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Fiches de Droit Constitutionnel - 1er Semestre - 2021-2022
Fiches de Droit Constitutionnel - 1er Semestre - 2021-2022
LICENCE 1
1er Semestre
DROIT CONSTITUTIONNEL
Cours du Professeur David Mongoin
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I. La Révolution française ou la naissance de la Constitution
moderne en France
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DOCUMENT 3 : Séance royale du 23 juin 1789 - Déclaration de Louis XVI
Messieurs, je croyais avoir fait tout ce qui était en mon pouvoir pour le bien de mes peuples,
lorsque j’avais pris la résolution de vous rassembler (…), lorsque j’étais allé pour ainsi dire au-
devant des vœux de la nation, en manifestant à l’avance ce que je voulais faire pour son bonheur.
Il semblait que vous n’aviez qu’à finir mon ouvrage, et la nation attendait avec impatience le
moment où, par le concours des vues bienfaisantes de son souverain et du zèle éclairé de ses
représentants, elle allait jouir des prospérités que cette union devait lui procurer.
Les États-Généraux sont ouverts depuis près de deux mois et ils n’ont point pu encore
s’entendre sur les préliminaires de leurs opérations. Une parfaite intelligence aurait dû naître
du seul amour de la Patrie et une funeste division jette l’alarme dans tous les esprits. (…)
Je dois au bien commun de mon royaume, je me dois à moi-même de faire cesser ces funestes
divisions. C’est dans cette résolution, Messieurs, que je vous rassemble de nouveau autour de
moi, c’est comme le père commun de tous mes sujets, c’est comme le défenseur des lois de
mon royaume que je viens en retracer le véritable esprit et réprimer les atteintes qui ont pu y
être portées. (…)
Un des secrétaires d’État lit ensuite la déclaration suivante : Déclaration du roi, concernant la
présente tenue des États-Généraux
Article 1er. Le Roi veut que l’ancienne distinction des trois ordres de l’État soit conservée en
son entier, comme essentiellement liée à la constitution de son royaume ; que les députés
librement élus par chacun des trois ordres, formant trois chambres, délibérant par ordre, et
pouvant, avec l’approbation du souverain, convenir de délibérer en commun, puissent seuls être
considérés comme formant le corps des représentants de la nation. En conséquence, le roi a
déclaré nulles les délibérations prises par les députés de l’ordre du tiers-état, le 17 de ce mois,
ainsi que celles qui auraient pu s’ensuivre, comme illégales et inconstitutionnelles. (…)
Article VIII. Seront nommément exceptés des affaires qui pourront être traitées en commun
celles qui regardent les droits antiques et constitutionnels des trois ordres, la forme de
constitution à donner aux prochains États-Généraux, les propriétés féodales et seigneuriales, les
droits utiles et les prérogatives honorifiques des deux premiers ordres. (…)
Il s’agit de savoir ce qu’on doit entendre par la constitution politique d’une société, et
de remarquer ses justes rapports avec la nation elle-même.
Il est impossible de créer un corps pour une fin, sans lui donner une organisation, des
formes et des lois propres à lui faire remplir les fonctions auxquelles on a voulu le destiner.
C’est ce que l’on appelle la constitution de ce corps. Il est évident qu’il ne peut pas exister sans
elle. Il l’est donc aussi, que tout gouvernement commis doit avoir sa constitution ; et ce qui est
vrai du gouvernement en général l’est aussi de toutes les parties qui le composent. Ainsi le corps
des représentants, à qui est confié le pouvoir législatif ou l’exercice de la volonté commune,
n’existe qu’avec la manière d’être que la nation a voulu lui donner. Il n’est rien sans ses formes
constitutives ; il n’agit, il ne se dirige, il ne se commande que par elles.
A cette nécessité d’organiser le corps du gouvernement, si on veut qu’il existe ou qu’il
agisse, il faut ajouter l’intérêt qu’à la nation à ce que le pouvoir public délégué ne puisse jamais
devenir nuisible à ses commettants. De là, une multitude de précautions politiques qu’on a
mêlées à la constitution, et qui sont autant de règles essentielles au gouvernement, sans
lesquelles l’exercice du pouvoir deviendrait illégal. On sent donc la double nécessité de
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soumettre le gouvernement à des formes certaines, soit intérieures, soit extérieures, qui
garantissent son aptitude à la fin pour laquelle il est établi et son impuissance à s’en écarter.
Mais qu’on nous dise d’après quelles vues, d’après quel intérêt on aurait pu donner une
constitution à la nation elle-même. La nation existe avant tout, elle est à l’origine de tout. Sa
volonté est toujours légale, elle est la loi elle-même. Avant elle et au-dessus d’elle il n’y a que
le droit naturel. Si nous voulons nous former une idée juste de la suite des lois positives qui ne
peuvent émaner de sa volonté, nous voyons en première ligne les lois constitutionnelles, qui se
divisent en deux parties : les unes règles l’organisation et les fonctions du corps législatif : les
autres déterminent l’organisation et les fonctions des différents corps actifs. Ces lois sont dites
fondamentales, non pas en ce sens qu’elles puissent devenir indépendantes de la volonté
nationale, mais parce que les corps qui existent et agissent par elles ne peuvent point y toucher.
Dans chaque partie, la constitution n’est pas l’ouvrage du pouvoir constitué, mais du pouvoir
constituant. Aucune sorte de pouvoir délégué ne peut rien changer aux conditions de sa
délégation. C’est en ce sens que les lois constitutionnelles sont fondamentales. Les premières,
celles qui établissent la législature, sont fondées par la volonté nationale avant toute
constitution ; elles en forment le premier degré. Les secondes doivent être établies par une
volonté représentative spéciale. Ainsi toutes les parties du gouvernement se répondent et
dépendent en dernière analyse de la nation. Nous n’offrons ici qu’une idée fugitive, mais elle
est exacte.
On conçoit facilement ensuite comment les lois proprement dites, celles qui protègent
les citoyens et décident de l’intérêt commun, sont l’ouvrage du corps législatif formé et se
mouvant d’après ses conditions constitutives. Quoique nous ne présentions ces dernières lois
qu’en seconde ligne, elles sont néanmoins les plus importantes, elles sont la fin dont les lois
constitutionnelles ne sont que les moyens. On peut les diviser en deux parties : les lois
immédiates ou protectrices, et les lois médiates ou directrices. Ce n’est pas ici le lieu de donner
plus de développement à cette analyse.
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membres de la société exercent individuellement le pouvoir constituant ; ils peuvent donner
leur confiance à des représentants qui ne s’assembleront que pour cet objet, sans pouvoir
exercer eux-mêmes aucun des pouvoirs constitués. Au surplus, c’est au premier chapitre du
projet de constitution qu’il appartient d’éclairer sur les moyens de former et de réformer toutes
les parties d’une constitution.
Art. 16. - Toute Société dans laquelle la garantie des Droits n'est pas assurée, ni la séparation
des Pouvoirs déterminée, n'a point de Constitution.
L'Assemblée nationale voulant établir la Constitution française sur les principes qu'elle vient
de reconnaître et de déclarer, abolit irrévocablement les institutions qui blessaient la liberté et
l'égalité des droits.
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- La liberté aux citoyens de s'assembler paisiblement et sans armes, en satisfaisant aux lois de
police ;
- La liberté d'adresser aux autorités constituées des pétitions signées individuellement.
Le Pouvoir législatif ne pourra faire aucunes lois qui portent atteinte et mettent obstacle à
l'exercice des droits naturels et civils consignés dans le présent titre, et garantis par la
Constitution ; mais comme la liberté ne consiste qu'à pouvoir faire tout ce qui ne nuit ni aux
droits d'autrui, ni à la sûreté publique, la loi peut établir des peines contre les actes qui, attaquant
ou la sûreté publique ou les droits d'autrui, seraient nuisibles à la société (…)
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avilir par la tyrannie ; afin que le peuple ait toujours devant les yeux les bases de sa liberté et
de son bonheur ; le magistrat la règle de ses devoirs ; le législateur l'objet de sa mission. - En
conséquence, il proclame, en présence de l'Être suprême, la déclaration suivante des droits de
l'homme et du citoyen.
Article 1. - Le but de la société est le bonheur commun. - Le gouvernement est institué pour
garantir à l'homme la puissance de ses droits naturels et imprescriptibles.
Article 2. - Ces droits sont l'égalité, la liberté, la sûreté, la propriété.
Article 3. - Tous les hommes sont égaux par la nature et devant la loi.
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circonscrits par le document lui conférant ces pouvoirs. La formule selon laquelle « tout pouvoir
émane du peuple » se référait moins à l’élection périodique de représentants, qu’au fait que le
peuple, organisé en corps constituant, avait le droit exclusif de définir les pouvoirs de la
législature élue. La constitution était donc conçue comme une protection du peuple contre toute
action arbitraire, qu’elle émane du pouvoir législatif ou des autres organes du gouvernement.
Une constitution destinée à limiter le pouvoir doit, outre des dispositions concernant la
dévolution des pouvoirs, inclure des règles positives. Elle doit poser des principes généraux
régissant les décisions du corps législatif. L’idée de constitution implique donc non seulement
l’idée d’une hiérarchie des autorités ou pouvoirs, mais aussi celle d’une hiérarchie des lois et
règles – où celles qui présentent un degré plus élevé de généralité et émanent d’une autorité
plus élevée contrôlent le contenu des décisions plus spécifiques prises par une autorité déléguée.
« Il y a une grande différence entre le pouvoir absolu (...) complet et le pouvoir politique.
Celui-ci, pris même dans son intégrité est déjà borné par l’objet politique de la société. On ne
s’associe pas pour perdre (…) sa liberté, ses droits naturels, et les recevoir ensuite de la libéralité
du souverain. On s’associe pour être protégé et aidé dans l’exercice de ses droits (...) par la
puissance de toute l’association. Ainsi donc la toute-puissance n’appartient point au souverain ;
il est le souverain de l’association, et non maître des associés. Quant aux limites de ce pouvoir
politique, voyons ;
Le seul acte qui exige l’unanimité, c’est l’acte d’association. Puisque chaque individu y
entre, et y reste librement, c’est sa volonté. Toute autre volonté commune concernant les intérêts
de la société peut n’être pas unanime. Il faut pourtant néanmoins qu’elle fasse loi. L’acte
d’association est donc une convention tacite ou formelle de reconnaître pour loi la volonté de
la majorité des associés. Là commence la crainte avec le danger du despotisme et de la tyrannie
pour au moins une portion des citoyens. La tyrannie sort des limites du pouvoir politique, elle
(…) usurpe sur ce qui n’est pas de son ressort soit en portant la loi soit en l’appliquant. Le
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despotisme est la réunion de toutes les parties du pouvoir politique car il est nécessaire pour le
maintien de l’état social de mettre dans l’établissement public [la puissance publique, NDLR]
une masse de pouvoir telle qu’on ne peut pas laisser dans une seule main sans péril. Le
despotisme mène à la tyrannie, parce qu’il est dans la nature des passions que celui qui réunit
tous les pouvoirs en abuse. Or, dès que nous supposons la volonté sociale divisée en majorité
et minorité, si la majorité qui fait la loi n’a pas de frein, elle peut devenir tyrannique, ou tout au
moins despotique (…) envers la minorité. Ce ne peut être là le but de l’association, il est donc
démontré pour tout esprit droit, pour toute âme digne d’être libre, qu’il doit exister avant toute
loi faite par la simple majorité une volonté unanime qui donne un frein au législateur à simple
majorité (…) et lui rende impossible la tyrannie et même le despotisme. Je dis que cette volonté
unanime et primitive fait aussi partie (…) de l’acte d’association, ou le précède. Or, comme ce
frein ne peut se trouver que dans la division des pouvoirs, et l’organisation à part de chacun
d’eux, mais surtout dans l’organisation de la législature (…), je dis que la division des pouvoirs
et leur organisation, c’est-à-dire la constitution (car ce n’est pas autre chose) est une loi
fondamentale antérieure à toute loi faite à la majorité simple. Obéir à la constitution fait partie
de l’engagement primordial de chaque associé, individuellement. Donc, chaque associé a droit
d’accepter la constitution. Après quoi vient l’action de la simple majorité, non pas indépendante
de tout frein, non pas despotique, non pas désorganisée. (…)
La garantie de l’acte d’association et de la minorité réside donc dans la constitution. Les
philosophes et surtout ceux de l’antiquité diront que cette garantie est dans les mœurs et dans
la bonne volonté du peuple.
Soit, mais comme la bonne volonté est ambulatoire et un peu trop aux ordres des passions,
comme les mœurs se dépravent et (...) changent par le seul avancement des arts et la progression
des richesses, je dis que c’est à la constitution à nous garantir notre liberté. Non, la constitution
n’est pas un ramas d’articles bien ou mal classés, bien ou mal rédigés, et mis ensuite sous la
sauvegarde de la bonne volonté. C’est une bonne mécanique sociale qui combinée sur les
besoins essentiels de l’homme et de ses vrais intérêts, et qui une fois montée tire de son
mouvement intérieur la continuité de son jeu, et dont l’action produit nécessairement ses
effets. »
Dans la langue juridique habituelle, le droit coutumier s'oppose au droit écrit et semble par là
même englober tout le droit non écrit. En réalité, ces deux notions sont distinctes et la coutume
n'est qu'un des aspects sous lesquels peut se révéler le droit non écrit. (...) Le droit coutumier
est le droit qui a pour objet de rendre la coutume obligatoire. Une coutume, c'est‐à‐dire un
usage, une habitude sociale, n'est en elle‐même qu'un fait. La règle, et par conséquent le droit,
n'apparaît que si la coutume cesse d'être le produit d'attitudes libres, pour devenir socialement
obligatoire. Non que la coutume cesse, pour cela, d'être un fait, mais elle devient un fait
commandé par le droit, se produisant par application et par respect du droit. (...)
La définition pour être complète doit encore faire apparaître le caractère non écrit du droit
coutumier. (...) On ne peut, en effet, l'employer que si le caractère obligatoire de la coutume
s'est établi sans l'intervention du législateur. (...) Ainsi apparaît tout à la fois que, d'une part, le
droit coutumier s'oppose bien au droit écrit, mais que, d'autre part, il ne saurait être confondu,
comme il arrive trop souvent, avec tout le droit non écrit. Car il faut encore ranger dans le cadre
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de ce dernier, à côté de la coutume et s'opposant à elle, le droit novateur. (...) Des règles
nouvelles peuvent surgir dans le droit positif, qui loin d'être issues de ce long travail
d'élaboration qui donne naissance à la coutume, renversent au contraire les conceptions
admises, marquent une brusque rupture dans l'évolution sociale et annoncent des mœurs
nouvelles. (...)
Mais le préjugé du droit écrit est si fort que l'existence de telles règles est très généralement
niée. Il règne sur beaucoup d'auteurs comme un principe de légitimité du droit écrit qui exclut
à leurs yeux le caractère juridique de toute règle non écrite. Tout ce qui n'est pas écrit tombe, à
les croire, dans le domaine du fait ou de la politique, et ne saurait être regardé comme règle de
droit. Mais l'interprète ne doit pas connaître que la "positivité" et la seule question à résoudre
est donc de savoir si la notion de droit positif exclut ou admet la notion de droit non écrit.
Or, bien loin de l'exclure, elle la suppose. Car le droit positif n'est pas le droit posé par un
législateur, il est le droit en vigueur, c'est‐à‐dire le droit appliqué, dont les prescriptions
reçoivent généralement exécution dans une société donnée. C'est donc le fait de l'application du
droit, de la conformité des mœurs à un système juridique qui est le signe de la positivité de
celui‐ci. (...) En réalité, si une règle écrite cesse d'être appliquée et reconnue, si une autre règle
la supplante dans l'opinion commune, entraîne l'adhésion des consciences et réussit à se réaliser
dans la conduite conforme des sujets, il faut bien admettre qu'une règle non écrite s'est
substituée à une règle écrite. (...) Il est d'autant plus utile d'admettre cette notion que si, d'une
façon générale, l'évolution du droit positif moderne a considérablement réduit, au profit du droit
législatif ou jurisprudentiel, la place qui lui était réservée, en matière constitutionnelle, au
contraire, le rôle qu'il joue est encore considérable. (...)
L'idée de droit constitutionnel non écrit s'impose également à l'interprète en période normale,
sous l'empire d'une constitution établie, s'il veut rendre compte des différences profondes qui
séparent en général les textes constitutionnels de la réalité politique. De semblables divorces
entre la loi et le droit positif ont été bien souvent relevés en droit privé ou en droit administratif
; ils y sont dus généralement à l'action d'une jurisprudence qui a développé son pouvoir
d'interprétation juridique jusqu'à s'attribuer un véritable pouvoir législatif. En droit
constitutionnel, au moins dans les pays qui, comme la France, ne connaissent pas le contrôle
juridictionnel de constitutionnalité, cette antinomie du droit positif par rapport aux textes n'est
pas l'œuvre d'une jurisprudence, mais une nouvelle manifestation de ce droit constitutionnel
non écrit dont on méconnaît bien à tort l'importance. Il n'est même pas suffisant, en effet, de
parler, comme le font les partisans les plus avancés de cette notion, de coutume
constitutionnelle, de rechercher parmi les précédents ceux qui ont pu acquérir l'autorité
nécessaire à la formation d'une coutume. (...) La coutume, nous l'avons dit, n'est qu'un aspect
du droit non écrit, et c'est pourquoi le problème que nous envisageons est infiniment plus large.
