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Ben Jelloun - Ambiguité PDF
Ben Jelloun - Ambiguité PDF
1
A. Khatibi, La mémoire tatouée, Paris, Denoël 1971, p. 188.
2
Quant à Driss Chraïbi, il note qu’il se sent déçu de son amour, perdu
entre deux camps, deux civilisations et deux cultures. Nous constatons que
l’occidentalisation pour ce genre d’écrivains : « Signifie bien une aliénation,
une manière de devenir, de se dédoubler, [...] cette transformation pourrait
être positive ou négative selon l’idéologie adoptée ; Mais il existe une autre
forme d’aliénation, courante bien que voilée dans la culture arabe
contemporaine... »3.
2
A/ Nous avons reformulé cette citation écrite par A. Khatibi, Ibid.
3
Tahar Ben Jelloun, Entretien (in), Pèlerin Magazine, Paris 27 novembre, 1987.
4
Ibid, Pèlerin Magazine, Paris 27 Nov., 1987.
5
Ben Jelloun, Tahar, « Dossier consacré aux Evadés de l’empire » (in) Les nouvelles
littéraires, du 15 Fév. 1976.
* L’idée de l’échange ou du partage est une qualité du peuple arabe. Cette bonté, cette
ambition et cette générosité du partage a été reprise par T. Ben Jelloun dans l’émission
télévisée « Bouillon de culture », diffusée par France 2 où il confiait aux téléspectateurs :
« Nous les arabes, dans nos sociétés, on ne donne pas ; Mais on partage. »
3
« Père !
Pourquoi m’as-tu privé !
Des musiques charnelles
Vois :
ton fils
il apprend à dire en d’autres langues
Ces mots que je savais
Lorsque j’étais berger
[...] Maman se dit Ya Ma et moi je dis ma mère »8.
Les romans de Tahar Ben Jelloun sont bien construits, bien tissés, tout
en mêlant le réal à l’imaginaire. Ils sont néanmoins l’expression de tous les
silences et de tous les cris. Ils plongent quelquefois les lecteurs dans un climat
de haine, de folie, de sang et surtout d’érotisme. Ils sont tous construits autour
d’une certaine ambiguïté. Bien que tous évoquent le malaise que connaissent
les civilisations au XXème siècle. L’écrivain n’hésite pas à se libérer de toute
entrave, et à rompre les traditions de tout genre pour que son écriture soit
universelle. Cependant, nous constatons un certain dérapage qui gomme
9
Tahar Ben Jelloun, Le Magazine littéraire, n° 507, 1988, p. 33.
10
T. Ben Jelloun, L’enfant de sable, Paris, Seuil, 1985, coll. Points, 1988, p. 152.
11
T. Ben Jelloun, Ibid. p. 174.
12
Tahar Ben Jelloun, (in) Le Magazine Littéraire, n° 583, 1er Août 1991, Paris.
5
Les romans qui constituent une trilogie sont écrits dans le contexte d’un
conte. Ben Jelloun nous propose des oeuvres mythiques dès le premier roman
L’enfant de sable. Son travail est édifié sur deux univers et deux sexes. Il est
riche d’images, d’ambiguïté et d’ambivalence. Il est tissé sur deux cultures,
deux langues et deux identités différentes. C’est un roman double : le fou et
l’éclatement, l’intérieur et l’extérieur... A ce propos, l’auteur lui-même
déclare : « ce qui m’intéresse, c’est l’ambiguïté, le flou... »13. Ce flou
caractérise l’enfant de sable lorsqu’il écrit de son personnage principal :
« Ahmed est un personnage de fiction [...] de roman. C’est un personnage qui
est une parabole [...]. C’est un personnage qui nous permet de réfléchir sur
nous-mêmes et sur notre ambiguïté et nous ».
13
Tahar Ben Jelloun, (in) Le matin du Sahara, du 24 Septembre 1987.
14
Tahar Ben Jelloun, Le Magazine littéraire, 1988, sous le titre « romancier et critique » par
Edouard Al Kharat, p. 22.
6
Son œuvre est l’histoire d’un seul héros. Celui-ci est un être féminin
habillé en masculin, et vit dans une société patriarcale. L’auteur reconstitue
dans ses deux romans une certaine mémoire populaire quand il évoque des
personnages légendaires constamment présents dans la superstition populaire.
