Vous êtes sur la page 1sur 77

ttrtt£rittl jtrwl^iï** |tiirl«* ilnttl il**tn4vtir

Angèle Kremer Marietti

Jean-Paul Sartre et le désir d'être

Une lecture de l'Être et le néant

itirl* ilrml i ' . ' "■ -


JEAN-PAUL SARTRE ET
LE DÉSIR D'ÊTRE
© L'Harmattan, 2005
ISBN : 2-7475-8483-6
EAN: 9782747584838
Angèle KREMER MARIETTI

JEAN-PAUL SARTRE ET
LE DÉSIR D'ÊTRE

Une lecture de L'Être et le néant

L'Harmattan L'Harmattan Kdnyvesbolt L'Harmattan Italia


5-7, rue de l'École-Polytechnique 1053 Budapest Via Degli Artisti, 15
75005 Paris Kossuth L.u. 14-16 10124 Torino
FRANCE HONGRIE ITALIE
Commentaires philosophiques
Collection dirigée par Angèle Kremer Marietti
et FouadNohra
Permettre au lecteur de redécouvrir des auteurs connus, appartenant
à ladite "histoire de la philosophie", à travers leur lecture méthodique,
telle est la finalité des ouvrages de la présente collection.
Cette dernière demeure ouverte dans le temps et l'espace, et intègre
aussi bien les nouvelles lectures des "classiques" par trop connus que
la présentation de nouveaux venus dans le répertoire des philosophes à
reconnaître.
Les ouvrages seront à la disposition d'étudiants, d'enseignants et de
lecteurs de tout genre intéressés par les grands thèmes de la
philosophie.

Déjà parus

Michail MAIATSKY, Platon penseur du visuel, 2005.


Rafika BEN MRAD, La Mimésis créatrice dans la Poétique et
la Rhétorique d'Aristote, 2004.
Gisèle SOUCHON, Nietzsche : généalogie de l'individu, 2003.
Gunilla HAAC (dir.), Hommage à Oscar Haac, mélanges
historiques, philosophiques et littéraires, 2003.
Angèle KREMER MARIETTI, Carnets philosophiques, 2002.
Angèle KREMER MARIETTI, KarlJaspers, 2002.
Jean-Marie VERNIER (introduction, traduction et notes par),
Saint Thomas dfAquin, questions disputées de Vâme, 2001.
Auguste COMTE, Plan des travaux scientifiques nécessaires
pour réorganiser la société, 2001.
Michel BOURDEAU, Locus Logicus. L'ontologie catégoriale
dans la philosophie contemporaine, 2000.
Guy-François DELAPORTE, Lecture du commentaire de
Thomas d'Aquin sur le Traité de l'âme d'Aristote, 1999.
John Stuart MILL, Auguste Comte et le positivisme, 1999.
À ma sœur Janine Ladmiral,
trop tôt disparue.
TABLE DES MATIERES

Introduction 11

I. L'être et le néant : Les présupposés


philosophiques 13

IL Vers une théorie générale de l'être 23

1. De l'être au néant 24
2. La 2ème partie : l'être-pour-soi 31
3. La 3ème partie : le pour-autrui 38

III. La quatrième partie : Après la théorie de


l'être, la théorie de l'action 53

Conclusion 67

Petite bibliographiede Sartre 71


Introduction

Il peut être étonnant de mettre en avant une notion qui


n'apparaît explicitement qu'au cours et en fin de parcours
d'une longue phénoménologie, autrement dit d'une longue
description des phénomènes de conscience et/ou de Y être
vécu, et qui n'est autre que le texte même de L'être et le
néant dont est proposée une lecture tout simplement
compréhensive.

Or, cette notion à laquelle aboutit L'être et le néant est


bien celle du « désir d'être » qui, selon la manière de Sartre,
définit et caractérise le plus concrètement possible l'être
humain.

On avait plus généralement (et un peu facilement)


retenu la notion sartrienne de « manque d'être » relativement
à l'humain. Certes, Sartre s'emploie patiemment à décrire ce
manque qui n'est pourtant en rien passif ni nullement inerte,
puisque la recherche de Sartre aboutit à découvrir l'humain
essentiellement animé de la tendance à « remplir les vides ».
Loin d'être une fatalité désespérante, ce manque bien réel est
en tout cas un manque actif au point même qu'il est
indéniablement un désir vif et constant de ce dont il manque
manifestement.
I.

L'ÊTRE ET LE NÉANT
LES
PRÉSUPPOSÉS
PHILOSOPHIQUES

L'être et le néant est à la fois l'œuvre centrale et


principale de Jean-Paul Sartre qui Ta présentée comme un
essai d' « ontologie phénoménologique ». On peut affirmer
avec vérité que le programme impliqué par le sous-titre a été
honorablement rempli. S'agit-il, comme il a été dit parfois,
d'un syncrétisme réunissant les diverses intentions de
Husserl, de Heidegger et de Hegel ? Cette œuvre ne
manifeste-t-elle pas plutôt une alliance entre deux formes
modernes de la philosophie : la phénoménologie et la
dialectique ? C'est en tout cas ce que confirmera la
Critique delà raison dialectique (1960).

En quoi, il est permis d'invoquer Hegel, comme le fait


Walter Biemel dans son article de 1958 : «Das Wesen der
Dialektik bei Hegel und Sartre » (« L'essence de la
dialectique chez Hegel et chez Sartre »), paru dans la revue

1
L'être et le néant, Paris : Gallimard, 1943.
Tijdschrift voor Philosophie ; ou comme Ta fait, à son tour,
K.Hartmann dans un livre mettant en relation l'ontologie de
Sartre avec la Logique de Hegel : Grundzuge der Ontologie
Sartres in ihrem Verhàltnis zu Hegels Logik (Berlin,
1963). Mais Sartre connaissait-il Hegel ? En fait, il
commença par lire Marx sans même passer par Hegel.
Selon ce qu'en écrit Simone de Beauvoir (1908-1986) dans
La force de Vâge , il rédigea, vers 1931, une étude
d'inspiration nietzschéenne intitulée « Légende de la vérité ».

Les maîtres vivants de Sartre furent Alain, Jean Wahl,


Raymond Aron, René Laporte, auxquels on peut ajouter
Gûnther Anders, l'auteur, entre autres publications, de l'essai
d'anthropologie négative, paru en 1936 dans les Recherches
philosophiques\ et intitulé « La pathologie de la liberté »,
dont Sartre s'inspira en retenant que l'homme n'est pas là
avec un but déterminé. D'ailleurs, l'agrégé que Sartre était
devenu (1929) voulait, tout comme Gûnther Anders, réagir
contre l'idéalisme universitaire, aussi commença-t-il par être
influencé par Jean Wahl dont le livre de 1932, Vers le
concret, allait préfigurer son projet personnel. La même
année, Sartre découvrit la phénoménologie de Husserl à
travers la lecture du livre d'Emmanuel Lévinas, La Théorie
de Vintuition dans la phénoménologie de Husserl (1930).
En 1932 également, Sartre commence à réfléchir sur la
psychanalyse à propos de laquelle il conçoit une théorie qui
n'est autre que la théorie de la "mauvaise foi", selon ce
qu'en écrit encore Simone de Beauvoir4. Boursier à
l'Institut Français de Berlin, où il passa l'année 1934, Sartre
voulait, comme Husserl, dépasser l'opposition entre
idéalisme et réalisme. À Berlin, il écrivit La transcendance
de l'ego et lut Heidegger. De retour en France en 1935, il
rédigea Vimagination et ensuite L'imaginaire.

2
Vol. 20, p.300 et suivantes.
3
Simone de Beauvoir, La force de l'âge, Gallimard, 1960, p.50.
4
Op. c//,p.l34.
14
Sans doute faut-il dater également de cette époque sa
décision philosophique relative à la négativité de la
conscience. Toutefois, nous ne devons pas oublier que Sartre
ne reçut à l'Université aucun enseignement sur Hegel;
toutefois, il put lire le numéro spécial consacré à Hegel en
1931 par la Revue de Métaphysique et de Morale ou le livre
que Wahl avait publié en 1930, Le malheur de la
conscience dans la philosophie de Hegel, ou encore les
articles sur Hegel écrits par Jean Hyppolite. Si ce n'est aussi,
par la suite, qu'il put avoir eu connaissance des conférences
que Kojève prononça durant les années 1933-39. Sartre dut
vraisemblablement attendre 1939 pour lire Hegel
directement dans le texte, comme Simone de Beauvoir
attendit elle-même 1940 pour le lire à son tour.

Dans l'optique de Sartre, la philosophie de Hegel


relevait d'une phénoménologie existentielle insistant sur la
liberté, la négation et la contingence, notions qui ne
furent pas seulement pensées mais aussi profondément
ressenties par Sartre, pour qui, selon un raisonnement
proprement existentiel, l'évidence de la contingence entraîne
celle de la liberté totale de la conscience. Celle-ci faisant le
vide autour de la conscience, l'absence ressentie, nous la
rendons finalement présente à travers l'imaginaire doué d'un
pouvoir néantisant. La liberté elle-même implique la
capacité de dire "non"; mais, pour être capables de dire
"non", nous devons avoir, en nous et hors de nous, la
présence perpétuelle du non-être. C'est dire, traduit par
Sartre, qu'il faut que « le néant hante l'être »5. C'est pourquoi
nous pouvons légitimement retrouver des traces de Hegel
dans la pensée de Sartre, et surtout dans L'être et le
néant, qui parut en 1943.

5
Cf. L'être et le néant, Paris : Gallimard, 1955,45è édition, p.47.
15
Le parti est donc définitivement pris pour Sartre : il
sera un « phénoménologue » ; ce qui veut dire qu'il
concevra les problèmes philosophiques à partir d'une
conscience vécue et/ou d'un cogito vivant. En tout cas, Sartre
se refusait nettement à la tâche de théoricien de la
connaissance ou même d'épistémologue. Rien ne mène,
en effet, de l'existentialisme de Sartre vers ce qui sera la
vogue de l'épistémologie, bien qu'il ait largement traité de sa
méthode propre.

Au lieu de parler de syncrétisme, il vaudrait mieux


(relativement à l'ontologie visée plutôt qu'à la phéno-
ménologie impliquée) évoquer une entreprise de "synthèse" :
une synthèse entre la phénoménologie de Husserl et les
principaux concepts de Hegel. C'est alors, dans ce strict
rapport, que peut se situer la présence quasi permanente de
Heidegger.

Telle est donc la perspective philosophique dans


laquelle intervient le projet sartrien représenté par Vëtre et
le néant, quand Sartre traite tout à la fois du corps, de la
psychanalyse, des formes concrètes de la relation à autrui,
et enfin et surtout de la liberté.

Sartre appartient, au moins de manière déclarée, à la


succession de Husserl, même si son interprétation de Husserl
a pu être discutée. N'a-t-il pas écrit un article sur Husserl
en 1934, et qu'il intitula « Une idée fondamentale de la
phénoménologie de Husserl: Pintentionnalité »6, reproduit
dans Situations I (p.31-35), et dans lequel il interprète
ouvertement Husserl :

« Husserl ne se lasse pas d'affirmer qu'on ne peut pas


dissoudre les choses dans la conscience. Vous voyez cet
arbre-ci...Mais vous le voyez à l'endroit même où il est: au

6
Nouvelle Revue Française, 304, janvier 1939.
16
bord de la route, au milieu de la poussière, seul et tordu
sous la chaleur, à vingt lieues de la côte méditerranéenne. Il
ne saurait entrer dans votre conscience, car il n'est pas de
même nature qu'elle ».

« La conscience et le monde sont donnés d'un même coup :


extérieur par essence à la conscience, le monde est, par
essence, relatif à elle ».

C'est pourquoi Sartre commence logiquement son


« ontologie phénoménologique » par une discussion du
concept de phénomène. Par cette présentation critique, dès le
départ, il lui est permis d'évincer deux dualismes dont il ne
veut plus entendre parler en philosophie:

1) le dualisme qui oppose l'intérieur à l'extérieur, et qui


implique aussi un autre dualisme qui oppose la chose en soi
au phénomène;

2) le dualisme qui oppose la puissance à l'acte, et par


conséquent aussi le dualisme qui oppose l'apparition à
l'essence.

Outre l'allusion à Husserl, il semblerait tout aussi


évident de voir, dans les successives suppressions philo-
sophiques auxquelles procède Sartre, rien d'autre que les
marques certaines des effets, sur sa pensée, d'une
connaissance de Nietzsche, rarement cité dans l'ensemble
de L'être et le néant, alors que Husserl et Heidegger y
sont chacun cité une quarantaine de fois. En effet, quand
Sartre supprime les oppositions classiques de l'intérieur et de
l'extérieur, du potentiel et de l'actuel, il se réfère alors
explicitement à Nietzsche :

« Mais si nous nous sommes une fois dépris de ce que


Nietzsche appelait Tillusion des arrière-mondes* et si
nous ne croyons plus à l'être-de-derrière-Vapparition,
17
celle-ci devient, au contraire, pleine positivité, son essence
est un 'paraître' gui ne s'oppose plus à l'être, mais qui en
est la mesure, au contraire. Car l'être d'un existant, c'est
précisément ce qu 'il paraît. »

L'autre référence nietzschéenne importante concerne


l'opposition entre le mouvement et l'arrêt : pour Nietzsche, si
le fixe convient à notre intelligence et permet la
connaissance, la réalité, elle, est mouvante. Sartre
souligne comme Nietzsche - et même d'une certaine manière
en se rapprochant de Bergson - le caractère artificiel et
contingent de l'arrêt du mouvement:

« nous pourrions saisir le sens de Tâme ' de Pascal


(c'est-à-dire de sa 'vie' intérieure} comme "somptueux et
amer", ainsi que l'écrivait Nietzsche. Nous pouvons aller
jusqu'à qualifier tel épisode de "lâcheté" ou
"d'indélicatesse", sans perdre de vue, toutefois, que
l'arrêt contingent de cet "être-en-perpétuel-sursis" qu'est le
pour-soi vivant permet seul et sur le fondement d'une
absurdité radicale de conférer le sens relatif à l'épisode
considéré et que ce sens est une signification es-
sentiellement provisoire dont le provisoire est acciden-
tellement passé au définitif»*.