L'apparition et les transformations du régime parlementaire, en France comme en Angleterre,
pour prendre l'exemple le plus éclatant, se sont faites sans que les textes apparemment en
vigueur en portent la trace. (...) Tout l'effort, toute l'ingéniosité de la doctrine essaye aujourd'hui
de voiler cette contradiction profonde entre le droit positif et le droit écrit, et de montrer, contre
toute évidence, que nos institutions actuelles restent conformes à la lettre des lois de 1875. (...)
Mais cette méthode ne peut conduire qu'à méconnaître la réalité, et à confondre les différents
types de régimes politiques qui se sont succédé dans l'histoire. (...) Ces transformations se sont
faites à l'insu des constitutions écrites. Chacune fut l'œuvre d'un changement de doctrine,
accompagnant l'avènement au pouvoir de nouvelles couches sociales et de nouvelles équipes
politiques. (...)
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Université Jean Moulin-Lyon 3 Année universitaire 2021-2022
LICENCE 1
1er Semestre
DROIT CONSTITUTIONNEL
Cours du Professeur David Mongoin
FICHE 2
I- Le pouvoir constituant
DOCUMENT 1 : Hans Kelsen, Théorie pure du droit, traduction de Charles Eisenmann, Paris,
Dalloz, coll. « Philosophie du droit », 1962, p. 301-302.
I. Le pouvoir constituant
DOCUMENT 1 : Hans Kelsen, Théorie pure du droit, traduction de Charles Eisenmann,
Paris, Dalloz, coll. « Philosophie du droit », 1962, p. 301-302.
Lorsqu’elle est Constitution écrite, la Constitution de l’État se présente parfois sous une forme
spécifiquement constitutionnelle, c'est-à-dire sous forme de normes qui ne peuvent pas être
abrogées ou modifiées comme les lois ordinaires, mais seulement à des conditions d’une
difficulté accrue. Il se peut cependant que ce ne soit pas le cas ; ce ne l’est évidemment pas pour
les États dont la Constitution est de caractère coutumier, c'est-à-dire est née de la conduite
coutumière habituelle des individus soumis à l’ordre juridique étatique et n’a pas été codifiée
par la suite. En ce cas, les normes qui ont le caractère de Constitution matérielle peuvent, elles
aussi, être soit abrogées soit modifiées par les lois ordinaires ou par le droit coutumier.
Il est possible que le pouvoir d’édicter, d’abroger et de modifier les lois constitutionnelles au
sens spécifiquement formel, soit attribué à un organe différent de celui qui a le pouvoir
d’édicter, abroger et modifier des lois ordinaires. Par exemple, il se peut que la composition et
le mode d’élection de l’organe investi de la fonction constituante soient différents de ceux de
l’organe investi de la fonction de législation ordinaire, – ce sera par exemple une Assemblée
constituante, il serait plus exact de dire : une Assemblée législative constitutionnelle. Le plus
souvent cependant, les deux fonctions sont exercées par un seul et même organe.
I- Le pouvoir constituant est la volonté politique dont le pouvoir ou l’autorité sont en mesure
de prendre la décision globale concrète sur le genre et la forme de l’existence politique propre,
autrement dit, déterminer l’existence de l’unité politique dans son ensemble. C’est des décisions
de cette volonté que procède la validité de toutes les prescriptions ultérieures des lois
constitutionnelles. Ces décisions en tant que telles sont qualitativement différentes des
normations légiconstitutionnelles prises sur son fondement.
1/ Une constitution ne repose pas sur une norme dont la justesse serait la raison de sa validité.
Elle repose sur une décision politique émanant d’un être politique sur le genre et la forme de
son propre être. Le mot de « volonté » définit la nature essentiellement existentielle de ce
fondement de la validité, par opposition à toute dépendance envers une justesse normative ou
abstraite. Le pouvoir constituant est une volonté politique, c’est-à-dire un être politique concret.
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Le dilemme de philosophie générale du droit – une loi est-elle par essence un ordre (donc une
volonté) ou une norme (c'est-à-dire rationalité et justesse) – revêt une importance capitale pour
la notion de loi, au sens de l’État de droit ; cf. infra, chap. 13. Même si la constitution doit être
conçue comme un acte de volonté, cela ne résout pas définitivement cette question générale.
(…)
2/ Du point de vue de son contenu, une loi constitutionnelle est la concrétisation normative de
la volonté constituante. Elle n’existe qu’à la condition préalable et sur le fondement de la
décision politique globale contenue dans cette volonté. Si des normes particulières sont ajoutées
à la « constitution », cela ne représente qu’une technique juridique : protéger des révisions
grâces à une rigidité accrue (cf. supra, chap. 2, p. 145).
1/ Pour la conception médiévale, seul Dieu a une potestas constituens – du moins dans la mesure
où l’on parle d’un pouvoir constituant. La phrase « tout pouvoir (ou toute souveraineté) vient
de Dieu (Non est enim potestas nisi a Deo, Épitre aux Romains 13, 1) signifie le pouvoir
constituant (konstituierende Gewalt) de Dieu. Même la littérature politique de l’époque de la
Réforme s’y tient ferme, surtout la théorie des monarchomaques calvinistes. (…)
2/ Pendant la Révolution française Sieyès a élaboré la théorie du peuple (ou plus précisément
de la nation) comme sujet du pouvoir constituant. Au XVIIIème siècle, le monarque absolu n’est
pas encore désigné comme sujet du pouvoir constituant, mais uniquement parce que l’idée
d’une décision globale libre, prise par des hommes, sur le genre et la forme de l’existence
politique ne pouvait encore que progressivement devenir une réalité politique. (…). Cela
apparût dès que les États Généraux convoqués par le roi se proclamèrent Assemblée nationale
constituante le 17 juin 1789. Ils se constituèrent (konstituieren) ainsi, sans tirer leur légitimité
d’un mandat exprès, en mandataires du peuple exerçant son pouvoir constituant et firent
découler leurs pouvoirs de ce pouvoir constituants. C’est Sieyès qui a formulé la théorie du
pouvoir constituant (en français dans le texte, NDT) de la nation. C’est à bon droit qu’il a
attribué à la Révolution le mérite d’avoir distingué clairement dès ses débuts entre pouvoir
constituant et pouvoir constitué. Malgré la grande influence exercée par le modèle américain,
c’est l’année 1789 qui marque le début de ce nouveau principe politique. (…)
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D’après cette nouvelle théorie, c’est la nation qui est le sujet du pouvoir constituant. Nation et
peuple sont souvent employés comme notions interchangeables, mais le mot de « nation » est
plus frappant et prête moins aux confusions. Il désigne en effet le peuple en tant qu’unité
capable d’action politique, avec la conscience de sa spécificité politique et la volonté d’exister
politiquement, tandis que le peuple qui n’existe pas comme nation ne représente qu’un
groupement humain dont la cohésion peut être ethnique, culturelle, mais pas nécessairement
politique. La théorie du pouvoir constituant du peuple présuppose la volonté consciente
d’exister politiquement, donc une nation. Historiquement, ce ne fut possible qu’à partir du
moment où la monarchie absolue eut fait de la France une unité étatique dont l’existence fut
toujours présupposée comme une évidence, malgré toutes les successions de constitutions et de
révisions constitutionnelles. Le peuple français trouva sa forme de nation d’abord dans son
existence politique. Le choix conscient d’une certain genre et forme de cette existence, l’acte
par lequel « le peuple se donne une constitution » présuppose donc l’État dont on fixe le genre
et la forme. Mais pour l’acte lui-même, pour l’exercice de cette volonté, il ne peut y avoir
aucune règle de procédure, pas plus que pour le contenu de la décision politique. « Il suffit que
la Nation le veuille » : cette phrase de Sieyès est la définition la plus claire de la nature de ce
processus. Le pouvoir constituant n’est pas lié à des formes juridiques et à des procédures ; il
est « toujours à l’état de nature » lorsqu’il apparaît dans cette qualité inaliénable.
C’est sur le pouvoir constituant que reposent toutes les attributions et compétences constituées
conformément à la constitution (verfassungsmässig konstituiert). Mais lui-même ne peut jamais
se constituer par des lois constitutionnelles (verfassungsgesetzlich konstituieren). Le peuple, la
nation reste l’origine de tout évènement politique, la source de toutes les énergies qui
s’extériorise dans des formes toujours nouvelles, qui produit de son sein des formes et des
organisations toujours nouvelles, mais qui ne soumet elle-même jamais son existence politique
à une mise en forme définitive.
« Messieurs, le législateur satisfait d’avoir constitué un grand peuple et donné des lois à son
pays, croirait en vain que sa tâche est remplie. Il n’a rien fait encore, si le caprice ou l’ambition
des hommes peuvent à chaque instant menacer et détruire son ouvrage. Il n’a rien fait encore,
si l’égide immuable de la raison ne protège pas, contre le délire de l’inconstance, les institutions
qu’il a formées ; si enfin il ne leur a pas attaché la garantie sacrée du temps. Mais aussi,
Messieurs, les droits des nations ont été proclamés en vain, si l’on ne reconnaît pas ce principe
: qu’au peuple appartient le pouvoir de rectifier, de modifier sa constitution, de la détruire
même, de changer la forme de son gouvernement, et d’en créer une autre ; ou plutôt, il importe
peu au principe en lui-même qu’il soit consacré par la constitution. L’éternelle vérité n’a pas
besoin d’être déclarée, elle est préexistante à tous les temps, commune à tous les lieux,
indépendante de tous les pactes. Dès en abordant la question, vous apercevez donc, Messieurs,
d’une part un grand principe à respecter ; de l’autre, de grandes erreurs à prévenir dans son
application. Cependant, laisserai-je sans réponse un argument proposé plus d’une fois contre la
prévoyance du législateur à cet égard ? Des hommes inattentifs, mais de bonne foi, ont prétendu
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qu’ici était la fin de nos pouvoirs, et que tout acte ultérieur deviendrait une atteinte aux droits
sacrés du peuple. […] Nous admettons tous, comme attribut essentiel de la puissance nationale,
le droit de modifier ou de changer la constitution ; mais je demande à ceux qui ne veulent rien
d’ultérieur à la déclaration de ce principe, je leur demande quels moyens leur restent de
provoquer l’exercice d’un tel droit. Je n’en connais que deux : La forme légale et l’insurrection.
La forme légale si la constitution a voulu l’indiquer. L’insurrection, lorsque la constitution est
muette. Cela posé, l’argument que je combats se réduit à cette question fort simple : Dans le
choix des moyens, l’insurrection vaut-elle mieux que la forme légale ? Présenter ainsi la
question, c’est, je crois, la discuter, et c’est aussi la résoudre ; car je ne pense pas qu’une seule
voix se fasse entendre pour vanter parmi nous les douceurs de l’insurrection. Mais la
souveraineté nationale, a-t-on dit, ne peut se donner aucune chaîne, sa détermination future ne
peut être interprétée ou prévue, ni soumise à des formes certaines ; car il est de son essence de
pouvoir ce qu’elle voudra et de la manière dont elle voudra. Eh bien, Messieurs, c’est
précisément par un effet de cette toute-puissance que la nation veut aujourd’hui, en consacrant
son droit, se prescrire à elle-même un moyen légal et paisible de l’exercer ; et, loin de trouver
dans cet acte une aliénation de la souveraineté nationale, j’y remarque au contraire l’un des plus
beaux monuments de sa force et de son indépendance ».
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Il continuera à entretenir et développer les bons rapports qui existent entre la France et
les puissances étrangères, et à contribuer ainsi à l’affermissement de la paix générale.
C’est par cette politique libérale et vraiment conservatrice que les grands pouvoirs de la
République, toujours unis, toujours animés du même esprit, marchant toujours avec sagesse,
feront porter ses fruits naturels au Gouvernement que la France, instruite de ses malheurs, s’est
donné comme le seul qui puisse assurer son repos, et travailler utilement au développement de
sa prospérité, de sa force et de sa grandeur.
1
Carl Schmitt, Théorie de la Constitution, préface d’Olivier Beaud, Paris, P.U.F., coll. « Léviathan », 1993, p.
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que désignait le terme abstrait de République.
C’est du moins ce que suggère l’enchaînement des évènements, puisque les élections de 1877
avaient consacré le pouvoir de la Chambre en désavouant le Président de la République. Mais
ce sont les acteurs du jeu parlementaire qui prolongèrent cette décision fondamentale dont ils
tirèrent des conséquences qu’elle ne comportait pas nécessairement. Le dualisme avait
incontestablement été rejeté, certes, mais il subsistait une incertitude sur le caractère qu’allait
présenter le monisme triomphant. La preuve en est que les vainqueurs ne concevaient pas le
fonctionnement du nouveau régime de la même manière, les idées de Gambetta sur le
gouvernement de majorité étaient aux antipodes de celles de Grévy, celles de Ferry sur le rôle
de l’exécutif s’opposaient à celles de Clemenceau, etc. Ce sont les acteurs qui, à travers les
conflits qui ont marqué les années suivantes, ont tranché en écartant le monisme à l’anglaise
défendu par Gambetta au profit de ce que Carré de Malberg appelait le « parlementarisme
absolu ». Sa consécration a été apportée par le message de Jules Grévy aux chambres qui, en
1879, formulait et reconnaissait la convention qui allait dominer le fonctionnement du régime.
Le projet ou la proposition de révision doit être examiné dans les conditions de délai fixées au
troisième alinéa de l'article 42 et voté par les deux assemblées en termes identiques. La révision
est définitive après avoir été approuvée par référendum.
Aucune procédure de révision ne peut être engagée ou poursuivie lorsqu'il est porté atteinte à
l'intégrité du territoire.
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peut soumettre au référendum tout projet de loi portant sur l'organisation des pouvoirs publics,
sur des réformes relatives à la politique économique, sociale ou environnementale de la nation
et aux services publics qui y concourent, ou tendant à autoriser la ratification d'un traité qui,
sans être contraire à la Constitution, aurait des incidences sur le fonctionnement des institutions.
Lorsque le référendum est organisé sur proposition du Gouvernement, celui-ci fait, devant
chaque assemblée, une déclaration qui est suivie d'un débat.
[Entrée en vigueur dans les conditions fixées par les lois et lois organiques nécessaires à leur
application (article 46-I de la loi constitutionnelle n° 2008-724 du 23 juillet 2008) Un
référendum portant sur un objet mentionné au premier alinéa peut être organisé à l'initiative
d'un cinquième des membres du Parlement, soutenue par un dixième des électeurs inscrits sur
les listes électorales. Cette initiative prend la forme d'une proposition de loi et ne peut avoir
pour objet l'abrogation d'une disposition législative promulguée depuis moins d'un an.
Les conditions de sa présentation et celles dans lesquelles le Conseil constitutionnel contrôle le
respect des dispositions de l'alinéa précédent sont déterminées par une loi organique.
Si la proposition de loi n'a pas été examinée par les deux assemblées dans un délai fixé par la
loi organique, le Président de la République la soumet au référendum.
Lorsque la proposition de loi n'est pas adoptée par le peuple français, aucune nouvelle
proposition de référendum portant sur le même sujet ne peut être présentée avant l'expiration
d'un délai de deux ans suivant la date du scrutin.]
Lorsque le référendum a conclu à l'adoption du projet ou de la proposition de loi, le Président
de la République promulgue la loi dans les quinze jours qui suivent la proclamation des résultats
de la consultation.
Toute Constitution prévoit toujours que ses dispositions peuvent être modifiées, complétées ou
supprimées. Aussi fiers soient-ils de leur œuvre, les constituants restent assez sages pour savoir que
leur travail n'est jamais parfait, que l'usage du texte peut faire apparaître des difficultés inédites ou
imprévisibles au moment de sa conception, ou encore que la marche du temps et l'évolution de la
société peuvent susciter de nouvelles exigences constitutionnelles. Cette sagesse, au demeurant, se
nourrit d'une philosophie politique, celle qui fait de la nation souveraine l'origine de tout et qui
postule, en conséquence, sa totale et permanente liberté : la nation n'est pas faite par la Constitution,
c'est elle qui fait la Constitution et reste constamment maître de son contenu. SIEYES, dans "Qu'est-
ce que le Tiers État ? ", l'affirme sans détour : "il serait ridicule de supposer la nation liée elle-même
par la Constitution à laquelle elle a assujetti ses mandataires. Non seulement la nation n'est pas
soumise à une Constitution, mais elle ne peut pas l'être, mais elle ne doit pas l'être, ce qui équivaut
encore à dire qu'elle ne l'est pas". Et, dans son article 28, la mythique Constitution du 24 juin 1793
traduit cette philosophie en un principe clair : " un peuple a toujours le droit de revoir, de réformer
et de changer sa Constitution. Une génération ne peut assujettir à ses lois les générations futures".
