Vous êtes sur la page 1sur 24

Sociétés contemporaines

Le travail de terrain, l'observation des actions et des interactions,


et la sociologie
Jean-Michel Chapoulie

Abstract
JEAN-MICHEL CHAPOULIE
Field Work, Observation of Actions and Interactions, and Sociology
This article presents and justifies the scientific interest of one type of research method, the subject matter of this issue of
Sociétés Contemporaines: fieldwork including analytical observation of behavior and leading to accounts grounded on
quotations of fieldnotes. The first uses of fieldwork with observation in USA are described in its contexts, and also the
debates of the fifties about the " scientific" value of this method. The rarity of uses of this research method in French
sociology until the nineties is also discussed. We discuss also the scientific aims and particular potentialities of this
method.

Résumé
RÉSUMÉ: Cet article présente et justifie l’intérêt du type de démarche documentaire à laquelle est consacré ce numéro de
Sociétés Contemporaines: le travail de terrain comprenant une part d’observation analytique des comportements en
situation et conduisant à des comptes rendus reposant sur la présentation explicite de notes de terrain. Le développement
de cette démarche est replacé dans le contexte de ses premières utilisations •par des sociologues aux États-Unis à partir
des années trente •et dans celui des débats des années cinquante sur ses limites. La rareté des utilisations dans la
sociologie française est également examinée.

Citer ce document / Cite this document :

Chapoulie Jean-Michel. Le travail de terrain, l'observation des actions et des interactions, et la sociologie. In: Sociétés
contemporaines N°40, 2000. pp. 5-27;

doi : https://doi.org/10.3406/socco.2000.1811

https://www.persee.fr/doc/socco_1150-1944_2000_num_40_1_1811

Fichier pdf généré le 03/04/2018


     JEAN-MICHEL CHAPOULIE     

LE TRAVAIL DE TERRAIN,
L’OBSERVATION DES ACTIONS
ET DES INTERACTIONS, ET LA SOCIOLOGIE

RÉSUMÉ : Cet article présente et justifie l’intérêt du type de démarche documentaire à la-
quelle est consacré ce numéro de Sociétés Contemporaines : le travail de terrain comprenant
une part d’observation analytique des comportements en situation et conduisant à des comp-
tes rendus reposant sur la présentation explicite de notes de terrain. Le développement de
cette démarche est replacé dans le contexte de ses premières utilisations – par des sociolo-
gues aux États-Unis à partir des années trente – et dans celui des débats des années cin-
quante sur ses limites. La rareté des utilisations dans la sociologie française est également
examinée.
« All worldly truth rests ultimately on direct
individual experience. There is no escape from
this iron-clad fact of the human condition, and
it is a truth which must be kept constantly in
mind and must form the basis of all social re-
search, as well as of all worldly, practical hu-
man endeavour »
Jack Douglas (1976 : 6)

Observer à l’occasion de la présence dans les lieux l’action même, comme l’ont
fait ou affirment l’avoir fait depuis toujours ceux qui se donnent pour des témoins,
peut sembler la démarche la plus simple et la plus naturelle dans une discipline qui,
comme la sociologie, prétend étudier de manière privilégiée le monde proche et
contemporain 1. On peut cependant aisément se convaincre que, en dépit de quel-
ques tentatives précoces, la sociologie, notamment française, n’accepta que diffici-

1. J’ai bénéficié pour cette introduction de discussions avec Olivier Schwartz et avec Philippe Mas-
son. Je n’ai certainement pas tiré parti jusqu’au bout des critiques de ce dernier, mais elles m’ont
fait infléchir substantiellement mes formulations. Je remercie également Jean-Pierre Briand et Hen-
ri Peretz de leurs suggestions, ainsi que Jean Peneff, avec qui j’ai eu de nombreuses discussions de-
puis vingt ans sur l’observation et le travail de terrain.

Sociétés Contemporaines (2000) n° 40 (p. 5-27)

5
JEAN-MICHEL CHAPOULIE               

lement cette démarche, et ne la mit en œuvre que tardivement 2. Une longue obses-
sion de « scientificité » – c’est-à-dire simplement de conformité à un modèle suppo-
sé de l’enquête dans les sciences de la nature – ainsi que la rivalité avec d’autres ac-
tivités comme le journalisme, expliquent en partie la difficulté à intégrer
l’observation parmi les sources documentaires ordinaires de la sociologie, avec des
variations selon les expériences nationales. Le mode actuel d’utilisation de
l’observation en sociologie garde des traces de ces difficultés.
Un premier indice de l’indétermination de la place de cette source documentaire
en sociologie apparaît dans le vocabulaire utilisé pour désigner les démarches qui lui
sont associées et pour en distinguer les différentes composantes. L’expression
« travail de terrain » comporte une ambiguïté fondamentale : elle a été et reste em-
ployée pour désigner des formes variées de recueil de données supposant des
contacts entre les chercheurs et les phénomènes auxquels ils s’intéressent – simple-
ment parfois le contact épisodique qui accompagne la réalisation d’entretiens ou le
recueil de questionnaires. Le terme « observation » comporte une ambiguïté analo-
gue, puisque même ceux qui s’adonnent à la manipulation de statistiques évoquent
parfois leurs « observations ». Plus important : sont souvent confondues les observa-
tions directes de chercheurs présents dans les lieux aux moments appropriés avec les
observations que leur rapportent ceux qu’ils interrogent.
J’utiliserai ici l’expression « travail de terrain » pour désigner la démarche qui
correspond au recueil d’une documentation sur un ensemble de phénomènes à
l’occasion de la présence dans les lieux au moment où ceux-ci se manifestent. La
documentation ainsi recueillie peut inclure les témoignages des acteurs suscités par
l’interrogation du chercheur, le recueil de propos en situation et l’observation directe
par le chercheur lui-même d’objets, d’actions et d’interactions.
Je distinguerai entre deux types différents d’usages de l’observation, et par
conséquent de travail de terrain, très inégalement pratiqués dans les sciences socia-
les. Je désignerai le premier type d’observation par le terme observation diffuse, et
le second par observation analytique. Pour mettre en évidence leur distinction, je
partirai du matériau de base que sont les comptes rendus publiés.
L’observation diffuse est celle qui est, dans les comptes rendus de recherche, la
source des descriptions de lieux, de comportements saisis de manière globale et sous
les modalités de l’usuel, du typique, ou encore de la règle. Ces descriptions reposent
sur les catégories du langage ordinaire – celles que partagent l’auteur et ses lecteurs.
Elles s’appuient aussi sur des schèmes d’interprétation, également partagés par
l’auteur et le lecteur, concernant la signification des comportements observés.
L’essentiel de ce qui est rapporté dans les comptes rendus reposant sur des observa-
tions diffuses est présenté comme fait avéré, susceptible d’être confirmé par
n’importe quel observateur averti présent dans les lieux au moment approprié.
Soit, à titre d’exemple, ce fragment de description des services de police des
deux villes A et B que l’on trouve dans l’ouvrage de Cicourel sur
l’organisation de la délinquance juvénile : « À B, le modèle administratif de

2. Il n’existe à ma connaissance aucune histoire générale des usages de l’observation dans les sciences
sociales. On trouvera quelques éléments concernant la sociologie française in Chapoulie (1991 ;
1998 b), Peneff (1996) ; concernant la sociologie américaine in Platt (1983 ; 1997) ; Chapoulie
(1984 ; 1996).

6
            TRAVAIL DE TERRA IN ET SOCIOLOGIE

l’organisation de la police est d’orientation bureaucratique, par contraste avec


A où règne un souci d’efficacité. L’atmosphère du poste de police est moins
formelle, les arrangements routiniers pour protéger le personnel de haut rang
ne sont pas appliqués (comme dans l’armée), le contrôle sur le travail de cha-
que homme est lâche et il y a une quantité considérable de bavardage et de
chahut chaque jour. (...) La procédure pour les sorties correspond à un grand
tableau sur lequel les chefs de patrouille écrivent à la craie leur destination et
l’heure où il reviendront... » 3.
Comme le fait apparaître cet exemple, ce type de rédaction, très fréquent, ne
permet pas de savoir exactement ce qui a été effectivement observé par le chercheur.
Il s’agit certainement plus souvent d’observations ponctuelles, complétées par la
formulation de ce que « tout le monde connaît », que d’observations reposant sur
l’application de consignes systématiques pour noter les éléments de base de la des-
cription projetée. Les descriptions publiées laissent généralement ignorer au lecteur
l’éventail des variations possibles dans les occurrences des phénomènes considérés.
Une grande partie des descriptions des anthropologues classiques (à commencer par
celles de Malinowski) sont de ce type.
Beaucoup moins fréquent, le second type d’observation, que je désigne ici par le
terme observation analytique, correspond à un travail de repérage focalisé sur un ou
des aspects particuliers des phénomènes étudiés en un temps et dans un lieu déter-
minés. Il suppose la définition par le chercheur de catégories d’observation spécifi-
quement destinées à sa recherche. L’observateur cherche ainsi à appréhender systé-
matiquement certaines caractéristiques des phénomènes auxquels il s’intéresse et à
mettre à l’épreuve le bien-fondé des interprétations qu’il construit au fur et à mesure
du déroulement du travail de terrain. Ces catégories peuvent notamment introduire
des distinctions absentes du langage, de la perception, ou simplement de l’attention
ordinaire. Des exemples nombreux se trouvent dans The Présentation of Self in Eve-
ryday Life, où Goffman constitue un vocabulaire et, au-delà, des catégories, pour
introduire des distinctions nécessaires à la compréhension de l’univers des relations
face-à-face, à la fois connu et méconnu de (presque) tous. C’est aussi ce que fait
Donald Roy, pour montrer l’existence de différents types de limitation de la produc-
tion et interpréter la signification complexe des comportements des ouvriers vis-à-
vis de la production 4. Ce type d’observation est particulièrement important pour
l’étude des actions et des interactions entre personnes présentes dans un contexte
donné : l’attention sociale constituée et le vocabulaire disponible focalisent la per-
ception d’un observateur ordinaire sur un nombre limité de dimensions de ces ac-
tions et interactions (souvent liées à leur finalité immédiate et à leur signification
constituée). En s’attachant à relever l’occurrence de telle ou telle caractéristique ex-
plicitement définie, le chercheur peut mettre à l’épreuve l’adéquation de ses catégo-

3. Cicourel (1968 : 175). Je choisis cet exemple à dessein, car l’auteur est, comme on sait, particuliè-
rement soucieux, en ce qui concerne les aspects centraux de ses analyses, d’une interprétation ri-
goureuse et systématique de la signification des comportements et des échanges verbaux qu’il étu-
die.
4. Le chapitre 4 de l’ouvrage d’Humphreys (1970) offre l’une des meilleurs illustrations du travail de
catégorisation nécessaire à ce type d’observation. Celui-ci suppose une limitation temporelle et spa-
tiale du domaine étudié plus stricte que celle qu’acceptent les recherches classiques des anthropolo-
gues.

