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Moustafa MAHMOUD

DU DOUTE
À LA FOI

traduit de l’arabe
par Marc CHARTIER

Nouvelle édition revue et corrigée, publiée sur :


http://tarjama.over-blog.com/
Avertissement du traducteur

J'ai traduit de l'arabe cet ouvrage « Min al-Shakk ilâ-l-imân » de Moustafa Mahmoud
dans les années 70, alors que je me trouvais au Caire. L'occasion m'était donc offerte de
rencontrer très souvent l'auteur.
Cette traduction française de l'ouvrage a fait l'objet alors d'une première édition (Dar al-
Shorouk, Beyrouth) qui comportait malheureusement quelques "coquilles" qu'il m'a été
impossible de rectifier.
A mon insu, une nouvelle édition a vu le jour (éditions Assalam, Paris, 2003). Elle
reprenait souvent les mêmes erreurs et parfois en introduisait d'autres.
C'est pour apporter tous les rectificatifs nécessaires, et par respect en premier lieu de
l'auteur, que je publie ici (http://tarjama.over-blog.com) la seule traduction fiable.

Saint-Leu-la-Forêt, le 13 septembre 2006

Marc Chartier
Préface

« L’itinéraire spirituel d’un musulman contemporain »

Tel le pèlerin de la vérité qui, au terme de multiples tâtonnements, est finalement parvenu
au havre de paix auquel il aspirait de tout son être, Moustafa Mahmoud feuillette ici, sous
nos yeux, le livre de son passé. Page après page, chapitre après chapitre, nous apparaissent
moments de doute et espaces de lumière, écueils et points de repère. Peu à peu, sous la
lumière crue de la certitude enfin perçue, les embûches du chemin prennent tout leur relief,
là même où les pas du chercheur s’étaient auparavant fourvoyés.
Tel l’aveugle qui recouvre la vue, l’auteur du présent ouvrage ne peut s’empêcher de
témoigner. Comment se taire en effet quand on a connu l’amertume du doute et des ténèbres
et que l’on sait à quel prix il en coûte de trouver l’issue ?
C’est précisément le caractère biographique de ces pages qui, à notre avis, les exempte
d’un ton pédant ou doctrinal qui aurait pu rendre pénible leur lecture. Leur style même n’a
rien de recherché. Les phrases se succèdent, entrecoupées de nombreux silences, parfois
inachevées, ne servant que de support à une méditation qui se poursuit. Constamment, nous
y sentons un auteur qui réagit avec toutes les fibres de sa personne et qui n’a de cesse de
partager son expérience, son inlassable quête de la vérité.
La réalité spirituelle de l’homme, empreinte de la marque divine, est le message premier
et fondamental adressé par le Créateur à l’espèce humaine. Tous les autres messages en sont
de simples rappels. D’où cette affirmation on ne peut plus explicite : « L’homme doté d’une
saine raison n’a pas besoin de lire le Livre saint pour découvrir qu’il a un esprit, qu’une vie
l’attend après la mort et qu’il y aura une reddition des comptes. Car la nature innée et saine
éclaire, pour celui qui la possède, le chemin vers la vérité. »
C’est pourquoi les moments de silence, d’introspection et de recueillement prennent chez
Moustafa Mahmoud une telle importance. Il ira même jusqu’à affirmer : « L’homme naît
seul et meurt seul ; il parvient seul au vrai. »
« Nature innée » : cette expression (il s’agit en fait d’un seul terme – fitra – dans le
Coran) est fréquente sous la plume de l’auteur. Elle signifie la nature telle que Dieu l’a
créée, non altérée et ne connaissant pas le mal. Tel qu’issu de la création divine, l’homme
est comme greffé naturellement sur le bien et le vrai ; il est apte à une « spontanéité de
connaissance », échappant à l’illusion et à l’erreur, à condition que son intelligence ne soit
pas souillée par les circonlocutions de la logique et les distorsions de la raison, mais qu’elle
fasse place à la "clair-voyance" (al-basîra, que nous traduisons avec emploi du tiret pour
souligner le sens étymologique cher à l’auteur).
La démarche de Moustafa Mahmoud est à la fois celle d’un scientifique (qui relativise la
portée philosophique de la science) et d’un mystique (qui ne se veut tributaire d’aucune
"école"). Sans doute serait-il plus exact de parler ici d’un humanisme éclairé, dont la portée
universaliste n’échappera pas au lecteur.
Dieu

Il y a longtemps de cela. Je ne me souviens plus quand exactement… Je devais avoir


treize ou quatorze ans, peut-être moins, avec l’apparition des premiers symptômes de
l’adolescence, lorsque je commençai à questionner :
Vous affirmez que Dieu a créé le monde parce que toute créature nécessite un Créateur ;
tout objet fabriqué, un artisan ; toute existence une cause. Nous avons cru et fait confiance.
Mais dites-moi donc ! Qui a créé Dieu ? Ou bien est-Il la cause de sa propre existence ?
Mais si Dieu existe par Lui-même, s’il est vrai que les choses se sont passées telles que vous
les décrivez, pourquoi ne serait-il pas vrai également que le monde est apparu
spontanément ? Pas besoin de Créateur alors, et c’en est fini du dilemme !
À ces mots, les visages blêmissaient autour de moi ; les langues se déliaient, déversant sur
moi leur flot d’injures, accompagné de quelques bonnes paires de gifles. Les cœurs pieux
imploraient sur moi le pardon divin et le Droit Chemin. Les bien-pensants me fuyaient et les
révoltés m’entouraient. Nous nous lancions dans une discussion interminable qui ne cessait
que pour repartir à nouveau, indéfiniment.
La vérité première m’échappait alors, masquée par le débat. La fierté que j’éprouvais
devant les premiers éveils de ma raison, mon émerveillement devant toute parole dite avec
talent, l’argumentation où j’étais sans pareil, voilà ce qui me stimulait et m’encourageait.
Voilà ce par quoi j’étais guidé, et non point la recherche et la découverte de la vérité.
Accaparé par le culte de moi-même, je refusais d’honorer Dieu. J’étais ébloui par la
lumière qui commençait à briller en ma pensée avec l’éveil de ma conscience au sortir du
berceau de l’enfance.
Tel était mon état d’âme par-delà la joute oratoire qui se répétait chaque jour.
Les fondements de la logique m’échappaient eux aussi, alors même que je parlais de
logique. Je ne me rendais pas compte que je me contredisais moi-même. J’admettais en effet
l’existence du Créateur, avant de demander : « Mais qui a créé le Créateur ? » J’en faisais
une créature alors que je l’appelais Créateur. C’était l’exemple même du sophisme.
Affirmer une Cause Première de l’être implique que cette Cause soit un Être nécessaire en
lui-même, qui ne dépende ni n’ait besoin d’aucune autre cause pour exister. Affirmer qu’une
cause a besoin d’une autre cause, c’est n’en faire qu’un maillon dans l’enchaînement causal,
non pas une Cause Première.
Telles sont les données philosophiques du problème qui amenèrent Aristote à affirmer
l’existence d’une Cause Première, du Premier Moteur de l’être.
Mais ces données n’étaient pas claires dans mon esprit à l’époque.
Je ne savais pas encore qui était Aristote, ni quels étaient les fondements de la logique et
de la dialectique.
J’ai dû, trente années durant, me plonger dans les livres. J’ai eu besoin de milliers de nuits
de solitude, de méditation, de dialogue avec moi-même. J’ai eu besoin de revenir et revenir
sans cesse sur mes réflexions, puis de retourner ma pensée sous tous ses aspects pour
parcourir le chemin épineux qui m’a conduit de mes ouvrages Dieu et l’Homme, L’Énigme
de la Vie et L’Énigme de la Mort jusqu’à ces mots que j’écris aujourd’hui sur le sentier de la
certitude.
Cela, certes, n’a pas été facile. Mais je n’ai pas voulu de solution de facilité.
Si j’avais écouté la voix de la nature et laissé la spontanéité me conduire, je me serais
épargné la peine du débat, et la nature m’aurait conduit vers Dieu. Mais je suis venu en un
temps où tout est devenu complexe et où la voix de la nature s’est atténuée jusqu’à devenir
un simple murmure ; un temps où la voix de la raison s’est élevée au point de devenir
obstination, illusion et confiance absolue en elle-même. La raison, certes, est excusable de
ses excès, car elle se voit au sommet d’une gigantesque pyramide de performances. Elle
constate que c’est elle qui a apporté à la civilisation l’industrie, l’électricité, les fusées, les
avions et les sous-marins ; elle qui a exploré terres, mers et profondeurs marines, au point de
s’imaginer être toute-puissante et explorer tous les champs du savoir. Elle s’est érigée en
juge de ce qu’elle savait et de ce qu’elle ne savait pas.

Tout jeune encore, je me réfugiai dans la bibliothèque de Tantâ pour y lire Shiblî
Shumayyîl et Salâma Moussâ. J’y fis aussi la connaissance de Freud et de Darwin.
Puis je me passionnai de chimie, de sciences naturelles et de biologie. J’avais dans ma
chambre un petit laboratoire où je préparais du gaz carbonique et de l’anhydride sulfureux ;
je tuais des criquets avec du chlore et disséquais des grenouilles.
Le slogan qui s’était emparé du monde était : la science, la science, la science ! Rien que
la science !
Le positivisme était la voie à suivre.
Fi des mystères ! Cessons de brûler l’encens et de débiter nos fables ! Qui nous donnera
des chars et des avions en échange de nos religions et de nos cultes ? Les nouvelles
scientifiques qui nous parvenaient d’Occident nous éblouissaient et miroitaient à nos yeux.
Nous empruntions tout à l’Occident : livres, remèdes, vêtements, tissus, locomotives,
automobiles… Même les boîtes de conserves, les crayons, les épingles et les aiguilles !
Même les programmes d’enseignement et les schèmes de composition littéraire pour la
nouvelle, le théâtre et le roman ! Même le papier journal !
Nous modelions nos rêves et nos idéaux sur les héros et génies de l’Occident : Pasteur,
Marconi, Röntgen, Edison, Napoléon, Abraham Lincoln, Christophe Colomb et Magellan.
L’Occident représentait le progrès.
Et l’Orient arabe, le sous-développement, l’anémie, la torpeur et l’humiliation sous la
botte du colonialisme.
Il était donc naturel pour nous de nous représenter l’Occident comme la lumière et la
vérité, le chemin vers la puissance et le salut.
Je suis entré en faculté de médecine pour y recevoir un enseignement dispensé en anglais.
J’ai étudié l’anatomie dans des manuels en anglais. Avec mes professeurs à l’hôpital, je
parlais anglais, non pas parce que l’Angleterre occupait le Canal de Suez, mais pour une
autre raison logique et normale, à savoir que la médecine moderne était une science
purement occidentale. Ce que les Arabes avaient découvert en ce domaine au temps
d’Avicenne ne représentait que de simples rudiments qui n’étaient plus adaptés aux besoins
du siècle.
Les savants occidentaux prirent le relais là où s’étaient arrêtés Avicenne et les chercheurs
arabes. Puis ils empruntèrent la voie tracée, avec des moyens plus développés, des
laboratoires, des centres de recherche, à grand renfort de subventions destinées à cette
recherche. Ils devancèrent alors leurs prédécesseurs arabes, perses ou autres et bâtirent
l’imposant édifice de la médecine moderne, de la physiologie, de l’anatomie et de la
pathologie. Ce sont eux qui se mirent à faire autorité et ce, à juste titre.
Avec ce que m’enseignèrent les livres de médecine, j’appris aussi la vision scientifique
des choses : point de jugement valable qui ne soit basé sur l’observation du réel et le
témoignage des sens.
La science part du sensible, du visible, du tangible. Elle recueille des observations et en
déduit des lois.
Ce qui ne tombe pas sous les sens est considéré, au regard de la science, comme non-
existant.
Aucune mention du mystère !
C’est avec cette tournure d’esprit scientifique et purement matérialiste que je commençai
mon cheminement dans l’univers de la croyance. Malgré mes assises matérialistes et un
point de départ dans le sensible qui refuse tout mystère, je ne pus nier ou éliminer la Toute-
Puissance divine.
La science m’offrait de l’univers une image extrêmement exacte et précise : en toute
chose, de la moindre feuille d’arbre à l’aile du papillon et au grain de sable, il n’y a
qu’équilibre, ordre et beauté.
L’univers en son entier est construit selon une harmonie et des lois précises.
Tout se meut en respectant un plan, de l’infiniment petit à l’infiniment grand, du système
solaire à la galaxie fabuleuse qui comprend un milliard de soleils, ou même à l’immensité
céleste qui, selon les dires des astronomes, englobe plus d’un milliard de galaxies.
Cette existence infinie, du plus infime électron au plus grand corps céleste, je la voyais
davantage comme une symphonie mélodieuse exécutée avec précision et mesure en chacun
de ses mouvements, comme le corps entier qu’anime l’esprit.
Parvenu à ce point, je me représentai Dieu comme l’Énergie cachée au sein de l’univers,
animant êtres et vivants, terres et cieux, avec ordre et beauté. Il était le Mouvement que la
science avait découvert dans l’atome, le protoplasme et les astres. Il était l’Énergie créatrice
cachée au cœur de toute chose ou bien, selon l’expression de Thomas d’Aquin, l’Acte Pur
qui a évolué dans le microbe jusqu’à ce qu’apparût l’homme. Son évolution était constante
et se poursuivrait, indéfiniment.
Pour moi, l’être était illimité et infini. Il ne pouvait en effet être limité que par le néant.
Or, le néant étant du non-être, il était logique et incontournable que l’être fût sans limites et
sans fin.
Il était faux en outre de se demander qui a créé l’univers. Une telle question impliquait
que l’univers n’existait pas au commencement et qu’ensuite, il fut. Mais comment le néant
pouvait-il "être" ?
Le néant étant du non-être dans le temps et l’espace, un pur lapsus, il était absurde
d’affirmer qu’il fût.
Ainsi, je fis de l’être un événement au passé éternel, éternellement durable… un
événement épars à travers le temps, sans limites et sans fin.
Par voie de conséquence, Dieu était le Tout dont nous étions les manifestations. Il était
l’Être, et le néant avant Lui était du non-être. Il était l’être matériel étendu aux dimensions
de l’éternité, sans commencement ni fin.
De cette façon, je m’élaborai une théorie qui se satisfaisait de ce qui existait et qui voyait
en Dieu l’Être suprême, sans nécessité aucune de mystère ni de mystérieux, sans nul besoin
d’avoir recours à l’invisible.
Je tombai par là dans les pièges de la théorie indienne de l’unicité de l’être, de la
philosophie spinoziste et de l’idée bergsonienne d’Énergie vitale cachée, autant de
philosophies qui partent du concret, des cinq sens, et ne font nulle place au mystère.
La théorie indienne de l’unicité de l’être va plus loin encore, car elle abolit tout dualisme
entre créé et Créateur, toutes les créatures étant en effet, selon elle, des manifestations du
Créateur.
On trouve dans le livre des Upanishad une antique prière hindoue qui expose cette
conception en des vers d’une délicate poésie. Le dieu Brahma, qui réside au cœur du monde,
s’exprime en un murmure :
Si le meurtrier pense que c’est lui qui tue,
Si celui qui est tué pense qu’il est la victime,
Tous les deux ne savent pas mes manières cachées.
Car je suis le cœur de la victime,
Et l’arme de l’assassin,
Et l’aile de celui qui vole.
Je suis, pour qui doute de mon existence,
Toute chose, le doute même.
Je suis l’Un.
Je suis toutes choses.
C’est un dieu qui ressemble à la blanche lumière. Elle est une, simple. Et pourtant, elle
recèle en elle toutes les couleurs du spectre.
J’ai vécu des années, pris dans cette brume indienne et cette marijuana mystique. J’ai
pratiqué le yoga, me référant à ses sources et me mettant à l’école de maîtres indiens. Puis
j’ai fait mienne pendant longtemps la théorie de la métempsycose. Certains de mes romans,
comme L’Araignée et La Sortie du Tombeau, en sont le reflet.
Et pourtant, je commençai à ressentir un certain malaise et de l’insatisfaction.
Je reconnaissais en mon for intérieur que cette idée que j’avais de Dieu était très confuse.
Une fois encore, il revint à la science d’être mon guide, mon sauveur, mon conseiller.
L’attention que je portais à la science et à la vie que je découvrais sous le microscope
m’apprit autre chose.
La théorie indienne de l’unicité de l’être était, certes, une belle façon de s’exprimer,
poétique et mystique, mais elle n’était pas vraie. La vérité péremptoire qu’affirmait la
science est qu’il y a une unité de matière première, sans plus, une unité dans le tissu
cellulaire, dans les principes premiers et les lois, une unité de matériau à partir duquel tout
est construit. Toute vie, en effet, qu’il s’agisse des plantes, de l’animal ou de l’être humain,
émane des différentes combinaisons du carbone avec l’hydrogène et l’oxygène. C’est
pourquoi tout être vivant est réduit à l’état de charbon lorsqu’il est consumé par le feu. De
quelque espèce qu’elle soit, la vie résulte d’une cellule unique et de ses multiplications.
Nous apprenons en outre par l’astronomie, la chimie et les sciences nucléaires que le
carbone et l’ensemble des éléments proviennent de la cuisson d’un élément unique au creux
de gigantesques fourneaux stellaires, à savoir l’hydrogène.
L’hydrogène s’y transforme en hélium, carbone, silicium, cobalt, nickel, fer… et ainsi de
suite jusqu’au bout de la liste des éléments, et cela par scission et nouvelle synthèse, à des
degrés extrêmes de chaleur et de pression.
Toutes les catégories d’êtres sont ainsi ramenées à une matière brute unique, à un même
fil de soie dont l’univers est tissé selon des détails, dessins et modèles différents.
La différence entre espèces, entre une créature et une autre, est une différence de rapports
qualitatifs et quantitatifs. C’est une question d’équation et de numéro de fabrication. Mais le
matériau est identique.
D’où le secret du sentiment de relation, de proximité, d’affinité et de lien du sang entre
l’homme et l’animal, entre le fauve et son dompteur, entre le nez qui hume et la fleur
odoriférante, entre l’œil et le spectacle d’un beau coucher de soleil.
Tel est le secret de l’harmonie.
Tous les êtres sont membres d’une même famille et proviennent d’un père commun.
Mais cela ne nous permet absolument pas de conclure que Dieu "est" l’être créé. C’est
toute la confusion qu’ont commise les mystiques.
Il en serait de même d’un critique d’art au goût très raffiné qui, visitant une exposition de
peinture, remarquerait une unité entre tous les tableaux : même matière, même mariage des
couleurs, voire même style. La conclusion va de soi, elle est évidente : notre critique va
penser que tous les tableaux sont du même auteur, Picasso par exemple, Chagall ou
Modigliani…
L’unité reliant tous les êtres signifie qu’ils ont un Créateur unique. Mais elle ne signifie
en rien qu’ils soient eux-mêmes le Créateur.
Le critique n’affirmera jamais que les tableaux "sont" l’artiste peintre.
La théorie indienne de l’unicité de l’être est une escapade mystique, une affabulation.
C’est une simplification purement subjective qui n’est pas corroborée par la science ni ne
satisfait la raison.
Le regard scientifique et réfléchi porté sur les phénomènes de la création et les êtres créés
affirme qu’il y a une unité entre eux, sans plus. Une unité de style, de lois et de matériaux,
preuve manifeste que leur Créateur est unique et sans associé, qu’Il n’a pas permis d’autre
style que le sien.
Il nous dit que ce Créateur est une Intelligence totale et universelle qui inspire ses
créatures, les guide tout au long de leur évolution et les arme de moyens pour vivre. C’est
Lui qui crée des ailes aux graines des arbres désertiques pour qu’elles puissent franchir les
étendues arides en quête d’eau et de conditions de germination favorables.
C’est lui qui munit l’œuf de la femelle du moustique de deux pochettes d’air pour lui
permettre de flotter à la surface de l’eau au moment de la ponte, sans être englouti par les
flots.
Il est impossible que le moustique fasse appel à une quelconque connaissance du principe
d’Archimède ! Il y a donc une intervention de l’Intelligence totale, universelle et créatrice.
C’est elle qui fournit à toute créature ses moyens de survie. Cette Intelligence est celle d’un
Créateur qui transcende ses créatures. Il sait ce qu’elles ignorent ; Il peut ce dont elles sont
incapables ; Il voit ce qui est caché à leur regard.
Il est unique, Un, Tout-Puissant, Savant, Omniscient, Sagace. Il entend et voit tout…
Transcendant, Il reçoit des attributs sans être circonscrit par aucun d’eux.