Cette totale liberté constituante du peuple, parfaitement compréhensible dans son principe
démocratique, rencontre cependant sur son chemin d'autres exigences, également démocratiques,
qui justifient une codification du pouvoir de révision. Une Constitution, en effet, n'est pas un texte
ordinaire ; c'est la Loi des lois, l'acte solennel par lequel une société déclare les principes qui la
fondent, qui la rassemblent et qui l'organisent. Ce texte-là ne peut être changé aussi facilement
qu'une loi ordinaire ; il faut une procédure particulière, plus solennelle, plus exigeante, qui
corresponde à la qualité de l'acte à modifier ; il faut distinguer le pouvoir de faire les lois du pouvoir
de réviser la Loi. Comme la plupart des Constitutions, celle de 1958 opère cette distinction en
18
réservant un titre spécial à la révision constitutionnelle - le titre XVI - et un article unique - l'article
89.
Ces dispositions particulières règlent quatre questions :
- L'initiative de la révision. Elle appartient "concurremment au Président de la République sur
proposition du Premier ministre et aux membres du Parlement". Initiative partagée donc entre les
parlementaires et l'exécutif, mais surtout au sein même de l'exécutif : ni le Président ni le premier
ministre ne peuvent engager seul une procédure de révision ; le Président doit attendre - ou solliciter
- la proposition du Premier ministre, et, en retour, le Premier ministre doit attendre - ou provoquer
- la réponse du Président à sa proposition. Quand l'initiative de la révision vient de l'exécutif,
l'accord du Président et du Premier ministre est ainsi nécessaire ; exigence relativement facile à
satisfaire si l'un et l'autre appartiennent à la même famille politique, beaucoup moins dans
l'hypothèse d'une cohabitation au sommet de l'État.
- L'adoption du projet ou de la proposition. Qu'il vienne de l'exécutif - projet - ou des parlementaires
- proposition - le texte doit être voté par chacune des deux assemblées "en termes identiques". La
précision est importante. A la différence de la procédure législative ordinaire où le Premier ministre
peut, en cas de désaccord persistant entre les deux chambres, provoquer la réunion d'une
commission mixte paritaire pour tenter d'aboutir à un texte commun - et même demander à
l'Assemblée nationale de statuer définitivement - la procédure de révision ne prévoit aucun moyen
de forcer l'accord entre députés et sénateurs. Ici, les deux assemblées ont un égal pouvoir ; en
maintenant sa rédaction, en refusant de prendre en compte les modifications de l'autre, chacune peut
faire durer les débats indéfiniment et, de fait, bloquer la révision. Plusieurs projets ont ainsi échoué
à ce stade, par obstruction du Sénat : l'extension du champ du référendum (1984), l'extension aux
personnes du droit de provoquer le contrôle de la conformité d'une loi aux droits fondamentaux
(1990, 1993) ...
- La ratification. Deux situations doivent être distinguées : ou les parlementaires sont à l'origine de
la révision, et la ratification se fait obligatoirement par référendum ; ou l'exécutif est à l'origine, et
le Président de la République a le choix entre la ratification par référendum ou la ratification par le
Congrès. Le Congrès est la réunion, dans une même salle et au château de Versailles, des députés
et des sénateurs qui doivent voter le projet à la majorité des trois cinquièmes des suffrages exprimés
pour qu'il soit ratifié. La raison de cette différence de traitement entre projet et proposition est,
évidemment, politique : le général de Gaulle craignait que les initiatives parlementaires de révision
aient pour objet de détruire son œuvre ; aussi, connaissant la très grande réserve des députés et
sénateurs à l'égard de la pratique référendaire, il espérait limiter leurs "envies" de révision en les
soumettant obligatoirement au référendum. Il n'avait pas tort.
- Les limites de la révision. Elles peuvent être classées en deux catégories principales. D'abord, les
limites justifiées par les circonstances ; pour éviter que les révisions se fassent sous la pression de
l'occupant ou d'un conflit, il est interdit d'engager ou de poursuivre une procédure de révision
"lorsqu'il est porté atteinte à l'intégrité du territoire" ; pour éviter aussi qu'un Président "intérimaire"
ne profite de la situation, l'usage de l'article 89 est interdit "durant la vacance de la Présidence de la
République" ; pour éviter encore qu'un Président en exercice ne saisisse l'occasion d'une crise
exceptionnelle, il lui est interdit - par la décision du Conseil constitutionnel du 2 septembre 1992 -
de changer la Constitution lorsqu'il fait application des pouvoirs de l'article 16. Ensuite, des limites
portant sur le contenu : "la forme républicaine du gouvernement, précise le dernier alinéa de l'article
89, ne peut faire l'objet d'une révision". Si l'obligation de respecter la "forme républicaine" signifie
l'interdiction de rétablir la monarchie ou l'empire, la limite imposée au pouvoir de révision est faible
car le risque d'un tel rétablissement est lui-même faible ; si, en revanche, l'expression signifie
obligation de respecter les valeurs et principes qui donnent à un régime sa "forme républicaine" -
par exemple, la laïcité, le service public, l'égalité, la fraternité ... - la liberté du pouvoir constituant
se trouverait fortement réduite. Si cette question d'interprétation reste en suspens, le Conseil
constitutionnel a rappelé, dans sa décision du 2 septembre 1992, l'ensemble de ces limites et laissé
entendre qu'il pourrait, le cas échéant, sanctionner leur non-respect. Mais, l'article 89 n'interdisant
pas une révision des limites qu'il pose, le pouvoir constituant pourrait parfaitement les supprimer et
19
retrouver ainsi une totale liberté de décision, y compris pour modifier la forme républicaine du
gouvernement...
Et l'article 11 ? Une révision de la Constitution est-elle possible par le moyen de l’article 11 ? En
1958, chacun s'accordait pour considérer que la Constitution définissait une seule procédure de
révision, celle prévue à l’article 89. Mais, en 1962, l'utilisation par le général de Gaulle de l'article
11 pour modifier le mode d'élection du Président de la République oblige à reprendre la lecture de
cet article, et en particulier de la disposition prévoyant que peut être soumis au référendum "tout
projet de loi portant sur l'organisation des pouvoirs publics". Or, juridiquement, il est clair qu'un
des objets principaux d'une Constitution est d'organiser les pouvoirs publics ; la première loi
constitutionnelle de la IIIè République est, d'ailleurs, intitulée "loi relative à l'organisation des
pouvoirs publics". La possibilité d'une révision par le moyen de l'article 11 est donc
constitutionnellement défendable. Pourtant, ce sont surtout des considérations politiques qui ont été
avancées pour justifier l'usage de l'article 11. La procédure qu'il institue procure, en effet, deux
"avantages" - qui peuvent être lus aussi comme deux "inconvénients" :
- La mise hors-jeu du Parlement. Avec l'article 11, le projet de révision, présenté par le Président
de la République sur proposition du Premier ministre, n'est ni discuté ni voté par les chambres ; il
est directement soumis au vote du peuple par référendum. La seule obligation pour le gouvernement
est de faire sa proposition de révision pendant la durée des sessions parlementaires et de
l'accompagner d'une déclaration suivie d'un débat dans chacune des deux assemblées ; mais aucun
travail ni, a fortiori, aucun vote sur le projet lui-même ne sont prévus. Un Parlement en désaccord
avec le projet ne pourrait manifester son opposition que par le dépôt et le vote d'une motion de
censure.
- La suppression des limites. L'article 11 ne prévoit aucune limite de circonstances ou de contenu à
l'exercice du pouvoir de modifier directement par référendum l'organisation des pouvoirs publics.
Sauf à considérer que les limites énoncées à l'article 89 sont également valables pour l'article 11 -
mais aucun renvoi n'est fait d'un article à l'autre - le pouvoir de révision est, ici, totalement libre.
Au fond, l'article 11 ne s'est imposé comme modalité possible de révision que parce que l'article 89
donne au Sénat, chambre haute issue d'un suffrage indirect, un pouvoir de blocage ; hostile, en 1962,
à l'élection populaire du Chef de l'État, il n'aurait jamais laissé "passer" cette révision par la
procédure de l'article 89. Contourner le refus prévisible du Sénat fut sans doute, à cette époque, la
véritable raison du recours à l'article 11. (…)
20
Extrait de la décision n° 92-313 du Conseil constitutionnel du 23 septembre 1992
21
IV. Les limites au pouvoir de révision constitutionnelle
DOCUMENT 9 : Deux décisions de juridictions constitutionnelles étrangères relatives
aux limites du pouvoir de révision in Pierre Bon et Didier Maus (dir.), Les grandes
décisions des cours constitutionnelles européennes, Paris, Dalloz, 2008, n° 15 et 16, p. 71 s.
La Constitution italienne contient certains principes suprêmes qui ne peuvent être ni violés ni
modifiés dans leur contenu essentiel, pas même par des lois de révision constitutionnelle ni par
d’autres lois constitutionnelles. Ceux-ci consistent tant dans les principes que la Constitution
même prévoit comme limites absolues au pouvoir de révision constitutionnelle, telle la forme
républicaine (article 139 de la Constitution), que dans les principes qui, bien que n’étant pas
mentionnés expressément parmi ceux qui ne peuvent pas être soumis à la procédure de révision
constitutionnelle, relèvent de l’essence même des valeurs suprêmes sur lesquelles se fonde la
Constitution italienne.
Cette Cour a, par ailleurs, déjà reconnu dans de nombreuses décisions que les principes
suprêmes de l’ordonnancement constitutionnel ont une valeur supérieure par rapport aux autres
normes ou lois de niveau constitutionnel, tant lorsqu’elle a estimé que mêmes les dispositions
du Concordat, lesquelles jouissent d’une « protection constitutionnelle » particulière prévue à
l’article 7, alinéa 2, de la Constitution, ne se soustraient pas à la vérification de leur conformité
à l’égard des « principes suprêmes de l’ordonnancement constitutionnel » (v. arrêts n° 30 de
1971, 12 de 1972, 175 de 1973, 1 de 1977, 18 de 1982), que lorsqu’elle a affirmé que la loi
d’exécution du Traité CEE peut être soumise au contrôle de cette Cour « par rapport aux
principes fondamentaux de notre ordonnancement constitutionnel ainsi qu’aux droits
inaliénables de la personne humaine » (v. arrêts n° 183 de 1973, 170 de 1984).
Il est donc indéniable que cette Cour est compétente pour juger de la conformité des lois de
révision constitutionnelle et des autres lois constitutionnelles, même à l’égard des principes
suprêmes de l’ordonnancement constitutionnel. D’ailleurs, si tel n’était pas le cas, on
parviendrait à l’absurdité de considérer le système de garanties juridictionnelles de la
Constitution comme défectueux ou non effectif précisément par rapport à ses normes les plus
élevées.
B- Extraits de l’arrêt de la Cour constitutionnelle fédérale allemande du 15 décembre 1970
2
L’article 79, alinéa 3, de la Loi fondamentale allemande dispose : « Toute modification de la présente Loi fondamentale qui toucherait à
l’organisation de la Fédération en Länder, au principe du concours des Länder à la législation ou aux principes énoncés aux a rticles 1 et 20
est interdite. »
22
DOCUMENT 10 : Olivier Jouanjan, « La forme républicaine de gouvernement, norme
supraconstitutionnelle ? », in B. Mathieu et M. Verpeaux (dir.), La République en droit
français, Economica, 1996, p. 280-282.
Comment le même pouvoir peut-il être dans un cas « originaire » et dans l’autre cas « dérivé »
? Comme l’exprime parfaitement Olivier Beaud : si par dérivé on veut désigner ce fait que le
pouvoir en question est un pouvoir habilité, alors on pose une distinction de nature entre un
pouvoir habilité et un pouvoir originaire inconditionné. Les ranger dans une même catégorie,
celle du pouvoir « constituant », relève peut-être d’une « faute de logique », cela, en tout état
de cause, revient à nier en même temps qu’on l’affirme la distinction entre les deux pouvoirs :
ils sont à la fois identiques (expression du pouvoir constituant) et différents (habilité ou
originaire). Une telle classification, derrière l’apparence de son caractère logiquement
impeccable (la différence spécifique fournit le critère de distinction au-dedans du genre), nous
paraît en réalité ne rien trancher et laisser ouvertes toutes les possibilités explicatives qui
conviendront à l’interprète : il appuiera sur l’identité de genre (la révision est l’exercice du
pouvoir constituant) lorsque cela lui conviendra (le pouvoir constituant ne saurait être
matériellement limité), et sur la différence spécifique selon les besoins de la cause (par exemple
: la révision de 1962 est inconstitutionnelle). Bref, sur la base d’une telle classification, on peut
soutenir tout et son contraire : il suffit de déplacer les accents. Il est remarquable que la doctrine
utilise pour désigner le pouvoir de révision les concepts de pouvoir constituant « dérivé » ou «
institué ». En effet, dès lors que l’on voulait continuer de qualifier le pouvoir de révision de
pouvoir constituant, pour désigner un pouvoir établi par la Constitution, il pouvait évidemment
apparaître assez contradictoire de le nommer le « pouvoir constituant constitué ». On a certes
effacé cette contradiction au plan terminologique en utilisant ces euphémismes que sont les
adjectifs « dérivé » ou « institué ». Mais on n’a pas effacé la contradiction conceptuelle que
dévoile pleinement l’idée, difficilement acceptable, d’un pouvoir constituant constitué. Quelle
signification spécifique peut-on attacher aux adjectifs institué ou dérivé qui les distingueraient
de l’adjectif constitué ? Enfin, dans ce registre des difficultés, il faut encore compter la suivante
: on affirme le caractère « inconditionné » du pouvoir constituant originaire ; il lui est dès lors
loisible d’instituer un pouvoir de révision auquel il peut prescrire une procédure ; mais il
apparaît alors difficile de lui refuser, dans le même temps, cette liberté de limiter la compétence
matérielle de ce pouvoir « conditionné » qu’est le pouvoir de révision. Nous ne trouvons aucune
explication juridique de la raison pour laquelle les règles de procédure imposées au pouvoir de
révision seraient valides et efficaces mais pas, à l’inverse, les règles matérielles. Très
significativement, le doyen Vedel écrivait : la Constitution fixe « les conditions, au moins les
conditions de forme dans lesquelles ce pouvoir constituant (dérivé) est exercé ». Que signifie
cet « au moins » si l’on refuse (et pour quel motif normatif ?) les limitations constitutionnelles
matérielles ? Le pouvoir constituant « originaire » nous l’appellerons simplement, avec Olivier
Beaud et la doctrine allemande, le pouvoir constituant. Il est inconditionné (absence de normes
supra-constitutionnelles). Sa fonction consiste à donner à une unité politique déjà constituée ou
qui se constitue par le même acte, le statut des pouvoirs politiques qui sont ainsi légitimés en
même temps que limités. Parmi ces pouvoirs constitués, il a le pouvoir de révision qui agit en
vertu d’une compétence établie par la Constitution. Ce pouvoir est habilité (et légitimé) par le
Constituant à modifier le texte de la Constitution dans le respect de certaines formes et
procédures et dans les limites (matérielles, circonstancielles) établies par cette Constitution. Le
pouvoir constituant étant inconditionné, il est juridiquement libre de permettre la révision totale
de la Constitution (et, comme en Suisse, par exemple, de la soumettre à une procédure différente
de la révision partielle) ou de soustraire certains objets à la compétence du pouvoir de révision,
comme, d’ailleurs, il est libre de ne pas instituer de pouvoir de révision. La décision sur cette
question est une décision de politique constitutionnelle qui relève de l’appréciation souveraine
du constituant.
23
Université Jean Moulin - Lyon 3 Année universitaire 2021-2022
LICENCE 1
1er Semestre
DROIT CONSTITUTIONNEL
Cours du Professeur David Mongoin
FICHE 3
LES GARANTIES DE LA CONSTITUTION
DOCUMENT 2 : Jean Rivero, « Fin d’un absolutisme », Pouvoirs, n° 13, nouvelle édition 1991, p.
6-7.
A] Approche théorique
DOCUMENT 4 : Hans Kelsen, Théorie pure du droit, traduction de Charles Eisenmann, Paris,
Dalloz, coll. « Philosophie du droit », 1962, p. 299 et p. 360.
DOCUMENT 6 : Michel Troper, « Le bon usage des spectres. Du gouvernement des juges au
gouvernement par les juges », in Le nouveau constitutionnalisme. Mélanges en l’honneur de
Gérard Conac, Paris, Économica, 2001, p. 49-65 (extraits).
24
B] Approche pratique
25
un exposé de principes pour l’éducation de tous les hommes ; ce que l’Américain se propose,
c’est de présenter la liste des cas où la loi sera attaquable devant la Cour suprême de son État. »
(…)
DOCUMENT 2 : Jean Rivero, « Fin d’un absolutisme », Pouvoirs, n° 13, nouvelle édition
1991, p. 6-7.