7
JEAN-MICHEL CHAPOULIE               

ries et de ses interprétations. Il peut également procéder à des comptages sur les
nombreux points où les témoignages des intéressés sont des sources d’une fiabilité
douteuse 5.
De nombreux comptes rendus contiennent un type de rédaction correspondant à
un mode d’observation qui se situe à mi chemin entre les deux précédents. Ils offrent
des récits de scènes, d’actions et d’événements singuliers, généralement rédigés
après coup à partir de notes de terrain. Ces récits utilisent toujours le langage ordi-
naire, c’est-à-dire celui qui est supposé partagé par le chercheur et son lecteur. Dans
une grande partie des cas, ces récits servent à faire comprendre au lecteur une pro-
priété des phénomènes étudiés, et ils constituent donc un moyen pour préciser une
catégorie d’analyse. On peut considérer de tels récits comme des exemples d’une
forme simple d’observation analytique. Ce type de rédaction est particulièrement
fréquent dans les publications des anthropologues classiques (et notamment chez
Malinowski) mais il se trouve aussi dans des ouvrages comme Street Corner Society
de Whyte (1943) ou Tally’s Corner de Liebow (1967) 6.
La distinction que je viens de proposer entre observation diffuse et observation
analytique n’est nulle part, à ma connaissance, tout à fait explicitée dans la vaste lit-
térature sur l’observation 7. Elle est cependant voisine de celle que proposent cer-
tains essais à caractère programmatique – voir Lofland (1995), Emerson (1987) –, et
surtout elle est sous-jacente aux pratiques d’observation de l’un des principaux cou-
rants de recherche qui, aux États-Unis, a utilisé cette démarche – un point sur lequel
je reviens plus loin. L’ouvrage d’Elijah Anderson (1990) sur les contacts entre
Blancs et Noirs dans les rues des villes américaines est un bon exemple récent de ce
type de travail de terrain. Dans la sociologie française, bien que l’usage de
l’observation soit devenu relativement fréquent depuis une quinzaine d’années,
l’examen des comptes rendus d’observation publiés suggère que l’observation ana-
lytique est restée particulièrement rare. Ce numéro de Sociétés Contemporaines se
propose de donner des exemples de recherches où cette démarche a, au moins en
partie, été adoptée, et d’illustrer la fécondité de la forme particulière de travail de
terrain qui comprend une part d’observation directe d’actions ou d’interactions selon
des catégories au moins partiellement élaborées (il y a évidemment des degrés va-
riables dans l’élaboration). Il s’agit simultanément de donner des exemples
d’analyses dont les résultats n’auraient pu être facilement fondés sur une autre
source documentaire. Les analyses que l’on trouvera dans ce numéro adoptent par
ailleurs un mode particulier de rédaction, caractérisé par la citation d’extraits des no-
tes de terrain et non par la seule présentation synthétique des résultats.
Cette introduction discute l’intérêt de ce type de démarche d’enquête et de ce
mode de rédaction. Il existe en effet d’autres conceptions de l’observation et du tra-

5. Peneff (1995) fut à ma connaissance le premier à souligner ce point.


6. L’observation a pu être très systématique, et la rédaction sous forme de récit simplement un moyen
pour faire accéder le lecteur à la compréhension d’une distinction. C’est ce que suggère l’usage de
ce type de rédaction dans Liebow (1967) – une monographie dont les mérites rédactionnels sont
bien connus.
7. La distinction proposée ici est sous-jacente à l’ouvrage d’Henri Peretz (1995) qui ne l’explicite pas
complètement (voir notamment p. 5 ; 21-23 ; 83 ; 86). Voir également la revendication
d’observations plus analytiques par les rédacteurs en chef d’une revue comme Urban Life.

8
            TRAVAIL DE TERRA IN ET SOCIOLOGIE

vail de terrain et d’autres modes de rédaction 8. La démarche la plus pratiquée en


matière de travail de terrain est certainement celle qui correspond principalement au
recueil de propos en situation complété par un peu d’observation diffuse. L’accent
mis ici sur un type particulier n’implique nullement la récusation d’autres démarches
documentaires et d’autres modes de rédaction ; il vise simplement à faire apparaître
les avantages spécifiques de ce type. Pour faire apparaître la signification des diffé-
rents éléments du type de travail de terrain qui comporte une part d’observation ana-
lytique, je rappellerai d’abord comment cette conception particulière s’est dégagée,
mais seulement à demi, aux États-Unis, dans le cadre plus général de la constitution
des recherches de terrain en domaine partiellement autonome, à l’intersection de la
sociologie et de l’anthropologie. La comparaison avec les recherches réalisées en
France permettra d’apercevoir les conséquences de l’établissement d’une tradition
de recherche reposant sur cette démarche.

L’OBSERVATION ET LE TRAVAIL DE TERRAIN DANS LA SOCIOLOGIE


AMERICAINE

L’usage de l’observation à des fins d’analyse des phénomènes sociaux a une


longue préhistoire à l’extérieur des sciences sociales, des conseils de De Gérando
pour l’étude des populations « sauvages » aux réflexions de l’anglaise Harriet Mar-
tineau, auteur du premier manuel d’observation (1838), aux publications de Charles
Booth et de mouvement d’enquête sociale anglo-saxon, en passant par les écrivains
naturalistes de la fin du XIXe siècle 9. Si on se limite aux recherches universitaires en
sociologie, c’est à l’Université de Chicago, après 1919, que l’on trouve les premiers
exemples d’usage explicite de l’observation pour étudier la société contemporaine
des chercheurs. À cette époque, l’ouvrage qui marque les débuts du travail de terrain
en anthropologie, les Argonautes du Pacifique Occidental de Malinowski (1922),
n’était pas encore paru, ce qui montre que les innovations introduites par les socio-
logues et les anthropologues sont pour une part indépendantes les unes des autres. À
l’origine de l’usage de l’observation par les sociologues de Chicago, on trouve le
journalisme d’enquête du début du siècle, dont Robert Park, lui-même un ancien
journaliste, fut l’introducteur 10. Le prédécesseur de Park comme inspirateur des re-
cherches des étudiants de Chicago, William I. Thomas, n’avait en effet pas manifes-
té le même intérêt pour la démarche : introducteur de la correspondance et des auto-
biographies comme source documentaire en sociologie, il qualifiait ces « documents

8. Un examen d’un échantillon de monographies, suscité par les remarques de Philippe Masson, m’a
convaincu que ce type de démarche de recherches n’est pas illustré, même aux États-Unis, par de
très nombreux exemples. L’une des raisons me semble tenir à l’insuffisante explicitation des diffé-
rents modes d’usages de l’observation (à partir des distinctions observation d’action/ recueil de
propos en situation ; catégories construites /catégories empruntées à la vie sociale) et des différents
modes de rédaction. Il en va ainsi parce que les principaux débats entre chercheurs aux États-Unis
ont porté sur d’autres thèmes (voir infra). Un des objectifs de cette présentation est de susciter des
usages de la démarche d’observation analytique.
9. Voir par exemple Zola (1987) ; Sinclair (1906). On trouvera dans le livre de Wax (1971) une pré-
sentation synthétique de l’histoire du travail de terrain dans l’anthropologie anglo-saxonne.
10. Je m’appuierai ici sans autre référence, en ce qui concerne Park et ses successeurs, sur mon ouvrage
à paraître sur la tradition de Chicago en sociologie. Sur Park et le journalisme d’enquête, voir Lind-
ner (1996).

9
JEAN-MICHEL CHAPOULIE               

personnels » de « type parfait de matériel sociologique » 11, et il ne se soucia guère


de l’observation. Dans les années qui suivirent son recrutement par l’Université de
Chicago, Park incita ses étudiants à ce qu’il qualifie de « vraie recherche », c’est-à-
dire celle qui exige d’aller voir sur le terrain les phénomènes étudiés, et il les ac-
compagna lui-même fréquemment sur leur terrain. Les conseils de Park en matière
d’enquête semblent s’être cependant souvent limités à proposer l’imitation du jour-
nalisme, comme le suggère le témoignage de Nels Anderson, l’auteur de la première
monographie universitaire en sociologie reposant sur un travail de terrain 12.
Tous les étudiants en sociologie de l’Université de Chicago ne suivirent
d’ailleurs pas l’incitation de Park : la part de l’observation est réduite, et parfois
nulle, dans les monographies classiques dont Park et ses collègues furent les inspira-
teurs. Le travail de terrain des auteurs de ces monographies semble s’être souvent
borné à la visite des lieux et à l’écoute de conversations. Les notes de terrain étaient
prises après coup, y compris en ce qui concerne les propos recueillis, dont la repro-
duction littérale n’est donc pas garantie. L’une des monographies où la place de
l’observation d’actions semble relativement importante est The Taxi-Dance Hall de
Paul G. Cressey, issue d’une maîtrise soutenue en 1929. Cressey y décrit les com-
portements des différents participants de ces dancings, les danseuses, les clients et
les patrons de dancings. On peut remarquer que dans le premier chapitre, qui décrit
une nuit dans un Taxi-Dance Hall, il ne s’agit pas d’une nuit quelconque décrite à
partir de notes de terrain, mais d’une nuit présentée comme « typique » dans un
Taxi-Dance Hall typique, dont la description est donc comparable à une description
littéraire.
Les notes d’observation recueillies pour ces monographies ne sont pas citées in
extenso dans celles-ci. Dans un cas que j’ai examiné de près, celui des notes de Nels
Anderson pour Le Hobo, l’usage de l’observation dépasse de beaucoup ce que sug-
gèrent les analyses publiées 13. Les notes d’Anderson montrent en effet un usage
plus systématique et plus subtil de l’observation que ce que suggère la seule lecture
de l’ouvrage : Anderson a suivi de loin dans la rue et les lieux publics ceux qu’il
avait précédemment interviewés, a observé notamment les comportements homo-
sexuels de certains sans-domicile, alors que les observations les plus précises rap-
portées dans l’ouvrage publié correspondent à une visite dans un asile de nuit et aux
performances des orateurs d’un parc public. On peut penser que des raisons rédac-
tionnelles ont conduit à laisser dans l’ombre une partie des données qui relevaient de
l’observation : les ouvrages de sociologie de l’époque s’adressaient à un public plus
large que celui des chercheurs en sciences sociales, et un style mettant l’accent sur
des « faits », et non sur les problèmes de catégorisation et d’interprétation de terrain,
semblait sûrement approprié.
Les monographies publiées dans la collection dirigée par Faris, Park et Burgess,
aux Presses de l’Université de Chicago, comprennent deux types de développements

11. Thomas, Znaniecki (1927 : 1832).


12. Anderson (1961 : xii).
13. Les archives d’Ernest Burgess déposées à l’Université de Chicago conservent de nombreux docu-
ments remis à celui-ci par les chercheurs qu’il a patronnés. Y figurent notamment la majeure partie
des notes d’Anderson pour Le Hobo – dont une petite partie se trouve maintenant publiée dans An-
derson (1998). Voir Chapoulie (1998 a).