Un lien permanent relie le Créateur à ses créatures, car Il leur est plus proche encore que
le sang circulant dans leurs veines.
Il est le Maître qui a inventé la symphonie grandiose de l’univers.
Il est la Justice qui préside aux lois de l’univers et qui instaure celui-ci selon un ordre
précis et infaillible.
Voilà ce que la science m’appris : une perception vraie de Dieu.
Quant à affirmer l’éternité de l’être par le fait que le néant soit du non-être et que l’être
existe, il n’y a là qu’une argutie purement verbale.
Le néant, en vérité, n’est pas du non-être.
Le simple fait de se représenter et de penser le néant nie qu’il soit du non-être.
Le néant est tout au plus une négation de ce que nous savons, mais il n’est pas une
négation absolue qui équivaudrait à faire table rase. La notion de néant absolu est une
simple hypothèse, tout comme le zéro mathématique. On ne peut impunément confondre
hypothèse et réalité et appliquer à la réalité une pure conjecture qui nous amènerait, par une
sorte d’aberration, à qualifier le néant de non-être et à voir en ce mot une question
existentielle à partir de laquelle nous élaborerions nos jugements sur la réalité. C’est là une
contradiction évidente et un sophisme.
Il en est de même si nous affirmons que l’être "existe". La confusion est la même, car
l’être est une abstraction et "exister" se dit d’une réalité sensible.
Les mots "néant" et "être" sont des notions abstraites comme le zéro et l’infini. On ne
peut les confondre avec la réalité tangible et visible ou l’univers qui s’offre concrètement
aux sens.
L’univers n’est donc pas éternel. Il a été créé. Il a eu un commencement. Une autre
preuve nous est fournie par la science, par ce que nous savons sous le nom de "deuxième loi
de thermodynamique".
Cette loi affirme que la chaleur se propage du chaud vers le froid, de la chaleur la plus
élevée vers la plus basse, jusqu’à égalité de température et arrêt du transfert de chaleur.
Si l’univers était éternel, s’il n’avait pas connu de début, l’échange de chaleur se serait
arrêté irrémédiablement, de toute éternité. Toute forme de vie aurait été impossible. Les
étoiles se seraient refroidies et auraient atteint la température de la glace, au milieu d’une
totale désolation. Toute chose aurait vu sa fin.
Cette loi prouve donc que l’univers a eu un commencement.
Dans la mutation mineure que nous voyons à l’œuvre dans la mort des civilisations, des
individus, des étoiles, des animaux et des plantes, ainsi que dans la finitude des instants, des
périodes et des époques, il y a un autre indice de la grande mutation vers laquelle
s’achemine inéluctablement l’univers.
La science, dans ce qu’elle a de vrai, n’a jamais contredit la religion. Bien au contraire !
Elle y réfère et en confirme les affirmations.
Pour moitié seulement, la science met la raison dans l’incertitude et le doute,
spécialement si cette raison est infatuée d’elle-même en se fiant à son rationalisme, si le
combat est à mener à une époque où elle s’imagine être tout, si l’homme baigne dans un
progrès matériel criard où domine le vacarme des avions, des vaisseaux spatiaux et des
satellites artificiels qui clament à tout instant :
Je suis la matière !
Je suis toute chose !
Le Corps

Nous provenons tous d’une souche commune, d’une même matière première.
Et pourtant, chacun d’entre nous a son individualité propre.
La différence entre créatures ne tient pas uniquement au nombre d’atomes. Il est une
différence plus grande encore, plus complexe aussi, dans les relations entre ces atomes et
dans la modalité du lien qui les unit.
Nous savons aujourd’hui, par l’agencement des gènes dans la cellule initiale, que
l’équation chimique de tous les embryons humains est établie à partir de vingt
configurations de protides ADN et ARN, de la même manière que tous les livres et écrits
sont composés des lettres de l’alphabet. Chaque livre a son esprit, sa personnalité et sa
spécificité propres, comme s’il s’agissait d’une création unique en son genre. Et pourtant,
tous les livres sont bien composés des mêmes lettres.
Cette singularité atteint un degré tel que chaque être humain a des empreintes digitales
particulières. Impossible d’en trouver qui soient identiques, y compris entre jumeaux, parmi
les millions et milliards d’individus qui ont vu le jour des origines du monde à aujourd’hui.
Nous savons en outre que chaque corps a un nombre chimique qui lui est propre, de telle
sorte qu’il semble difficile, voire impossible, d’opérer sur un corps une greffe à partir d’un
autre corps. Le rejet du greffon ne tarde pas à se produire, comme s’il s’agissait d’un
microbe, d’un corps étranger ou d’un parasite.
D’où la difficulté majeure des opérations de greffe et de transplantation d’organes.
La durée de vie maxima d’un cœur transplanté a été [dans les années 80] de vingt mois.
Et encore, grâce à l’administration continuelle d’injections et de cachets anesthésiques pour
empêcher le corps de rejeter l’organe étranger.
Nous en concluons que l’individualité est une réalité primordiale attestée par la science.
Je n’y prêtai pas attention au début de mon parcours intellectuel. Pour moi, la réalité
fondamentale et durable était la société et non la personne ; l’homme, et non tel homme ; la
vie, et non les vivants ; l’existence, et non les êtres ; le tout, et non les individus.
Je subissais là l’influence de la théorie indienne de l’unicité de l’être selon laquelle l’être
est Dieu, le Subsistant face à tous les êtres qui sont, eux, maya, c’est-à-dire rêve éphémère.
Tout individu chemine ainsi vers son anéantissement ne débouchant sur aucune résurrection.
Je croyais que la survie de l’individu était à la mesure des conseils, de l’éducation, du savoir
et des connaissances qu’il léguait à ses enfants.
Quant à lui-même, il finissait irrémédiablement en poussière.
Notre lot d’éternité consistait dans la quote-part que nous ajoutions au Grand Tout.
Mais notre personne et notre individualité n’avaient d’autre issue que le néant.
Et qu’est-ce que la personnalité ?
Au début, je n’y voyais qu’un ensemble de réactions à des situations momentanées, au
gré des circonstances. Une fois ces dernières disparues avec le temps, il ne restait plus rien
de ladite personnalité. Elle disparaissait en se désintégrant par suite de la destruction des
fibres du cerveau.
Le système nerveux étant usé et la mort ayant fait son œuvre, le Moi qui leur est rattaché
devait lui aussi s’évanouir.
Je croyais que la personnalité n’était autre que l’émergence de qualités déterminées sous
l’influx d’expériences vitales ou de réflexes nerveux, certaines étant héritées sous forme
d’instincts, d’autres acquises par voie d’expériences concrètes enregistrées par le cerveau et
imprimées dans la mémoire. Lorsque le cerveau avait cessé de fonctionner et que les
cellules de la mémoire s’étaient décomposées, il n’y avait plus lieu de supposer une survie
spirituelle à cet agencement purement matériel.
Cette compréhension matérialiste et superficielle fut ma première représentation de
l’homme. Je pensais aussi que la personnalité n’était pas une, mais plutôt un flot
ininterrompu de personnalités. Ma personnalité à l’âge de dix ans était différente de celle de
mes vingt ou trente ans. Je pensais qu’à chaque instant, quelque chose s’ajoutait à mon âme
et quelque chose s’en retranchait. Alors ? De ces différentes âmes, laquelle devait ressusciter
? Laquelle serait jugée ?
Quant aux personnes frappées de dédoublement de la personnalité, qui des deux
connaîtrait l’Autre Monde : le Dr Jekyll… ou Mr Hyde ?
À force de jouer sur les mots, j’en vins à oublier une vérité première élémentaire : quand
on réédite un livre, on ne réimprime pas uniquement une page ou un chapitre ; c’est le livre
en son entier, avec tous ses composants, qui est réédité.
Ainsi en est-il de l’esprit. Il ressuscite comme un tout, tel une pousse jaillissant des
profondeurs cachées de la terre, chargée de toutes ses promesses de branches, de feuilles et
de fruits.
Mais la vision matérialiste, qui est portée à l’analyse et à la dissection, avait
continuellement le dessus, au détriment d’une vision globale de la réalité.
J’imaginais pouvoir comprendre l’esprit en disséquant le corps, vu qu’il n’y avait pas de
différence entre les deux. Point de différence non plus entre la raison et le cerveau. La
personnalité, selon moi, était faite de réactions et d’un ensemble d’actes réflexes. Le
sentiment était, en fin de compte, un appétit corporel.
Prenons maintenant le temps de nous demander s’il est vrai que l’âme se définit
uniquement par les instincts charnels, notamment sexuels. N’est-elle qu’un magma de
perceptions par lesquelles le corps connaîtrait ce dont il a besoin ?
Le prétendre reviendrait à s’exposer à une explication matérialiste intenable, car telle
n’est pas la réalité de l’âme et de l’homme. Je renvoie ici aux pages de mes livres sur
l’énigme de la mort et l’énigme de la vie où j’ai développé en détail ce sujet.
L’homme sacrifie sa bouchée de pain, sa demeure et son confort à des buts et des idéaux
on ne peut plus abstraits comme la justice, la vérité, le bien, la liberté… Où sont ici les
appétits charnels et sexuels ? Et le soldat qui se sacrifie en plein combat pour un lendemain
qui n’est pas encore venu, où trouve-t-il sa place dans une vision matérialiste ? C’est une
preuve manifeste que l’âme et le Moi sont des réalités bien supérieures au corps, et non un
complexe de besoins physiques qui se reflèteraient en un miroir intérieur.
Cette étonnante volonté qui dompte et sacrifie le corps est, de par sa nature, une réalité
supérieure. Elle commande au corps et le contrôle. Elle n’en est pas un appendice.
Si me m’identifie à mon corps, comment m’est-il alors possible de le dominer et le
soumettre ?
Si je m’identifie à la faim que je ressens, comment puis-je la dompter ?
Le simple contrôle intérieur exercé sur l’ensemble des membres du corps et sur chacun
des instincts prouve à l’évidence l’existence de la réalité supérieure et transcendante dont se
compose le Moi humain.
Par l’âme, je commande au corps.
Par la raison, je commande à l’âme.
Par la "clair-voyance", je pose des limites à la raison.
Cette hiérarchie est une preuve flagrante de l’existence de l’esprit comme réalité
supérieure au corps. Il le gouverne et n’en est pas une excroissance qui disparaîtrait avec la
mort du corps.
Quiconque prétend que l’homme est un ensemble de fonctions physiologiques se doit de
nous expliquer où va cet homme au moment du sommeil. Nous constatons alors que toutes
les fonctions physiologiques demeurent en activité. Les réflexes et réactions de l’organisme
continuent de fonctionner normalement. Le cœur bat, la respiration est régulière, les glandes
sécrètent, les intestins se recroquevillent, les organes génitaux sont en état d’excitation et le
bras se contracte à la piqûre de l’épingle. Et pourtant, nous sommes en présence d’un
homme endormi qui ressemble davantage à un arbre, sans plus, et qui est doté d’une vie
élémentaire ne différant pas de celle des insectes. Qu’est-il donc advenu de l’homme ?
Le réveil qui suit le sommeil, image en réduction de la résurrection après la mort, nous
révèle à nouveau cet élément transcendant qui habite le corps endormi. Tout à coup, sans les
préambules d’un Hitler ou d’un Néron, voici le gisant, tel un taureau paisible, qui s’éveille
pour tuer, piller, détruire, exterminer. La différence, certes, est impressionnante et trop
grande pour être expliquée par un changement physiologique quasi instantané.
Les matérialistes soutiennent que l’âme est une réalité objective, et donc qu’elle est
matérielle.
Nous demandons, quant à nous, comment l’âme peut-elle bien être un objet. Et un objet
par rapport à qui ?
Par rapport aux autres ? Et comment ? Les autres ne la voient pas. Ils ne savent pas
qu’elle existe, sinon par déduction à partir des manifestations du comportement extérieur.
La plupart de ces manifestations sont d’ailleurs trompeuses, car chacun de nous joue un
personnage devant autrui et pour lui-même. Il est rare que notre comportement extérieur
traduise ce que nous sommes en vérité.
L’âme serait-elle alors un objet pour celui qui la possède ?
En fait, nous avons tous fait l’expérience que l’âme, une fois prise comme objet, se
momifie et se transforme en cadavre sous le scalpel de l’analyse. Elle se cache et nous ne
pouvons pas la capter. On ne peut la mettre sous un microscope, comme une feuille d’arbre,
car son essence est au premier degré de la subjectivité. Elle est en réalité le revers de
l’image : elle est sujet par rapport au corps-objet. Les deux pôles – sujet et objet – sont les
deux faces de la réalité. Si nous connaissons la matière comme tout ce qui est objectif, il
nous faut reconnaître qu’il y a, dans l’existence, autre chose que la matière, à savoir l’autre
face de la réalité : le Moi sujet.
L’acte de connaissance nous prouve de façon certaine qu’il se compose toujours de deux
éléments : l’objet connu et l’âme connaissante, extérieure à l’objet connu.
Nous ne pourrions connaître le cours du temps s’il n’y avait en nous une partie
connaissante qui s’arrête à un seuil séparé et extérieur au flux temporel continu.
Si notre faculté de connaissance suivait à tout instant les aiguilles des secondes, nous ne
pourrions jamais percevoir celles-ci. Notre perception passerait comme passent les
secondes, à notre insu.
La loi est connue : le mouvement ne peut être observé que de l’extérieur.
Tu ne peux percevoir le mouvement si tu es embarqué toi-même dans sa sphère. Pour ce
faire, tu as besoin de t’arrêter à un seuil extérieur, comme point d’observation. Lorsque tu te
trouves dans l’ascenseur en marche, il est un moment où tu ne sais si l’ascenseur est arrêté
ou s’il est en mouvement, car tu ne fais qu’un avec lui dans son mouvement. Pour le savoir,
il te faut regarder, par la porte de l’ascenseur, le palier qui reste immobile à l’extérieur.
De même, tu ne pourrais observer le soleil si tu te trouvais à sa surface, mais tu le
pourrais à partir de la lune ou de la terre, tout comme tu ne peux observer la terre alors que
tu y habites, mais cela te serait possible à partir de la lune.
Il en est toujours ainsi : on ne peut saisir une situation que si, de l’extérieur, on l’examine
comme un objet.
Puisque tu perçois le cours du temps, il faut donc que ton Moi percepteur soit en dehors
du temps. Conclusion stupéfiante s’il en est ! Elle nous prouve l’existence de l’esprit, du
Moi connaissant, comme une réalité non tributaire du temps : il est en dehors du temps, il le
transcende.
Nous voici donc devant un être humain dont une partie est immergée dans le temps : elle
passe comme le temps ; avec lui, elle croît, vieillit et tombe en décrépitude (c’est le corps).
L’autre partie est en dehors du temps : du seuil d’où elle l’observe, impassible, elle le
perçoit sans être emportée par lui. Pour elle, point de croissance ni de vieillesse ; point de
décrépitude ni d’anéantissement. Le jour où le corps retournera en poussière, elle demeurera
telle qu’elle est, vivant de sa vie propre, intemporelle. À cette partie, nous ne trouvons
d’autre nom que celui que lui ont donné les religions : l’esprit.
Chacun d’entre nous peut sentir en lui cette existence spirituelle qui diffère, dans sa
spécificité, de l’existence extérieure, trépidante et mouvante, qui est emportée par le flot des
mutations environnantes.
Chacun de nous peut sentir en lui un état de présence, de durée, de pleine évidence… un
état où il a conscience de lui-même, de manière permanente et globale, où il se sent différent
de l’être matériel pris dans le changement, l’instabilité et l’agitation du temps extérieur.
Cet état que nous percevons aux moments de lucidité intérieure et que j’ai nommé état de
"présence", c’est la clé qui nous conduit à notre existence spirituelle et qui met à notre
portée cette énigme ayant pour nom : l’esprit, l’absolu, l’abstrait.
Lorsque nous discernons la beauté, la vérité et la justice et que nous les distinguons de la
laideur, de l’erreur et de l’oppression, nous nous servons à chaque fois d’un critère
d’appréciation extrinsèque. Nous évaluons à partir du même seuil, celui de l’esprit. Car
l’existence spirituelle se manifeste aussi en nous par la conscience, le sens du beau et ce
sentiment caché qui discerne le vrai du faux. Elle gît encore dans la liberté intérieure, car
l’esprit est la zone secrète où la conscience opère ses libres choix et met en œuvre son
discernement.
Tant que nous sommes en vie, nous ne prenons pas la mort en considération. Notre
comportement quotidien n’en tient pas compte, car elle est pour nous une absurdité. Ce
faisant, nous pensons et agissons avec ce Moi profond qu’est l’esprit et qui, de par sa nature,
ne connaît pas la mort.
Vue sous l’angle de l’esprit qui vit en dehors des limites temporelles, la mort n’est rien de
plus qu’un changement de vêtement, un simple changement de lieu.
Mais la mort comme réduction au néant, l’esprit ne la connaît pas, car il est toujours et à
jamais dans un état de présence et d’évidence… dans un éternel présent.
L’esprit est la présence perpétuelle qui n’a jamais cessé ni ne cessera jamais. Par la mort,
il ne fera que se dépouiller de son habit corporel terrestre pour revêtir, après un progressif et
continuel dépouillement, les divers vêtements célestes – nous empruntons l’expression aux
mystiques – correspondant aux différents degrés de la pénible ascension vers le Créateur.
Tout esprit gravit ces degrés à la mesure de sa pureté, de sa limpidité et de son habilité à
s’élever, alors que les esprits pesants sombrent vers des ténèbres sans fond pour y passer
l’éternité à tenter de s’en libérer.
Mais laissons les mystiques à leurs visions afin de ne pas nous égarer avec eux dans le
labyrinthe de leur présomption. Mon but, à travers cette étude, n’est pas de franchir
l’obstacle de la mort pour connaître l’au-delà de la mort. Une telle ambition est hors de
notre portée. Ce serait viser l’impossible.
Il me suffit d’inviter le lecteur à s’arrêter un instant pour prendre son âme comme objet de
sa méditation. Il découvrira alors son Moi profond, ce Moi qui commande, ordonne et
transcende le corps terrestre… ce Moi que j’ai appelé "esprit" et dont j’ai tenté de démontrer
l’existence par la plus éloquente des preuves : le sentiment de présence que chacun d’entre
nous découvre en son for intérieur.
Cette présence permanente qui ne saurait disparaître et sur laquelle ne soufflent pas les
vents du changement est comme un œil sans cesse vigilant au fond de nous-mêmes.
Cet éveil intérieur…
Cette lumière invisible en nos âmes, grâce à laquelle nous discernons le chemin de la
vérité et distinguons la laideur de la beauté, le bien du mal…
Ce seuil à partir duquel nous observons le déroulement du temps et en percevons le cours,
à partir duquel nous voyons le cours des choses et leur mouvement…
Ce point à l’intérieur du cercle…
Ce centre autour duquel gravitent nos événements temporels en ce bas monde, tandis
qu’il demeure, lui, immobile et impérissable…
C’est l’esprit, notre réalité absolue qui reste, malgré tout, une énigme.
L’esprit est-il éternel ? Ou bien vit-il dans un temps différent, évalué d’une autre façon…
un temps où les jours seraient de mille ans ?
Quelle est la relation entre l’esprit et le corps ?
Entre la raison et le cerveau ?
Entre la mémoire et le souvenir des connaissances acquises ?
C’est un autre sujet qui requiert une longue explication.
L'Esprit