Les institutions, à la différence des satellites, demeurent rarement sur l’orbite où leur
créateur avait entendu les placer. Elles échappent à la volonté du Constituant ou du Législateur
qui leur a donné vie. L’évènement, le milieu, la personnalité des hommes qui les incarnent
déterminent leur trajectoire. Ainsi du conseil constitutionnel. Le père spirituel de la Constitution
de 1958, qui n’avait pas, pour les juristes, un goût excessif, n’avait sans doute pas pressenti
qu’en « plaçant certains des votes du Parlement sous le contrôle d’un Conseil constitutionnel
tout justement appelé à la vie » (Charles de Gaulle, Mémoires d’espoir, tome I, p. 35.), il allait
parachever la construction, en France, de l’État de droit, en rendant effective la soumission du
Législateur souverain à la règle qui fonde son pouvoir et en le contraignant par là au respect des
libertés publiques. Vingt années ont suffi à rendre caduque une tradition vieille d’un siècle et
demi, et que quatre Républiques semblaient avoir sacralisée. C’est cette étonnante aventure
institutionnelle, et ses retombées au profit de la liberté des citoyens, qu’on voudrait évoquer.
26
civils garantis par la Constitution ». L’interdiction ainsi formulée suppose l’éventualité d’une
transgression.
On sait comment le cours de l’histoire n’a cessé d’élargir le fossé ainsi creusé entre la
doctrine et la réalité. Tout y a concouru, et d’abord, la dévaluation qu’a infligée, à la notion
même de Constitution, la fragilité de l’acte que 1793 avait voulu « gravé sur des tables au sein
du Corps législatif et dans les places publiques » (article 124, Constitution de 1793). Tant et
tant de constitutions, au fil des révolutions, se sont succédé entre 1791 et 1875 que l’opinion
s’est accoutumée à n’y voir que des documents précaires, voués à sombrer avec les régimes qui
les avaient élaborés : pourquoi, dès lors, subordonner la loi, qui dure, au respect de la
Constitution, qui passe ? La comparaison avec les États-Unis est de ce point de vue révélatrice :
même si l’on accorde la part qui lui revient, dans le prestige dont jouit la Constitution de 1787,
au fédéralisme qui en fait, non seulement la charte d’un régime, mais la base de l’État, sa
pérennité est pour beaucoup dans la révérence que lui porte l’opinion. (…)
Question : peut-on dire que les révolutionnaires français ont été trop rousseauistes ?
27
DOCUMENT 3 : Intervention du député Fernand de Ramel à la tribune de la Chambre
des députés le 28 mars 1901, Débat parlementaire du 29 mars 1901, Journal officiel de la
République française, Chambre des députés, p. 991. [Un député, sous la Troisième
République, s’inquiète de l’absence de garantie de la Constitution, donc de l’absence d’une
‘‘vraie’’ Constitution.]
a) La Constitution
Dans les développements précédents, on a déjà évoqué à mainte reprise cette particularité que
présente le droit de régler lui-même sa propre création. On peut distinguer deux modalités
différentes de ce règlement. Parfois, il porte uniquement sur la procédure selon laquelle d’autres
normes devront être créées. Parfois, il va plus loin et porte également sur le fond : des normes
déterminent – jusqu’à un certain point – le contenu, le fond d’autres normes dont elles prévoient
la création. On a déjà analysé le rapport entre les normes qui réglementent la création d’autres
normes dont elles prévoient la création. On a déjà analysé le rapport entre les normes qui
réglementent la création d’autres normes et ces autres normes : en accord avec le caractère
dynamique de l’unité des ordres juridiques, une norme est valable si et parce qu’elle a été créée
d’une certaine façon, celle que détermine une autre norme ; cette dernière constitue ainsi le
28
fondement immédiat de la validité de la première. Pour exprimer la relation en question, on
peut utiliser l’image spatiale de la hiérarchie, du rapport de supériorité-subordination : la norme
qui règle la création est la norme supérieure, la norme créée conformément à ses dispositions
est la norme inférieure. L’ordre juridique n’est pas un système de normes juridiques placés
toutes au même rang, mais un édifice à plusieurs étages superposés, une pyramide ou hiérarchie
formée (pour ainsi dire) d’un certain nombre d’étages ou couches de normes juridiques. Son
unité résulte de la connexion entre éléments qui découle du fait que la validité d’une norme qui
est créée conformément à une autre norme repose sur celle-ci ; qu’à son tour, la création de
cette dernière a été elle aussi réglée par d’autres, qui constituent à leur tour le fondement de sa
validité ; et cette démarche régressive débouche finalement sur la norme fondamentale, - norme
supposée. La norme fondamentale hypothétique – en ce sens – est par conséquent le fondement
de validité suprême, qui fonde et scelle l’unité de ce système de création.
(…)
L’assertion qu’une loi valable, une loi « en vigueur » serait contraire à la Constitution,
« inconstitutionnelle (verfassungswidrig) » est une contradictio in adjecto : car une loi ne peut
être valable qu’en vertu de la Constitution. Si l’on a une raison d’admettre qu’une loi est valable,
le fondement de sa validité ne peut se trouver que dans la Constitution. (…) La Constitution
réglant les organes et les procédures de la législation, et parfois également jusqu’à un certain
point le contenu des futures lois, le législateur constituant doit compter avec la possibilité que
les normes de la Constitution ne soient pas toujours ni pleinement respectées – ainsi s’exprime-
t-on traditionnellement – c'est-à-dire que des actes se présentent avec la prétention subjective
d’avoir créé une loi, bien que la procédure suivie pour leur confection ou le contenu de la loi
posée par l’acte ne corresponde pas aux normes de la Constitution. Ainsi apparaît la question
de savoir qui la Constitution doit habiliter à décider si, dans un cas concret, les normes de la
Constitution ont été suivies, si un instrument qui voulait être une loi au sens de la Constitution
doit être considéré comme l’étant objectivement.
29
DOCUMENT 5 : Alexis de Tocqueville, « Du pouvoir judiciaire et de son action sur la
société politique », chapitre VI, 1ère partie, De la Démocratie en Amérique, édition Nolla,
Paris, Vrin, 1990, p. 82 et s.
Le juge américain ressemble donc parfaitement aux magistrats des autres nations.
Cependant il est revêtu d'un immense pouvoir politique.
D'où vient cela ? Il se meut dans le même cercle et se sert des mêmes moyens que les
autres juges ; pourquoi possède-t-il une puissance que ces derniers n'ont pas ?
La cause en est dans ce seul fait : les Américains ont reconnu aux juges le droit de fonder
leurs arrêts sur la constitution plutôt que sur les lois. En d'autres termes, ils leur ont permis de
ne point appliquer les lois qui leur paraîtraient inconstitutionnelles. (...)
L’explication de ceci doit se trouver dans le principe même des constitutions américaines.
En France, la constitution est une œuvre immuable ou censée telle. Aucun pouvoir ne
saurait y rien changer : telle est la théorie reçue.
En Angleterre, on reconnaît au parlement le droit de modifier la constitution. En
Angleterre, la constitution peut donc changer sans cesse ou plutôt elle n’existe point. Le
parlement, en même temps qu’il est corps législatif, est corps constituant.
En Amérique, les théories politiques sont plus simples et plus rationnelles.
Une constitution américaine n’est point censée [être] immuable comme en France : elle
ne saurait être modifiée par les pouvoirs ordinaires de la société, comme en Angleterre. Elle
forme une œuvre à part, qui, représentant la volonté de tout le peuple, oblige les législateurs
comme les simples citoyens, mais qui peut être changée par la volonté du peuple, suivant les
formes qu’on a établies, et dans des cas qu’on a prévus.
En Amérique, la constitution peut donc varier ; mais, tant qu'elle existe, elle est l’origine
de tous les pouvoirs. La force prédominante est en elle seule. (…)
[Tocqueville examine maintenant] en quoi ces différences doivent influer sur la position
et sur les droits du corps judiciaire dans les trois pays.
Si, en France, les tribunaux pouvaient désobéir aux lois, sur le fondement qu’ils les
trouvaient inconstitutionnelles, le pouvoir constituant serait réellement dans leurs mains,
puisque seuls ils auraient le droit d’interpréter une constitution dont nul ne pourrait changer les
termes. Ils se mettraient donc à la place de la nation et domineraient la société, autant du moins
que la faiblesse inhérente au pouvoir judiciaire leur permettrait de le faire.
Je sais qu’en refusant aux juges le droit de déclarer les lois inconstitutionnelles, nous
donnons indirectement au corps législatif le pouvoir de changer la constitution, puisqu’il ne
rencontre plus de arrière légale qui l’arrête. Mais mieux vaut encore accorder le pouvoir de
changer la constitution du peuple à des hommes qui représentent imparfaitement les volontés
du peuple, qu’à d’autres qui ne représentent qu’eux-mêmes.
Il serait bien plus déraisonnable encore de donner aux juges anglais le droit de résister
aux volontés du corps législatif, puisque le parlement, qui fait la loi, fait également la
constitution, et que, par conséquent, on ne peut, en aucun cas, appeler une loi inconstitutionnelle
quand elle émane des trois pouvoirs.
Aucun de ces deux raisonnements n'est applicable à l'Amérique.
Aux États-Unis, la constitution domine les législateurs comme les simples citoyens. Elle
est donc la première des lois, et ne saurait être modifiée par une loi. Il est donc juste que les
tribunaux obéissent à la constitution, préférablement à toutes les lois. Ceci tient à l’essence
même du pouvoir judiciaire : choisir entre les dispositions légales qui l’enchaînent le plus
étroitement est, en quelque sorte, le droit naturel du magistrat.
En France, la constitution est également la première des lois, et les juges ont un droit égal
à la prendre pour base de leurs arrêts ; mais, en exerçant ce droit, ils ne pourraient manquer
30
d'empiéter sur un autre plus sacré encore que le leur : celui de la société au nom de laquelle ils
agissent. Ici, la raison ordinaire doit céder devant la raison d’État.
En Amérique, où la nation peut toujours, en changeant sa constitution, réduire les
magistrats à l’obéissance, un semblable danger n’est pas à craindre. Sur ce point, la politique et
la logique sont donc d’accord, et le peuple ainsi que le juge y conservent également leurs
privilèges.
Lorsqu’on invoque devant les tribunaux des États-Unis, une loi que le juge estime
contraire à la constitution, il peut donc refuser de l’appliquer. Ce pouvoir est le seul qui soit
particulier au magistrat américain, mais une grande influence politique en découle. (...)
Les Américains ont donc confié à leurs tribunaux un immense pouvoir politique ; mais en
les obligeant à n'attaquer que des lois que par des moyens judiciaires, ils ont beaucoup diminué
les dangers de ce pouvoir.
DOCUMENT 6 : Michel Troper, « Le bon usage des spectres. Du gouvernement des juges
au gouvernement par les juges », in Le nouveau constitutionnalisme. Mélanges en
l’honneur de Gérard Conac, Paris, Économica, 2001, p. 49-65 (extraits).
« […] Le concept de gouvernement des juges stricto sensu est employé à propos des seuls juges
constitutionnels, dès lors qu’ils exercent le pouvoir législatif. Mais les concepts d’exercice du
pouvoir législatif sont eux aussi nombreux et le gouvernement des juges est ou n’est pas réalisé
selon qu’on emploie tel ou tel d’entre eux. Certains auteurs, à vrai dire assez rares, admettent
que les juges exercent le pouvoir législatif dès lors qu’ils peuvent interpréter la constitution,
parce que l’interprétation est toujours une fonction de la volonté et que celui qui interprète peut
ainsi donner au texte la signification qui lui permettra d’obtenir la décision souhaitée. Ainsi,
Édouard Lambert, qui cite la formule de l’évêque Hoadley, souvent invoquée par les réalistes
américains : « quand quelqu’un a une autorité absolue pour interpréter des lois écrites ou orales,
c’est lui qui est en réalité le législateur à tous égards et à toutes fins, et non pas la personne qui
la première les a écrites ou prononcées ». Dans ces conditions, il n’y a pas de système de
contrôle de constitutionnalité qu’on ne puisse appeler gouvernement des juges. C’est pourquoi
la plupart des auteurs préfèrent réserver cette appellation à certaines situations où le pouvoir
d’appréciation des cours est plus important. Ainsi, quelques-uns, comme Léo Hamon,
considèrent qu’il y aurait en France un gouvernement des juges si le Conseil constitutionnel
pouvait s’auto-saisir, comme il en avait été question en 1974. Celui lui permet de considérer
que, puisque l’auto-saisine n’existe pas, il n’y a pas de gouvernement des juges, si bien que le
‘spectre a été écarté’ […]. D’autres estiment que le juge constitutionnel ne dispose du pouvoir
législatif que s’il est en mesure de créer lui-même les principes qu’il est censé appliquer. 62
Ces auteurs peuvent se réclamer du premier Kelsen, qui estimait que le contrôle de
constitutionnalité ne devait pas être exercé conformément à des Déclarations des droits, parce
que ces textes sont nécessairement vagues et que le juge peut les interpréter librement. On sait
que l’auteur de la Théorie pure s’est par la suite rallié à une théorie réaliste de l’interprétation
et qu’il a considéré que l’autorité qui dispose d’un pouvoir d’interprétation authentique dispose
de la même liberté quelle que soit la précision du texte à interpréter. Mais son influence sur ce
terrain s’est principalement exercée dans la première période et l’on peut retrouver des thèses
analogues dans les écrits de Charles Eisenmann […]. Il s’agirait d’une usurpation de l’autorité
judiciaire et la cour aurait un pouvoir constituant. Faut-il alors en conclure que, puisque en
31
France le bloc de constitutionnalité comprend des principes énoncés d’une manière vague, le
Conseil constitutionnel serait en mesure d’énoncer lui-même les principes applicables, et qu’on
serait bien en présence d’un gouvernement des juges ? Rares sont ceux qui adoptent une pareille
thèse […]. Le plus souvent, les auteurs ajoutent un nouveau critère. Il ne suffit pas, pour qu’on
doive parler de gouvernement des juges, que le juge dispose d’un pouvoir important dans la
détermination des normes de référence. Encore faut-il que ces normes ne soient pas rattachées
à des textes. Or, le Conseil constitutionnel prend toujours soin de rattacher à des textes les
principes qu’il invoque […]. Pour d’autres, le critère supplémentaire n’est pas un lien entre le
principe applicable et un texte, mais seulement l’usage qu’en fait le juge constitutionnel. Il n’y
a gouvernement des juges que si le juge fait un mauvais usage de son pouvoir, c’est-à-dire s’il
l’emploie contre la volonté du législateur […]. Cependant, les cours constitutionnelles, même
si elles peuvent interpréter librement les textes applicables, c’est-à-dire déterminer les normes
de référence, dès lors qu’elles ne peuvent pas s’auto-saisir, ne peuvent être considérées que
comme des autorités législatives partielles. C’est pourquoi, Jean Gicquel, après avoir noté que
le Conseil constitutionnel représente un ‘authentique pouvoir politique’, peut écrire que ‘ce
pouvoir, même lorsqu’il est entièrement actif, ne peut être qualifié de gouvernemental, car il ne
représente qu’une faculté d’empêcher. Il contribue à équilibrer le moteur principal, ou à rétablir,
comme en 1974, l’équilibrage du système constitutionnel’. Il rejoint ainsi la théorie du
législateur négatif de Hans Kelsen, qui estime que si le juge est bien un législateur (car ‘la
décision de la cour constitutionnelle annulant une loi avait le même caractère qu’une loi
abrogeant une autre loi […], il est néanmoins un législateur d’un autre type, parce qu’il y a une
grande différence entre faire seul une loi et s’opposer à une loi déjà faite’. Il est donc facile pour
ces auteurs d’écarter encore l’appellation de gouvernement des juges, puisque, en France au
moins, le Conseil constitutionnel ne peut faire office de législateur positif.