10
            TRAVAIL DE TERRA IN ET SOCIOLOGIE

reposant sur des observations directes : des analyses incluant une part importante
d’interprétation de l’auteur qui ne fournit pas la documentation de base sous forme
de notes de terrain 14 ; des développements présentés plus ou moins explicitement
comme des « documents » et qui se donnent pour des descriptions. La nature du lien
entre ces documents et les analyses qu’ils accompagnent – illustration, élément de
preuve – reste non précisée. Le style de rédaction des documents reproduits reste,
comme dans la monographie de Nels Anderson, « factuel » : même les biographies
sont présentées comme des reconstitutions ou des résumés synthétiques d’où est ab-
sente, ou évoquée seulement de manière rapide, la dimension subjective. Les pro-
blèmes de l’interprétation de ces documents de base ne sont jamais examinés. Les
catégories utilisées dans l’observation ne sont pas non plus présentées précisément
et rien n’indique qu’elles aient fait l’objet en général d’une construction explicite.
Dans cette période et dans la suivante, il n’existe guère de réflexions sur les dé-
marches du travail de terrain. Dans un article de 1947, Merton pouvait encore re-
marquer à juste titre : « (...) en général un profond silence couvre la plupart des pro-
blèmes rencontrés dans le travail de terrain. (...) Ces démarches sont dans une
grande mesure restées des savoir-faire individuels transmis par l’exemple et de vive
voix à un petit nombre d’apprentis » 15. Depuis les années quarante, le modèle de
référence en matière de démarche de recherche est l’enquête débouchant sur une ex-
ploitation statistique : celle-ci est presque unanimement reconnue comme « plus
scientifique » que le travail de terrain. Pour ceux qui font des enquêtes par question-
naires sur échantillon – la démarche en vogue – l’usage du travail de terrain tend à
être relégué dans la phase préparatoire à ces enquêtes comme le proposera un peu
plus tard l’article souvent cité de Lazarsfeld et Barton (1955). Mais de nombreuses
recherches parmi les plus visibles utilisent cependant la démarche après les années
trente : il en va ainsi des enquêtes menées dans l’usine Hawthorne (auxquelles ne
participa aucun sociologue), et de travaux réalisés à Harvard dans l’entourage de
l’anthropologue Lloyd Warner, comme l’enquête de Whyte déjà citée sur les bandes
de jeunes de classe populaire de Boston. Un peu plus tard, Alvin Gouldner (1954) et
Peter Blau (1955), des chercheurs de l’Université Columbia – le lieu d’excellence de
la formation aux enquêtes par questionnaires sur échantillon –, publièrent des re-
cherches reposant sur un travail de terrain approfondi, avec une part importante
d’observation directe dans le second cas.
Mais c’est à l’Université de Chicago, à partir du milieu des années quarante, que
se constitua le savoir-faire et le premier corpus de justifications de l’usage du travail
de terrain comportant une part substantielle d’observation analytique. Sous
l’impulsion conjointe d’Everett Hughes, un ancien élève de Park revenu à Chicago
comme enseignant, d’Herbert Blumer, un méthodologue critique des méthodes de la
sociologie de l’époque, et de Lloyd Warner (recruté par l’Université de Chicago en
1935), diverses recherches utilisèrent cette démarche pour étudier d’abord des com-

14. Voir par exemple la présentation d’un service religieux dans une église rurale, in Johnson (1934 :
162-178).
15. Merton (1947 : 304).

11
JEAN-MICHEL CHAPOULIE               

munautés, puis le travail, un nouveau domaine conquis par la sociologie 16. Un peu
plus tard, la même démarche fut utilisée pour étudier différentes institutions comme
les hôpitaux, la police, les prisons, le syndicalisme, etc. Hughes et Warner introdui-
sirent simultanément les sociologues aux travaux et aux réflexions des anthropolo-
gues sur la démarche du travail de terrain, qui s’ajouta ainsi aux savoir-faire trans-
mis par les monographies des années 1920-1935. La contribution de Blumer, qui
n’était pas lui-même un praticien du travail de terrain, doit être soulignée : ce fut lui
qui formula un ensemble de justifications qui pouvaient être apportées en faveur de
la démarche, à travers l’expression de son point de vue critique sur les enquêtes par
questionnaires 17. Blumer proposait par ailleurs aux chercheurs de terrain un thème
d’étude à peu près inépuisable : l’analyse du sens construit par les acteurs du do-
maine étudié au fil de leurs actions et interactions, et plus généralement,
l’explicitation de leurs expériences subjectives 18.
Stimulés par cet environnement et par l’enseignement du travail de terrain de
Hughes 19, un ensemble de recherches furent menées à bien et publiées sous forme
d’articles et d’ouvrages entre la fin des années quarante et le milieu des années
soixante. Pour une partie d’entre elles, l’observation des actions et interactions oc-
cupe une place centrale dans la documentation utilisée. Il s’agissait parfois de la
seule source documentaire accessible : il en va ainsi pour les recherches de Donald
Roy sur le travail ouvrier en usine – connues par une série d’articles tirés de sa
thèse, en 1952 (celui-ci est traduit dans ce numéro), 1953 et 1954 –, pour celles de
Becker (1951) sur les musiciens de Jazz, pour celles de Melville Dalton (1959) sur
les cadres d’entreprises, pour celles de William Westley sur la police, ou, ou pour
celles de Goffman (1959) sur les interactions face-à-face 20. Dans les années suivan-
tes, ces chercheurs, ainsi que quelques autres appartenant au même groupe, réalisè-
rent d’autres recherches sur des aspects de la vie dans les hôpitaux (Roth, 1963 ;
Strauss et al, 1964 ; Goffman, 1961). Hughes avait lui-même entrepris en 1955, en
association avec Howard Becker, Blanche Geer et Anselm Strauss, une recherche

16. Il faut mentionner aussi la contribution de Louis Wirth au développement des recherches de terrain,
et rappeler que les relations de Blumer, et Wirth d’une part, Hughes et Warner de l’autre furent par-
fois conflictuelles.
17. Voir par exemple le témoignage de Paule Verdet (1996) ; une partie des articles critiques de Blu-
mer figurent dans le recueil publié en 1969. Le soutien de Blumer au travail de terrain est indirect,
car celui-ci semblait paradoxalement un peu réservé à l’égard de la démarche ethnographique.
18. Il existe une affinité profonde entre le travail de terrain et le point de vue que l’on trouve chez ceux
qui, comme Blumer, Hughes, Becker ou Strauss, à la suite de Mead, Simmel ou Park, accordent
une place centrale à l’idée d’interaction. Si l’on considère que le sens des actions et des objets so-
ciaux est constitué par les acteurs au cours d’interactions, et que ce sens est constamment en cours
de transformation, nul accès ne peut sembler meilleur que celui qu’offre l’observation directe par le
chercheur.
19. De nombreux témoignages suggèrent que Hughes n’était guère plus précis que Park dans ses
conseils sur la démarche à suivre pour collecter des données par un travail de terrain : son impul-
sion tenait plutôt à sa capacité à guider les travaux en proposant des interprétations des notes de ter-
rain qui lui étaient soumises.
20. Les deux premiers articles qui comportent des citations de notes de terrain rendant compte
d’actions sont ceux de Becker (1951) sur les musiciens de Jazz et de Roy (1952). La thèse de Wes-
tley, connue par deux articles, n’a été publiée qu’en 1970 ; celle de Dalton, soutenue en 1949, fut
initialement connue par quelques articles repris dans l’ouvrage de 1959. Je laisse ici évidemment de
côté les recherches, bien plus nombreuses, réalisées dans le même environnement, qui reposent es-
sentiellement sur des entretiens.

12
            TRAVAIL DE TERRA IN ET SOCIOLOGIE

sur les études de médecine à l’Université du Kansas, appuyée sur un travail de ter-
rain systématique particulièrement intensif. Comme le montre la correspondance en-
tre les auteurs, dans la réalisation de ce projet s’exprima une partie de la rivalité in-
tellectuelle entre les chercheurs de la tradition de Chicago et leurs homologues de
Columbia qui étudiaient à la même époque presque le même sujet, mais avec une
autre démarche 21. Le compte rendu final de la recherche dirigée par Hughes sur les
étudiants en médecine, Boys in White (1961), est resté jusqu’à aujourd’hui un mo-
dèle de référence pour l’usage analytique de l’observation.
Depuis la fin des années quarante, les recherches reposant sur un travail de ter-
rain tendaient à se constituer aux États-Unis en un domaine spécialisé de recherche,
avec ses moyens de publications, ses modèles de références et ses critères
d’appréciation des recherches. Ces derniers se sont en partie dégagés au cours d’un
débat qui porte à la fois sur la légitimité de l’usage de cette démarche et sur la valeur
des résultats ainsi obtenus. Il s’agissait d’abord, pour les chercheurs de terrain, de
défendre leurs pratiques, contre ce qui était, selon eux, les démarches pleinement
reconnues de la sociologie, celles qui prétendent au label de « scientifique », et dont
la marque spécifique est le recours à la statistique. La critique standard de
l’observation à laquelle se réfèrent les défenseurs de la démarche de l’époque ne se
trouve pas formulée dans un texte qui aurait servi de référence. Mais on peut la re-
constituer à partir de la défense que présentent les chercheurs de terrain, notamment
dans les articles de méthode publiés à la fin des années cinquante 22.
Une première critique concerne l’objectivité des résultats, et porte notamment
sur l’influence possible de l’observateur sur les données qu’il recueille : des données
qui dépendent des singularités personnelles d’un observateur, des circonstances dans
lesquelles il a travaillé, etc., ne sont pas susceptibles d’être à coup sûr obtenues par
un autre chercheur dans la même situation. Étroitement liée à la précédente, une se-
conde critique porte sur l’influence directe possible et également incontrôlable de la
présence même de l’observateur sur le terrain. La difficulté pour généraliser les ré-
sultats obtenus à partir des données obtenues par un travail de terrain découle direc-
tement des deux critiques précédentes. On ne peut pas non plus contrôler
l’échantillon des observations effectuées : les unités à observer sont rarement défi-
nies assez précisément dans un univers connu pour que l’on puisse donner un sens à
la notion d’échantillon représentatif et procéder à des inférences statistiques. En fin
de compte, selon ces critiques, les données recueillies par un travail de terrain sem-
blent peu susceptibles d’apporter des preuves solides à l’appui de propositions, si
l’on prend pour référence le cadre logique de la démarche expérimentale.