J’eus l’idée un soir de sonder le tréfonds de ma mémoire et de noter sur une feuille tous
les numéros que je savais : numéros de mon passeport, de mon appartement et de ma carte
d’identité… plaque d’immatriculation de ma voiture… numéros de téléphone des amis, des
collègues, des agences, des journaux… tables de multiplication… additions, soustractions et
divisions que je savais faire mentalement…ma date de naissance et celles de mes enfants…
constantes en mathématiques et en sciences naturelles : constante pi, vitesse de la lumière,
vitesse du son, somme des angles du triangle, degré d’ébullition de l’eau… taux de glucose
dans le sang, nombre des globules rouges et blancs dans le corps, volume sanguin, rapidité
du pouls et de la respiration, doses des remèdes et autres connaissances apprises en faculté
de médecine…
En quelques instants, j’avais sous la main un bon nombre de feuilles avec des centaines
de numéros. Il m’étaient venus à l’esprit les uns à la suite des autres, en un éclair, comme si
j’étais un ordinateur.
Une merveille !
Comment puis-je emmagasiner une quantité aussi impressionnante de numéros, chacun
étant composé de six ou sept chiffres ?
Où se cachent-ils dans les circonvolutions cérébrales ?
Et comment en vient-on à se les rappeler ainsi, à la vitesse d’un éclair ?
De quelle façon ces chiffres s’alignent-ils dans des nombres différents, chacun d’entre
eux comportant une notice explicative pour en donner le sens et la clé ? Comment ces
nombres s’amoncellent-ils par centaines dans la mémoire, sans se confondre ni s’effacer
mutuellement ?
Outre les numéros, il y a les noms, les termes techniques, les mots, les formes, les visages
qui meublent à foison notre tête. Il y a les sites naturels où nous sommes passés, les lieux
que nous avons visités. Il y a les parfums, chacun d’eux étant lié à l’image d’une femme que
nous avons connue ou à une scène dont nous nous souvenons, roman d’amour passionné
nous relatant un scénario aux milliers de prises de vue…
Il y a les saveurs et les arômes. L’eau vous en vient à la bouche ou, au contraire, le dégoût
vous en donne des haut-le-cœur. Chaque saveur déclenche un enregistrement qui vous narre
l’histoire d’un banquet somptueux auquel vous étiez invité, ou bien elle vous remémore ce
remède amer ingurgité au cours d’une longue et pénible maladie qui vous fit atrocement
souffrir.
Même la douce caresse de la brise et l’odeur des coquillages au bord de la mer, la
mémoire les retient. Par le souvenir, nous sentons encore les rafales du vent humide, comme
si c’était maintenant.
Les voix, les murmures, les chuchotements, les cris, les clameurs, le tumulte, les
lamentations, les sanglots…
Un morceau de musique…
Une chanson…
Une gifle reçue…
Le claquement d’un coup de bâton sur le dos…
Un râle de souffrance…
Tout cela, la mémoire le conserve et l’enregistre fidèlement, avec une extrême précision,
sans oublier la notice explicative mentionnant la date, l’occasion, les noms des personnes
présentes, les circonstances et le compte rendu de ce qui fut dit. Un miracle, qui a pour nom
la mémoire !
Nous sommes accompagnés d’un véritable témoin qui inscrit en nous le moindre pas de
fourmi.
Parfois, nous pensons avoir des trous de mémoire, mais nous découvrons qu’en fait, il
n’en est rien. Ce que nous croyions avoir oublié nous réapparaît soudain, en un moment de
relaxation, en rêve, après un verre ou dans le cabinet d’un psychiatre. Ou encore lors d’un
lapsus ou d’une faute de prononciation.
Rien ne s’oublie. Rien ne se perd. Le passé est réellement consigné par écrit. Chaque
instant, chaque battement du cœur…
D’où la grande question, ou plutôt l’énigme embarrassante : où se situent ces souvenirs ?
Où sont ces archives secrètes ?
Savants et philosophes ont tenté de répondre à cette question.
Les philosophes matérialistes prétendent que la mémoire se situe dans le cerveau et
qu’elle n’est rien de plus qu’un ensemble d’altérations électrochimiques survenant dans la
matière cérébrale suite à une réaction nerveuse aux stimuli externes, comme une bande de
magnétophone en cours d’enregistrement. Les bandes enregistrées sont stockées dans le
cerveau ; elles se dévident automatiquement dès que l’on essaie de se souvenir et elles
reproduisent ce qui s’est passé, avec fidélité et précision.
La mémoire devient alors une simple inscription, une gravure sur la matière cellulaire.
Elle est condamnée à se détériorer et à s’effriter, comme une sculpture. Elle prend fin dès
que l’homme meurt et que sont usées ses cellules corporelles.
Opinion confortable et facile, certes, mais qui fit tomber ses adeptes dans une ornière
dont ils ne purent se libérer.
Si la mémoire était purement et simplement un accident survenant dans la matière
cellulaire, il serait inévitable qu’elle subisse les contrecoups de la moindre détérioration
physiologique survenant dans les cellules du cerveau. Le lien de cause à effet serait
inéluctable. Toute déficience dans un champ précis de la mémoire devrait s’accompagner
d’une détérioration des cellules correspondantes. Or il n’en est rien d’après les observations
que l’on peut faire des lésions et maladies cérébrales. Au contraire !
Le centre de la parole peut être atteint et la mémoire des mots, nullement endommagée. Il
se produit alors uniquement une déficience dans l’élocution, dans le fonctionnement des
nerfs moteurs chargés de la parole.
C’est le moteur qui subit des dommages par suite de la détérioration des cellules. Mais la
mémoire et la représentation des mots dans l’esprit restent intactes
C’est une preuve que la fonction du cerveau n’est nullement la mémorisation.
Le cerveau est uniquement un central qui crée la communication. Il est un simple
instrument, in intermédiaire physique grâce auquel le mot s’exprime de manière à devenir
un son audible. C’est ce qu’opère le poste lorsqu’il transforme l’onde radio en vibration
sonore. Lorsque la radio est en panne, cela ne signifie pas que l’onde cesse de se propager
dans les airs. Seul le récepteur est paralysé, mais l’onde reste telle quelle et elle peut être
captée par une autre radio en bon état de marche.
Tel est le cas de la mémoire. Elle est faite de représentations, de pensées et d’images
autonomes qui sont abrités par l’esprit, et non pas dans le cerveau ou une autre partie du
corps. Le cerveau n’est qu’une courroie de transmission de ces représentations pour qu’elles
deviennent des mots prononcés et entendus sous forme sensible.
En cas de lésion du cerveau, l’élocution en porte les conséquences, mais nullement la
mémoire. Cette dernière a le même sort que l’esprit. Elle n’est pas liée aux aléas auxquels
est soumis le corps.
La correspondance entre les deux n’existe absolument pas, ce qui prouve que nous
sommes sur deux plans distincts (le corps et l’esprit), et non au seul plan de la matière.
Il est certains cas d’amnésie où le malade oublie une période déterminée (c’est le thème
favori des cinéastes égyptiens). Ladite période s’efface complètement de la conscience et
disparaît de la mémoire.
Si l’on admettait la théorie matérialiste, on devrait alors découvrir dans le cerveau une
lésion partielle correspondant au laps de temps oublié. Or l’on remarque qu’il s’agit, dans la
majorité des cas, d’une lésion généralisée et non limitée à une seule partie du cerveau.
Une fois encore, nous constatons qu’il n’y a pas de corrélation entre la gravité de
l’accident et l’ampleur du mal subi par l’organisme.
Dans les cas de grave lésion cérébrale faisant suite à une fracture, une inflammation ou
une tumeur cancéreuse et lorsque commence l’amnésie totale, on constate que la perte de
mémoire suit un ordre précis : tout d’abord les noms propres et, en dernier lieu, les mots
référant aux actions.
Cet enchaînement ordonné de l’oubli, face à un mal qui agit de manière désordonnée et
confuse sur le cerveau, est à nouveau révélateur d’un manque de corrélation. Voici en effet
un trouble qui atteint la mémoire et qui n’a aucun lien avec la durée, l’étendue ou la
progression de la maladie cérébrale.
La conception matérialiste de la mémoire se heurte à une impasse, car nous nous trouvons
face à un phénomène qui ne se limite pas au corps et aux cellules du cerveau. Celles-ci
mourront et se décomposeront. La mémoire, quant à elle, demeurera, claire et vive. Au cours
de notre seconde vie spirituelle, dans l’Au-delà, elle nous rappellera, en détail et avec
précision, tout ce que nous aurons fait.
Notre corps n’aura été qu’un intermédiaire matériel pour exécuter nos actions et
manifester nos intentions ici-bas… un simple instrument, une monture à la disposition de
l’esprit.
Le cerveau n’aura été qu’un central, un réseau de câbles. Sa fonction aura été de relier le
monde de l’esprit à celui de la matière ou, selon l’expression de Bergson, de « donner la
communication ».
Les nerfs sont les câbles qui transmettent le contenu secret de l’esprit et le transforment
en courant pour que – en bout de ligne – les muscles de la langue le prononcent, sur le
modèle de l’appareil qui capte l’onde radio. La parole est ainsi échangée comme le sont les
choses matérielles.
Lorsque nos corps meurent, nous redevenons esprit, pour nous rappeler ce que nous avons
fait, moment par moment, dans le monde d’ici-bas où chaque parole et chaque acte auront
été enregistrés.
Certaines théories vont même encore plus loin. Elles pensent que l’acquisition du savoir
est une opération de mémorisation de connaissances anciennes amassées et consignées dans
l’esprit. On n’apprendrait donc pas à partir du tableau de la classe. On ne découvrirait pas ex
nihilo que 2 x 2 = 4. On naîtrait en possession de cette vérité et l’on ne ferait que s’en
souvenir…
Et ainsi des évidences premières en mathématiques, géométrie, logique, etc. Ce sont
toutes des premiers principes avec lesquels nous naissons et qui sont enfouis en nous. Nous
nous en souvenons, c’est tout ! À tout instant, au gré de notre existence terrestre, ils nous
reviennent en mémoire.
C’est ce qui se produit également pour notre personnalité. Nous la possédons dès notre
naissance. Elle est inscrite dans notre esprit, puis elle se voit offrir ici-bas les occasions, les
circonstances et le moule matériel pour expliciter ce qu’elle contient en elle de bien ou de
mal. Ce qu’elle fait est enregistré sur son compte.
Cet enregistrement est l’élément nouveau qui intervient ici-bas… le passage de l’intention
à la mise en pratique.
C’est ce qu’expriment les religions lorsqu’elles affirment que le coupable aura à rendre
compte de ses faits et gestes au terme de sa vie en ce bas monde. Sa conduite erronée lui
incombe et lui fixe sa rétribution.
Dans son Omniscience, Dieu connaissait déjà le sort de ce pécheur. Mais sa Science n’a
rien de contraignant. Il ne pousse personne au péché. Il ne force personne à faire le mal.
Chacun d’entre nous se comporte en conformité avec sa nature intérieure, de sorte que ses
actes soient l’expression de ce qu’il est. Il n’y a aucune prédétermination en cela, car cette
nature intérieure est ce que nous appelons tantôt la conscience, tantôt le tréfonds de l’âme
ou le cœur. Pour Dieu, c’est notre "secret".
« Lui, certes, connaît parfaitement
Ce qui est secret et qui est le mieux caché. » (Coran : 20,7)
Dans nos expressions populaires, nous disons à ce sujet, au moment de la mort : « Le
secret est monté vers Dieu », c’est-à-dire : l’esprit est remonté vers son Créateur.
Ce fabuleux secret est le point de départ où s’exprime notre liberté et que Dieu a délié de
toute contrainte pour que notre volonté libre, dans son objet et son intention, soit l’exacte
traduction de ce qu’elle est réellement.
Affirmer le déterminisme, que ce soit celui de la lutte des classes ou le prédéterminisme
historique, est donc une erreur car l’homme est libre et non un rouage pris dans l’engrenage
d’une machine.
On ne peut ainsi prédire, dans la vie d’un individu, de quoi demain sera fait.
Déterminisme et prédéterminisme ne peuvent être appliqués dans la vie d’une société
comme dans le déroulement de l’histoire. On peut uniquement avancer des probabilités, des
suppositions, en se basant sur des statistiques. Les probabilités peuvent s’avérer exactes ou
fausses, en étant au-delà ou en deçà de la réalité.
La moyenne d’âge en Angleterre est de soixante ans. C’est une moyenne établie à partir
de statistiques. Mais elle ne s’applique pas à tous les individus. Untel, Bernard Shaw par
exemple, peut vivre plus de quatre-vingt-dix ans et dépasser la moyenne établie pour
l’Angleterre. Il peut aussi mourir à vingt ans dans un accident, ou être emporté dans sa
prime jeunesse par une épidémie… La moyenne peut elle-même être susceptible
d’oscillations, en plus ou en moins, selon les années. Il n’est donc pas exact de parler de
déterminisme ou de prédéterminisme. Il n’est pas permis d’assujettir tout ce qui a trait à
l’être humain, qu’il s’agisse de la personne, de la société ou de l’histoire, à un moule
théorique, à une moyenne approximative, à un calcul statistique ou à une hypothèse
philosophique.
L’erreur du déterminisme est due à une représentation erronée de l’homme en qui l’on ne
voit qu’un corps sans âme, sans esprit, sans raison, l’âme et la raison étant considérées
uniquement comme des fonctions supérieures du système nerveux.
Sous prétexte d’une soumission du corps aux lois physiologiques, le penseur matérialiste
déduit que l’homme et l’humanité entière sont enchaînés par les lois de la matière. Il réduit
l’être humain à un amoncellement de matière semblable à la lune condamnée, par les lois de
l’astronomie, à tourner autour de la terre et du soleil.
Ce faisant, il oublie que l’homme vit à deux niveaux :
– celui, tout d’abord, du temps extérieur, objectif, physique : c’est le temps horaire qui le lie
à des rendez-vous et à des obligations sociales, qui le rend prisonnier des lois et des
contraintes ;
– celui ensuite du temps personnel, intérieur : c’est le temps de la conscience et du rêve. À
ce niveau, il vit réellement libre ; il pense, il imagine, il invente, il crée, il se révolte contre
la société entière et contre l’histoire. Bien plus, il peut traduire dans ses actes cette révolte
intérieure en mettant sens dessus dessous la société et en refaisant l’histoire de fond en
comble, comme cela s’est produit dans toutes les révolutions progressistes.
Ce dualisme est le propre de l’homme.
Une vie intérieure libre est la caractéristique de l’homme en comparaison avec les corps
inorganiques. L’âme qu’il possède a des qualités différentes de l’essence des minéraux, car
elle est une entité sans dimension spatiale. Elle est le Moi qui se caractérise par la présence,
la durée, l’évidence, l’existence propre et la conscience. Elle s’impose à la réalité extérieure
et la transforme. Elle domine le corps. Elle le commande et le guide, n’étant pas asservie à
ses exigences. Elle lui prescrit le jeûne et la privation, de plein gré. Elle peut même le
conduire à la mort par esprit d’abnégation et de sacrifice.
L’âme ne peut être considérée comme un produit dérivé, un appendice ou une
excroissance du corps.
Les théories matérialistes ne nous expliquent donc rien du tout. Il nous faut par contre
admettre que l’âme transcende le corps, qu’elle le régit et qu’elle est d’une nature distincte
nonobstant le fait qu’elle utilise ce corps comme instrument et comme "monture" pour
atteindre ses buts, à la manière de la raison qui utilise le cerveau comme simple central ou
moyen de transmission.
Il nous faut aussi faire appel à cette intuition que nous avons, selon laquelle l’âme ne peut
connaître le même sort que le corps en le suivant dans la mort et la corruption. De par sa
nature même, elle se caractérise en effet par la présence, la durée, la conscience permanente.
Elle ne se corrompt pas comme le corps ; elle ne tombe pas comme les cheveux ; elle ne
disparaît pas quand l’homme meurt.
C’est de cette manière pleinement intuitive que nous croyons à la survie de l’âme après la
mort.
Réfléchissons à l’hésitation qui est la nôtre avant de prendre une décision, au sentiment
de responsabilité qui va de pair avec notre action, au regret ou à la satisfaction que nous
éprouvons une fois l’action accomplie. Nous en concluons qu’une conscience innée nous
surveille, que sans cesse revient en nous cette conviction qu’il y aura une reddition des
comptes, certaines de nos actions étant bonnes et d’autres, mauvaises. Nous savons
spontanément, de façon innée, que la justice et l’ordre sont la loi de l’existence et que la
responsabilité individuelle en est le fondement.
Ce sentiment spontané et contraignant nous amène à penser que l’oppresseur qui a évité
le châtiment ici-bas et le criminel qui a échappé au jugement de la loi humaine doivent
immanquablement être jugés et châtiés, car le monde que nous habitons est une preuve
manifeste d’ordre et de précision, du moindre atome au plus grand corps céleste. L’absurde
n’existe que dans nos esprits et les aberrations de notre jugement.
L’idée et la nécessité de la justice et de l’ordre nous conduisent à la nécessité d’un Autre
Monde où s’accompliront cette justice et cet ordre dans un ultime jugement.
Cette connaissance est pour nous innée, comme une vérité qui jaillit spontanément en
nous. Il n’est alors pas étonnant que le penseur allemand Emmanuel Kant ait reconnu cette
même vérité dans sa Critique de la Raison pratique.
Pas étonnant non plus qu’il soit parvenu à cette conclusion exacte sans avoir eu recours
au Coran.
C’est sur cette connaissance innée et spontanée que reposent toutes les sciences.
L’homme doté d’une saine raison n’a pas besoin du Livre saint pour découvrir qu’il a un
esprit, qu’une vie l’attend après la mort et qu’il y aura une reddition des comptes. La nature
droite et saine éclaire, pour qui la possède, le chemin vers ces vérités.
Nous naissons en possession de cette science, de cette connaissance spontanée. Face à
toutes les sciences acquises, elle se pose en témoin et a sur elles le dernier mot. Toute
science acquise est en effet susceptible de se tromper. La science innée fait partie, quant à
elle, de l’ordre qui régit l’univers ; elle est la vérité première à la lumière de laquelle nous
percevons toutes les vérités subsidiaires. Elle est la norme et la mesure. Si la norme est
erronée, tout est faussé et il n’y a plus alors qu’absurdité sur absurdité. Or ce n’est pas vrai !
Si nous suspectons le savoir inné, l’accusation s’applique également à toutes les sciences
et connaissances, et celles-ci s’effondrent, car elles reposent sur des intuitions premières.
Nous voici donc devant l’un des fondements de la connaissance et l’une de ses sources,
sur laquelle aucun doute n’est permis. Il en va d’elle comme de la vie elle-même. Nous
sommes en présence du substrat sur lequel repose toute forme de connaissance.
De même que nous venons à la vie munis de muscles pour nous mouvoir et nous
défendre, ainsi nous naissons pourvus d’intuitions premières pour avoir recours à elles dans
notre appréciation du vrai et du faux, du bien et du mal.
Le plus haut degré de connaissance te vient de l’intérieur de toi-même. Tu peux, par
exemple, savoir dans quelle position tu es (debout, assis, allongé) sans te regarder toi-même.
Tu la connais lors même que tu as les yeux fermés, car c’est de l’intérieur que te parvient
cette perception. Cette connaissance est une preuve bien supérieure à toute perception
directe.
Lorsque tu affirmes : « Je suis heureux, malheureux… je souffre », ta parole est un
argument majeur qu’aucune démonstration logique ne peut réfuter. Faire intervenir ici la
logique serait faire preuve d’obstination et d’une indicible opiniâtreté, car personne ne
connaît mieux ton état que toi-même.
C’est ainsi que le témoignage de la droite nature et les affirmations de la connaissance
spontanée constituent le suprême argument. Lorsqu’elles nous affirment, confirmées en cela
par la science, la réflexion et la méditation, l’existence de l’esprit, de l’âme, de la liberté, de
la responsabilité individuelle et du jugement final, lorsqu’elles s’inspirent de se comporter
en prenant appui sur l’ordre régnant dans l’univers, nous sommes en présence d’un
argument offrant le plus haut degré de certitude.
C’est une certitude égale à la certitude oculaire, et même plus ! La droite nature est un
organe, au même titre que l’œil, avec lequel nous naissons.
C’est une certitude supérieure à la certitude scientifique. La science ne fournit en effet
qu’une exactitude statistique et les théories scientifiques sont déduites de moyennes
numériques. Quant au jugement que porte l’intuition dans sa spontanéité, il est péremptoire
et absolu. 2 x 2 = 4 est une vérité absolue et rigoureusement exacte, une vérité non
susceptible d’abrogation, d’évolution ou de changement comme c’est le cas pour les
théories scientifiques, car c’est une évidence première.
1 + 1 = 2… Aucun doute n’est permis sur cette affirmation. C’est une vérité dont nous
gratifie la droite nature au fond de nous-mêmes, une vérité que nous inspire spontanément
notre intuition. C’est une vérité première qui nous est donnée en même temps que notre
certificat de naissance.
Si l’homme percevait cette vérité, il y trouverait le repos. Il s’épargnerait moult querelles,
bavardages, discours philosophiques ou contestations sur les questions ayant trait aux
relations entre corps et esprit, raison et cerveau, liberté et prédestination, responsabilité
personnelle et Jugement Dernier. Il se contenterait d’écouter ce que lui murmurent la droite
nature, les décrets de son cœur et les indications de sa "clair-voyance".
Un atome de sincérité avec soi-même vaut mieux que des tonnes de livres.
Écoutons la voix de notre âme et le chuchotement de notre "clair-voyance", avec une
profonde sincérité, sans chercher à déformer la pureté de cette voix en l’entraînant dans les
filets de la logique ou les chausse-trapes de quelque raisonnement.
Celui qui doute de ma parole, ceux qui sont avides de disputes, d’argumentations ou de
combat à coups de logique, je les invite à reprendre ce chapitre depuis le début !
La Justice éternelle