B] Approche pratique
« […] La question de savoir si un acte contraire à la Constitution peut devenir la loi du pays est
une question d’intérêt essentiel pour les Etats-Unis […]. Pour la résoudre, il n’est besoin que
de rappeler certains principes depuis longtemps fermement établis. Que le peuple ait le droit
originaire d’établir son futur gouvernement sur les principes qui, d’après lui, permettront
d’atteindre son bonheur, est le fondement sur lequel repose toute la société américaine. La mise
en oeuvre de ce droit originaire exige une grande énergie et, de ce chef, ne peut, ni ne doit être
répétée fréquemment. Aussi bien les principes qui sont ainsi établis sont-ils considérés comme
fondamentaux. Et comme l’autorité dont ils émanent est suprême, et ne peut agir
qu’exceptionnellement, les principes en question sont conçus pour être permanents. La volonté
originaire et suprême organise le gouvernement, et assigne aux différents pouvoirs leurs
compétences respectives. Elle peut soit s’arrêter là, soit établir des limites que ces pouvoirs ne
devront pas dépasser. Le gouvernement des Etats-Unis ressort du deuxième modèle. Les
compétences du pouvoir législatif sont définies et limitées ; et c’est pour que ces limites ne
soient pas ignorées ou oubliées que la Constitution est écrite. À quoi servirait-il que ces
pouvoirs soient limités et que ces limites soient écrites si ces dites limites pouvaient, à tout
moment, être outrepassées par ceux qu’elles ont pour objet de restreindre ? Lorsque ces limites
32
ne s’imposent pas aux personnes qu’elles 55 obligent et lorsque les actes interdits et les actes
permis sont également obligatoires, il n’y a plus de différence entre un pouvoir limité et un
pouvoir illimité. C’est une proposition trop simple pour être contestée que, soit la Constitution
l’emporte sur la loi ordinaire qui lui est contraire, soit le pouvoir législatif peut modifier la
Constitution au moyen d’une loi ordinaire. Entre ces deux possibilités, il n’y a pas de troisième
voie. Ou la Constitution est un droit supérieur, suprême, inaltérable par des moyens ordinaires
; ou elle est sur le même plan que la loi ordinaire et, à l’instar des autres lois, elle est modifiable
selon la volonté de la législature. Si c’est la première partie de la proposition qui est vraie, alors
une loi contraire à la Constitution n’est pas du droit ; si c’est la deuxième qui est vraie, alors les
constitutions écrites ne sont que d’absurdes tentatives de la part des peuples de limiter un
pouvoir par nature illimité. Il est certain que ceux qui élaborent les constitutions écrites les
conçoivent comme devant former le droit fondamental et suprême de la nation, et que, par
conséquent, le principe d’un tel gouvernement est qu’un acte législatif contraire à la
Constitution est nul. Ce principe est consubstantiel à toute constitution écrite et doit, par
conséquent, être considéré par cette Cour comme l’un des principes fondamentaux de notre
société […]. Si un acte du pouvoir législatif, contraire à la Constitution, est nul, doit-il,
nonobstant sa nullité, être considéré comme liant les juges et oblige-t-il ceux-ci à lui donner
effet ? Ou, en d’autres termes, bien qu’il ne soit pas du droit, constitue-t-il une règle qui serait
en vigueur ? […]. Ce serait renverser en fait ce qui est établi en théorie ; et cela constituerait, à
première vue, une absurdité trop énorme pour qu’on y insistât. Il faut pourtant y consacrer une
réflexion plus attentive. C’est par excellence le domaine et le devoir du pouvoir judiciaire de
dire ce qu’est le droit. Ceux qui appliquent la règle à des cas particuliers doivent par nécessité
expliquer et interpréter cette règle. Lorsque deux lois sont en conflit, le juge doit décider
laquelle des deux s’applique. Dans ces conditions, si une loi est en opposition avec la
Constitution, si la loi et la Constitution s’appliquent toutes les deux à un cas particulier, de telle
sorte que le juge doit, soit décider de l’affaire conformément à la loi et écarter la Constitution,
soit décider de l’affaire conformément à la Constitution et écarter la loi, le juge doit décider
laquelle de ces deux règles en conflit gouverne l’affaire. C’est là l’essence même du devoir
judiciaire. Si donc les juges doivent tenir compte de la Constitution, et si la Constitution est
supérieure à la loi ordinaire, c’est la Constitution, et non la loi ordinaire, qui régit l’affaire à
laquelle toutes les deux s’appliquent. Ceux qui contestent le principe selon lequel la
Constitution doit être tenue par le juge comme une loi suprême en sont réduits à la nécessité de
soutenir que les juges doivent ignorer la Constitution et n’appliquer que la loi […].
ARTICLE 61. Les lois organiques, avant leur promulgation, les propositions de loi mentionnées
à l'article 11 avant qu'elles ne soient soumises au référendum, et les règlements des assemblées
parlementaires, avant leur mise en application, doivent être soumis au Conseil constitutionnel
qui se prononce sur leur conformité à la Constitution.
Aux mêmes fins, les lois peuvent être déférées au Conseil constitutionnel, avant leur
promulgation, par le Président de la République, le Premier ministre, le président de
l'Assemblée nationale, le président du Sénat ou soixante députés ou soixante sénateurs.
Dans les cas prévus aux deux alinéas précédents, le Conseil constitutionnel doit statuer dans le
délai d'un mois. Toutefois, à la demande du Gouvernement, s'il y a urgence, ce délai est ramené
à huit jours.
Dans ces mêmes cas, la saisine du Conseil constitutionnel suspend le délai de promulgation.
ARTICLE 61-1. [Entrée en vigueur dans les conditions fixées par les lois et lois organiques
nécessaires à leur application (article 46-I de la loi constitutionnelle n° 2008-724 du 23 juillet
33
2008)] Lorsque, à l'occasion d'une instance en cours devant une juridiction, il est soutenu
qu'une disposition législative porte atteinte aux droits et libertés que la Constitution garantit,
le Conseil constitutionnel peut être saisi de cette question sur renvoi du Conseil d'État ou de la
Cour de cassation qui se prononce dans un délai déterminé.
Une loi organique détermine les conditions d'application du présent article.
Considérant donc que la procédure législative utilisée pour mettre en conformité avec la
Constitution la disposition déclarée non conforme à celle-ci par le Conseil constitutionnel a fait
de l'article 23 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 portant loi organique une application ne
méconnaissant en rien les règles de l'article 10 de la Constitution et a répondu aux exigences du
contrôle de constitutionnalité dont l'un des buts est de permettre à la loi votée, qui n'exprime la
volonté générale que dans le respect de la Constitution, d'être sans retard amendée à cette fin
(…)
Le Conseil constitutionnel,
Saisi le 1er juillet 1971 par le Président du Sénat, conformément aux dispositions de l'article 61
de la Constitution, du texte de la loi, délibérée par l'Assemblée nationale et le Sénat et adoptée
par l'Assemblée nationale, complétant les dispositions des articles 5 et 7 de la loi du 1er juillet
1901 relative au contrat d'association ;
Vu la Constitution et notamment son préambule ; Vu l'ordonnance du 7 novembre 1958 portant
loi organique sur le Conseil constitutionnel, notamment le chapitre II du titre II de ladite
ordonnance ; Vu la loi du 1er juillet 1901 relative au contrat d'association, modifiée ; Vu la loi
du 10 janvier 1936 relative aux groupes de combat et milices privées ;
1. Considérant que la loi déférée à l'examen du Conseil constitutionnel a été soumise au vote
des deux assemblées, dans le respect d'une des procédures prévues par la Constitution, au cours
de la session du Parlement ouverte le 2 avril 1971 ;
2. Considérant qu'au nombre des principes fondamentaux reconnus par les lois de la République
et solennellement réaffirmés par le préambule de la Constitution il y a lieu de ranger le principe
de la liberté d'association ; que ce principe est à la base des dispositions générales de la loi du
1er juillet 1901 relative au contrat d'association ; qu'en vertu de ce principe les associations se
constituent librement et peuvent être rendues publiques sous la seule réserve du dépôt d'une
déclaration préalable ; qu'ainsi, à l'exception des mesures susceptibles d'être prises à l'égard de
34
catégories particulières d'associations, la constitution d'associations, alors même qu'elles
paraîtraient entachées de nullité ou auraient un objet illicite, ne peut être soumise pour sa
validité à l'intervention préalable de l'autorité administrative ou même de l'autorité judiciaire ;
3. Considérant que, si rien n'est changé en ce qui concerne la constitution même des associations
non déclarées, les dispositions de l'article 3 de la loi dont le texte est, avant sa promulgation,
soumis au Conseil constitutionnel pour examen de sa conformité à la Constitution, ont pour
objet d'instituer une procédure d'après laquelle l'acquisition de la capacité juridique des
associations déclarées pourra être subordonnée à un contrôle préalable par l'autorité judiciaire
de leur conformité à la loi ;
4. Considérant, dès lors, qu'il y a lieu de déclarer non conformes à la Constitution les
dispositions de l'article 3 de la loi soumise à l'examen du Conseil constitutionnel complétant
l'article 7 de la loi du 1er juillet 1901, ainsi, par voie de conséquence, que la disposition de la
dernière phrase de l'alinéa 2 de l'article 1er de la loi soumise au Conseil constitutionnel leur
faisant référence ;
5. Considérant qu'il ne résulte ni du texte dont il s'agit, tel qu'il a été rédigé et adopté, ni des
débats auxquels la discussion du projet de loi a donné lieu devant le Parlement, que les
dispositions précitées soient inséparables de l'ensemble du texte de la loi soumise au Conseil ;
6. Considérant, enfin, que les autres dispositions de ce texte ne sont contraires à aucune
disposition de la Constitution ;
Décide : Article premier : Sont déclarées non conformes à la Constitution les dispositions de
l'article 3 de la loi soumise à l'examen du Conseil constitutionnel complétant les dispositions
de l'article 7 de la loi du 1er juillet 1901 ainsi que les dispositions de l'article 1er de la loi
soumise au Conseil leur faisant référence.
Article 2 : Les autres dispositions dudit texte de loi sont déclarées conformes à la Constitution.
Article 3 : La présente décision sera publiée au Journal officiel de la République française.
Question : essayez d’expliquer comment une liberté garantie par une loi ordinaire – la loi
de 1901 – peut-elle devenir une liberté constitutionnellement protégée ?
36
constante (arrêt du 15 juillet 1964 rendu dans l'affaire 6/64, Costa contre ENEL [1]), la primauté
n'était pas mentionnée dans le traité. Tel est toujours le cas actuellement. Le fait que le principe
de primauté ne soit pas inscrit dans le futur traité ne modifiera en rien l'existence de ce principe
ni la jurisprudence en vigueur de la Cour de justice.
[1] « Il [en] résulte (…) qu'issu d'une source autonome, le droit né du traité ne pourrait donc,
en raison de sa nature spécifique originale, se voir judiciairement opposer un texte interne quel
qu'il soit, sans perdre son caractère communautaire et sans que soit mise en cause la base
juridique de la Communauté elle-même. »"
Question : Y a-t-il une contradiction entre les deux derniers documents et si oui, pour
quelle(s) raison(s) ?
37
Université Jean Moulin - Lyon 3 Année universitaire 2021-2022
LICENCE 1
1er Semestre
DROIT CONSTITUTIONNEL
Cours du Professeur David Mongoin
FICHE 4
DOCUMENT 2 : MONTESQUIEU, De l’Esprit des Lois, Livre XI, chap. 6 et Livre XIX, chap.
27 (extraits).
DOCUMENT 7 : Michel DEBRÉ, Allocution devant le Conseil d’État du 27 août 1958 (extrait).
38
I- Formulation historique de la théorie de la séparation des pouvoirs
Toutes les constitutions comportent trois parties au sujet desquelles le législateur sérieux a le
devoir d’étudier ce qui est avantageux pour chaque constitution. Quand ces parties sont en bon
état, la constitution est nécessairement elle-même en bon état, et les constitutions diffèrent les
unes des autres d’après la façon différente dont chacune de ces parties est organisée. De ces
trois parties, une première est celle qui délibère sur les affaires communes ; une deuxième est
celle qui a rapport aux magistratures (c’est-à-dire quelles magistratures il doit y avoir, à quelles
matières doit s’étendre leur autorité, et quel doit être leur mode de recrutement) ; et une
troisième est la partie qui rend la justice.
DOCUMENT 2 : MONTESQUIEU, De l’Esprit des Lois, Livre XI, chap. 6 et Livre XIX,
chapitre 27 (extraits).
LIVRE XI : DES LOIS QUI FORMENT LA LIBERTÉ POLITIQUE DANS SON RAPPORT AVEC
LA CONSTITUTION
39
permettent : et, si un citoyen pouvait faire ce qu'elles défendent, il n'aurait plus de liberté, parce
que les autres auraient tout de même ce pouvoir.
Livre XIX, chapitre 27 « Comment les lois peuvent contribuer à former les mœurs, les manières
et le caractère d’une nation »
(…)
J’ai parlé au livre XI, d’un peuple libre. J’ai donné les principes de sa constitution ; voyons
les effets qui ont dû suivre, le caractère qui a pu s’en former, et les manières qui en résultent.
Je ne dis point que le climat n'ait produit, en grande partie, les lois, les mœurs et les manières
de cette nation ; mais je dis que les mœurs et les manières de cette nation devraient avoir un
grand rapport à ses lois.
Comme il y aurait dans cet État deux pouvoirs visibles, la puissance législative et
l'exécutrice, et que tout citoyen y aurait sa volonté propre, et ferait valoir à son gré son
indépendance, la plupart des gens auraient plus d'affection pour une de ces puissances pour que
l'autre, le grand nombre n'ayant pas ordinairement assez d'équité ni de sens pour les affectionner
également toutes les deux.
40
Et, comme la puissance exécutrice, disposant de tous les emplois, pourrait donner de
grandes espérances et jamais de craintes, tous ceux qui obtiendraient d'elle seraient portés à se
tourner de son côté, et elle pourrait être attaquée par tous ceux qui n'en espéreraient rien.
Toutes les passions y étant libres, la haine, l'envie, la jalousie, l'ardeur de s'enrichir et de se
distinguer, paraîtraient dans toute leur étendue ; et si cela était autrement, l'État serait comme
un homme abattu par la maladie, qui n'a point de passions parce qu'il n'a point de forces.
La haine qui serait entre les deux partis durerait, parce qu'elle serait toujours impuissante.
Ces partis étant composés d'hommes libres, si l'un prenait trop le dessus, l'effet de la liberté
ferait que celui-ci serait abaissé, tandis que les citoyens, comme les mains qui secourent le
corps, viendraient relever l'autre.
Comme chaque particulier, toujours indépendant, suivrait beaucoup ses caprices et ses
fantaisies, ou changerait souvent de parti ; on en abandonnerait un où l'on laisserait tous ses
amis pour se lier à un autre dans lequel on trouverait tous ses ennemis ; et souvent, dans cette
nation, on pourrait oublier les lois de l'amitié et celles de la haine.
Le monarque serait dans le cas des particuliers ; et, contre les maximes ordinaires de la
prudence, il serait souvent obligé de donner sa confiance à ceux qui l'auraient le plus choqué,
et de disgracier ceux qui l'auraient le mieux servi, faisant par nécessité ce que les autres princes
font par choix.
On craint de voir échapper un bien que l'on sent, que l'on ne connaît guère, et qu'on peut
nous déguiser ; et la crainte grossit toujours les objets. Le peuple serait inquiet sur sa situation,
et croirait être en danger dans les moments mêmes les plus sûrs.
D'autant mieux que ceux qui s'opposeraient le plus vivement à la puissance exécutrice, ne
pouvant avouer les motifs intéressés de leur opposition, ils augmenteraient les terreurs du
peuple, qui ne saurait jamais au juste s'il serait en danger ou non. Mais cela même contribuerait
à lui faire éviter les vrais périls où il pourrait, dans la suite, être exposé.
Mais le corps législatif ayant la confiance du peuple, et étant plus éclairé que lui, il pourrait
le faire revenir des mauvaises impressions qu'on lui aurait données, et calmer ses mouvements.
C'est le grand avantage qu'aurait ce gouvernement sur les démocraties anciennes dans
lesquelles le peuple avait une puissance immédiate ; car, lorsque les orateurs l'agitaient, ces
agitations avaient toujours leur effet.
Ainsi, quand les terreurs imprimées n'auraient point d'objet certain, elles ne produiraient
que de vaines clameurs et des injures : et elles auraient même ce bon effet, qu'elles tendraient
tous les ressorts du gouvernement, et rendraient tous les citoyens attentifs. Mais si elles
naissaient à l'occasion du renversement des lois fondamentales, elles seraient sourdes, funestes,
atroces, et produiraient des catastrophes.
Bientôt on verrait un calme affreux, pendant lequel tout se réunirait contre la puissance
violatrice des lois.
Si, dans le cas où les inquiétudes n'ont pas d'objet certain, quelque puissance étrangère
menaçait l'État, et le mettait en danger de sa fortune ou de sa gloire ; pour lors, les petits intérêts
cédant aux plus grands, tout se réunirait en faveur de la puissance exécutrice.
Que si les disputes étaient formées à l'occasion de la violation des lois fondamentales, et
qu'une puissance étrangère parût, il y aurait une révolution qui ne changerait pas la forme du
gouvernement, ni sa constitution : car les révolutions que forme la liberté ne sont qu'une
confirmation de la liberté.
Une nation libre peut avoir un libérateur ; une nation subjuguée ne peut avoir qu'un autre
oppresseur.
Car tout homme qui a assez de force pour chasser celui qui est déjà le maître absolu dans
un État, en a assez pour le devenir lui-même.
41
Comme, pour jouir de la liberté, il faut que chacun puisse dire ce qu'il pense ; et que, pour
la conserver, il faut encore que chacun puisse dire ce qu'il pense, un citoyen, dans cet État, dirait
et écrirait tout ce que les lois ne lui ont pas défendu expressément de dire ou d'écrire.
Cette nation, toujours échauffée, pourrait plus aisément être conduite par ses passions que
par la raison, qui ne produit jamais de grands effets sur l'esprit des hommes ; et il serait facile
à ceux qui la gouverneraient de lui faire faire des entreprises contre ses véritables intérêts.
Cette nation aimerait prodigieusement sa liberté, parce que cette liberté serait vraie ; et il
pourrait arriver que, pour la défendre, elle sacrifierait son bien, son aisance, ses intérêts ; qu'elle
se chargerait des impôts les plus durs, et tels que le prince le plus absolu n'oserait les faire
supporter à ses sujets.
Mais, comme elle aurait une connaissance certaine de la nécessité de s'y soumettre, qu'elle
paierait dans l'espérance bien fondée de ne payer plus ; les charges y seraient plus pesantes que
le sentiment de ces charges ; au lieu qu'il y a des États où le sentiment est infiniment au-dessus
du mal.
