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cahier pédagogique
un outil

Le Guide
de la direction musicale (2e partie)

I . LES OUTILS DU CHEF

2 - instrumentation - orchestration

Le chef d’orchestre a, pour principal matériau à modeler, les sons de l’orchestre. Il se doit de
connaître le fonctionnement de celui-ci à fond, en maîtrisant les principes de base (fonction-
nement des instruments et des voix) tout comme les subtilités (alliages et plans sonores, diffé-
rents coloris…).

Pour le chef, cette maîtrise, dans la lecture bien sûr, mais encore plus dans l’écriture, en étant
capable de modeler ce matériau sonore, est essentielle pour l’élaboration d’un travail d’or-
chestre ou de chœur en profondeur, tout comme pour la réalisation d’orchestrations origina-
les pouvant devenir la matière même de ce travail d’orchestre.

De façon à cerner au mieux le contenu général de ces disciplines et de la philosophie sous-


tendue, il convient de repréciser quelques points fondamentaux de vocabulaire, avant de s’at-
tarder un peu plus sur l’esprit du terme ‘orchestration’.

1- Instrumentation 2- Transcription 3- Arrangement

Terme qui possède deux définitions Terme désignant le passage d’une Désigne un travail d’écriture parti-
principales : formule orchestrale ou vocale préexis- culier où le rédacteur se permet de
tante à une autre formule qui respecte modifier le contenu principal de l’œu-
w L’étude des instruments et de
leurs caractéristiques : tessiture, totalement les caractéristiques du texte vre, aussi bien dans son découpage for-
sonorité, spécificités d’écriture, initial. Comme, par exemple : mel, dans ses lignes harmoniques, mélo-
transpositions éventuelles, tech- w Les transcriptions pour piano fai- diques ou rythmiques que par des
nique, possibilités et limites. tes par Liszt à partir d’œuvres sym- rajouts ou retraits pour recréer une
phoniques. œuvre nouvelle.
w Ou, lors d’un travail d’écriture,
désigne l’affectation d’une voix à un w Les transcriptions d’œuvres pour
orchestre d’harmonie écrites origi- Il s’agit bien là d’un travail créatif
instrument ou un groupe d’instru-
ments, dans le respect des règles de nellement pour orchestre sympho- comme, par exemple, dans le jazz où, à
hauteurs et tessitures. Exemple : nique. Cette formule permet à la fois partir d’un thème et/ou d’une grille
une pièce pour quatuor vocal l’approche d’un répertoire par d’au- harmonique, l’arrangeur construit une
(SATB) instrumentée pour hautbois, tres types orchestraux ainsi qu’une pièce entièrement nouvelle dans laquel-
clarinette, cor et basson. diffusion différente de ces œuvres. le sa personnalité apparaît nettement.