21. Voir sur ce point les archives de Hughes conservées à l’Université de Chicago.
22. Je m’appuie ici sur les formulations du point de vue critique à l’égard de l’observation que l’on
trouve dans le manuel de méthodologie publié par deux chercheurs de l’entourage des sociologues
de l’Université Columbia : Goode, Hatt (1952 : 119-131), ainsi que dans un article souvent cité,
publié par un chercheur également associé à Columbia, Zelditch (1962). Un autre article encore
plus souvent cité, celui de Barton et Lazarsfeld (1955), n’est pas une critique de l’usage de
l’observation, mais plutôt une invitation à utiliser la démarche dans les phases préliminaires de la
préparation d’une enquête par questionnaires (ce que conseille également le manuel de Goode et
Hatt). C’est de l’entourage du Bureau of Applied Research de Columbia que semble venir la criti-
que de l’observation. Mais celle-ci était sans doute essentiellement diffusée par l’enseignement.

13
JEAN-MICHEL CHAPOULIE               

La réflexion sur leur démarche que développèrent les chercheurs de terrain est
dans une grande mesure une réaction contre ces critiques. À partir de la fin des an-
nées quarante, des articles sont régulièrement publiés dans Human Organization 23.
La dépendance des données par rapport à leurs conditions de recueil fut examinée,
ainsi que les conséquences sur les résultats des types de rôles remplis par les cher-
cheurs de terrain dans les situations qu’ils étudient : le degré souhaitable de partici-
pation aux actions fut interminablement discuté, et plus ponctuellement la question
des avantages et des inconvénients du caractère caché ou visible de l’observateur,
ainsi que la question de la qualité des données obtenues et celle de la comparaison
avec d’autres méthodes documentaires. Les problèmes de l’accès aux différents ter-
rains d’observation, dans leurs dimensions pratiques et morales, ainsi que ceux de la
relation avec les sujets étudiés lorsque la recherche est achevée, furent deux autres
thèmes de discussions entre chercheurs de terrain. La diffusion du terme
« observation participante » ou le contenu de manuels comme celui de McCall et
Simmons (1969) montrent dans quelle direction s’orientèrent une grande partie des
chercheurs 24.
À la fin des années soixante-dix, sur la base d’un examen des recherches recon-
nues, on pouvait soutenir que les recherches reposant sur une connaissance intime,
obtenue comme participant ou comme ancien participant au type d’activités étudié,
contenaient des résultats partiellement solides, même si la participation s’accom-
pagne de difficultés pratiques dans l’enquête 25. À la question des éléments de
preuve – ou pour mieux dire des garanties de la validité des résultats – qui doivent
être apportés aux lecteurs à l’appui des analyses fut donnée une réponse pratique : la
publication d’annexes comportant un compte rendu du déroulement du recueil des
données, des difficultés rencontrées, des occasions inattendues, et des erreurs com-
mises. Une telle annexe fut ajoutée à Street Corner Society, lors de la seconde édi-
tion de l’ouvrage, en 1955, et contribua au succès que celui-ci connut dans les an-
nées suivantes. À partir de cette époque, la rédaction de ce genre d’annexe s’imposa
presque comme une norme dans les monographies des chercheurs de terrain sou-
cieux d’accréditer leurs résultats auprès de leurs pairs 26. Un projet de réflexion sur

23. Human Organization est la revue publiée par la Society for Applied Anthropology, une société sa-
vante où se retrouvent sociologues et anthropologues tournés vers l’étude de sociétés en contact
avec le monde « moderne » ; après 1956, son rédacteur en chef est William F. Whyte. Une partie
des articles de méthodes publiés dans cette revue furent repris dans le recueil d’Adams, Preiss
(1960). D’assez nombreux articles de réflexion sur le travail de terrain furent également publiés à la
même époque dans l’American Journal of Sociology dont le rédacteur en chef est alors Hughes.
24. Le thème de l’engagement du chercheur dans son activité d’observation est encore celui que traite
Goffman (1989) dans la seule trace publiée de son enseignement dans ce domaine, alors que le style
de Goffman semblait l’éloigner de ce type de préoccupations – ce qui montre la prégnance de ce
thème pour cette génération de chercheurs. La série de conférences (par Sherri Cavan, Fred Davis,
Jacqueline Wiseman) dont provient cet article de Goffman fut publiée en 1974 dans un numéro
spécial de Urban Life and Culture (vol 3, n°3), où figure également une contribution de Julius
Roth ; elle donne une idée des préoccupations centrales des deux groupes de chercheurs formés
dans les années cinquante à Chicago et à Berkeley (où enseigna Blumer après 1953).
25. Les sociologues ont été plus sensibles que les anthropologues à cet aspect, car le mode de relations
de ces derniers à leurs objets varie dans des limites évidemment beaucoup plus étroites.
26. Le premier exemple de ce type d’annexe se trouve (à ma connaissance) dans l’ouvrage de Gouldner
(1954). On en trouve après 1955 dans presque tous les ouvrages qui acquirent une grande notoriété
dans le milieu des chercheurs de terrain, comme Dalton (1959) ; Liebow (1967) ; Humphreys

14
            TRAVAIL DE TERRA IN ET SOCIOLOGIE

la démarche du travail de terrain et son enseignement dirigé par Hughes à


l’Université de Chicago – « sociologie de la sociologie » selon son expression –
s’inscrit également dans l’action de défense du travail de terrain : il conduisit au re-
cueil et à l’analyse de témoignages des chercheurs, sociologues ou anthropologues,
confirmés ou débutants, qui avaient pratiqué cette démarche. La publication finale, qui
comprend une introduction substantielle de Hughes, fut signée en 1960 par Buford
Junker, qui avait travaillé avec Warner et participé à l’enseignement d’initiation dont
Hughes avait la responsabilité 27.
La confrontation avec les critiques des partisans des autres démarches de recher-
ches a eu plusieurs conséquences sur les recherches de terrain : une attention durable
aux conditions de réalisation des enquêtes et à diverses dimensions du rapport des
chercheurs à leurs objets d’étude, un souci croissant de réflexivité, une plus grande
rigueur dans la catégorisation des observations et dans la rédaction des comptes ren-
dus. Celle-ci caractérise, comme on l’a vu, Boys in White.
À partir de la fin des années soixante, la démarche du travail de terrain est à peu
près admise comme légitime dans la communauté des sociologues des États-Unis.
En témoigne la notoriété durable d’ouvrages reposant sur cette démarche comme
Outsiders de Becker et les ouvrages de Goffman sur les comportements face-à-face,
les hôpitaux psychiatriques, ou les stigmates sociaux, ainsi que l’existence d’un flux
continu de monographies qui obtinrent (au moins) une certaine notoriété 28. Parmi
celles-ci, une partie comporte ce qui a été désigné ici comme observation analytique.
Ce domaine de recherche est, à partir des années soixante-dix, organisé autour de
quelques revues, Urban Life and Culture après 1972 (devenu plus tard le Journal of
Contemporary Ethnography), Qualitative Sociology, après 1977, qui ont pris le re-
lais de Social Problems et de Human Organization, jusque-là les principaux sup-
ports de publication des articles issus d’études par observation. Des ouvrages de ré-
flexion sur la démarche ainsi que des manuels ont été régulièrement publiés. Des
critères d’appréciation de ce type de recherches ont été proposés et discutés. Plus
récemment des débats ont porté sur le statut de textes des comptes rendus et sur les
notes de terrain.
Autre signe de la constitution d’une spécialité de recherche aux États-Unis : la
plupart des principaux départements de sociologie ont recruté au moins un spécia-
liste du travail de terrain, tout comme ils recrutaient au moins un spécialiste de
« théorie », un méthodologue statisticien, etc.
Une certaine différenciation dans l’orientation des travaux, des objectifs pour-
suivis et des modes de rédaction des comptes rendus est visible dès la fin des années

(1970). Les recherches de Goffman font ici exception. Celui-ci n’a pas publié à proprement parler
de compte rendu de ses propres recherches de terrain, et s’appuie toujours beaucoup sur des exem-
ples empruntés à une littérature secondaire.
27. La préface à cet ouvrage de Hughes est traduite en français in Hughes (1996 : 267-279). Voir aussi
les deux articles influents publiés par Becker et Geer (1957 ; 1960), dont la substance se trouve re-
prise dans Becker (1970).
28. La liste des ouvrages de sociologie qui ont connu une forte diffusion en exemplaires vendus établie
par Gans (1997) donne un indice de l’importance des comptes rendus des recherches reposant sur
un travail de terrain. Liebow (1967) y occupe la seconde place, Whyte (1943) la treizième, Becker
(1963) la vingt-et-unième, pour ne mentionner que les ouvrages cités ici (pour ceux de Goffman,
les données ne sont pas disponibles).