Elle aurait un crédit sûr, parce qu'elle emprunterait à elle-même, et se paierait elle-même. Il
pourrait arriver qu'elle entreprendrait au-dessus de ses forces naturelles, et ferait valoir contre
ses ennemis des immenses richesses de fiction, que la confiance et la nature de son
gouvernement rendraient réelles.
Pour conserver sa liberté, elle emprunterait de ses sujets ; et ses sujets, qui verraient que son
crédit serait perdu si elle était conquise, auraient un nouveau motif de faire des efforts pour
défendre sa liberté. (…)
On a prouvé, dans le dernier article, que l'axiome politique, examiné ici, n'exige pas une
séparation absolue des départements législatif, exécutif et judiciaire. Je vais essayer maintenant
de montrer que si, entre ces départements, il n'existe pas une liaison et une union qui donne, à
chacun d'eux, un contrôle constitutionnel sur les autres, le degré de séparation que requiert le
principe, comme essentiel à un gouvernement libre, ne sera jamais, en pratique, efficacement
maintenu. Il est généralement reconnu que les pouvoirs, qui appartiennent en propre à l'un des
départements, ne doivent pas être exercés directement et complètement par l'un ou l'autre des
autres départements. Il est également évident qu'aucun d'eux ne doit posséder directement ou
indirectement une influence prépondérante sur les autres dans l'exercice de leurs pouvoirs
respectifs. On ne contestera pas qu'il doit être mis efficacement dans l'impossibilité de franchir
les limites qui lui sont assignées. Ainsi donc, après avoir classé, en théorie, les différentes sortes
de pouvoirs suivant qu'ils peuvent être de nature législative, exécutive ou judiciaire, la chose la
plus importante et la plus difficile est de les garantir pratiquement contre leurs usurpations
mutuelles. Quelle doit être cette garantie ? Voilà le grand problème à résoudre. Sera-t-il
suffisant de marquer avec précision les frontières de ces départements dans la constitution du
gouvernement, et de compter sur ces barrières de papier pour prévenir l'esprit d'usurpation ?
C'est la garantie que semblent avoir prise ceux qui ont rédigé la plupart des Constitutions
américaines. Mais l'expérience nous apprend que l'efficacité de cette mesure s'est trouvée
grandement en défaut ; et qu'il faut, de toute nécessité, des armes plus sûres pour défendre les
plus faibles membres du gouvernement contre les plus puissants. Le département législatif
étend partout la sphère de son activité et engloutit tous les pouvoirs dans son impétueux
tourbillon.102 Les fondateurs de nos Républiques méritent tant d'éloges pour la sagesse qu'ils
ont montrée, qu'aucune tâche ne peut être moins agréable que celle de relever les erreurs dans
lesquelles ils sont tombés. Le respect pour la vérité nous oblige pourtant à faire observer qu'ils
semblent avoir cru voir toujours la liberté menacée par la prérogative toujours croissante et
42
toujours usurpatrice d'un magistrat héréditaire, soutenu et fortifié par une branche héréditaire
de l'autorité législative. Ils ne semblent jamais s'être rappelé le danger des usurpations
législatives qui, en rassemblant tous les pouvoirs dans les mêmes mains, doivent mener à la
même tyrannie que les usurpations de l'exécutif. Dans un gouvernement où des prérogatives
nombreuses et étendues sont placées dans les mains d'un Monarque héréditaire, le département
exécutif est très justement considéré comme la source du danger, et surveillé avec toute la
jalousie que doit inspirer le zèle pour la liberté. Dans une démocratie, où la multitude exerce en
personne les fonctions législatives et est continuellement exposée, par son incapacité de prendre
des délibérations régulières et des mesures réfléchies, aux ambitieuses intrigues de ses
magistrats exécutifs, on peut bien craindre que, dans une occasion favorable, la tyrannie ne
s'ensuive. Mais dans une République représentative, où la magistrature exécutive est
soigneusement limitée dans l'étendue et dans la durée de son pouvoir, où le pouvoir législatif
est exercé par une assemblée animée, à cause de l'influence que l'on suppose qu'elle a sur le
peuple, d'une confiance inébranlable dans sa propre force, assez nombreuse pour éprouver
toutes les passions qui agissent sur une multitude, trop peu nombreuse cependant pour être
incapable d'employer, pour la satisfaction de ses passions, des moyens dictés par la raison, c'est
contre l'entreprenante ambition de ce département que le peuple doit diriger toute sa jalousie et
épuiser toutes ses précautions. Le département législatif tire une supériorité dans nos
gouvernements d'autres causes. Ses pouvoirs constitutionnels étant à la fois plus étendus et
moins susceptibles d'être renfermés dans des limites précises, il peut, avec plus de facilité,
voiler, sous des mesures compliquées et indirectes, les usurpations qu'il commet aux dépens
des départements coordonnés. Quelquefois, il est réellement difficile de dire, dans des corps
législatifs, si l'effet d'une mesure particulière s'étendra ou non au-delà de la sphère législative.
D'un autre côté, le pouvoir exécutif étant circonscrit dans un espace plus resserré et étant plus
simple par sa nature, le pouvoir judiciaire étant limité par des lignes de démarcation encore
moins incertaines, des projets d'usurpation ne pourraient être formés par ces départements sans
qu'ils fussent à l'instant découverts et renversés. Ce n'est pas tout : comme le département
législatif peut, seul, puiser dans les poches du peuple et qu'il a, dans quelques Constitutions,
une autorité illimitée et, dans toutes, une influence prépondérante sur les rétributions
pécuniaires des agents des autres départements, il en résulte, vis-à-vis du législatif, une
dépendance qui facilite encore ses usurpations.
L’expression “ séparation des pouvoirs ” n’est pas employée une seule fois par Montesquieu,
et nulle part il n’est question d’organes représentatifs exerçant au nom de la nation les
différentes prérogatives de la souveraineté. (…) Jamais Montesquieu n’a exposé une théorie de
la séparation des pouvoirs impliquant une séparation absolue des organes exerçant la fonction
exécutive et la fonction législative. Il estime qu’il doit exister une action continuelle des deux
pouvoirs l’un sur l’autre, une véritable collaboration. (…) De ce qui n’était dans la pensée de
Locke et de Montesquieu qu’un procédé d’art politique pour assurer l’équilibre des forces
politiques et protéger la liberté, l’Assemblée de 1789 voulut faire une théorie de la souveraineté
et de la représentation divisée de cette souveraineté. Elle ne vit dans Montesquieu que les
formules générales, et non point la description si exacte de l’action réciproque que la couronne
et le Parlement doivent exercer l’un sur l’autre.
43
DOCUMENT 5 : Louis ALTHUSSER, Montesquieu. La politique et l’Histoire, Paris,
P.U.F., coll. « Quadrige », 1985, p. 98-106.
Ce texte est célèbre. Qui ne connaît la théorie qui veut qu'en tout bon gouvernement on distingue
rigoureusement le législatif de l'exécutif et du judiciaire ? Qu'on assure l'indépendance de
chaque pouvoir pour recevoir de cette séparation les bienfaits de la modération, de la sécurité
et de la liberté ? Tel serait en effet le secret du Livre XI, conçu plus tard que les dix premiers,
et inspiré à Montesquieu par la révélation de l'Angleterre, où il aurait découvert, lors d'un séjour
en [17]29-[17]30, un régime radicalement nouveau, n'ayant pour tout objet que la liberté. Avant
le Livre XI, Montesquieu aurait présenté une théorie classique, distinguant des formes
politiques différentes, décrivant leur économie et leur dynamique propres. Ensuite, il aurait jeté
le masque de l'historien sans passion, voire, s'il est possible de s'en convaincre, du gentilhomme
partisan, pour donner en idéal au public un peuple possédant deux chambres, une assemblée du
tiers, et des juges élus. Par-là, Montesquieu toucherait enfin, pour les uns à la sphère du
politique comme tel, et montrerait son génie dans une théorie de l'équilibre des pouvoirs, si bien
disposés que le pouvoir soit la limite même du pouvoir, résolvant ainsi une fois pour toutes le
problème politique qui tient tout entier dans l'usage et l'abus du pouvoir ; pour les autres aux
problèmes politiques de l'avenir, qui sont moins ceux de la monarchie en général que ceux du
gouvernement représentatif et parlementaire. La suite des temps serait comme la caution de
cette interprétation. Ne vit-on pas tout le siècle chercher dans Montesquieu des arguments pour
ébranler l'ordre monarchique, justifier les Parlements, et jusqu'à la convocation des États
généraux ? La Constitution américaine de la fin du siècle et la Constitution de 1791 elle-même,
sans parler de celles de 1795 et de 1848, n'ont-elles pas consacré dans leurs attendus et leurs
dispositions ces principes de la séparation des pouvoirs voulue par Montesquieu ? Ces deux
thèmes : l'essence du pouvoir, l'équilibre des pouvoirs, ne sont-ils pas encore des thèmes actuels,
toujours repris et toujours débattus, dans les mots mêmes fixés par Montesquieu ?
Je voudrais conduire à penser qu'il s'agit là pour la plus grande part d'une illusion historique, et
en donner les raisons. Dans cet esprit, je veux d'abord dire tout ce que je dois aux articles du
juriste Charles Eisenmann. J'en voudrais reprendre ici l'essentiel avant d'en prolonger les
conclusions.
La thèse d'Eisenmann est que la théorie de Montesquieu, et tout particulièrement le célèbre
chapitre sur la Constitution d'Angleterre, a engendré un véritable mythe : le mythe de la
séparation des pouvoirs. (…)
La première audace d'Eisenmann a consisté à montrer que cette fameuse théorie n'existait tout
simplement pas chez Montesquieu. Il suffit de lire attentivement ses textes pour découvrir en
effet :
1. Que l'exécutif empiète sur le législatif puisque le roi dispose du droit de veto.
2. Que le législatif peut, dans une certaine mesure, exercer un droit de regard sur l'exécutif,
puisqu'il contrôle l'application des lois qu'il a votées, et, sans pourtant qu'il soit question de “
responsabilité ministérielle ” devant le Parlement, demander des comptes aux ministres.
3. Que le législatif empiète sérieusement sur le judiciaire, puisque, dans trois circonstances
particulières, il s'érige en tribunal : en toutes matières les nobles, dont il faut garder la dignité
de tout contact avec les préjugés des magistrats populaires, seront jugés par leurs pairs de la
chambre haute ; en matière d'amnistie ; et en matière de procès politiques, qui seront traduits
devant le tribunal de la chambre haute, sur accusation de la chambre basse.
On voit mal comment concilier pareilles et si importantes interférences des pouvoirs avec la
prétendue pureté de leur séparation.
La seconde audace d'Eisenmann a consisté à montrer qu'en vérité il ne s'agissait pas chez
Montesquieu de séparation, mais de combinaison, de fusion, et de liaison des pouvoirs. Le point
essentiel de cette démonstration consiste à bien entendre d'abord que le pouvoir judiciaire n'est
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pas un pouvoir au sens propre. Ce pouvoir est invisible et comme nul, dit Montesquieu. Et, de
fait, le juge n'est pour lui qu'une vue et qu'une voix. C'est un homme dont toute la fonction
consiste à lire et à dire la loi. On peut discuter cette interprétation, mais on doit du moins
reconnaître que dans les matières où le juge risquait d'être autre chose qu'un code animé,
Montesquieu a pris soin d'édicter des garanties non plus juridiques, mais politiques : il suffit de
voir par exemple qui juge les délits et les crimes des nobles et les procès politiques ! Ces
précautions prises, qui transfèrent ce que le judiciaire peut avoir d'effets politiques à des organes
proprement politiques, le reste du judiciaire est bien comme nul.
Nous nous trouvons alors en face de deux pouvoirs : l'exécutif et le législatif. Deux pouvoirs,
mais trois puissances, pour reprendre un mot de Montesquieu lui-même. Ces trois puissances
sont : le roi, la chambre haute et la chambre basse. C'est-à-dire : le roi, la noblesse et le “ peuple
”. C'est ici qu'Eisenmann montre de façon très convaincante que le véritable objet de
Montesquieu est précisément la combinaison, la liaison de ces trois puissances. Qu'il s'agit
avant tout d'un problème politique de rapports de forces, et non pas d'un problème juridique
concernant la définition de la légalité et ses sphères.
Ainsi s'éclaire le fameux problème du gouvernement modéré. La véritable modération n'est ni
la stricte séparation des pouvoirs, ni le souci et le respect juridiques de la légalité. A Venise,
par exemple, on a bien trois pouvoirs et trois organes distincts : mais le mal est que ces trois
organes sont formés par des magistrats du même corps ; ce qui ne fait guère qu'une même
puissance (EL, XI, 6). On a beau dire ainsi que le despotisme est le régime où un seul gouverne,
sans règles ni lois, ou que le despote paraît dans tout prince ou ministre qui passe outre à la loi,
et commet un abus de pouvoir. Ce n'est pas au fond ce qui est en cause, car nous savons de ces
régimes où le despotisme règne à l'ombre des lois mêmes, et c'est, dit Montesquieu, la pire des
tyrannies. La modération est tout autre chose : elle n'est pas le simple respect de la légalité, elle
est l'équilibre des pouvoirs, c'est-à-dire le partage des pouvoirs entre les puissances, et la
limitation ou modération des prétentions d'une puissance par le pouvoir des autres. La fameuse
séparation des pouvoirs n'est donc que le partage pondéré du pouvoir entre des puissances
déterminées : le roi, la noblesse, le “ peuple ”. Je pense que les remarques que j'ai présentées
sur le despotisme permettent d'aller au-delà de ces conclusions pertinentes. Car cet
éclaircissement pose lui-même une question : au profit de qui le partage se fait-il ? En se
contentant de révéler, sous les dehors mythiques de la séparation des pouvoirs, l'opération réelle
d'un partage du pouvoir entre différentes forces politiques, on risque, me semble-t-il, de nourrir
l'illusion d'un partage naturel, qui va de soi et répond à une équité d'évidence. On est passé des
pouvoirs aux puissances. Les termes ont changé ? Le problème reste le même : il ne s'agit jamais
que d'équilibre et de partage.
C'est là le dernier mythe que je voudrais dénoncer.
Ce qui peut éclairer sur le sens de ce partage et de ses arrière-pensées, c'est, une fois bien
entendu qu'il s'agit chez Montesquieu de combinaison de puissances et non de séparation des
pouvoirs, d'examiner quels sont, parmi tous les empiétements possibles d'un pouvoir sur l'autre,
parmi toutes les combinaisons possibles des pouvoirs entre eux, les empiétements et les
combinaisons absolument exclus. Or j'en vois deux, qui sont de première importance.
La première combinaison exclue est que le législatif puisse usurper les pouvoirs de l'exécutif,
ce qui consommerait de soi et sur le champ la perte de la monarchie dans le despotisme
populaire. Or l'inverse n'est pas vrai. Montesquieu admet que la monarchie puisse subsister, et
même conserver sa modération, si le roi détient, outre l'exécutif, le pouvoir législatif. Mais, que
le peuple soit prince, tout est perdu.
La seconde combinaison exclue est plus célèbre, mais à mon sens tenue pour trop évidente, et,
de ce fait, mal pénétrée. Elle concerne la détention du judiciaire par l'exécutif, par le roi.
Montesquieu est formel : cette disposition suffit à faire sombrer la monarchie dans le
despotisme. Si le roi jugeait lui-même... la Constitution serait détruite, les pouvoirs
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intermédiaires dépendants anéantis... (EL, VI, 5) et l'exemple que cite Montesquieu, dans les
pages qui suivent, est celui de Louis XIII, voulant juger lui-même un gentilhomme (EL, VI, 5).
Il suffit de rapprocher cette exclusion et sa raison (si le roi juge, les corps intermédiaires sont
anéantis) d'une part de la disposition qui cite les nobles devant le seul tribunal de leurs pairs,
d'autre part des malheurs dont le despote réserve le privilège aux grands, pour apercevoir que
cette clause particulière qui prive le roi du pouvoir de juger importe avant tout à la protection
des nobles contre l'arbitraire politique et juridique du prince, et qu'encore une fois le
despotisme, dont Montesquieu nous menace, désigne une politique très précisément dirigée
d'abord contre la noblesse.
Si nous voulons bien nous retourner maintenant vers le fameux équilibre des puissances, nous
pouvons, je crois, avancer une réponse à la question : à l'avantage de qui s'opère le partage ?