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4- Adaptation w Les tonalités : tonalité principale 7- Bibliographie
plus éventuellement les tonalités de
Terme ‘fourre-tout’ qui désigne un passage, les modulations… et si I) Traités d’orchestration
besoin le type de langage musical et d’instrumentation
ensemble de modifications effectuées
utilisé.
sur un texte, dont le but principal est
w Les hauteurs de son (intimement
de l’aménager de façon à le rendre w Traité d’instrumentation et d’orchestra-
accessible par un ou des musiciens. lié au chapitre précédent puisqu’el-
tion de Hector Berlioz, Éditions
les permettent d’associer une phra-
se, une ligne mélodique ou ryth- Henry Lemoine : une référence his-
mique à tel instrument ou à tel torique - Instrumentation et orchestra-
autre). tion de G. Parès, Éditions Henry
Lemoine (2 volumes).
w Les nuances et l’ensemble des
5- La parodie signes complémentaires qui vont w Traité d’orchestration et d’instrumenta-
(arrangement et dérangement) servir de guide à l’orchestrateur tion à l’usage des musiques militaires de
pour lui suggérer des choix de cou- Gabriel Parès - Éditions Lemoine
w
Adapter une œuvre en changeant la leurs et d’alliages instrumentaux… Traité de l’orchestre moderne (faisant
destination ou les paroles en vue d’une w Les tempi et agogies (rit-accel...). suite au Traité d’instrumentation et
nouvelle utilisation n’est pas une d’orchestration de Hector Berlioz) de
conception récente. Comme pour tout travail d’écriture, Ch. M. Widor, Éditions Henry
et plus particulièrement pour l’épreuve Lemoine).
Très prisée dès la renaissance d’ l’ orchestration, un travail préalable w Nouveau traité d’orchestration à l’usage
(Palestrina : Assumpta est Maria), elle est d’analyse approfondie sera nécessaire des orchestres d’harmonie, fanfares et
toujours reconnaissable à l’écoute mal- (se référer à l’article 1 de ce guide paru musiques militaires de Désiré
gré les déformations apportées dans un dans le numéro d’avril 2007 du Journal Dondeyne et Frédéric Robert, Édi-
but ludique ou provocateur. de la CMF). tions Robert Martin.
w Guide de l’instrumentation à l’usage
Cette analyse prendra en compte les
des ensembles d’instruments à vent, de
éléments formels, phraséologiques, har-
Jean-Philippe Vanbeselaere - Éditions
moniques, mélodiques, rythmiques, sty-
Van de Velde.
6- Orchestration listiques, tout comme une fine percep-
tion du langage, des annotations et des wLa musique et l’image, de Maurice
intentions de l’auteur (découpe de la Coignard - Éditions Max Eschig.
Terme à différencier impérativement
pièce, climax, importance relative des w La technique de l’orchestre contempo-
de l’instrumentation, l’orchestration est
un travail qui engage son réalisateur. Elle voix, tonalité, modalité, atonalité, hau- rain, de A. Casella et V. Mortari -
consiste, à partir d’un texte musical quel- teurs et ambitus, mouvements et Éditions Ricordi (épuisé).
conque, à inventer une version orches- élans…). w The study of orchestration, de Samuel
trale, respectant les caractéristiques prin- Adler - Éditions Norton (en
cipales du texte, mais où l’auteur va, par La réalisation d’une bonne orches- anglais : c’est aujourd’hui un livre de
ses choix de timbres, de couleurs, d’in- tration s’appuiera sur une vision et une référence, en particulier parce qu’il
tensité, d’alliages, donner sa vision, son conception de la pièce, qui, en perce- comporte 5 CD d’exemples musi-
interprétation personnelle du texte. vant la globalité des éléments tout caux vendus séparément).
comme les détails, amèneront à un acte
w Traité de l’orchestration en 4 volu-
Comme dans tout travail à la table, d’écriture personnalisé mettant en
mes, de Charles Koechlin - Éditions
il ne faut surtout pas hésiter à prendre valeur la pensée initiale du compositeur
Max Eschig.
sans la trahir.
w
son temps pour lire (et relire si néces- Instrumentation and orchestration, de
saire) la totalité du texte qui est pro- A. Blatter (en anglais), Éditions
posé ; après ces lectures, doivent se Schirmer.
dégager les grands axes de travail :
wLa musique à travers ses instruments,
w La découpe générale du texte avec Encyclopédie Larousse.
son architecture, ses phrases, ses
particularités formelles (exemple
d’éléments constitutifs : le(s)
thème(s), le(s) contre-chant(s), l’ac- II) Technique des instruments
compagnement et la basse).
w L’esprit général de la pièce à wEncyclopédie des instruments de
orchestrer, ses ambiances, son musique, Éditions Gruünd.
w Flûtes au présent, de P.-Y. Artaud,
atmosphère générale, ses caractéris-
tiques essentielles… Éditions Billaudot ; La musique à