15
JEAN-MICHEL CHAPOULIE               

soixante : on peut distinguer aisément les travaux placés sous le label de


l’ethnométhodologie (Cicourel, 1968 ; Sudnow, 1967) ; ceux qui sont le fait des
proches d’Anselm Strauss ; ceux qui s’inscrivent plus directement dans la tradition
Hughes-Becker ; ou encore ceux qui sont plus proches de l’anthropologie
« classique » (comme Liebow, 1967) 29. De manière plus implicite qu’explicite,
deux ouvrages de réflexion relativement visibles ont attiré l’attention sur le travail
de terrain comportant une part d’observation analytique : Deutscher (1973) rappelait
le gouffre qui sépare attitude déclarée en situation d’entretien et comportements ob-
servables – reprenant ainsi un thème développé par Blumer et celui d’un article
longtemps oublié de LaPiere (1934) ; Douglas (1976), dans une critique de la prati-
que de l’observation des anthropologues, insistait sur l’omniprésence des conflits,
sur la diversité des significations attribuées à tout phénomène social par les acteurs
ordinaires de la société américaine, et sur l’importance des phénomènes de dissimu-
lation et de façade. Une telle perspective conduit à mettre en avant l’observation
d’actions et d’interactions, ainsi que la construction de catégories d’analyse, et pas
seulement le recueil de témoignages en situation.
L’examen des recherches de terrain publiées depuis les années soixante-dix mon-
tre que les problèmes et les savoir-faire se sont transmis dans la sociologie améri-
caine d’une génération de chercheurs aux suivantes, même si l’on peut découvrir des
inflexions notables et de nouveaux thèmes de débat 30. Une partie des chercheurs,
critiques à l’égard de la conception classique de l’objectivité, ont cherché à intégrer
dans leur enquête l’observateur lui-même ; une réflexion s’est développée sur le sta-
tut des textes ethnographiques, puis sur les notes de terrain 31. Une fraction impor-
tante des chercheurs de terrain semblent aussi s’accorder sur deux critères
d’appréciation de ce type de recherches : l’explicitation pour les lecteurs des condi-
tions d’enquête comme source d’appréciation de la plausibilité de leurs résultats ;
l’importance accordée à l’explicitation de catégories d’observation et d’analyse 32.
Bien que moins généralement accepté dans les discussions, l’objectif d’une descrip-
tion de l’univers symbolique des participants aux phénomènes étudiés, ou, si l’on
préfère, de leur manière de percevoir l’univers social qui les entoure, est inscrit par
une bonne partie des chercheurs de terrain au premier rang des objectifs des recher-
ches utilisant cette démarche. La citation de notes de terrain, ou du moins

29. Les deux sources principales de la diffusion du travail de terrain pour l’étude de la société améri-
caine après 1950 sont indiscutablement Warner et son entourage de Harvard dans les années trente
(Whyte, Arensberg, Gardner, Allison Davis, etc.), et les sociologues de Chicago. Les chercheurs
proches de l’ethnométhodologie à la fin des années soixante ont emprunté à la tradition de Chicago
plus que ne le suggèrent leurs références – dans plusieurs cas, par l’intermédiaire de leurs contacts
avec Anselm Strauss.
30. On trouvera dans Emerson (1997) une description rapide des changements des dernières années aux
États-Unis dans le domaine des recherches de terrain. Voir également les numéros spéciaux (pu-
bliés quand cette introduction était achevée) du Journal of Contemporary Ethnography, vol 28 (5)
et (6), 1999, qui réunit des contributions variées correspondant aux principales orientations, et no-
tamment la contribution de Patricia A. Adler et Peter Adler qui offre un tableau d’ensemble.
31. Voir la réflexion fondatrice de Geertz (1973) sur le statut des textes ethnographiques ; Van Maanen
(1988) ; Sanjek (1990) ; Emerson, Fretz, Shaw (1995). Un écho du débat sur le statut des textes
ethnographiques se trouve, en France, dans un numéro spécial d’Études rurales (1985, n° 97-98) ;
voir aussi Communication (1984, n°58).
32. Voir les remarques des différents rédacteurs en chef successifs d’Urban Life – et notamment Robert
Emerson – dans le numéro spécial du Journal of Contemporary Ethnography, vol 16 (1) en 1987.

16
            TRAVAIL DE TERRA IN ET SOCIOLOGIE

l’exemplification des interprétations par la description détaillée de cas concrets ob-


servés, est un type de rédaction extrêmement fréquent dans les comptes rendus
(même si certains chercheurs, comme ceux de l’entourage d’Anselm Strauss, ne
l’utilisent pas).
Je ne développerai pas davantage cet examen historique de l’introduction
d’éléments d’appréciation des résultats des recherches de terrain en sociologie aux
États-Unis. Je soulignerai seulement trois points précédemment dégagés, parce
qu’ils sont utiles pour la comparaison avec l’usage de la démarche en France :
1°) les travaux des anthropologues n’ont pas été l’origine unique, ni d’ailleurs la
principale, de l’usage de cette démarche dans la sociologie américaine ; en consé-
quence, les interrogations n’ont pas été exclusivement orientées par celles qu’ins-
pirent les notions et les conditions de recherches de l’anthropologie des sociétés
« primitives » ;
2°) le travail de terrain en sociologie s’est principalement développé dans le cadre
intellectuel que le terme « tradition de Chicago » désigne grossièrement , même si
tous les travaux ne s’inscrivent pas dans cette tradition 33 ;
3°) depuis une trentaine d’années, dans la sociologie américaine (ou plus précisé-
ment à l’intersection de la sociologie et de l’anthropologie), les recherches de terrain
relèvent d’un domaine constitué, avec ses critères de jugements partiellement établis
et ses « classiques » qui servent de modèle aux nouveaux générations de chercheurs.
Afin de présenter une des directions possibles dans laquelle pourraient et, selon
moi, devraient s’investir les efforts pour consolider l’usage de cette démarche dans
la sociologie française, je rappellerai maintenant le rôle limité que le travail de ter-
rain a eu dans celle-ci. Je reviendrai ensuite sur le débat américain des années cin-
quante à soixante-dix sur les mérites et les limites du travail de terrain, à l’issue du-
quel cette démarche s’est trouvée constituée. Les termes de ce débat permettent en
effet de comprendre quelques-unes des propriétés de l’usage actuel de la démarche.

LA SOCIOLOGIE FRANÇAISE ET L’OBSERVATION ANALYTIQUE

L’expérience de la sociologie française en matière de travail de terrain compor-


tant une part d’observation analytique n’est pas d’une ampleur comparable à
l’expérience de la sociologie américaine. À l’extérieur de la sociologie considérée
comme discipline universitaire, on peut certes trouver depuis longtemps, la plupart
du temps chez des auteurs en relation avec le mouvement issu de Le Play, des

33. En France, il existe une tendance évidente chez les anthropologues à considérer que le travail de
terrain fait partie de leur domaine. Cependant l’expérience de la démarche a été plus diversifiée
chez les sociologues et c’est dans les situations d’extrême proximité culturelle qu’ont été réalisées
une partie des meilleures recherches, comme celles de Roy, de Goffman, de Becker ou d’E. Ander-
son. Accepter la prétention des anthropologues, historiquement non fondée, a aussi l’inconvénient
d’accentuer la séparation entre démarches qualitative et quantitative qui correspond (à tort, selon
moi) à une spécialisation acceptée par la majorité des chercheurs. Je me souviens d’avoir vu vers
1985 une affiche annonçant dans l’université où j’enseignais alors une conférence d’un anthropolo-
gue intitulée « Une anthropologie des sociétés contemporaines est-elle possible ? ». Cela semblait
un peu étrange à qui connaissait les recherches réalisées à Chicago soixante ans plus tôt. Le numéro
spécial de L’Homme (1982, 22 (4)), malgré le renfort d’une traduction de l’anglais, ne propose pas
une conception précise de l’anthropologie urbaine ; aucun des articles publiés dans ce numéro ne
semble d’ailleurs avoir laissé de trace.

17
JEAN-MICHEL CHAPOULIE               

exemples d’analyse reposant sur ce type de documentation . On peut mentionner les


études sur les ouvriers de Jacques Valdour – voir par exemple Valdour (1926) –,
l’ouvrage de Loew (1944) sur les dockers de Marseille, l’une des premières publica-
tions du groupe alors récemment fondé d’Économie et Humanisme. Comme on l’a
montré ailleurs, les premiers sociologues du travail, après 1945, utilisèrent égale-
ment la démarche du travail de terrain, même s’ils ne se posèrent pas la question de
l’élaboration de catégories d’observation 34. L’un des rares « résultats » sur lequel
débouchèrent ces premières enquêtes par observation fut la distinction, proposée par
Alain Touraine (1955), entre deux phases de l’organisation technique de la produc-
tion mécanique. Mais si cet ouvrage formule une proposition générale, il ne donne
guère d’éléments au lecteur pour comprendre sur quelle base empirique repose celle-
ci. À partir du milieu des années cinquante, la sociologie française, influencée par la
sociologie en vue aux États-Unis – notamment celle qui utilisait des enquêtes par
questionnaires sur échantillon – abandonna à peu près complètement le développe-
ment d’une démarche rigoureuse d’observation. On peut cependant trouver divers
exemples d’enquêtes reposant principalement sur une observation de comporte-
ments, ainsi que d’excellents exemples d’usage de l’observation dans des recherches
pour lesquelles celle-ci n’est qu’une source annexe 35. Mais contrairement à ce qui
se passait au même moment aux États-Unis, il ne se développa pas de réflexion col-
lective sur la démarche, et ne se constitua pas de groupe de chercheurs la pratiquant,
et aucune collection d’ouvrage ne fut durablement fondée. Aucune filière compre-
nant un enseignement préparant à l’observation systématique et donnant à cette
orientation une place centrale ne fut mise en place 36. La référence presque unique
en matière d’observation fut le manuel de méthode d’un anthropologue, Marcel Ma-
get (1962), plus riche en conseils de bon sens qu’en distinctions fines ; son autorité
ne pouvait s’appuyer sur aucune analyse substantielle publiée 37. Si plusieurs études
minutieuses et originales, mais isolées, furent publiées dans les années soixante-dix
– Bernoux, Saglio, Motte (1973) ou, plus liées à la tradition anthropologique, Fa-
vret-Saada (1977) – aucune d’entre elles ne joua le rôle d’un modèle : la démarche
du travail de terrain resta ainsi d’importance marginale en sociologie jusqu’au début
des années quatre-vingt. La comparaison avec le développement de la même démar-
che dans la sociologie américaine suggère que la faible institutionnalisation de cette
spécialité de recherche a retardé la réflexion et l’amélioration de la rigueur dans les
différentes phases du recueil et de l’analyse des données.
Les débuts d’un usage plus fréquent de l’observation dans la sociologie française
ont été rapidement analysés ailleurs (Briand et Chapoulie, 1991 ; Chapoulie, 1998).

34. Chapoulie (1991) ; Peneff (1996).


35. Voir par exemple passim Bourdieu, Darbel (1966).
36. Au niveau des études de licence de sociologie, la première formation de ce type (à ma connais-
sance) prit place à l’Université de Paris 8 : voir Briand (1998), ainsi que mon propre témoignage :
Chapoulie (2000). Au niveau des études doctorales, l’EHESS offrait des enseignements d’initiation
après 1985, ainsi que, après 1990, le programme doctoral dont j’étais responsable, produit de
l’association entre l’ENS Fontenay Saint-Cloud, l’Université de Paris 8 et de l’EHESS. C’est dans
ce cadre qu’ont été réalisées les recherches de Brochier, Monfort et Planson que l’on trouvera dans
ce numéro.
37. L’exemple le plus souvent invoqué était la monographie d’un village de Bernot, Blancard (1953),
où l’observation se limite à ce que j’ai appelé l’observation diffuse.