L’auteur ainsi a renoncé à l’Islam « dans le sens mystique, un peu comme El
Hallaj. » Et il affirmait que : « L’Islam que je porte en moi est introuvable, je
suis un homme seul et la religion ne m’intéresse pas vraiment. Mais leur parler
d’Ibn Arabi ou El Hallaj aurait pu me valoir des ennuis »15 [...] « Peut-être
que nous sommes indignes de la noblesse de cette religion »16.
Par ailleurs, dans son roman L’Ecrivain public, l’auteur nous révèle :
« Au collège, j’apprends à des adolescents la poésie, l’amour de la poésie, la
passion du mystère et du secret, je leur lis des pages du mystique Ibn Arabi et
même d’Al-Hallaj ».
Il confirme que son rapport avec l’Islam « n’est pas religieux mais
culturel. » Et il ajoutait : « M’intéresse dans l’Islam ses saints et ses martyrs
que furent les mystiques. Ainsi, j’ai une passion pour d’Al-Hallaj [...]. J’aime
aussi Ibn Arabi17.C’est pour ce chemin mystique que j’ai aimé l’Islam. Mais un
Islam qui n’est pas admis »18.
Le roman de Tahar Ben Jelloun est aussi celui d’un conteur qui « assis
sur la natte, les jambes pliées en tailleur, sortit d’un cartable un grand cahier
15
Tahar Ben Jelloun, La nuit sacrée, Paris, éd. Seuil, 1987, p. 146.
16
Ibid., p. 83.
17
Al-Hallaj, Abu-Mughit Al-Husain Ibn Mansûr Ibn Mahamma Al-Daïdawi. Poète mystique
persan de langue arabe. Né vers 857 à Tür (Iran) mort le 27 Mars 922 à Bagdad. Plusieurs
textes, rédigés par les disciples nous donnent quelques poèmes et des passages des oeuvres en
proses de Al-Hallaj. Son divan en arabe a été traduit en français par Louis Massignon en 931.
(Cf. Yves Thraval, Dictionnaire de civilisation musulmane, Paris, éd . Larousse, 1995.)
Ibn Arabi, Abu Bakr Muhammad Muhyi d’Din, surnommé « Le plus grand maître » écrivain et
poète mystique arabe. Né le 28 Juillet 1165 à Muricie (Espagne) mort en Octobre 1240 à
Damas (Syrie), membre de la tribu de Hâtim At-Ta’i. Un auteur prolifique, écrit 150 ouvrages
et près de 150 autres perdus. Il a été fort attaqué par les théologiens musulmans pour sa théorie
« L’unité de l’existence » et pour son interprétation des désirs (Turjûman Al-Ashwâg). (Cf.
Yves Thraval, Dictionnaire de civilisation musulmane, Paris, éd . Larousse, 1995.)
18
Tahar Ben Jelloun interview (in) Panorama d’aujourd’hui, Paris, n° 178, janvier 1984, p. 30.
19
Tahar Ben Jelloun, La nuit sacrée, op. cit., p. 83.
20
op. cit., p. 25.
7
L’enfant de sable peut être considérée comme une oeuvre inspirée des
Mille et une nuits. La similitude se retrouve aussi bien au niveau de la
thématique que de sa narration sous forme de rêve et de fabulation. Ainsi, dans
certaines scènes, les personnages ressemblent à ceux des Mille et une nuits29,
21
Tahar Ben Jelloun, L’Enfant du sable, op. cit., p. 12.
22
TBJ. op. cit., p. 12.
23
Tahar Ben Jelloun, op. cit., p. 12.
24
op. cit., p. 16.
25
op. cit., p. 7.
26
op. cit., p. 7.
27
op. cit., p. 8.
28
op. cit., p. 15.