Observez le chat lorsqu’il saute à la dérobée sur la table de ses maîtres pour y chaparder
une tranche de poisson…
Observez-le ! Notez son regard à l’instant du larcin ! Jamais vous n’oublierez le
sentiment de culpabilité qu’il trahit.
Avec sa seule intelligence animale, le chat ressent de façon obscure qu’il est fautif.
Donnez-lui une tape pour le punir, il prendra un air dépité, la tête basse, comme s’il
percevait vaguement qu’il n’avait reçu que ce qu’il méritait.
Ce pressentiment est inné, inhérent à la nature que la créature hérite de son Créateur. Tel
est le sens moral premier dont nous trouvons trace jusque chez l’animal.
Le chien qui a fait ses besoins se met à flairer ce qu’il vient de faire et à gratter la terre
par-dessus pour le cacher aux regards. Sa réaction instinctive prouve une perception de ce
qui est honteux et un empressement à le dissimuler.
Un tel comportement est inné, non acquis par l’apprentissage. Tous les chiens l’adoptent
dès leur naissance.
Il en est de même de la colère du chameau qui a été longtemps délaissé par son maître et
qui est à bout de patience. Ou encore de l’orgueil du lion qui ne condescend pas à attaquer
sa proie en traître, par l’arrière. C’est toujours par devant qu’il fond sur elle, de face. Il ne la
tuera que pour se nourrir et ne cherchera à se nourrir, donc à tuer, que lorsqu’il est affamé.
Toutes ces mœurs sont viscérales, inscrites dans la nature même des animaux.
Fidélité du couple chez les pigeons…
Attachement au groupe chez les animaux se déplaçant en troupeaux…
Ces premières bases de la conscience morale, les animaux les portent dans le sang. Elles
sont inhérentes à leur constitution naturelle et non le fruit de quelque apprentissage.
Nous-mêmes, avant d’agir, nous hésitons par suite d’un sentiment inné de notre
responsabilité. Une fois l’action en cours, nous éprouvons l’obligation qui nous harcèle de
poursuivre le bien. Finalement, lorsque nous avons commis une faute, le remords nous
accable.
Ces sentiments innés, que partagent aussi bien l’intellectuel que le primitif ou l’enfant,
sont la marque d’une intuition qu’a tout homme de l’existence d’une loi, d’un ordre, d’un
jugement final, d’une justice qui est à la fois une obligation et un droit. Dès notre naissance,
nous portons en nous cette intuition. Elle nous vient de notre nature même, du Créateur qui
nous a façonnés.
Considérons maintenant le monde de la matière, de l’infiniment petit (l’atome) à
l’infiniment grand (les galaxies). Nous constatons que tout s’y déroule conformément à des
lois, avec ordre et précision.
Dans la sphère du noyau atomique, l’électron ne saute d’une orbite à l’autre qu’en
émettant ou recevant une quantité d’énergie équivalente à la valeur de son déplacement, tel
le passager ne pouvant voyager en train que s’il paie le montant de son billet.
La naissance et la mort des étoiles ont leurs lois et leurs causes.
Le mouvement des planètes est établi en fonction des lois de la gravitation universelle.
La transformation de la matière en énergie et l’irradiation solaire suivent certaines
constantes précises.
La lumière se déplace à une vitesse donnée.
Chaque onde a une longueur, une amplitude et une vitesse déterminées.
Chaque métal produit un spectre et a des lignes d’absorption distinctives observables au
spectroscope.
Sous l’effet de la chaleur et du froid, les métaux se dilatent et se contractent selon une
certaine mesure. Chacun a une masse, une densité, un poids atomique, un poids moléculaire,
des constantes et des propriétés caractéristiques.
Einstein a établi qu’il existe une relation entre la masse d’un corps et sa vitesse, entre le
temps et le mouvement suivi à l’intérieur d’un ensemble en mouvement, entre le temps et
l’espace.
La répartition des corps en solides, liquides et gaz tient à la vitesse de déplacement de
leurs molécules. Sous l’effet de la chaleur, cette vitesse s’accélère : les solides fondent et se
liquéfient ; les liquides s’évaporent et se transforment en gaz.
L’électricité est engendrée suivant certaines lois. Le courant électrique se propage, agit et
influe différemment selon la tension et la puissance.
Chaque étoile obéit aux lois de la gravitation en fonction de son volume et de sa masse.
Les secousses telluriques, enfin, qui ressemblent à un chaos, suivent une progression bien
précise, respectant un tracé qu’il est possible de relever et d’identifier sur toute la surface du
globe terrestre.
L’univers en son entier représente donc un ensemble de lois précises, évidentes et
infaillibles.
D’aucuns pourront protester : « Oui ! Mais que penses-tu de ce monde qui est le nôtre ?
De ce monde de fraudes, de tricheries, de guerres, d’injustices, d’anarchie ? De ce monde
d’iniquité où les hommes s’entretuent, poussés par la haine ? »
Je leur répondrai : c’est autre chose ! Car ce qui se passe chez nous, dans notre monde des
humains, est dû au fait que Dieu nous a confié la terre en nous y établissant seigneurs et en
nous pourvoyant de liberté. Il nous a fait l’offre du dépôt, et nous avons accepté.
Le don qui nous est fait de la liberté signifie que nous pouvons nous tromper ou être dans
le vrai.
Ce que nous constatons autour de nous, dans notre misérable monde humain, est la
conséquence d’une liberté mal utilisée.
Le chaos est notre œuvre à nous. Il est le fruit de notre liberté.
Mais le monde comme tel est un chef-d’œuvre de précision et d’ordre, un ordre auquel
Dieu pourrait, s’Il le voulait, nous contraindre, tout comme Il y a soumis montagnes, mers,
étoiles et espace. Mais Dieu a écarté de nous cette possibilité, pour accomplir toute justice,
pour que chacun de nous puisse agir librement, comme il l’entend et selon ce que lui dicte
sa conscience.
Telle est la justice voulue par Dieu pour que, dans l’Au-delà, chacun de nous hérite de la
place et du rang qui lui échoient. La vérité apparaîtra alors et chacun recevra ce qui lui
revient.
La vie ne connaît pas d’interruption.
Celle que nous vivons ici-bas n’est pas toute la vie, mais une période transitoire, faite
d’iniquités et de désordres. Elle a pourtant sa sagesse et sa raison d’être. En toute justice,
elle est un examen de passage donnant accès à la vie éternelle.
Notre vie terrestre est une parenthèse sise entre un avant et un après. Elle n’est pas toute
la vérité ni ne donne le fin mot de l’histoire. Elle représente seulement un petit chapitre d’un
roman qui est loin d’être achevé.
Écoutant la voix de sa nature, l’être humain, à commencer par le primitif, a perçu la
réalité de l’Au-delà.
Les Prophètes l’ont affirmée, après information reçue du Mystère.
La raison, elle aussi, l’atteste. Nous y avons fait allusion plus haut : la science perçoit que
l’homme est corps et esprit.
L’homme est conscient de la réalité de son esprit, grâce à l’intuition profonde et durable
qu’il a d’une présence à lui-même, malgré l’avalanche des mutations temporelles
environnantes. Par là, il est informé de l’être intérieur qu’il possède, un être insensible aux
changements, qui transcende le temps, le néant, la mort.
Certains philosophes faisant autorité dans le monde de la pensée, comme Emmanuel
Kant, Bergson ou Kierkegaard, ont affirmé la réalité de l’esprit et de l’Au-delà.
La République de Platon contient un chapitre merveilleux sur l’immortalité de l’âme.
Cette vérité s’est donc imposée aux intelligences, des plus éclairées aux plus humbles,
telle une évidence première qu’il est difficile de nier.
Mais la preuve la plus convaincante de la vie dans l’Au-delà réside, selon moi, dans le
sentiment profond, inscrit en notre être même, de l’existence d’un ordre, d’une loi et d’une
justice indéfectibles.
Cette justice, nous l’exigeons de nous-mêmes et d’autrui, de façon innée et instinctive.
Nous brûlons de la voir se réaliser.
Nous luttons pour en établir les fondements.
Nous mourons sur le chemin qui y mène.
Mais, finalement, jamais nous ne la réalisons.
Nous en concluons avec certitude qu’elle se manifestera plus tard, de quelque façon, car il
s’agit d’une vérité absolue qui n’a cessé de s’imposer à notre esprit et à notre conscience.
Que nous ne la voyions pas se réaliser ici-bas, c’est la preuve que notre vue est limitée et
que notre pauvre monde terrestre n’est pas le tout de la vérité.
Sinon, pourquoi nous révolterions-nous devant les injustices ? Pourquoi exigerions-nous
constamment des autres qu’ils soient justes ? Pourquoi une telle aspiration ? Pourquoi nous
enflammer de colère contre quelque chose qui n’existerait pas ?
Pour reprendre l’affirmation du penseur indien Wahîd al-Dîn Khân, si la soif d’eau
prouve l’existence de l’eau, la soif de justice doit, elle, prouver l’existence de la justice. Si
la justice n’est pas de ce monde, c’est la preuve de l’existence de l’Au-delà, demeure de la
justice véritable.
Ce que notre pauvre nature nous fait saisir intuitivement est une preuve péremptoire que
la justice existe réellement. Peut-être ne la voyons-nous pas aujourd’hui, mais demain, nous
la verrons. Émanant du fond de notre être, cette certitude est fondée puisqu’elle nous est
dictée par une intuition enracinée dans notre nature, faisant partie de l’ordre naturel
indéfectible. Elle est l’une des nombreuses lois qui régissent l’existence.
On pourra derechef protester : « Oublions donc un instant le monde des humains !
Pourquoi Dieu a-t-Il fait du porc, du chien et de l’insecte des animaux aussi vils ? En quoi
sont-ils coupables ? Où est, en tout cela, la Justice divine ? S’il est vrai que Dieu
ressuscitera tout être doué d’esprit, pourquoi ne ressuscitera-t-il pas le singe, le chien et le
porc ? »
La question est, certes, pertinente. Elle relève néanmoins d’un esprit qui, ne connaissant
d’un procès que la moitié des pièces, voire qu’une seule ligne du dossier d’enquête,
s’empresserait d’en arriver au verdict et à ses attendus.
En réalité, tout animal a une âme.
Et pour toute âme, Dieu a choisi le moule matériel approprié.
Le porc a été créé porc… parce qu’il est porc. Tout simplement !
Pour l’âme du porc, Dieu a choisi le moule matériel correspondant dans lequel il l’a
déposée. Nous ignorons tout de cette âme. Pourquoi et comment le porc naît-il ainsi ? Là
non plus, nous n’en savons rien.
Qu’y a-t-il avant la naissance ?
Qu’y a-t-il après la mort ?
Un voile nous en sépare.
À l’instar du Coran, les mystiques affirment qu’avant la naissance, nous étions dans un
monde (ils l’appellent "monde de la préexistence spirituelle") et qu’après la mort, nous
serons dans un autre monde. Dans ce monde sans mort, la vie sera éternelle, nous faisant
monter indéfiniment, dans un continuel dépassement et une perpétuelle ascension, vers
Dieu.
La raison affirme la continuité entre ces deux mondes.
La justice est une vérité éternelle que Dieu a gravée dans notre nature, au plus intime de
l’être humain ou même animal. J’y ai fait allusion plus haut.
Vérité absolue, cette justice nous révélera que l’enveloppe de matière dans laquelle vivent
tous les animaux leur est dûment appropriée. Nous sommes certains de cette vérité, bien que
ne sachant rien de précis sur les spécificités de la vie animale. Le porc a été créé tel par Dieu
parce qu’à l’âme spécifique du porc, il fallait un revêtement matériel adéquat.
Quant à la résurrection des animaux, le Coran l’affirme : « Il n’y a pas de bêtes sur la
terre, il n’y a pas d’oiseaux volant de leurs ailes qui ne forment, comme vous, des
communautés. Nous n’avons rien négligé dans le Livre. Ils seront ensuite rassemblés vers
leur Seigneur. » (Coran : 6, 38)
Le Coran nous révèle que ces communautés d’âmes seront rassemblées comme nous le
serons nous-mêmes. Mais qu’adviendra-t-il d’elles par la suite ? Où seront-elles ? Quel sera
leur sort ? C’est un mystère qui nous demeure voilé et devant lequel la curiosité reste sur sa
faim.
Ce serait viser l’impossible que de tendre à acquérir cette connaissance, avec le regard
limité qu’est le nôtre.
Si par contre nous reconnaissons, par notre perception intérieure et le fruit de nos
méditations, que la justice est éternelle et immanente, car déposée par Dieu dans la nature
des êtres, alors nous saurons beaucoup. Cela nous suffit même.
Dans le premier chapitre du présent ouvrage, nous avons affirmé de Dieu qu’Il était une
Intelligence totale et universelle, un Dieu Tout-Puissant, Créateur, Source d’inspiration et
Providence pour ses créatures. Nous comprenons à présent comment Il a doté ces créatures
d’une nature qui les oriente vers le Droit Chemin, par un effet de sa Providence et de sa
Justice. Pour les guider, Il leur a envoyé sa Lumière par l’entremise des Prophètes et des
Livres sacrés. Sinon, comment pourrait-Il être le Seigneur qui veille sur ses créatures et
pourvoit à leurs besoins ?
La véracité des Livres révélés est ici évidente : en matière de Science, de connaissance du
Mystère, de Sagesse, de Loi et de Vérité, ils nous gratifient de ce que l’homme ne peut
acquérir par lui-même, au prix de ses efforts personnels.
Dieu est le Créateur juste qui inspire à ses créatures le chemin à suivre. Telle est la
quintessence de toutes les religions, un principe premier auquel la raison parvient sans
effort, puisqu’il est le fruit d’une connaissance innée.
Il faut être expert en subterfuges pour prétendre le contraire. Il faut être extrêmement
ingénieux, subtil et obstiné. Il faut faire appel à de vaines querelles qui, en fin de compte,
sont vouées à l’échec parce qu’elles sont dénuées de tout fondement et qu’elles suivent la
voie de l’orgueil et de l’opiniâtreté, faisant fi d’une analyse objective et impartiale et
fermées aux appels de la droite nature.
C’est ici qu’aboutit le long périple de ma réflexion qui m’a conduit de ce que j’écrivais
dans Dieu et l’Homme à l’aumône qu’humblement j’ai demandée aux enseignements du
Coran, de la Thora et de l’Évangile.
À mon sens, il n’a rien de religieux celui qui, par fanatisme et parti pris, considère "son"
Prophète comme le seul et unique prophète. Se représenter Dieu ainsi, c’est faire montre
d’un esprit mesquin et rétrograde. C’est réduire Dieu à un shaykh de tribu, au nom d’un
chauvinisme qui n’a rien à voir avec la piété.
La seule représentation vraie de Dieu est de Le considérer comme le Dieu
universellement généreux, mandant ses Prophètes à tous les êtres humains.
« Il n’existe pas de communauté où ne soit passé un Avertisseur. » (Coran : 35, 24)
« Oui, Nous avons envoyé un Prophète à chaque communauté. » (ibid. : 16, 36)
« Ton Seigneur n’a détruit aucune cité avant d’avoir envoyé un Prophète à la Mère des
cités. » (ibid. : 28, 59)
« Nous avons donné l’inspiration aux Prophètes dont Nous t’avons déjà raconté l’histoire
et à ceux dont Nous ne t’avons pas raconté l’histoire. » (ibid. : 4, 164)
Nous concluons de ce dernier verset que Bouddha, par exemple, a pu être un prophète en
son temps même s’il n’en est fait aucune mention dans le Coran.
De même pour Akhenaton, compte tenu du fait que ses enseignements ont pu être
falsifiés.
Dieu veut par là éveiller en nous une foi ouverte à tous les Messages, à tous les Prophètes,
à tous les Livres révélés, sans parti pris ni partialité aucune.
C’est pourquoi Il nous impose l’Islam, car c’est l’unique religion à reconnaître la totalité
des Envoyés, des Prophètes et des Livres révélés. Seul l’Islam parachève la Sagesse et la
Loi des Messages antérieurs en les reliant à leur source et leur origine : le Dieu Unique et
Miséricordieux qui a inspiré et mandaté tous les Guides de l’humanité, depuis Adam jusqu’à
Muhammad, Sceau des Prophètes.
Gandhi est l’exemple le plus parlant de cette conscience religieuse ouverte. Hindou, il
n’en utilisait pas moins, dans sa prière, certains passages du Coran, de la Thora et de
l’Évangile, ainsi que les enseignements de Bouddha. Avec humilité et amour, il exprimait
ainsi sa foi en tous les Prophètes et tous les Livres inspirés par l’Unique Créateur.
Ce faisant, Gandhi a mis en pratique ce qu’il affirmait. Toute sa vie, il l’a consacrée à la
cause de l’amour et de la paix.
Nonobstant les divergences de formulation entre les différentes religions, "la" religion est
une du point de vue de la foi, car Unique est le Seigneur.
Les croyants de toutes les religions appartiennent en fait à une même religion, car
l’homme religieux n’accapare pas, pour lui seul ou pour un groupe déterminé, le Dieu
Créateur et la Droite Guidance.
Dieu est la Lumière des cieux et de la terre. Il prend soin de tous ceux qui Le cherchent. Il
est le Dieu Bon et Miséricordieux, source de la Droite Guidance et de la Révélation pour
tous les temps et toutes les époques. C’est ce qu’Il a décrété dans sa Justice éternelle. C’est
la seule idée de Dieu qui soit digne de Lui. Sans cette foi ouverte, l’homme religieux n’en
est plus un.
Quant aux religions se scindant en diverses sectes qui se pourfendent mutuellement au
nom de leur foi, elles brandissent l’étendard de la religion de façon mensongère. Elles se
réclament en fait de la race, de la nationalité ou de leur appartenance à un groupe, comme le
faisaient avant l’Islam les tribus médinoises des Aws ou des Khazraj, ou encore les héros des
épopées du poète Antara Ibn Shaddâd. Leur lutte, censée défendre la cause de Dieu, n’a en
fait d’autre motivation que d’orgueilleuses prétentions où périssent ensemble vainqueur et
vaincu. C’est la plus grande offense faite à Dieu, car chacun délaisse le culte qui Lui est dû
pour se prosterner devant sa propre statue, devant l’image qu’il se fait de lui-même.
Le vrai culte commence par la connaissance de Dieu et de sa suprématie.
La connaissance de Dieu commence par celle de l’âme et de son humble condition.
Telle est la Voie à suivre, le Droit Chemin, la Voie ascendante des pèlerins de la Vérité.
Pourquoi la souffrance ?