18
            TRAVAIL DE TERRA IN ET SOCIOLOGIE

On peut relever notamment, pour les tentatives antérieures à 1985, le caractère mal
finalisé de l’usage de l’observation qui apparaît souvent comme un simple exercice
de méthode sans finalité d’analyse, et le flou des distinctions entre observation et
témoignage 38. Au cours des quinze dernières années, on peut par contre trouver de
nombreux indices de l’adoption progressive de la démarche par la sociologie fran-
çaise : enseignements à différents niveaux, publications de manuels et surtout de
monographies dans des domaines variés 39 ; enfin, publications de témoignages sur
les conditions d’enquête 40. Ce numéro de Sociétés contemporaines est lui-même un
indice de l’intérêt de la sociologie française pour le travail de terrain. Il reste cepen-
dant que les exemples publiés de ce que j’ai appelé observation analytique sont en-
core assez rares chez les sociologues : les travaux qui reposent principalement sur
des observations diffuses, sur une longue présence dans les lieux accompagnée de
recueil de propos en situation – une démarche qui a ses mérites propres – sont net-
tement plus nombreux 41. Et la réflexion sur les modes de rédaction dans les comp-
tes rendus, engagée chez les anthropologues, est par ailleurs peu avancée en France.

OBJECTIFS, MERITES ET LIMITES DE L’OBSERVATION

Jusqu’ici j’ai admis sans jamais l’expliciter qu’il y avait ou qu’il pouvait y avoir
quelque chose de spécifique dans les données que peut recueillir un travail de terrain
comprenant une part d’observation analytique. S’il n’en allait pas ainsi, la distinc-
tion de cette démarche et des autres formes de travail de terrain serait sans perti-
nence.
Pour faire apparaître clairement l’intérêt particulier de la démarche du travail de
terrain avec observation analytique, on peut revenir aux termes du débat déjà évoqué
sur les différents types de démarches documentaires utilisables par les sociologues.
Un point essentiel, manifeste dans les malentendus internes à ces débats, est la diffé-
rence entre les objectifs des recherches de terrain et ceux des enquêtes par question-
naires sur échantillon. Ces dernières sont très généralement présentées comme un
instrument pour mettre à l’épreuve, en utilisant des techniques statistiques, des pro-
positions formulées à l’avance. Le travail de terrain ne permet sûrement pas
d’apporter des preuves au sens que l’on peut donner à cette expression en statistique.
Mais tel n’est pas non plus en général l’un des objectifs principaux des recherches
de terrain. Pour celles-ci, il s’agit davantage de découvrir différentes dimensions des
phénomènes sociaux considérés – des « variables » si l’on tient absolument au voca-
bulaire de la statistique –, à commencer par celles qui n’étaient pas nécessairement

38. Mon expérience des jurys de thèse me suggère que la même caractéristique se retrouve souvent
dans les thèses qui utilisent l’observation.
39. Parmi les travaux plus récents qui s’appuient en partie sur une démarche de terrain avec une part
d’observation, voir notamment Latour et Woolgar (1988) – traduction de l’anglais d’un ouvrage ré-
alisé dans le contexte des Sciences Studies, et qui pendant longtemps appartint exclusivement à la
sociologie anglo-saxonne ; Abélès (1989) ; Weber (1989) ; Peneff (1992) – l’essentiel de la docu-
mentation repose dans ce seul cas sur l’observation ; Chauvenet, Orlic, Benguigui (1994) ; Monjar-
det (1996). Le premier article publié par la Revue française de sociologie qui repose principalement
sur une documentation de ce type fut celui de Peretz (1992).
40. Voir pour un exemple très récent Dufoulon, Saglio, Trompette (1999).
41. Voir pour deux exemples importants de l’usage de ce type de démarche Schwartz (1990) ; Beaud,
Pialoux (1999).

19
JEAN-MICHEL CHAPOULIE               

envisagées par le chercheur avant son arrivée sur le terrain. Le produit achevé d’une
recherche de terrain comprend en général la présentation d’un cadre analytique
d’ensemble qui organise la perception du chercheur, et vise par là à réorganiser celle
du lecteur 42. Une partie des comptes rendus classiques se développent ainsi à partir
d’une sorte de métaphore simple : la production artistique comme activité de coopé-
ration dans le travail de catégories de travailleurs de statuts divers (Les mondes de
l’Art de Becker), le comportement des malades dans les hôpitaux psychiatriques
comme comportement commun à tous les types de reclus (Asiles de Goffman), etc.
Faire accéder le lecteur à l’univers symbolique d’une ou plusieurs des catégories
d’acteurs étudiés, en dégageant les logiques sociales qui s’incarnent dans leurs com-
portements, qui peuvent renvoyer au contexte des actions ou aux caractéristiques des
acteurs, est un autre objectif fréquemment poursuivi, évidemment conciliable avec le
précédent. En bref il s’agit de décrire des univers sociaux à l’intention des lecteurs
en rendant ceux-ci intelligibles à ces lecteurs ; il s’agit ainsi d’expliciter ce qui orga-
nise ces univers : c’est ce que fait par exemple Liebow dans Tally’s Corner 43.
Quels sont les avantages particuliers de l’observation analytique pour les recher-
ches qui poursuivent ce genre d’objectifs ? Il faut rappeler d’abord que la documen-
tation sur laquelle s’appuient généralement les sociologues – documents d’archives,
questionnaires et témoignages – est structurée par les systèmes de catégorisation uti-
lisés dans la société qui produit cette documentation. Les catégories du langage or-
dinaire jouent un rôle central dans cette structuration, ainsi que les catégories en
usage dans la société considérée, notamment les catégories des statistiques adminis-
tratives et les catégories de perception et de jugements des acteurs ordinaires – ceux
qui répondent aux entretiens, remplissent les questionnaires, ou qui produisent les
documents conservés par les archives. En d’autres termes, les catégories constituées
de la société étudiée constituent un filtre de l’information que peut obtenir le cher-
cheur chaque fois qu’il utilise ces différents types de sources 44.
Dans l’observation directe, et seulement dans celle-ci, le chercheur peut définir
les catégories de recueil qui sont adaptées aux fins qu’il poursuit, qu’elles coïncident
ou non avec les catégories en usage dans la société (ou le milieu étudié) : il est, si
l’on veut, maître du codage de ce qu’il observe. Il peut par conséquent s’émanciper
des perceptions communes et porter une attention systématique à des aspects négli-
gés – soustraits à l’attention par le sens commun – des actions ou des interactions.
Ainsi, les normes associées aux comportements face-à-face étudiées par Goffman,
comme celles des rencontres de rues entre Blancs et Noirs étudiées par Elijah An-
derson, ne sont pas nécessairement connues sur le mode explicite par ceux qui les
respectent, et leur analyse repose sur une construction plus ou moins systématique
de catégories d’observation 45. Les études sur les situations de travail des années
cinquante réalisées dans l’entourage de Hughes fournissent un autre exemple avec

42. Voir Davis (1974).


43. C’est un objectif similaire que poursuit une partie des recherches historiques, comme le suggère
l’ouvrage récent de Corbin (1998).
44. Reiss (1992) est à ma connaissance le seul à relever ce point fondamental.
45. L’étude minutieuse de Humphreys sur les comportements homosexuels dans les toilettes publiques
fournit un exemple de cas où les témoignages ne seraient sûrement pas une source documentaire
comparable à l’observation.

20
            TRAVAIL DE TERRA IN ET SOCIOLOGIE

des catégories d’analyse – dilemme de statut, sale boulot, normes de production, etc.
– dont certains essais de Hughes décrivent l’élaboration progressive à partir des ca-
tégories du langage ordinaire et de la terminologie en vigueur dans tel ou tel métier.
La démarche d’observation accorde donc au chercheur une plus grande latitude
dans la construction analytique que d’autres démarches (comme l’entretien). Elle
permet éventuellement de tester immédiatement sur le terrain les inférences faites,
par la mise à l’épreuve, au moment même de la prise des notes de terrain, des dis-
tinctions retenues dans le codage de ce qui est observé. Cette forme de contrôle est
sans doute à l’origine de la solidité des résultats des monographies « classiques »
reposant sur ce type de démarche : ni les analyses de l’organisation du quartier po-
pulaire de Boston de Whyte, ni celles du comportement des adultes Noirs des quar-
tiers populaires de Liebow n’ont, par exemple, reçu de démenti, même si la perspec-
tive d’ensemble sur les phénomènes étudiés qu’adoptent Whyte ou Liebow peut être
critiquée comme partielle 46. Autrement dit, au moins dans certains cas, le caractère
étroit de l’échantillon de phénomènes soumis à observation – un exemple particulier
dans un univers vaste et mal connu – est compensé par le caractère approfondi des
investigations qui peuvent être réalisées 47.
Si les analyses visent à réorganiser la perception du lecteur par la présentation
d’un cadre analytique ou à faire comprendre les perspectives de différentes catégo-
ries d’acteurs, la forme des comptes rendus revêt une importance particulière.
J’avais relevé précédemment la diversité des modes de rédaction des comptes rendus
de recherches reposant sur l’observation. La citation de notes de terrain est l’un des
moyens pour faire comprendre au lecteur comment ont été classés les « cas » obser-
vés, ou si l’on préfère, pour donner un contenu aux catégories d’analyse et préciser
le mode de codage des éléments d’informations recueillis. Le lecteur est ainsi placé
dans une situation aussi proche que possible de celle qu’occupait l’observateur au
moment du recueil de ces données, même s’il lui manque la possibilité de tester les
interprétations alternatives. Ce mode de rédaction des comptes rendus qui se caracté-
rise par des citations de notes de terrain est d’ailleurs l’homologue de celui
qu’utilisent les historiens contemporains, très souvent généreux en citations de do-
cuments d’archives, ou de celui des enquêtes par entretiens des sociologues 48. Dans
les deux cas, la valeur de preuve du document cité porte tout au plus sur la possibili-
té de l’existence du type de phénomène présenté dans les citations de notes de ter-
rain. Mais ce type de rédaction permet au lecteur de connaître le mode
d’interprétation de la documentation retenu par le chercheur.

