’est la
combinaison de ces deux considérations qui assure une connaissance
complète. Cependant, pour considérer toutes les choses en soi, non
seulement les choses actuelles, mais encore les choses passées et les
choses à venir, la condition requise est que le temporel soit présent à
l’éternité. Pour Thomas d’Aquin, il est donc tout naturel que Dieu
étemel « voie » tous les moments du temps, ou, autrement dit, que tous
les instants temporels (les « nunc » temporis) soient présents à l’instant
étemel (au « nunc » aeternitatis) et compris par lui. Dans le résumé que
Scot propose de l’opinion courante partagée par Thomas d’Aquin, il y a
une sorte de « coexistence » entre la temporalité et l’éternité.
C’est précisément le théorème que Duns Scot attaque en soutenant
le principe suivant : « ce qui tout simplement n ’est rien, n ’est pas
davantage présent réellement à ime chose » (illud quod nihil est simpli­
citer, nulli est praesens realiter)11. Les faits futurs n ’existent pas encore
et les faits passés n’existent plus ; il est donc absolument impossible
qu’ils soient présents à l’éternité. Seul l’instant actuel peut coexister
avec l’éternité, parce que seul à vrai dire il existe. Ceci est la simple
conséquence de la logique des relations : ce qui n’existe pas, n’a aucun
rapport à rien ; ce qui n’existe pas, ne coexiste pas non plus. Malgré
son omniprésence, même Dieu ne peut être présent à un moment qui
n ’existe pas encore, pas plus qu’il ne peut coexister à un lieu inexistant,
malgré son ubiquité.17

17 DUNS SCOTUS, Rep. I A, d. 38, n. 21 (ed. Söder, 229).


382 JOACHIM R. SÖDER

D’après Scot, cela entraîne la chute de la condition préalable au


bon fonctionnement de la théorie de la considération double. Car si
même Dieu ne peut être présent qu’au seul moment actuel, alors la
considération « en soi » ne peut porter que sur des faits présents ; les
faits à venir lui échappent. Il en résulte que même Dieu ne peut
connaître la vérité d’une proposition relative à un fait futur et contin­
gent. En outre, poursuit Scot, considérer un fait actuel « en soi »,
supposerait que la connaissance divine se laisserait déterminer par
quelque chose de non-divin ; c’est-à dire que Dieu, voulant reconnaître
quelque chose, dépendrait du non-divin.
Dans la Lectura et Y Ordinatio, Scot avait déjà rejeté les théories
les plus grossières de la « coexistence » entre le temporel et l’étemel.
Dans la Reportatio, ce qu’il discute expressément et en détail est, sur ce
point, l’approche plus fine et plus élaborée de Thomas d’Aquin. Le
résultat reste le même : à ses yeux, la théorie de la double considération
n’est pas en mesure de garantir la connaissance infaillible des faits
futurs et contingents.

III. LA « CONTINGENCE DOUBLE »

C’est la raison pour laquelle, sur le thème de la contingence, Scot


est amené à concevoir une doctrine d’un type nouveau et plus appro­
fondie. Ce qui caractérise cette doctrine, est que, de mode d’être, la
contingence est réduite à n’être qu’un mode d’agir, subordonné à la
volonté. C’est à la volonté qu’il appartient de choisir entre un état A ou
l’état opposé non-A. Ainsi, pour Scot le concept du contingent signifie
un état « dont le contraire aurait pu arriver au moment où il arrivait »
(cuius oppositum posset fieri quando istud fit)is. En choisissant entre
ces deux états opposés, la volonté destine l’un de ceux-ci à être réalisé
et rejette l’autre. Mais de quelle volonté Scot parle-t-il ? Le contexte du
traité - la connaissance divine - donne l’impression que seule la volon­
té divine est source et principe de la contingence. C’est seulement pour18

18 DUNS SCOTUS, De primo principio IV, 4, n. 56 (ed. Kluxen, 70) ; Ord. I, d. 2,


pa. 1, qq. 1-2, n. 86 (Vat. II, 178).
LA DOCTRINE SCOTISTE DE LA CONTINGENCE 383

faire comprendre l’exercice de la volonté divine, que la Lectura et


Y Ordinatio la comparent à la volonté humaine. Il n ’empêche que quel­
ques interprètes persistent à affirmer que, pour Scot, seule la volonté
divine fait fonction de principe du contingent ; seule donc la volonté
divine est libre de poser des choix contraires, le corollaire étant que la
volonté humaine est déterminée absolument par la volonté divine19.
Ainsi, par exemple, peut-on lire dans une étude récente que la
conception scotiste de la contingence dite « simultanée » ou « syn­
chronique » - c’est-à-dire la structure logico-ontologique des possibili­
tés alternatives - concerne exclusivement le vouloir divin, tandis que la
volonté humaine est soumise à la contingence traditionnelle, dite « suc­
cessive » ou « diachronique », à savoir que l’homme peut vouloir des
choses différentes à des moments différents. L’auteur anglophone tâche
de justifier cette interprétation, en prétendant que Scot cache ses con­
victions véritables :
Scotus mention one reason for this [à savoir le vouloir humain diachro­
nique] - man’s mutability. He does not develop the point : he does not
mention the other reason : at any one time man’s will is determined by
God to choose X20.

A mon avis, une telle interprétation passe à côté de la conception


scotiste spécifique, déjà ébauchée dans les versions antérieures du traité
de la contingence. Car dans la Lectura aussi bien que dans Y Ordinatio,
Scot explique les traits caractéristiques de la volonté de Dieu en la
comparant à la volonté humaine. Ce que vise Scot par cette com­
paraison, c’est la mise en œuvre d’un concept transcendantal de volonté
absolue, en tant que « volonté » est l’une des perfections pures de
l’étant {perfectiones simpliciter). Il est vrai que, par la suite, Scot envi­
sage seulement la volonté divine pour expliciter la connexion entre le
contingent et sa source. Il ne faut toutefois pas négliger le fait que la

19 D. C. LANGSTON, God’s Willing Knowledge, University Park (PA), Pennsyl­


vania State University Press, 1986 ; M. SYLWANOWICZ, Contingent Causality and
the Foundation o f Duns Scotus' Metaphysics, Leiden, Brill, 1996 (STGMA, 51), p.
201 : « at any one time man’s will is determined by God to choose X. » - Voir aussi
T. WILLIAMS, « The Unmitigated Scotus », Archiv fu r Geschichte der Philosophie
80 (1998), pp. 162-181.
20 SYLWANOWICZ, Contingent Causality, op. citi, p. 201.
384 JOACHIM R. SÖDER

question de la connaissance de Dieu est le contexte même du traité de


futuris contingentibus.
Selon l’auteur cité, la rédaction parisienne du commentaire des
Sentences est totalement négligeable en ce qui concerne le thème de la
causalité contingente. Ceci est la conséquence d’une méprise fatale : la
confusion de la Reportatio autorisée par Scot lui-même avec la version
contenue dans les éditions de Wadding et de Vivès sous le titre
Reportata Parisiensia. En effet, bien qu’admettant l’authenticité de la
Reportatio examinée, notre interprète croit qu’elle peut être identifiée à
tel abrégé mesquin présenté par les Reportata. D’où sa conclusion :
A comparison of the Lectura and the Ordinatio shows that the material
from the Reportata does not add anything essential - nor does any impro­
vements made by the author21.

Est-ce que cela est vrai ? Nous allons voir.


Dans la Reportatio, livre premier, dist. 39-40, après avoir dissipé
quelques difficultés épistémologiques, Scot commence l’exposition du
statut ontologique du contingent. Il constate expressément que la con­
tingence des choses dépend de deux sources : toutes les choses créées
sont contingentes par rapport à la cause première, à savoir la volonté
divine qui agit absolument de manière libre, c’est-à-dire de manière
contingente. Mais par rapport aux causes secondes, certaines choses
sont causées de manière nécessaire (les choses naturelles qui survien­
nent de manière résolument déterminée), alors que d’autres choses sont
causées par décision de la volonté humaine ; elles sont alors produites
doublement de manière contingente :
Aliquid potest dici dupliciter contingens ex parte suae causae, sicut actus
voluntatis meae habet duplicem causam contingentiae, unam ex parte
voluntatis divinae sicut causae primae et aliam ex voluntate mea ut ex
secunda causa22.

La volonté humaine fait ainsi fonction d’origine véritable de la


contingence des choses et cela lui vient du fait qu’elle a part à quelques
perfections de la volonté divine, notamment le pouvoir de se référer en
même temps aux contraires {potentia simul esse ad opposita), c’est-à-

21 Ibid., p. 20.
22 DUNS SCOTUS, Rep. I A, d. 39-40, n. 36 (ed. Söder, 249).
LA DOCTRINE SCOTISTE DE LA CONTINGENCE 385

dire bien entendu de décider en faveur tantôt de l’un ou tantôt de


l’autre, séparément donc (divisim ... non autem ... coniunctim, quìa hoc
implicat contradictoria)23. Duns Scot explique une telle aptitude de la
manière suivante : au moment où notre volonté veut quelque chose
(appelons cela A), elle pourrait vouloir la chose contraire, non-A.
Voluntas nostra in illo instanti in quo elicit velle ... vult contingenter, et in
eodem instanti... posset velle oppositum24.

C’est exactement - souvenons-nous en - le critère de la définition


scotiste du contingent.
Voici en quoi consiste la théorie de la modalité double. Fondamen­
talement toutes les choses dépendent de la volonté divine, qui les crée,
en choisissant librement parmi les innombrables possibilités. La plupart
des choses ainsi déterminées à être réalisées sont produites par des
causes naturelles, qui agissent de manière nécessaire. Ces choses sont -
pour ainsi dire - contingentes-nécessaires : elles sont contingentes par
rapport à la Cause première, et nécessaires par rapport aux causes
secondes et prochaines, de sorte que leur nécessité est conditionnée par
le mode d’agir de la Cause suprême. Mais toutes les œuvres produites
par l’homme, c’est-à-dire avec le concours de la volonté humaine, sont
contingentes à un double titre : et par rapport à la volonté divine et par
rapport à la volonté humaine. On ne trouve donc dans ces œuvres rien
de nécessaire.
in omnibus effectibus vel rebus a nobis volitis in quantum huiusmodi,
nulla est necessitas, sed contingentia tantum25.
Le monde formé et transformé par l’homme est résolument le
domaine de la contingence.

23 DUNS SCOTUS, Rep. I A, d. 39-40, n. 41 (ed. Söder, 251).


24 DUNS SCOTUS, Rep. I A, d. 39-40, n. 43 (ed. Söder, 251).
25 DUNS SCOTUS, Rep. I A, d. 39-40, n. 38 (ed. Söder, 249).
386 JOACHIM R. SÖDER

Donc, la métaphysique scotiste du contingent repose sur deux


principes : d’une part sur l’élaboration de la structure synchronique des
possibilités alternatives ; d’autre part sur la conception de la volonté
comme perfection pure. Ce concept transcendantal permet à Scot de
développer une théorie de la causalité contingente, applicable aussi
bien à la cause première, Dieu, qu’à la cause seconde agissant de façon
contingente, la volonté humaine26. C’est de la sorte que Scot pose les
fondement d’une philosophie de la liberté, qui est à l’aube des Temps
modernes27.

Universität Bonn

26 Voir L. HONNEFELDER, La métaphysique comme science transcendantale


entre le Moyen Age et les Temps modernes, trad. I. Mandrella - O. Boulnois - J.
Greisch - Ph. Capelle, Paris, PUF, 2002 (Chaire Etienne Gilson).
27 Je remercie chaleureusement Roland Hissette pour avoir corrigé et amélioré
mon français. Toutes les maladresses restantes sont miennes.
JOËL BIARD

DUNS SCOT ET L ’INFINI DANS LA NATURE

Que Scot tienne une place centrale dans les théories de l’infini est
une chose bien connue. L’infini est à tel point au cœur de sa doctrine
qu’il paraît même difficile de lui assigner un statut précisément
déterminé. Je n ’ai évidemment pas l’intention d’envisager ici les divers
aspects de la doctrine scotiste de l’infini, mais de revenir sur un point
parfois minimisé, voire éclipsé, à savoir la place qu’a pu tenir Scot dans
l’émergence d’une conception métaphysique et physique de l’infini.
Certes, chez lui, les aspects physiques et métaphysiques ne sauraient
être dissociés de l’aspect théologique, mais il me paraît important de
revenir, pour l’évaluer, sur le rôle joué par Scot dans l’émergence au
Moyen Age tardif, d’une conception positive de l’infini dans la nature.
Cela peut paraître paradoxal puisque, à certains égards, l’infinité
considérée par Scot comme mode de l’être divin implique, de soi, une
distance infinie avec les créatures. Pourtant, si la condition pour une
pensée pleinement positive de l ’infini dans la nature, qui se déploiera à
la Renaissance et à l’Age classique, est un retournement positif qui
renverse définitivement l’interdit aristotélicien porté à l’encontre de
l’infini en acte, le rôle de Scot est irremplaçable. Certes, il existe depuis
des siècles une appréhension positive de l’infinité de la puissance
divine, qui est sans limite puisque « rien n’est impossible à Dieu »L
Cette illimitation de la puissance a été portée à son comble par Pierre
Damien puisqu’elle pourrait aller jusqu’à annuler le passé. Les grands
théologiens du XIIIe siècle admettent tous que la puissance est infinie.
Mais on sait que le lien entre infinité et essence reste problématique.
L’infini reste une catégorie relevant de la quantité, comme telle
inadéquate à l’être ou à l’essence. Si donc les théologiens du XIIIe siècle
admettent, à partir de la Summa halensis, que l’infinité peut qualifier

1 Genèse, 18,14.
388 JOËL BIARD

l’essence divine, cela reste généralement en un sens négatif2- Même si


Thomas d’Aquin distingue un sens négatif et un sens privatif de l’infini
(qui convient à la quantité de la dimension ou du nombre), il n’en reste
pas moins que « en Dieu l’infini est entendu de manière seulement
négative, car il n ’y a ni terme ni fin à sa perfection »3. Il est revenu à
Henri de Gand de renverser le concept d’infini en faisant de la ratio
infiniti une ratio determinata positiva4, exprimant au plus haut point la
dignité de Dieu. Pour Henri, il faut ajouter aux acceptions négative et
privative une acception pleinement positive de l’infini5, même si le
terme reste négatif par son mode de signification et d’attribution6. Scot
va exploiter et prolonger ce renversement en faisant de l’infinité le
mode d’être de Dieu. Ce faisant, au delà d’une telle assignation théolo-

2 Voir A. CÔTÉ, « Les grandes étapes de la découverte de l’infinité divine au


XIIIe siècle », in Actualité de la pensée médiévale, eds. J. Follon - J. McEvoy,
Louvain, Peeters - Louvain-la-Neuve, Editions de l’Institut Supérieur de Philosophie,
1994 (Philosophes médiévaux, 31), pp. 216-246; ID., L'Infinité divine dans la
théologie médiévale (1220-1255), Paris, Vrin, 2002 (Etudes de Philosophie
Médiévale, 84).
3 THOMAS DE AQUINO, ScG I, c. 43 : « Quod Deus est infinitum » (Leon. XIII,
124-125) ; trad. C. Michon, Paris, Garnier-Flammarion, 1999, p. 245.
4 Voir HENRICUS DE GANDAVO, Summae quaestionum ordinarium (reprint of
the 1520 edition), art. XIV, qu. 2, 2 voi., The Franciscan Institute, St. Bonaventure,
New York - Louvain - Paderborn, 1953, vol. Il, P XVv - XVIr, G-H : « Unde, cum
nihil potest esse actu infinitum quin sit perfectissimum et summe totum, licet
infinitum in potentia rationem imperfecti et partis habet [...], tunc demum dicitur
aliquid vere infinitum cum perfectioni sue et totalitati eius non potest fieri additio.
Quod non solum est propter negationem vel privationem finis consumentis, sed magis
propter protensionem que omnem huiusmodi finem excludit. Et est vera ratio positiva,
non ultra rationem positivam in nomine imperfecti vel totius ita quod sit extra ipsum,
sed quae est inclusa in ipsa ut in confuso, et explicata determinate nomine infiniti
[...]. Et sic ratio infiniti est ultima ratio determinata positiva quae in re quacumque
potest haberi. Et exprimit summe rationem dignitatis divine ».
5 « Est infinitum secundum istum [tertium] modum vere positivum alicuius in re »
(ibid., fi* XTVv R) ; « veram positionem vel affirmationem asser<i>t et includit »
(ibid., P XTVv S).
6 « Et sic quo ad modum significandi et nominis impositionem finitum magis
significat aliquid positive quam infinitum. Quantum tamen ad rem intentam
significari est econverso » (ibid., P XVv F).
DUNS SCOT ET L’INFINI DANS LA NATURE 389

gique de l’infini, il libère véritablement une approche positive de l’in­


fini qui aura des suites dans tout le Moyen Age tardif.
Je partirai pour cela de la question 5 du Quodlibef, qui aurait été
disputé à Paris à Noël 1306 ou Pâques 1307, un des derniers textes de
Scot par conséquent, dont l’authenticité n’est pas douteuse. Il s’agit de
questions théologiques, et la question 5 porte sur l’infinité des relations
en Dieu. Mais la démarche est à la fois porteuse d’enseignements et
riche de résultats en ce qui concerne la portée proprement philosophi­
que de la doctrine scotiste.

I. L ’INFINI EN ACTE DANS LA QUESTION 5 DU QUODLIBET

D ’une certaine façon, toute l’histoire de la pensée médiévale de


l’infini est un long retournement de l’interdit porté par Aristote à
l’encontre de l’être en acte de l’infini. Si certains éléments du néo­
platonisme pouvaient suggérer une puissance infinie de l’Un en tant
que premier principe, le cadre aristotélicien dominant en métaphysique
et en philosophie naturelle au sein de l’université médiévale rendait
difficile une pensée positive de l’infini. Il faudra attendre le
XVIIe siècle, et encore non sans difficulté comme en témoigne la pensée
cartésienne, pour admettre une pleine actualité de l’infini dans le
monde et la caractériser positivement.
La question 5 du premier Quodlibet est consacrée à la relation in
divinis. C’est dire que le divin est le cadre primordial dans lequel se
pose la question de l’infinité :7

7 Voir Quaestiones quodlibetales in Obras del Doctor Sutil Juan Duns Escoto,
Madrid, 1968 ; cette édition comprend le texte latin (texte de l’édition Wadding/Vivès
avec des divisions et une numérotation) et une traduction espagnole ; une traduction
anglaise a été publiée sous le titre : JOHN DUNS SCOTUS, God and Creatures. The
Quodlibetal Questions, transi, with an Introd., Notes and Glossary by F. Alluntis, O.
F. M. and A. B. Wolter, O. F. M., Princeton, Princeton University Press, 1975.
390 JOËL BIARD

Queritur de relatio originis in divinis quantum ad perfectionem suam


intrinsecam. Et est questio : utrum relatio originis sit formaliter infinita8.

Pour Scot le concept d’étant infini est le plus haut concept que
l’on puisse se faire du premier principe, si bien que le concept d’infini
est la voie privilégiée pour démontrer son existence9. Mais ce que je
voudrais souligner ici, c’est que, dans cette question théologique, c’est
à partir d’Aristote et d’une manière toute philosophique, impliquant la
physique et accessoirement la théorie des catégories, donc la
métaphysique, que Scot introduit des remarques fondamentales sur
l’infini.
L’article premier a pour fonction d’élucider le sens de la question.
Or c’est là que Scot part de l’infini au sens physique, et non pas de la
toute-puissance ou de l’idée de perfection - dont le lien avec l’infinité a
pourtant été suggéré dans l’argument quod sic101. Plus exactement, il
part de l’infini en se référant à la Physique d’Aristote. Partant ainsi du
livre III de la Physique, on rencontre classiquement une notion
quantitative de l’infini, qui est liée à l’inachèvement :
« Infinitum » secundum philosophum III. Physicorum « est cuius quantita­
tem accipientibus, id est quantumcumque accipientibus, semper aliquid
restat accipere »u .

Le Philosophe ne parlerait que de l’infini en quantité, lequel n’a


d’être qu’en puissance et en devenir {infierì). Ce qu’ajoute Scot et qui
aura de l’importance pour la suite, est qu’il n’a pas la nature {ratio)

8 DUNS SCOTUS, Quodl. V, n. 1 (ed. W o lter-Alluntis, 166).


9 Voir par exemple DUNS SCOTUS, Tractatus de primo principio, in ID., Traité
du Premier Principe, ed. W. Kluxen, tr. fr. J.-D. Caviglioli - J.-M. Meilland - F.-X.
Putallaz, sous la direction de R. Imbach, Paris, Vrin, 2001, pp. 182-183. Pour une
analyse plus complète, voir A. GHISALBERTI, «Ens infinitum e dimostrazione
dell’esistenza di Dio in Duns Scoto », in John Duns Scotus. Metaphysics and Ethics,
eds. L. Honnefelder - R. Wood - M. Dreyer, Leiden - New York - Köln, Brill, 1996
(STGMA, 53), pp. 415-434.
10 DUNS SCOTUS, Quodl. V, a. 1, n. 3 (ed. Wolter - Alluntis, 166) : « Quicquid
est formaliter infinitum est perfectio simpliciter ».
11 DUNS SCOTUS, Quodl. V, a. 1, n. 5 (ed. Wolter - Alluntis, 167). Cf.
ARISTOTE, Phys. Ill, c. 6, 207a7-9.
DUNS SCOT ET L’INFINI DANS LA NATURE 391

d’un tout, d’une totalité. De fait, pour Aristote, le tout, lié à la perfec­
tion, ne peut être que fini et exempt de cette indétermination qu’im­
plique l’infinité.
Ce qui est essentiel dans le passage que Scot cherche à opérer de
cet infini en puissance et en devenir à l’infini positif et en acte, c’est la
double étape de ce processus. En premier lieu, on va imaginer un infini
quantitatif en acte :
Commutemus rationem infiniti in potentia in quantitate in rationem infiniti
in actu in quantitate12.

Là réside la véritable subversion de l’interdit aristotélicien. On ne


se contente pas de poser, en dehors, un tout autre infini ; on retourne
l’instrument aristotélicien, naturel et philosophique. Comment procède-
t-on ? On imagine que toutes les parties d’un infini quantitatif, qui ne
sont jamais données ensemble, comme une totalité, mais qui n ’ont
d’être que les une après les autres (pensons à ce qu’Aristote dit d’une
journée, par exemple), puissent être prises ensemble :
[...] imagineremur omnes partes acceptibiles esse simul acceptas vel simul
remanere [...]. Et omnes illae partes, quae in infinita successione essent
reductae in actum et haberent esse post alias, tunc simul essent in actu
conceptae13.

Certes, cette étape est destinée seulement à soutenir la conception


d’un autre infini, non quantitatif. Certes, elle repose sur l’imagination
et, paradoxalement, cet infini en acte n ’a pas d’être en dehors de la
pensée qui l’imagine. Mais cet artifice permet néanmoins de montrer
qu’on peut bien penser un infini en acte qui réponde aux requisits de
totalité et de perfection parce qu’il ne laisserait rien en dehors de lui,
contrairement à l’infini en puissance dont parlait Aristote : « illud
infinitum in actu vere esset totum, et vere perfectum totum, quia nihil
sui esset extra »14.
Alors, sur ce modèle de pensée, on peut construire le concept d’un
autre infini, qui ne soit pas seulement un infini quantitatif, contraire­

12 DUNS SCOTUS, Quodl. V, a. 1, n. 6 (ed. Wolter - Alluntis, 168).


13 Ibid.
u Ibid.
392 JOËL BIARD

ment à la limitation aristotélicienne généralement admise au siècle


précédent. Ce qui est acquis, c’est l’infini in actu ; ce dont il s’agit,
c’est de passer à l’infinité du point de vue de l’étant et non pas du point
de vue de la quantité. Ou, plus exactement, du point de vue de Ventitas,
donc de ce qui fait d’un étant un étant - si l’on peut dire sans pour
autant en faire une cause ou ime raison. Bref, un infini in entitate in
actu. On ne peut traduire entitas par entité puisqu’en français ce terme
en est venu à désigner quelque chose de particularisé (une entité) ; nous
n ’avons donc d’autre choix que le barbare « étantité ».
Nous ne sommes plus dans le domaine de l’imagination : Scot
emploie maintenant le verbe « intelligere »15. Cela ne veut pas dire que
cet infini puisse être parfaitement compris, du moins par l’esprit fini
d’une créature, comme nous en prévient la conclusion 9 du Traité du
premier principe16. Il peut néanmoins être intelligé17- nous sommes ici
proches de Descartes. L’infini que chercher à définir Scot est donc posé
comme étantité infinie, c’est-à-dire totalité parfaite du point de vue de
l’étantité, ne laissant rien en dehors d’elle de sorte que rien ne lui fait
défaut. C’est donc une sorte de maximum, bien que ce maximum se
définisse en dehors de toute proportionnalité mathématique. Mais il ne
peut être excédé : « non potest ab aliquo in entitate excedi »18 ; en
revanche, on peut dire qu’il excède en étantité tout étant fini :
Ens infinitum est quod excedit quodcumque ens finitum, non secundum
aliquam determinatam proportionem, sed ultra omnem determinatam
proportionem vel determinabilem19.

Dire qu’il est totalité, c’est dire qu’il n’a rien en dehors de lui.
Cette thèse peut faire difficulté si l’on reste dans une perspective
quantitative. L’étant infini devient ainsi le Un totalisant. Scot, on s’en

15 DUNS SCOTUS, Quodl. V, a. 1, n. 7 (ed. Wolter - Alluntis, 168).


16 DUNS SCOTUS, Tractatus de primo principio, c. 4, conci. 9, ed. cit., pp. 162-
163 : « Te esse infinitum est incomprehensibilem a finito ».
17 Voir à ce propos DUNS SCOTUS, Ord. I, d. 2, pa. 1, q. 2, n. 136 (Vat. H, 208) :
« [...] intellectus, cuius obiectum est ens, nullam invenit repugnantiam intelligendo
aliquod infinitum, immo videtur perfectissimum intelligibile ».
18 DUNS SCOTUS, Quodl. V, a. 1, n. 7 (ed. Wolter - Alluntis, 168).
19 DUNS SCOTUS, Quodl. V, a. 1, n. 9 (ed. Wolter - Alluntis, 169).
DUNS SCOT ET L’INFINI DANS LA NATURE 393

doute, ne se laisse guère tenter par un tel monisme à tendance


panthéiste. Il faut désormais récuser toute approche quantitative :
Ipsum est cui nihil entitatis deest, eo modo quo possibile est illud haberi in
aliquo uno ; et hoc prò tanto additur, quia non potest in se realiter et
formaliter per identitatem omnem entitatem habere20.

Il convient de passer d’une appréhension quantitative à l’idée d’un


infini intensif21. Les notions de totalité et de parties semblent perdre
tout sens. D ’où l’insistance : « non quod ibi sit proprie proportio talis
qualis utuntur mathematici »22. Mais elles étaient un passage nécessaire
comme l’atteste l’usage, fut il détourné et plié à cette pensée d’un infini
intensif, des notion de maximum, de totalité, d’excès.
Que retenir de ce passage ? En premier lieu que Scot, précisant ce
que peut être l’intellection de l’infini, procède par voie purement
naturelle et philosophique. Il n ’a d’ailleurs pas encore nommé cet infini
« Dieu » ni même « premier étant » ; il en a simplement construit le
concept. L’infinité est saisie intellectuellement par voie d’une remontée
à partir des étants finis, non pas par la révélation, ni par l’amour infini.
En deuxième lieu, que si Aristote n ’est ici qu’un point de départ à
dépasser, c’est dans le domaine de l’infini quantitatif qu’est avancée la
première notion d’infini en acte, par travail négatif à partir de la
définition aristotélicienne de l’infini en puissance. Que cette notion
relève de l’imagination ne change rien au fait qu’elle serve de modèle
théorique pour penser l’infim en étantité.
En troisième lieu, cet infini en étantité, qui est aussi dit « infinité
intensive »23, est bien lié à une certaine idée de l’étant ou de l’être. Il
s’agit de penser un étant infini, même si le rapport de l’étantité à
l’infinité ne saurait être celui d’une propriété, à plus forte raison d’une
détermination. C’est pourquoi Scot poursuit en établissant que l’infinité
est un « mode intrinsèque de l’étant » :

20 Ibid.
21 DUNS SCOTUS, Quodl. V, a. 1, n. 8 (ed. Wolter - Alluntis, 169).
22 DUNS SCOTUS, Quodl. V, a. 1, n. 9 (ed. Wolter - Alluntis, 170).
23 DUNS SCOTUS, Quodl. V, a. 1, n. 10 (ed. Wolter - Alluntis, 170) ; voir déjà
ibid., n. 8 (ed. Wolter - Alluntis, 169).
394 JOEL BIARD

Ex hoc sequitur quod infinitas intensiva non sic se habet ad ens, quod
dicitur infinitum tanquam passio extrínseca adveniens illi enti ; [...] imo
infinitas intensiva dicit modum intrinsecum illius entitatis, cuius est sic
intrinsecum, quod circumscribendo quodlibet quod est proprietas vel quasi
proprietas eius, adhuc infinitas eius non excluditur24.

Ainsi l’on peut dire que Scot, tout en se tenant au plus près de la
question qu’Henri de Gand avait consacrée au même sujet, en dépasse
certaines apories. Henri de Gand, en effet, continuait à lier infinité et
quantité, même s’il lui fallait pour cela, dans la première question de
l’article XLIV, distinguer grandeur matérielle et grandeur spirituelle25,
et si le dépassement de l’infini en puissance passait bien par
l’émergence d’une totalité parfaite :
De infinito enim in creaturis dicit Philosophus quod est illud cuius
quantitatem accipientibus semper est aliquid accipere extra. Nos autem de
infinito in Deo dicimus esse quod est illud cuius quantitatem accipientibus
nihil est accipere extra. Propter quod infinitum in Deo habet rationem
totius et perfecti26.

C’est la dissociation des étapes qui permet à Scot, en affirmant


l’imagination d’une infinité en acte quantitative, de penser ensuite ime
infinité entitative libérée de toute considération quantitative27, et de

24 DUNS SCOTUS, Quodl. V, a. 1, n. 10 (ed. Wolter - Alluntis, 170). C’est


pourquoi dans 1’Ordinatio, le concept d’étant infini est dit aussi « le plus simple », car
il ne compose pas un sujet et un accident : cf. Ord. I, d. 3, pa. 1, q. 2, n. 58 (Vat. III,
40) : «Iste enim est simplicior [...] quia «infinitum» non est quasi attributum vel
passio entis, sive eius de quo dicitur, sed dicit modum intrinsecum illius entitatis, ita
quod cum dico ‘infinitum ens’, non habeo conceptum quasi per accidens, ex subiecto
et passione, sed conceptum per se subiecti in certo gradu perfectionis, scilicet
infinitatis » ; trad. fr. O. BOULNOIS, Duns Scot. Sur la connaissance de Dieu et
l ’univocité de l'étant, Paris, PUF, 1988 (Epiméthée), p. 110.
25 HENRICUS DE GANDAVO, Summae quaestionum ordinarium, a. 44, q. 1, ed.
cit, f° x n v F-G.
26 Ibid., f° Xllr F.
27 La mesure de la perfection n’est pas pour Scot d’ordre quantitatif. Dans la
distinction 19 de Y Ordinatio, question 1, Scot évoque ainsi ime «magnitudo sine
quantitate » (Vat. V, 273-276) ; voir à ce sujet F. LOIRET, Volonté et Infini chez Duns
Scot, Paris, Kimé, 2003, pp. 411-414.
DUNS SCOT ET L’INFINI DANS LA NATURE 395

faire de l’infinité un mode intrinsèque de l’étant infini. Scot va bien


distinguer différentes sortes de grandeurs, mais l’une sera quantitative,
l’autre, la grandeur de perfection, ne le sera pas. L’étant fini dira alors
un degré d’imperfection par rapport à la totalité et la perfection de
l’étant infini. C’est l’infinité qui donne la mesure de l’étantité parfaite,
à l’aune de laquelle tout étant fini est imparfait28. Cela n’empêche
nullement que cette idée métaphysique de l’infini soit ici atteinte par
remontée à partir des étants finis et de l’infinité en puissance de la
nature29- Sans doute l’ensemble de la doctrine scotiste de l’infini ne s’y
réduit-elle pas. Mais ce faisant, Scot ouvre la porte à des interrogations
qui s’avéreront ultérieurement fécondes.

IL L a PUISSANCE INFINIE

L’article II de la même question, ainsi qu’un certain nombre de


réponses aux objections dans l’article III refusent d’assimiler l’infinité
essentielle à l’une ou l’autre des relations qui caractérisent les
personnes divines, même si la relation peut être considérée dans son
identité essentielle à l’étant infini et si, de ce point de vue, l’infinité lui
convient. La question 7, qui porte sur la démontrabilité de la toute-
puissance, revient sur l’infinité dans la réponse aux arguments, à
propos de la puissance. La question de l’infinité de la puissance est au
centre de divers enjeux, qui méritent chacun d’être situés dans un
contexte plus large et dans leur histoire.
En premier lieu, la puissance est à la base de l’engendrement (c’est
pourquoi elle désigne la relation du Père aux autres personnes) et de la
création (pour autant que celle-ci a à se différencier du concept
aristotélicien de génération). De longue date, la puissance a été tenue

28 DUNS SCOTUS, Quodl. V, a. 3, n. 57 (ed. Wolter - Alluntis, 198) : « Infinitas


in entitate dicit totalitatem in entitate, et per oppositum suo modo finitas dicit
partialitatem entitatis ».
29 Que l’on aborde ainsi quelque chose qui est ontologiquement premier ne fait
aucun doute. Ce que je veux souligner ici c’est qu’il n ’est nul besoin de présupposer
l’infinité de la charité pour atteindre cette intelligence-là de Tinfinité.
396 JOËL BIARD

pour infinie, plus aisément que l’essence divine elle-même, puisqu’elle


peut être mesurée, ou du moins évaluée, à raison de ses effets30. On
trouve en effet affirmée l’infinité de la puissance divine dans le Livre
des Sentences de Pierre Lombard, au début de la distinction 4331, et elle
devait donc être lue et commentée par tous les théologiens. Le renver­
sement scotiste, liant l’infinité au maximum d’étantité, conduit à poser
à nouveaux frais la question de la puissance absolue. L’infinité peut-
elle caractériser la puissance, que ce soit à titre d’attribut de l’essence
divine ou de relation personnelle ? La puissance infinie, que quelqu’un
comme Pierre Damien avait posée comme au-delà non seulement de
tout ordre naturel mais encore de toute logique, excède-t-elle tout effet
possible ? On sait (selon le témoignage d’Eudes de Soissons) que le
problème avait été soulevé autour de certaines thèses de Pierre Abélard,
accusé de soutenir que Dieu ne peut faire que ce qu’il fait. Scot, quant à
lui, propose une définition de la toute-puissance qui est novatrice sur
deux points, l’un et l’autre bien connus. Le premier est une définition
neuve du possible, défini comme état alternatif au moment même où
quelque chose se réalise, si bien que la puissance devient puissance des
contradictoires. Cette puissance est celle de la volonté, tant humaine
que divine, mais dans ce dernier cas elle permet de définir la puissance
absolue comme puissance de droit par opposition à la réalisation de
fait32. Il y aura donc toujours, par définition, un excès de la puissance
sur l’actualité - ou, si l’on préfère, de la puissance absolue sur la
puissance ordonnée. Le second point est la distinction qu’il introduit,
toujours dans le Commentaire des Sentences, entre une définition
théologique et une définition philosophique de la toute-puissance. La
première est la possibilité de réaliser immédiatement ce qui, selon la
puissance ordonnée, se réalise à travers le jeu des causes secondes.
Cette toute-puissance est incompréhensible par la seule raison
naturelle, puisqu’elle excède l’ordre de la nature. Le concept
philosophique de toute-puissance, au contraire, est celui de la puissance

30 Voir A. CÔTÉ, « Les grandes étapes de la découverte de l’infinité divine au


XIIIe siècle », art. cit.
31 PETRUS LOMBARDUS, Sent. I, d. 43, c. 1, trad. O. Boulnois, in La puissance et
son ombre. De Pierre Lombard à Luther, ed. O. Boulnois, Paris, Aubier, 1994, p. 84.
32 Voir O. BOULNOIS, « Contingence et alternatives : Duns Scot », in La
puissance et son ombre, op. cit., pp. 263-285.
DUNS SCOT ET L’INFINI DANS LA NATURE 397

(ou de la force) infinie. Or c’est à cette acception que Scot réserve le


qualificatif «infini», tant dans la distinction 42 de Y Ordinatio que
dans le Quodlibet33.
En second lieu, par conséquent, la puissance infinie conduit à une
nouvelle confrontation avec le péripatétisme. Peut-on qualifier d’infinie
la force (vigor) du premier moteur ? Si oui, est-ce au sens qui vient
d’être défini dans le premier article de la question 5 ou dans la seule
acception de l’infini en puissance ? Ce sont à ces questions, qui vont
devenir un objet majeur de débat du XIVe au XVIe siècle, que se
confronte Duns Scot - une fois encore dans la suite d’Henri de Gand -
dans ces passages de la question 7.
Dans cette réponse, qui a des parallèles dans la double question de
1’Ordinatio, I, distinction 2, consacrée à l’étant infini en acte34, Scot
soutient une position paradoxale, en ce qu’il accorde davantage à
Aristote que ne le font habituellement les détracteurs de ce dernier. Il
était en général admis qu’Aristote, fidèle à sa conception de l’infini
quantitatif, ne pouvait reconnaître au premier moteur immobile qu’une
infinité extensive ; et étant donné l’interdit pesant sur l’infini en acte du
point de vue de la grandeur, cette extension ne pouvait être que
l’infinité de la durée35. Duns Scot tout à la fois récuse ce qu’il juge un
mauvais procès fait à Aristote, et dénonce certaines insuffisances de
son raisonnement. En premier lieu, Aristote dit bien que l’infinité ne
peut être en l’occurrence une grandeur, puisqu’il n’existe pas de
grandeur infinie et que l’on n’obtiendrait ainsi qu’une puissance finie.
Mais Scot en conclut qu’il s’agit simplement, pour le Stagirite,
d’écarter ici toute considération quantitative. En conséquence, bien
qu’Aristote n’eût peut-être pas, selon le Docteur subtil, été clair sur son

33 En ce qui concerne le commentaire des Sentences, voir Ord. I, d. 42, q. un., nn.
8-9 (Vat. VI, 342-343) ; trad. O. Boulnois, « Contingence et alternatives », art. cit., p.
268.
34 Voir DUNS SCOTUS, Ord. I, d. 2, pa. 1, qq. 1-2 (Vat. II, 125-243), question 1 :
« Utrum in entibus sit aliquid existens actu infinitum ? » ; question 2 : « Utrum
aliquid infinitum esse sit per se notum ? », notamment pp. 174-215.
35 DUNS SCOTUS, Quodl. VII, n. 83 (ed. Wolter - Alluntis, 286) : « Dicunt
quidam quod Aristoteles non intellexit primum ens esse infinitae potentiae intensive
sive vigoris, sed tantum extensive sive duratione ».
398 JOËL BIARD

intention et dans sa démonstration, il devait bien avoir à l’esprit une


infinité intensive :
Concedo ergo, cum ista conclusione, quod Aristoteles, sive sufficienter
probaverit intentum suum, sive non, intellexit de infinitate potentiae
intensiva36.

Il n ’en reste pas moins que l’argumentation d’Aristote se trouve en


contradiction avec l’enseignement des théologiens. Le point de départ
qui semble admis en commun est que la puissance se mesure à l’effet -
et ce point est de première importance, j ’y reviendrai. Mais pour
Aristote, le ciel est éternellement et nécessairement conjoint au premier
moteur, ce qui ne saurait évidemment être le cas dans une théologie
créationniste. Dieu ne meut pas le monde actuellement par nécessité (et
donc immuablement), mais il peut le mouvoir en un temps infini. L’une
et l’autre de ces actions conviennent à une puissance infinie, et c’est ce
qui importe. Scot insiste donc sur le fait qu’une infinité intensive
convient au Premier moteur aristotélicien, et cette infinité intensive est
liée à une certaine entitas :
Ex hoc, igitur, quod primum movens movet a se et, per consequens, est
ens a se, cum tota plenitudo potentiae activae et entitatis non possit esse
sine infinitate intensiva, sequitur quod ipsum sit infinitae potentiae
intensive37.

Une fois cela admis, cependant, Scot va revenir sur les rapports de
la puissance infinie et de la toute puissance, en refusant de les
assimiler. La première est atteignable par la raison naturelle, la seconde
ne saurait en être déduite :
De consequentia autem, licet infinita potentia activa sit vere omnipotentia,
non tamen sequitur, si ratione naturali potest concludi hoc habere infinitam
potentiam, ergo et omnipotentiam38.
Potentia suprema non est omnipotentia sicut intelligimus omnipotentiam,
et tamen est infinita potentia39.

36 DUNS SCOTUS, Quodl. VII, n. 85 (ed. Wolter - Alluntis, 287).


37 DUNS SCOTUS, Quodl. VU, n. 87 (ed. Wolter - Alluntis, 289).
38 DUNS SCOTUS, Quodl. VII, n. 89 (ed. Wolter - Alluntis, 289). Je modifie
légèrement la ponctuation de l’édition.
DUNS SCOT ET L’INFINI DANS LA NATURE 399

La différence repose ime fois de plus sur l’opposition de la contin­


gence et de la nécessité, ainsi que sur l’idée d’ « excès ». La puissance
infinie ne peut certes être excédée, cela veut dire qu’on ne peut
comprendre que quelque chose l’excède en intensité. En ce sens, la
puissance infinie est bien la puissance suprême. Ce sera donc le nom
métaphysique de Dieu. Mais la puissance absolue est « la puissance
immédiate à l’égard de n ’importe quel possible »3940. Et, de ce point de
vue, on pourrait dire paradoxalement qu’elle excède en extension la
puissance infinie elle-même, en ce sens qu’elle est puissance Immédiate
à l’égard de n’importe quel effet41. Mais nous sommes alors en
contradiction avec la raison naturelle et avec l’ordre des causes :
[...] diceret Philosophus quod omnipotentiam immediatam respectu
cuiuslibet in aliquo eodem esse includeret contradictionem, quia destrueret
ordinem essentialem causarum42.

La toute-puissance relève d’un autre ordre, celui de la théologie


révélée. Le concept d’infini, quant à lui, se déploie entièrement sur le
plan de la puissance infinie.

m. L ’i n f i n i e t l e c o n t in u

Un autre aspect, qui est au premier abord différent mais qui peut
quand même être mis en relation avec le cadre esquissé précédemment,
se trouve dans les considérations sur le continu que Scot introduit dans

39 DUNS SCOTUS, Quodl. VU, n. 90 (ed. Wolter - Alluntis, 290). Voir aussi Ord.
I, d. 2, pa. 1, qq. 1-2, n. 119 (Vat. H, 194) : «Licet igitur omnipotentiam proprie
dictam secundum intentionem theologorum tantum creditam esse et non naturali
ratione credam posse probari, sicut dicetur distinctione 42, tamen probatur naturaliter
infinita potentia, quae simul quantum est ex se habet omnem causalitatem, quae simul
posset in infinito si essent simul factibilia ».
40 DUNS SCOTUS, Quodl VII, n. 89 (ed. Wolter - Alluntis, 290).
41 DUNS SCOTUS, Quodl. VII, n. 90 (ed. Wolter - Alluntis, 290) : « Non ergo
potest intelligi excedi secundum intensionem, quia sic infinita est. Sed licet possit
intelligi excedi aliquo modo secundum extensionem, quia non est omnipotentia
[...]».
42 DUNS SCOTUS, Quodl. VTI, n. 90 (ed. Wolter - Alluntis, 290).
400 JOËL BIARD

ses commentaires du Livre des Sentences, et notamment Y Ordinatio. Il


s’agit assurément d’une question différente, puisqu’il n’est plus
question d’infini intensif ou d’étantité infinie. Mais la question du
continu est liée à celle de l’infini depuis Aristote qui a fait du continu le
sujet de l’infini43. A partir de la fin du XIIIe siècle et jusqu’au milieu du
XIVe siècle, vont se multiplier les spéculations sur la composition du
continu, spéculations dont Henri de Harclay, Adam Wodeham, Gau­
thier Chatton puis Thomas Bradwardine, en Angleterre, seront les
premiers acteurs ou témoins. Or Duns Scot se trouve aussi jouer un rôle
décisif dans l’introduction de considérations sur le continu au sein des
commentaires sur les Sentences. Au siècle suivant, à Oxford puis à
Paris, le cadre théologique servira souvent de simple prétexte, et n’est
pas même nécessairement le lieu d’une interrogation sur le rapport
entre infinité divine et infinité dans le monde créé. Dans Y Ordinatio de
Scot, le cadre de cette réflexion sur le continu est constitué par
l’ensemble de questions sur le lieu et le mouvement des anges44. A ce
propos, et notamment dans la question 2, le Docteur subtil introduit un
certain nombre d’arguments mathématiques qui seront amplifiés dans
les commentaires ultérieurs. A ce titre aussi, il contribue (consciem­
ment ou à son corps défendant) au développement des réflexions
physico-mathématiques sur l’infini qui vont se poursuivre à la fin du
Moyen Age et à la Renaissance.
Il faut toutefois noter que ces développements concernent l’infini
en puissance. Ils ne s’inscrivent donc pas dans l’élaboration d’un
concept positif d’infini en acte, ni au sens quantitatif, ni au sens
intensif, tel qu’il nous a occupé jusqu’à présent. A plusieurs reprises,
dans l’argumentation de la question sur le mouvement des anges, Scot
affirme l’impossibilité de reconduire la totalité des puissances à l’acte
en ce qui concerne les parties du continu, et par conséquent
l’impossibilité de concevoir une totalisation, telle que, dans le
Quodlibet, elle définira la perfection de l’infini :

43 ARISTOTE, Phys. IH, 7, 208a2-3.


44 DUNS SCOTUS, Ord. II, d. 2, pa. 2, qq. 1-8 (Vat. VE).
DUNS SCOT ET L’INFINI DANS LA NATURE 401

[...] huius ratio repugnantiae assignata est prius, realis, ex incompossibili-


tate reductionis omnium potentiarum simul ad actum45.

Un peu plus haut, Scot a expliqué que dans la phrase « possibile


est continuum dividi secundum quodlibet signum », « être divisé » se
trouve joint à « continu » selon un présent qui est un « maintenant »
indéterminé, mais que chacun de ces moment en exclut d’autres : ici
encore la raison en est la suivante :
necesse est enim [...] quod cum reductione potentiae (non tantum ad
factum esse, sed ad fieri) stet alia potentia, non reducta nec ad actum facti
esse nec etiam ad fieri, quia necesse est divisione exsistente in fieri vel
facto esse secundum a, aliquod continuum terminari per a, et ita potentiam
quae est in illa parte continui non reduci ad actum46.

L’analyse est menée sur un plan logique. Scot réfute comme


insuffisantes certaines analyses logiques, notamment celles qui
reposent sur la distinction du sens composé et du sens divisé47. Il faut
mieux préciser le sens du pronom « quodcumque », qui n’a pas un sens
seulement distributif mais partitif, de sorte qu’il n ’est pas requis pour la
vérité de l’universelle que tous les singuliers soient vrais en même
temps, mais n ’importe lequel indifféremment48. En cela il se distingue
de « omnis ». Mais en ce qui concerne « quodlibet », qui était dans la
phrase initiale, il peut être entendu en l’un et l’autre sens. Quoi qu’il en
soit, la phrase peut être vraie sans que la totalité des singulières soit
vraie, et pour cause, puisqu’elle n ’est pas actualisable comme totalité.
En dehors de ce raffinement des instruments logiques requis, une
telle approche de l’infini en puissance n ’est pas originale. Ce qui l’est
plus, c’est de l’introduire dans le contexte théologique d’un
commentaire sur le Livre des Sentences, et surtout de mobiliser d’une
façon qui n’a pas de précédent dans un tel cadre des instruments

45 DUNS SCOTUS, Ord. II, d. 2, pa. 2, q. 5, n. 370 (Vat. VII, 318). Cf. l’énoncé
initial de l’argument : « licet possibile sit continuum dividi secundum omne signum,
non tamen possibile est divisum esse, quia ista divisio est in potentia et in fieri, et
numquam potest esse tota in facto esse » {Ibid., n. 354 ; Vat. VR, 311).
46 DUNS SCOTUS, Ord. II, d. 2, pa. 2, q. 5, n. 363 (Vat. VII, 315).
47 DUNS SCOTUS, Ord. II, d. 2, pa. 2, q. 5, nn. 358-361 (Vat. VII, 313-314).
48 DUNS SCOTUS, Ord. II, d. 2, pa. 2, q. 5, nn. 363-364 (Vat. VII, 315-316).
402 JOËL BIARD

mathématiques. Un certain nombre d’arguments et d’exemples


mathématiques concernant l’infini et le continu se trouvaient certes
déjà esquissés chez al-Ghazali49, mais Scot leur donne une place
cruciale par cette insertion dans le commentaire du Livre des Sentences,
ce qui donnera lieu à d’amples développements au siècle suivant50.
Ces éléments mathématiques ne sont toutefois pas développés pour
eux-mêmes, mais dans le contexte d’une réflexion sur le lieu et sur le
mouvement, à l’occasion d’une interrogation sur le mouvement des
anges. En ce sens, ils sont en constante conjonction avec une
préoccupation « physique »51, et cela restera le cas des débats du
XIVe siècle sur le continu. Cela apparaît bien dans certaines argumen­
tations de Scot concernant la divisibilité d’un continu en parties mini­
males. Certains opposants voudraient accorder des minima dans le
mouvement, tout en reconnaissant qu’ils n ’ont pas de sens mathéma­
tique. On devrait à cet égard distinguer le minimum secundum formam
et le minimum secundum materiam, distinction qui peut en vérité elle-
même être entendue en des sens divers. L’un de ces sens conduirait à
opposer le point de vue du quantum et le point de vue des naturalia52.
Scot ne nie pas que d’une certaine façon on puisse considérer
différemment la quantité en elle-même et la quantité en tant que
propriété d’un étant naturel, susceptible de mouvement, mais il estime
que la divisibilité (ou la non-divisibilité le cas échéant) se retrouvera
dans les deux points de vue :

49 Voir ALGAZEL, Metaphysics. A Mediaeval Translation, ed. J. T. Muckle,


Toronto, Pontifical Institute of Mediaeval Studies, 1933, pp. 10-13.
50 Les très nombreuses pages consacrées par Grégoire de Rimini, par exemple,
aux argumentations proprement mathématiques sur l’infini, en sont l’un des
témoignages.
51 On ne trouvera donc pas chez Scot la tendance à libérer l’imagination
mathématique qui va se répandre au cours du XIVe siècle, même si au cours de
certains développements, il imagine le mouvement d’une sphère dans le vide : voir
DUNS SCOTUS, Ord. H, d. 2, pa. 2, q. 5, n. 417 (Vat. VII, 340).
52 DUNS SCOTUS, Ord. II, d. 2, pa. 2, q. 5 (Vat. VII, 302-306).
DUNS SCOT ET L’INFINI DANS LA NATURE 403

Ita igitur, absolute, est omne naturale divisibile in semper divisibilia (in
infinitum), sicut si illa quantitas quae est cum forma naturali esset per se,
sine omni forma naturali53.

Surtout, il insiste sur le fait que tous les arguments mathématiques


qui montrent le caractère contradictoire de la composition du continu,
soit à partir d’indivisibles à proprement parler, soit à partir de parties
minimales, valent pour la quantité comme propriété d’un étant naturel
autant que pour la quantité considérée en soi.
Scot s’intéresse ici à la continuité, certes, mais à la continuité dans
la succession et non dans le permanent, le continu dans le permanent
n ’étant introduit que parce que les raisonnements à son sujet montrent
de façon plus manifeste que le continu n’est pas composé d’indivisi­
bles. L’objet de la discussion est « nullum successivum esse continu­
um ». Scot explique clairement que les arguments concernant la conti­
nuité dans le permanent servent ici de modèle. La continuité du perma­
nent apparaît dès le début comme argument par analogie54. La réflexion
porte sur le lieu, le ubi - est-ce que quelque chose qui n ’a pas de parties
peut être dans un lieu ? - , et le mouvement, en tant qu’il implique
changement de lieu. De longs passages, reprenant des arguments
d’Aristote reviennent sur les « causes » de la succession, qui sont dans
la divisibilité du mobile et dans la divisibilité de l’espace. Chacune est
suffisante pour parler de succession, c’est que qui explique qu’un
mobile indivisible - donc ayant un ubi punctuale, comme l’ange -
puisse être dit se mouvoir en raison de la divisibilité de l’espace
parcouru.
Néanmoins, grâce à ce modèle, Scot introduit d’une façon qui
marquera la suite du siècle, des « rationes mathematicae », comme on
les appellera, au sein même du commentaire des Sentences.
L’argumentation contre l’hypothèse selon laquelle le continu serait
composé d’indivisibles invoque Aristote, mais tout autant Euclide, dont
plusieurs propositions sont cités précisément. Pour attester la continuité
dans les choses permanentes, on met ainsi en avant « duas rationes sive

53 DUNS SCOTOS, Ord. II, d. 2, pa. 2, q. 5, n. 344 (Vat. VII, 305-306).


54 DUNS SCOTOS, Ord. II, d. 2, pa. 2, q. 5, n. 317 (Vat. VII, 291) : « Istud etiam
de successivo probo per continuitatem permanentis : quia permanens est continum,
igitur et successivum. »
404 JOËL BIARD

propositiones geometricas »55. Les deux exemples constamment mis en


avant sont l’un celui des rayons de deux cercles concentriques - on a
alors de longues discussions sur la question de savoir si les rayons
aboutissant à deux points du grand cercle coupent deux points du plus
petit - , l’autre l’incommensurabilité de la diagonale (dite « diamètre »)
et du côté d’un carré. Ce sont là deux exemples typiques, et des
arguments qui vont se répandre dans la littérature mathématique ou
physico-mathématique (avec Bradwardine et les Calculateurs d’Ox-
ford) puis se retrouveront à Paris avec Nicole Oresme et Albert de Saxe
mais aussi chez les théologiens tels que Michel de Massa, Pierre
Ceffons ou Grégoire de Rimini, dont le Commentaire des Sentences
comprend de très longs arguments mathématiques et physiques56, au
sein desquels il avancera des définitions neuves de l’infini.

IV . CONCLUSION

A la suite d’Henri de Gand, Scot affirme la pleine positivité du


concept d’infini et le rapporte à l’être même, ou à l’étantité, et non plus
à la seule quantité. Ce faisant, il crée les conditions d’une remise en
cause systématique de l’interdit porté par Aristote à l’encontre de l’être
en acte de l’infini.
Saisi comme plénitude d’être, incluant au plus haut degré
l’intellect et la volonté, cette infinité en acte caractérise proprement
l’étant divin - non pas à titre d’attribut, mais comme mode intrinsèque.
C’est ce qui explique la place privilégiée tenue par ce concept dans
plusieurs des voies par lesquelles on tente de démontrer l’existence du
premier principe. Mais ce faisant, Scot n ’en participe pas moins de
façon décisive à la promotion du concept d’infini, qui sera l’une des
grandes affaires de la philosophie du XIVe au XVIIe siècle. En premier
lieu, le concept d’infini est saisi à partir du monde des étants finis, dans
un processus complexe où l’on retourne le négatif en positif. A la

55 DUNS SCOTOS, Ord. II, d. 2, pa. 2, q. 5, n. 320 (Vat. VII, 292).


56 Pour ce dernier, voir GREGORIUS ARIMINENSIS, In II Sent., d. 2, q. 2, ed. A.
D. Trapp, vol. IV, Berlin-New York, Walter de Gruyter, 1979, pp. 278 sqq.
DUNS SCOT ET L’INFINI DANS LA NATURE 405

différence de la toute-puissance dans son acception proprement


théologique, qui contredit la raison naturelle et n ’est saisie que par
révélation, l’infini est un concept construit dans ses différentes
dimensions, de la mathématique à la métaphysique en passant par la
physique. En second lieu, Scot contribue à une première modification
de la dialectique entre puissance créatrice infinie et effet créé. Le
problème est débattu depuis les XIe et XIIe siècles. A première vue, Scot
ne peut que poser un excès de la puissance divine sur l’effet créé, ne
serait-ce qu’en raison de sa conception du possible comme état
alternatif au réel. En fait, par l’écart qu’il introduit entre deux
conceptions de la toute-puissance (théologique et philosophique), il
laisse la possibilité de penser une relation plus étroite entre l’inimité de
la puissance (au sens philosophique) et l’infinité des effets. Or cette
question va être largement débattue, tant dans des textes théologiques
que dans la philosophie naturelle, dans une diversité de positions
possibles qui va inclure chez certains l’adéquation entre le principe et
son expression. En troisième lieu, Scot tient un rôle qui a déjà été noté
(notamment dans les travaux de John Murdoch), mais qu’il importe de
rappeler, dans l’introduction de rationes mathematicae au sein des
commentaires des Sentences, en relation au problème de l’infini. Ces
arguments logiques, physiques et proprement mathématiques se
répandront tant dans des textes philosophiques (initialement à Oxford,
ce n ’est sans doute pas un hasard) que dans des commentaires du Livre
des Sentences, comme celui de Grégoire de Rimini ou de Pierre
Ceffons. Or ces argumentations vont être le cadre de débats sur l’être
en acte de l’infini, bien au delà cette fois de l’étant divin puisqu’il
s’agit de savoir si l’on a besoin de construire un concept logique et
mathématique de l’infini pour penser certains phénomènes naturels.
Pour tout cela, Scot n ’est sans doute qu’une étape, mais une étape
décisive.

GDR 2522 (CNRS),


Philosophie de la connaissance et philosophie
de la nature au Moyen Age et à la Renaissance

Centre d ’études supérieures de la Renaissance, Tours


IV
PSYCHOLOGIE ET ÉTHIQUE
M a r y B e t h In g h a m

LA GENÈSE DE LA VOLONTÉ RATIONNELLE :

DE LA LECTURA À LA REPORTATIO II, 25

La distinction 25 du Livre II des Sentences considère l’acte de la


volonté et son rapport à l’intellect. Au cours de son enseignement à
Oxford, dans la Lectura1, Duns Scot présente sa solution à cette
question, après avoir critiqué la position d’Henri de Gand. Ce dernier
identifiait l’intellect comme causa sine qua non de l’acte de la volonté.
La position sine qua non, dit Scot, rend la volonté aveugle et ne donne
pas assez d’influence à l’objet connu, c’est à dire, à l’activité de
l’intellect2. Dans sa via media entre le volontarisme extrême d’Henri et
l’intellectualisme extrême de Godefroid de Fontaines, le Docteur Subtil
propose une solution de co-causalité partielle et efficiente, où l’objet
connu et la volonté jouent ensemble un rôle important dans l’acte de la
volonté3. Pourtant, quelques années plus tard, quand il reprend cette
question à Paris, dans la Reportatio4, Scot semble accepter la position
d’Henri5. Ici l’intellect apparaît comme causa sine qua non6.

1 DUNS SCOTUS, Lect. II, d. 25 (Vat. XIX, 229-263).


2 DUNS SCOTUS, Lect. II, d. 25, n. 78 (Vat. XIX, 255-256) : « Sed hoc non potest
esse nisi quia cum voluntate concurrit ad causandum actum volendi, aliter enim
liberum arbitrium esset caecum... ».
3 DUNS SCOTUS, Lect. II, d. 25, nn. 69-80 (Vat. XIX, 253-257).
4 DUNS SCOTUS, Rep. par. H, d. 25 (Viv. XXIII, 117-129).
5 La différence entre les deux périodes d’enseignement est attestée par Guillaume
d’Alnwick dans les Additiones magnae : « Ideo et aliter dixit Oxoniae ad
quaestionem, quod volitio est per se a voluntate, ut a causa activa, et ab obiecto
intellecto ut ab alia causa partiali, ita quod totalis causa volitionis includit
intellectum... e t ... voluntatem ... et obiectum. » (Add. magn. I I 25, ed. Balie, 282).
6 DUNS SCOTUS, Rep. par. Il, d. 25, n. 16 (Viv. XXIII, 125b).
410 MARY BETH INGHAM

La position de la Lectura est bien connue. Dans son article, « Une


question inédite de J. Duns Scot sur la volonté »7, Carlo Balie a publié
ce texte, affirmant qu’il représentait, non pas le début de l’enseigne­
ment scotiste, mais la fin de sa carrière, où le Franciscain trouve (enfin)
le compromis entre l’intellectualisme et le volontarisme. Plusieurs
études de la pensée éthique scotiste ont suivi Balie dans cette ligne. Le
volume XIX de l’édition critique nous présente ce texte mis à sa bonne
place, dans la Lectura, faisant partie par conséquent du premier
enseignement scotiste (avant 1300)8. Comme nous le savons
aujourd’hui, c’est le texte de la Reportatio qui représente la fin de la
carrière de Scot. Ainsi, le texte d’Oxford n ’est pas un compromis
définitif, mais plutôt le point de départ d’un développement qui
aboutirait, peut-être, à une position identique à celle d’Henri de Gand.
Le problème se pose alors (et c’est Stephen Dumont qui l’a bien posé
récemment)9 de savoir si, avec cette chronologie Lectura-Reportatio,
l’enseignement scotiste à Paris était plus proche de celui d’Henri. Ainsi
nous avons deux questions : Scot a-t-il quitté une position modérée
pour une affirmation plus radicale de la liberté de la volonté ? S’est-il
rangé à Paris du côté de quelqu’un dont il avait qualifié la position
comme volontarisme extrême ?
Dans ce qui suit, j ’accepte les conclusions de Dumont. Je ne pose
pas de questions sur la position de la Reportatio, telle qu’il la décrit.
J’accepte que Scot utilise, dans son enseignement parisien, la même
formule qu’il a critiquée à Oxford. L’intellect de la Reportatio n’est
plus co-cause partielle et efficiente. Il est devenu causa sine qua non, la
condition nécessaire de l’acte de la volonté. Et pourtant, je propose que
cette formule ne représente pas un rapprochement avec la position
d’Henri. Elle n’est que similitude apparente de terminologie. Elle ne
représente pas la même position que celle d’Henri, tout simplement

7 C. BALIO, « Une question inédite de J. Duns Scot sur la volonté », Recherches


de Théologie Ancienne et Médiévale 3 (1931), pp. 198-208.
8 Les éditeurs affirment aussi que Scot n’a jamais changé son enseignement à cet
égard (Vat. XIX, 40*).
9 St. D. DUMONT, « Did Duns Scotus Change His Mind on the Will ? », in After
the Condemnation o f 1277. The University o f Paris in the Last Quarter o f the
Thirteenth Century, ed. J. A. Aertsen - K. Emery - A. Speer, Berlin, W. de Gruyter,
2001 (Miscellanea Mediaevalia, 28), pp. 719-794.
LA GENÈSE DE LA VOLONTÉ RATIONNELLE 411

parce qu’un autre aspect de l’argumentation scotiste a changé entre


Oxford et Paris : à savoir, sa manière de présenter la volonté comme
puissance rationnelle.
Dans cet article, je me limite à trois aspects de cette question10.
Dans un premier temps, nous suivrons le développement d’une
référence textuelle qui joue un rôle essentiel, à mon avis, dans la
position scotiste sur la volonté : c’est le De casu diaboli d’Anselme.
Dans un deuxième temps, nous comparerons la présentation de la
volonté comme puissance rationnelle dans les deux versions du
commentaire par Scot de la distinction 25 du livre II des Sentences.
Enfin, nous terminerons par une brève considération de la manière
dont, dans ses Quodlibets, Henri de Gand conçoit la volonté. Si j ’ai
raison, la répétition d’une formule par Scot ne suffit pas pour conclure
à une identité de position. C’est le contexte de la discussion dans la
Reportatio qui fait toute la différence, un contexte enrichi par une
réflexion sur les puissances rationnelles, poursuivie entre 1300 et 1305.
Pendant cette période de réflexion, Scot a puisé à deux sources
importantes : Aristote et Anselme. Grâce aux deux, il développe sa
position sur la volonté rationnelle.

I. LES RÉFÉRENCES A V D E CASU DIABOLI

Mon étude se base sur quatre textes principaux : les deux versions
de la distinction 25, bien sûr, auxquelles j ’ajoute Y Ordinatio II, 6 (où
Scot présente la discussion anselmienne des deux affections de la
volonté) et ses Quaestiones in Metaphysicam IX, 14-15. C’est à travers
les différents usages qu’il fait d’un certain passage du De casu diaboli
que nous assistons à la genèse de la volonté rationnelle chez Duns Scot.
Dans la Lectura, cette référence ne figure pas au centre de la
solution scotiste. Elle fait partie des contre-arguments, où Scot répond à

10 Une analyse plus approfondie des textes se trouve dans M. B. INGHAM, « Did
Scotus Modify His Position on the Relationship of Intellect and Will ? », Recherches
de Théologie et Philosophie Médiévales 69/1 (2002), pp. 88-116.
412 MARY BETH INGHAM

la position intellectualiste. Cette position affirme que l’objet connu sert


de cause totale pour l’acte de la volonté. C’est l’objet qui meut la
volonté. Selon Scot, ceci ne suffit pas pour assurer la liberté de la
volonté :
Praeterea, ex hoc quod ratio diversa potest cognoscere et discernere, et
voluntas non, non est libertas in voluntate, quia secundum Anselmum De
casu diaboli cap 12, si esset angelus habens instrumentum cum affectione
commodi, posset ratiocinare, et non esset libertas nec peccatum in eo
(secundum Anselmum), sed tantum esset ibi inclinatio (sicut appetitus
sensitivus inclinatur), et tamen intellectus esset indifferens ad
cognoscendum alia ; igitur per istam indifferentiam ad cognoscendum, a
qua non salvatur libertas in voluntate (nec appetitus sensitivus), quia
tantum inclinaretur ad intelligibilia (ita tamen naturaliter ad intelligibilia
sicut appetitus sensitivus ad sensibilia), nondum esset liber. Igitur non
quia est potentia intellectualis, ideo est libera11.
Son insuffisance est claire, dit-il, car comme l’explique Anselme
dans le De casu diaboli, s’il y avait un ange possédant une volonté
munie de 1’affectio commodi, cet être aurait la possibilité de raisonner,
mais non la liberté de pécher. L’ange posséderait l’inclination naturelle
vers l’intelligible, de la même manière que les animaux sont attirés par
le sensible. L’existence de la puissance intellectuelle ne suffit pas pour
rendre l’ange libre. Pour cela, il faut la volonté.
Nous trouvons l’analyse la plus complète de la volonté et ses deux
affections dans Y Ordinatio II, 6. Le texte originel du De casu diaboli
nous offre une discussion stoïcienne (plutôt qu’aristotélicienne) des
deux affections (affectio commodi et affectio iustitiae) qui appartien­
nent à la volonté, h ’affectio commodi vise à la satisfaction de l’agent
dans les boni utiles. L ’affectio iustitiae se dirige vers les boni honesti,
les biens intrinsèques qui méritent d’être aimés pour eux-mêmes, sans
considérer la satisfaction de l’agent. Chez Anselme et Scot, ces deux
affections sont, toutes les deux, présentes chaque fois que l’agent
rationnel choisit. Dans le choix moralement bon, Y affectio iustitiae
dirige et modère Y affectio commodi. Dans le choix imparfait, Y affectio
commodi prend trop de place sur 1’affectio iustitiae. Dans son De casu
diaboli12, Anselme nous présente l’ange qui possède une seule

11 DUNS SCOTUS, Lect. Il, d. 25, n. 33 (Vat. XIX, 238-239).


12 ANSELMUS CANTUARENSIS, De casu diaboli, cc. 14-26.
LA GENÈSE DE LA VOLONTÉ RATIONNELLE 413

affection : 1’affectio commodi. Il conclut que cet ange aimerait le bien


considéré sous l’angle de sa propre satisfaction.
Quand nous regardons le texte de 1’Ordinatio II, 6, nous
identifions deux points de divergence entre Scot et Anselme. Ils
apparaissent clairement dans le passage suivant :
Si enim intelligeretur - secundum illam fictionem Anseimi De casu diaboli
- quod esset angelus habens affectionem commodi et non iustitiae (hoc
est, habens appetitum intellectivum mere ut appetitum talem et non ut
liberum), talis angelus non posset non velle commoda, nec etiam non
summe velle talia ; nec imputaretur sibi ad peccatum, quia ille appetitus se
haberet ad suam cognitivam sicut modo appetitus visivus ad visum, in
necessario consequendo ostensionem illius cognitivae et inclinationem ad
optimum ostensum a tali potentia, quia non haberet unde se refrenaret. Illa
igitur affectio iustitiae, quae est prima moderatrix affectionis commodi et
quantum ad hoc quod non oportet voluntatem actu appetere illud ad quod
inclinat affectio commodi et quantum ad hoc quod non oportet eam
summe appetere (quantum scilicet ad illud ad quod inclinat affectio
commodi), illa - inquam - affectio iustitiae est libertas innata voluntati,
quia ipsa est prima moderatrix affectionis talis13.
Tout d’abord, dans sa discussion des deux affections à l’intérieur
de la volonté, Scot affirme que 1’affectio iustitiae n’est pas perdue par
le péché originel. C’est une affection innée de la volonté. En effet, c’est
sa liberté (« est libertas innata voluntati »). La deuxième divergence se
situe là où Scot identifie Vaffectio commodi avec l’appétit intellectuel
(« habens appetitum intellectivum mere ut appetitum talem et non ut
liberum »). Cet être n’est pas capable du libre choix parce que l’appétit
intellectuel ne peut pas se restreindre (« quia non haberet unde se
refrenaret »). Il serait déterminé par les conditions extérieures. Par
contre, munie des deux affections, la volonté est capable de se contrôler
et d’agir librement. La présence des deux affections explique pourquoi
la volonté est libre, et comment elle peut résister aux conditions
extérieures. Elle peut se mettre en suspens, après avoir accepté toutes
les conditions suffisantes pour l’action. Sa liberté se définit par l’aspect
rationnel qui est constitué par sa propre nature. C’est la première étape
de la genèse de la volonté rationnelle : Scot identifie les aspects consti­
tutifs de la volonté comme les aspects rationnels d’autodétermination.

13 DUNS SCOTUS, Ord. II, d. 6, q. 2, n. 49 (Vat. Vin, 48-49/


414 MARY BETH INGHAM

Ce texte de V Ordinatio II, 6 nous présente une analyse a priori qui


explique la liberté de la volonté sur la base de la raison, la raison
intérieure à la volonté, la raison qui se montre dans sa capacité d’auto­
contrôle, d’auto-détermination. Cette capacité de se restreindre est au
centre de la discussion scotiste de la volonté rationnelle. Elle est
complètement à l’intérieur de la volonté et sert de fondement à la vie
morale. La possibilité de cette capacité dépend de certaines dispositions
innées et métaphysiques : les deux affections d’Anselme. Elle se
montre en trois actes possibles : velle, nolle, non velle. Elle se définit
par la disposition à suivre les jugements de la raison. Cette disposition
est 1'affectio iustitiae en tant que nature propre de la volonté
rationnelle.
Au livre IX des Quaestiones in Metaphysicam14 nous trouvons les
échos de la discussion de VOrdinatio. Deux passages importants
mettent en lumière le développement de la volonté en tant que
puissance rationnelle. A la fin de la question 14, Scot énumère six
catégories de puissances qui sont capables de se mouvoir. C’est la
sixième qui nous intéresse ici :
Si iterum alia actio naturaliter praesupponatur suae, illa non posita, non
aget. Si tandem est liberum, ex se potest non agere. ... Exemplum sexti :
intellectu ostendente aliquid, voluntas potest illud non ve/fe1415.
Quand l’intellect montre l’objet à la volonté, celle-ci est capable de
ne pas le vouloir (non velle). A la question 15, Scot présente la
distinction entre les puissances rationnelles (comme la volonté) et les
puissances irrationnelles (ou naturelles, comme l’intellect). Il affirme
que l’intellect, cause naturelle, est incapable de se restreindre. Quand il
répond aux arguments, il fait allusion à la possibilité d’un intellect qui
existe sans la volonté :
Si autem arguitur de intellectu cognoscente opposita, tunc verum est quod
respectu extrinseci non potest aliquid nisi determinetur aliunde, quia ex se
est illorum per modum naturae, non potens se ad alterum determinare ; vel
ergo ambo aget, vel nihil. Et si de intellectu concludatur quod non est
sufficiens potentia rationalis, concedatur iuxta praedicta. Immo si solus -
per impossibile - esset cum virtutibus inferioribus sine voluntate, nihil

14 In IXMet., q. 14 (St. Bon. IV, 673-699).


15 In IXMet., q. 14, n. 126 (St. Bon. IV, 673).
LA GENÈSE DE LA VOLONTÉ RATIONNELLE 415

umquam fieret nisi determinate modo naturae, et nulla esset potentia


sufficiens adfaciendum alterutrum oppositorum
Scot affirme ici que, si, per impossibile, il y avait un intellect, avec
tous les pouvoirs inférieurs, mais sans une volonté, rien ne se passerait
sinon per modum naturae, c’est-à-dire, d’une manière déterminée par
les conditions extérieures. Cette situation per impossibile est l’ange de
P Ordinatio. Mais, ici, ce n ’est plus l’appétit intellectif, mais l’intellect
lui-même qui est la puissance naturelle. Dans cet ange, il n ’y aurait pas
de puissance capable de choisir contrairement au déterminisme naturel.
Autrement dit, il n ’y aurait pas de puissance libre.
La distinction aristotélicienne entre les puissances rationnelles et
irrationnelles aide Scot à mieux formuler son interprétation de la
position d’Anselme :
Iste autem modus eliciendi operationem propriam non potest esse in
genere nisi duplex. Aut enim potentia ex se est determinata ad agendum,
ita quod, quantum est ex se, non potest non agere quando non impeditur ab
extrínseco. Aut non est ex se determinata, sed potest agere hunc actum vel
oppositum actum ; agere etiam vel non agere. Prima potentia communiter
dicitur natura, secunda dicitur voluntas1'1.

D ’abord, cette distinction permet à Scot de ranger l’intellect du


côté de la causalité naturelle, et de placer la volonté du côté des
puissances rationnelles et libres. L’exemple de l’ange qu’il évoque ici
n’imagine plus la volonté munie d’une seule affection, ni la volonté
comme appétit intellectif, mais l’intellect sans la volonté. Nous entrons
dans la deuxième étape de la genèse de la volonté rationnelle.
Dans le corps de cette question, Scot se demande «pourquoi la
volonté agit de cette manière libre et rationnelle ? » Il offre la seule
réponse dont Aristote est capable : parce qu’elle est volonté, point final.
Cette réponse affirme mais n’explique pas la liberté à l’intérieur de la
volonté. Et, dans sa réponse à l’objection que cette analyse n ’est pas
scientifique, Scot concède qu’Aristote ne peut que procéder d’une
manière quia. Son argument montre que la volonté résiste au
déterminisme, et qu’il y a des actes dits libres dont nous sommes167

16 In IX M et, q. 15, n. 67 (St. Bon. IV, 696-697).


17 In IX M et, q. 15, n. 22 (St. Bon. IV, 680-681).
416 MARY BETH INGHAM

conscients, les actes où nous aurions pu faire autrement (n. 30). Le


Philosophe affirme l’existence d’une causalité libre et il identifie cet
ordre de causalité avec les puissances rationnelles, par une
argumentation a posteriori. Mais, pour expliquer la liberté de la volonté
d’un manière scientifique, dit Scot, il faudrait une analyse a priori, ce
que nous avons trouvé dans ¥ Ordinatio II, 6.
Ainsi, les deux textes, celui des Questiones in Metaphysicam IX et
celui de Y Ordinatio II, 6 se complètent pour nous faire comprendre ce
qu’est la volonté rationnelle selon Scot. L’existence d’une puissance
libre (et donc rationnelle) apparaît comme la conclusion d’une
argumentation quia à la manière d’Aristote. Sa nature rationnelle (et
donc libre) est établie par l’analyse propter quid à la manière
d’Anselme. Ensemble, ces deux textes montrent que la puissance libre
doit être rationnelle et que la puissance rationnelle doit être libre. Scot a
lu Anselme à travers une distinction aristotélicienne. Il a compris
Aristote par l’analyse d’Anselme. Les deux approches, celle du
philosophe et celle du théologien se complètent. Par l’interaction des
deux, nous assistons à la genèse de la volonté rationnelle scotiste.
Nous arrivons enfin à la Reportatio. Ici Scot inclut la référence à
Anselme dans son explication de la puissance rationnelle. Il note
qu’Aristote (au livre IX de la Métaphysique) montre bien comment
l’intellect peut agir comme puissance rationnelle quand il concourt
avec la volonté. Mais c’est par la référence à Anselme que Scot
éclaircit sa position :
Dico, quod intellectus potest accipi secundum quod est quaedam potentia
operativa, vel secundum quod intellectus et voluntas sunt principia
concurrentia respectu practicabilium, quae extrinsecus producuntur per
intellectum et voluntatem. Primo modo parum loquitur Philosophus de
intellectu, sed secundo modo multum frequenter fere per totum librum
Ethicorum, et 9. Metaphysic. et 3. De anima, et 2. Physic, de potentia
rationali ; et isto modo agens per intellectum distinguitur contra agens per
naturam. Praeter hoc, sine contradictione posset esse appetitus
intellectivus non potens se determinare, sed appetens per modum naturae,
sicut fingit Anselmus De casu diaboli, cap. 12, quod primo esset unus
angelus, qui haberet intellectum vel appetitum tantum, ita quod posset
habere affectionem commodi, et non daretur sibi affectio justi. Iste
angelus cum non possit appetere nisi tantum intelligibilia, et hoc per
modum naturae, sicut nunc appetitus sensitivus appetit per modum naturae
convenientia secundum sensum, nec appeteret ille convenientia secundum
intellectum. Nihil igitur est creatum praeter voluntatem, quae potest se
LA GENÈSE DE LA VOLONTÉ RATIONNELLE 417

determinare ex se, et per consequens nihil aliud creatum a se potest esse


causa totalis volitionis18.

Débordant le cadre aristotélicien, on peut, dit-il, imaginer sans


contradiction un appétit intellectuel qui est incapable d’autodétermi­
nation. Dans ce cas, cet appétit désirerait per modum naturae, comme
le montre Anselme. Il ne serait pas rationnel. Et Scot conclut : « Nihil
igitur est creatum praeter voluntatem, quae potest se determinare ex se,
et per consequens, nihil aliud creatum a se potest esse causa totalis
volitionis ».
Ce texte de Scot, beaucoup trop bref, reprend l’idée que l’intellect
n ’est pas libre sans la volonté, mais il ne la reprend pas de la même
manière que les textes précédents. Scot note seulement en passant les
références aristotéliciennes : il les énumère. Par contre, dans ce texte il
explore la fiction, proposée par Anselme, d’un ange dénué de volonté.
Il nous explique que l’appétit intellectuel ne peut pas se déterminer,
mais agit per modum naturae. Ici, la référence au texte d’Anselme
prend davantage de place et devient centrale dans sa position sur le
rapport entre l’intellect et la volonté dans l’acte de la volonté. Donc, je
suggère que c’est Anselme, plutôt qu’Aristote, qui joue le rôle influent
dans sa réflexion parisienne sur la nature de la volonté rationnelle.

II. LA PRÉSENTATION DE LA VOLONTÉ

Un deuxième aspect de ces textes indique une transformation dans


la manière scotiste de voir la volonté. Dans la discussion de la Lectura,
Scot affirme l’importance de la volonté comme puissance libre, mais
non comme puissance rationnelle. En effet, dans ce texte, c’est
l’intellect qui est la puissance rationnelle. Quand Scot présente sa
solution (sa via media) de co-causalité efficiente et partielle, il rejette,
d’une part, la position trop extrême d’Henri (la position sine qua non)
parce qu’elle rend la volonté aveugle. Il rejette, d’autre part, la position
de Godefroid de Fontaines, qui (d’après Scot) diminue la liberté. Sa

18 Rep. par. II, d. 25, n. 20 (Viv. XXIII, 128a-b).


418 MARY BETH INGHAM

propre solution, entre un intellectualisme extrême et un volontarisme


extrême, sauvegarde les deux aspects essentiels de l’acte humain : à
savoir, qu’il soit rationnel (par l’intellect) et libre (par la volonté).
Aristote soutient cette position modérée. En effet, le Stagirite
explique les puissances rationnelles au livre IX de la Métaphysique. Il
montre, dit Scot, que la puissance rationnelle est déterminée à l’action
par la volonté ou l’appétit :
Item, haec opinio confirmatur per Philosophum IX Metaphysicae, qui ibi,
cap. 2 docet quae est potentia rationalis, et quod illa de se non exit in
actum (ut intellectus intelligens et habens scientiam) ; et ideo non est
causa per se, quia secundum se in nihil potest ; sed potentia irrationalis de
se potest in actum, ut forma naturalis. Sed in 4 cap eiusdem docet
quomodo potentia rationalis determinatur ad actum, et hoc ab appetitu sive
voluntate. Voluntas igitur cum potentia rationali concurrit ut una causa, et
una sine altera est tantum causa remota ; unde potentia rationalis cum
voluntate determinante est ‘causa per se ’ actus communiter volendi19.

Si la volonté ici concourt avec la puissance rationnelle, il est clair


que les deux se distinguent et que c’est l’intellect (et non pas la
volonté) qui est rationnel. La via media scotiste, dans ce texte, est une
position plutôt intellectualiste que volontariste, dans le sens que la
raison s’identifie avec l’intellect et la liberté avec la volonté. Cette
interprétation se confirme plus loin où Scot identifie la puissance
rationnelle avec la science, elle-même déterminée par la volonté :
Ad probationem patet quod potentia rationalis est de se indeterminata ad
opposita, et ideo determinatur ad alterum a voluntate, quia potentia
rationalis (ut scientia) indifferenter se habet ad opposita, nec est in
potestate sua magis unum quam aliud20.
Quand il répond à la position intellectualiste, Scot affirme que la
puissance rationnelle agit per modum naturae, déterminée par la
volonté à l’un des deux opposés. Par contre, la volonté agit en tant que
puissance indéterminée : voilà sa liberté. La puissance rationnelle
(l’intellect) n’est pas autodéterminante. Pour un acte libre, on a besoin
de la volonté. Ce qui est frappant ici, c’est le manque de distinction
entre une puissance rationnelle et une puissance naturelle, une

19 Lect. Il, d. 25, n. 80 (Vat. XIX, 256-257).


20 Lect. H, d. 25, n. 94 (Vat. XIX, 261).
LA GENÈSE DE LA VOLONTÉ RATIONNELLE 419

distinction que Scot utilise d’une manière centrale dans les Quaestiones
in Metaphysicam ; selon la Lectura, la puissance rationnelle agit per
modum naturae. De plus, la supériorité de la volonté se trouve ici dans
sa liberté et dans le contrôle qu’elle exerce sur l’intellect. Comme nous
le verrons plus tard, c’est bel et bien la position d’Henri sur la liberté et
la puissance rationnelle.
Dans le cinquième et dernier argument qu’il énonce contre la
position d’Henri, Scot présente l’intellect comme la puissance
rationnelle. En effet, dit-il, sans 1’intellection, la volonté en tant que
puissance libre serait aveugle :
Item, Augustinus XV De Trinitate cap. 64 ‘de parvis’ : « Numquid dicturi
sumus » etc. ; ibi vult Augustinus quod voluntas habet memoriam ; sed
hoc non potest esse nisi quia cum voluntate concurrit [memoria] ad
causandum actum volendi, aliter enim liberum arbitrium esset caecum
(quia libere volens, in quantum libere volens est, esset caecus) ; et ideo
liberum arbitrium non tantum includit voluntatem, sed etiam cognitionem.
Et hoc patet per Magistrum, qui dicit quod « liberum arbitrium est facultas
voluntatis et rationis » etc. Unde secundum Augustinum « voluntas,
quando recta est, novit quid appetit ». ‘Natura igitur intelligens libera’ est
huiusmodi causa actus volendi (sive nolitionis, propter angelos), ita quod
liberum arbitrium complectitur illas duas potentias, scilicet intellectum et
voluntatem2^.

L’objet connu ne peut pas être causa sine qua non ; il faut qu’il
agisse comme cause efficiente et concurrente avec la liberté de la
volonté. Son projet de sauvegarder la qualité rationnelle de la liberté est
ici explicite dans l’argumentation. L’objet connu (l’acte de
1’intellection) fournit la dimension rationnelle exigée par le libre
arbitre.
Ces exemples indiquent que la solution scotiste de la Lectura II, 25
se base sur l’idée de la volonté en tant que puissance libre, mais pas en
tant que puissance rationnelle. La différence entre l’intellect et la
volonté est semblable à celle qui oppose la nature à la liberté, non celle
qui oppose la nature à la raison. Cette distinction nature/liberté est la
distinction qu’utilise Henri, dans sa solution causa sine qua non. Scot
accepte cette distinction, mais il critique Henri pour ime position trop

21 Lect. II, d. 25, n. 78 (Vat. XIX, 255-256).


420 MARY BETH INGHAM

extrême. Il introduit sa position de compromis pour intégrer les deux


puissances (intellect et volonté) et il utilise la causalité efficiente pour
expliquer comment les deux agissent ensemble ut una causa totalis.
Mais, parce qu’il ne voit pas encore la distinction nature/raison qui
apparaît dans les Quaestiones in Metaphysicam, Scot utilise la causalité
partielle et efficiente afin de sauvegarder la volonté d’une activité libre
mais aveugle, d’une part, et d’un déterminisme trop intellectualiste,
d’autre part.
C’est dans la Reportatio que Scot identifie la volonté comme la
puissance rationnelle. Le premier exemple se trouve au début de la
question. Quand il défend la volonté comme unique cause effective de
ses actes, Scot se réfère à Aristote. Au livre IX de la Métaphysique,
Aristote définit les puissances rationnelles. Elles visent des opposés, ne
faisant rien sans être déterminées. A vrai dire, c’est la volonté dans
l’acte de choix qui les détermine :
Quid igitur determinat ? Respondet : Hoc dico appetitum prohaeresim, id
est, electionem ; igitur per ipsum potentia rationalis potest se ipsam deter­
minare, et maxime voluntas22.
Et, ajoute Scot, une puissance rationnelle comme la volonté est
capable de cet acte d’autodétermination au plus haut degré (maxime).
Dans le corps de sa propre position sine qua non, Scot soulève une
objection, disant qu’Aristote lui même distingue l’intellect de la nature.
Donc, on a tort d’utiliser la distinction du Stagirite pour soutenir une
position qui place l’intellect sous l’étiquette nature ou cause naturelle.
Scot répond que l’intellect se comprend comme une sorte de puissance
opératrice qui concourt avec la volonté en ce qui concerne les factibilia,
comme les oeuvres d’art :
Dico, quod intellectus potest accipi secundum quod est quaedam potentia
operativa, vel secundum quod intellectus et voluntas sunt principium
concurrentia respectu practicabilium, quae extrinsecus producuntur per
intellectum et voluntatem. Promo modo parum loquitur Philosophus de
intellectu, sed secundo modo multum frequenter fere per totum librum
Ethicorum, et 9. Metaphysic. et 3. De anima, et 2. Physic, de potentia

22 Rep. par. II, d. 25, n. 2 (Viv. XXIII, 118a).


LA GENÈSE DE LA VOLONTÉ RATIONNELLE 421

rationali ; et isto modo agens per intellectum distinguitur contra agens per
naturam23.

Ainsi, il est vrai que, dans ces cas, l’intellect n’agit pas comme la
nature. De plus, Aristote lui-même offre ce genre d’argumentation dans
l ’Ethique à Nicomaque, la Métaphysique DC, le De anima III et la
Physique IL Ici, Scot ne change pas sa position de la Lectura, ni son
analyse des Quaestiones in Metaphysicam.
Mais, comme nous l’avons vu24, Scot continue en affirmant qu’on
peut imaginer sans contradiction l’existence d’un appétit intellectuel
incapable de se déterminer, agissant per modum naturae25. Ainsi parle
Anselme, qui dans le De casu diaboli, présente l’ange qui existe sans
Y affectio justi. Cet être n’aura pas la liberté de la volonté, une liberté
qui se constitue par les deux affections et qui s’exprime par
l’autodétermination. C’est la volonté qui est seule capable de cet acte ;
c’est la volonté qui est causa totalis volitionis.
Ce texte de la Reportatio embellit le rôle de la volonté par son
autonomie rationnelle. L’objet connu (de la Lectura) apparaît ici
comme causa sine qua non, il est vrai. Mais il faut faire très attention
au contexte. Sa position causa sine qua non est encadrée par deux
références à la causalité rationnelle de la volonté : la distinction
d’Aristote et l’analyse approfondie d’Anselme. Leur présence ici met
en doute la conclusion que, à Paris, Scot donnait une liberté plus
radicale à la volonté, où elle agit indépendamment de la raison. En
considérant le contexte de la Reportatio, avec Anselme et Aristote
comme arrière-fond, on peut dire que l’utilisation de l’expression causa
sine qua non ne reflète pas le volontarisme extrême d’Henri de Gand.
Au contraire, ce texte va dans la direction inverse : vers l’intégration de
l’intellect et de la volonté dans une volonté rationnelle.

23 Rep. par. II, d. 25, n. 20 (Viv. XXIII, 128a-b).


24 Voir supra le texte cité pp. 416-417 (note 18).
25 II suit ici la position d’Olivi qui a affirmé que, sans la volonté, les hommes
seraient « des bêtes intellectuelles ». Cf. PETRUS IOANNES OLIVI, In II Sent., q. 57
(II, 338), cité par O. BOULNOIS, Être et représentation. Une généalogie de la
métaphysique moderne à l ’époque de Duns Scot, Paris, PUF, 1999 (Epiméthée), p.
207, note 2.
422 MARY BETH INGHAM

Un dernier exemple confírme cette interprétation. Il y a ime cause,


dit Scot, qui est à la fois indéterminée et complète. Cette cause est
capable d’autodétermination vers l’un des deux opposés. C’est une
cause complexe et rationnelle, comme la volonté quand elle agit avec
l’intellect :
Alia est causa indeterminata, quae est causa completa, potens se
determinare ad unum istorum, et ista est rationalis complexa, ut voluntas
cum intellectu, et hoc necesse est dicere, si aliquid sit contingens ; et talis
potest determinare, et complete se determinare, quia est indeterminata
active26.

L’intellect et la volonté, quand ils agissent ensemble, forment cette


cause, complexe et rationnelle. L’aspect rationnel de leur collaboration
n’est plus celui de la Lectura, mais celui de la discussion anselmienne,
modifiée par Scot. La cause est rationnelle parce que la volonté est
rationnelle. La cause a ime nature complexe en raison de sa manière
d’accepter l’objet connu et parce qu’elle agit avec une complexité
intérieure, du fait qu’elle combine les deux affections de la volonté.

III. H e n r i d e G a n d e t l a v o l o n t é

Quant à Henri de Gand, il n’a pas identifié la volonté avec la


puissance rationnelle. Dans son Quodlibet IX (1286), Henri distingue la
liberté de la raison, expliquant que la volonté dépend de l’intellect pour
être rationnelle. Dans le Quodlibet XIV (1290-91), il affirme que la
raison ne fait pas partie de la définition de la volonté. Enfin, dans son
Quodlibet XIII (1289-90), Henri s’accorde avec Anselme en déclarant
que, post lapsum, 1’affectio iustitiae ne fait pas partie de la volonté
humaine.
Ainsi, nous pouvons conclure que, bien que l’enseignement
scotiste de la Reportatio II, 25 représente un développement
d’intégration dans sa manière de voir l’intellect et la volonté, et bien
que ce développement souligne le rôle central de la volonté, cet

26 DUNS SCOTUS, Rep. par. II, d. 25, n. 23 (Viv. XXIII, 129).


LA GENÈSE DE LA VOLONTÉ RATIONNELLE 423

enseignement parisien n’est ni plus radical (en libérant la volonté de la


raison), ni plus proche de la position d’Henri de Gand. A vrai dire, c’est
la Lectura qui accepte les présupposés d’Henri sur la raison et son
rapport avec l’intellect. Quand il reprend cette question à Paris et qu’il
donne sa dernière réflexion, Scot a mieux compris comment la volonté
est l’unique puissance rationnelle, et, grâce à Aristote et Anselme,
comment intégrer l’acte d’intellection dans le domaine pratique.