Comme Nietzsche, Sartre valorise l'apparence à partir


de l'être uniquement justifié lui-même dans l'apparence (et
non l'inverse)9. D'ailleurs, Nietzsche pense qu'il existe de
multiples manières de créer de l'apparence : certes, « créer »,
mais aussi « rendre logique » et « falsifier ». Finalement,

7
Cf. Vètre et le néants op. cit., p. 12.
8
Op. cit., p.625.
9
Je renvoie à un ancien travail dans lequel je traite de cette question plus
largement : Cf. A.Kremer-Marietti, L'homme et ses labyrinthes. Essai sur
Friedrich Nietzsche (Collection 10/18, Union Générale d'Editions,
Paris, 1972), réédition L'Harmattan, 1999,p.278-279.
18
seul le sujet est démontrable ; ce qui n'a malheureusement
pas pour effet de le rendre ni 'vrai' ni même 'réel' ; mais
rien n'empêche d'étudier les formes de ses comportements, y
compris celui de la pensée logique.

Pour Nietzsche comme pour Sartre, en effet, la réalité


du corps et son apparence constituent la vérité
existentielle10. Pour Nietzsche, mon corps s'exprime par mon
'esprit', j'interprète mon corps qui est de ce fait la base de ce
que j'appelle vérité. De son côté, Sartre n'affirme-t-il pas que
l'âme est le corps11 ? Pour Nietzsche comme pour Sartre, le
thème philosophique de la négativité est ce qui apparaît
avec évidence dans le rapport au sujet. Pour Nietzsche sont
factices toutes les distinctions qui écartent délibérément le
sujet, l'objet et l'attribut12 : c'est pourquoi il dénonce
l'artifice logique qui sévit dans ce domaine. Dans le même
sens que Sartre, Nietzsche avait déjà écrit ce que Sartre
devait lire et retenir, à savoir:

Op. cit., p. 105: "La réalité du corps et son apparence, telle, est la
vérité existentielle: mon corps s'exprime par mon 'esprit', j'interprète
mon corps qui est de ce fait la base de la vérité. À partir de cette
affirmation du corps s'ouvre une nouvelle voie d'accès à la connaissance".
12 Cf. L'être et le néant, op. cit., p.372 : « En un sens donc, le corps est
une caractéristique nécessaire du pour-soi: il n'est pas vrai qu'il soit le
produit d'une décision arbitraire du démiurge, ni que l'union de l'âme
et du corps soit le rapprochement contingent de deux substances
radicalement distinctes; mais, au contraire, il découle nécessairement de
la nature du pour-soi qu'il soit corps, c'est-à-dire que son échappement
néantisant à l'être se fasse sous forme d'un engagement dans le monde.
Et pourtant, en un autre sens, le corps manifeste bien ma contingence,
il n'est même que cette contingence : les rationalistes cartésiens avaient
raison d'être frappés par cette caractéristique; en effet, il représente
l'individuation de mon engagement dans le monde. Et Platon n'avait pas
tort non plus de donner le corps comme ce qui individualise rame.
Seulement, il serait vain de supposer que l'âme peut s'arracher à cette
individuation en se séparant du corps par la mort ou par la pensée pure,
car l'âme est le corps en tant que le pour-soi est sa propre
individuation".
12
Questions débattues dans A.Kremer-Marietti, op.cit., p.97.
19
« il faut attribuer à Vapparence [...] une valeur supérieure et
plus fondamentale pour toute vie » (Par delà bien et mal, §2).

C'est, d'ailleurs, à propos du concept central de


M
phénomèneM que Husserl et Heidegger voisinent dans
l'Introduction de L'être et le néant :

« Ainsi parvenons-nous à Vidée de phénomène, telle qu'on


peut la rencontrer, par exemple, dans la "Phénoméno-
logie" de Husserl et de Heidegger, le phénomène ou le
relatif-absolu » 13 .

Au terme d'un simple examen de l'Introduction de


l'œuvre, les trois caractères reconnus pour être définiti-
vement assignés à l'être des phénomènes sont ainsi alignés :
« L'être est. L'être est en soi. L'être est ce qu'il est. »14
Mais surtout un pont pourra être érigé pour relier les uns aux
autres, Hegel, Husserl et Heidegger:

« Hegel affirme la liberté de l'esprit, dans la mesure où


l'esprit est la médiation, c'est-à-dire le Négatif [...] c'est une
des directions de la philosophie contemporaine que de voir
dans la conscience humaine une sorte d'échappement à soi15:
tel est le sens de la transcendance heideggerienne ;
l'intentionnalité de Husserl et de Brentano a elle aussi, à
plus d'un chef, le caractère d'un arrachement à soi »16.

Étendant la réflexion de Gûnther Anders sur l'échap-


pement à soi, c'est expressément à Hegel que Sartre
emprunte l'idée que l'esprit est le négatif17. Mais, mal-

13
Cf. L'être et le néant, op. cit., p. 12.
,4
0p.cit.,p.34.
15
L'échappement à soi est une notion importée de GUnther Anders.
16
L'être et le néant, p.62.
17
Op. cit., p.511.
20
heureusement, d'après Sartre, Hegel n'a pas su tirer parti de sa
position quand il a pensé l'action et la liberté:

« ...dès lors qu'on attribue à la conscience ce pouvoir


négatif vis-à-vis du monde et d'elle-même, dès lors que la
néantisation fait partie intégrante de la position d'unefin,il
faut reconnaître que la condition indispensable et fonda-
mentale de toute action c'est la liberté de l'être agissant» .

Dans la massivité de l'en-soi dont est fait le monde


qui n'est que ce qu'il est, il y a place pour l'homme, un
être original doué de conscience et de liberté, un pour-soi
qui n'est pas ce qu'il est et est ce qu'il n'est pas, et qui
demeure hanté par la perpétuelle absence de l'être.

18
Ibid.
21
II

VERS UNE THÉORIE GÉNÉRALE DE


L'ÊTRE

LES ARTICULATIONS DES MODES


DE L'EXISTENCE

Comme l'existence - du moins telle qu'elle nous est


donnée - s'oppose à l'essence - du moins telle que nous la
pensons -, l'existentialisme s'oppose à l'essentialisme.
L'objet de l'existentialisme est celui de connaître l'être
individuel et concret, Y occasionnel19, et non l'universel. La
phénoménologie sartrienne ne traite pas de l'homme en
général, aussi la connaissance y bénéficie-t-elle d'un statut
particulier. La conscience proposée par le cogito cartésien
n'implique pas pour Sartre qu'elle ait une connaissance
d'elle-même, c'est-à-dire qu'elle soit cognitive. La conscien-
ce d'un plaisir n'implique pas la connaissance de ce plaisir,
mais bien ce plaisir conscient de ce qu'il est un plaisir: et
strictement rien de plus.

19
Cette même opposition à l'universel se retrouve chez Gtinther Anders
qui se disait « Gelegenheitsphilosoph » (philosophe de l'occasion).
Il est dans la nature d'un plaisir d'être conscient. De
même, la notion heideggerienne d'« être-dans-le-monde »
implique-t-elle pour Sartre la conscience d'un monde matériel
en-soi, distinct de l'homme qui est donc un pour-soi
auquel apparaît le phénomène du monde en soi. À quoi
s'ajoute la notion d'intentionnalité propre à Husserl, et qui
caractérise la conscience telle que Sartre l'appréhende.

Pour Sartre, en effet, la conscience intentionnelle tend


vers l'affirmation des objets qu'elle atteint. C'est ainsi que la
perception exige un sujet et un objet distincts. Dans la célèbre
définition spinoziste, Omnis determinatio est negatio (Toute
détermination est négation), Sartre voit l'illustration de la
hantise perpétuelle de l'être par le néant. À la conscience qui
est un « pour-soi » s'oppose toujours un « en-soi » qui est
entièrement et uniquement « ce qu'il est »: soit le monde,
soit un objet matériel, soit même notre propre passé. Le
passé est dépassé. Je vis sans cesse entre ce que je ne suis
plus : mon passé, et ce que je ne suis pas encore : mon futur.

2.1 De Têtre au néant

Pour saisir le mouvement de la pensée de Sartre


dans L'être et le néant, il faut noter qu'il s'agit tout d'abord
et avant tout d'une fondamentale « recherche de l'être ».
C'est évidemment pourquoi la première partie s'intitule « le
problème du néant ». Certes, le doute s'empare très vite du
lecteur: cette recherche de l'être n'est-elle qu'un prétexte
pour nous faire admettre, et donc affirmer : ou bien que
l'être n'existe pas (et nous serions en présence d'une
ontologie négative), ou bien qu'il n'est pas où nous croyons
qu'il est. C'est-à-dire qu'il n'est pas derrière le phénomène,
mais bien dedans ; et nous serions, avec L'être et le néant,
mis en présence, d'une authentique ontologie phénomé­
nologique. À cette étape, nous retenons déjà que « l'être
du phénomène ne pouvait se réduire au phénomè-
24
ne d'être» . Ce que veut souligner Sartre, c'est ni plus ni
moins qu'un « appel d'être »21 est impliqué logiquement mais
surtout vécu existentiellement dans la phénoménologie qui
est la sienne.

Nous en aurons la démonstration. L'être du percipere ou


le percevoir (mode actif) se distingue de l'être du percipi ou
de l'être-perçu (mode passif): ce dernier renvoie toujours à
un percevant, un percipiens, dont l'être est conscience.
L'être-perçu, le percipi, implique aussi que la loi d'être du
perçu, c'est-à-dire du perception, soit donc la relativité.

S'il y a, pour Sartre, une preuve ontologique (à com-


prendre ici au pied de la lettre, comme une preuve qu'il y a
véritablement de l'être), elle ne peut siéger dans le cogito
réflexif, mais plutôt dans le cogito préréflexif du percevant
ou du percipiens.

Nous est donc ouverte la voie par laquelle Sartre nous fait
accéder au plan de l'être :

« La conscience est un être dont l'existence pose


l'essence, et, inversement elle est conscience d'un être dont
l'essence implique l'existence, c'est-à-dire dont l'appa-
rence réclame d'être » .

L'être et le néant, p.16.


Ibid.
Op. cit., p.29.
25
C'est alors que nous relevons et retenons la possibilité,
qui nous est offerte par Sartre, d'un accès à une étape
déterminante de sa pensée, la conscience de Paltérité de
l'être:

« La conscience est un être pour lequel il est dans son être


question de son être en tant que cet être implique un être
autre que lui » .

Par conséquent, une première question s'impose à nous:


qu'est-ce que l'être ?

Opaque à lui-même, «/ 'être est ce qu 'il est »24. Sans


dedans, opposé à un dehors, dénué de tout secret, et massif:
il ne s'agit alors que de l'être-en-soi. Car l'être du pour-soi
se définira, au contraire, comme ce qu'il n'est pas. Ainsi
sommes-nous parvenus au sein de l'être à travers les étapes
de nos interrogations. Mais l'interrogation elle-même est
interrogée à son tour et révèle, au cœur de notre exigence
d'être, le néant qui nous environne. Tel est le cadre: ce que
l'être est se détache sur fond de ce qu'il n'est pas. Et se pose
à nous la question rhétorique : d'où le néant peut-il venir
sinon de la négation ? Dès lors la négation relève-t-elle d'un
pur acte de judication ? En fait, la négation est la structure
même de la proposition judicative, c'est pourquoi elle est à
l'origine du néant que nous concevons.

Sartre développera ensuite deux conceptions distinctes


du néant: une conception dialectique et une conception
phénoménologique. La conception dialectique du néant
ramène Sartre à Hegel : l'être pur et le néant sont la même
chose, c'est bien ce qu'impliquait déjà la petite Logique de
Hegel:

23
Ibid.
24
0p.cit.,p.33.
26
« Toute la théorie de Hegel se fonde sur Vidée qu'il faut une
démarche philosophique pour retrouver au début de la
logique l'immédiat à partir du médiatisé, l'abstrait à
partir du concret qui le fonde » .

Pour Sartre, l'être des choses ne manifeste pas leur


essence car il faudrait, pour accomplir cette tâche, qu'il y ait
déjà un être de cet être. C'est bien parce que l'être des choses
ne se "manifeste" pas que Hegel peut fixer « un moment
pur de l'Être »26. Mais, simultanés, l'être et le néant sont-ils
des contemporains logiques, c'est-à-dire des contraires? Ou
bien, sont-ils seulement successifs avec la postérité logique
du néant sur l'être, et par conséquent des contradictoires ?
De toute façon, le néant présuppose l'être pour le nier. La
conclusion est donc la préséance logique de l'être
nécessaire à sa négation; ce qui veut dire que c'est de l'être
que le néant tire son efficacité concrète. D'où, à nouveau,
nous pouvons dire : « le néant hante l'être » .