La question de la rétribution a toujours suscité une objection de la part des intellectuels.


Comment Dieu, affirment-ils, peut-Il nous éprouver par la souffrance alors qu’Il est
Amour ? En fait, ils oublient qu’un père, avec toute l’affection qu’il porte à son fils, peut
quand même le punir en le privant d’argent de poche, en le châtiant corporellement ou en
usant à son égard de la manière forte. Le souci qu’il a de son éducation croît à la mesure de
l’amour qu’il lui porte. S’il s’en désintéressait, on blâmerait son amour paternel et l’on dirait
: voici un père négligent qui ne prend pas suffisamment soin de ses enfants !
Et qu’en est-il de Dieu, lui, l’Éducateur suprême ?
En réalité, « Dieu est Amour » est une expression trompeuse. Nombreux sont ceux qui la
comprennent mal ou qui lui donnent une portée absolue. Ils s’imaginent que Dieu est
Amour, absolument parlant. Or c’est une erreur.
Dieu aime-t-Il l’injustice par exemple ?
Impossible !
Il n’est pas possible que Dieu aime l’injustice ou ceux qui la commettent et qu’à ses yeux,
l’oppresseur soit l’égal de l’opprimé. Une telle représentation de la Puissance divine est un
non-sens.
Dieu ne peut qu’être éminemment supérieur à tous les oppresseurs. Il est le Tout-Puissant
face aux puissants de ce monde. Il est le Dieu Très-Haut et Fort dont la Gloire confond les
orgueilleux et rabaisse les prétentieux. Il est le Juste Juge assignant à chaque être humain sa
place et son rang.
Suivant les lois précises que nous observons dans notre monde terrestre ou dans l’espace,
nous attribuons à Dieu la qualité de Justice et notre déduction n’a rien que de très logique.
Toutes ces évidences sont pour nous des preuves tangibles que Dieu est Juste, qu’Il
organise et dirige le monde avec Sagesse.
C’est à ceux qui nient l’ordre et la justice, et non à ceux qui y croient, de fournir des
preuves.
Quant à ceux qui nient catégoriquement l’épreuve de la souffrance et refusent d’admettre
que l’homme soit dominé par une force et des lois qui le dépassent, nous les invitons à
regarder ce qui se passe ici-bas, dans leur monde terrestre, sans même qu’il soit besoin de
supposer l’existence d’un Au-delà.
Il n’est personne qui ne sache d’expérience ce qu’est un mal de dents qui vous transperce
le cerveau, comme une scie vous fendrait la tête.
Les coliques néphrétiques, les névralgies, les arthralgies, la tuberculose osseuse, ce sont
là d’autres enfers endurés par ceux qui en ont été victimes.
Une visite au pavillon des grands brûlés à l’hôpital Qasr al-Aynî du Caire convaincrait
quiconque de la grande différence existant entre un homme brûlé et défiguré qui hurle de
douleur, prisonnier de ses bandages, et celui qui sirote un thé sur les bords du Nil, prenant
du bon temps en compagnie d’une belle qui lui fait les yeux doux.
La souffrance est une réalité tangible.
L’homme est dominé par une force qui le dépasse. Il n’a aucun moyen de la capter.
Que le croyant appelle cette force "Dieu", ou que l’athée la dénomme "Nature", "lois
naturelles" ou "loi suprême", cela revient au même. Simple question de mots ! Mais nous
sommes contraints d’admettre qu’une force domine l’être humain et le cours des
événements. D’admettre que cette force châtie, et parfois violemment.
Certaines personnes à l’âme sensible déplorent que Dieu soit représenté comme un Tout-
Puissant qui châtie. À ces personnes-là, nous nous devons de rappeler ce que faisaient les
Califes turcs lorsqu’ils condamnaient leurs ennemis au supplice du pilori. Le bourreau
chargé de l’exécution du jugement mettait la victime sur le ventre ; puis il lui plantait une
lance à pointe de fer dans le bas-ventre. Lentement, par à-coups, il lui transperçait le corps
de part en part, jusqu’à faire ressortir la lance par le cou. La victime devait rester en vie le
plus longtemps possible pour ressentir tout son compte de souffrances.
Plus atroce encore était le supplice enduré par les prisonniers dont on crevait les yeux
avec des fers chauffés au rouge.
Faut-il alors que Dieu offre le thé aux coupables de telles cruautés pour leur prouver qu’Il
est Amour ?
Puisqu’il n’y a pas d’autre moyen de leur faire comprendre qu’il y a un Dieu Juste, l’enfer
qu’ils méritent est le sommet de l’Amour.
Pour ceux qui ont refusé de se laisser instruire par l’ensemble des Livres révélés et des
Prophètes, pour ceux qui ont même accusé de mensonge les principes premiers et les vérités
les plus élémentaires de la raison humaine, l’enfer est Miséricorde : il leur permet
d’apprendre et de comprendre ce qu’il ont refusé d’admettre ici-bas.
Est-il juste qu’Hitler, au cours d’une guerre mondiale, tue vingt millions d’êtres humains,
massacrant les prisonniers des camps de concentration, les condamnant par milliers à la
chambre à gaz et au four crématoire, pour finalement se suicider, la défaite survenue, afin de
ne pas avoir à affronter les conséquences de ses crimes ?
Que le monde ne soit qu’un tas d’absurdités, et alors seule l’absurdité pourrait sauver ce
criminel de sa faute !
Mais rien autour de nous, dans ce monde de précision et de beauté, n’est indice
d’absurdité. Tout, des plus grandes étoiles aux plus minuscules atomes, parle d’ordre, de
précision, d’exactitude.
Dieu ne peut être réellement Amour, Il ne peut être Juste que si un tel criminel connaît les
profondeurs de l’abîme où l’ont plongé ses actes.
L’homme sensé, à l’esprit sagace et méditatif, n’a point besoin de philosopher pour
percevoir la réalité du châtiment. Il la perçoit en lui-même, à l’intérieur de sa conscience.
Ou bien dans le regard des malfaiteurs et des criminels. Ou encore dans les larmes des
opprimés et les souffrances de ceux que l’on outrage, dans l’humiliation des prisonniers et
l’arrogance des vainqueurs, dans le râle des mourants…
Lorsque le remords le saisit, le criminel perçoit l’existence du châtiment et du jugement.
Le remords est la voix de la nature au moment de la faute. Il est une amorce de la
comparution finale au Dernier Jour, un échantillon du Jugement Dernier.
Le remords est un signal d’alarme qui clignote dans l’âme, rappelant que les actes seront
pesés selon le critère du bien et du mal. Ceux qui font le bien sont sur le Droit Chemin et
leur cœur est en paix. Ceux qui commettent le mal croupissent dans le gouffre du remords,
le cœur endolori.
Les épreuves endurées ici-bas sont toujours une sorte de leçon, soit pour les individus,
soit pour les nations… Ce fut le cas lors de la défaite du Sinaï en 1967, au même titre que
l’échec pour l’étudiant, ou que les souffrances de la maladie et les ennuis de santé pour qui
vit dans la prodigalité, l’opulence et le plaisir.
L’âme se purifie au creuset de la souffrance.
Nous ne connaissons aucun Prophète, réformateur, artiste ou génie qui n’ait goûté
l’amertume de la souffrance dans la maladie, la pauvreté ou la persécution.
Vue sous cet angle, la souffrance est Amour. Elle est la dette à payer pour parvenir à un
degré supérieur.
Si parfois la sagesse sous-jacente à la souffrance nous échappe, c’est parce que nous ne
savons pas tout. Notre connaissance est limitée et nous ne possédons pas le fin mot de
l’histoire. Nous devons nous contenter de l’étape qui a pour nom le monde d’ici-bas. Quant
à ce qui précède et ce qui suit cette parenthèse, c’est pour nous un mystère qui demeure
voilé. Il nous faut donc nous en tenir à un silence respectueux, nous abstenant de porter tout
jugement.
Quelle forme prendra le châtiment lors du Jugement Dernier ? Impossible de le savoir
précisément, car l’Au-delà n’est pour nous que mystère. Les affirmations des Livres saints
sur ce sujet s’en tiennent sans doute à des symboles, par mode d’allusion. Au jeune garçon
qui nous demande ce qu’est le plaisir sexuel, nous répondons : c’est quelque chose qui
ressemble au sucre ou au miel. Nous ne trouvons rien d’autre qui réponde à son expérience.
Pour lui, le plaisir sexuel est un mystère : on ne peut lui décrire qu’avec les mots qu’il
comprend, car il s’agit d’une expérience qu’il n’a jamais faite.
Il en va de même pour le paradis et l’enfer : nous n’en avons aucune expérience. C’est un
mystère qu’on ne peut décrire avec nos mots d’ici-bas. On ne peut en parler qu’en termes
approximatifs : le feu, par exemple, ou les jardins aux fleuves irriguant une végétation
luxuriante. Mais qu’en sera-t-il exactement ? Cela dépasse de loin toutes nos descriptions
approximatives de ce qui reste invisible et inimaginable pour l’être humain.
On peut affirmer, sans crainte d’erreur, que l’enfer est la demeure inférieure, avec son lot
de tourments sensibles et spirituels, et que le paradis est la demeure supérieure, avec ce qu’il
réserve de bonheur sensible et spirituel.
Pour les mystiques, l’enfer est la demeure de l’éloignement et de la séparation de Dieu,
alors que le paradis est celle de la proximité de Dieu, source d’une indicible félicité.
« Qui aura été aveugle en ce monde,
le sera dans l’Autre,
voué à des ténèbres plus profondes. »
L’aveuglement est ici l’absence de "clair-voyance".
La distance séparant l’enfer du paradis ressemble donc davantage à la différence entre un
aveugle et un voyant, entre celui qui marche sur le Droit Chemin et celui qui emprunte le
sentier de l’erreur. Dans l’Au-delà, la différence sera extrême :
« Considère comment Nous avons préféré
certains d’entre eux aux autres.
Il y aura des degrés élevés dans la Vie future
et une supériorité encore plus grande. » (Coran : 17, 21)
Qui héritera de la demeure inférieure connaîtra l’état de celui qui est consumé par le feu,
ou pire encore !
Telle est la loi de la préséance qui régit l’existence, de l’ici-bas à l’Au-delà, du monde
terrestre au monde céleste, du monde visible au monde invisible.
À chacun son degré, son rang et la place qu’il mérite. Il n’est pas deux êtres qui soient
égaux.
On ne peut passer d’un rang à l’autre que moyennant la somme correspondante d’efforts,
de travail, d’expériences et d’épreuves subies. Qui aura occupé le dernier rang ici-bas, par
suite d’un manque total de "clair-voyance", sera encore relégué au dernier rang dans l’Au-
delà.
En ce sens, le châtiment est justice.
Et de même la récompense.
Les deux sont la conséquence d’une impérieuse nécessité.
Que l’acier soit le métal le plus résistant et qu’il serve à la fabrication des moteurs…
Que le caoutchouc soit élastique et qu’il serve à fabriquer des pneus…
Que la paille soit flexible et qu’elle serve à la fabrication des balais…
Que le bon coton serve à fabriquer des coussins, et le mauvais à nettoyer les éviers…
Ce sont là des évidences inscrites dans la nature et affirmées par la saine logique, sans nul
besoin d’avoir recours à des essais philosophiques ou à un agencement de causes et de
circonstances.
C’est pourquoi les affirmations contenues dans les religions sont conformes à la saine
nature. Elles ne sont sujettes ni à controverse ni à démenti, car elles expriment des vérités
absolues acceptées par la droite raison et non viciées par les circonlocutions de la
philosophie ou de la dialectique…. la raison qui, ayant sauvegardé sa virginité et sa pureté,
est exempte de toute trace d’obstination ou de vanité.
Les mystiques affirment ainsi que l’existence de Dieu n’a pas à être prouvée. Dieu est la
Preuve Suprême où tous les êtres trouvent leur justification.
Il est l’Immuable par qui nous connaissons les êtres changeants.
Il est l’Essence en laquelle nous connaissons la variété des phénomènes.
Il est la Preuve par laquelle nous saisissons la sagesse du monde éphémère.
La raison qui exige une preuve de l’existence de Dieu a perdu toute capacité de
discernement.
C’est la lumière qui nous révèle les choses visibles, non le contraire. Si nous n’admettons
pas cette évidence, nous ressemblons à celui qui, marchant à la lumière du jour, en arriverait
à demander : « Démontrez-moi qu’il fait jour ! Fournissez-moi des preuves ! »
Une fois disparues l’intégrité de la nature et la pureté du cœur, place à la controverse, aux
ratiocinations de la philosophie et aux théologies ! Mais il a tout perdu celui qui en arrive à
ce point. Il tourne en rond, indéfiniment, sans jamais parvenir au but.
Certains se révoltent contre les malheurs de ce monde. Aigris et exaspérés, ils maudissent
la vie comme étant insupportable : « C’en est assez ! On ne m’a pas demandé mon avis pour
me mettre au monde ! J’ai été créé malgré moi, et maintenant, je suis inexorablement
condamné à souffrir, victime d’une cruelle injustice… »
Dans leur révolté exacerbée, ces personnes font penser à l’acteur de théâtre qui, dans le
rôle qu’il interprète, doit être roué de coups, chaque jour, sous les yeux des spectateurs. Si
cet acteur perdait la mémoire et ne voyait plus, dans le déroulement de sa vie, que cette
parenthèse du rôle qu’il tient chaque jour sur la scène, il se révolterait, refusant de se
soumettre au châtiment. Il se dirait : « On ne m’a pas demandé mon avis ! On m’a créé
malgré moi. Je suis impitoyablement condamné à la souffrance. On m’a contraint à subir ce
mépris, au vu et su de tout le monde, sans motif raisonnable ni possibilité de choix au point
de départ. »
Ledit acteur en viendrait alors à oublier l’accord préalable comportant l’offre d’emploi de
la part du metteur en scène, son acceptation d’acteur, la signature du contrat et l’engagement
à respecter ce contrat. L’accord a été conclu librement avant la représentation. L’acteur a
accepté son rôle de plein gré. Il se peut que ce rôle lui ait plu et qu’il l’ait même recherché.
Mais voilà ! Il a complètement oublié le laps de temps précédant l’apparition sur scène.
La vie, avec son lot de soucis et de souffrances, est devenue pour lui un point
d’interrogation, une déconcertante énigme.
Tel est le sort de l’homme pour qui la vie est restreinte à l’existence du corps dans sa
durée terrestre. Il se croit condamné à périr et à retourner en poussière. Pour lui, il n’est pas
d’autre sort que l’existence tridimensionnelle sur la scène de la misérable vie d’ici-bas.
Cet homme a oublié qu’il fut esprit lors de sa préexistence céleste et qu’il est venu en ce
monde, lié par un contrat auquel il avait auparavant donné son consentement. Il a oublié le
contrat et le pacte passés entre lui et son Créateur, le grand metteur en scène du drame de
l’existence terrestre. Il a oublié qu’au terme de ce drame, il y aura la résurrection et le
Jugement Dernier, de même qu’une pièce de théâtre doit affronter les avis de la critique. Ou
bien cette pièce trouve l’audience du public, ou bien elle est un fiasco. Ou bien elle retient
l’attention, ou bien elle passe inaperçue.
Voilà où mènent l’oubli et l’inadvertance.
Tout s’arrêtant pour lui au monde d’ici-bas, le regard étroit et borné égare la pensée et
explique que l’on soit désemparé face à l’épreuve, au mal, à la souffrance.
De là vient la dénomination du Coran comme un Rappel, une remise en mémoire, pour
que les hommes doués d’intelligence se souviennent.
Le Prophète est celui qui énonce ce Rappel :
« Fais entendre le Rappel !
Tu n’es que celui qui fait entendre le Rappel et tu n’es pas chargé de les surveiller. »
(Coran : 88, 21-22)
La vie terrestre n’est pas toute l’histoire. Elle n’est qu’un chapitre du roman. Le récit
commence avant la naissance et aura une suite après la mort.
Dans les pages de ce roman pris globalement, la souffrance prend son sens.
Les souffrances terrestres deviennent un signe de la Miséricorde par laquelle Dieu nous
avertit de la torpeur qui nous menace. Par elles, Il tente de nous tirer de notre sommeil pour
nous tenir éveillés et attentifs. Elles nous rappellent constamment que la vie d’ici-bas n’est
pas ni ne peut être un paradis, mais une simple étape. Ne miser que sur cette vie terrestre
comme telle, c’est s’enfermer dans une inconscience fatale.
La punition est apparemment un châtiment ; elle est en réalité une preuve de Miséricorde
divine.
Le châtiment dans l’Au-delà réside dans la prise de conscience subite de la Vérité et de la
Justice absolues auxquelles n’échappe aucun atome de bien ou de mal. Il consiste dans la
certitude de l’existence d’un Ordre divin conformément auquel le Créateur a façonné toute
chose.
« Vénère ton Seigneur
jusqu’à ce que te parvienne la certitude ! » (Coran : 15, 99)
Cette « certitude » vient avec la mort et ce qui suit la mort.
Ce que m'a appris la solitude