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travers ses instruments, Encyclopédie partition d’orchestre. Ce livret per- Büsser : Petite Suite (Debussy).
w
Larousse ; À propos de la flûte, de R. met de connaître l’histoire de l’é- Koechlin : Khamma (Debussy) ;
Heriché, Éditions Billaudot. volution de l’orchestre. Il faut Pélléas et Mélisandre (Fauré).
w
noter l’excellente méthodologie
w
La technique du hautbois, de P. Veale, Dondeyne : Manhattan Symphony
Claus-Steffen Mahnkopf, Éditions pour l’analyse d’une partition (ana-
lyse détaillée et globale). (Lancen).
Bärenreiter.
w wBerlioz : Invitation à la Valse
w Actuellement le basson, L’orchestre, d’Alain Louvier et
Pierre Albert Castanet, Éditions (Weber).
d’A. Ouzounoff, Éditions Salabert.
Combre/Histoire de l’orchestration. w Webern : Rivercare de l’Offrande
w Multiphonics and other contemporary
w Tableau instrumental, d’E. Bozza, Musicale (J.S. Bach).
clarinet technics, de G. Farmer, Sha-w-
moo Publications. Éditions Alphonse Leduc. wRavel : Menuet Pompeux (Chabrier),
w La technique de l’orchestre contempo- Carnaval op.9 (Schumann).
w Saxologie, du potentiel acoustico-
expressif des 7 saxophones, rain, de Casella et Mortari. Traduit w Bizet : Jeux d’enfants (Bizet).
par Pierre Petit, Paris, SA Ricordi,
de D. Kientzy, Éditions Nova Musica wRavel par lui-même : La valse,
avec CD. 1958 (épuisé).
Ma mère l’Oye, Le tombeau de Couperin,
w
w Introduction pratique aux techniques Petit lexique des termes musicaux, Valse nobles et sentimentales, etc.
de Pincherle, Éditions Choudens
contemporaines du trombone, w Boutry : Chorals de J.S. Bach.
de B. Scluchin, Éditions Musicales w Principes fondamentaux d’analyse
Européennes. harmonique et de transposition,
w
de M. Maillart Lefrancq, Imprimerie
Lexique de la percussion, de François 2- Trancription
Dupin, La Revue musicale, numéro Le Cèdre Bleu, 52103 Saint-Dizier.
spécial 284, Richard Massé éditeurs w Annotations et termes musicaux wLiszt : Les 9 Symphonies de
(épuisé). (ex. A. Bonnard, BG Editions). Beethoven. Caprices de Paganini, etc.
w Percussion, de James Holland, Édi- wTechnique de mon langage musical w Elgar : Transcription de la Fantaisie
tions Hatier (épuisé ?). en 2 volumes, d’Olivier Messiaen, et Fugue en ut mineur (J.S. Bach).
w À propos de la percussion, de J.-C.
Éditions Leduc.
w Bach : Transcription pour orgue
Tavernier, Éditions Billaudot. wDe l’acoustique à la musique, des Concertos de Vivaldi, etc.
w Contemporary Percussion, de R.S. de Raymond Wermelinger,
Brindle, Oxford University Press (en chez l’auteur ou Arpèges.
anglais) (très complet mais épuisé). w Eléments solfégiques et harmoniques du 3- Parodie
w Les collections Que sais-je ?, PUF. langage musical, de Jacques Chapuis,
Éditions Promusica.
w La technique de l’arrangement, d’Yvon w Saint-Saëns : Le Carnaval des Animaux
Jullien (jazz-blues, variété, classique) (se cf. Les tortues d’après Offenbach,
Éditions Media-Musique. Sans oublier l’étude des grandes œu- L’éléphant, Les fossiles).
vres du répertoire et l’étude des tech-
wThe ultimate guide to cymbals, de w Henri Salvador : Yuanita Bananos
niques des grands orchestrateurs et
Nick Petrella, Éditions Carl Fischer. (d’après Verdi : Caro nome, extrait
de leurs particularités d’époque, d’éco-
de Rigoletto).
w Le tambour d’ordonnance, de Robert le ou de style.
Goute (chez l’auteur). w Serge Gainsbourg : Lemon incest
(Voir les Éditions Dover, Schott,
(d’après l’Étude opus 10 n°3 en mi
w Traité des objets musicaux, de Pierre Heugel, Fuzeau, Philharmonia,
majeur pour piano de Chopin), etc.
Schaeffer, Éditions Seuil. Eulenburg, etc.).