L'autre conception du néant, la conception


phénoménologique, conduit Sartre vers Heidegger; et il cite,
de cet auteur, Qu'est-ce que la métaphysique ? (1929) dans
la traduction de Corbin (1938)28 ; à propos de cette
traduction que Sartre a suivie, une question s'est posée par
rapport à son interprétation de Heidegger : « Sartre a-t-il
commenté Heidegger ou Corbin ? »29. Quoi qu'il en soit de
ces soupçons, la conception de Heidegger représente aux
25
Op. cit., p.49.
26
Ibid.
27
Op. cit., p.52.
28 *
A propos de la traduction de Corbin que Sartre a suivie de très près,
une question se pose par rapport à son interprétation de Heidegger.
Cf. Traugott Kônig, « Sartre a-t-il commenté Heidegger ou Corbin ? »,
communication faite au Colloque du Groupe d'Etudes Sartriennes du
mois de juin 1991
29
Titre de la communication de Traugott Kônig au Colloque du Groupe
d'Études Sartriennes de juin 1991.
27
yeux de Sartre un net progrès sur celle de Hegel. L'être
gardait chez Hegel un caractère universel et scholastique
qu'il n'a plus chez Heidegger. Avec Heidegger, la
nouveauté est que chacune des conduites de la réalité
humaine (la 'réalité humaine' est la notion sartrienne qui
traduit le Dasein heideggerien) enveloppe ce que Sartre
dénomme une "compréhension pré-ontologique" de l'être: il
s'agit d'un problème qui ne relève plus de l'entendement.
Défini comme "un être des lointains", l'homme vient enfin à
lui-même: il s'intériorise. Et ce mouvement d'intériorisation
fait en même temps surgir l'être comme monde, tandis que
la réalité humaine se trouve elle-même au sein du néant.
C'est, pour Sartre, à ce moment-là que naît l'angoisse qui a
été décrite par Heidegger dans Être et temps. Ce qui veut dire
que des expériences du genre de la distance et de l'absence
(ou de l'altération, de l'altérité, de la répulsion, du regret, de
la distraction) démontrent, dans leur infrastructure même,
l'existence vécue de la négation.

Pour pouvoir s'arracher au monde, la réalité humaine


doit être d'abord elle-même arrachement à elle-même:
Descartes n'a-t-il pas déjà fondé le doute sur la liberté ?
Alain fit de même. Hegel a affirmé la liberté de l'esprit sur
le fait que l'esprit est médiation, c'est-à-dire négation.
Heidegger fait de l'angoisse la saisie du néant ; et
Kierkegaard, dont il s'inspirait, voyait l'angoisse comme
une réaction devant soi-même. Peu à peu, ce que
l'expérience de l'angoisse nous découvre, c'est ni plus ni
moins que la réalité de notre propre liberté. En d'autres
termes, ce qui s'angoisse, dans ce que nous appelons
l'angoisse, ce n'est autre que notre liberté:

« Lrangoisse est donc la saisie réflexive de la liberté par


elle-même, en ce sens elle est médiation car, quoique
conscience immédiate d'elle-même, elle surgit de la négation
des appels du monde, elle apparaît dès que je me dégage du
monde où je m'étais engagé, pour m1 appréhender moi-
28
même comme conscience qui possède une com-
préhension préontologique de son essence et un sens
préjudicatif de ses possibles » .

Mais il n'y a pas que des négatités qui se dévoilent


directement à l'homme, il y a aussi celles qu'il produit à
travers ses propres attitudes. Aussi, après celle déjà citée
(« un être pour lequel il est dans son être question de son
être »31), une autre définition de la conscience s'impose-t-elle
maintenant: « La conscience est un être pour lequel il est
dans son être conscience du néant de son être »32. Pour ainsi
dire, la question de son être est devenue maintenant la
conscience du néant de son être. La conscience n'est alors
que néantisation pure et simple: ainsi en est-il dans diverses
expériences : dans l'exercice du veto, ou dans la profession
du gardien, ou encore dans le ressentiment, ou enfin dans
cette attitude déterminée qui est la mauvaise foi qui peut se
définir, non pas comme un mensonge à autrui, mais comme
un mensonge à soi. Or, la psychanalyse s'est employée à nier
ce « mensonge à soi » :

« la psychanalyse a substitué à la notion de mauvaise foi


Vidée d'un mensonge sans menteur: elle permet de
comprendre comment je puis non pas me mentir mais être
menti, puisqu'elle me place par rapport à moi-même dans la
situation d'autrui vis-à-vis de moi » 33 .

C'est donc par tout un jeu de substitutions que Sartre


peut montrer que le ça de la psychanalyse remplace le
trompeur, tout comme le moi remplace le trompé. Il
n'accepte pas que la psychanalyse puisse se permettre
d'introduire de la sorte dans la subjectivité la plus

30
L'être et le néant, p.77.
31
Op.cit.,p.29.
32
Op. cit., p.85.
33
Op. cit., p.90.
29
profonde la structure intersubjective du mit-sein - selon
l'expression de Heidegger -, c'est-à-dire de « l'être-avec »
ou de Paltérité. Sartre taxe de "terminologie verbale" les
termes psychanalytiques: qu'il s'agisse du Es (le ça), du Ich
(le moi), et même de F Ueberich (le surmoi). Dans le
déguisement aménagé de la vérité, il suspecte même un
recours à une finalité inavouée. De plus, Freud est, aux yeux
de Sartre, incapable de rendre compte de la mauvaise foi
pathologique.

Pensant (sans doute un peu rapidement) avoir ainsi


débarrassé son argumentation de ce qu'il pense être Fobstacle
psychanalytique, Sartre revient à cette notion pour passer
en revue les diverses conduites possibles relevant de la
mauvaise foi. N'ayant d'autre priorité essentielle que de
"décrire", aussi, tout en décrivant Sartre, s'emploie à la
finalité de prouver. Or, chose curieuse, à travers ses
analyses, le but de la sincérité et le but de la mauvaise foi ne
sont pas tellement différents; du moins est-ce ce que Sartre
met en lumière. La raison en est claire, puisque « la
mauvaise foi n'est possible que parce que la sincérité est
consciente de manquer son but par nature »34, et qu'en fait
elle est elle-même au fond déjà mauvaise foi : celle-ci est
alors le jeu de « ne pas être ce que je suis ».

Mais qu'est donc la "foi" de la mauvaise foi, sinon


déjà une croyance ? et même une croyance sincère... c'est-à-
dire l'adhésion de l'être à son objet. Ni la rigueur des
preuves ni les raisons de croire n'ont été préalablement
requises. Le monde de la mauvaise foi se caractérise
ontologiquement par le fait que « l'être y est ce qu'il n'est
pas et n'y est pas ce qu'il est »35. Voilà qui donne lieu à
une évidence non persuasive. La mauvaise foi se révèle
dans un projet de fuite de l'être, qui accuse en même temps

Op. cit., p. 106-107.


Op. cit., p. 109.
30
une désintégration intime de l'être. Le risque permanent de
mauvaise foi vient d'une structure particulière à l'être pour-
soi, qui consiste en ce que « la conscience, à la fois et dans
son être, est ce qu'elle n'est pas et n'est pas ce qu'elle
est »36.

Étant donné que l'homme se définit non pas par l'en-soi


mais bien par le pour-soi, il est, par définition, disposé à
la mauvaise foi. Peut-on tenter d'expliquer la mauvaise foi
qui nous est propre ? D'une part, en tant que trompeur,
comment connaître la vérité qui m'est cachée en tant que
trompé ? D'autre part, nos opérations internes nous sont
conscientes: affectées de mauvaise foi, elles nous le sont
consciemment. Entre l'être et le « ne-pas-croire-ce-qu'on-
croit », la mauvaise foi choisit directement la seconde
alternative.

2.2 La 2eme partie ou l'être-pour-soi

Sartre a su ménager le passage de la négation à la


liberté, puis celui de la liberté à la mauvaise foi, enfin la
transition de la mauvaise foi à l'être de la conscience. Aussi
la deuxième partie de Uëtre et le néant s'intitule-t-elle
« L'être-pour-soi ».

Sartre a là une autre raison pour revenir sur le terrain du


cogito préréflexif. À ce sujet, pour démarquer l'originalité de
son propos, Sartre critique Husserl de n'être jamais sorti
de la pure description de l'apparence en tant que telle; de
plus, il critique également Heidegger, qui évite le
"phénoménisme" de Husserl, mais en ne se référant
nullement au cogito. Or, pour Sartre, le cogito pré­
réflexif, homologue du cogito réflexif, est la condition
première de toute réflexivité. Dans le cogito préréflexif le

Op. cit., p.lll.


31
néant ne se trouve nulle part: car il est toujours dans un
ailleurs ; c'est ainsi que vit par rapport à lui-même le pour-
soi, un être, «qui s'affecte (...) d'une inconsistance
d'être »37. Or, cette inconsistance va de pair avec la
contingence. Car c'est la contingence qui peut le mieux
caractériser l'être de la conscience du pour-soi ; en effet, « il
n'appartient pas à la conscience de se le donner, ni non plus
de le recevoir des autres » . L'en-soi, qui gît au fond de
l'événement absolu, qualifie l'apparition même du fondement
du pour-soi, tout en demeurant au sein du pour-soi comme,
en fait, "sa contingence originelle".

La contingence de l'en-soi qui hante le pour-soi est


ce que Sartre nomme la facticité du pour-soi39, sans laquelle
on ne pourrait dire que le pour-soi existe. Mais, parler de
'facticité', ce n'est pas invoquer la 'substance' dans le sens
de Descartes. Au passage, Sartre dénonce l'illusion sub-
stantialiste de Descartes pour qui la substance pensante
« conserve le caractère d'en-soi dans son intégrité, bien que le
pour-soi soit son attribut »40. Et s'il commence par le cogito,
Sartre n'en refuse pas moins, non seulement le
substantialisme mais encore l'instantanéisme cartésien. C'est
aussi pourquoi Sartre pense que Heidegger s'est méfié du
« Je pense » husserlien ; il y a substitué le souci (Sorge)
par lequel il montre le Dasein s'«échappant à soi dans le
projet de soi vers les possibilités qu'il est »41. L'impossible
synthèse de l'en-soi et du pour-soi est soulignée par Sartre.
Alors est invoqué l'être du soi comme étant l'être de la valeur
qui, tout à la fois, est inconditionnellement et n'est pas. II en
est ainsi en réalité, parce que la valeur est consubstantielle au
pour-soi.

37
Op. cit., p. 121.
38
Op. cit., p. 124.
39
Op. cit., p. 125.
40
Op. cit., p. 127.
41
Op. cit., p. 128.
32
La réalité humaine ne coïncide pas avec elle-même. Il
lui manque le transcendant par rapport à l'existant. Tout à la
fois étant et n'étant pas ses possibilités, la réalité humaine
dépend de la notion du possible qui convient à un
événement non engagé dans une série causale, mais
n'impliquant aucune contradiction avec le système
considéré. Sartre renvoie ainsi à Leibniz pour faire mieux
comprendre la notion de possible à laquelle il a recours.
Simple réalité concrète, le possible ne doit pas être confondu
avec la virtualité ni avec la puissance aristotélicienne. Il
n'est qu'une option de l'être, mais il fait comprendre
pourquoi la réalité humaine doit être autre chose qu'elle-
même : le manque dont elle est affectée ne lui vient pas
du dehors, mais bien d'elle-même. Le pour-soi est le
manque qu'elle a. Sartre distingue entre la nuance du pour-
soi-désir (par exemple, la soif) et celle du pour-soi-réflexion
(l'acte de boire). La soif ne vise pas sa propre suppression
mais une réplétion, une plénitude d'être. Le désir sexuel ne
vise pas sa propre destruction, mais la perpétuation. Et
Sartre rappelle l'article sur l'Ego transcendantal qu'il fit
paraître dans les Recherches Philosophiques (1935), dans
lequel il démontrait que l'Ego n'appartient pas au domaine
du pour-soi.

Le pour-soi s'élève vers la transcendance de ses


possibles à travers le dépassement temporel. La temporalité
est Tune de ses caractéristiques essentielles. Elle se
présente comme une structure organisée dont les trois
éléments, le passé, le présent et l'avenir, ne sont pas de
simples data mais des moments structurés. Les deux
chapitres de la temporalité et de la transcendance sont des
moments très importants dans l'ensemble de l'œuvre de
L'être et le néant.

33
D'ailleurs, dans la conclusion du livre, Sartre rappellera
que « la temporalité vient à l'être par le pour-soi »42 ; de
même qu'il y exposera que l'être du transcendant est
modifié par l'action. Cependant, dans le dernier chapitre, il
aura d'abord subordonné la psychanalyse à l'ontologie, car
elle est seule à pouvoir « se placer sur le plan de la
transcendance et saisir d'une seule vue l'être-dans-le-monde
avec ses deux termes, parce que, seule, elle se place
originellement dans la perspective du cogito »43. Notons
que dans la Critique de la raison Dialectique44, Sartre
parlera davantage de "temporalisation" que de "temporalité" :
Différence notable. Et, de ce qu'il appelle le « matérialisme
dialectique du dehors », Sartre fera un "matérialisme
transcendantal"45.