* *
*

46. La tentative de « réfutation » des analyses de Street Corner Society a ainsi tourné court : voir le
numéro spécial du Journal of Contemporary Ethnography, 1992, vol 21 (1).
47. On peut considérer comme un bon indice de la solidité de certaines des analyses reposant sur une
observation analytique la possibilité de les utiliser comme guide dans un contexte différent de celui
dans lequel elles sont nées. C’est ce qu’il était possible de faire, vers 1975, en France avec les caté-
gories de la sociologie du travail de Hughes.
48. Voir sur ce point Chapoulie (1987).

21
JEAN-MICHEL CHAPOULIE               

En m’appuyant sur une analyse de l’histoire des recherches de terrain en sciences


sociales, j’ai cherché à expliquer l’orientation programmatique qui inspire ce numé-
ro. Les articles qui le composent ne s’inscrivent pas tous, ni, quand c’est le cas, à un
degré égal, dans une perspective définie par l’accent placé ici sur le travail de terrain
comportant ce que j’ai désigné par le terme (non standard) d’observation analytique.
Dans le texte diffusé pour susciter des propositions d’articles pour ce numéro,
j’avais indiqué qu’il s’agissait de donner des exemples de comptes rendus a) où
l’observation de comportements occupait une place importante ; b) où les catégories
d’observation spécifiquement utilisées pour l’observation et l’analyse seraient défi-
nies aussi précisément que possible ; c) où des notes de terrain fourniraient au lec-
teur le moyen d’apprécier les interprétations retenues. Ces indications fournissaient
seulement une orientation générale, et les articles ici retenus satisfont à des degrés
divers à ces différents critères.
Les articles de réflexion sur l’expérience du travail de terrain ne sont pas consa-
crés au type particulier de démarche proposée ici : ce n’est pas le cadre intellectuel
dans lequel, par exemple, se plaçaient Georges Benguigui et ses associés, lorsqu’ils
effectuèrent leurs recherches sur les gardiens de prison. Les articles de Donald Roy
et de Howard Becker ne s’inscrivent pas non plus complètement dans ce cadre de
référence, même s’il s’agit d’auteurs qui furent, comme on l’a vu, parmi les premiers
à publier des comptes rendus à partir desquels on peut dégager le modèle mis en
avant dans cette introduction.
Ce numéro vise donc à dégager l’une des directions dans laquelle pourraient
s’engager les recherches de terrain – une direction encore à peine explorée en
France –, et à l’illustrer par quelques exemples qui s’inscrivent dans cette voie. Il
vise aussi à contribuer à l’échange des expériences entre chercheurs de terrain et à
nourrir la réflexion sur les normes d’appréciation de ces recherches. J’ai laissé évi-
demment de côté dans cette présentation la première de celles-ci, qui s’applique éga-
lement à toute recherche de sciences sociales, quel que soit le type de ressources do-
cumentaires qu’elle mobilise : la signification « théorique ». C’est bien sûr avant
tout à l’aune de l’intérêt de leurs résultats substantiels qu’il convient d’apprécier les
articles de Valérie Monfort sur les étudiants des premiers cycles de sciences, de Na-
dège Planson sur les relations entre résidants et travailleurs dans les maisons de re-
traite, et de Christophe Brochier sur les travailleurs du bâtiment au Brésil.

Jean-Michel CHAPOULIE
Université de Paris 1
CRSHE, ENS Fontenay Saint-Cloud

22
            TRAVAIL DE TERRA IN ET SOCIOLOGIE

REFERENCES BIBLIOGRAPHIQUES

ABELES MARC. 1989. Jours tranquilles en 89, Paris, Odile Jacob.


ADAMS RICHARD N., PREISS JOSEPH J. (eds.). 1960. Human Organization Research,
Homewood (Ill.), The Dorsey Press.
ANDERSON ELIJAH. 1990. Streetwise. Race, Class and Change in an Urban Commu-
nity, Chicago, The University of Chicago Press.
ANDERSON NELS. 1961 [1923]. The Hobo : The Sociology of the Homeless Man,
Chicago, The University of Chicago Press (Traduction française Le Hobo. So-
ciologie du Sans-abri, Paris, 1993, Nathan).
ANDERSON N ELS. 1998. On Hobos and Homelessness, Chicago, The University of
Chicago Press.
BARTON ALLEN H., LAZARSFELD PAUL F. 1955. Some Functions of Qualitative
Analysis in Social Research, Frankfurter Beiträge zur Soziologie, 1 : 321-361
(Traduction française in P. Lazarsfeld : Philosophie des Sciences Sociales, Paris,
Gallimard, 1970 : 316-358).
BECKER HOWARD S. 1951. The Professional Dance Musician and his audience,
American Journal of Sociology, 57 (2) : 136-144 (in Becker, 1963 : 79-100).
BECKER HOWARD S. 1958. Problems of Inference and Proof in Participant Observa-
tion, American Sociological Review, 23 (6). : 652-659 (in Becker, 1970 : 25-
138).
BECKER HOWARD S. 1963. Outsiders. Studies in the Sociology of Deviance, New
York, The Free Press of Glencoe (Traduction française : Outsiders, Etudes de
sociologie de la déviance, Paris, 1985, A. M. Métailié).
BECKER HOWARD S. 1970. Sociological Work, Method and Substance, Chicago,
Aldine.
BECKER HOWARD S. 1982. Arts Worlds, Berkeley, University of California Press
(Traduction française : Les mondes de l’art, Paris, Flammarion, 1988).
BECKER H OWARD S. 1986. Doing Things Together. Selected Papers, Evanston (Ill.),
Northwestern University Press.
BECKER HOWARD S., GEER BLANCHE. 1957. Participant Observation and Interview-
ing : A Comparison, Human Organization, 16 (1) : 28-32.
BECKER HOWARD S., G EER BLANCHE. 1960. Participant Observation : The Analysis
of Qualitative Field Data, in ADAMS R. N., PREISS J. J. (1960) : 267-289.
BEAUD STEPHANE, PIALOUX MICHEL. 1999. Retour sur la condition ouvrière : en-
quête aux usines Peugeot, Paris, Fayard.
BECKER HOWARD S, GEER BLANCHE, HUGHES EVERETT C., STRAUSS ANSELM L.
1961. Boys in White, Student Culture in Medical School, Chicago, The Univer-
sity of Chicago Press.
BERNOT LUCIEN, BLANCARD RENE. 1953. Nouville. Un village français, Paris, Insti-
tut d’éthnologie.
BERNOUX PHILIPPE, MOTTE DOMINIQUE, SAGLIO JEAN. 1973. Trois ateliers d’OS,
Paris, Les Editions ouvrières.
BLAU PETER. 1955. The Dynamics of Bureaucracy, Chicago, The University of Chi-
cago Press.
BLUMER HERBERT. 1969. Symbolic Interactionism. Perspective and Method,
Englewood Cliffs (NJ), Prentice Hall.

23
JEAN-MICHEL CHAPOULIE               

BOOTH CHARLES (ed.). 1889-1891. Life and Labour of the People, London, Wil-
liams and Norgate.
BOURDIEU PIERRE, D ARBEL ALAIN. 1966. L’amour de l’Art. Les musées et leur pu-
blic, Paris, Éditions de Minuit.
BRIAND JEAN-PIERRE. 1998. L’apprentissage de la sociologie fondé sur le travail de
terrain : une expérience à Vincennes-Paris 8 (1972-1985), Communication au
colloque L’Ecole de Chicago, hier et aujourd’hui, Université de Versailles Saint-
Quentin-en-Yvelines, 3-4 avril 1998.
BRIAND JEAN-PIERRE, CHAPOULIE JEAN-MICHEL. 1991. The Uses of Observation in
French Sociology, Symbolic Interaction, 14 (4) : 449-469.
CHAPOULIE JEAN-MICHEL. 1984. : E. C. Hughes et le développement du travail de
terrain en France, Revue française de sociologie, 25, (4) : 582-608.
CHAPOULIE JEAN-MICHEL. 1987. Remarques sur la réalisation, la transcription et
l’utilisation des entretiens, in Les Professeurs de l’enseignement secondaire. Un
métier de classe moyenne, Paris, Editions de la MSH : 363-373.
CHAPOULIE JEAN-MICHEL. 1991. La seconde fondation de la sociologie française,
les Etats-Unis et la classe ouvrière, Revue française de sociologie, 32 (3) : 321-
364.
CHAPOULIE JEAN-MICHEL. 1996. E. C. Hughes et la tradition de Chicago, présenta-
tion du recueil de traductions de E.C. Hughes : Le Regard Sociologique, Paris,
Presses de l’EHESS : 13-57.
CHAPOULIE JEAN-MICHEL. 1997. La conception de la sociologie empirique d’Everett
Hughes, Sociétés contemporaines, n° 27 : 97-109.
CHAPOULIE JEAN-MICHEL. 1998 a. Seventy Years of Fieldwork in Sociology : From
Nels Anderson’s The Hobo (1993) to Elijah Anderson’s Streetwise (1991), in L.
Tomasi (ed.) : The Tradition of the Chicago School of Sociology, Aldershot
(GB), Ashgate : 105-127.
CHAPOULIE JEAN-MICHEL. 1998 b. La place de l’observation directe et du travail de
terrain dans la recherche en sciences sociales, in Lionel Groulx (dir.) : La re-
cherche qualitative : diversité des champs et des pratiques au Québec, Montréal,
Gaetan Morin, chapitre 4.
CHAPOULIE JEAN-MICHEL. 2000. Enseigner le travail de terrain et l’observation :
témoignage sur une expérience (1970-1985), Genèses, n° 39 : 138-155.
CHAPOULIE JEAN-MICHEL. 2001. La tradition sociologique de Chicago, 1892-1961,
Paris, Éditions du Seuil.
CHAUVENET ANTOINETTE, ORLIC FRANÇOISE, BENGUIGUI GEORGES. 1994. Le
monde des surveillants de prison, Paris, PUF.
CICOUREL AARON V. 1968. The Social Organization of Juvenile Justice, New York,
Wiley.
CORBIN ALAIN. 1998. Le monde retrouvé de Louis-François Pinagot. Sur les traces
d’un inconnu, 1798-1876, Paris, Flammarion.
CRESSEY PAUL G. 1932. The Taxi-Dance Hall, A Sociological Study in Commercial-
ized Recreation and City Life, Chicago, The University of Chicago Press.
DE GERANDO JOSEPH-MARIE. 1800. Considérations sur les diverses méthodes à sui-
vre dans l’observation des peuples sauvages, Paris, Société des Observateurs de
l’Homme (Republié dans Jean Copans et Jean Jamin (ed.) : Aux origines de
l’anthropologie française, Paris, Le Sycomore, 1978 : 127-169).