Loyola Marymount University, Los Angeles


C h r is t o p h e C e r v e l l o n

L ’AFFECTION DE JUSTICE CHEZ DUNS SCOT

JUSTICE ET LUXURE DANS LE PÉCHÉ DE L ’ANGE

Si le mal est un défi pour la philosophie et la théologie, et s’il ne


peut qu’inviter philosophe et théologien à penser autrement1, la racine
du mal, telle qu’on la trouve représentée dans la narration du premier
péché de l’ange, peut apporter quelque lumière sur les conceptions les
plus authentiquement scotistes du mal, du bien, de la justice et de
l’injustice. On connaît les données scripturaires et patristiques2, et l’on
sait que ces données offraient aux théologiens une certaine « latitude » ;
au reste, Scot, comme beaucoup d’autres auteurs médiévaux, déploie à
l’occasion de cette question le meilleur de son originalité, présentant
peut-être en l’espèce l’exposé le plus complet dans son oeuvre sur le
couple affectio justitiae! affectio commodi qui joue, comme on sait3, un
rôle central dans toute son « éthique ».

1 Cf. P. RICŒUR, Lectures III. A ta frontières de la philosophie et de la théologie,


Paris, Seuil, 1994 (La Couleur des Idées), p. 211.
2 Pour les données scripturaires, essentiellement Genèse, 3, 14 ; Isaïe, 12, 14 :
« D’où n ’es-tu pas tombé, Ange de l’Aurore ? ». Sur le premier et le plus important
des péchés : Ecoles., X, 15 : « initium omnis peccati superbia» ; I Tim., VI, 10 :
« radix omnium malorum est avaritia ». Pour les données patristiques :
AUGUSTINUS, De Genesi ad litteram XI, 13 (17)-15 (19) (BA 49, 257-261). Surtout
XV, 19 : « radix omnium malorum est avaritia, si avaritiam generalem intelligamus,
qua quisque appetit aliquid amplius quam oportet propter excellentiam suam et
quendam proprie rei amorem. Cui sapienter nomen latina lingua indidit, cum
appelavit privatum, quod potius a detrimento quam ab incremento dictum elucet ;
omnis enim privatio minuit ».
3 Sur ce point, voir A. B. WOLTER, « Native Freedom of the Will as a Key to the
Ethics of Scotus », in ID., The Philosophical Theology o f John Duns Scotus, ed. M.
M. Adams, Ithaca (N.Y.), Cornell University Press, 1990, pp. 148-162 ; M. B.
INGHAM, « Did Scotus Modify his Positions on the Relationship of Intellect and
426 CHRISTOPHE CERVELLON

L’affection de justice, c’est l’inclination qu’a la volonté à pouvoir


aimer ou vouloir une chose telle qu’il est juste de la vouloir, en tant que
la chose est bonne en elle-même - propter se - ; Y affectio commodi,
c’est l’inclination qu’a la volonté, en tant qu’elle est un désir, à aimer
ou à vouloir une chose, en tant qu’elle constitue un bien pour moi
(bonum mihi), c’est-à-dire non pas en tant que la chose est bonne en
elle-même, selon sa valeur intrinsèque, mais en tant qu’elle est bonne
pour autre chose qu’elle-même (propter aliud). Y ’affectio commodi de
la volonté suit donc la logique du désir (je ne désire une chose qu’en
fonction d’un désirable qui est désirable par moi et pour moi, puisque
le désir est un manque d’être qui cherche à se combler, et dans l’amour
le plus fort que je porte à autrui, c’est encore mon bien - mon
accomplissement - que je recherche à travers cet amour) ; avec
Y affectio justitiae, au contraire, la volonté peut échapper à la logique
du désir, et aimer une chose comme formellement bonne, et non pas
avec la seule motivation effective du désir. Non certes que la bonté de
la chose puisse être l’objet formel de la volonté, quand sa désirabilité
constituerait son objet moteur ; mais il y a dans la volonté deux
inclinations, deux tendances qui, nous le verrons, sont en même temps
des pouvoirs, et qui rendent apparemment possibles deux modes de
relations à l’objet.
Ce que nous nous proposons de faire ici, c’est de voir
concrètement fonctionner un tel couple dans l’explication du péché de
l’ange. Nous espérons ainsi mettre au jour ce qu’il y a d’obscur dans le
mal et, aussi bien, quoique cela puisse sembler plus surprenant, ce qu’il

Will ? », Recherches de Théologie et Philosophie médiévales 69/1 (2002), pp. 108-


109, qui insiste sur le rôle des deux affections dans le rationalisme de Scot. Nous
utiliserons largement dans cet article, éventuellement pour les discuter, les idées
présentées par S. LEE, « Scotus on the Will : the Rational Power and the Dual
Affections», Vivarium 36/1 (1998), pp. 40-51 ; R. TE VELDE, « Natura in seipsa
recurva est : Duns Scotus and Aquinas on the Relationship between Nature and
Will», in John Duns Scotus (1265/6-1308). Renewal o f Philosophy, ed. E. P. Bos,
Amsterdam - Atlanta, Rodopi, 1998 (Elementa. Schriften zur Philosophie und ihrer
Problemgeschichte, 72), pp. 155-169 ; J. BOLER, « Transcending the Natural : Duns
Scotus on the Two Affections of the Will », American Catholic Philosophical
Quarterly 67/1 (1993), pp. 109-126 ; M. M. ADAMS, « Duns Scotus on the Will as
Rational Power », in Via Scoti. Methodologica ad mentem Ioannis Duns Scoti, ed. L.
Sileo, Rome, PAA-Edizioni Antonianum, 1995, pp. 839-854.
L’AFFECTION DE JUSTICE CHEZ DUNS SCOT 427

y a de vertigineux dans la justice même qui est de nous requise. Car le


mal n’est pas introduit dans le monde par une « inadvertance »4, mais
par un acte qui, pour n’être pas positif (car le mal n’est rien de positif),
suppose le fondement d’une volonté libre, jusques et y compris dans
son obstination. Si le mal n ’existe pas, le Démon, lui, existe ; et si le
mal est ainsi le mystère d’un suppôt qui ne supporte rien5, c’est
pourtant à l’occasion de l’analyse de la volonté mauvaise - analyse qui
porte au jour ses conditions de possibilité - que Scot a dégagé le plus
précisément les lignes de force de sa morale (ce que c’est que vouloir,
ce que c’est que pouvoir vouloir droitement, ce que c’est que la
droiture), dès lors qu’une morale digne de ce nom doit premièrement
expliquer comment le mal est possible, et ainsi espérer penser
(« autrement », pour ainsi dire) à partir de cette possibilité radicale (qui
est à strictement parler possibilité de rien) ce qu’est la volonté bonne.
C’est le mal, comme possibilité du rien, qui nous éclaire sur nos
propres possibles - sur notre pouvoir de bien faire. C’est ce mal qui
n’est rien qui est le point de départ véritable de l’éthique scotiste : si le
mal est possible, dans son néant, il n’est possible que par la possibilité
du bien qu’il révèle tout en la pervertissant. Le mal n ’est possible que
de la possibilité du bien, qu 'il met ainsi au jour, et dérobe.
En commentant la distinction 6 du livre II de Y Ordinatio, dont
l’édition critique vient de paraître, nous montrerons combien, par
rapport à Thomas6, ou à Anselme7, Scot est profondément original,

4 Cf. M. de GANDILLAC, « Une prétendue inadvertance de Lucifer », in Le


Diable, ed. J.-Cl. Aguerre, Paris, Ed. Dervy, 1998 (Cahiers de l’hermétisme), pp. 125-
133, dont le but avoué est de « souligner, chez le plus autorisé des Maîtres
médiévaux, ce docteur qu’on a qualifié d’angélique, un effort très sacerdotal pour
exténuer au maximum la volonté du mal à sa source même, jusque chez la créature
angélique, supposée sans corps et sans passion, plus proche qu’aucune autre de
l’impeccabilité » (ici p. 128).
5 Cf. J.-L. MARION, « Le mal en personne », in Prolégomènes à la Charité, Paris,
La Différence, 1986, pp. 34-36 : « Car Satan se révèle précisément en ce qu’il se
dérobe à la responsabilité [...]. L’absence de Satan, plus qu’une ruse, constitue son
seul mode d’action. »
6 Pour le péché de l’Ange, voir THOMAS DE AQUINO, ST la, q. 63 (« De
Angelorum malitia quoad culpam ») ; q. 64 (« De poena daemonum ») (Leon. V, 121-
147). Nous utiliserons largement aussi les Quaestiones disputatae de malo, q. 16, aa.
428 CHRISTOPHE CERVELLON

cependant qu’il donne une nouvelle formule de la volonté libre. Car,


avec le péché de l’Ange, nous ne sommes pas simplement en face de la
racine du mal, de la « faute à l’état pur », mais aussi bien, de « la liberté
à l’état pur »8, sans ombres ni mélanges, sans excuses passionnelles ni

1-5, et nous renvoyons à la traduction donnée par les Moines de Fontgombault, Paris,
1992.
7 Pour la question de la double affection de la volonté, voir ANSELMUS
CANTUARENSIS, De casu Diaboli (les chapitres 4, 13 et 14 sont régulièrement
invoqués par Scot) ; ainsi que De concordia praesciende et praedestinationis et
gratiae dei cum libero arbitrio, c. 9, p. 279 (p. 224), où l’on trouve cette définition de
l’affection de justice : « Voluntas utique dici videtur aequivoce tripliciter. Aliud est
enim instrumentum volendi, aliud affectio instrumenti, aliud usus ejusdem
instrumenti [...]. Affectio hujus instrumenti est, qua si afficitur ipsum instrumentum
ad volendum aliquid, etiam quando illud quod vult non cogitat, ut si venit in
memoriam, aut statim aut suo tempore illud velit ». Sur l’origine anselmienne de la
distinction reprise par Scot entre affectio justitiae et affectio commodi, voir
notamment C. G. NORMORE, « Picking and Choosing : Anselm and Ockham on
Choice », Vivarium 36/1 (1998), pp. 23-39 (ici pp. 27-28), où Normore insiste sur le
fait qu’il y a bien deux volontés selon lesquelles l’homme peut choisir : « The key
element of Anselm’s account to which I wish to direct your attention is his claim that
an agent chooses by following one will rather than another [...] ». Chez Scot, au
contraire, il n’y a pas deux volontés, mais deux affections dans une seule volonté, si
bien que le choix suppose toujours les deux affections ensemble, et non pas de jouer
une affection/volonté contre une autre. Voir aussi du même autem : « Anselm’s Two
Wills », in Les Philosophies morales et politiques au Moyen Age. Actes du IXe
Congrès de Philosophie médiévale (août 1992), eds. B. C. Bazán - E. Andújar - L. G.
Sbrocchi, New York-Ottawa, Legas, 1995 (Publications du Laboratoire de la pensée
ancienne et médiévale de l’Université d’Ottawa, 1/2), pp. 759-766. Normore souligne
d’ailleurs un point très important, qui distingue radicalement la position de Scot de
celle d’Anselme : « the creature with one voluntas cannot become the creature with
two by his own efforts ». Chez Anselme, Vaffectio justitiae relève de la grâce,
cependant que chez Scot 1’affectio justitiae relève de la nature, et définit la nature
même de la volonté, la nature libre de la volonté.
8 J. MARITAIN, « Le péché de l’Ange », in Ch. JOURNET - J. MARITAIN -
PHILIPPE DE LA TRINITÉ, Le péché de l ’Ange. Peccabilité, nature et surnature,
Paris, Beauchesne, 1961, pp. 44-45. Cf. aussi J. MARITAIN, « Le problème du mal »,
in ID., De Bergson à Thomas d ’Aquin. Essais de métaphysique et de morale, Paris,
Paul Hartmann, 1947 ('1944), pp. 269-301, qui, loin de considérer le péché luciférien
chez Thomas comme une « inadvertance », y voit bien plutôt, de manière sans doute
L’AFFECTION DE JUSTICE CHEZ DUNS SCOT 429

fragilité trop humaine (trop sensible). Nous sommes ainsi devant un de


ces cas extrêmes, ou « limite », qui peut nous apprendre beaucoup, par
comparaison, sur ce qui fait le propre de la condition mortelle, puisque
la décision angélique est comme « un horizon de la décision
humaine »9, comme une forme séparée et fixée indéfectiblement de
« notre » liberté, avec ses promesses et ses menaces.

I. C o n t e x t e s e t p r o b l è m e s

Comment le Diable a-t-il pu pécher ? La Lectura comme Y Ordina­


tio proposent plusieurs questions pour parvenir à comprendre comment
un tel scandale est devenu possible. La première de ces questions pose
le problème d’une possibilité : « L’ange a-t-il pu désirer l’égalité avec
Dieu (appetere aequalitatem divinam) ? »10. A cette question, la
réponse de Scot sera affirmative. Le Diable a effectivement voulu

plus exacte, « la morsure du néant », la déficience ontologique qui entâche toute


créature, et qui entraîne la « lèpre de l’absence », la déficience morale, quand l’acte
est posé sans la règle censée le normer. Pour une explication complète du péché
diabolique, qui rejoint et précise celle de Maritain, voir M.-L. GUÉRARD DES
LAURIERS, Le péché et la durée de l ’Ange, Rome, Desclée, 1961 (Collectio
philosophica Lateranensis, 10), pp. 203-291 : elle a le mérite de mettre sur un même
plan surnaturel et naturel au regard de la structure d’abord métaphysique, puis morale
de l’acte de pécher. Ce sera aussi notre parti pris, afin de voir ce qui chez Scot,
indépendamment de la problématique proprement théologique, peut être assumé par
la philosophie. Cependant si, avec Guérard de Lauriers, nous pensons que l’on peut
traiter les ordres métaphysique et moral, en l’espèce du péché de l’Ange,
indépendamment de la distinction naturel-surnaturel (le péché dans l’ordre surnaturel
est aussi un péché dans l’ordre de la nature, et vice versa), nous n’assumerons pas
aussi nettement que J. Boler la distinction ordre métaphysique/ ordre moral, cherchant
au contraire à montrer combien cette distinction est fuyante dans le texte de
VOrdinatio, II, 6.
9 J.-L. CHRÉTIEN, « Entre l’obstination et la persévérance », in ID., La Voix nue,
Paris, Minuit, 1990, p. 62.
10 DUNS SCOTUS, Lect. Il, d. 6, n. 1 (Vat. XVm, 371) ; Ord. II, d. 6, n. 1
(Vat. VIII, 25) ; Rep. par. II, d. 6, n. 1 (Viv. XXII, 614).
430 CHRISTOPHE CERVELLON

l’impossible, parce qu’il est possible de vouloir, d’une volonté


véritable, ce qu’il y a de plus contradictoire : qu’une créature soit égale
à Dieu.
La seconde de ces questions pose le problème d’un classement : le
premier péché de l’ange fut-il l’orgueil {peccatum superbiae)? A cette
question, Scot répondra que le premier péché a plus de rapport avec la
luxure, fut-elle spirituelle, qu’avec la superbe :
Unde magis reducitur ad luxuriam spiritualem quam ad superbiam1112.
C’est en répondant à cette seconde question que Scot livre
l’analyse la plus développée de ce qu’il faut entendre par affectio
justitiae et affectio commodin . Cependant, ces deux questions sont
elles-mêmes encadrées entre deux autres interrogations (distinctions 4-
5, et distinction 7) qui expliquent et complètent les solutions ici
formulées à la chute du Diable. Scot se pose d’abord la question de
savoir si le diable a pu pécher au premier instant :
Utrum Angeli in primo instanti fuerunt beati vel miseri ?
Scot, pour répondre, distingue le fait et le droit ou, plus
précisément, l’effectif et le possible. En fait, l’Ange déchu n’a pas
péché au premier instant, si l’on suit (et l’on doit suivre) les autorités.
Mais il lui était cependant possible de pécher au premier instant de sa
création :
Et possibile est Angelos malos esse miseros miseria poenae et miseria
culpae in primo instanti voluntatem, [...] igitur aequaliter potuit errare,
quia in isto instanti potuit amare se amore amicitiae ultra rectam
rationem13.

Ce point est capital : si l’ange avait pu pécher au premier instant de


sa création, ce n’est pas que son péché fût nécessaire (conséquence
redoutée par les Maîtres en théologie, comme Bonaventure, qui
rejetaient semblable position) - puisqu’au moment où il péchait, il
n’aurait pas pu ne pas pécher -, mais, tout au contraire, parce qu’à

11 DUNS SCOTOS, Lect. II, d. 6, n. 48 (Vat. XVIII, 384).


12 DUNS SCOTUS, Lect. II, d. 6, n. 29 (Vat. XVII, 378) ; Ord. II, d. 6, n. 40 (Vat.
VEI, 42-43).
13 DUNS SCOTUS, Rep. par. H, d. 4, n. 12 (Viv. XXII, 607).
L’AFFECTION DE JUSTICE CHEZ DUNS SCOT 431

l’instant même qu’il péchait, il était libre d’agir autrement. Point


d’hérésie, donc, dans l’hypothèse d’une créature initialement mauvaise
- mauvaise au premier instant de sa création - mais, au contraire, la
suite logique d’une thèse philosophique qui commande, pour Scot,
toute analyse métaphysique de la volonté : la surabondance du vouloir
sur la nature. Vouloir le mal dans un premier et unique instant, n’aurait
pas impliqué, pour cette volonté, d’être une volonté nécessairement
mauvaise, puisque vouloir le mal, dans un premier et unique instant,
implique, tout au rebours, de le vouloir librement, c’est à dire de causer
une volition (a) qui ne supprime pas la possibilité d’une autre volition
( - a ) 14.
Comme le dit encore Scot :
Dico igitur quod potuit non pecasse potentia ante actum ordine naturae,
non autem prius duratione [...]. Sed sufficit quod prius origine, vel ordine
naturae possit non producere effectum, quem producit extra se ad hoc
quod contingenter ipsum producat15.
Point n’est donc besoin d’une antériorité temporelle ; il suffit que
la puissance de causer se précède elle-même, pour ainsi dire, selon un
ordre logique ou de nature, pour qu’en acte premier, elle ait en son
pouvoir deux volitions contraires, qu’elle puisse causer ou non, à titre
d’actes seconds. Ce n ’est pas autre chose qu’affirme Scot dans les

14 Sur ce point capital, voir A. FALK, « The Forbearance of an Instantaneous


Angel : Time and Possibility and Free Will », The Modem Schoolman (1983/84),
pp. 101-116; St. D. DUMONT, «The Origin of Scotus’s Theory of Synchronic
Contingency », The Modem Schoolman 72 (1995), pp. 149-167 ; J. SCHMUTZ, « Du
péché de l’ange à la liberté d’indifférence. Les sources angélologiques de
l’anthropologie moderne », Les Études Philosophiques 2 (2002), pp. 177-178.
15 DUNS SCOTUS, Rep. par. H, d. 4, n. 5 (Viv. XXII, 604a). Nous citons ici
l’édition Wadding-Vivès des Reportata, car la question de savoir si le Diable aurait
pu pécher au premier instant de sa création manque dans le tome VIII (2002) de
l’édition Vaticane. Visiblement, l’histoire des textes manuscrits montrant la
possibilité d’une volonté mauvaise au premier instant semble complexe (on se
reportera à l’apparat critique du tome VH sur cette difficile question et sur les aperçus
qui sont faits sur les Additiones Magnae de Guillaume d’Alnwick), mais il reste que
le texte que l’on trouve dans la Wadding semble bien être de Scot lui-même, et en
tous cas est totalement cohérent avec le reste de sa pensée.
432 CHRISTOPHE CERVELLON

Questions disputées sur la Métaphysique16, et dans la distinction 39 de


la Lectura :
Non potentia ante actum tempore, nec potentia cum actu, sed potentia ante
actum natura, nam quando causa causans libere et contingenter causat,
praecedit natura suum effectum, - et in illo instanti contingenter causaret,
quia si non pro illo instanti contingenter causaret, non causaret
contingenter, quia tunc contingenter non causat pro alio instanti17.

Mais que reste-t-il de cette liberté radicale (la volonté comme


cause contingente) en Enfer ? Doit-on dire que la volonté perdue est à
ce point obstinée qu’elle a cessé d’être libre, de sorte que ce soit
nécessairement que la volonté veuille dès lors le mal ? C’est la question
que pose la distinction 7 : « Utrum malus angelus necessario velit
male ? » On le voit, partie de la question de savoir si la volonté pouvait
pécher (librement : c’est un pléonasme) au premier instant de sa
création, la démonologie de Scot se conclut classiquement sur une
interrogation qui porte sur la liberté à attribuer (ou non) aux démons (y
compris, donc sur leur liberté de bien agir). Qu’implique la causalité
contingente de la volonté libre au premier instant de la création (1)?
Que reste-t-il de cette causalité contingente, lors donc que la volonté est
comme liée, fichée ou coincée, pour reprendre le vocabulaire d’Henri
de Gand, à son obstination (2) ? Entre ces deux questions, qui portent
sur la causalité contingente, l’analyse de la chute, qui pense autrement
la liberté de mal faire : par le jeu vertigineux de 1’affectio commodi et
de Y affectio justitiae. Nous verrons ce qu’il faut entendre précisément
par ces affections qui ne sont pas tant encadrées, ou insérées dans la
problématique de la causalité contingente, que celle-ci ne se trouve en
réalité surplombée et comme relevée par elles.
L’un des points principaux que nous examinerons est donc le
rapport qu’il convient d’établir entre, d’une part, la causalité
contingente18 de la volonté - qui semble définir la liberté de la volonté

16 DUNS SCOTUS, In IXMet., q. 15, n. 59, in Opera Omnia. Editio minor, ed. G.
Lamióla, Alberobello (Bari), AGA, 2001, p. 548.
17 DUNS SCOTUS, Lect. I, d. 39, qq. 1-5, n. 60 (Vat. XVII, 499-500).
18 Signalons seulement, sur la contingence : S. KNUUTTILA, « Time and Modality
in Scholasticism », in Reforging the Great Chain o f Being, ed. S. Knuuttila,
Dordrecht-Boston-London, Kluwer, 181, pp. 163-257 ; ID., « Duns Scotus’ Criticism
L’AFFECTION DE JUSTICE CHEZ DUNS SCOT 433

- et d’autre part, l’attribution à cette même volonté d’une affection de


justice, que Scot qualifie bien souvent, aussi, de liberté innée de la
volonté. Doit-on penser qu’il y a ici deux définitions de la liberté (par
la causalité contingente et par l’affection de justice), et si tel est le cas,
comment comprendre leur rapport ; ou doit-on penser au contraire que
ces deux définitions, bien comprises, n ’en font réellement qu’une
seule? C’est à cette difficile question, qui a donné de la tablature aux
meilleurs interprètes de la doctrine, que nous apporterons notre plus
grand soin.
Plus précisément, nous contesterons les thèses avancées par John
Boler dans son article de 1993, «Transcending the Natural: Duns
Scotus on the two Affections of the Will ». Ces thèses sont au nombre
de deux :
— Il n’y a pas de lien intrinsèque entre la définition de la liberté de
la volonté par la causalité contingente et celle par Yaffectio justitiae19.

of the ‘Statistical’ Interpretation of Modality », in Sprache und Erkenntnis im


Mittelalter. Akten des VI. Internationale Kongresses fü r mittelalterliche Philosophie,
ed. W. Kluxen et olii, Berlin, de Gruyter, 1981 (Miscellanea Mediaevalia, 13), vol. I,
pp. 441-450 ; L. ALANEN - S. KNUUTTILA, « The Foundations of Modality and
Conceivability in Descartes and His Predecessors », in Modem Modalities, ed. S.
Knuuttila, Dordrecht-Boston-London, Kluwer, 1988 (Synthese Historical Library,
33), pp. 1-69. Sur la causalité contingente, voir M. SYLWANOWICZ, Contingent
Causality and the Foundations o f Duns Scotus Metaphysics, Leiden-New York-Köln,
Brill, 1996 (STGMA, 51) ; ainsi que F. LOIRET, Volonté et Infini chez Duns Scot,
Paris, Kimé, 2003. Citons encore les classiques de l’étude du « volontarisme »
scotiste : J. AUER, Die menschliche Willensfreiheit im Lehrsystem des Thomas von
Aquin und Johannes Duns Scotus, Munich, Hueber, 1938 ; W. HOERES, Der Wille
als reine Vollkommenheit nach Duns Scotus, Munich, Pustet, 1962 (Salzburger
Studien zur Philosophie, 1) ; R. PRENTICE, « The Voluntarism of Duns Scotus, as
seen in his Comparison of the Intellect and the Will », Franciscan Studies 28 (1968),
pp. 63-103.
19 Citons J. BOLER, « Transcending the Natural : Duns Scotus on the Two
Affections of the Will», art. cit., p. 115 : «Although Scotus contrasts the Angel’s
natural appetite (with his single inclination) and the free agent’s will (with its dual
inclinations), there are good raisons to keep the theory of dual affectiones distinct
from the claim of ‘super abundant sufficiency’. In Scotus’s scheme of things, what
makes free, rational action stand out from the course of natural agency is the fact that
the antecedent (natural) conditions do not determine the self movement of the will.
434 CHRISTOPHE CERVELLON

Selon nous, il y a tout au rebours entre ces deux définitions un lien


véritable et fort ;
— L'affectio justitiae est liée à l’obligation morale - ce que nous
ne contestons pas, et que d’ailleurs Copleston, Guimet et Rohmer20

The crucial condition for that interruption of the influence of natural causes at the
point of voluntary self-movement is, I think, not the ability to choose between
alternative course of action, but the capacity of the will to refuse to act no matter what
the antecedent conditions. If such a refusal is possible at all, however, there seems to
me no reason why it would not be possible for a will with a single basic inclination. If
that is right, dual basic inclinations are not necessary for freedom of the will. An
agent might have two affectiones, and yet be schizophrenic : it would not always have
to seek the commodum or always have to seek justitia ; but its actions could still
follow unfreely (and naturally) from whatever affectio happened to operative. »
20 Respectivement : F. COPLESTON, A History o f Philosophy, vol. II, Mediaeval
Philosophy. Augustine to Scotus, Westminster (MD), Newman Press, 1950, p. 547 :
« Actually... God has willed that course of action, and that will is reflected in moral
obligation ». F. Guimet, dans « Conformité de la Charité à la droite Raison », lie
également l’existence d’une obligation d’aimer Dieu à la possibilité naturelle en nous
de nous acquitter d’une telle obligation. Puisque je dois aimer Dieu, puisque le
caractère suprêmement aimable de Dieu résulte de sa nature même, je dois avoir en
moi, par nature, un pouvoir de l’aimer. Si tel n’était pas le cas, un commandement de
la loi naturelle ne pourrait pas être acquitté naturellement. Ce «je dois, donc je peux »
- expression qui se trouve d’ailleurs chez Scot - a certes une coloration kantienne, à
condition d’oublier qu’il s’agit là, premièrement, d’une logique de l’amour, et que
cette logique de l’amour est secondement une conséquence de la nature des choses et
de Dieu. Comme le dit F. Guimet : « Dans l’ordre éthique, l’amour a la signification
de la possibilité toujours donnée d’une référence divine à l’obligation morale
(‘referebilitasj. Parce qu’il s’agit d’une possibilité toujours donnée, il s’agit donc
d’une possibilité naturelle. C’est donc dans cette perspective qu’un texte magnifique
de Y Ordinatio (III, 27) lie l’une à l’autre dans une sorte de dialectique à trois termes,
grâce à une démarche de la raison naturelle d’un rigoureux intellectualisme, la valeur
normative d’une norme suprême (aliquid summe diligendum), l’excellence d’un acte
{aliqua dilectio suprema), et la réalité d’un objet suprême qu’il est ainsi possible
d’aimer... Et, en ce qui concerne la volonté, cette dialectique à trois termes se
retrouve dans la liaison qu’elle établit entre le devoir, l’amour et la liberté (pp. 554-
555). Jean Rohmer rapproche également, mais prudemment, la position scotiste de
celle de Kant, y compris pour la question des actes indifférents : « A la lumière de
cette distinction, Scot remarque que la possibilité des actes individuels et indifférents
entraîne des conséquences capitales pour la vie morale, conséquences que la négation
L’AFFECTION DE JUSTICE CHEZ DUNS SCOT 435

admettent également sans ambiguïté - ; mais ce que nous contestons


c’est de supposer qu’un acte aurait pu être libre sans affectio justitiae -
comme si Vaffectio justitiae ne définissait pas la structure intime de la
volonté libre, bonne ou mauvaise. En soulignant le rôle très véritable
que joue Vaffectio justitiae dans la construction morale de Scot, il nous
semble que Boler distingue par trop ce qui relève uniquement de la
volonté comme métaphysiquement libre (la causalité contingente), et ce
qui relève uniquement de la volonté comme moralement libre (la
volonté selon l’affection de justice), en situant résolument Y affectio
justitiae dans la seconde dimension, et en l’excluant résolument de la
première21. Plus encore, il nous semble qu’en liant Vaffectio justitiae à
un pouvoir d’obéissance ou de soumission à la loi morale - selon un
mode kantien qui voit dans la passion volontaire de Scot une pure et
simple anticipation du désintéressement éthique - , on manque le rôle
que joue Y affectio justitiae dans l’acte mauvais. Chez Scot, la mauvaise
volonté diabolique suppose autant Yaffectio justitiae que la volonté

de cette possibilité avait cachées aux moralistes. C’est la différence entre la moralité
et la légalité que Kant soulignera si fortement plus tard. » Cf. J. ROHMER, La finalité
morale chez les théologiens de saint Augustin à Duns Scot, Paris, Vrin, 1939 (Etudes
de philosophie médiévale, 27)
21 BOLER, «Transcending the Natural», art. eit, pp. 125-126 : «Almost any
theory of freedom of the will may be enough to interpose some gap between knowing
and doing. The focus of Scotus’ idea o f libertas ingenita, however, has to do with the
possibility of special kind of choice, one that, I think, constitutes the moral dimension
as Scotus sees it : i.e. the choice of going (or refusing to go) beyond considerations of
happiness in favor of considerations of justitia or bonum in se. In short, the dual
affectiones provide the space (so to speak) or complexity of structure required for
moral actions conceived in terms of justitia and commodum. They thus provide the
basic parameters (for Scotus) for what it makes sense to say about moral action. For
him, morally good or evil action (described at this basis level) is succeeding or failing
in transcending one’s natural inclinations : not just the inclinations of psychological
egoism but the very tendencies of an intellectual nature to realize itself. To anyone
who sees morality in this way, libertas ingenita will be evident as the capacity of an
intellectual agent to be moral. Scotus’s typical réponse to demands for a basic
explanation of superabundant sufficency - that is, of how the will acts differently
(freely) from a natural agents - is simply that : « the will is the will ». My purpose in
this paper has been to show that an « explanation » along those lines of libertas
ingenita must be that ‘morality is morality’. »
436 CHRISTOPHE CERVELLON

bonne : le partage entre bonne et mauvaise volonté ne passe pas par un


pouvoir de désintéressement, car le Diable a joui de manière
désintéressée de lui-même, selon une quasi luxure spirituelle dont
l’intérêt n ’est pas la clef22. L'affectio justitiae, condition de possibilité
de l’acte moralement bon, ainsi que de l’acte méritoire, est donc
davantage du côté de l’analyse de la volonté que de celle de
l’obligation morale. Ou plutôt, articulant la volonté libre à la volonté
bonne, 1'affectio justitiae est supposée autant par l’exercice d’une
volonté libre (même mauvaise) que dans l’exercice d’une volonté libre
dans le bien. Sans affectio justitiae, pas de volonté bonne - elle est la
condition sine qua non de toute bonté morale ; mais sans affectio
justitiae, pas de volonté du tout (qu’elle soit bonne ou mauvaise)23.

22 Comme le dit R. TE VELDE, « Natura in seipsa recurva est », art. eit, p. 156 :
« ... on the basis of his analysis of the sin of Lucifer, the Fallen Angel,... [we can
show] that for Scotus the will that is motivated by nothing other than its natural
affectio commodi ultimately wills nothing other than itself and his own perfection,
and consequently is unable to turn to God in free unselfish love ». Mais on pourrait
ajouter que le péché de Lucifer ne s’explique aussi bien que parce que la volonté a
une affection de justice. Sans affection de justice, pas de volonté tournée librement
vers Dieu ; mais sans affection de justice, pas davantage de liberté dévoyée... Il est
vrai que c’est exactement ce qu’affirme R. TE VELDE, ibid., pp. 157-158 : « The bad
angel’s offense is not, according to Scotus, merely result of the fact that he seeks and
has a natural inclination towards hapiness. The natural will (voluntas naturalis) as
such is not a fault, because the natural disposition of the will is only an inclination,
not a freely elicited act of will. The bad angel has not sinned because of his natural
inclination towards hapiness, but because he has failed to moderate this natural
inclinations towards his own good in accordance with the rule of justice. The fact that
the angel can sin at all thus presupposes in him the presence o f an affectio justitiae
besides the affectio commodi (nous soulignons) because it is owing to the former that
the will is completely free and can moderate and regulate its natural affectio commodi.
Hence, the angel has sinned because he failed to abide by this rule. The will has the
power to moderate his natural inclination in accordance with a rale ; and it is because
the will has this power that it is obliged to act on this rule. »
23 L’article de John Boler a notamment été discuté par S. LEE, « Scotus on the
Will », art. eit, et M. M. ADAMS, « Dims Scotus on the Will as Rational Power »,
art. cit. Rappelons la conclusion de l’article de Sukjae Lee, qui critique Boler sur le
découplage complet des libertés métaphysique et morale, tout en partageant
cependant l’idée que l’affection de justice a pour fonction essentielle de dépasser le
cadre d’une morale eudémoniste : « Freedom for Scotus ... is a single notion in the
L’AFFECTION DE JUSTICE CHEZ DUNS SCOT 437

II. L e v o u l o i r d e l ’im p o s s ib l e

L’ange a-t-il pu vouloir l’impossible ? A cette question, la réponse


de Scot est affirmative. Elle se heurte pourtant à une objection qu’avait
relevée Thomas. Comme il est dit dans la Summa :
Angelus absque omni dubio peccavit appetendo esse ut Deus. Sed hoc
potest intellegi dupliciter : uno modo, per aequiparentiam ; alio modo, per
similitudinem. Primo quidem modo, non potuit appetere esse ut Deus :
quia scivit hoc esse impossibile, naturali cognitione... Dato quod esset
possibile, hoc esset contra naturale desiderium. Inest enim unicuique
naturale desiderium ad conservandum suum esse : quod non conservaretur,
si transmutatur in alteram naturam24.
Si le Diable n’a pu vouloir s’égaler à Dieu per aequiparentiam,
c’est pour deux raisons. La première est purement logique : l’égalité
avec Dieu est, du moins pour la créature, un cercle carré. La seconde
manifeste une véritable logique du désir : on ne désire que dans
l’horizon de son être propre, et vouloir être comme Dieu {ut deus), c’est
ne plus vouloir être soi.

sense that the ability to do otherwise is sufficient for imputability and the range of
imputable actions coincides with the range of moral phenomena. Moral acts are not in
some special subset of free actions. Rather, all free actions have moral character.
Why ? Because the ability to transcend the affection for advantage through the
affection for justice is precisely where the power of freedom has its source. In other
words, it is not possible for there to be a free agent who lacks view to the bonum in
se. If superabundant sufficiency describes the power of human will to be self-
determining, the dual affections are the characteristic desires of a free will that wields
such a power » (p. 54). Marylin Adams partage, mutatis mutandis, les vues de Boler,
lorsqu’il souligne le rôle que joue l’affection de justice pour « transcender » l’ordre de
la nature et du désir, puisque cette « transcendance » est absolument nécessaire pour
constituer la nature morale de l’agent. En revanche, il faut, selon M. Adams, situer la
discussion sur l’affection de justice non pas simplement dans le cadre d’une
philosophie morale, mais « in a broader metaphysical context of his understanding of
‘Aristotelician’ natures, as well as the theological context in which affectio justitiae is
needed to explain how rational creature can love God above all and for God’s own
sake » {art. cit., p. 849).
24 THOMAS DE AQUINO, ST la, q. 63, a. 3.
438 CHRISTOPHE CERVELLON

Mais il y a pour Thomas une autre façon de comprendre ce ut (ut


deus), non plus comme posant une égalité, mais une similitude.
Appetere autem esse ut deus per similitudinem, contingit dupliciter. Uno
modo, quantum ad id in quo aliquid natum est Deo assimilari. Et sic, si
aliquis quantum ad hoc appetat esse Deo similis, non peccat, dummodo
similitudinem Dei debito ordine appetat adipisci, ut scilicet a Deo
habeat... Alio vero modo potest aliquis appetere similis esse Deo,
quantum ad hoc in quo non natus est assimilari ; sicut si quis appeteret
creare caelum et terram, quod est proprium dei ; in quo appetitu esset
peccatum. Et hoc modo diabolus appetiit esse ut Deus.
Le Diable a donc voulu être semblable, sinon égal à Dieu. Mais il
y a une double similitude : la bonne similitude, par laquelle je suis
rendu semblable à ce que je peux recevoir de la nature même de Dieu -
assimilation à la béatitude étemelle, par exemple - ; la mauvaise
similitude, par laquelle je cherche à être comme Dieu, non certes
comme il est en soi, mais comme il se manifeste par certains effets. Et
c’est par la recherche de cette seconde similitude que le Diable a péché.
D ’ailleurs, cette seconde similitude dissimule en réalité une mauvaise
recherche de la première : car le Diable a en réalité recherché par ses
propres moyens ce que l’assimilation par voie surnaturelle pouvait
seule lui apporter : la béatitude pleine et entière. Il a voulu faire avec
ses moyens naturels ce que Dieu peut seul faire de manière
surnaturelle ; il a donc voulu imiter Dieu dans son pouvoir, non point
pour créer le Ciel et la Terre, mais pour atteindre par ses propres forces
ce que Dieu seul peut accorder : la fin ultime d’une créature qui est, en
même temps, la ressemblance la plus adéquate à Dieu. Par une
mauvaise assimilation, il a recherché la bonne assimilation qui est, par
là même, devenue radicalement vicieuse :
Et haec duo quoddammodo in idem redeunt : quia secundum utrumque
appetiit finalem beatitudinem per suam virtutem habere, quod est proprium
dei.
On voit donc que le traitement du ut Deus est particulièrement
complexe chez Thomas : égalité (reconnue impossible), bonne
similitude, mauvaise similitude, (bonne) similitude viciée par la
mauvaise...
Dans le De Malo, q. 16, a. 3, Thomas précise sa position. Certes,
l’égalité avec Dieu n’est peut-être pas stricto sensu impossible, puisque
le Fils est l’égal du Père. Mais l’égalité avec Dieu cesse d’avoir un sens
L’AFFECTION DE JUSTICE CHEZ DUNS SCOT 439

dès lors que cette égalité est pensée par rapport à une créature et au
désir d’être d’une créature :
Voluntas autem semper appetit aliquod bonum vel sibi vel alii ; non autem
dicitur peccasse diabolus ex hoc quod voluit equalitatem divinam alii -
potuit enim sine peccato velle Filium esse aequalem Patri - sed ex hoc
quod appetit divinam aequalitatem sibi.

En un sens, donc, Thomas ne considère pas que l’égalité avec Dieu


soit radicalement contradictoire, puisque nous pouvons penser l’égalité
du Fils, mais l’égalité avec Dieu ne devient contradictoire et absurde
que replacée dans la logique de mon désir, rapportée à moi, qui suis
une créature. En réalité, si l’égalité avec Dieu est contradictoire pour la
pensée, ce n’est pas en vertu de la propriété logique des termes
(comment concevoir l’égalité avec ce qui n’a pas d’égal, c’est-à-dire
Dieu ?), mais en vertu de la proportion qui existe entre les êtres qu’une
telle relation ‘être-l’égal-de’ prétend lier. Comment le Diable a-t-il pu
concevoir l’égalité de son être - qui n’est que parce Dieu lui donne
d’être - avec l’acte d’être lui-même, qu’est Dieu ?
Hujus ratio manifesta est primo quidem ex parte Dei, cui non solum
impossibile est aliquid equari, sed etiam hoc est contra rationem essentiae
ejus. Deus enim per suam essentiam (est) ipsum esse subsistens ; nec est
possibile esse duo hujusmodi sicut nec possibile foret esse duas ideas
hominis separatas aut duas albedines per se subsistentes. Unde quicquid
aliud ab eo necesse est quod sit tamquam participans esse, quod non potest
equale ei quod est essentialiter ipsum esse. Nec hoc potuit diabolus in sua
conditione ignorare.
Il y a enfin une autre raison qu’avance Thomas et qui ne regarde
pas l’objet de la volonté tel qu’il se manifeste à l’intellect (comment
vouloir être ce que l’on sait être ce par quoi l’on est ?), ni la logique du
désir (comment vouloir être autre chose que ce que l’on est, sous peine
de cesser d’être), mais la nature même de la volonté en tant qu’elle
veut. Comme le dit Thomas, commentant YEthique à Nicomaque :
Electio enim, quia refertur ad nostram operationem, non dicitur esse
impossibilium. Et si quis dicat se eligere aliquod impossibilium videtur
esse stultus. Sed voluntas, qui respicit bonum absolute, potest esse
cujuscumque boni, licet sit impossibile. Sicut aliquis potest velle esse
440 CHRISTOPHE CERVELLON

immortalis, quod est impossibile secundum statutum hujus corruptibilis


vitae. Ergo electio et voluntas non sunt idem25.

Si la volonté, en tant que puissance, a pour objet le bien en tant que


tel, la volonté en acte, en tant qu’elle fait élection, ne peut porter sur
l’impossible. Une volonté portant sur l’impossible ne serait donc pas
plus une volonté véritable que la volonté de voir ses cheveux ou ses
ongles pousser. L’élection n’est qu’apparente, c’est un vain désir qui
suffit peut-être pour être imputé à faute, mais dans le vouloir vicieux
d’un impossible comme être égal à Dieu, je ne suis à strictement parler
responsable de rien, puisque non seulement je n ’ai rien voulu, mais que
ma volonté elle-même est nulle. La volonté mauvaise du Diable porte
sur un néant - l’impossible égalité avec Dieu - et elle-même est un
néant de volonté, l’absence de toute véritable volonté. Elle n ’a que la
positivité d’un désir égaré qui, de surcroît, se nie lui-même comme
désir naturel de l’être queje suis en tant qu’il désire continuer à être.
C’est pour cette triple déficience formelle de la volonté diabolique
désirant l’égalité avec Dieu - néant de l’objet voulu, néant de la
volonté qui veut, égarement et contradiction du désir - que Thomas
refuse l’idée que le Diable a pu vouloir directement l’égalité divine, et
n ’a voulu réellement qu’une similitude vicieuse. Pourtant, en voulant
vicieusement s’assimiler à Dieu, il est vrai aussi que le Diable a
cherché indirectement - autant qu’il est possible pour ce qui est
impossible - l’égalité avec Dieu26.

25 THOMAS DE AQUINO, In IIIEth., c. 5, ed. R.M. Spiazzi, Rome, 1949, p. 126.


26 La volonté diabolique n’est possible que par la liberté du vouloir qui, en
voulant mal, ne veut en réalité rien. La volonté de l’ange qui ne considère pas la règle
de la sagesse divine sur laquelle il devrait se régler (voir ci-après : 2.1), qui a la
possibilité de s’abstenir d’une telle considération en vertu de la déficience
ontologique qui entâche toute créature contingente en tant que telle, a pour
contrepartie de rendre possible la quasi-impossibilité formelle de la volonté
diabolique, qui est positivement un acte déréglé. Non seulement nous ne sommes pas
la règle de notre vouloir, mais le vouloir déréglé de Satan est quasi impossible tant il
multiplie les raisons de nullité. Comme le dit Maritain : « Il y a deux moments à
distinguer, non pas selon le temps, mais selon l’ordre ontologique ; premier moment,
ne pas considérer la règle, ce qui est une négation, une absence, l’absence d’un bien
qui n’est pas encore dû ; et second moment, agir avec cette négation, qui du seul fait
qu’on agit avec elle devient une privation, l’absence d’un bien dû à l’action. Le
L’AFFECTION DE JUSTICE CHEZ DUNS SCOT 441

Scot va s’opposer aux thèses thomistes sur le péché angélique en


montrant trois choses : premièrement, qu’un désir humain ou angélique
portant sur l’égalité avec Dieu n ’a rien de contradictoire ; secondement,
en montrant que la proposition « Pange-être-Pégal-de dieu » n ’est pas,
stricto sensu, un impossibile. Scot ne reprendra évidemment pas la
théorie de la participation et de l’analogie qui sous-tend les analyses
thomistes de l’impossibilité (plus ontologique encore que logique) pour
l’ange de vouloir être comme Dieu, mais s’en tiendra à une analyse de
l’objet - contradictoire ou non - de la volition ; troisièmement, en
donnant à la voluntas simplex ou velleitas le poids d’une vraie volonté.
Premièrement, Duns Scot remarque qu’un désir orienté vers
l’égalité avec Dieu n’a rien de contradictoire. La volonté a pour objet le
bien, et l’égalité avec Dieu est un bien. La volonté peut donc désirer
tout ce qui a raison de bien : il n’y a aucune contradiction du désir. Si la
volonté suit le bien, elle peut a fortiori suivre le bien d’égaler l’être du
voulant à l’être de Dieu. Comme le dit Scot :
Voluntas enim habet pro objecto suo bonum quod vult et bonum cui vult
[...] sed aequalitas dei est quodam bonum, et angelus similiter est quodam
bonum27.

Plus précisément, l’objet de la volonté étant le Bien, tout ce qui


entre sous la catégorie du Bien peut être objet de volonté. Le désir ne
s’enracine pas dans la nature du désirant, mais dans la nature du
désirable :
Voluntas [...] habet totum ens pro objecto, ita quod sicut quodcumque
potest aliquis amare amore amicitiae, ita quodcumque ens potest ipse
concupiscere ipsi amato [...] et ita, cum aequalitas dei sit quodam bonum

premier moment est volontaire, il est libre, il n’est pas encore le péché mais la racine
du péché ; c’est un certain néant, le néant de la considération de la règle... A d hoc
sufficit ipsa libertas voluntatis... Nous avons par suite beaucoup de peine à concevoir
une initiative libre, qui n’est pas une action, mais ime initiative de ne pas agir, de ne
pas regarder la règle, l’initiative d’une absence... Nous sommes là en face du recès
propre du mal ; là la créature est cause première, mais négativement » (J. MARITAIN,
« Le problème du mal », art. cit., p. 292-297).
27 DUNS SCOTUS, Lect. II, d. 6, n. 10 (Vat. XVIII, 373).
442 CHRISTOPHE CERVELLON

concupiscibile secundum se, sibi potuit angelus illud bonum concu­


piscere28.

Si la volonté a tout le bien pour objet, que l’égalité avec Dieu soit
un bien, et que la nature même de l’ange soit également un bien, l’ange
peut - selon la logique de la volonté/désir - désirer ce qui chez Thomas
d’Aquin eût été une contradiction du désir lui-même : que l’ange
s’égale à Dieu. C’est tout l’être qui s’offre à la volonté et, à travers elle,
au désir. Ce n ’est pas le désirable qui est désiré selon la mesure d’un
désirant, c’est l’être qui, en tant qu’être, tombe sous la volonté.
L’horizon du désir n’est pas mon être, mais l’être en tant que tel. La
logique de la volonté ne s’origine pas dans la nature du sujet voulant,
mais a priori dans tout ce qui présente la raison d’être voulu. Ce n’est
pas ce qui est désirable pour moi qui est la règle de mon désir, mais ce
qui peut être désiré/voulu en soi qui s’offre au pouvoir de toute volonté.
Le Diable, l’ange tombé, a pu désirer/vouloir être l’égal de Dieu, parce
que l’égalité avec Dieu est un bien, et que l’ange est également un bien.
Aucune contradiction ne peut surgir de la réunion de deux biens, ou de
la volonté voulante en prise sur l’être. On dit souvent que Scot a
distingué fondamentalement l’ordre du désir de l’ordre de la volonté (et
nous le dirons nous-même) ; mais il faut aussi remarquer qu’il a élargi
l’ordre du désirable en le séparant de toute référence à la nature d’un
sujet désirant. C’est à cette condition que le désir diabolique n’est pas,
comme chez Thomas, contradictoire. Le désirable en soi, qui n ’est
pourtant pas le désirable pour moi, est le désirable par moi. L'affectio
justitiae ne se comprend peut-être d’ailleurs qu’à l’occasion de ce
décentrement du désir, puisque Vaffectio justitiae permet à la volonté
de pouvoir aimer ce qui est aimable en soi.
Secondement, ce que l’ange a voulu - être l’égal de Dieu - est
certes impossible pour l’intellect. Mais ce n’est pas impossible pour la
volonté. La proposition « l’ange-être-l’égal-de-Dieu » n’est pas en effet
fausse pour la volonté, mais neutre. Le péché de l’ange - vouloir être
l’égal de Dieu - n ’a pas été précédé d’une erreur intellectuelle -
concevoir que l’égahté avec Dieu est possible, lors même que Dieu n ’a
pas d’égal - , car la racine du péché eût été alors une erreur du
jugement, une faute intellectuelle, dont Dieu aurait in fine porté la

28 DUNS SCOTUS, Ord. Il, d. 6, n. 10 (Vat. VIII, 27).


L’AFFECTION DE JUSTICE CHEZ DUNS SCOT 443

responsabilité (pourquoi Dieu aurait-il donné à l’Ange une faculté


intellectuelle à ce point déficiente, qu’elle eût pu commettre une erreur
aussi importante ?), mais la proposition « l’ange est l’égal de Dieu » est
une proposition qui n’a, avant la décision de la volonté angélique,
aucune valeur de vérité :
Quando arguitur quod ‘aut ratione recta aut erronea hoc appetunt’,
dicendum quod nec sic nec sic, sed ut neutra ostenditur voluntati - , sicut
apprehendo quod ‘astra sint paria’, placet quod sint paria. Aliter potest dici
quod non appetunt intellectu complexionis, sed intellectus simpliciter
apprehendit aequalitatem divinam, et similiter naturam suam - et sic
voluntas potest appetere aequalitatem illam sibi inesse29.
Cette neutralité propositionnelle est pour le moins étonnante. Elle
disparaît de V Ordinatio et des Reportata. Comment considérer que la
proposition que « l’ange est l’égal de Dieu » est aléthiquement neutre,
dès lors qu’elle semble poser une relation impossible - d’égalité - entre
deux termes contradictoires - l’infinité de Dieu et la finitude de
l’a n g e -? Le thème des propositions neutres se retrouvent dans
l’oeuvre de Scot dans la Lectura I, 39, [44], mais dans un contexte fort
différent. Avant que Dieu ne décide en effet de poser dans la réalité,
par la volonté, ce qui n’est alors qu’à l’état de simples possibles conçus
par son entendement, les propositions concernant les futurs (?)
contingents sont, dit Scot, neutres du point de vue de la vérité et de la
fausseté :
Quando intellectus divinus apprehendit ‘hoc esse faciendum’ ante
voluntatis actum, apprehendit ut neutram, sicut cum apprehendo ‘astra
esse paria’ ; sed quando per actum voluntatis producitur in esse, tunc est
apprehensum ab intellectu divino ut objectum verum secundum alteram
partem contradictionis. Oportet igitur assignare causam contingendae in
rebus ex parte voluntatis divinae30.
Avant donc que Dieu ne décide de la valeur de vérité d’une
proposition contingente, celle-ci n’a pas plus de valeur de vérité que la
proposition selon laquelle les astres sont en nombre pair. C’est la
volonté divine qui fixe le vrai et le faux de ce qui ressortit au simple
possible. Mais avec la volonté diabolique, est-on dans la même

29 DUNS SCOTUS, Lect. II, d. 6, n. 14 (Vat. XVIII, 374).


30 DUNS SCOTUS, Lect. I, d. 39, qq. 1-5, n. 44 (Vat. XVII, 493).
444 CHRISTOPHE CERVELLON

situation ? Comment concevoir que la proposition « l’ange est l’égal de


Dieu» est aléthiquement neutre, c’est-à-dire n’a aucune valeur de
vérité déterminée, dès lors que la comparaison des termes (ange et
Dieu) décide apparemment de son indiscutable fausseté? La volonté
diabolique n’est certes pas la volonté divine : elle n ’a pas le pouvoir de
dire le vrai et le faux sur le possible. En dépit donc de ce que laisse
supposer l’édition vaticane, le rapprochement entre le texte de la
Lectura {quid de la vérité des propositions au regard de la volonté
divine?) et le texte de 1’Ordinatio {quid de la vérité d’une proposition
déterminée pour la volonté d’une créature?) n’est convaincant que de
manière superficielle, tant la volonté divine diffère - pour le vrai et le
faux - de la volonté angélique.
Pourtant, si Duns Scot renonce apparemment à ce thème des
propositions neutres dans V Ordinatio et les Reportata, il donne
également dans ces textes le moyen de comprendre ce qu’il veut dire
exactement par cette neutralité ex parte voluntatis creaturae. Pour Scot,
en effet, la volonté est une vis collativa, tout comme l’intellect, et qui
peut, en l’espèce, se substituer au pouvoir de relation qui semble
relever de la seule intelligence. Comme le dit Scot :
Sed sufficit voluntatem comparare hoc ad illud, quia voluntas est vis
collativa sicut intellectus [nous soulignons] - et per consequens, potens
conferre quomodocumque simplicia sibi ostensa, sicut intellectus potest31.
Duns Scot dit la même chose dans les Reportata :
Dico quod voluntas appetit ostensum, non tamen praecise, quia voluntas
est vis collativa, sicut intellectus. Ut igitur intellectus apprehendit
summam beatitudinem, non errat... Sic voluntas cum amat summam
beatitudinem, non errat.. ,32.

Il faut bien comprendre ce qui est ici en jeu. Ce que l’intellect ne


peut pas faire - relier deux termes simples (l’ange et Dieu) par une
relation d’égalité - , la volonté le fait, parce qu’elle est, tout comme
l’intellect, une vis collativa. Ce qui ne signifie évidemment pas que la
volonté peut donner une valeur de vérité à la proposition qu’elle forme
ainsi - seule la volonté divine peut effectivement conférer ime telle

31 DUNS SCOTUS, Ord. II, d. 6, n. 19 (Vat. VIH, 32).


32 DUNS SCOTUS, Ord. H, d. 6, q. 1, n. 6 (Viv. XXII, 616a).
L’AFFECTION DE JUSTICE CHEZ DUNS SCOT 445

valeur - , mais cela signifie qu’une proposition est formée par une autre
puissance que par l’intellect, sans pouvoir cependant lui donner - ce
que seul l’intellect créaturel pourrait constater - une valeur de vérité.
La neutralité de la proposition, dans le cas de l’ange, ne vient donc pas
de ce que la volonté angélique ne s’est pas décidée (lors même que la
neutralité dans le cas de la volonté divine vient de ce que la volonté
divine est pour ainsi dire suspendue), mais vient de ce que la volonté,
parce qu’elle est une vis collativa susceptible de se substituer à
l’intellect, propose à celui-ci une proposition qui n’a pour lui aucune
valeur (de vérité). Dans un cas donc (pour Dieu), l’intellect propose à la
volonté divine une proposition aléthiquement neutre à laquelle la
volonté divine décide d’accorder une vérité, dans l’autre cas (pour
l’ange), la volonté angélique fait à l’intellect une proposition qui n’a
aucune valeur de vérité, qui est donc neutre, mais - et c’est le point
important - , sur laquelle la volonté peut porter, puisque c’est elle qui
l’a formée. La neutralité dans un cas vient de l’entendement (pour
Dieu), dans l’autre cas, elle a sa source véritable dans la volonté (pour
l’ange). La volonté créaturelle peut former des propositions que
l’entendement ne peut former - d’où leur neutralité aléthique - , alors
que la volonté de Dieu décide de la valeur des propositions de son
intellect, lorsque ces propositions regardent le contingent. Dans un cas,
la neutralité vient du surplomb de l’intellect par la volonté : dans l’autre
cas, la neutralité, vient de la substitution de l’intellect par la volonté.
Dans un cas (pour Dieu) toujours, la neutralité propositionnelle n’est
que provisoire ; dans l’autre cas (pour l’ange), elle constitue une
errance...
Que la volonté divine et celle de l’ange ait la même vis collativa ne
change rien à l’affaire, parce que l’ange et Dieu ne sont pas vis-à-vis de
la vérité dans la même situation... Dieu décide de la vérité, l’Ange
décide d’une proposition qu’il peut vouloir (l’ange est l’égal de Dieu),
mais dont il ne peut, à strictement parler, concevoir la vérité. Plus
précisément, la volonté peut former un objet propositionnel (qu’elle
peut vouloir), dès lors que l’intellect peut former la même proposition
en laissant indécidée sa valeur de vérité. Car la volonté ne saurait
vouloir que ce que l’intellect lui propose ; mais elle peut vouloir ce que
l’intellect ne fait que proposer (indépendamment du caractère faux ou
vrai de l’objet propositionnel) et vouloir que l’intellect lui propose cela,
dès lors qu’une telle proposition est possible (et la conjonction de deux
biens : l’ange et l’égalité avec Dieu, est possible).
446 CHRISTOPHE CERVELLON

Fondamentalement, cela signifie que l’intellect ne conçoit pas


nécessairement quelque chose comme vrai ou faux, mais qu’il ne fait
que le concevoir ; cela signifie aussi que la volonté, qui ne peut vouloir
que ce qui est conçu, n ’est pas déterminée par le vrai ou le faux, mais
seulement par ce qui peut être voulu, indépendamment de la vérité ou
de la fausseté de ce qui est voulu. La neutralité de la proposition pour la
créature ne signifie donc pas que c’est elle qui décide de sa vérité ou de
sa fausseté (cela est valable seulement pour Dieu), mais cela signifie
que la volonté a un objet qui n ’est pas immédiatement situé dans la
dimension de la vérité. La volonté peut errer comme l ’intellect, ce qui
n’est pas encore la thèse cartésienne d’une volonté source de l’erreur...
Troisièmement, une volonté qui est une volonté de ce qui est
réellement impossible (même s’il s’agit d’un objet possible pour la
volonté, et d’un objet possible pour l’intellect, mais aléthiquement
neutre), est une volonté réelle. Le lexique de Scot varie ici
sensiblement : tantôt il parle de velleitas ou voluntas cum conditione
dans les Reportata (contredistinguée de la voluntas efficax), tantôt
d ’acceptatio (contredistinguée, là encore, de la voluntas efficax) dans la
Lectura et 1’Ordinatio. Mais il s’agit pourtant toujours de la même
chose. Dans un cas (celui de la voluntas efficax), la volonté est le
résultat d’un syllogisme pratique : la volonté veut les moyens qui
tombent sous son pouvoir pour atteindre une certaine fin. Dans l’autre
cas, celui de la velleitas, voluntas cum conditione ou acceptatio, il
s’agit de la pure et simple volonté, considérée en elle-même,
précisément et formellement, oserions-nous dire, indépendamment du
syllogisme pratique dont elle pourrait constituer la conclusion, et qu’on
peut aussi bien considérer hors de tout raisonnement moral sur les
meilleurs moyens pour atteindre une certaine fin33. Comme le dit Scot :

33 On comparera ce sens de velleitas, ou voluntas cum conditione, avec les


développements de ce terme chez Guillaume d’Auxerre, Pierre de Poitiers, Albert le
Grand et Thomas d’Aquin, dans R. SAARINEN, Weakness o f the Will in Medieval
Thought. From Augustine to Buridan, Leiden - New York - Köln, Brill, 1994
(STGMA, 44). La plus grande différence est évidemment que chez Scot la velleitas
n’est pas un vellem, un vouloir possible à condition (cum conditione) qu’un autre
vouloir ne le rende pas impossible, mais il s’agit d’un vouloir véritable. Peut-être la
thèse d’une causalité contingente de la volonté qui rend possible deux volitions en
même temps explique-t-elle ce nouveau sens du mot velléité qui ne voit plus dans la
L’AFFECTION DE JUSTICE CHEZ DUNS SCOT 447

Potest dici quod electio aequivoce accipitur : uno modo pro actu voluntatis
consequente plenam apprehensionem intellectus, quo modo dicitur quis
peccare ex electione quando non est passio pertubans intellectum, nec
ignorantia ; alio modo sumitur electio pro actu voluntatis consequente
conclusionem syllogismi practici, quae electio non est nisi volitio efficax
objecti, quae est ad inquirendum medium per quod possit attingi objectum.
Primo modo electio est impossibilium, sicut dicit Philosophus in III
Ethicorum quod « voluntas est impossibilium », - non tantum voluntas
errans, sed voluntas ‘plena apprehensione intellectus’. Secundo modo,
electio non est impossibilium, quia nullus de impossibilibus syllogizat
practice...34.

Alors que Thomas voyait la volonté comme pouvoir des


impossibles en tant qu’elle portait sur le Bien en général (voir plus
haut), Scot interprète la volonté comme pouvoir des impossibles en tant
qu’elle est considérée en elle-même, c’est-à-dire en tant qu’elle est une
élection en acte, dès lors que rien de passionnel, ou d’obscur dans

velléité une volonté contrefactuelle, mais une volonté véritable, quoiqu’inefficace :


« si je ne voulais pas ceci, alors je voudrais ou pourrais vouloir cela », mais une réelle
volition, qui n’a cependant pas toutes les caractéristiques de la volonté efficace (qui
ne s’accompagne donc d’aucun pouvoir). Ce sens du mot velléité est sans doute à
rapprocher du sens qu’il a chez Saint François de Sales : « Souhaits ou comme disent
les scolastiques, velléité, qui n’est autre chose qu’un commencement de vouloir
lequel n’a point de suite » ou bien encore « ces souhaits ou velléités ne sont autre
chose qu’un petit amour qui se peut appeler amour de simple approbation, parce que,
sans aucune prétention, l’âme agrée le bien qu’elle connaît» (Traité de l ’A mour de
Dieu, I, c. 7). Sur la velléité pour le péché de l’Ange, voir A. ROBIGLIO,
L ’impossibile volere. Tommaso d ’Aquino, i tomisti e la volontà, Milan, Vita e
Pensiero, 2002 (Filosofia - Ricerche), pp. 96-105. Il semble cependant qu’en dépit du
fait que Thomas voie dans la velléité un vouloir de ce qui est impossible — et donc
une non-élection, puisque l’élection concerne les possibles —, le Docteur Angélique
considère aussi la velléité comme une forme de volonté. Comme le dit R. Saarinen,
« it seems that Thomas’s account of velleitas comes close to Albert’s remarks that
velleitas is a latent conditional wish which presupposes a rational judgment
(p. 130) ». A. Robligio souligne ce qu’il y a de vraie volonté dans la velleitas : « Se la
velleità, come Tommaso è sembrato lasciarci intendere, ha effectivo commercio con
questa volunta profunda, almeno una cosa dovrebbe risultare innegabile : che si tratti
appieno d’una volizione, la quale, nonostante alcuni elementi di incompletezza, è
messagera dellà libertà umana (p. 105) ».
34 DUNS SCOTUS, Ord. II, d. 6, n. 14 (Vat. Vili, 29).
448 CHRISTOPHE CERVELLON

l’intellect, ne vient troubler le choix. Le vouloir, même compris hors de


tout raisonnement syllogistique moral, reste le vouloir au plein sens du
terme. Comme Scot le répète dans les Reportata :
Distinguendum de actu volendi : est enim duplex, simplex et cum
conditione. Simplex qui est efficax, quando quis credit volitimi sibi esse
possibile, et eligit media ad consequendum illud, et importat executionem.
Velle cum conditione est velleitas intensa aliquando ad finem habendum,
non tamen est velle efficax, quia non importat media ad consequendum
finem, quando scit ipsum finem esse impossibilem, vel quando desesperat
consequi finem35.

La volonté efficace se distingue donc de la volonté cum


conditione, en tant que celle-là porte sur des moyens possibles pour
atteindre une certaine fin, quand celle-ci porte directement sur un objet
- même impossible. Comme le dit Scot, c’est ainsi qu’on peut
expliquer le péché du Diable :
Angelus volitione efficaci non potuit appetere equalitatem dei, quia
objectum non ostenditur ut possibile ; potest tamen volitione simplici
(quae est respectu impossibilium).. ,36.

La velléité, comme vouloir de l’impossible, porte donc toute la


valeur de la volonté. La volonté ne concerne pas tant les moyens pour
atteindre une certaine fin, qu’elle ne porte sur un objet abstraitement
conçu (c’est-à-dire indépendamment de sa possibilité ou de son
impossibilité réelle). Si l’abstraction pour Scot a à voir avec l’absence
d’un objet, quand l’intuition suppose la présence de l’objet intuitionné,
il faut dire que la volonté comme velléité fait abstraction de la
possibilité de l’objet, quand la volonté comme volonté efficace pose la
possibilité d’un certain moyen en rapport avec une certaine fin. La
volonté efficace atteint un moyen possible, quand la volonté cum
conditione, ou velléité, veut un objet même impossible. Chez Scot, il y
a comme une intuition volontaire de l’impossible, qui a pour nom
velléité. Ce que je veux, par velléité, n ’est certes rien (puisque c’est
impossible), mais je le veux vraiment, et cela seul compte. Vouloir
l’impossible, ce n ’est pas rien vouloir, c’est vouloir vraiment quelque
chose qui n’est rien.

35 DUNS SCOTUS, Rep.par. II, d. 6, q. 1, n. S (Viv. XXII, 615b).


36 DUNS SCOTUS, Ord. II, d. 6, n. 16 (Vat. VIII, 30).
L’AFFECTION DE JUSTICE CHEZ DUNS SCOT 449

Scot distingue d’ailleurs la volonté de l’antécédent de celle du


conséquent. Je peux vouloir une chose abstraction faite des conséquen­
ces de mon vouloir, ou de ce que mon vouloir implique. Je peux
vouloir devenir évêque sans pour autant vouloir être prêtre même s’il
est impossible d’être évêque sans être prêtre :
Potest dici quod non oportet quod velit consequens, si velit antecedens,
quando consequens non est de per se intellectu antecedentis, — sicut
ponitur exemplum quod aliquis potest appetere episcopatum non volendo
sacerdotium37.

Cet exemple, qui se trouve déjà en Ord. I, disi. 1, n. 47 (Vat. II,


33) montre bien que je peux vouloir la fin sans vouloir les moyens ;
loin que le désir de la fin implique le vouloir des moyens38. L’objet
formel et précis de la volonté n’est pas un moyen en vue d’une fin, ni
même une fin que je peux atteindre, mais ce qui s’offre à la volonté
sous la raison d’être voulu en lui-même, indépendamment ou
abstraction faite de sa possibilité ou de son impossibilité pratique.
Avec Scot, la volonté n ’est plus engrenée sur une relation de moyen à
fin, mais sur une relation de puissance à objet. La velléité peut porter
tout le poids de la volonté, parce que l’objet du vouloir (possible ou
impossible, moyen ou fin) est indifférent pour caractériser la volonté
comme volonté véritable. Tout ce sur quoi porte la volonté a une raison

37 DUNS SCOTUS, Ord. II, d. 6, n. 21 (Vat. VIII, 33).


38 Ce problème du vouloir de l’antécédent sans le vouloir du conséquent a été
analysé par Risto Saarinen. Si pour Thomas un tel vouloir est impossible (p. 129), en
tous cas en ce qui concerne les effets directs de l’antécédent voulu (le problème
semble plus complexe si l’on prend en compte les effets indirects, ainsi que le mode
de distinction de ce qui découle directement ou indirectement de l’antécédent p. 130),
ce n’est pas, loin s’en faut, l’avis de tous les Médiévaux, notamment Abélard, Pierre
de Poitiers, etc. Pour tous ces auteurs, « claim that W(x,q) et q ->p does not imply
W(x,p) can be easily defended (p. 74) », selon l’usage des symboles proposé par Gh.
HOLMSTRÖM-HINTIKKA, Action, Purpose and Will. A Formal Theory, Helsinki,
1991 (Acta Philosophica Fennica, 50), R. Saarinen distingue trois type de relations
antécédent-conséquent : « (I) the means-goal relation, (ii) the not-intended by product
relation, (iii) the part-whole relation. » La comparaison de la relation entre le fait
d’être prêtre et le fait d’être évêque, à la relation entre le fait de vouloir être l’égal de
Dieu et le fait de ne pas vouloir les moyens de le devenir — puisque ces moyens
n’existent pas —, complique sérieusement le travail de classification de la relation
antécédent/conséquent.
450 CHRISTOPHE CERVELLON

de volition, à défaut d’avoir - pour les objets propositionnels


impossibles - une raison d’intellection.
On voit donc combien l’analyse scotiste s’oppose à l’analyse
thomiste : (1) l’ange a pu désirer - sans contradiction - l’égalité avec
Dieu ; (2) que l’ange soit l’égal de Dieu peut être conçu par l’intellect,
et peut être voulu par la volonté ; (3) quand bien même l’égalité de
l’ange avec Dieu serait impossible, l’ange a pu le vouloir d’une volonté
véritable. Entre Thomas et Scot, c’est la conception du désir, la
conception de la volonté, et la conception du rapport de la volonté à
l’intellect, qui a fondamentalement changé.

ni. C a u s a l it é c o n t in g e n t e e t a f f e c t io ju s t it ia e

La volonté est donc une cause contingente, capable de pécher au


premier instant de la création de l’Ange (1). La volonté peut pécher en
désirant l’égalité avec Dieu, parce que tout ce qui caractérise la
velleitas est également caractéristique de la volonté (2). Mais comment
expliquer le péché de l’Ange ? Ce sera par le jeu des deux perfections
formelles de cette volonté, cause contingente (1) et simple pouvoir de
vouloir (2) : Vaffectio commodi et Y affectio justitiae (3).
Rappelons la logique du mal chez Thomas. Elle suppose, comme
on sait, la possibilité de ne pas considérer la règle qui devrait normer
une action (et la créature, en tant que créature et que contingente, a
nécessairement une telle possibilité), et le fait d’agir effectivement au
mépris de la règle qui devrait régir l’acte. Comme le dit Thomas {De
Malo, q. 16, a. 2) :
Sciendum ergo quod appetitus nihil est aliud quam inclinatio quaedam in
appetibile, et sicut appetitus naturalis consequitur formam naturalem, ita
appetitus sensitivus vel rationalis sive intellectus sequitur fotmam
apprehensam : non enim est nisi boni apprehensi per sensum vel
intellectum ; non ergo potest malum in appetitu accidere ex hoc quod
discordet ab apprehensione quam sequitur, sed ex eo quod discordat ab
aliqua superiori regula.

C’est ce rapport à une règle supérieure qui joue, chez Thomas


comme chez Scot, un rôle central dans la compréhension de l’action
mauvaise aussi bien chez les hommes que chez les démons :
L’AFFECTION DE JUSTICE CHEZ DUNS SCOT 451

In homine autem duplex apprehensio superiori regula dirigenda : nam


cognitio sensitiva debet dirigi per rationem, et cognitio rationis per
sapientiam seu legem divinam. Dupliciter igitur potest esse malum in
appetitu hominis... [Primo modo] quod malum hominis est praeter
rationem esse ; alio modo quia ratio humana est dirigenda secundum
sapientiam et legem divinam, et secundum hoc Ambrosius dicit quod
peccatum est transgressio legis divinae.
In substantiis autem a corpore separatis est una cognitio, scilicet
intellectualis, dirigenda secundum regulam sapientiae divinae ; et ideo in
voluntate eorum potest esse malum ex hoc quod non sequitur ordinem
superioris regulae, scilicet sapientiae divinae. Et per hunc modum
demones facti sunt voluntate mali.

Le désir sensible doit être réglé par la connaissance intellectuelle


(qui est pour le désir une règle supérieure) ; la connaissance
intellectuelle doit être réglée par la norme la plus supérieure, oserions-
nous dire, par la sagesse divine elle-même.
Comment le péché de l’ange se présente-t-il chez Scot?
Chez Scot, le péché de l’ange se présente en quatre temps.
D’abord, un vouloir d’amitié désordonné. Ensuite, un vouloir de
concupiscence désordonné. Troisièmement, une nolonté, un non-
vouloir, par lequel l’ange n ’a pas voulu l’action de Dieu. Enfin, l’acte
de haïr Dieu, ou de vouloir que Dieu ne soit pas.
Scot rappelle que si l’ange a péché, ce ne peut être par un acte de
nolonté, mais seulement par un acte de volonté. Car tout acte de
nolonté, aussi positif fut-il, ne peut suivre qu’un acte de volonté.
Comme le dit Scot dans la Lecturet39 :
illud actus fuit volendi et non actus nolendi, quia omne nolle praesupponit
velle.

Ou comme il le dit encore dans V Ordinatio40 :


Omne nolle praesupponit aliquod velle.

Or il y a deux sortes de vouloir : un vouloir d’amitié et un vouloir


de concupiscence. Vouloir d’amitié un être, c’est l’aimer pour ce qu’il

39 DUNS SCOTUS, Lect. II, d. 6, q. 2, n. 24 (Vat. XVIII, 376).


40 DUNS SCOTUS, Ord. II, d. 6, q. 2, n. 35 (Vat. VIII, 40).
452 CHRISTOPHE CERVELLON

est en lui-même ; le vouloir de concupiscence, c’est l’aimer en référen­


ce à soi, pour ce qu’il peut nous apporter. La thèse de Scot est simple :
tout vouloir de concupiscence suppose un vouloir d’amitié, car je
n’aime quelque chose pour moi (par concupiscence) que parce que je
m ’aime d’abord d’un vouloir d’amitié (parce que je suis moi) :
Patet quod velle amicitiae praecedit velle concupiscentiae41.

Or le diable s’est aimé de l’amour d’amitié qu’il aurait dû porter à


Dieu42 :
Simpliciter primus actus voluntatis inordinatus fuit ‘primum velle
amicitiae’ respectu ejus cui voluit bonum. Hoc autem objectum non fuit
Deus, quia non potuit Deum inordinate - ex intensione - amore
amicitiae43.

Mais qu’est-ce, exactement, que l’amour d’amitié ? C’est l’amour


qui résulte de l’affection de justice rendant à autrui ce qu’il est juste de
lui rendre, indépendamment de notre intérêt. En un sens, aucun péché
ne peut résulter de l’affection de justice. Comme le dit Scot :
Concupiscere inordinatum non processit ex affectione justitiae, sicut nec
aliquod peccatum processit44.

Ou encore :
Sed non concupivit secundum affectionem justitiae, - non enim tunc
peccasset45.

41 DUNS SCOTOS, Ord. II, d. 6, q. 2, n. 35 (Vat. VIII, 40).


42 Thomas voit lui aussi dans l’amour de soi la cause de tous les péchés :
THOMAS DE AQUINO, ST Ia-IIae, q. 77, a. 4 : « propria et per se causa peccati
accipienda est ex parte conversionis ad commutabile bonum ; ex qua quidem parte
omnis actus peccati procedit ex aliquo inordinato appetitu alicujus temporalis boni.
Quod autem aliquis appetat inordinate aliquod temporale bonum, procedit ex hoc
quod inordinate amat aliquem, velle ei bonum, procedit ex hoc quod inordinate amat
seipsum ; hoc enim est amare aliquem, velle ei bonum. Unde manifestum est quod
inordinatus amor sui est causa omnis peccati ». Mais la différence entre l’amour de
soi scotiste et thomiste est considérable : c’est l’inclination au bonheur qui est au
coeur de l’amour chez Thomas, quand c’est l’inclination à la justice qui est au coeur
de l’amour chez Scot.
43 DUNS SCOTOS, Ord. II, d. 6, n. 37 (Vat. Vili, 41).
44 DUNS SCOTOS, Ord. II, d. 6, n. 40 (Vat. VIH, 43).
L’AFFECTION DE JUSTICE CHEZ DUNS SCOT 453

Mais en un autre sens, quand l’amour d’amitié est dans la


continuité d’une affection de justice se portant non pas sur ce qu’il est
juste d’aimer (Dieu), mais sur une créature (au détriment de Dieu),
c’est l’ordre tout entier qui est perverti. L’infmiment aimable (Dieu)
n’est plus infiniment aimé, mais une créature (exemplairement le
Diable) devient le propre objet d’un amour qui réfère tout à soi, parce
que la créature est premièrement aimée, indépendamment de tout bien
en même temps qu’en référence à tout bien, puisque le Diable a tout
voulu pour soi.
Le péché du Diable n ’a donc pas consisté en un nolle, car tout
nolle suppose un velie. Or le velle a nécessairement deux formes : soit
un vouloir d’amitié, où j ’aime l’autre pour ce qu’il est en lui-même, en
rendant justice à la valeur intrinsèque de la chose aimée ; soit un
vouloir de concupiscence, où j ’aime l’autre en référence à moi, pour le
bien que l’autre m ’apporte. Il y a donc ainsi un ordre dans la volonté. Si
le velle est ordonné, le nolle qui s’ensuit (lorsque je veux quelque
chose, cela implique que je ne veux pas autre chose) est également
ordonné. De même si la volonté d’amitié est ordonnée, alors la volonté
de concupiscence qui la suit est également ordonnée, car je ne peux
vouloir un bien pour quelqu’un (par exemple, moi) qu’à la condition
d’aimer déjà ce quelqu’un en lui-même. En somme, la volonté de
concupiscence (vouloir un bien pour x) implique toujours une forme de
volonté d’amitié (aimer x en lui-même, pour qui je veux tel bien) :
Quia non posset haberi nolle nisi in virtute alicujus velle, — et si velle
esset ordinatami...], nolle quod haberetur consequenter, similiter esset
ordinatum ; eodem modo si velle amicitiae esset ordinatum, velle
concupiscentiae consequens illud, esset ordinatam, -nam si ordinate amo
illud cum amo bonum, ordinate volo quod concupisco sibi cui volo
bonum4 546.
Puisque le Diable a péché selon une volonté désordonnée, il a donc
eu une volonté de concupiscence désordonnée, qui suppose elle-même
une volonté d’amitié désordonnée. Ce n’est pas parce que le Diable a
eu une volonté de concupiscence (en voulant du bien pour soi au lieu
de vouloir du bien pour Dieu) à la place d’une volonté d’amitié, mais

45 DUNS SCOTUS, Lect. II, d. 6, n. 29 (Vat. XVIII, 378).


46 DUNS SCOTUS, Ord. II, d. 6, n. 36 (Vat. VIH, 40-41).
454 CHRISTOPHE CERVELLON

c’est parce qu’il s’est aimé d’amitié lui-même plutôt que Dieu. La
racine du mal n ’est pas à chercher dans la volonté de concupiscence,
mais dans une amitié désordonnée qui a entraîné, selon une relation en
chaîne, irne concupiscence désordonnée, une nolonté désordonnée, et
enfin un acte positif de haine de Dieu.
De primo inordinate concupito, potest poni quod inordinate ulterius
concupivit sibi aliquod bonum, scilicet excellentiam respectu aliorum. Vel
habuit inordinatum nolle, nolendo scilicet opposita eorum quae concupi­
vit : scilicet nolendo beatitudinem sibi minus inesse quam Deo in se (sive
quam Deus esse), vel nolendo expectare beatitudinem usque ad terminum
viae, vel nolendo eam habere ex meritis sed ex se, et ex consequenti,
nolendo subesse Deo, - et tandem, nolendo Deum esse, in quo tamquam in
summo malo consummata videtur malitia : sicut enim nullus actus
formaliter melior est quam Deus diligere, sic nec aliquis actus formaliter
pejor est quam Deum odire47.

C’est l’acte de vouloir, et de vouloir selon l’amitié, qui est premier,


y compris lorsqu’il s’agit de ne pas vouloir ou de haïr. La volonté -
positive - d’amitié est comme la forme inamissible de toute volonté.
C’est ce point qui nous semble essentiel, car il suppose entre vouloir et
vouloir d’amitié une étroite implication : je ne peux vouloir quelque
chose - un bien - que si la forme de tout vouloir est également donnée :
vouloir X, pour qui je veux le bien y. Le vouloir d’amitié définit donc
comme la finalité immanente de la volonté, même lorsque la volonté
est pervertie comme c’est le cas pour l’Ange déchu. C’est au sujet
voulant de transformer cette finalité immanente - structurelle - de la
volonté en finalité morale, en aimant d’amitié ce qu’il est juste d’aimer
d’amitié, c’est-à-dire non pas soi, mais Dieu, infiniment et première­
ment aimable.
Aussi bien ne peut-on pas imaginer chez Scot, même en l’absence
de causalité contingente de la volonté, un ange schizophrène48. En

47 DUNS SCOTUS, Orel. II, d. 6, n. 63 (Vat. Vin, 56-57).


48 La possibilité d’un tel ange schizophrène serait peut-être plus pertinente dans le
cas d’Anselme, dans la mesure où les affections sont présentées comme deux modes
possibles de la volonté, comme deux vouloirs, selon lesquels la volonté peut vouloir.
Chez Scot Vqffectio commodi présuppose au contraire l’existence d’une affectio
justitiae, comme la forme de tout désir, loin que la volonté ait le choix entre l’une ou
l’autre. L’idée d’un ange qui n’aurait que Vqffectio commodi est donc ainsi une pure
L’AFFECTION DE JUSTICE CHEZ DUNS SCOT 455

effet, à supposer que l’ange ne disposât que de ces deux affections - à


l’endroit du commodum et à l’endroit de la justice - , il ne suivrait pas
tantôt l’une, tantôt l’autre, selon que l’affection serait plus ou moins
forte, mais l’ime par l’autre, car le commodum est choisi à travers une
volonté d’amitié, même perverse.
En effet, il faut dire premièrement que l’ange qui n’aurait que
Vaffectio commodi ne pourrait pas pécher, comme le dit Duns Scot bien
des fois, car il ne pécherait pas de manière libre, c’est-à-dire volontaire.
Un ange qui n’aurait pas une volonté libre, ou la capacité de vouloir ou
ne pas vouloir, suivrait nécessairement l’ordre du désir. Certes, il n’est
sans doute pas nécessaire de supposer ici une forme forte de la volonté
libre, c’est-à-dire une volonté comprise comme causalité contingente
synchronique, avec la capacité de vouloir ou ne pas vouloir au même
instant. Il suffît sans doute d’une forme faible - diachronique - de la
causalité contingente : le fait de pouvoir vouloir autrement, toutes
choses égales par ailleurs, mais à un autre moment du temps - forme
diachronique que l’on trouve par exemple chez Ockham. L’important
est d’avoir ici une volonté capable de s’autodéterminer, de pouvoir
vouloir ou ne pas vouloir, et donc de choisir une volition, sans pour
autant suivre la détermination naturelle du désir.
Si enim intelligitur - secundum illam fictionem Anseimi De Casu Diaboli
- quod esset Angelus ‘habens affectionem commodi et non justitiae (hoc
est habens appetitum intellectivum mere ut appetitum talem et non
liberum), talis angelus non posset non velle commoda, nec etiam non
summe velle talia ; nec imputaretur sibi ad peccatum, quia ille appetitus se
haberet ad suam cognitionem sicut modo visivus ad visum, in necessario
consequendo ostensionem illius cognitivae49.

Mais il faut dire aussi, secondement, et pour les mêmes raisons,


que l’ange qui aurait les deux affections sans le libre arbitre ne pourrait

fiction de l’esprit, pas même une expérience de pensée, comme Y experimentum


suitatis d’Olieu, puisqu’il s’agit en l’espèce d’une fiction impossible (aussi
impossible que celle d’une créature rationnelle douée d’une volonté non libre), qui a
pour fonction de montrer que l’affection de justice est la condition sine qua non du
libre choix, ou qu’un libre choix sans affection de justice n’aurait en réalité pas le
choix (ce qui ne signifie pas bien sûr que l’affection de justice et la volonté libre
soient une seule et même chose).
49 DUNS SCOTUS, Ord. II, d. 6, n. 49 (Vat. VIH, 48-49).
456 CHRISTOPHE CERVELLON

pas davantage pécher, d’une part parce qu’il n’aurait pas une volonté
libre, d’autre part parce qu’il voudrait nécessairement ce qu’il serait
juste d’aimer. L’affection de justice, en prise sur la justice, ne pourrait
faillir. Réciproquement, si le péché est possible, c’est que j ’aime
injustement selon une affection de justice autre chose que ce qu’il est
toujours juste d’aimer : Dieu. Pour pécher il faut donc au moins un
libre-arbitre, et une affection de justice par laquelle la volonté peut
vouloir un bien pour x ou y, lors donc que x ou y ne sont pas
premièrement aimables. Mais dès lors la question se pose de savoir
quel est le rapport entre le libre-arbitre et l’affection de justice.
Car il faut expliquer comment l’ange a pu vouloir selon une
mauvaise finalité, ou encore comment l’ange a pu avoir une faiblesse
de la volonté50. Si le Diable s’est aimé d’amour d’amitié, c’est qu’il
s’est aimé lui-même de manière désintéressée, qu’il a joui de lui-même
selon une quasi-luxure spirituelle. Il pouvait aimer Dieu de manière
désintéressée, et il s’est aimé lui-même de manière désintéressée,
puisqu’il n ’a pas désiré d’avoir pour lui un bien, mais qu’il s’est au
contraire premièrement voulu pour secondement désirer pour lui-même
quelque bien.
Nunc restat videre quale fixent peccatum quo angelus malus peccavit.
Et dico quod non fuit superbia nec aliquod aliorum de septem capitalibus :
Hoc apparet de primo actu, quo inordinate amabat se : non enim amare se
inordinate est superbia, quia ejusdem rationis est actus quo quis amat se et
quo quis amat alium (quia actus amicitiae). Sed si quis aliquis amat alium
inordinate magis quam debet, non superbit nec est superbia ; ita nec si
aliquis inordinate amat se. Unde magis reducitur ad luxuriam spiritualem
quam ad superbiam51.
L’ange pouvait aimer de manière désintéressée soit Dieu, soit lui-
même, puisque par l’affection de justice, qui explique le jeu normal de
la volonté, cette dernière peut se donner une fin, et non pas toujours
désirer x pour x1, et x1pour x2 : l’affection de justice détermine l’objet
voulu pour lui-même en arrêtant la logique du propter aliud du désir.

50 Pour l’interprétation du péché du diable chez Scot comme faiblesse de la


volonté, voir J. C. B. GOSLING, Weakness o f the Will, Londres, Routledge, 1990, pp.
69-86.
51 DUNS SCOTUS, Lect. II, d. 6. nn. 47-48 (Vat. XVIII, 384).
L’AFFECTION DE JUSTICE CHEZ DUNS SCOT 457

La volonté n’est pas simplement volonté du relatif, mais elle peut viser
un objet terminatif absolu. Mais pourquoi l’Ange s’est-il choisi lui-
même plutôt que de choisir Dieu ? Entre vouloir d’amitié Dieu et
vouloir d’amitié soi-même, il faut dire qu’il avait le choix. L’affection
de justice n’est pas le pouvoir de choix de la volonté ; elle est bien
plutôt ce qui permet à la volonté d’avoir le choix (entre vouloir Dieu et
se vouloir). Imaginons, encore une fois, un ange avec libre arbitre et
sans affection de justice, il ne pourrait pécher, car il n’aurait pas le
choix entre le Bien et ce qui apparaîtra comme le Mal. Pour qu’il y ait
choix entre le Bien et le Mal, il faut que le bien comme le mal soit au-
delà de l’ordre du sensible et même du désir52 - e t c’est ce que
Y affectio justitiae permet - tout en constituant la forme possible d’une

52 On pourra rapprocher cette position de celle de G. E. MOORE, Principia


Ethica, trad. fr. M. Gouverneur, revue par R. Ogien, Paris, PUF, 1998, que l’on ne
saurait définir le Bien par la notion de désirable : « Considérons à titre d’exemple
l’une des plus plausibles, parce que l’une des plus compliquées, parmi les définitions
[du Bien] proposées ; on peut aisément penser à première vue qu’être bon veut peut-
être dire « ce que nous désirons désirer ». Ainsi si nous appliquons cette définition à
un cas particulier, et que nous disons : « Quand nous pensons que A est un bien, ce
que nous pensons, c’est que A est l’une des choses que nous désirons désirer ». Ainsi,
si nous appliquons cette définition à un cas particulier, et que nous disons : « Quand
nous pensons que A est un Bien, ce que nous pensons, c’est que A est l’une des
choses que nous désirons désirer», notre proposition peut sembler tout à fait
plausible. Mais si nous poussons plus loin notre enquête, et que nous nous
demandons : « est-ce un bien que de désirer A ? », il apparaît avec un minimum de
réflexion, que cette question est elle-même aussi intelligible que la question initiale :
« A est-il un Bien ? » - et qu’en fait nous sommes en quête exactement de la même
information à propos du désir de désirer A que celle que nous demandions à propos
de A lui-même [...]. En outre un simple examen suffit à chacun pour se convaincre
que le prédicat de cette proposition « bien » est positivement différent de la notion de
« désirer désirer » (p. 57) ». En termes scotistes, on pourrait dire que si Y affectio
commodi relève de l’ordre du désir, et du rapport désirant-désirable, Yaffectio justitiae
est au contraire ce qui a rapport au Bien en tant que tel, comme une qualité - un
transcendantal convertible - de l’être. C’est par l’affection de justice que la volonté a
rapport au Bien, exactement comme c’est par la vision que nous avons rapport au
jaune, lors même que par après nous pouvons rendre compte de ce bien en terme de
désir (car la volonté d’amitié est la forme possiblement juste du vouloir de
concupiscence), comme nous pouvons rendre compte de la qualité de ce jarme perçu,
avec son degré singulier de jaune, par les lois naturelles de la nature et de l’optique.
458 CHRISTOPHE CERVELLON

lecture morale du désir : désir bon dans un cas - désir de la béatitude


pour moi comme Dieu la veut-, désir mauvais dans l’autre - désir de la
béatitude pour moi comme je la veux, au mépris du primat de la
volonté divine, voire en posant sa volonté au-dessus de celle de Dieu,
car l’orgueil suit la luxure spirituelle.
Mais sans affection de justice, pas de causalité contingente de la
volonté. En effet, comment la volonté pourrait-elle avoir le choix, si le
seul choix qui lui est proposée est celui du désir, fut-il compris sous les
espèces d’un désir intellectuel ? Pour que la volonté comme pouvoir de
choix soit possible, il faut que le choix lui-même soit possible, et si la
volonté n’était qu’un désir intellectuel, le seul choix qui s’offrirait à la
volonté ne serait autre que le désirable - intellectuellement ou pour
l’intellect - en tant que tel :
Voluntas, secundum praedominium appetitus sensitivi, maxime inclinatur
ad actum ejus ; et ideo quidam, sequentes inclinationem primam sine
regula justitiae, primo inclinantur ad luxuriam, quidam primo ad
superbiam et quidam aliter.
Voluntas igitur separata ab omni appetitu sensitivo, et per consequens ad
nihil inclinata propter inclinationem appetitus sensitivi, ipsa - deserta a
justitia - sequitur inclinationem absolutam voluntatis unde voluntas ; et
illa videtur esse ad maximum conveniens voluntati sive potentiae
appetitivae, quod etiam est maxima perfectio intellectus sive potentiae
cognitivae - nam in quo maxime perficitur cognitiva, in illo maxime
perficitur appetitiva correspondens illi cognitivae. Fuit igitur immoderata
concupis-centia beatitudinis, quia beatitudo est objectum voluntatis53.