29
Jean Déjeux rapporte que T.B. Jelloun lui-même mentionnait en 1982 : « Ce qui nous
manque le plus dans le monde arabe, c’est une littérature de l’audace où l’écrivain puiserait
dans sa mémoire immédiate, dans sa subjectivité rebelle, dans sa folie, même dévoilée,
dissimulée dans ses rêves les plus indécents », (in) Dictionnaire des auteurs maghrébins de
langue française, p. 223. Par ailleurs, Ben Jelloun en 1988, écrivait dans le Magazine littéraire
que : « L’esprit littéraire arabe est nourri de l’épopée, de la fantasmagorie, du communautaire
et de l’irréel du folklore encore vivant aux contes des Mille et une nuits ; du défi de la simple
réalité mondaine dans les temples, les églises et les mosquées à l’abstrait... », p. 21.
8
car ils sont mystérieux et vivent des aventures et des expériences. Nous
citerons pour exemple le chevalier qui a enlevé Zahra le soir même de la mort
de son père, ainsi que le correspondant anonyme et les enfants des jardins
parfumés, une foule imaginaire interrompue - quelquefois - par des dialogues
inattendus. Concernant ces similitudes l’auteur lui-même avoue : « J’ai lu bien
sûr les Mille et une nuits, par petits bouts. Je sautais d’une nuit à l’autre et
imaginais bien les conséquences du désordre que je provoquais »30.
Le père choisi par Tahar Ben Jelloun ne cesse de penser à son malheur.
Il se dit : qu’une fille aurait pu suffire34, car il se remémore « l’histoire des
Arabes devant l’Islam qui enterraient leurs filles vivantes » ! Il s’agissait d’une
coutume barbare des Jahilites pour se débarrasser du sexe féminin. Pour
l’auteur, ce père cultivait à l’égard de ses filles « non pas de la haine, mais de
l’indifférence ». Le géniteur ressemble aux Arabes d’anté-Islam qui
« s’assombrissent » lorsqu’ils apprennent la naissance d’une fille. Le Coran les
décrit dans la sourate An-Nahl (Les abeilles) ayât 58 où Allah dit : « Et
lorsqu’on annonce à l’un d’eux une fille, son visage s’assombrit et une rage
profonde (l’envahit) ». Nous trouvons également dans la sourate Az-Zukruf
(l’ornement) verset 17 ceci : « Or, quand on annonce à l’un d’eux (la
naissance) d’une semblable de ce qu’il attribue au tout miséricordieux, son
visage s’assombrit d’un chagrin profond.. »
30
Tahar Ben Jelloun, La nuit sacrée, op. cit., p. 146.
31
op. cit., p. 95.
32
op. cit., p. 39.
33
op. cit., p. 38.
34
op. cit., p. 17.
9
« pour les oublier », « pour les chasser de sa vue »35. Il ne les nomme jamais,
« il pleure en silence », se considérant « comme un époux stérile ou un homme
célibataire ». Chaque baptême pour lui, « fut une cérémonie silencieuse et
froide »36. Et d’ajouter à leur sujet « Je leur ai donné mon nom », ce qui pour
lui s’avère suffisant.
Cela dit, les romans de Tahar Ben Jelloun constituent une oeuvre
initiatique, une quête de l’identité et de la réalité maghribino-musulmane. Le
narrateur de cette oeuvre essaie de mettre de l’ordre dans son histoire. Il décrit
les scènes de femmes arabes avant l’Islam et leur situation quatorze siècles
après l’apparition de l’Islam. A ce sujet, il écrit : « Avant l’Islam, les pères
arabes jetaient une naissance femelle dans un trou et le recouvraient de terre
jusqu’à la mort. Ils avaient raison. Ils se débarrassaient ainsi du malheur »37.
Or, pour Ben Jelloun des scènes à peu près semblables se rencontrent
dans les sociétés patriarcales même si à présent, les pères n’enterrent plus leurs
filles vivantes, ils les enterrent « d’une certaine façon » puisqu’ils nient leur
existence. Il accuse donc la société de ne pas reconnaître l’existence des
femmes, de les emprisonner en quelque sorte, puisqu’elles ne sortiront jamais
de leurs conditions : de dépendante, de soumission et de leurs souffrances,
jusqu'à ce qu’une « main sereine et bonne (les) délivre de cette prison où
lentement on (les) a enfermée (s) »38.
35
Tahar Ben Jelloun, op. cit., p. 17.
36
op. cit., p. 19.
