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LES ROMANS DE
JOHN LE CARRÉ, DE
L'ÉCRIT À L'ÉCRAN
Par Léo Soesanto (https://www.liberation.fr/auteur/16970-leo-soesanto)
— 14 décembre 2020 à 17:18

De nombreux romans de l'écrivain ont


été adaptés pour le cinéma et la
télévision avec quelque stars déclinant
la figure blême de l'espion anti-007, de
Richard Burton à Philip Seymour
Hoffman.
«L'Espion qui venait du froid» (1965), de Martin Ritt avec Richard Burton.
Photo12

«Comme tout romancier, je fantasme sur les films. Les romanciers


ne sont pas équipés pour faire des films», déclarait John Le Carré.
La réciproque fut vraie tant cinéma et séries continuent de s’emparer
de son univers a priori taillé sur mesure : des best-sellers aux
intrigues labyrinthiques, des traîtres à gogo et la promesse de
découvrir les vraies arcanes de l’espionnage. En 1965, le cinéaste
Martin Ritt adapte à chaud le troisième roman (1963) de Le Carré,
l’Espion qui venait du Froid, avec Richard Burton en agent jeté en
pâture dans une guerre de désinformation entre la Grande-Bretagne
et l’Allemagne de l’Est. Superbe d’amertume («Je me réserve le droit
d’être un ignorant, c’est ainsi qu’on vit en dans l’Ouest»), l’acteur
donne une vision bureaucratique, dépassionnée du genre, emplie de
doutes sur la légitimité du camp du «bien». Burton dira de Le Carré
qu’il «écrit comme un ange, comprend très bien ses victimes et a
une oreille merveilleuse pour le langage ordinaire». On est à des
années-lumière d’un James Bond alors au faîte de sa popularité :
l’anti-007 définitif enfanté par Le Carré reste son George Smiley,
maître-espion binoclard ruminant ses manipulations derrière son
bureau.

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John le Carré, agent sacré(https://next.liberation.fr/livres/2020/12/14/john-le-
carre-agent-sacre_1808609)

C’est à la télévision, plus à même de préserver l’ampleur des


intrigues que Smiley trouve son incarnation définitive sous les traits
d’Alec Guinness dans une série (1979) pour la BBC adaptée de la
Taupe (1974). Un classique instantané outre-Manche – avec sa suite
les Gens de Smiley tournée en 1982, où l’on guettera et goûtera une
mémorable apparition de Michael Lonsdale en diplomate russe
manœuvré. L’esthétique et le cadre des romans seventies de Le Carré
font encore rêver nos contemporains. A la version grand écran, mais
en forme de catalogue de déco intérieure, de la Taupe (2011) de
Tomas Alfredson, on préférera la série (2018) adaptée de The Little
Drummer Girl (1979) où un Park Chan-wook inspiré sublime la mise
en abyme du jeu de faux-semblants du renseignement et déjoue la
reconstitution toc avec un sens assumé de l’artifice : une actrice
gauchiste (l’excellente Florence Pugh) infiltre un groupe de
terroristes palestiniens sous la pression d’un espion du Mossad (le
redoutable Michael Shannon).

«Nous sommes des espions»


Le Carré lui-même intervenait sur ses adaptations, coproduisant et
coécrivant notamment le délicieusement cynique le Tailleur de
Panama (1999) de John Boorman. L’espionnage ? «C’est un travail
sombre et solitaire, comme le sexe oral, mais quelqu’un doit le
faire», y résume Pierce Brosnan en barbouze menteur, responsable
d’une crise autour du Canal de Panama. Le sourire carnassier,
Brosnan détruit avec plaisir son image de Bond : le 007 originel,
Sean Connery, s’était auparavant jeté aussi, en mode plus pépère,
dans Le Carré et une version de La maison Russie (1990) par Fred
Schepisi. Tandis que la géopolitique recomposait les maux du
monde, la fin de la Guerre Froide n’entama en rien la verve ou la
nécessité de sa plume, pour lui comme pour les écrans : ce sont les
compagnies pharmaceutiques dans The Constant Gardener, passées
sous le filtre du voyage touristique de Fernando Mereilles en 2005.
Ce sont les marchands d’armes dans la version BBC de The Night
Manager par Susanne Bier en 2016, au visuel classe affaires sexy
futé, avec Tom Hiddleston en directeur d’hôtel de nuit. C’est bien sûr
le terrorisme islamiste dans Un homme très recherché (2014), où
l’ancien clippeur Anton Corbijn a comme principal atout Philip
Seymour Hoffman, en successeur allemand bedonnant de Smiley
dans son dernier rôle avant son décès. «Nous sommes des espions»,
jette-t-il froidement, nonchalamment, pendant une ennuyeuse
réunion, sur un ton qui ne donne pas du tout envie de viser cette
carrière.

Au bout du compte, la poudre des yeux visuelle ne peut que s’effacer


devant l’humanité tortueuse des personnages de l’écrivain. On peut
rêver à ce qu’auraient pu en faire trois cinéastes un temps intéressés
pour adapter Le Carré : Stanley Kubrick pour Un parfait espion,
Fritz Lang pour Chandelles noires ou Francis Ford Coppola pour
Notre jeu. On peut supposer qu’ils auraient préservé son sens
tranchant du détail : pour aider Alec Guinness à préparer le rôle de
Smiley, Le Carré raconte dans ses mémoires le Tunnel aux pigeons
avoir organisé un déjeuner à trois avec Maurice Oldfield, l’ancien
directeur des services secrets britanniques. Guinness s’inspirera de
lui à l’écran dans sa façon de tenir un parapluie, comme pour
dégager la voie devant lui, et dans son port de bottes en daim, à
semelle en crêpe. «Ces bottes, c’est pour marcher discrètement ?»
demanda Guinness à Le Carré. «Je crois que c’est plutôt pour être
confortable, Alec. La crêpe couine.»

Léo Soesanto (https://www.liberation.fr/auteur/16970-leo-soesanto)

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