Si l'on considère non plus les forces invoquées dans la combinaison de Montesquieu, mais les
forces réelles existant de son temps, on doit bien constater que la noblesse gagne à son projet
deux avantages considérables : elle devient directement, en tant que classe, une force politique
reconnue dans la chambre haute; elle devient aussi, tant par la clause qui exclut du pouvoir
royal l'exercice du jugement, que par cette autre clause qui réserve ce pouvoir à la chambre
haute, quand des nobles sont en cause, une classe dont l'avenir personnel, la position sociale,
les privilèges et les distinctions sont garantis contre les entreprises du roi et du peuple. De la
sorte, dans leur vie, dans leurs familles et dans leurs biens, les nobles seront à l'abri, tant du roi,
que du peuple. On ne saurait mieux garantir les conditions de la pérennité d'une classe décadente
à qui l'histoire arrachait et disputait ses anciennes prérogatives. La contrepartie de ces
assurances, c'est une autre assurance, mais cette fois à l'usage du roi. L'assurance que le
monarque sera protégé par le rempart social et politique de la noblesse contre les révolutions
populaires. L’assurance qu’il ne se trouvera pas dans la situation du despote abandonné, seul,
en face de son peuple et de ses passions. S’il veut bien entendre la leçon du despotisme, le roi
comprendra que son avenir vaut bien une noblesse. (…)
Art. 3. Le pouvoir législatif est délégué à une Assemblée nationale composée de représentants
temporaires, librement élus par le peuple, pour être exercés par elle, avec la sanction du roi, de
la manière qui sera déterminée ci-après.
Art. 4. Le gouvernement est monarchique : le pouvoir exécutif est délégué au roi, pour être
exercé sous son autorité, par des ministres et autres agents responsables, de la manière qui sera
déterminée ci-après.
Art. 5. Le pouvoir judiciaire est délégué à des juges élus à temps par le peuple.
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Art. 18. Tous les pouvoirs publics, quels qu’ils soient, émanent du peuple. Ils ne peuvent être
délégués héréditairement.
Art. 19. La séparation des pouvoirs est la première condition d’un gouvernement libre.
De bons esprits ont fait remarquer que la séparation des pouvoirs était un dogme caduc. S’il
s’agit de nous apprendre qu’il n’y a pas séparation absolue des pouvoirs mais qu’en fait comme
en droit le pouvoir est « un », je n’ai pas attendu ces bons esprits pour le savoir et l’ai même
écrit avant eux. Mais ce que ces bons esprits ne disent pas, c’est que faute de séparation dans la
nomination et l’organisation des différentes fonctions suivies d’un partage dans les tâches, le
régime vire à la dictature. Tout caduc qu’est le dogme de la séparation des pouvoirs, il faut
cependant que les fonctions essentielles du pouvoir soient divisées, si l’on veut éviter
l’arbitraire, et tenter d’associer à la fois autorité et liberté. Le texte qui vous est présenté établit,
pour la première fois dans notre histoire constitutionnelle d’une manière aussi nette, la
séparation des autorités à l’origine de leur pouvoir et leur collaboration pour réaliser l’unité de
pensée et d’action.
Sa valeur logique
La première qualité d'une opposition est que les classes s'opposent trait pour trait. Cela signifie
que si l'on a pris pour critère une certaine propriété, l'une des classes doit être définie par cette
propriété et l'autre par la propriété contraire, c'est-à-dire par l'absence de cette propriété. Cette
règle n'est jamais que l'application du principe de non contradiction. Elle implique ici qu'un
régime parlementaire soit non présidentiel et symétriquement qu'un régime présidentiel soit non
parlementaire. Si le régime présidentiel est défini par la séparation rigide des pouvoirs, le
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régime parlementaire doit l'être par la séparation souple, c'est-à-dire par l'absence d'exception
au principe dans le premier cas et la présence d'exceptions dans le second.
Or, si l'on examine en quoi consiste le principe de la séparation des pouvoirs selon la doctrine
du droit constitutionnel, on y aperçoit deux règles distinctes : les organes doivent être
spécialisés ; les organes doivent être mutuellement indépendants.
Dans ces conditions, l'opposition pourrait se comprendre de deux manières : ou bien le régime
présidentiel est défini comme l'application rigide des deux règles, tandis que le régime
parlementaire n'en serait qu'une application souple, c'est-à-dire assortie d'exceptions ; ou bien
le régime présidentiel est défini comme l'application de la première règle et le régime
parlementaire comme l'application de la seconde.
Dans le premier cas, on se heurtera à une difficulté considérable qui provient de ce que le régime
présidentiel — du moins si l'on considère que celui des États-Unis est un régime présidentiel
— s'il réalise tant bien que mal une indépendance mutuelle des organes, ne respecte nullement
la règle de spécialisation, en raison notamment du droit de veto présidentiel, de la participation
du Sénat à la conclusion des traités internationaux ou du rôle de la Cour suprême en matière
législative. On rencontre d'ailleurs une difficulté semblable en ce qui concerne le régime
parlementaire, qui devrait apporter des exceptions aux deux règles, mais n'en apporte, au moins
si l'on s'en tient à la constitution, qu'à la règle de l'indépendance.
Dans le second cas, si l'on définit le régime présidentiel par l'indépendance et le régime
parlementaire par la spécialisation, la règle logique n'est respectée que si le premier se définit
aussi par l'absence de spécialisation et le second par l'absence d'indépendance. Il faut alors
admettre que, même si rien ne justifie qu'on désigne respectivement par les noms de « séparation
absolue » et de « séparation rigide » le régime parlementaire et le régime présidentiel,
l'opposition logique entre les deux classes se trouve bien constituée.
Malheureusement, la doctrine ne s'y tient pas et ne peut d'ailleurs s'y tenir. Si en effet, il s'agit
pour elle de tenir compte du droit positif et d'identifier le régime présidentiel avec le régime
américain, il devient impossible de les définir par la séparation absolue des pouvoirs, même
entendue comme simple règle d'indépendance, en raison des importantes exceptions que le
régime américain apporte à cette règle, comme la responsabilité du président et des
fonctionnaires ou la participation du Sénat aux plus importantes nominations (sur l'opposition
régime parlementaire-régime présidentiel, cf. le travail décisif de Richard Moulin Le
présidentialisme et la classification des régimes politiques, Paris, LGDJ, 1978). Dès lors de
deux choses l'une : ou bien « la logique de la dichotomie est sauvegardée, mais au préjudice de
l'exactitude de la description », ou bien on s'efforce de décrire correctement le régime
britannique et surtout le régime américain, mais « [cette] démarche aboutit à détruire la logique
de l'ensemble de la construction » (Richard Moulin, op. cit.).
Dans ces conditions, la doctrine choisit le plus souvent une troisième solution : pour décrire le
régime américain tout en continuant de l'appeler présidentiel, il lui faut modifier les critères et
définir le régime présidentiel par l'élection du président au suffrage universel et le régime
parlementaire par la responsabilité politique des ministres. Ceci implique, bien entendu, que
pour préserver l'opposition, le régime présidentiel ait également pour propriété l'absence de
responsabilité politique et le régime parlementaire l'absence d'élection du chef de l'État au
suffrage universel.
Cette variante de la classification, bien que parfaitement rigoureuse, présente le défaut capital
de rendre impossible le classement d'un très grand nombre de régimes concrets, qui comportent
à la fois l'élection du chef de l'État au suffrage universel et la responsabilité politique des
ministres. (…)
Question : quels sont les avantages et les limites d’une classification des régimes politiques
à partir du critère de la séparation des pouvoirs ?
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Université Jean Moulin - Lyon 3 Année universitaire 2021-2022
LICENCE 1
1er Semestre
DROIT CONSTITUTIONNEL
Cours du Professeur David Mongoin
FICHE 5
SOUVERAINETÉ ET FORMES D’ÉTAT
I- LA SOUVERAINETÉ ET L’ÉTAT
A- La souveraineté de l’État
DOCUMENT 1 : Jean Bodin, Les six livres de la République, livre I, chap. X, (extraits)
DOCUMENT 2 : Raymond Carré de Malberg, Contribution à la théorie générale de l’État,
Sirey, 1920-1922, t. I, p. 86-88 (réédition Dalloz-Sirey, 2003)
B- L’État fédéral
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I- LA SOUVERAINETÉ ET L’ÉTAT
A- La souveraineté de l’État
Première marque de la souveraineté - Et par ainsi nous conclurons que la première marque du
Prince souverain, c’est la puissance de donner loi à tous en général et à chacun en particulier ;
mais ce n’est pas assez, car il faut ajouter, sans le consentement de plus grand, ni de pareil, ni
de moindre que soi, il est vrai sujet (…) Sous cette puissance de donner et casser la loi est aussi
comprise la déclaration et correction quand elle est si obscure que les Magistrats, sur les cas
proposés, trouvent contrariété ou absurdité intolérable. Mais le Magistrat peut ployer la loi et
son interprétation, soit en douceur ou en rigueur, pourvu qu’en la ployant il se garde bien de la
casser, encore qu’elle semble fort dure ; et s’il fait autrement, la loi le condamne comme infâme.
Il va de soi cependant qu'en cette matière comme en toute autre matière juridique, la
terminologie ne peut être satisfaisante qu'à la condition de comporter un terme propre pour
chaque concept spécial. Le danger des mots à double sens, c'est d'amener la confusion dans les
idées. Malheureusement la langue française est ici assez pauvre de moyens. Le vocabulaire
juridique allemand offre plus de ressources et permet plus de clarté dans les théories du droit
public. Les Allemands ont à leur service trois termes correspondant aux trois notions distinctes
que la littérature française confond sous l'expression unique de souveraineté. Ils ont d'abord le
mot Souveränitât, qu'ils ont pris à la langue française et qu'ils appliquent à la puissance étatique
lorsqu'ils veulent marquer son absolue indépendance. Ils ont ensuite le mot Staatsgewalt, qui
désigne la puissance d'État, en tant que celle-ci consiste en pouvoirs effectifs. Enfin quant aux
organes, ils se servent, tout au moins pour désigner le monarque, du mot Herrscher, que M.
Adhémar Esmein (Éléments de droit constitutionnel, 5ème éd., p. 36) traduit par Maître, et qui
éveille en effet l'idée d'un pouvoir de domination et de maîtrise. Malgré tout, la langue française
se prêterait, elle aussi, à certaines distinctions nécessaires. S'il convient de garder le vieux mot
français de souveraineté dans son sens de puissance superlative, il faut s'abstenir de ce mot
quand on veut désigner, non plus la qualité suprême du pouvoir des États souverains, mais ce
pouvoir lui-même envisagé dans ses éléments actifs : le terme le mieux approprié est ici celui
de puissance d'État.
Quant à l'organe suprême de l'État, il peut d'abord sembler parfaitement légitime de le qualifier
de souverain. La souveraineté est en effet le caractère d'une puissance qui ne relève d'aucune
autre. Or, la puissance dont l'organe suprême a l'exercice, est bien, quant à cet exercice du
moins, une puissance superlative, puisque cet organe ne relève d'aucun autre qui lui soit
supérieur et qu'il a le pouvoir de vouloir d'une façon absolument libre pour l'État. A côté de la
souveraineté de l'État, il semble donc qu'il ne soit pas incorrect de parler, avec M. Esmein et
avec G. Meyer, d'une souveraineté dans l'État, c'est-à-dire de la souveraineté d'un organe. C'est
ainsi que Georg Jellinek lui-même (Gesetz und Verordnung, p. 207 et 208) a appliqué la
dénomination de souverain à la personne qui détient le pouvoir le plus haut dans l'État. Le droit
50
public français a pris dans cette question une tout autre position. Le principe fondamental
dégagé à cet égard par la Révolution française (Déclaration de 1789, art. 3; Constitution 1791,
titre III, préambule, art. 1er et 2), c'est que la nation seule est souveraine; et par nation les
fondateurs du principe de la souveraineté nationale ont entendu la collectivité “ indivisible ”
des citoyens, c'est-à-dire une entité extra-individuelle, donc aussi un être abstrait, celui-là même
en définitive qui trouve en l'État sa personnification. Seule cette personne nationale et étatique
est reconnue souveraine. Et les textes précités spécifient qu'en raison de la souveraineté
exclusive de la nation, nul corps, nul individu ne peut exercer d'autorité qu'en vertu d'une
concession et délégation nationales. Dans ces conditions, l'organe suprême de la nation lui-
même ne saurait être qualifié de souverain : car son pouvoir qui descend de la Constitution
nationale, relève aussi des conditions que la Constitution a mises à son exercice. Il n'est point,
dans le système français de la souveraineté nationale, d'organe qui détienne une puissance
entièrement indépendante et inconditionnée. C'est ainsi que d'après la Constitution de 1875,
même l'organe constituant ne possède, suivant l'opinion prédominante, qu'une puissance de
révision limitée, c'est-à-dire conditionnée par les résolutions préalables des Chambres portant
qu'il y a lieu à révision. [...] Si donc l’on a pu critiquer la terminologie française en tant qu'elle
confond les concepts de souveraineté et de puissance étatique, il faut en revanche reconnaître
que le point de vue adopté par les fondateurs du droit public français moderne en ce qui
concerne le siège de la souveraineté est irréprochable, puisqu’il consiste à rapporter la
souveraineté, d’une façon exclusive, à la nation elle-même, à la collectivité unifiée, sans que
celle-ci puisse jamais s’en trouver dessaisie au profit de qui que ce soit.
Il y a dans l’État un principe d’unité. Encore faut-il le bien connaître. Est-ce la domination d’un
même pouvoir sur tous les sujets et sur les organes ? Est-ce, au contraire, le consentement
volontaire de tous les sujets et de tous les organes à un même état de choses ? Est-ce une
combinaison de domination de pouvoir et de consentement, de telle sorte que l’État soit à moitié
coercitif et à moitié volontaire ? Mais, dans ce dernier cas, l’État est-il plus coercitif que
volontaire ou plus volontaire que coercitif ? Nous allons nous efforcer de répondre à ce
questionnaire. Mais nous ne procéderons pas au hasard. Il ne s’agira pas de n’importe quel État,
mais de l’État conforme au type classique. J’appelle ainsi celui qui est la conclusion du
développement historique d’une nation, qui a été une nation avant d’être un État, et qui, sous la
forme État, ne cesse pas d’être une nation. Pour plus de sûreté, je le définirai de la façon suivante
: c’est une nation dans laquelle un gouvernement central a fait l’entreprise d’une chose
publique, d’une res publica au sens latin du mot. Ainsi, dans les nations antiques, le
gouvernement central a créé la cité avec la chose publique ; ainsi, dans les nations modernes,
le gouvernement central est venu créer l’État avec toute sa chose publique. Rappelons
également, avant d’aller plus loin, que les nations sont unanimement considérées comme des
unités spirituelles, fondées à la fois sur des affinités mentales, sur des habitudes communes, sur
la volonté de vivre ensemble, et que, finalement, elles prennent la figure d’unités consensuelles.
Bref, nous sommes en présence de trois éléments très différents, déposés ensemble dans le
berceau de l’État : le pouvoir du gouvernement central ou puissance publique, élément de
coercition ; l’unité spirituelle de la nation, élément consensuel ; l’entreprise de la chose
publique, élément idéal, propre à polariser les consentements, aussi bien des organes du
gouvernement que des membres de la nation. Ces trois éléments sont tellement importants qu’ils
constituent l’équilibre fondamental de l’État, celui d’où résultent à la fois la qualité de son
gouvernement, la qualité de la liberté dont il fait jouir ses sujets, la qualité des buts qu’il
poursuit. Et la valeur de cet équilibre sera elle-même rendue saisissante par le fait que chacun
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de ces éléments peut être projeté en une forme de la souveraineté. A certains égards, la
souveraineté de l’État est une ; nous ne chercherons pas à savoir ici si elle est absolue ou
relative, si elle est ou non affranchie du droit ; nous la croyons plutôt relative et soumise au
droit ; nous ne voyons pas pourquoi une souveraineté ne serait pas relative aussi bien qu’une
liberté. Mais là n’est pas, pour le moment, la question. Elle est de savoir si la souveraineté ne
peut pas être à la fois une et complexe ; une dans de certaines circonstances, lorsque ses formes
diverses convergent en une même action ; complexe et décomposable en plusieurs formes,
lorsqu’il s’agit d’analyser sa nature intime […]. Sans doute, l’institution de l’État peut être
fondée en outre sur des lois, et, dans les pays à constitution écrite, elle l’est certainement sur les
lois constitutionnelles. Mais, de même que des institutions constitutionnelles ont existé en tant
que coutumières, avant d’exister en vertu de constitutions écrites, de même l’État a existé
comme coutumier avant d’être consacré par les constitutions écrites. Même quand il possède
une constitution écrite et tout un ordonnancement de lois organiques, l’État n’a-t-il pas encore
besoin d’un consentement coutumier lui constituant une sorte de tréfonds juridique ? J’ai peine
à croire qu’il puisse s’en passer. Les constitutions formelles, les lois écrites, sont des actes
juridiques qui ne vivent que dans l’actuel. Combien de temps une constitution écrite reste-t-elle
en vigueur et combien de temps dure une loi sur le mode de scrutin pour l’élection des députés
? Serait-il admissible que l’existence juridique de l’État ne fût consacrée que d’une façon aussi
momentanée et aussi discontinue ? Il faut donc convenir que les lois écrites et les lois organiques
règlent d’une façon actuelle certains éléments 66 de l’État, certaines organisations et certaines
procédures, mais que l’institution de l’État, envisagée dans ses réalités profondes et dans ses
équilibres fondamentaux, continue d’être consacrée juridiquement par un consentement
coutumier, dans lequel baignent constitutions et lois organiques. D’ailleurs, les objets de ce
consentement coutumier apparaissent sous le nom de principes constitutionnels. Il est rare que
les principes soient consacrés par les constitutions et par les lois et il est certain qu’ils dominent
constitutions et lois. Cela apparaît nettement dans les pays à contrôle juridictionnel de la
constitutionnalité des lois. Ce n’est pas au nom de la lettre de la constitution que les déclarations
d’inconstitutionnalité sont prononcées ; pratiquement, c’est presque toujours au nom des
principes dominant la constitution, et qui constituent une véritable légitimité constitutionnelle.