En conférant un privilège au présent, on se situe


d'emblée dans la "présence au monde". Refusant autant
Descartes, qui anéantit le passé, que Bergson, qui le
conserve, Sartre regarde le passé comme quelque chose
que l'on a, mais qu'on n'a pas comme on a une
automobile, par exemple. Le passé, en fait, hante le présent,
sans l'être. Il ne peut exister de passé que pour la réalité
humaine, car « elle a à être ce qu'elle est »46. Le passé
vient au monde par un pour-soi pour qui le "Je suis" est un
"Je me suis"47. Il implique une signification qui peut sans
cesse varier, puisqu'il est « un ex-présent ayant eu un
48
avenir » .

42
0p.cit.,p.715.
43
Op. cit., p.694..
44
Voir Critique de la raison dialectique, i960, p. 124.
45
C'est le lieu de rappeler que l'expression 'matérialiste transcendantal' a
été utilisée par Claude Lévi-Strauss, dans La pensée sauvage, 1962,
p.326, pour qualifier sa propre position.
46
L'être et le néant, p. 157.
47
Ibid.
48
L'être et le néant, p. 160.
34
Le passé jouit avec le présent d'une fausse
homogénéité alors qu'entre l'un et l'autre existe en fait une
hétérogénéité absolue. Sartre peut reprendre pour son
compte le mot de Hegel "Wesen ist was gewesen ist "
(« Pessence est ce qui a été ») car, pour lui, similairement,
"mon essence est au passé, c'est la loi de son être"49. En effet,
tandis que le passé est en-soi, le présent est pour-soi. Le
présent est le contraire de l'absent. Et la présence est
présence à quelque chose, tout comme la conscience est
conscience « de » quelque chose. Le présent n'est autre
que la présence du pour-soi à tout l'être-en-soi qui se
présente. Mais qu'est-ce donc que la présence ? La présence
à un être implique un lien d'intériorité, qui est un lien
négatif; c'est en fait une présence du pour-soi en tant qu'il
n'est pas. L'être du présent est derrière (passé) et devant
(futur).

L'avenir n'existe pas comme représentation ;


d'ailleurs, plutôt que 'représenté', il serait "thématisé". Le
futur n'est pas davantage un "maintenant" qui ne serait
pas encore. Il n'est que ma possibilité de présence à l'être.
Dans la hiérarchie de mes possibles, je suis une infinité de
possibilités. Telles sont globalement les trois "ek-stases"
temporelles décrites par la phénoménologie de Sartre, et à
partir desquelles il va aborder l'ontologie de la temporalité,
c'est-à-dire la temporalité comme structure totalitaire.

De plus, la temporalité n'est pas que séparation. Si elle est


une force dissolvante, elle s'intègre au sein d'un acte
unificateur. Sartre récapitule ce qu'il en est du pour-soi par
rapport aux trois ek-stases du temps. Le problème de la
naissance disparaît au cœur du surgissement du pour-soi dans
le monde, puisque le pour-soi est comme né du monde :

Op. cit., p. 164.


35
« La naissance est le surgissement du rapport absolu de
passéité comme être ekstatique du pour-soi dans Ven-soi »50.

Le passé étant posé contre le pour-soi, ce dernier regarde


l'avenir. Et, si le pour-soi est temporel, c'est parce qu'il se
"néantise" :

«Ainsi le temps de la conscience, c'est la réalité


humaine qui se temporalise comme totalité qui est à elle-
même son propre inachèvement, c'est le néant se glissant
dans une totalité comme ferment détotalisateur »51.

La réflexion, en tant que "temporalité psychique",


n'est autre que le pour-soi conscient de lui-même. Car
Y esse, ou l'être du réfléchi, n'est pas un percipi : au contraire,
il existe, même sans être perçu. Aussi le réflexif ne
s'identifie-t-il pas au réfléchi, qui est apparence pour le
réflexif. D'où, un néant qui sépare le réfléchi du réflexif.
Sartre dit précisément que c'est : un « néant qui ne peut tirer
son être de lui-même » . Le réflexif est le réfléchi sur le
mode du n'être pas.

Enfin, selon une méthode d'analyse qui lui est propre,


au-delà des structures négatives du pour-soi, Sartre reconnaît
maintenant ses structures positives (car il en a !). Pour Sartre
toute connaissance est intuitive. Sartre situe le plan onto-
logique dans la perspective du pour-soi. La connaissance
n'est qu'un type de relation entre le pour-soi et l'en-soi.
Comme inétendu, le pour-soi appréhende la détermination
transcendante de l'étendue. La négativité est ainsi comprise

L'être et le néant, p. 186.


51
Op. cit., p.196.
52
L'être et le néant, p. 199.
36
comme transcendance originelle. Mais ce qui est subjectif ne
s'objective pas : « le jaune du citron n'est pas un mode
subjectif d'appréhension du citron »53.

C'est pourquoi la réalisation de l'être conditionne


l'abstraction : « l'abstrait hante le concept comme une
possibilité figée dans l'en-soi que le concret a à être »54.
L'abstracteur est le pour-soi qui surgit avec un «par-delà
l'être ». Une relation en-soi purement négative d'extériorité,
telle est une définition possible du rapport de quantité.

Le temps du monde vient au monde par le pour-soi.


Sartre nie qu'il y ait une "synthèse de récognition", comme
on serait tenté de le croire. L'Homme est sa propre négation
originelle autant sur le mode du "pas encore" que sur celui
du "déjà là". La temporalité est notre organe de vision; elle
n'est pas une saisie objective. Afin qu'il y ait une extériorité
absolue, il faut qu'il y ait un monde; afin qu'il y ait un
monde, il faut de même un pour-soi. C'est au passé que le
pour-soi est au milieu du monde, sans transcendance.

Au présent, en tant que présence à l'être, le pour-soi


n'est pas. De l'être au présent ne vient que l'être;
l'extériorité est alors le rien. La présence que j'ai à être au
futur dans un "par-delà de l'en-soi" est une multiplicité:
d'une part, il y a un "futur universel"; d'autre part, il y a les
futurs possibles du monde. C'est de la dispersion absolue
sur l'objet qu'il est question, quand il est question du Temps
(...qu'enfin Sartre nomme!) qui « est partout transcendance
à soi et renvoi de l'avant à l'après et de l'après à l'avant » 55 .

53
Op. cit., p.235.
54
Op. cit., p.238.
55
Op. cit., p.267.
37
Ayant tenu à bonne distance et l'idéaliste et le
réaliste, Sartre leur fait cependant à chacun des concessions.
Oui, l'idéaliste a raison d'affirmer que « l'être du Pour-soi
est connaissance de l'être »56. Mais Sartre corrige cette
affirmation en ajoutant qu'il faut aussi considérer l'être de
cette connaissance. Et c'est ce qu'il a fait. Qu'est-ce que la
connaissance ? Pour lui, elle est elle-même être ek-
statique ; elle se confond avec l'être ek-statique du pour-soi.
L'idéalisme est néanmoins renversé si l'on admet, avec
Sartre, que la connaissance se résorbe dans l'être; par
conséquent, sans qu'elle ne soit ni attribut, ni fonction, ni
accident de l'être. Oui, maintenant, à son tour, le réaliste a
raison puisque la connaissance comporte l'être comme
présent à la conscience. Pourtant si, en effet, tout est donné
pour Sartre comme pour le réaliste, si l'être vient bien d'un
ailleurs et d'un autre que moi, cependant de cet être je suis
comme investi et je n'en suis finalement séparé que par rien
: mais j'en suis effectivement séparé par le néant!

2.3 La 3 partie ou le pour-autrui

La troisième partie de L'être et le néant appartient, du


point de vue sémantique, au bloc qu'elle forme avec les
deux premières : puisque, ensemble, les trois premières
parties vont constituer "une théorie générale de l'être"57, par
ailleurs articulée dans une démarche synthétique et
totalisante.

À suivre le cheminement conceptuel de L'être et le


néant jusqu'au seuil de cette troisième partie (c'est-à-dire
jusqu'à la fin du premier tiers de l'œuvre), ce que nous
pouvons constater de l'existentialisme présenté par Sartre

56
Op. cit., p.268.
57
Op. cit., p.502.
38
nous semble assez proche d'une forme de "positivisme11,
position dont on a toujours dit, avec un certain mépris,
qu'elle impliquait la croyance dans un donné pur et
simple58.

En effet la connaissance n'est-elle pas simple intuition


pour Sartre, les objets ne se donnent-ils pas d'eux-mêmes à
l'analyse descriptive, même si celle-ci part d'un fond certain
de négation ? Et, si Sartre réussit à déployer une véritable
spéculation philosophique, néanmoins celle-ci se déroule sur
le plan de l'analyse d'un donné existentiel saisissable, qui
opère sur les problèmes habituels à la philosophie un
mystérieux effet de dissolution.

Ainsi, le problème de l'existence du monde sensible


n'offre aucune difficulté: les qualités du monde sont bien
celles du monde, et non les nôtres. Mais ce "donné", qui
semble à première vue un cadeau, se révèle empoisonné, car
la qualité représente un mode d'être propre à toute chose,
et qui est pourtant refusé par Sartre à la réalité humaine.

Par ailleurs, à travers la négation de Ten-soi, à travers


la mauvaise foi, l'angoisse, l'absence de choix, l'engagement,
le passé qu'il s'est fait, l'homme voit, comme fatalement,
surgir à chacun de ses pas la liberté à laquelle, de façon
étrange, il est condamné, alors que l'humain en tant que tel
est une existence positive qui précède son essence. Certes,
on devine le caractère contingent de l'essence ainsi rajoutée.

Faut-il s'interroger maintenant sur ce qu'il en est du


monde des autres pour Sartre qui, en 1944, écrira la pièce de
théâtre Huis clos, dans laquelle sera prononcée la terrible
petite phrase : "L'Enfer, c'est les autres" ? Appréhendons-
nous le monde des autres aussi facilement que nous

58
Ce qui n'est pas nécessairement le cas du positivisme d'Auguste
Comte.
39
appréhendons le monde sensible ? À travers l'expérience
vécue (en allemand: Erlebnis ) ce qui nous est donné là n'est
autre que le conflit : en somme, une négatité de plus.

Sartre confirme son choix des conduites négatives


pour décrire la réalité humaine. Il persévère dans cette
direction avec le choix de la description de la "honte".
Qu'est-ce donc que la honte ? Elle est comme toutes les
structures que nous avons découvertes jusqu'à présent :

« Elle est conscience non positionnelle (de) soi comme


honte et, comme telle, c'est un exemple de ce que les
Allemands appellent "Erlebnis", elle est nécessaire à la
réflexion »59

Et c'est avec la honte que Sartre pose le problème de


l'existence d'autrui: mais, vu sous cet angle, s'agit-il là
encore d'un problème ? Se "donnant tout", le réaliste ne
peut-il se donner autrui ? Sartre constate avec fierté qu'il se
distingue nettement du réaliste à ce propos. Car, si le réaliste
a une intuition de la présence d'autrui dite "en personne"
(traduction de l'expression de Husserl: leibhaflig, traduisible
aussi par l'expression "en chair et en os" - et le "réaliste" en
question est alors pour Sartre actuellement Husserl), il n'a
guère l'intuition de la présence de l'âme d'autrui ! Cette
présence est loin de se donner "en personne" à la sienne. Ou
bien, si le réalisme "livre le corps", par exemple comme un
morceau de cire (et c'est alors Descartes qui est maintenant
visé), il ne nous livre pas le corps en tant que "corps
d'autrui". On commentera avec profit cette phrase qui
touche directement Descartes, taxé par là même, et
curieusement, de "réaliste spiritualiste" :

L'être et le néant, $215.


40
« S'il est vrai que pour un réalisme spiritualiste, l'âme est
plus facile à connaître que le corps, le corps sera plus
facile à connaître que l'âme d'autrui ».

Mais le réalisme renvoie systématiquement à


l'idéalisme, comme nous l'avons vu précédemment. Kant est
alors désigné (dénoncé ?), cependant, pour s'être consacré
uniquement aux lois universelles de la subjectivité,
aussi ne s'est-il guère occupé des personnes. Le "sujet" de
la subjectivité étudiée par Kant n'est autre que l'essence
commune des personnes. Aussi, pour éliminer cet aspect
du problème, Sartre refuse-t-il d'assimiler le problème
d'autrui à ce qu'il croit percevoir chez Kant comme étant
le problème des réalités nouménales. L'apparition (non, à
proprement parler, la "connaissance") d'autrui est un
phénomène qui renvoie à d'autres phénomènes, distincts
les uns des autres. Les premiers phénomènes d'autrui sont,
du point de vue de la conscience, "la mimique et l'ex-
pression"60, et, particulièrement, sous l'apparence visible de
l'expression et de la mimique, le phénomène de la colère
d'autrui. C'est pourquoi les analyses de la honte et de la
colère concernent des attitudes qui sont privilégiées relative-
ment à l'existence d'autrui.

Pour la description et la signification de la honte, on


peut se référer à la présentation de la honte "d'hier" allant
de pair avec l'étude de la temporalité61 et la confirmant.