III) Ouvrages divers IV) Quelques œuvres de référence


(liste non exhaustive)
wLe grand livre de l’orchestre,
de Michaël Huard. Préface par Lorin 1- Orchestration
Maazer, Éditions Bordas.
w Les partitions d’orchestre de Haydn à w Ravel/Moussorgsky : Les tableaux
Stravinsky, de S. Gut et D. Pistone, d’une exposition.
Librairie Honoré Champion : s’a- wFayeulle : Les Tatars (d’après
dresse à l’étudiant en musicologie Moussorgsky).
ou en analyse désireux de lire une
w Caplet : Children’s Corner (Debussy).

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Paroles de chef...
Mstislav Rostropovitch (1927-2007)

Quand avez-vous ressenti le désir de diriger ? Compositeur et pianiste, il est ‘ interprète ’. Il sait ce qu’il
La direction, pour moi, c’est un rêve depuis veut. C’est un magicien. Bernstein ne s’admire jamais, il se
mon premier contact avec la musique, bien avant d’avoir passionne. Il se donne à la musique.
touché un violoncelle. Quand j’avais six ans un chef d’or-
chestre m’avait déjà montré des partitions et il m’avait expli- Quels types de rapports d’autorité, de confiance doivent-il exister
qué le principe des instruments transpositeurs. Si on ne m’a- entre l’orchestre et le chef ?
vait pas obligé à étudier le violoncelle, j’aurais certainement Des rapports qui doivent d’abord être fondés sur la
choisi la direction d’orchestre. confiance que les musiciens portent au chef. Cela signifie
que les musiciens reconnaissent l’absolue compétence de
Parallèlement à votre grande carrière de concertiste, vous êtes finale- leur chef et ils savent qu’elle leur est nécessaire.
ment devenu chef d’orchestre. Un jeune musicien peut-il diriger sans Ensuite la confiance humaine entre dans le jeu.
avoir pris des cours de direction ? Un chef ne doit jamais offenser un musicien.
Non, il est au contraire très important d’ap- Le rôle du chef permanent consiste aussi à four-
prendre. Violoncelliste, j’ai eu la chance de ren- nir des explications. Il doit justifier ses actes et
contrer les plus grands chefs du monde. Ils faire comprendre à l’orchestre son approche de
m’ont aidé à résoudre certains problèmes prop- la musique et ses décisions artistiques.
res à la direction. Mais cela dit malgré toute son
importance le rôle de la technique est relatif. Quand on a acquis une immense gloire comme violon-
Aujourd’hui certains chefs disposent d’une celliste et que l’on arrive pour diriger un orchestre, est-
gamme de gestes très élégants et clairs. De ce une facilité ?
même que certaines personnes possèdent une Non, c’est beaucoup plus difficile car les
belle écriture, je pense que la qualité de la cal- musiciens se posent immédiatement des ques-
ligraphie est moins importante que le sens du texte écrit. tions. Mais pourquoi cherche-t-il à diriger ? Son instrument
Hélas, les jeunes chefs l’ignorent trop souvent. Ils s’imaginent ne lui suffit-il pas ?
que leur dextérité supplée à leurs carences dans la connais- Admettre que ce soliste devienne chef d’orchestre pour
sance musicale. Erreur ! Le chef doit disposer d’une culture répondre à un besoin profond de sa nature, et pour ainsi
spécifique qui doit le situer au-delà du niveau des instru- trouver une nouvelle forme d’expression, ce n’est apparem-
mentistes. Il doit disposer d’un ‘ plus ’. Certains chefs n’ont ment pas facile.
que deux ambitions : « Pourvu que ce soit clair ! Pourvu Je dirai en toute modestie, mais en toute certitude, que
que ce soit ensemble ! » Ceci est important, mais la vérita- si je n’avais pas eu le nom que je porte comme violoncellis-
ble interprétation d’une œuvre met en jeu un objectif plus te, j’aurais été beaucoup plus rapidement reconnu en tant
élevé : la compréhension de l’œuvre et sa re-création à que chef d’orchestre. Quand je dirige un orchestre pour la
chaque concert. première fois, il est normal que je reprenne certains passa-
ges. Dès que les musiciens comprennent que mes interven-
Le chef d’orchestre doit-il être lui-même un instrumentiste ? tions sont justifiées, ils acceptent de se soumettre. En résu-
Ce n’est pas absolument nécessaire. Mais il doit être mé, il faut faire ses preuves.
‘ musicien ’ ce qui est bien plus important. Il est néanmoins
utile pour un chef d’orchestre d’avoir une expérience d’ins-
Directeur du London Symphony Orchestra, directeur du National Symphony Orchestra de
trumentiste. Je sous-entends « interprète ». Il doit être Washington… 1977-1994. Il dirige les orchestres symphoniques et les orchestres d’opéra du
capable d’interpréter une œuvre en public, transmettant
Enregistrements
monde entier.
alors un produit terminé, selon sa propre conception et ses
capacités personnelles. Il en est de même à l’orchestre : Prokofiev, Guerre et Paix, l’Orchestre national de France (Erato Warner).
‘ l’instrument du chef ’. Il s’agit alors de faire vivre aux mem- Tchaïkovski, La Dame de Pique, Orchestre national de France (D. G.).
Ernst Bloch, Schelomo, Orchestre national de France, direction Leonard Bernstein, EMI C069
bres de l’orchestre ce que l’on ressent. C’est la même démar- 02841.
che. La technique du bras n’est pas seule en cause, mais les
yeux interviennent ainsi que l’expression du visage, sans
oublier l’extériorisation corporelle, si elle est naturellement Extraits colligés par Guy Dangain à partir des Entretiens entre Claude Samuel et Mstislav
en accord avec la musique. Rostropovitch, Éditions Laffont (Un livre que je vous conseille vivement de lire...).