C’est à ces principes fondamentaux, et non pas aux détails d’organisation, que s’attache le
consentement coutumier des sujets […].
Une personne est celui qui agit, soit en son nom, soit au nom d’autrui. Si c’est en son nom, c’est
une personne au sens propre, c'est-à-dire une personne naturelle ; si c’est au nom d’autrui, elle
est la personne représentative de celui au nom duquel elle agit. (…)
De même, plusieurs hommes deviennent une seule personne, quand ils sont représentés par un
seul, auquel chacun a donné son autorité. En effet, ce n’est pas l’unité du représenté, mais celle
du représentant, qui fait que la personne est une. On ne saurait concevoir autrement l’unité au
sein de la multitude.
Et parce qu’une multitude n’est pas naturellement quelque chose d’un, mais des hommes
multiples, ce n’est pas un seul, mais ces hommes multiples, c'est-à-dire chacun d’entre eux, qui
sont les auteurs de ce que dit ou fait l’acteur, lequel est la personne qui les représente. Chacun
52
d’entre eux, en effet, a concédé son autorité à leur acteur commun. Mais si l’autorité concédée
est limitée, chacun est l’auteur seulement des actions comprises dans le mandat.
Les peuples européens modernes ressemblent bien peu aux peuples anciens. Il ne s’agit
parmi nous que de commerce, d’agriculture, de fabriques, etc. Le désir des richesses semble ne
faire de tous les Etats de l’Europe que de vastes ateliers : on y songe bien plus à la
consommation et à la production qu’au bonheur. […] Nous sommes donc forcés de ne voir,
dans la plus grande partie des hommes, que des machines de travail. Cependant vous ne pouvez
pas refuser la qualité de citoyen, et les droits du civisme, à cette multitude sans instruction,
qu’un travail forcé absorbe en entier. Puisqu’ils doivent obéir à la loi tout comme vous, ils
doivent aussi, tout comme vous, concourir à la faire. Ce concours doit être égal. Il peut s’exercer
de deux manières. Les citoyens peuvent donner leur confiance à quelques-uns d’entre eux. Sans
aliéner leurs droits, ils en commettent l’exercice. C’est pour l’utilité commune qu’ils se
nomment des représentants bien plus capables qu’eux-mêmes de connaître l’intérêt général, et
d’interpréter à cet égard leur propre volonté.
L’autre manière d’exercer son droit à la formation de la loi, est de concourir soi-même
immédiatement à la faire. Ce concours immédiat est ce qui caractérise la
véritable démocratie. Le concours médiat désigne le gouvernement représentatif. La différence
entre ces deux systèmes politiques est énorme.
53
Pour expliquer cependant comment les tribuns le représentaient quelquefois, il suffit de
concevoir comment le gouvernement représente le souverain. La loi n'étant que la déclaration
de la volonté générale il est clair que dans la puissance législative le peuple ne peut être
représenté ; mais il peut et doit l'être dans la puissance exécutive, qui n'est que la force appliquée
à la loi. Ceci fait voir qu'en examinant bien les choses on trouverait que très peu de nations ont
des lois. Quoi qu'il en soit, il est sûr que les tribuns, n'ayant aucune partie du pouvoir exécutif,
ne purent jamais représenter le peuple romain par les droits de leurs charges, mais seulement
en usurpant sur ceux du Sénat.
Chez les Grecs tout ce que le peuple avait à faire il le faisait par lui-même ; il était sans
cesse assemblé sur la place. Il habitait un climat doux, il n'était point avide, des esclaves
faisaient ses travaux, sa grande affaire était sa liberté. N'ayant plus les mêmes avantages,
comment conserver les mêmes droits? Vos climats plus durs vous donnent plus de besoins, six
mois de l'année la place publique n'est pas tenable, vos langues sourdes ne peuvent se faire
entendre en plein air, vous donnez plus à votre gain qu'à votre liberté, et vous craignez bien
moins l'esclavage que la misère.
Quoi ! la liberté ne se maintient qu'à l'appui de la servitude ? Peut-être. Les deux excès se
touchent. Tout ce qui n'est point dans la nature a ses inconvénients, et la société civile plus que
tout le reste. Il y a de telles positions malheureuses où l'on ne peut conserver sa liberté qu'aux
dépens de celle d'autrui, et où le citoyen ne peut être parfaitement libre que l'esclave ne soit
extrêmement esclave. Telle était la position de Sparte. Pour vous, peuples modernes, vous
n'avez point d'esclaves, mais vous l'êtes ; vous payez leur liberté de la vôtre. Vous avez beau
vanter cette préférence ; j'y trouve plus de lâcheté que d'humanité.
Je n'entends point par tout cela qu'il faille avoir des esclaves ni que le droit d'esclavage soit
légitime, puisque j'ai prouvé le contraire. Je dis seulement les raisons pour quoi les peuples
modernes qui se croient libres ont des représentants, et pour quoi les peuples anciens n'en
avaient pas. Quoi qu'il en soit, à l'instant qu'un peuple se donne des représentants, il n'est plus
libre, il n'est plus. (…)
La représentation, si elle apparaît être une nécessité dans la démocratie, signifie-t-elle un déficit
pour la démocratie ou bien, à l'inverse, la représentation, la
représentation démocratique constitue-t-elle un moment indispensable et incontournable de la
démocratie réalisée et l'établissement d'une représentation procure-t-elle à la démocratie,
comme forme politique et forme de gouvernement, sa légitimité première ? (…)
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démocratique. Chez Marx, la Commune n'apparaît pas comme un processus révolutionnaire de
renversement d'une certaine autorité étatique donnée - cependant, l'autorité en tant que telle
serait, elle, conservée - mais comme une révolution contre l'État lui-même, afin de briser cette
« répugnante machine de domination de classes » et de la remplacer par l'autogouvernement
direct du peuple - par l'identité des gouvernants et des gouvernés.
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possibilités mais d'abord et seulement des possibilités du Soi concret qui nécessitent encore une
actualisation. Son effectuation dépend de ce qu'elle doit être sollicitée et l'orientation comme le
mode de son actualisation concrète seront déterminées en fonction de l'instance qui la sollicitera
et de la manière dont elle sera sollicitée, ou pour le dire de façon plus imagée : de l'instance et
de la manière qui l'amèneront à parler. La volonté du peuple n'existe pas comme quelque chose
de déjà achevé en soi et qui n'aurait plus besoin que d'un rappel (Abruf). Tout au contraire : elle
n'est d'abord engendrée et actualisée, dans sa déterminité concrète, qu'à partir de la question et
de la sollicitation préalables qui en contiennent une préfiguration. La volonté du peuple en tant
qu'elle s'articule de manière déterminée a - nécessairement - le caractère d'une réponse.
L'exemple le plus significatif à cet égard est celui du référendum. Par le référendum, le peuple
est invité à prendre une décision obligatoire, mais une décision sur une question qui lui est
soumise de l'extérieur, c'est-à-dire par une instance autre. Le peuple, pris dans son immédiateté,
n'a aucune influence sur le contenu et la formulation de cette question à laquelle il ne peut
répondre que par « oui » ou par « non ». Le problème décisif, s'agissant du référendum, réside
en conséquence dans le droit de poser la question : qui dispose du droit d'interroger le peuple,
pour quel motif, à quel moment et avec quelle formulation ? Et cette dépendance vis-à-vis de
la question ne touche pas seulement le référendum mais aussi, contrairement à une opinion
largement répandue, l'initiative populaire. Toute initiative populaire dépend d'une initiative qui
la met en route. Cette dernière fixe la question. Elle est toujours l'affaire d'un petit nombre, qu'il
s'agisse de personnes à titre individuel ou d'un groupe déterminé. La différence avec le
référendum réside seulement dans le droit de formuler librement une question qui, dans
l'initiative populaire, n'est plus limité à un ou plusieurs organes étatiques. En admettant le
référendum d'initiative populaire, on reconnaît par là même à un nombre déterminé de citoyens
ou à des groupes sociaux un pouvoir politique potentiel non négligeable, ce dont la pratique de
la démocratie référendaire en Suisse offre de nombreux exemples. (…)
Art. 1. - La France est une République indivisible, laïque, démocratique et sociale. Elle assure
l'égalité devant la loi de tous les citoyens sans distinction d'origine, de race ou de religion. Elle
respecte toutes les croyances. Son organisation est décentralisée.
Art. 2. - La langue de la République est le français.
L'emblème national est le drapeau tricolore, bleu, blanc, rouge.
L'hymne national est la Marseillaise.
La devise de la République est Liberté, Égalité, Fraternité. Son principe est : gouvernement du
peuple, par le peuple et pour le peuple.
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Document 10 : Georg Jellinek, L’État moderne et son droit (1911), réédition,
Paris, Panthéon-Assas, 2005, tome II, p. 342-344 (extraits)
Des besoins et des luttes de la vie politique, se sont constamment dégagées de nouvelles vues,
fécondes pour l’amélioration ou l’appréciation des situations politiques concrètes. De ce
nombre ont été et sont toujours celles qui tendent à reconnaître l’importance de l’opposition
existant entre la centralisation et la décentralisation des fonctions de l’État. Le type même
d’État, pour la doctrine, a été l’État centralisé, dans lequel toute l’activité publique, l’activité
qui se sert de l’imperium, part exclusivement du centre de l’État pour y revenir, c'est-à-dire où
toutes les affaires qui relèvent du droit public sont réglées par des organes dont la compétence,
au point de vue territorial, s’étend sur tout le domaine de l’État. A ce type politique, la nouvelle
doctrine oppose l’État décentralisé, dans lequel les affaires de l’État sont réglées d’une manière
plus ou moins indépendante par des organes d’État ou par des groupes à compétence
territorialement limitée.
Tant qu’on ne l’a pas soumis au contrôle de la connaissance historique, ce type doctrinal de
l’État centralisé se présente comme un type idéal, à peine susceptible de réalisation dans les
simples cités qu’étaient les États helléniques, absolument impossible dans les États à vaste
superficie de l’époque plus récente. Même les États qui n’embrassent que la cité étaient et sont
partagés, pour l’accomplissement de diverses fonctions politiques, en quartiers, en cercles ou
autres divisions analogues. Jamais l’absolutisme du prince n’a pu parvenir à étouffer
complètement la vie politique propre des communes, des seigneuries, des assemblées d’états…
Même en France, du XVIIe au XVIIIe siècle, on n’avait pu anéantir complètement toute vie des
États ; et on avait dû supporter l’existence, à côté des pays d’élection, de toute une série de pays
d’états, avec leurs assemblées provinciales. En outre, les grands États ne peuvent pas être régis
exclusivement par des autorités centrales. Il faut reconnaître aux autorités judiciaires et
administratives locales un certain pouvoir de décision parfois définitive. L’État décentralisé
représente ainsi le cas normal, pour ce qui est de l’État réel. D’un point de vue politique et
juridique, il ne peut être question que du degré et de l’étendue de la décentralisation.
Art. 72. - Les collectivités territoriales de la République sont les communes, les départements,
les régions, les collectivités à statut particulier et les collectivités d'outre-mer régies par l'article
74. Toute autre collectivité territoriale est créée par la loi, le cas échéant en lieu et place d'une
ou de plusieurs collectivités mentionnées au présent alinéa.
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Les collectivités territoriales ont vocation à prendre les décisions pour l'ensemble des
compétences qui peuvent le mieux être mises en œuvre à leur échelon. Dans les conditions
prévues par la loi, ces collectivités s'administrent librement par des conseils élus et disposent
d'un pouvoir réglementaire pour l'exercice de leurs compétences. Dans les conditions prévues
par la loi organique, et sauf lorsque sont en cause les conditions essentielles d'exercice d'une
liberté publique ou d'un droit constitutionnellement garanti, les collectivités territoriales ou
leurs groupements peuvent, lorsque, selon le cas, la loi ou le règlement l'a prévu, déroger, à titre
expérimental et pour un objet et une durée limités, aux dispositions législatives ou
réglementaires qui régissent l'exercice de leurs compétences.
Aucune collectivité territoriale ne peut exercer une tutelle sur une autre. Cependant, lorsque
l'exercice d'une compétence nécessite le concours de plusieurs collectivités territoriales, la loi
peut autoriser l'une d'entre elles ou un de leurs groupements à organiser les modalités de leur
action commune. Dans les collectivités territoriales de la République, le représentant de l'État,
représentant de chacun des membres du Gouvernement, a la charge des intérêts nationaux, du
contrôle administratif et du respect des lois.
Art. 72-1. - La loi fixe les conditions dans lesquelles les électeurs de chaque collectivité
territoriale peuvent, par l'exercice du droit de pétition, demander l'inscription à l'ordre du jour
de l'assemblée délibérante de cette collectivité d'une question relevant de sa compétence.
Dans les conditions prévues par la loi organique, les projets de délibération ou d'acte relevant
de la compétence d'une collectivité territoriale peuvent, à son initiative, être soumis, par la voie
du référendum, à la décision des électeurs de cette collectivité.
Lorsqu'il est envisagé de créer une collectivité territoriale dotée d'un statut particulier ou de
modifier son organisation, il peut être décidé par la loi de consulter les électeurs inscrits dans
les collectivités intéressées. La modification des limites des collectivités territoriales peut
également donner lieu à la consultation des électeurs dans les conditions prévues par la loi.
Art. 72-2. - Les collectivités territoriales bénéficient de ressources dont elles peuvent disposer
librement dans les conditions fixées par la loi.
Elles peuvent recevoir tout ou partie du produit des impositions de toutes natures. La loi peut
les autoriser à en fixer l'assiette et le taux dans les limites qu'elle détermine.
Les recettes fiscales et les autres ressources propres des collectivités territoriales représentent,
pour chaque catégorie de collectivités, une part déterminante de l'ensemble de leurs ressources.
La loi organique fixe les conditions dans lesquelles cette règle est mise en œuvre.
Tout transfert de compétences entre l'État et les collectivités territoriales s'accompagne de
l'attribution de ressources équivalentes à celles qui étaient consacrées à leur exercice. Toute
création ou extension de compétences ayant pour conséquence d'augmenter les dépenses des
collectivités territoriales est accompagnée de ressources déterminées par la loi. La loi prévoit
des dispositifs de péréquation destinés à favoriser l'égalité entre les collectivités territoriales.
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B- L’État fédéral
Sans vouloir faire ici la théorie constitutionnelle du fédéralisme qui varie d’ailleurs avec
chacune des modalités de l'association, il est cependant un certain nombre de traits
caractéristiques du fédéralisme institutionnel qui doivent être soulignés parce qu'ils ont des
répercussions internationales. Parmi ces traits, nous noterons la "participation institutionnelle"
et "l’autonomie gouvernementale".
3
C’est ce que les auteurs qualifient souvent de "participation à la formation de la volonté fédérale”. Il n'y a pas
plus de volonté fédérale que de volonté étatique, mais seulement, au sein des organes institutionnels, formation de
majorités conditionnant la validité juridique des décisions.
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défaut de cette participation - par exemple si les organes fédéraux ne sont l'émanation que d'un
seul des États ou collectivités associés – il y aurait "droit de subordination" et non "droit de
collaboration" et c'est la collaboration qui est la caractéristique du Droit fédéral, qui distingue
le fédéralisme de la vassalité, de la tutelle de la colonisation. Cela ne signifie pas que cette
participation doive être égale ou identique, quels que puissent être l’importance ou le volume
des collectivités (États) fédérées. Réintroduire ici le dogme de l'égalité absolue des États parce
qu’États, c’est retomber dans l'erreur de l'égalité fonctionnelle, qui est en correspondance
directe avec l'idée de souveraineté et incompatible avec toute organisation effective 4.
4
Jamais une collectivité de valeur 1000 ne consentira à être mise sur le même pied qu'une collectivité de valeur
ou de volume 10, à laisser prendre des décisions majoritaires par une majorité de 6 x 10 contre 1000 x 1. La
constitution normale des organes fédéraux (et c'est aussi l'équité), doit donc partir du principe de la
proportionnalité. Sans doute peut-il y avoir des difficultés pratiques considérables à établir la base de cette
proportionnalité : le volume n'est pas tout (notamment le chiffre de la population), d'autres facteurs doivent entrer
en ligne de compte : richesse, industrialisation, culture, etc. Comme dans toute "société" il y a lieu de tenir compte
des "apports". C'est une question de dosage et d'équité, non d'arithmétique. Répétons-le, la solution - difficile -
exige, au moment de la conclusion du Pacte fédéral ou de ses modifications, un esprit de volonté d'accord et de
bonne volonté en vue de réaliser un équilibre par des sacrifices mutuels, équilibre qui d’ailleurs, sera sujet à
révisions.
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