24
            TRAVAIL DE TERRA IN ET SOCIOLOGIE

DALTON MELVILLE O. 1949. A Study of Informal Organization among the Managers


of an Industrial Plant, Ph. D. sociology, University of Chicago.
DALTON MELVILLE O. 1959. Men Who Manage, New York, Wiley.
DAVIS FRED. 1974. Stories and Sociology, Urban Life and Culture, 3 (3) : 310-316.
DOUGLAS JACK D. 1976. Investigative Social Research : Individual and Team Field
Research. Beverly Hills, Sage.
DEUTSCHER I RVING. 1973. What we Say/ What we Do. Sentiments and Acts,
Glenview (Ill.), Scott, Foresman and C°.
DUFOULON SERGE, SAGLIO JEAN, TROMPETTE PASCALE. 1999. Marins et sociolo-
gues à bord du Georges Leygues : interactions de recherches, Sociologie du tra-
vail, 41 (1) : 5-22.
EMERSON ROBERT. 1987. Four Ways to Improve the Craft of Fieldwork, Journal of
Contemporary Ethnography 16 (1) : 69-89.
EMERSON ROBERT. 1997. Le travail de terrain après Hughes : continuités et change-
ments, Societés Contemporaines, n° 27 : 39-48.
EMERSON ROBERT M., FRETZ RACHEL I., SHAW LINDA L. 1995. Writing Ethno-
graphic Fieldnotes, Chicago, The University of Chicago Press.
FAVRET-SAADA JEANNE. 1977. Les mots, la mort, les sorts : la sorcellerie dans le
Bocage, Paris, Gallimard.
GANS HERBERT. 1997. Best-Sellers by Sociologists : An Exploratory Study, Con-
temporary Sociology, 26 (2) : 131-135.
GEERTZ CLIFFORD. 1973. Thick Description : Toward an Interpretative Theory of
Culture, in The Interpretation of Cultures, New York, Basic Books : 3-30.
GOFFMAN ERWING. 1959. The presentation of Self in Everyday Life, Garden City
(NY), Doubleday (Traduction française : La mise en scène de la vie quotidienne,
1 la présentation de soi, Paris, Editions de Minuit, 1973).
GOFFMAN ERWING. 1961. Asylums : Essays on the Social Situation of Mental Pa-
tients and Other Inmates. Garden City (NY), Doubleday (Traduction française,
Asiles, Paris, Editions de Minuit, 1968).
GOFFMAN ERWING. 1989. On Fieldwork, Journal of Contemporary Ethnography, 18
(2) : 123-132.
GOODE WILLIAM J., HATT PAUL K. 1952. Methods in Social Research, New York,
McGraw-Hill.
GOULDNER ALVIN. 1954. Patterns of Industrial Bureaucracy, New York, Free Press.
HUGHES EVERETT C. 1996. Le regard sociologique, Paris, Editions de l’EHESS.
HUMPHREYS LAUDS. 1970. Tearoom Trade. Impersonal Sex in Public Places, Chi-
cago, Aldine.
JOHNSON CHARLES S. 1934. Shadow of the Plantation, Chicago, The University of
Chicago Press.
JUNKER BUFORD H. 1960. Field Work. An Introduction to the Social Sciences, Chi-
cago, The University of Chicago Press.
LAPIERE RICHARD T. 1934. Attitudes vs Actions, Social Forces, 13 (2) : 230-237.
LATOUR BRUNO, WOOLGAR STEVE. 1988. La vie de laboratoire, Paris, La Décou-
verte (Traduction en français d’un ouvrage paru en anglais en 1979).
LE PLAY FREDERIC. 1855. Les ouvriers européens. Etudes sur les travaux, la vie
domestique et la condition morale des populations ouvrières de l’Europe, précé-
dées d’un exposé sur la méthode d’observation, Paris, Imprimerie Impériale.

25
JEAN-MICHEL CHAPOULIE               

LIEBOW ELLIOT. 1967. Tally’s Corner, Boston, Little Brown.


LINDNER ROLF. 1996. The Reportage of Urban Culture. Robert Park and The Chi-
cago School, New York, Cambridge University Press.
LOEW JACQUES. 1944. Les dockers de Marseille, analyse type d’un complexe,
L’Arbresle, Economie et Humanisme.
LOFLAND JOHN. 1995. Analytic Ethnography, Journal of Contemporary Ethnogra-
phy, 24 (1) : 30-67.
MC CALL GEORGE G., SIMMONS J. L. (eds.). 1969. Issues in Participant Observa-
tion, Reading (MA) : Addison Wesley.
MAGET MARCEL. 1962. Guide d’étude directe des comportements culturels, Paris,
CNRS.
MALINOWSKI BRONISLAW. 1922. The Argonauts of Western Pacific : An Account of
Native Enterprise and Adventure in the Archipelagoes of Melanesian New
Guinea, London, Routledge (Traduction française : Les Argonautes du Pacifique
occidental, Paris, Gallimard, 1963).
MARTINEAU HARRIET. 1838. How to Observe Morals and Manners, Philadelphia,
Lea and Blanchard.
MERTON ROBERT K. 1947. Selected Problems of Field Work in the Planned Com-
munity, American Sociological Review, 12 (3) : 304-312.
MONJARDET DOMINIQUE. 1996. Ce que fait la Police. Sociologie de la force publi-
que, Paris, La découverte.
PENEFF JEAN. 1992. L’hôpital en urgence, Paris, Métailié.
PENEFF JEAN. 1995. Mesure et contrôle des observations dans le travail de terrain.
L’exemple des professions de service, Sociétés Contemporaines, n° 21 119-138.
PENEFF JEAN. 1996. Les débuts de l’observation participante ou les sociologues en
usine, Sociologie du travail, (1) : 25-44.
PERETZ HENRI. 1992. Le vendeur, la vendeuse et leur cliente. Ethnographie du prêt-
à-porter de luxe, Revue française de sociologie, 33 (1) : 49-72.
PERETZ HENRI. 1998. L’observation. Les méthodes en sociologie, Paris, La décou-
verte.
PLATT JENNIFER. 1983. The Development of the « Participant Observation » Method
in Sociology : Origin Myth and History, Journal of the History of Behavorial
Sciences, 19 (4) : 379-393.
PLATT JENNIFER. 1997. Hughes et l’Ecole de Chicago : Méthodes de recherches, ré-
putations et réalités, Societés Contemporaines, n° 27 : 13-27.
REISS A LBERT J. 1992. Trained Incapacities of Sociologists, in T. J. Halliday, M.
Janowitz (eds), Sociology and its Publics, Chicago, The University of Chicago
Press : 295-315
ROTH, JULIUS A. (1963). Timetables. Structuring the Passage of Time in Hospital
Treatment and Other Careers, New York, Bobbs Merill.
ROY DONALD. 1952 a. Restriction of Output by Machine Operators in a Piecework
Machine Shop, Ph. D. Sociology, University of Chicago.
ROY DONALD. 1952 b. Quota Restriction and Goldbricking in a Machine Shop,
American Journal of Sociology, 57 (5) : 425-442 (traduction en français dans ce
numéro).
ROY DONALD. 1953. Work Satisfaction and Social Reward in Quota Achievment,
American Sociological Review, 18 (5) : 507-514.

26
            TRAVAIL DE TERRA IN ET SOCIOLOGIE

ROY DONALD. 1954. Efficiency and the Fix : Informal Intergroup Relations in a
Piecework Machine Shop, American Journal of Sociology, 60 (3) : 255-266.
SANJEK ROGER (ed.). 1990. Fieldnotes. The Makings of Anthropology, Ithaca, Cor-
nell University Press.
SCHWARTZ O LIVIER. 1990. La vie privée des ouvriers. Hommes et femmes du Nord,
Paris, PUF.
SINCLAIR UPTON. 1906. The Jungle, New York, Doubleday, Page (traduction fran-
çaise : La jungle, Lausanne, Rencontre, 1963).
STRAUSS ANSELM L., SCHATZMAN LEONARD, BUCHER RUE, EHRLICH DANUTA,
SABSHIN MELVIN. 1964. Psychiatric Ideologies and Institutions, New York, Free
Press.
SUDNOW DAVID. 1967. Passing On. The Social Organization of Dying, Englewood
Cliffs (NJ), Prentice Hall.
THOMAS WILLIAM I., ZNANIECKI FLORIAN. 1927. The Polish Peasant in Europe and
America, New York, A. Knopf (édition originale [1918-1920] vol 1&2, Chicago,
The University of Chicago Press ; vol 3 à 5 Boston, Badger Press) (traduction du
tome 3 en français : Le paysan Polonais en Europe et en Amérique. Récit de vie
d’un migrant, Paris, Nathan, 1998).
TOURAINE A LAIN. 1955. Le travail ouvrier aux usines Renault, Paris, Editions du
CNRS.
VALDOUR JACQUES. 1926. Ouvriers catholiques et royalistes. Romans-sur-Isère et
Decazeville, Paris, Flammarion.
VAN MAANEN JOHN. 1988. Tales of the Field, Chicago, The University of Chicago
Press.
VERDET PAULE. 1996. Une Française à l’école de Hughes, Sociétés Contemporaines,
n° 27 : 59-66.
WAX ROSALIE H. 1971. Doing Fieldwork. Warnings and Advice, Chicago, The Uni-
versity of Chicago Press.
WEBB BEATRICE, W EBB SIDNEY. 1932. Methods of Social Studies, Cambridge Uni-
versity Press.
WEBER FLORENCE. 1989. Le travail à-côté, Paris, INRA/ EHESS.
WESTLEY WILLIAM A. 1951. The Police : A Sociological Study of Law, Custom,
and Morality, Ph. D. sociology, University of Chicago.
WESTLEY WILLIAM A. 1953. Violence and the Police, American Journal of Sociol-
ogy, 59 (1) : 34-41.
WESTLEY WILLIAM A. 1956. Secrecy and the Police, Social Forces, 34 (3) : 254-
257.
WESTLEY WILLIAM A. 1970. Violence and the Police : A Sociological Study of Law,
Custom and Behavior, Cambridge, The MIT Press.
WHYTE WILLIAM FOOTE. 1943 a. Street Corner Society, Chicago, The University of
Chicago Press (2e édition : 1955) (Traduction française sous le même titre, Paris,
La Découverte, 1996).
ZELDITCH MORRIS. 1962. Some Methodological Problems of Field Studies, Ameri-
can Journal of Sociology, 67 (5) : 566-576.
ZOLA ÉMILE. 1987. Les carnets d’enquêtes : une ethnographie inédite de la France,
Paris, Plon.

27

Vous aimerez peut-être aussi