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Ohadata D-08-64

Comment prévoir le recours à l’arbitrage dans un contrat ?


Outils pour une meilleure compréhension et une rédaction efficiente
de la clause compromissoire

Dr. Sadjo OUSMANOU


Délégué Général du Centre d’Arbitrage du GICAM

Revue Camerounaise de l’Arbitrage, N° 35 – Octobre – Novembre – Décembre 2006, p. 3.

La clause compromissoire1, et plus généralement la convention d’arbitrage est à l’arbitrage ce


que les fiançailles sont au mariage. En effet, il ne peut y avoir arbitrage sans clause
compromissoire, mais l’existence d’une telle clause dans un contrat conduit nécessairement à
l’arbitrage, sauf convention contraire des parties, comme les fiançailles préfigurent, en toutes
circonstances prévisibles, le mariage. C’est qu’en assortissant leur contrat d’une clause
d’arbitrage, les co-contractants font le choix prévisionnel de soumettre les litiges qui
naîtraient de leur relation à l’arbitrage. Choix prévisionnel : la clause compromissoire permet
de choisir, par anticipation, la manière dont les litiges nés du contrat seront réglés.
La problématique de la clause pathologique que nous prendrons comme l’exemple de ce qu’il
ne faut pas faire (III), permettra de mieux renseigner sur les principales articulations de cette
clause (II) aux fonctionnalités multiples (I).

I. FONCTIONS DE LA CLAUSE COMPROMISSOIRE


Le caractère prévisionnel de la clause compromissoire fait d’elle un outil d’aide à la décision,
mais pas seulement. En effet, d’autres fonctions tout aussi essentielles sont reconnues à la
clause compromissoire :
1. Elle produit des effets obligatoires à l’égard des parties : la clause emprunte au contrat
principal auquel elle s’insère, sa force obligatoire. Cette fonction explique qu’une fois le
litige né, une partie ne peut ni écarter unilatéralement l’effet de la clause pour soumettre le
litige à une autre procédure, ni être admise à se soustraire à l’instance ouverte sur le
fondement de cette clause.
2. Elle permet d’écarter le recours aux tribunaux étatiques dans le règlement d’un différend :
une fois la clause convenue, la compétence de droit commun des juridictions étatiques est,
en principe, mise sous l’éteignoir au profit de l’arbitrage. Cependant, outre l’hypothèse
d’école selon laquelle les parties vont renoncer à l’arbitrage pour soumettre leur litige au
juge étatique, les juridictions étatiques retrouvent la possibilité d’intervenir, une fois la
sentence prononcée, soit pour en ordonner l’exequatur, soit pour connaître d’un recours
formé contre la sentence2 ;

1
A distinguer d’avec le compromis, qui est la convention conclue en vue d’un arbitrage après la naissance du litige et en
l’absence d’une clause compromissoire.
2
A noter que le recours en interprétation de la sentence, ainsi que le recours en rectification d’erreurs matérielles se font
plutôt devant les arbitres. Il est vrai que d’autres systèmes juridiques prévoient expressément que si le tribunal arbitral ne
peut être à nouveau réuni, le pouvoir d’interprétation et de rectification appartient à la juridiction qui eût été compétente à
défaut d’arbitrage (à titre d’exemple, art. 1475 NCPC français).
3. Dans le cadre de l’arbitrage institutionnel, elle confère pouvoir aux institutions d’arbitrage
d’organiser l’arbitrage, mais aussi aux arbitres constitués de régler les différends nés entre
les parties. Pour la formalisation de ces pouvoirs respectifs, les auteurs ont conclu à
l’existence d’un contrat d’organisation de l’arbitrage, dans le premier cas, et d’un contrat
d’arbitre, dans le second cas. C’est dire si l’instance arbitrale est assise sur un complexe
contractuel, dont la clause compromissoire constitue la solide base ;
4. Elle permet aux arbitres ainsi auréolés du pouvoir de juger au même titre que des juges
étatiques, d’instruire la cause et de rendre une sentence obligatoire. D’ailleurs, la force
obligatoire de la sentence puise dans l’accord de volontés qui a pu conduire les parties à
conclure la clause compromissoire.

