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En effet en corse c'est l'infinitif rhizotonique (-e/-a) qui s'impose, au détriment non seulement de la
classe II (comme en sarde) mais également de la classe IV du latin (IRE).
Un nombre limité de verbes (7) en -è constitue en corse une classe fossile: cf infra.
2.1.2 Classes latines et classes corses
2.1.3 Voyelles thématiques
L'infinitif corse est caractérisé par la chute de la syllabe finale latine -RE (cf infra).
Si l'on considère l'infinitif, toutes les classes latines sont représentées en corse (sauf la 3ème
"mixte" CAPIO/CAPERE qui disparaît en latin vulgaire)
-ARE > -à : cantà
-ERE > -è : sapè
-ERE > -e (-a): vende (-a)
-IRE/-ISCERE > -ì/-isce (-iscia): finì/finisce (-iscia)
2.1.4 Opposition entre verbes rhizotoniques et verbes arhizotoniques
En réalité la fréquence de ces désinences est très variable.
La désinence tonique est -à dans toutes les variétés: -è concerne moins d'une dizaine de verbes
fossiles, -ì n'apparaît que comme variante libre d'une désinence à finale atone (nous parlerons de
rhizotoniques réductibles: capisce/capiscia ou capì).
La désinence atone est -a, -e, -i selon les variétés (au sens géographique). A l'infinitif la finale -i
(en variation -libre?- avec -a) est observable bien que très minoritaire et ignorée dans les descriptions
(cf infra)
senti, rispondi (GARATTE, Corse-Matin 21188)
corri, batti (DI MEGLIO, Rigiru 25)i
C'est pourquoi on peut distinguer deux grandes classes de verbes corses selon la forme de l'infinitif
Type A
(Lozzi) cantEmu vindEmu fin-Ø -Imu
cantAte vindIte fin-Ø -Ite
Type B1
(Suddacarò, cantEmi(u)/cantImu vindImi(-u) fin-Ø -Imi(-u)
Corti,Bastia cantEti /cantAte) vindIti(-i) fin-Ø -Iti(-e)
Type B2
(Sartè) cantEmu vindEmu finiscEmu
cantEti vindIti fin-Ø -Iti
Type B3
(Santa Lucia cantEmu vindEmu=finiscEmu
di Mercuriu) cantAte vindIte=finiscIte
|T)
On voit qu'en A l'utilisation de l'infixe -isc- implique l'emploi de désinences particulières. Si l'on
intègre les deux autres infixes, on peut avoir de 5 à 6 types principaux selon les variétés.
(T|
1: -à 2: -e/a/i 2c;3 :
-(isc)e/-(isc)ia
1a 1b 1c 2a 2b 3
cantà falà dubità vende more finì(sce)
(-a) (-a) (scia)
1a 1b 1c 2a 2b 3
A cantu falgu dubiteghju vendu morgu finiscu
(-ighj)
1a 1b 1c 2a 2b 2c
B1/ cantu falgu dubiteghju vendu morgu finiscu
B2 (-ighj)
1a 1b 1c 2a 2b
B3 cantu falgu dubiteghju vendu morgu
(-ighj) (=finiscu)
|T)
2.2 Evolutions et simplification
2.2.1 Déplacements et réductions: la tendance à la rhizotonie
La simplification du système verbal corse est le résultat notamment de déplacements plus ou moins
fréquents par rapport aux classes verbales du latin, ce que l'on peut observer dans toutes les langues
romanes.
Le tableau ci-dessous donne quelques exemples d'évolutions qui seront examinées plus loin.
(T|
-ARE -ÉRE '-ERE -IRE -ISCERE
-à cantà trimà tussà
-e/-a entre leghje torce parte finisce
-è avè sapè
-ì (dì)
|T)
On y voit que les évolutions sont très diverses. Cependant un grand nombre de changements
aboutissent en corse à un schéma rhizotonique à l'infinitif: cette classe corse accueille en effet des
verbes provenant de toutes les classes latines. On observe donc une réduction radicale, au profit du
type rhizotonique (III), des autres classes latines accentuées sur la désinence (II et IV). Seule la classe
I, (la plus stable dans toutes les langues romanes) résiste: elle aussi, néammoins, enregistre quelques
défections qui singularisent le corse.
2.2.1.1 Réduction de la classe II
2.2.1.1.1 Classe II > classe III
Nous avons déjà noté que la fusion des classes II et III en une seule à infinitif rhizotonique
caractérise le sarde et le corse.
Nous donnons ci-dessous des exemples corses qui montrent le passage de II à III. Certains de ces
déplacements sont panromans (a), d'autres sont également italiens (langue littéraire: b). La troisième
série (c) concerne les passages absents en italien littéraire que l'on retrouve çà et là dans la Romania
(avec diverses variations phonétiques) alors qu'ils sont tous réunis en corse (et en sarde)
a) passages panromans (sauf ibéroroman)
risponde torce morde;
ride tonde
b) passages communs au corse et à l'italien (littéraire)
noce rilùce munghje
empie splende
c) passages non attestés en italien standard (les variétés mentionnées ci-dessous ont le même
schéma rhizotonique qu'en corse; formes attestées par ROHLFS 1966:614616)
gode (cf. Latium méridional)
pussede (cf Latium méridional)
vede (cf bolognese)
tene (cf lombard)
piace (cf piémontais)
témere (cf lucchese)
tace (cf lucchese ancien)
ghjace (cf pistoiese)
pente (cf italien anc. péntere <POENITERE, mais généralement pentére chez DANTE et
BOCCACE)
2.2.1.1.2 Fossilisation de la classe II
Le corse compte seulement sept verbes à infinitif en -è: avè, pudè, vulè, sapè, valè, parè, duvè.