Pourtant, même liée à l'épreuve du temps, la honte


n'est pas originellement un phénomène de réflexion; elle est
plutôt une réaction à un autre phénomène. En fait, c'est
l'existence d'autrui qui commande cette réaction de honte :
« j'ai honte tel que j'apparais à autrui »62. Autrui joue un rôle

60
Op.cit.,p.280.
61
0p.cit.,p.l63.
62
0p.cit.,p.276.
41
créateur de honte pour moi: « La honte est honte de soi
devant autrui »63. Et si, en effet, de cette manière, la honte
joue le rôle d'indicateur d'autrui, elle indique même encore
bien davantage, et quelque chose de précieux : tout
simplement l'unité des consciences, qui est manifestement
restée inaperçue par Husserl:

«par ma honte même, je revendique comme mienne cette


liberté d'un autre, j'affirme une unité profonde des
consciences, non pas cette harmonie des monades qu'on a
prise parfois pour garantie d'objectivité, mais une unité
d'être, puisque j'accepte et je veux que les autres me
confèrent un être que je reconnais »64.

Nous apprenons aussi que la honte a un pendant positif


qui n'est autre que la fierté ; de toute façon, pour Sartre,
« c'est la honte ou la fierté qui me révèlent le regard
d'autrui » 65. Autrui le regarde et, en tant qu'objet temporo-
spatial du monde, l'individu s'offre au hasard des appré-
ciations d'autrui:

« par la honte ou la fierté, je reconnais le bien-fondé de


ces appréciations »66.

Car, de toutes parts, "l'autre me guette"61. La fuite


opposable au guetteur, celui-ci la dépasse comme il la
désarme. Car la honte est tout à la fois ma "chute
originelle"6* et mon "être dehors"69 : je me découvre alors
dans la dimension d'un "objet". Par la description de la

63
Op. cit., p.277.
64
Op. cit., p.320.
65
Op. cit., p.319.
66
0p.cit.,p.326.
67
Op. cit., p.322.
68
Op. cit., p.349.
69
Ibid.
42
colère, que Sartre développe de manière significative, il est
clair que l'expérience de la colère nous apprend également
que nous subissons encore avec ce comportement l'existence
dfautrui:

« ces froncements de sourcils, cette rougeur, ce bégaiement,


ce léger tremblement des mains, ces regards en dessous qui
semblent à la fois timides et menaçants n'expriment pas la
colère, ils sont la colère » .

La colère renvoie à des actions dans le monde, à de


« nouvelles attitudes signifiantes du corps » 7l . Le corps
étant le passé et le caractère d'autrui étant déjà le dépassé,
il en est de même de l'irascibilité: comme promesse de
colère, celle-ci est toujours « promesse dépassée »72.

Je peux, d'ailleurs, transcender la colère d'autrui:


c'est-à-dire l'attiser ou la calmer. L'existence d'autrui peut
donc s'établir immédiatement et intuitivement par et dans
l'expérience de la vie quotidienne. Le regard d'autrui va
au-devant de moi, comme s'il se portait à ma rencontre;
cependant, loin de m'accueillir, il tend, au contraire, à me
pétrifier. Sous l'emprise du regard, nous ne voyons pas les
yeux : nous ne voyons pas leur couleur. Nous sommes
regardés, et ce qui domine, c'est seulement notre conscience
d'être regardés. Même plus: je me vois parce qu'autrui me
voit. Je suis réduit à cette limite du regard: ma transcendance
est alors dépouillée par l'autre et je ne suis plus pour
Sartre qu'une "transcendance transcendée": et cela se produit
uniquement du fait de situations déterminées par la peur,
par l'attente prudente ou anxieuse .

TO
Op.cit.,p.413.
71
Ibid.
72
Op. cit., p.418.
73
0p.cit.,p.321.
43
Déjà, à propos de la mauvaise foi, Sartre avait souligné
ce regard qui refuse de donner l'approbation recherchée:

« quoi que je fasse sourires, promesses, menaces - rien ne


peut décrocher l'approbation, le libre jugement que je
quête, je sais qu'il est toujours au-delà »74.

Bien que Sartre ait souligné très nettement la réciprocité


d'une telle relation, il semble cependant qu'il nous dise
clairement : Autrui a refusé de me reconnaître ; je ne suis pas
pour lui un sujet digne de l'être, mais un objet qu'il a méprisé!

Cette "transcendance transcendée", qui est celle de celui


qu'autrui refuse implacablement d'approuver, est d'autant
plus cruelle qu'elle est ressentie comme un arrachement à
soi-même par le fait légitime de la liberté d'autrui . Elle
est assimilable, en dernier ressort, à une surprise
déshonorante, comme celle de celui qui est confondu dans
son intention - comme si son intention était mauvaise - et
ainsi humilié sans appel. L'impression ressentie est telle
qu'elle est comparable, mais dans une situation totalement
différente, à celle que Sartre a décrite dans l'affreuse
expérience de l'indiscrétion, lorsque, son corps caché dans
un corridor obscur et penché devant une porte, il est tout
entier absorbé par l'occupation de glisser honteusement un
œil dans le trou de la serrure, et qu'il est surpris par
"autrui" dans cette posture peu élégante76 :

74
Op. cit., p. 101.
75
L'être et le néant, p.334.
76
Op. cit., pp.317-323.
44
«C'est à la fois l'obscurité du coin sombre et ma
possibilité de m'y cacher qui sont dépassées par autrui,
lorsque, avant que j'aie pu faire un geste pour m'y
réfugier, il éclaire l'encoignure avec sa lanterne » .

Ce qui ainsi trahit l'individu, c'est donc son corps; en un


sens, ce corps est encombrant, opaque, indissimulable. Mais
le corps nfest pas une chose. Au contraire, Sartre emploiera
soixante pages à proclamer l'authenticité de ce corps dont
autrui veut faire un objet en le regardant et en le
commentant et donc aussi en le transcendant. Car ce
corps-pour-autrui (puisque autrui l'interprète à sa guise : ce
corps semble, en effet, être "pour-lui") n'est lui-même
qu'un corps-pour-soi: « l'instrument et le but de nos
actions »78 et en même temps "le siège des cinq sens"79.
Apparaît alors pour Sartre, avec le problème du corps, le
"problème de l'action"80.

L'action est-elle pour autrui telle qu'elle est pour moi ?


Le corps de Pautre n'est-il, ainsi qu'il m'apparaît, que
« comme un instrument au milieu d'autres instruments »81 ?
Pourtant, nous dit Sartre, «le corps est tout entier
'psychique' »82. Ou bien encore :

« la conscience (du) corps est latérale et rétrospective; le


corps est le négligé, le 'passé sous silence \ et cependant
c'est ce qu'elle est; elle n'est même rien d'autre que corps, le
reste est néant et silence » 83.

77
Op. cit., p.323.
78
Op. cit., p.383.
79
Ibid.
80
Op.cit.,p.384.
81
Ibid.
82
Op. cit., p.368.
83
Op. cit., p.395.
45
Avec l'analyse des "trois dimensions d'être de notre
corps", Sartre va expliciter les relations concrètes avec
autrui. Or, ces trois dimensions sont les suivantes:

1) L'être de mon corps pour-moi, ou la facticité du pour-


soi, c'est-à-dire la nécessité d'être là - ce que Sartre appelle
"nécessité ontologique" - enserrée entre deux contingences.
D'abord, la première contingence : que je sois ; ensuite, la
deuxième contingence : que je sois engagé dans un point de
vue plutôt que dans un autre.

2) Le corps-pour-autrui: autre plan d'existence mais il


s'agit d'une structure secondaire, s'il est question du corps
d'autrui dont le corps est 'pour-moi', alors qu'en fait il
m'échappe ; d'ailleurs, l'apparition ou la disparition
d'autrui est elle-même contingence.

3) La troisième dimension ontologique du corps: « J'existe


pour moi comme connu par autrui à titre de corps »84. Le
regard d'autrui me révèle mon être-objet alors même que je
l'ignorais ; dès lors, je puis en être même scandalisé.

La vérité de ce véritable drame tient au fait même


qu'autrui surgit comme sans prévenir au cœur du pour-
soi. Aussi les relations concrètes seront-elles nécessaire-
ment signifiantes et même avant tout parfaitement
réciproques: il en sera ainsi autant de la libération que de
l'asservissement; il en sera également ainsi du conflit.

Toutefois, du regard nous passons maintenant à la


possession; et, de celle-ci, à la revendication que je suis ce
que je suis, et nullement autrement. L'attitude que Sartre

Op. cit., p.419.


46
nomme « la première attitude envers autrui » comporte
certes l'amour, le langage, le masochisme. Cependant, l'unité
avec autrui s'avère être impossible, du moins irréalisable.
Toutefois, avec le privilège de l'amour, nous nous rendons
chacun et individuellement "indépassable", car il nous sauve
de 1' "ustensilité". Sartre se réfère alors à la dialectique du
maître et de l'esclave énoncée par Hegel, pour affirmer
parallèlement que «ce que le maître hégélien est pour
l'esclave, l'amant veut l'être pour l'aimé »85.

Il existe ici néanmoins une différence essentielle, c'est


bien que "l'amant exige d'abord la liberté de l'aimé"86 ;
hors de cette condition, le contrat n'est pas rempli.

En outre, l'amour suppose le langage qui "est originel-


lement l'être-pour-autrui"87, car "je suis ce que je dis" (phrase
que Sartre attribue à Heidegger et qui appartient en fait à
Alphonse de Waelhens88). Mon langage m'échappe autant
que mon corps: «je ne connais pas plus mon langage que
mon corps pour l'autre »89. Ce qui veut dire aussi bien :"je
ne puis m'entendre parler"90. Pour Sartre, ce qui se passe
alors, c'est que le problème du langage rejoint le
"problème du corps".

À travers fascination et séduction, afin que l'aimé


devienne aimant, il doit avant tout projeter d'être aimé.
L'amour ne parait alors que comme "une liberté qui, en tant
que liberté, réclame son aliénation"91. S'ensuivent fatalement

85
Op. cit., p.438.
86
Ibid.
87
Op. cit., p.440.
88
A. de Waelhens, La philosophie de Martin Heidegger, Louvain, 1942,
ft99-
w
L'être et le néant, p.442.
90
Ibid.
91
L'être et le néant, p.443.
47
duperies et renvois à l'infini. L'amour cherche à se perdre
comme perpétuelle insatisfaction de l'amant. D'où, le
probable effet du masochisme:

« puisque autrui est le fondement de mon être-pour-autrui,


si je m'en remettais à autrui du soin de me faire exister, je
ne serais plus qu'un ëtre-en-soi fondé dans son être par une
liberté » 92 .

On le voit clairement, la conclusion de cette première attitude


est un net échec.

Ce que Sartre nomme « la deuxième attitude envers


autrui » comporte l'indifférence, le désir, la haine, le sadisme.
C'est, pour ainsi dire, ce qui pourrait être appelé « une
attitude de rechange ». Malheureusement, cette attitude risque
d'être moins provisoire que la précédente. Dès lors, on ose
« regarder le regard d'autrui »93 ; ce qui signifie: « se poser
soi-même dans sa propre liberté et tenter, du fond de cette
liberté, dfaffronter la liberté de l'autre »94. Regarder le regard
produit ou entraîne l'effondrement de la personnalité de
l'autre. Car, c'est, ni plus ni moins, enfin voir les yeux
d'autrui ! Cependant, en même temps, quelque chose bascule:
regarder le regard soustrait au regard ce dont précisément
le sujet cherchait à s'emparer. Que se passe-t-il ? : « la liberté
et le regard de l'Autre s'effondrent » 95 .

Saisissant l'Autre, le sujet ne saisit plus qu'une


facticité. Sartre illustre cette défaite par la conduite

Op. cit., p.446.


Op. cit., p.448.
Ibid.
L'être etlenéant9pA62.
48
d'envoûtement représentée par le processus particulier du
désir sexuel. En effet, le désir sexuel exagère et confirme cet
évanouissement de l'Autre. Sartre présente le désir sexuel
comme étant une tentative pour s'emparer de « la subjectivité
libre de l'Autre à travers son objectivité-pour-moi »96.
Mais qu'est, à proprement parler, le désir ? Et surtout de quoi
est-il désir ? Le désir est, avant tout, irréfléchi; il ne vise
pas sa propre suppression: c'est ce que Sartre avait déjà
affirmé au sujet des structures du pour-soi: la soif ou le
désir sexuel cherchent l'assouvissement, non leur
97
disparition ou leur autodestruction .

De plus, le désir prouve que la réalité humaine est


essentiellement un "manque". Mieux encore : elle est
essentiellement, un « manque d'être ». Car « un être qui est
ce qu'il est, dans la mesure où il est considéré comme étant
ce qu'il est, n'appelle rien à soi pour se compléter"98. Le
désir est la marque d'un mode singulier de la subjectivité qui
dévoile l'être-en-situation d'Autrui. C'est à travers la
conscience désirante que le corps désiré apparaît comme
désirable, car, comme l'écrit Sartre, "le désir est consen-
tement au désir »".

Le désir ne saurait être un quelconque "ceci" se


produisant sur fond de monde, puisqu'il est positivement
« une tentative d'incarnation du corps d'Autrui »100. Il faut
noter que ce qui se passe alors est très grave: « II s'agit,

95
0p.cit.,p.451.
97
Op. cit., p. 145.
98
Op. cit., p. 130.
99
Op. cit., p.457 : « La conscience alourdie et pâmée glisse vers un
alanguissement comparable au sommeil. »
,00
Op.cit.,p.459.
49
puisque je ne puis saisir l'Autre que dans sa facticité
objective, de faire engluer sa liberté dans cette facticité »101.