Dites-vous la vérité ?
À cette question, tous répondent par l’affirmative, car tout un chacun s’imagine être
véridique. Il se peut qu’un tel avoue un mensonge ou deux ; il s’imagine alors avoir atteint
le summum de l’exactitude et de la franchise en ayant affirmé une vérité impossible à
contrôler.
Permettez cependant que nous revenions ensemble sur cette prétention largement
répandue. Nous découvrirons que la véracité est chose extrêmement rare, voire qu’il n’y a
quasiment personne qui dise effectivement la vérité.
En fait, nous nous faisons presque tous illusion sur nous-mêmes lorsque nous pensons
faire partie de ceux qui disent la vérité.
Bien plus ! Nous commençons à mentir dès notre réveil, avant même que nous n’ayons
exprimé le moindre mot.
Parfois, notre simple façon de nous peigner est un mensonge. Celui qui adopte une
coiffure à la hippie pour paraître plus jeune qu’il n’est en réalité est un menteur, au même
titre que la vieille qui se teint les cheveux pour la même raison.
La perruque sur le crâne du chauve, le dentier dans la bouche de l’édenté, le maillot de
sport qui cache un marcel, le corset et la ceinture de flanelle autour d’un ventre bedonnant,
le soutien-gorge sur une poitrine épuisée par l’allaitement, tout cela n’est que mensonge.
Le maquillage par lequel on tente de dissimuler les rides du visage est un autre mensonge
silencieux.
La poudre, le rouge à lèvres, le fard et les faux cils sont autant d’autres mensonges
exprimés par le langage silencieux des faits, avant que quiconque n’ait ouvert la bouche
pour parler.
La tresse d’écolière portée par la femme de trente ans est un mensonge.
Le chewing-gum que mâche l’adulte est un mensonge encore plus honteux.
Tout cela, alors que l’on n’a pas soufflé le moindre mot ni desserré les dents !
Et si quelqu’un ouvre la bouche pour dire bonjour, il le fait par habitude, machinalement,
autant à l’adresse de ceux auxquels il veut du bien qu’à celle de ceux auxquels il veut du
mal. Il ment ! Il invoque la paix sur une personne à l’égard de laquelle il nourrit des
sentiments hostiles ; par conséquent, il ment.
S’il prend le téléphone, il se met à demander ce qu’il ne veut pas, tout simplement parce
que c’est la coutume… Il ment ! Il se peut qu’il refuse au-dedans de lui-même ce qu’il
demande par honte ou affectation. Il ment encore une fois !
Il en est de même du garçon et de la fille qui, deux heures durant, parlent de tout sauf ce
de ce qu’ils brûlent d’envie de s’avouer ouvertement l’un à l’autre…
Ou encore de la fille du bar qui entreprend de vous parler d’amour alors que c’est le cadet
de ses soucis et qu’elle n’est attirée que par votre portefeuille. Et combien de bouteilles de
champagne n’avez-vous pas sablées en son honneur !
La publicité qui vous vante l’arôme d’une cigarette et ses avantages pour la santé… un
mensonge !
La réclame qui vous dit que le cachet d’aspirine guérit de la grippe… un mensonge, déjà
d’un simple point de vue pharmacologique !
Tout ce qui se manigance dans le monde du commerce débute par le mensonge.
La photo du joueur de tennis qui tient en main une bouteille de whisky, celle du lion qui
cajole une bouteille de quinquina et celle du champion de course à pied qui fume une
cigarette : autant de sortes de mensonges attrayants que vous voyez tapisser les murs et les
couvertures de magazines ou apparaître dans les annonces publicitaires au cinéma ou à la
télévision, comme si le mensonge faisait impunément partie des mœurs commerciales.
Dans le monde de la politique et des politiciens, dans l’enceinte de l’Organisation des
Nations unies et dans la bouche des diplomates, nous constatons que le mensonge est de
règle. Le fin du fin dans l’art de la diplomatie consiste même en ceci : comment peut-on
donner au mensonge l’apparence de la vérité ? Comment dire ce que l’on ne veut pas dire et
cacher ce que l’on veut dire ? Comment aimer ce que l’on hait et haïr ce que l’on aime ?
Cela me rappelle l’anecdote que l’on a racontée de Churchill lorsqu’il vit une tombe sur
laquelle était inscrit : « Ci-gît l’homme sincère et le grand politicien… » Il dit en souriant :
"C’est bien la première fois que je vois deux hommes enterrés dans le même tombeau !"
Il était impossible pour Churchill que l’homme sincère et le grand politicien fussent un
seul et même homme car, pour lui, la première des aptitudes à la grandeur politique était le
mensonge.
La condition sine qua non de la politique est que la vérité soit celée au profit de l’intérêt,
que le sentiment soit retenu au profit de la rouerie, de l’astuce, de la débrouillardise et de la
machination.
Le diplomate qui exprime franchement son sentiment est un diplomate stupide, pour ne
pas dire qu’il n’est pas diplomate pour un sou !
Dans le domaine de la religion et du culte, le mensonge caché émerge subrepticement de
derrière les rites et les cérémonies.
Le mois de Ramadan, qui est celui du jeûne rituel, se transforme en mois consacré à la
nourriture. Les hors-d’œuvre, les douceurs, les conserves au vinaigre… font leur apparition.
C’est le mois de la kunâfa, des confitures d’abricots, de beignets au miel, des amandes et
des noisettes. La consommation de la viande augmente et les statistiques prouvent qu’elle
vient à manquer. Ramadan est devenu le mois où l’on fait bombance.
Sur cent personnes qui prient, plus de quatre-vingt-dix se tiennent devant Dieu, distraites
et préoccupées par leur seul bien-être matériel. Dans le culte qu’elles rendent à Dieu, elles
ne font en réalité que se prosterner devant leurs intérêts et leurs projets.
Les papes du Moyen-Âge ont vécu dans le luxe des rois et des sultans. Ils ont nagé dans
l’or et la soie, jaloux de leur autorité et de leur prestige. Ils ont possédé fiefs et palais au
nom de la religion, au nom de l’Évangile qui déclare : « Le riche n’entrera dans le Royaume
de Dieu que si le chameau passe par le chas d’une aiguille. »
S’imaginant être propriétaires du paradis, ils sont devenus négociants en indulgences.
En amour également, nous constatons que la tromperie est le comportement le plus
communément admis. Chacun se trompe lui-même et trompe l’autre, tantôt de manière
consciente, tantôt inconsciemment. On parle d’amour alors qu’en fait, on cherche une bonne
excuse, honorable et acceptable, pour parvenir à partager le même lit. L’amant s’imagine
que l’amour l’a rendu fou alors qu’en réalité et quoi qu’il en dise, il ne pense qu’à lui-même.
Dans les sociétés civilisées, l’amour est pratiqué comme une sorte de passe-temps,
comme une façon de montrer que l’on est expert en la matière. Ou bien on y voit une
manière comme une autre d’afficher ses conquêtes.
La parole d’amour est parfois un mensonge mielleux derrière lequel se cache un désir
pervers de posséder, accaparer et dominer. Elle peut être aussi un plan minutieusement
ourdi, un piège pour accéder à quelque héritage. Dans les cas les plus fréquents, elle est un
moyen pour parvenir à un plaisir passager, une façon comme une autre de se mettre du
baume au cœur, toute honte bue et sans éprouver le moindre remords.
Elle est notre subterfuge permanent pour vaincre notre sentiment de culpabilité. La
femme se dévêt du dernier de ses effets et elle se rassure elle-même en se disant qu’elle est
victime de l’amour, que l’amour est un sentiment pur, voulu et décrété par Dieu, qu’elle
n’est pas la première à être aimée ni la dernière à se donner.
Nulle part ailleurs que dans l’amour, on ne trouve un tel tissu moelleux de mensonges. En
toute parole, dans chaque attouchement gît un mensonge. L’instinct sexuel lui-même est
menteur. Avec quelle rapidité ne s’enflamme-t-il pas, pour s’éteindre tout aussi rapidement !
Avec quelle rapidité la gêne et le dégoût ne vous saisissent-ils pas, et vous demandez à
changer de nourriture !
La vérité en amour est rare, plus rare que le diamant dans le désert. Elle est le lot des
personnes droites, non de la commune masse humaine.
Chants et romans d’amour agissent de concert et complotent eux aussi pour tendre des
pièges de mensonges embellis et séduisants. Ce sont des accroches ensorceleuses, faites
d’illusions, de rêves en rose, d’images tape-à-l’œil et trompeuses : un baiser, une étreinte, le
lit partagé, le plaisir de la souffrance, la morsure de la privation, les larmes sur l’oreiller, la
pâmoison de bonheur, la reprise de conscience au moment de la séparation…brume sur
brume… parfums et images alléchantes dessinées par la plume d’artistes qui sont de fieffés
menteurs !
Le mensonge dans l’art est une habitude ancienne qu’ont introduite les poètes depuis les
temps les plus reculés. Les panégyriques et les satires sont, dans notre poésie arabe, la
marque de cette habitude néfaste.
L’art est le fruit de la passion, de l’imagination et de l’humeur du moment.
Que de mensonges pour sûr !
Nous mentons même à table, car nous mangeons alors même que nous sommes rassasiés.
Où donc est la vérité ?
Quand survient-il ce bref instant durant lequel nous aspirons au vrai, et au vrai seul ?
Rarement !
Dans le laboratoire du savant qui pose les yeux sur un microscope, en quête d’une vérité.
La raison est alors éveillée, animée d’un désir vrai et sincère, conduite dans sa recherche
par une parfaite impartialité. Elle réfléchit en toute objectivité, guidée par des chiffres
exacts, des mesures et des lois.
La science est la vision objective des choses, indépendante de la passion et de l’humeur
de caractère. Son unique outil est la recherche minutieuse et le regard scrutateur.
L’autre moment de vérité est celui où l’on est seul avec soi-même, lorsque commence ce
langage secret, ce dialogue intime où l’on écoute sa voix intérieure, sans crainte qu’aucune
autre oreille ne se soit mise furtivement à l’écoute.
On parvient alors au plus secret de son être pour le révéler, le reconnaître et le soustraire
aux profondeurs en l’amenant à la surface de la claire conscience, dans un élan sincère de
compréhension.
C’est là l’un des moments les plus précieux.
La vie s’arrête à cet instant-là pour en manifester la sagesse.
Le cours du temps s’interrompt pour se muer en un sentiment durable de présence : nous
nous trouvons face à la vérité, sans mensonge, ni tricherie, ni fraude, comme à l’heure de la
mort et du râle de l’agonie.
Nous découvrons alors que nous avons vécu notre vie entière pour cet instant, que nous
avons souffert et peiné pour parvenir à cette précieuse connaissance de nous-mêmes.
Il se peut que cet instant survienne une fois dans la vie et la vie entière en dépend par la
suite.
Mais s’il se fait attendre, s’il n’arrive qu’au moment de la mort, la vie est perdue, privée
de sens et de sagesse. Elle est dévorée par les mensonges et l’éveil de la conscience se
produit lorsqu’il est trop tard.
C’est pourquoi le recueillement a toujours été nécessaire et sacré pour l’homme vivant à
une époque qui s’est égarée dans les régions désolées du mensonge et de la falsification. Il
est pour lui une bouée de sauvetage, une approche de la délivrance.
L’homme est seul et meurt seul ; il parvient seul à la vérité. Il n’est pas exagéré de décrire
le monde d’ici-bas en ces termes : vanité des vanités, tout est vanité et poignée de vent.
Tout ce que nous voyons autour de nous en ce bas monde est caractérisé par la vanité et la
fausseté.
Nous nous entretuons par vanité, pour satisfaire un orgueil menteur.
Notre monde est une comédie avant que d’être une tragédie.
Et pourtant, nous brûlons du désir de parvenir au vrai et nous mourons, heureux, sur le
chemin qui y mène.
Le pressentiment du vrai nous comble pleinement, même si nous sommes incapables d’y
accéder.
Nous sentons qu’il nous remplit le cœur, même si nous ne le voyons pas autour de nous.
Ce sentiment qui nous oppresse est la preuve de l’existence du vrai.
Même si nous ne le voyons pas et n’y accédons pas, le vrai est en nous. Il nous stimule. Il
est cet idéal absolu qui ne quitte pas un seul instant notre conscience. Notre regard intérieur
est ouvert sur lui, constamment.
La méditation sereine nous achemine vers lui, de même que la science et le regard
introspectif.
Notre regard intérieur nous conduit vers lui.
Dans le Coran, Dieu est le Vrai : c’est l’un de ses Beaux-Noms.
Tous les indicateurs intérieurs dont il vient d’être question sont pointés vers Lui.
Il surpasse le monde terrestre. Il le transcende.
Nous Le voyons par notre "clair-voyance", non avec l’œil de notre corps.
Notre esprit, par toute la force de son penchant et de son élan, en est la preuve.
Il est on ne peut plus étrange que d’aucuns nous demandent une preuve de l’existence de
Dieu, de l’existence du Vrai, alors qu’ils tendent vers Lui de tout leur être et de tout leur
cœur.
Comment peut-Il être objet de doute Celui vers qui sont orientés tous les cœurs, terme de
leur affection et but auquel tend tout regard "clair-voyant" ?
Comment douter de son existence, alors qu’Il est maître de tous nos sentiments ?
Comment douter du Vrai et demander à ce qui n’est que vanité d’en fournir la preuve ?
Comment déchoir, sous l’effet d’une logique frauduleuse, à un tel degré de contradiction
et faire de ce qui est le cœur même de l’Être et la Vérité des vérités l’objet d’une question ?
Je n’ai de conseil plus précieux à donner que celui-ci : que chacun d’entre nous retourne à
sa nature première ; qu’il revienne à son état de pureté et d’innocence originelles, non
polluées par les circonlocutions de la logique et les distorsions de la raison.
Que chacun, dans la solitude, interroge son cœur ! Et son cœur lui montrera le chemin de
la vérité.
Dieu a déposé en notre cœur une boussole infaillible : notre nature originelle et la
connaissance spontanée.
Cette nature n’est sujette à aucune altération ou déformation, car elle le pivot et le cœur
de l’existence. C’est sur elle que repose le tout de la connaissance et de la science.
« Accomplis les obligations de la religion en vrai croyant
et respectant la nature que Dieu a donnée aux hommes en les créant.
Il n’y a aucun changement dans la création de Dieu. » (Coran : 30, 30)
Dieu a voulu que cette nature tende vers Lui continuellement et soit attirée par Lui,
comme l’aiguille de la boussole pointant vers le nord.
Que chacun de nous soit comme le lui dicte sa nature, sans plus !
Et sa nature lui indiquera le Vrai.
Sa nature originelle le conduira vers Dieu. Tout simplement…
Sois ce que tu es !
Et tu te guideras toi-même vers le Droit Sentier.
La grandiose harmonie