Peut-on évoquer Léonard Bernstein ?


Léonard Bernstein possède une énorme personnalité
musicale. Je le considère comme un chef exceptionnel.

36 /le journal de la cmf / n°530 juin 2007


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cahier pédagogique
un outil

Le Guide
de la direction musicale (3e partie)

I . LES OUTILS DU CHEF

3 - culture musicale, artistique, générale

La culture ?
Vaste et infini sujet s’il en est ! Ou alors évidence ne méritant même pas les mots pour le
dire. Objet de tous les débats et autres enfonçages de portes ouvertes : « La culture, c’est
comme la confiture, moins on en a, plus on l’étale » - « La culture c’est ce qui reste
quand on a tout oublié », on s’arrête là, la liste est trop longue. Quoique ! Juste une der-
nière citation à l’usage des décideurs : « Bien sûr la culture coûte cher, mais l’inculture et
ses ravages encore plus cher ! », disait Marcel Landowski. Et pourtant ! Le premier poste
amputé en cas de restriction budgétaire, c’est bien celui de la culture, culture qui traîne
toujours sa casserole de luxe inutile et superflu !
Mais l’objet de cet article n’est pas d’installer une polémique d’ordre politique ou
philosophique.
Il est plutôt de s’interroger, sur le fond, en quoi la culture (musicale, artistique, générale) est
un outil, un atout, pour le chef d’orchestre, de chœur ou d’ensemble musical quelconque.
Bref, pour celui qui, d’une manière ou d’une autre, a en mains, la destinée d’un groupe de
musiciens, jeunes comme âgés, amateurs comme professionnels, dilettantes comme passionnés.
Des quelques centaines de raisons qui peuvent justifier l’utilité première, fondamentale et
préalable, pour un chef, de posséder des éléments culturels sans cesse enrichis, nous en
retiendrons arbitrairement quelques unes qui, à notre modeste avis, constituent une base de
réflexion indispensable.