II. PRINCIPALES ARTICULATIONS D’UNE CLAUSE COMPROMISSOIRE


La clause compromissoire est le déclencheur naturel de l’arbitrage. D’où la nécessité de
rédiger convenablement cette clause qui, mal formulée, peut compliquer, sinon empêcher le
recours à l’arbitrage que les parties ont pourtant voulu consacrer.
Aussi, deux principes majeurs doivent guider les rédacteurs des clauses d’arbitrage3 : la
simplicité et la précision. Il faut, en effet, éviter des clauses trop savantes dans leur rédaction,
ni trop détaillées dans leur contenu. A trop détailler la clause compromissoire, on risque
d’aboutir à l’effet inverse de rendre la mise en place de l’arbitrage compliquée, les arbitres et
les institutions d’arbitrage devant respecter toutes les indications de la clause.
Quel modèle de clause peut-on, dès lors, recommander ?
En vérité, le contenu de la clause dépend du type d’arbitrage que cette clause entend instituer.
Car on doit rappeler que dans l’arbitrage institutionnel, l’intercession de l’institution
d’arbitrage est, a priori, de nature à simplifier la mise en place de l’arbitrage (nombre des
arbitres, choix des arbitres, lieu de l’arbitrage, règlement d’arbitrage applicable,
particulièrement), comparativement à l’arbitrage ad hoc dans lequel les parties et les arbitres,
en quelque sorte laissés à eux-mêmes, doivent non seulement veiller à mettre en place le
tribunal, mais encore à organiser les détails de la procédure.

1. Exemple de clause d’arbitrage prescrivant un arbitrage ad hoc


La clause visant l’arbitrage ad hoc doit être plus circonstanciée en raison de la faiblesse du
niveau d’encadrement du type d’arbitrage qu’elle postule. Elle doit ainsi tendre à établir le
principe de l’arbitrage, mais aussi s’attacher à contenir le plus d’éléments utilitaires possibles.
Exemple : « Tout litige né du présent contrat sera soumis à un tribunal arbitral composé de
trois arbitres.
La partie demanderesse notifiera sa requête d’arbitrage par voie d’huissier à la partie
défenderesse, en y désignant un arbitre. Le défendeur répondra par voie d’huissier dans un
délai de 30 jours à compter de la réception de la demande d’arbitrage, en désignant son
arbitre.
Les deux arbitres ainsi désignés s’efforceront de désigner d’un commun accord, le troisième
arbitre qui présidera le tribunal. Si les parties ne s’accordent pas sur le troisième arbitre

3
En pratique, ces rédacteurs, autrement appelés prescripteurs de l’arbitrage, sont : les avocats, les notaires et les juristes
d’entreprise, notamment.
dans un délai de trente jours, celui-ci sera nommé par les deux arbitres désignés4 ou, à
défaut, par le Président du tribunal compétent.
Le siège de l’arbitrage sera... ... ... ... ... ...
Il est toujours possible de détailler encore plus cette clause, mais l’essentiel est de donner
d’ores et déjà aux parties, mais aussi aux arbitres qui vont être constitués, l’essentiel des
indications factuelles et procédurales.