On le devine, le désir, ainsi vécu et conçu, mène droit


au sadisme; or, l'un et l'autre sont voués à l'échec. Qu'est-ce
que le sadisme ? Il est passion, nous dit Sartre102.
L'incarnation que le sadisme aspire à réaliser n'est autre que
l'obscène103. Il y a du "mécanique"104 sur ce corps et
comme une certaine pesanteur (autrement dit, tout le
contraire de la grâce) quand sa facticité est dénudée. Le
sadique "manie le corps de l'autre"105. L' obscène, qui est ce
que le sadique recherche, « apparaît lorsque le corps adopte
des postures qui le déshabillent entièrement de ses actes et
qui révèlent l'inertie de sa chair »106.

Mais (coup de théâtre !) subitement la victime regarde


le sadique. Ce regard bouleverse les plans du sadique qui
découvre une vérité à laquelle il ne s'attendait pas ; en effet,
il éprouve alors le contraire de ce qu'il croyait trouver. Le
sadique constate « l'aliénation absolue de son être dans la
liberté de l'Autre »107. Ainsi, le regard d'autrui "explose"
littéralement dans le monde du sadique, anéantissant "le
sens et le but du sadisme"108. Quant à la haine, qui en
principe veut supprimer les autres consciences, elle est

101
Op. cit., p.463.
102
Op. cit., p.469.
103
Op. cit., p.470.
104
Rappel du « mécanique » qui n'est pas sans évoquer Bergson, pour qui
le comique provient du « mécanique plaqué sur du vivant » (cf. Le rire).
105
L'être et le néant, p. 473.
106
Op. cit., p.471: « Lobscène apparaît lorsque le corps adopte des
postures qui le déshabillent entièrement de ses actes et qui révèlent
l'inertie de la chair».
l07
Op.cit.,p.476.
108
Op. cit., p.477.
50
également un échec, car « elle ne pourrait faire que l'autre
i «x 'x ' 109
n ait pas ete » .

À côté de ces deux grandes divisions entre la première et


la deuxième attitude envers autrui, qu'en est-il de la
communication, et surtout, plus profondément, de la com-
munion ? Sartre reconnaît qu'il n'en a guère parlé mais,
précisément, pour évoquer le "nous", c'est-à-dire "l'être-
avec" (analogue, sinon identique, au mit-sein heideggerien).

Sartre les décrit et, pour ainsi dire, les répartit entre le
« nous-objet » et le « nous-sujet ». On peut situer, par
exemple, le « nous-objet » dans le travail en commun:
"lorsque plusieurs personnes se trouvent appréhendées par le
tiers pendant qu'elles œuvrent solidairement un même
objet"110. Quant au « nous-sujet », on peut le concevoir dans
l'appartenance à une communauté-sujet111. Le nous-objet,
par exemple devant Dieu, et le nous-sujet se distinguent
l'un de l'autre comme l'être-regardé et l'être-regardant,
c'est-à-dire selon les deux relations fondamentales
concrétisées dans le regard : celui-ci provoque la honte
d'être regardé et manifeste l'insolence de regarder. D'une
certaine manière, le regard du maître fait naître l'esclave.

Mais, sous ce regard, l'épreuve du nous-objet peut


se transcender dans l'expérience du nous-sujet : n'est-ce
pas à partir du regard des autres que la classe opprimée se

,09
Op.cit.,p.483.
110
Op. cit., p.491. Voir p. 495: "Ce tiers, irréalisable, est simplement
l'objet du concept-limite d'altérité. [...]; ce concept ne fait qu'un avec
celui de l'être-regardant qui ne peut jamais être regardé, c'est-à-dire avec
l'idée de Dieu. »
m
Op.cit.,p.495.
51
transcende en un nous-sujet qui se sait et s'affirme "classe
opprimée" devant la classe qui l'opprime? Par ailleurs, la
totalité "humanité" s'est détotalisée, scindée dans le nous-
objet. Par l'épreuve du nous-objet a été permise l'épreuve
originelle du pour-autrui, enrichie. Mais l'expérience
psychologique du nous-sujet, qui n'est pas première et qui
n'est, d'ailleurs, possible qu'en second lieu, est l'expé-
rience active de l'homme plongé dans l'histoire.

52
III.

LA QUATRIÈME PARTIE

Après la théorie de Vêtre


la théorie de Vaction

Le "nous-sujet" nous a mis sur la voie de Faction dans


sa forme collective et historique. Après la théorie générale de
TÊtre, développée dans les trois premières parties, nous
abordons, avec la quatrième et dernière, la partie plus longue
de Vêtre et le néant : la théorie de Faction.

Globalement, les modes de P "avoir", du "faire" et de


P"être" s'imposent à nous comme les catégories radicales
de la réalité humaine. Comme nous Favons vu à
plusieurs reprises, la réalité humaine « néantise » ce qu'elle
est, certes, après Favoir été, mais surtout après Pavoir été
dans le mode en-soi de l'avoir été. La liberté humaine,
condition de toute action, a elle-même pour condition
cette néantisation fondamentale et permanente de l'en-soi
de la réalité humaine. La liberté humaine n'est et n'a été
possible que parce que l'homme n'est pas « soi », mais parce
qu'il est simple présence à soi. De même, si le monde existe
en tant que monde, c'est parce que nous n'existons que dans
la néantisation, c'est-à-dire dans le surgissement parallèle du
pour-soi.
Nous sommes alors présence au monde, comme nous
sommes présence à nous-mêmes. Sans le monde ainsi
apparu, nous n'aurions pas le reflet de l'image du projet
originel que nous sommes. À partir du projet originel et
global d'être, tel projet particulier s'est spécifié et précisé
à notre compréhension. De même, c'est à partir du monde
que chacun se fait être dans sa liberté, qu'il ne saisit pas mais
dont la figure s'inscrit dans les objets transcendants relatifs à
l'apparition du monde.

Ainsi, d'un coup de baguette de sa philosophie


existentialiste, Sartre élimine tous les problèmes philo-
sophiques soulevés par les notions de liberté et de
déterminisme. En effet, première condition de l'action qui,
par principe, est toujours intentionnelle, la liberté n'est
soumise à aucune nécessité logique. Et ce que Heidegger
affirme du Dasein convient éminemment à la liberté selon
Sartre qui écrit, derrière Heidegger: "En elle l'existence
précède et commande l'essence"112. La description phéno-
ménologique (surtout chez Husserl) vise généralement
l'essence mais, ici comme il en était précédemment pour le
phénomène et pour le néant, la description visera
l'existant. Non seulement il n'y a pas d'essence de la
liberté, mais c'est la liberté qui fonde toutes les
essences. Sartre dénonce l'erreur commune à Descartes et à
Husserl.

Gaston Berger113 avait montré que ces deux philosophes


demandèrent au cogito de livrer une "vérité d'essence"; or,
le cogito ne peut guère, pour Sartre, que livrer une
nécessité de fait. Aussi bien, par le cogito, découvrons-
nous que la liberté est comme une "pure nécessité de

112
Op. cit., p.513.
113
Cf. Gaston Berger, Le Cogito chez Husserl et chez Descartes, Paris,
1942.
54
fait"114. Autrement dit, «je suis nécessairement conscience
(de) liberté »115. L'être de la liberté ne peut pas ne pas être
choisi, car il est donné de fait à la liberté.

Dans la première partie et au chapitre premier de L'être


et le néant, Sartre notait déjà que « la liberté humaine
précède l'essence de l'homme et la rend possible»116; il
notait également que « la liberté qui se manifeste par
l'angoisse se caractérise par une obligation perpétuellement
renouvelée de refaire le Moi qui désigne l'être libre » .

Cette angoisse en tant que manifestation de la liberté


signifie que Phomme est séparé par un néant de son
essence ; mais, par là même, elle indique aussi la création de
l'être libre comme étant perpétuelle. Car, selon la quatrième
partie, la réalité humaine est « un être qui peut réaliser une
rupture néantisante avec le monde et avec soi-même »118. Il
semble bien que le secret de la liberté, comme de l'être qui
est l'objet du « désir d'être », soit impliqué dans toute
possible néantisation.

Il est clair, comme le montre l'argumentation


dialectique de Sartre, que le chapitre sur la liberté de la
quatrième partie répond logiquement au chapitre sur la
négation de la première partie. Ainsi Sartre pouvait-il
d'abord affirmer que la négation n'engage directement que
la liberté119. D'ailleurs, mais parmi d'autres, les manifesta-
tions de la mauvaise foi ne font que montrer combien la
réalité humaine est son propre néant. Encore une fois,
Tunique fondement des valeurs est alors la liberté.

ÏU
-±*ètre et te néant, p. 514.
,,5
Ibid.
,,6
0p.cit.,p.61.
117
0p.cit.,p.72.
118
O. cit., p.514-515.
1,9
0p.cit.,p.83.
55
Dans la première partie. Sartre écrivait déjà : « rien,
absolument rien, ne me justifie d'adopter telle ou telle valeur,
telle ou telle échelle de valeurs » ,20. De même, dans la
deuxième partie, Sartre affirmait-il que « la valeur hante
l'être en tant qu'il se fonde, non en tant qu'il est: elle hante la
liberté » . C'est pourquoi, dans la quatrième partie, Sartre
peut expliquer, en effet, que « dès que j'ai conscience des
motifs qui sollicitent mon action, ces motifs sont déjà des
objets transcendants pour ma conscience, ils sont
dehors » . Proposition qui confirme cette autre de la même
partie: « La réalité-humaine ne saurait recevoir ses fins,
nous l'avons vu, ni du dehors, ni d'une prétendue nature
intérieure »123. On ne peut mieux dire la liberté humaine.

Quant à la troisième partie de L'être et le néant, le


chapitre sur l'existence d'autrui mettait la liberté du sujet
en relation avec la liberté d'autrui. Ainsi, le conflit des
libertés menace ma propre liberté. L'être que je suis est
imprévisible, indéterminé. Mais, par là, je découvre aussi la
liberté d'autrui. Car « la liberté d'autrui m'est révélée à
travers l'inquiétante indétermination de l'être que je suis pour
lui »124. Il se produit une réciprocité des libertés, de la mienne
et de celle d'autrui pour moi.

Le regard confirme cette appréhension, puisque « être


vu me constitue comme un être sans défense pour une
liberté qui n'est pas ma liberté »125. Outre cette menace sise
dans la liberté d'autrui, cependant, le cas de l'amour, traité au
chapitre 3, implique que la liberté d'autrui exige ma liberté:

Op. cit., p.76.


Op. cit., p. 137.
Op. cit., p.515.
Op. cit., p.519.
Op. cit., p.320
Op. cit., p.326.
56
Tarnant veut posséder une liberté comme liberté , non pas
une chose. Sartre explicite ce que Tarnant exige de l'aimé:
« il ne veut pas agir sur la liberté de l'Autre mais exister a
priori comme la limite objective de cette liberté, c'est-à-
dire être donné d'un coup avec elle et dans son surgissement
même comme la limite qu'elle doit accepter pour être
libre »127. Ce faisant, l'amant lui-même finit par aliéner sa
liberté qui « se produit à l'existence avec une dimension de
fuite vers l'autre »128.

Regarder le regard, nous l'avons vu, semblait devoir


affirmer la liberté de celui qui imposait ce "regard du
regard"; mais, là non plus, le but ne peut être atteint,.car
autrui devient alors un "autrui-objet": la déception concerne
l'appropriation souhaitée de la liberté d'autrui, qui s'est
effondrée sous un simple regard. Devenu pur objet, autrui ne
peut plus reconnaître ma liberté: tout simplement parce que
la liberté n'est pas un être, elle est l'être de l'homme, son
néant d'être: « la liberté coïncide en son fond avec le néant
qui est au cœur de l'homme »129.

En effet, le jaillissement original de la liberté est une


existence, ni une essence, ni la propriété d'un être engendré
conformément à une idée. Car « la liberté n'est rien autre
que l'existence de notre volonté ou de nos passions, en tant
que cette existence est néantisation de la facticité, c'est-à-dire
celle d'un être qui est son être sur le mode d'avoir à

C'est pourquoi la volonté n'est pas une manifestation de


la liberté, mais elle ne peut véritablement se constituer

Op. cit., p.434.


Op. cit., p.435.
Op. cit., p.443.
Op. cit., p.516.
Op. cit., p.520.
57
comme volonté qu'à partir du fondement d'une liberté
originelle. En elle-même, la liberté est une totalité inana-
lysable, quels que soient les motifs objectifs, les mobiles
affectifs et les fins réfléchies.

Notre choix est à la fois absolu et fragile. Le choix n'est


pas dans un moment du temps, mais il déploie le temps: le
présent du choix appartient à la nouvelle totalité
commencée. Car, « liberté, choix, néantisation, temporali-
sation, ne font qu'une seule et même chose » 131. La
liberté n'existe que par le choix qu'elle fait d'une fin: elle
« n'est pas libre de ne pas être libre »... « elle n'est pas libre
de ne pas exister »132. Si la liberté choisit, nous ne
choisissons pas d'être libres: "nous sommes condamnés à la
liberté"133.
La conséquence de cette condamnation à la liberté
n'est autre que la responsabilité : « l'homme, étant con-
damné à être libre, porte le poids du monde tout entier sur
ses épaules »134. Tout désigne cette responsabilité : la place
du sujet, son passé, ses entours, son prochain, et enfin sa
mort, qui est un terme ôtantà la vie toute signification135.