La responsabilité générée par la fonction L’humilité devant l’art capable de les utiliser pour accéder à
la substance artistique, est bien le
Être chef, ce n’est pas seulement Et bien si ! Quoiqu’en disent cer- minimum que l’on peut demander à
gérer au mieux le travail d’un ensem- tains, la musique amateur a une fonc- celui dont la mission est d’être l’in-
ble, c’est aussi assurer et assumer une tion artistique forte. Elle n’est point terface, quasi virtuelle, entre des
fonction, avec son cortège de plaisir seulement animation et défoulement, signes inanimés et un monde sonore
et de gloire, mais aussi de devoir et elle est véhicule d’une pensée qui a en perpétuel mouvement.
de représentation. ses codes et doit être décryptée
Quoi de mieux que de savoir avant d’être transmise. Lourde tâche,
s’exprimer, d’être capable d’argumen- celle de modestement rentrer dans
ter à l’aide de références précises, de les arcanes et les méandres du créa- Savoir pour expliquer
véhiculer de manière positive et teur ! Le chef a besoin d’outils pour
attrayante l’image du groupe ? Le comprendre que la succession de gra- Une personne seule face à un
chef est l’homme (ou la femme !), sur phismes musicaux n’est pas qu’une groupe, dont le rôle va être d’en coor-
scène comme en réunion, le plus simple mesure du temps et des hau- donner les gestes pour faire jaillir des
observé, admiré, critiqué, adulé ou teurs, que ceux-ci sont le sésame de sons cohérents, évoque, outre le sim-
haï. À cet égard, sa responsabilité est l’accès à des sentiments et à des émo- ple aspect de transmission, l’aspect
grande. Il est le premier représentant tions devant être partagées avec le pédagogique de la chose musicale. Éty-
de l’orchestre ou du chœur et l’ima- public. S’enrichir, à l’instar des com- mologiquement, ‘pédagogie’ renferme
ge qu’il donne est bien celle, dans la positeurs, d’éléments poétiques, litté- les idées de ‘conduire, mener, accom-
tête du public, de l’ensemble dans raires, picturaux ou théâtraux, pour pagner, élever’, autant de termes qui
son intégralité. n’en citer que quelques uns, et être résument bien le contenu de la répéti-