Il s'agit de verbes qui ont le même schéma rhizotonique dans l'ensemble des langues romanes,
certains présentant même le passage insolite de la III à la II (SÁPERE>SAPÉRE sur le modèle de
HABÉRE à partir du parfait commun en -UI). Parmi les verbes qui témoigneraient, par leur infinitif
arhizotonique dans l'ensemble des langues romanes, de déplacements propres au latin vulgaire
(ROHLFS 1966:614) notons le cas de CADÉRE qui ne connaît pas en corse l'évolution romane
majoritaire
accade (cf calabrais càdere/cadìre)
2.2.1.1.3 Variation (libre?) -è/-ì
La mauvaise intégration des verbes en -è semble se manifester également dans la variation -è/-ì qui
est observable dans certaines variétés (pudè/pudì, U Cotone: la forme en -ì ayant pu subir l'attraction
de l'autre classe arhizotonique finì, plus nombreuse).
2.2.1.1.4 Spécialisation (phono)syntaxique des infinitifs arhizotoniques
Il est courant dans certaines structures idiomatiques de voir un infinitif arhizotonique repris sous sa
forme rhizotonique. Le résultat peut être l'occurrence dans la même phrase de deux variantes
d'infinitif. C'est la variante rhizotonique qui est employée en fin de phrase (tonie conclusive) et la
variante arhizotonique, toujours caractérisée par une tonie ascendante, peut ne pas être attestée en
dehors de tels contextes (par exemple piuvì dans les exemples ci-dessous, alors que la variation
entrà/entre ou venì/vene peut être en corrélation avec plusieurs facteurs: géographiques,
diachroniques...)
piuvì ci vole ch'è lu piovi
venì, anu da vene(RINALDI)
entrà in chjesa ùn possu entre.
Des constructions analogues (infinitif "limitatif" -CORTELAZZO 1976:137- ou emphatique
-ROHLFS 1966:989-) sont fréquentes un peu partout en italien (populaire: -CORTELAZZO 1976:11
définit "l'italiano popolare" comme "il tipo di italiano imperfettamente acquisito da chi ha per
madrelingua il dialetto"), en espagnol ou même en français (avec pour: pour aller ça va). Ce qui
semble propre au corse c'est l'emploi dans cette fonction d'une forme spéciale d'infinitif, où la mise en
relief a des conséquences non seulement syntaxiques ou stylistiques (position anticipée et répétition)
mais aussi intonatives et morphologiques (production d'un schéma oxytonique parfois en opposition
avec la forme "normale" d'infinitif)
2.2.1.2 Réduction de la classe IV (-IRE)
2.2.1.2.1 Classe IV > classe III
Le passage de nombreux verbes de la IV à la III a été reconnu comme une caractéristique du sarde,
du Mezzogiorno et du catalan (BLASCO FERRER 1984A:100). Il faut inclure le corse dans ce groupe.
Nous donnons ci-dessous quelques exemples corses dont les correspondants italiens ont -ìre)
apre riesce
arruste salle
bolle sente
copre serve
cosge soffre
cunsente sorte
dorme vene
pente si parte
veste more; (on a MORIRI chez Plaute)
2.2.1.2.2 Disparition de la classe IV (type PARTÍRE)
Il n'y a ici aucune commune mesure avec les déplacements attestés, pour quelques verbes, en
toscan ancien ou moderne (ROHLFS 1966:615).
De ce point de vue le corse a d'ailleurs une évolution exemplaire dans la mesure où les tendances
évoquées sont poursuivies jusqu'à leur aboutissement extrême. Les infinitifs de la classe IV (sans
extension du radical: "verbi del nucleo estinto" LAUSBERG 1976:919) disparaissent totalement en
corse pour passer soit à la classe II (PARTIRE>parte) soit à la classe d'origine inchoative qui ne
conserve une désinence accentuée que comme variante libre à côté de la désinence atone (finì/finisce
ou finiscia). Alors qu'ils existent en sarde (dromì; dromìri), les infinitifs du type durmì ont donc
disparu en corse. Seuls quelques parlers méridionaux italiens (Taranto, ROHLFS 1966:614) ont exclu
de manière draconienne la désinence -IRE.
La bipartition opérée par LAUSBERG 1976:919 quant à l'évolution romane de la classe IV devrait
donc être modifiée pour introduire un troisième groupe comprenant le corse
1) la grande "aire innovante" avec 2 types: DORMIRE et UNIRE, ce dernier caractérisé par le
nivellement de l'accent à l'aide du suffixe inchoatif démotivé (français, italien, roumain...);
2) l'aire "résiduelle archaïque" qui ne connaît que le type DORMIRE et où le suffixe inchoatif
conserve sa fonction originelle (sarde, espagnol, portugais);
3) l'aire qui a éliminé la classe IV et supprimé de façon plus ou moins radicale le suffixe inchoatif
en l'intégrant au radical (corse, Mezzogiorno).
2.2.1.2.3 Généralisation de l'infixe -ISC-
La généralisation du segment -isc- est une caractéristique majeure du corse (bien que ROHLFS
1966:524 parle de phénomène "rare"). De ce point de vue le corse concorde avec le sarde
(LAUSBERG 1976:921) l'espagnol et le portugais, mais aussi avec certains parlers de l'Italie
méridionale pour lesquels on a émis l'hypothèse d'une continuation ininterrompue du latin
(OBDORMISCERE: TEKAVCIC 1972:1063).