En un mot, sa situation désigne l'homme comme


responsable. Qu'est donc une situation ? Ce n'est qu'une
existence au milieu d'autres existences: la situation n'est ni
subjective ni objective; mais « l'être-en-situation définit la
réalité-humaine » I36. La situation n'est pas non plus "le
libre effet d'une liberté"137. Comment définir la responsabilité

131
Op. cit., p.543.
132
Op. cit., p.567.
133
Op. cit., p.565.
134
Op. cit., p.639.
135
Op. cit., p.570-633.
136
Op. cit., p.634.
137
Op. cit., p.636.
58
sinon comme la « conscience (d') être l'auteur incontestable
d'un événement ou d'un objet »138 ?

C'est ainsi que le pour-soi est responsable qu'il y ait un


monde; en ce sens, sa responsabilité est d'un type particulier,
et elle est "accablante", "insoutenable", « Tout se passe
comme si j'étais contraint d'être responsable »139, conclut
Sartre.

Sur les significations impliquées dans un acte, Sartre


dit rejoindre Freud : « Pour Freud, comme pour nous, un
acte ne saurait se borner à lui-même: il renvoie
immédiatement à des structures plus profondes »140. Sartre,
tout comme Freud, refuse l'explication d'une action
particulière par le moment antécédent, c'est-à-dire
l'interprétation par un déterminisme psychique 'horizontal'
141
ou simplement linéaire.

Certes, dire d'un acte qu'il est symbolique renvoie à


un "déterminisme vertical"142. En outre, et contrairement à
Freud, Sartre refuse la référence à l'affectivité qu'il juge
être une "table rase", seulement constituée par l'histoire du
sujet et les circonstances extérieures. Cependant, pour
Sartre, en fait, le déterminisme vertical de Freud reste axé sur
un déterminisme horizontal: puisque les antécédents affectifs
jouent, pour Freud, un rôle dans le présent; alors, le passé
détermine le présent; quant au futur, Sartre pense qu'il ne
peut exister pour la psychanalyse freudienne.

l38
0p.cit,p.639.
I39
0p.cit,p.641.
,40
Op.cit.,p.535.
141
Ibid.
142
Voir p. 535: « L'acte lui paraît symbolique, c'est-à-dire qu'il lui
semble traduire un désir plus profond, qui lui-même ne saurait
s'interpréter qu'à partir d'une détermination initiale de la libido du sujet.
Seulement Freud vise ainsi à constituer un déterminisme vertical. »
59
Tout en s'inspirant ouvertement de la méthode
d'interprétation psychanalytique, Sartre ne partira pas du
passé, mais il concevra « l'acte compréhensif comme un
retour du futur vers le présent »143. Donc, Sartre se méfie
d'un déterminisme causal dont il pense, sans doute à tort,
qu'il est la doctrine des psychanalystes; inversement, pour
Sartre « est compréhensible toute action comme projet de
soi-même vers un possible »144. Cette compréhension com-
porte deux sens inverses : une psychologie régressive et une
progression synthétique.

Par conséquent, dans L'être et le néant, s'affirme


nécessaire une « méthode spéciale », destinée à appréhender
la "totalité de mon être"145: une "méthode comparative"146,
objective, mettant en lumière le choix subjectif d'une
personne.

La conjugaison d'une "psychologie régressive" et


d'une "progression synthétique", qu'il propose pour sa
psychanalyse existentielle, ne reconnaissant pas le postulat
de l'inconscient147, oriente Sartre vers une méthode nouvelle,
la méthode « progressive-régressive »148, essentiellement
historique, et qui combine une complexité verticale ou
diachronique avec une complexité horizontale ou

143
Op. cit., p.536.
144
Op. cit., p.537.
I45
0p.cit.,p.651.
146
Op. cit., p.656.
147
Op. cit., p. 658:"
148
De même, sous l'inspiration de Heidegger, GUnther Anders proposait
une double interprétation « rétrospective et prospective ». Voir Thierry
Simonelli, Gunther Anders De la désuétude de l'homme, Paris : Éditions
du Jasmin, 2004, p.87.
Cf. Questions de méthode (édition de 1967) pp. 119-230 et La Critique
de la raison dialectique, pp. 60-111.
60
synchronique. Conscience et connaissance sont à nouveau
distinguées149.

Le phénomène de l'être dans le monde est « la relation


entre la totalité de l'en-soi ou monde et ma propre
totalité détotalisée »150. J'agis sur fond de monde, mais
aussi sur fond de la totalité de moi-même; ainsi, c'est l'acte
fondamental de liberté qui donne son sens à toute action
particulière. La psychanalyse existentielle que propose Sartre
a pour principe que « l'homme est une totalité et non
une collection »151; et elle exige aussi que chacun de ses
actes soit révélateur de sa personnalité entière.

À cette psychanalyse existentielle, qui « cherche à


déterminer le choix originel »152 s'oppose la 'psychanalyse
empirique' qui ne cherche qu'à déterminer le complexe. La
psychanalyse existentielle de Sartre interprétera la géné-
rosité comme étant une préférence vers l'appropriation par
destruction. C'est aussi dire que la générosité guide plus
vers le néant que vers l'en-soi.

Dans cette nouvelle perspective, le projet originel de la


générosité doit être découvert, car il relève de la structure de
l'être-dans-le-monde: en effet, la symbolisation ne se fait
pas dans l'inconscient, mais dans la réflexion, qui « saisit à la
fois symbole et symbolisation »153. Et là, Sartre découvre et
souligne une tendance fondamentale de la réalité humaine: la
tendance à remplir15* : 'boucher les trous', 'remplir les
vides', chercher la plénitude, 'manger'. Le « désir d'être » se
complète dans le réel vécu.

Op. cit., p. 658.


Op. cit., p. 538.
Op. cit., p. 656.
Op. cit., p.657.
Op. cit., p.658.
Op. cit., p.705.
61
Sur les traces du Bachelard de L'eau et les rêves ou de
Psychanalyse du feu, Sartre conçoit une psychanalyse des
choses, mais très différente de celle de Bachelard. Ce qui
intéresse Sartre, ce sont moins les images, passionnantes
pour Bachelard, que le sens. Sartre ne veut ni de la libido
de Freud, ni de la volonté de puissance de Nietzsche : c'est-
à-dire ni d'un postulat ni d'un principe empirique. Pour lui,
« il convient d'établir rigoureusement le but de la
psychanalyse à partir de l'ontologie »155. C'est donc vraiment
l'être qui décide de tout.

Une psychanalyse des choses doit se préoccuper du


symbole de l'être que représente en vérité chaque chose.
Sartre veut dépasser les résultats de l'herméneutique vers un
projet plus fondamental, c'est-à-dire le projet originel d'un
pour-soi, le désir d'être qui ne peut viser que son être
propre156. Car « l'homme recherche l'être à l'aveuglette, en se
cachant le libre projet qu'est cette recherche »157. Cachant
son projet de recherche de l'être, l'humain vit pleinement et à
chaque instant le « désir d'être ».

On comprend alors que, pour la réalité humaine, être,


c'est agir, et, par conséquent, à l'inverse, cesser d'agir, c'est
cesser d'être. Or, agir, c'est «modifier l'en-soi dans sa
matérialité ontique »158.

De même, « faire », c'est "se faire"; et "se faire", c'est


« faire ». C'est ce qu'il en est du pour-soi qui est surtout
temporalisation; car « il n'est pas ; il 'se fait' »159. Aussi bien
le faire que l'avoir se ramènent au « désir d'être ». En fin

Op. cit., p.693.


Op. cit., p.651.
Op. cit., p.721.
Op. cit., p.503.
Op. cit., p.636.
62
de parcours, une découverte fondamentale s'impose à notre
désir de connaissance (et d'être !) :

«Ainsi, l'ontologie nous apprend que le désir est


originellement désir dfêtre et qu'il se caractérise comme
libre manque d'être »160.

Le faire laisse entrevoir tantôt l'être et tantôt l'avoir,


mais le désir de faire n'est qu'un « certain désir d'être »161.
Quant au connaître, il est «une modalité de l'avoir» 162.
S'approprier ou plutôt posséder un objet, c'est en user, La
qualité de possédé désigne l'objet en profondeur. Ceux
qu'on dit être des "possédés", en fait, "appartiennent à". Et
nous nous interrogeons sur la nature du couple formé par le
possédant et par le possédé. Quelle est-elle ? Ce n'est autre
qu'une relation interne, et donc synthétique.

Car aussi « le désir d'avoir est au fond réductible au


désir d'être par rapport à un certain objet dans une certaine
relation d'être »163. La spécificité du « mien » le situe entre
l'intériorité du moi et l'extériorité du non-moi. Sartre voit
dans la possession un rapport magique: le «j'ai » devient un
«je suis » : «je suis ces objets que je possède » l64. Dans
la Critique de la raison dialectique, Sartre parlera même de
la "possession-pouvoir" 165comme de l'« homme-pouvoir »166
et aussi de l'« objet-pouvoir »167. Il y sera question de
l'action individuelle comme de « la seule réalité pratique et

l60
Op.cit.,p.675.
161
Op. cit., p.670.
,62
Op.cit.,p.507.
163
Op. cit., p.678.
l64
0p.cit.,p.681.
165
Critique de la raison dialectique, p. 265.
166
Op. cit., p. 585.
l67
Op.cit.,p.500.
63
dialectique, le moteur de tout » . Ainsi, L'être et le néant
présente une logique de l'action qui pourra s'accomplir
directement dans la Critique de la raison dialectique .

Comme si c'était une sorte d'étape préliminaire, L'être


et le néant s'achève sur des perspectives morales. L'exemple
de « l'agent moral faisant pour se faire et se faisant pour
être »16 annonce pleinement déjà la recherche morale de
Sartre. Mais l'ontologie ne peut formuler les prescriptions
morales, bien que l'éthique s'y laisse entrevoir. Une telle
éthique ne peut être qu'une « éthique qui prendra ses
responsabilités : en face d'une réalité humaine en
situation »170.

N'étant pas son propre fondement, l'homme cherche


irrésistiblement à se fonder, aussi est-il l'être-du-fondement
se destinant à fonder l'être de tout objet. Car « tout se passe
comme si l'en-soi, dans un projet pour se fonder lui-même, se
donnait la modification du pour-soi » m . Et toute
conscience est essentiellement projet de se fonder.

Les Cahiers pour une morale reprendront ce thème en


affirmant que ce « néant non fondé se fera pur mouvement
pour fonder »172. Or, l'action authentique est toujours prête
à assumer ce manque de fondement: elle en accepte la
contingence, car elle est à considérer en même temps sur le
plan du pour-soi et sur celui de l'en-soi.

Op. cit., p.361.


L'être et le néant, p.507.
Op. cit., p.720.
Op. cit., p.715.
Cahiers pour une morale, p.455.
64
Si, en définitive, il demeure encore un "problème de
Faction", il ne peut être lié qu'à « Fefficace transcendant de
la science »173. Aussi Faction est-elle pure gratuité et jouit-
elle d'une pure autonomie ontologique. Me créant, j'échappe
au-non-être non fondé du créateur174.

173
L'être et le néant, p.720.
174
Cahiers pour une morale, p.456.
65
CONCLUSION

Ce n'est pas sans raison si les analyses de Sartre,


partant d'un présupposé de l'être, le font basculer dans le
néant ; d'où le thème majeur de la première partie de L'être
et le néant : « le problème du néant ». Le néant s'étant
imposé à son analyse, il n'en reste pas moins que, pensées
comme étant conceptuellement réunies, les trois premières
parties sont désignées par Sartre comme prises dans le vaste
mouvement d'ensemble les dynamisant « vers une théorie
générale de l'être ».

À cette recherche, Sartre indique que le corps participe


à la fois dans ses « dimensions d'être » et dans ses « trois
attitudes envers autrui ». En dernier ressort, ce qui domine
dans cette orientation, c'est bien « l'agent moral faisant pour
se faire et se faisant pour être » : c'est-à-dire, l'inlassable
activité du « désir d'être », puisque le « néant non fondé se
fera pur mouvement pour fonder ».

L'importance donnée également à la conscience la met


en scène, dans la dialectique phénoménologique allant de
l'être-en-soi massif à l'être du pour-soi défini comme ce qu'il
n'est pas. Toujours et partout, l'être est recherché, désiré,
puisque la « preuve ontologique » est définitive (car il y a
véritablement de l'être). Si des négatités se dévoilent, il en
est aussi qui se construisent, comme d'elles-mêmes au cours
de l'intervention humaine en tant qu'action. Car, si le propre
de la négation est de nous faire appréhender l'idée de néant,
néant il y a en fait, pour Sartre, à partir du possible en tant
que réalité concrète, puisque la réalité humaine, à la fois, est
et n'est pas ses propres possibilités.

Les structures de la temporalité (passé, présent et avenir)


viennent à l'être par la grâce du pour-soi : on a le passé
comme une hantise qui fait figure de présent, tandis que le
futur se présente comme un thème à variations ; quant au
présent, le privilégié sur les deux autres structures, il est à la
fois être et néant, c'est le mode de 1' « être-présent ».

Le manque d'être dûment constaté est une


revendication, un désir d'être de toute la réalité humaine,
habile à néantiser ce qu'elle est, mais, ajoute Sartre, après
l'avoir été dans le mode en-soi de Y avoir-été. Car c'est la
condition même de l'action que cette néantisation
fondamentale et permanente de l'en-soi de la réalité humaine.
Sans être « soi », mais en étant « présence à soi », nous
découvrons avec Sartre que l'humain a l'avantage d'être
pleinement et dangereusement libre.