Cela s’est passé il y a quelques années de cela. Je n’oublierai jamais cette nuit-là. C’était
au cours d’un voyage dans la brousse de l’Afrique tropicale. J’étais à bord d’un bateau qui
remontait le Nil imposant et nous avions dépassé Malakal. Nous pénétrâmes alors dans une
région infestée de moustiques où le Nil s’élargissait, formant des marécages à perte de vue.
Nous voguions, pris dans une atmosphère étouffante et très humide. À bord, tous eurent
leur crise de malaria, y compris le capitaine. Pour ma part, je prenais régulièrement des
comprimés de Camoquine, en mesure préventive.
Il me vint alors à l’esprit de monter sur le pont du bateau pour jouir des charmes de cette
nuit passée sous les tropiques.
Je m’enduisis le visage et les bras d’une lotion anti-moustiques et grimpai sur le pont. Un
spectacle féerique s’offrit soudain à ma vue.
J’aperçus des milliers d’arbres qui brillaient, puis s’éteignaient, comme des sapins de
Noël qui s’illuminent par intermittence, à la grande joie des enfants, de milliers de petites
ampoules électriques.
Stupéfait, je me frottai les yeux, puis me remis à regarder.
Ce que je voyais était bien une réalité et non un rêve.
Effectivement, les arbres s’illuminaient, comme s’ils étaient recouverts de milliers de
lampes. Puis ils s’éteignaient.
Le capitaine du bateau m’informa que ce que j’avais vu cette nuit-là était bel et bien une
réalité. Les arbres en question étaient recouverts de vers luisants qui brillaient tous ensemble
pour attirer les moustiques et les manger. Puis ils s’éteignaient et se remettaient à briller.
Telle est la loi de la nature : chaque fois que des insectes se multiplient au point d’être
trop nombreux, Dieu en crée d’autres pour les combattre et les détruire. Ainsi est
sauvegardée l’équilibre au sein de la création. Aucune créature n’en extermine une autre en
vain.
Cette nuit-là est restée gravée dans ma mémoire, de même que la conversation que j’eus
alors.
Chaque jour m’apporte un supplément de preuves que l’univers est réellement le théâtre
d’une grandiose harmonie universelle. Chaque créature y tient la place précise qui a été
décrétée pour elle.
Si le globe terrestre avait une masse inférieure à celle qu’il a, la pesanteur y diminuerait.
L’air se raréfierait et se perdrait dans le vide. L’eau se volatiliserait et la terre deviendrait
semblable à la lune, une surface désolée, sans eau, ni air, ni atmosphère. La vie n’y serait
plus possible.
S’il avait par contre une masse supérieure à celle de maintenant, la pesanteur
augmenterait. Il nous serait beaucoup plus pénible de nous mouvoir et notre poids croîtrait
considérablement. Notre corps deviendrait un fardeau impossible à soulever.
Si la terre tournait sur elle-même à une vitesse moindre, égale à celle de la lune par
exemple, la longueur des jours et des nuits deviendrait quatorze fois plus grande. Toutes les
deux semaines par conséquent, la température passerait d’une chaleur torride à un froid
mortel, rendant impossible toute forme de vie.
Si l’orbite de la rotation terrestre passait plus près du soleil, comme c’est le cas pour
Vénus, nous ne pourrions résister à la chaleur. Si elle s’en éloignait, comme c’est le cas pour
Saturne et Jupiter, nous péririons de froid.
Nous savons par ailleurs que la terre effectue sa rotation en formant un angle de
déclinaison de 33 degrés. De là naissent les saisons et c’est ce qui rend cultivables et
habitables la plupart des régions terrestres.
Si l’écorce terrestre était plus épaisse, elle absorberait l’oxygène et nous n’aurions plus la
quantité suffisante de ce gaz précieux pour respirer.
Si les mers étaient plus profondes, les eaux en surplus absorberaient le CO² nécessaire à
la vie et à la respiration des plantes.
Si la couche atmosphérique était moins épaisse, les météores et les étoiles filantes
fondraient sur nous au lieu de se désintégrer, comme c’est le cas, en traversant l’atmosphère.
Si la proportion d’oxygène dans l’atmosphère était plus importante qu’elle n’est, les
risques d’incendie seraient accrus. L’incendie le plus bénin se transformerait en une terrible
déflagration. Et si cette proportion diminuait, nous serions apathiques.
Si la glace n’avait pas une densité inférieure à celle de l’eau, elle ne flotterait pas en
surface. Elle ne pourrait donc retenir la chaleur des fonds marins sans laquelle la vie, celle
des poissons notamment, ne serait pas possible.
Sans la protection de l’ozone qui est épars dans l’atmosphère et qui ne laisse filtrer
qu’une faible proportion de rayons ultraviolets, ces rayons seraient mortels pour nous.
Si nous en venons maintenant à l’anatomie du corps humain, nous y constatons une
harmonie minutieuse qui n’a pas fini de nous émerveiller et de nous étonner.
Dans le sang, par exemple, chaque élément a une proportion et une quantité bien
déterminées : sodium, potassium, calcium, sucre, cholestérol, urée…
Au cas où intervient la moindre déficience, si minime soit-elle, dans ces proportions, c’est
la paralysie, puis la mort.
Le corps est armé de dispositifs qui agissent automatiquement pour sauvegarder cet
équilibre, la vie durant.
Pour être préservées, l’alcalinité du sang et l’acidité de l’urine sont soumises à des doses
bien précises.
La température normale du corps humain est de 33 degrés centigrades. Des réactions
physiologiques et chimiques ont pour fonction de la maintenir régulière et stable à ce
niveau.
Il en est de même pour la pression sanguine, la tension musculaire, les pulsations
cardiaques, l’alternance de l’inspiration et de l’expiration, la régulation de la combustion
chimique dans le foie, l’équilibre nerveux ente les systèmes sympathique et
parasympathique, la régulation opérée par les hormones et les enzymes dans l’accélération
ou le ralentissement des réactions chimiques vitales.
Ce chef-d’œuvre d’équilibre, de coordination et d’harmonie, tout médecin en a
connaissance, ainsi que quiconque étudie la physiologie, l’anatomie et la chimie organique.
« Dieu a créé toute chose
en fixant de manière immuable son destin. » (Coran : 25, 2)
Nous n’en finirions pas de donner des exemples empruntés à la botanique, à la zoologie, à
la médecine ou à l’astronomie.
Des livres entiers seraient à citer et chaque page apporterait une confirmation de la
minutieuse harmonie et de la merveilleuse précision qui règnent au sein du monde créé.
Ne voir en cet ordre harmonieux que le fruit du hasard serait faire preuve ni plus ni moins
de simplisme, comme si l’on prétendait, par exemple, qu’une explosion dans une imprimerie
pouvait disposer les caractères typographiques de telle façon qu’il en résulte la composition
d’un dictionnaire rigoureusement exact.
Le chimiste qui a déclaré : « Donnez-moi les conditions atmosphériques, l’eau, le limon
et les circonstances d’où est issue pour la première fois la vie, et je vous fabriquerai un
homme ! », ce chimiste a reconnu par là même qu’il ne disposait pas des éléments et des
circonstances nécessaires. Il avouait ainsi son incapacité à imiter l’œuvre du Créateur qui fut
l’auteur à la fois de la créature et des circonstances de son apparition.
Si nous procurions audit chimiste tout ce dont il a besoin, et à supposer par impossible
qu’il réussisse à créer un être humain, il ne dirait pas : « Cet homme est le résultat du hasard
», mais bien : « C’est moi qui l’ai créé ! »
On a prétendu qu’un singe, installé devant une machine à écrire pendant un temps illimité
pour y composer une infinité de possibilités, en arriverait bien un jour, par hasard, à
reproduire un vers de Shakespeare ou une phrase qui ait un sens. Mais une telle hypothèse
est irrecevable.
Supposons, par impossible, qu’après des millions d’échanges et de combinaisons entre les
éléments existant dans la nature, une certaine quantité d’acides nucléiques ADN, se
renouvelant spontanément, ait pu se former par un pur hasard dans les eaux marécageuses,
comment expliquer alors que cette quantité d’acides organiques ait évolué pour aboutir à la
vie que nous connaissons ?
Il faudrait à nouveau invoquer le hasard pour expliquer la formation du protoplasme.
Et ce serait encore par pur hasard que la cellule se serait formée et ensuite scindée en
deux catégories : la cellule végétale et la cellule animale.
Degré par degré, nous remonterions l’arbre de la vie grâce à cette solution miracle.
Chaque fois que nous serions dans l’impasse pour expliquer quelque chose, nous dirions :
« Cela s’est produit par hasard ! »
Mais est-ce raisonnable ?
Est-ce par hasard que le poussin, au moment de l’éclosion, brise la coquille de l’œuf dès
qu’y apparaît le moindre trou ?
Est-ce par hasard que les lèvres des plaies se referment et se cicatrisent d’elles-mêmes,
sans l’intervention d’un chirurgien ?
Est-ce par hasard que l’héliotrope se tourne vers le soleil qui est, pour lui, source de vie ?
Est-ce par hasard que les arbres désertiques fabriquent des ailes aux graines qu’ils
produisent pour permettre à celles-ci de franchir les déserts en quête de meilleures
conditions de germination et d’irrigation ?
Est-ce par hasard que les plantes ont découvert leur bombe verte - la chlorophylle- et
qu’elles s’en servent pour créer l’énergie dont elles ont besoin pour vivre ?
Est-ce par hasard que les moustiques, sans l’aide d’Archimède, munissent leurs œufs de
pochettes d’air pour leur permettre de flotter sur l’eau ?
Et les abeilles qui vivent en société organisée et appliquent les règles de l’architecture et
les subtilités de la chimie pour transformer leur nectar en miel et en cire ?
Et les termites qui ont découvert les premiers principes de l’air conditionné pour leurs
nids et qui appliquent, dans leur société, un rigoureux système de classes ?
Et les insectes aux couleurs voyantes qui ont découvert les principes et l’art du
maquillage pour se déguiser et se camoufler ?
Tout cela est-il le fruit du hasard ?
L’admettrions-nous dans un cas, au point de départ, comment la raison pourrait-elle
accepter une chaîne sans fin d’effets purement accidentels d’un obscur hasard ?
Ce serait faire montre d’une naïveté que l’on rencontre uniquement dans de vulgaires
films comiques.
La pensée matérialiste s’est elle-même retrouvée dans une impasse face à une telle
représentation simpliste. Elle a commencé à se libérer du terme "hasard" pour lancer une
autre hypothèse. Elle a prétendu que la vie, déconcertante dans ses différentes formes et
ramifications, serait partie d’un état de nécessité, semblable à celle qui vous pousse à
manger quand vous ressentez la faim. Puis la nécessité serait devenue plus complexe avec la
complexité des circonstances, des milieux ambiants et des besoins. De là seraient apparues
toutes les formes de vie.
Cela revient à jouer sur les mots.
Les matérialistes ont remplacé le hasard par une nécessité qui, selon eux, devient
spontanément de plus en plus complexe, tout comme une mélodie évoluerait spontanément
en symphonie. Mais comment ?
Comment une simple nouvelle évoluerait-elle en un récit solidement charpenté sans
l’intelligence d’un écrivain ?
Et qui est au point de départ de la nécessité ?
Comment le nécessaire proviendrait-il du non-nécessaire ?
La mauvaise volonté et la raison présomptueuse sont poussées dans leurs derniers
retranchements si elles persistent à se fermer à la voix de la nature, laquelle ne cesse de
s’imposer, affirmant l’existence d’un Créateur présidant à la création. Dieu est la main
directrice, le maestro qui conduit ce merveilleux concerto.
Manifestation d’un équilibre grandiose et d’une majestueuse harmonie, chef-d’œuvre de
cohésion et de régularité dans l’infinité des minutieux détails dont il se compose, l’univers
entier crie l’existence du Créateur de telles merveilles : un Dieu Tout-Puissant et infiniment
Parfait qui est proche de ses créatures comme l’est le sang qui coule dans leurs veines. Il
prend soin d’elles, tel un Père plein de tendresse. Il répond à leurs besoins, écoute leurs
plaintes et est attentif à leur sort. Il est celui que les religions décrivent à l’aide des Beaux-
Noms, et nul autre. Ce Dieu-là n’a rien à voir avec la loi inexorable qu’avance les sciences
de la matière. Il n’est pas le Dieu solitaire d’Aristote, ni le Dieu platonicien trônant dans le
monde des Idées, ni cet Être matériel et universel qu’ont imaginé Spinoza ou les adeptes de
l’unicité de l’être.
Il est l’Unique, qui n’a pas son semblable.
Il dépasse tout ce que nous pouvons penser ou imaginer. Il transcende le temps et
l’espace.
Manifeste dans ses Œuvres, Il demeure caché dans son Essence. Aucun regard ne
l’atteint, mais Lui-même voit tous les regards. C’est même par Lui que nous voyons,
éclairés par sa Lumière et l’énergie qu’Il a déposée en nous.
L’esprit scientifique n’admet pas semblable langage mystique. Il veut voir Dieu pour
confesser son existence.
Si nous admettons que Dieu n’est pas limité et donc qu’Il ne peut tomber sous le regard,
si nous affirmons de Lui qu’Il est l’Infini, le Mystère, la science nous rétorque que c’est
précisément pour cette raison qu’elle ne Le reconnaît pas, que la foi au mystère n’est pas de
son ressort et que son domaine de compétences commence au sensible pour finir au
sensible, sans plus.
Nous répondons alors à la science qu’elle ment ! Car la science elle-même est maintenant
pour moitié liée au mystère. Elle observe et enregistre ses observations. Elle constate, par
exemple, qu’escalader une montagne est plus pénible qu’en descendre, que porter une pierre
sur le dos est plus difficile que soulever un caillou, qu’un oiseau mort s’abat sur le sol
comme une pomme tombe de l’arbre, que la lune, suspendue dans le ciel, est animée d’un
mouvement de rotation.
Aucune relation n’apparaît entre les précédentes observations.
Et pourtant, à la lumière de la loi de la gravitation universelle découverte par Newton,
l’unité devient évidente entre elles. La chute de la pomme, la difficulté d’escalader une
montagne ou de soulever une pierre, la stabilité de la lune sur son orbite, tous ces
phénomènes sont autant de manifestations de la loi de gravitation.
Cette théorie, certes, nous explique les faits. Il n’en reste pas moins vrai que la gravitation
est un mystère dont personne ne connaît la nature exacte. Personne n’a vu les colonnes qui
soutiennent les cieux et les astres qu’ils contiennent.
Newton en personne, qui était pourtant l’inventeur de la théorie, déclarait dans une lettre
adressée à son ami Bentley : « C’est incompréhensible ! Comment peut-on trouver un corps
insensible et sans vie qui influe sur un autre corps au moyen de l’attraction, bien qu’il
n’existe entre eux aucune relation ? »
Voici donc une théorie que nous transmettons, en laquelle nous croyons et que nous
considérons comme scientifique. Et il se trouve qu’elle n’est que mystère.
Et l’électron ?
Et les ondes radio ?
Et l’atome ?
Et le neutron ?
Nous n’en avons jamais rien vu. Et cependant, nous croyons qu’ils existent, uniquement
parce que nous constatons leurs effets. À partir de ces effets, nous élaborons des sciences
hautement spécialisées et, pour les étudier, nous construisons des laboratoires. Et pourtant,
ces réalités constituent pour nous, pour nos sens, un mystère total.
La science n’est parvenue à connaître la substance d’aucune chose. Absolument aucune.
Nous ne connaissons que des noms, en ignorant ce qu’ils recouvrent. Nous échangeons
des termes techniques sans savoir ce qu’ils représentent en fait.
Lorsque Dieu a instruit Adam, Il ne lui a appris que des noms, sans lui en révéler le
contenu.
« Il a appris à Adam le nom de tous les êtres. » (Coran : 2, 31)
Telles sont les limites de la science.
Quiconque aspire à la science cherche à découvrir des rapports, des mesures… Mais il ne
peut absolument pas saisir l’essence, la substance ou la nature des objets de sa recherche. Il
se familiarise avec ces objets, mais toujours selon leurs apparences et tels qu’il les perçoit
de l’extérieur.
Bien qu’il soit, grâce aux théories, au contact immédiat de la substance secrète des
choses, il doit se contenter de pures hypothèses, de représentations de questions qui restent,
pour les instruments qu’il utilise, purement mystérieuses et conjecturales.
Le mystère a sa place dans la science de notre époque, une science qui erre dans le
labyrinthe des hypothèses.
Après avoir été inondée de mystères, la science ne peut plus maintenant se révolter contre
eux.
Il est donc mieux pour nous de croire en Celui qui connaît le mystère, le Créateur Bon et
Généreux, Lui dont nous voyons la trace pour peu que nous sachions ouvrir les yeux,
écouter la moindre pulsation de notre cœur ou faire place à la contemplation.
C’est pour nous plus honorable que de nous perdre dans les hypothèses.
L'Imposteur