Cette caractéristique est à inclure parmi les traits intertyrrhéniens.
Si l'extension de l'infixe épargne le participe passé (dans toutes les variétés), les formes
arhizotoniques du présent (dans la majorité des parlers: fin-Ø -imu, fin-Ø -ite) et le gérondif
(seulement dans quelques parlers: finindu à Sartè, PAGANELLI 1975), elle est systématique pour
toutes les autres formes verbales dans l'ensemble des variétés.
Elle concerne également les formes -noms ou adjectifs- dérivées d'une forme verbale à radical
étendu.
On relève dans quelques formes l'absence plus ou moins justifiée du segment -isc-. Il s'agit surtout
de mots savants, pour lesquels il faut peut-être évoquer le rôle -positif ou négatif- des modèles de
l'italien (absence de -isc- dans les dérivés) et du français (présence de -iss-: cf. approfondissement etc.)
absence de -isc-:
finìschimu (subjonctif)
pruibiscendulu (gérondif, COTI U Ribombu n°175/1986)
arricchiscimentu
apprufundiscimentu
capiscitura
capiscitoghju
investisciamentu (Arritti 27/10/83:5; le verbe étant investisce, le suffixe -amentu au lieu de -imentu
s'explique par une sorte d'équation -ement = -amentu: classement/classamentu, etc. Nous avons ici,
selon la terminologie de GUSMANI 1981:114, un "emprunt de morphème", ou une "induction de
morphème").
absence de -isc-:
riferimentu (MARCHETTI in Etudes corses:433; cf. italien riferimento).
hè capitìa (= si capisce; formé régulièrement sur le radical -non étendu- du participe passé:
capit+i(v)u, cf. difiniti(v)u etc.)
2.2.1.2.4 Extension de la variation libre -ì/-iscia.
Le seul verbe corse à voyelle finale -ì; (non commutable avec -isce/-iscia est dì, dont l'étymon
appartient en réalité à la classe III du latin (<DICERE).
La désinence -ì n'existant en corse que comme variante libre de -isce/-iscia, la pression
paradigmatique fait que ce modèle s'étend à des composés de dì. Ainsi le verbe binadì acquiert une
variante binadiscia qui l'assimile totalement au type d'origine inchoative (dans toutes les variétés); par
exemple
infinitif: binadì ou binadiscia (= finì ou finiscia)
indicatif présent sg2: binadisci (= finisci)
condit. présent pl2: binadisciariati (=finisciariati)
2.2.1.2.5 Déplacements récents
Le passage à l'infinitif rhizotonique en -e ou -a est relativement récent pour un certains nombre de
verbes qui conservent dans leur paradigme des traces de leur ancienne classe d'appartenance
(dorme/durmitu); de plus des variantes arhizotoniques sont attestées dans des textes ou des
grammaires relativement récents (sintì/sente: BONIFACIO 1925, durmì/dorme: YVIA-CROCE 1972).
Il faut sans doute également compter avec l'influence persistante -surtout à l'écrit- de l'italien littéraire.
2.2.1.2.6 Déplacements en cours
Certaines variations qui concernent des verbes peu fréquents et particulièrement exposés à une
influence française en direction opposée (vers l'arhizotonie: voir infra -er>-à) attestent de la vigueur
du schéma rhizotonique
custruce (STUDII CORSI DI TILO' 1979:1)/custrùe (MUNTESE 1985)/custruì
percipe, cuncipe (Arritti 1/9/83:6-7)/percepisce, custruisce)
On voit qu'il s'agit de verbes provenant de la classe III (PERCIPERE, CONSTRUERE) qui sont
passés à la classe IV (-IRE, conjugaison inchoative) dans certaines langues romanes (italien percepire
et concepire, français construire) et en corse (comme le montre le Participe passé percepitu, custruitu
à côté de custruttu; cf. aussi fughjitu): le passage à l'infinitif rhizotonique constitue quant au résultat un
retour aux conditions latines.
2.2.1.3 Réduction de la classe I (-ARE)
2.2.1.3.1 Classe I > classe III
Le passage vers la III de verbes provenant la classe I (-ARE, la plus stable et la plus productive
dans toutes les langues romanes) est une caractéristique du corse et atteste de la force du modèle
rhizotonique. Pour certains verbes le schéma rhizotonique n'est attesté nulle part ailleurs qu'en corse
entre
ingolle
ROHLFS 1966:613 cite des exemples analogues pour d'autres parlers méridionaux ou
centro-méridionaux italiens (pugliese, romanesco, abruzzese). Pour le corse spòglie (que nous ne
pouvons attester) ROHLFS suppose un lien avec l'elbano spògliere et une influence de toglie(re) (qui
semble rare en corse aujourd'hui); de même entre est expliqué par l'influence de tràsere "entrer" (dont
rien ne permet de supposer l'existence en corse). S'il fallait absolument recourir à l'analogie nous
serions plutôt tenté d'évoquer le couple entre/sòrte.
Quoi qu'il en soit il convient de souligner que l'extension du schéma rhizotonique constitue une
caractéristique majeure du corse: le phénomène est systématique pour le passage II>III, fréquent pour
IV>III, sporadique -mais néammoins révélateur- pour I>III (avec une intégration totale pour quelques
verbes: cf. infra).
2.2.1.3.2 Désinences -e, -imu, -enu à l'indicatif présent (sg3, pl1, pl3)
On note, localement, l'intrusion dans la classe de cantà de certaines désinences de la classe vende
(cf. BONIFACIO 1925:3O).
ellu cante (Balagna/ ellu canta; )
noi falimu (Corti/ noi falemu; )
elli cantenu (Bastia/ elli cantanu).