le journal de la cmf / n°531 août 2007/ 25


tion. Encore que, ‘répétition’ n’est cer- roso, mais aussi les titres et sous-tit- élaborer une construction artistique
tainement pas le mot le plus approprié res des œuvres, trop négligés, alors qui ne peut se faire dans une totale
pour définir une construction ‘pas à que souvent, ils donnent une béatitude. L’art peut être apaisement,
pas’ allant au-delà du rabâchage atmosphère générale à n’occulter tout comme il peut être révolte ; ses
ennuyeux et inefficace. On peut lui sous aucun prétexte. Mais, et encore messages peuvent refléter la sérénité,
préférer le terme allemand de ‘Probe’, plus, la propre représentation que le le drame, tout comme inciter à la
plus proche de ‘préparation’, nom qui chef va se faire de l’œuvre. transgression. Jamais neutres, toujours
donne plus de sens à la mission. Évi- Qu’évoque-t-elle en lui ? Quelles vivants et carburant de la réflexion et
demment, cette approche du travail de sont les images qu’elle inspire, les de l’émotion.
répétition sous-entend que le chef (la attitudes qu’elle incite ? Lorsqu’on
tête !) possède un savoir suffisant et commence à placer le curseur à ce
maitrise la science du partage, pour niveau, nul doute qu’on a quitté le La curiosité comme vertu
expliquer sa conception de la volonté domaine du solfège arithmétique
du créateur. pour s’approcher, à pas feutrés, de la Peut-on considérer la culture
pensée artistique. comme un univers défini ?
Certainement pas ! Ou plutôt, on
Les constituants de l’autorité pourrait dire qu’il y a autant d’univers
Avoir un regard analytique, critique que d’individus, et que ces univers,
Vaste débat s’il en est ! Nous ne comme les galaxies, sont en perpétuel
voulons pas nous lancer dans une tira- En poussant un peu plus loin la mouvement. À chacun d’enrichir son
de stérile et galvaudée, mais simple- réflexion, on peut dire aussi que le propre patrimoine, par des apports
ment dire, rappeler, que l’autorité, sur- regard du chef porté sur une œuvre nouveaux, mais aussi par des nouveaux
tout dans un domaine artistique où le n’est pas, obligatoirement, un regard regards portés sur l’existant. Aucune
volontariat est la règle, ne peut se limi- d’admiration sans borne. La phase ana- vérité n’est définitive, la notre non
ter à la place qu’on occupe dans l’or- lytique, elle aussi destinée à faire sor- plus. Mais on peut l’affiner, la faire évo-
ganigramme associatif et, encore tir du magma des signes la « substan- luer par ce formidable moteur qu’est
moins, à la capacité de vociférer des tifique moelle » chère à Rabelais, est la curiosité, qui pousse à aller chercher
injonctions où le décibel est roi. Cette bien destinée à ‘re-concevoir ’ l’œu- le détail croustillant ou le chainon
autorité, dont chacun s’accorde à dire vre à la lumière de son propre savoir manquant.
que la meilleure est la « naturelle », et de son vécu. Afin, tout simplement, de ne pas
s’appuie nécessairement sur des élé- Des décisions seront à prendre, par- être dans une logique de reproduction
ments que chaque musicien reconnaît fois dictées par la tradition, d’autres de type clonage et que chaque inter-
et admet. Compétence, écoute, maîtri- fois par le sens pratique, ou encore par prétation – y compris de la même
se du sujet, capacité d’enrichir, de des choix visant à limer des aspérités pièce – soit une aventure sans cesse
coordonner, voire de transcender le ou mettre en lumière des secrets renouvelée.
texte à l’étude, sans oublier le sens de cachés. Pour cela, il faut un avis, mais
l’humain… sont autant de qualités qui un avis riche, pertinent, motivé, qui
certes peuvent sembler innées, mais tient compte de tous les éléments à Les mots
qu’on veillera à cultiver tout au long disposition. Donc ? pour faire rêver
de sa carrière.
L’art, ce peut être également la
Connaître pour apprécier, création de mondes imaginaires, où les
Enrichir un discours et un travail pour transgresser lois sont autres et les valeurs différen-
tes. Une forme de rêve. Rêve dans
Le vocabulaire musical, de type La comparaison est un moteur lequel, petits et grands, sont prêts à
solfégique, va-t-on dire pour faire essentiel de la pensée. Elle permet de s’immerger.
simple, est, tous comptes faits, assez déterminer ses préférences, ses attiran- Chacun a ses raisons : s’évader du
réduit. Une fois listées les indications ces, tout comme ses rejets ou ses dou- quotidien, se créer des endroits de
de valeur, de hauteur, de nuance et tes. C’est de notre bibliothèque per- calme ou, a contrario, des déversoirs
autres consignes essentielles mais sonnelle que nous extrayons les élé- de tous les stress et frustrations…
d’ordre métrique, que reste t’il à ments fondateurs de notre goût et de Ces mondes, pour se créer, pour
notre chef pour alimenter les deux notre sens critique. Au risque de nous s’ouvrir, ont besoin de clés, de cartes
ou trois heures de répétition hebdo- répéter, nous rappelons que le chef est pour trouver les chemins cachés, mais
madaire ? À coup sûr, les indications la personne ‘avisée’, c’est-à-dire ayant si enrichissants. Ces clés, ces cartes,
annexes, celles qui sont du domaine un avis sur la partition qu’il pose sur peuvent être les mots sortis de l’ima-
du senti, de l’émotion. Les con furio- le pupitre. A lui de trouver les élé- gination du chef ; encore faut il la cul-
so, les dolce et autre cantabile amo- ments, les mots et les arguments pour tiver, cette imagination !

26 /le journal de la cmf / n°531 août 2007


Apporter aux autres, a toujours besoin qu’on lui donne piano ! (crié ffff !)… trop haut !… ça
matière à brûler, qu’elle transformera presse !… bémol !... croche !... anicro-
partager
en énergie nouvelle. che ? ».
Nous n’avons pas voulu, dans ces
Loin d’un art solitaire, si l’on quelques lignes, dire ce qu’il ‘faut’
excepte la ‘page blanche’ du compo- En guise de conclusion provisoire savoir. C’est à chacun de se créer son
siteur, la musique est lieu de rencon- univers culturel qu’il mettra à la dispo-
« La culture :
tre, de partage et d’échange. Endroit apprentissage ou état d’esprit ? » sition des autres et qui sera l’essence
où chacun peut à la fois puiser et de sa mission.
apporter. Elle justifie surtout une ouverture Ce que nous pouvons simplement
Unique en ce sens, elle est d’autant d’esprit. Elle offre des références, des dire, c’est qu’une musique qui ne serait
plus exigeante qu’elle est boulimique, exemples extraits de la musique, de la pas reliée à tout ce qui l’entoure, de
insatiable de nourriture spirituelle et vie ! Elle enrichit ! Elle permet de l’abstrait au concret, du senti à l’intel-
humaine. mener une carrière de chef avec d’au- lectualisé, du rigide au mobile ou de
Une sorte d’ogre sans fond qui, tel tres vocables éculés que les tradition- l’animal à l’humain… serait bien fade.
le Phénix, pour renaitre de ses cendres, nels : « dièse !… triolet !… attention –