Sans doute, sans affection de justice (sans ce pouvoir de dépasser


l’ordre du désir), la volonté en tant que libre, ou pouvoir de vouloir ou
ne pas vouloir, pourrait-elle vouloir librement le choix toujours déjà
fait auquel la déterminerait la volonté comprise comme désir
intellectuel. La seule liberté de la volonté serait dès lors dans
l’assentiment, ou dans le simple dissentiment, mais cet assentiment lui-
même, libre selon la puissance, serait nécessaire de fait, puisque tout
autre option - autre que celle du désir - serait par hypothèse enlevée. Il
faut donc, pour que la volonté comme puissance libre de vouloir ou ne
pas vouloir ait le choix, que l’espace du choix lui soit donné, qu’elle ait

53 DUNS SCOTUS, Ord. II, d. 6, nn. 44-45 (Vat. V in , 46-47).


L’AFFECTION DE JUSTICE CHEZ DUNS SCOT 459

en elle-même, outre le pouvoir de vouloir ou ne pas vouloir, la


possibilité de vouloir autrement que ne I’incline le désir. Sans doute,
sans affection de justice, la volonté aurait toujours la puissance de ne
pas vouloir - nolle - , de suspendre le désir, car pouvoir résister à
l’ordre des causes naturelles définit la puissance métaphysique de la
volonté. Mais elle n’aurait pas le pouvoir de vouloir autrement que le
désir - non-velle ou velle - un pouvoir qui permet à la volonté, non
seulement d’introduire une solution de continuité dans l’ordre des
causes naturelles - de ne pas être déterminée par la causalité naturelle -
mais qui lui permet de surcroît d’informer le désir selon un vouloir
d’amitié ; ainsi s’introduit dans le monde une volonté positive qui doit
autant au désir (à la volonté comme puissance naturelle en tant qu’elle
est inclinée par Yaffectio commodi) qu’à la volonté comme libre (à la
volonté en tant qu’elle est libérée de la détermination du désir par
Y affectio justitiae).
Nous apercevons donc trois conséquences du rapport entre
causalité contingente et affectio justitiae.
Premièrement, sans affectio justitiae, la causalité contingente de la
volonté - même prise au sens faible d’un pouvoir vouloir ou ne pas
vouloir diachronique - n’aurait qu’un sens restreint - pouvoir de ne pas
vouloir {nolle) - , et non pas pouvoir de vouloir ainsi ou autrement
{velie et non velle).
Deuxièmement, c’est la possibilité d’un amour juste qui ouvre la
volonté à son pouvoir, qui libère la liberté de la volonté, pour ainsi dire,
sans pour autant que cette libération puisse être comprise comme le
libre arbitre libéré d’Augustin, c’est-à-dire sans que cette libération soit
ipso facto une liberté morale, puisque Y affectio justitiae comme
condition de possibilité du véritable pouvoir de la volonté comme cause
contingente est aussi bien au principe du mal dans le cas de l’ange
déchu.
Nihil aliud sunt ista quam eadem voluntas in quantum est appetitus
intellectivus et in quantum libera ; quia, sicut dictum est, in quantum est
appetitus mere intellectivus, summe inclimotur actualiter ad optimum
intelligibile (sicut est de optimo visibili et visus), in quantum tamen liber
est, potest se refrenare in eliciendo actum, ne sequatur illam inclinationem
- nec quantum ad substantiam nec quantum ad intensionem - ad quam
potentia naturaliter inclinatur.
460 CHRISTOPHE CERVELLON

Troisièmement, en tant que la volonté d’amitié qui est dans le


prolongement de Yaffectio justitiae est la forme de tout vouloir de
concupiscence, dans le prolongement de Vaffectio commodi, l’acte de
vouloir, qui suppose toujours une forme de vouloir d’amitié - au moins
virtuel - , n ’est pas en contradiction avec Tordre de la nature et du désir.
Toute volition engage Y affectio justitiae et Y affectio commodi, comme
exercice - au moins possible - des perfections intrinsèques de la
volonté, et donc se trouve dans une certaine forme de continuité avec la
nature et le désir. Il n’y a pas entre la volonté comme nature et la
volonté comme liberté (pouvoir de vouloir selon Y affectio justitiae) la
solution de continuité que Ton trouve par exemple entre la nature et la
liberté chez Kant, parce que le vouloir de concupiscence, qui suit le
désir, suit ou suppose (au moins virtuellement) un vouloir d’amitié (qui
implique que la volition ne soit pas entièrement réductible à Tordre du
désir). Certes, entre la volonté comme contingente, comme pouvoir
d’autodétermination, et les causes naturelles du désir, comme
déterminant la volonté à désirer, il y a une solution de continuité, dans
la mesure où la volonté comme contingente peut toujours ne pas
vouloir (inolle) ce que le désir - ou la volonté comme désir intellectuel
- est déterminé à vouloir. Mais, en tant que la volonté veut par un acte
effectif, qui pose ime volition positive {velle ou non velle), il y a une
intussusception de Tordre du désir par Tordre de la volonté libre, parce
que c’est une même volonté, ou une même puissance, avec la double
perfection formelle que constituent affectio commodi et affectio
justitiae, qui veut. L’ordre de la volonté libre - la volonté d’amitié - est
supposée par Tordre de la volonté naturelle - volonté de concupiscence
- , si bien que la liberté et la nature s’impliquent in actu exercito dans
l’acte de vouloir, loin de se supexposer ou de se contredire.
Ainsi, Y affectio justitiae est la liberté de la volonté pour au moins
trois raisons :
- (1) Elle libère la volonté de Tordre du désir, auquel est réduite la
volonté comme appétit intellectuel (libération possible du désir).
- (2) Elle permet à la volonté comme causalité contingente (ou
comme libre) de prendre tout son sens, et de ne pas être réduite au
simple pouvoir métaphysique de dire non aux déterminations
naturelles, ou d’introduire une suspension minimale de la causalité
« physique » (libération possible du désir par un choix libre) :
L’AFFECTION DE JUSTICE CHEZ DUNS SCOT 461

Ipsa eadem facta jam libera (quia nihil aliud est nisi quod una res includit
virtualiter plures rationes perfectionales, quas non includeret si esset sine
ratione libertatis), ipsa - inquam - per libertatem suam potest se moderari
in volendo, et quantum ad hoc quod est ‘velle’ ad quod inclinat affectio
commodi, et licet inclinet summe ad velle commodum ; et ex quo potest
moderari, tenetur moderari secundum regulam justitiae, quae accipitur ex
voluntate superiore.
- (3) En libérant la volonté de l’ordre du désir, en permettant à la
volonté comme cause contingente d’avoir véritablement le choix entre
un vouloir d’amitié juste et un vouloir d’amitié injuste, elle ouvre
l’espace de l’amour ou de la volonté droite, c’est-à-dire de la liberté
morale, libération de l’amour dont je suis le principe et la fin pour
l’amour de celui qui est le principe et la fin de tout amour (le libre
arbitre libéré de la servitude du péché chez Augustin : libération
effective de la volonté de l’ordre du désir et ordination libre du désir à
l’amour).
On le voit, Y affectio justitiae est la condition de possibilité d’une
véritable causalité contingente de la volonté (en libérant cette volonté
de la détermination naturelle), en même temps qu’elle ouvre ce pouvoir
à son sens éthique (en permettant à la volonté d’ordonner son désir
naturel selon la justice), puisque la volonté est dès lors libre d’aimer
justement ou injustement. L 'affectio justitiae articule le pouvoir
métaphysique de la volonté comme causalité contingente à l’éthique
(comme amour droit), sans pour autant que le désintéressement qu’elle
autorise suffise à expliquer le pouvoir de choix de la volonté (1) ou
décide de la qualité morale de la volition (2), puisque c’est aussi selon
Yaffectio justitiae que le Diable s’est librement aimé. En ce sens, si
Y affectio justitiae est la condition de possibilité de la liberté véritable
de la volonté en au moins trois sens, la volonté selon Y affectio justitiae
n’est libre ni métaphysiquement ni moralement (ne resterait qu’une
liberté vaine, jamais exercée, par rapport au désir), même si sans
affectio justitiae la volonté ne serait libre métaphysiquement qu’en un
sens restreint et ne pourrait pas être libre moralement. Impliquée par
toute liberté de la volonté, quel que soit son sens, Yaffectio justitiae ne
462 CHRISTOPHE CERVELLON

se réduit véritablement à aucune54, mais est comme la liberté d’être


libre.
Justitia potest intelligi vel infusa (quae dicitur gratuita), vel acquisita (quae
dicitur moralis), vel innata (quae est ipsamet libertas voluntatis)
Illa igitur affectio justitiae, quae est ‘prima moderatrix affectionis
commodi’ et quantum ad hoc quod non oportet voluntatem actu appetere
illud ad quod inclinat affectio commodi et quantum ad hoc quod non
oportet eam summe appetere (quantum scilicet ad illud ad quod inclinat
affectio commodi), illa - inquam - ‘affectio justitiae’ est libertas innata
voluntati, quia ipsa est prima moderatrix affectionis talis55.
Ou bien encore :

54 Nous laissons ici de côté le rapport ambigu de Y affectio justitiae à la norme


éthique elle-même. Comment accentuer Y affectio justitiae : plutôt dans le sens d’un
pouvoir inhérent à toute volonté libre, bonne ou mauvaise, comme une pure capacité à
se rendre disponible pour autre chose que soi ; ou plutôt dans le sens d’une rectitude
intrinsèque à la volonté qui serait comme la volonté affectée par la loi ? Dans un cas,
Y affectio justitiae est la liberté de la volonté vis-à-vis du désir naturel ; dans l’autre,
Yaffectio justitiae est la liberté morale de la volonté, en tant qu’il n’y a de volonté
réellement libérée du désir que sous condition d’une obéissance à la loi, ou à tout le
moins, d’une réceptivité naturelle à la loi. Nos analyses ne décident pas exactement
cette question. Comme le dit R. te Velde: « . . . there is a problem how the
relationship between the rule and the good in itself (bonum in se) should be
understood. For one could raise the question whether the affectio justitiae makes the
will free to turn to good, or whether it makes the will obey the rule that determines
what is good. Scotus is not clear on this matter. On the one hand he says that the
affectio justitiae inclines the will to will as it should, that is according to the will of
God or the rule of justice... On the other hand, Scotus says that this affectio justitiae
enables the will to will a good without relating this good to itself (non ordinatum ad
sé). One could read in these word that it is only via the rule that the will relates to
what is intrinsically good » (art. cit., p. 158).
55 Pour les trois dernières et importantes citations données : DUNS SCOTUS, Ord.
II, d. 6, nn. 49-51 (Vat. VIII, 48-51); Lect. II, d. 6, n. 36 (Vat. XVIII, 381):
« Respondeo quod affectio justitiae, sive sit infusa, sive innata, ipsa inclinat
voluntatem ad volendum sicut ipsa debet velle ; debet autem velle secundum
conformitatem voluntati divinae in ratione volendi. Sed quia voluntas est appetitus,
non potest appetere - secundum affectionem commodi - commodum nisi tantum sibi,
sed aliis potentiis non ; et quia voluntas non sequitur inclinationem intellectus, ideo ex
libertate sua potest velle et nolle quod non naturaliter vult. »
L’AFFECTION DE JUSTICE CHEZ DUNS SCOT 463

Quando ergo accipit quod ‘voluntas naturalis est respectu beatitudinis,


concedo, - sed non actualiter immoderata actu elicito ; non enim est
‘inclinatio appetitus naturalis’ aliquis actus elicitus, sed est sicut perfectio
prima, - et haec non est immoderata, sicut nec natura cujus est. Tamen ita
inclinatur affectione commodi in objectum suum, quod —si ex se haberet
actum elicitum —non posset illum moderari quin elicitur summe, quantum
posset elici. Sed voluntas ut habens solam affectionem commodi,
naturalem, non est causa alicujus actus eliciti, sed tantum ut libera, et
ideo ‘ut eliciens actum ’ habet unde moderetur passionem56.

Nous ne croyons pas que chez Scot « will is will » et « morality is


morality », mais il y a entre volonté libre et volonté bonne un rapport
complexe : la possibilité de la seconde (l’affection de justice) est en
même temps la possibilité de la première (la causalité contingente) :
sans affection de justice, nous ne pourrions que choisir le désir. Et
l’existence de la causalité contingente est la possibilité de la volonté
d’amitié ; car sans causalité contingente, nous désirerions selon le juste,
en suivant l’affection de justice, et notre « volonté d’amitié » serait
sans défaillance mais aussi sans mérite ou valeur : notre volonté
d’amitié pour Dieu ne serait pas une volonté, mais un mouvement
nécessaire (d’une nécessité qui n’est pas celle de la nature, mais qui
serait celle de la volonté) vers Dieu. Ou plutôt, puisque nous

56 DUNS SCOTUS, Ord. II, d. 6, n. 56 (Vat. VUI, 53). C’est nous qui soulignons.
Cf. aussi dans Ord. II, d. 6, n. 54(Vat. VIII, 52) : «Debuit igitur libera voluntas
moderari affectionem quantum ad istas circumstantias, quas recta ratio habuit
ostendere : quia et debuit beatitudo minus appeti sibi quam Deo, et debuit beatitudo
appeti pro tempore pro quo Deus voluit, et ex meritis pro quibus Deus voluit debere
appeti. Igitur si aliquo istorum modorum sequebatur affectionem commodi, non
moderando eam per justitiam (hoc est per infusam, si habuit, - vel acquisitam, - vel
innatam sive naturalem, quae est ipsamet libertas), peccavit » ; ou encore Ord. II, d. 6,
n. 55 (Vat. VUI, 53) : «Voluntas naturalis non est de se immoderata, sed tantum
inclinat per modum naturae, - et in hoc non est immoderatio, quia inclinat sicut
accepit inclinari, nec est in potestate sua aliud ; in potestate autem voluntatis ut libera
est actu elicito tantum inclinari, vel minus » ; Lect. II, d. 6, n. 39 (Vat. XVIII, 382) :
« concedo enim quod appetitus naturalis est respectu beatitudinis ; sed in appetitu
naturali non est praedicta aliqua immoderatio (ut nimis cito appetat), quoniam
appetitus naturalis non est actus elicitus ; sed ista immoderatio est secundum
libertatem voluntatis (nimis cito accelerantis), quia voluntas sic libera habet unde
potest moderari et regulare affectionem suam. Et ideo peccavit non utendo illa
regula. »
464 CHRISTOPHE CERVELLON

aimerions/voudrions nécessairement Dieu, nous ne pourrions ni aimer


ni vouloir, car seul Dieu peut vouloir et aimer librement et
nécessairement.
Ainsi la volonté mauvaise est-elle l’ombre non seulement de la
volonté libre mais (surtout) de la volonté bonne : la possibilité de
vouloir le mal repose sur l’affection de justice comme possibilité de
vouloir (première possibilité) et de bien vouloir (seconde possibilité).
La possibilité du mal n ’est donc pas dans la possibilité de vouloir
librement le mal (i.e. le libre arbitre comme pouvoir de pécher), mais
est une conséquence de la possibilité de vouloir librement le bien, et
d’échapper ainsi à l’ordre indifférent du désir. Pour la volonté, le mal
est le prix à payer pour un bien qui situe au-delà du désir. Le mal n ’est
pas le prix à payer pour une déficience ontologique de la créature,
mais le prix à payer pour une perfection ontologique de la volonté.

IV . L e m y s t è r e d u m a l

Le péché de Satan n’a rien d’une acrasie, car la volonté bonne


n ’est pas moins mystérieuse que la volonté mauvaise - elle ne suppose
ni le corps ni l’intellect, et en ce sens la faiblesse de la volonté est aussi
surprenante que sa force ou sa réussite. En revanche, la volonté bonne
ou mauvaise actualise librement la structure éthique de la volonté, en la
confirmant ou en la pervertissant. Et à cela (au choix mystérieux du
mal, et à la possibilité d’un tel choix), il n ’est pas d’autre raison sinon
que la volonté est la volonté. Plutôt que de parler de faiblesse ou de
force, il faudrait plutôt parler en l’espèce d’une perversion volontaire
ou d’une confirmation volontaire que la volonté, comme pouvoir de
choix, rend possible. Quant aux raisons de cette perversion, on peut
dire que c’est la volonté même ou, plus justement, on peut dire que la
volonté n ’est pas une structure ou une essence dont je puisse a priori
déduire l’existence d’une volition, parce qu’elle est une cause
contingente. De ce que p et non-p sont simultanément possibles, je ne
peux déduire ni p ni non p. Si l’on n’avait donc besoin que d’une forme
faible - diachronique - de causalité contingente pour expliquer
l’implication de la volonté et de ses affections, on a besoin au contraire
d’une forme forte - synchronique - pour comprendre jusqu’au bout la
L’AFFECTION DE JUSTICE CHEZ DUNS SCOT 465

possibilité du mal, sans que jamais pourtant quelque chose comme un


vouloir du mal, en tant que mal, soit supposé.
C’est pourtant aussi dans une forme de mauvais « raisonnement »
que consiste le péché diabolique. De la prémisse : « Dieu doit être aimé
plus que tout », le Diable aurait dû conclure : « je dois l’aimer plus que
moi » ; mais, de la même prémisse (Dieu doit être aimé plus que tout),
on peut également conclure : « l’égalité avec Dieu est désirable ». Le
Diable n’a donc directement commis aucune faute intellectuelle. Son
errance est de ne pas avoir considéré que, d’un point de vue éthique,
c’est le premier raisonnement qui vaut - celui qui ne prend pas en
compte le désir - , contre le second raisonnement, qui ne vaut que pour
le désir. Avec Scot, ce n’est pas simplement la volonté qui est
décrochée du désir, mais le raisonnement moral lui-même qui n’est
plus fonction de l’intention désirante. Avoir choisi la raison du désir
plutôt que le Bien par la faculté même - la volonté - que l’on a de
choisir le Bien, voici la faute. Aucune faute intellectuelle, aucune
erreur dans les prémisses - par intempérance ou incontinence - , mais
une faute éthique globale qui fait du désirable la mesure du Bien.
Chez Scot, le problème n’est pas, nous semble-t-il, de savoir si la
volonté peut vouloir le mal en tant que mal (puisque même le Diable
n’a pas voulu le mal en tant que mal). Mais il y a chez lui deux
interrogations précises : la première consiste à demander pourquoi s’est
produit ou manifesté un vouloir désordonné. Le mérite de Scot est de
nous expliquer pourquoi cette question est indécidable : c’est la volonté
contingente, et synchroniquement contingente, qui est en jeu. La
seconde est de savoir comment le Diable a pu préférer une volonté
moins bonne à une volonté bonne. La réponse est qu’il a suivi une
logique du désir avec les moyens de dépasser toute logique du désir.

V . C o n c l u s io n s

Nous conclurons en trois points :


Premièrement, les conditions de possibilité de la morale (affectio
justitiae) sont les conditions de possibilité de la causalité contingente -
métaphysique - de la volonté ; la causalité contingente n’a de réalité -
466 CHRISTOPHE CERVELLON

et, ajouterons-nous, de sens plénier - que sous la condition de Vaffectio


justitiae.
Deuxièmement, le désintéressement est la condition de possibilité
de la liberté - et donc de la morale, en tant que l’obéissance à la morale
est nécessairement une obéissance libre et suppose sans doute aussi une
part de sacrifice57. Mais si le désintéressement est condition de l’acte
libre, il n ’est pas immédiatement la condition de l’acte bon : je peux
tout à fait imaginer une volonté mauvaise et libre, qui, parce qu’elle est
libre, suppose une part de désintéressement. Cela ne signifie pas que la
volonté peut vouloir le mal en tant que mal (ce qui est impossible,
même dans le cas du Diable) mais que, dans la volonté mauvaise, il y a
une part de désintéressement qui est la condition de sa liberté. La
volonté diabolique, intéressée par un certain bien (par un vouloir de
concupiscence) suppose un vouloir de soi-même (un vouloir d’amitié)
qui suppose lui-même un amour absolu de soi avant toute forme
d’amour qui relierait toute chose à soi. L’égocentrisme intéressé, qui
ramène tout à soi, suppose un égocentrisme absolu, qui pose la valeur
absolu du soi. Cette valeur absolue ne suppose pas une valeur « pour »
(propter aliud), mais elle implique au contraire que tout vaut pour ce
qui vaut absolument (propter se).
Pour être intéressé à quelque chose, avant de me référer à quelque
chose, il faut que je trouve un intérêt absolu à moi-même, que je sois un
point de référence, à quoi tout peut désormais faire référence. Il faut
que je me constitue comme le géométral, l’origine et le centre de
perspective de tout amour, et cela ne se fait pas selon une recherche du
bonheur, mais il faut bien plutôt dire que la recherche du bonheur
présuppose la détermination d’une telle origine, comme tout vouloir de
concupiscence suppose un vouloir d’amitié. La volonté ne veut pas
selon le désirable, mais veut selon la dimension du désirant, qui peut
éventuellement élever sa justice au-dessus de la Justice58. Je n’ai pas un
intérêt qui relève du désir à me faire le principe et le centre de tout

57 G. SONDAG, « Aristote et Duns Scot sur le problème du sacrifice de soi »,


Philosophie 61 (1999), p. 83.
58 Cf. J.-L. MARION, « Le mal en personne », in Prolégomènes à la Charité,
Paris, La Différence, 1986, p. 22 : « l’iniquité s’approfondit à la mesure de notre désir
de justice, ou plutôt du désir de notre justice. »
L’AFFECTION DE JUSTICE CHEZ DUNS SCOT 467

amour, mais c’est parce que je me fais le principe et le terme de tout


amour que le désir, en lui-même neutre, devient moralement coupable.
Mais il faut troisièmement remarquer que Yaffectio commodi, ou
l’ordre du désir, est en lui-même éthiquement neutre. Nous ne sommes
pas condamnés à être le principe et la fin de notre amour ; c’est le
Diable qui l’a ainsi voulu librement pour lui-même. Rien n’empêche en
somme que Y affectio commodi, dont toute la valeur morale suit de
l’affection de justice, ne soit droit, dès lors que la volonté d’amitié qui
règle l’amour de concupiscence est lui-même juste59. On peut tout à fait
concevoir que Yaffectio commodi et Yaffectio justitiae coïncident, au
sens, par exemple, où les anges bons ont voulu d’un vouloir d’amitié
selon la volonté supérieure de Dieu ce à quoi ils tendaient par affectio
commodi : la béatitude. Chez Scot, puisque le vouloir d’amitié est la
forme du vouloir de concupiscence, ces deux vouloirs ne sauraient
s’opposer, mais au contraire s’impliquent l’un l’autre. Il y a ainsi, sinon
conjonction des deux affections (puisque les deux affections n’ont pas
le même objet), du moins implication. La volonté de concupiscence
n’est mauvaise que parce que la volonté d’amitié est mauvaise ;
réciproquement, si la volonté d’amitié est bonne, la volonté de
concupiscence sera elle-même bonne. Nous ne sommes pas condamnés
à être le principe et la fin de notre amour à cause de l’ordre du désir -
car, apparemment, selon l’ordre du désir, j ’aime quelque chose à partir
de moi et en référence à moi - , mais nous y sommes condamnés par
notre liberté. Le désintéressement par rapport à l’ordre du désir est
aussi un pouvoir d’information ou de rectification du désir. Par
Yaffectio justitiae et par une volonté d’amitié droite, je peux désirer

59 Sur ce point, voir M. B. INGHAM, « Letting Scotus Speak for Himself »,


Medieval Philosophy and Theology 10 (2003), p. 208 : « In every true and morally
good choice, both affections are satisfied. This means that right loving constitutes the
fullest human satisfaction. It does not mean that personal happiness is disregarded as
morally insignificant, or that the self should be overlooked in favor of morally right
behaviour. In fact, this is precisely what the philosophers depicted in the Ordinatio
prologue overlooked. They did not understand the way in which loving rightly (and
not a life of contemplation) leads to the fullest experience of human happiness.
Loving God above all things is both the most perfect act of which the human person is
capable and is that act by which the person experiences true happiness. Thus, in
loving God, the two affections of the will are integrated and united. »
468 CHRISTOPHE CERVELLON

pour moi, et sans crime, ce qu’il est juste de désirer, car si je suis le
principe et la fin de mon désir, je ne suis pas le principe et la fin de
mon amour. Ou plutôt : le désir dont je suis le principe et la fin n’a de
sens que dans l’horizon d’un amour qui me décentre et où je ne désire
l’amour de Dieu pour moi que pour Dieu.
Peut-être jugera-t-on cette position incohérente : comment désirer
pour soi ce que l’on veut par amour de Dieu ? Soit on « le » désire pour
soi, et l’amour de Dieu n’intervient pas ; soit on « le » veut par amour
de Dieu, et alors peu importe qu’on le désire pour soi. N ’y a-t-il pas là
une double motivation ? Il faut évidemment répondre que non, car on
ne désire une chose que pour autre chose qui est désirée en elle-même
et pour elle-même, c’est-à-dire aimée ou voulue. L’ordre du désir et
l’ordre de la volonté chez Scot ne se superposent pas, mais se
présupposent. Ni pur amour ni amour intéressé, mais l’intérêt le plus
grand - la béatitude - selon la volonté la plus juste - la plus aimante de
Dieu.

École Pratique des Hautes Études, Paris


Jean -Michel Counet

LE LIEN ENTRE LA PRUDENCE


ET LES VERTUS MORALES CHEZ DUNS SCOT

Duns Scot aborde longuement le rapport entre prudence et vertus


morales dans la question traitant de la connexité des vertus. Il s’agit là
d’un problème classique dans la tradition théologique, traité déjà par
les Pères, principalement sur une base stoïcienne transmise du côté
latin par Cicéron, notamment. Il est abordé tout au long de la période
médiévale et a connu selon Dom Lottin1 trois périodes distinctes.

I. L e s t r o is p h a s e s d e l a q u e s t io n a v a n t D u n s S c o t

Dans la première, qui s’étend d e l l 5 0 à l 2 1 5 , on ne distingue pas


clairement entre vertus acquises et vertus infuses, et on attribue la
connexité aux vertus ainsi considérées. Dans une deuxième étape, qui
commence avec Gilbert de Poitiers vers 1213-1215, la distinction
s’effectue entre vertus acquises et vertus infuses, et la connexité est
alors réservée aux vertus infuses. Du point de vue des vertus acquises,
la connexité est en effet très problématique, puisque ce sont des vertus
qui prennent naissance par la répétition de certains types d’actes ; or les
actes vertueux ne sont pas connexes entre eux : si je maîtrise un désir
immodéré de manger, c’est clairement un acte de tempérance, mais cela

1 O. LOTTIN, « La connexion des vertus avant saint Thomas d’Aquin », Recher­


ches de Théologie Ancienne et Médiévale 2 (1930), pp. 21-53 ; ID., «La connexion
des vertus chez saint Thomas et ses prédécesseurs », in Psychologie et Morale aux
XIT et X l l f siècles, vol. III, Gembloux, Duculot, 1949, pp. 197-252 (surtout pp. 199-
231).
470 JEAN-MICHEL COUNET

n ’a comme tel rien à voir avec la justice. Comment dès lors des habitus
engendrés par des actes qui ne sont pas nécessairement connexes entre
eux pourraient-ils être caractérisés par la connexité ?
Le cas des vertus infuses est différent. La charité, vertu surnatu­
relle donnée par Dieu, est l’accomplissement de toutes les vertus2 (la
forme de toutes les vertus) et lorsqu’elle est présente dans la volonté
humaine, toutes les vertus le sont également. Ce n’est que par analogie
qu’on attribuera tout de même chez certains auteurs une connexité aux
vertus acquises, en ce sens qu’un acte vertueux, quel qu’il soit,
demande pour réaliser ce juste milieu entre extrêmes, de vaincre
certaines résistances (force), une certaine maîtrise de soi (tempérance),
un rapport au moins virtuel à autrui (justice) et une qualité de jugement
de l’intellect pratique (prudence). Philippe le Chancelier, par exemple,
reconnaît ce type de connexité aux vertus acquises : on discerne là une
présence de la tradition stoïcienne, mais la non-connexité des actes
donnant naissance aux habitus acquis empêche d’aller plus loin qu’une
simple connexité analogique ou « secundum quid »3.

2 ALANUS DE INSULIS, Regulae, ed. N. M. Häring, Archives d'Histoire Doc­


trinale et Littéraire du Moyen Age 56 (1981), pp. 197-198 : « Charitas prior dicitur
causa quia ipsa specialiter causa est quare aliquod opus dicatur bonum. Ex hoc
principaliter fit virtus quia exercitur propter Deum, pro Dei scilicet dilectione. Et
omne opus ideo dicitur bonum quia finaliter fit pro Dei amore. Unde et ipsa dicitur
mater omnium virtutum ».
3 PHILIPPUS CANCELLARIUS PARISIENSIS, Summa de Bono, ed. N. Wicki,
Berne, Franke, 1985, vol. 2, pp. 1071-1072: «Potest enim sumi iustitia vel aliqua
cardinalis virtus dupliciter. Potest enim sumi prout accipitur secundum actum proprie
potentie et circa materiam propriam illius potentie ita quod se non extendat analogice
ad actum alterius potentie, ut prudentia circa discernere et temperentia circa
concupiscere moderate delectationes corporales, similiter fortitudo circa aggres­
sionem terribilium et circa sustinentiam, ita tamen quod terribilia non dicantur
quecumque sed que sunt terribilia secundum corpus, et per hunc modum non est
necesse quod una habita habeantur omnes, quia secundum hoc actus potentie non
extendit se ultra propriam potentiam nec ultra materiam eius et potest esse quod
potentia secundum actum proprium existentem circa propriam materiam sit bene
ordinata et tamen alia potentia non erit sic se habens.
Item potest esse quod actus uniuscuiusque istarum virtutum analogice sumantur et
circa materiam analogice sumptam. Verbi gratia actus virium circumcedentes sunt;
cum enim concupiscere sit proprius actus concupiscibilis, tamen unaquaque habet
LE LIEN ENTRE LA PRUDENCE ET LES VERTUS MORALES 471

Le troisième moment de la problématique se produit lorsque le


texte d’Aristote de l'Ethique à Nicomaque devient communément
accessible, vers 1250. On sait qu’au livre VI de l'Ethique, Aristote4
justifie la connexité des vertus morales par leur lien étroit avec la
prudence. Celui qui possède une vertu comme le courage, doit posséder
la prudence, et cette prudence à son tour ne peut qu’engendrer les
autres vertus comme la tempérance et la justice. Il devait s’agir des
vertus accomplies, car les propensions à la vertu issues du tempérament
(ce qu’on appelle souvent les vertus naturelles) n’étaient pas pour
Aristote nécessairement connexes.

IL L a p o s it io n d e J e a n D u n s S c o t

Au moment où Duns Scot intervient dans la problématique, cette


position aristotélicienne était défendue par Thomas d’Aquin5, Henri de
Gand6, et Godefroid de Fontaines7 avec des accents divers. Nous allons
voir que Duns Scot va marquer le début d’une nouvelle étape du débat
en refusant toute connexion nécessaire des vertus acquises. Dans son
Commentaire aux Sentences, il discute les positions de Henri et de
Thomas au Livre III, dist. 36 (supplément)8, et il décompose la question

suum concupiscere respectu sui delectabilis, et ideo actus iste concupiscere dicitur
quantum ad vim aliam a concupiscibili analogice sumi, eodem modo est de hac
materia delectabile ».
4 ARISTOTE, Eth. Nie. VI, 13.
5 THOMAS DE AQUINO, ST la-IIae, q. 65, a. 2 ; In III Sent., d. 36, a. 1-2 ; Quodl.
XII, a. 23 ; In VI Eth. Nie, lect. XI, nn. 1275-1287.
6 HENRICUS DE GANDAVO, Quodl. V, q. 17 ; Quodl. XII, q. 14, ed. J. Decorte,
Louvain, Leuven University Press, 1987 (Henrici de Gandavo Opera Omnia, 16), ci-
après : ed. Decorte.
7 GODEFREDUS A FONTIBUS, Quodl. II, q. 11, ed. M. De Wulf - A. Pelzer,
Louvain, 1904 (Les Philosophes Belges, 2).
8 DUNS SCOTUS, Op. ox. Ill, d. 36 (Viv. XV, 597-737) ; cf. également John Duns
Scotus on the Will and Morality, selected and translated by A. B. Wolter, Washington
D. C., The Catholic University of America Press, 1986, auquel nous ferons référence
472 JEAN-MICHEL COUNET

en deux, comme il était d’usage depuis Henri de Gand : il examine


d’abord la connexion des vertus morales entre elles, et ensuite la
connexion des vertus morales avec la prudence.

1. L a c o n n e x io n d e s v e r t u s m o r a l e s e n t r e e l l e s

A. Thèse de Henri de Gand

La thèse de Henri9 était que les vertus accomplies sont nécessaire­


ment connexes, car qui dit vertu entend une disposition stable à agir de
façon bonne, et également ime facilité et un plaisir à accomplir les actes
en question. Or supposons quelqu’un qui soit tempérant sans être
courageux. Il pourra aisément être contraint par quelqu’un d’autre à
accomplir sous la menace des choses opposées à la tempérance et qu’il
réprouve, faute de courage pour faire face à la menace. Au bout de
quelques actes accomplis de la sorte, sa tempérance aura disparu.
Autre argument : à supposer même qu’il vainque la tentation, il le
fera avec une grande crainte et de la tristesse, c’est-à-dire sans vertu,
puisque celle-ci requiert facilité et même plaisir à poser des actes bons.
Dans le même registre, quelqu’un de tempérant mais dépourvu de
prudence, commettra tôt ou tard des erreurs de jugement qui compro­
mettront l’existence de sa tempérance. Une vertu n’a donc la stabilité
requise que si elle est affermie et renforcée par toutes les autres.
Bien entendu, ceci ne vaut selon Henri que pour la vertu accom­
plie. Il distinguait quatre degrés dans l’acquisition de la vertu : le
premier degré est celui de la persévérance, où l’homme est capable de
maîtriser durant un certain temps ses passions, ensuite avec la
continence, qui dénomme le deuxième degré, il vainc les tentations
mais avec peine et tristesse. Le troisième stade est celui de la vertu
proprement dite, appelé stade de la tempérance, où l’on repousse les
désirs mauvais dès le début à l’aide de la raison et où l’on n’est plus

dans la suite en citant le nom du responsable du volume. Le texte de l’édition Vivès a


en effet été revu par lui.
9 WOLTER, op. d t , pp. 380-383.
LE LIEN ENTRE LA PRUDENCE ET LES VERTUS MORALES 473

sujet au trouble. Ensuite il y a encore le quatrième stade ou stade


héroïque de la vertu, mais qui est en définitive plus divin qu’humain.
Le troisième stade, celui de la persévérance, est lui-même divisé en
trois : celui de la vertu commençante, celui de la vertu moyenne et celui
de la vertu accomplie. Ce n ’est qu’à ce troisième stade du troisième
degré que vaut la connexion des vertus.
Voilà résumée, dans ses grandes lignes, la position de Henri sur le
sujet. Elle est, me semble-t-il, fidèlement rapportée par Duns Scot, ce
qui, comme on le sait, n ’est pas toujours le cas lorsque le Docteur
Subtil polémique avec le Docteur Solennel.

B. Position de Thomas d’Aquin

Selon un second docteur10, identifié par A. Wolter comme étant


Thomas d’Aquin, un habitus moral peut être engendré par répétition de
plusieurs actes de même type, voire par un seul acte mais parfait, mais
on ne peut parler de vertu au sens strict que si les autres habitus moraux
sont présents. Sans cette présence des autres habitus, le juste milieu
nécessaire à la notion même de vertu ne pourra être trouvé.
Il s’agit bien de la position de Thomas, ou plutôt d’un aspect de la
position de Thomas. Thomas justifiait la connexion des vertus morales
essentiellement d’un point de vue aristotélicien, par leur lien à la
prudence. Ce n ’est que dans une deuxième ligne argumentative qu’il
recourt à la tradition stoïcienne. Duns Scot reprend dans la position de
Thomas ce qui convient à la nouvelle formulation de la question, à
savoir le dédoublement en une problématique de la connexion des
vertus morales entre elles et ime connexion de celle-ci avec la
prudence. En procédant de la sorte, Duns Scot transforme, me semble-
t-il, la position de Thomas en la privant de son axe principal de
justification.

10 Ibid., pp. 384-389.


474 JEAN-MICHEL COUNET

C. Position propre de Duns Scot et réfutation des thèses présentées

La position de Duns Scot est très claire : il n’y a pas selon lui de
connexion nécessaire entre vertus morales acquises11. Bien des facteurs
peuvent être causes d’une acquisition seulement partielle des vertus :
par tempérament, je peux être porté au courage et pas à la tempérance :
produisant des actes correspondant à mon tempérament, j ’engendrerai
en moi la vertu de tempérance sans qu’il en aille de même pour le
courage. Certains milieux de vie ne sont pas des terrains propices à
l’acquisition de certaines vertus : l’atmosphère paisible d’une maison
religieuse peut empêcher par exemple l’acquisition du courage
accompli, qui, par contre, dans un contexte de guerre, pourra facilement
trouver à naître et à s’exercer. Le contexte socio-économique a aussi un
rôle à jouer : un pauvre ne peut pratiquer la libéralité. Enfin, il y a
apparemment conflit entre certaines vertus « philosophiques » et
d’autres « théologiques », comme entre la magnanimité et l’humilité.
Celui qui a l’une ne peut, semble-t-il, jouir de l’autre. Le conflit peut
même exister entre vertus « théologiques » relevant d’états de vie
différents : la chasteté dans le mariage n’est pas la virginité et ne peut
donc lui être connexe.
Il faut se faire à l’idée, dit Duns Scot, qu’une vertu n’est qu’une
perfection partielle de l’homme. Une perfection partielle peut exister
sans une autre. L’analogie des perfections du corps est ici éclairante.
Quelqu’un qui dispose d’une excellente vue ne peut-il être
complètement sourd? De même quelqu’un qui est courageux peut
n ’être pas juste ou tempérant.
L’argumentation de Henri n’est pas convaincante, car la vertu est
une disposition stable, certes, mais qui peut néanmoins disparaître12. Si
l’homme tempérant qui n’est pas courageux cède aux menaces et
commet des actes contre la tempérance qu’il réprouve, c’est tout

11 Ibid., pp. 388-389 : « Concedo quod nec virtutes morales secundum genera sua,
quae communiter assignantur, (ut) justitia, fortitudo, et temperentia, nec secundum
illa generaliora, quae prius assignavi, quae sunt virtutes disponentes affectum ad
seipsum vel ad alterum sunt necessario connexae ».
12 Ibid., pp. 390-391: «Dico quod Philosophus non dicit in Praedicamentis
habitum esse inamissibilem sed dicit esse de difficili amissibilem ».
LE LIEN ENTRE LA PRUDENCE ET LES VERTUS MORALES 475

simplement par manque de courage. Cela ne concerne la vertu de


tempérance que par accident13. Entre deux maux il a simplement choisi
le moindre à ses yeux. Bien entendu, si les actes de cette sorte se
répètent, la tempérance finira par disparaître. Il n ’empêche qu’elle était
vraiment là au départ en tant que disposition stable. Après tout, une
substance peut aussi être attaquée par le biais de ses accidents et finir
par disparaître. Cela ne signifie pas qu’elle n’existait pas ni qu’elle
n ’avait pas en elle une certaine propension à durer. Il en va de même
pour une vertu, qui, bien que stable, est susceptible d’ être attaquée. Il
faudra d’ailleurs beaucoup d’actes contraints pour obtenir cette dispari­
tion de la vertu de départ. Dans le cas de la victoire contre la tentation
obtenue dans la tristesse et la crainte, la situation est tout à fait simi­
laire : cela ne concerne la tempérance que par accident.
L ’argument le plus net de Duns Scot contre Henri, qu’il opposera
d’ailleurs aussi à Thomas d’Aquin, c’est qu’on ne voit pas quand cette
connexion des vertus devrait nécessairement voir le jour. La réserver au
troisième degré du troisième stade paraît assez arbitraire : supposons
quelqu’un qui soit à ce stade en ce qui concerne la justice et à un stade
inférieur en ce qui concerne la force ; il aura donc une propension plus
grande à poser des actes de justice que des actes relevant de la force,
donc une tendance à perfectionner toujours sa justice plutôt qu’à passer
au stade de la vertu accomplie pour la force. On ne voit pas pourquoi
l’accès au stade décisif pour une vertu déterminée devrait entraîner le
passage au stade de l’accomplissement pour les autres.
La position de Thomas se voit critiquée pour la même raison :
puisqu’une vertu implique l’existence de toutes les autres, comment
concevoir un ordre progressif d’apparition des vertus ? Elles doivent
nécessairement apparaître toutes en même temps, mais comment est-ce
envisageable si les actes des vertus ne sont pas nécessairement
connexes ? Un acte unique ne peut, semble-t-il, donner naissance à

13 Ibid., pp. 388-389 : « Per hoc patet ad quaedam tacta pro prima opinione, puta
ad illud quod virtus potest obliquari; hoc est enim falsum de virtute, nam virtus non
obliquatur, sed habens virtutem ex defectu alterius virtutis, obliquatur respectu
alterius virtutis. Nec ex hoc est ista virtus imperfecta, quia ipsius non est dirigere
hominem circa omnia sed circa sua propria obiecta ».
476 JEAN-MICHEL COUNET

diverses vertus morales en même temps14. En bref, il est impossible


d’assigner un moment précis à l’apparition de la connexion des vertus.
Or, comme au départ il est clair que cette connexion n’existe pas, il est
plus rationnel d’y renoncer complètement. Parmi les autorités alléguées
par Henri, il y avait celle du Commentateur de YEthique, Eustrate, qui
parlait des vertus comme de sœurs qui s’épaulent mutuellement. Mais
tout bien considéré, ce qui apparaissait aux yeux de Henri comme un
argument en faveur de la connexité se retourne complètement : des
sœurs peuvent subsister l’une sans l’autre, même s’il ne fait aucun
doute qu’une collaboration entre elles peut leur apporter à chacune
beaucoup15.
La non-connexité des vertus peut se comprendre, notamment par la
conception générale que Duns Scot se fait à leur sujet. Une vertu
morale est un habitus pratique16 qui se combine avec la volonté pour
former un groupe de deux causes essentiellement ordonnées, compara­
ble au soleil et au père dans le processus de génération, ou à l’objet et à
l’intellection dans le processus de la connaissance.

14 Ibid., pp. 386-387 : « Si dicatur.... quod aliqua potest esse virtus habens secum
omnes virtutes concomitantes, et licet in ratione qua est talis habitus, unus praecedat
alium, non tamen in ratione qua est virtus, sed omnes habitus, sive prius sive posterius
generati, habent rationem habitus virtutis ex ratione propria et concomitantia mutua ;
contra hoc : tunc sequitur quod imus actus generabit omnes virtutes morales in esse
virtutis, quod videtur inconveniens ».
15 Ibid., pp. 392-393: «Concedo quod sorores, etsi iuvent se mutuo ad
convivendum, una tamen non est altera, nec una essentialiter perficit alteram ».
16 DUNS SCOTUS, Ord. I, d. 17, pa. 1, qq. 1-2 (Vat. V, 154) : « Concedo, propter
istas rationes, quod tenendo habitum esse causam partialem respectu actus, esset
causa secunda et non prima, sed ipsa potentia esset causa prima et absolute non
indiget habitu ad operandum ; tamen minus perfecte operatur sine habitu quam cum
habitu (et hoc posito aequali conatu ex parte potentiae) sicut quando duae causae
concurrunt ad effectum unum, una sola non potest per se in ita perfectum effectum
sicut ambae simul. Et hoc modo salvatur quare actus est intensior a potentia et ab
habitu quam a potentia sola ». Cf. M. B. INGHAM, « Scotus and the Moral Order »,
American Catholic Philosophical Quarterly 61 (1993), pp. 145-146.
Il est toutefois indispensable de tenir compte du fait que pour cette question
du lien entre l’habitus et l’acte, il envisage différentes solutions. La troisième ici
exposée n’est qu’une des deux à être considérée favorablement. Elle n’est donc que
probable, même si Scot semble y incliner particulièrement.
LE LIEN ENTRE LA PRUDENCE ET LES VERTUS MORALES 477

Les deux causes essentiellement ordonnées comportent une cause


universelle capable de produire une multiplicité d’effets et une cause
particulière dont le rôle consiste à déterminer la causalité universelle de
façon à produire un effet particulier parmi tant d’autres possibles.
Lorsque les deux causes exercent chacune une causalité propre, la
synergie causale donne un effet de plus grande perfection. La cause
universelle peut agir seule, mais elle ne peut produire ainsi des effets
aussi parfaits que lorsque la cause particulière ajoute sa contribution.
Dans cette logique, la volonté peut produire seule l’acte bon. Mais
si elle s’adjoint la collaboration d’une vertu, l’effet sera plus parfait17.
Une vertu est essentiellement une manifestation du caractère naturel de
la volonté. Celle-ci est mise en mouvement par ce qui la perfectionne.
Cette mise en mouvement supporte et donne force à l’acte du choix par
lequel la volonté se meut elle-même et donne à son effet plus de
consistance et de qualité.
Mais on voit bien que comprendre de la sorte les vertus implique
de leur faire jouer la carte de la particularité. C’est précisément parce

17 DUNS SCOTUS, Lect. I, d. 3, pa. 3, qq. 2-3, n. 367 (Vat. XVI, 367-368) :
« Quando sunt plures causae concurrentes ad unum effectum aut concurrunt ordine
quodam, quia sunt causae essentialiter ordinatae, ut sol et pater ad productionem
hominis, quia homo generatur ab homine et a sole ; quandoque autem concurrunt non
ordine sed ex æquo, sicut patet de trahentibus navem, unde in illis si tota virtus quae
est in omnibus esset in uno, ipse traheret navem.
Primum autem membrum subdivitur : nam causae concurrentes ordine quodam ad
unum effectum producendum aut sic sunt essentialiter ordinatae quod causa superior
movet inferiorem, nec inferiorem habet causalitatem respectu effectus producendi nisi
a superiori causa, eo quod non movet nisi quia movetur a causa superiori, sicut
operatur causalitas motionis baculi respectu manus ; et quando sic est, tunc tota motio
virtualiter est in prima causa, quae est superior. Quandoque autem causae essentialiter
ordinatae concurrentes ad unum effectum producendum non se habent praedicto
modo, sed una est perfectior in causando quam alia, quae est imperfectior, non tamen
perfectior dat causalitatem causae imperfectiori ut moveat, sicut se habent pater et
mater respectu productionis foetus (...). Unde una non est causa causalitatis alterius
sed una tantum est perfectior et alia imperfectior ; et quando sic est, tunc causae
concurrentes causant unum effectum dependentem a duobus, ita tamen quod
perfectius dependet ab uno quam ab alio et perfectius producitur a duobus quam si
produceretur ab uno tantum. Non sic est in priori membro. Et sic anima vel aliquid
animae et obiectum concurrunt ad eliciendum actum (intellectionis) ».
478 JEAN-MICHEL COUNET

qu’une vertu n ’est pas l’autre qu’elle apportent un plus à la volonté


universelle, en déterminant son champ d’action. Dans cette perspective,
l’habitus donne intensité, force, perfection à l’action de la volonté ; il
apporte à la volonté libre qui s’autodétermine le fondement de la
volonté comme nature, comme inclination vers le bien que la vertu
ratifie fondamentalement.
Non seulement les vertus ne sont pas connexes mais il ne faut
surtout pas qu’elles le soient, car dans ce cas elles ne joueraient pas si
nettement ce rôle de cause secondaire, déterminative de la causalité
équivoque de la volonté. Venons-en au deuxième aspect de la question
de la connexion : celle de la connexion des vertus morales à la
prudence.

2. L a c o n n e x io n d e s v e r t u s m o r a l e s à l a p r u d e n c e

Lorsque Aristote donne sa démonstration de la connexion entre


prudence et vertus morales, il raisonne comme si c’était une seule et
même prudence qui était requise par chacune d’entre elles. Or les
vertus morales balayant des champs distincts, il y a lieu de considérer
l’existence de prudences particulières, propres à chacun d’entre eux.
Ces prudences déterminent par délibération les moyens pour réaliser les
fins visées par les vertus morales. Ensuite, dans un moment ultérieur, il
faudra se poser la question de l’unité de ces diverses prudences
particulières.

A. P o sitio n de H en ri su r la q u estion

Henri défend le lien essentiel entre une vertu morale, qui a pour
siège la volonté et la prudence qui y est associée et qui a son siège dans
l’intellect. L ’œuvre de cette prudence est bien entendu de délibérer sur
les moyens les meilleurs pour réaliser les fins voulues par les vertus.
Sans prudence, les fins ne pourront être obtenues dans de bonnes
conditions et, d’autre part, en cas de volonté mauvaise, le bon jugement
de l’intellect pratique ne pourra se maintenir. Le péché va aveugler
l’intellect pratique et l’empêcher de continuer à juger selon la droite
raison. Ce lien entre vertu morale et prudence se retrouve dans l’adage
comme quoi « Nul ne fait le mal sciemment » que l’on trouve chez
Denys l’Aréopagite, selon Henri.
LE LIEN ENTRE LA PRUDENCE ET LES VERTUS MORALES 479

Duns Scot s’oppose là aussi à cette position de Henri18. Pour lui, il


est tout à fait possible qu’un jugement correct de l’intellect pratique ne
soit pas suivi par la volonté : celle-ci peut choisir autre chose que le
bien qui lui est proposé par l’intellect ou, ce qui est peut-être encore
plus important, ne pas choisir, réprimer cet élan naturel qui la pousse
vers le bien. Dans ce cas, la prudence pourrait bien naître sans que la
vertu correspondante le soit. Henri était d’avis que si la volonté ne
suivait pas l’intellect pratique et donc péchait par là, puisqu’elle
n’optait pas pour le bien le meilleur qui se présentait à elle, l’intellect
pratique était aussitôt enténébré et perdait dans la mesure de l’écart de
la volonté le sens du bien. Plus la chose était répétée, plus l’intellect
pratique était aveuglé. On voit bien que dans ses conditions pour Henri
une prudence ne pouvait exister indépendamment d’une vertu morale19.
Mais pour le Docteur Subtil il ne s’ensuivra aucune disparition à
plus ou moins brève échéance de la prudence, car la volonté n ’a pas le
pouvoir de gauchir à ce point le fonctionnement de l’intellect.
L’aveuglement de l’intellect par la volonté mauvaise - qui est bien
entendu une réalité biblique pour Duns Scot - peut prendre deux
formes, toutes deux différentes de ce qu’Henri envisageait : tout
d’abord la volonté peut tourner l’intellect à la considération d’un autre
bien pour l’empêcher de considérer le bien jugé être le meilleur pour
elle : cette stratégie de la volonté s’explique précisément par le fait que
l’intelligence garde sa capacité de jugement par rapport au bien. Cette
capacité de l’intellect est innée et ne peut pas être modifiée par quoi

18 HENRICUS DE GANDAVO, Quodl. XII, q. 14 (ed. Decorte, 81-82) : « Et ideo


dico quod mixtün generatur virtus moralis cum prudentia practica, quae vere practica
est dicenda, ita quod una earum nullo modo sine altera generari potest, et secundum
rationem eiusdem mensurae, ut quantum quisque acquirit de virtute morali, et de
prudentia. Et per hoc necesse est omnes virtutes in prudentia esse connexas, secun­
dum quod hoc alias in quaestione quadam de virtutum connexione latius declara­
vimus, Vo Quodlibet, quaestione 16 et 17 ».
19 HENRICUS DE GANDAVO, Quodl. XII, q. 14 (ed. Decorte, 82) : « Qua ratione
semel recta ratione iudicante aliquid agendum, voluntas potest illud non eligere
eadem ratione et pluries, dico quod falsum est, quia cum primo eligit contra rectam
rationem, inficitur vitio a qua infectione voluntatis statini incipit obscurari ratio et
obliquari a sua rectitudine et sic incipit deficere a rectitudini iudicii gradatimi et
interscalatim quousque voluntate in vitio obstinante ratio sit excaecata ».
480 JEAN-MICHEL COUNET

que ce soit, même la volonté. L’autre manière consiste pour la volonté


à forcer l’intelligence à trouver les moyens de réaliser une fin détermi­
née, assignée par la volonté.
Dans ces deux cas, il y a présence rémanente d’une véritable
prudence, mais pas de vertus morales l’accompagnant. La personne est
dès lors consciente qu’elle agit mal lorsque sa volonté agit de la sorte,
mais son intelligence subit la loi d’une faculté qui est plus parfaite
qu’elle, à savoir la volonté.

B. Position d’un autre intervenant

A titre d’objection à ses conclusions contre la position de Henri,


Duns Scot se demande si une prudence sans vertu morale concomitante
est encore réellement une prudence. Ne pourrait-on prétendre que
l’habitus moral qui préside au jugement pratique ne serait prudence que
lorsque le jugement serait entériné par un choix par la volonté de ce
que l’intellect pratique commande ? Un passage de YEthique à
Nicomaque semble viser par prudence l’habitus du jugement droit selon
la raison auquel correspond un choix droit20. Cette position est très
proche de la manière dont Duns Scot comprenait la position de Thomas
et peut en être considérée comme un développement.
Duns Scot envisage d’ailleurs un double habitus pré-prudentiel de
l’intellect pratique : un habitus des premiers principes, en d’autres
termes la syndérèse, qui saisit ces premiers principes très généraux (par
exemple : il faut rechercher le bien et éviter le mal), ainsi que des
principes plus détaillés, mais relevant tout de même de la loi naturelle.
En plus de cet habitus des principes universels, il y aurait un habitus
des principes particuliers. Tant que la volonté n’aurait pas ratifié la
conclusion du syllogisme pratique dans un cas déterminé, on ne
pourrait parler de prudence à proprement parler. Celle-ci n ’apparaîtrait
qu’une fois le choix ratifié.
Cet habitus des principes particuliers pourrait résulter par exemple
de l’éducation ou d’une science morale obtenue par un autre biais que
l’apprentissage direct. L’important est qu’après le premier choix
conforme au droit jugement de la raison, ces deux habitus ou à tout le

20 ARISTOTE, Eth. Nie. VI, 2, 1139a30.


LE LIEN ENTRE LA PRUDENCE ET LES VERTUS MORALES 481

moins le deuxième d’entre eux se constitueraient en prudence. L’objec­


tion qui consisterait à dire que dans ce cas, de nouveau, un acte qu’est
le choix engendrerait deux vertus différentes, la vertu morale concernée
par le champ du choix et la prudence qui y est liée - objection qui avait
un grand poids pour Scot dans la partie précédente de la discussion -
n’a pas le même poids ici, car il s’agit d’une vertu intellectuelle et
d’une vertu morale, vertus ressortissant à des facultés différentes, et
non deux vertus morales, dont les champs sont en droit distincts.
Duns Scot ne rejette pas d’une façon nette cette solution d’une
apparition simultanée de la vertu morale et de la prudence qui lui est
associée, puisque l’intellect et la volonté travaillent normalement de
concert. Selon lui, aussi bien une élection droite qu’un jugement droit
de l’intellect peuvent conduire à leur perfection ces deux habitus et
faire naître la prudence. La première possibilité est assez naturelle ;
l’autre est plus étonnante, car on ne voit pas comment un nouvel acte
de jugement de l’intellect pratique amènerait nécessairement un
assentiment de la volonté. Mais tout en ne rejetant pas avec netteté
cette possibilité - ce qui a induit quelques interprètes éminents en
erreur21 - , il ne s’y rallie cependant pas positivement. Suivant la façon
dont on définit la prudence, cette conception sera correcte ou non. Mais
la manière de poser la prudence qu’implique l’hypothèse ci-dessus n’a
pas sa préférence.
Un point en tout cas où il ne transige pas et affirme clairement sa
position, c’est sur le fait qu’à ses yeux la prudence ne peut se ramener à
une capacité de délibération sur les moyens ; elle appréhende aussi les
fins et guide la visée des vertus morales. Sinon, il n’y aurait pas une
prudence unique pour tout le champ d’une vertu morale ; il y aurait
autant de prudences que de moyens à trouver pour les fins recherchées.

21 Contrairement à ce que pensait O. Lottin, ce n’est pas là la position défendue


par Scot, laquelle admet que la prudence et la volonté n ’acquièrent pas
nécessairement leurs habitus respectifs (prudence et vertu morale) en même temps par
un processus de renforcement mutuel. Cf. M. B. INGHAM, « Practical Wisdom », in
John Duns Scotus. Metaphysics & Ethics, eds. L. Honnefeider - R. Wood - M.
Dreyer, Leiden - New York - Köln, Brill, 1996 (STGMA, 53), pp. 563 sq. et surtout
St. D. DUMONT, « The Necessary Connection of Moral Virtue to Prudence
According to John Duns Scotus Revisited », Recherches de Théologie Ancienne et
Médiévale 55 (1988), pp. 184-205.
482 JEAN-MICHEL COUNET

Comme une vertu morale a pour fin quelque chose d’unique, le fait que
la prudence appréhende cette fin et pas seulement la multitude des
moyens pour l’obtenir, lui permet d’être unique.
La conclusion s’impose : si la prudence n ’implique pas nécessai­
rement une vertu morale, la vertu morale implique, elle, de toute
nécessité, la prudence. Agir vertueusement c’est choisir en fonction
d’une règle, d’une mesure donnée par l’intellect. Pas d’action vertueuse
sans penser que cette action est bonne.

3. L a c o n n e x io n d e s v e r t u s m o r a l e s a v e c u n e p r u d e n c e
UNIQUE

Nous avons montré que toute vertu morale s’accompagne d’une


prudence particulière. Mais ces prudences particulières constituent-
elles une prudence unique ou bien la multiplicité reste-t-elle
irréductible ?
Duns Scot résout le problème conformément à sa doctrine de
l’unicité d’une science : ce qui fait l’unité d’une science portant sur des
réalités éventuellement bien différentes, c’est l’unité de son sujet
principal. Ce sujet contient virtuellement tous les énoncés de la science
en question, c’est-à-dire qu’ils peuvent en être déduits par un
raisonnement apodictique22. Ainsi la théologie a-t-elle Dieu pour sujet

22 DUNS SCOTUS, In VI Met., q. 1 (St. Bon. IV, 40) : « Primo modo potest conce­
di prima opinio : quot scibilia tot scientiae, secundum quod rationes contra opinionem
adductae ostendunt. Secundo modo potest esse unus habitus respectu multorum
complexorum. Cum enim conclusiones sint in principiis virtualiter, et principia
virtualiter in subiecto - nam subiectum includit praedicatum in principiis primis, et
hoc vel essentialiter si sint per se primo modo, vel virtualiter si sint per se secundo
modo-, sequitur quod in subiecto incomplexo, quiditative cognito, virtualiter
contineantur principia et conclusiones de tali subiecto ; et sic, tota notitia quae de ipso
subiecto nata est haberi... Ergo habitus inclinans formaliter ad speculandum tale
subiectum inclinat virtualiter ad omnia complexa praedicta ; sed primo ad
cognoscenda de ipso subiecto ; per se autem sed non primo ad cognoscenda de aliis
per rationem eius. Et ita respectu omnium istorum est unus habitus virtualis ». cf. L.
HONNEFELDER, Ens inquantum ens. Der Begriff des Seienden als solchen als
Gegenstand der Metaphysik nach der Lehre des Johannes Duns Scotus, Münster,
LE LIEN ENTRE LA PRUDENCE ET LES VERTUS MORALES 483

principal, mais elle porte aussi sur le monde, sur l’homme, le Christ, les
sacrements, etc., dans la mesure où tous ces sujets sont inclus
virtuellement dans le premier (ou plutôt les énoncés portant sur ces
sujets sont virtuellement inclus dans le sujet principal et peuvent être
démontrés à partir de lui dans un certain ordre).
Dans l’ordre des sciences pratiques, c’est la fin qui joue le rôle de
sujet. Dans la mesure où il existe une fin ultime de la vie humaine, qui
contient virtuellement en elles toutes les fins particulières et
prochaines, on pourra parler d’une prudence unique qui fasse l’unité
des prudences particulières. Mais celles-ci ne sont incluses que
virtuellement et non formellement dans cette prudence universelle :
c’est-à-dire que leur présence n ’y est pas évidente. Elles devront être
démontrées à partir de la fin ultime, à titre de moyens pour l’obtenir.

4 . LA CONNEXION DES VERTUS MORALES ET DES VERTUS


THÉOLOGIQUES

Dans un quatrième point de son étude décidément très


systématique, Duns Scot se demandera s’il y a connexion entre les
vertus morales acquises et les vertus théologiques. La réponse sera non
également. Bien entendu, les vertus morales acquises peuvent exister
sans les vertus théologiques que sont la foi, l’espérance et la charité.
Dans leur espèce, elles peuvent exister et parvenir à leur perfection sans
les vertus théologales. Néanmoins, elles ont pour finalité d’être des
instruments des vertus théologales. Un instrument qui n ’est pas
concrètement au service du but pour lequel il a été créé peut posséder
l’intégrité de son être, mais n ’en est pas moins privé d’une perfection
que Scot qualifie d’extrinsèque. De la même façon, c’est par la charité
que les vertus morales se rapportent à la fin ultime : elles sont
objectivement des auxiliaires de la charité, et sans elle, leurs actes, pour
parfaits qu’ils soient dans leur ordre, n ’en sont pas moins dépourvus de
mérites quant à la béatitude. En ce sens, on peut parler d’une certaine
imperfection des vertus morales lorsque n’existe pas de lien à la
charité.

Aschendorff, 1979 (Beiträge zur Geschichte der Philosophie und Theologie des
Mittelalters, NF 16), pp. 3-9.
484 JEAN-MICHEL COUNET

ni. C o n c l u s io n

Duns Scot dans la question des vertus acquises rejette la position


des théologiens de son temps, qui s’efforçaient de suivre aussi bien la
théorie aristotélicienne que celle d’un certain nombre de Pères de
l’Eglise sur la question. Il n ’y a pas de connexion nécessaire entre vertu
morales, ni entre vertu morale et prudence. La vertu est une perfection
partielle et à ce titre elle peut exister alors que d’autres perfections
partielles font défaut.
Les partisans de la connexité des vertus restent, me semble-t-il,
dans le cadre de la vision traditionnelle d’un bien de la vie humaine qui
est fondamentalement quelque chose d’un. L’homme qui fait le bien,
qui est vertueux, est un homme qui s’unifie ou unifié. Au contraire,
l’homme qui fait le mal est quelqu’un qui s’éparpille, qui perd son être
en l’émiettant au fil des passions et des désirs. Origène ne déclarait-il
pas : « Ubi peccata, ibi multitudo »23 ? Certes, son affirmation portait
sur les dissensions au sein de l’Eglise, dues aux hérésies et aux
schismes, mais elle peut s’appliquer analogiquement à ce qui se passe
dans le for intérieur d’une personne unique, car à l’instar de ce que
Platon affirmait dans la République, l’étude de la communauté peut être
une manière d’examiner avec une loupe grossissante ce qui se déroule
dans l’individu singulier. Origène illustre à sa manière cette mystique
de l’un, véhiculée d’une façon particulièrement frappante par la thèse
de la connexité des vertus.
Cette unité presque ontologique apportée par la vertu était dans les
faits toujours bâtie sur l’unité de l’intellect pratique saisissant cette
unité du bien. La volonté ne faisait que suivre ce qui avait été saisi par
l’intelligence.
Par rapport à la vision traditionnelle de l’homme qui situe sa
dignité fondamentale dans son intelligence, dans la capacité qu’il a de
décrypter le réel qui l’entoure pour en saisir la logique profonde, y
conformer peu à peu sa vie et acquérir par là la sagesse, source de vraie

23 ORIGENE, Horn, in Ezech. 9, 1 : « Ubi peccata sunt, ibi est multitudo ; ibi
schismata, ibi haereses, ibi discussiones. Ubi autem virtus ibi singularitas, ibi unio ex
quo omnium credentium erat cor unum et anima una ».
LE LIEN ENTRE LA PRUDENCE ET LES VERTUS MORALES 485

liberté et d’action féconde dans le monde, Duns Scot représente


incontestablement un tournant. Non seulement c’est la volonté qui
constitue maintenant la faculté la plus parfaite de l’homme et le
fondement de sa dignité, mais chez lui, la rationalité pratique se
diffracte en une série de rationalités pratiques différentes : la vertu
accomplie cède la place aux vertus plurielles que seule la visée de la fin
ultime permet encore de réunir. Ce tournant est ni plus ni moins celui
de la modernité, où émerge l’idée que l’homme, par sa volonté, doit
devenir le maître et le possesseur de la nature. Ce ne sera plus la vérité
et la connaissance qui seront les conditions de la liberté concrète, mais
l’inverse : c’est dans la liberté par rapport au monde que l’homme
acquiert la capacité d’une connaissance vraie.
Guillaume d’Ockham reprendra certes d’une certaine manière
l’idéal traditionnel en distinguant plusieurs degrés dans la vertu et en
admettant la connexité des vertus au cinquième et dernier stade, celui
des vertus héroïques24. Au premier niveau, l’homme veut faire le bien
dans telle et telle circonstances particulières. Au niveau suivant, il est
prêt à persévérer dans son agir vertueux, même si l’une ou l’autre
circonstance défavorable vient entraver le cours des choses. A un
niveau encore plus élevé, l’homme ne veut absolument rien faire qui
aille à l’encontre de la droite raison. On voit dès lors très bien qu’un
acte d’une vertu déterminée ne peut là qu’être incompatible avec des
actes qui, dans d’autres secteurs, semblent contraires à la droite raison,
c’est-à-dire au bien. Pour Ockham, la progression dans l’acquisition
des vertus est donc toujours bien une ascension, où la multiplicité des
approches et des conduites laisse peu à peu la place à une unité qui se
resserre d’autant plus qu’on se rapproche du sommet.
Mais en réalité, bien loin de renouer véritablement avec l’idéal
traditionnel, Guillaume continue à s’en écarter. Car selon lui les vertus
peuvent très bien exister à un degré moindre et ne connaître là aucune
connexion nécessaire. La révolution opérée par Duns Scot est tellement
bien reçue et intégrée que le Venerabilis Inceptor peut se payer le luxe
de rechercher, dans le cadre global anti-connexionniste, à déterminer la
part de vérité contenue dans la position traditionnelle et à la mettre en
évidence tout en en relativisant la portée. C’est là rendre hommage à

24 GUILLELMUS DE OCKHAM, Opera theologica Vili, qq. 6-7.


486 JEAN-MICHEL COUNET

« la beauté du mort » : une fois qu’une réalité n’est plus en état de


menacer les entreprises des uns et des autres, il est aisé à tous d’en
reconnaître les mérites.
Alors que la doctrine de l’être, qui se disait traditionnellement « en
des sens multiples » connaît chez Duns Scot une mutation très
importante avec l’affirmation de l’univocité, la vertu humaine
auparavant fondamentalement une, connaît à son tour le destin d’une
pluralité irréductible. Il serait intéressant de chercher à savoir s’il y a un
lien effectif entre les deux thèses de Duns Scot ou s’il s’agit d’une
simple coïncidence. J’aurais personnellement tendance à penser que les
deux sont étroitement liées, mais cette démonstration, à supposer
qu’elle puisse être produite, dépasserait de très loin le cadre de cette
communication.

Institut Supérieur de Philosophie,


Université Catholique de Louvain
T o b ia s H o f f m a n n

L ’« AKRASIA » SELON DUNS SCOT

Comment peut-on agir contre sa propre conviction ? Une telle


question se révèle surtout problématique pour une doctrine intellectua­
liste, où l’adhésion de la volonté suit strictement le jugement pratique.
Mais elle pose aussi certaines difficultés chez un auteur comme Duns
Scot qui insiste sur la relative indépendance de la volonté par rapport à
l’intellect pratique. En effet, chez cet auteur, la volonté s’avère moins
détachée de l’intellect qu’il pourrait sembler à première vue.
Le cadre précis dans lequel se pose cette question est celui de
Vakrasia. Ce qui est problématique n’est pas tout agir immoral : la
question ne regarde pas la conduite vicieuse, mais précisément tel agir
mauvais où l’action est contraire au jugement de la raison droite1. En
termes aristotéliciens, la question est formulée ainsi : « comment peut-
on agir avec incontinence (akrasid) lorsqu’on juge correctement ? »2.
L’incontinence est la disposition selon laquelle on agit à l’encontre du
meilleur (c’est-à-dire de ce que la raison pratique juge comme plus
désirable), tout en sachant qu’on agit à l’encontre du meilleur3.

1 C’est le point précis où Vakrasia se distingue du vice : une action vicieuse est
motivée par une raison corrompue, et il y a une correspondance entre mauvais
jugement pratique et mauvaise conduite (cf. ARISTOTE, Éthique à Nicomaque, VII, 8,
1150b 29 - 1151a 28). Dans le cas de Vakrasia, par contre, la raison est droite et l’agir
est mauvais. C’est cela qui exige une explication philosophique.
2 ARISTOTE, Éthique à Nicomaque, VII, 2, 1145b 21-22 ; R. A. GAUTHIER et J.
Y. JOLIF, L Éthique à Nicomaque : introduction, traduction et commentaire, tome I,
2e partie, Louvain-la-Neuve - Paris - Sterling (Virginia), Peeters, 2002, p. 186.
3 ARISTOTE, Éthique à Nicomaque, VU, 2, 1145b 25-27. À l’instar de Gauthier et
Jolif, je traduis akrasia par « incontinence ». D ’autres traductions communes sont
« faiblesse de volonté », « intempérance » et « manque de maîtrise ». Je préfère
« incontinence », car c’est le mot le plus proche du terme incontinentia, par lequel les
488 TOBIAS HOFFMANN

Selon Socrate - d’après l’interprétation d’Aristote -, si on a la


connaissance du bien, on poursuit le bien. On ne peut donc agir à
l’encontre du meilleur que dans l’ignorance du vrai bien. Par consé­
quent, Socrate niait le phénomène même de l’incontinence4.
Depuis Aristote, l’intellectualisme de Socrate a été l’objet de
maintes critiques. Toutefois, la plupart des critiques de Socrate main­
tiennent aussi l’idée que l’incontinence n’est possible que s’il y a un
certain degré d’ignorance. Par exemple, Aristote affirme que
l’incontinence n ’est pas possible lorsqu’on possède la science au sens
strict, mais qu’il est tout à fait possible qu’on agisse à l’encontre du
jugement du meilleur si l’on n’est pas en possession de la pleine con­
naissance5.
Le but de mon exposé est de voir comment le problème de l’incon­
tinence est abordé chez Duns Scot, c’est-à-dire sous les conditions d’un
concept de volonté largement indépendant de l’intellect pratique, tel
que Socrate et Aristote - et même Thomas d’Aquin - l’ignoraient.
Voilà donc les questions queje vais examiner chez Duns Scot : peut-on
faire le mal tout en connaissant le bien ? Quelle est la position de Duns

latins traduisaient akrasia. Les mots « intempérance » et « manque de maîtrise »


risquent d’être confondus avec le vice à’akolasia (dérèglement, en latin intempe­
rantia) ; or Vakrasia se distingue du vice (cf. note 1). Il vaut mieux éviter les mots
« faiblesse de volonté » pour ne pas anticiper une solution du problème d’akrasia au
plan de la volonté plutôt que de l’intellect et des émotions.
4 ARISTOTE, Éthique à Nicomaque, VII, 2, 1145b 22-27. Aristote semble se
référer à Protagoras 351b - 358e. En réalité, la doctrine de Platon est plus nuancée,
cf. C. BOBONICH, « Akrasia and Agency in Plato’s Laws and Republic », Archiv für
Geschichte der Philosophie 76 (1994), pp. 3-36 ; G. VLASTOS, « Socrates on
Acrasia», Phoenix 23 (1969), pp. 71-88; G. SANTAS, «Plato’s Protagoras and
Explanations of Weakness », Philosophical Review 75 (1966), pp. 3-33, réimprimé in
The Philosophy o f Socrates. A Collection o f Critical Essays, ed. G. Vlastos, Notre
Dame (Ind.), University of Notre Dame Press, 1980, p. 264-298.
5 ARISTOTE, Éthique à Nicomaque, VII, 3, 1147b 13-17. Par rapport à cette
question, tout le chapitre 3 du livre VII est pertinent. Il y a une vaste littérature sur
Y akrasia chez Aristote. Voici quelques titres : N. O. DAHL, Practical Reason,
Aristotle and Weakness o f the Will, Minneapolis, University of Minnesota Press,
1984 ; J. J. WALSH, Aristotle’s Conception o f Moral Weakness, New York, Columbia
University Press, 1963.
V AKRASIA SELON DUNS SCOT 489

Scot sur l’incontinence ? Qu’est-ce qui change dans sa démarche, par


rapport à une solution aristotélicienne du problème ?
L’examen de ces questions pose une difficulté, car le mot
incontinentia qui rend akrasia en latin ne se trouve pas dans les écrits
de Scot6. Il est aussi frappant que Duns Scot cite très peu de fois le livre
VII de YÉthique à Nicomaque, le texte principal où Aristote discute le
problème de l’incontinence. D ’autres mots pour désigner la même
chose, comme peccatum ex infirmitate et peccatum ex passione sont
également presque absents de l’œuvre de Scot7.
L’absence d’une mention explicite du mot incontinentia, signifie-t-
elle que Duns Scot nierait l’existence de l’incontinence ? Ou plutôt, au
contraire, qu’il l’admettrait comme un phénomène évident en soi qui ne
mériterait pas de traitement spécial ?
Nous pouvons exclure la première hypothèse : si l’incontinence
signifie agir contre le meilleur jugement, Duns Scot admet tout à fait
l’existence de ce phénomène. Reste la question de savoir si Scot ne
s’intéresse pas à l’incontinence. On pourrait le soupçonner, étant donné
le rôle éminent de la volonté libre dans son œuvre8. Je propose une

6 L’absence du mot incontinentia et de toutes ses formes dérivées dans l’œuvre de


Scot a également été vérifiée par ordinateur. Je remercie Stephen Dumont d’avoir fait
pour moi cette recherche informatique.
7 Pour ces termes voir Ord. II, d. 43, q. un., n. 5, Vat. VIII, 485-486 et Rep. Il A,
d. 43, q. un., n. 4, Viv. XXIII, 229a.
8 Selon W. Charlton, les auteurs chrétiens ne se seraient pas intéressés au
problème de l’incontinence, parce que, selon Charlton, ils concevaient ime volonté
totalement libre par rapport à l’intellect, W. CHARLTON, Weakness o f Will. A
Philosophical Introduction, Oxford, Blackwell, 1988, pp. 5-7, p. 177. Pour une
réfutation de cette thèse par l’analyse de la position de nombreux auteurs médiévaux
voir R. SAARINEN, Weakness o f the Will in Medieval Thought. From Augustine to
Buridan, Leiden-New York-Köln, Brill, 1994 (STGMA, 44). Les tendances plus au
moins « volontaristes » ou « intellectualistes » d’un auteur ne sont pas directement
corrélatives de leur position par rapport à l’incontinence. Buridan, par exemple,
adopte la théorie scotiste de la volonté libre par rapport au jugement pratique et
s’intéresse toutefois à Y akrasia comme un problème non évident en soi, car il reste à
savoir pour quelle raison la volonté libre choisirait à l’encontre du meilleur jugement,
cf. Weakness o f the Will in Medieval Thought, op. cit., p. 190. Pour les discussions
médiévales de Yakrasia et des problèmes annexes, on consultera aussi B. KENT,
490 TOBIAS HOFFMANN

troisième hypothèse : Scot ne s’intéresse pas au problème de l’incon­


tinence dans les même termes que la tradition aristotélicienne.
Toutefois, la problématique n’est pas absente chez Scot. Elle n’est pas
thématisée pour elle-même, mais elle est sous-jacente aux problèmes de
la conscience et de la connexion des vertus. Voilà ce queje me propose
de montrer. Nous verrons ainsi que le fait d’agir contre sa propre
conviction reste problématique même quand la volonté est conçue
comme largement indépendante par rapport à l’intellect pratique.
Mon exposé se déploiera en trois moments. Dans un premier
moment, je vais résumer quelques traits caractéristiques de la con­
ception scotiste de la volonté. Cette conception va déterminer la
démarche par rapport à notre problème de fond, à savoir si l’on peut
connaître le bien et faire le mal. Je prêterai une attention particulière à
la distinction radicale que Scot fait entre nature et volonté, qui suit du
fait que toute nécessité naturelle s’exclut de l’acte de volonté. La
volonté est la seule faculté de l’âme qui a son acte entièrement en son
pouvoir, et ainsi toute faute est, en dernière analyse, imputable à la
volonté seule. Cela explique pourquoi Scot ne s’intéresse guère à
l’incontinence dans les termes traditionnels.
Le problème d’agir à l’encontre de son propre jugement du
meilleur pose le problème du rôle de la connaissance pratique en
éthique. Dans un deuxième moment, je vais analyser le rapport entre
connaissance pratique et volonté libre chez Scot. Comme la volonté
n’agit jamais avec nécessité naturelle, nous verrons que Scot nie toute
détermination de l’acte de volonté qui viendrait d’une ordonnance de
l’intellect.
Si la volonté peut aller à l’encontre de la prescription de l’intellect
pratique, et si l’entière responsabilité de la conduite revient à la
volonté, certains éléments centraux de la solution aristotélicienne
perdent de leur importance. Surtout, il n ’est plus nécessaire d’insister

Virtues o f the Will. The Transformation o f Ethics in the Late Thirteenth Century,
Washington, D. C., The CUA Press, 1995, pp. 150-198 ; R. SAARINEN, « Weakness
of Will : The Plurality of Medieval Explanations », in Emotions and Choice from
Boethius to Descartes, eds. H. Lagerlund - M. Yijönsuuri, Dordrecht, Kluwer
Academic Publishers, 2002 (Studies in the History of Philosophy of Mind, 1), pp. 85-
97.
L'AKRASIA SELON DUNS SCOT 491

sur le fait que les passions de l’âme peuvent influer sur le déroulement
de la délibération pratique. Il ne faudra même pas nécessairement
recourir à un défaut de l’intellect - une erreur ou de l’ignorance - pour
expliquer le comportement akratique. Pourtant, Scot va maintenir
qu’une connaissance mal guidée a sa part dans le mauvais agir. Même
dans le cas de l’agir mauvais, l’intellect pratique et la volonté tendent à
s’accorder. Dans un troisième moment, je vais exposer comment la
volonté peut exercer une mauvaise influence sur la délibération de
l’intellect, de telle manière que l’action akratique est normalement
accompagnée d’une certaine défaillance de l’intellect. L’explication
que Scot donne de l’action akratique sera ainsi plus proche d’Aristote
qu’il ne semblerait.

I. N a t u r e - v o l o n t é - im p u t a b il it é

1. D is t in c t io n d e s p u i s s a n c e s a c t iv e s e n « n a t u r e » e t
« VOLONTÉ »

La position de Scot sur l’incontinence repose entièrement sur la


psychologie de l’intellect et surtout de la volonté9. La volonté est
caractérisée par sa manière unique de produire (elicere) son acte10. Elle
ne produit jamais sa volition par nécessité naturelle11. L’alternative

9 Pour ce qui suit, cf. T. HOFFMANN, « The Distinction between Nature and Will
in Duns Scotus », Archives d Histoire Doctrinale et Littéraire du Moyen Age, 66
(1999), pp. 189-224, pp. 199-208 en particulier ; A. B. WOLTER, «Native Freedom
of the Will as a Key to the Ethics of Scotus », in Deus et homo ad mentem I. Duns
Scoti, Rome, Societas Intemationalis Scotistica, 1972 (Studia Scholastico-Scotisti-
ca, 5), pp. 359-370, repr. in The Philosophical Theology o f John Duns Scotus, ed. M.
M. Adams, Ithaca-London, Cornell University Press, 1990, pp. 148-162.
10 In DC Met., q. 15, n. 21 (St. Bon. IV, 680): «...p rim a distinctio potentiae
activae est secundum diversum modum eliciendi operationem . . . » ; Lect. II, d. 25,
q. un., n. 93 (Vat. XIX, 261) : « ... voluntas est agens alterius rationis a toto quod est
in universo ... ».
11 Quodl. XVI, n. 15 (Viv. XXVI, 199a) : « voluntas, per se loquendo, nunquam
est principium activum naturaliter, quia esse naturaliter activum et esse libere
492 TOBIAS HOFFMANN

fondamentale consiste en ceci : ou bien une puissance active est


déterminée à agir par les circonstances qui sont extérieures à la
puissance même et une telle puissance n ’a donc pas de maîtrise sur
l’acte. Ou bien une puissance active n ’est pas déterminée à l’action de
l’extérieur, mais elle a un plein pouvoir sur l’acte ; elle peut se
déterminer elle-même à faire tel acte ou son contraire, à agir ou à ne
pas agir. Scot appelle la première puissance « nature » et la deuxième
« volonté »12. Rien en dehors de la volonté ne peut nécessiter l’acte de
la volonté. Nul objet n’est si bon qu’il causerait nécessairement
l’adhésion de la volonté13. La volonté est même libre par rapport au
bonheur : elle peut le vouloir ou non (velie ou non velle); seulement,
elle ne peut pas le détester (nolle)14. Même dans la vision béatifique, la

activum, sunt primae differentiae principii activi, et voluntas, unde voluntas est
principium activum libere ». Cf. Ord. I, d. 10, q. un., n. 44 (Vat. IV, 358) ; In IX M et,
q. 15, n. 23 (St. Bon. IV, 681).
12 In IXMet., q. 15, n. 22-23 (St. Bon. IV, 680-681) : « Iste autem modus eliciendi
operationem propriam non potest esse in genere nisi duplex. Aut enim potentia ex se
est determinata ad agendum, ita quod, quantum est ex se, non potest non agere
quando non impeditur ab extrínseco. Aut non est ex se determinata, sed potest agere
hunc actum vel oppositum actum ; agere etiam vel non agere. Prima potentia
communiter dicitur ‘natura’, secunda dicitur ‘voluntas’. Unde prima divisio principio­
rum activorum est in naturam et voluntatem ».
13 Ord. I, d. 1, pa. 2, q. 2, n. 147 (Vat. II, 98) : « necessitas est in intellectu propter
evidentiam obiecti necessario causantis assensum in intellectu : non autem bonitas
aliqua obiecti causat necessario assensum voluntatis, sed voluntas libere assentit
cuilibet bono, et ita libere assentit maiori bono sicut minori ». Cf. Ord. I, d. 1, pa. 1,
q. 1, n. 22 (Vat. II, 16) ; Ord. n, d. 7, q. un., n. 90 (Vat. VIII, 117) (cité en note 53).
14 Lect. I, d. 1, pa. 2, q. 2, n. 118 (Vat. XVI, 100) : « ... licet non potest nolle
beatitudinem, potest tamen non velle illud ... ». Cf. Op. ox. IV, d. 49, suppi., q. 9-10,
n. 8 (Viv. XXI, 332b). En même temps, Duns Scot admet qu’il y a une inclination
naturelle au bonheur. En tant qu’inclination, on désire le bonheur par nécessité
naturelle ; pourtant, nul acte de la volonté ne poursuit nécessairement le bonheur,
Ord. II, d. 39, qq. 1-2, n. 24 (Vat. VIII, 464) ; Lect. II, d. 39, qq. 1-2, n. 29 (Vat. XIX,
385), cité en note 80.
UAKRASIA SELON DUNS SCOT 493

volonté reste libre de se détourner de Dieu ; pour Scot, c’est seulement


une grâce spéciale qui évite ce péché15.
L’intellect, tout au contraire, ne produit pas son acte de manière
libre, mais de façon naturelle. Considéré de manière isolé, c’est-à-dire
non pas en tant qu’uni à la volonté et dirigé par la volonté, l’intellect
est déterminé à son acte par les circonstances extérieures. Il n’est pas
en son pouvoir d’intelliger ou non, de constater ou de ne pas constater
un état de fait16.
De cette comparaison entre la façon différente de produire son acte
- librement pour la volonté, et de façon naturelle pour l’intellect - , Scot
conclut que la puissance rationnelle - celle qui est, d’après Aristote,
ouverte à des possibilités contraires n ’étant pas déterminée à un seul
effet - est véritablement la volonté, non l’intellect17.
Comme intellect et volonté ont un mode foncièrement différent de
produire leur acte, Scot dissocie davantage le fonctionnement de la

15 Op. ox. IV, d. 49, suppl, q. 6, n. 15 (Viv. XXI, 234a): «...sim pliciter
contingens est, quod non peccet, tamen nunquam eveniet, quia causa superior semper
praeservat ».
16 In IXMet., q. 15, n. 36 (St. Bon. IV, 684) : « Et sic intellectus cadit sub natura.
Est enim ex se determinatus ad intelligendum, et non habet in potestate sua intelligere
et non intelligere, sive circa complexa, ubi potest habere contrarios actos, non habet
etiam illos in potestate sua : assentire et dissentire ».
17 ln IX M et, q. 15, n. 41 (St. Bon. IV, 686) : « Si autem intelligitur rationalis, id
est cum ratione, tunc voluntas est proprie rationalis. Et ipsa est oppositorum, tam
quoad actum proprium quam quoad actus inferiorum ; et non oppositorum modo
naturae, sicut intellectus non potens se determinare ad alterum, sed modo libero
potens se determinare. Et ideo est potentia, quia ipsa aliquid potest, nam potest se
determinare. Intellectus autem proprie non est potentia respectu extrinsecorum, quia
ipse, si est oppositorum, non potest se deteiminare ; et nisi determinetur, nihil extra
poterit ». Cf. Rep. II A, d. 25, n. 2 (Viv. XXIII, 118a) ; ibid. n. 23 (Viv. XXII, 129b).
Par conséquent, Scot transforme la distinction aristotélicienne entre physis et dianoia
{Physique, II, 5, 196b 17-22 ; Métaphysique, IX, 2, 10466 4-7) en une distinction
entre volonté et nature, cf. T. HOFFMANN, « The Distinction between Nature and
Will in Duns Scotus », art. cit., pp. 192-195 ; F. INCIARTE, « Natura ad unum - ratio
ad opposita. Zur Transformation des Aristotelismus bei Dims Scotus », in Philosophie
im Mittelalter. Entwicklungslinien und Paradigmen, ed. J. P. Beckmann et al.,
Hambourg, Meiner, 1987, pp. 259-273, pp. 262-266.
494 TOBIAS HOFFMANN

volonté libre de l’activité de l’intellect que ne le faisait par exemple


saint Thomas. Pour Scot, la liberté du choix ne s’ensuit pas du mode de
connaissance de l’intellect humain. Alors que, d’après saint Thomas, la
liberté de choix provient du fait que l’intellect a la capacité de concep­
tualisations différentes d’un bien18, pour Scot, cette inférence de la
capacité de connaissance intellectuelle à la liberté n ’est pas valable. En
effet, si Ton considérait la volonté comme un appétit intellectuel
dépourvu de liberté, elle ne pourrait que désirer ce qui est avantageux
pour soi-même {commodum), et jamais ce qui est juste en soi
(iustum)19. Ainsi l’inclination de la volonté au juste en soi {affectio
iustitiae), qui s’ajoute à l’inclination naturelle de la volonté au bonheur
{affectio commodi), est pour Scot la marque distinctive de la volonté
libre20.

2. L ’in t e l l e c t , e n t a n t q u e t e l , n ’e s t p a s f a il l ib l e

La distinction nette entre les puissances actives - nature et volonté


- et la caractérisation du mode d’agir de l’intellect comme naturel et
non libre ont d’autres conséquences importantes.

18 THOMAS DE AQUINO, De malo, q. 6, a. un., corp. (Leon. XXIII, 149b-150b) ;


STI&, q. 83, a. 1 (Leon. V, 307a-308b).
19 DUNS SCOTUS, Lect. H, d. 39, qq. 1-2, n. 28 (Vat. XIX, 385) : « ... nihil est in
voluntate quo necessario vult iustitiam. Et quando dicitur quod ‘voluntas nequit non
velle commodum’, dico quod appetitus intellectualis naturaliter appetit sibi conve­
niens intellectuale, sicut appetitus sensitivus sibi conveniens, - sed in hoc non est
libertas ; sed ultra appetit determinate et libere. Primo modo nequit non velle sibi
commodum, et sic non habet actum secundum, sed naturalem inclinationem ; sed
actus quilibet elicitus a voluntate est non-necessarius circa commodum sicut circa
iustitiam ». Cf. Ord. E, d. 39, qq. 1-2, n. 22-24 (Vat. VEI, 463) ; Rep. II A, d. 39, qq.
1-4, n. 8 (Viv. XXEI, 206b) ; Ord. II, d. 6, q. 2, n. 40 (Vat. VIE, 42-43), Ord II, d. 6,
q. 2, n. 49-62 (Vat. VIII, 48-56) ; Rep. E A, d. 6, q. 2, n. 4-9 (Viv. XXII, 618b-622a).
20 Rep. E A , d. 6, q. 2, n. 9 (Viv. XXII, 921 b) : « . . . affectio iusti est ultima
differentia specifica appetitus liberi. ... non ... distinguuntur re illae affectiones ab
ipsa voluntate ». Pour les deux inclinations de la volonté, voir J. F. BOLER,
« Transcending the Natural : Duns Scotus on the Two Affections of the Will »,
American Catholic Philosophical Quarterly 67 (1993), pp. 109-126 ; voir aussi la
contribution de Christophe Cervellon dans le présent volume.
VAKRASIA SELON DUNS SCOT 495

Puisque l’intellect agit comme une nature, il n’est pas en son


pouvoir d’agir avec une intensité plus au moins grande. L’intellect,
contrairement à la volonté, agit donc toujours avec toute la force de sa
puissance. Par conséquent, il produit l’effet le plus parfait qu’il peut
produire, sauf en cas d’empêchement extérieur. Ainsi, il ne peut pas se
tromper dans la connaissance de concepts simples21. Ce qui est encore
plus important pour le problème de Vakrasia, il ne peut pas non plus se
tromper par rapport aux propositions évidentes en soi, spéculatives ou
pratiques, et par rapport à ce qui suit nécessairement d’elles. Agissant
de façon naturelle et non volontaire, il est même nécessairement mené à
donner son assentiment au résultat de la délibération pratique22. Scot
admet qu’on peut conclure de manière sophistique et aboutir à une

21 Ord.l, d. 3, pa. 1, qq. 1-2, n. 76 (Vat. III, 52): «causa naturalis agit ad
effectum suum secundum ultimum suae potentiae, quando non est impedita ; igitur ad
effectum perfectissimum quem potest primo producere, primo agit. Omnia
concurrentia ad istum actum primum intellectus sunt causae mere naturales, quia
praecedunt omnem actum voluntatis, - et non impeditae, ut patet ; ergo primo
producunt perfectissimum conceptum in quem possunt : ille autem non est nisi
conceptus speciei specialissimae productae». Cf. Lect. I, d. 3, pa. 1, qq. 1-2, n. 71
(Vat. XVI, 251). La volonté, en revanche, contrôle même l’intensité de son acte,
Lect. I, d. 1, pa. 2, q. 2, n. 98, (Vat. XVI, 94) : «... quidquid agit necessario, agit
secundum ultimum suae potentiae ; si igitur voluntas necessario ferretur in ultimum
finem in universali, igitur secundum ultimum suae potentiae, et per consequens non
aliquando remissius et aliquando intensius ferretur in illud, sed semper uniformiter,
quod falsum est ». Cf. Ord. I, d. 1, pa. 1, q. 1, n. 22 (Vat. II, 16) ; Ord. I, d. 1, pa. 2,
q. 2, n. 133 (texte effacé), Vat. II, 88-89.
22 Ord. II, d. 7, q. un., n. 88 (Vat. VTII, 116) : «. . . sicut prima speculabilia sunt
vera ex terminis, sic et prima principia operabilia, - et per consequens, intellectus qui
potest concipere quiditatem terminorum primi principii practici et illos componere,
habet sufficiens motivum et ‘per modum naturae’ movens ad assentiendum illo
principio ; igitur per voluntatem, cuius actus est posterior, non potest impediri, - vel
saltem non fertur in contrarium ». Cf. Rep. II A, d. 7, qq. 1-3, n. 34 (Viv. XXII,
639b) ; Op. ox. III, suppi., d. 36, q. un., ed. A. B. WOLTER, Duns Scotus on Will and
Morality. Selected and translated with an introduction (Text in English and Latin),
Washington, D. C., The CUA Press, 1986, p. 398 ; Lect. I, d. 3, pa. 1, q. 3, n. 173-174
(Vat. XVI, 292-293) ; Ord. I, d. 3, pa. 1, q. 4, n. 230-232 (Vat. Ill, 138-140) ; Ord. II,
d. 7, q. un., n. 88 (Vat. VIH, 116) ; Rep. II A, d. 7, qq. 1-3, n. 11 (Viv. XXII, 629a) ;
ibid., n. 28, (Viv. XXII, 637a).
496 TOBIAS HOFFMANN

conclusion incertaine23. Mais une telle mauvaise délibération pratique


est peccable24. Or, ce péché réside dans la volonté, et non dans
l’intellect. Sans péché de la volonté, l’intellect n ’aurait jamais pu errer :
pour Scot, la capacité de l’intellect à se tromper ne revient pas
naturellement à l’intellect, mais elle est une conséquence du premier
péché d’Adam, une punition pour le péché, suite à une mauvaise
volonté, et non pas à un intellect erroné25.