Contrairement à -e (ROHLFS 1966:529 a noté l'apparition sporadique de -e en ligurien) et à -imu,
-enu ne semble pas déterminé par des mécanismes purement morphologiques, ressortissant
uniquement à la flexion verbale.
La forme de pl3 est attestée (de manière non uniforme) en bastiais et semble être en relation avec
l'oscillation entre -a- et -e- intertoniques dans les proparoxytons (cf. numeru/numaru).
On trouve des phénomènes d'harmonisation dans d'autres formes verbales, notamment à l'impératif
(toujours à Bastia)
arripose ti (arriposa ti)
mette ti quì (metti ti quì)
Le même phénomène d'harmonisation a été relevé en sicilien (CHIORBOLI 1989B) où le -a-
devient -i- conformément aux caractéristiques phonétiques locales (arripòsiti, :729).
2.2.2 Modalités diverses de fusion (II/III/IV): indicatif présent
La bipartition des classes verbales corses est le résultat d'un certain nombre de déplacements par
rapport aux classes du latin. Certains de ces déplacements caractérisent le corse, d'autres existent dans
la plupart des langues romanes. La caractéristique du corse c'est de pousser les changements jusqu'à
leurs conséquences extrêmes. Si certains déplacements ne concernent que l'infinitif, d'autres
concernent tout le paradigme qui ne conserve plus, de la classe d'origine, que des vestiges plus ou
moins visibles selon les variétés, avec des répercussions au-delà de la flexion verbale (cf. supra
capisce/capiscitura/capiscitoghju; sur les classes verbales du corse, cf. aussi le chap. consacré au
présent indicatif).
2.2.2.1 Différenciation désinentielle entre rhizotoniques et inchoatifs (vindemu=durmemu/finimu; type A: Lozzi;
II-III/IV)
Les infinitifs arhizotoniques issus du type DORMIRE ont totalement disparu en corse alors qu'ils
existent en sarde (sarde dromì/dromìri, corse dorme/dorma): le type -ì (finì) n'existe que comme
variante libre et peut être remplacé, dans toutes les variétés, par la désinence à voyelle atone
isce/-iscia.
Dans certains parlers, la fusion entre les classes II/III et IV prend au présent indicatif la forme d'une
combinaison ("blending"; MAURER in TEKAVCIC 1972:901), les deux premières personnes du
singulier n'utilisent pas la même voyelle thématique: -e- pour pl1, -i- pour pl 2. La combinaison
n'atteignant pas la conjugaison inchoative (qui conserve -i-), on a deux modèles différents dans la
classe des rhizotoniques
vindEmu = durmEmu / finImu
(-Ite) (-Ite) (-Ite)
2.2.2.2 Alignement sur le type -IMUS
(vindImu , -i= durmImu, -i, = finImu, -i;
type majoritaire B1: Bastia/Suddacarò; II = III = IV)
Dans la plus grande partie de la Corse, la fusion entre le types II/III et IV se fait au pl1 et 2 par
alignement sur la voyelle thématique -i-, y compris pour la conjugaison inchoative
durmImu = vindImu = finImu (ex. Bastia)
(-Ite) (-Ite) (-Ite)
durmImi = vindImi = finImi (ex. Suddacarò
(-Iti) (-Iti) (-Iti)
2.2.2.3 Fusion totale -ERE/-IRE/*-ISCERE
(vindemu= durmemu = finiscemu;
type B3: Santa Lucia di Mercuriu;
II = III = IV, intégration de -isc-)
Dans certaines variétés (Santa Lucia di Mercuriu dans les exemples ci-dessous) la combinaison
-e-/-i- s'étend à la conjugaison d'origine inchoative qui disparaît: l'infixe -isc- s'étend à tout le
paradigme et devient partie intégrante de la racine (finisc-e ou finisci-a: finiscimu, finiscìa,
finisciaria...).
Seule la forme (non-finie) du participe permet de distinguer la classe d'origine (dorme:
durmitu/finisce:fin-Ø -itu)
timEmu = vindEmu = durmEmu = finiscEmu.
(-Ite) (-Ite) (-Ite) (-Ite)
2.2.3 Vers l'intégration totale dans la classe rhizotonique: le participe passé
2.2.3.1 Verbes issus de -IRE
L'alignement du participe passé sur le type vende est, pour certains verbes, propre à l'ensemble des
parlers. Le passage à -UTU (au lieu de -ITU) représente le stade ultime de fusion: le participe passé est
souvent la dernière forme à trahir la classe d'origine.
Le passage à -UTU est attesté un peu partout (cf. VENIRE et français venu, italien venuto) avec
plus ou moins de fréquence. Des formes corses comme vistutu (cf. italien vestito) sont présentes en
toscan (vestuto) comme en calabrais (vistutu).
Les conditions sont cependant différentes (les variantes des participes forts du lucchese/pisano
-leggiuto, nasciuto, piangiuto...ROHLFS 1966:622- ne correspondent pas au corse) alors que les
affinités entre corse et parlers méridionaux sont plus significatives. C'est dans les deux cas le passage
de -IRE à -ERE qui explique la diffusion de -UTU (avec la disparition totale de -IRE, caractéristique
corse et du tarantino: cf. supra).