Mais c'est proprement la considération de la situation


humaine qui permet de parvenir à une conscience et/ou à une
attitude morale : faisant pour se faire et se faisant pour être,
l'agent moral, que l'on peut déjà deviner dans l'ontologie
phénoménologique de Sartre, ne naît véritablement que de la
situation de la réalité humaine que Sartre dit se trouver « en
situation ».

L'idée et la réalité d'une action authentique se dégagent


à la fois sur les deux plans de l'en-soi et du pour-soi. D'où la
caractérisation de cette action dans la contingence et dans le
manque initial d'un fondement à créer.

$$$$$$$

68
En conclusion, il semble qu'on puisse dire qu'il existe
un rapport de ce « désir d'être » auquel nous avons été
sensibles avec une réflexion sur la causa sui.

Dans L'être et le néant, Sartre affirme avec fermeté:


« L'être ne saurait être causa sui à la manière de la
conscience » ; il affirme de même: « si l'en-soi devait se
fonder, il ne pourrait même le tenter qu'en se faisant
conscience, c'est-à-dire que le concept de "causa sui"
emporte en soi celui de présence à soi, c'est-à-dire celui
de la décompression d'être néantisante »176.

Il s'agit alors d'assumer la "totalité détotalisée", qui


représente l'échec de la causa sui, c'est-à-dire celui de la
synthèse impossible entre le soi-causant et le soi-causé.

Le parti-pris de saisir les négatités, les opérations


néantisantes de la conscience et de l'imaginaire, et finalement
le parti-pris de ne pouvoir s'en remettre qu'à des médiations,
c'est-à-dire à des négations, n'a qu'une seule finalité qui est
celle d'affronter, non pas une éventualité mais une réalité qui
n'est autre que le « désir d'être » qui nous hante tout comme
le néant hante l'être.

L'être et le néant, p.32.


Op.cit,p.714-715.
69
PETITE BIBLIOGRAPHIE DE SARTRE

A. ŒUVRES DE SARTRE AUX DATES DE LA


1ère ÉDITION
"La Transcendance de l'ego", Recherches Philosophiques VI,
Boivin, 1935,85-123.
L'Imagination (Alcan, 1936).
La Nausée (Gallimard, 1938).
« Une Idée fondamentale de la phénoménologie de Husserl »,
Nouvelle Revue Française, 1939,129-132.
Le Mur (Gallimard, 1939).
L'Imaginaire (Gallimard, 1940).
L'Etre et le néant (Gallimard, 1943).
Les Mouches (Gallimard, 1943).
Les Chemins de la liberté (Gallimard, 1945-49).
Tome I, L'Age de raison (1945) ;
Tome 2, Le Sursis (1945) ;
Tome 3, La Mort dans l'âme (1949).
Réflexions sur la question juive (Gallimard, 1946).
L'Existentialisme est un humanisme (Nagel, 1946).
Baudelaire (Gallimard, 1947).
Les Jeux sont faits (Nagel, 1947).
Théâtre: Les Mouches, Huis clos, Morts sans sépulture, La
Putain respectueuse (Gallimard, 1947).
L'engrenage (Nagel, 1948).
Situations I,II,III (Gallimard, 1947-48-49).
Esquisse d'une théorie des émotions (Hermann, 1948).
Les Mains sales (Gallimard, 1948).
Jean-Paul Sartre, David Roussel, Gérard Rosenthal,
Entretiens sur la politique, Gallimard, 1949.
Le Diable et le Bon Dieu (Gallimard, 1951).
Saint-Genêty comédien et martyr (Gallimard, 1952).
Kean (Gallimard, 1954).
Nekrassov (Gallimard, 1956).
La P. respectueuse. Morts sans sépulture (Livre de Poche,
1956).
Critique de la raison dialectique, précédé de: Questions de
méthode (Gallimard, 1960).
Les Séquestrés d'Altona (Gallimard, 1960).
Qu'est-ce que la littérature (Gallimard, 1964).
Les Mots (Gallimard, 1964).
Situations IV,V,VI (Gallimard, 1964).
Situations VII (Gallimard, 1965).
La Transcendance de l'Ego (Vrin, 1965).
"Saint Georges et le Dragon", L'Arc,l965 (30), 35-53.
"Jean-Paul Sartre répond", L'Arc, 1965 (30), 87-96.
Que peut la littérature ? Débat à la Mutualité avec Simone
de Beauvoir, J. Semprun, J.P.Faye,Y.Berger et J.Ricardou,
Collection 10/18, U.G.E., 1965.
Questions de méthode (Gallimard, 1967).
Bariona. Essai théâtral (Marescot, 1967).
Orphée noir (Outre Mer, 1969).
Les Communistes ont peur de la révolution (Didier, 1969).
L'Idiot de la famille Tomes I et II (1971).
Tome 111(1973).
Situations VIII, IX (Gallimard, 1972).
Un théâtre de situations (Gallimard, 1973).
Situations X (Gallimard, 1976).
Les Carnets de la drôle de guerre (Gallimard, 1983).
Cahiers pour une morale (Gallimard, 1983).
Lettres au Castor et à quelques autres (Gallimard, 1983).
Scénario Freud(Gallimard, 1983).
Critique de la raison dialectique Tome II (Gallimard, 1983).
Vérité et existence, Essais, Gallimard, 1989.
72
B. BIBLIOGRAPHIES
An International Bibliography (1938-1980), 2è éd. rev.,
Bowling Green State University, 1981.
M. Contât et M. Rybalka, Les Ecrits de Sartre: Chronologie,
Bibliographie commentée, Gallimard, 1970.
M. Contât et M. Rybalka, Sartre : Bibliographie, 1980-1992,
CNRS Littérature, CNRS Philosophie, 1998.
Kenneth Douglas, A Critical Bibliography of Existentialism
(The Paris School), Yale French Studies, N° 1,1950.
H. Spiegelberg, The Phenomenological Movement, vol. II,
513-515, La Haye, 1960.
R.Wilcocks, Jean-Paul Sartre A Bibliography of
international criticism, Edmonton (Canada): University of
Alberta Press, 1975

C. PUBLICATIONS SUR SARTRE


J.G. Adloff, Sartre. Index du corpus philosophique, L L'Etre
et le Néant Critique de la raison dialectique, Klincksieck,
1981.
F. Alquié, "L'être et le néant". Cahiers du Sud, 1945, 273-4,
648-552, 807-816.
R. Aron, L'Opium des intellectuels, Calmann-Lévy, 1955.
R. Aron, Histoire et dialectique de la violence, Gallimard,
1973.
R. Aronson, Jean-Paul Sartre: Philosophy in the world, New
York, Schocken; London, Verso; 1980.
C. Audry, Sartre et la réalité humaine, Seghers, 1966.
S. de Beauvoir, « L'existentialisme et la sagesse des
nations », Les Temps Modernes, décembre 1945.
S. de Beauvoir, La Force de l'âge, Gallimard, 1960.
S. de Beauvoir, La Force des choses, Gallimard, 1963.
73
R. Bellour, "Homme pour homme", L'Arc, 1965 (30), 10-14.
M. Blanchot, "Les intellectuels en question", Le Débat,
novembre 1984.
O.F. Bollnow, Franzôsischer Existentialismus, W.
Kohlhammer, Verlag Stuttgart, 1965.
P.Boutang, Sartre est-il un possédé ? La Table Ronde, 1950.
Michel-Antoine Burnier, L'adieu à Sartre, suivi de :
Testament de Sartre, Pion, 1999.
Annie Cohen-Solal, Sartre, Folio essais, 1999.
D.Collins, Sartre as Biographer, Cambridge: Harvard
University Press, 1980.
P.Collins, "The existentialism of Sartre", Thought, 1948,
(23), 59-100.
Jeanne Colombel, Sartre ou le Parti de vivre, Grasset, 1981.
Jeanne Colombel, Un homme en situations, Le Livre de
Poche, biblio essais, Librairie Générale Française, 1985.
M. Contât et A.Astruc,y?/w Sartre, Gallimard, 1977.
R. D. Cumming, The Philosophy of Jean-Paul Sartre,
Random House 1965; Methuen, 1988.
G. Deleuze et C.Parnet, Dialogues, Flammarion, 1977.
W. Desan, The Tragic Finale, Harvard University Press,
1954.
K. Hartmann, Grùndzùge der Ontologie Sartres in ihrem
Verhàltnis zu Hegels Logik, Walter de Gruyter, 1963.
D. Hollier, Politique de la prose, Gallimard, 1982.
H.H. Holz, J.P.Sartre, Meisenheim, 1951.
R. Hossein, La Sentinelle aveugle, Grasset, 1978.
R. Jolivet, Sartre ou la théologie de l'absurde, Fayard, 1965.
F. Jeanson, Le problème moral et la pensée de Sartre, Le
Seuil, 1947.
F. Jeanson, Sartre par lui-même, Le Seuil, 1957.
F. Jeanson, Le problème moral et la pensée de Sartre suivi
de : Un quidam nommé Sartre, Le Seuil, 1965.
F. Jeanson, Sartre dans sa vie, Le Seuil, 1974.
J. Kanapa, L'existentialisme n'est pas un humanisme, Editions
Sociales, 1948.
J. Kopper, Die Dialektikder Gemeinschaft, Francfort, 1960.
74
H. Kuhn, Begegnung mit dem Nichts, TUbingen, 1950.
R. Laing et D. Cooper, Raison et violence, Payot,1972.
Jean-François Louette, Sartre contra Nietzsche, Presses
Universitaires de Grenoble, 1996.
0 . Lanzmann, « La reconnaissance », Les Temps Modernes,
avril 1982.
Libération, numéro spécial Sartre, 1980.
S. Lilar, À propos de Sartre et l'amour, Gallimard, 1962.
G. Lukacs, Existentialisme ou Marxisme ?, Paris, 1946.
CE. Magny, "Système de Sartre1", Esprit, 1945 (13), 564-
580,709-724.
A. Manser, Sartre: A Philosophie Study, Athlone Press, 1966.
G. Marcel, Homo Viator, Aubier, 1944.
M. Merleau-Ponty, « La querelle de l'existentialisme », Les
Temps Modernes, 1945,345.
M.Merleau-Ponty, Humanisme et terreur, Gallimard, 1949.
J. Môller, Absurdes Sein ?, Stuttgart, 1959.
H. Mougin, La Sainte Famille existentialiste, Editions
Sociales,1945.
E. Meunier, Introduction aux existentialismes, Denoël, 1947.
1. Murdoch, "Sartre" Romantic Rationalist, London,1953.
M.A. Natanson, A Critique of Jean-Paul Sartre1 s Ontology,
University of Nebraska, 1951.
H. Paissac, Le dieu de Sartre, Paris, 1950.
Philippe Petit, La cause de Sartre, PUF, 2000.
A. Podieeh, Der Leib als Weise des In-der-Welt-Seins, Bonn,
1956.
J.S. Pontalis, Préface au Scénario Freud, Gallimard, 1984.
M. Poster, Sartre's Marxism, London: Pluto Press, 1970.
Alain Renaut, Sartre, le dernier philosophe, Le Livre de
Poche, 2000.
Hadi Rizk, "Sartre: éléments pour une théorie de l'action"
(communication au Centre d'Etudes Sartriennes, 1991).
Françoise Sagan, Avec mon meilleur souvenir "Lettre
d'amour à Jean-Paul Sartre", Gallimard, 1983.
G. Sandier, "Socratedramaturge", L'Arc, 1965 (30), 77-86.

75
A. Schilpp, edit, The Philosophy of Jean-Paul Sartre, La
Salle, Illinois : Open Court, 1981.
Juliette Simont, Jean-Paul Sartre. Un demi-siècle de liberté,
De Boeck Université, 1998.
A. Stern, Sartre, His Philosophy as Psychoanalysis, New
York, 1953.
M. Tournier, Le Vent par aclet, Gallimard, 1977.
R.Troisfontaine, Le choix de J.-P.Sartre, Aubier, 1945.
G.Varet, L'ontologie de Sartre, P.U.F., 1948.
Hélène Védrine, "Brèves remarques sur Heidegger et Sartre"
(communication au Centre d'Etudes Sartriennes, 1982).
P.Verstraeten, Violence et Ethique, Gallimard, 1972.
J.Vuillemin,,fLa dialectique négative dans la connaissance et
l'existence", Dialectica 1950,(4)21-42.
A. de Waelhens, "Heidegger et Sartre", Deucalion I, 1946
A.de Waelhens, "De la phénoménologie à l'existentialisme",
Le Choix, le monde, l'existence, Armand Colin, 1947
J. Wahl, "Essai sur le néant du problème", Deucalion I,
1946,41-72
J. Wahl,"Sur l'Introduction à l'Etre et le néant'*, Deucalion
III, 1950,143-66

D. PUBLICATIONS SUR ANDERS


Cahiers universitaires d'information sur VAutriche,
Austriaca, n°35,1995 : Gunther Anders.
T. Simonelli, Gunther Anders. De la désuétude de l'homme,
Éditions du Jasmin, 2004.

76
Achevé d'imprimer sur rotative numérique par Book It !
dans les ateliers de l'Imprimerie Nouvelle Firmin Didot
Le Mesnil-sur-1'Estrée

N° d'impression : 76034
Dépôt légal : Octobre 2005

Imprimé en France

Vous aimerez peut-être aussi