37
C.F. Le Coran, La sourate d’At-Takwir (81), (L’obscurcissement) ayâts (versets) 8 et 9 où
Allah dit : « et qu’on demandera à la fillette enterrée vivante, pour quel pêché elle a été tuée ».
38
Tahar Ben Jelloun, L’enfant de sable, p. 131.
39
op. cit., p. 34.
40
op. cit., p. 33.
41
op. cit., p. 34.
42
op. cit., p. 50.
10
L’idée de se déguiser en homme lui permet bien des libertés. C’est ainsi
que ce héros venge les femmes qui ont pris l’habitude de se taire ou de parler
avec violence.
L’enfant de sable, sans cesse est recomposé par son géniteur littéraire,
se présente aux lecteurs comme un personnage aux facettes variées et
multiples. Le thème de la métamorphose apparaît dans le fait que le conteur lui
aussi est mouvant puisqu’il disparaît à la fin du récit, remplacé par trois
personnages qui se nomment Salem, Amar et Fatoume qui donnent trois
versions différentes de la même histoire, et qui sont à leur tour remplacés par le
narrateur qui nous propose alors de terminer le roman et ce, à nos risques et
périls ; il nous donne toutefois le conseil suivant : « si quelqu’un parmi vous
tient à connaître la suite de cette histoire, il devra interroger la lune quand elle
sera entièrement pleine »43.
43
Tahar Ben Jelloun, op. cit., p. 209.
11
Afin de réaliser son désir le plus cher, le père conclut un pacte avec sa
femme et ce, pour la première fois. Il prépare les moindres détails de la
huitième naissance et décide qu’il donnera au bébé, garçon ou fille, un prénom
masculin. Il arrange tout cela avec Lalla Radhia, une accoucheuse pour qui
c’est la dernière naissance de sa longue carrière. Donc, « l’enfant à naître sera
un mâle même si c’est une fille »48. Ils ne seront que trois à connaître la vérité
et à ce sujet, le mari précise à sa femme : « Toi, bien entendu tu seras le puits49
et la tombe de ce secret »50.
44
op. cit., p. 22.
45
op. cit., p. 22.
46
Cf. Dictionnaire des symboles, éd. Robert Laffont / Jupiter, 1982.
47
op. cit., p. 22.
48
Tahar Ben Jelloun, op. cit., p. 21.
49
Cette phrase est un proverbe arabe que l’on dit pour celui qui garde un secret.
50
Tahar Ben Jelloun, op. cit., p. 23.
12
Pour citer Tahar Ben Jelloun, « tout se passait comme le père l’avait
prévu et espéré »52 car ce géniteur a pu détourner le cours du destin par son
obstination. Le nouveau-né apporte avec lui le soleil et le bonheur des parents
qui pleurent de joie. Le père en prenant son enfant dit à la mère : « plus besoin
de te cacher le visage. Tu dois être fière [...]. Tu viens après quinze ans de
mariage de me donner un enfant, c’est un garçon »53.
Il se sent l’âme d’un jeune homme, et porte sur son visage les signes du
bonheur et « toute la virilité du monde ».
51
op. cit., p. 23.
52
op. cit., p. 32.
53
op. cit., p. 26.
54
Tahar Ben Jelloun, op. cit., p. 160.
55
op. cit., p. 46.
56
op. cit., p. 45.
13
Dans ses romans Tahar Ben Jelloun critique la société impitoyable qui
ne respecte pas celui qui n’a pas d’héritier mâle.
Mais il n’admet pas non plus que les femmes obéissent continuellement
à leur mari. Dans son oeuvre, il accorde une place privilégiée à la masculinité
tandis qu’il s’élève contre la réclusion des marginaux en général, enfermés par
ceux qui ne leur laissent aucune chance dans la tradition qu’il juge archaïque.
Voilà pourquoi il s’efforce d’imposer une littérature61 *A nouvelle afin de
s’ouvrir et de répondre aux problématiques contemporaines, et il le fait
notamment par un va-et-vient perpétuel entre la réalité et l’imaginaire
symbolique.
57
op. cit., pp. 65-66.
58
Tahar Ben Jelloun, op. cit., p. 89.
59
op. cit., p. 179.