Le participe passé en -itu en corse est donc réservé aux arhizotoniques réductibles (anciens
inchoatifs: finitu). Pour les autres verbes issus de -IRE, ils ont soit un participe passé fort (apartu,
mortu , suffertu, cupartu, intesu -forme supplétive pour sentitu/-utu), soit une désinence -utu (forme
unique ou variante majoritaire):
cunsentutu vestutu venutu
riesciutu partutu servutu
pentutu ;(<PENTÉRE, l'italien moderne a pentito, l'italien ancien pentuto).
Partutu (qui connaît une variante en -itu) est courant au Sud comme au Nord (contrairement aux
indications de AGOSTINI 1984:170; parta est donné comme modèle de la 2ème conjugaison à Sartè:
PAGANELLI 1975:77).
Seul un nombre très limité de verbes (moins d'une dizaine) issus de -IRE a conservé -ITU.
bullitu (-dd-) surtitu
cusgitu durmitu.
arrustitu (infinitif arruste/-a, mais aussi arrustì(sce/scia)
On peut y ajouter fughjitu (fùghje/-a <FùGERE) où -itu trahit le passage ancien à *FUGÍRE (cf.
italien fuggìre, -ito).
Nous pouvons attester, dans les parlers du Sud, des variations -sporadiques?- durmitu/durmutu; et
même finitu/furnitu/furnutu (on a en barese fernésce/fernute).
2.2.3.2 Verbes issus de -ARE
Le cas du continuateur corse de INTRARE est significatif de la force du schéma rhizotonique: le
passage à la classe des infinitifs à désinence atone s'est accompagné d'un alignement quant au participe
passé (-utu au lieu de -atu)
entre -> entrutu (à coté de entratu; MUNTESE 1985 mentionne les variantes entrè et entretu)
Certains dérivés de entre attestent d'une étape ultérieure dans l'intégration totale de entre dans la
classe des verbes à infinif rhizotonique (cf. la présence de -isc- dans les dérivés: apprufundisce ->
apprufundiscimentu)
-e -> -itoghju
entre -> entritoghju (MUNTESE 1985) comme stende ->stenditoghju (cf. pusà ->pusatoghju)
2.2.4 La classe à infinitif rhizotonique (-à)
Bien que l'attraction exercée par la classe à infinitif rhizotonique soit très forte en corse (cf.
INTRARE>entre), la classe des verbes à étymon en -ARE (>-à) y est comme dans toutes les langues
romanes la plus forte, la plus stable et la plus productive.
2.2.4.1 Déplacements mineurs
1.3.1.1 III>I
Le passage de la classe III à la classe I est rare en corse comme ailleurs (les deux verbes ci-dessous
appartiennent au premier groupe dans la plupart des langues romanes)
trimà cunsumà
2.2.4.1.1 IV>I
Certains passages de -IRE à -ARE caractérisent le corse et l'italien méridional
tussà (<TUSSÍRE; cf. Latium méridional tussà, ROHLFS 1966:613).
2.2.4.1.2 I>IV (inchoatifs)
Le passage de -ARE à -ì (-isce ou -iscia) semble rare même si l'on peut en relever des exemples
plus ou moins isolés et caractéristiques
perpetuì (A spannata 11/86:1; à côté de perpetuà, MUNTESE 1985, cf. latin -ARE, italien perpetuare)
attenuì (ROCCHI).
De tels phénomènes trouvent une interprétation plus convenable dans le cadre de la dérivation (cf.
ci-dessous).
2.2.5 Dérivation sans suffixe
2.2.5.1 Généralités
La formation de verbes à partir de noms, d'adjectifs ou de participes est un phénomène courant et
continu, si bien qu'il est souvent difficile de dire si l'on a affaire à un processus intralinguistique, à la
continuation directe d'un dérivé hérité du latin (GENOT 1982:215) ou même à un emprunt récent (à
l'italien ou au français).
Nous nous intéresserons ici au phénomène de dérivation avec suffixe Ø et aux mécanismes,
anciens mais toujours à l'oeuvre, responsables notamment de la création de nouvelles formes. Celles-ci
sont critiquée par les grammairiens soit en tant qu'emprunt direct à une variété "non grata", soit
comme le résultat d'un mécanisme jugé aberrant (même s'il est par ailleurs bien représenté dans les
couches lexicales les plus anciennes et les moins sujettes à caution).
2.2.5.1.1 Du nom au verbe
Le résultat est la plupart du temps -à.
arma>armà
2.2.5.1.2 De l'adjectif au verbe
Le résultat est la plupart du temps -ì (le recours à un préfixe est la règle générale).
chjaru ->schjarì
2.2.5.1.3 Du participe au verbe
La formation de verbes à partir du participe parfait passif est un phénomène du latin (la valeur
initiale itérative ou fréquentative se perd par la suite) bien représenté dans les langue romanes
(TEKAVCIC 1972:1648). Le verbe simple peut disparaître au profit du dérivé: ce dernier acquiert une
désinence -ARE qui en fait un verbe plus stable, mais on a aussi la coexistence du simple et du dérivé
(avec spécialisation sémantique éventuellement).
latin: CANERE/CANTUS >CANTARE
corse: cantu cantà
*EXTURPIAT> stroppia).
On assiste également à des transformations plus ou moins importantes, telles la naissance de
phonèmes ou de séquences nouveaux, en corse par exemple (avec parfois une différenciation
géographique interne; la dernière réalisation phonétique ci-dessous ne donne pas lieu d'ordinaire à une
différenciation graphique).