3. L a VOLONTÉ PEUT ERRER ; TOUTE IMPUTABILITÉ REVIENT À LA


VOLONTÉ

Si l’intellect ne peut pas se tromper sans qu’il y ait d’abord une


erreur dans la volonté, il faut se demander comment la volonté peut

23 Rep. E A , d. 7, qq. 1-3, n. 10 (Viv. XXÏÏ, 628b) : « Item, non sequitur quod
homo magis mobiliter adhaeret conclusioni habitae per demonstrationem quam
angelus, quia discurrit, quia non plus dubitat de primis principiis quam angelus. Nec
plus dubitat de conclusione postquam habeat eam, quam faciat angelus ; igitur licet
via hominis sophistica a principiis ad conclusionem sit incerta, tamen via a principiis
ad conclusionem per demonstrationem est vera, et conclusio certa quando est habita
per principia ».
24Lect. II, d. 39, q. 3, n. 33 (Vat. XIX, 387) : « ... actus conscientiae erroneae non
habetur sine peccato, quia est ex mala syllogazione conclusionis ex praemissis ; et
talis non solum est obligatus ut non faciat secundum illam conscientiam, sed ut
deponat illam ... ». Cf. Rep. II A, d. 39, qq. 1-4, n. 10 (Viv. XXEI, 207b) ; Rep. n A,
d. 39, qq. 1-4, n. 11 (Viv. XXEI, 208a).
25 Op. ox. III, suppi., d. 33, q. un. (ed. Wolter, 324-326) : « Quod si dicas : sufficit
rationem recte ostendere, ideo non requiritur virtus in voluntate, sed in ratione, falsum
est, quia tunc oporteret rationem primo errare in ostendendo priusquam voluntatem
male eligere, et ita ante primum peccatum voluntatis, esset error in intellectu - quod
est irrationabile. Poena enim tunc esset ante culpam. » De manière analogue, Scot
explique le péché de l’ange non pas par une erreur de l’intellect, mais par une
mauvaise volonté, Ord. Il, d. 7, q. un., nn. 19-21 (Vat. VIII, 83) : « Secundo, ... quia
cum intellectus angelorum fuit rectus in apprehendendo (non enim poena praecessit
culpam), ergo movit voluntatem ad aliquid recte appetendum ; nec potuit aliter
movere, quia intellectus movet per modum naturae, et per consequens non potest
movere nisi secundum modum cognitionis quam habet ; ergo movit voluntatem ad
recte volendum. Igitur voluntas illa numquam potuit peccare ! ». Cf. Rep. E A, d. 7,
qq. 1-3, n. 9 (Viv. XXII, 628a).
L ’AKRASIA SELON DUNS SCOT 497

errer. La réponse de Scot est que toute volonté qui n’a pas sa propre
règle et qui n ’est pas nécessairement conforme à sa règle, peut errer
dans son action, en désirant son avantage propre (bonum commodi)
sans limites26. Alors que tout ce que Dieu désire est juste, l’homme
peut désirer quelque chose au-dessus de la juste mesure27.
Etant donné que, foncièrement, la volonté seule se trouve à la
racine de l’acte défectueux ainsi que de l’acte droit, c’est aussi la
volonté qui fait que l’acte soit louable ou reprochable. Toute imputabi­
lité de l’agir humain revient donc en dernière analyse à la volonté
libre28. Comme l’acte dépend entièrement du pouvoir de la volonté,
alors que toute autre cause active qui agit dans l’univers agit de
manière naturelle, seule la volonté est imputable pour son activité.
L’activité de la volonté consiste formellement dans le vouloir même.

26 Rep. II A, d. 23, n. 5 (Viv. XXIII, 108b) : « ... omnis voluntas, quae in agendo
non est sua regula, neque necessario conformis regulae suae, potest in agendo errare,
quia posset appetere sibi commodum secundum omnem modum quo posset esse sibi
commodum, si esset ». Chez Scot, la distinction entre affectio commodi et affectio
iustitiae ne vise pas principalement à montrer la possibilité d’être déficient tout en
désirant un bien, mais elle sert surtout comme fondement de Y amor amicitiae qui
dépasse les bornes de Yamor concupiscentiae, Op. ox. TV, suppi., d. 49, q. 5, n. 2-3
(Viv. XXI, 172a-173a). C’est donc la capacité d’aimer l’autre pour lui-même, Op. ox.
IV, suppl, d. 49, q. 9-10, n. 15 (Viv. XXI, 382a). Cf. N. HARTMANN, « Die
Freundschaftsliebe nach Johannes Duns Skotus », Wissenschaft und Weisheit 52
(1989), pp. 194-218 ; 53 (1990), pp. 50-65, p. 54.
27 Lect. II, d. 23, q. un., n. 25-26 (Vat. XIX, 213-214) : «. . . ex hoc quod voluntas
creata appetit sibi commodum, illud non est iustum, ut probabitur ; igitur potest
iniuste illud appetere. Probatio assumpti : illud quod appetitur a voluntate divina, ex
hoc quod appetitur, est iustum, quia vel appetitur ut finis ultimus, et sic bonum est
(quia hoc convenit huic voluntati et huic volito) ; si autem volitum a Deo est bonum
ad finem, ipsum est iustum, et hoc quia est sic volitum. Sed opposita accidunt de
voluntate creata, quia potest appetere bonum maius se et modo excellentiore, quia per
identitatem sibi ; similiter, ex hoc quod aliquid appetit ad finem, non est iustum ; ergo
non ex hoc quod voluntas creata tendeat in commodum, iuste tendit in illud ». Cf.
Rep. II A, d. 23, q. un., n. 5 (Viv. XXIII, 108b), cité en note 26.
28 L’imputabilité est discutée de manière plus vaste dans le contexte de la bonté
morale. Celle-ci est garantie par l’objet, la fin et d’autres circonstances ; mais
l’imputabilité est attribuée à la volonté seule : Quodl. XVIII, n. 12 (Viv. XXVI,
246b) ; n. 20 (Viv. XXVI, 257b-258a).
498 TOBIAS HOFFMANN

En outre, Augustin dit dans le 3e livre du Libre arbitre : la volonté est la


première cause du péché, car rien n ’est péché s’il n’est au pouvoir de
l’agent [de le faire ou non]. Or, rien n’est au pouvoir de l’agent qui n’est
dans le pouvoir de la volonté de l’agent. Par conséquent, nul acte ne lui est
imputable qui n’est pas en son pouvoir. En plus, un autre acte [d’une autre
faculté que la volonté] ne lui est imputable que dans la mesure où il est
dans le pouvoir de la volonté. Dès lors, le péché consiste formellement
seulement dans l’acte de volonté. Cela est confirmé par ce que dit
Augustin dans le 11e livre da la Cité de Dieu au chapitre 8 : les défauts
volontaires sont suivis par la punition convenable. De cela s’ensuit comme
corollaire que le péché consiste uniquement dans le vouloir, et dans les
autres actes seulement par l’intermédiaire du vouloir. Par conséquent, être
imputable appartient au concept de péché, et il n’est imputable qu’en tant
qu’il est dans le pouvoir de la volonté. C’est pour cela que la conclusion
faite toute à l’heure est concluante. En plus, toute autre cause active qui se
trouve dans l’univers agit de façon naturelle ; nulle autre cause en dehors
de la volonté n’est donc répréhensible dans son action. Elle ne pèche donc
pas dans son action, car toute autre cause [que la volonté] agit selon une
forme et un principe qu’elle reçoit [de l’extérieur], et par conséquent ne
pèche pas, parce qu’elle agit [seulement] d’après ce qu’elle reçoit29.
Nul acte d’une puissance de l’âme autre que la volonté ne peut
donc être formellement mauvais. Dans la mesure où les actes de
l’intellect et de l’appétit sensitif sont commandés par la volonté, ils

29 Rep. II A, d. 42, qq. 1-4, n. 4 (Viv. XXIII, 216a) : « Item, Augustinus 3. de lib.
arbitrio : Voluntas est causa prima peccandi ; nihil enim est peccatum, nisi sit in
potestate facientis, et nihil est in potestate facientis, nisi quod est in potestate
voluntatis eius ; unde nullus actus est imputabilis alicui, nisi qui est in potestate eius.
Nec etiam aliquis alius actus est imputabilis nisi inquantum est in potestate
voluntatis ; ergo in solo actu voluntatis [éd. Vivès : voluntas] est formaliter peccatum.
Confirmatur per Augustinum 11. de Civit, c. 8 : quod defectus voluntarios sequitur
debita poena. Ex quo sequitur corollarium, quod in solo velle sit peccatum, et in aliis
actibus non, nisi mediante velle ; ex quo enim de ratione peccati est quod sit
imputabile, et non est imputabile, nisi quia est in potestate volentis, sequitur conclusio
praedicta. Item, omnis alia causa in universo activa est naturalis in agendo ; ergo nulla
alia causa, praeter voluntatem, est vituperabilis in agendo ; ideo nec peccat in agendo,
quia quaelibet alia causa agit secundum formam et principium quod accepit, et ideo
non peccat, quia agit sicut accepit ».
VAKRASIA SELON DUNS SCOT 499

peuvent être des péchés matériellement, mais non pas formellement30.


C’est d’ailleurs la raison pour laquelle Scot dit que toutes les vertus
morales se trouvent dans la volonté - qui règle l’appétit sensitif - et
non dans l’appétit sensitif lui-même31.
Qu’est-ce que cela signifie pour notre problème de l’incontinen­
ce ? Les conséquences sont facilement visibles, si l’on considère le
modèle traditionnel d’expliquer Vakrasia : Aristote, et après lui, saint
Thomas, ont expliqué l’incontinence par une interaction entre la raison
pratique et l’appétit sensible : sous l’influence des passions et du désir
sensible, la raison construit un syllogisme pratique qui est convenable à
l’appétit sensible, mais qui n’est pas une évaluation impartiale de ce
qu’il est raisonnable de faire. Tout en sachant en général ce qui est bon
et ce qui est mauvais, cette connaissance morale n ’est pas effective
dans le cas particulier de l’action akratique32.
Mais si l’appétit sensible et l’intellect pratique agissent tous deux
de façon naturelle et non libre, comme le dit Scot, l’explication
classique de l’incontinence devient problématique. En effet, Aristote
attribue la cause de l’agir reprochable à l’appétit sensitif (c’est-à-dire
aux passions) et à l’intellect (à savoir à l’ignorance). Or, pour Scot,

30 Rep. HA, d. 42, qq. 1-4, n. 5 (Viv. XXIII, 216b): «Ex illo sequitur
corollarium, quod nullus actus alterius potentiae a voluntate est materialiter malus,
nisi quia subest imperio voluntatis ; in illo non est peccatum materialiter, nec
formaliter ».
31 Op. ox. n i , suppi, d. 33, q. un. (ed. Wolter, 328).
32 Pour Aristote voir note 5. La solution de saint Thomas est clairement exprimée
en De malo, q. 3, a. 9, ad 7 (Leon. XXIII, 87b-88a) : « Continens enim sic sillogizat :
nullum peccatum est faciendum. Et hoc proponit secundum iudicium rationis;
secundum uero motum concupiscende uersatur in corde eius quod omne delectabile
est prosequendum ; set quia iudicium rationis in eo uincit, assumit et concludit sub
primo : hoc est peccatum, ergo non est faciendum. Incontinens uero, in quo uincit
motus concupiscende, assumit et concludit sub secundo : hoc est delectabile, ergo est
prosequendum. Et talis proprie est qui peccat ex infirmitate. Et ideo patet quod licet
sciat in immersali, non tamen scit in particulari, quia non assumit secundum rationem
set secundum concupiscentiam ». Cf. ST Ia-IIae, q. 77, a. 2, ad 4 (Leon. VII, 63b).
Pour l’incontinence chez saint Thomas voir B. KENT, « Transitory Vice : Thomas
Aquinas on Incontinence », Journal o f the History o f Philosophy 27 (1989), pp. 199-
223 ; R. SAARINEN, Weakness o f the Will in Medieval Thought, op. cit., pp. 118-129.
500 TOBIAS HOFFMANN

cette explication ne pourra pas tenir en compte l’imputabilité de


l’action akratique, car elle ne fait pas référence à la volonté libre. Scot
doit donc trouver une autre solution au problème de l’incontinence.

II. C o n n a is s a n c e p r a t iq u e e t v o l o n t é l ib r e

La réponse de Scot à notre question fondamentale - peut-on faire


le mal tout en connaissant le bien ? - thématise le rapport entre la
connaissance pratique et la volonté libre. Si la volonté est la seule
faculté responsable du péché, et non la connaissance pratique erronée
en tant que telle, la question se pose dans les termes suivants : la
volonté akratique agit-elle contre la prescription de l’intellect pratique ?
Mais plus fondamentalement, il s’agit de savoir si la volonté est libre
de suivre ou non l’ordonnance de l’intellect, et inversement, si la
volonté peut influer sur le jugement pratique.

1. S c o t p a r r a p p o r t a u x a u t o r it é s

Voyons d’abord comment Duns Scot se pose par rapport aux


auctoritates et surtout aux condamnations ecclésiastiques de la fin du
XIIIe siècle. Les condamnations sont formulées dans des phrases bien
précises, et la prise de position de Scot par rapport à elles devrait nous
fournir une première indication sur la manière dont Scot conçoit le
rapport entre la connaissance pratique et l’acte de volonté. En outre,
nous examinons ainsi une source éventuelle de la position de Scot, car
il est possible que de façon directe ou indirecte les condamnations
ecclésiastiques aient conditionné l’opinion de Scot. Les propositions
suivantes sont mentionnées au IIIe livre de VOrdinatio, distinction 36,
et au texte parallèle de la Reportatio33.

33 Op. ox. IH, suppi, d. 36, q. un. (ed. Wolter, 392-394) ; Rep. HI A, d. 36, q. un.,
ed. O. LOTTIN, « La connexion des vertus morales acquises de saint Thomas d’Aquin
à Jean Duns Scot », in ID., Psychologie et Morale aux XIIe et XIIIe siècles, vol. IV,
Louvain, Abbaye du Mont César - Gembloux, J. Duculot, 1954, pp. 551-663, pp.
646-649.
VAKRáSIA SELON DUNS SCOT 501

Voici quelques autorités fondamentales : premièrement, Denys


l’Aréopagite : « Nullus operatur aliquid ad malum aspiciens - Nul n’a
en vue le mal lorsqu’il agit »34. Scot rapproche cette formule de deux
autre citations : selon Aristote, « Omnis malus, ignorans - Toute
personne mauvaise est ignorante »35. Dans le livre de la Sagesse il est
écrit : « Excaecatur eos malitia eorum - Leur malice les rend
aveugles »36.
Deuxièmement, l’article 129 du syllabus des 219 propositions
condamnées par l’évêque Étienne Tempier le 7 mars 1277 à Paris :
« Quod uoluntas, manente passione et scientia particulari in actu, non
potest agere contra eam - Tant que persistent une passion et une
science particulière en acte, la volonté ne peut pas agir contre elles ».
L’article 130, qui va dans le même sens que l’article 129, n’est pas cité
par Scot : « Quod si ratio recta, et uoluntas recta. ... - Si la raison est
droite, la volonté est droite également »37.
Troisièmement, la « proposition magistrale » qui remonte à Gilles
de Rome, « Non est malitia in voluntate, nisi sit error in ratione - Il n ’y
a pas de malice dans la volonté sans qu’il n’y ait de l’erreur dans la
raison», qui fut d’abord condamnée mais plus tard concédée sous

34 DENYS L’AREOPAGITE, De divinis nominibus, 4, n. 31 (PG 3, 732);


Dionysiaca, vol. I, Paris, Desclée de Brouwer, 1937, p. 304 ; ed. B. R. Suchla, Berlin-
New York, Walter de Gruyter, 1990 (Patristische Studien und Texte, 33), p. 176.
35 ARISTOTE, Eth. Nie. III, 1, 1110b28-30 ; traduction de R. A. GAUTHIER et J.
Y. JOLIF, Ethique à Nicomaque, op. cit., p. 59 : « En somme, tout homme vicieux
ignore bien ce qu’il doit faire et ce dont il faut s’abstenir, et c’est bien dans cette
erreur que réside la source de l’injustice et en général de la méchanceté ». Pour la
position de Duns Scot, voir Ord. II, d. 7, q. un., n. 5 (Vat. VTII, 71) ; ibid., n. 89 (Vat.
Vni, 116), où Scot renvoie à Op. ox. III, suppl., d. 36, q. un. (ed. Wolter, 392-404).
36 Sagesse 2, 21.
37 D. PICHÉ (ed.), La condamnation parisienne de 1277, Nouvelle édition du texte
latin, traduction, introduction et commentaire, Paris, Vrin, 1999 (Sic et non), pp. US­
UO. Cf. R. HIS SETTE, Enquête sur les 219 articles condamnés à Paris le 7 mars
1277, Louvain-Paris, Publications Universitaires-Vander-Oyez, 1977 (Philosophes
Médiévaux, 22), pp. 257-260 ; 262-263.
502 TOBIAS HOFFMANN

restriction par les maîtres à Paris (y compris Henri de Gand), réunis en


1285 pour l’examiner38.
Scot mentionne en outre deux passages d’Aristote qui concernent
directement le problème de Yakrasia, mais dans la suite il ne se
prononce pas à leur égard. Il récapitule le premier texte ainsi : « Si
voluntas male eligit, intellectus male dictat - si la volonté choisit mal,
l’intellect prescrit mal »39. Deuxièmement, Scot résume un passage du
De motu animalium : si l’intellect pratique propose la majeure du
syllogisme pratique et si la mineure est indiquée par quelque chose
connu par le sens ou par l’imagination, la conclusion, qui est une
action, s’ensuit nécessairement, sauf en cas d’empêchement40.
Le contexte de ces citations est le traité sur la connexion des
vertus41. Nous nous intéressons notamment au deuxième article de ce
texte qui porte sur la relation des vertus morales à la prudence. Scot

38 AEGIDIUS ROMANUS, In I Sent., d. 17, p. 1, prine. 1, q. 1, Venise, 1521 (repr.


Francfort-sur-le-Main, 1968), f. 89 M ; In I Sent., d. 47, princ. 2, q. 1, ed. cit.,
f. 237 G ; Apologia, a. 24, ed. R. Wielockx, Opera omnia III.l, Florence, Leo S.
Olschki, 1985, p. 54. Cf. Ibid., a. 51, ed. R. Wielockx, p. 59 : « Numquam est malitia
in voluntate, nisi sit error vel saltem aliqua nescientia in ratione ». Selon Wielockx,
cette proposition fut condamnée par Tempier, alors que les maîtres à Paris la
concédaient dans le sens d’une simultanéité entre erreur dans la raison et malice dans
la volonté, non au sens où l’erreur dans la raison causerait la malice dans la volonté,
ibid., pp. 105-113; cf. E. HOCEDEZ, «L a condamnation de Gilles de Rome»,
Recherches de théologie ancienne et médiévale 14 (1932), pp. 34-58. Voir aussi n. 42.
- La proposition magistrale n’est pas mentionnée dans YOrdinatio mais seulement
dans la Reportatio.
39 Scot se réfère au livre VII de YÉthique à Nicomaque. Cette affirmation ne s’y
trouve pas littéralement, mais elle peut être inférée du chapitre 3.
40 Op. ox. HI, suppi, d. 36, q. un. (ed. Wolter, 394). Cf. ARISTOTE, De motu
animalium 7, 701a29-36.
41 Cf. note 33. Pour la doctrine de la prudence et de la connexion des vertus voir
aussi S. D. DUMONT, « The Necessary Connection of Moral Virtue to Prudence
According to John Duns Scotus - Revisited », Recherches de théologie ancienne et
médiévale 55 (1988), pp. 184-206; M. B. INGHAM, «Practical Wisdom: Scotus’s
Presentation of Prudence », in John Duns Scotus. Metaphysics and Ethics, eds. L.
Honnefeider - R. Wood - M. Dreyer, Leiden-New York-Köln, Brill, 1996 (STGMA,
53), pp. 551-571, et la contribution de J.-M. Counet dans le présent volume.
L ’AKRASIA SELON DUNS SCOT 503

veut établir que la prudence peut subsister sans vertus morales. Pour le
prouver, il veut montrer que la raison droite est compatible avec une
volonté mauvaise. Le Docteur subtil se concentre sur la démonstration
que l’intellect pratique peut avoir un jugement droit, engendrant ainsi la
prudence, sans que la volonté doive le mettre en pratique, donc sans
qu’il se produise de vertus morales. Inversement, il démontre que, dans
le cas concret, la mauvaise disposition de la volonté ne cause pas
l’erreur de l’intellect pratique.
L’adversaire de Scot est Henri de Gand et son interprétation de
l’article 129 du syllabus que le Gantois veut concilier avec la
proposition magistrale. Scot résume l’article 129 ainsi : « Manente
scientia, etc., voluntas non potest velle oppositum - La connaissance
restant intacte, la volonté ne peut pas vouloir le contraire ». Le
problème revient à savoir si une erreur dans l’intellect doit précéder
une erreur dans la volonté ou non.
Dans le Quodlibet X en la question 10, Henri avait distingué le
sens composé du sens divisé de l’article 129 condamné par Tempier :
selon le sens divisé, la phrase signifierait que la personne qui sait ce qui
est bon de faire ne pourrait jamais (ni dans ce moment précis, ni plus
tard) faire le contraire du jugement pratique. Cela est évidemment faux.
Par contre, selon le sens composé, on peut expliquer l’énoncé - « la
connaissance restant intacte, la volonté ne peut pas vouloir le
contraire » - de deux manières : par une relation de causalité ou par une
simple concomitance. Il faut nier la première possibilité, à savoir que la
volonté ne peut pas s’opposer au jugement pratique parce que la
science reste intacte. Par contre, selon le maître gantois, il est vrai de
dire que lorsque la science reste intacte, la volonté ne choisit pas le
contraire, et réciproquement, lorsque la volonté dévie de la raison
droite, qu’elle entraîne l’intellect à l’erreur. Ainsi, Henri a inversé la
direction de dépendance : ce n’est pas à cause de l’erreur de l’intellect
que la volonté choisit mal, mais - tout au contraire - c’est la malice de
la volonté qui conduit l’intellect à l’erreur42. En d’autre mots, la

42 HENRICUS DE GANDAVO, Quodl. X, q. 10, ed. R. Macken, Louvain, Leuven


University Press - Leiden, Brill, 1981 (Opera omnia, XIV), pp. 261-271 ; cf.
Quodl. X, q. 9, ed. R. Macken, pp. 245-248 ; Quodl. X, q. 13, ed. R. Macken, pp.
287-289 ; Quodl. XI, q. 6, ad 9, Paris, Badius, 1518 (repr. Louvain, 1961), f. 458rF-
504 TOBIAS HOFFMANN

volonté est librement mauvaise, et elle aveugle l’intellect. L’avantage


de cette interprétation est qu’elle réussit à concilier la condamnation de
1277 avec la proposition magistrale : il faut nier avec l’article 129 du
syllabus que la volonté ne peut pas agir contre le jugement pratique. En
d’autre mots, il faut soutenir que la volonté peut agir contre la raison
droite. En même temps, il faut maintenir avec la proposition magistrale
qu’il n’y a pas de malice dans la volonté sans erreur dans l’intellect.
Scot répond à cette solution d’Henri à deux niveaux : d’une part,
Scot insiste sur l’indépendance de la volonté par rapport à l’intellect ;
d’autre part, il s’oppose à la façon dont Henri explique l’aveuglement
de l’intellect par la volonté. Selon Scot, la volonté ne peut pas aveugler
l’intellect dans le sens où elle conduirait l’intellect à l’erreur, mais elle
peut seulement l’aveugler en le distrayant de la considération de la
prescription pratique43. Quant au premier point, à savoir l’indépen­
dance de la volonté, Scot affirme que l’intellect peut avoir un jugement
pratique droit qui n ’oblige pas la volonté à le suivre :
Au sujet de cet article, on peut dire que la prescription droite peut être
absolument dans l’intellect sans que la volonté ne doive élire ce que cette
prescription commande. - Or, comme un seul acte droit de prescription
suffit pour engendrer la prudence, la prudence sera engendrée dans
l’intellect sans aucun habitus de vertu morale dans la volonté44.

Dans nombre d’autres textes, Scot dit également que la volonté est
libre d’exécuter ou non le jugement droit45. Parfois Scot dit même

458vL. Cf. WIELOCKX, op. cit., p. 107. Cf. DUNS SCOTUS, Op. ox. III, suppl.,
d. 36, q. un. (ed. Wolter, 394-396).
43 Cf. notes 74 et 75.
44 « Quantum ad istum articulum potest dici quod simpliciter rectum dictamen
potest stare in intellectu absque recta electione illius dictati in voluntate, et ita cum
unicus actus rectus dictandi generet prudentiam, generabitur ibi prudentia absque
omni habitu virtutis moralis in voluntate . . . » : Op. ox. III, suppi., d. 36, q. un. (ed.
Wolter, 400). Cf. Op. ox. III, suppi., d. 36, q. un. (ed. Wolter, 398) : « Intellectu recte
dictante, voluntas potest nihil eligere, sicut potest non eligere illud quod dictatur ab
intellectu, quia non simul movetur ratio ab hoc et ab illo intellecto ; nihil autem
eligendo non generatur in ea aliqua virtus ; sed ex recto dictamine generatur prudentia
per te ; ergo generabitur prudentia absque alia virtute morali ».
45 Ord, Prol, pa. 5, qq. 1-2, n. 237 (Vat. I, 161) ; ln IX M et, q. 14, n. 126 (St.
Bon. IV, 673) ; Ord. I, d. 17, qq. 1-2, n. 91 (Vat. V, 184) ; Lect. II, d. 39, qq. 1-2,
L ’AKRASÎA SELON DUNS SCOT 505

davantage : non seulement que la volonté est libre de mettre en pratique


ou non le jugement droit, mais encore qu’on peut agir contre ce
jugement46. Mais pour quelle raison la volonté agirait-elle contre le
jugement pratique ? En dernière analyse, on ne peut plus demander une
raison pour l’action libre de la volonté ; elle veut ce qu’elle veut car
elle est telle volonté47.
La solution de Scot - la volonté est libre par rapport au jugement
pratique de l’intellect, et une certaine ignorance au sens d’une
distraction ou non-considération découle dans l’intellect de la décision
contre la raison droite - permet à Scot de concilier les autorités citées
dans leur sens littéral48. Il affirme avec Aristote, Denys et le livre de la
Sagesse qu’il y a de Y ignorance en celui qui est malfaisant, mais il
rejette la proposition magistrale dans toute sa portée : selon Scot, il n’y
a pas nécessairement à’erreur dans la raison s’il y a de la malice dans
la volonté. En outre, il réfute avec le syllabus de 1277 l’idée que la
volonté ne puisse pas vouloir contrairement au jugement pratique.

2. V o u l o ir s u b r a t io n e b o n i

Comme Duns Scot soutient que la volonté n’agit pas


nécessairement selon la prescription de la raison droite, on pourrait
soupçonner que Scot abandonne toute orientation de la volonté vers le

n. 13 (Vat. XIX, 381) ; ibid., nn. 16-17 (Vat. XIX, 381-382) ; Ord. II, d. 39, qq. 1-2,
n. 13-14 (Vat. Vili, 458-459) ; Rep. II A, d. 39, qq. 1-4, n. 5 (Viv. XXIII, 205a), cité à
la note 66. Voir aussi notes 13 et 14.
46 Ord. U, d. 39, qq. 1-2, n. 18 (Vat. VIII, 461-462): «...stante conscientia
perfecta, voluntas potest velle oppositum eius quod dictatur secundum illam ... » ; cf.
In IXMet., q. 15, n. 55 (St. Bon. IV, 692).
47 In IXMet., q. 15, n. 29 (St. Bon. IV, 682) : « Quare voluntas illud volet ? Nulla
est alia causa, nisi quia est voluntas ». Cf. Ord. I, d. 8, pa. 2, q. un., n. 299 (Vat. IV,
325) ; Lect. I, d. 8, pa. 2, q. un., n. 279 (Vat. XVII, 105) ; Ord. II, d. 1, q. 2, n. 91
(Vat. VU, 47-48) ; Lect. II, d. 1, q. 2, n. 89 (Vat. XVIII, 29) ; Rep. I A, d. 10, q. 3 ;
Oxford Merton 59, f. 68r-68v.
48 Le fait que Scot veut être en accord avec les autorités citées d’Aristote, de
Denys et du livre de la sagesse résulte de ce qu’il dit au début de sa réponse :
« .. . tunc quaeritur quomodo malitia excaecat intellectum secundum istas
auctoritates », Op. ox. III, suppi., d. 36, q. un. (ed. Wolter, 400).
506 TOBIAS HOFFMANN

bien. Pour adresser cette objection potentielle, examinons les deux


questions suivantes. (1.) Selon Scot, peut-on faire le mal uniquement
sub ratione boni ? (2.) Quel est le fondement psychologique qui permet
de concevoir des actes libres même par rapport au jugement droit de
l’intellect pratique ?
Pour répondre à la première question : admettons que tout acte
mauvais est motivé par une considération de l’objet sous l’aspect du
bien. Comment la volonté pourrait-elle donc vouloir le mal ? Il pourrait
y avoir deux possibilités : vouloir le mal sous l’aspect du mal ou
vouloir le mal sous l’aspect du bien. Scot écarte la première
possibilité : il n ’est pas possible de vouloir le mal sub ratione mali49.
Le Docteur subtil exclut d’ailleurs aussi qu’on puisse haïr quelque
chose qui ne contient pas un certain aspect du mal ; pour lui, il est donc
impossible d’haïr Dieu50. Pour Scot, le bien sous l’aspect du bien
{bonum sub ratione boni) est l’objet de la volonté51. Comment la
volonté peut-elle donc être déficiente ? Scot en donne différentes
explications.

49 Op. ox. DI, suppl., d. 36, q. un. (ed. Wolter, 392-394) : « Item, suppono ... quod
voluntas nihil possit velle sub ratione mali ... ». Même si on ne peut pas velle sub
ratione mali, on n’est toutefois pas forcé à nolle sub ratione mali, Rep. II A, d. 39, qq.
1-4, n. 4 (Viv. XXin, 204b) : « Non enim habet necessario nolle respectu mali noti,
nec velle respectu boni qualitercumque cogniti in via ... ». La raison en semble être
que la volonté est toujours libre de rester dans une position neutre, de non velle par
rapport au bien - même par rapport au bien suprême - , et de non nolle par rapport au
mal sous l’aspect du mal.
50 Rep. II A, d. 6, q. 1, n. 9 (Viv. XXII, 617a) : «. .. cum dicitur quod voluntas
potest odire Deum, dubium est, quia si non possit odiri nisi illud, in quo est aliqua
ratio mali, nullo modo potest tunc Deus odiri ». Cf. Rep. II A, d. 43, q. un., n. 5 (Viv.
XXDI, 227b) : « Sed non credo quod actus <charitatis> [éd. Viv.: charitas] habeat
actum contrarium oppositum, quia non potest Deus odiri ab aliqua voluntate ... ».
51 Op. ox. HI, suppi., d. 33, q. un. (ed. Wolter, 326) : «. . . bonum simpliciter ...
potest intelligi vel ut distinguitur contra bonum apparens vel ut distinguitur contra
bonum in singulari acceptum. Si primo modo, bonum simpliciter non est obiectum
adaequatum voluntatis, quia tunc voluntas non posset habere actum circa illud in quo
non salvatur ratio sui primi obiecti ; et ita voluntas quaecumque viatoris esset
confirmata ex obiecto suo vel praeservata ne posset peccare. Secundo modo potest
concedi quod bonum sub ratione boni ... est obiectum appetibile a voluntate et suae
propriae cognitivae . .. »
L ’AKRASIA SELON DUNS SCOT 507

1 / La volonté, par sa pleine liberté, choisit un « mauvais vouloir »


- tout en ne choisissant pas un objet mauvais sous l’aspect du mal ou
du bien. Selon Scot, ce mauvais vouloir n’est causé ni par une passion
dans l’appétit sensible, ni par une erreur dans la raison52.
2 / Nul objet n’a la force d’obliger la volonté à y adhérer : la
volonté reste donc toujours libre de refuser son assentiment53.
3 / La volonté peut choisir un bien sub ratione boni, mais en le
poursuivant uniquement sub ratione boni commodi, non sub ratione
boni insti54.
Une autre explication que Scot semble admettre sous réserve est
que la volonté puisse vouloir quelque chose non sub ratione boni55.

3. L e s c a u s e s d e l a v o l it io n

Considérons brièvement le fondement psychologique de la


possibilité qu’a la volonté de ne pas suivre la prescription de l’intellect
pratique.

52 Ord. II, d .43, q.un., n. 6 (Vat. VU!, 486-487): «Tamen etsi non ponatur
voluntas creata posse velle malum sub ratione mali, adhuc potest assignari peccatum
ex certa malitia, quando voluntas ex libertate sua - absque passione in appetitu
sensitivo et errore in ratione - peccat : ibi enim est plenissima ratio peccati, quia nihil
aliud a voluntate alliciens eam ad malum ; quod pro tanto erit ex malitia, quia ibi est
perfecta et completa malitia sicut potest esse in peccato, quia ex plena libertate - sine
aliqua occasione extrínseca - eligit sibi malum velle (non tamen ex malitia ita quod
voluntas peccans tendat in malum in quantum malum) ».
53 Ord. II, d. 7, q. un., n. 90 (Vat. VIII, 116-117) : «. . . intellectus potest cogi ad
assentiendum, ita quod non potest esse ita caecus quin - apprehendens aliquos
terminos ex evidentia terminorum - potest concipere veritatem complexionis
compositae ex eis. Voluntas autem non cogitur ex bonitate obiecti ; ideo potest esse
ita aversa quod quantumcumque bonum sibi ostensum non movet ipsam ad amandum
ipsum, saltem ordinate ». Voir aussi notes 13 et 14.
54 Led. II, d. 23, q. un., n. 33 (Vat. XIX, 215) : « ... obiectum voluntatis est
bonum commune, ergo obiectum eius potest esse bonum commodi, et sic non
necessario iuste appetitur, secundum rationem praefatam ».
55 Ord. II, d. 43, q. un., n. 1 ; n. 5 (Vat. VIE, 483 ; 485-486).
508 TOBIAS HOFFMANN

Pour Scot, la volonté est la cause principale de son propre acte56.


L’autre cause de l’acte de la volonté est l’objet connu : celui-ci est ou
bien cause partielle, selon l’enseignement de Scot à Oxford, ou bien
comme Scot le dira plus tard à Paris, il est « causa sine qua non » de
l’acte de volonté57. En tant que cause principale de la volition, la
volonté n’est déterminée à agir par rien d’autre que par elle-même58.
Par conséquent, même si l’intellect pratique a fait une délibération
non déficiente, l’élection de la part de la volonté n’est pas
nécessairement conforme à cette délibération, car la volonté peut elle-
même être déficiente59. Mais lorsque la volonté ne suit pas la
prescription de la raison droite, la volonté est une cause déficiente, non
efficiente60.

56 Lect. II, d. 25, q. un., n. 73 (Vat. XIX, 254).


57 Scot a tenu la première position - objet et volonté sont causes partielles - à
Oxford ; à Paris, en revanche, il a soutenu la deuxième solution : l’objet est causa sine
qua non, la volonté causa totalis de l’acte de volonté. Cf. S. D. DUMONT, « Did
Duns Scotus Change His Mind on the Will ? », in Nach der Verurteilung von 1277.
Philosophie und Theologie an der Universität von Paris im letzten Viertel des
13. Jahrhunderts. Studien und Texte, eds. J. A. Aertsen - K. Emery, Jr. - A. Speer,
Berlin-New York, Walter de Gruyter, 2001 (Miscellanea Mediaevalia, 28), pp. 719-
794. Voir aussi l’article de M. B. Ingham dans le présent volume.
58 Ord. TL, d. 7, q. un., n. 17 (Vat. VIH, 81): « . . . c u m voluntas sit causa
principalis sui actus (quia quodcumque ponatur in voluntate respectu actus eius, vel
non erit causa actus sic eliciendi, - vel si est causa, est causa secunda respectu
voluntatis, non causa principalis), sequitur quod voluntas per nihil aliud determinetur
ad agendum ».
59 Ord. H, d. 39, qq. 1-2, nn. 19-20 (Vat. VIH, 462) : « Secundum hoc etiam
conscientia potest poni habitus proprius conclusionis practicae, secundum cuius
actum nata est conformari electio recta in agibílibus ; et ita dicitur ‘stimulare ad
bonum’, in quantum liberum arbitrium totum habet unam causam partialem recte
dispositam, - et sequitur recta volitio et bona, nisi esset defectus alterius causae
partialis, concurrentis respectu voluntatis ». Cf. Ord. H, d. 34-37, qq. 1-5, nn. 142-144
(Vat. VIH, 428-429).
60 Ord. II, d. 34-37, qq. 1-5, n. 125 (Vat. VIH, 421) : « In peccato concurrunt actus
positivus ut materiale, et privatio iustitiae debitae ut formale. Respectu huius
privationis nulla est causa efficiens, sed tantum deficiens, secundum tertiam viam ;
voluntas enim, quae est debitrix dandi rectitudinem suo actui et non dat, deficiendo
peccat ».
VAKRASIA SELON DUNS SCOT 509

III. L ’i n f l u e n c e d e l a v o l o n t é a k r a t i q u e s u r l ’in t e l l e c t

Nous avons amplement considéré la question de savoir si et


comment la volonté peut dévier du jugement droit : sans doute Duns
Scot admet-il le phénomène de Vakrasia. Mais étant donné la concep­
tion de la volonté libre par rapport au jugement droit, avons-nous
encore affaire à un phénomène problématique ?
Vakrasia est un problème moins radical pour Scot que pour les
auteurs qui considèrent l’agir comme une conséquence immédiate du
jugement de l’intellect pratique. Mais Scot ne se contente pas simple­
ment de dire que la volonté peut agir à l’encontre du jugement pratique.
En général, la volonté désire en effet agir conformément à la raison, et
si la raison propose autre chose que la volonté préfère, celle-ci peut
créer l’harmonie avec le jugement pratique en mouvant la raison dans
la direction qu’elle veut elle. Selon le Docteur subtil, le cas typique de
conduite akratique est celui où la volonté détourne l’intellect de la
considération de la raison droite. En ceci, Scot se rapproche d’ailleurs
de la position aristotélico-thomiste, suivant laquelle, dans le cas de
Vakrasia, le désir conditionne la délibération pratique.
Cette dynamique est détaillée dans deux contextes : celui de la
conscience et celui de la connexion des vertus.

l . A g i r c o n t r e l a c o n s c ie n c e

Le problème de Vakrasia - d’agir contre son propre jugement


pratique - est étroitement lié au problème de la conscience61. La
conscience est ce qui permet, dans les cas particuliers, de considérer ce
qu’il est bon de faire ou d’éviter, conformément à la loi naturelle62.
Scot identifie la loi naturelle avec les premiers principes pratiques, qui

61 Pour un aperçu des doctrines médiévales au sujet de la conscience, on


consultera O. LOTTIN, « Syndérèse et conscience au XIIe et XIIT siècles », in ID.,
Psychologie et morale aux X1F et XIIF siècles, vol. II, 1, Louvain, Abbaye du Mont
César - Gembloux, J. Duculot, 1948, pp. 103-349.
62 Lect. II, d. 39, qq. 1-2, n. 25 (Vat. XIX, 384).
510 TOBIAS HOFFMANN

sont sus par Yhabitus de la syndérèse63. Un jugement de conscience est


par exemple : « personne ne doit être tué »64.
En Reportatio II A, dist. 39, dans le contexte de sa discussion de la
conscience, Scot considère, la possibilité d’agir plus ou moins
conformément à la conscience. Deux personnes peuvent avoir la même
conscience, mais l’une d’elles pourrait la suivre, l’autre non. Or, la
notion que Duns Scot a de la volonté libre par rapport au jugement de
l’intellect pratique lui permettrait une explication très simple de ce
phénomène. Il ne faudrait qu’évoquer la liberté de la volonté de suivre
ou non le jugement de l’intellect pratique. Aussi la volonté est-elle bien
sûr inclinée à consentir à l’appétit sensitif, qu’il se trouve en accord
avec la raison droite ou non65. Mais une fois que l’intellect a accompli
le processus de la délibération pratique, il est difficile, dit Scot, que la
volonté se passe complètement de la prescription de l’intellect
pratique66.
En d’autres mots, la volonté préfère agir conformément à
l’intellect pratique - à tel point qu’elle cherche des justifications pour
aboutir à une conclusion pratique qui serait en accord avec ce que la
volonté a choisi.
Le cas normal de la déficience de la volonté ne se produit donc pas
dans le refus pleinement conscient de la volonté de suivre l’ordonnance
de l’intellect pratique. Selon Scot, il y a deux manières dont la volonté
peut dévier de la raison droite tout en désirant la conformité avec
l’intellect pratique : ou bien la connaissance de l’intellect pratique
« dort » quasiment, c’est-à-dire que la conscience peut être dans

63 Lect. II, d. 39, qq. 1-2, n. 24 (Vat. XIX, 384).


64 Lect. H, d. 39, qq. 1-2, n. 21 (Vat. XIX, 383).
65 Ord. II, d. 43, q. un., n. 5 (Vat. VIII, 485-486): «Voluntas enim, quia
coniuncta est appetitui sensitivo, nata est condelectari sibi, et ita, peccans efficaciter
ex inclinatione appetitus sensitivi ad suum delectabile, peccat ex passione, - quod
dicitur, ‘peccatum ex infirmitate sive impotentia’ ... ».
66 Rep. II A, d. 39, qq. 1-4, n. 5 (Viv. XXIII, 205a) : « ... intellectus practicus est,
qui necessario assentit agibílibus, voluntas autem libere. Quidquid igitur est onus
impositum voluntati, dico quod non est aliquid receptum in voluntate ab intellectu
ostendente. Sed potest dici naturalis ordo, quia difficile est voluntatem non inclinari
ad id, quod est dictatum a ratione practica ultimatim, non tamen est impossibile ».
L ’AKRASIA SELON DUNS SCOT 511

l’intellect habituellement au lieu d’y être actuellement ; ou bien la


volonté peut détourner l’intellect, afín qu’il ne considère pas ce que la
conscience lui dicte. La volonté peut accomplir ce détournement de
l’intellect de deux façons : en le faisant considérer le contraire de ce
qu’il prescrit, ou en le faisant hésiter, en moyen d’arguments sophis­
tiques67.
Cette explication contient des éléments centraux à l’explication
aristotélicienne de Yakrasia dans YÉthique à Nicomaque VII, 3 :
Comme Aristote, Scot distingue entre connaissance actuelle et
connaissance habituelle ; avec Aristote, le Docteur subtil pense que
l’attention de l’intellect peut être détournée ou remplacée par d’autres
considérations (à savoir par des arguments sophistiques). À la
différence d’Aristote, pour Scot, ce n’est pas directement l’appétit
sensitif qui exerce une telle influence sur l’intellect, mais la volonté68.
Dans les textes parallèles de la Lectura et de Y Ordinatio, Scot se
réfère expressément au passage de YÉthique à Nicomaque en question

67 Rep. II A, d. 39, qq. 1-4, n. 7 (Viv. XXIII, 206a) : « Ideo dico quod conscientia
est in intellectu, et si est actualis, est dictamen actuale in intellectu, et si est habitualis,
est dictamen habituale, et ideo est concors scientiae rectae. Unde vult Aristoteles, 7.
Ethicorum, quod scientia practica est dictamen conforme se habens appetitui recto, et
tamen habens maiorem scientiam habitualem, non propter hoc - patet - maiorem
scientiam actualem, quia non actu considerat ; illa enim scientia habitualis quasi
dormit. Si tamen iste [supple : homo] habet maiorem cognitionem actualem quam ille,
etsi ita certum est, vel certius huic quam illi, si tantum assentiat, vel plus intellectus
huius sicut illius, habebit conscientiam aequalem, vel maiorem, quia licet per eamdem
rationem esset huic notum, et illi aliquid, adhuc posset intellectus unius fortius ligari
quam alterius, quia clarius videt necessitatem consequentiae, vel quia nullas rationes
habet in contrarium sophisticas, alius tamen habet. Ideo concedo universaliter quod
habens maiorem cognitionem actualem caeteris paribus, habet maiorem conscientiam,
tamen potest voluntas subterfugere per non considerare ipsius intellectus, vel per
considerare contraria, vel propter vacillationem, quam habet propter rationes
sophisticas. Istam viam tenet Bonaventura». Cf. Lect. n , d. 39, qq. 1-2, n. 31 (Vat.
XIX, 386) ; Ord. II, d. 39, qq. 1-2, n. 27 (Vat. VIII, 464-465).
68 La passion seule, sans l’intervention de la volonté, ne pourrait d’ailleurs pas
rendre raison de l’imputabilité du détournement de l’intellect, Rep. II A, d. 35, q. 1-6,
n. 16 (Viv. XXIII, 185b) : « Ad tertium, dico quod passio inquantum ea patimur, non
est peccatum, tamen alio modo est peccatum inquantum est a voluntate, ut a causa
activa ».
512 TOBIAS HOFFMANN

(VII, 3), en mentionnant l’exemple que donne Aristote lui-même d’un


savoir pratique qui n ’est pas mis en œuvre : on peut réciter les vers
d’Empédocle69, ou on peut connaître l’enseignement moral de la Bible,
sans que cela forme réellement la conscience70.
Comment la volonté akratique exerce-t-elle donc son influence sur
l’intellect ?

2. L ’AVEUGLEMENT DE L ’INTELLECT

Pour Scot, la volonté ne peut pas induire l’intellect en erreur par


rapport au jugement pratique. En effet, l’intellect ne peut se tromper ni
par rapport aux premiers principes pratiques, car ils sont évidents en
soi, ni vis-à-vis de la déduction du syllogisme pratique, car la forme
syllogistique est également évidente : on ne peut pas éviter d’admettre
la conclusion du syllogisme pratique71. Cependant, même si la volonté
ne peut pas induire l’intellect en erreur, elle peut toutefois détourner
l’intellect de la considération du jugement pratique72, et en ce sens, elle
peut aveugler l’intellect (excaecare). Cela peut se faire de deux maniè­
res : de façon privative ou de façon positive73.

69 Selon J. A. Stewart, l’allusion est aux Chants de purification d’Empédocle, qui


sont une invitation à la vie vertueuse, cf. Notes on the Nicomachean Ethics o f
Aristotle, vol. Il, Oxford, Clarendon press, 1892, p. 155.
70 Lect. H, d. 39, qq. 1-2, n. 31 (Vat. XIX, 386) : « Ad aliud, quando arguitur quod
‘si conscientia esset in intellectu, tunc qui magis scirent de operabilibus maiorem
conscientiam haberent’, dico quod Philosophus dicit libro Ethicorum quod ‘quidam
dicunt verba Empedoclis, sciunt autem nequaquam ; ita sunt aliqui qui bene dicunt
verba de operabilibus et legunt Bibliam, sed tamen non habent conscientiam. Unde
dico quod illi qui sunt magis et vere scioli de operabilibus, magis sunt conscientiosi ;
aliter si conscientiam non habent, habent tantum verba». Cf. Ord. II, d. 39, qq. 1-2,
n. 27 (Vat. VIII, 464-465).
71 Cf. note 22.
72 Op. ox. EI, suppi., d. 36, q. un. (ed. Wolter, 400).
73 Le contexte est la connexio virtutum. Scot maintient la possibilité que la volonté
« aveugle l’intellect » pour être en accord avec les autorités qu’il avait citées
auparavant : Aristote, Denys, la Sagesse, cf. notes 35 et 36.
UAKRASIA SELON DUNS SCOT 513

La volonté aveugle l’intellect de façon privative en le distrayant de


la raison droite. La volonté choisit alors le contraire de ce que la raison
droite lui indique. Par conséquent, elle ne permet pas à l’intellect de
considérer longtemps la raison droite. Plutôt, l’intellect est amené à
trouver des justifications (considerationes pro opposito), c’est-à-dire
des raisons sophistiques et superficielles. Pour éviter les remords,
l’intellect est aussi conduit à s’occuper de considérations sans pertinen­
ce pour le cas en question7475.
Lorsque la volonté exerce une mauvaise influence sur l’intellect
pratique de manière positive, il ne s’agit pas de déployer une stratégie
de distraction, mais plutôt de faire de l’intellect un complice de la
déficience morale. La volonté choisit une fin mauvaise, et elle conduit
l’intellect à trouver les moyens pour atteindre ce but. Ainsi, l’intellect
dévient vicieux : au lieu d’engendrer la prudence, il engendre la sottise
{stultitia)15.

74 Op. ox. HI, suppi., d. 36, q. un. (ed. Wolter, 400-402) : « Dico quod excaecatur
[intellectus] dupliciter : uno modo privative, alio modo positive ; privative, quia
avertit a recta consideratione ; voluntas enim eligens oppositum alterius rectae dictati,
non permittit intellectum diu stare in illo recto dictamine, sed avertit ipsum ad
considerationes pro opposito, si quae possunt esse rationes sophisticae vel probabiles
ad illud ; aut saltem avertit ad considerandum aliquid aliud impertinens, ne stet illa
actualiter displicentia quae stat in remorsu illo qui habetur in eligendo oppositum
dictati ». Cf. Rep. HI A, d. 36, q. un., ed. O. Lottin, loc. cit., p. 651.
75 Op. ox. III, suppi., d. 36, q. un. (ed. Wolter, 402) : « Positive autem excaecat
sic : nam sicut voluntas recte eligens finem praecipit intellectui considerare illa, quae
sunt necessaria ad illum finem, et <intellectus> [corrigé d’après Assise, Biblioteca
Comunale 137, f. 178va] sic inquirendo media ordinata ad illum finem rectum generat
in se habitum prudentiae, ita voluntas eligens sibi malum finem potest quidem sibi
praestituere malum finem, sicut dictum est distinctione prima primi, imperat
intellectum considerare media necessaria ad consequendum illum finem. ... Et sicut
habitus generatus ex imperio voluntatis bene eligentis in intellectu dictante circa
media ad illum finem bene electum perquirendum, est prudentia, ita in voluntate male
eligente, habitus acquisitus ex dictamine circa ea quae ordinantur ad illud male
electum est error, et habitus directe oppositus habitui prudentiae, et potest vocari
‘imprudentia’ vel ‘stultitia’, non tamen privative, sed etiam positive et contrarie, quia
sicut prudens habet habitum quo recte eligat ordinata ad finem debitum, sic iste habet
habitum ad recte et prompte eligendum media ordinata ad finem praestitutum a
voluntate mala. Et quia talis habitus generatur ex imperio voluntatis, pro tanto verum
514 TOBIAS HOFFMANN

Ces textes montrent qu’il y a une unité plus intime entre volonté et
intellect pratique qu’il n’y semblait au premier abord. En effet, dans
d’autres contextes, Scot dit que la volonté est responsable par rapport
au contenu que l’intellect considère76. En même temps, l’intellect agit
mieux si la volonté contribue à son acte77.
Je crois que les textes qu’on vient de considérer montrent
suffisamment que pour Scot, la situation normale de conduite akratique
consiste dans le fait qu’une mauvaise volonté détourne la considération
de l’intellect pratique. Que la volonté se passe de ce jugement est
possible, mais il s’agit seulement d ’un cas extrême.

IV . C o n c l u s io n

Faisons le bilan en retournant à la question initiale : y a-t-il de


l’akrasia chez Scot et en quel sens serait-elle problématique ? Pour
unifier ces deux questions, réfléchissons sur la façon dont Duns Scot
traite de ce problème.
Il est évident que Scot ne s’intéresse pas au problème de
l’incontinence de la même façon que le faisaient Aristote ou saint
Thomas. Scot explique le comportement akratique sans référence aux
interférences des passions de l’âme, qui induiraient un conflit de désirs.

est quod voluntas mala excaecat, non quidem faciendo errare circa aliqua complexa,
sed faciendo intellectum habere actum vel habitum considerandi aliqua media ad
malum finem ; et totus ille habitus error est in agibílibus, licet non sit error quantum
ad speculationem ». Cf. Rep. Ili A, d. 36, q. un., ed. Lottin, loc. cit., pp. 651-652.
76 Rep. n A, d. 6, q. 2, n. 11 (Viv. XXII, 621 a-b) : « ... non est simile de voluntate
respectu finis, et intellectu respectu principii, quoad propositum, quia si esset malum
inordinatum intellectum considerare aliquod speculabile, ut si tempore orationis
delectaretur quis in speculando conclusionem Geometricam, vel nimis speculando ibi,
et dimittendo meliora, voluntas tenetur avertere intellectum a tali speculatione ad
aliam, et si non facit, erit ibi malitia moris ; non sic intellectus respectu voluntatis ».
77 Rep. II A, d. 42, qq. 1-4, n. 14 (Viv. XXIII, 221a) : « ... voluntas est superius
agens respectu intellectus ; ergo intellectus perfectius operatur concurrente actu
voluntatis ».
V AERASIA SELON DUNS SCOT 515

Aussi, il n ’insiste pas sur la présence d’un certain degré d’ignorance,


comme le faisait Aristote. La discussion des syllogismes pratiques -
centrale pour Aristote et saint Thomas - n ’intéresse pas vraiment Scot.
L’interaction entre intellect, appétit sensible et désirs ou puissance
appétitive est désormais totalement régi par la volonté. Toute
imputabilité de l’agir humain revient en dernière analyse à la volonté ;
pour Scot il n’y a pas lieu de chercher l’origine de la conduite
immorale dans l’intellect pratique ou dans l’appétit sensitif en tant que
tels. Dès lors, l’agir akratique trouvera toujours son origine dans la
volonté. Celle-ci, libre de suivre l’intellect pratique ou non, exerce une
telle influence sur l’intellect pratique que le désaccord déplaisant entre
la volonté et l’intellect disparaît.
Mais il y a aussi des points où Scot se trouve en accord avec
Aristote : tout d’abord, tous deux admettent le phénomène même
d’actions contre le meilleur jugement. Deuxièmement, on pourrait dire
que Scot se rapproche d’Aristote en tant qu’il pense que les désirs
influent sur la délibération pratique - avec la précision que la volonté
est entièrement responsable d’une telle influence des désirs.
À part la considération de l’incontinence en tant que telle, j ’espère
que mon exposé a aussi pu contribuer à une réflexion sur la notion de
connaissance pratique chez Scot. Je n’ai pas prêté une attention
spéciale à la notion de praxis™. Mais nous avons vu en quel sens la
praxis, chez Scot, ne se conforme pas nécessairement au jugement
droit7879. Cela, veut-il dire que Scot sacrifie le caractère foncièrement
rationnel de l’éthique ? La volonté, serait-elle absolument indifférente
par rapport au bien ou au mal ?

78 Pour la notion de praxis voir H. MÖHLE, Ethik als scientia practica nach
Johannes Duns Scotus. Eine philosophische Grundlegung, Münster, Aschendorff,
1995 (Beiträge zur Geschichte der Philosophie und Theologie des Mittelalters,
NF 44) ; DUNS SCOT, La Théologie comme science pratique (Prologue de la
Lectura), Introduction, traduction et notes par G. Sondag, Paris, Vrin, 1996 ; DUNS
SCOT, Prologue de I’Ordinatio, Présentation et traduction annotée de G. Sondag,
Paris, PUF, 1999 (Epiméthée).
79 Cf. note 45.
516 TOBIAS HOFFMANN

Non, car la volonté a une inclination naturelle au bonheur, et l’acte


de volonté est « naturel » s’il est conforme à cette inclination80. De
plus, la volonté a ime inclination vers le bonum iustum comme vers son
plus grand bien81.

School o f Philosophy,
The Catholic University o f America,
Washington, D.C.

80 Cf. Lect.il, d. 39, qq. 1-2, n. 29 (Vat. XIX, 385): «...voluntas tendit
naturaliter in beatitudinem sicut lapis naturaliter tendit deorsum. Unde quod voluntas
naturaliter tendat in beatitudinem, hoc non est actus secundus et elicitus, sed est
inclinatio naturalis ipsius voluntatis : voluntas enim habet naturalem inclinationem ad
suam perfectionem, - et non est hoc mediante actu secundo. Sed tamen voluntas
libera potest velle secundum istam naturalem inclinationem, vel contra eam : et si
velit secundum eam concorditer, tunc dicitur habere ‘velle’ naturale ; et si opposito
modo, tunc dicitur habere ‘velle’ contra inclinationem naturae ». Cf. Ord. II, d. 39,
qq. 1-2, n. 24 (Vat. VIII, 464) ; Rep. II A, d. 23, n. 11 (Viv. XXIII, 11 lb).
81 Rep. II A, d. 36, q. un., n. 2 (Viv. XXIII, 187b-188a) : « ... maior poena est
carentia boni iusti convenientis, quam boni commodi, quia bonum iustum est nobilius
bono commodo, et propinquius perfectiori, et sicut proprium perfectiori est perfectius
quam commune perfecto et imperfecto, sic propinquius perfectiori caeteris paribus.
Nunc autem iustitia est propria appetitui rationali, commodum vero convenit omni
appetitui ; sed peccatum carentia boni iusti convenientis, quia praemium est oppositio
boni convenientis ; igitur demeritum privat bonum conveniens ». Cf. Rep. II A, d. 37,
qq. 1-2, n. 15 (Viv. XXIII, 199a) ; Ord ÏÏ, d. 34-37, qq. 1-5, n. 171 (Vat. VIII, 440).
Pour le caractère rationnel de la volonté on consultera W. HOERES, Der Wille als
reine Vollkommenheit nach Duns Scotus, Munich, Anton Pustet, 1962 (Salzburger
Studien zur Philosophie, 1), pp. 205-240.
V

THÉOLOGIE
R ic h a r d C r o s s

SCOTUS’S PARISIAN TEACHING ON DIVINE SIMPLICITY

In Christian theology, the doctrine of divine simplicity covers two


related issues : first, the simplicity of the divine essence, and secondly
the simplicity of a divine person. Given Christian Trinitarian beliefs,
these two doctrines are distinct, though the second entails the first on
any rigorous understanding of simplicity. Claims about simplicity are
fundamentally negative claims, and their import depends on the sorts of
component that a thing might be held to have. In what follows, I shall
take it as read that neither the divine essence nor any divine person has
spatial parts or temporal parts. But these kinds of composition do not
exhaust the types of composition discerned by medieval philosophers.
Scotus, for example, in line with standard medieval views, holds that
God lacks accidents, and composition from form and matter. He holds
too that God is really identical with his attributes, and that these
attributes are really identical with each other.1 Here, I want to focus on
a cluster of issues concerned with the divine essence and divine
attributes. The first is this : are the divine attributes in any sense distinct
from each other, or from the divine essence? And the second is this : is
the divine essence in any sense distinct from the personal property of a
divine person, the property that distinguishes that person from the other
divine persons ? It is well known that Scotus holds that there is a
certain sort of distinction in all of these cases, and that this distinction
is both somehow compatible with real identity, and somehow
extramental : it obtains even in the lack of any mental operation relative
to the divine essence, attributes, and persons.

1 On all of this, see R. CROSS, Duns Scotus, Oxford-New York, Oxford Univer­
sity Press, 1999 (Great Medieval Thinkers), p. 29. Neither lack of temporal parts, nor
lack of spatial parts, entails lack of accidents or lack of matter (provided we
understand matter to be pure potency).
520 RICHARD CROSS

This position is, viewed from certain perspectives, controversial,


since some would hold that any extramental distinction here is incom­
patible with divine simplicity. Indeed, a common account of the matter
has it that Scotus attenuates his initially robust account of the
extramental distinction between essence, attribute, and property. In
what follows, I shall consider this common account of the issue, and
then discuss ways in which I believe this account to be defective.
Scotus’s accounts of the various sorts of relevant distinction can be
found in his discussion of the second of the two topics I introduced
above, namely, the simplicity of a divine person. So the bulk of my
paper will be on this topic, though I shall draw some conclusions for
the first topic - the simplicity of the divine essence - at the end.
There is a problem in determining the chronology of Scotus’s
views on the matter, at least in the sense that there is no agreed
chronology for the relevant works in which Scotus discusses the issue.
Indeed, conclusions about the chronology of the works are at least in
part dependent on considerations of content, and there is thus a very
real danger of circularity in any argument about development. Before I
begin, then, I shall state what seem to me to be probable facts about the
chronology of those of Scotus’s writings that I use, facts that can be
determined by considerations other than those intrinsically connected
with the various discussions of divine simplicity.
The first is this : that the Oxonian Lectura dates from the last
couple of years of the thirteenth century, and represents Scotus’s first
attempt to deal with the issues. Secondly, the main text of book 1 of the
Ordinatio dates from around 1300 or just shortly thereafter. Thirdly,
many of the marginal additions, and deletion notes, preserved in
various of the manuscripts of the Ordinatio, represent attempts to
modify the text in the light of the later, Parisian lectures on the
Sentences. I believe that Scotus lectured just once on the Sentences at
Paris, probably beginning in 1302, and that the so-called Reportatio A
represents the most authentic report of these lectures.2 Fifthly, Scotus’s

2 See SCOTUS, Ord. (Vat. VII, 67*). I do not know whether Scotus took one year
or two years (viz. 1302-3,1304) to comment on the Sentences at Paris, but in any case
this makes no difference to my observations below, which are restricted almost
entirely to the chronology of the various commentaries on book 1, and at one point
additionally presuppose that book 2 of the Reportatio is later than book 1 - a
SCOTUS’S PARISIAN TEACHING ON DIVINE SIMPLICITY 521

Quodlibet dates from his time as a master in theology at Paris, that is to


say, between 1305 and 1307.3
This leaves a number of questions unanswered, and in itself makes
certain presuppositions that could be questioned. Perhaps the most
worrisome is that the account relies on the view of Balie that the
ongoing revisions to book 1 of the Ordinatio - and thus too the clean
text upon which these revisions were based - can be found in Assisi,
Biblioteca Communale, MS 137 : the Scotistic commission’s MS A. In
terms of omissions, we clearly lack a reliable date for question 1 of the
Quaestiones miscellaneae de formalitatïbus (the so-called Logica ; the
remaining questions are probably inauthentic), though I agree with the
universal judgment that this work is closely associated - in terms both
of its content and of the manuscript tradition - with the Parisian
Reportatio.
In what follows, I shall consider the standard story, found in the
literature, on the developments in Scotus’s thought on the question of
the simplicity of a divine person, and then try to show why I believe
that this narrative is defective. I shall finally draw some conclusions for
the question of any development in Scotus’s thinking on the simplicity
of the divine essence.

I. T h e s i m p l ic it y o f a d iv in e p e r s o n :
THE STANDARD STORY

The now standard story was first proposed by Hester Goodenough


Gelber in her 1974 dissertation, Logic and the Trinity : A Clash o f
Values in Scholastic Thought 1300-1335.4 According to Gelber,

presupposition that no one denies. It is clear that the Wadding version of book 1 of
the Reportatio is defective. In what follows, I use the Scotistic commission’s
Reportatio A for information on Scotus’s early Parisian teaching.
3 Sixthly, book 7 of the Metaphysics questions - which I consider briefly in a
footnotes below - should be given a date after the first two books of the Ordinatio.
For all of these dates, see briefly CROSS, Duns Scotus, p. 3-6.
4 Ph. D. dissertation, University of Wisconsin, 1974.
522 RICHARD CROSS

Scotus’s earliest teaching on the matter, found in the Lectura, contains


various claims that may have led opponents to believe Scotus to be
positing some sort of real distinction in God. Thus, Scotus in this work
talks about the essence and personal property of a divine person as
‘virtually’ distinct entities, or realities, or formalities, where such
virtual distinction entails that the distinct entities are such that ‘one is
not formally the other’ - that is to say, that the definition - as Scotus
puts it, the ‘formal ratio’’ - of one is not included in the formal ratio of
the other.5 Furthermore, Scotus makes these claims in a way that
implied a strong commitment to the teaching proposed : ‘Let whoever
can grasp this, grasp it, because that it is so, I do not doubt’.6
Gelber follows Friedrich Wetter in supposing that Scotus came
under a degree of suspicion in 1302-3 for supposedly positing some
sort of real distinction in God, incompatible with divine simplicity.
According to Gelber, this was the catalyst for a modification - indeed,
moderation - of Scotus’s views on divine simplicity.7 Wetter cites the
evidence for this described by Balie, who found in an addition to an
early manuscript of Scotus’s Reportatio - Worcester Cathedral, MS F.
69 - certain Notabilia Cancellarii addita super tertium, and hypothe­
sized that the Chancellor was Godfrey of Fontaines, and the that
Notabilia contained disputations held under Scotus at the Sorbonne,
defending his positions in the presence of the Chancellor, probably in
1302-3.8 According to Wetter and Gelber, Scotus’s later writings
modify the bald teaching of the Lectura in a way designed to allay
these fears about divine simplicity.

5 See SCOTUS, Lect. I, d. 2, pa. 2, qq. 1-4, n. 272 (Vat. XVI, 215).
6 Ibid. n. 275 (Vat. XVT, 217) ; for Gelber’s discussion of Lect. see Logic and the
Trinity, p. 72-77.
7 See F. WETTER, Die Trinitätslehre des Joannes Duns Scotus, Munster,
Aschendorff, 1967 (Beiträge zur Geschichte der Philosophie und Theologie des
Mittelalters, NF 41/5), p. 63 ; GELBER, Logic and the Trinity, op. cit., pp. 71-72.
8 For brief summaries of the disputes on topics relevant to divine simplicity and
the formal distinction, see C. BALIC, Les commentaires de Jean Duns Scot sur les
quatre livres des Sentences, Louvain, Bureaux de la revue, 1927 (Bibliothèque de la
Revue d’histoire ecclésiastique, 1), pp. 169-172, 173-174, 177-185 ; for the
hypothesis, see ibid., pp. 185-198.
SCOTUS’S PARISIAN TEACHING ON DIVINE SIMPLICITY 523

Taking the account in book 1 of the Reportatio next, Gelber


distinguishes two different views, one found in distinction 33, question
1, and the other found in distinction 33, questions 2 and 3, and
distinction 34, question 1. As Gelber understands the position, Scotus
refers with favour, in question 1, to Bonaventure’s modal difference
between essence and property.9 But the situation is very different in
question 2, where Bonaventure’s modal distinction is rejected - along
with another opinion, according to which essence and relation differ as
one absolute and one relative thing - on the grounds that such a
distinction is real, and thus entails composition.10 And composition is
inconsistent with divine simplicity. According to Gelber, Scotus repla­
ces these proposals with his own, one which avoids the problem of
composition. As Gelber understands the replacement position, it invol­
ves discerning two different sorts of qualified or secundum quid
distinction. According to Gelber, the first, a distinction realiter
secundum quid, involves referring the qualification, secundum quid, ‘to
reality’. In relation to Scotus’s teaching on essence and property,
Gelber summarizes as follows :
Scotus did not pose a distinction realiter secundum quid, however,
because then the distinction between essence and relation would be a
distinction between realities and would violate the simplicity of the
formally distinct divine essence.11

A distinction realiter secundum quid, then, according to Gelber,


involves some sort of ‘distinction between realities’. The second sort of
distinction is ex natura rei secundum quid, and according to Gelber
does not involve such a distinction between realities :

9 GELBER, Logic and the Trinity, op. cit., pp. 80-81 ; for the distinction, see
BONAVENTURA, In I Sent., d. 33, q. un., a. 2 ( 0 0 , 1, 575b) ; In I Sent., d. 22, q. un.,
art. 4 ( 0 0 , 1, 398a-b).
10 According to Gelber, this position represents a later development of a position
that has its remote origin in Aquinas : see Logic and the Trinity, op. cit., pp. 15-35,
43-59.
11 For all of this, see ibid., p. 82, referring to DUNS SCOTUS, Rep. par. I, d. 33, q.
2, nn. 8-9 (Wad. XI, 186a).
524 RICHARD CROSS

A real distinction secundum quid could also mean that the essence and
relations were distinguished ex natura rei secundum quid, and according
to this form of distinction the essence and relations remain one reality.12

It is in this way that Scotus holds essence and property to be


distinct secundum quid, and the point is presumably that, while distinct,
essence and property remain ‘one reality’.
This marks a divergence from the Lectura teaching, according to
Gelber, since Scotus now wants to deny that there are two entities, or
realities, or formalities, in one person. Scotus goes on to give an
account of the way in which the essence and relation, while distinct, are
non-identical only secundum quid. The first way is formal, defined in
much the same way as in the Lectura. The second is adequate non­
identity, where one entity somehow ‘exceeds’ the other. Essence and
personal property are distinct secundum quid in both of these ways.13
Gelber summarizes what she takes to be the difference between this
account and the earlier one :
Where before Scotus spoke of a distinction between two realities, here he
seems to reject such a view of God.... One might have concluded from the
Lectura that Scotus advocated some form of positive distinction or non­
identity in God, but in fact, as he elaborated the position at Paris, he means
only a quasi-distinction or non-identity in which all of the requirements for
distinction exist except simple non-identity.14

According to Gelber, the Ordinatio, which she dates later than the
Reportatio, continues and further refines this tendency towards divine
simplicity. First, Scotus’s commitment to his proposed view is far
weaker : T say without asserting it or without prejudice in the face of a

12 GELBER, Logic and the Trinity, op. cit., p. 82, referring to DUNS SCOTUS,
Rep. par. I, d. 33, q. 2, n. 9 (Wad. XI, 186a).
13 GELBER, Logic and the Trinity, op. cit., p. 84, referring to DUNS SCOTUS,
Rep. par. I, d. 33, q. 2, nn. 11-12 (Wad. XI, 186b-187a).
14 GELBER, Logic and the Trinity, op. cit., p. 85. Gelber finds much the same
teaching in the Qu. mise. : see Logic and the Trinity, op. cit., pp. 90-96. Gelber is
right about this, and I am not going to discuss the Qu. mise, in any great detail. For
the account of secundum quid distinction in Ou. mise., see Qu. mise. I, nn. 8-10 (Wad.
m, 443b-444a).
SCOTUS’S PARISIAN TEACHING ON DIVINE SIMPLICITY 525

better opinion...’.15 Furthermore, Scotus claims that it is better to claim


that the essence and property are such that ‘they are not formally the
same’, rather than that they are formally distinct.16
The most influential account of these matters is offered by Marilyn
Adams. She follows Gelber closely, though is inclined to see the
Ordinatio account as belonging more closely to the Lectura than to the
Reportatio.17 As far as the contrast between the Lectura!Ordinatio and
the Reportatio!Quaestiones Miscellaneae goes, Adams notes that in the
former pair, but not in the latter pair, the extramental distinction
‘alternative to the real distinction between one thing {res) and
another’18 involves distinguishing ‘within what is really one and the
same thing non-identical or distinct property-bearers’.19 In the Lectura
and Ordinatio - according to Adams the two earlier works - the mark
of a formal distinction on Adams’s reading is simply that the relata -
the entities distinguished - have some sort of diminished being.20 But,
according to Adams, there is in the earlier works a real plurality of
realities, formalities, rationes, rationes formales, intentions, or rationes
reales in one thing21 it is this real plurality that gives Adams her
distinct ‘property-bearers’. In the latter pair of works, contrariwise,
Scotus reverses the position. It is not that the distinguished entities have

15 DUNS SCOTUS, Ord. I, d. 2, pa. 2, qq. 1-4, n. 389 (Vat. II, 349), cited in
GELBER, Logic and the Trinity, op. cit., p. 96.
16 DUNS SCOTUS, Ord. I, d. 2, pa. 2, qq. 1-4, n. 404 (Vat. II, 257), cited in
GELBER, Logic and the Trinity, op. cit., p. 99.
17 M. M. ADAMS, “Ockham on Identity and Distinction”, Franciscan Studies 36
(1976), pp. 5-74 ; see pp. 25-27, n. 67, where she notes that the Ord. follows the Lect.
closely. She holds too, however, that the Ord. includes elements in common with the
Rep. and Qu. mise. Importantly, she notes in relation to the proposed block in the Ord.
on inferences of the form 'A is not formally the same as B ; therefore A is formally
distinct from B ’ is ‘undercut by Scotus’s remark, immediately following, regarding
the generic reality and the specific reality, that “istae duae realitates sunt una res’” (p.
27, n. 67). Thus in the Ord. as much as in the Lect. Scotus is happy to talk about
essence and property as distinct ‘realities’.
18 ADAMS, “Identity and Distinction”, p. 37.
19 Ibid., p. 30.
20 Ibid., pp. 30-33.
21 For this list, see ibid., pp. 31-32 ; see too pp. 32-37passim for examples.
526 RICHARD CROSS

diminished being, but that the distinction between them is somehow


diminished :
What makes real distinction an absolute distinction and distinction of
reason not, is entirely a difference in the ontological status of their
respective relata. Like Ockham, Scotus affirms that the relation of non­
identity is the same in the two cases [viz. in the case of absolute distinction
and in the case of distinction of reason]. Scotus’s first account of formal
distinction in the Lectura suggested that the same relation of absolute non­
identity is found between a third sort of entities - viz. formalities. In the
above-mentioned parts of the Reportata Parisiensia [viz. I, d. 33, qq. 2-3,
and I, d. 34, q. 1] and the Logica, Scotus rejects such analogies and
proposes instead that... those that are relatively distinct are... not
diminished with respect to their being.... It is their mode of identity that is
diminished or reduced.22
Adams goes on to discuss the relevant definition of a secundum
quid distinction in the Reportatio, and to show how the inference rules
governing statements about formalities never sanction anything other
than a diminished distinction, and never a straightforward or absolute
non-identity.23 Adams is absolutely right about the diminished distinc­
tion in Reportatio and Quaestiones Miscellaneae, as we shall see.
Whether she is right too about the denial of a plurality of property-
bearers, I shall discuss below.
According to Adams, there is another difference between the
Lectura!Ordinatio and the Reportatio. Adams holds that the relation of

22 Ibid., pp. 38-39. As Adams herself notes, however, Scotus elsewhere in the
Reportatio is happy with the plural usage : see ibid., p. 31, n. 75, referring to DUNS
SCOTUS, Rep. par. II, d. 12, q. 8, nn. 3-8 (Wad. XI, 331-332). Compare too Adams‘s
account in her essay, “Universals in the Early Fourteenth Century”, in The Cambridge
History o f Later Medieval Philosophy. From the Rediscovery o f Aristotle to the
Disintegration o f Scholasticism 1100-1600, eds. N. Kretzmann - A. Kenny - J.
Pinborg, Cambridge, Cambridge University Press, 1982, pp. 411-439, p. 416: ‘A
distinction between x and y may be secundum quid for one of two reasons : it may be
that the being of x and y is somehow diminished... or it may be that although x and y
are both fully real and actual, they are not absolutely non-identical.’
23 See ADAMS, “Identity and Distinction”, pp. 37-40 and 42-43 for her discussion
of Rep. ; and “Identity and Distinction”, pp. 40-42 for Qu. mise.
SCOTUS’S PARISIAN TEACHING ON DIVINE SIMPLICITY 527

formal sameness, as defined in the earlier works, is symmetrical.24 In


the Reportatio, however, Scotus claims instead that the relation is
asymmetrical,
Maintaining that if x is included in the definition of y but not vice versa,
then y is formally the same as x but x is not formally the same as y.25

As we shall see, nothing about Scotus’s presentation in the earlier


accounts entails that the relation is symmetrical. But it is certainly true
that in the earlier works, Scotus sometimes treats the relation as if it is
symmetrical. This fact, coupled with a further observation about the
transitivity or intransitivity of the relation, allows us to come to some
firm conclusions about chronology, as I shall show below.

II. T h e s im p l ic it y o f a d iv in e p e r s o n :
A PROPOSED ALTERNATIVE

There seem to me to be a number of difficulties with these


accounts. The first - which can be dealt with quickly - is that Wetter’s
belief that Scotus came under a degree of suspicion, from Godfrey of
Fontaines, in 1302, can be shown not to be based on any firm evidence.
Wetter, as I noted above, cites Balic’s speculations about the Notabilia
Cancellarii in a Worcester manuscript of Scotus’s Parisian Reportatio.
The first point to note is that there is no evidence in favour or the
hypothesis that Godfrey of Fontaines was ever Chancellor of Paris, and
this hypothesis is certainly no longer accepted. Shortly after Balic’s
proposal, P. Glorieux examined the material and concluded that it dates
from 1312, and is a record of a dispute of the early Scotist Thomas
Wylton in the presence of Francis Caracciolo, Chancellor of the
University of Paris from 1309 to 1316.26 Glorieux’s conclusion about
the identity of the chancellor was confirmed by Anneliese Maier on the

24 Ibid., p. 34.
25 Ibid., p. 40.
26 P. GLORIEUX, “Duns Scot et les ‘notabilia Cancellarii’”, Archivum Francis­
canum Historicum 24 (1931), pp. 3-14.
528 RICHARD CROSS

basis of another mention of the anonymous chancellor in a Barcelona


manuscript, though Maier judged that the material does indeed origina­
te from the first decade of the fourteenth century.27 Finally, B. Xiberta
found in a Vatican manuscript28 precisely the same teaching,
sometimes identical verbatim, on the immaculate conception as is
found attributed to the anonymous chancellor in the Worcester
manuscript.29 The Vatican manuscript reports a response of the
Chancellor to a 1312 quodlibetal disputation of Guido Terrena, establi­
shing without doubt that the Worcester material must also date from the
years of Francis’s chancellorship. So the manuscript provides no
evidence of pressure on Scotus to modify his teaching.
It seems to me, in fact, that a close reading of the texts forces us to
give a different account of the development of Scotus’s views. Part of
the difficulty is simply that the text of the relevant portion of the
Reportatio printed in the Wadding edition, while generally quite good,
is defective in one crucial sentence. Once the defect is noted, the
position in this work begins to look rather different from the way in
which Gelber presents it. Indeed, as we shall see, Scotus’s position in
the Reportatio by no means represents a weakening of his earlier
position.
Let me begin with a brief presentation of the position in the
Lectura. Scotus here introduces the notion of a ‘virtual’ difference, as
he puts it a difference ‘mid-way’ between real difference and potential
difference. The mark of real difference here is that the relata are things,
and the mark of potential difference (presumably) that one relatum has
merely potential existence.30 Virtual difference obtains when one entity
exists in another in some way, and the required sense of ‘existing in
another virtually’ is as follows :

27 A. MAIER, “Literarhistorisch Notizen über P. Aureoli, Durandus und den


‘Cancellarius’ nach der Handschrift Ripoll 77bis in Barcelona”, Gregorianum 29
(1948), pp. 213-251.
28 Vat. Lat. 1066.
29 See the discussion of Xiberta’s various views in J.-F. BONNEFOY, Le ven. Jean
Duns Scot, docteur de l'immaculée-conception : son milieu, sa doctrine, son
influence, Rome, Herder, 1960, pp. 218-219.
30 DUNS SCOTUS, Lect. I, d. 2, pa. 2, qq. 1-4, n. 271 (Vat. XVI, 215).
SCOTUS’S PARISIAN TEACHING ON DIVINE SIMPLICITY 529

Something can be understood to ‘be in another virtually’ by identity, such


however that the formal ratio of one is outside the formal ratio of the
other ; and in this way paternity is virtually in the essence, for it is the
same thing as the essence, but the formal ratio of paternity is distinct from
the essence as truly as if there were an accident in God. Virtual difference
thus obtains because one is not a thing other than the first, but is in it,
perfectly the same as this thing, while the formal ratio of the one is
distinguished from the formal ratio of the other.31

The idea here is that paternity and essence admit of different


descriptions, such that the description of one is not included in the
description of the other. This definition entails, as one commentator has
noted, that the relevant relation is intransitive.32 It does not, however,
entail that the relation is symmetrical. In fact, Scotus in this early text
defines virtual difference in terms of an asymmetrical relation between
an entity and another entity that the first entity is in : an entity that is in
another with which it is really the same is (virtually) distinct from the
thing that it is in. It seems, then, that Scotus understands the relation to
be asymmetrical, a claim that I will return to below.
As we shall see, this virtual distinction is what is labelled formal
non-identity in the Ordinatio and formal distinction in the Reportatio.33
In fact, Scotus even in the Lectura contrasts the sort of distinction here
with ‘formal identity’. Formal identity obtains when ‘the definition of
one includes the other’ ; equivalently (assuming that formal distinction
is the contradictory opposite of formal identity in the domain of really
identical objects34) the contradictory of formal identity obtains when
‘the definition of one does not include the other’.35 These definitions
are consistent with the intransitivity of formal identity and of its
contradictory. These formulations might make it look as though the
relevant relations are symmetrical. I will explain below why this im­
pression is misleading.

31 Ibid, n. 272 (Vat. XVI, 215).


32 M. M. TWEEDALE, Scotus vs. Ockham. A Medieval Dispute over Universals,
Lewiston - Queenstown - Lampeter, The Edwin Mellen Press, 1999 (Studies in the
History of Philosophy, 50A-50B), vol. II, p. 470.
33 Ibid., II, p. 509.
34 On this, see ibid., II, pp. 451-453.
35 DUNS SCOTUS, Lect. I, d. 2, pa. 2, qq. 1-4, n. 275 (Vat. XVI, 216).
530 RICHARD CROSS

Thus far, it appears that formal distinction is determined by the


degree of reality of the entities thus related. Thus, the Lectura ’s virtual
distinction is defined by contrast to a distinction between two things - a
real distinction. This impression is strengthened by a passage in which
Scotus mistakenly speaks as though there is an unqualified distinction
between two formalities - in this case, genus and difference :
Another example is of a genus and its difference, as of colour and its
separativeness as it is its difference : for the entity of colour and of its
difference is the same, but one is distinguished from the other by its formal
ratio ; whence they are really the same, and the one is the other by
identity, but the formality of one is not really the same as [that of] the
other.36
Here it is clear that what is at stake is a distinction between items
which have some sort of diminished being : formalities, not things.
Oddly, the distinction between the two formalities here appears to be
unqualified. Tweedale comments that Scotus would ‘probably reject
[this] on reflection’,37 and it is certainly inconsistent with claims that
Scotus later makes in the Quaestiones Miscellaneae, where he makes it
clear that any distinction between really identical formalities must be a
diminished, formal distinction.38 But the Lectura claim is in any case
clearly a slip. In the very same passage Scotus claims that the entity of
colour and the entity of the specific difference are (unqualifiedly) the
same, and this claim is straightforwardly inconsistent with the claim
that the two formalities are unqualifiedly distinct, assuming that entities
and formalities are the same. Indeed, Scotus’s standard usage
throughout the discussion is to ensure that the term ‘distinction’ and
related terms are qualified unless he is talking about real distinction.
Tweedale’s analysis is here worth quoting more fully, since it
represents one possible and indeed plausible account of the state of
Scotus’s thinking at this early stage in his career :
Is Scotus committed here in the Lectura to explicating the formal
distinction as just an unqualified distinction between formalities ? I doubt
it.... The way he defmes ‘virtual difference’ and later... formal sameness,

36 Ibid., n. 274 (Vat. XVI, 216).


37 TWEEDALE, Scotus vs. Ockham, op. cit., II, p. 509.
38 See DUNS SCOTUS, Qu. mise. 1, nn. 10-11 (Wad. HI, 443b-444a).
SCOTUS’S PARISIAN TEACHING ON DIVINE SIMPLICITY 531

concurs entirely with the way he defined formal non-identity in [the


Reportatio]. In my opinion [the Lectura] represents an early stab at
formulating the distinction which later is called formal, and that under
criticism Scotus was forced to develop much more precise and less
misleading formulations. But the basic idea remains the same, and at no
time did Scotus think of fonnalities as fully distinct in a situation where
they belonged to some one, completely the same, entity.39

The point is that according to the Lectura the diminished being of


the relata is sufficient to secure the diminished status of the distinction,
although this point is left implicit by Scotus ; it can be discerned only if
we take full cognisance of his general custom here of qualifying the
sort of distinction that exists between two formalities. What we cannot
tell from this account is whether the diminished being of the relata is
necessary for the diminished status of the distinction, and what the
account in the Reportatio makes quite clear is that it is not, as we shall
see.
One further point. Scotus in this early work is clearly reasonably
content with Bonaventure’s view that the distinction can be called a
distinction of reason, provided this claim is carefully qualified.40
Scotus’s account has something else in common with Bonaventure’s
too : some sort of grasp that essence and relation cannot in fact be
‘equal’ in ontological weight, as it were. If the relation is a formality, it
is nevertheless far from obvious that the essence can be. The divine
essence, after all, is an infinite subsistent substance, and thus about as
strong a candidate for ‘thing-ness’ as could be imagined. Bonaventure
captures this by thinking of essence and relation as thing and mode, and
the Lectura account’s ‘virtual distinction’ is grounded on a further
relation that is asymmetrical, namely, that of being virtually ‘in’
something.
In the Ordinatio, Scotus’s position is similar, but Scotus corrects
the impression that there could be an unqualified distinction between
two really identical formalities, and makes further clarifications to the
definition of formal non-identity too. First, the correction of the

39 TWEEDALE, Scotus vs. Ockham, op. cit., II, p. 510.


40 See BONAVENTURA, In I Sent., d. 5, q. 1, a. 1, ad 1 ( 0 0 I, 113a) ; In I Sent., d.
26, q. un., a. 1, ad 2 ( 0 0 1,453a) ; In I Sent., d. 45, q. 2, a. 1 (0 0 I, 804a-b).
532 RICHARD CROSS

Lectura ’s slip in the parallel passage (where Scotus, it will be recalled,


speaks as though there is an unqualified distinction between two
formalities) :
This reality is not formally that reality, nor formally vice versa ; rather one
is outside the ratio of the other, formally speaking, as if they were two
things, though now these two realities are one thing by identity.41

The first clause here, I think, makes it sufficiently clear that Scotus
has in mind a merely qualified or diminished distinction between two
diminished entities - the teaching that, following Tweedale, I ascribed
to him in the Lectura too.
Equally, Scotus adds more detail on what is involved in such a
distinction. Instead of claiming simply that, for formal distinction, the
definition of one does not include the other, Scotus claims :
I speak of formal identity where that which is said to be the same includes
in its formal quidditative ratio, per se in the first mode, that with which it
is thus the same.42

This is not much of a substantial change, for Scotus in the Lectura


made it clear that he was talking about definitions or, in the case of
genus and difference, what would be their definitions if they could be
defined, and the notion of predication fier se in the first mode’ is
simply the notion of a definition.
One conspicuous way in which the Ordinatio discussion differs
from the Lectura is in abandoning any asymmetrical basis for the
relation. This makes the definition of the distinction entirely dependent
on the equivalent, ‘diminished’ ontological status of the relata, and

41 DUNS SCOTUS, Ord. I, d. 2, pa. 2, qq. 1-4, n. 407 (Vat. II, 358). ADAMS,
“Identity and Distinction”, 27, n. 67, notes that the claim in the Ord. that essence and
property are distinct ‘as if they were two things’ marks a point at which the Ord.
account is specifically influenced by Rep. But I doubt this. The Led. claims that the
‘formal ratio of paternity is distinct from the essence as truly as if there were an
accident in God’ (DUNS SCOTUS, Lect. I, d. 2, pa. 2, qq. 1-4, n. 272, Vat. XVI, 215).
But substances and accidents are surely distinct things in Scotus’s account (on this,
see my The Physics o f Duns Scotus. The Scientific Context o f a Theological Vision.
Oxford, Clarendon Press, 1998, ch. 6), and thus the claim does not amount to
anything different from similar ones made in both Ord. and Rep.
42 DUNS SCOTUS, Ord. I, d. 2, pa. 2, qq. 1-4, n. 403 (Vat. II, 356).
SCOTUS’S PAJRJSIAN TEACHING ON DIVINE SIMPLICITY 533

seems inconsistent with the view that the divine essence is a thing in its
own right - a view to which Scotus remains strongly committed. So the
problem here is in seeing just how the notion of formal distinction, as
understood in the Ordinatio, could in fact have any application in the
case of the distinction between essence and property.
Scotus makes some more explicit moves towards a clear statement
that the distinction itself is qualified, rather than merely the entities
distinguished. He no longer defines a real distinction in terms of a
distinction between things. Rather, he reserves the phrase ‘real actual
distinction’ for a distinction between things (this ‘real actual’
distinction is clearly equivalent to the Lectura'1s ‘actual’ distinction,
and is likewise contrasted with a potential distinction).43 He is happy to
talk about the formal distinction as a real distinction44 - though he
repeats again the Lectura'’s claim that there is a sense in which the
distinction is a ‘difference of reason’ (i.e. of quiddity)45 - but he clearly
distinguishes this sort of real distinction from the actual distinction that
obtains between things. More importantly, Scotus is not happy in the
Ordinatio with the notion of distinction at all, and prefers to talk of two
formalities being ‘not formally the same’. Indeed, Scotus denies that it
is possible to infer from the claim ‘a and b are not formally the same’
that ‘a and b are formally distinct’.46 The disallowed conclusion here is
equivalent to ‘a and b are formally not the same’. By refusing to
sanction the inference, Scotus is, on the one hand, refusing to allow
‘formally’ to qualify the non-identity (as he puts it, ‘“formally” in the
antecedent is denied, and in the consequent affirmed’47 : ‘formally’
falls under the scope of the negation in the antecedent but not in the
consequent). And this might seem to take him further away from a
view that allows the distinction to be qualified. But, on the other hand,
it does so only by erring too far in the opposite direction : because the
distinction cannot be qualified, it is necessary to deny any sort of

43 Ibid., n. 400 (Vat. II, 355).


44 Ibid.
45 Ibid., n. 401 (Vat. II, 355) ; see DUNS SCOTUS, Lect. I, d. 2, pa. 2, qq. 1-4, n.
271 (Vat. XVI, 215).
46 DUNS SCOTUS, Ord. I, d. 2, pa. 2, qq. 1-4, n. 405 (Vat. II, 357).
47 Ibid.
534 RICHARD CROSS

distinction at all.48 It is not clear that Scotus does not want in principle
to adopt the strategy that he later adopts, of qualifying the distinction ;
though it is clear, I think, that he sees any sort of distinction here as
potentially misleading. In either case, however, it is clear that Scotus
wants to deny any sort of unqualified distinction between essence and
property, and this claim is all I need at the moment to establish the
continuity of the Ordinatio with the Reportatio.
Turning to the Reportatio, it seems to me that there is a crucial
divergence from the Lectura and Ordinatio. In the Reportatio, a formal
distinction no longer requires the diminished status of the entities so
distinguished. That is to say, Scotus comes to see that a formal
distinction can hold between undiminished things. Not all
commentators have spotted this, and the reason is that the text in
Wadding does not make the point clearly. The relevant material occurs
in the discussion of the distinction between the divine essence and a
divine person’s personal property. Scotus, as we might expect, aligns
himself with those thinkers who reject a merely rational distinction
here. But he then rejects two views according to which essence and
property could be qualifiedly entities, such that there is an unqualified
distinction between two qualified entities. The first opinion is that
essence is an absolute thing, and property a relative thing.49 The second
opinion - ascribed elsewhere by Scotus to Bonaventure50 - is that the
property is no more than a mode of the essence.51 According to Scotus,
essence and property are not distinct in either of these ways - that is to
say, Scotus wants to reject the view according to which essence and/or
property are just qualified things.52 Thus, as far as I can see, he rejects

48 For this, see TWEEDALE, Scotus vs. Ockham, op. eit, II, p. 503.
49 For this, see n. 9 above.
50 DUNS SCOTUS, Rep. I A, d. 33, q. 1, Merton College, Oxford, MS 59 [= MS
M], f. 150r (Wad. XI, 183b, n. 14) ; I quote this passage below. For the Bonaventure
reference, see n. 9 above.
51 DUNS SCOTUS, Rep. I A, d. 33, q. 2, MS M, f. 151r (Wad. XI, 185a, n. 3). The
opinion probably derives from Giles of Rome : see GELBER, Logic and the Trinity,
op. cit., p. 80.
52 ‘Dico quod essentia et relatio sic distinguuntur quod ante omnem actum
intellectus haec proprietas distinguitur ab essentiam secundum quid. Sed distinctio
aliquorum realis secundum quid potest intelligi dupliciter. Uno modo ut haec
SCOTUS’S PARISIAN TEACHING ON DIVINE SIMPLICITY 535

the first opinion for using the fact that the property is a relative thing to
buttress an inference to the claim that there can be some sort of (real ?)
distinction between essence and property without this compromising
divine simplicity ; and he rejects the second opinion for holding that the
property is not a thing but a mode. Rather, the relevant distinction is
not a distinction of ‘realities secundum quid’, for the reason that the
divine essence is a thing simpliciter - and as I will show later, Scotus is
elsewhere clear in his late works that the property is a thing in much the
same way.
Rather, Scotus holds, there is a qualified distinction between two
things, essence and property :

Scotus, Rep. I A, d. 33, q. 2, MS Scotus, Rep. par. I, d. 33, q. 2, n.