60
Tahar Ben Jelloun, La Prière de l’absent, op. cit., p. 44.
61
*A) Les années 80 étaient très fécondes pour la littérature maghrébine de langue française.
Ben jelloun, Boujedra, et Driss Chraibi sont connus et faisaient partie des auteurs qui ont
produit une croissance.
14
62
*B) Dans La genèse du mythe, Krappe a déclaré que suivant ce mythe, « Adam était un être
androgyne, joignant en sa personne les deux sexes », p. 285.
63
Dans L’Hermaphrodite : Mythes et rites de la bisexualité dans l’antiquité classique, Puf,
1958, p. 6. Marie Delcourt pense que « l’Hermaphrodite est une idée plutôt qu’une personne ».
64
Dictionnaire des mythes, op. cit., pp. 57-77.
65
op. cit., p. 67.
66
Marc Eiglender, Lumière du mythe, op. cit., p. 209.
15
67
Jean Libis, Le mythe de l’androgyne, L’île verte, éd. Berg / internationale, 1980, p. 271.
68
Delcourt Marie, Hermaphrodite... op. cit., Puf., 1958, p. 6.
69
Le terme d’androgynie recouvre beaucoup d’acceptation hors de notre champ
d’investigation. C’est délibérément que nous nous sommes limités brièvement à quelques-unes
d’entre-elles et ce, en fonction du sujet que nous avons choisi de traiter.
70
Marie Delcourt, op. cit., p. 27.
71
op. cit., p. 116, cf., p. 65-66.
72
J. Déjeux, op. cit., p. 44.
16
Dans une société patriarcale, la femme n’a « qu’à acquiescer. » Elle n’a
eu alors qu’à obéir à son mari « comme d’habitude, mais se sent cette fois-ci
concernée par une action commune »74. Or, normalement, son rôle traditionnel
est marginalisé dans cette société patriarcale en l’absence du rôle fonctionnel et
non-traditionnel et non-héréditaire. Le rôle féminin qu’elle a eu se limite à
satisfaire les désirs du mari et à la fécondité. Et comme la femme se voit
concerner par l’ordre de son mari, elle accepte cette complicité pour que sa vie
ait un sens en scellant un pacte avec son époux. Nous assistons donc à une
naissance androgynique puisque l’accouchement « c’était évidemment une
fille »75, mais qui a eu droit par la suite à une cérémonie de baptême
« grandiose » comme l’aurait été celle d’un enfant du sexe masculin. La
condition qu’a imposée le père tout-puissant et qui a été acceptée par une
femme faible a transformé la vie de cet enfant en enfer : son habillement, son
caractère, son autorité envers ses sœurs et sa mère étaient ceux d’un homme,
car « Ahmed régnait même absent et invisible. On sentait sa présence dans la
maison et on la redoutait. On parlait à voix basse de peur de le déranger »76,
Mais son anatomie cachée par les apparences était bien celle d’une
femme. Par conséquent, Ahmed vit seul. Il s’isole avec son chagrin et son désir
de femme dans le silence, surtout après la mort de sa cousine, Fatima, avec qui
il s’est marié et il a eu beaucoup d’affinités, et puis, après le décès de son père.
Ainsi, ceci décrit l’image de la femme solitaire, délaissée et marginalisée qui
n’a que le recours à l’imagination à travers l’écriture. L’imagination, la
production et l’ouverture vers l’autre à travers ce que l’on écrit est une sorte
d’abris. Le besoin de communiquer demeure malgré tout et l’amène à
correspondre par lettres avec un personnage anonyme. Dans la chambre, il se
retire ; il « ne cesse d’avancer sur les sables d’un désert », une fuite éperdue
« où l’horizon est à la rigueur une ligne bleue, toujours mobile », son rêve
73
Tahar Ben Jelloun, op. cit., p. 23.
74
Tahar Ben Jelloun, op. cit., p. 23.
75
Tahar Ben Jelloun, L’enfant de sable, op. cit., p. 23.
76
op. cit., p. 88.
18
serait de « Traverser cette ligne bleue pour marcher dans une steppe sans lui,
sans penser à ce qui pourrait advenir... »77.
77
op. cit., p. 88.