2. Exemple d’une clause d’arbitrage prévoyant la saisine d’une institution d’arbitrage


L’arbitrage institutionnel étant par définition plus « balisé » que l’arbitrage ad hoc, la clause
peut renvoyer explicitement ou implicitement nombre de détails au Règlement d’arbitrage de
l’institution visée. Ce Règlement, véritable code de procédure arbitrale, contient, entre autres,
des indications utiles et suffisantes sur la mise en place de l’arbitrage ; de la liaison de
l’instance à l’aménagement du destin de la sentence, en passant par la rédaction et le prononcé
de la sentence.
Dans cette occurrence, la clause se contentera, particulièrement, de poser le principe du
recours à l’arbitrage, en définissant les différentes sources de différend pouvant donner lieu à
arbitrage, mais aussi et surtout, en désignant formellement l’institution d’arbitrage qui sera
saisie une fois le litige né.
Exemple 1 : Arbitrage CCI (Chambre de Commerce Internationale)
« Tous différends découlant du présent contrat ou en relation avec celui-ci seront tranchés
définitivement suivant le règlement d’arbitrage de la Chambre de Commerce Internationale
par un ou plusieurs arbitres nommés conformément à ce règlement ».
Exemple 2 : Arbitrage CAG (GICAM)
« Tous litiges, controverses ou réclamations nés du présent contrat ou se rapportant à sa
validité, à son interprétation, à son exécution ou à sa nullité, seront soumis au Centre
Arbitrage du GICAM, dont les parties s’engagent à respecter le Règlement.
Les parties déclarent accepter de se soumettre à toute sentence que pourrait rendre le Centre
d’Arbitrage du GICAM saisi conformément à la présente clause.
En cas de refus par la partie condamnée de s’exécuter spontanément, les frais engagés par
l’autre partie aux fins de l’exécution forcée de la sentence seront imputés à celle-ci ».
On peut dire que la clause CAG est une clause prudente : en effet, elle s’attache à rappeler,
alors que cela va de soi (mais cela va certainement mieux en le disant…), l’opposabilité aux
parties des sentences CAG (provisoires et/ou définitives), tout en aménageant un système de
règlement des inexécutions spontanées des sentences. Cette dernière disposition est de nature
à encourager la partie perdante à s’exécuter volontairement, au risque de devoir supporter une
condamnation supplémentaire au titre du remboursement des frais de justice exposés par
l’autre partie.

III. LA PROBLEMATIQUE DE LA CLAUSE PATHOLOGIQUE


La nouveauté de l’arbitrage dans notre environnement a souvent amené les prescripteurs de
cette forme de justice à rédiger des clauses compromissoires qui, à l’usage, se sont avérées ou
peuvent s’avérer difficiles, voire impossibles à mettre en œuvre. Le jargon consacré qualifie
ces clauses de « pathologiques », certainement pour exprimer l’embarras dans lequel elles

4
En pratique, rien n’interdit que la clause prévoie la désignation du 3e arbitre par une institution d’arbitrage.
mettent les uns et les autres, alors pourtant que leur vocation est de permettre le recours sans
incident à l’arbitrage.
L’enjeu des clauses pathologiques est qu’elles peuvent facilement constituer de bons
prétextes à des manœuvres dilatoires ou à des actions visant à anéantir tout recours à
l’arbitrage.
En pratique, plusieurs formes de rédaction peuvent conduire à la clause pathologique. Nous en
exposons, ci-après, les principales manifestations, en conseillant fortement aux rédacteurs de
contrats de les éviter, comme le navigateur doit éviter de prendre la pleine lune pour un soleil
qui brille… :

1. Clause blanche :
« Tout différend né du présent contrat sera réglé par voie d’arbitrage ».
Cette clause a l’inconvénient de ne contenir aucune indication quant à la désignation des
arbitres, pas plus qu’elle ne renseigne sur le lieu de l’arbitrage. En pratique, elle peut justifier
le recours à l’arbitrage institutionnel ou à l’arbitrage ad hoc, indifféremment. Tout dépendra
du choix ultime des parties, une fois le litige survenu.