M, f. 15 l v 9, Wad. XI, 186a

Alio modo potest haec determi­ Alio modo potest haec determi­
natio ‘secundum quid’ referri ad natio ‘secundum quid’ referri ad
distinctionem, ut sit sensus quia distinctionem, ut sit sensus quod
essentia et relatio ex natura rei essentia et relatio ex natura rei
distinguuntur secundum quid, et distinguuntur secundum quid, et
sic est verum quia distinctio sic est verum quod distinctio
essentiae et relationis est rei et rei essentiae et relationis est rei sim­
simpliciter, sed distinctio est se­ pliciter, et distinctio secundum
cundum quid. quid.

determinatio “secundum quid” referatur ad realitatem et sic opiniones priores dixerunt


essentiam et relationem distingui secundum quid, quia realitas relativa non dicit
realitatem simpliciter, sed cum determinatione realitatis relativae, ut dicit prima
opinio. Secunda etiam opinio ponit quod relatio dicit aliquem modum super essentiam
qui modus non est res simpliciter sed modus talis rei. Sed non sic pono ego essentiam
et relationem distingui secundum quid realiter, quia tunc esset sensus quod distinctio
essentiae et relationis est distinctio realitatum secundum quid, quod est inconveniens,
quia essentia est res simpliciter cum sit formaliter infinita’ : DUNS SCOTUS, Rep. I A,
d. 33, q. 2, MS M, f. 151v (Wad. XI, 186a, nn. 8-9).
536 RICHARD CROSS

The manuscript makes explicit what is only implicit in the


Wadding version : the distinction is secundum quid ; what are
distinguished are ‘thing and thing’ :
In another way this qualification ‘secundum quid’ can be referred to the
distinction, so that the sense is that essence and property are really but
qualifiedly {secundum quid) distinguished, and thus it is true that the
distinction of essence and property is of unqualified thing and thing, but
the distinction is qualified.
From the point of view of the literature, the additional ‘et rei’ (‘and
thing’) is crucial in allowing a full understanding of Scotus’s teaching
here. For it makes it clear that both essence and property count as (un­
diminished) things. The claim that property could be such an
undiminished thing is clearly new, without precedent in either Lectura
or Ordinatio. As we shall see, the teaching is accepted and developed
in detail in the very late Quodlibet ; I take it that this is strong evidence
in favour of ascribing a date to the Reportatio later than either the Lec­
tura or the Ordinatio. Adams rightly sees that Scotus’s intentions here
are to deny that formally distinct objects need to be in any way dimi­
nished beings : ‘those that are relatively distinct are not diminished in
the way beings of reason are’ ;53 nevertheless, she understands Scotus
elsewhere to be denying that essence and property are ‘distinct real
things’54 - of which more in a moment. In fact, here Scotus is explicit
that essence and property are qualifiedly distinct real things. Gelber has
more difficulty, and is forced in the passage quoted above in effect to
deny that entities ‘distinguished ex natura rei secundum quid’ exem­
plify a distinction ‘between realities’, despite going on to note that es­
sence and property in God exhibit all the criteria for undiminished rea­
lity that Scotus sets out in the Parisian discussion, and which I recount
shortly. Tweedale, contrariwise, has a much firmer grasp on what is
going on. He comments on the Wadding text at this point as follows :
Scotus prudently avoids qualifying the way in which the divine essence
and relations are real things. On his view they are all unqualifiedly real
things. What has to be qualified is the way in which they are distinct.55

53 ADAMS, “Identity and Distinction”, p. 39.


54Ibid., p. 37, n. 102.
55 TWEEDALE, Scotus vs. Ockham, op. eit, II, p. 449.
SCOTUS’S PARISIAN TEACHING ON DIVINE SIMPLICITY 537

I am not sure which aspect of Scotus’s discussion Tweedale thinks


is ‘prudent’, but it is certainly clear that there are aspects of the
manuscript text which are less prudent than the Wadding text :
particularly, the attempt to tone down the manuscript claim that essence
and property are both things.
When explicating the sense in which essence and property are
distinct, Scotus lists the criteria for real or unqualified distinction. The
first recalls the distinction found in both Lectura and Ordinatio
between actual and potential distinction, but, unlike both of these
works, it makes it clear that really identical entities can be fully actual :
real distinction is ‘of actual things, not merely potential [things], as
those things that are in matter are not distinguished simpliciter, because
they are not actual’. Secondly - here recalling material from the
Lectura, where Scotus makes it clear that the formal or virtual
distinction that he has in mind there is not between a cause and the
things that can be caused (that it contains ‘virtually’)56 - real distinction
requires ‘formal, and not just virtual existence, as effects are in their
cause virtually, not formally’. Thirdly, real distinction is of things that
have unconfused existence, not like ‘the extremes in a medium, or
mixable things in a mixture’, but of things that have ‘existence distinct
by proper actualities’. Fourthly, real distinction requires ‘non-identity,
which alone completes a perfect distinction’.57

56 SCOTUS, Lect. I, d. 2, pa. 2, qq. 1-4, n. 272 (Vat. XVI, 215).


57 ‘Ad hoc quod aliqua simpliciter distinguuntur quatuor requiruntur conditiones.
Prima est quod sit aliquorum in actu et non in potentia tantum, quomodo
distinguuntur ea quae sunt in potentia in materia, et non simpliciter, quia non sunt in
actu. Secunda est quod est eorum quae habent esse formale et non tantum virtuale, ut
effectus sunt in sua causa virtualiter et non formaliter. Tertia conditio est quod est
eorum quae non habent esse confusum ut extrema in medio et miscibilia in mixto sed
eorum quae habent esse distinctum propriis actualitatibus. Quarta conditio, [est] quae
sola completiva est distinctionis perfectae, est non identitas, ut patet per Philosophum
4 Met. ubi dicit diversum et distinctum esse et idem esse non. Illa ergo distinguuntur
perfecte quae secundum esse eorum actuale proprium et determinatum sunt non
eadem simpliciter, et illa secundum quid distinguuntur quae non habent non
identitatem simpliciter sed non identitatem secundum quid’ : DUNS SCOTUS, Rep. I
A, d. 33, q. 2, MS M, f. 151v (Wad. XI, 186a, n. 9). Tweedale reads ‘quae sola
completiva est distinctionis perfectae’ to mean that the fourth condition is alone
sufficient for real distinction (TWEEDALE, Scotus vs. Ockham, op. cit., II, p. 450). As
538 RICHARD CROSS

One way for there to be qualified distinction of really identical


things is for the first three conditions here to be met, but not the last.58
Essence and property satisfy the first three criteria, but not the last, and
for this reason fail to be really distinct. Essence is actual, formal and
unconfused, ‘as if nothing else were there’ ; property likewise, ‘as if
nothing were there other than it’. But non-identity does not hold,
because, on the one hand, the essence is infinite, and thus on Scotist
teaching really the same as anything in it, since if it could be part of a
composite, it would not itself be infinite ; and on the other hand the
relation is not part of a composite because it is can (and does) exist in
the infinite essence, ‘springing from its fruitfulness’. So the two have
perfect (i.e. unqualified) identity, ‘as if [relation] were not
distinguished from [essence]’ ; their non-identity can be only secundum
quid, i.e. qualified.59
It is worth noting that Scotus does not imply here that qualified
distinction requires satisfying the first three conditions for real

he points out, this - if the correct reading - entails that Scotus understands the fourth
condition to entail the first three (ibid., II, p. 449).
58 ‘Diversitas autem in omnibus tribus primis conditionibus salvata identitate est
distinctio secundum quid quia non est non identitas nisi secundum quid’ : DUNS
SCOTUS, Rep. I A, d. 33, q. 2, MS M, f. 151v (Wad. XI, 186a, n. 9).
59 ‘Essentia vero et relatio habent tres primas conditiones quia non habent esse
possibile nec virtuale nec confusum, sed actuale formale et proprium et determinatum
quia essentia est ita perfecte secundum omnes tres primas conditiones in persona ac si
nihil aliud esset ibi ; similiter paternitas est ita perfecte ibi sicut si nihil aliud esset ibi
praeter eam. Eis tamen non competit quarta conditio quae est completiva distinctionis,
scilicet non identitas simpliciter, quia non habent sed tantum secundum quid, scilicet
secundum tres primas conditiones ; sunt enim idem simpliciter quia alterum, scilicet
essentia, est infinita formaliter. Infinitum autem est cuilibet sibi compossibili idem,
cui repugnat etiam aliquo alio perfici vel actuari, quia sic esset compossibilis cum illo
addito et per consequens non esset simpliciter infinitum. Relatio autem originis est
sibi compossibilis cum oriatur ex fecunditate eius, ut visum est supra, et ideo relatio
est eadem perfectissima identitate ac si nullo modo distingueretur ab ea, et ideo non
identitas eorum est tantum secundum quid et per consequens distinctio eorum tantum
est secundum quid. Potest enim essentiae et relationis distinctio vocari secundum quid
ex natura rei quia est eorum non identitas secundum quid ac si utrumque ex natura rei
actualiter et proprie determinate existeret sine alio’ : ibid., MS M, ff. 151v-
152r (Wad. XI, 186a,n. 10).
SCOTUS’S PARISIAN TEACHING ON DIVINE SIMPLICITY 539

distinction. As we shall see below, he seems to allow elsewhere in the


Reportatio for a distinction between entities that are not fully actual -
formalities, presumably diminished in terms of actuality, just as
outlined in Lectura and Ordinatio. The difference in the later work is
that the first condition for real distinction can be satisfied by entities
that are merely formally or qualifiedly distinct.
Clearly, satisfying the first three criteria entails being a thing in a
full sense ; from this point of view, the manuscript’s ‘et rei’ is fully in
accord with the teaching in the passage. But it should be noted that the
position is hardly designed to allay the fears of those who think that
Scotus’s position compromises divine simplicity. After all, he is now
positing not just (formally) distinct formalities, but (formally) distinct
things, and there is no sense that the distinction between them is any
more diminished than it once was - at any rate if my analysis above is
correct.
If this is correct, then we can at this point consider Adams’s claim
that the later works disallow the distinct property-bearers in one thing
that the earlier works made the mark of formal distinction. For if the
denial of an unqualified distinction is sufficient to block talk of distinct
property-bearers in one thing, then I would judge that Scotus never
accepts distinct property-bearers in one thing. (I take it that Adams
believes Scotus to accept distinct property-bearers in Lectura and
Ordinatio because she believes Scotus to accept some sort of
unqualified or absolute distinction in these works ; to this extent, she is
wrong to think that Scotus ever accepts a theory of distinct property-
bearers in one thing.) If, contrariwise, talk of qualifiedly distinct
formalities is sufficient for an acceptance of distinct property-bearers,
then it seems to me that there is no difference between the earlier works
and the later works on this score. And to this extent, I think that
Adams’s way of presenting the development of Scotus’s views - as
coming to deny, in the case of secundum quid distinction, a plurality of
property-bearers in one thing - is somewhat misleading.
The fourth criterion for real distinction adds considerably to the
discussion in the earlier texts - in terms both of rigour and of
completeness - and is worth considering in some detail. Scotus
distinguished two sorts of secundum quid distinction, formal non­
identity and adequate non-identity. The criteria for formal non-identity
remain the same as before, though spelt out in a little more detail :
540 RICHARD CROSS

Things are said to have formal non-identity when one does not belong to
the per se et primo concept of the other, as a definition or the parts of a
definition belong to the concept of what is defined, or when neither is
included in the formal ratio of the other even though they are really the
same.60
Essence and property are distinct in this way, for if they could be
defined, neither would be included in the per se definition of the other,
even though the infinity of the divine essence guarantees that they are
really identical.61
Before going on to consider the second sort of secundum quid non­
identity, it is worth pausing to consider the notion of formal non­
identity that Scotus defends in question 3 of distinction 33, and in
question 1 of distinction 34. For in this discussion, Scotus makes clear
something that it seems to me he has been presupposing throughout the
discussion, namely that relations of formal identity and formal
distinction are asymmetrical. Specifically, Scotus here holds that the
Father is formally identical with paternity on the grounds that the
person is a ‘certain whole [that] includes the property in its formal
ratio and that paternity is formally distinct from the Father.62 It has

60 ‘Dicuntur autem aliqua habere non-identitatem formalem quando unum non est
de per se et primo intellectu [eius] alterius, ut definitio vel partes definitionis sunt de
intellectu definiti, sed quando neutrum includitur in formali ratione alterius licet
tamen sunt eadem realiter, sicut ens et unum dicuntur eadem, quarto Metaphysicae;
formalis enim ratio entis non est de per se intellectu unius, cum una sit passio entis, et
passio non est de intellectu formali subiecti, et tamen sunt eadem realiter ut probat ibi
Philosophus et Commentator’ : ibid., MS M, f. 152r (Wad. XI, 186b, n. 11).
61 ‘Nunc autem si essentia et relatio in divinis defruerentur neutrum caderet in per
se definitione alterius nisi ut additum, ergo essentia non est de formali intellectu
paternitatis nec e converso. Sed differunt formaliter et habent non identitatem
formalem et quidditativam, quia formalis ratio essentiae est esse ad se, formalis ratio
relationis esse ad alterum, quae differunt quidditative, et tamen propter non identita­
tem formalem non sequitur quin unum simpliciter sit idem alteri. Patet de ente et
passionibus eius, et hoc in proposito propter infinitatem alterius extremi’ : ibid.
62 Ibid. I A, d. 33, q. 3, MS M, f. 153r (Wad. XI, 188b, n. 6). See too ibid. I A, d.
34, q. 1, MS M, f. 54r (Wad. XI, 190a, n. 2). Adams rightly presents this asymmetry
as a new feature of the account in question 3 : see “Identity and Distinction”, 40. But
it seems to me that the asymmetry may equally likely be a remnant of the original
SCOTUS’S PARISIAN TEACHING ON DIVINE SIMPLICITY 541

been argued that this approach is in conflict with Scotus’s standard


treatment of the issue. Crucially, as we have already seen, Scotus seems
to regard formulations of the form ‘x and y are formally distinct’ as
equivalent to those of the form ‘x is formally distinct f r o m / , and this
seems to entail symmetry, since we would expect the first formulation
to entail too ‘y is formally distinct from x’.63 But I think this is a
mistaken reading, and that Scotus is serious in supposing that these two
claims do not jointly entail symmetry. The full text of the relevant part
of Reportatio I A, d. 33, q. 3 makes the point explicitly :
Property and person are really distinguished secundum quid... for their
non-identity is secundum quid.... Person and property are formally the
same... but, on the other hand... property is not formally the same as the
person.64
Here Scotus treats ‘x and y are formally distinct’ as entailing ‘x is
formally distinct from ÿ , but not ‘y is formally distinct from x’. So
nothing in his treatment forces us to take the relation of formal
distinction as symmetrical. Exactly the same strategy can be used to
gloss various problematic passages from both Lectura and Ordinatio,
some of the former of which I highlighted above.65 I conclude that
Scotus does not change his mind on this issue, pace Adams. He simply
makes his views on the matter more explicit.
The second sort of secundum quid non-identity is adequate non­
identity :
Those are the same by adequate identity of which neither exceeds the other
but is precisely that thing, neither more nor less, as definition and what is
defined. Those things are said to be non-adequate in identity of which one
exceeds the other, or the unity of one exceeds the unity of the other, as
animal is related to man.... But excess or non-adequation of one to another

presentation of the material in Lect. where the notion of virtual distinction is based on
an asymmetrical containment relation.
63 See for example Tweedale’s comments to this effect on DUNS SCOTUS, Qu.
mise. 1, n. 3 (Wad. Ill, 442a), at TWEEDALE, Scotus vs. Ockham, op. eit, II, p. 476-
477.
64 DUNS SCOTUS, Rep. I A, d. 33, q. 3, MS M, f. 153r (Wad. XI, 188b, n. 6).
65 See in particular DUNS SCOTUS, Lect. I, d. 2, pa. 2, qq. 1-4, n. 275 (Vat. XVI,
216), discussed above.
542 RICHARD CROSS

can be understood in two ways : either according to predication and non­


convertibility, as animal and man are non-adequate according to predica­
tion, for animal is said of more than man ; or according to power and
perfection, as man is more perfect than animal, or form than matter.66

Adequate identity is stronger than mere formal identity : it entails


definitional coincidence ; two items have lack adequate identity if their
definitions do not coincide. Adequate identity entails formal identity -
though not vice versa - and in such a case the relevant relation of
formal identity will be transitive. Equivalently, formal non-identity
entails adequate non-identity, though not vice versa, and again the
relation of adequate non-identity will be transitive. The cases of
‘excess’ are presumably supposed to provide suitable tests for adequate
non-identity even in cases where the intensions of the various concepts
(or of the concepts representing the relevant things) overlap : the
concepts can differ in extension (predication/non-convertibility) or in
perfection, and presumably satisfying one of these is sufficient for
adequate non-identity.
Essence and property satisfy both ‘excess’ criteria ; they are thus
things with adequate non-identity. The perfection excess is obvious
enough : essence exceeds personal property in perfection for essence is
formally infinite in a way that personal property is not (it is not
possible for there to be more than one formally infinite entity or thing).
We might think that essence exceeds property in predicability too, for it
is predicated of more things than any one personal property is. But
Scotus disagrees. He focuses on ‘personal property’ as a second
intention concept, and holds that this second intention concept is

66 ‘Essentia et proprietas non sunt eadem identitate adaequate, cuius sunt illa
quorum neutrum excedit alterius, sed est praecise illud neque magis neque minus, ut
definitio et definitum, sed non-adaequata in identitate dicuntur illa quorum unum
excedit aliud, vel unitas unius excedit unitatem alterius, sicut se habet animal ad
hominem. Essentia autem et proprietas non sunt eadem adaequate. Excessus autem
vel non-adaequatio unius ad alterum potest intelligi dupliciter, vel secundum
praedicationem vel non-convertibilitatem, ut se habent animal et homo secundum
praedicationem inadaequate, quia animal dicitur de pluribus quam homo. Alio modo
secundum virtutem et perfectionem, ut homo est perfectius quid quam animal vel
forma quam materia’ : DUNS SCOTUS, Rep. I A, d. 33, q. 2, MS M, f. 152r (Wad. XI,
186b-187a, n. 12).
SCOTUS’S PARISIAN TEACHING ON DIVINE SIMPLICITY 543

predicated of the persons ‘formally and substantially’. Contrariwise, the


first intention concept of essence is not thus formally predicated of the
persons.67 The ‘(divine) essence’, in standard syntactic contexts, is to
be understood as signifying the divine essence in abstraction from any
divine person. Thus it is not the case that it is predicated formally of
anything - although, of course, it is predicated by identity of each
person. It is not the case that each divine person is the divine essence in
the way that each divine person is God.68
In the light of this, we can consider in more detail passages in the
Reportatio discussion that have led commentators such as Marilyn
Adams at times to deny that Scotus believes that essence and property
are (qualifiedly-)distinct real things. For on the face of it, this is exactly
what Scotus claims ; the relevant passages must thus be read very
carefully, but the revised text of the Reportatio, noted above, makes it
imperative to undertake such a reading, lest Scotus end up contra­
dicting himself even in the same question. First, relevant passages from
question 2 :
Ex quibuscumque distinctis ex natura rei est aliquid unum, alterum eorum
est actus et alterum potentia. Si ergo essentia et relatio qualitercumque
distinguuntur ex natura rei et ex eis est persona, ergo alterum eorum erit
actus et alterum potentia, et per consequens persona divina erit composita
ex natura rei, quae destruit simpliciter simplicitatem eius, ergo etc.69

67 ‘Primo modo proprietas transcendit essentiam quia de pluribus formaliter


praedicatur quam essentia, quia secundum Damascenum c. 8, essentia tantum est
communis tribus personis communitate reali ; proprietas autem, ut prius ostensum est,
prout abstrahitur ab hac et ab illa et tertia (paternitate, filiatione et spiratione), est
communis eis communitate rationis et praedicatur de eis formaliter et in quid, et sic
proprietas non est eadem essentiae adaequate secundum praedicationem. E converso
autem essentia excedit propriatetem secundum virtutem et perfectionem, quia ipsa est
formaliter infinita, non sic aliqua proprietas personalis, ergo non sunt eadem
adaequate secundum perfectionem et virtutem. Patet ergo quod essentia et proprietas
non sunt eadem identitate adaequata’ : ibid., MS M, f. 152r (Wad. XI, 187a, nn. 12-
13).
68 On this, see DUNS SCOTUS, Ord. I, d. 5, q. 1, n. 24 (Vat. TV, 22-23).
69 DUNS SCOTUS, Rep. I A, d. 33, q. 2, MS M, f. 151r (Wad. XI, 185a, n. 4), my
italics.
544 RICHARD CROSS

The italicized ‘ex natura rei’ here qualifies the distinction, and
asserts that the rejected distinction is unqualifiedly real, not that the
items distinguished are not unqualifiedly real things.70 Further, the
argument makes the point that any composition from really distinct
components requires one component to be potential, and the other
actual - a claim that I will need to return to below (Scotus later holds
that there is a distinction ‘ex natura rei secundum quid’ between
essence and property : a qualified extramental distinction) :
Item omnis res generalissime accipiendo rem habens distinctionem ab alia
re qualitercumque aut est ens informans aut informatum aut per se exis-
tens.71
A very problematic passage, since it seems to assert that whenever
one thing is distinct from another in any way (i.e. presumably including
qualified distinction), then there is composition. We could just about
take ‘qualitercumque’ to modify ‘re’, not ‘distinctionem’ ; otherwise
we presumably should understand Scotus to be picking out varieties of
real, unqualified, distinctions : between matter and form, and between
distinct substances.
Si relatio est distincta realitas a realitate essentiae, aut sic est essentia
creata, vel increata. Si increata, ergo ut est realitas distincta ab essentia est
essentia divina, quae est solummodo increata. Si creata, ergo est crea­
tura.72

Adams takes this as evidence that Scotus wants to deny a


distinction of realities.73 Now, as I have been arguing, Scotus in the
Reportatio certainly denies that essence and property are distinct for­
malities : this is because he believes essence and property to be distinct
things. But the point is that the distinction that exists is qualified ; in
this passage it is unqualified (Scotus talks about an unqualifiedly
‘distinct reality’), and this is why the position is rejected. Likewise for
the following :

70 Adams uses this passage as evidence in favour of her view that the relata of a
distinction secundum quid should not count as things : see “Identity and Distinction”,
p. 37, n. 102.
71 DUNS SCOTUS, Rep. I A, d. 33, q. 2, MS M, f. 151r (Wad. XI, 185a, n. 5).
72 Ibid., MS M, f. 15lv (Wad. XI, 185b, n. 7).
73 ADAMS, “Identity and Distinction”, p. 37, n. 102.
SCOTUS’S PARISIAN TEACHING ON DIVINE SIMPLICITY 545

Cum simplicitate personae divinae stat quod relatio et essentia non tantum
per actum intellectus distinguuntur, nec tamen ita distinguuntur ex natura
rei quod relatio sit alia realitas a realitate essentiae.74

According to Gelber, question 2 of distinction 33 represents a


modification of question 1. Her reason for thinking this is that in
question 1 Scotus seems to accept Bonaventure’s view that there is a
modal distinction between essence and property, whereas in question 2
he rejects this modal distinction. Indeed, he seems in question 1 to
allow a stronger position too, according to which essence is distin­
guished from property as ‘absolute thing from relative thing’.75 Both of
these views are rejected in question 2. But what exactly is Scotus
conceding in question 1 ? The point is simply that whatever distinction
exists it is more than merely rational. Both positions canvassed here are
inconsistent with the view that the distinction between essence and
property is merely rational. But as presented here, they are not

74 DUNS SCOTUS, Rep. I A, d. 33, q. 2, MS M, f. 15 lv (Wad. XI, 186a, n. 8).


75 ‘Essentia distinguitur a proprietate et e converso non tantum secundum
considerationem intellectus sed ex natura rei. Et tunc posset dici secundum opinionem
secundam quod essentia distinguitur a proprietate realiter ut res absoluta a re relativa,
non tantum ut comparatur ad oppositum, ut dicit ista opinio, sed etiam ut comparatur
ad subiectum et ad essentiam, quia numquam potest intelligi relatio, cuicumque
comparetur, sine respectu ad oppositum, manente ratione relationis ; nec tamen est
compositio propter hoc, quia alterum istorum includit infinitatem ; uterque est idem
cuilibet quod est in divinis, cum infinito enim nihil facit compositionem quia transit
in veram identitatem eius. Vel potest dici secundum alium doctorem antiquum,
scilicet Bonaventuram, quia nec differunt tantum ratione nec omnino realiter, sed
quasi medio modo, quia dicunt eandem rem secundum modum diversum habendi
eam. Patet per eum in distinctione ista, in quaestione etiam qua quaerit an proprietas
sit persona ; dicit quod tenendum est medium inter opinionem Praepositini dicentis
proprietatem nullo differre a personis et opinionem Porretani ponentis eam simpliciter
differre a personis... Et ex hac distinctione solvit multa argumenta quae probant
proprietatem non esse essentia, patet ibi, et ista distinctio quam ponit inter essentiam
et proprietatem potest dici modalis quae est ex natura rei praeter actum intellectus.
Nec ista distinctio modalis arguit compositionem in persona, quia licet modus non sit
illud cuius sit modus, tamen ille modus propter infinitatem illius cuius est - scilicet
essentiae - identitate praedicatur de illa et est idem cum illa, eo quod non facit
compositionem cum ea, ratione infinitatis per quam continet omnia quae sibi non
repugnant’ : ibid., I A, d. 33, q. 1, MS M, f. 150r (Wad. XI, 183b, n. 14).
546 RICHARD CROSS

inconsistent with the view that Scotus himself defends in question 3,


namely that the extramental distinction between essence and property is
a qualified or diminished kind of distinction. The reason why he rejects
the views in the second question is that he understands both views to
posit not only a diminished distinction, but also diminished entities. So
it is not clear to me that we should see the discussion in question 2 as
taking a radically new direction - though it is true that someone reading
Scotus’s earlier accounts might be forgiven for thinking that Scotus
would find the notion of diminished entities here quite applicable, and
thus be surprised by the turn of the discussion in question 2.
Can we draw any firm conclusions about the relative chronologies
of the Reportatio and book 1 of the Ordinatio ? It seems to me that the
distinction between formal and adequate non-identity is required for the
Ordinatio, but not clearly drawn in this work : indeed, Scotus does not
seem to have such a firm grasp on the nature of formal non-identity in
book 1 of the Ordinatio as in the Reportatio. In the Ordinatio, Scotus
sometimes speaks of formal non-identity as though it is adequate non­
identity. Thus, he sometimes treats it as though it is symmetrical, and
sometimes as though it is transitive too. On the symmetry claim, he
treats the claim that any personal property is formally distinct from the
divine essence as equivalent to the claim that the essence is formally
distinct from the personal property.76 Both symmetry and transitivity
are illustrated in the following argument :
It was shown in distinction 2... that personal property is not formally the
same as the essence ; and in distinction 26... that property is not formally
the same as the person. And what is said too about the formal non-identity
of property with essence entails that person is not firstly formally the same
as the essence.

To make this inference go through, Scotus requires both symmetry


and transitivity. Clearly, there are two separate distinctions here -
formal and adequate non-identity - and Scotus in the Ordinatio does
not seem to have a clear grasp of this. I conclude that the main text of
Ordinatio 1 here must be earlier than Reportatio 1. In the Ordinatio,
Scotus is simply unaware of distinctions that he will draw in Repor-

76 For the first claim, see DUNS SCOTUS, Ord. I, d. 26, q. un., n. 12 (Vat. VI, 3) ;
for the second, see Ord. I, dd. 33-34, qq. 1-3, n. 2 (Vat. VI, 244).
SCOTUS’S PARISIAN TEACHING ON DIVINE SIMPLICITY 547

tatio, and does not have a clear grasp of the logical properties of the
formal non-identity as contrasted with adequate non-identity. In a
margin note to distinction 8, Scotus does indeed make use of the notion
of ‘adequate identity according to perfection’77 - though it is my
contention that some of the marginal notes in the Ordinatio, unlike the
main text, are indeed later than the Reportatio, and this marginal note is
clearly a case in point.78
One odd feature of the account in Reportatio, book 1, distinction
33, question 2, is that Scotus rejects the views of his two opponents,
just outlined, on the grounds that one of the relata - the divine essence
- is unqualifiedly a thing. I have mentioned the relevance for this for
questions of dating above (arguing that the Reportatio is most closely
associated in this context with the very late Quodlibet). I do not know
whether the view that the divine essence is an absolute (rather than a
relative) thing is sufficient to guarantee the view that the divine essence
is unqualifiedly a thing. But it is clear that Bonaventure’s view -
according to which the divine essence is a thing, and the property a
mode of that thing - is perfectly consistent with the grounds that Scotus
gives for rejecting it. As Tweedale notes :
Scotus fails to consider here that perhaps his opponent requires that only
one of the distinguished realities be a qualified reality, in this case the
relation of origin. Adopting this option cannot, however, rescue the oppo­
sition. Just as it was argued in [Rep. par. I, d. 33, q. 2, n. 2] that making
the relation an ens rationis results in the Person being an ens rationis, so
Scotus could claim that treating the relation as a qualified reality will make

77 Ord. I, d. 8, pa. 1, q. 4, n. 215 (Vat. IV, 273). The assertion here is that ‘good
and wise are the same... by adequate identity according to perfection, for both are
infinite’. This represents a slight modification on the Rep. for the Rep. treats either
form of excess (predication or perfection) as sufficient for adequate non-identity ; in
the Ord. margin note, either one is necessary but clearly not sufficient for adequate
non-identity.
78 See too the following interpolation at DUNS SCOTUS, Ord. I, d. 2, pa. 2, qq. 1-
4 (Vat. II, 373,1. 18-374,1. 15) : ‘[Essence and property] are neither per se the same
thing, nor per se two things ; but, if we take away the syncategorematic “per se”, then
indeed the affirmative is true, viz. “they are the same thing”, I take it an attempt to
claim that essence and property are unqualifiedly the same thing (res), though neither
the same nor different if the relation is qualified as per se.
548 RICHARD CROSS

the Person a qualified reality, a position not likely to appeal to the


orthodox.79

Tweedale, it seems to me, is a bit hard on the opponents here. It


seems clear enough that if what distinguishes the person from the
essence is merely an ens rationis, then the person will be - in so far as
distinct from the essence - an ens rationis. But it does not seem so
obvious that if what distinguishes the person from the essence is some
sort of diminished entity, then the person will be - as distinct from the
essence - a diminished entity. My haecceity is a diminished entity that
distinguishes me from the common nature of humanity, but this does
not seem to make me a diminished entity relative to the common
nature. Quite the contrary !
Still, Tweedale’s instincts are exactly right as regards Scotus. If we
turn to the Quodlibet, we find Scotus using more or less the argument
that Tweedale proposes to aid the Reportatio account. In this sense, the
Quodlibet supplements the Reportatio, and provides an argument to
show why the property too, like the essence, must be a thing. Clearly,
this places the Quodlibet at, prima facie, a considerable distance from
the early works, where Scotus thinks of the essence and properties as
formalities. I think of the Quodlibet here as building on the discussion
found in the Reportatio, and taking it somewhat further. It seems to me,
then, that Scotus does not want to modify the fundamental view found
in the Reportatio, though he perhaps abandons the asymmetry claim of
Reportatio I A, d. 33, q. 3. Rather, the perspective found in the
Reportatio, supplemented by the Quodlibet, represents the last stage in
Scotus’s thinking on the question of the simplicity of a divine person.
The discussion in Quodlibet 3, hugely interesting for many
reasons, begins with a simple analysis of the different senses of ‘thing’,
which is, as Scotus notes, ‘an equivocal term’. From broadest to most
specific, Scotus discerns four possible senses : anything non-contra­
dictory ; anything extramental ; anything non-relational ; anything
substantial.80 Scotus holds that the personal property of a divine person

79 TWEEDALE, Scotus vs. Ockham, op. eit, II, p. 449.


80 DUNS SCOTUS, Quodl. HI, nn. 2-3 (Wad. XII, 67-68 ; Alluntis - Wolter, 61-
63 ;nn. 3.6-3.14).
SCOTUS’S PARISIAN TEACHING ON DIVINE SIMPLICITY 549

is a relation, and that it is a thing in the first two senses.81 The basic
reason is that the relevant sort of relation is not just mind-dependent : it
is a property responsible for relating one thing to another, and in order
to do this it must have some entity of its own, distinct from the entity of
the thing it relates.82 But what sort of entity is this ? Not as fully real as
non-relational entities, for ‘they lack the sort of being found in the
things of which they are the circumstances, and to the extent that
something departs from perfect reality it approaches the rational’.83 So
a relation has some sort of diminished being. But this diminution
cannot be great, because Scotus goes on to note that a catégorial
relation and the thing it relates are really distinct, such that the thing
related is separable from the relation and can exist without it.84 (The
diminution claim here marks a slight shift from the position in
Reportatio, where Scotus seems to claim that there is no kind of entity
midway between real and rational : ‘Nothing comes between a real
being and [a being] of reason’.85) Thus Scotus holds that a catégorial
relation in creatures ‘has its own accidentality, for it is a thing in itself
and yet it is not the thing on which the relation is based nor is it a thing
that is being per se, as substance is’.86 There is no thought that a
relation in God is less real than a relation in creatures - all it lacks is
accidentality, and, as Scotus notes a little later, the question of the

81 Ibid., nn. 3, 5 (Wad. XII, 68, 71 ; Alluntis - Wolter, 63-64, 65 ; na. 3.16-17,
3.21).
82 Ibid., nn. 8, 9-10 (Wad. XII, 75, 76 ; Alluntis - Wolter, 67-69 ; nn. 3.29-30,
3.32-33).
83 Ibid, n. 9 (Wad. XII, 76 ; Alluntis - Wolter, 68 ; n. 3.31).
84 Ib id , n. 15 (Wad. XII, 81-82 ; Alluntis - Wolter, 73-4 ; n. 3.46).
85 DUNS SCOTUS, Rep. I A, d. 33, q. 2, MS M, f. 151v (Wad. XI, 186a ; n. 8),
though note that the Quod, position could be that the relation is a real being, just a
diminished one ; this does not entail that there is a third sort of being, neither real nor
of reason. Perhaps in any case the diminution required in the Quod, is not supposed to
make the relations any less ontologically dense or robust ; perhaps it is simply
supposed to draw attention to the fact that relations are, from an ontological point of
view, more dependent than non-relational items, since relations require something
extrinsic for their existence : namely the extrinsic item to which the relations relate -
the terminus of a relation.
86 DUNS SCOTUS, Quodl. Ill, n. 15 (Wad. XII, 81 ; Alluntis - Wolter, 73 ; n.
3.44).
550 RICHARD CROSS

identity of a relation in God with the divine essence is a different


question : ‘the question about the reality of a relation is not a question
about its otherness’,87 and furthermore the question about identity is
‘more difficult than the question under discussion’.88 Catégorial
relations in creatures are really distinct from their foundations, because
their foundations can exist without the relations. Relations in God are
no less beings than relations in creatures are : indeed, the relevant parts
of the argument in Quodlibet 3 rely on the presupposition that, in terms
of entity, divine and catégorial relations are equally unqualified, or
equally diminished. Scotus at one point talks about the inseparability of
essence and relation in God by using the traditional language of the
relation ‘merging’ with the essence :
In this way [i.e. merging in such a way as not to remain really distinct but
nevertheless to retain relational entity of its own], it does not remain really
distinct. But for all that it is a thing outside the soul with its own reality
that is relation. Thus ‘it remains’, to the extent that ‘remains’ excludes any
merging that is destructive of its proper reality.89
We have seen why Scotus in the Reportatio holds that the divine
essence is a thing. Why in Quodlibet 3 does he hold too that the
relation is a thing in the sense just outlined? Scotus gives two
arguments, the first of which casts light not only on his position in the
Reportatio, but also on his metaphysics in general. The argument relies
on the view that essence and property are somehow constituents of a
divine person. The qualification here is important, for, as we have seen,
composition is a relation that obtains between really distinct things ;
anything composed includes at least one potential and at least one
actual thing, and Scotus of course does not believe that there could be
potency in God :
Whenever components that are somehow distinct make up a third, they do
so only in so far as they are interrelated and united in some way. This is
clear from the case of extrinsic causes which never function as such unless
they concur some way in causation. It is even clearer in regard to intrinsic
causes which never constitute a subject unless they are united in their own

87 Ibid., n. 22 (Wad. XII, 84 ; Alluntis - Wolter, 78-79 ; n. 3.57).


88 Ibid., n. 21 (Wad. XII, 84 ; Alluntis - Wolter, 78 ; n. 3.55).
89 Ibid.
SCOTUS’S PARISIAN TEACHING ON DIVINE SIMPLICITY 551

fashion. Now all agree a [divine] person is constituted by the essence and a
relation, whatever their function as principles may be. Therefore, they do
so to the extent they come together or concur, which could only happen if
the relation is in the essence. From this I gather that the two constitute a
person only in so far as the relation is in the essence. But for a relation to
be in the essence is for it to be related to the essence independently of the
mind’s consideration in the truest sense of the word. Therefore a relation
does not constitute a person except as related to or joined with the essence.
But it does not constitute a person except as a thing. Otherwise a person,
as formally constituted, would not be a thing. Therefore, the relation as
related to the essence is a thing.90
There are various notable points here. Constitution, in any manner
at all, requires union. And union requires components that are in some
sense distinct. (Usually it requires too a relation between the
components ; presumably Scotus holds that real identity between the
components, compatible with qualified non-identity, does not require
any relation between the components. I will return to this later.) But
why should the distinct components count as things ? Scotus
presupposes that the essence counts as a thing, and that a divine person
must be in some sense distinct from the essence. Suppose what
distinguishes the person from the essence that is a constituent of it is
not itself a thing. This entails, Scotus reasons, that a person, ‘as
formally constituted’, is ‘not a thing’. A person, on the scenario
envisaged, would not be a thing distinct from the essence ; but the
person ‘as formally constituted’ must be distinct from the essence ;
hence, as distinct from the essence, the person would not be a thing.
This looks about right. If we are supposing that there are two
correlative constituents in a thing, we would want those constituents to
be of equal ontological ‘density’. This does not mean that we would
want either of them to be things. But on the supposition that one of
them is, we would want the other one to be too. As Scotus presents his
position, what is important about it is that the components of a person
have some explanatory work to do - specifically, the components are to
explain (among other things) how the item they compose should count
as a thing. In the light of all this, Scotus’s claim in the Quodlibet that
the relation could be diminished in being relative to the essence looks

90 Ibid., n. 4 (Wad. XII, 70 ; Alluntis - Wolter, 64 ; n. 3.19).


552 RICHARD CROSS

rather odd, and would perhaps on reflection be rejected. What


distinguishes something that is as real as the essence from the essence
must itself be as real as the essence.
It seems to me that there are some important ontological
consequences of Scotus’s late view. For on the late view, at least some
formally (qualifiedly) distinct constituents are as real as really (unquali­
fiedly) distinct constituents. What ties really distinct constituents toge­
ther are relations between them, and these relations are really identical
with their own relations of inherence.91 But it would be odd to think of
there being such catégorial relations between formally distinct items. In
the case of something constituted of merely formally distinct things, I
take it that the relation of real identity is explanatorily basic of the
substantial unity of such a thing. There is no sense in which this
relation is a relation between two (really distinct) things. Thus, I take it
that Scotus would have felt no need for a relation such as compresence
to which modem philosophers sometimes appeal in contexts not
dissimilar to the one I am presenting here.
In sum, then, Scotus’s late teaching is that essence and property
are both things, and that they must be such if they are to be constituents
of an item that is itself a thing. The distinction between these two items
is only qualified, not unqualified - the distinction, rather than the
things, is diminished. This contrasts with Scotus’s earlier teaching on
essence and property, which is that both the distinction and the items
themselves are somehow qualified or diminished. As I pointed out
above, however, the later teaching does not on the face of it require all
formally distinct items to be unqualified things. In the next section, I
will consider the question of the simplicity of the divine essence
relative to the essential attributes, and discuss more closely the question
of formal distinction between formalities.92

91 Ibid., nn. 15-16 (Wad. XII, 81-2 ; Alluntis - Wolter, 73-74 ; nn. 3.44-48).
92 Scotus’s teaching on the formal distinction in book 7 of the Quaestiones
Subtilissimae in Libros Metaphysicorum is comparatively undeveloped in terms of the
questions that I am interested in here, though clearly comes from what I am holding to
be the last phase in Scotus’s development on the issue. Thus, like the Reportatio, it
speaks of distinct items ‘really diverse’ in one thing, such that they are ‘just as
formally diverse as if they were totally different things’ (In VII Met., q. 19, n. 43 ; see
too n. 49, St. Bon. HI, 370, 371-372). Nevertheless, some aspects of In Met. are less
SCOTUS’S PARISIAN TEACHING ON DIVINE SIMPLICITY 553

in. T h e s i m p l i c i t y o f d iv in e e s s e n c e

In both the Lectura and the Ordinatio Scotus is clear about the
applicability of his teaching on the formal distinction to the question of
the relations between the divine attributes, and indeed between these
attributes and the divine essence itself. The two discussions correspond
closely. The first of these two cases is simple enough. There seems
little difficulty in thinking of the divine attributes as formalities, and
Scotus is clear that the attributes - even in their infinite degrees - are
both really identical and definitionally distinct.93 In both works, Scotus
believes that real identity is established by the fact that the attributes
are all formally infinite, and thus (necessarily) coextensive.94 In the
Ordinatio, but not in the Lectura, Scotus gives a number of considera­
tions in favour of the compatibility of this sort of distinction with
divine perfection and simplicity. In favour of the compatibility of
formal distinction with perfection, Scotus notes that formal identity
does not entail limitlessness (and thus perfection).95 In favour of the
compatibility of formal distinction with divine simplicity, Scotus
appeals to the ‘composition’ of a simple divine person from the
formally distinct components of essence and property, and even from
so-called ‘disparate’ relations (distinct relations in one and the same
person to different divine persons).96

distinctive : in particular, Scotus introduces the formal distinction as a ‘grade’ of


distinction determined by the sorts of thing distinguished, though the way in which he
does this is certainly compatible with what he has to say in Rep. Basically, Scotus
distinguishes grades of distinction in terms of whether their relata are, first, natures or
supposita, secondly natures in a thing, or thirdly different perfections or rationes in a
single nature (see In VII Met., q. 19, n. 44, St. Bon. HI, 370). The teaching does not
add anything of note to the material found in the more theological contexts.
93See DUNS SCOTUS, Led. I, d. 8, pa. 1, q. 4, nn. 172-176 (Vat. XVII, 62-63) ;
Ord. I, d. 8, pa. 1, q. 4, nn. 191-194 (Vat. IV, 260-262).
94 DUNS SCOTUS, Lect. I, d. 8, pa. 1, q. 4, nn. 186, 189-191 (Vat. XVII, 66-67,
68-69) ; Ord. I, d. 8, pa. 1, q. 4, nn. 196-197, 202, 215, 217-220 (Vat. IV, 263-264,
266, 273, 274-275).
95 Ibid., n. 202 (Vat. TV, 266) ; note that this argument is a later addition.
96 Ibid., n. 209 (Vat. IV, 269). The lack of parallel discussion in the Lectura is
perhaps reflective of greater concerns about the compatibility of Scotus’s position
554 RICHARD CROSS

Both works deal similarly with the question of the relation between
the divine essence and the divine attributes. Briefly, Scotus raises on
behalf of his more rigorist opponent an objection to the effect that a
distinction between essence and attribute will lead to composition in
God. In both works, Scotus tries to show how it can be that an attribute
F-ness can be something in virtue of which God is F, without this
entailing that the divine essence is in any sense passive relative to the
attribute. In both works - though with more detail in the Ordinatio -
Scotus argues that there are uncontroversial examples in which some
entity can be something in virtue of which an object is F without that
entity inhering in the object. The soul, for example, does not inform a
human being, but is nevertheless that in virtue of which a human being
is animate. More generally, there are two sorts of relation that can exist
between an attribute F-ness and its subject : informing, and being that
in virtue of which the subject is F. The second (which involves no
imperfection) can, in the case of certain attributes, be exemplified
without the first (which is an imperfection).97
None of the material thus far has any parallel in the Reportatio.
But in the two earlier works Scotus spends some time on a consequence
of his teaching about the simplicity of the divine essence, namely that
the divine attributes can be known merely from their formal rationes to
be really identical with each other in a way in which the personal
properties cannot be. And a close but more extensive parallel to this
discussion can be found in the Reportatio, one that differs in teaching
only slightly from the earlier works. And if there is a shift in the
Reportatio, it is again away from the relatively attenuated account of
divine simplicity that we find in the earlier works, though as we shall
see this shift is one that Scotus came to see as philosophically
problematic, and later rectified in a marginal addition to the Ordinatio.

with divine simplicity, as on the standard account. Scotus deals with disparate
relations and divine simplicity in DUNS SCOTUS, Lect. I, d. 2, pa. 2, qq. 1-4, n. 267
(Vat. XVI, 214).
97 For both arguments, laid out with more clarity in the Ord. see DUNS SCOTUS,
Led. I, d. 8, pa. 1, q. 4, n. 185 (Vat. XVII, 65-66), and Ord. I, d. 8, pa. 1, q. 4, nn.
213-214 (Vat. IV, 271-272).
SCOTUS’S PARISIAN TEACHING ON DIVINE SIMPLICITY 555

In both the Lectura and the Ordinatio, Scotus holds that the real
identity of essential divine attributes can be inferred simply from their
infinity. Thus, considered even in the ‘most ultimate abstraction’ - that
is to say, in complete abstraction from their subject (in this case, the
divine essence),98 divine attributes can be predicated of each other ‘by
identity’, as Scotus puts it. Thus, in his example, ‘(divine) wisdom is
(divine) goodness’ is true, since the infinity of these abstract attributes
is sufficient to guarantee their real identity.99 Similar claims cannot be
made in creatures, for if we abstract any creaturely attribute from its
subject (in this case, a creaturely suppositum), the attributes are simply
distinct, because formally distinct. Formal distinction is in this case
sufficient for real distinction because no cause of real identity can be
found other than the creaturely suppositum, from which the attributes
have been abstracted.100 The same is true of statements asserting real
identity between essence and essential attribute - thus deity is
goodness101 - and indeed of statements asserting real identity between
essence and personal property - thus, paternity is deity - on the
grounds that the infinity of one extreme is sufficient to guarantee the
real identity with it of anything in it.102
More problematic in both of these works is the treatment of
statements of the form ‘paternity is ungenerability’. Here neither term
is formally infinite, and thus the sufficient guarantee of real identity in
abstraction from their subject does not exist. Hence, ‘paternity is
ungenerability’ is false, even though both paternity and ungenerability

98 For ultimate abstraction, see DUNS SCOTUS, Lect. I, d. 5, pa. 1, q. un., n. 21


(Vat. XVI, 417) ; Ord. I, d. 5, pa. 1, q. un., n. 19 (Vat. IV, 19) ; Rep. I A, d. 5, q. 1,
MS M, f. 45r (abbreviated in Wad. XI, 59b, n. 5).
99 DUNS SCOTUS, Lect. I, d. 8, pa. 1, q. 4, nn. 187, 189 (Vat. XVII, 67, 68-69) ;
Ord. I, d. 8, pa. 1, q. 4, nn. 217, 220 (Vat. IV, 274, 275).
100 DUNS SCOTUS, Lect. I, d. 8, pa. 1, q. 4, n. 191 (Vat. XVII, 69) ; Ord. I, d. 8,
pa. 1, q. 4, n. 219 (Vat. IV, 275).
101 DUNS SCOTUS, Lect. I, d. 8, pa. 1, q. 4, n. 189 (Vat. XVII, 69) ; Ord. I, d. 8,
pa. 1, q. 4, n. 221 (Vat. IV, 276).
102 DUNS SCOTUS, Lect. I, d. 8, pa. 1, q. 4, n. 189 (Vat. XVII, 69) ; Ord. I, d. 8,
pa. 1, q. 4, n. 221 (Vat. IV. 276).
556 RICHARD CROSS

are really identical with the divine essence.103 Does Scotus think that
paternity and ungenerability are really distinct ? He does not say as
much, and perhaps the best reading is that proposed by Tweedale :
It would be a mistake... to conclude that Scotus must think that the non­
identity between paternity and ungenerability is greater or stronger than
that between the perfections in God. Rather his point is that although the
same sort of identity, an unqualified real identity, that exists between the
divine perfections exists between paternity and ungenerability, in the
former case it can be inferred from the purely abstract considerations of
the divine perfections (i.e. on account of the mode of infinity they all
possess) while in the lat[t]er case it cannot be inferred from the abstract
considerations of paternity and ungenerability. To infer that paternity is
the same as ungenerability one has to go through a consideration of a third
entity, deity, to which these are both the same. This does not mean that
paternity and ungenerability are less formally non-identical than the
perfections, or less non-identical in any way than they.104

Two entities can be really identical even if, considered in ultimate


abstraction, they cannot be predicated of each other ‘by identity’ in the
technical sense of predication ‘by identity’.
In the relevant discussion in the Reportatio {Reportatio IA, d. 8,
q.4), the account of divine simplicity is relegated to a short exposition
of an Augustinian tag : ‘God is whatever he has, with the exception that
each person is said relatively to the other’105 - a tag that Scotus cites
too as the sed contra in book 1, distinction 33, article 2. Scotus holds -
unsurprisingly - that this ‘most truly reveals the simplicity of God’,106
on the grounds that God is not a whole having parts, or matter having
form ; hence whatever he has, he is.107 The crux of the discussion arises
in the form of a dubitatio. If God is whatever he has, then ‘every
predication [about God] is true, because anything is predicated of
anything, which is against Anselm and Boethius who say that all are

103 DUNS SCOTUS, Led. I, d. 8, pa. 1, q. 4, n. 190 (Vat. XVII, 69) ; Ord. I, d. 8,
pa. 1, q. 4, n. 221 (Vat. IV, 276).
104 TWEEDALE, Scotus vs. Ockham, op. cit, II, 571.
105 AUGUSTINUS, De Civitate Dei 11.12 (CSEL 40.1, 526,11. 8-10).
106 DUNS SCOTUS, Rep. I A, d. 8, q. 4, MS M, f. 61r ; the statement does not
have a parallel in the greatly abbreviated text in Wad. XI, 76b-77a.
107 Ibid., MS M, f. 61r (Wad. XI, 76b ; n. 2).
SCOTUS’S PARISIAN TEACHING ON DIVINE SIMPLICITY 557

one in God where the opposition of relation does not prevent it.’108 And
by Scotus’s rules about predication in God, just outlined, ‘paternity is
sonship’ is false.109 So not every predication in God is true.
Scotus’s reply concedes - in line with the view he takes elsewhere
in Lectura, Ordinatio, and Reportatio110 - that not every prediction
involving entities in God is true. Scotus makes clear his presupposition
here : that all essential divine attributes are formally distinct from each
other (‘omne abstractum... potest esse idem alicui et sic praedicari de
eo per identitatem, licet non formaliter nisi sit per se de intellectu
eius’).111 The basic reason is that infinity is the basis for true predica-

108 ‘Videtur enim si ex simplicitate Dei concipitur quod est quidquid habet, ergo
omnis praedicatio est vera, quia praedicatur quodlibet de quolibet, quod est contra
Anselmum et Boetium qui dicunt quod omnia sunt imum in divinis ubi non obviat
relationis oppositio’ : ibid., MS M, f. 61v ; see the shorter parallel at Wad. XI, 76b ;
n. 2.
109 ‘Haec non est vera, essentia est filiatio, nec haec, paternitas est filiatio’ : ibid.,
MS M, f. 61v ; for the second of these, see Wad. XI, 77a ; n. 2. The manuscript claim
that ‘essence is sonship’ is false is itself clearly a mistake (for reasons that we shall
see in a moment), though it is not one which Scotus rectifies in the course of the
subsequent discussion. In the discussion, Scotus makes it clear that ‘essence is
generation’ is true, a claim which I take it commits him to the truth of ‘essence is
sonship’ too : see ibid., MS M, f. 61v ; the relevant claim is missing in Wadding.
110 For the fullest discussion of this, see DUNS SCOTUS, Led. I, d. 5, pa. 1, q. un.,
nn. 20-25 (Vat. XVI, 417-420) ; Ord. I, d. 5, q. un., nn. 17-24 (Vat. IV, 17-23). See
too Rep. I A, d. 5, n. 5, MS M, f. 45r ; abbreviated version with substantially the same
teaching in Wad. XI, 59b ; n. 5.
111 DUNS SCOTUS, Rep. I A, d. 8, q. 4, MS M, f. 61v ; the passage is not in
Wadding. Scotus does not really mean ‘every’ abstract property, for he is about to
note certain exceptions. ‘Though not formally’ here is qualifying the identity, not the
mode of predication, for Scotus has already made it clear that formal predication
applies only in those cases where the predicate terms are concrete adjectives and
verbs - teaching found explicitly in all three versions of the Sentence commentary :
see Led. I, d. 5, pa. 1, q. un., n. 24 (Vat. XVI, 419) ; Ord. I, d. 5, pa. 1, q. un., n. 23
(Vat. VI, 22) ; Rep. I A, d. 5, q. 1, n. 5, MS M, f. 45r ; abbreviated version in Wad.
XI, 59b, n. 5 ; see too Rep. I A, d. 8, q. 4, MS M, f. 61v ; no parallel in Wadding.
(Note that the defective Wadding text of distinction 8 includes the following claim,
clearly inconsistent with Scotus’s affirmation of the Augustinian principle that God is
whatever he has, and failing as well to make the point about formal predication : ‘Non
558 RICHARD CROSS

tions in God ; in cases where neither subject nor predicate term have
referents that are infinite, the predications are false, even if the two
referents are really identical. Hence the claims such as ‘paternity is
ungenerability’ are false, even though paternity and ungenerability are
really (though not formally) the same. Statements such as ‘wisdom is
goodness’ are true, since both referents are infinite.112 So Augustine’s
claim is true other than in the sorts of cases just outlined.
The discussion in Reportatio book 1, distinction 8, question 4,
clearly parallels that found in Ordinatio book 1, distinction 8, nn. 218-
222 (and the briefer parallel in the Lectura), discussed above, and
although it is rather longer and more detailed that this discussion, does
not introduce any material that cannot be found in the main discussions
of the topic in distinction 5, question 1 (in all three accounts). At one
point in book 1, distinction 33, question 2 of the Reportatio, however,
Scotus makes - or seems to make - a claim that goes rather further than
any of this material :
Because paternity and essence are not adequately the same, it is not
necessary that one property is the same as the other, although they are the
same as the essence, for when any two are compared to something not
limited to them, because the things compared are not adequately that
[unlimited thing], it is not necessary that they are the same as each other,
though they are the same as the third.113
It could be that Scotus here is trying to state - in an admittedly
misleading way - that the non-adequate identity of essence and
property is consistent with the claim that the statement (e.g.) ‘paternity

quodlibet praedicatur de quolibet in divinis, quia attributa non praedicantur vere de


Deo, nisi praedicantur formaliter’: Wad. XI, 76b-77a, n. 2) ; the correct text reads as
follows (wholly in line with Scotus’s teaching in distinction 5 of all versions of the
commentary) : ‘Non quodlibet praedicatur de quolibet in divinis, quia adiectiva et
concreta non praedicantur vere in Deo nisi praedicentur formaliter’ : DUNS SCOTUS,
Rep. I A, d. 8, q. 4, MS M, f. 61v.
112 Ibid., MS M, f. 61v (Wad. XI, 77a ; n. 2).
113 ‘Quia paternitas et essentia non sunt eadem adaequate, non oportet quod una
proprietas sit eadem alteri, licet sint eaedem essentiae, quia quando aliqua duo
comparantur ad aliquid tertium illimitatum ad ipsa, quia neutrum est adaequate ipsum,
non oportet illa esse eadem inter se, licet sint eadem tertio’ : DUNS SCOTUS, Rep. I
A, d. 33, q. 2, MS M, f. 52v (Wad. XI, 187a-b ; n. 14).
SCOTUS’S PARISIAN TEACHING ON DIVINE SIMPLICITY 559

is sonship’ is false. But the wording in the text seems to imply rather
more : that the two properties are not ‘the same’ as each other, despite
being the same as a third. Tweedale rightly argues that the only
available sense of ‘the same’ here is ‘really the same’, since Scotus
explicitly states that essence and property are the same despite not
being adequately or formally identical ; real identity is all that is left,
and all that can be plausibly being denied here.114 And Scotus goes on
to give examples that make it clear that the relation he wants to reject
here is transitivity.115

114 TWEEDALE, Scotus vs. Ockham, op. eit, II, 463.


115 DUNS SCOTUS, Rep. I A, d. 33, q. 2, MS M, f. 52v (Wad. XI, 187b ; n. 14). It
might be thought that Scotus’s claim each divine person is really identical with the
divine essence but really distinct from each other person marks a similar case of the
denial of the transitivity of real identity. I have tried to argue elsewhere, however, that
claims about real identity here are a little misleading. Relative to the persons, Scotus
persistently treats the divine essence as though it were a secondary substance (a
‘such’), and claims that statements of the form ‘the Father is God’ are properly-
speaking formal predications. He argues that attempts to infer the real identity of the
persons with each other treat the essence as though it were something like a primary
substance - a ‘this’, not a ‘such’ (on this, see TWEEDALE, Scotus vs. Ockham, op.
cit., II, pp. 488-495). This treatment should certainly alert us to the fact that Scotus
does not think that claims of real identity, made between essence and person, are
anything like standard claims of real identity of the sort that Scotus holds to obtain
between e.g. the different individual properties of one and the same thing. The real
distinction between the persons, it should be noted, does not satisfy the separability
criterion for real distinction (on this, see ibid, II, pp. 576-577). Presumably, the
separability criterion obtains only a domain that includes properties or attributes of
things. On the commonality of the divine essence, see my pair of articles forthcoming
in Medieval Philosophy and Theology, “Divisibility, Communicability, and
Predicability in Duns Scotus’s Theories of the Common Nature”, and “Duns Scotus
on Divine Substance and the Trinity”. The closest cognate to Scotus’s real identity of
attributes, and of essence and property, is the relation of compresence that some
philosophers hold to obtain between the different properties of a substance.
Interestingly, compresence is a relation that - like real identity in Rep. I, d. 33, q. 2 -
is symmetrical but intransitive. Some pairs of properties in God, on the account
proposed in Rep. I, d. 33, q. 2, turn out to be both really distinct and not compresent :
e.g. paternity and sonship. But real identity and compresence are clearly distinct
relations. For Scotus’s real identity, the infinity of the relevant property is important :
560 RICHARD CROSS

Now, I do not believe that this claim is inconsistent with the claims
he makes in the passages I have been discussing. These passages do not
make an explicit statement about real distinction here, but as Tweedale
notes, the claim is clearly inconsistent with a great deal of what Scotus
has to say on other matters.116 Tweedale would, understandably, dearly
love this slip not to be part of the authentic manuscript tradition ; sadly,
it is clearly authentic Scotus. It may be that it is indeed merely a slip,
and that what Scotus wants to say is not that the properties are really
distinct, but that the explanation for their real identity is not any further
relationship between themselves, but only their relationship to some
third entity. The properties are the same as the essence, and vice versa,
since the essence unitively contains them ; as a result of this identity
are identical with each other. In the Reportatio, Scotus talks in this way
about intellect and will as powers of the soul :
The intellect does not contain the will or vice versa. They are the same by
identity only for the reason that they are in [the same] container [viz. the
soul], not for the reason that they are the same as each other - as the divine
attributes are the same not only by identity in another, but also between
themselves.117
Here, there is no suggestion that intellect and will are really
distinct. The claim is merely that their real identity has to be explained
by something other than themselves. The parallel passage in the
Wadding text of the Ordinatio does indeed claim that two things ‘the
same in relation to a third’ can be ‘distinct from each other’.118 But this
part of the text of book 2 - from distinction 15 to distinction 25 - is

hence paternity and ungenerability are (according to the account in Rep. I, d. 33, q. 2)
really distinct. Paternity and ungenerability are, however, clearly compresent.
116 TWEEDALE, Scotus vs. Ockham, op. cit, H, p. 464 ; see too H, pp. 487-488 for
a discussion of Scotus’s acceptance of the transitivity of real identity in Ord. I, d. 2,
pa. 2, qq. 1-4, n. 411 (Vat. II, 362), though in this text Scotus seems mistakenly to
accept transitivity for formal identity too.
117 DUNS SCOTUS, Rep. par. II, d. 16, q. un., n. 19 (Wad. XI, 349a). On unitive
containment, see J. A. AERTSEN, “Being and the One : the Doctrine of the
Convertible Transcendentals in Duns Scotus”, in John Duns Scotus (1265/6-1308).
Renewal o f Philosophy, ed. E. P. Bos, Amsterdam - Atlanta, Rodopi (Elementa.
Schriften zur Philosophie und ihrer Problemgeschichte, 72), pp. 13-26 (pp. 25-26).
118 DUNS SCOTUS, Ord. II, d. 16, q. un., n. 19 (Wad. VI, 773).
SCOTUS’S PARISIAN TEACHING ON DIVINE SIMPLICITY 561

inauthentic, constructed from a poor Reportatio119 and William of


Alnwick’s Additiones Magnae.119120 So the material in Wadding provides
no further support for the suggestion in book 1 of the Reportatio.
In fact, it is clear that later Scotus attempts to correct the teaching
in book 1 of the Reportatio, much as he speaks more carefully in book
2 of the Reportatio. For a marginal note to book 1 of the Ordinatio
makes it clear that the intransitivity of relations between two entities
united to some unlimited entity obtains only if the unlimited entity
itself lacks real identity.121 Tweedale’s commentary is, as ever,
helpful :
Scotus now sees that this approach [viz. that found in Reportatio I] will
work for identity only if the middle lacks unity, i.e. is not something the
same in the requisite way.... It follows that the sort of response given in
[.Reportatio I], where allowing exceptions to [the transitivity of real
identity] seemed a live option for Scotus, was wrong-headed. The mere
infinity of the middle will not create exceptions to the [transitivity of]...
identity ; some lack of unity is required in the middle, but once we have
this there is no real exception to [the transitivity of real identity].122

It seems to me then, that if we think that the intransitivity claim in


book 1 of the Reportatio is not just a slip, then it must represent a
position that Scotus was merely toying with. For by the time Scotus
reached book 2 of the Parisian lectures, the mistake about the
intransitivity of real identity has been corrected. This correction is
reflected in the later marginal notes to book 1 of the Ordinatio too.
My conclusion thus far is that - setting aside this slip - the
difference in teaching on the question of divine simplicity in Scotus’s
three Sentence commentaries is simply that in the Parisian commentary
Scotus is clear that essence and property are things, and thus that

119 The so-called Rep. B, book 2 of which is found in Padova, Bibl. Anton. MS
175, ff. lra-58rb (on Rep. B, see DUNS SCOTUS, Ord. Vat. VII, 5*-6* ; on the
unreliability of this text, see Scotus, Ord. Vat. VIII, 64*).
120 On this, see DUNS SCOTUS, Ord Vat. VIII, 89*-92*. In the case of Ord. II, d.
16, the text comes from Rep. B ; the account in Add. mag. II, d. 16, q. un. is
completely different (see Merton College, Oxford, MS 89, f. 114vb).
121 DUNS SCOTUS, Ord. II, d. 2, pa. 2, qq. 1-4, n. 412 (Vat. II, 362).
122 TWEEDALE, Scotus vs. Ockham, op. cit., H, p. 488.
562 RICHARD CROSS

formal distinction does not require that the relata are formalities. The
Reportatio discussion of the simplicity of the divine essence is
considerably less well developed, though the discussion of the
simplicity of a divine person is much more fully worked out.
One question remains to be answered. Does Scotus, in the
Reportatio, believe that the divine attributes are things, or mere
formalities ? Obviously, as the formal distinction is defined in the
earlier writings, the divine attributes would have to be formalities. But
the Reportatio discussion no longer makes the diminished status of the
relata necessary for distinction secundum quid, and in this later work
Scotus is still prepared to countenance the existence of formalities.
Thus, in the discussion of individuation in book 2, distinction 12,
Scotus talks about the relata as formalities,123 and in the discussion of
the powers of the soul in book 2 distinction 16, Scotus denies that the
formally distinct powers of the soul are things.124 In the discussion of
the ontological status of essence and property in God, Scotus makes a
great deal of the quasi-constitutive role of essence and property ; it is
for this reason that he wants to reclassify them as things. The divine
attributes do not obviously have this constitutive role, and although
Scotus does not mention the matter in the Reportatio, he clearly holds
elsewhere that the attributes are somehow posterior to the essence :
they are ‘circumstances’ of the essence.125 And I see no reason to
suppose that Scotus would have changed his mind about this in the
Reportatio. So my guess would be that he would think in this work of
the divine attributes as non-constitutive, and hence that he would have
been reluctant to think of the attributes as things in the same way as
essence and property. And in this case, I would conclude that Scotus’s
teaching on the simplicity of the divine essence is fundamentally the
same in all three theological works that I have examined here.

Oriel College, University o f Oxford

123 See ADAMS, “Identity and Distinction”, p. 31, n. 75.


124 DUNS SCOTUS, Rep. par. II, d. 16, q. un., n. 19 (Wad. XI, 348b).
125 See DUNS SCOTUS, Ord. I, d. 8, pa. 1, q. 4, nn. 198 and 210 (Vat. IV, 264,
270) ; less explicitly at Led. I, d. 8, pa. 1, q. 4, n. 181 (Vat. IV, 182). In both cases,
Scotus cites John of Damascus on the relation between essence and attribute.
G il l e s B e r c e v il l e

DU MIRACLE AU SURNATUREL

DE THOMAS D’AQUIN À DUNS SCOT :


UN CHANGEMENT DE PROBLÉMATIQUE

Un disciple de Thomas d’Aquin, un tant soit peu familiarisé avec


les textes de son maître, ressent un étonnant dépaysement lorsqu’il se
hasarde à consulter ses commentateurs. Du texte thomasien aux écrits
thomistes, il y a répétition de certaines thèses, mais les affirmations
identiques semblent s’inscrire dans une perspective qui a sensiblement
changé, et sont désormais enveloppées dans une argumentation dont la
terminologie et la logique sont devenues autrement complexes. Il en va
ainsi par exemple pour les questions du désir naturel de voir Dieu ou de
l’analogie. La même impression de dépaysement ressort de l’étude d’un
thème qui a moins fait couler d’encre ces dernières années, mais dont
nous voudrions montrer l’intérêt, celui du miracle.
Chez les thomistes de l’époque moderne, le miracle est abordé
dans le cadre d’une réflexion sur le surnaturel. Il est relégué dans la
catégorie du surnaturel quoad modum pour l’opposer au surnaturel
quoad substantiam, celui-ci recouvrant les mystères de la Trinité et de
l’Incarnation, ainsi que la grâce sanctifiante. Lorsque l’on se réfère
directement au texte de Thomas, on constate un étonnant chassé-croisé.
Les mots mêmes de supematuralitas (sumaturalité), ordo surpematu-
ralis (ordre surnaturel), l’emploi substantivé de supernaturale (« le »
surnaturel) sont ignorés de Thomas. La distinction entre ce qui est
surnaturel quoad substantiam et ce qui est surnaturel quoad modum est
bien présente chez lui, mais soit elle est interne au miracle et désigne
alors deux degrés du miraculeux1, soit même, à l’inverse de ce à quoi
une théologie plus récente a pu nous habituer, Thomas dit du miracle

1 THOMAS DE AQUINO, ST la, q. 105, a. 8.


564 GILLES BERCEVILLE

qu’il est surnaturel quoad substantiam, pour l’opposer à la grâce


sanctifiante, qui, elle, est surnaturelle quoad modum2.
« Capreolus non saltasset, si Scotus non scotizasset », a t-on dit.
Capreolus (|1444) , Princeps thomistarum, n’aurait pas été Capreolus,
et le thomisme n ’aurait pas été le thomisme, si le bienheureux Scot
n’avait pas été le bienheureux Scot, et s’il n’avait pas eu la postérité
que l’on sait. Il est difficile de comprendre comment les auteurs
thomistes en sont venus à s’exprimer sur le miracle en des termes si
éloignés de leur maître sans aller consulter le Docteur subtil. C’est ce
queje voudrais mettre en lumière, en remontant de l’enseignement reçu
en thomisme sur la distinction entre surnaturel quoad modum et
surnaturel quoad substantiam à l’analyse de la notion de sumaturalité
chez Duns Scot. Je voudrais montrer dans un second temps comment la
doctrine de Scot sur le surnaturel découvre un aspect peu remarqué je
crois jusqu’ici, lorsqu’on la compare à l’enseignement de Thomas sur
les miracles.

I. L a n o t i o n d e s u r n a t u r e l
CHEZ LES AUTEURS THOMISTES ET CHEZ DUNS SCOT

Lorsque le chanoine A. Michel, dans le Dictionnaire de Théologie


Catholique3, ou le Père R. Garrigou-Lagrange dans son traité sur la

2 THOMAS DE AQUINO, ST Ila-Hae, q. 171, a. 2, ad 3 : « Tout don de la grâce


élève l’homme à quelque chose qui dépasse la nature humaine. Et cela de deux
manières. D’une première manière, quant à la substance même de son acte, comme
faire des miracles, connaître des réalités cachées et obscures de la sagesse divine.
Pour de tels actes, l’homme ne reçoit aucun habitus de grâce. D’une autre manière, il
est élevé au-dessus de la nature humaine quant au mode de son acte, et non quant à sa
substance, comme aimer Dieu ou le connaître dans le miroir des créatures. Et pour ces
actes-ci est conféré un habitus de grâce ».
3 A. MICHEL, « Surnaturel », in Dictionnaire de Théologie Catholique, vol.
XTV/2, Paris, Letouzey & Ané, 1941, coll. 2849-2859.
DU MIRACLE AU SURNATUREL 565

Révélation*, exposaient le sens de la distinction entre surnaturel quoad


substantiam et surnaturel quoad modum, ils se référaient l’un et l’autre
au Cursus theologicus de Juan Poinsot Garcés (1584-1644), en religion
frère Jean de Saint-Thomas. Commentant la question 12 de la Prima
Pars de la Somme de théologie, sur la connaissance humaine de Dieu et
la vision de son essence, et se demandant alors si, de par la puissance
absolue de Dieu, la lumière de gloire pouvait être connaturelle à une
créature, celui-ci écrivait45 :
Certains auteurs se livrent à un dispute des plus laborieuses lorsqu’ils
expliquent en quoi consiste la raison formelle d’être surnaturel.

Lui-même ne veut rappeler ici que le sens d’une distinction qu’il


qualifie de commune (vulgarem illam distinctionem) :
Une chose est dite surnaturelle quoad modum lorsque sa substance ou sa
nature appartiennent à l’ordre naturel, mais qu’elle se produit sumaturelle-
ment. Elle survient ou elle est conservée par une action dépassant le mode
naturel d’agir. Par exemple, la guérison d’un aveugle, ou encore la résur­
rection d’un mort. L’effet de la résurrection, quant à sa substance, c’est un
homme [l’union substantielle de l’âme au corps], le résultat de la guérison
d’un aveugle, c’est la capacité de voir. Nous avons dans l’un et l’autre cas
des réalités d’ordre naturel. Mais le mode de leur production est d’ordre
surnaturel. Quant au surnaturel quoad substantiam, il correspond à ce qui
est surnaturel en son espèce et sa quiddité, dépassant tout l’ordre créé, et
pas seulement de par la manière dont cela arrive, ou en vertu de l’action
qui en est la cause.

Jusqu’ici les choses sont claires et ne paraissent pas prêter à dis­


cussion. Mais voilà que l’affaire se corse :
Sur ce dernier point [le surnaturel quoad substantiam] les avis des auteurs
divergent lorsqu’il leur faut dire en quoi il consiste. Presque tous
accommodent le concept d’être surnaturel de façon à nier ou au contraire à
affirmer plus aisément qu’il puisse y avoir des substances surnaturelles.
Tous au moins doivent convenir qu’il relève de ce que l’on appellera être

4 R. GARRIGOU-LAGRANGE, Theologia fundamentalis secundum s. Thomam


doctrinam. Pars apologetica. De Revelatione per ecclesiam catholicam proposita,
Rome, Ferrari, 41945, vol. I, ch. VI, pp. 180-204 : « de notione supematuralitatis ».
5 IOANNES A SANCTO THOMAE (J. POINSOT), In Fmpartem, disp. 104 (« Utrum
lumen gloriae de potentia absoluta possit esse connaturale alicui creaturae »), a. 4,
édition de Solesmes, Paris-Toumai-Rome, 1934, vol. II, pp. 220 et sqq.
566 GILLES BERCEVILLE

surnaturel de produire ou de posséder en soi-même ce « partage de la


nature divine » dont parle l’Apôtre [Consortium divinae naturae, 2 P 1,4],

Plus loin, commentant la Iallae, 109, consacrée à la grâce6, Jean de


Saint-Thomas revient sur la même distinction. Il s’interroge ici précisé­
ment sur la substance des actes surnaturels, comme les actes de foi et
de charité. Certains auteurs du passé, rappelle-t-il, considérant qu’il
s’agit d’actes de ces puissances naturelles que sont l’intelligence et la
volonté, les ont regardés comme des actes naturels eux aussi quant à
leur substance, quoad substantiam, surnaturels toutefois quant à leur
mode de production, quoad modum. Pour « lever toute équivoque »,
Jean de Saint-Thomas précise que la sumaturalité peut être attribuée à
une réalité soit en raison de sa cause efficiente, soit en raison de sa
cause finale, soit en raison de sa cause formelle.
De sa cause efficiente, lorsque cette réalité se produit sumaturel-
lement, que l’effet soit surnaturel ou seulement naturel, comme dans le
cas de la résurrection d’un mort ou de la guérison d’un aveugle. On
parle dans ces deux derniers cas de réalités surnaturelles quoad modum.
De sa cause finale, lorsque la réalité en question est ordonnée à
une finalité surnaturelle par un agent extrinsèque (l’acte d’une vertu
acquise naturellement comme la tempérance est ordonnée par la charité
surnaturelle à mériter la vie étemelle ; l’humanité du Christ, réalité en
soi naturelle, est ordonnée au Verbe divin, réalité surnaturelle, en qui
s’achève l’union hypostatique).
De sa cause formelle, enfin, à savoir dans le cas d’un acte spécifié
par un objet surnaturel. Alors seulement on parle de surnaturel quoad
substantiam, c’est-à-dire quant à l’espèce, à la nature même de l’acte,
qui lui est donnée par son objet formel. Jean de Saint-Thomas a soin de
préciser ici7 qu’un acte surnaturel par son objet est surnaturel en tout ce
qui le constitue, qu’il a besoin d’une aide surnaturelle pour tout ce que
Ton trouve en lui, et pas seulement pour une partie de lui-même. Tel
est le cas des actes des vertus infuses.

6 IOANNES A SANCTO THOMAE (J. POINSOT), In F m-lFepartem, disp. 20 (« De


necessitate gratiae supematuralis ordinis ad opera supematuralia »), a. 1, IV, n. XII,
Paris, Vivès, 1885, vol. VI, p. 764.
7 Ibid., n. Xm.
DU MIRACLE AU SURNATUREL 567

La préoccupation de ne pas réduire le surnaturel dans la création à


un niveau de la réalité, à une perfection surajoutée, d’affirmer qu’il est
en notre monde une vie qui, tout en assumant et en perfectionnant la
nature, est en tout ce qui la constitue comme en sa source et en son
achèvement, proprement divine et surnaturelle, à savoir la vie de la
grâce destinée à s’épanouir dans la gloire de la Vision, cette
préoccupation caractérise assurément la tradition thomiste et l’a
conduite plus d’une fois à rompre des lances avec Scot et ses disciples8.
Jusqu’à simplifier exagérément la position d’un Docteur ici comme
ailleurs plus subtil qu’on ne veut le faire croire. Jusqu’à lui faire tenir
qu’aucun habitus ou aucun acte d’une créature ne serait
intrinsèquement surnaturel. Or, comme le faisait déjà remarquer
Francisco Suárez (1548-1617), il y a ici une extrapolation tout à fait
abusive (nous verrons plus loin à partir de quel texte de Scot) :
Dans la mesure où je puis faire une conjecture en collationnant les textes,
Scot ne nie pas qu’il puisse se trouver des formes ou des entités sur­
naturelles, telles que les forces naturelles des créatures ne puissent en
produire et qui ne soient de la nature d’aucune autre substance créée, ou
d’aucune puissance naturelle. Toutefois, une telle forme étant admise, Scot
enseigne que la puissance qui la reçoit est inclinée naturellement vers elle,
et qu’actualisée par elle, elle y trouve sa perfection naturelle. De ce double
point de vue, toute forme peut être dite naturelle, quoiqu’en elle-même elle
soit surnaturelle9.

8 Ibid., n. XV, p. 765 : « La vitalité même des actes des vertus infuses est surna­
turelle, parce que ces actes procèdent de la puissance vitale en tant que celle-ci est
surélevée ».
O. Boulnois présente en ces termes le rapport de la croyance naturelle à la foi et de
l’amour naturel à la charité chez Scot : « La foi surnaturelle suppose une foi naturelle.
Elle la parachève mais elle ne la modifie pas. Elle la recouvre par son contenu et son
mode de fonctionnement ; seule son origine (divine) et sa fin (une vérité infaillible)
diffèrent. La foi théologale recouvre d’une pellicule invisible le fonctionnement
naturel de mon assentiment, elle n’altère ni la manière d’effectuer un acte, ni la
conscience que j ’en ai ». (O. BOULNOIS, Duns Scot. La rigueur de la charité, Paris,
Cerf, 1998 (Initiations au Moyen Age), pp. 83-84).
9 F. SUÁREZ, De gratia Dei II, c. 6, in ID., Opera omnia, Paris, Vivès, vol. VII, p.
599.
568 GILLES BERCEVILLE

Au vingtième siècle, un autre jésuite, Juan Alfaro, a conclu la


même enquête en affirmant dans le même sens :
Selon Scot, la grâce est une participation spéciale, singulière, sans équiva­
lent, de l’être divin. Celui-ci lui communique un degré de perfection
supérieur à tout être de l’ordre naturel, existant ou possible ; de telle
manière qu’il y aurait contradiction à ce qu’une créature rationnelle quel­
conque, créée ou créable, ait la grâce comme identité ou comme propriété
naturelle, c’est-à-dire la reçoive autrement que gratuitement10.

Il y a une réelle divergence, lourde de conséquences spirituelles et


théologiques, entre la conception proposée par Scot de la vie sur­
naturelle, selon laquelle les actes de connaissance naturelle et de foi
infuse tout autant que les actes d’amour naturel et d’amour de charité
sont de même espèce11, et la conception qui, s’autorisant de saint
Thomas, déduit de la sumaturalité d’un objet formel à la sumaturalité
substantielle de l’acte qui s’y rapporte. Il est vrai par ailleurs que tous
les disciples de Thomas ne tiennent pas cette thèse et qu’il arrive à
Thomas lui-même, comme je l’ai déjà dit, de parler des actes de vertus
infuses comme d’actes surnaturels quoad modum seulement12. Nous ne
pouvons entrer plus avant dans la controverse qui oppose les thomistes
eux-mêmes. Avoir évoqué celle-ci nous a permis d’appréhender l’enjeu
et la complexité du débat qui a conduit à une terminologie largement
diffusée, s’autorisant de Thomas tout en inversant la sienne13. Il est

10 J. ALFARO, Lo natural y lo sobrenatural. Estudio historico desde santo Tomas


hasta Cajetano (1274-1534), Madrid, CSIC, 1952, p. 65.
11 DUNS SCOTUS, Quodl. q. 17, [10], n. 25, ed. F. Alluntis, Madrid, BAC, 1968,
p. 623.
12 Voir par exemple R. GARRIGOU-LAGRANGE, De virtutibus theologicis, Turin,
Marietti, 1949, p. 546, concluant de la sumaturalité de l’objet à celle de l’acte de foi,
alors que L. BILLOT, De virtutibus infusis, Rome, Typographia Iuvenum Opificium a
S. Joseph, 1901, pp. 73-75, refusait ce passage. Pour l’histoire de la controverse, R.
AUBERT, Le problème de l ’acte de foi. Données traditionnelles et résultats des
controverses récentes, Louvain, Publications Universitaires, 2ème édition revue et
corrigée, 1950, p. 243 et pp. 442-450.
13 On ne doit pas nécessairement conclure de ce chassé-croisé terminologique
entre saint Thomas et certains de ses commentateurs, dans la ligne de Jean de Saint-
Thomas, à une infidélité de ceux-ci par rapport à leur maître. C’est sans doute au con­
traire pour préserver l’essence même de la conception et de la pratique thomasienne
DU MIRACLE AU SURNATUREL 569

temps d’en venir en-deçà de la controverse au texte même de Scot qui


pour une part au moins l’a nourrie. L’occurrence la plus sollicitée, à
laquelle faisait référence Suárez dans le passage précédemment cité, est
un extrait bien connu de la première partie du Prologue de V Ordina­
tio1^. Il s’agit ici pour Scot, de montrer en quel sens l’intellect humain
incline naturellement à la béatitude de la Vision. Scot en vient à
examiner la dénomination de « surnaturel ». Telle puissance recevant
tel acte peut être comparée soit à l’acte qu’elle reçoit, soit à l’agent
dont elle le reçoit. La comparaison de la puissance réceptrice à l’acte
reçu, qu’elle y incline naturellement, que son inclination naturelle en
soit contrariée, ou que, sans y tendre, elle n ’y soit pas contraire non
plus, ne conduit pas à parler de sumaturalité, mais selon les cas
d’inclination naturelle, de violence ou de neutralité. C’est la comparai­
son à l’agent dont la puissance reçoit son acte qui éventuellement induit

de la théologie, voire sa compréhension de toute la vie théologale, dans un contexte


doctrinal profondément transformé par la scolastique postérieure au Docteur commun,
par le nominalisme surtout, que ces thomistes se sont crus obligés d’appeler sur­
naturel en sa substance même (en l’occurrence tout acte des vertus théologales) ce qui
d’un autre point de vue était qualifié par leur maître de surnaturel quant au mode
seulement. Jean de Saint-Thomas n’a pas manqué de se justifier sur ce point. En ST
Ila-IIae, q. 171, a. 2, ad 3, explique-t-il [De gratia, disp. XX, a. 1, solv. argumenta ;
éd. Vivès, vol. VI, p. 767], l’acte miraculeux est dit surnaturel quoad substantiam,
parce que cette espèce d’acte ne peut être produite que sumaturellement, ce qui
n’implique pas que l’acte soit en lui-même, en sa forme ou en son essence même,
surnaturel. D’autre part, l’acte de foi ou de charité y est dit surnaturel quoad modum,
mais cette modalité précisément n’est pas accidentelle, elle décide de l’espèce même
de l’acte, qui, cependant, peut-être considéré d’un autre point de vue comme naturel
en sa substance en tant qu’un tel acte est produit par une puissance naturelle de l’âme
qu’un habitus perfectionne. R. Garrigou-Lagrange rappelle que S. Thomas, dans son
commentaire de saint Jean, affirme que les miracles [en l’occurrence les théophanies
de l’Ancien Testament] ne sont de Dieu « que par leur mode de production» (non
fuerunt Dei nisi effective), contrairement au témoignage intérieur de la grâce, qui
donne de participer à l’être de Dieu (Thomas d’Aquin, In Joan. V, 37, ed. Marietti, n°
820 ; cf. R. GARRIGOU-LAGRANGE, De Revelatione, op. eit, pp. 201-202).
On découvre un fait herméneutique très intéressant, où, dans une même lignée
doctrinale, la fidélité à la substance de l’enseignement thomasien conduit en un
contexte nouveau à une inversion dans la formulation des thèses défendues. Répéter
le maître serait ici trahir sa pensée.
14 DUNS SCOTUS, Ord., Pro! (Vat. I, 35-40).
570 GILLES BERCEVILLE

la notion de surnaturel. À savoir, très précisément, lorsque l’agent n’est


pas celui qui naturellement imprime cette forme dans la puissance en
question. En bref : ce qui conduit à parler de surnaturel est le rapport de
la puissance réceptrice à l’agent, et non pas le rapport de la puissance
réceptrice à la forme reçue. Preuve en est, poursuit Scot que, quel que
soit le rapport de la forme reçue à la puissance réceptrice, si l’agent
n ’est pas celui qui naturellement imprime la forme, celle-ci sera dite
surnaturelle. À partir de ce discernement de l’origine de la dénomina­
tion de surnaturel, Scot distingue deux modes de connaissance surnatu­
relle : l’agent surnaturel procure un savoir que l’on pourrait acquérir
naturellement (la géométrie par exemple), ou l’agent surnaturel procure
un savoir naturellement inaccessible. Dans le premier cas, un savoir
accessible naturellement mais conféré sumaturellement, en parlant de
surnaturel, on évoque le rapport de la puissance réceptrice à l’agent
seulement, dans le second cas, un savoir que l’on ne peut acquérir que
sumaturellement, en parlant de surnaturel, on évoque le rapport de la
puissance réceptrice à l’agent et aussi celui de la puissance réceptrice à
la forme reçue. Le rapport de la puissance réceptrice à l’agent est en
tout cas le plus petit dénominateur commun de la sumaturalité. On
retiendra de ce texte qu’il s’agit pour Scot non pas de nier telle ou telle
forme de sumaturalité, mais de cerner ce qui est nécessairement requis
en toute sumaturalité : un certain rapport entre la puissance réceptrice
et l’agent, tel qu’il ne s’inscrive pas dans l’ordre naturel, et non pas une
quelconque disproportion entre la puissance réceptrice et la forme
reçue, qui peut être cependant connotée elle aussi. Il suffit donc que la
Vision soit naturellement inaccessible pour que l’on puisse
légitimement la qualifier de surnaturelle, sans que l’on soit obligé pour
cela d’affirmer quoi que ce soit de ce qui la constitue intrinsèquement,
elle ou la puissance qui la reçoit, et de leur rapport. Scot recourt à la
même considération du plus petit dénominateur commun de la
sumaturalité pour montrer, à la distinction 43 du quatrième livre des
Sentences, que tout comme la Béatitude de la Vision, la résurrection
des corps est naturelle, au sens où elle ne fait pas violence à la nature,
et surnaturelle, au sens où Dieu seul l’accomplit, dépassant alors tout
l’ordre surnaturel15.

15 DUNS SCOTUS, Op. ox. IV, d. 43, q. 4 (Viv. XX, 114).


DU MIRACLE AU SURNATUREL 571

Dans un autre passage, Scot semble cependant faire du rapport de


la puissance réceptrice à l’agent, non seulement le plus petit dénomina­
teur commun de la sumaturalité, mais sa signification exclusive. Il
semble passer d’une considération abstraite et logique de la notion de
sumaturalité à une réglementation de l’usage concret du mot. Il s’agit
alors de montrer qu’un intellect créé séparé comme celui de l’ange peut
naturellement voir la présence du Christ dans l’Eucharistie, ce que niait
Thomas, pour qui « les mystères de la foi, comme la présence du
Christ, cachés depuis 'toujours en Dieu [Ép. 3, 9], dépassent la
connaissance de toute créature, celle de l’ange comme celle de
l’homme »16. Scot affirme ici sans plus que la distinction entre le
naturel et le surnaturel ne correspond pas à une différence affectant la
nature même des réalités {naturale et supematurale non distinguunt
naturam alicujus in se), mais correspond seulement à une différence de
rapport à l’agent. On n ’a donc rien dit de l’intelligibilité de la présence
réelle lorsqu’on a reconnu qu’elle était surnaturelle, c’est-à-dire pro­
duite par Dieu hors de Tordre naturel. Plus d’un siècle plus tard,
Capreolus défendra en ces termes la position de Thomas :
La distinction entre réalités naturelles et surnaturelles ne découle pas seu­
lement de la considération d’une différence de rapport à l’agent, mais
parfois elle s’effectue par ime distinction spécifique entre essence, cela est
manifeste pour la grâce et la gloire, spécifiquement distinctes de tout effet
naturel. Aucun agent naturel ne peut produire un effet spécifiquement
identique à la charité ou à la grâce sanctifiante, aux sept dons de l’Esprit
ou à la glorification de l’âme et du corps : c’est évident17.

Ce que Capreolus met ici bien en lumière, me semble-t-il, c’est


que même si la notion de sumaturalité implique d’abord en soi un
certain rapport à l’agent, celui-ci n ’est pas nécessairement ce que la
personne qui parle, elle, veut principalement voire exclusivement
signifier lorsqu’elle dit de telle réalité qu’elle est surnaturelle. On peut
vouloir désigner par là aussi et même surtout une particularité de son
essence, qui la met à part dans la création, à savoir une certaine

16 THOMAS DE AQUINO, In IV Sent., d. 10, a. 4, ad 4, ed. M. F. Moos, Paris,


Lethielleux, 1947, p. 425.
17 IOANNES CAPREOLUS, In IV Sent., d. 10, q. 4, in ID., Defensiones theologiae
divi Thomae Aquinatis, eds. C. Paban - Th. Pègues, Tours, 1906, vol. VI, p. 209
(argument de Scot) et 219 (réponse).
572 GILLES BERCEVILLE

participation à la vie divine. La formalisation extrême à laquelle Scot


soumet le discours théologique menace de rendre inintelligible un
langage plus souple comme celui de l’Écriture et des Pères, et de
devenir une arme aux mains de ceux qui en viendraient, comme
Guillaume d’Ockham et ses disciples, à nier la sumaturalité intrinsèque
de la sainteté chrétienne, chère au thomisme.
J ’ai voulu montrer jusqu’ici comment la distinction récurrente en
thomisme, et déjà largement répandue à l’époque de Jean de Saint-
Thomas entre le surnaturel quoad modum, auquel appartient le miracle,
et le surnaturel quoad substantiam auquel appartiennent les mystères et
la grâce sanctifiante, s’éclaire par le débat engagé avec Duns Scot,
partiellement au moins : d’autres controverses en effet, contre les
Réformés au XVIe siècle, Baïus et les jansénistes au XVIIe, les
rationalismes du XIXe et du XXe enfin, ont elles aussi sans aucun
doute, et de façon bien plus pressante, appelé ce déplacement de
perspective et de terminologie chez les thomistes par rapport au texte
du Docteur commun.
Ce que l’on doit au moins constater, c’est que de Thomas à Scot,
l’on est passé d’une description du fait miraculeux, tel qu’il s’offre à
l’étude dans l’Écriture surtout, à une analyse abstraite de la notion de
sumaturalité. C’est ce que nous allons montrer maintenant en compa­
rant les textes des deux Docteurs.