Bibliographie non exhaustive


- Dictionnaire des musiciens, de Raoul De Candé, éd. Seuil - Le chef d’orchestre, théorie de son art, de Berlioz, Les revues
- Histoire universelle de la musique, de Raoul De Candé, éd. éd. Actes sud - L’Education musicale
Seuil - Dictionnaire de la musique vocale, de Marc Honegger et - Analyse musicale
- Panorama de l’art musical contemporain, de Claude Samuel, P. Prévost - Diapason
éd. Gallimard - Penser la musique d’aujourd’hui, de Boulez - La Lettre du musicien
- Précis de musicologie, de Jacques Chailley, éd. PUF - Pour comprendre la musique d’aujourd’hui, d’Henri Barraud - Les fiches de lecture très intéressantes et enrichissantes de
- Guide illustré de la musique, en 2 volumes, de Ulrich - Les collections de Marc Honegger, éd. Bordas Frédéric Robert et Francis Pieters dans le Journal de la CMF.
Michels, éd. Fayard - Les titres de la collection “Avant-scène”
- Tous les “guides des indispensables”, éd. Fayard - Les titres de la collection “Que sais-je?”, éd. PUF Les lieux mythiques de consultation
- Le style et l’idée, d’Arnold Schonberg, éd. Bushet Chastel - Ecrits, articles, témoignages, correspondances de :
- Les chemins vers la nouvelle musique, d’Anton Webern Arbeau, Mersenne, Rameau, Les encyclopédistes, - la BNF
- La rose de la musique, en 2 tomes, éd. Larousse Quantz, Stendhal, Balzac, Berlioz, Monsieur Croche, - la Médiathèque de la Cité de la musique
- Jazz mode d’emploi, en 2 volumes, de Philippe Baudoin Dukas, Tardieu, G.Duhamel, Rosen, - Les musées de la musique de Paris et de Bruxelles.
- Traité des objets musicaux, de Pierre Schaeffer Stravinsky, Chopin, etc.

Paroles de chef...

D
Carlo Maria Giulini (1914 - 2005)

“ epuis longtemps, j’ai sa propre manière de diriger,


acquis la certitude alors que la volonté de tous les
que la direction chefs doit être identique, c’est-à-
d’orchestre ne repose pas seule- dire rechercher constamment la
ment sur la qualité technique. Il perfection…
faut aussi comprendre l’âme et le Quant à la gestique, elle ne doit
cœur de ceux qui ont écrit tant pas consister à effectuer des mou-
de chefs d’œuvre. Interpréter,
Performing Arts Library

vements parfois désordonnés : elle


c’est un acte d’amour. doit s’appliquer à transmettre ses
Au-delà du travail purement sentiments, sa passion. Un chef
matériel, il s’agit de reproduire la doit être capable de s’identifier
spiritualité de l’œuvre et de aux vues du compositeur.
prendre possession de ce qui a été conçu par le N’oublions jamais que les grands compositeurs
compositeur. nous ont légué des œuvres qui appartiennent au
On m’a souvent demandé comment on donnait patrimoine de l’humanité. On ne peut les aborder
vie à l’abstraction des notes. Étudier une sympho- sans faire preuve de respect qui leur est dû.
nie de Brahms ou de Bruckner est un travail aussi Comme je l’ai déjà dit, la musique est un acte
vaste et ardu que l’analyse d’une peinture de d’amour ”.
Raphaël ou de Léonard de Vinci… Carlo Maria Giulini
Le chef est le seul musicien qui fasse jouer de la
musique sans instrument. Or chaque maestro a Extrait de La symphonie des chefs, Robert Parienté, Éditions de La Martinière.

le journal de la cmf / n°531 août 2007/ 27

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