KI > ci
GI > ghji
LI+voy. > -gli-/-ghj-/-dd-/-ll-/[jj]
2.3.4.1.1 Palatalisation sans alternance
Certaines consonnes ou séquences finales du radical sont palatalisées quelle que soit la nature de la
voyelle suivante; on a alors une simple transformation du radical dans l'ensemble du paradigme.
FL > -fi- (CONFLARE > gunfià)
CL > -chj- (*MISC(U)LARE > mischjà
2.3.4.1.2 Palatalisation génératrice d'alternances
Certaines palatalisations ne se produisent que devant voyelle antérieure, ce qui engendre des
alternances (par ex. -gu/-ghji à l'indicatif présent sg1/2).
JUNGO > ghjungu
JUNGIS > ghjunghji
2.3.4.2 Distribution des alternances
L'environnement phonétique ne permet pas à lui seul de prévoir la mise en oeuvre de la
palatalisation, et les alternances éventuelles. Par exemple il ne suffit pas que la consonne finale du
radical soit g- pour qu'il y ait palatalisation et éventuellement alternance à l'indicatif présent.
g/ghj / g/g
ghjungu:ghjunghji / zingu:zinghi.
La palatalisation étant absente malgré un contexte favorable dans les verbes issus de la 1ère classe
latine, le phénomène a été mis en rapport avec la qualité de la voyelle latine suivant le radical
(ROHLFS 1966:537). Dans les verbes en -ARE, la voyelle initiale de la désinence -postérieure à toutes
les personnes- ne peut produire de palatalisation, alors que dans les autres conjugaisons la consonne
finale du radical peut entrer en contact avec des voyelles de qualité différente. Cela pourra engendrer
des évolutions phonétiques différentes que nous schématisons ci dessous.
2.3.4.2.1 Classe I (-ARE): Cons + Voy post: Absence de palatalisation.
(T|
Cons. finale désinences palatalisation
du radical OUI (+) NON (-)
-O -
-AS -
-AT -
-C-
-AMUS -
-ATIS -
-ANT -
|T)
2.3.4.2.2 Classe II (-ÉRE): Cons + Voy ant: palatalisation éventuelle à toutes les pers
(T|
Cons. finale désinences palatalisation
du radical OUI (+) NON (-)
-EO +
-ES +
-ET +
-C-
-EMUS +
-ETIS +
-ENT +
|T)
2.3.4.2.3 Classe III (-ERE): Cons + Voy ant ou post: palatalisation éventuelle aux pers autres que la 1ère et la
dernière.
(T|
Cons. finale désinences palatalisation
du radical OUI (+) NON (-)
-O -
-IS +
-IT +
-C-
-IMUS +
-ITIS +
-UNT -
|T)
2.3.4.2.4 IIIa ('-ERE/-IO) et IV (-IRE): Cons + Voy ant: Palatalisation éventuelle à toutes les pers (gémination
éventuelle à 1ère et dern pers)
(T|
Cons. finale désinences palatalisation
du radical OUI (+) NON (-)
-IO +
-IS +
-IT +
-C-
-IMUS +
-ITIS +
-IUNT +
|T)
Il ne devrait pas y avoir d'alternance puisque la palatalisation est constante. Cependant dans les
verbes du type FACERE/FACIO, le hiatus peut entraîner, à certaines personnes, une gémination (ou
renforcement) de la consonne précédente: facciu/faci.
2.3.4.2.5 Exemples corses
Nous avons décrit la situation latine: les transformations successives des désinences, à un moment
où le processus de la palatalisation est achevé ou moins vigoureux, ne produisent pas les mêmes effets;
le [K] est maintenu dans
TU CIRCAS > *tù cerca > tù cerchi).
Les verbes ci dessous ne présentent pas d'alternance à l'oral (au plan graphique on a insertion de -h-
au sg2: accecu; accechi):
accicà lacà ficcà
appiccicà liccà francà
attaccà luccicà ghjucà
barcà marcà impiccà
buscà pizzicà spiccà
carcà runzicà truncà
cascà sigà tuccà
chjuccà spaccà zingà
circà spalancà
Les verbes ci-dessous (infinitif en -e,-a, ou -i) présentent des alternances dans certaines variétés
(ex. torcu; torci: [K]/[tÕ]; voir cependant ci-après pour la réduction des alternances).
torce spenghje ghjunghje
vince stringhje leghje
coce sughje munghje
dì (<DÍCERE) nasce pienghje
accorghje fughje pinghje
cinghje spenghje porghje
franghje reghje sparghje
frighje sparghje tinghje
unghje cunnosce pasce
cresce
2.3.5 Alignements et influences (intra)paradigmatiques
Les pressions paradigmatiques, la tendance à la régularité sont à l'origine, dans toutes les langues,
de réaménagements qui se traduisent par par des disparités au plan du traitement phonétique. Les
mécanismes étant bien connus, on se contentera d'indiquer certaines caractéristiques du corse. Les
spécificités résident la plupart du temps dans la fréquence, le dosage ou la systématisation de
tendances universelles.
2.3.5.1 Extension de la palatalisation à la 1ère personne
Dans un paradigme donné, sous la pression des formes régulièrement palatalisées (2,3,4, 5, 6), la
palatalisation s'étend à la première personne:
vincu: vinci -> vinciu :vinci (cf. italien vinco: vinci)
2.3.5.2 Uniformisation de la quantité
La gémination régulière de la 1ère personne (cf. facciu: faci) peut être résorbée: la quantité s'aligne
sur le modèle des autres formes.