II. L e m i r a c l e c h e z T h o m a s d ’A q u in e t D u n s S c o t

Lorsque l’on compare l’intitulé des questions abordées par Thomas


et Scot dans leur commentaire respectif des Sentences, on est frappé
par le fait que la plupart des questions qui ont trait chez Thomas aux
miracles évoqués par l’Écriture ont dispam chez Scot.
Au livre deux, distinction sept, Thomas s’interroge sur les prodiges
de l’Antéchrist et des méchants. Scot y consacre un développement à la
nécessité où sont placés les mauvais anges de vouloir le mal. A la
distinction 15, consacrée aux quatre derniers jours de la création,
Thomas, à propos du septième où Dieu se repose, explique comment, si
tout ce que Dieu fait dans la création est d’une certaine manière déjà
présent dans les premiers jours, en ce qui concerne les miracles, c’est
DU MIRACLE AU SURNATUREL 573

sous la forme de la puissance obédientielle seulement. Scot ne dit rien


ici sur le septième jour. La distinction 18 du second livre des Sentences,
portant sur la création d’Eve à partir de la côte d’Adam, est le lieu
privilégié où Thomas, Bonaventure et leurs prédécesseurs abordaient
pour elle-même la question du miracle. Ainsi, à l’article 3 de la
question 1, Thomas demande : « est-ce que tout ce qui advient hors des
raisons séminales est miraculeux ? » Il y rend compte de la tripartition
reçue des miracles supra, praeter et contra naturam, à laquelle il
substituera dans la Somme la tripartition quoad substantiam, quoad
subjectum et quoad modum18. Duns Scot y montre de son côté que les
raisons séminales ne sont ni une partie de la forme induite dans la
matière, ni une quelconque puissance active en elle. Il y évoque au
passage ce qu’Augustin dit des prodiges des mauvais anges au chapitre
9 du De Trinitate19, mais il ne s’arrête pas sur le miracle comme tel. Au
troisième livre des Sentences, à la distinction 3, Thomas aborde la
question de la conception virginale du Christ, et précise en quel sens
elle peut être dite miraculeuse. Scot consacre l’ensemble de son
commentaire de la distinction à la question de la conception immaculée
de la Vierge. Au quatrième livre, traitant de l’Eucharistie à la
distinction 11, Thomas la situe dans l’échelle de grandeur des actions
miraculeuses, par rapport notamment à l’Incarnation20. Il n’y a pas de
parallèle chez Scot. Il arrive, mais pas très souvent semble-t-il, que
Scot examine parallèlement à Thomas une question posée par un fait
miraculeux : le fait par exemple que, in via, la gloire de l’âme du Christ
ne rejaillisse pas sur son corps, mais manifestement Scot ne se
préoccupe plus de rendre compte de la forme concrète que revêt le
miracle dans l’Ecriture, en net contraste avec Thomas. Celui-ci classait
soigneusement les miracles de la Bible, il les comparait, en dégageait

18 BONAVENTURA, In IISent., d. 18, a. 1, q. 2, objections 5 et 6 et réponses cor­


respondantes (distinction entre contra naturam et supra naturam et entre miraculum et
mirabile) ( 0 0 II, 434-438).
19 DUNS SCOTUS, Lect. II, d. 18, q. 1 (Vat. IX, 168). Cf. AUGUSTINUS, De
Trinitate III, 9, n. 17 (CCSL 50,144).
20 THOMAS DE AQUINO, In TV Sent., d. 11, q. 1, a. 3 (ed. Moos, 444-447). Au
passage, Scot établit contre Henri de Gand qu’il n ’y a pas de miracle dans le fait que
la forme de la corporéité {forma mixtionis) soit conférée sans infusion simultanée de
l’âme intellective : DUNS SCOTUS, Op. ox. IV, d. 11, q. 3 (Viv. XVII, 420).
574 GILLES BERCEVILLE

longuement les convenances21. Les développements de Scot sur les


miracles sont beaucoup moins fréquents, moins abondants, jamais
traités pour eux-mêmes, mais rattachés à une réflexion générale comme
la toute-puissance divine ou le surnaturel.
Deux divergences doctrinales peuvent partiellement au moins
sinon de façon décisive éclairer le relatif désintérêt de Scot pour le
miracle quand on le compare aux élaborations thomasiennes. Le
miracle n ’est plus chez Scot un objet philosophique comme il l’était
chez Thomas. Exclu par Scot comme nous allons le voir du champ de
la philosophie, il n ’est plus par ailleurs pensé par lui en lien avec
l’Incarnation. Or c’était en elle qu’il trouvait sa vraie signification chez
Thomas. Exclu du champ de la philosophie, il est devenu marginal en
théologie, alors que chez Thomas, intégré à une réflexion qui se voulait
proprement philosophique, il était par ailleurs placé au cœur même des
mystères de la foi.
Selon Thomas, il était possible de démontrer à la seule lumière de
la raison naturelle la possibilité et la convenance du miracle. C’est
pourquoi dans la Somme contre les Gentils, il est question du miracle
au troisième livre (chapitres 99 à 103), et non au quatrième. Or on se
souvient que les trois premiers livres de la Summa contra Gentes
abordent les vérités accessibles à la seule raison pour réserver au
quatrième l’étude des vérités divines comme la Trinité, l’Incarnation,
les sacrements ou la résurrection des corps, que seule la foi permet
d’envisager. La possibilité du miracle est démontrée philosophique­
ment par Thomas au chapitre 99 du livre 3, selon sept voies. Par
exemple (c’est la première) : Dieu crée ce monde librement et non par
nécessité [Thomas l’a montré au livre 2, chapitre 23 et suivants]. Or un
agent libre ne déploie pas nécessairement toute sa puissance lorsqu’il
agit. II peut donc produire immédiatement et sans leurs causes propres
des effets moindres que ceux qui sont proportionnés à sa toute-
puissance. Quant à la convenance qu’il y a pour Dieu à faire des
miracles, Thomas l’établit au même endroit comme suit : lorsque Dieu
produit quelque chose hors de Tordre de la nature, cela montre que

21 L’exemple le plus achevé est, dans la ST Ilia, 44, sur la convenance des
miracles du Christ. Cf. J.-P. TORRELL, Le Christ en ses mystères. La vie et l ’œuvre
de Jésus selon saint Thomas d ’Aquin, Paris, Desclée, 1999, vol. I, pp. 261-280.
DU MIRACLE AU SURNATUREL 575

l’ordre des choses procède de lui non par nécessité de nature, mais par
libre volonté :
Et on ne doit pas considérer que cette raison est frivole [...] N ’a t-on pas
déjà montré [au livre 3, chapitre 22] que toutes les créatures corporelles
sont d’une certaine manière ordonnées à la nature intellectuelle comme à
leur fin ? Or la fin de la nature intellectuelle elle-même, c’est la connais­
sance de Dieu, comme on l’a aussi montré [ibid., chapitre 25]. Rien
d’étonnant donc, si, pour faire connaître Dieu à la nature intellectuelle, il
se produit quelque transformation dans la substance corporelle.

Fait, je pense, exceptionnel chez le Docteur commun : sa conclu­


sion frise l’oxymore. Rien d’étonnant (nihil mirum) dans le fait qu’il y
ait des miracles (miraculum) !
Pour Scot au contraire, on ne peut pas démontrer philosophique­
ment, naturali ratione, la possibilité du miracle. Ici comme ailleurs, le
Docteur subtil montre l’insuffisance de la philosophie, et par là même,
il n’exige pas d’elle la considération d’objets qui ne lui paraissent pas
relever de sa compétence. Il reconnaît la cohérence qu’il y avait pour
les philosophes à comprendre le rapport de la cause première et du
monde selon le cours naturel du devenir, « en excluant les miracles et
les prodiges du Dieu tout-puissant, miracles et prodiges que celui-ci
cause immédiatement >>22. Rien n ’oblige en effet à concéder que ce qui
a en soi une causalité supérieure et éminente puisse produire l’effet
d’une cause inférieure et subordonnée, que « le soleil puisse engendrer
immédiatement un bovidé comme il peut engendrer un bovidé par la
médiation d’un autre bovidé. » Loin de devoir concéder la possibilité
du miracle, poursuit Scot, les philosophes avaient les motifs les plus
forts de la nier : selon eux, la cause seconde n’ajoute pas quelque
perfection, mais quelque imperfection à l’objet produit ; ils ne
pouvaient aboutir à la conclusion de la contingence de l’action divine ;
ils ont eu pour principe que « rien ne se fait de rien » ; s’ils soutenaient,
comme beaucoup d’entre eux semblent l’avoir fait, que Dieu est un
agent nécessaire, en admettant qu’il pût produire l’effet des causes
secondes sans leurs concours, ils auraient été conduits à nier purement

22 Cf. SIGER DE BRABANT, Quaestiones super librum de causis 25, 102,1. 58-60,
cité par F.-X. PUTALLAZ - R. IMBACH, Profession : philosophe. Siger de Brabant,
Paris, Cerf, 1997 (Initiations au Moyen Age), pp. 91-92 et 158.
576 GILLES BERCEVILLE

et simplement la causalité de ces dernières. D ’où la conclusion de


Scot :
Il est manifeste que cette proposition : "tout ce que peut la cause efficiente
première avec la cause seconde, elle le peut par elle-même immédiate­
ment" [autrement dit, la possibilité pour Dieu de faire des miracles], cette
proposition n’est pas connue d’après ses termes mêmes, ni par la raison
naturelle, mais elle est seulement objet de foi. Car si la toute-puissance,
entendue comme l’entendent les théologiens, dont cette proposition dé­
pend, était connue par la raison naturelle, il serait facile de prouver aux
philosophes eux-mêmes beaucoup de vérités et de propositions qu’ils
nient, et il serait facile de leur prouver la possibilité au moins des choses
que nous croyons et qu’ils nient23.

Ainsi exclu du champ des philosophes par Scot, quelle place le


miracle se voit-il attribuer en théologie ? Chez Thomas, la considé­
ration du miracle conduit le théologien jusqu’au miracle par excellence
de l’Incarnation.
Parmi les œuvres divines on ne peut concevoir que Dieu fasse quelque
chose de plus étonnant que ceci : le vrai Dieu, le Fils de Dieu, devient vrai
homme. Et puisque entre toutes les œuvres, celle-ci est la plus étonnante, il
s’ensuit que c’est à la foi en cette œuvre, la plus étonnante qui soit, que
tous les autres miracles sont ordonnés. En chaque genre, ce qui est le plus
grand se montre la cause des autres24.
Chez Thomas, le miracle comme tel, en tant que fait
immédiatement produit par Dieu sans le concours de ses causes
secondes ordinaires, trouve sa signification ultime dans le mystère de
l’union hypostatique. La caractère proprement miraculeux de l’Incar­
nation ne peut pas faire question dans le cadre ontologique où celle-ci
est pensée chez Thomas. Dans l’union hypostatique en effet, le principe
de subsistance de la nature humaine est rien moins que divin. Dans le
cas de tout homme à l’exception du Christ, la cause de subsistance est
une personnalité humaine. Dans le cas unique du Christ, la cause de
subsistance de l’âme, et du corps par l’âme, est la seule Personne du
Verbe. Un effet, à savoir la subsistance de la nature humaine complète

23 DUNS SCOTUS, Ord. I, d. 42, q. un., n. 10 (Vat. I, 344) ; trad. O. BOULNOIS,


« Contigence et alternatives : Duns Scot », in La puissance et son ombre. De Pierre
Lombard à Luther, ed. O. Boulnois, Paris, Aubier, 1994, p. 271.
24 THOMAS DE AQUINO, ScG IV, 27.
DU MIRACLE AU SURNATUREL 577

et de chacune de ses parties intégrantes, effet proportionné en soi à une


cause finie, à savoir la personnalité humaine, trouve dans le cas unique
du Christ sa cause en Dieu seul, et très précisément dans la personnalité
du Verbe.
Chez Scot, en assumant la nature humaine, le Verbe doit ne
suppléer aucun élément réel constitutif de l’être assumé. Il confère
seulement à celui-ci la propriété de l’incommunicabilité25. L’union
hypostatique échappe alors à la logique du miracle. Cela correspond
assurément à une théologie de l’Incarnation soucieuse de souligner que
l’humanité du Christ est complète, comme la nature humaine en régime
de grâce est intégralement respectée tout en étant transcendée26.
Le miracle n’a donc plus dans la théologie de Scot la place centrale
qui lui revenait chez Thomas. Même son rôle aux frontières de la raison
et de la foi est réduit au minimum. Lorsque Thomas, dans le premier
livre de la Somme contre les Gentils, au chapitre 6, veut montrer que
l’assentiment à des affirmations qui dépassent les capacités de la raison
peut ne pas être en soi déraisonnable, il réduit toute la crédibilité de la
révélation au constat du caractère miraculeux de sa promulgation par le
Christ et les Apôtres et de sa propagation dans le monde. Dans le
Prologue de V Ordinatio, Scot énonce de son côté huit arguments pour
convaincre rationnellement de la vérité de l’Écriture : la rationalité de
son contenu ; l’irrationalité des erreurs qui s’y opposent ; l’accomplis­
sement des prophéties ; le consensus qui s’y manifeste ; l’autorité de
ses auteurs ; le zèle de ceux qui l’ont reçue, la stabilité de l’Église, et
enfin seulement, « la limpidité des miracles »27.

25 Cf. A. MICHEL, « Hypostase », in Dictionnaire de Théologie Catholique, vol.


7/1, Paris, 1922, coll. 411-412 ; L. VEUTHEY, Jean Duns Scot. Pensée théologique,
Paris, Editions Franciscaines, 1967, pp. 87-88.
26 Matthias Joseph Scheeben soulignera dans une ligne thomiste les écueils qui en
résultent pour la christologie scotiste : « L’actuation interne, l’achèvement de
l’humanité par le Verbe qui sert de base à l’unité substantielle du Christ recule à
l’arrière-plan et on affaiblit par cela-même la possession interne, la pénétration et la
domination de l’humanité par la divinité ; le rapport des deux natures apparaît plutôt
comme une juxtaposition artificielle que comme une existence organique ». Cf.
SCHEEBEN, Dogmatique, trad, française, tome IV, Paris, 1882, pp. 736-737.
27 DUNS SCOTUS, Ord, Prol., pa. 2, q. un. (Vat. I, 77-83).
578 GILLES BERCEVILLE

III. C o n c l u s io n

La mise au second plan du miracle chez Scot soulève des questions


historiques et doctrinales. Tout d’abord, le rapport de la question
disputée au commentaire scripturaire. L’œuvre exégétique monumen­
tale de Thomas nous donne à voir comment chez lui Tune et l’autre
pratique s’appellent continuellement. Comment Scot lui-même, son
milieu, sa génération, lisaient-ils l’Écriture, et quelle influence celle-ci
exerçait-elle sur la réflexion théologique ?
Peut-être l’influence d’Augustin explique-t-elle aussi pour une part
le rôle si modeste accordé au miracle chez Scot. Dans son De utilitate
credendi, Augustin enseigne que les sages n ’ont pas besoin des
miracles pour adhérer à la vérité, que ceux-ci sont accordés aux
ignorants et aux esprits encore mal dégrossis. Désormais, l’Église peut
d’ailleurs pratiquement s’en dispenser, vu le nombre de ses fidèles, la
moralité de leur conduite, la noblesse et la fermeté de leur conviction,
qui confèrent toute son autorité à la Parole de Dieu. L’aspiration à
l’illumination intérieure de la vérité dévalue sans doute pour beaucoup
chez Augustin le recours à l’expérience sensible du miracle. Scot écarte
bien sûr une conception illuministe de la connaissance humaine ici-bas,
mais un motif tout aussi augustinien et plus spécifiquement évangé­
lique a pu le conduire à maintenir le miracle à l’arrière-plan dans son
œuvre théologique : la primauté du commandement de l’amour.
Chez Thomas, dans Tordre de la miséricorde où Dieu déploie sa
liberté, la dispensation de la grâce et celle des miracles se rejoignent
Tune et l’autre dans le Christ comme en leur sommet, Verbe incarné et
chef du corps mystique. On trouve ainsi chez lui une vision grandiose
qui s’enracine dans une lecture constante et attentive de l’Écriture et de
la Tradition et qui peut permettre de dépasser une opposition parfois
trop accusée entre la grâce et les charismes, au risque de rendre ceux-ci
incompréhensibles et indésirables. Il n’en demeure pas moins qu’en
saine théologie, sans être bien sûr opposés à la grâce, les charismes, et
en particulier le don des miracles, doivent néanmoins lui être
fermement subordonnés. Aurais-je une fo i à transporter des monta­
gnes, si je n ’ai pas la charité, je ne suis rien. C’est un des enjeux de la
distinction devenue si chère aux thomistes du supematurel quoad
substantiam, qualifiant la grâce sanctifiante, et du supematurel quoad
modum, rapporté aux miracles. Nul doute que la rigueur du bien­
DU MIRACLE AU SURNATUREL 579

heureux Scot les aura puissamment aidés à honorer ainsi la primauté de


la charité.

Institut Catholique de Paris


Luc M a t h ie u

ÉTAIT-IL NÉCESSAIRE QUE LE CHRIST


MOURÛT SUR LA CROIX ?

RÉFLEXION SUR LA LIBERTÉ ABSOLUE DE DIEU


ET LA LIBERTÉ DE JÉSUS-HOMME, D’APRÈS JEAN DUNS SCOT

{Op. ox. Ill, dist. 20, quaest. unie.)1

I. I n t r o d u c t io n

Les théologiens franciscains ont, paraît-il, introduit la pensée de


saint Anselme de Cantorbéry dans la théologie scolastique, et de fait,
Alexandre de Halès et saint Bonaventure ont accepté, telle quelle, la
théologie de la Rédemption exposée dans le Cur Deus homo ? Il est
donc habituel de trouver chez ces théologiens un grand respect pour la
théologie anselmienne, même, habituellement, chez Jean Duns Scot.
Cependant celui-ci, esprit libre et novateur, va prendre quelque distance
sur le thème de la Rédemption, car les positions de Duns Scot sur la
liberté absolue de Dieu et la liberté de l’homme ne peuvent
s’accommoder des raisons nécessaires qu’Anselme avance pour
expliquer la passion du Christ en introduisant la notion de « satisfaction
vicaire »2. D ’autre part, le primat de la charité en Dieu, dans la
théologie de Duns Scot, conséquence du primat de la volonté dans les
facultés de l’esprit, en Dieu ainsi qu’en l’homme, l’amène à considérer
qu’en Dieu c’est l’amour qui commande tant son œuvre créatrice que
son action rédemptrice, et non pas une quelconque nécessité qui
pousserait Dieu à exiger la réparation de son honneur blessé, ou la

1 DUNS SCOTUS, Op. ox. DI, d. 20, q. un. (Viv. XIV, 729-739). Le texte des Rep.
par. est pratiquement identique.
2 « Satisfaction vicaire », du latin vice, « à la place de » ; le Christ se substitue aux
pécheurs pour satisfaire à l’exigence divine de réparation du péché de l’homme.
582 LUC MATHIEU

compensation par un châtiment de l’injure qu’il a subie. Il faut enfin


ajouter à cette remise en cause le refus par Duns Scot d’avaliser la
théologie du mérite développée par la scolastique précédente.

II. L e c o n t e x t e d e l a q u e s t io n

La question posée par le Livre des Sentences de Pierre Lombard


était assez générale dans sa formulation : « Dieu pouvait-il nous libérer
autrement ? ». - On avait pris l’habitude d’y répondre en invoquant le
Cur Deus homo d’Anselme. Duns Scot note qu’Anselme a voulu
résoudre la question en affirmant la nécessité de la rédemption de
l’homme, et il développe l’argumentation d’Anselme en quatre points :
Anselme affirmait premièrement la nécessité de la rédemption ;
deuxièmement que l’homme ne pouvait être racheté sans « satisfac­
tion », c’est à dire sans une action réparatrice qui soit à la hauteur du
dommage causé à l’honneur infini de Dieu (satis-facere : en faire assez
pour) ; troisièmement que cette satisfaction devait nécessairement être
opérée par un Dieu-homme ; quatrièmement qu’il convenait que le
mode en fut par la passion du Christ.
Duns Scot accepte la plupart des arguments d’Anselme, mais ne
peut accepter l’idée d’une nécessité quelconque en Dieu. Il ramène les
raisons nécessaires d’Anselme à de simples raisons de convenance. Si
Dieu avait jugé bon que l’homme dût être sauvé, son salut s’imposait,
en raison même de cette volonté divine. Et s’il décidait de le sauver
sans violenter sa liberté de créature, il pouvait proposer un mode de
salut qui laissât place au don gratuit de sa bienveillance envers
l’homme qui l’avait offensé, et qui manifestât aussi l’amour parfait et
libre de la créature qu’il avait choisie pour accomplir son dessein. Bien
entendu, Anselme, avec la tradition chrétienne, et surtout à la suite
d’Augustin, affirmait lui aussi que l’action rédemptrice de Dieu venait
en premier lieu dans son amour pour sa créature. Mais Dieu, selon lui,
se devait de ne pas laisser sans compensation le dommage que
l’homme avait infligé à la justice divine et à l’honneur du Créateur.
D ’où, pour Anselme, la nécessité d’une satisfaction réparatrice du
dommage causé à Dieu et à l’homme, d’une peine qui affecte
l’offenseur et qui lui fasse percevoir la gravité de sa faute. D ’autre part,
la faute à l’encontre d’un Être infini exigeait une réparation opérée par
quelqu’un susceptible d’acquérir un mérite infini, d’où l’exigence
ÉTAIT-IL NÉCESSAIRE QUE LE CHRIST MOURÛT SUR LA CROIX ? 583

d’une action souffrante de la part d’un rédempteur capable d’une telle


action. Et c’est le Fils étemel de Dieu lui-même qui s’offre à son Père
pour réaliser cette œuvre de rachat, en prenant sur lui la condition
humaine et s’abaissant à l’extrême. Cette théologie qui a dominé la
pensée occidentale n ’a pas été acceptée par tous, même si, jusqu’au
milieu du XXe siècle, elle était couramment enseignée en Occident3.

1. L a c r it iq u e d u C u r d e u s H o m o p a r D u n s S c o t

Notons tout d’abord le soin extrême que prend Duns Scot pour
exposer objectivement les thèses d’Anselme. L’exposé en est si
soigneux qu’à une première lecture, on peut retirer l’impression que
Duns Scot va s’y rallier. C’est toute la première partie de son
commentaire de la dist. 20 (question unique) du même livre ¿es
Sentences. Mais subitement, le ton change :
Dans ces paroles d’Anselme subsistent pourtant quelques doutes, lorsqu’il
dit que la Rédemption ne pouvait s’opérer autrement que par la mort du
Christ, et qu’elle excéderait l’offrande volontaire de toute créature. Je
prouve en premier lieu que l’homme pouvait être racheté autrement que
par la mort du Christ...

Imaginer qu’il n ’y aurait pas pour Dieu d’autres moyens de


racheter l’homme c’est, pour Duns Scot, singulièrement limiter la
toute-puissance divine. De quel droit une intelligence créée poserait-
elle des limites à la volonté divine ? Que Dieu ait ainsi voulu sauver
l’humanité, cela ne fait aucun doute, c’est un fait, mais c’est un fait
conséquent à une volonté divine qui aurait pu faire un autre choix. Bien
entendu, il est nécessaire que si Dieu décrète que l’homme soit ainsi
sauvé, il le soit :
pour le Christ, subir la mort fut contingent, comme était contingente la
prévision divine selon laquelle il devait la souffrir ; il n’y a donc là aucune
nécessité, sinon la nécessité d’une proposition conditionnelle, à savoir :
‘s’il a été prévu (par Dieu) qu’il souffrirait, il souffrira’, dont cependant
l’antécédent comme le conséquent fut contingent.

3 Les théologiens contemporains sont plus réservés à ce sujet, et n’hésitent pas à


critiquer la théorie de S. Anselme. Cf. par exemple, J. RATZINGER, Foi chrétienne,
hier et aujourd’hui, trad. E. Ginder - P. Schouver, Paris, Cerf, 1965, pp. 156-158.
584 LUC MATHIEU

D ’ailleurs, était-il nécessaire que l’humanité fut réparée, et que le


Christ dût souffrir ? Il convient de ne pas oublier que la création est un
acte divin gratuit, ainsi que toute action divine ad extra. La prédestina­
tion de l’homme à l’existence et à la gloire qui serait sa fin surnaturelle
est elle-même contingente et totalement gratuite ; elle trouve sa seule
raison dans la volonté arbitraire de Dieu. Il aurait très bien pu créer
l’homme en l’ordonnant à l’accomplissement du Bien sans pour autant
le prédestiner à la gloire :
Il n’y avait absolument aucune nécessité à ce qu’il fût racheté, puisqu’il
n’y avait aucune nécessité à ce qu’il fût prédestiné... !

Toutefois, Duns Scot ne met pas en doute que le salut du pécheur


s’ensuit de la décision par Dieu de créer l’homme pour qu’il partage sa
gloire et entre en communion avec les personnes divines. Les modalités
de ce salut auraient pu être cependant tout autres, et rien ne permet à
l’intelligence créée de les imaginer. L’homme ne peut que constater le
processus de salut que Dieu a voulu réaliser par son Fils bien-aimé, et
admirer le plan divin et sa parfaite réalisation. Le plan divin ainsi que
sa réalisation n’en sont pas moins choses parfaitement contingentes.
La prédestination du Christ est logiquement antérieure à toute prévision de
la faute d’Adam, ou des fautes d’autres créatures4.
Même si Duns Scot pouvait admettre que la faute d’Adam et les
péchés de l’humanité ne devaient pas cesser sans une « satisfaction », il
ne peut acquiescer à la thèse d’Anselme selon laquelle ce serait la
nécessité de cette réparation qui serait déterminante dans l’Incarnation
du Verbe. Il est bien vrai que l’Ecriture et la Tradition chrétienne éta­
blissent un lien étroit entre la faute et la venue du Christ « pour nous
les hommes et pour notre salut... il a pris chair de la Vierge Marie »
(Symbole de Nicée), mais pour Duns Scot, cette affirmation vient de ce
que l’Eglise est le lieu de la réparation du péché et qu’elle proclame sa
foi post eventum. L’Ecriture, comme la liturgie sont destinées à des
hommes déjà pécheurs et rachetés. Mais cette façon de parler, propre
aux pécheurs que nous sommes, ne peut laisser supposer qu’un
événement contingent, comme le péché, pourrait être le motif d’une
action divine qui relève du pur amour trinitaire et qui surpasse en
excellence toutes les autres œuvres divines ad extra. La volonté divine

4 DUNS SCOTUS, Rep. par. III, d. 7, q. 4, n. 4 (Viv. XIII, 303a).


ÉTAIT-IL NÉCESSAIRE QUE LE CHRIST MOURÛT SUR LA CROIX ? 585

créatrice n’a pas d’autre motif que l’amour frinitane, gratuit et


surabondant, et sa réalisation vers la créature qui pourrait le mieux y
répondre et y participer (Jésus-Christ) ne peut en rien dépendre de
quelque autre réalisation dans l’ordre du créé. Ainsi l’amour créateur se
porte en premier lieu, et indépendamment des actions bonnes ou
mauvaises d’autres créatures, vers celle-là qui aimera en perfection et
se tournera librement vers les personnes divines. Telle est la prévision
étemelle, et la prédestination du Christ « premier-né des créatures »5. Il
n’y a pas d’autre motif à la création et à la prédestination de celui-ci
que la libre disposition divine, parfaitement indépendante en son action
de tout être et de tout événement contingents.
Cette dernière affirmation nous fait toucher du doigt la radicalité
de la notion de « liberté » chez Duns Scot. On ne peut pas affirmer que
Dieu serait déterminé à agir dans l’ordre du créé par quelque motif que
ce soit, extérieur à son propre être. Étant le Bien souverain, il agit de
lui-même selon le Bien qu’il veut réaliser, et seul son amour (qui dans
la simplicité divine se confond avec son être même), qui est pure
liberté, peut être retenu comme cause de son agir à l’extérieur de lui-
même. On voit ici combien la prise de position théologique de Duns
Scot à l’encontre de positions reçues à son époque est gouvernée par
ses convictions philosophiques. Certes, la « révélation » qui fonde la
doctrine chrétienne du Salut n ’a pas à se plier au cadre de la
philosophie rationnelle d’une créature, fut-elle la plus savante ou la
plus sainte, mais il ne faut pas refuser pour autant à la raison créée de
rechercher une cohérence entre telle pensée philosophique et le donné
révélé ; c’est là que se situe le labeur du théologien.

5 Col. I, 15 ; DUNS SCOTUS, Rep. par. III, d. 7, q. 4 (Viv. XIII, 303a) ; Op. ox.
III, d. 7, q. 3, n. 3 (Viv. XIV, 364).
586 LUC MATHIEU

2. L a l i b e r t é a b s o l u e d e l ’ê t r e d i v i n 6

Pour comprendre cette exigence de cohérence, il convient de rap­


peler la position de Duns Scot concernant la liberté toute-puissante de
l’Être divin. En Dieu, en raison même de sa simplicité, Être,
Intelligence, Volonté, coïncident, et sont identiquement l’Être divin.
Mais du point de vue de notre raison, quand nous parlons de Dieu, nous
établissons une distinction formelle entre ces facultés. On sait que pour
Duns Scot, la volonté prime sur les autres facultés, très spécialement
dans l’ordre de l’action, car même s’il faut « connaître » avant d’agir,
rien ne survient sans la dynamique de la volonté qui choisit d’agir, et
d’agir de telle façon. Un être infiniment intelligent jouit d’un savoir
absolu qui porte tout autant sur ce qui est que sur l’infinité des
possibles. Parce qu’il est lui-même le Souverain Bien, et qu’il est
comme disait saint Anselme, « l'être tel qu ’on ne puisse en concevoir
de meilleur », la vérité de ce qu’il pense se trouve en lui-même, la
bonté de ce qu’il veut trouve sa source en sa propre bonté. Rien
d’extérieur à lui-même ne peut le déterminer à agir, et selon telles ou
telles modalités. C’est pourquoi, tant dans l’ordre de la création que
dans l’ordre du Salut ou de l’octroi de la grâce surnaturelle, le seul
motif qui le pousse à agir est sa propre décision, souverainement libre.
Mais cette décision porte toujours sur un objet « bon », puisque la
volonté divine est l’expression de son propre être. C’est pourquoi on ne
peut pas dire que Dieu pourrait vouloir indifféremment le mal ou le
bien, ou encore que les êtres seraient bons ou mauvais selon que Dieu
voudrait qu’ils soient, car il y aurait alors une contradiction totale dans
l’énoncé : la volonté fondamentalement bonne, et sa toute-puissance
pour réaliser son désir ne peuvent aboutir qu’à une réalisation bonne,6

6 Cf. A. B. WOLTER, The Philosophical Theology o f John Duns Scot, ed. M. M.


Adams, Ithaca (N.Y.) - Londres, Cornell University Press, 1990, c. 9, pp. 183-193 :
« Duns Scotus on the Will and Morality » ; « How Divine Free Will differs from
Ours ».
ÉTAIT-IL NÉCESSAIRE QUE LE CHRIST MOURÛT SUR LA CROIX ? 587

mais multiples sont les possibles que la volonté toute-puissante de


l’être le plus libre peut ou veut réaliser7.
L’infini des possibles est exprimé éternellement dans le Verbe de
Dieu, mais la volonté divine veut librement réaliser tel possible plutôt
que tel autre, n ’étant déterminé que par sa volonté propre, qui ne peut
être que bonne. Le vouloir divin est alors une préordination de la créa­
ture qui sera réalisée effectivement, conformément à l’intelligence
divine qui la connaît éternellement. Ainsi, éternellement a été ordonnée
l’Incarnation du Verbe, c’est-à-dire la « sortie » ad extra du Verbe pour
s’unir à la créature et l’inviter à aimer parfaitement son Créateur et à
communier à sa béatitude. Le Christ, Verbe-incamé, est donc à juste
titre « le premier dans l ’ordre du créé », à la fois dans la pensée divine
et dans la perfection créée, puisque celle-ci répond parfaitement à la
préordination divine. On parle alors de prédestination à l’existence, à la
gratification surnaturelle et à la gloire. Si Dieu Trinité a décidé qu’il
inviterait la créature à partager sa béatitude et qu’il la produirait en vue
de cette fin, il s’agit alors d’un « vouloir ordonné » à une fin, vouloir
efficace dont la réalisation parfaite sera la première visée : la créature
qui partagera en perfection ce vouloir ordonné est donc la première
voulue, et c’est le Christ, dont la nature créée (de par son union au
Verbe étemel) réalise l’union la plus parfaite qui se puisse concevoir
entre Créateur et créature. Toute autre créature appelée à la communion
bienheureuse avec Dieu, mais qui ne jouira pas de ce privilège unique -
l’union au Verbe étemel - sera donc dépendante, pour sa propre
réalisation, de sa conformité à ce Premier-né. Pour Duns Scot, la
création aurait pu s’arrêter à l’incarnation du Verbe, mais la puissance
infinie de Dieu et sa libéralité s’expriment dans la multitude incom­
mensurable des êtres créés, dans leur diversité, et surtout des créatures
spirituelles.
Le péché de l’homme est une catastrophe pour l’homme et pour la
création qui dépend de lui, mais certainement pas pour Dieu dont l’acte
créateur a pleinement atteint son but dans l’existence de Jésus-Christ,

7 Cf. D. FOYER, « La Toute-puissance divine dans la perspective scotiste »,


Mélanges de Science Religieuse 53 (1996), pp. 65-80.
588 LUC MATHIEU

premier aimé, premier voulu. Mais la volonté bienveillante de Dieu le


porte à offrir au pécheur une possibilité de salut, en l’associant à la
gloire de son Christ qui sera le couronnement de l’œuvre créée. Ce
pardon est un acte de pure gratuité, de pure bienveillance, qui se
confond avec l’acte créateur, mais qui de notre point de vue est
formellement second par rapport à la visée première : tout créer et tout
instaurer dans le Christ. Il n’y a ici nulle autre nécessité que le libre
vouloir divin, son amour gratuit et tout puissant.

3. L a l ib e r t é c r é é e d e J é s u s -C h r is t

A la liberté absolue de Dieu-créateur répond la liberté de l’homme,


image de Dieu. Elle n ’est pas absolue comme l’est la liberté de Dieu,
mais, à l’intérieur des limitations dues à la condition de créature, elle
fait de la volonté humaine une faculté d’autodétermination. L’acte
humain responsable, c’est-à-dire l’acte moral, est un acte exempt de
toute contrainte autre que la séduction du bien, et s’il y a, pour celui qui
agit, une perception de la volonté divine, c’est la séduction même de
l’amour de Dieu. Le péché commence là où la séduction des biens
créés détourne le pécheur de la séduction du Bien suprême, comme
l’enseignait saint Augustin. C ’est ce qu’ont vécu les premiers parents
de l’humanité, se laissant séduire sous la suggestion du serpent, au
point de se détourner du vrai Bien.
On sait que Duns Scot a toujours revendiqué l’autonomie de la
volonté du Christ et sa liberté, conformément à l’enseignement du
Concile de Chalcédoine sur la non-confusion de la nature humaine du
Christ avec sa nature divine. C’est en pleine liberté humaine que Jésus-
Christ a choisi d’accomplir la volonté divine et a offert sa vie à Dieu
dans un élan de charité librement voulu8.
Duns Scot n’acceptait pas l’affirmation de saint Anselme selon qui
le péché de l’homme, ayant une portée infinie, devait être racheté par
des mérites infinis qui ne pouvaient être que ceux d’un homme-Dieu.
Aucune créature, ni dans le bien ni dans le mal, n’est capable de poser

8 Cf. L. SEILLER, L ’Activité humaine du Christ selon Duns Scot, Paris, Editions
Franciscaines, 1943, pp. 33-37.
ÉTAIT-IL NÉCESSAIRE QUE LE CHRIST MOURÛT SUR LA CROIX ? 589

une action de valeur infinie, pas même le Christ qui ne peut « mériter »
qu’au niveau de sa nature humaine. Pour satisfaire à la justice divine, à
la suite du péché de l’humanité, il suffisait qu’un homme pose des actes
de la plus excellente charité qui puisse se trouver dans une créature se
laissant secourir par la grâce divine, car notre premier père disposait lui
aussi de cette grâce qui aurait pu le conduire à résister à la séduction du
mal. En effet, comme l’a écrit saint Paul dans l’épître aux Romains, il
n ’y a pas de commune mesure entre la grâce et le péché, et là où le
péché abonde, la grâce surabonde9. Bénéficiant, de par son union au
Verbe, d’une grâce plénière, quoique ayant la capacité théorique de
refuser le bien, Jésus-Christ était cependant libéré de toutes les
séductions du mal, car il jouissait de la vision béatifique qui lui rendait
la volonté divine suprêmement désirable, comme un bien absolu10,
tandis que les autres hommes, blessés par le péché sont désormais
inaptes à se tourner infailliblement vers le bien. C’est donc en pleine
liberté que Jésus-Christ veut réaliser la volonté salvifique de Dieu, et
qu’il est pleinement disposé à être l’instrument de ce salut, dût-il en
souffrir et en mourir. Néanmoins, pour Duns Scot, selon le texte que
nous commentons, Jésus n’a pas désiré mourir, mais il voulait
accomplir la justice et proclamer la vérité, dût-il en mourir. Il fait alors
à Dieu l’hommage de sa vie juste et innocente, comme preuve suprême
de son amour, pour Dieu et pour ses frères.

4. LA l i b e r t é des péch eurs et DES SAUVÉS

L’œuvre rédemptrice du Christ est bénéfique pour tous les hom­


mes et tous doivent pouvoir en profiter. Mais Dieu respecte parfaite­
ment la liberté de chacun, et aucun ne sera contraint d’adhérer au Salut.

9 Rom 5, 20-21 (trad. TOB) : « ... Là où le péché a proliféré, la grâce a surabondé,


afin que, comme le péché avait régné pour la mort, ainsi par la justice, la grâce règne
pour la vie étemelle par Jésus-Christ Notre Seigneur ».
10 DUNS SCOTUS, Op. ox. III, d. 2, q. 1, n. 12 (Viv. XIV, 122b) : « A la nature
qui lui est personnellement unie, Dieu ne peut refuser, de puissance ordonnée, une
suprême charité et au-delà, une suprême béatitude (fruitio), ce qui exclut [de fait] le
péché; c’est pourquoi, en vertu de son union [au Verbe], le Christ est exempt du
péché, non pas formellement, mais virtuellement par ime disposition [divine], une
disposition lointaine ».
590 LUC MATHIEU

Si le pécheur mesurait sa disgrâce et était capable, éclairé par la lumière


divine, d’accueillir le Christ et de se convertir, librement, son salut
serait assuré, encore faudrait-il qu’il se détermine sans contrainte autre
que son propre désir. C’est pour susciter ce désir, tout en respectant sa
liberté, que Jésus va donner, dans l’offrande de sa vie la preuve
irréfutable de son amour et de l’amour divin pour les hommes. Rien
n ’exigeait que le Christ souffrît sa passion, un seul acte de charité
parfaite de sa part réorientait l’humanité vers la communion avec Dieu.
Mais chaque personne est respectée dans son libre choix. Ici intervient
une notion fréquemment utilisée par Scot, la séduction :
Le Christ a préféré mourir plutôt que de se taire, parce qu’il lui fallait dire
la vérité aux Juifs. On peut donc dire qu’il est mort pour la justice.
Cependant, de fait, c’est en raison de son amour qu’il a lui même ordonné
sa passion et qu’il l’a offerte pour nous à son Père... Il aurait pu racheter
l’homme autrement, mais cependant il l’a racheté ainsi par sa libre volonté
... C’est donc pour nous séduire par son amour qu’il nous a rachetés ainsi.
Je crois donc que tel est le motif principal de sa mort. Il voulait qu’ainsi
l’homme soit davantage attaché à Dieu...11
Personne ne peut rester indifférent devant celui qui donne sa vie
par amour. Le pécheur n’est plus capable d’imaginer l’amour de Dieu,
sans cette preuve irréfutable ; à chacun de le reconnaître et de l’accueil­
lir.
On reconnaît bien là le primat de la charité, cher à Scot. Les termes
latins qu’il emploie appartiennent au vocabulaire de l’amour, de la
séduction : « ideo ad alliciendum nos ad amorem suum, ut credo, hoc
praecipue fecit, et quia voluit hominem amplius teneri Deo ». Le verbe
allicio ou adlicio signifie charmer, séduire, attirer par son charme,
choisir par amour. Il a donné en français le verbe « allécher » dont le
sens est plus terre à terre, mais conserve la note de « séduction ».
De cette théorie de la rédemption, on retiendra le grand souci de
Duns Scot de manifester la gratuité des oeuvres divines. L’amour divin,
expression parfaite de l’acte libre et gratuit, qui s’échange éternel­
lement et en plénitude entre les trois personnes divines, est l’unique
motif du dessein créateur, parfaitement réalisé dans l’Incarnation de
Jésus-Christ. Celui-ci est la parfaite ressemblance de Dieu, en ce qu’il

11 DUNS SCOTUS, Op. ox. III, d. 20, q. 1, n. 10 (Viv. XIV, 7).


ÉTAIT-IL NÉCESSAIRE QUE LE CHRIST MOURÛT SUR LA CROIX ? 591

jouit d’une volonté libre, capable d’aimer et de se donner, au point de


reconduire vers Dieu, sans porter atteinte à leur dignité d’hommes
libres, ceux qui s’étaient laissés séduire par d’autre biens que le
Souverain Bien. Cette exaltation de la liberté et de l’amour caractérise
la pensée franciscaine dont nous avons exposé l’un des moments
privilégiés tant en anthropologie rationnelle qu’en théologie.

La Clarté-Dieu, Orsay
VI
PARIS, 2002
AXEL SCHMIDT

THE CONCEPT OF TIME IN THEOLOGY AND PHYSICS

The announced subject of this lecture introduces a vast number of


topics we could focus on. I will restrict myself to the following thesis :
the concept of time as developed by John Duns Scotus, compares to the
Aristotelian concept of time like quantum physics compares to classical
physics.
Time in itself is an enigma. Augustine remarks : “If there is nobo­
dy to ask me, I know what time is - but if You ask me, I cannot explain
it.”1 Why is it that difficult to comprehend time, even though, from
early days on, we use past, present and future tense correctly? The
reason might be this : In order to be able to communicate and to
recognize the content of a cognition, we need a concept that eliminates
the temporal aspect of an object, referred to by this concept. Temporal
phenomena as such, however, cannot be fixed or fetched back ; the
Now that just was, will not come back. This fact can be experienced
immediately, but it is difficult to grasp. The so-called flow of time
makes us think of water passing different positions in space, and
evokes the image of a line drawn on paper. But, the moment this image
is evoked, we lose the intrinsic asymmetry of time, its direction and the
distinction of the present. For a line does not have a direction, and no
point is distinguished. The day to day experience of time, its
asymmetry, is lost, when we picture it as a line. We do lose something,
but there also is a gain. Just as a line has an objective length, in the
same manner we can speak of the length of a certain time : we have
gained the concept of duration. A duration can be measured, thus we
gain temporal quantities.
Any concept only grasps a part of what time really is, its essential
aspect of time, as I will call it. The aspect of time we have lost, I will

1 AUGUSTINUS, Confessiones XI, c. 14.


596 AXEL SCHMIDT

call the existential aspect, as this relates to the Now, which separates
the past from the future. We cannot have an essential concept of this
existential aspect of time, because the present cannot be fixed and
objectified in a time bridging way. Thus, the concept of “present” does
not refer to a quiddity like a normal concept ; it rather functions like the
concept “individual”, as both refer to an irretrievable existence.

I. T h e c o n c e p t o f t im e
IN CLASSICAL AND IN QUANTUM PHYSICS

Starting from here, we can now explain in which way classical


physics is corrected by quantum theory. Physical science investigates
four realities : bodies and their interactions in space and time, insofar as
these can be quantified mathematically. Provided that this formal
determination of the subject is appropriate, it can be concluded that
physics does not consider the existential aspect of time. Although in
1754, d’Alembert remarked that in dynamics time appears only as a
geometrical parameter,2 it wasn’t until the 20th century, that physicists
began to wonder how to scientifically explain the difference between
the past und the future. As it is, in thermodynamics, physicists are
actually forced to claim a difference between the past and the future as
a law of nature, because this physical discipline describes irreversible
processes and finds its Second Main Law, in that entropy increases
with time. In classical mechanics, on the other hand, the difference
between the past and the future is eliminated in all functions, as the
time parameter used has no direction, so that the functions based on it
are invariant to inversion of time. In principle, all processes could run
in an inverse way of time.3

2 I owe this reference to I. PRIGOGINE, Vom Sein zum Werden. Zeit und Kom­
plexität in den Naturwissenschaften, Munich, Piper, 1979, p. 11.
3 Cf. C. F. VON WEIZSÄCKER, Die Geschichte der Natur. Zwölf Vorlesungen, 1.
Auflage Zürich, 1948, 6. Auflage, Göttingen, Vandenhoeck & Ruprecht, 1964 ; ID.,
Aufbau der Physik, Munich, DTV, 31994, pp. 119-162, 250 ff. ; PRIGOGINE, Vom
Sein zum Werden, op. eit,passim.
THE CONCEPT OF TIME IN THEOLOGY AND PHYSICS 597

Albert Einstein, preferring the geometrical aspect of time, consis­


tently claimed the distinction between the past and the future to be
merely subjective ; he said, it “is only an illusion, even if a stubborn
one”.4 Following his lead, the mathematician Hermann Weyl denied
the objectivity of change : “The objective world simply is, it does not
occur. Only in the sight of the consciousness creeping along the world
line of my body, there ‘appears’ a sector of this world and passes it as a
spatial picture, perceived in temporal change.”5
The claim that the existential aspect of time has no objective mea­
ning and that time, therefore, can be described adequately in the spatial
image, inevitably leads to the conclusion that the future cannot be open,
but is definitely as determined as the past, which means that causality
has to be considered in a deterministic way. This coherence can be seen
as follows. Reducing time to a geometric quantity levels out the
difference between the possible and the actual, in other words :
possibilities are described like facts.6 This consequence is inevitable
because time, geometrically comprehended, is already thought through
a timeless concept. A physical law that describes, for instance, the
movement of a ball on an inclined plane, is mathematically represented
in a way that shows the quantities of position and momentum as a
function of time : x = fj (t) ; p = f2 (t). As long as the ball moves
without disturbances, position and velocity each are determined in
every point of time, with no difference between future and past. The
real connection of cause and effect is thus represented by a logical

4 Letter of the 21st March 1955 to the bereaved family of his friend of his youth
Michele Besso ; cf. B. HOFFMANN - H. DUKAS, Albert Einstein, Creator and Rebel,
London, Hart-Davis, MacGibbon, 1972, p. 258. Cf. also C. F. VON WEIZSÄCKER,
Zeit und Wissen, München, DTV, 1995, p. 81-84 ; PRIGOGINE (cf. n. 2), p. 208-210 ;
W. L. CRAIG, Time and the Metaphysics o f Relativity, Dordrecht-Boston-London,
Kluwer Academie publishers, 2001, pp. 77-79.
5 H. WEYL, Philosophie der Mathematik und Naturwissenschaft, 3. wesentlich
erweiterte Auflage, München-Wien, Oldenbourgh, 31966, p. 150. Cf. against this
view K. R. POPPER, Die Welt des Parmenides. Der Ursprung des europäischen
Denkens. München-Zürich, Piper, 1998, p. 255-317.
6 Cf. WEIZSÄCKER, Aufbau der Physik, op. d t , p. 289 ; A. SCHMIDT, Natur und
Geheimnis. Kritik des Naturalismus durch moderne Physik und scotische Metaphysik,
Freiburg-München, Alber, 2003, pp. 93-100.
598 AXEL SCHMIDT

relation of reason and consequence, which is fundamentally timeless.7


Provided that such a representation is adequate without restriction, the
physical state properties even of complex systems can, in principle, be
represented and calculated as functions of time. From this point of
view, we can understand the fictitious idea of an unlimited intelligence
that knows all the relevant state properties at one point of time, and
from this can infer all the past and future state properties : the famous
demon of Laplace.8
Now, I’d like to explain, to what extent quantum theory avoids this
inner consequence of the classical concept of time and law. Quantum
theory like classical physics uses the language of mathematics and
operates with signs that altogether make up a picture. But a picture of
what? This leads to the question on the semantics, the meaning of the
used mathematical signs. Quantum theory can be understood as a trans­
cendental critique of the scope of classical concepts, as an awareness of
their inability to represent the real events in an immediate way. In
contrast, the parameters of the quantum mechanical state function refer
to quantified possibilities of alternative events, i.e. to probabilities, not
to the state properties of a measurement themselves. The alteration of
the semantics of the physical concepts in the way of changing from
different event-determinations to indifferent probabilities is called the
quantization of a classical theory.9 The quantization takes into account
the fact that general concepts are, in principle, indifferent to several
instantiations. The inevitable indifference of concepts representing
temporal dynamics, i.e. of laws, consists in that they are open to several
alternative actualizations, which are not determinately decided by the
state function. Quantization, therefore, means that we have to replace
the twofold semantics, that claims the adequacy of concept and thing in
a naïve realistic way, with a threefold semantics that gives the concept
of probability a fundamental role of mediation. The concept or the state
function does not immediately represent the thing, the real event, but
merely its probability, its quantified possibility :

7 Cf. G. NICKEL, Perspectives on Scientific Determinism, in Between Chance and


Choice. Interdisciplinary Perspectives on Determinism, eds. H. Atmanspacher - R.
Bishop, Thorverton, Imprint Academic, 2002, pp. 35-48.
8 P. S. de LAPLACE, Essai philosophique sur les probabilités, Paris, 1814, p. 2 sq.
9 Cf. WEIZSÄCKER, Aufbau, op. cit., pp. 310-312, 504.
THE CONCEPT OF TIME IN THEOLOGY AND PHYSICS 599

classical theory quantum theory


sign —>reality sign —>possibility —> reality
This change in semantics reveals itself, according to the Copen­
hagen interpretation,10 in that a state described by physical concepts
can undergo two completely different kinds of temporal change, a
continuous one according to the deterministic state function and
another discontinuous one at the moment of measurement, which is
called the collapse of the state function.
Why does the quantum theoretical critique of the classical concept
of law lead to a correction of the conception of time? The existential
aspect of time comes back on the basis of the difference between
decided and undecided alternatives, between facts and possibilities,
which difference is relevant in quantum mechanics.11 Every event that
brings about a decision for one of the alternatives (e.g. a measurement)
is an irreversible process and a genuine progress in time. What was
open before, has now been fixed and remains a fact once and for all.
The past as the epitome of the decided alternatives is absolutely
different from the future as the epitome of the not yet decided ones.
The irreversible closing of opennesses each time an event occurs
corresponds to our daily experience of time ; this experience must
therefore be objective. It’s true the future in its essential possibilities is
outlined by past events, through their causal connection, but seen from
the present, it is actually open.

10 Cf. M. JAMMER, The Conceptual Development o f Quantum Mechanics, New


York, McGraw-Hill, 1966, pp. 323-361 ; E. SCHEIBE, Die Kopenhagener Schule, in
Klassiker der Naturphilosophie. Von den Vorsokratikem bis zur Kopenhagener
Schule, ed. G. Böhme, München, C.H. Beck, 1989, pp. 374-392.
11 Cf. SCHMIDT, Natur und Geheimnis, op. eit, pp. 105 ff, 109-113.
600 AXEL SCHMIDT

IL THE m o d if ic a t io n o f t h e c o n c e p t o f p o s s ib il it y
in D u n s S c o t u s

Now, I’ll turn to the second part of my lecture, the thesis that Duns
Scotus has developed the Aristotelian conception of potency and law of
nature in a way that can be seen as an anticipation of quantization. I’d
like to justify my thesis by commenting on two texts found in the
commentary to the metaphysics, in which Scotus discusses the question
whether and to what degree the material variable being can be object of
a scientific causal analysis. In the first text, Scotus demonstrates that
the Aristotelian analysis of causal acts is deterministic in its core. In the
second text, he offers an alternative view that, without being irrational,
takes into account the indeterminism.
1. The first text is a section of the 2nd question in the 6th book of
metaphysics. Generally, it is about the problem of whether there can be
any science about the accidental being. For our purposes, it is enough
to focus on the discussion of how there can be real contingency in the
sublimar world. Aristotle thought causality to be strictly linear, i.e.
referring to one substance being determined per se to a specific
activity. Scotus does admit that the accidental connection of two or
more causes excludes a cognition per se of the effect, but he does not
accept the conclusion that an objective indétermination can be inferred
from this subjective ignorance. The restriction of the scientific
consideration to linear causal chains gives rise to the appearance of
contingency, but a separate proof is needed to show that this
appearance is not deceptive. Aristotle did not offer such a proof, on the
contrary, his premises lead to the impossibility of real contingency.
For, as long as each partial cause works in the way of physical
inevitability, their complexions into a non linear structure are also
objectively determined, regardless of whether or not we can get an
overview of it.12 This consideration anticipates the argumentation of
Leibniz and the demon of Laplace.

12 DUNS SCOTUS, In VI Met., q. 2, nn. 30-32 (St. Bon. IV, 48-50) : “Potest tamen
dici quod licet in quantum ens per accidens non sit scibile, hoc est, non per istam
causam respectu cuius est per accidens, ut arguit Aristoteles, ab so lu te tamen est
sc ib ile , quia per aliam causam a qua provenit quae respectu eius est ut in pluribus.
THE CONCEPT OF TIME IN THEOLOGY AND PHYSICS 601

As is well known, Scotus as a defender of freedom rejected deter­


minism by postulating synchronic contingency. An event is synchroni-
cally contingent if an opposed event was really possible at the same
time.13 Such contingency presupposes a potency that includes opposed
alternatives in its scope of possibilities, not in succession, but in one
moment. It wouldn’t be possible to represent the actual working of such

Verbi gratia, licet ex comparatione solis ad zodiacum non possit sciri quod pluat sub
Cane, quia sic non habetur causa per se pluviae, tamen ex comparatione alterius
planetae ad solem, vel ad alium planetam, vel ad stellas fixas, vel respectu materiae
sic elevatae, vel ex comparatione multorum simul, potest sciri, quae omnia
concurrentia sunt causa pluviae, ut in pluribus. Et sic generaliter in aliis...
Quod sic probatur : nam omnis causa naturalis sibi dimissa ... producit effectum
cuius est per se causa, nisi per aliam causam naturalem impediatur. Quae si impediat,
hoc non est nisi producendo aliquid cuius est per se causa, per quod impedit aliam
causam minus potentem. Aut si secunda non producit, hoc non est nisi quia tertia
causa impedit, producendo illud ad quod ipsa tertia per se ordinatur, et in hoc impe­
diendo effectum secundae ; et sic de quocumque. ... Et ita videtur quod aeque deter­
minata causa est ad eventum cuiuscumque naturalis effectus per quam possit sciri.
Quia potest sciri ex natura causarum : quae quam vincet et an omnes quamlibet
vincent.
Circumscripta igitur omni voluntate cooperante naturae vel impediente eam,
p o sse t ab so lu te concedi quod n ih il om nino ev en it n isi a causa per se,
per quam est sc ib ile secundo modo, et ita nihil per accidens absolute, respectu
alicuius causae sit aliquid per accidens. In effectibus tamen per se est aliqua differen­
tia, scilicet in simplicitate causae vel compositione, id est concursu multorum. Sed et
ipse concursus d eterm in atu s e st et quantum ad causam suam et quantum ad
effectum, sicut et unumquodque concurrentium esset determinatum ad proprium
effectum. ... Sed iste concursus est per se in causis mere naturalibus, et ita effectus
eius per se simpliciter” (emphasized by me). - Cf. also Ord. I, d. 2, pa. 1, qq. 1-2, n.
149 (textus interpolatus Vat. II, 216). - Independently from Scotus, Tilman Borsche
comes to the same result : T. BORSCHE, Möglichkeiten des Seins, Möglichkeiten des
Denkens, in Potentialität und Possibilitat. Modalaussagen in der Geschichte der
Metaphysik, eds. Th. Buchheim - C.H. Kneepkens - K. Lorenz, Stuttgart-Bad
Cannstatt, Frommann-Holzboog, 2001, pp. 317-332, 319, 325 ff.
13 De primo principio IV, conci. 4, n. 56 (ed. Kluxen, 70) : “Non dico hic
contingens quodcumque non est necessarium, sed cuius oppositum p o sse t fieri
quando istu d f i t ” (emphasized by me). - Cf. J. R. SÖDER, Kontingenz und
Wissen. Die Lehre von den futura contingentia bei Johannes Duns Scotus, Münster,
Aschendorff, 1999 (BGPhMA, NF 49), pp. 44,91-108,116-121,124,199.
602 AXEL SCHMIDT

a potency in a continuous function of time, at least not without


exception, because in this case, its openness to alternatives would not
be synchronic anymore. Synchronic contingency, therefore, implies
discontinuity between potency and acting. When we think of potency
being tim eless, we get the concept of logical possibility14 : in this
sense everything that does not include a contradiction is possible. Now
when we look at a quiddity from the point of its logical possibility only,
it is senseless to speak of continuity. But when we look at it from the
aspect of the real co n d itio n s which define its realizability in tim e,
then we cannot help imagining that the realization must occur
gradually, in continuous steps ; in more precise words : in our mind we
conceive and re-arrange the real conditions in such a way that the
change from a given state to an intended state seems to be continuous.
But it is exactly this conception of time as a continuum, that excludes a
synchronic possibility to alternatives. A continuous change has no syn­
chronic possibility to alternatives ; it can be represented by a continu­
ous function in which time has been brought to a standstill by the
concept. Therefore, real potency existing in time can have a synchronic
possibility to alternatives only if the state changes do not necessarily
have to occur in a continuous way, in other words, if continuity of
temporal change is only one asp ect of reality, exactly that aspect
that can be grasped with a concept.
2. Hitherto we have only examined the implications of the
metaphysical postulate of freedom without showing in what way
Scotus himself conceives of free events in a world that is ruled by laws
of nature. A second text will show us that Scotus made the first steps, if
not more, to some kind of quantization of the Aristotelian physics. A
third step shall make clear that the scotistic teaching of the natura
communis is suitable to help us understand this modification and even
the results of quantum theory.
The text we are going to discuss now is a section of the 16th
question in the 7th book of Metaphysics. Here, Scotus tackles the

14 Cf. Led. I, d. 39, qq. 1-5, n. 49 (Vat. XVII, 494) : “... illam libertatem
voluntatis consequitur alia potentia, quae est logica (cui etiam correspondei potentia
realis). Potentia logica non est aliqua nisi quando extrema sic sunt possibles quod non
sibi invicem repugnant sed uniri possunt, licet non sit possibilitas aliqua in re...”
THE CONCEPT OF TIME IN THEOLOGY AND PHYSICS 603

question of whether the material being insofar as it is in a state of


continual development, can be a subject of science. We can re-phrase
the central argument for our consideration in the following way : If
matter is as temporal as Scotus thinks it is, how can we know anything
about it? Obviously, this is another extreme position Scotus has to fend
off : the heraclitian thesis that the material being has no identity at all.15
If this thesis were right, there would be no scientific knowledge of the
temporal being. I quote Scotus’s answer verbatim :
But the solution of this argument, - because it is conceded that the
corruptible exists in a different way in what is common than in the
singular -, note that the potency to be corrupted or to be non existent can
be understood in two ways : either the potency is remote, which is a
certain aptitude consequent upon nature, as its attribute. And that is
knowable through a common medium, and abstracts from existence.
Otherwise no natural attribute commonly pertaining to generation and
corruption could be known about something. The other potency is
proximate, which is the more immediate order towards an act in what is
properly and proximately receptive of the act. And because the act is only
in the whole taken together, (which does not only include this nature ...,
but adds to this existence - what follows existence, however, does not
pertain commonly to the quiddity, nor is it knowable in creatures),
therefore this potency is not knowable, nor is matter, as its principle, a part
of the quiddity. For matter as such includes also individuation and exis­
tence, but matter, insofar as it is part of the species, includes neither of
these but abstracts from them both.16

15 In scholastic language, the argument goes on : since matter as the potential


principle can come into being and to an end, it cannot belong to the essence, that has
the characteristic possibility to be represented by a timeless logical concept. Hence it
seems, that we can get no unchangeable knowledge of matter. In VII Met., q. 16, n. 18
(St. Bon. IV, 314 ff) : “Item, ratio ad hoc, cap. 5 vel 4 huius VII : ‘omnia facta a casu
et ab arte habent materiam’ ; et illa est qua res ‘potest esse et non esse’, ibidem. Si
ergo materia sit principium per quod aliquid ‘potest esse et non esse’, si esset pars
definitionis, ‘quod quid est’ posset generari et per se corrumpi, contra Philosophum,
cap. 4 et huius VII paenultimo.” - Cf. also Ord. I, d. 3, pa. 1, q. 4, n. 211 (Vat. III,
128 ff). The response : n. 17.
16 In VII Met., q. 16, n. 31 (St. Bon. IV, 319) : “Sed ad solutionem illius rationis -
quia aliter conceditur corruptibile inesse communi et aliter singulari - notandum est
quod potentia ad corrumpi sive ad non-esse, potest intelligi dupliciter, scilicet remota,
quae est quaedam aptitudo consequens naturam sicut passio eius ; et ista est scibilis
604 AXEL SCHMIDT

The solution Scotus offers is analogous to his view of the problem


of individuation. He distinguishes a double meaning of potency, on the
one hand the potentia “remota, quae est quaedam aptitudo consequens
naturam sicut passio eius”, on the other hand the “potentia propinqua,
quae est ordo immediatus ad actum in proprio et proximo receptivo
actus". The remote potency arises from the essence, the essential
aspect of material things. The proximate potency refers to the concrete
actual existence, i.e. to the existential aspect. While in the first text
mentioned Scotus pointed out, that synchronic contingency presup­
poses discontinuous state changes which cannot be predicted, in this
text Scotus emphasizes that the discontinuity of the act does not destroy
the continuity of the essence.17 We can have a general and necessary
knowledge of the essence and its characteristic potencies, but the actual
transition from the essential possibility to the future event can only be
noted empirically, it cannot be predicted.

per medium commune et abstrahit ab exsistentia - alioquin nulla passio naturalis


communiter pertinens ad generationem vel corruptionem posset de aliquo sciri. Alia
est potentia propinqua, quae est ordo immediatus ad actum in proprio et proximo
receptivo actus. Et quia actus non inest nisi ‘simul toti’ (quod non tantum includit
naturam hanc, sicut per se communis includit, sed addit super hoc exsistentiam -
quod autem consequitur exsistentiam communiter non pertinet ad quid, nec est scibile
in creaturis), ideo ista potentia non est scibilis ; nec materia, ut est principium huius,
est pars quiditatis. Nam, ut sic, includit materia et individuationem et exsistentiam,
quorum neutrum includit materia ut est pars speciei, sed abstrahit ab utroque”
(Translation according to A. B. Wolter, except the addition in the first dashes). - Cf.
also ibid., n. 49 (St. Bon. IV, 326).
17 Cf. Ord. I, d. 3, pa. 1, q. 4, n. 246 (Vat. Ill, 149-151) : “Ad primam, ad illud de
mutatione obiecti, - antecedens est falsum ; nec est opinio Augustini, sed error
Heracliti et discipuli sui Cratyli, qui nolebat loqui sed movere digitum, ut dicitur IV
Metaphysicae. ... Non sequitur etiam, ‘si obiectum est mutabile, igitur quod gignitur
ab eo non est repraesentativum alicuius sub ratione immutabilis’, quia mutabilitas in
obiecto non est ratio gignendi, sed natura ipsius obiecti quod est mutabile ; genitum
igitur ab ipso repraesentat naturam per se. Igitur si natura, unde natura, habeat
aliquam immutabilem habitudinem ad aliud, illud aliud per suum exemplar et natura
ipsa per suum exemplar repraesentantur ut immutabiliter unita : et ita per duo
exemplaria, generata a duobus mutabilibus - non in quantum mutabilia sed in
quantum naturae - potest haberi notitia immutabilitatis unionis eorum.”
THE CONCEPT OF TIME IN THEOLOGY AND PHYSICS 605

It is remarkable that Scotus does not substitute one concept of


possibility for another, but rather connects both by relating them to
different aspects of the material being, thus modifying the Aristotelian
concept of potency insofar as, in his view, the acting potency deter­
mines only the essential element of the temporal process, whereas the
existential element of the actual events is left undetermined. This
restriction, however, in order to have a real meaning, presupposes that a
material event cannot be fully described to the extent that all of its
existential determinations are included. In other words : it presupposes
that every abstract representation of real events opens more
possibilities for the future than can in fact occur.
3. Of course, Duns Scotus could not foresee that, in the twentieth
century, quantum theory would provide him with a precise mathema­
tical sense and an empirical confirmation for this claim. On the other
hand, his metaphysical conception of the natura communis can even
help us understand the strange indétermination of the microphysical
events. In what way ?
What is crucial, is his awareness that the abstractive grasp at real
unities is made possible as well as limited by the essential nature that is
in itself indifferent to various ways of actual being. The essence that
can be grasped with concepts is only an inseparable part of the whole,
the other part of which is an individual difference, that has to be
postulated as a non essential one. Whereas this teaching was developed
first to explain the static nature in contrast to the haecceitas, it is easily
applicable to dynamic natural processes. Scotus gives a hint to this in
the quoted text. Accordingly, the concept determining the essential
dynamics grasps only a partial aspect of reality, that is the indifferent
natura communis, in the case of a physical process its possible
development in future. If it is impossible however, to represent with
concepts the ultimate existential differences, then it is not surprising
that a physical law includes them only in the way of modal statements,
i.e. setting alternatives which may have definite probabilities. On the
other hand, the strange phenomena of indétermination give evidence of
the reality of the natura communis, that is, they show that this is not a
metaphysical construct, but the real basis for our formation of
metaphysical and physical concepts. Nature, insofar it can be grasped
by means of laws, is indifferent or undetermined to alternatives. This
indétermination does not mean subjective ignorance, but objective
indifference. The collapse of the state function being incomprehensible
606 AXEL SCHMIDT

within the classical thought, merely shows that even our most exact
concepts cannot represent reality in the way of complete adequacy, and
that they have to be aligned with the real events again and again.
Temporal events can be made fit to our limited comprehension
only partially, for this comprehension seeks to delete the time. Modem
physics let us rediscover the subtle doctor’s awareness which was ins­
pired theologically, as relevant for understanding the enigma of time.

Katholisches Pfarramt St. Pankratius,


Nordkirchen
An s g a r Sa n t o g r o s s i

SOI, INTERSUBJECTIVITÉ ET LANGAGE

CHEZ DUNS SCOT

Dans son ouvrage La querelle des universaux (1996), Alain de


Libera a relevé à maintes reprises les ressemblances entre les philo­
sophies médiévales du concept, d’une part, et les thèmes phéno­
ménologiques d’objet et d’intentionalité, d’autre part. Dans l’exposé
qui va suivre, je me propose de rassembler et de commenter un certain
nombre de textes dispersés de Duns Scot, dans le but de faire ressortir
une pensée implicite du Docteur Subtil sur la connaissance de soi et
d’autrui, sur la connaissance humaine du moi et du toi telle qu’elle
s’accomplit dans et par le langage.

I. C o n n a is s a n c e d e s o i e t c o n n a is s a n c e p a r l e l a n g a g e

En ce qui concerne la connaissance de l’âme par elle-même, Duns


Scot suit une position assez commune chez les scolastiques du XIIIe
siècle, à savoir que l’âme humaine pro statu isto ne jouit pas d’une
intellection de sa propre essence. En cela, l’âme humaine, tout en étant
une substance spirituelle, se distingue de l’ange. Puisque l’intellect
humain doit être mû par un phantasme et que le phantasme ne peut
livrer que l’essence d’une qualité sensible, toute substance, qu’elle soit
matérielle ou immatérielle, n ’est connue que par un concept complexe
élaboré autour du concept de l’étant, objet propre de l’intellect. « Non
cognoscitur anima nostra a nobis nec natura nostra pro statu isto nisi
608 ANSGAR SANTOGROSSI

sub aliqua ratione generali, abstrahibili a sensibilibus... »'. De toute


substance, nous ne savons que son existence comme un étant entouré
d’accidents propres :
Sed ultra conceptum entis nihil specialius intelligitur de quiditate alicuius
substantiae ; non separatae, sed nec materialis... [I]psi enti conjungimus
accidentia positiva vel privativa, quae cognoscimus ex sensu, et facimus
ex ente et multis talibus unam descriptionem, quae tota numquam
invenitur nisi in tali specie. Et conceptus talis descriptionis est perfectior
conceptus quem habemus de tali specie substantiae...12.

Par conséquent, nous ne connaissons pas notre âme comme la


nature substantielle qu’elle est. Nous ne pouvons la connaître que
derrière, si l’on peut dire, ses actes cognitifs et d’appétit qui, eux, nous
sont connus intuitivement. Ces actes sont des effets par lesquels je
connais leur cause seulement comme l’étant qui est leur sujet, que
j ’appelle «m oi». C’est que la connaissance intuitive de mes
intellections et volitions me fait connaître leur pôle sujet comme et
seulement comme un pôle sujet (non pas dans la nature quidditative qui
est la sienne)3. Scot appelle une telle connaissance cognitio discursiva,
en l’opposant à toute connaissance intuitive4. Mais il est à souligner

1 DUNS SCOTUS, Ord, Prol., pa. 1, q. un., n. 28 (Vat. I, 17).


2 DUNS SCOTUS, In IIMet., qq. 2-3, nn. 115-116 (St. Bon. III, 233-234).
3 DUNS SCOTUS, In II Met., qq. 2-3, nn. 115-116 (St. Bon. III, 233-234) : « Nihil
tamen concipimus ‘quid’ nisi ens. Ultra dimensiones sentimus ‘ens non in subiecto
natum recipere dimensiones’, conceptus ‘corporis’; ‘non natum recipere’, ‘substantia
incorporea’. Ita quod in omnibus istis, si quaeritur ‘quid est illud quod est sic aptum?’
vel ‘cui convenit non esse in subiecto ?’ dicimus quod est unum ens, quod est aliquid,
quod est res. Non habemus specialiorem conceptum de quiditate eius. Sed ultra:
amovendo omnia corporibus propria, et ex intellectione et volitione nostra quas
experti sumus cum imperfectione, abstrahendo intellectionem et volitionem in
communi, et intelligendo amotionem illius imperfectionis, attribuendo illis positive:
habemus unam descriptionem ex privativis et positivis, ubi nihil est de quiditate
descripti nisi ens ; omnia alia sunt proprietates essentiae talis. »
4 DUNS SCOTUS, In II Met., qq. 2-3, n. 115 (St. Bon. Ill, 233) : « [S]i effectus
ducit in cognitionem causae quia causa, ergo magis causae magis. » Ibid. (St. Bon. Ill,
234) : « [D]e cognitione discursiva, quae habetur per hoc tantum quod aliquid est
effectus; si autem est effectus, et cum hoc species iam est principium cognitionis
intuitivae, non discursivae. »
SOI, INTERSUBJECTIVITÉ ET AUTRUI 609

que nous avons une connaissance intuitive, expérientielle et directe de


nos actes sensitifs, intellectuels et volitifs. Comme nous le verrons, ces
actes, en tant qu’intuitionnés en moi-même, me font me connaître
comme moi ; en tant qu’universalisables par la connaissance abstrac­
tive, ils rendent possible la connaissance d’autrui comme soi autre ou
comme toi.
Par l’intuition de son propre acte de connaissance, on connaît
l’étant non seulement comme l’étant, mais aussi comme vrai, car la
vérité comme attribut transcendental de l’être, c’est précisément la
manifestativité de l’étant à un pôle datif5. Pour connaître la vérité
comme telle, l’intellect doit comparer son acte à l’objet, il doit pouvoir
connaître son propre acte. Voilà la raison d’être de l’auto-réflexion.
L’immatérialité comme condition de possibilité de la réflexion est au
service, pour ainsi dire, de la connaissance de la vérité actuellement
possédée. Pour savoir ce qu’est la vérité, il n’est pas besoin d’avoir une
connaissance quidditative de l’âme ; il suffît de se connaître comme
datif de manifestation. En outre, on pourrait dire que la connaissance la
plus achevée inclut la connaissance que l’on est dans le vrai. II faut
donc connaître soi-même comme pôle-datif. Voilà l’égoité : celui qui
intellige est connu de soi-même comme pôle datif de manifestation.
Verum signifie donc manifestativum sui à... La conscience intuitive de
son propre acte de connaissance livre une connaissance intuitive d’une
manifestation actuelle, d’une vérité, attribut transcendental de l’étant.
C’est pour cela que l’auto-connaissance est bonne, ce n ’est pas parce
que sa propre âme est un objet beau à contempler que l’on se connaît,
mais pour connaître l’étant comme vrai.
En outre, Scot dit que l’acte cognitif est un trans ire6. On ne peut
évidemment pas connaître un transire sans connaître les deux termes,

5 DUNS SCOTUS, In VI Met., q. 3 (Viv. VII, 333-346) conjugue l’être et la vérité.


L’étant en tant que vrai est une virtualité indépendante et mesurante de l’intellect, une
puissance de se manifester, ou seul ou catégorialement articulé, à un intellect. « Est
enim veritas in rebus, et veritas in intellectu per comparationem ad intellectum dicitur
res vera tripliciter. Primo, sui manifestativa, quantum est de se, cuicumque intellectui
potenti manifestationem cognoscere. » {ibid., 337).
6 DUNS SCOTUS, Ord. I, d. 3, pa. 3, q. 4, n. 603 (Vat. Ill, 356) : « [Ijstae formae
de ratione sui transeant in aliquid ut in terminum, non est enim intelligibile quod sit
610 ANSGAR SANTOGROSSI

du moins comme termes. L’acte de connaissance, en tant qu’intui-


tionné, est l’entre-les-deux qui permet de connaître les deux termes en
tant que termes ; l’âme, point de départ, pour ainsi dire, du transire, ne
peut être connue autrement que comme un terme, un pôle.
Regardé du côté de l’objet, notre thème ici s’appelle vérité, la
manifestation d’un étant. Regardé du côté de celui qui connaît l’étant,
notre thème est minutieusement décrit par Duns Scot dans les facultés
et les actes de l’âme intellectuelle, tels les sens, les phantasmes,
l’intellect agent et passif, les espèces sensibles et intelligibles, et finale­
ment 1’intellection de la chose. Mais nous, lecteurs modernes, sommes
laissés sur notre faim quant à la nécessité du langage pour la pensée.
On ne voit pas tout de suite chez les scolastiques pourquoi les mots
sont nécessaires, non seulement pour communiquer nos pensées à
autrui, mais aussi pour penser nos propres pensées. Toutefois, on
trouve certaines virtualités dans la réflexion philosophique sur la
nécessité du phantasme, qui peuvent mener à une philosophie du
langage. Je les cite et les développe chez Dims Scot ; on verra par la
suite leur importance pour la configuration scotiste de l’auto­
connaissance et de l’intersubjectivité.
Duns Scot est d’accord avec d’autres scolastiques pour dire que le
phantasme est indispensable pour l’intellection humaine, du moins en
conséquence du péché originel. Or le langage, en tant qu’il est sensible
et imaginable, fait partie du phantasme, puisque le sens commun peut
associer un son aux autres sensibles perçus ou imaginés. Pourquoi donc
l’âme humaine accomplit-elle cette association de mots distincts avec
les images visuelles ? Je suggère qu’un son distinct est requis pour
qu’on ait un phantasme qui soit suffisamment distinct pour étayer tel ou
tel concept distinct. Selon la condition humaine qui veut que toute
intellection, intus-legere, se produise à partir d’un phantasme dans la
partie sensitive, on peut dire que même la catégorialité, c’est-à-dire le
concept de l’étant et toutes les relations en découlant, doit être lue elle
aussi dans le phantasme. À la différence des choses sensibles qui se
représentent dans l’âme par les sensations et les images qui sont leurs
similitudes, la catégorialité, qui doit être lue dans le phantasme mais ne

intellectio vel volitio, et quod non sit alicuius termini; hoc autem competit actioni
proprie dictae, ut transeat in aliquid ut in terminum. »
SOI, INTERSUBJECTIVITÉ ET AUTRUI 611

peut pas avoir de similitude, doit être symbolisée par un élément


sensible ou imaginé ad placitum, arbitraire, fixé par la volonté de celui
qui veut connaître intellectuellement.
Le langage est donc l’achèvement du phantasme qui est requis
pour toute intellection, phantasme consistant désormais en une image et
un son particulier associé à lui par le sens commun7. Le mot, en tant
que distinct et différant d’autres mots, est un supplément de fantasme,
en quelque sorte, requis pour symboliser les distinctions implicites ou
explicites de la catégorialité, laquelle existe déjà dans un concept
simple. Même le concept simple, et non seulement la proposition, trahit
un acte de diairesis, de distinction dans le monde phantasié,
puisqu’aucun concept n’est l’unique concept virtuellement contenu
dans un fantasme. Si je prends un crayon comme un crayon, je fais une
certaine coupure intellectuelle dans le réel qui est différente de celle
queje fais en disant « cylindre » ou « cylindre rouge », par exemple. La
différence entre « crayon » et « cylindre » est très facilement incarnée
dans le phantasme, et par là pour mon intellect, par l’association de
sons distincts au même fantasme. Les mots distincts symbolisent des
concepts distincts de par leurs différences entre elles et lem association
aux images.
L ’inclination naturelle à comprendre par la distinction et la
composition de concepts suffit à expliquer le fait que le langage est
naturel : l’être humain prend les mots entendus comme phantasme de
supplément pour la catégorialité. À vrai dire, la philosophie de
S. Thomas est plus adéquate dans cette matière, et pour plusieurs
raisons : S. Thomas nous décrit le fonctionnement d’un sens cogitatif,
chargé d’associer les intentions particulières entre elles et de les joindre
à l’activité intellectuelle ; et il ajoute que le mot, et non seulement la
proposition, signifie la chose comme un étant, déjà alors affecté par la

7 Scot dit ailleurs (Op. ox. II, d. 42, qq. 1-4, nn. 10-13, Viv. XIII, 460-468) que
tout ce que peut faire la faculté inférieure, la faculté supérieure peut faire aussi. Or la
faculté sensitive peut non seulement reproduire des sensibles dans Timagination, mais
aussi les recombiner. Le langage n ’est pas autre chose que cela : le sens commun et
l’imagination associent les mots et les images, pour former un phantasme total qui est
distinct de l’image seule et qui peut par là symboliser une catégorialité. Par le langage
on parachève un phantasme humain en y associant un son particulier ad placitum.
612 ANSGAR SANTOGROSSI

catégorialité, et requérant ce supplément de phantasme pour être pensé


comme étant.
On voit dès lors pourquoi le langage est un signe non seulement
pour autrui mais aussi pour moi-même. Le mot existe pour distinguer,
pour incarner la catégorialité. Ce pour donne au mot le statut d’un
moyen pour une fin. Le mot a un ordre envers son signifié.
On voit aussi la manière précise dont un mot existe comme un
signe. Tout signe est un connu par lequel quelque chose d’autre est
connu, du moins quelque chose d’autre qui est caché et non encore
rappelé dans la mémoire. Dans ce contexte, « autre » signifie l’altérité
entre le son et la catégorialité pour laquelle le son existe. Le signe
linguistique est pour signifier la catégorialité au sens le plus large qui
inclut bien le simple concept, l’étant différent. Le signe révèle à autrui
ce que l’on pense. Le signe révèle à moi-même aussi (ou en soliloque)
ce qui est virtuellement distinguible-intelligible dans mon phantasme et
par là, mes paroles m’enseignent ce queje pense.
Passons à la part importante de la mémoire et la volonté, prises
ensemble, dans le langage selon Duns Scot.
Un passage du quatrième livre de l’Opus Oxoniense, qui traite de
la connaissance de l’âme séparée, nous décrit le jeu de la représentation
dans l’acte de se souvenir. Toute sensation peut, et toute intellection
doit être objet d’une perception intuitive, perception qui laisse dans la
mémoire une espèce par laquelle l’on pourra se souvenir de son propre
acte, directement, et de son objet, seulement à travers cet acte
remémoré. En tant qu’acte cognitif, l’acte passé, premier objet de la
mémoire, fut un transire entre deux termes ; on se connaît donc, par la
mémoire, comme le pôle datif que l’on fut dans cet acte passé. Dans le
même temps Ton perçoit sa perception présente, elle aussi un transire
ayant son pôle datif. Il est à noter ici que pour Duns Scot, l’acte de se
souvenir est une intuition imparfaite. Il existe alors dans le même temps
deux intuitions à travers lesquelles on connaît, cognitione discursiva
non intuitiva, un pôle datif. Et c’est cela le Moi comme objet de
connaissance chez Duns Scot, moi passé et moi présent, tous les deux
SOI, INTERSUBJECTIVITÉ ET AUTRUI 613

connus à travers une connaissance intuitive, genre de connaissance qui


seul différencie, nous le verrons, moi-même et autrui en tant qu’objets8.

il C o n n a is s a n c e d e s o i à t r a v e r s l ’in t u it io n
DE SA « VOLONTÉ DE CONNAISSANCE »

La connaissance du Moi par la mémoire, qui vient d’être décrite,


se conjugue avec une certaine volonté de connaissance, elle aussi objet
d’intuition, pour nous faire voir le rôle irremplaçable du langage
comme tel.
Un texte célèbre dit :
Una intellectione perfecta et distincta existente in intellectu, multae
intellectiones indistinctae et imperfectae possunt inesse. Patet in exemplo

8 DUNS SCOTUS, Op. ox. IV, d. 45, q. 3, nn. 4-6 (Viv. XX, 326-327) : « Hoc
supposito tanquam certo, quod possit nobis inesse actus cognoscendi praeteritum,
inquantum praeteritum, ut objectum, addo quod ille actus, qui dicitur recordari non est
cujuscumque praeteriti immediate, sed tantum alicujus actus praeteriti, qui infuit ipsi
supposito recordanti, et qui fuit in ipso actus humanus [encore une fois, la réflexivité
est pour la connaissance de la vérité possédée, comme telle], ad excludendum actus
vegetativae et casuales, sive generaliter imperceptibiles; non enim recordor ejus quod
est te sedisse, nisi quia recordor me vidisse, vel nosse te sedisse. Unde licet
cognoscam me natum sub ratione praeteriti, vel mundum creatum, non tamen
recordor istius vel illius, quia non novi aliquem actum meum in praeterito
transeuntem super hoc vel illud. Percipit fluxum temporis inter illud instans vel
tempus, in quo fuit illud quod est objectum recordationis, et instans praesentis
perceptionis. Cum oporteat objectum aliquo modo esse praesens ad actum, et non
potest esse in se praesens, oportet quod sit praesens per speciem, et tunc potentia
recordativa erit conservativa speciei. Cum oporteat potentiam recordativam habere
speciem, et non possit illa imprimi ab objecto quando non est, vel quando non est in
se praesens, necesse est eam imprimi ab objecto quando est actu praesens; illud autem
objectum proximum est actus humanus praeteritus; ergo dum ille fuit, imprimebatur
species necessaria. » Ibid. (Viv. XX, 348-349) : « [CJognoscit sensationes. [P]otest
recordari cujuscumque objecti, cujus potest memoria sensitiva recordari, quia potest
illum actum, qui est primum objectum intuitivae, cognoscere quando est, et ita
recordari postquam fuit. »
614 ANSGAR SANTOGROSSI

in visu, qui in pyramide et infra basim videt unum punctum in cono


distincte, et tamen in eadem pyramide, et infra eamdem basim videt multa
inperfecte et indistincte, et tamen una est tantum visio perfecta istius, sc.
super quod cadit axis pyramidis ; si hoc est possibile in sensu, multo magis
in intellectu : intellectione inexistente, licet non cognita, ut objectum,
potest voluntas velle et complacere sibi in objecto illius intellectionis, et in
illa intellectione, et non complacere sibi, aliter enim voluntas non posset
copulare parentem cum prole, quod est contra Augustinum quasi ubique in
libro de Trinitate : ipsius voluntatis sunt duo actus, scilicet complacentiae
et concupiscentiae et actus complacentiae prior est, quia prius complacet
voluntati ex dilectione in illo cui concupiscit, quam concupiscat aliquid
sibi9.
L’âme connaît sa propre volition présente:
Et potest breviter recordari cujuscumque objecti, cujus potest memoria
sensitiva recordari, quia potest illum actum, qui est proximum objectum
intuitivae, cognoscere quando est, et ita recordari postquam fuit ; potest
etiam recordari multorum objectorum proximorum, quorum non potest
sensitiva recordari, utpote omnis intellectionis et volitionis praeteritae.
Quod enim talium recordetur homo, probatur, quia alias non posset
poenitere de malis volitionibus10.
Certaines conclusions peuvent être raisonnablement tirées de ces
textes. Préalablement à l’acte de prêter attention à un objet vaguement
{imperfecte et indistincte) connu pour l’instant (l’objet de la concu­
piscentia intellectuelle), la volition est fixée sur l’âme elle-même
(l’objet de la complacentia) comme sur celui à qui l’objet peut être
donné en présence distincte. Dans la mesure où l’âme connaît sa propre
volition de clarifier un objet vaguement présent aux marges de l’espace
intellectuel, si l’on peut dire, elle se connaît elle-même comme l’objet
de sa propre complacentia, comme « soi » qu’elle veut voir jouir dans
de la présence-distincte-à-venir de ce qui est vaguement connu main­
tenant.
C’est lorsqu’on considère le rapport de la mémoire à la volonté
que l’on peut voir la raison d’être et la cause du langage chez Duns
Scot, tout d’abord parce que les mots ne signifient pas naturellement
par la production d’un concept dans l’intellect de l’auditeur, mais ad

9 DUNS SCOTUS, Op. ox. IV, d. 42, qq. 1-4, nn. 10, 13 (Viv. XIII, 460, 468).
10 DUNS SCOTUS, Op. ox. IV, d. 45, q. 3, n. 17 (Viv. XX, 349).
SOI, INTERSUBJECTIVITÉ ET AUTRUI 615

placitum, c’est-à-dire qu’ils sont institués ou acceptés par la volonté de


l’homme qui les associe aux phantasmes par lesquels il pense. On peut
ajouter le texte suivant à celui qui décrit le champ de vision
intellectuelle comme une pyramide :
Quoad primum illum actum non est in potestate nostra quid intelligamus,
sed illo actu posito, in potestate nostra est cognitio actualis cuiuslibet
habitualiter noti. [P]otest per imperium voluntatis imperantis movere ad
cognitionem speciei cuiuscumque habitualiter cogniti11.

Notre pensée est provoquée, sans notre volonté, mais tout de suite,
nous avons quelque souvenir vague de tout ce que nous avons connu.
Cela suffit pour que nous puissions vouloir nous rendre présents et
distinguer les mots et les propositions dont les espèces résident dans
notre mémoire sensible. C’est par la réminiscence aristotélicienne que
l’écoute ou l’imagination des mots incite l’âme à penser les choses et la
catégorialité que les mots signifient. En fait, la signification, c’est cela.
En voulant cela, nous voulons tout simplement connaître intellec­
tuellement12.

11 DUNS SCOTUS, Ord. I, d. 3, pa. 3, q. 1, n. 384 (Vat. III, 234).


12 DUNS SCOTUS, Op. ox. Il, d. 42, qq. 1-4, n. 17 (Viv. XIII, 472-473) : «Nihil
valet, quod dicunt aliqui, quod vox significativa continet in se conceptum rei, quem
causat in animo audientis. Si enim hoc esset verum, tunc vox significativa audita
movere posset intellectum audientis, secundum illam intentionem, inquantum sc. est
sic significativa, et tunc vox Latina significativa moveret intellectum Graeci audientis
eam, ad conceptum quem exprimit, quod falsum est. Vox significativa solum est
signum rememorativum ad placitum. Unde vox tantum immutat sensum auditus, nec
habet causare in sensu, vel in phantasia, vel in intellectu, nisi conceptum vocis ex se;
auditu tamen immutato a voce significativa, immutatur phantasia et memoria, et
rememoratur illius rei, cujus prius habuit notitiam. Aliter enim nihil moveret, nisi res
cui imponitur prius fuerit sibi nota, et quod ad rem significandam imponebatur, et sic
reducit intellectum ad actualem intellectionem rei prius notae habitualiter». Parce
qu’un son particulier a été imposé pour s’associer à un phantasme suffisamment
distinct pour être le sujet d’une prédication, il existe un ordre qui peut motiver la
réminiscence aristotélicienne, qui fonde en partie le phénomène du langage : DUNS
SCOTUS, Op. ox. IV, d. 45, q. 3, n. 13 (Viv. XX, 337) : «Reminiscens discurrit a
quibusdam notis ad illud, quod aliqualiter decidit, cuius vult recuperare recordationem
(Proceditur enim ibi a contrariis vel a similibus vel a quibuscumque habentibus
ordinem aliquem in sentiri, ad illud, quod quaerimus. » Notre thèse est que la
signification des mots est postérieure à leur imposition, et que le langage est requis
616 ANSGAR SANTOGROSSI

Ainsi le mot acquiert le caractère phénoménal d’un moyen


« pour» le concept associé, et voici une certaine unité d’ordre, du
moyen envers une fin, entre le mot et sa signification. L’ordre entre
deux objets du souvenir est requis, notons-le, par la réminiscence
aristotélicienne. Et c’est parce que la volonté porte sur une chose
venant à une présence distincte, que le son apparaît comme ordonné
« vers » la chose ou la signification. Le mot a une certaine manière
d’être : il s’incline devant le signifié, il est diaphane pour le signifié
comme le disent les analyses husserliennes de la première Recherche
logique. Avec le son ainsi devenu signe, ce qui est enjeu pour l’âme est
l’accomplissement de la catégorialité. Cette unité d’ordre entre d’une
part la catégorialité vague et à clarifier, et d’autre part le son, constitue
l’essence de Yoperatio de l’animal rationnel lorsqu’il entend et com­
prend un mot ou un discours. En effet, cet ordre, une fois constitué, est
gardé dans la mémoire, de sorte que chaque fois que le mot est proféré
ou entendu il suscite, - et c’est la réminiscence aristotélicienne -,
l’intellection distincte qui lui avait été associée.
Pour terminer, je note que cette association ou collatio ne se fonde
pas sur l’énonciation présente en tant que présente, mais sur le mot au
sens de Saussure, sa nature comme le dit Duns Scot :
Sermo audibilis est signum rememorativum respectu conceptus, ita quod
facta immutatione sensus ab ipso sermone, et ulterius intellecta natura
ejus, inquantum talis natura est intellectus cognoscens ipsum [c’est-à-dire
le mot au sens saussurien] esse impositum ad significandum talem natu­
ram, ex collatione ejus ad illud aliud, non ita quod sermo per aliquam
formam causet conceptum de aliqua re, sed sermo est praevius ad concep­
tum de re, de qua causatur, per propriam speciem rei, vel phantasma in
anima13.
Ainsi Duns Scot fait intervenir langage dans son analyse de
l’intellection humaine.

pour l’intellection humaine qui inclut toujours le concept de l’étant. Cf. DUNS
SCOTUS, In I Peri hermeneias, q. 2, n. 5 (Viv. I, 545-546) : « Significare sic
praesupponit intelligere, quod omne significatum prius intelligebatur, alioquin ei vox
non fuisset imposita, sed postquam imposita est, potest illud significare, ad quod
imposita est ».
13 DUNS SCOTUS, Op. ox. IV, d. 1, q. 5, n. 16 (Viv. XVI, 159).
SOI, INTERSUBJECTIVITÉ ET AUTRUI 617

m .I n t e r s UBJECTiviT É : l e d ia l o g u e d e l ’â m e
AVEC ELLE-MÊME, LE DIALOGUE AVEC AUTRUI

Nous avons réuni plusieurs éléments qui nous font comprendre la


connaissance de soi et la connaissance tout court dans et par le langage.
En gardant à l’esprit les résultats acquis, passons aux textes qui font
entrevoir une possible philosophie scotiste de l’intersubjectivité.
Notons que c’est parfois dans un traité de locutione angelorum que
Duns Scot énonce des principes généraux qui s’appliquent de façon
univoque à l’animal rationnel aussi.
Voyons premièrement une certaine ébauche de l’intersubjectivité
dans le dialogue de l’âme avec elle-même, dans la pensée :
Perfecte uti nomine est non tantum uti nomine ut voce quadam naturali,
formando scilicet illum sonum (sicut potest avis edocta formare), sed est
uti nomine ‘ut signo’ non tantum conceptus possibilis haberi ab alio per
illud nomen (sic posset latinus aliquod verbum hebraeum proferre hebraeo,
nesciens quid diceret), sed ut signo conceptus habiti ab utente, ut sic
‘perfecte uti nomine’ sit uti illo ut signo conceptus proprii expressivo.