2. Désignation imprécise ou fausse de l’institution d’arbitrage


« Tous différends découlant du présent contrat seront soumis au Centre d’Arbitrage du
GICAM (CAG), par un tribunal composé de trois arbitres statuant par application du
Règlement d’arbitrage de la CCJA.
Le Président du Tribunal de Grande Instance du lieu de résidence du défendeur sera
compétent pour toute mesure provisoire ».
En étant très commode, on dira que cette clause est catastrophique. Grosso modo, elle ne sait
pas choisir entre arbitrage ad hoc et arbitrage institutionnel, entre arbitrage pur et recours à la
justice étatique. Elle épuise son ingéniosité dans la confection des prévisions aussi
inconciliables qu’inopérantes. Aussi, quand on finit de lire une telle clause, on n’a plus qu’à
foncer droit dans la plus proche mosquée et prier pour le salut des âmes de ceux qui ont pu la
concevoir, la rédiger et la (faire) signer...

3. Mélange du recours à l’arbitrage et de l’intervention des tribunaux étatiques


« Toute contestation relative à l’exécution du présent contrat sera soumise à l’arbitrage,
selon le règlement du Centre d’Arbitrage du GICAM (CAG). En cas de désaccord entre les
deux arbitres pour la désignation du troisième arbitre, il est convenu que le différend sera
soumis aux tribunaux étatiques ».
Cette clause ne permet pas de déterminer avec précision la nature du mécanisme de règlement
des différends choisi par les parties. Elle met en place une alternative impossible : en cas de
difficulté à désigner le troisième arbitre, il est clair que la solution n’est pas dans une
transmutation du litige devant le juge étatique. Des mécanismes bien partagés existent pour la
nomination du troisième arbitre, qu’il s’agisse de l’arbitrage ad hoc (recours au « juge
d’appui ») ou de l’arbitrage institutionnel (nomination selon les prévisions du Règlement de
l’institution considérée).

4. Comment régulariser une clause pathologique ?


C’est à la survenance du litige et une fois le recours à l’arbitrage envisagé qu’éclatent au
grand jour les limites et faiblesses de la clause pathologique. Ainsi, pour que la clause soit
efficiente, deux voies de solution sont envisageables :
- soit on recourt à la recherche de l’intention réelle des parties : ont-elles voulu d’un
arbitrage ad hoc ou d’un arbitrage institutionnel, d’un arbitrage à arbitre unique ou à
trois arbitres, quelle autorité de nomination des arbitres ont-elles visée, etc. ? Cette
interprétation permettra de proposer aux parties un arbitrage qui sera le plus proche
de ce qu’elles auront choisi lors de la conclusion de leur contrat ;
- soit les parties procéderont par ratification tacite. En effet, lorsque fort d’une clause
pathologique, le demandeur recourt à l’arbitrage et qu’en retour, le défendeur répond
à l’icelle demande d’arbitrage sans soulever de réserve sur l’efficacité de la clause
d’arbitrage, on doit conclure que les parties ont ainsi validé a posteriori la clause. En
s’accordant sur la réalité de l’arbitrage, les parties transcendent les infirmités
affectant la clause compromissoire, donnant ainsi à l’arbitrage la possibilité de se
déployer en toute régularité.
D’une certaine manière, la validation post lite natam de la clause compromissoire fait passer
cette dernière de l’état pathologique et, donc, inefficace, à une sorte de compromis d’arbitrage
implicite. A l’origine de la malheureuse formulation de la clause pathologique, la volonté des
parties, impériale fondatrice de l’arbitrage commercial, sait se montrer curative quand elle
s’arrange, fût-il in extremis, à se rattraper.
Mais la prévention valant mieux que toutes les potions magiques fermentées, nous espérons
que ce bref retour sur la technique de rédaction de la clause d’arbitrage et sur les enjeux de
celle-ci a définitivement achevé de faire comprendre que l’intérêt d’une rédaction précise et
claire de cette clause interdit désormais qu’un prescripteur de l’arbitrage s’autorise à propager
de la pathologie dans des contrats qui ne demandent qu’à être assortis de clauses
compromissoires saines. Saines, donc efficaces. Saines, car ici comme ailleurs, ce qui se
conçoit bien s’énonce clairement… -/.

OUSMANOU Sadjo
Délégué Général du Centre d’Arbitrage du GICAM

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