*ghjacciu: ghjaci -> ghjaciu: ghjaci (cf. italien giaccio: giaci)
2.3.5.3 Données comparatives
Ce type d'alignement morphologique, attesté un peu partout, est plus fréquent dans la "langue
populaire"; les langues littéraires (italien: TEKAVCIC 1972:935) y résistent davantage.
En corse on observe des oscillations, ainsi qu'une différenciation dialectale. Certaines variétés
semblent plus réfractaires à l'alignement morphologique (cocu/coci Boziu; cf. italien ancien coco,
italien moderne cuocio). La tendance générale est cependant favorable en corse à la réduction des
alternances (consonantiques plutôt que vocaliques: ces dernières résistent mieux; cf. supra). Bien que
le phénomène soit attesté un peu partout (notamment en toscan), la situation corse se rapproche plutôt
de celle des régions du Mezzogiorno où l'alignement morphologique est plus étendu qu'ailleurs
(ROHLFS 1966:537).
Les formes du type cunnosciu, finisciu, capisciu (parfois sujettes à la censure) à côté de cunnoscu
etc. sont courantes dans certaines variétés corses comme en calabrais ou en sicilien.
L'alignement sur les formes non palatalisées (type tu vinchi en florentin populaire) ne semble pas
concerner le corse.
L'affinité entre corse et Mezzogiorno italien (et espagnol ou portugais: type intertyrrhénien) est
plus nette en ce qui concerne la généralisation de l'infixe -isc- (cf. supra) qui est la manifestation de la
même tendance à la simplification et à la régularité paradigmatique.
2.3.6 Interactions analogiques: infixation verbale
2.3.6.1 Le morphonème -g-: évolutions romanes
Certaines pressions se produisent entre paradigmes de verbes différents. Ici aussi les mécanismes
sont les mêmes que dans les autres langues romanes ("quatrième proportionnelle", "dédoublement des
paradigmes à alternances" GENOT 1982:64).
La palatalisation des groupes latins LG, NG devant voyelle palatale engendre des phénomènes qui
vont au delà du changement phonologique. Un morphonème -g- (cf. KURYLOWICZ
1977:83)apparaît dans certains environnements phonétiques et connaît une extension analogique.
Ainsi s'explique la présence d'un -g- non étymologique dans les continuateurs de TENEO en italien ou
en espagnol (TEKAVCIC 1972:924) et son extension au subjonctif. De même en corse: tengu; tenghi.
Outre une distribution propre sur laquelle nous reviendrons ci-après (présence de l'infixe au sg1
pour l'indicatif, à tout le paradigme pour le subjonctif présent, extension à la 1ère conjugaison), le
corse présente cependant des solutions spécifiques au niveau de certains résultats, et surtout dans la
généralisation de -g- comme marqueur verbal.
2.3.6.1.1 Evolutions corses
2.3.6.1.1.1 Pressions interparadigmatiques
Nous schématisons ci-dessous un certain nombre d'évolutions caractéristiques; la forme
analogique, (entre «») est parfois seule employée.
(T|
PLANGO TENEO MINO
piengu/Erreur ! Source du renvoi introuvable. *tenghju/Erreur ! Source du renvoi introuvable.
menu/Erreur ! Source du renvoi introuvable.
===> ===>
pienghji teni meni
POR(RI)GO PAREO SPERO
porgu/Erreur ! Source du renvoi introuvable. *parghju/Erreur ! Source du renvoi introuvable.
speru/Erreur ! Source du renvoi introuvable.
===> ==>
porghji pari speri
|T)
2.3.6.1.1.2 Spécificités phonétiques
Nous n'entrons pas ici dans les détails du phonétisme. Par exemple le résultat -nghj- pour -NJ-
(TENEO) ne représente que l'évolution majoritaire en corse. De même pour -rj- (PAREO) qui donne
en corse soit -rghj- (arghjetu < ARIETE) soit -ghj- (coghju < CORIU): on exclut de toutes façons un
aboutissement aux alternances toscanes du type paio/pari ou muoio/muori.
2.3.6.1.1.3 Allongement de formes monosyllabiques
Bien qu'il puisse s'agir ici aussi de pression analogique, les variantes en -gu de formes
monosyllabiques (utilisées surtout dans le Sud de la Corse) représentent un cas particulier. Les formes
bisyllabiques (dogu, stogu, sogu...) ne sont pas utilisées dans le Nord (dò, stò, sò) et représentent dans
le Sud des variantes (courantes) de formes monosyllabiques (do', sto', so'). Attestées ailleurs (italien
central, septentrional, méridional, sarde) elles sont d'ordinaire expliquées par l'influence de DICO,
DUCO etc. (BLASCO FERRER 1984B:405)
2.3.6.1.1.4 Généralisation de -g- comme marqueur verbal
La présence de l'infixe -g- en corse (ROHLFS 1972:179) et en gallurese/sassarese (BLASCO
FERRER 1984A:184) a été expliqué comme un effet de l'influence toscane. On confond dans cette
interprétation aussi bien le -g- généré par la palatalisation de LG OU NG latins que -cu (-gu) dû à la
pression de DICO etc.
2.3.6.1.1.4.1 type tengu
Dans le premier cas il est criticable de faire apparaître comme une influence localisée et à sens
unique ce qui est un phénomène diffus dans la Romania (italien, espagnol, français: cf. supra). Quoi
qu'il en soit la généralisation de l'infixation corse à tous les verbes quel que soit leur classe (les seules
contraintes sont d'ordre phonotactique) n'a aucune commune mesure avec ce qui se passe en toscan.