A l’intérieur de soi-même, signum égale expressivum ; pour


penser, il faut accéder, en distinguant les mots, à une catégorialité
projetée et à clarifier, mais vague et cachée dans un soi temporellement
absent, tant que les mots ne sont pas distingués :
Uti autem illo ut quodammodo causa similis conceptus habendi ab
audiente per rememorationem, non est necessarium ad simpliciter perfecte
uti, sed ad perfecte uti illo ut signo communi inter duos, et ideo requiritur
ad hoc quod est perfecte uti nomine moraliter... Et hanc utramque perfec­
tionem tangit Augustinus Enchiridion 13, dicens : « Verba sunt instituta,
per quae in alterius notitiam quisque cogitationes suas proferat » ; ‘cogita­
tiones suas’, ecce perfectio prima, ‘in alterius notitiam’, ecce secunda.
Intellige ‘alterius’ (vel ‘quasi alterius’), quia quandoque aliquis loquendo
ducit se ipsum efficacius in notitiam per rememorationem quam sine
loquela (in notitiam, dico, non tunc novam), sicut quando loquimur Deo
orando14.

14 DUNS SCOTUS, Rep. I A, d. 22, q. un. (in Appendix A, Vat. V, 390-391).


618 ANSGAR SANTOGROSSI

L’altérité de soi à soi dans ce passage est temporelle ; elle est aussi
soudée par la volonté. En marge de la conscience se trouvent des
choses indistinctes et des catégorialités remémorées mais vagues, et
aussi des mots imaginés, tirés de la mémoire où ils sont associés à des
objets entendus auparavant, et projetés maintenant devant soi comme
un nuage indistinct de mots à distinguer. La volonté de comprendre est
la volonté de distinguer et de rendre présent ce qui a été compris
auparavant. La volonté meut les lèvres ou du moins l’imagination à
parcourir et distinguer les mots qui sont associés dans le but d’accom­
plir l’activité humaine et rationnelle, la compréhension concep-
tuelle/catégorielle.
Le discours de l’âme avec elle-même se présente donc comme une
communication du soi-remémoré au soi-perçu-maintenant, par le
moyen de la volonté qui vise des intellections à venir. On voit par là
pourquoi la « rationalité » peut être définie socialement et la « société »
en fonction du langage :
Secundum illud opus sermonis maxime se habet homo civiliter et politice.
... Locutio maxime convenit homini, ut est rationalis, et ut est homo, quia,
ut sic, est communicativus15.
Une œuvre de libéralité présuppose que la volonté est à l’oeuvre.
La volonté est impliquée dans tout acte de parler :
Ad hoc potissime est locutio in intelligentibus, ut liberaliter et libere
communicent sibi invicem conceptus suos... Angeli conceduntur loqui
Deo, et tamen non possunt aliquid sibi facere manifestius quam prius...
velle hoc esse patens Deo appetunt omnino quantum possunt, ita quod si
possent causare in eo conceptum illum, causarent, et hoc est loqui Deo16.

Sibi invicem, dit Duns Scot ; on peut ajouter ici que même la
pensée solitaire est un dialogue entre le soi du phantasme et des
espèces, d’une part, - phantasme et espèces où la vérité est contenue
virtuellement - 17, et le soi de Pintellection d’autre part. À propos de
l’ange, Scot dit : « Per voluntatem applicantem memoriam suam, potest

15 DUNS SCOTUS, Op. ox. IV, d. 42, qq. 1-4, n. 18, 20 (Viv. XIII, 474, 477).
16 DUNS SCOTUS, Op. ox. IV, d. 9, q. 2, n. 27 (Viv. XII, 502).
17 DUNS SCOTUS, Ord. I, d. 3, pa. 3, q. 1, n. 395 (Vat. IE, 241).
SOI, INTERSUBJECTIVITÉ ET AUTRUI 619

causare intellectionem suam in alio »18, mais on peut très bien


appliquer Vin alio au cas du soliloque humain, car il y a une altérité
entre moi et moi, altérité phénoménale et non de substance il est vrai,
mais néanmoins une altérité. Par le langage, j ’écoute moi-même,
j ’entends maintenant ce qui était contenu comme espèce dans ma
mémoire. Je, moi-intelligence, reçois une communication de la part du
moi-mémoire à travers l’expression qu’est le langage : Scot parle du
langage comme ce par quoi le caché est exprimé19.
Voyons enfin la manière dont l’inter subjectivité au sens propre
repose chez Duns Scot sur la différence entre intuition et connaissance
abstractive.
On peut dire que Dims Scot voit une inclination naturelle à croire
implicitement à l’existence de l’âme d’autrui, afin de combler la soif de
connaissance dans chaque animal rationnel et limité. Scot décrit des
conversations angéliques dans lesquelles un ange renseigne un autre en
imprimant dans l’intellect récepteur une connaissance propositionnelle
qui ne peut être raisonnablement crue par l’ange récepteur que s’il
considère l’émetteur comme le pôle datif d’une connaissance intuitive.
Scot appelle cela solum cognitio fidei, en ajoutant qu’elle est requise in
contractibus hominum20. Or pour l’ange, il est aisé de savoir qu’il y a
autrui, qu’il y a d’autres actes de connaissance que le sien et par
conséquent d’autres pôles datifs de la manifestation, puisque l’ange
peut tout simplement avoir l’intuition d’un autre ange et de ses actes de
connaissance. Par contre pour l’homme un jeu complexe d’intuition et

18 DUNS SCOTOS, Lect. II, d. 9, qq. 1-2, n. 85 (Vat. XIX, 42).


19 II compare Vintellectio actualis à un verbe « quia expressivum latentis »
(souligné par moi). Cf. DUNS SCOTUS, Ord. I, d. 27, qq. 1-3, n. 61 (Vat. V, 88).
20 DUNS SCOTUS, Lect. Il, d. 9, qq. 1-2, nn. 81-84 (Vat. XIX, 40-42) : « In primis
tribus cognitionibus est certitudo cognitionis certitudine evidentiae, sed in quarta est
certitudo adhaesionis et credulitatis. Nam quando angelus videt rem in exsistentia sua
propria, habet certam evidentiam de cognitione rei; sed quando audit ab alio angelo,
et capit ab eo cognitionem alicuius complexi, tunc non habet evidentem cognitionem,
sed credit angelo loquenti causanti illam cognitionem, quia praecise habet illum
actum et cognitionem circa aliquod complexum (ut quod Filius Dei sit incarnatus) ;
verumtamen habet certitudinem credulitatis, quia scit quod qui loquitur, verax est, - et
haec est solum cognitio fidei : ista est fides necessaria in contractibus hominum.
Angelus habet firmam adhaesionem veritati de qua alius angelus sibi loquitur. »
620 ANSGAR SANTOGROSSI

d’abstraction s’impose. Rappelons que l’homme jouit d’une intuition


de ses propres actes cognitifs. La connaissance intuitive vise son objet
en tant qu’il est existant et présent ; la connaissance abstractive est
indifférente par rapport à l’existence ou la non-existence de son objet.
C’est la connaissance abstractive qui intellige la nature commune en
tant qu’elle est essentiellement indifférente à l’existence dans tel ou tel
individu, même quand cette nature existe. Ce qui importe pour notre
propos, c’est la connaissance intuitive mais ensuite abstractive que
l’âme peut avoir de ses propres actes. L’intuition réflexive vise cet
acte-ci, mais l’abstraction acquiert la connaissance de ce type d’acte en
général. On peut alors prédiquer le concept d’acte intellectuel du corps
qui parle devant moi, ainsi l’on connaît de façon non-quidditative, par
l’induction de la cause, l’existence d’une substance rationnelle,
exactement de la même manière que l’on connaît toute autre substance
pro statu isto, à savoir par une cognitio discursiva à partir d’un effet, le
discours en l’occurrence. Pour ce qui concerne la connaissance
abstractive de la substance rationnelle, je cite de nouveau le texte du
deuxième livre des Questions sur la Métaphysique :
Ex intellectione et volitione nostra quas experti sumus, abstrahendo
intellectionem et volitionem in communi, habemus unam descriptionem ex
privativis et positivis, ubi nihil est de quiditate descripti nisi ens ; omnia
alia sunt proprietates essentiae talis21.
Il nous faut connaître Autrui puisque nous avons besoin de plus de
connaissance, la connaissance étant l’objet de notre appétit intellectif
naturel. S’il n’y avait pas de datif de manifestation à la seconde
personne dans ce corps sensible qui émet des signes sensibles, je
n’apprendrais rien (toute connaissance étant la connaissance de
quelqu’un - génitif subjectif).
Je crois à l’âme d’autrui puisque je suis limité et donc social. La
capacité de reconnaître autrui pour recevoir des connaissances fait
partie intégrante de l’homme en tant que politicus et civilis (in
contractibus hominum).
Pour terminer, je soulève quelques questions.

21 DUNS SCOTUS, In II Met. (St. Bon. III, 233-234).


SOI, INTERSUBJECTIVITÉ ET AUTRUI 621

Comment se fait-il que je croie non seulement que quelqu’un


d’autre est une substance qui connaît des vérités que j ’ai besoin de
connaître moi-même, mais aussi qu’il me regarde ?
Pour répondre, il faut approfondir le texte sur Y intellectio in com­
muni : puisque je me souviens de mes actes de réflexion sur moi-même,
je peux acquérir une connaissance abstractive de Y intellectio in
communi et la diriger vers moi-même comme objet : je peux croire que
quelqu’un d’autre me regarde parce que mes propres actes de réflexion
sur des actes sensoriels, localisés dans mon corps, objet de kinesthèses,
m ’ont fourni de quoi former la connaissance abstractive et universelle
de « quelqu’un me regarde ». C’est à partir de là, ordine naturae, que je
peux prédiquer « quelqu’un me regarde » de l’autre corps qui parle
devant moi : les sons proférés par Autrui, pris par moi comme des
signes, indiquent, - effectus inducit in causam dirait Scot - , autrui qui
connaît, ce qui implique la sensation comme base de toute connais­
sance.
Pour développer une philosophie scotiste de l’intersubjectivité, il
faudrait voir dans quelle mesure le sens du toucher chez Duns Scot
comporte l’auto-affection (touchant-touché) et la kinesthèse ; de telles
sensations relèveraient de la connaissance intuitive dans le scotisme.
Ainsi, l’on pourrait peut-être dire que je connais Autrui par une con­
jonction de plusieurs éléments différents, à savoir par la non-
association de mes kinesthèses (lèvres et bouche etc.) avec les mots
prononcés par autrui, par la sensation de mon propre corps dans sa
différence d’avec le corps là-bas (touchant-touché, et touché
seulement), par les sons eux-mêmes entendus sans mes propres
kinesthèses, et par ma connaissance intuitive des actes qui sont les
miens : tout cela donne une connaissance de deux objets différents, à
savoir autrui et moi-même, parce qu’ils diffèrent entre eux par les
différences entre intuition et connaissance abstractive.
Pour résumer : quand j ’intuitionne un acte d’intellection (le mien),
la « première chose » que je comprends, ordine naturae, primo instanti
naturae, c’est la nature (commune) qu’est Yintellectio et donc un soi ou
Ego-tantum-ego. Moi et mien, c’est la déclinaison de ce soi, par
kinesthèses associées ; toi, c’est la déclinaison de ce soi, par manque de
kinesthèses associées et par l’association de sons entendus avec
Y intellectio et le soi. Je ne m’intellige pas moi-même dans les sons
proférés par autrui, parce que ces sons sont les objets d’actes sensitifs
qui sont eux-mêmes objets de mon intuition et qui comportent un moi
622 ANSGAR SANTOGROSSI

pôle-sujet22. La différence entre intuition et connaissance abstractive


est capitale pour penser l’intersubjectivité dans le scotisme : le soi
remémoré est un soi dont les actes furent intuitionnés ; ainsi ces actes
remémorés ont une manière d’apparaître qui diffère de celle des actes
que j ’attribue à autrui, actes qui justement ne sont jamais l’objet
d’intuition. Ainsi par cette différence dans la présentation, j ’arrive à
distinguer deux objets différents, moi et autrui :
Nullus potest habere recordationem, nisi de actu proprio, et hoc humano,
quia per solum illum cognitum ut objectum proximum cognoscitur objec­
tum ejus ut objectum remotum, et per consequens non potest recordari
actus ejusdem rationis in alio, cujus in seipso recordatur23.

Mount Angel Abbey, Oregon (U. S. A.)

22 Voir un texte suggestif : DUNS SCOTUS, Op. ox. IV, d. 45, q. 3, n. 17 (Viv.
XX, 349) : « potest illum actum, qui est proximum objectum intuitivae, cognoscere
quando est, et ita recordari postquam fuit ; potest etiam recordari multorum
objectorum proximorum, quorum non potest sensitiva recordari, utpote omnis
intellectionis et volitionis praeteritae. Quod enim talium recordetur homo, probatur,
quia alias non posset poenitere de malis volitionibus. »
23 DUNS SCOTUS, Op. ox. IV, d. 45, q. 3, n. 6 (Viv. XX, 327).
E m m a n u e l F ajlque

L ’AUTRE SINGULIER

L’HAECCEITÉ D’AUTRUI ET L’HORIZON DE LA FENITUDE

« Au cœur du réel, chez Thomas d’Aquin, se trouve l’acte d’être ;


chez Duns Scot on y trouve l’haeccéité »h Cette unique formule
d’Etienne Gilson suffit à justifier, historiquement au moins, notre
propos : le tode ti ou le hoc aliquid - soit le fait d’être « ce quelque
chose » - du Docteur Subtil se hausse à la mesure de l’esse ou l’acte
d’être du Docteur Angélique. Mais il y a plus, et mieux peut-être, dans
la question de l’haeccéité (haecceitas) que dans celle de l’actualité
(actualitas), au moins pour nous aujourd’hui. Derrière, ou plutôt au
travers de la question de l’individuation se tient en effet celle de la
récente accusation de la « neutralité » dans la philosophie contem­
poraine. On connaît la charge portée par E. Lévinas à l’encontre de M.
Heidegger et de son ontologie définie comme «philosophie du
neutre » : « Placer le Neutre de l’être au dessus de l’étant que cet être
déterminerait en quelque façon à son insu [...], c’est professer le
matérialisme. La dernière philosophie de Heidegger devient ce
matérialisme honteux »12. Jean-Luc Marion, plus récemment, en a même
retourné l’argument contre Lévinas lui-même et son irréductible vis-à-
vis du visage : « L’injonction du devoir envers autrui conduit, en
réalité, à la neutralisation de l’autre comme tel (souligné par
l’auteur) ». Dans la substitution de l’autre au tout autre par le visage,
l’autre en effet ne s’individualise pas jusqu’à devenir « insubstituable à
tout autre ». Au contraire, il est « autre » aussi bien que moi, et peut

1 É. GILSON, Jean Duns Scot. Introduction à ses positions fondamentales, Paris,


Vrin, 1952 (Etudes de philosophie médiévale, 42), p. 466.
2 E. LÉVINAS, Totalité et infini, Paris, Biblio Essais, 1990 (’1971), pp. 332-333 :
« Contre la philosophie du neutre ».
624 EMMANUEL FALQUE

donc prendre ma place comme moi, sans néanmoins se réduire à moi ni


à la sphère du même. Le respect et la responsabilité, fussent-ils pour
moi ou pour autrui, consacrent toujours l’autre à la manière kantienne
comme un universel abstrait dont je suis l’obligé, mais non pas comme
ce singulier concret qui n’a d’autre particularité que de se rendre
précisément « autre de tous les autres ». L’haecceitas - tel est donc le
mot emprunté sinon à Duns Scot, au moins à la tradition scotiste -
désignera alors l’autre « comme tel » parce qu’il me provoque à me
faire moi-même « un tel ». On ne se contentera donc pas du visage,
mais on exigera de tel « visage » qu’il m’envisage pour me donner
cette fois [ma] « figure » singulièrement départagée de tout autre3.
Une seconde raison, contemporaine elle aussi de la philosophie
moderne, invite à interroger à nouveaux frais l’haeccéité : non plus la
singularisation de l ’autre, mais Y individuation de la chose. A l’oubli
de l’être se superpose en effet selon Heidegger un second oubli, lui-
même d’autant plus oublié qu’il reste le plus souvent non-interrogé :
celui de « la chose ». Qu’on se souvienne seulement, exige-t-il de ses
étudiants dans son cours de 1935 {Qu’est-ce q u ’une chose?), de la
petite servante thrace et de Thalès perdu la tête dans les étoiles : « Ainsi
l’on raconte que Thalès serait tombé dans un puits, tandis qu’il s’était
absorbé dans l’observation de la voûte céleste. Là dessus, une petite
servante thrace, malicieuse et mignonne, l’aurait raillé de mettre tant de
passion à gagner les choses du ciel, alors que lui demeuraient cachées
les choses qu’il avait sous le nez et à ses pieds » {Thééthète, 174a)4. Et
tel est bien le drame, au moins de l’histoire de la philosophie depuis
Platon selon Heidegger : interrogeant les étants, le philosophe aurait
perdu le « sens des choses » - entendons ici non pas des objets
saisissables, mais des affaires qui nous concernent {Sache en allemand

3 J.-L. MARION, « L’intentionnalité de l’amour », in Prolégomènes à la charité,


Paris, La Différence, 1986, pp. 112-120. Thème constant de l’haeccéité développé
dans le contexte de l’altérité repris par J.-L. MARION, Étant donné, Paris, PUF, 1997,
p. 348 («contre le Je transcendantal kantien») ou p. 453 (« l’individuation par
l’amour ») ; ainsi que « D’autrui à l’individu », in Positivité et transcendance, Paris,
PUF, 2000, pp. 301-304 : « l’individuation et l’ambiguïté de l’amour ».
4 Texte de Platon repris et commenté par M. HEIDEGGER, Qu'est-ce qu'une
chose ? (1935), trad. J. Reboul - J. Taminiaux, Paris, Gallimard, 1971, p. 14.
L’AUTRE SINGULIER 625

ou thing en anglais)5. Ce qu’il s’agit donc de retrouver pour aujour­


d’hui, ce n’est ni le granit, ni le silex, ni la pierre à chaux ou le grès -
autant de déterminations spécifiques de la chose -, mais bien « la pierre
en tant que chose », la « choséité de la chose » : à savoir, disons lors
d’un déjeuner sur l’herbe, « ce qu’est une pierre, ce que c’est qu’un
lézard qui sur la pierre se chauffe au soleil, ce que c’est qu’un brin
d’herbe qui pousse à côté de la pierre, et ce que c’est que ce couteau
que nous tenons peut-être en main, nous qui sommes couchés sur la
prairie »6.
Mais le plus étrange dans l’affaire est probablement que Heidegger
lui-même a manqué ce que pourtant il cherchait si ardemment : (a)
d’une part parce qu’il rate l’haeccéité, (b) d’autre part parce qu’il rive
toujours la chose à son étantité. (a) On aurait pu croire d’abord que sa
thèse d’habilitation sur Duns Scot - en réalité Thomas d’Erfurt —
(Traité des catégories et de la signification chez Duns Scot), l’aurait
conduit vers l’haeccéité, c’est-à-dire vers « cet autre singulier »
commun dans l’espèce pour autant qu’il possède en lui-même le
principe d’individuation qui le singularise. Il n’en est rien. Le texte,
déjà dans la lignée de Husserl et des Recherches logiques, vire au traité
de logique, et la mention selon laquelle « ce qui réellement existe, c’est
l’individuel » tourne court pour n ’être jamais développée7, (b) Quant à
la choséité ensuite, elle aurait pu quant à elle rattraper ce que la logique
avait manqué. Mais du cours Q u’est-ce q u ’une chose ? de 1935, où il
est essentiellement question de l’objectité chez Kant, à la Conférence
de 1950 intitulée La chose, en quête d’une nouvelle «proxim ité» de
l’homme avec les étants, il n ’est jamais traité de cette chose que serait
cette pierre, ce lézard ou ce brin d’herbe, mais seulement de la chose
dans la neutralité de l’être ou de la lumière du Quadriparti neutre dans
laquelle elle se donne : le ciel, la terre, les divins et les mortels.
L’attardement de la source dans le versement de la cruche ne dit rien ni
de cette cruche, ni cette eau, ni de cette source, ni de ce retard dans
l’acte de déverser - sinon précisément, et à l’inverse, que la cruche (ou

5 Ibid., pp. 15-18.


6 Ibid., pp. 20-21.
7 M. HEIDEGGER, Traité des catégories et de la signification chez Duns Scot
(1916), trad. Fl. Gaboriau, Paris, Gallimard, 1970, pp. 78-79.
626 EMMANUEL FALQUE

la source) contient tout ce qui n’est pas elle, c’est-à-dire l’être ou sa


lumière8.
Revenir vers Duns Scot exige alors d’énoncer une double
demande : (a) y a-t-il d’une part dans l’haeccéité, c’est à dire dans la
détermination de « cette chose » (haec), de quoi sortir de la neutralité
d’autrui jusqu’à le définir dans sa singularité insubstituable à toute
altérité (à l’encontre de Lévinas) ? ; (b) et trouve-t-on d’autre part dans
un tel principe d’individuation de quoi se tirer d’un tel attachement à
l’étantité qui ne révèle rien d’elle-même sinon l’être même qu’elle
prend en garde dans la différence ontologique (à l’encontre de
Heidegger) ? Il n ’y aura pour tout dire & actualité de la philosophie
médiévale, au double sens de l’actuation de ses potentialités et de
l’actualisation de ses positions, qu’à ce prix. Et il est fort à parier que
nos suivants n ’auront que faire des subtiles distinctions scotistes si elles
ne disent à la fois l’homme - ce franciscain - qui s’y tient reclus dans
son propre rapport au monde, et ma singulière humanité qui s’y cherche
aussi dans l’herméneutique d’un texte dont rien ne demeure s’il
n’éclaire mon propre contexte9.
Un cadre doit donc être fixé pour parler de l’haeccéité ou du
« ceci » {hoc), qui le rend autre de tous les autres : celui la philosophie
contemporaine pour autant qu’elle nous dit quelque chose de notre
rapport au monde. Or il se trouve que du cadre de la modernité, Scot
plus que tout autre en fut l’initiateur - ouvrant, pour la première fois
peut-être de toute l’histoire de la philosophie, vers la finitude ou
« l’horizon bouché de notre existence ». Décrié pour être le pourfen­
deur de l’être (Gilson) ou honoré pour délimiter « la seule ontologie
possible » (Deleuze), il n ’en demeure pas moins celui par qui soit le
drame soit le salut arrive. Frontière donc de notre monde et pour notre
monde, peut-être plus encore qu’un Descartes ou un Kant qui en
dépendent plus qu’il ne le savent ou l’avouent, cette finitude

8 Cf. M. HEIDEGGER, « La chose » (1950), in ID., Essais et conférences, trad. A.


Préau, Paris, Gallimard, 1958, pp. 202-206 (ici p. 202) : « En quoi consiste ce qui
qualifie la cruche comme cruche ? »
9 Sur le sens et la nécessité d’une telle « actualité de la philosophie médiévale »,
nous renvoyons à notre ouvrage : Saint Bonaventure et l ’entrée de Dieu en théologie,
Paris, Vrin, 2001 (Études de philosophie médiévale, 79), pp. 20-23 : « Scolastique et
phénoménologie ».
L ’AUTRE SINGULIER 627

aujourd’hui devenue le lieu commun de la philosophie moderne (de


Heidegger à Sartre, et de Merleau-Ponty à Camus) trouve donc en Duns
Scot son père et en nous ses fils. Force est ainsi de redonner d’abord à
ce « cadre de la finitude » toute sa prégnance et sa constance chez Duns
Scot lui-même ( l ere partie), pour ensuite y inscrire l’haeccéité et y
déterminer son propre pour l’homme, comme pour Dieu, dans l’acte de
la charité (2smepartie).

I. L e c a d r e d e l a f in it u d e

Saint Paul le précise, et nous ne pouvons aujourd’hui que


l’entendre : « Souvenez-vous qu’en ce temps là vous étiez sans Messie
[...], sans Dieu dans le monde» (Eph. 2,12). Sans exiger de façon
absurde de Duns Scot qu’il fasse profession d’athéisme (ce qui, bien
sûr, n ’aurait de sens au Moyen Age), il se pourrait cependant que ces
temps passés soient aujourd’hui venus - ou revenus : « L ’athéisme
n’est pas qu’un problème théorique, souligne justement Jean-Yves
Lacoste, et n ’est pas d’abord un problème théorique : il est d’abord un
a priori de l’existence » 10. A tout le moins le Docteur Subtil n’y
adhère-t-il pas, mais le rend-il possible si l’on se passe, faussement à
ses yeux, de toute sphère théologale. Et c’est tout l’honneur de la
philosophie, comme du christianisme, que de s’y affronter, moins pour
le confronter que pour s’en pénétrer. Le chemin de l’univocité, la
limitation de la nature à notre nature et la positivité de la contingence
marqueront ainsi les bornes, tout aussi anciennes que nouvelles, dans
lesquelles l’haeccéité du « ceci » fera elle-même son lit, jusqu’à
déborder, de façon ultime, dans le nouvel et autre ordre de la charité11.

10 J.-Y. LACOSTE, Expérience et absolu. Questions disputées sur l ’humanité de


l ’homme, Paris, PUF, 1994 (Epiméthée), p. 128.
11 Indépendamment donc de tout soupçon d’athéisme chez Duns Scot, on notera
cependant que le Docteur Subtil fut probablement le premier promoteur dans toute
l’histoire de la philosophie, sinon d’une inexistence de Dieu, du moins d’un Dieu qui
n’est pas d’abord aimable en raison de son existence. Cf. O. BOULNOIS, « Si Dieu
n’existait pas, faudrait-il l’inventer ? Situation métaphysique de l’éthique scotiste »,
Philosophie 61 (1999), pp. 50-74. Avec la citation scotiste, p. 56 : « Si par impossible
628 EMMANUEL FALQUE

1. LE CHEMIN DE L’UNIVOCITÉ

L’univocité, et donc Duns Scot, ouvre à la modernité. Une seule


formule de Gilles Deleuze suffit à le montrer : « Il n ’y a jamais eu
qu’une proposition ontologique : l’Être est univoque. Il n’y a jamais eu
qu’une seule ontologie, celle de Duns Scot, qui donne à l’être une seule
voix »12. Qu’est-ce à dire ? Il ne saurait être question, dans le cadre de
cette étude, de parcourir tous les méandres de l’univocité chez le
Docteur Subtil. De brillants et souvent judicieux commentaires et
traductions l’ont vigoureusement démontrée. Qu’il suffise seulement ici
de retracer ses voies, celles-là mêmes qui la consacre pour nous
aujourd’hui comme un résultat au sein duquel vient s’inscrire
l’haeccéité13.
La topique de la formulation de l’univocité du concept d’étant, à la
distinction 3 du premier livre de V Ordinatio, à la fois prévient et met en
garde :
Je dis que Dieu n’est pas seulement conçu dans un concept analogue {in
conceptu analogo) au concept de la créature, c’est à dire [un concept] qui
soit entièrement autre {omnino sit alius) que celui qui est dit de la créature,

un autre Dieu était posé, qui ne nous ait pas créés, et qui ne devrait pas nous glorifier,
il serait encore de manière absolue, souverainement aimable par nous » {Rep. par. III,
d. 27, q. un., n. 6). On notera cependant qu’il est moins question ici de « l’inexistence
de Dieu » et qu’il faudrait donc inventer, en dépit de la force de l’hypothèse (pp. 55-
56), que de l’existence « d’un autre Dieu {alius Deus) » ni créateur, ni glorificateur, ni
aimable par nous. Peut-être y a-t-il donc encore loin à pouvoir affirmer que
« l’hypothèse d’un Dieu non existant remonte au moins à Duns Scot, au début du
XIVe siècle ». Tout au plus est-il posé comme « autre existant », ou plutôt comme
autre essence - l’une s’identifiant toujours à l’autre chez Scot.
12 G. DELEUZE, Différence et répétition, Paris, PUF, 1968 (Bibliothèque de
philosophie contemporaine), p. 52.
13 Pour ce qui est de la traduction et de l’explicitation de l’univocité comme
« destruction » ou plutôt « superposition » à l’analogie thomiste, nous renvoyons bien
sûr à O. BOULNOIS, Duns Scot. Sur la connaissance de Dieu et l ’univocité de l ’étant,
introduction, traduction et commentaire, Paris, PUF, 1988 (Epiméthée) (cité ci-après :
trad. Boulnois, suivi du numéro de page).
L’AUTRE SINGULIER 629

mais dans un certain concept univoque (in conceptu aliquo univoco) à lui
et à la créature14.

Pour le dire de façon simple, et parce que la simplicité a parfois le


mérite de la clarté en dépit de son inévitable simplification, dire par
exemple que Dieu est à la fois « bon » et « pas bon » ou « sage » et
« pas sage », au sens où la bonté ou la sagesse propre au Créateur
s’exclut des créatures, ne convient pas (analogie). Non pas que Dieu ne
soit pas suprêmement sage du point de vue réel, mais en cela seulement
que lui aussi est soumis logiquement à un concept commun d’étant qui
lui appartient tout autant qu’à l’ange, l’homme ou la pierre. L’argument
est clair et s’énonce au paragraphe suivant de Y Ordinatio : quand bien
même je douterais que Dieu soit infini ou non, qu’il y ait un Dieu ou
plusieurs dieux, qu’il soit créé ou incréé, jamais je ne pourrais
cependant douter que je possède un « concept » de ce dont je doute :
« tout intellect certain d’un concept et doutant de plusieurs possède un
concept dont il est certain (habet conceptum de quo est certus), autre
que les concepts dont il doute »15. La proximité avec le cogito cartésien
ne doit cependant pas nous laisser tromper, bien qu’elle en conditionne
l’accès. Duns Scot n ’affirme pas ici queje suis certain de moi qui doute
des étants, mais plutôt que je possède un concept certain et univoque de
l’étantité pour pouvoir douter des étants ou de leurs déterminations
conceptuelles. Tout se passe donc comme si, et il nous semble qu’il en
va toujours ainsi pour le Docteur Subtil y compris pour le principe
d’individuation, une certaine antériorité logique devait être posée de soi
toute différenciation : un concept commun et univoque à Dieu et aux
créatures rend possible leur différenciation, sans lequel en réalité ils
seraient identiques.
Pour le faire comprendre, retraçons, ainsi qu’annoncé, ce chemin
de l’univocité pour ensuite dégager l’haeccéité qui se détachera sur
cette communauté16. Premièrement, et c’est la première proposition et

14 DUNS SCOTUS, Ord. I, d. 3, q. 2, n. 26 (trad. Boulnois, 94).


15 DUNS SCOTUS, Ord. I, d. 3, q. 2, n. 27 (trad. Boulnois, 95).
16 Nous reprenons ici, en le modifiant et en l’accommodant à notre parcours, le
suggestif mais très précis exposé de J.-L. MARION, « Une époque de la métaphy­
sique », in Ch. GOËMÉ, Jean Duns Scot ou la révolution subtile, Paris, FAC Éditions,
1982, pp. 87-95 (on se référera bien sûr à l’introduction d’O. BOULNOIS, Sur la
connaissance de Dieu et l ’univocité de l ’étant, op. cit., pour un plus ample examen).
630 EMMANUEL FALQUE

peut-être la plus fondamentale de V Ordinatio dans son Prologue :


« L ’objet premier naturel de notre intellect est l’étant en tant
qu’étant »17. L’étant en tant qu’étant devient donc un « objet de notre
intellect » - obiectum intellectus nostri - , et pourra, à ce titre d’objet
précisément, être représenté et devenir représentable. Le concept
métaphysique (mais non pas théologique) de Dieu, comme celui des
créatures, nous sera dès lors accessible par notre entendement, cette
fois sans négativité aucune, et il deviendra à la fois inutile et faux de
vouloir distinguer dans Yens, à l’instar de Thomas d’Aquin quelques
décennies plus tôt, l’essence d’un côté (essentia) et l’acte d’être de
l’autre (esse). Ce qui était vrai de Dieu uniquement - identification de
l’essence et de l’existence - le devient aussi de toute créature : « Il est
tout simplement faux que Tasse soit autre chose que l ’essentia »18.
D ’où la deuxième thèse : « L’étant, selon sa raison la plus
commune est le premier objet de l’intellect >>19. Un pas de plus est ici
franchi : objet de l’intellect, Tétant Test maintenant « sous sa raison la
plus commune » - secundum suam rationem comunissimam. Le point
ici est critique, parce qu’il maintient l’univocité sur laquelle s’implan­
tera non pas l’équivocité des étants, mais la différenciation de leurs
formes comme de leurs matières dans un unique principe d’indivi­
duation ou de singularisation (haecceitas). Pour le dire autrement, sou­
ligne et reprend Duns Scot, il n ’y a de « ceci » qui n ’est pas
identiquement un « cela » que dans Tunique mesure où « il y a dans
Tétant un élément commun (est in re ‘commune’), qui n’est pas de soi
ceci (quod non est de se hoc), et auquel par conséquent il ne répugne
pas de ne pas être ceci (et per consequens ei de se non repugnat non­
hoc) »20. De façon plus triviale, quand bien même je ne connaîtrais pas

17 DUNS SCOTUS, Ord, ProL, pa. 1, q. un., n. 1, trad. fr. (modifiée ici) G. SON-
DAG, Jean Duns Scot, Prologue de I’Ordinatio, Paris, PUF, 1999 (Epiméthée), p. 35
(qui traduit cependant ici ens inquantum ens par « être en tant qu’être », ce qui selon
nous perd l’écart d’usage avec Aristote comme Thomas d’Aquin).
18 DUNS SCOTUS, Op. ox. IV, d. 13, q. 1 (cité et commenté par J.-L. MARION,
« Une époque de la métaphysique », loc. cit., p. 89).
19 DUNS SCOTUS, Ord. I, d. 3, pa. 1, q. 3, n. 185 (trad. Boulnois, 160).
20 DUNS SCOTUS, Ord. II, d. 3, q. 1, n. 38. Nous suivons ici la traduction d’É.
Gilson (Jean Duns Scot, op. cit, p. 449) plutôt que de G. Sondag (Le principe
L’AUTRE SINGULIER 631

les choses dans leurs essences propres (pierre, lézard ou herbe), je ne


cesserais pas cependant de considérer qu’il y a bien là de la chose, ou
plutôt de l’étant dans son concept, qui m ’apparaît et demeure
irréductible. D ’où les justes tentatives, par exemple, pour rapporter
l’étant commun au concept contemporain de ‘phénomène’, au moins
comme apparition irréductible de quelque chose qui apparaît21.
La troisième étape ouvre enfin la voie qui nous conduira à la
limitation de la nature puis à sa contingence comme telle : cet être
commun, soulignent les Reportata Parisiensia, « est en effet commun
par soi aux choses parfaites et aux choses imparfaites (commune enim
est secundum se perfectis et imperfectis) >>22. On aurait pu croire, à tort
si l’on s’en réfère à la seule analogie thomiste, qu’une telle
communauté de nature se donnerait par participation à l’être divin et
que les choses créées voire imparfaites recevraient pour une moindre
mesure leur perfection du Créateur. Mais il n’en est rien. Ce concept
commun de l’étant qui précède toutes ses distinctions et différen­
ciations s’étend à tout, et donc autant à Dieu entendu métaphysi­
quement qu’aux créatures. Si l’on s’en tient seulement à la philosophie,
dont la théologie, nous le verrons, dégage un tout autre espace,
l’horizontalité prime sur la verticalité, ou pour le dire dans des termes
plus contemporains, l’immanence des concepts et de leurs signifi­
cations sur la transcendance de leurs contenus existants et de leurs
perfections. Paradoxalement, l’être commun à tout devient en quelque
sorte presque « rien du tout » - disons rien de ce que fait ordinairement
la primauté et la particularité de l’Être. Dès lors en effet que Y esse
s’identifie à Vessentia, tout être ou toute essence doit pouvoir devenir
cet être ou cette essence (l’humanité, par exemple, cette humanité de
Pierre qui la distingue de cette humanité de Paul et de celle de tout
autre être singulier). Pour le dire en termes phénoménologiques, mais

d ’individuation, Paris, Vrin, 1992, p. 103), en ce que la première fait mieux apparaître
selon nous l’acte du détachement de l’haeccéité sur une communauté qui la fonde.
21 Voir par exemple sur ce point, J.-M. COUNET, « L ’univocité de l’étant et la
problématique de l’infini chez Jean Duns Scot », in Actualité de la pensée médiévale,
eds. J. Follon - J. McEvoy, Leuven, Peeters - Louvain-la-Neuve, Editions de l’Insti­
tut Supérieur de Philosophie, 1994 (Philosophes médiévaux, 31), pp. 287-328 (judi­
cieux rapprochement entre Duns Scot et le sens de l’apparition chez Sartre).
22 DUNS SCOTUS, Rep. par. IV, d. 1, q. 1, n. 7 (Viv. XXIII, p. 535).
632 EMMANUEL FALQUE

selon une thématique de l’altérité qui ne devient celle de Scot que par
l’acte de 1’« amour pur » en théologie {infra), il n’y aura pas de « moi
autre » {ego alter) sans poser d’abord un « autre moi-même » {alter
ego). L’unicité du genre se tire donc ici à l’extrême, et rien ne tombe
d’abord dans l’intellect sinon le genre lui-même, qui en perd
précisément sa dénomination jusqu’à devenir commun au créateur et à
la créature. Se rendant capable de se dire communément de tout {ens
commune), du parfait comme de l’imparfait ou du meilleur comme du
pire, l’étant ou l’essence originaire indifférenciée comme objet de
l’intellect ne se perdra pas dans le tout dès lors qu’à partir de cette
communauté il parviendra à dire ou à formuler ce qui n’est - presque -
rien de ce tout qu’il désigne (Y haecceitas). On l’aura compris, il faut
aller au plus lointain (l’essence commune de tous les étants) pour
parvenir au plus proche (ce qui fait la singularité de cet « étant ci »
autre de tous les autres étants). D’où l’exigence chez Duns Scot d’une
nécessaire limitation de la nature à ma propre nature si tant est que les
étants singuliers que j ’éprouve, sans néanmoins pouvoir les prouver,
sont ceux-là mêmes qui constituent ma plus ordinaire étantité.

2. L a l i m i t a t i o n d e l a n a t u r e à m a n a t u r e

Le rapport pour le moins original que Duns Scot établit du naturel


au surnaturel rend raison selon nous de la pertinence de sa quête de
l’haeccéité. La recherche du singulier se révélera en effet d’autant plus
fondée qu’elle sera capable de dire quelque chose de notre propre
humanité. Le prologue de Y Ordinatio est clair, et n ’autorise aucun
détour :
Il est impossible de montrer par la raison naturelle que quelque chose de
surnaturel est présent chez le viateur {nullum supematurale potest ratione
naturali ostendi inesse viatori), ni est requis nécessairement pour la per­
fection de celui-ci (nec necessario requiri ad perfectionem eius) ; ni même
celui qui le possède ne peut savoir qu’il est présent en lui (nec etiam
habens potest cognoscere illud sibi inesse)23.
Que l’on s’entende bien. Duns Scot ne nie pas ici qu’il y ait une
certaine inscription du surnaturel dans le naturel, loin s’en faut. Une

23 DUNS SCOTUS, Ord, Prol., n. 12 (trad. Sondag, 43).


L ’AUTRE SINGULIER 633

simple reprise de sa théorie de VImago Dei suffirait à le montrer24. Il


indique seulement, mais c’est beaucoup au regard du devenir de
l’ensemble de l’histoire de la philosophie, que l’homme pérégrin ou
dans l’état ici-bas ne parviendra pas, à partir du seul naturel de sa
raison, à montrer que le surnaturel y est à la fois requis {requiri) et
présent (inesse). On ne fondera rien sur le vieux précepte selon lequel
« tous les hommes ont la volonté d’être heureux », souligne Hannah
Arendt relisant et s’appuyant sur Duns Scot, sinon tout au plus qu’ils
n’ont pas la « volonté de souffrir >>2526.La rupture du métaphysique et du
théologal n’exige donc ni de nier un désir naturel de Dieu en l’homme
ni de l’exclure comme sa fin la plus naturelle, mais seulement de
refuser tout accès à lui à partir de notre seule nature :
J’admets que Dieu est la fin naturelle de l’homme (concedo Deum esse
finem naturalem hominis), précise 1’Ordinatio, mais cette fin est à
atteindre non pas naturellement mais suroaturellement (sed non naturaliter
adipiscendum sed supematuraliter'fi^.

L’interdit du philosophique renforce donc le théologique. Puisque


la voie de la nature ne suffit ni à découvrir ni à atteindre la surnature,
« seule la théologie peut justifier le besoin de théologie » - mais non
pas la philosophie27.
La séparation des ordres - le métaphysique d’un côté (pas d’accès
au surnaturel par la raison naturelle) et le théologal de l’autre (la
révélation du surnaturel par le surnaturel et lui seul) - loin de les

24 Voir sur ce point DUNS SCOTUS, Ord. I, d. 3, pa. 3, q. 4 (« Y a-t-il dans l’esprit
une image de la Trinité ? »), n. 590, trad. fir. G. SONDAG, Duns Scot. L ’image, Paris,
Vrin, 1993, p. 245 (reprenant et commentant saint Augustin) : « l’esprit est image de
la façon la plus parfaite et dernière lorsque ces actes concourent en lui à la
connaissance de Dieu pris comme objet, car alors l’âme est une similitude expressive
de la Trinité... ».
25 H. ARENDT, La vie de l ’esprit, trad. L. Lotringer, Paris, PUF, 1983, p. 154.
Nous ne pouvons que conseiller au lecteur de porter une attention toute particulière à
ce chapitre sur « Duns Scot et la primauté de la volonté » (pp. 147-171), qui jette une
lumière nouvelle, ou à tout le moins moderne, sur les difficiles arguments du Docteur
Subtil.
26 DUNS SCOTUS, Ord., ProL, n. 32 (trad. Sondag, 59).
27 O. BOULNOIS, Duns Scot. La rigueur de la charité, Paris, Cerf, 1998 (Initia­
tions au Moyen Âge), p. 39.
634 EMMANUEL FALQUE

exclure seulement, leur donne donc au contraire leur consistance


propre, à l’un comme à l’autre. Le monde est d’autant plus monde qu’il
se refuse à se laisser transcender à partir de lui-même, et la révélation
d’autant plus révélation qu’elle exige seulement de s’auto-alimenter à
partir d’elle-même. D ’où la nouvelle question de Duns Scot à propos
des voies (viae) pour accéder à Dieu dans V Ordinatio (d. 2 q. 1 : De
esse Dei), d’autant plus radicale qu’elle maintient la nature dans sa
nécessaire limitation à ma propre nature en ce monde :
Pourquoi l’intellect dont l’objet est l’étant (quare intellectus cujus
objectum est ens) ne trouve-t-il pas repoussante l’idée de quelque chose
d’infini (nullam invenit repugnantiam intelligendo aliquod infinitum)28 ?

L ’interrogation est incisive et son questionnement non moins


patent : quand bien même le naturel ne devrait pas se contenter en droit
du naturel si tant est qu’il tient aussi cette finitude de sa défaillance
pécheresse, pourquoi cependant ne ferait-il pas en fa it de cette même
finitude son propre et unique bien ? Indépendamment de la solution
envisagée par la résistance de la volonté face aux limites de notre
finitude (péché), la brèche est ouverte par la position même de la
question. Pour la première fois dans l’histoire de la philosophie, et ce
n’est pas un moindre acquis dès lors qu’on songe à l’antériorité de Scot
sur Kant et bien sûr Heidegger, le fini ne se laisse pas cette fois penser
par opposition et délimitation de l’infini. Rien d’autre n ’est donné à
l’homme qu’une telle limitation de la nature à son propre état présent -
en quelque sorte toujours bouché par l’horizon de sa finitude. Et « si
l’on argumente à partir de ces choses qui sont objet de foi {ex creditis),
ajoute Duns Scot dans le prologue de Y Ordinatio, le raisonnement ne
porte pas contre le Philosophe {non est ratio contra Philosophum),
puisqu’il n ’admet pas une prémisse qui est objet de foi »29. Ce n ’est

28 DUNS SCOTUS, Ord. I, d. 2, pa. 2, q. 1 {«De infinitate primi Entis [via


quarta] ») (Viv. VTII, 393b-486a).
29 DUNS SCOTUS, Ord., Prol., n. 12 (trad. Sondag, 43). Pour la détermination de
la finitude comme telle, indépendamment du couple fini et infini, voir M.
HEIDEGGER, Kant et le problème de la métaphysique, trad. W. Biemel - A. de
Waelhens, Paris, Gallimard, 1953, § 39, pp. 275-278: «Le problème de la
détermination possible de la finitude dans l’homme ». Quant à une possible ouverture
théologique à partir de cette prise en compte de la finitude, nous renvoyons à notre
ouvrage Le passeur de Gethsémani. Angoisse, souffrance et mort, Lecture
L’AUTRE SINGULIER 635

donc pas peu dire ici que de voir en Duns Scot la figure d’un
philosophe scolastique « si étrangement contemporain de nos
interrogations les plus urgentes »30.
Cette limitation de la nature à ma nature, au moins dans ma
radicale incapacité à la transcender par ma seule intelligence, ne nous
éloigne en rien ici de l’haeccéité. Elle nous y reconduit au contraire,
non pas cette fois par la commune étantité (univocité) mais par la
réduction à notre propre humanité (finitude). L’impossible accès par
nous-mêmes au surnaturel exigera à tout le moins que nous nous
contentions du naturel - pour autant que nous ne nous référons qu’à
notre seule nature. Non encore bienheureux donc, et encore moins Dieu
lui-même, le « ceci » propre qui fait la chose comme autre de tous les
autres désignera ainsi pour nous d’abord le « ceci » {hoc), le plus
proche, de cette pierre ou de cet homme pris dans notre finitude, plutôt
que le « cela », plus lointain, de cet ange ou de ce Dieu donné
seulement dans son auto-révélation. L ’obscurité de l’appréhension du
singulier telle que nous pouvons aujourd’hui l’éprouver, nous y
reviendrons, sera à la mesure de l’épaisseur de notre singularité prise
ici-bas dans la positivité de notre contingence.

3. L a p o s i t i v i t é d e la c o n t in g e n c e

Une reprise entière de la théorie scotiste de la création, de la faute


et de la rédemption, serait ici nécessaire pour mesurer d’où vient que
nous éprouvions une telle limitation de notre intellection, en réalité
d’autant plus puissante que nous l’ignorons. Tel ne sera pas cependant
notre propos ici, outrepassant très largement les bornes fixées à cette
étude, (a) Une raison ontologique, (b) un motif métaphysique et (c) un
argument théologique permettent cependant de penser une réelle posi­
tivité de la contingence chez Scot, de sorte que ce qui sera pour nous
comme le plus propre, soit le plus singulier, ne sera pas du même coup
nécessairement frappé du sceau de la défaillance ou du péché.

existentielle et phénoménologique, Paris, Cerf, 1999 (La nuit surveillée), l ere partie,
pp. 17-64 : « Le vis-à-vis de la finitude ».
30 J.-L. MARION, « Une époque de la métaphysique », loc. cit., p. 95.
636 EMMANUEL FALQUE

(a) Du point de vue ontologique ou de la structure du monde


d’abord, Duns Scot formule parfois certains énoncés d’une étonnante
modernité :
Je dis que la contingence n’est pas seulement une privation ou un défaut
de l’être comme la difformité [...] qui est péché. Plutôt, la contingence est
un mode d'être positif, comme la nécessité en est un autre31.
Tout dépend, bien sûr, de ce que l’on entendra ici par contingence :
soit la possibilité du choix des contraires dans la liberté, soit la
structure du monde comme telle. Mais l’un ne va pas sans l’autre - et
c’est pour tout dire être fidèle au principe de la prudence chez Aristote
que d’indiquer qu’il n’y a jamais ni délibération ni décision sans
positivité d’un monde lui-même capable de mutabilité et de
changement32. Reste cependant que ce qui est conforme à l’aristo­
télisme - le pur respect d’une contingence non dérivée d’abord d’une
quelconque défaillance humaine - n’en est pas moins plus qu’original
dans le contexte du christianisme au regard du péché.
(b) D ’où la seconde innovation, métaphysique cette fois, au moins
dans son choc avec la théologie révélée, et qui rompt maintenant
définitivement avec le contexte grec : la sphère de la contingence
étendue de l’homme à Dieu. Là où on avait coutume d’opposer au
contingent humain le nécessaire divin - monde supralunaire (Aristote),
« raisons de convenance » (Augustin) ou « raisons nécessaires »
(Anselme) - Duns Scot souligne pourtant au Prologue de la Lectura :
La majeure partie de la théologie concerne les vérités contingentes (de
contingentibus) : l’incarnation, que le monde a été créé par les trois
personnes, que l’homme sera béatifié par l’essence divine, sont véritable­
ment des vérités contingentes, tandis que l’engendrement du Fils par Dieu
le Père est une vérité étemelle33.

31 DUNS SCOTUS, cité et commenté par H. ARENDT, La vie de l ’esprit, op. cit.,
p. 158 (sans référence précise au corpus scotiste).
32 Voir P. AUBENQUE, La prudence chez Aristote, Paris, PUF, 1963, pp. 65-66 :
« La théorie de la prudence est donc solidaire d’une cosmologie, et plus
profondément, d’une ontologie de la contingence » (cf. l’ensemble du chapitre II :
« Cosmologie de la prudence » [pp. 64-105]).
33 DUNS SCOT, Lect, Prol., n. I l l , trad. fi. G. SONDAG, La théologie comme
science pratique, Paris, Vrin, 1996, p. 187.
L’AUTRE SINGULIER 637

L’incarnation, la création et la béatification sont donc de l’ordre de


la contingence divine au sens d’une libre décision de Dieu ad extra
(décidant donc de leur être ou de leur non-être), alors que
l’engendrement du Fils par le Père appartient à l’ordre des vérités
nécessaires, puisque directement exigées dans sa nature ad intra (ne
pouvant pas ne pas être). L’extension du contingent à Dieu élargit ainsi
d’autant plus la sphère de sa liberté qu’elle semble aussi se dire par
univocité des êtres dans leur plus pure haeccéité. Il est de la sorte aussi
contingent que « la pierre tombe » {lapidem descendere), souligne
Duns Scot dans ce même prologue de la Lectura, que « j ’aime Dieu »
{me diligere Deum) ou que « Dieu m’aime ». Même répétée toujours à
l’identique, la continuelle retombée de la pierre n’en demeure en effet
pas moins un événement toujours neuf {novum), au moins au vu de
l’ensemble des circonstances qui auraient pu empêcher sa chute (la
présence d’un autre objet ou d’un ciment qui la maintient en
suspension). Ainsi en va-t-il alors, par analogie, de son amour pour moi
comme de mon amour pour lui. Donnés l’un à l’autre par pure
« gratuité », ce qui est vrai de la pierre (sa chute) l’est plus encore de
l’homme et de Dieu (leur amour réciproque), dès lors que la liberté des
seconds déborde très largement l’apparente nécessité de la première. Le
sceau de la liberté marque donc tout ce qui est de l’ordre de l’haeccéité
{cette pierre en train de tomber ou cet homme en train d’aimer), au
point de faire de la contingence de chaque être - pouvant tomber ou ne
pas tomber (aimer ou ne pas aimer) - le principe même de sa
singularisation34. On retrouve là les réquisits les plus contemporains,
qui montrent, une fois encore, à quel point Duns Scot ouvre la voie de
notre propre modernité : «L'être individuel sous toutes ses formes est,
d’un mot très général, contingent {‘zufällig') » souligne Husserl dans
les Ideen I, alors que Jean-Luc Marion définira étymologiquement la
contingence dans Etant donné comme « ce qui me touche » ou qui
« m’atteint » {contingit), au sens précisément où rien de ce qui est

34 DUNS SCOT, Lect, Prol., n. 172 (trad. Sondag, 209, avec le commentaire
pp. 101-103) : « Il est contingent qu’une pierre tombe, et pourtant il existe des vérités
nécessaires sur sa chute, par exemple qu’elle tend vers le centre de la terre et se fait en
ligne droite. Pareillement, que j ’aime Dieu est contingent, et pourtant il peut y avoir à
ce sujet une vérité nécessaire, par exemple que je devrais aimer Dieu par dessus
tout ».
638 EMMANUEL FALQUE

singulier ne saurait être considéré comme ne pouvant pas m’arriver ou


me « tomber dessus »35.
(c) La dernière raison, pour rendre au monde toute sa positivité et
donc à l’haeccéité toute son épaisseur dans sa singularité, tient mainte­
nant à un motif purement théologique dans l’économie même de la
rédemption. La formule de Duns Scot dans les Reportata Parisiensa est
connue, mais non moins remarquable :
Si aucun ange ni homme n ’était tombé (si nec fuisset Angelus lapsus nec
homo), le Christ aurait également été prédestiné [à s’incarner] (adhuc
fuisset Christus sic praedestinatus), même si rien d’autre n’avait dû être
créé que le seul Christ3637.
L ’incarnation ne se fait donc par d’abord par réparation ou satis­
faction, mais par pure glorification du Père dans le Fils et de l’homme
en lui dans sa béatitude. La finitude n ’est donc pas premièrement
marquée de défaillance, puisque là n’est pas d’abord la cause de son
assomption par le Verbe. Le péché d’Adam provoque tout au plus un
retard dans la glorification, mais non pas la cause de la réparation :
Si Adam n’avait pas péché (nisi aliquis prius peccasset), ajoute Scot, le
Christ tout entier aurait été immédiatement glorifié (statim fuisset totus
Christus glorificatusŸ1.
La conclusion alors s’impose, dictée par Duns Scot lui-même et
héritée d’Avicenne : « Qu’on torture ceux qui nient la contingence
jusqu’à ce qu’ils admettent qu’il serait possible de ne pas être
torturé »38. L’ordinaire primauté du nécessaire sur le contingent se voit
ainsi soudainement renversée, contrecarrant en quelque sorte toute
trace d’hellénisme dans la révélation : la contingence (a) d’abord
comme structure du monde a une réelle positivité pour rendre raison de

35 E. HUSSERL, Idées directrices pour une phénoménologie (Ideen I), trad. P.


Ricœur, Paris, Gallimard, 1950, § 2, p. 16 et J.-L. MARION, Étant donné, Paris, PUF,
1997, pp. 117-185. On regrettera cependant que ce dernier n ’ait pas profité de la
mention de « l’être individuel » dans la « contingence » chez Husserl pour les lier l’un
à l’autre dans l’haeccéité. Ce qu’opère selon nous exemplairement Duns Scot ici.
36 DUNS SCOTUS, Rep. par. Ill, d. 7, q. 4, n. 4, repris et traduit par L. VEUTHEY,
Jean Duns Scot. Pensée théologique, Paris, Editions Franciscaines, 1967, p. 83.
37 Ibid., n. 5.
38 DUNS SCOTUS, rapporté par H. ARENDT, La vie de l'esprit, op. cit., p. 157.
L’AUTRE SINGULIER 639

sa consistance et d ’une absolue liberté de l’homme ; (b) ensuite étendue


à Dieu, fait de ses œuvres ad extra (incarnation, création, béatification)
des actes d’une absolue liberté contre toutes les « raisons néces­
saires » ; (c) et enfin, rapportée au Christ, dévoile toute son épaisseur
dans un salut opéré premièrement par glorification et non par
satisfaction ou réparation. A ce point tout est dit, ou presque, de
l’haeccéité, quand bien même il en fut toujours question en creux
seulement. Si singularité il y a - de l’essence comme de l’existence
puisque l’une s’identifient à l’autre chez Duns Scot -, elle n ’aura ainsi
de sens pour moi que si elle me concerne et donc me transforme. Puisse
alors en quelque sorte le « quid » ou le « qu’est-ce que de la chose
{Ding) » se transmuer en un « hoc » ou un « ceci » de l’affaire {Sache),
pour que de l’univocité de l’étantité se tire l’haeccéité de la singularité.

II. L e p r in c ip e d ’i n d i v id u a t io n
OU « QUI FAIT L’ANGE FAIT LA BÊTE »

Nous l’avons souligné : il fallait d’abord à Duns Scot atteindre le


plus lointain (l’univocité du concept d’étant) pour rejoindre le plus
proche (l’haeccéité du singulier). Ce qui est vrai du passage de
l’univocité à l’haeccéité l’est plus encore de l’haeccéité des êtres eux-
mêmes. Pour résoudre la question de « la distinction des anges en
personnes », indique le Docteur Subtil dans le cadre de son traité sur les
anges {Ord. II, d. 3, p. 1 [De principio individuationis]), il faut
« commencer par s’enquérir de la distinction des substances matérielles
en individus {de distinctione individuali in substantiis materia­
libus) »39. Existentiellement au plus près du plus concret (la pierre ou
l’homme) pour dire le plus abstrait (l’ange), Scot privilégie donc, au

39 DUNS SCOTUS, Ord. Il, d. 3, pa. 1, n. 1 (trad. Sondag, 87). On distingue en


effet deux parties dans cette distinction 3 : le De principio inidividuationis (pars
prima) et le De cognitione angelorum (pars secunda). C’est donc dans un cadre
théologique que se pose d’abord le problème de l’individuation chez Scot, en dépit de
sa pertinence pour la philosophie comme telle. C’est ce qu’il s’agira de ne pas oublier
(infra), au risque à l’inverse de réduire l’individuation à un principe purement
logique.
640 EMMANUEL FALQUE

moins dans l’ordre du texte, Phaeccéité du contingent le plus proche de


nous en ses déterminations (Phaeccéité de la pierre pour moi) à la
fulgurance de son éblouissement dans le plus lointain (l’intuition
directe des singuliers pour les anges). Un nouveau renversement de
l’ensemble de la métaphysique se joue alors ici, et qui établit cette fois
non plus un primat du contingent sur le nécessaire, mais du singulier
sur l’universel :
L’individu inclut une certaine perfection que n ’inclut pas le commun
{individuum includit aliquam perfectionem quam non includit com­
mune)40.

Tout, en effet, avant Duns Scot, donnait à penser qu’il convenait


de maintenir comme fondée par soi, et donc non interrogée, la primauté
épistémologique de l’universel sur le singulier, ou du commun sur
l’individu. Qu’il s’agisse de Platon dans les formes exemplaires ou
d’Aristote dans les concepts universels tirés par induction du
particulier, il n ’y a toujours de « science que de l’universel »41. Or la
primauté établie par Scot ici n’est pas d’abord ontologique, à l’instar de
la supériorité maintenue par le Stagirite de la substance première
(« l’homme individuel » ou « le cheval individuel ») sur la substance
seconde (« l’homme et l’animal »)42. L ’individu (individuum) l’empor­
te au contraire « en perfection » sur le commun {commune), non pas
dans son être uniquement, mais jusque dans sa raison de connaître ou
son concept :

40 DUNS SCOTUS, Ord. I, d. 3, n. 150 (trad. Boulnois, 258).


41 ARISTOTE, Met. Z, 1040a, trad. J. Tricot, Paris, Vrin, 1981, p. 435 : « Il est
évident que des substances sensibles individuelles il ne saurait y avoir ni définition, ni
démonstration ». Sur le rapport d’Aristote à l’individuation, on lira avec profit B.
PINCHARE), « Le principe d’individuation dans la tradition aristotélicienne », in Le
problème de l ’individuation, ed. P.-N. Mayaud, Paris, Vrin, 1991, pp. 27-50 (en
particulier pp. 37-45 pour la reprise scolastique des questions aristotéliciennes).
42 ARISTOTE, Cat. 5, 2al0-18, trad. J. Tricot, Paris, Vrin, 1969, p. 7 : «La
substance, au sens le plus fondamental, premier et principal du terme, c’est ce qui
n’est ni affirmé d’un sujet, ni dans un sujet : par exemple, l’homme individuel ou le
cheval individuel. Mais on appelle substances secondes les espèces dans lesquelles les
substances prises au sens premier sont contenues [...], à savoir l’homme et l’animal ».
L’AUTRE SINGULIER 641

Le concept de cette essence sous la raison d’étant (conceptus illius


essentiae sub ratione entis) est plus imparfait que le concept de cette
essence en tant qu’elle est cette essence-ci (ut haec essentia est)43.

La question n’est donc pas seulement ontologique, dans le refus


scotiste de la distinction de l’essence et de l’existence. Elle est au
contraire et premièrement épistémologique, en cela qu’elle remet
précisément en cause le primat de l’universel sur le singulier, jamais
interrogé dans l’ordre du connaître : pourrait-il alors se faire, se
demande en substance le Docteur Subtil, que l’homme ait la
connaissance des singuliers, ou à tout le moins que la connaissance des
singuliers vaille mieux que l’appréhension de l’universel - fut-elle
encore inaccessible pour lui en son état de viateur ? Le cas de la pierre,
de l’homme et de l’ange, serviront ainsi de fil conducteur pour une
enquête qui n ’aura d’autre but que de délimiter d’une part l’haeccéité
par rapport à l’univocité (le paradigme de la piente) et de dégager
d’autre part un type de singularité propre à l’homme (pris entre
l’haeccéité de la pierre et celle de l’ange).

1. Le c a s d e l a p i e r r e o u l a c a u s e d e l a s in g u l a r i t é

Que faut-il dès lors à l’univocité pour se différencier, et plus


encore à la singularité elle-même pour assurer son haeccéité ?
Posant la communauté dans la nature même (posita communitate in ipsa
natura) [supra], répond VOrdinatio, il faut nécessairement chercher une
cause de la singularité (causam singularitatis) qui ajoute (superaddit)
quelque chose à la nature de l’être singulier44.

Les impossibles individuations de l’étant singulier soit par la


matière (Aristote, Thomas d’Aquin), soit par la quantité (Gilles de
Rome et Godefroid de Fontaines), soit par la double négation (Henri de
Gand), sont ici trop connues pour qu’il faille les répéter dans toutes

43 DUNS SCOTUS, Ord. I, d. 3, n. 66, trad, cit, p. 115.


44 DUNS SCOTUS, Ord. Il, d. 3, q. 1, n. 42 (nous suivons ici exceptionnellement
la traduction d’ É. GILSON, Jean Duns Scot, op. cit., p. 452).
642 EMMANUEL FALQUE

leurs péripéties45. L’important est qu’il s’agit bien pour Scot


d’« ajouter » (superaddit) quelque chose (une cause) d’intrinsèque à la
nature de l’être singulier, pour la rendre véritablement singulière. Non
pas qu’elle ne le soit, puisque toute visée empirique suffirait à le
montrer (telle pierre n’est pas telle autre pierre), mais en cela qu’une
cause (causa) doit le justifier, à la manière de la future «raison
suffisante » (Leibniz), cependant réservée ici à la seule haeccéité
(pourquoi cette pierre est-elle telle et non pas autre ou autrement ?). A
nouveau un traité sur les anges (Ord. II, d. 3 p. 1 [De princìpio
individuationis]) - « à nouveau » parce que l’angélologie thomiste nous
avait déjà convaincu d’une pertinence de l’angélologie scolastique pour
éclairer la question contemporaine de l’altérité46 - en règle la formule :
Il y a dans les choses, indépendamment de tout opération de l’intellect, une
certaine unité (aliqua unitas) qui est inférieure à l’unité numérique (minor
unitate numerali), c’est-à-dire l’unité propre au singulier (sive unitate
propria singularis), et qui est néanmoins réelle (realis)47.
Tout est dit, ou presque, dans cet unique énoncé : la « cause de la
singularité » (causa singularitatis) se tient dans un principe d’unité
autonome, antérieur à toute détermination numérique matérielle,
quantitative, qualitative ou existante, qui fait de cet étant qu’il est
précisément cette nature - « unité propre au singulier » (unitate propria
singularis) - négativement d’abord, positivement ensuite.
Négativement, et pour ici reprendre un paradigme célèbre hérité du
Stagirite, ce qui fait que « Socrate est Socrate » n’est donc ni sa matière
(grandeur, morphologie, poids, etc.), ni sa forme (son appartenance à
l’humanité en général), ni même sa différence avec Platon : « Ne pas

45 Outre le célèbre chapitre d’ É. Gilson sur l’haeccéité (Jean Duns Scot, op. cit.,
pp. 444-446 : « Matière et individuation »), on lira avec profit l’article d’O. Boulnois
qui en dépend et en précise cependant les positions historiques : « Genèse de la
théorie scotiste de l’individuation», in Le problème de l ’individuation, op. cit., pp.
51-77 (en particulier pp. 55-66).
46 E. FALQUE, « L’altérité angélique ou l’angélologie thomiste au fil des
Méditations cartésiennes de Husserl », Laval philosophique et théologique, octobre
1995, pp. 625-646 (posant cette fois la question de l’accès à l’autre [hic / z7/z'c] plus
que de sa singularisation [hic, haec, hoc]).
47 DUNS SCOT, Ord. II, d. 3, pa. 1, n. 30 (trad. Sondag, 98, avec une brillante
introduction qui conduit avec pédagogie dans des questions difficiles).
L ’AUTRE SINGULIER 643

être quelque chose [non Socrate pour Platon et non Platon pour
Socrate] n ’explique pas ce que l’on est [Socrate pour Socrate et Platon
pour Platon] >>48. Accusant la théologie apophatique dionysienne de se
perdre dans le flou toujours trop neutre d’une universalité de Dieu -
« nous n’aimons pas souverainement des négations (negationes etiam
non summe amamus) »49 -, Duns Scot exigera à son encontre de
l’haeccéité qu’elle désigne un principe positif, ou une « cause de
singularité », par où elle détermine l’essence à être tel ou tel : non pas
n’importe quel autre en général, toujours remplaçable par un nouvel
autrui, fiât-il irréductible à la sphère du même (Lévinas), mais tel autre
particulier, d’autant plus insubstituable qu’il est nommé positivement
tel, et non pas par comparaison avec d’autres étants de la même
espèce :
La substance matérielle, indique le Docteur Subtil, est individuée (sit
individua) par une entité positive {per aliquam entitatem postitivam) qui
détermine par soi la nature à la singularité (per se determinantem naturam
ad singularitatem)50.

Positivement alors, une forme commune (l’âme humaine) et une


matière commune (le corps humain) suffisent pour composer une
quiddité d’homme (un être répondant à cette définition). Mais pour
qu’il y ait une individualité d’homme (Socrate), et telle est l’originalité
de Duns Scot, il faut requérir cette fois la composition, elle-même
individuelle, d’une forme individuelle (‘cette âme humaine-ci’ de
Socrate) et d’une matière individuelle (‘ce corps humain-ci’ de
Socrate). Socrate n ’est pas Socrate seulement par son âme et son corps
humains, mais par sa manière individuelle de composer son âme
[propre] et son corps [propre], L’haeccéité n’atteint d’abord ni l’âme
(la forme), ni le corps (la matière), ni l’unité des deux (le composé),
mais l’ensemble de ce qui se donne (forme, matière, composé) en tant
qu’elle se tient originairement au principe de ce tout de l’essence pro­
duite par Dieu : « inférieure à l’unité numérique », nous l’avons dit

48 É. GILSON, Jean Duns Scot, op. eit, p. 453.


49 DUNS SCOTUS, Ord. I, d. 3, n. 10 (trad. Boulnois, 85).
50 DUNS SCOTUS, Ord. II, d. 3, pa. 1, q. 6, n. 142 (trad. Sondag, 157), commenté
par É. GILSON, Jean Duns Scot, op. cit., p. 460 et 0 . BOULNOIS, « Genèse de la
théorie scotiste de Tindividuation », loc. cit., p. 66.
644 EMMANUEL FAJLQUE

(;minor unitate numerali), au sens de l’antériorité la plus originaire51.


Ce qui fait donc que « Socrate est Socrate » ne relève pas premièrement
de sa différence avec un autre (supra), ni de ses constituants ou de son
composé (matière - forme), mais, comme on s’est plu parfois à le
formuler quelque peu maladroitement quoique pédagogiquement
(J. Tricot), de sa « Socratité » - c’est-à-dire de sa façon à lui de dire
son essence ou son humanité corps et âme, l’un et l’autre singularisés
dans leurs essences respectives et dans le composé lui-même. Dit de
façon plus contemporaine, quoique bien éloignée de Scot au regard du
sens que nous attribuons à ces termes aujourd’hui : la personne de
Socrate (sa manière spécifique d’unir le propre de son corps et le
propre de son âme) fait son humanité (être tel homme Socrate), et non
pas son humanité (appartenir au genre ou à l’espèce humaine en
général) sa personne (être Socrate). Contre le Stagirite donc, de Socrate
il y a en quelque sorte définition : non pas en ce qu’il est un universel
(l’humanité), mais en ce qu’il définit à lui seul un type d’universel
individué par lui-même et par lui seul, et par où son essence apparaît -
sa « Socratité ». Ce que traduira judicieusement Etienne Gilson par la
formule : « il s’agit donc ici d’une individuation de la quiddité, mais
non pas par la quiddité » (déjà découvert selon nous, au moins en guise
de prémisses, chez Aristote [Métaphysique, A, 5])52.

51 Pour une application pédagogique du principe d’individuation à la détermi­


nation et à la distinction de Socrate et Platon, voir G. SONDAG, Le principe
d ’individuation, op. cit., pp. 71-72 et note 2, p. 99.
52 É. GILSON, Jean Duns Scot, op. cit., p. 464. Pour la formulation de l’haeccéité
de Socrate comme « Socratité », voir par exemple la note de J. Tricot à sa traduction
d’ARISTOTE, Met. Z 8, Paris, Vrin, 1981, p. 393 : « La doctrine de l’individuation par
la forme [...] va rejoindre, dans l’histoire de la pensée, la théorie de l’haeccéité
(haecceitas), par laquelle Duns Scot, en réaction contre le thomisme, a voulu
reconnaître à l’individu une intelligibilité analogue à celle de l’espèce, la Socratité lui
paraissant contenir autant de réalité que l’Humanité, en tant qu’elle est l’ultime réalité
de la forme ». On rapprochera donc ici l’haeccéité scotiste de ce qui se cherche
précisément chez Aristote, au livre A de la Métaphysique cette fois, si, détournant la
question du constituant de l’individuation (matière - forme), on accepte de faire du
déictique - « ta » matière, « ta » forme - le principe même de la singularisation : « Et
les êtres qui appartiennent à la même espèce ont des causes différentes aussi, non plus
spécifiquement, mais en ce que les causes des différents individus sont différentes : ta
matière, ta forme, ta cause efficiente ne sont pas les miennes, bien que dans leur
L’AUTRE SINGULIER 645

Du point de vue de la seule philosophie, et dans l’attente d’une


prise en charge théologique de la distinction des personnes, il en va
cependant de l’haeccéité de Socrate selon Duns Scot comme de
l’haeccéité de tout étant. Ce qui est vrai de l’homme, parce qu’à
première vue plus évident pour nous, l’est aussi et d’abord de cette
pierre comme cet étant le plus ordinaire qui se singularise lui aussi
dans sa forme :
Je soutiens donc que si cette pierre-ci (fuie lapidi) ne se laisse pas diviser
en parties subjectives, insiste de façon engagée le Docteur Subtil
(concedo), il faut nécessairement que ce soit en raison de quelque chose de
positif qui lui est intrinsèque (per aliquid positivum intrinsecum). Ce
quelque chose de positif, je l’appelle cause par soi de l’individuation (per
se causa individuationis'f^.

On aurait probablement tort ici de déplorer une quelconque


homogénéisation de l’individuation de l’homme sur l’haeccéité de la
pierre. C’est au contraire par pur respect de la contingence, nous
l’avons vu, et pour en rester d’abord au niveau de ce qui est donné par
la nature à ma nature {supra), que le principe d’individuation touche
d’abord l’ensemble des étants - et pour moi en priorité ceux qui me
sont les plus proches, y compris moi-même. Quand bien même en effet,
d’un point de vue didactique (selon Dieu), l’haeccéité serait vraie
premièrement de l’essence divine puis des anges, de l’homme et de la
pierre ; d’un point de vue heuristique (pour moi), elle l’est d’abord de
cette pierre ou de ce lézard plutôt que de cet ange ou de ce Dieu.
Une question dès lors demeure et rejoint donc notre seconde
interrogation : une fois déterminée l’haeccéité de la pierre à partir de
cette « cause interne » par laquelle son essence elle-même se
singularise, comment alors passer de la simple singularité des étants
singuliers à Yunicité de cet étant singulier qu’est cet homme Socrate,
pris entre la choséité de la pierre et l’immatérialité de l’ange ?

notion générale, elle soient les mêmes » (Met. A 5, 1071a28-29, trad. J. Tricot, p.
662).
53 DUNS SCOTUS, Ord. II, d. 3, pa. 1, q. 2, n. 57 (trad. Sondag, 112). Sur le cas de
la pierre, non seulement comme paradigme de l’haeccéité (hic), mais de la production
et de la compréhension des essences par Dieu, on consultera les deux célèbres
exposés du Docteur Subtil : Ord. I, d. 35, q. un., n. 32 ; et Lect. I, d. 36, q. un., nn. 23-
27.
646 EMMANUEL FALQUE

2. L a SINGULARITÉ DE L’HOMME OU L’APPEL DU NOM

Deux raisons, l’une philosophique et l’autre théologique, invitent


au moins à ne pas considérer l’humanité de cet homme Socrate au
même titre que ce qui fait l’essence singulière de ce caillou au bord du
chemin ou de ce brin d’herbe sur la prairie :
Non seulement la foi (secundum fidem), précise Duns Scot dans son traité
sur les anges [le principe d’individuation], mais encore la philosophie
(secundum philosophiam), nous font obligation de considérer que chaque
homme a une âme intellective propre (aliam et aliam animam intellec­
tivam)54.
Foi (fides) et philosophie (philosophia), tels sont donc les deux
points de vues à partir desquels envisager la singularité propre à
l’homme - ou à « chaque homme » - cette fois.
(a) Du point de vue philosophique d’abord, l’argument porte ici
contre ce « maudit Averroès (illius maledicti Averrois), qui a imaginé
qu’il existe un seul intellect pour tous les hommes (de unitate
intellectus in omnibus) »5S. Que l’homme selon son espèce se distingue,
conformément au programme aristotélicien, des animaux ou des
végétaux par son âme intellective n ’est pas l’essentiel pour le Docteur
Subtil - dont la subtilité serait amoindrie à être autant bafouée (d’où le
maudit Averroès). La fameuse et complexe querelle sur l’intellect
commun trouve plutôt selon nous dans l’haeccéité sa plus profonde
objection. Ce qui fait l’homme en effet n ’est pas son âme intellective
comme telle, dans une division purement formelle, mais l’acte de
considérer « chaque homme » comme ayant « une âme intellective
propre » (aliam et aliam animam intellectivam). Les hommes ne se
partagent ni ne se divisent un seul intellect, pas davantage que la pierre
ne s’individualise par sa quantité ou son étendue. Mais chaque homme
au contraire « fait son intellectualité ou son humanité » - au même titre
qu’on a pu autrefois « faire ses humanités » en réalisant par soi-même
les tâches de l’humain - dès lors qu’il la différencie et la singularise
dans sa propre étantité. Ni Socrate ni Platon ne sont une part d’un
intellect commun auquel ils prennent part, mais ils sont chacun par leur

54 DUNS SCOTUS, Ord. II, d. 3, q. 6, n. 164 (trad. Sondag, 164).


55 Ibid.
L’AUTRE SINGULIER 647

intellect propre des êtres ou des essences capables de singulariser leur


propre humanité.
(b) C’est alors du point de vue théologique, ou plutôt théologal (la
« foi »), que l’haeccéité trouve très précisément en Dieu et pour
l ’homme son véritable motif : (i) dans le nom de Dieu révélé à Moïse
d’une part, (ii) et dans la détermination de l ’autre singulier par l’amour
d’autre part, (i) L’adresse de Yahvé à Moïse marque d’abord pour Scot,
à suivre la leçon du Traité du premier principe, une tentative de Dieu
pour se dire à l’homme dans les concepts qu’il sait accessibles à son
humanité ici-bas - l’étant univoque :
Seigneur notre Dieu, à Moïse ton serviteur qui cherchait à savoir de toi, le
maître le plus vrai, de quel nom il devait te désigner aux fils d’Israël,
sachant ce que l'intelligence des mortels pouvait concevoir de toi, tu as
répondu révélant ton nom béni : Je suis celui qui suis (ego sum qui sum
[Ex. 3,14]). Tu es l’être véritable (verum esse), tu es l’être tout entier [...].
Aide-moi, Seigneur, quand je cherche à savoir quelle connaissance de
l’être véritable que tu es peut atteindre notre raison naturelle en prenant
comme point de départ Y être (ens) que tu t’es attribué5657.
« Métaphysique de l’Exode » (Gilson) ou « projet d’ontothéo-
logie » (Vignaux), tout semble ici contenu dans le cadre de cette
démonstration du « Premier principe » pour une détermination
métaphysique de Dieu à partir de Dieu lui-même - celui-ci
condescendant en quelque sorte vers l’homme, non pas nécessairement
pour lui révéler son nom propre, mais celui seulement compréhensible
par l’humain : l’esse réduit à Yens commune51. Mais, contre toute

56 DUNS SCOTUS, De primo principio I, 1, trad. fr. sous la direction de


R. Imbach, in Cahiers de la Revue de philosophie et de théologie 10 (1983), p. 43.
57 Pour l’interprétation de Duns Scot dans le sens thomasien de la métaphysique
de l’Exode, voir E. GILSON, L'esprit de la philosophie médiévale, Paris, Vrin, 1932,
t. 2, pp. 52-53 (et t. 1, pp. 54-55 pour la définition de la philosophie chrétienne
comme « métaphysique de l’Exode ») : « Sur ce plan des thèses maîtresses et des
idées directrices, il (Duns Scot) rejoint par les voies qui lui sont propres les positions
auxquelles saint Thomas d’Aquin était arrivé avec les siennes » (p. 52). Quant à
l’interprétation du nom de Dieu révélé à Moïse comme « ontothéologie », voir
P. VIGNAUX, «Mystique, scolastique et exégèse», in Dieu et l'être. Exégèses
d ’Exode 3,14 et de Coran 20,11-24, ed. Centre d’Etudes des Religions du Livre,
Paris, Études Augustiniennes, 1978 (Etudes augustinniennes. Série antiquité, 78), p.
648 EMMANUEL FAJLQUE

« métaphysique » (Gilson) ou « ontothéologie » (Vignaux), il y a selon


nous davantage dans ce nom que la simple déclaration par Dieu à
l’homme de ce que ce dernier peut entendre. « Celui qui est » ne nous
dit positivement qu’il « est » dans son universalité (esse) chez Scot que
pour autant qu’il demeure négativement pour nous inaccessible dans sa
singularité : Ego sum qui sum - « Je suis Celui (Hic) qui suis >>58. Le
nom de l’être donné ici par Dieu à l’homme en raison de son
accessibilité accuse donc un défaut de la métaphysique plutôt qu’il ne
la consacre. Le nom propre de Dieu, à l’instar de toute la tradition juive
(YHWH), reste pour tout dire indicible - non pas ici par sa grandeur ou
son universalité, mais au contraire par sa singularité ou son haeccéité :
En Dieu, précise le prologue de YOrdinatio, le sujet premier de toute la
théologie en soi est l’essence divine en tant qu’elle est ‘celle-ci’ (essentia
ut haec)59.
Au moins dans la « théologie connue de Dieu » (theologia divina),
mais non par l’homme (theologia tradita)60, nous y reviendrons,
1’« essentia ut haec » - l’essence « en tant que celle-ci » - indique aussi
la nature et le nom propre de Dieu comme singularité, inaccessible
pour nous ici-bas mais faisant son être véritable au-delà. L’« état de
joie que nous ne possédons qu’à certains moments mais que Dieu a
toujours », souligne déjà chez Aristote, provient non pas de son
immatérialité mais de sa singularité61. Ce qui rend ainsi raison de la

208 : « (à propos de la réponse de Dieu à Moïse chez Scot) Il ne paraît pas possible de
mieux formuler le projet d’une ontothéologie à partir de la révélation ». A compléter
par l’autre étude plus fouillée et davantage centrée sur une lecture de 1’Ordinatio, (du
même), « Métaphysique de l’Exode et univocité de l’être chez Jean Duns Scot », in
Celui qui est. Interprétations juives et chrétiennes d ’Exode 3,14, eds. A. de Libera -
E. Zum Brunn, Paris, Cerf, 1986 (Patrimoines), pp. 103-126.
58 ‘Hic’ de l’haeccéité de Dieu bien sûr absente en latin, mais contenue pourtant
conceptuellement dans le ‘qui’ de la formule ego sum qui sum.
59 DUNS SCOT, O rd, Prol., n. 170 (trad. Sondag, 225).
60 Sur le sens de cette distinction, voir le commentaire de G. Sondag au Prologue
de Y Ordinatio, op. cit., pp. 177-180.
61 ARISTOTE, Met. A 7 , 1072b24-25 (trad. Tricot, 683) : « Si donc cet état de joie
que nous ne possédons qu’à certains moments, Dieu l’a toujours, cela est admirable,
et s’il l’a plus grand, cela est plus admirable encore ». Voir sur ce point le juste
commentaire de B. PlNCHARD, « Le principe d’individuation dans la tradition
L ’AUTRE SINGULIER 649

réponse de Dieu à Moïse chez Scot n ’est donc pas, sinon par défaut,
l’univocité de son être avec tous les êtres - ‘Je suis celui qui est’ -,
mais au contraire l’appellation singulière de lui-même par lui-même
comme la source inascible de toutes les singularités possibles : ‘Je suis
Celui qui est’. Loin de l’être et proche du Nom, telle est donc en
quelque sorte la nouveauté de l’interprétation scotiste de la formule
adressée à Moïse (Ex. 3,14), par la singularité du « Celui » plutôt que
par le réquisit de l’Être, par l’appel du nom plutôt que par
métaphysique de l’Exode62.
(ii) Quant à la détermination de l’autre singulier par l’amour, elle
tient elle aussi tout entière dans l’appel scotiste, directement adressé
par Dieu au sujet de l’homme cette fois, qui le fait être dans sa
singularité (d’homme) en même temps qu’il le conçoit à partir de sa
propre singularité (de Dieu) :
Amo : volo ut sis - « ]’aimeJ e veux que tu sois >>63.

Que « l’amour donne l’être » (j’aime / tu sois), tel est le premier


sens à attribuer à la formule64. Mais il y a plus, et mieux, chez Scot qui
sort précisément de la double neutralité de l’altérité (Lévinas) comme
de l’ontologie (Heidegger). Seule la singularité de celui qui donne ou
plutôt « se donne» puisqu’il est l’amour même (« J ’aime») confère
l’être à cet être singulier qu’il désire jusque dans son essence (« tu

aristotélicienne », loc. cit., p. 34 : « Cela ne veut pas dire [...] que Dieu aurait cette
joie parce qu’il serait moins composé et moins matériel que nous, mais parce qu’il est
plus individuel que nous ».
62 On trouvera l’esquisse de cette nouvelle interprétation scotiste de Exode 3,14
par le motif de la singularité plutôt que par la communauté de Tétant chez J.-M.
COUNET, « L’univocité de Tétant et la problématique de l’infini chez Jean Duns
Scot », art. cit, p. 323 : « Moïse reçoit en guise de réponse la manifestation de Dieu
comme singularité absolue, comme la singularité pure dont le côté redondant et par là
presque superflu est justement la condition même de la gratuité de la présence et donc
également la condition de possibilité de la liberté de ceux qui sont appelés à se situer
vis-à-vis d’elle ».
63 Formule attribuée à Duns Scot, citée et développée par H. ARENDT, La vie de
l ’esprit, op. cit., p. 160 etp. 168.
64 J.-L. MARION, Dieu sans l ’être (1982), Paris, PUF, 1991 (Quadrige), p. 146
(« La croisée de l’être »).
650 EMMANUEL FALQUE

sois ») - Socrate plutôt que Platon, ou mieux saint Pierre bâtisseur de


son Église (Mt 16,18) plutôt que Judas prêt à le trahir (Jn 13,30). Être
et s’individualiser par l’amour (/’aime / tu sois) n ’est pas exister ni
s’actualiser pour Scot, mais répondre à Y appel de sa propre essence,
déterminée de toujours à toujours par Celui qui « est l’amour » (1 Jn
4,8), et qui me veut pour moi (Jer. 1,5)65. La singularisation par l’amour
chez le Docteur Subtil s’entendra ainsi dans le progressif chemin qui va
de Vamour de l ’autre par Dieu à Y amour de Dieu par l ’autre, et de
Y amour de Dieu par l ’autre et à Y amour de l ’autre par moi à l’image
de Dieu.
Contrairement à un poncif largement répandu jusque chez les
meilleurs exégètes scotistes, 1’« amour de l’autre par Dieu » vise en
effet d’abord, et principalement, l ’autre chez Scot, et non pas Lui -
Dieu - dans une quasi autarcie divine. L’amour pur (amor purus) dont
Dieu aime l’homme n ’est pas celui d’un amour réflexe retourné vers
soi dans une quelconque auto-contemplation de type aristotélicien.
Dieu n’aime l’homme que de façon libre et purement gratuite, sans
attente de retour. L’« amour de justice » (amor justitiae) exclut tout
amour de profit. Dieu ne s’aime pas lui-même au sens d’une possession
de l’amour - pour lui (sibi) comme pour moi (mïhi). Aucune réciprocité
ne saluait en effet justifier qu’il m’aime, puisqu’il n’aurait pourtant de
cesse de m’aimer quand bien même je ne l’aimerais pas ou plus :
Dieu n’est pas l’objet de sa propre charité (Deus non est objectum
charitatis suae), soulignent ouvertement les Reportata parisiensia, en tant
qu’il comprendrait le bien comme mon bien à moi {ut induendo quod est
bonum mihi) ou qu’il le comprendrait comme son bien à lui (nec induendo
ut bonum sibi)66.
Dieu n’aime donc pas l’homme pour que l’homme lui rende sa
propre gloire, mais il aime au contraire l’homme pour l ’homme, c’est-

65 Jer. 1,5 : « Avant de te façonner dans le sein de ta mère je te connaissais ; avant


que tu ne sortes de son ventre je t ’ai consacré ; j ’ai fais de toi un prophète pour les
nations ».
66 DUNS SCOTUS, Rep. par. III, d. 27, q. un. (Viv. XXIII, 481), cité et commenté
par C. BÉRUBÉ, L ’amour de Dieu selon Jean Duns Scot, Porète, Eckhart, Benoît de
Canfield et les Capucins, Rome, Istituto Storico dei Cappuccini, 1997 (Bibliotheca
Seraphico-Capuccina, 53), p. 194.
L’AUTRE SINGULIER 651

à-dire pour que l’homme d’abord - et non pas Dieu - s’aime lui-même
de la gloire dont Dieu l’aime, et donc s’aime lui-même : « Nous
regrettons de devoir dire, accuse justement Camille Bérubé à l’encontre
de Léon Veuthey et de bien des exégètes scotistes, que cette
métaphysique de l’amour de Dieu comme cause finale de lui-même n’a
rien de scotiste ni de thomiste, car rien n ’est cause finale de son être
[...]. En créant, Dieu veut que d'autres que lui aient en eux-mêmes un
amour pur, désintéressé, comme celui que Dieu a de lui-même, qu’ils
arrivent finalement au bonheur de la vision béatifique. Ce n ’est pas
pour satisfaire un besoin d ’être aimé, mais par une pure libéralité >>67.
Le pendant, du côté d’autrui, alors s’impose : 1’« amour de Dieu
par l’autre » - et non plus uniquement 1’« amour de l’autre par Dieu »
{supra) - ne s’appuiera pas davantage sur une quelconque réciprocité.
L’autre aimera Dieu non pas pour que Dieu l’aime, piège du donnant-
donnant, mais d’abord pour apprendre de Lui à s’aimer soi-même, ainsi
que l’autre et Dieu, de la façon purement désintéressée dont Dieu (s’)
aime :
La raison principale de ce qui est aimable en relation avec la volonté
propre n’est pas que cela est bon pour moi (mihi), pour toi (tibí), et même
pour lui (nec etiam sibi) [...]. C’est pourquoi en Dieu, la raison première
et la plus parfaite qui le rend aimable est son absolue bonté {absoluta
bonitas sua), en tant qu’il est bon en soi, parce qu’il aime et est aimé d’un
amour de justice {amorjustitiae)68.

Une triple réduction ou « mise entre parenthèse », pour le dire en


mode phénoménologique, de moi-même {mihi), d’autrui {tibi) et de
Dieu {sibi), conduit donc à faire de l’amour désintéressé - « de justice »
- ce qui est aimé de Dieu et doit être aimé de moi aimant Dieu.
L’absolue bonté de Dieu mérite seule mon amour parce que par elle je
lui ressemble dans cette façon purement libérale d’aimer.

67 Ibid., pp. 161 et 195 (nous soulignons). On lira avec profit l’ensemble de
l’étude consacrée à « L’amour de Dieu selon Jean Duns Scot » (pp. 145-203), et en
particulier le débat engagé avec Léon Veuthey : « Amour métaphysique et infini selon
Léon Veuthey » (pp. 195-198).
68 DUNS SCOTUS, Rep. par. III, d. 27, q. un. (Viv. XXIII, 482), cité et commenté
par BÉRUBÉ, L ’amour de Dieu, op. ait., p. 194.
652 EMMANUEL FALQUE

L’« amour de l’autre par moi » en passera ainsi, de façon ultime,


par Dieu pour recevoir de lui la gratuité de l’amour. Je n ’aimerai moi-
même l’autre que dans l’unique mesure où je désirerai moi aussi, de
façon purement désintéressée à l’image du Dieu désintéressé, que lui-
même s’aime lui-même, aime Dieu et moi-même de façon désinté­
ressée :
Aimant [Dieu] ainsi, je m’aime moi-même (dilìgo me) et j ’aime le
prochain (et proximum), ajoute 1’Ordinatio, voulant pour moi et pour lui
l’amour de Dieu (ex caritate volendo mihi et sibi velle) et par cet amour la
possession de Dieu en lui-même (et per dilectionem habere Deum in se)69.

Je peux donc vouloir pour toi ton propre vouloir de Dieu en ce


sens que j e te désire moi aussi comme pouvant vivre en partage de
l’amour pur dont Dieu s’aime et m’appelle aussi à m’aimer :
Je veux Dieu (volo Deum) et je veux que tu veuilles Dieu (volo te velle
Deum), précise Duns Scot, et en cela je t’aime de charité (ex caritate)
parce que je veux pour toi (tibí) un bien de justice (bonum justitiae)707
1.
L’amour de l ’autre par Dieu, Y amour de Dieu par l ’autre et
l’amour de l ’autre par moi (à l’image de Dieu) se nourrissent ainsi
d’un même désintéressement. J’aime paradoxalement d’autant plus
l’autre que je n ’aime pas qu’il m’aime, ou plutôt que j ’aime seulement
l’aimer pour ce qu’il est - comme possible et probable futur amant de
Dieu, indépendamment de tous nos intérêts personnels pour lui comme
pour moi de nous aimer, voire contre eux :
Aimer Dieu d’un amour de charité, trouve-t-on avec subtilité dans
1’Ordinatio, signifie donc vouloir l’objet en lui-même (secundum sé),
même si par impossible (etiamsiper impossibile) cela ne répondrait pas au
bien de celui qui aime (circumscriberetur ab eo commoditas ejus ad
amantem)1V

69 DUNS SCOTUS, Op. ox. III, d. 28, q. un., n. 2 (Viv. XV, 379a), cité et traduit
par VEUTHEY, Pensée théologique, op. eit, p. 147 [modifiée ici]).
70 DUNS SCOTUS, Op. ox. Ill, d. 27, q. un. (Viv. XV, 379b), cité et traduit par
VEUTHEY, Pensée théologique, op. cit., p. 147 [modifiée ici]).
71 DUNS SCOTUS, Op. ox. Ill, d. 27, q. un., n. 2 (Viv. XV, 356a), cité et traduit
par VEUTHEY, Pensée théologique, op. cit., p. 146.
L’AUTRE SINGULIER 653

Dieu se cherche donc en quelque sorte des « amis pour aimer » ou


des aimants avec lui - « vult alios habere condìligentes » - non pas
pour lui d’abord, mais parce qu’il est de la nature même de son amour
libéral - dit « amour-donation » (Veuthey) - de se donner jusqu’à la
donation du don lui-même72. Co-aimant avec nous, le Docteur Subtil
étend alors en quelque sorte à l ’homme la condilectio (ou 1’« amour
d’un troisième ») réservée seulement à l’Esprit Saint chez Richard de
Saint-Victor. De même que l’Esprit ne répugne pas, mais désire, que le
Fils soit autant, voire davantage aimé du Père que lui, chez Richard, de
même ne dois-je pas répugner mais désirer que mon prochain soit
autant, voire davantage aimé par Dieu que moi chez Scot. L ’homme est
pour ainsi dire intégré au sein de la perichorèse trinitaire chez le
Docteur Subtil, et la gloire de Dieu resplendit non pas de la gloire de
soi pour soi mais de la gloire de l ’autre pour l ’autre, par laquelle
l’homme s’aime lui-même de ce même amour (pur) dont Dieu s’aime73.
La véritable raison de l’haeccéité, de la mienne ou de celle
d’autrui, est donc théologique plus que philosophique, de l’ordre de la
foi davantage que du ressort de la raison :
De toutes les entités principalissiro.es (in principalissimis entibus), indique
Scot avec circonspection dans son traité des anges, c’est l’individu
(individuum) qui répond le plus à l’intention de Dieu (est a Deo
principaliter intentum)74.