Les religions nous parlent d’un être qui apparaîtra à la fin des temps. Par les prodiges et
les miracles qu’il accomplira, il séduira les hommes du monde entier qui, croyant qu’il
s’agit d’un dieu, se mettront à le suivre.
Il nous est dit de cet être qu’il est borgne et doté d’une puissance prodigieuse. D’un seul
œil, il peut voir ce qui se passe aux confins de la terre. Il peut entendre ce qui se murmure
au-delà des mers. Il peut faire pleuvoir à son gré, tout comme il peut faire croître les
plantations et découvrir les trésors enfouis. Il guérit les malades, ressuscite les morts, fait
mourir les vivants. Il vole à la vitesse du vent.
Tel est l’Imposteur, annonciateur de l’heure du Jugement dont nous parlent les Livres
révélés.
En fait, d’après Leopold Weiss, un écrivain polonais qui, après s’être converti à l’Islam,
vécut à La Mecque, il est déjà apparu.
Selon cet auteur, l’Imposteur, ce monstre répugnant aux allures de cyclope, représente le
progrès, la puissance et le bien-être matériels, ces divinités de notre temps.
En ce siècle de l’atome, la civilisation est borgne et boiteuse. Elle regarde dans une seule
direction : celle de la matière. Dans le même temps, elle perd son second œil – son âme –
qui perçoit la dimension spirituelle de la vie. D’où les conséquences : une puissance sans
amour, une science sans religion, une technologie sans morale.
Fort de sa science, le Monstre peut effectivement entendre jusqu’aux confins de la terre,
grâce à la radio. Avec la télévision, il peut voir ce qui se passe au bout du monde.
Actuellement, il peut faire pleuvoir artificiellement. Il cultive les déserts, guérit les malades
et transplante les cœurs des morts sur les vivants. Il utilise des fusées pour faire le tour de la
terre. Il propage la mort et la destruction avec ses bombes atomiques. Il découvre des mines
d’or dans les entrailles des montagnes.
Les hommes ont été séduits par ce Monstre et se sont mis à l’adorer.
Devant l’impressionnant déploiement du progrès scientifique occidental, nous autres,
Orientaux, avons perdu confiance en nous. Nous avons considéré avec mépris notre
tradition et notre religion.
Sous le coup du sentiment que nous avions de nos déficiences et de notre sous-
développement, nous avons considéré nos religions comme un ensemble de superstitions
honteuses dont il fallait se débarrasser pour rejoindre le cortège du progrès et pénétrer ainsi
dans l’enceinte d’un nouveau temple : celui de la science, où l’on vénère ce nouveau dieu
qui a pour nom la puissance matérielle.
Éblouis au point d’en perdre la raison, nous nous sommes prosternés. Nous avons
confondu objectif et moyens, considérant la puissance matérielle comme un but, oubliant
qu’il s’agissait d’un simple moyen.
Le train, les télécommunications, l’électricité et l’énergie atomique ne sont que des
moyens au service de l’homme. Ils lui permettent d’être libéré des servitudes matérielles
pour se consacrer à la réflexion, à la contemplation, à l’enrichissement de son esprit par la
vraie connaissance.
Mais contrairement à cela, nous nous sommes mis au service de ces moyens. Au prix de
moult peines et fatigues, nous nous démenons pour acheter une voiture, une radio, une
télévision. Lorsque nous les possédons, notre avidité ne fait que grandir. Nous voulons une
voiture plus grande encore, un magnétophone stéréophonique, un bateau de plaisance, un
yacht, une villa, une pelouse, une piscine, et puis… et puis… un avion privé si possible !
Progressivement, nous sommes submergés par l’avalanche des produits de consommation
qui encombrent les vitrines. Notre fringale devient de plus en plus vorace chaque fois que
nous nous évertuons à acheter du neuf. Nous voilà pris dans le cercle vicieux d’une avidité
qui ne s’apaise que pour recommencer de plus belle. Nous voulons en permanence acquérir
ce qui peut procurer la puissance matérielle ou le bien-être, en réponse aux offres
quotidiennes de la technologie qui s’affichent dans les devantures des magasins.
De même que le simple citoyen amasse les biens de consommation, les nations
accumulent, elles, les armements et les munitions pour s’entre-détruire dans des guerres
meurtrières. Puis elles se remettent à entasser des armements plus dangereux et des bombes
d’une puissance supérieure.
Le monde est devenu le théâtre d’une folie qui emporte les humains dans une même
direction : celle de la puissance matérielle. L’Imposteur, ce monstre borgne, est le dieu de ce
siècle.
Pas de dieu sinon la Matière ! C’est ainsi que l’on prie chaque jour.
La foi au vrai Dieu a disparu, en même temps que le sentiment de sécurité, de paix, de
tranquillité.
La représentation philosophique du monde est celle d’une jungle où l’on s’entre-dévore à
belles dents.
Lutte des classes, racisme, fanatisme religieux…monde effrayant fait de peur et de
meurtres.
Il n’est plus personne dans les cieux pour guider ce monde et le protéger.
C’est à cette déchéance que nous a abaissés le culte de l’Imposteur ayant pour nom la
puissance matérielle.
Et le résultat ?
C’est un homme triste, préoccupé, craintif, stressé. C’est ce jeune homme qui s’adonne à
la drogue dans les rues de Londres ou de Paris. C’est le suicide et la folie dont nous voyons
le plus haut pourcentage dans les pays regorgeant de richesses et de bien-être : Suède,
Norvège, Amérique…
L’homme en proie à la terreur tente de récupérer son sentiment de sécurité en ayant
recours à l’artifice des moyens technologiques. Il installe à sa porte un œil magique
fonctionnant aux rayons infrarouges pour détecter la présence de voleurs. Il équipe son
coffre-fort d’une alarme. Il se fait faire une électrocardiographie chaque mois pour déceler
la thrombose avant qu’il ne soit trop tard.
Appareils d’air conditionné, services de sûreté, vitamines par dizaines d’espèces,
calmants, stimulants, appareils de musculation, moyens de sécurité nécessitant à leur tour
d’autres moyens pour être eux aussi sécurisés : voilà ce dont a besoin l’homme
d’aujourd’hui. Et, en fin de compte, il n’y trouve aucune tranquillité. Sa peur et son angoisse
ne font au contraire qu’augmenter, en même temps que son besoin de se procurer toujours
plus de moyens matériels inutiles.
Prisonnier de ce dédale où il s’est fourvoyé, l’homme en oublie que c’est au point de
départ qu’il s’est trompé, lorsqu’il s’est imaginé un monde sans Dieu, un monde où il s’est
trouvé jeté, sans aucune loi pour le protéger ni aucun Seigneur pour lui demander des
comptes.
Il s’est trompé une seconde fois lorsqu’il s’est mis à adorer la puissance matérielle et qu’il
en a fait la source de son bonheur et de sa sécurité ainsi que le but ultime de sa vie, à la
place de Dieu. Il s’est imaginé que cette puissance lui procurerait la paix, le calme, la
tranquillité perdue et qu’elle pouvait le préserver de la mort et de l’anéantissement. Et voici
que cette puissance lui dérobe la paix de l’âme. Elle se retourne contre lui en se
transformant finalement en instruments de guerre destructeurs et meurtriers.
Il s’est trompé une troisième fois lorsqu’il s’est imaginé que la chimie, les sciences
naturelles et l’électronique étaient la source du savoir et que la religion n’était qu’un amas
d’affabulations.
S’il avait réfléchi un tant soit peu, il se serait rendu compte que lesdites sciences ne
procurent en réalité que des connaissances limitées, portant sur des vérités partielles et
traitant uniquement de proportions, de dimensions, de quantités… alors que la religion, elle,
est une science totale portant sur des vérités universelles. Elle est même la science suprême
qui s’intéresse aux premiers fondements et aux fins dernières des êtres, une science ayant
pour objet le but ultime de l’existence, le sens de la vie, la signification de la souffrance.
La chimie, les sciences naturelles et l’électronique sont des sciences mineures.
La religion est la science majeure qui englobe toutes les autres sciences.
Il n’existe aucune contradiction entre religion et sciences, car la religion, par sa nature
même, est la science suprême.
La religion est nécessaire pour délimiter aux sciences leurs buts et leur champ de
compétences. C’est elle qui leur assigne leur juste fonction dans le cadre d’une vie
parfaitement équilibrée.
La religion fait place à la conscience morale. Cette conscience, à son tour, opte pour le
rôle constructif de l’énergie atomique, refusant de s’en servir pour semer la dévastation et la
mort parmi les innocents.
C’est la religion qui nous incite à utiliser l’électricité pour nous éclairer, non pour
détruire. Ou encore à voir dans les sciences des moyens, non des buts. Et de même pour le
progrès matériel et les machines que nous utilisons.
La matière a, comme nous, été créée ; elle n’est pas un dieu à vénérer. Elle ne peut
procurer à l’homme la tranquillité, la paix ou le bonheur, car la dissolution, la corruption,
l’altération et le changement font partie de sa nature. Elle participe en cela de la finitude de
l’univers. On ne peut donc se fier à elle, car elle ne constitue en rien une protection
véritable.
Le progrès matériel est nécessaire. Mais c’est un moyen, sans plus, comme les autres
moyens dont se sert l’homme civilisé. Il n’est pas une fin en soi.
À ce titre, la religion ne le condamne pas, mais elle le situe à sa véritable place.
Elle ne refuse pas la science. Au contraire ! Elle demande qu’on s’y adonne, à la
condition cependant de n’y voir qu’un moyen de connaissance parmi les nombreux autres
moyens à la disposition de l’homme : sa nature, la "clair-voyance", l’intuition, l’inspiration,
la révélation.
Il n’est pas bon de vouloir ignorer la science et de refuser d’utiliser les moyens matériels
modernes. Mais il est tout aussi néfaste de vénérer ces moyens et de se laisser assujettir par
eux. Nous tenons là l’une des raisons du sous-développement de notre pays.
De deux choses l’une en Orient : ou bien on refuse la science pour se contenter de la
religion et du Coran ; ou bien on rejette la religion pour se tourner exclusivement vers la
science et le progrès matériel.
Ces deux attitudes ont été, entre autres causes, à l’origine du déclin de la civilisation dans
notre contrée, car elles ne comprennent rien à la signification véritable de la religion et de la
science.
La religion – l’Islam notamment – considère la science comme un devoir. Notre Prophète
Muhammad l’affirme : celui qui meurt sur la voie de la science est l’égal du martyr de la foi.
Les savants sont les héritiers des prophètes… Il nous faut chercher la science, serait-ce
même jusqu’en Chine !
Dans le Coran le premier mot révélé est : iqrâ’, c’est-à-dire "lis", "récite" !
L’Islam est une religion de la raison. Il s’adresse à ses adeptes en ayant recours à la
méthode rationnelle.
La science et le progrès scientifique ont un grand rôle à jouer ici-bas. Mais ce sont des
moyens, non des fins ; des instruments, non des idoles à adorer.
Chaque chose à sa place !
Les moyens matériels n’apportent à l’âme ni paix, ni tranquillité. Ils procurent
uniquement le luxe, le confort et les commodités de la vie. Mais l’angoisse et la détresse
spirituelle demeurent en dépit du réfrigérateur, de la télévision, de la radio, du
magnétophone, de l’air conditionné, de la Chevrolet… Qui plus est ! Cette angoisse et cette
détresse s’aggravent au fur et à mesure que l’homme est asservi à ces moyens.
Le cœur ne trouve de repos, l’esprit n’est habité par la paix et la confiance que moyennant
la croyance en Dieu : un Dieu Juste et Parfait qui a créé l’univers en lui fixant des lois pour
le préserver et en y décrétant chaque chose par sagesse. À la lumière de cette foi, nous
savons que nous sommes aussi sur la voie du retour vers Dieu. Nos souffrances et nos
peines ne seront pas en vain. La personne humaine est un absolu et non un rouage condamné
à retourner en poussière.
Cette conviction religieuse est la seule à rendre à l’homme sa considération et sa dignité.
Le frigo, la télé, le magnétophone ou autres ustensiles du même acabit en sont bien
incapables, aussi coûteux soient-ils !
Grâce à cette conviction, l’homme retrouve la paix de l’âme. Il parvient à un état
d’épanouissement spirituel et de parfaite sérénité intérieure. Il se sent plus fort que la mort,
plus fort que l’oppression.
Avec cette certitude, il peut affronter et surmonter les pires dangers. Avec sa foi, il est
dans une forteresse beaucoup plus sûre que toutes les carapaces de char, une forteresse qui
résiste à tous les projectiles, qui défie même la mort.
Par cette foi, l’homme ressent qu’il se retrouve lui-même, tel qu’il est en vérité. En
connaissant son Dieu Unique et Parfait, il parvient à la connaissance de lui-même et de sa
dignité.
Quiconque a expérimenté ce sentiment exceptionnel sait qu’il s’agit d’un état
d’illumination intérieure qui bannit toute dissimulation. Aucune pseudo-sérénité n’en
découle, mais uniquement la vérité perçue au grand jour.
Nous savons ce qu’est cette certitude à partir de son contraire : l’état où se retrouvent tant
d’hommes qui vénèrent l’Imposteur, le monstre de notre siècle atomique, au cerveau
électronique ; ou encore la situation de cette multitude d’êtres humains qui s’entre-dévorent
à belles dents, qui s’adonnent à la drogue, qui se réfugient dans la folie et le suicide, qui
s’acheminent, marchant dans le sang, vers une troisième guerre mondiale.
Écoute ta droite nature ! Elle te révélera qui des deux a raison : cette multitude qui
s’entre-déchire sous le coup de la rancune, de la haine, de l’avidité ; ou bien cette minorité
qui a reçu le don de la paix intérieure et qui a perçu l’existence de Dieu.
La religion ne rejette ni la vie, ni la raison.
L’Islam, pour sa part, est basé sur le principe de l’amour de la vie. Il l’aime et en prend
soin. Il incite au respect de la raison et à la poursuite de la science. Il propose une loi
moderne unifiant l’esprit et le corps, dans une harmonie sans pareille : aucune tyrannie de
l’esprit sur le corps, ni du corps sur l’esprit, mais l’accord des deux ne faisant qu’un.
L’Islam ne nous demande pas de renoncer à l’instinct sexuel. Il exige seulement que nous
le maîtrisions et que nous l’utilisions dans le cadre d’une relation légitime.
Pour l’Islam, le critère de la piété n’est pas la vie solitaire et monacale ou le retrait du
monde pour s’adonner à la contemplation, mais l’action. La prière doit aller de pair avec le
travail des mains et l’activité corporelle en vue du bien et de l’utilité dans la société.
L’humilité de l’âme ne suffit pas à la prière ; le corps doit aussi exprimer cette humilité par
l’inclination et la prosternation.
La prière rituelle musulmane est le symbole de l’unité indivisible de l’esprit et du corps :
l’esprit se tient dans l’humilité ; la langue proclame la louange de Dieu ; le corps se
prosterne.
La procession autour de la Ka’ba, lors du pèlerinage à La Mecque, est un autre expression
de la concentration des actions autour d’un même pôle. Elle est aussi le symbole de
l’assignation d’un même but aux actions et aux pensées, à savoir le Créateur, le seul
Existant en vérité, de qui provient toute chose et à qui tout retourne. Elle est l’expression
corporelle, mentale et spirituelle de cette unité.
L’Islam procure ainsi à l’homme la paix intérieure. Il lui rend son unité spirituelle-
corporelle, mettant fin à la lutte éternelle entre passion et raison, engendrant la passion
raisonnée et éclairée où s’unissent les deux contraires. Sentiment et pensée, vie intérieure et
comportement extérieur se retrouvent unis. C’en est fini de cet homme hypocrite en qui le
cœur et la raison, la raison et les paroles, les paroles et les actes sont en contradiction.
Remplaçant cet homme divisé et écartelé, apparaît un être nouveau en qui esprit et corps,
paroles et actes, vie intérieure et comportement extérieur ne font plus qu’un.
Grâce à cette unification de sa personne, l’homme parvient à l’unification avec son
Seigneur. C’est un état de proximité qui introduit l’être humain dans la sphère de la Lumière
divine, au seuil même du monde céleste.
L’Islam est centré sur cette notion fondamentale : celle de l’unicité. C’est bien ce que
confirme le Coran, en chacun de ses versets. Avec tout ce qu’il contient d’images, de récits,
d’exemples, d’ordres et d’admonitions, il y revient sans cesse.
L’Islam offre à notre siècle matérialiste la seule porte de salut, l’unique solution, la seule
issue possible, car il englobe tout son patrimoine spirituel, sans le contraindre à abandonner
quoi que ce soit de son acquis scientifique ou de sa supériorité matérielle.
Tout ce que veut l’Islam, c’est que soient parfaitement réalisées l’harmonie et l’union
entre matière et esprit pour que soit instaurée une nouvelle civilisation : celle de la puissance
et de la miséricorde ; celle où la puissance matérielle ne soit pas un monstre que l’on vénère,
mais uniquement un instrument et un moyen à la disposition d’un cœur miséricordieux.
C’est ainsi que sera anéanti l’Imposteur et que s’instaurera l’état de l’Homme Parfait.

À ceux qui demandent avec perplexité : « Pourquoi Dieu nous a-t-Il créés ? Pourquoi
nous a-t-Il mis en ce monde ? Quelle est la sagesse sous-jacente aux tourments qui nous
affligent ? », le Coran dans son entier répond : Dieu a créé l’homme ici-bas en le dotant
d’une curiosité inscrite dans sa nature pour qu’il cherche à connaître ce que recèle ce monde
de richesses ignorées, pour qu’il cherche également à se connaître lui-même. Se connaissant
lui-même, l’homme connaît son Seigneur. Il perçoit la dignité suprême de ce Seigneur de
Gloire. Il Lui exprime sa soumission et son amour. Ainsi devient-il apte à recevoir l’Amour
et les Bienfaits divins.
C’est pour cela, pour ce but ultime, que Dieu nous a créés, pour nous manifester son
Amour et sa Bonté. S’Il nous fait souffrir, c’est pour nous réveiller de notre torpeur et
qu’ainsi, nous devenions aptes à recevoir son Amour et ses Bienfaits.
Dieu a créé par Amour.
Dieu a créé pour Aimer.
C’est par Amour qu’Il fait souffrir.

Loué et exalté dans les cieux soit Celui qui nous a créés par Amour et Miséricorde !

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