La distinction des ordres philosophique et théologique interdit


ainsi de traiter de l’un (la métaphysique) en se dispensant de l’autre (la
charité) - et on ne peut que regretter les très nombreuses analyses

72 DUNS SCOTUS, Op. ox. III, d. 32, q. un., n. 6, repris et discuté par C. BALIC,
«Duns Scot», in Dictionnaire de Spiritualité, Paris, Beauchesne, 1957, t. III, col.
1801-1818 [cit. col. 1806]). Sur l’expression «amour - donation» pour dire la
charité, voir VEUTHEY, Pensée théologique, op. cit., p. 146. Quant à la détermination
franciscaine de Dieu comme donation de soi jusqu’au plus complet abandon (le don
du don), nous renvoyons à notre ouvrage Saint Bonaventure et l ’entrée de Dieu en
théologie, op. cit., pp. 141-145 : « Le donable ou l’acte de donner le don ».
73 Sur le sens de la condilectio, nous renvoyons à RICHARD DE SAINT-VICTOR,
De Trinitate HI, c. 19, 927b, Paris, Cerf, 1958 (SC 63), p. 209 ; ainsi qu’à notre
ouvrage : Saint Bonaventure et l ’entrée de Dieu en théologie, op. cit., pp. 120-130 :
« De l’Ami commun à l’Aimer en commun ».
74 DUNS SCOTUS, Ord. II, d. 3, pa. 1, q. 7, n. 251 (trad. Sondag, 204).
654 EMMANUEL FALQUE

scotistes qui croient pouvoir traiter de Phaeccéité de façon unilatérale­


ment philosophique7576. Non pas qu’il n’y ait pas de singularité hors de la
théologie ou de la vision de Dieu, loin s’en faut, mais en cela seulement
que la recherche d’une « cause de la singularité » (causam
singularitatis) ne trouve son plein accomplissement qu’en Dieu même,
contenant singulièrement en lui-même toutes les essences des êtres
singuliers comme leurs noms les plus propres : de telle pierre (passée
presque inaperçue) au bord du chemin, jusqu’à tel ange (Gabriel)
envoyé auprès de la mère de Dieu pour lui annoncer sa bienheureuse
mission {Le 1,26). On ne va donc pas, ou plus, de l’universel au
singulier dans cette perspective hautement théologale du Docteur
Subtil, mais au contraire du Singulier (Dieu) aux singuliers (essences
individuelles), de sorte que l’individualité deviendra aux yeux de Scot
Vultima realitas entis - « la réalité ultime de l’être » - jusqu’à ce que
l’universel devienne, comme par excès, relégué au rang de pure
abstraction dans le nominalisme de Guillaume d’Ockham [infra]16.
La créature raisonnable aime donc Dieu non seulement pour lui-
même ainsi qu’elle-même, mais elle aime aussi et plus encore ce
prochain pour Dieu - « voulant pour moi et pour lui l’amour de Dieu »
- en tant que seul un tel amour le singularise lui aussi dans un appel à
être son essence, comme aussi bien moi-même ou ma propre essence :
« Toute la théologie de Duns Scot, conclut Étienne Gilson, est marquée
par cette thèse, vraiment capitale, que le premier acte libre qui se
rencontre dans l’ensemble de l’être est un acte d ’amour»11. Je reçois
donc théologiquement mon haeccéité de Dieu qui est l’Haeccéité
même, jusqu’à ce que je désire pour l’autre qu’il reçoive lui aussi sa
propre haeccéité de Dieu lui-même. L’haeccéité, dans sa racine
spirituelle et franciscaine, est ainsi du point de vue de l’amour
« l’expression philosophique de ce que saint François voulait dire par :

75 Telle est la lignée ouverte par Étienne Gilson et empruntée par l’ensemble, ou
presque, des commentateurs après lui. Son brillant chapitre sur l’haeccéité (Jean Duns
Scot, op. cit., pp. 444-466) reste centré sur la question de l’individuation par la
matière ou par la forme, sans aucun lien établi avec le problème de l’intellection des
anges, pourtant précédemment étudié (pp. 422-431).
76 DUNS SCOTUS, Ord. Il, d. 3, q. 6, n. 15. Voir sur ce point le commentaire d’ É.
GILSON, Jean Duns Scot, op. cit., p. 464.
77 É. GILSON, Jean Duns Scot, op. cit., p. 577.
L’AUTRE SINGULIER 655

‘Frère’ »7S. Non pas seulement en ce que philosophiquement chaque


homme se distingue de tout autre étant par son propre intellect, mais
aussi et d’abord théologiquement en ce qu’il reçoit, pour lui-même
comme pour autrui, cette haeccéité de Dieu lui-même comme pure
singularité qui le singularise et lui confère son unique beauté. Il est
ainsi « dans la logique implacable du scotisme, souligne Edgard de
Bruyne, d’insister plus que n ’importe quel autre système sur le
caractère unique et singulier de la beauté de l ’individu. L’esthétique
scotiste est une esthétique du ‘ceci’ et de ‘cela’, c’est-à-dire une
esthétique de l ’haeccéité : elle est donc parallèle à l’individualisation
croissante de l’art »7879.

3. LA SINGULARITÉ DE L’ANGE ET L’IRRÉDUCTIBLE OBSCURITÉ

Un double appel - de Dieu vers moi et de moi vers l’autre pour


Dieu - constitue donc en propre la singularité théologale de l’homme,
entièrement tournée par sa libre volonté vers cette Singularité qui le
requiert (Dieu). Mais conviendra-t-il alors de revendiquer, pour nous
aujourd’hui en notre état présent (pro statu isto), la condition angélique
pour laquelle pourtant cette haeccéité semblait d’abord explicitement
consacrée ? Faudra-t-il, pour finir, oublier ce par quoi nous avions
commencé : l’indépassable cadre de la finitude en lequel l’haeccéité du
« ceci » pour nous s’inscrit ? L ’évidente et nécessaire singularisation
des anges en individualités propres et non en espèces uniques, contre
Thomas d’Aquin, n ’est pas en effet l’essentiel chez Scot. Quoique de
façon implicite mais non moins capitale, la question de notre connais­
sance ici-bas de cette Singularité qu’est Dieu même - nous départissant
précisément de la connaissance angélique comme de celle des
bienheureux - importe davantage :

78 P. DOYLES, « Scot et la tradition franciscaine », in Duns Scot ou la révolution


subtile, op. cit., p. 44.
79 E. DE BRUYNE, Études d ’esthétique médiévale, Bruges, De Tempel, 1946, vol.
III, pp. 347-370.
656 EMMANUEL FALQUE

En Dieu comme chez les bienheureux, précise le Prologue de 1’Ordinatio,


le sujet premier de toute la théologie en soi {theologia in se) est l’essence
divine en tant que celle-ci {est essentia ut haec)*°.
La théologie « en soi » (in se) ou « connue de Dieu » (divina),
nous l’avons pour l’heure seulement indiqué [supra], se distingue de
« notre » théologie (theologia nostra) ou « connue de l’homme »
(theologia tradita). La première en effet (en soi), dans l’acte de la
vision béatifique, connaît l’essence de Dieu « en tant que celle-ci » (ut
haec), c’est-à-dire dans sa nature propre et singulière. La seconde au
contraire (la nôtre), tenue à notre finitude ici-bas, n’atteint par le
truchement de l’Écriture que « cette essence de Dieu (haec essentia
Dei) », c’est-à-dire déterminée non pas en propre et positivement dans
sa singularité, mais de façon dérivée et négativement, telle que moi je
peux la concevoir à partir de sa distinction avec les autres essences8081.
Pour le dire autrement, et en dépit de la subtilité de l’argument ici,
l’impossible appréhension, en mon état de viateur, de la singularité de
Celui qui est la singularité même fait qu’une telle haeccéité demeure
pour le moins invisible, et invisable à partir de ma propre
finitude (supra) : « Ce n ’est pas le soleil, mais l’œil de la chouette qui
explique qu’elle ne voit pas le soleil »82. Paradoxalement, et contre un
étrange défaut de ma nature ici-bas croyant toujours davantage préférer
l’universalité à la singularité, mon être-là en tant qu’homme se
contentera donc parfois de l’universel, moins par manque d’éblouis­
sement de 1’« essentia ut haec », que par mon incapacité à la recevoir :
« L’intellect... a recours à des concepts universels, précisément parce
qu’il est incapable de saisir l’haeccéité »83.

80 DUNS SCOTUS, Ord., ProL, n. 170 (trad. Sondag, 225).


81 Pour la distinction entre theologia tradita et theologia divina, voir le Prologue
de Y Ordinatio, n. 151 et n. 168 (ainsi que le commentaire de G. SONDAG, op. cit., p.
178) ; et pour la différence entre « l’essence en tant que celle-ci (ut haec) » et « cette
essence-ci (haec essentia) », ibid., n. 170 (ainsi que le commentaire pp. 177-181).
82 É. GILSON, Jean Duns Scot, op. cit., p. 466 (commentant Duns Scot reprenant
lui-même Aristote).
83 E. BETTONI, Duns Scoto filosofo, Milan, Vita e Penserio, 1966, p. 122. A
compléter avec une discussion serrée de l’auteur avec L. Veuthey : E. BETTONI,
« The Originality of the Scotistic Synthesis », in John Duns Scotus, 1265-1965, eds. J.
L’AUTRE SINGULIER 657

Il y a pourtant un certain bonheur au sein de ce plus grand


malheur. N ’avoir, dans mon état de viateur, aucun accès direct (a) ni à
la singularité de Dieu, (b) ni de moi-même (c) ni d’autrui, sera
néanmoins le gage le plus certain de l’insondable mystère des uns pour
les autres ici-bas. (a) Pour ce qui est de Dieu, précise le Docteur Subtil,
l’intellect humain diffère précisément en cela de l’intellect angélique
qu’il n ’a pas, comme lui, d’appréhension immédiate de l’individualité :
« U intellect angélique [...], souligne Duns Scot, connaît directement le
singulier. Notre intellect [...] ne le connaît point ainsi »84. L’impossible
transgression de notre finitude, au moins dans l’état présent {hic et
nunc), nous impose donc d’abord de demeurer homme - quand bien
même nous serions en droit d’aspirer à notre propre béatification, (b)
De là vient, souligne alors Duns Scot à propos de la connaissance de
soi par soi, que « notre âme ne se connaît pas elle-même par son
essence »85. Nous connaîtrons en effet « les singuliers sous leurs
raisons propres dans la patrie (in patria) [...], mais dans l’état présent
{sed pro statu ipso) notre intellect ne connaît rien, sinon ce qu’une
image peut produire »86. Nous n ’avons pour tout dire accès à nous-
mêmes que par des « représentations ». Et ce que donc nous
appréhendons de nous ici-bas n ’est pas davantage notre propre
haeccéité, mais seulement les accidents - ou à tout le moins les images
- de notre être le plus propre, (c) C’est pourquoi, du point de vue de
l’autre enfin, selon ime bienheureuse isomorphie avec les récents
travaux de Paul Ricœur, « l’âme se connaît comme les autres » {anima
intelligit se sicut alia) - ‘soi-même comme un autre’ - car Aristote
soutient « qu’elle ne pense que mue par les fantasmes {mota a
phantasmatibus) »87. L’autre singulier - ce qui vaut de tout étant mais

K. Ryan - B. M. Bonansea, Washington D.C., The Catholic University of America


Press, 1965 (Studies in Philosophy and the History of Philosophy, 3), pp. 28-44.
84 DUNS SCOTUS, Quaest. subt. q. 15, n. 6, cité et repris dans C. BÉRUBÉ, La
connaissance de l ’individuel au Moyen Age, Montréal, Presses de l’Université de
Montréal, 1964, p. 158.
85 DUNS SCOTUS, Rep. par. II, d. 3, n. 14 (Viv. XXII, 595a).
86 DUNS SCOTUS, Op. ox. III, d. 14, n. 5, à propos de la science du Christ et de la
connaissance de l’homme.
87 DUNS SCOTUS, Rep. par. II, d. 3, n. 15 (Viv. XXII, 595b). Cf. P. RICŒUR,
Soi-même comme un autre, Paris, Seuil, 1998 (en particulier la dixième étude).
658 EMMANUEL FALQUE

plus encore de l’autre homme - se donne à moi comme moi à moi-


même, c’est-à-dire apparaît de prime abord et le plus souvent dans son
accidentalité plutôt que dans son haeccéité : le visage, le nez ou la
couleur des yeux d’autrui (accidents) ne me disent rien de ce qu’il en
est de sa propre humanité telle qu’il la singularise en « cet homme-ci »
{hic homo). Dans l’étant présent donc, en fait, sinon en droit, « l’âme
ne peut pas se penser elle-même avant d’avoir pensé ce qui est autre
qu’elle » (O. Boulnois)88.
Mais le Docteur Subtil n ’en désespère pas, se maintenant
précisément dans la sphère philosophique de la contingence {supra).
Connaître indirectement le singulier n’est pas l’ignorer totalement. Au
contraire, et peut-être est-ce là la fine pointe de l’haeccéité scotiste, de
ce que je ne saisis pas tout intellectuellement de la singularité je
l’éprouve davantage selon une pure motion de ma volonté. Le primat
du vouloir sur l’intellect, qui le subsume plus qu’il ne le nie, fait en
effet de la singularité pour nous ici-bas le lieu d’une épreuve ou d’une
jouissance, plutôt que d’une connaissance et d’une vision d’essence :
« De ce que le mode d’expression du singulier soit indirect, souligne
Camille Bérubé, il n ’en faut pas conclure que la singularité, en tant que
condition de l’objet, ne soit pas connue. Elle est exprimée en un
concept universel, mais l’intellect n’en saisit pas moins que cet objet
jouit de la singularité, qu’il est doué d’unité et d’incom­
municabilité »89. Sans saisir pleinement l’haeccéité d’autrui, je saisis
donc au moins qu’il vit et éprouve comme moi sa propre haeccéité sans
pouvoir véritablement y accéder - exception faite de Dieu pour lui-
même. Et tel autre m’envisagera donc moi-même comme autre tel
particulier, non pas en cela que je renoncerais avec lui à être tel - mais

Interprétation du fantasme (phantasma) aristotélicien [De anima III 3, 428a, trad. J.


Tricot, p. 167] en termes d’altérité ou de ‘transposition aperceptive’ {«sicut alia»)
propre à Duns Scot ici.
88 O. BOULNOIS, Être et représentation. Une généalogie de la métaphysique
moderne à l ’époque de Duns Scot, Paris, PUF, 1999 (Epiméthée), p. 177. Sur cette
triple distinction de la connaissance de Dieu, de la connaissance de soi et de la
connaissance de l’autre chez Duns Scot, nous renvoyons aux pages très éclairantes de
cet ouvrage - en remerciant l’auteur de nous en avoir signalé la pertinence pour notre
propos : « Le moi et la représentation » (pp. 174-188).
89 BÉRUBÉ, La connaissance de l ’individuel, op. cit., pp. 173-174.
L’AUTRE SINGULIER 659

seulement à me connaître et à le connaître comme tel, c’est-à-dire dans


l’entièreté de son haeccéité, sinon en passant par Dieu qui seul nous
connaît tel.
A l’encontre de Guillaume d’Ockham plus tard, Duns Scot refuse
donc comme par avance d’affirmer d’une part que « le premier connu
dans l’ordre du temps c’est le singulier» et, d’autre part, que « le
premier connu distinctement peut-être le singulier »90. Ockham
n’achève pas exclusivement l’œuvre de Scot (comme on le pense
parfois), en délivrant à l’homme ce que le premier lui avait interdit : la
connaissance immédiate des singuliers. Il le transforme au contraire, au
prix d’un dépassement de l’horizon de la finitude dont les conséquen­
ces resteraient à évaluer. Car pour « combattre [avec Guillaume
d’Ockham] la vieille idée que le singulier est ineffable » (P. Alféri),
encore faut-il au préalable soit dispenser à l’homme un tel accès au
monde ineffable, soit tenir qu’une telle ineffabilité appartient aussi à
l’ordinaire des jours et que nous en possédons la clé. La transparence
des singuliers chez le Venerabilis Inceptor (Ockham) se paiera donc au
prix de la disparition de l’épaisseur de leur contingence chez le Docteur
Subtil (Scot)91.
Une (bienheureuse?) « opacité » en ce monde demeure donc de
moi-même à moi-même, à autrui et à Dieu chez Scot, et fait de cette
haeccéité pourtant impénétrable Yultima realitas entis - « la réalité
ultime de l’être ». Jamais réduite à la pure transparence et pourtant
constitutive de toute réalité, l’haeccéité scotiste dans son impénétrable
obscurité, au moins pour nous ici-bas, rejoint ainsi nombre de visées les
plus contemporaines - en particulier chez Maurice Merleau-Ponty :

90 GUILLELMUS DE OCKHAM, In I Sent., d. 3, q. 1 et q. 5 (cité et repris dans


BÉRUBÉ, La connaissance de l ’individuel, op. cit., p. 268). Sur cet écart, en
particulier en ce qui concerne le statut des singuliers et la généalogie du problème
(Aristote, Avicenne, Pierre d’Auriole, etc.), voir l’article suggestif de P. VlGNAUX,
« Jean Duns Scot, Guillaume d’Occam », in Philosophie au Moyen Âge. Lire Duns
Scot aujourd'hui, Albeuve (Suisse), Éd. Castella, 1987, pp. 180-209.
91 Sur l’écart entre Duns Scot et Gillaume d’Ockham, on se référera bien sûr aux
pages très éclairantes de P. ALFÉRI, Guillaume d ’Ockham. Le singulier, Paris, Mi­
nuit, 1989, pp. 74-88 : « Le singulier est le premier intelligible » (ici p. 82).
660 EMMANUEL FALQUE

Si nous réussissons à décrire l’accès aux choses mêmes, lit-on dans


l’ouvrage posthume Le visible et l ’invisible (1964), ce ne sera qu’à travers
cette opacité et cette profondeur, qui ne cessent jamais : il n’y a pas de
chose pleinement observable, pas d’inspection de la chose qui soit sans
lacune et qui soit totale ; nous n ’attendons pas pour dire que la chose est là
de l’avoir observée ; c’est au contraire son aspect de chose qui nous
convainc aussitôt qu’il serait possible de l’observer. Dans le grain du
sensible, nous trouvons l’assurance d’une série de recoupements qui ne
font pas l'haeccéité de la chose, qui en dérivent92.

L’autre singulier - moi-même, tel étant, autrui, Dieu - demeure


donc à jamais impénétrable, du fait même de sa singularisation. Ce qui
pourtant devrait faire l’aveu d’un échec pour l’homme (l’impénétra­
bilité pour lui de la singularité mais sa jouissance néanmoins) signe au
contraire sa plus grande réussite - être et demeurer homme tant qu’il
n ’est pas Dieu, ni totalement capable de lui dans son état ici-bas :
« L ’homme n ’est ni ange ni bête, rappelle Pascal, et le malheur veut
que qui veut faire l’ange fait la bête »93.
Le poète Hopkins dans son amour quasi franciscain pour la
singularité du sensible l’avait d’ailleurs saisi, à partir de sa lecture de
Scot précisément : « C’est à ce moment que je venais tout juste de
dénicher, note-t-il dans son Journal à la date du 3 Août 1872,
l’exemplaire de Duns Scot sur les Sentences à la bibliothèque de
Baddley et j ’ai été rempli d’un nouvel élan d’enthousiasme. Il se peut
que cela ne mène à rien ou ce peut être une grâce de Dieu. Mais sur le
moment, lorsque j ’appréhendais un inspect du ciel ou de la mer, je
pensais à Duns Scot »94. « Cela », qui peut-être n ’allait mener à rien en

92 M. MERLEAU-PONTY, Le visible et l ’invisible (1964), Paris, Gallimard, 1986,


p. 108 (nous soulignons).
93 B. PASCAL, Pensées L. 678 / B. 358, in Œuvres complètes, éd. Lafiima, Paris,
Seuil, 1963, p. 590.
94 G. M. HOPKINS, Journal (note du 3 Août 1872), in HOPKINS, De l ’origine de
la beauté suivi de Poèmes et Écrits, trad. J.-P. Augier - R. Gallet, Seyssel, Éditions
Comp’Act, 1989, p. 68. L’« inspect » ou « nature » conduisent « au cœur de la
métaphysique du singulier » précise l’introduction de l’ouvrage (p. 8). Et « dans le
travail hopkinsien de la beauté, précise le commentateur (R. Gallet), nous parviennent
les lueurs, la vibration ou les heurts de cette rencontre entre l’humaine finitude et un
infini singulier » (p. 10). On ne saurait mieux dire ici la rencontre entre la figure de
L’AUTRE SINGULIER 661

réalité mena chez le poète à tout, c’est-à-dire non pas au Tout du Dieu
infini perdu dans son essence, mais au ceci singulier ou à Tinspect
(;inscape) de chaque chose, qui en révèle le sens jusque dans son
« moucheté » et magnifie la singularité du Père source et principe de
toutes les singularités dans leur Beauté diaprée (titre du poème)95 :
Gloire à Dieu pour tout le bigarré :
Pour les cieux qui jaspent comme vaches à tavelures,
Les grains roses en tacheture sur la truite qui nage,
Les jonchées de châtaignes en charbon de feu neuf, les ailes de pinson,
Les paysages parcellés, morcelés - gagnage, friche, labour -
Tous les métiers, leur outillage, leur équipage et attirail.
Tout le changeant, le moucheté (qui sait comment ?)
De vif et lent, suave et sûr, radieux, ombré,

Duns Scot telle que nous venons de la dégager et sa quasi-traduction poétique telle
qu’elle se donne à lire chez Gerard Manley Hopkins.
95 G. M. HOPKINS, Le Naufrage du Deutschland, suivi de Poèmes gallois,
Sonnets terribles, trad. R. Gallet, Paris, Éd. Orphée, La Différence, 1991, p. 61. On
connaît bien sûr « L’Oxford de Duns Scot » (1879), composé par Hopkins (Ibid., p.
67). Mais rien ne dit mieux l’haeccéité que l’expérience de cette louange au Père pour
la « beauté diaprée » et « tout le bigarré ». On en trouvera une autre traduction, non
moins magistrale, avec le Christ comme présence jusque dans la singularité d’autrui
(et non plus le père comme source) dans le poème dit Le martin-pêcheur s ’embrase
(1877), Ibid. p. 65 : « Comme le martin-pêcheur s’embrase, la libellule flambe /
Comme, plongée du rebord dans l’orbe d’un puits / La pierre vibre, et, pincée, chaque
corde porte, la cloche car le Christ joue en d’innombrables lieux / Présent
en la beauté des membres, des yeux d’autrui / allant au Père sous les traits du visage
des hommes ». Pour un commentaire des ces deux poèmes, nous renvoyons au bel
ouvrage de R. GALLET, G. M. Hopkins ou l ’excès de présence, Paris, Fac Éditions,
1984, pp. 82-85 et pp. 100-101. Quant au rapport au singulier en tant que tel chez
Hopkins, voir (du même), « G. M. Hopkins : L’intensité singulière », in Poésie, n. 32,
1984, pp. 99-109 (avec une distinction de 1’« inspect » [inspect] et de 1’« intension »
[instress] sur laquelle nous ne revenons pas ici [en particulier pp. 99-100]). Enfin, et
parce que le rapprochement avec Hopkins s’imposait sur un tel sujet (l’haeccéité
d’autrui), qu’il nous soit permis de renvoyer au bel article de J. de GRAMONT,
«Nature, monde, création», in Cahiers Diderot n. 4, 1991, pp. 199-122 (et en
particulier pp. 116-119 pour le commentaire des poèmes ici cités). Que ces deux
interprètes de G. M. Hopkins - R. Gallet et J. de Gramont - soient ici remerciés pour
leur amitié d’abord, et pour leurs travaux ensuite, qui surent progressivement nous
conduire de l’haeccéité chez Scot à ¡’inspect ou à l’intension chez Hopkins.
662 EMMANUEL FALQUE

Il en est source et Père en sa beauté immuable :


Faites-lui louange.

Faculté de philosophie
Institut catholique de Paris
INDEX
INDEX SCOTISTICUM

O p e r a p h il o s o p h ic a I n i Met, q. 9, n. 41 : 251
In II Met, passim : 620
In Cat., q. 8, n. 18 : 292 In IIMet., q. 3, n. 5 : 235
In IIM et, q. 3, n. 22 : 238
In Elench., q. 16, n. 13 : 269 ln 11 M et, q. 3, n. 25 : 238
In Elench., q. 28, n. 2 : 343 In IIM et, q. 3, n. 27 : 235
In IIM et, q. 3, n. 28 : 236
In IPeriherm., q. 2, n. 5 : 616 In IIM e t, q. 3, nn. 39-40 : 238
In I Periherm., q. 8 : 160 In II M et, q. 3, n. 49 : 238
In IIM et, q. 3, n. 50 : 238
Super Univ. Porph., q. 6, n. 6 : 97 In IIM e t, q. 3, n. 56 : 239
In IIM et, q. 3, n. 57 : 239
Theoremata, theor. 19, n. 1 : 329 In IIM et, q. 3, n. 58 : 239
In IIM et, q. 3, n. 67 : 239
In Met., Prol., n. 5 : 228 In IIM et, q. 3, n. 69 : 240
In Met., Prol., n. 6 : 227, 228 In IIM et, q. 3, n. 70 : 240
In Met, Prol., n. 8 : 232 In IIM et, q. 3, n. 85 : 240
In Met, Prol., n. 9 : 233 In IIMet., q. 3, n. 93 : 240
In Met, Prol., n. 13 : 233 In IIM et, qq. 2-3, n. 115 : 608
In Met, Prol., n. 17 : 234 In IIM et, qq. 2-3, n. 116 : 608
In Met, Prol., n. 18 : 247, 251 In IV M et, q. 1, nn. 50-56 : 268
In Met, Prol., n. 17 : 234 In IV M et, q. 2, n. 40 : 367
In Met, Prol., n. 20 : 248 In V Met., q. 3, n. 430 : 330
ln Met, Prol., n. 21 : 234 In V Met., qq. 5-6, nn. 81-103 : 288
In IM et, q. 1, n. 8 : 248 In VI Met., q. 1, passim : 482
In IM et, q. 1, n. 14 : 249 In VIM et, q. 1, nn. 17-38 : 92
ln 1 Met, q. 1, n. 38 : 246 ln VIMet., q. 2, nn. 30-32 : 600
In IM et, q. 1, n. 39 : 246 In VIM et, q. 2, n. 36 : 315
I n i Met, q. 1, n. 70 : 249 In VIM et, q. 1, n. 39 : 92
ln IMet., q. 1, n. 80 : 329 In VIM et, q. 1, n. 40 : 92, 97
In i Met, q. 1, n. 99 : 248 In VIM et, q. l,n .4 3 : 92
In IM et, q. l,n. 113 : 245 In VIM et, q. 3,passim : 609
I n i Met, q. 1, n. 145 : 245 In VIM et, q. 3, nn. 7-14 : 257
In IM et, q. 1, n. 163 : 246 In VIM et, q. 3,n. 22 :112
ln I Met., q. 9, n. 10:363 In VIM et, q. 3, nn. 36-37 : 102,103
ln IM et, q. 9, n. 18 : 249, 250 In VIM et, q. 3, n. 38 :104
ln IM et, q. 9, n. 19 : 250 In VIM et, q. 3, nn. 50-53 :104
In IM et, q. 9, n. 20 : 250 In VIM et, q. 3, n. 63 :103
I n i Met, q. 9, nn. 24-25 : 250 In VIM et, q. 3, n. 66 : 109
I n i Met, q. 9, n. 31 : 250 In VII Met., q. 1, passim : 295
In IM et, q. 9, n. 38 : 250 In VII M et, q. 1, n. 9 : 295
I n i Met, q. 9, n. 39 : 250 In VII M et, q. 1, n. 10 : 297
In I Met., q. 9, n. 40 : 250, 251 In VII M et, q. l,n . 11 : 296
666 INDEX SCOTISTICUM

In VII Met., q. 1, nn. 12-22 : 291 QQ De anima, q. 21, n. 31 : 267


In VII Met, q. 2, nn. 21-24 : 288 QQ De anima, q. 21, n. 39 : 269
In VII Met., q. 1, n. 27 : 333
In VII Met, q. 1, n. 39 : 298
In VII Met, q. 3, nn. 6-16 : 288
In VII Met, q. A, passim : 288 OPERA THEOLOGICA
In VII Met, q. 4, n. 23 : 329
Lectura
In VII Met, q. 16, n. 18 : 603
In VII Met, q. 16, n. 31 : 603
Lect, Prol., n. 33 : 162
In VII Met, q. 16, n. 49 : 604
Lect, Prol., n. 66 : 95
In VII Met., q. 19, n. 43 : 552
Lect., Prol., n. 103 : 373
In VII Met., q. 19, n. 44 : 553
Lect., Prol., n. 104 : 163
In IXMet., qq. 1-2, n. 18 : 337, 344,
Lect., Prol., n. 110 : 156
347
Lect., Prol., n. 111 : 637
In IXMet., qq. 1-2, n. 33 : 343
Lect., Prol., n. 172 : 638
In IXMet., q. 14,passim : 414
Lect. I, d. 1, n. 9 : 229
In IXM et, q. 14, nn. 88-106 : 100
Lect. I, d. 1, n. 13 : 228
In IXMet., q. 14, n. 126 : 414, 504
Lect. I, d. 1, n. 14 : 229
In IXM et, q. 15,n.21 :491
Lect. I, d. 1, n. 18 : 232
In IXM et, q. 15, n. 22 : 415
Lect. I, d. 1, n. 138 : 223
In IXMet., q. 15, n. 23 : 492
Lect. I, d. 1, n. 142 : 224
In IXMet., q. 15, n. 29:505
Lect. I, d. 1, n. 143 : 224
In IXMet., q. 15, n. 36:493
Lect. I, d. 1, n. 118 : 492
In IXMet., q. 15, n. 41 : 493
Lect. I, d. 2, pa. 1, qq. 1-2, n. 14 : 332
In IXMet., q. 15, n. 55 : 505
Lect. I, d. 2, pa. 2, qq. 1-4, n. 188 :
In IXM et, q. 15, n. 59 : 432 313
In IXMet., q. 15, n. 61:415
Lect. I, d. 2, pa. 2, qq. 1-4, n. 246 :
316, 365
QQ De anima, q. 17, passim : 71
Lect. I, d. 2, pa. 2, qq. 1-4, n. 267 :
QQ De anima, q. 17, n. 2 : 74 554
QQ De anima, q. 17, n. 6 : 76
Lect. I, d. 2, pa. 2, qq. 1-4, n. 271 :
QQDe anima, q. 17, n. 7 : 77
528,533
QQ De anima, q. 17, n. 8 : 77
Lect. I, d. 2, pa. 2, qq. 1-4, n. 272 :
QQ De anima, q. 17, n. 17 : 75 522, 529, 532, 537
QQ De anima, q. 19, n. 18 : 259 Lect. I, d. 2, pa. 2, qq. 1-4, nn. 272-
QQ De anima, q. 19, n. 5 : 258
275 : 99
QQ De anima, q. 19, nn. 20-26 : 260
Lect. I, d. 2, pa. 2, qq. 1-4, n. 274 :
QQ De anima, q. 19, nn. 6-15 : 259
530
QQ De anima, q. 20, n. 14 : 261
Lect. I, d. 2, pa. 2, qq. 1-4, n. 275 :
QQ De anima, q. 20, n. 4 : 261 522,529, 541
QQ De anima, q. 20, nn. 5-13 : 257 Lect. I, d. 3, pa. 1, qq. 1-2, n. 22 : 266
QQDe anima, q. 21, nn. 1-3 : 262
Lect. I, d. 3, pa. 1, qq. 1-2, n. 38 : 258
QQ De anima, q. 21, nn. 4-5 : 262 Lect. I, d. 3, pa. 1, qq. 1-2, nn. 41-44 :
QQ De anima, q. 21, n. 6 : 262 259
QQDe anima, q. 21, nn. 14-20 : 264
Lect. I, d. 3, pa. 1, qq. 1-2, nn. 66-67 :
QQDe anima, q. 21, n. 21 : 263 262
QQDe anima, q. 21, n. 22 : 264 Lect. I, d. 3, pa. 1, qq. 1-2, n. 71 : 495
QQ De anima, q. 21, n. 23 : 265
Lect. I, d. 3, pa. 1, qq. 1-2, n. S 0 : 116
QQDe anima, q. 21, nn. 25-27 : 266
Lect. I, d. 3, pa. 1, qq. 1-2, n. 97 : 257
QQ De anima, q. 21, n. 29 : 267
QQDe anima, q. 21, n. 30 : 268
INDEX SCOTISTICUM 667

Lect. I, d. 3, pa. i, qq. 1-2, nn. :105- Lect. I, d. 39, qq. 1-5, n. 21 : 369
109 -.267 Lect. I, d. 39, qq. 1-5, n. 43 : 369
Lect. I, d. 3, pa. ï, qq. 1-2, n. 106 : Lect. I, d. 39, qq. 1-5, n. 44 : 443
267 Lect. I, d. 39, qq. 1-5, n. 49 : 313, 327,
Lect. I, d. 3, pa. ï, qq1- 1-2, n. 109: 337, 350, 365, 602
268 Lect. I, d. 39, qq. 1-5, n. 60 : 432
Lect. I, d. 3, pa. ï, qq[. 1-2, n. 130: Lect. I, d. 39, qq. 1-5, nn. 64-65 : 358
112 Lect. I, d. 43, q. un., n. 12 : 316, 328,
Lect. I, d. 3, pa. ï, qq. 1-2, n. 183 : 356
113 Lect. I, d. 43, q. un., n. 15 : 315
Lect. I, d. 3, pa. ï, q. 3, n. 173 : 495 Lect. I, d. 43, q. un., n. 16 : 315, 321,
Lect. I, d. 3, pa. ï, q- 3, n. 174 : 102, 326
495 Lect. I, d. 43, q. un., n. 17 : 325
Lect. I, d. 3, pa. ï, q- 3, n. 191 : 325, Lect. I, d. 43, q. un., n. 19 : 325
368 Lect. n, d. 1, q. 2, n. 82 : 339, 371
Lect. I, d. 3, pa. 3, q- 1, n. 250: 74 Lect. II, d. 1, q. 2, n. 89:505
Lect. I, d.3, pa. 3, q- 1, n. 254: 71 Lect. n ,d . 1, q. 3, n. 150 : 336
Lect. 1, d. 3, pa. 3, q- 1, n. 255 : 76 Lect. n, d. 1, q. 5, n. 183 : 213
Lect. I, d. 3, pa. 3, q- 1, n. 267: 76 Lect. ii , d. 2, pa. 2, qq. 5-6, n. 329 :
Lect. I, d.3, pa­ 3, q- 1, n. 268 : 77 317
Lect. I, d.3, pa­ 3, q- 1, n. 294: 75 Lect. ïï,d . 3,pa. l,q . 4, nn. 91-92 :
Lect. I, d. 3, pa- 3, q- 1, n. 298 : 73, 74 288
Lect. I, d.3, pa- 3, qq. 2-3, n. 367 : Lect. n ,d . 6, n. 1 : 429
477 Lect. n , d. 6, n. 10 : 441
Lect. I, d.5, pa- 1, q- un., nn. 20-25 : Lect. n ,d . 6, n. 14 : 443
557 Lect. Il, d. 6, n. 24 : 451
Lect. I, d. 5, pa. 1, q- un., n. 21 : 555 Lect. II, d. 6, n. 29 : 430, 453
Lect. I, d. 5, pa- 1, q- un., n. 24 -.557 Lect. II, d. 6, n. 36 : 462
Lect. I, d. 7, q. un., n. 32 : 315, 337, Lect. n, d. 6, n. 39 : 463
342 348, 365 Lect. ii , d. 6. n. 47 : 456
Lect. I, d. 7, q. un., n. 33 : 315, 342 Lect. n ,d . 6, n. 48 : 430, 456
Lect. I, d. 8, pa. 1, q. 3, n. 129 : 192 Lect. n ,d . 9, qq. 1-2, nn. 81-84 : 619
Lect. I, d. 8, pa. 1, q. 4, nn. 172-176 : Lect. n , d. 18, q. 1 :573
553 Lect. n, d. 23, q. un., nn. 25-26 : 497
Lect. I, d. 8,pa. 1, q. 4, n. 181 : 562 Lect. il, d. 23, q. un., n. 33 : 507
Lect. I,d. 8, pa. 1, q. 4, n. 185 : 554 Lect. n , d. 25, passim : 409
Lect. I, d. 8, pa. 1, q. 4, nn. 186, 189- Lect. n, d. 25, n. 33 : 412
191 : 553 Lect. ii , d. 25, nn. 69-80 : 409
Lect. I, d. 8, pa. 1, q. 4, n. 187 : 555 Lect. n, d. 25, n. 73 : 508
Lect. I, d. 8,pa. 1, q. 4, n. 189 : 555 Lect. n, d. 25, n. 78 : 409, 419
Lect. I,d. 8, pa. 1, q. 4, n. 190 : 556 Lect. n ,d . 25, n. 80 : 418
Lect. I, d. 8,pa. 1, q. 4, n. 191 : 555 Lect. Il, d. 25, n. 93 : 491
Lect. I, d. 8, pa. 2 ,passim : 356 Lect. II, d. 25, n. 94 : 418
Lect. I, d. 8, pa. 2, q. un., n. 232 : 356 Lect. ïï,d . 39, qq. 1-2, n. 13 : 505
Lect. I, d. 8, pa. 2, q. un., n. 279 : 505 Lect. n , d. 39, qq. 1-2, nn. 16-17 : 505
Lect. I, d. 11, q. 2,passim : 124,127, Lect. n, d. 39, qq. 1-2, n. 21 : 510
137,140 Lect. n, d. 39, qq. 1-2, n. 24 : 510
Lect. I, d. 17, pa. 2, q. 4, n. 238 : 106 Lect. n, d. 39, qq. 1-2, n. 25 : 509
Lect. I, d. 17, pa. 2, q. 4, n. 239 : 293 Lect. n ,d . 39, qq. 1-2, n. 28 : 494
Lect. I, d. 35, q. un., n. 33 : 314 Lect. Il, d. 39, qq. 1-2, n. 29 : 516
Lect. I, d. 36, q. un., n. 26 : 83 Lect. n, d. 39, qq. 1-2, n. 31 : 511, 512
668 INDEX SCOTISTICUM

Lect. H, d. 39, q. 3, n. 33 : 496 Ord. I, d. 2, pa. 1, qq. 1-2, n. 22 : 350


Ord. I, d. 2, pa. 1, qq. 1-2, n. 86 : 382
Ordinatio (Vat.), Ord. I, d. 2, pa. 1, qq. 1-2, n. 119 : 399
Opus oxoniense (Wad., Viv.) Ord. I, d. 2, pa. 1, qq. 1-2, n. 132 :
186, 347
Orci., Prol., n. 1 : 630 Ord. I, d. 2, pa. 1, qq. 1-2, n. 136 : 392
Ord, Prol., n. 2 : 237 Ord. I, d. 2, pa. 1, qq. 1-2, n. 149 : 601
Ord., Prol., n. 5 : 237 Ord. I, d. 2, pa. 2, qq. 1-4, passim :
Ord., ProL, n. 8 : 237 547
Ord., Prol., n. 12 : 633, 635 Ord. I, d. 2, pa. 2, qq. 1-4, n. 202 : 330
Ord., Prol., n. 28 : 608 Ord. I, d. 2, pa. 2, qq. 1-4, n. 259 : 330
Ord., Prol., n. 32 : 633 Ord. I, d. 2, pa. 2, qq. 1-4, n. 262 : 337
Ord., Prol., n. 33 : 188 Ord. I, d. 2, pa. 2, qq. 1-4, n. 377 : 347
Ord., Prol., n. 56 : 164 Ord. I, d. 2, pa. 2, qq. 1-4, n. 389 : 525
Ord., Prol, n. 57 : 237 Ord. I, d. 2, pa. 2, qq. 1-4, nn. 400-
Ord., Prol, n. 73 : 233 403 : 99
Ord., Prol, n. 74 : 234 Ord. I, d. 2, pa. 2, qq. 1-4, n. 400 : 533
Ord., Prol, n. 75 : 241 Ord. I, d. 2, pa. 2, qq. 1-4, n. 401 : 533
Ord., Prol, n. 76 : 239 Ord. I, d. 2, pa. 2, qq. 1-4, n. 403 : 532
Ord., Prol, n. 105 : 162 Ord. I, d. 2, pa. 2, qq. 1-4, n. 404 : 525
Ord., Prol, nn. 141-145 : 95 Ord. I, d. 2, pa. 2, qq. 1-4, n. 405 : 533
Ord., Prol, n. 144 : 317 Ord. I, d. 2, pa. 2, qq. 1-4, n. 407 : 532
Ord., Prol, n. 151 : 656 Ord. I, d. 2, pa. 2, qq. 1-4, n. 411 : 560
Ord., Prol, n. 168 : 656 Ord. I, d. 2, pa. 2, q. 1, passim : 634
Ord., Prol, n. 170 : 649, 656 Ord 1, d. 3, n. 66 : 641
Ord., Prol, n. 179 : 167 Ord. I, d. 3, n. 150 : 640
Ord., Prol, n. 185 : 166 Ord. I, d. 3, pa. 1, q. 2, n. 58 : 394
Ord., Prol, n. 191 : 98 Ord. I, d. 3, pa. l,q . 3,n. 134 : 97
Ord., Prol, n. 200 : 164 O rd ì, d. 3, pa. 1, q. 3, n. 152:267
Ord., Prol, n. 206 : 165 Ord. I, d. 3, pa. 1, q. 3, n. 160 : 173
Ord., Prol, n. 208 : 90 Ord. I, d. 3, pa. 1, q. 3, n. 183 : 113
Ord., Prol, n. 228 : 242 O rd ì, d.3,pa. l,q . 3, n. 185:630
Ord., Prol, n. 237 : 504 Ord. I, d. 3, pa. 1, q. 3, nn. 111-112 :
Ord., Prol, n. 239 : 241 258
Ord., Prol, n. 240 : 242 Ord. I, d. 3, pa. 1, q. 3, nn. 114-122 :
Ord., Prol, n. 241 : 242 259
Ord., Prol, n. 253 : 242 Ord. I, d. 3, pa. 1, q. 4, n. 211 : 603
Ord., Prol, n. 260 : 242 Ord. I, d. 3, pa. 1, q. 4, n. 230-232 :
Ord., Prol, n. 262 : 166 495
Ord., Prol, n. 308 : 167 Ord. I, d. 3, pa. 1, q. 4, n. 246 : 604
Ord., Prol, n. 363 : 326 Ord. I, d. 3, pa. 1, q. 4, n. 268 : 325,
Ord I, d. 1, n. 22 : 492, 495 368, 371
Ord. I, d. l,n . 58:319 Ord. I, d. 3, pa. 1, q. 4, nn. 230-234 :
102
Ord. I, d. 1, n. 62 : 244
Ord. I, d. 1, nn. 67-68 : 244 Ord. I, d. 3, pa. 1, qq. 1-2, n. 27 : 266
Ord. I, d. 1, n. 133 : 495 Ord. I, d. 3, pa. 1, qq. 1-2, n. 39 : 336
Ord I, d. 1, n. 147 : 492 Ord. I, d. 3, pa. 1, qq. 1-2, n. 76 : 495
Ord. I, d. 1, n. 180 : 223, 225 Ord. I, d. 3, pa. 1, qq. 1-2, nn. 69-70 :
Ord. I, d. 2, pa. 1, qq. 1-2, passim : 262
397 Ord. I, d. 3, pa. 2, q. u n , n. 314 : 333,
357
INDEX SCOTISTICUM 669

Ord. I, d. 3, pa. 2, q. un., n. 317 : 336 Ord. I, d. 8, pa. i,q . 4, n. 221 : 555,
Ord. I, d. 3, pa. 2, q. un., n. 323 : 326, 556
334 Ord. I, d. 8, pa. i.q .4, nn. 213-214:
Ord. I, d. 3, pa. 2, q. un., n. 324 : 332 554
Ord. I, d. 3, pa. 2, q. un., n. 326 : 319 Ord. I, d. 8, pa. i,q . 4, nn. 217,220 :
Ord. I, d. 3, n. 188 :89 555
Ord. I, d. 3, n. 10: 643 Ord. I, d. 8, pa. 2, q. un., passim : 169
Ord. I, d. 3, q. 2, n. 26 : 629 Ord. I, d. 8, pa. 2,q . un., n. 299 : 505
Ord. I, d. 3, q. 2, n. 27 : 629 Ord. I, d. 10, q. un., n. 36 : 9
Ord. I, d. 3, nn. 152-157:267 Ord. I, d. 10, q. un., n. 4 4 : 492
Ord. I, d. 3, pa. 3, q. 1 : 71 Ord. I, d. 11, q. 2,passim : 126,128,
Ord. I, d. 3, pa. 3, q. 1, n. 334 : 74 132., 134,136,140
Ord. I, d. 3, pa. 3, q. 1, n. 336 : 71, 72 Ord. I, d. 13, q. un., n. 18:326
Ord. I, d. 3, pa. 3, q. 1, n. 339 : 76 Ord. I, d. 13, q. un., n. 80 : 316, 330
Ord. I, d.3, pa. 3, q. 1, n. 352 : 77 Ord. I, d. 17, pa. 1, qq. 1-2 : 476
Ord. I, d. 3, pa. 3, q. 1, n. 382 : 75 Ord. I, d. 17, pa. 1, qq. 1-2, n. 91 : 504
Ord. I, d. 3, pa. 3, q. 1, n. 384 : 615 Ord. I, d. 26, q. un., n. 1 2 :546
Ord. I, d.3, pa. 3, q. 1, n. 386 : 113 Ord. I, d. 26, q. un., n. 88 : 316, 333,
Ord. I, d.3, pa. 3, q. 1, n. 395 : 618 361 ,365
Ord. I, d.3, pa. 3, q. 1, nn. 349-350 : Ord. I, d. 26, q. un., n. 94 : 330, 361,
76 366
Ord. I, d. 3, pa. 3, q. 1, nn. 386-387 : Ord. I, d. 27, qq. 1-:3, n. 54 : 73
73 Ord. I, dd. 33-34, qq. 1-3, n. 2 : 546
Ord. I, d.3, pa. 3, q. 2 : 78 Ord. I, d. 35, q. un., n. 27 : 209
Ord. I, d.3, pa. 3, q. 2, nn. 515-517 : Ord. I, d. 35, q. un., n. 32 : 207, 645
100 Ord. I, d- 35, q. un., n. 39 : 374
Ord. I, d.3, pa. 3, q. 4, n. 590 : 633 Ord. I, d. 36, q. un., n. 1 : 329
Ord. I, d.3, pa. 3, q. 4, n. 603 : 609 Ord. I, d. 38, q. un., n. 6 : 368
Ord. I, d.3, pa. 3, q. 1, nn. 395-397: Ord. I, d. 36, q. un., n. 28 : 83
95 Ord. I, d. 36, q. un., n. 39 : 373,374
Ord. I, d. 5, pa. 1, q. un., nn. 17-24 : Ord. I, d. 36, q. un., n. 45 : 85
557 Ord. I, d. 36, q. un., n. 4 6 : 321
Ord. I, d. 5, pa. l,q . un.,n. 19 -.555 Ord. I, d. 36, q. un., n. 50 : 316, 332,
Ord. I, d. 5, pa. 1, q. un., n. 23 : 557 356
Ord. I, d. 5, pa. 1, q. un., n. 24 : 543 Ord. I, d. 36, q. un., n. 53 : 211
Ord. I, d. 5, n. 118:5 Ord. I, d. 36, q. un., n. 60 : 344, 361
Ord. I, d. 7, q. 1, n. 27 : 337, 344, 348, Ord. I, d. 36, q. un., n. 61 : 343
366 Ord. I, d. 36, q. un., n. 62 : 332,364
Ord. I, d. 8, pa. 1, q. 4, nn. 191-194: Ord. I, d. 36, q. un., nn. 48-49 : 191
553 Ord. I, d. 36, q. un., nn. 60-61 : 353
Ord. I, d. 8, pa. 1, q. 4, nn. 192-193, Ord. I, dd. 38/2-39, qq. 1-5, passim :
213 :337 369
Ord. I, d. 8, pa. 1, q. 4, nn. 196-197, Ord. I, dd. 38/2 -39, qq. 1-5, n. 1 : 379
202,,215 , 217-220 : 553 Ord. I, d. 42, q. un., nn. 8-9 : 397
Ord. I, d. 8, pa. 1, q. 4, n. 198 : 562 Ord. I, d. 42, q. un., n. 1 0 :576
Ord. I, d. 8, pa. 1, q. 4, n. 202 : 553 Ord. I, d. 43, q. un., n. 3 : 203
Ord. I, d. 8, pa. 1, q. 4, n. 209 : 553 Ord. I, d. 43, q. un., n. 5 : 212,316,
Ord. I, d. 8, pa. 1, q. 4, n. 210 : 562 332.,335
Ord. I, d. 8, pa. 1, q. 4, n. 215 : 547 Ord. 1, d. 43, q. un., n. 6 : 325
Ord. I, d. 8, pa. 1, q. 4, n. 219 : 555 Ord. I, d. 43, q. un., n. 7 :317,321,
325.,339
670 INDEX SCOTISTICUM

Ord. I, d. 43, q. un., n. 14 : 339 Ord. II, d. 3, q. 6, n. 164 : 646


Ord. I, d. 43, q. un., n. 16 : 204, 370, Ord. n , d. 6, n. 1 : 429
372 Ord. Il, d. 6, n. 10 : 442
Ord. I, d. 43, q. un., n. 17 : 203,315, Ord. II, d. 6, n. 14 : 447
321, 360 Ord. n , d. 6, n. 16 : 448
Ord. II, d. 1, q. l,n . 18 : 371 Ord. II, d. 6, n. 19 : 444
Ord. II, d. 1, q. 1, n. 26 : 373 Ord. II, d. 6, n. 21 : 449
Ord. n , d. 1, q. 2, n. 80 : 339 Ord. n , d. 6, n. 36 : 453
Ord. II, d. 1, q. 2, n. 83 : 339, 352 Ord. ïï, d. 6, n. 37 : 452
Ord. n , d. 1, q. 2, n. 84 : 371 Ord. II, d. 6, n. 40 : 430, 452
Ord. II, d. 1, q. 2, n. 91 : 505 Ord. II, d. 6, nn. 44-45 : 458
Ord. n, d. 1, q. 2, n. 93 : 339 Ord. II, d. 6, nn. 49-51 : 462
Ord. II, d. 1, q. 5, n. 192 : 213 Ord. H, d. 6, n. 49 : 455
Ord. n , d. 1, qq. 4-5, n. 237 : 299 Ord. II, d. 6, n. 54 : 463
Ord. n , d. 1, qq. 4-5, n. 239 : 299 Ord. II, d. 6, n. 55 : 463
Ord. n , d. 1, qq. 4-5, n. 246 : 334 Ord. II, d. 6, n. 56 : 463
Ord. II, d. 1, qq. 4-5, n. 265 : 327 Ord. II, d. 6, n. 63 : 454
Ord. n, d. 1, qq. 4-5, n. 272 : 333 Ord. II, d. 6, q. 1, n. 6 : 444
Ord. Il, d. 2, pa. 2, q. 5, passim : 402 Ord. II, d. 6, q. 2, n. 35 : 451, 452
Ord. n , d. 2, pa. 2, q. 5, n. 317 : 403 Ord. II, d. 6, q. 2, n. 40 : 494
Ord. II, d. 2, pa. 2, q. 5, n. 320 : 404 Ord. n , d. 6, q. 2, n. 49 : 413
Ord. II, d. 2, pa. 2, q. 5, n. 344 : 403 Ord. II, d. 6, q. 2, n. 49-62 : 494
Ord. n , d. 2, pa. 2, q. 5, n. 417 : 402 Ord. Il, d. 7, q. un., n. 5 : 501
Ord. ïï, d. 2, pa. 2, qq. 1-8 : 400 Ord. II, d. 7, q. un., n. 17 : 508
Ord. II, d. 3, pa. 1, n. 1 : 640 Ord. Il, d. 7, q. un., nn. 19-21 : 496
Ord. Il, d. 3, pa. 1, q. 1, n. 32 : 367 Ord. n, d. 7, q. u n , nn. 50-51 : 327
Ord. Il, d. 3, pa. 1, q. 2, n. 57 : 645 Ord. II, d. 7, q. un, n. 88 : 495
Ord. Il, d. 3, pa. 1, q. 3, nn. 61-65 : Ord. ïï, d. 7, q. u n , n. 90 : 492, 507
191 Ord. II, d. 13,passim : 163,169
Ord. Il, d. 3, pa. 1, q. 4, nn. 89-91 : Ord. II, d. 16, q. u n , n. 19 : 560
288 Ord. n , d. 25, q. 1, n. 24 : 242
Ord. II, d. 3, pa. 1, qq. 5-6, n. 142 : Ord. ïï, d. 25, q. 1 : 100
643 Ord. ïï, dd. 34-37, qq. 1-5, n. 125 :
Ord. Il, d. 3, pa. 1, qq. 5-6, n. 173 : 508
172 Ord. ïï, dd. 34-37, qq. 1-5, nn. 142-
Ord. Il, d. 3, pa. 1, qq. 5-6, n. 175 : 144 : 508
172 Ord. II, d. 39, qq. 1-2, n. 13-14 : 505
Ord. ïï, d. 39, qq. 1-2, n. 18 : 505
Ord. II, d. 3, pa. 1,q. 7, n. 251 : 654 Ord. ïï, d. 39, qq. 1-2, nn. 19-20 : 508
Ord. n , d. 3, pa. 2,q. 1,n. 290 : 157 Ord. ïï, d. 39, qq. 1-2, n. 22-24 : 494
Ord. Il, d. 3, pa. 2, q. 2, nn. 333-334 : Ord. II, d. 39, qq. 1-2, n. 24 : 492, 516
111 Ord. II, d. 39, qq. 1-2, n. 27 : 511, 512
Ord. II, d. 3, pa. 2,q. 3, n. 367 : 93 Op. ox. II, d. 42, qq. 1-4, nn. 10-13 :
Ord. II, d. 3, pa. 2,q. 3, n. 370 : 93 611
Ord. Il, d. 3, pa. 2, q. 3, nn. 355-363 : Op. ox. II, d. 42, qq. 1-4, n. 17 : 615
93 Ord. II, d. 43, q. un, n. 1 : 507
Ord. H, d. 3, pa. 2, q. 3, nn. 369-370 : Ord. ïï, d. 43, q. un, n. 5 : 489, 507,
94 510
Ord. U, d. 3, q. l,n . 38 : 631 Ord. ïï, d. 43, q. un, n. 6 : 507
Ord. n , d. 3, q. 1, n. 42 : 642 Op. ox. Iïï, d. 1, q. 1, n. 3 : 301
Ord. n , d. 3, q. 6, n. 15 : 655 Op. ox. Iïï, d. 2, q. 1, n. 12 : 589
INDEX SCOTISTICUM 671

Op. ox. ni, d. 6, q. 2, on. 3-4 : 319 Op. ox. IV, d. 49, suppl. q. 5, nn. 2-3 :
Op. ox. Ill, d. 7, q. 3, n. 3 : 585 497
Op. ox. HI, d. 14, q. 2, n. 5 : 109, 658 Op. ox. IV, d. 49, suppl. q. 6, n. 15 :
Op. ox. IU, d. 14, q. 2, n. 6 : 114 493
Op. ox. HI, d. 14, q. 2, n. 7 : 114 Op. ox. IV, d. 49, suppl. qq. 9-10, n.
Op. ox. m , d. 14, q. 2, n. 20 : 114 15 : 497
Op. ox. HI, d. 20, q. 1 : 581 Op. ox. IV, d. 49, suppl. qq. 9-10, n.
Op. ox. in, d. 20, q. 1, n. 10 : 590 8 :492
Op. ox. m , d. 27, q. un., passim : 653 Op. ox. IV, d. 50, q. 3 : 372
Op. ox. Ill, d. 27, q. un., n. 2 : 653
Op. ox. Ill, d. 28, q. un., n. 2 : 652 Reportatio
Op. ox. in, d. 32, q. un., n. 6 : 653
(différentes versions)
Op. ox. m , suppl., d. 33, q. un. : 496,
499, 506
Rep., Prol., q. 1, a. 2,passim : 94, 95,
Op. ox. m , suppl., d. 36, q. un. : 495, 96
500, 501, 502, 504, 505, 506, 512, Rep., Prol., q. 1, a. 1, n. 4 : 90
513
Rep., Prol., q. 1, a. 2, n. 5 : 94
Op. ox. IV, d. 1, q. 5, n. 16 : 616
Rep., Prol., q. 1, a. 2, n. 7 :114
Op. ox. IV, d. 4, q. 4 : 38
Rep., Prol., q. 1, a. 2, n. 10 :100
Op. ox. IV, d. 4, q. 9, passim : 25
Rep., Prol., q. 1, a. 2, n. 13 :101
Op. ox. IV, d. 8, q. 1, n. 2 : 187
Rep., Prol., q. 1, a. 2, n. 15 :101
Op. ox. IV, d. 9, q. 2, n. 27 : 618 Rep., Prol., q. 1, a. 4, n. 40 : 107,115
Op. ox. IV, d. 11, q. 2, n. 8 : 328 Rep. I, d. 2, n. 9 :107
Op. ox. IV, d. 11, q. 3 : 573
Rep. I, d. 3, q. 4 : 74, 76
Op. ox. IV, d. 12, q. 1, n. 3 : 305
Rep. I, d. 3, q. 6 : 78
Op. ox. IV, d. 12, q. 1, n. 7 : 290
Rep. I, d. 5, q. 1,passim : 555, 557
Op. ox. IV, d. 12, q. 1, n. 9 : 307
Rep. I, d. 5, q. 1, n. 5 : 557
Op. ox. IV, d. 12, q. 1, n. 10 : 308
Rep. I, d. 8, q. 4 : 556, 557, 558
Op. ox. IV, d. 12, q. 1, nn. 18-20 : 309 Rep. I, d. 10, q. 3 : 505
Op. ox. IV, d. 12, q. 1, nn. 21-22 : 309
Rep. I, d. 11, q. 2 : 129, 134,136,141
Op. ox. IV, d. 12, q. 1, nn. 23-24 : 310
Rep. I, d. 22, q. nn., passim : 617
Op. ox. IV, d. 12, q. 1, nn. 5-7 : 306
Rep. I, d. 26, q. 3 :136
Op. ox. IV, d. 13, q. 1 : 630
Rep. I, d. 27, q. 2 : 73
Op. ox. IV, d. 42, qq. 1-4, n. 10 :614
Rep. I, d. 33, q. 1,passim : 534, 545
Op. ox. IV, d. 42, qq. 1-4, n. 13 :614
Rep. I, d. 33, q. 2, passim : 534, 535,
Op. ox. IV, d. 42, qq. 1-4, n. 18 :618
537, 538, 540, 542, 543, 544, 545,
Op. ox. IV, d. 42, qq. 1-4, n. 20 :618
549, 558, 559, 560
Op. ox. IV, d. 43, q. 2, n. 9 :162
Rep. I, d. 33, q. 2, n. 8 : 523
Op. ox. IV, d. 43, q. 2, n. 18 :158
Rep. I, d. 33, q. 2, n. 9 : 523, 524
Op. ox. IV, d. 43, q. 3 :160 Rep. I, d. 33, q. 2, nn. 11-12 : 524
Op. ox. IV, d. 43, q. 4 : 570
Rep. I, d. 33, q. 3,passim : 540, 541
Op. ox. IV, d. 45, q. 3, nn. 4-6 : 613 Rep. I, d. 34, q. I,passim : 540
Op. ox. IV, d. 45, q. 3, n. 6 : 622 Rep. I, d. 35, n. 9 : 373
Op. ox. IV, d. 45, q. 3, n. 13 : 615
Rep. I, d. 36, n. 10 : 209
Op. ox. IV, d. 45, q. 3, n. 17 : 614, 622 Rep. I, d. 36, n. 34 : 76
Op. ox. IV, d. 48, q. 1, n. 16 : 244 Rep. I, d. 36, n. 41 : 208
Op. ox. IV, d. 49, q. 4, n. 4 : 243 Rep. I, d. 36, n. 49 : 209
Op. ox. IV, d. 49, q. 4, n. 5 : 244 Rep. I, d. 38, n. 5 : 358
Op. ox. IV, d. 49, q. 11, n. 4 : 110, 111
Rep. I, d. 38, nn. 14-15 : 380
Op. ox. IV, d. 49, q. ex latere, n. 20 : Rep. I, d. 38, n. 16 : 380
244
672 INDEX SCOTISTICUM

Rep. I, d. 38, n. 21 : 381 Rep. Ill, d. 24, q. un., n. 16 : 90


Rep. I, d. 38, n. 51 : 380 Rep. Ill, d. 27, q. un. : 651, 652
Rep. I, dd. 39-40, n. 10 : 380 Rep. m , d. 27, q. un., n. 6 : 628
Rep. I, dd. 39-40, n. 16 : 380 Rep. UI, d. 36, q. un. : 500, 513, 514
Rep. I, dd. 39-40, n. 36 : 384 Rep. IV, d. 1, q. 1, n. 7 : 631
Rep. I, dd. 39-40, n. 38 : 385 Rep. IV, d. 12, qq. 1-2 : 291
Rep. I, dd. 39-40, n. 41 : 385 Rep. IV, d. 43, q. 3, passim : 159,161
Rep. I, dd. 39-40, n. 43 : 385
Rep. I, d. 45, q. 1, n. 5 : 326 Quaestiones quodlibetales
Rep. n , d. 1, q. 2, n. 15 : 333, 353, 363
Rep. Il, d. 1, q. 2, n. 16 : 333 Quodl. IU, n. 10 : 549
Rep. II, d. 1, q. 7, nn. 15-16 : 304 Quodl. in, n. 15 : 549, 552
Rep. Il, d. 1, q. 7, n. 20 : 367 Quodl. in , n. 16 : 552
Rep. n , d. 3, n. 14 : 657 Quodl. IH, n. 2 : 186, 316, 336, 548
Rep. II, d. 3, n. 15 : 658 Quodl. HI, n. 3 : 548, 549
Rep. II, d. 4, n. 5, 431 Quodl. in , n. 4, 551
Rep. II, d. 4, n. 12 : 430 Quodl. IU, n. 5, 549
Rep. II, d. 6, n. 1 : 429 Quodl. m, n. 8, 549
Rep. II, d. 6, q. 1, n. 9 : 506 Quodl. in, n. 9, 549
Rep. II, d. 6, q. 2, nn. 4-9 : 494 Quodl. in, n. 21 : 550
Rep. II, d. 6, q. 2, n. 9 : 494 Quodl. Ill, n. 22 : 550
Rep. II, d. 6, q. 2, n. 11 : 514 Quodl. V, a. 1, n. 1 : 390
Rep. II, d. 7, qq. 1-3, n. 9 : 496 Quodl. V, a. 1, n. 3 : 390
Rep. n, d. 7, qq. 1-3, n. 10, 496 Quodl. V, a. 1, n. 5 : 390
Rep. II, d. 7, qq. 1-3, n. 11, 495 Quodl. V, a. 1, n. 6 : 391
Rep. n , d. 7, qq. 1-3, n. 28 : 495 Quodl. V, a. 1, n. 7 : 392
Rep. II, d. 16, q. un., n. 19 : 562 Quodl. V, a. 1, n. 8 : 393
Rep. II, d. 23, q. un., n. 5 : 497 Quodl. V, a. 1, n. 9 : 392, 393
Rep. E, d. 23, q. un., n. 11 : 516 Quodl. V, a. 1, n. 10, 111, 393, 394
Rep. II, d. 25, passim : 409 Quodl. V, a. 1, nn. 11-12 :115
Rep. II, d. 25, q. un., n. 2 : 420,493 Quodl. V, n. 25 : 316, 347, 365
Rep. II, d. 25, q. un., n. 13 : 100 Quodl. V, n. 26 :108
Rep. II, d. 25, q. un., n. 16,409 Quodl. V, a. 3, n. 57 : 395
Rep. II, d. 25, q. un., n. 2 0 ,417,421 Quodl. VI, n. 1 :106
Rep. n , d. 25, q. un., n. 23, 422,493 Quodl. VI, n. 2 :106
Rep. II, d. 36, q. un., n. 2 : 516 Quodl. VI, n. 4 :107
Rep. II, d. 39, qq. 1-4, n. 4 :506 Quodl. VII, n. 83 : 397
Rep. II, d. 39, qq. 1-4, n. 5 :505, 510 Quodl. Vn, n. 85 : 398
Rep. H, d. 39, qq. 1-4, n. 7 :511 Quodl. VH, n. 87 : 398
Rep. II, d. 39, qq. 1-4, n. 8 :494 Quodl. VH, n. 89 : 398, 399
Rep. n , d. 39, qq. 1-4, n. 10 : 496 Quodl. V n, n. 90 : 399
Rep. H, d. 39, qq. 1-4, n. 11 : 496 Quodl. VIU, n. 14 : 354
Rep. II, d. 42, qq. 1-4, n. 4 :498 Quodl. X, n. 5 : 328
Rep. II, d. 42, qq. 1-4, n. 5 :499 Quodl. X in, n. 12 :109
Rep. n , d. 42, qq. 1-4, n. 14, 514 Quodl. XIII, n. 27:171
Rep. II, d. 43, q. un., n. 4 : 489 Quodl. XTV, n. 4 : 336
Rep. II, d. 43, q. un., n. 5 : 506 Quodl. XTV, n. 13 :189
Rep. IH, d. 7, q. A, passim : 585 Quodl. XIV, n. 14 : 373
Rep. Ill, d. 7, q. 4, n. 4 : 584, 638 Quodl. XV, n. 30 : 78
Rep. HI, d. 14, q. 2, n. 20 : 115 Quodl. XVI, n. 9 : 363
Rep. HI, d. 14, q .2 ,n . 15 : 89 Quodl. XVI, n. 15 : 492
INDEX SCOTISTICUM 673

Quodl. XVin, n. 12 : 49 7 De primo principio IV, conci. 9 : 392


Quodl. XVIII, n. 20 : 497
Quodl XIX, n. 23 : 301,302 Add. magn. Il 25 : 409

Varia Collationes oxonienses : 266, 373

De primo principio, passim : 301, 390 Quaest. mise. : 524, 530


De primo principio I, conci. 1 : 648
De primo principio IV, conci. 4, n. Qurnst. deformalitatibus, q. 2, n. 3 :
5 6 : 382, 601 368
INDEX MANUSCRIPT ORUM

Assisi, Biblioteca Comimale


Ms. 136 :57
Ms. 137:304, 378, 513, 521

Barcelona, Arxiu de la Corona d’Aragó


Ms. Ripoll 77bis : 528
Ms. Ripoll 109 : 251

Cambridge, Gonville and Caius College


Ms. 3 44:292

' Città del Vaticano, Biblioteca Apostolica Vaticana


Ms. Vat. lat. 1066 : 528
Ms. Vat. lat. 3022 : 251
Ms. Borgh. lat. 272 : 28
Ms. Borgh. lat. 325 : 315

Oxford, Balliol College


Ms. 205 : 12, 71, 73
Ms. 206,12

Oxford, Merton College


Ms. 59 : 71, 73, 505, 534
Ms. 66: 57
Ms. 89 :561

Padova, Biblioteca Antoniana


Ms. 175 : 561

Paris, Bibliothèque Mazarine


Ms. 3498 :285

Paris, Bibliothèque Nationale de France


Ms. lat. 3062 : 57
Ms. lat. 3114-2:57
Ms. lat. 12332 : 57
Ms. lat. 15361 : 57
Ms. lat. 15854 : 57

Wien, Österreichische Nationalbibliothek


Ms. lat. 1453 : 378

Worcester, Cathedral
Ms. F 69 : 10, 14,522,527, 528
INDEX NOMINUM

I. A u t e u r s a n c ie n s , m é d ié v a u x e t m o d e r n e s

Adam Wodeham, 270,400 226,253,419,459,461,498, 556,


Aegidius de Loigny, 14,15,16,17 558, 573, 578, 582, 588, 595, 614,
Aegidius Romanus, 90, 9 1 ,139,140, 617, 636
141, 283,286,289, 296,304, 501, Aulus Gellius, 153
502, 534, 642 Avenues Cordubensis, 135, 234,235,
Aelredus Rievallensis, 226 236, 238,252, 307, 646, 647
Alanus de Insulis, 470 Avicenna, vi, x, xvii, 13, 98,180, 181,
Alanus de Tongeren, 12,14,15 186,189,192, 195,196, 209,211,
Albertus Magnus, 230, 250, 446, 447 212,213,214,215,216,217,218,
Albertus Mettensis, 13 229,240, 262, 639, 659
Albertus Saxonis, 404 Baïus (Michel de Bay), 572
Alembert, Jean Le Rond d’, 596 Bemardus Claraevallensis, 180
Alexander de Alexandria, 13 Biel, Gabriel, 51
Alexander Halensis, 387 Boethius de Dacia, 236, 237,238,284
Al-Ghazali, 402 Boethius, A. M. T. Severinus, 119,
Anselmus Cantuarensis, xvii, 165, 120,124, 129,131, 132,139,217,
202, 242, 243, 253, 411, 412, 413, 556
414, 415, 416,417, 421,422,423, Bonaventura de Bagnoreggio, 4, 68,
427,455, 556, 581, 582, 583, 584, 375, 430, 523, 531, 534, 545, 547,
586, 588,636 573, 581
Apuleius, 153 Bonifatius Vili, 22
Aristoteles, viii, xiv, xv, xviii, 13,16, Caietanus (Tommaso de Vio), 34, 52
66, 67, 69, 77, SO, 83, 85, 87, 89, Cadetti, Angelo (Angelus de
108,116,132,135,136,148,157, Clavasio), 51
158,182,184,188,189,226,230, Charles d’Anjou, 45
232, 235,236,240, 241,242, 243, Charles II de Naples et de Sicile, 45
244,245, 247, 248,249,250,257, Cicero, M. T., 469
259, 264,270, 274, 275,276,277, Clemens IV, 43
278,280,281,282,283,284,285, Descartes, René, 93,180,224, 321,
286, 289,290,292, 295, 305, 307, 323, 363, 375, 392, 626
308, 310, 318, 368, 375, 389,390, Dionysius Ps.-Areopagiticus, 478,
391, 393, 397, 398,400,403,404, 501, 505, 512, 643
411, 415, 416, 417, 418, 420,421, Du Cange, Ch. du Fresne, sieur, 155
423,471,478, 480, 487,488,489, Dupasquier, Sébastien, 359
491,493,499, 501, 502, 505, 511, Durandus a Sancto Porciano, 31, 32,
512, 514, 515, 595, 600, 602, 605, 35
636, 640, 641, 642, 645, 649, 658, Eckhardus de Hocheim (sìve Meister
659 Eckhart), 4,11,12,13,16
Augustinus, 32, 37, 58,155,156, 157, Edouard Ierd’Angletene, 21, 25,42,
161,180,189,221, 222,223,225, 44,45,47
678 INDEX NOMINUM

Empedocles, 512 Henricus de Harclay, 400


Espina, Alonso de, 54 Henry m, 42
Euclides, 403 Hervaeus Natalis, 79
Eustratius Nicaenus, 476 Hickey (Hicquaeus), Anthony, 48, 53
Franciscus Caracciolo, 527, 528 Hieronymus, 155
Franciscus de Mayronis, 49,357 Honorius IV, 44
Frassen, Claude, 317,352 Horatius, 152,153
Gilbertus Pictavensis, 469 Huguccio, 26
Girolamo da Montefortino (Angelo Iacobus de Quarceto Viromandia, 23
Bucci), 373 Iacobus de Thérines, 18
Godefridus de Fontibus, vii, 4,14,15, Innocentius III, 34
16,17, 69,100,117,121,122,123, Ioannes Buridanus, 489
125, 126, 409, 418,471, 522, 527, Ioannes Capreolus, 564, 571
642 Ioannes Damascenus, 543, 562
Godinus (OP), 17 Ioannes de Bassolis, 49
Gratianus, 26, 36 Ioannes de Berwick, 126
Gregorius Ariminensis, 402,404,405 Ioannes de Ripa, 254
Gualterus Burley, 137 Ioannes de Rupellis, 6
Gualterus Chatton, 400 Ioannes Minio de Morrovalle, 4
Guido de Briançon, 50 Ioannes Peckham, 43,44
Guido Terrena, 36, 37, 38,40, 528 Ioannes Teutonicus, 26
Guillelmus a Sancto Theodorico, 226 Jean II du Portugal, 54
Guillelmus Altissiodorensis, 446 Kant, Immanuel, x, 181,183,184,
Guillelmus de Alnwick, 23, 88, 372, 185,186,187,189, 434,435,460,
373, 409, 431, 561 624, 625, 626, 634
Guillelmus de Bonkys, 292 Krisper, Crescentius, 320, 360
Guillelmus de Macclesfield, 126 La Ville, Louis de (Louis Le Valois),
Guillelmus de Missali, 271 363
Guillelmus de Moerbeke, 214 Laplace, P. S. de, 598, 600
Guillelmus de Nogaret, 22 Leibniz, G. W., 116, 375, 600, 642
Guillelmus de Nottingham, 126 Louis IX, 27
Guillelmus de Ockham, ix, 95,117, Malebranche, Nicolas, 375
118,141,142,143,144,145,146, Manuel Ier du Portugal, 55
147, 148,149,150,197,455,485, Mastri (Mastrius), Bartolomeo, 211,
526, 572, 655, 659, 660 320,360
Guillelmus de Plaisians, 22 Matthaeus de Acquasparta, 4
Guillelmus Redonensis, 31, 32 Mattheaus Rubei, 4
Guillelmus de Sherwood, 137 Melissus, 135
Guillelmus de Ware, 126 Michael de Massa, 404
Gundissalvus Hispanus, vi, 4,11, 12, Nicolaus Cusanus, 253
14, 15,17 Nicolaus de Orbellis, 50
Hernicus de Gandavo, x, xi, xiii, xiv, Nicolaus Oresme, 159,404
69, 70,71,72, 78,81,90, 92, 93, Odo Suessionensis, 396
94,112,117,119,120,121,122, Oribases, 153
188, 192,195,196,205,210,211, Orígenes, 484
212,213,214,215,216,217,218, Ovidius, 152
237, 256,257, 260,261,263, 291, Parmenides, 135
329, 388, 394, 397,404,409,410, Pascal, Blaise, xi, 224, 660
411, 419,421, 422, 423, 432, 471, Petrus Abaelardus, 130,132,135,
472, 473,474,476,478,479,480, 396, 449
502, 503, 504, 642
INDEX NOMINUM 679

Petras Alvemus, 285,289, 291, 295, Soto, Domingo de, 53


296, 298 Stephanus de Aurelianis (sive
Petras Aureoli, 659 Tempier), 501, 503
Petrus Aureolus, 49 Suárez, Francisco, x, 5 3 ,181, 183,
Petras Cantor, 30 185, 186,187,194,195,359, 567,
Petras Ceffons, 404,405 569
Petras Damiani, 387, 396 Thales Miletus, 624
Petras de Palude, 35 Theodoricus de Freiberg, 11
Petras Ioannes Olivi, 40, 69,421 Thomas (socius Scott), 10,23
Petras Lombardus, 118, 255, 377, Thomas Bradwardine, 400,404
396, 582 Thomas de Aquino, x, xi, xiii, xv, xvi,
Petras Pictavensis, 446, 449 xvii, 16, 27,28, 29, 30, 35, 38,47,
Philippe le Bel, 22, 23,45, 47 49, 52, 55,90,92,110,112,113,
Philippus Cancellarius Parisiensis, 117,118, 119,121, 131,139,141,
470 142,179,180,181,182,183,184,
Pico della Mirandola, Giovanni, 376 188,189, 190,191,194,195, 200,
Plato, 159,181, 323,484, 624, 640 205, 216,217, 218,219,226, 228,
Plautus, 152 230, 232, 234,237, 238, 239,241,
Poinsot, João (Ioannes a Sancto 242, 243, 244, 245, 252, 256, 258,
Thomae), 565, 566, 572 259, 260,261,263,276, 277,278,
Porphyrion, 153 279, 280, 281,282, 283,284,285,
Porphyrius, 267 286, 288, 289, 293,294,295, 296,
Punch (Poncius), John, 211, 352, 359, 297, 300, 301, 304, 307, 308, 309,
360, 372, 373 310,311,375,380,381,382,388,
Quintilianus, 154 427, 437, 438, 439, 440, 442, 447,
Radulphus Brito, 286, 287,289, 292, 450,471,473,475,480,488,494,
308 499, 514, 515, 563, 564, 568, 571,
Raimundus de Peñafort, 31 572, 573, 574, 576, 577,578, 611,
Ricardus a Sancto Victore, 654 623, 630, 642, 656
Ricardus de Gravesend, 44 Thomas de Erfurt, 625
Ricardus de Mediavilla (de Menevyl), Thomas de Freiberg, 286
28,29,33,47, 5 0 ,126,261 Thomas de Sutton, 117
Robertas Grosseteste, 105,113 Thomas Wylton, 527
Robertas Kilwardby, 44 Vázquez, Gabriel, 53, 365
Ruiz, Gregorio, 53 Vincentius Bellovacensis, 31
Sales, François de, 447 Wadding, Luke, xii, xvi, 48,168, 378,
Sigeras de Brabantia, 284,289,292, 528, 534, 536
308, 575 Wolff, Christian, x, 181,183,185,
Simonus de Faversham, 135,140, 186,187, 194
141,285,289,291,295 Zasius, Ulrich, 51
Simplicius, 214, 290, 305, 306 Zumel, Francisco, 352
Socrates, 488
680 INDEX NOMINUM

II. A u t e u r s c o n t e m p o r a in s

Adams, M. M., 144,273,274,275, Bosley, K., 274


277, 283, 425, 426, 437, 491, 525, Boulnois, O., xi, 12, 39,110,195,
526, 532, 536, 539, 540, 541, 543, 207, 208,212,237,239,253,269,
544, 562, 586 394, 396, 397,421, 567, 576, 627,
Adams, R., 273 628, 629, 634, 642, 643, 658
Aertsen, J. A., 191,253,284,410, Bourriez, E., 154,155
508,560 Brague, R., 219, 224,229, 230, 252,
Aguerre, J.-CL, 427 253
Alanen, L., 433 Brampton, C. K., 5, 378
Alfaro, J., 568 Bredero, A. H., 6
Alféri, P., 659, 660 Brittan, G. G., 184
Alluntis, F., 18, 78,171, 389 Brower, J., 130
Altmanspacher, H., 598 Browning, C. R., 56
André, J., 152 Buchheim, Th., 601
Andújar, E., 428 Bulloch, P., 88
Angelelli, I., 118 Burr, D., 275
Arendt, H., 633, 636, 639, 650 Burrin, Ph., 56
Amaldi, Fr., 155 Callebat, L , 153
Aubenque, P., 636 Camus, A., 627
Aubert, R., 568 Carrier, J., 251
Aubin, V-, 227,231 Catto, J. I., 3
Auer, J., 433 Cervellon, C., xiv, 494
Balie, C., 125,196,291, 409,410, Charlton, W., 489
521, 522, 527, 653 Chazan, R., 45
Balmus, C. I., 155 Chollet, J., ix
Banniard, M., 154 Chrétien, J.-L., 429
Bataillon, L.-J., 28 Coleman, J., 254
Bazán, B. C., 428 Copleston, Fr., 434
Beckmann, J. P., 185, 493 Coste, J., 22
Berceville, G., xvi, xvii Côté, A., 113,388, 396
Bémbé, C., x, 159,189,255, 651, Counet, J.-M., xiv, 196, 502, 631, 649
652, 657, 659 Courtenay, W. J., 5, 7, 9,10, 22,23,
Besso, M., 597 287, 378
Bettoni, E., 657 Courtine, J.-Fr., 219
Biard, J., xiii, 75 Craig, W. L., 597
Biller, P., 34,41 Cross, R., xvi, 99,106,288,293,297,
Billot, L.., 568 301, 519,521
Bishop, R., 598 Cupaiuolo, F., 153
Bobonich, C., 488 Dahan, G., 25,26, 36,40,251
Boehner, Ph., 133 Dahl, N. O , 488
Böhme, G., 599 De Boer, D., 3
Boler, J , 426, 429, 433, 435, 436, De Bruyne, E., 655
437, 494 De Smet, D., 196
Bonansea, B.-M., 657 Decorte, J., 214,217,471
Bonnefoy, J.-F., 528 Dekker, E., 5
Borsche, T., 601 Deleuze, G., 626, 628
Bos, E. P„ 377, 426, 560 Demange, D., viii
INDEX NOMINUM 681

Den Bok, N. W., 5 Guérard des Lauriers, M.-L., 429


Denifle, H. S , 5,16,160 Guilfoy, K., 130
Donati, S., 283,286 Guimet, F., 434
Doyles, P., 655 Guldentops, G., 197
Dreyer, M., 65,179,211,269,299, Hackett, M. B., 3
320,376, 390, 481,502 Hamesse, J., 10
Dugauquier, J.-A., 31 Häring, N. M., 470
Dukas, H., 597 Hartmann, N .,497
Dummett, M., 324 Heidegger, M., xviii, 217, 376, 623,
Dumont, St. D., 268,410,431, 481, 624, 625, 626, 627, 634, 635, 650
489, 502, 508 Henninger, M. G., 277,299
Ebbesen, St., 135,269,286,287 Hilberg, R., 56
Eckert, W. P , 40,197 Hissette, R., 286,308, 386, 501
Etnìe, Fr., 5,10 Hocedez, E., 502
Einstein, A., 597 Hödl, L., 197
Emery, K., 284, 410, 508 Hoeres, W., 338,433, 516
Erismann, C., 195 Hoffmann, B., 597
Emout, A., 151 Hoffmann, T., xv, 207,211,491, 493
Etzkom, G. J., 50 Hofmann, J. B., 153
Falk, A , 431 Holmström-Hintikka, Gh., 449
Falque, E., xviii, 626, 635, 642 Honnefeider, L., x, 65,179,183,184,
Follon, J , 388, 631 185,186,187,188,191,192,193,
Foyer, D., 587 207,211,269,299, 320, 376, 377,
François, D., v 386, 390, 481, 482, 502
Frank, W. A., 172 Hopkins, G. M., xviii, 661, 662
Frege, G., 213 Horowitz, T., 68
Galle, G , 286 Hourlier, J., 226
Gallet, R., 661, 662 Husserl, E., 616, 625, 638
Gandìllac, M. de, 427 Imbach, R., v, 277,284,286, 301,
Garrigou-Lagrange, R., 564,565, 568, 390, 575, 648
569 Inciarte, F., 493
Gauthier, R. A., 27, 487, 501 Ingham, M. B., xiii, xv, 411,425,467,
Gelber, H. G , 125,139, 521, 522, 476,481, 502, 508
523, 524, 525, 528, 534, 536, 545 Jammer, M., 599
Ghisalberti, A., 390 Janis, A., 68
Gilson, E., X, 1 1 ,180,181, 182,183, Janssens, J., 196
188, 189,190, 191,192,193,194, Jolif, J. Y , 487, 501
195, 196, 215,279, 321, 322, 375, Jordan, W. C , 46
376, 623, 626, 631, 642, 643, 644, Jorissen, H., 274
645, 648, 654, 655, 657 Journet, Ch., 428
Glorieux, P., 15,16,18,125, 527 Kaluza, Z., 12
Goelzer, H., 155 Kaplan, Y., 45
Goëmé, Ch., 629 Karger, E., 313
Gosling, J. C. B., 456 Katz, D., 45
Gracia, J. J. E., 280 Katz, J , 313
Gramont, J. de, 662 Kenny, A., 526
Grandgent, C. H., 155 Kent, B., 490, 499
Grayzel, S., 26,40 King, P., vii, viii, 68
Green, R., 126,137,138 Kisch, G , 40, 51
Green-Pedersen, N. J., 236,284 Klibansky, R., 11,12
Gründer, K., 192 Kluxen, W., 301,382, 390, 433
682 INDEX NOMINUM

Kneepkens, C. H., 601 McCue, J. F., 274


Knuuttila, S , 376, 432, 433 McEvoy, I , 388, 631
Kretzmann, N., 526 Méchoulan, H., 55
Krieger, G., 185 Meillet, A., 151
Lacoste, J.-Y., 627 Meinong, A., 213
Lafaye, G., 152 Merleau-Ponty, M., 627, 660
Lafleur, C., 251 Meyûhas Ginio, A., 54
Lagarde, G. de, 40 Michel, A., 564, 577
Lagerlund, H., 490 Modric, L., 378
Lambertini, R., 21, 24 Möhle, H„ 515
Landry, B., 169,170 Mojsisch, B., 229
Langston, D. C., 383 Mondadori, F., xii
Lauriola, G., 24, 432 Moore, G. E , 457
Ledoux, A , 88, 372 Moorman, J. R. H., 6
Lee, S., 426,436 Mückle, J. T , 402
Leff, G., 14 Mundill, R. R„ 42, 43, 44, 45,46
Lemer, R., 40 Murdoch, J. E., 275,405
Leroy, B., 54 Nahon, G., 27
Lévinas, E., xviii, 623, 626, 643, 650 Nicault, C., 56
Lewis, D , 127, 328 Nickel, G., 598
Libera, A. de, 12, 212, 229,275, 607, Niermeyer, J. F., 155
648 Noone, T. B., xi, 18, 76, 80, 84, 88,
Lipman, V. D., 43 207, 378
Little, A. G., 18 Normore, C. G., 320, 428
Logan, F. D.,43 Nouzille, Ph., 226
Lohr, Ch. H., 292 Novinsky, A., 55
Loiret, Fr., 394, 433 Owens, J , 280
Longeway, J., 135 Parisoli, L., 40
Longpré, E., 24,170 Paschetto, E., 159
Looman-Graaskamp, A. H., 5 Pasnau, R., 66, 68, 76
Lorenz, K., 601 Pattin, A., 290
Lorenzini, S., 24 Paxton, R., 56
Lottin, 0 „ 469, 481,500, 509, 513, Pelster, F r, 1 0 ,14,15
514 Pérez-Ilzarbe, P .,118
Macy, G., 274 Perler, D , 75, 76, 83,88
Maier, A., 125, 527, 528 Philippe de la Trinité, 428
Marache, P., 153 Piché, D , 286, 308, 501
Maranesi, P., 57 Pickavé, M , 217, 239
Marion, J.-L, 427, 466, 623, 624, Pinborg, J , 284, 526
629, 630, 635, 638, 650 Pinchará, B , 640, 649
Maritain, J., 428, 429,440, 441 Pini, G , xi
Marmo, C., 275 Pirón, S , vii
Marmursztejn, E., vii Pluta, O , 229
Marrone, Fr., 195 Popper, K. R , 597
Marrone, St., 70 Porro, P , X, 197,212,217,254
Martin, C. J., viii, ix, 118,127,130 Prentice, R , 433
Mathieu, L., xvii Prigogine, I , 596, 597
Maurer, A., 11, 82,284 Putallaz, Fr.-X, 301,390, 575
Maurus, M. R., 56 Raedts, P. G. J. M , 6
Mayaud, P.-N., 641 Randi, E , 39
Mazzarella, P., 286 Ratzinger, J , 583
INDEX NOMINUM 683

Rauzy, J.-B., 116 Sylla, E. D., 275


Renan, E., v, 3 Sylwanowicz, M., 383, 433
Rey, A., 170 Tachau, K. H , 68, 88
Richmond, C., 40,41 Talbot, C. H„ 226
Ricoeur, P., 425, 638, 658 Te Velde, R , 426,436,462
Ritter, J., 192 Tollet, D., 25
Robiglio, A., 447 Torrell, J.-P., 574
Robinson, H., 184 Trapp, A. D., 404
Rodis-Lewis, G., 363 Tricot, J., 645
Roest, B .,4 ,6 ,1 4 Tweedale, M., 274, 529, 530, 531,
Rohmer, J., 434, 435 532, 534, 536, 537, 541, 547, 548,
Rokeah, Z., 43 556, 559, 560, 561
Rosier, I.,275 Van Herwaarden, J., 3
Roth, C., 46 Van Kan, F. J. W., 3
Ryan, J. K , 657 Van Winden, J. C. M., 6
Saarinen, R., 446, 447, 449, 489, 490, Vanhamel, W., 217
499 Veldhuis, H , 5
Santas, G., 488 Verhoeven, G., 3
Santogrossi, A., xviii Veuthey, L., 577, 638, 651, 652, 653,
Sartre, J.-P., 376, 627, 631 657
Scheeben, M. J., 577 Vier, P. C., 109
Scheibe, E., 599 Vignaux, P , 12, 648, 659
Schmeck, B L , 154 Vlastos, G., 488
Schmidt, A., xvii, 597, 599 Vos, A., vi, vii, 5, 6, 7, 376, 377
Schmutz, J., vi, 431 Vossler, K., 154
Sée, J., 55 Walsh, J. J., 488
Seiller, L., 588 Wéber, E.-H., 12
Sessevalle, Fr. de, 6 Weisheipl, J. A., 6, 7, 8
Sileo, L., 5,23,287, 378,426 Weizsäcker, C. F. von, 596, 597, 598
Smits, A. H., 6 Wetter, Fr., 125, 522, 527
Söder, J. R., xii, 377, 378, 379, 380, Weyl, H., 597
601 Wicki, N , 470
Somerset, F., 11 Williams, T., 66,383
Sondag, G , ix, 19,156,174,255, Wilpert, P., 40,197
466, 515, 630, 631, 633, 637, 644, Wippel, J. F., 16,125, 279
649 Wittgenstein, L., 324
Sousedik, St., 211 Wolter, A. B., 3, J, 6 ,12,18,21, 65,
Speer, A., 253,284, 410,508 171,172,189,197,299, 378,389,
Spruit, L , 68, 88 425, 471, 472, 473, 491, 495, 586
Stacey, R., 42,45, 46 Wood, R , 65, 179, 211, 269,299,
Stansfield, M., 88 320, 376,390,481,502
Steel, C., 197 Xiberta, B. F. M., 36,528
Stella, P., 79 Yerushalmi, Y. H., 54
Stewart, J. A., 512 Yijönsuuri, M., 490
Strayer, J., 45 Zimmermann, A., 284
Stracchi, L. G., 428 Zum Brunn, E., 12, 648
Suchla, B. R., 501 Zweerman, Th. H., 6
Sultan-Bohbot, S., 55

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