2.3.6.1.1.4.2 Type dogu
Les seules formes toscanes citées pour comparaison avec le corse (outre celles du type tengo:
vengo, salgo, pongo, dolgo, morgo) sont dago, vago, vego (ROHLFS 1972:179). Là aussi de tels types
sont attestés un peu partout, notamment en italien du Sud (ROHLFS 1966:535). Bien que l'explication
du type dogu par l'influence toscane (ancienne) soit privilégiée, certains auteurs n'excluent pas (pour le
gallurese/sassarese notamment) un rapprochement possible avec la diffusion de la "désinence vélaire"
du napolitain (BLASCO FERRER 1984A:137 à la suite de COROMINES).
Bien que l'effet paradigmatique ait pu jouer ici aussi, le type tengu et le type dogu ne sont pas à
confondre. Le premier est obligatoire dans toutes les variétés corses (comme dans bien d'autres
langues) alors que le second n'existe que dans certains dialectes comme variante possible des formes
monosyllabiques (dogu/do'). Ici a donc pu jouer également la tendance à donner plus de corps à des
formes brèves comme le suggère l'extension du phénomène à toutes les formes monosyllabiques (de
même à côté de hà dans le Nord on a dans le Sud t'hà "il a", que nous rapprochons du type calabrais
ndavi, formé selon ROHLFS 1966:901 avec ndi <INDE)
dogu, sogu ("je sais/je suis"), stogu, vogu.
On soulignera le fait que ce type de formes qualifiées de "toscanisantes" est inconnu dans les
variétés corses (du Nord) qui sont considérées comme les plus toscanisées.
2.3.6.1.1.4.3 type vegu (vergu)
Bien que l'extension du phénomène mette en cause des facteurs multiples, la pression du type
DICO peut suffire (en corse comme ailleurs) à expliquer les premières apparitions de dogu, vogu etc.
Il ne nous semble pas utile de mettre ici en oeuvre des règles complexes qui impliquent sans la prendre
en compte l'évolution historique (cf. l'interprétation de DALBERA-STEFANAGGI 1983:378: /va + u
+ g + u/ -> bògu,; l'auteur indique qu'il ne cherche pas "à établir une règle diachronique, mais à
décomposer, synchroniquement, une forme". Pour une critique de "l'analyse de la flexion en termes de
segments successifs" et de tels types de "règles" dont l'application peut produire des "monstres", cf.
LEPSCHY 1978:26-7 et 1981:136-7).
Le type vegu/vecu (désinence atone à l'infinitif) pourrait relever de la même interprétation que pour
dogu (influence de DICO; pour les dialectes italien on a établi l'équation fuggio/fuggo ->
veggio/veggo», TEKAVCIC 1972:922). On peut cependant considérer qu'il y a assimilation avec le
type tengu ou morgu. Il faut en effet noter que vecu ne peut alterner avec une forme monosyllabique
(cf. sogu/so') et que dans certaines variétés il passe à crergu: il ne se distingue plus dès lors des autres
verbes dont le radical a une syllabe finale fermée par -g.
crergu (Corscia = credu), vergu (Cuttuli = vegu).
2.3.6.1.1.4.4 Type ghjurgu
L'extension du phénomène aux verbes de la 1ère classe n'est pas toscane (ROHLFS 1966:535 note
que dans ce domaine "il corso va ancor oltre, cfr. misurgu, songu, mengu). De ce point de vue il serait
beaucoup plus justifié de faire référence au Mezzogiorno, par exemple au barese où sont attestées des
formes comme giurghe "je jure" (BARRACANO 1981) et où l'épithèse de -c- ou -g- "se présente à la
première pers de tous les verbes" (STEHL 1988:707; les obstacles phonotactiques sont contournés
grâce à l'épenthèse d'une voyelle centralisée.
L'épenthèse de -g- en corse est donc la règle dans tous les verbes dont le radical se termine par une
consonne compatible avec [g] (*cantgu, par exemple, est impossible)
falgu, mengu, misurgu.
L'insertion de -g- peut se faire tout de même lorsque la variante consonantique faible remplit les
conditions: par exemple avec /d/ intervocalique final de radical dans les variétés où la lénition produit
un son proche de [l] ou [r]
crelgu (crergu = credu, à Corscia)...
Si l'amorce du phénomène a pu être le type tengu (teni:tengu entraînant meni:«i.mengu;»), la
généralisation n'aurait pas eu lieu sans une forte tendance à l'hypercaractérisation verbale. L'opposition
formelle nom/verbe (cf. supra) étant en partie obtenue dans les formes de plus de deux syllabes grâce à
des moyens prosodiques (proparoxyton/paroxyton), elle est relayée dans les bisyllabes par l'insertion
de -g- dans les formes verbales (cf. en italien moderne cuocio au lieu de *cuoco qui a pu être un
moyen de différenciation par rapport à cuoco "cuisinier": "il bisogno di evitare eventuali confusioni
con i sostantivi cuoco, cuoca può essere stato uno dei fattori secondari", TEKAVCIC 1972:935)
sonu "son"/songu "je sonne".
2.3.6.1.2 Conclusion
L'assimilation de l'infixe corse -g- au toscan est donc abusive. Si l'on veut parler de l'amorce
phonologique du phénomène, il faut englober d'autres langues romanes.
Si l'on fait référence à la généralisation de -g- comme marqueur verbal, notamment aux verbes de
la première classe (ghjurà:ghjurgu), seul le rapprochement avec le Mezzogiorno est soutenable.
Il faut ajouter que, contrairement à ce qui se passe en toscan où -g- apparaît à la 1ère et à la
dernière personne de l'indicatif présent, la dernière personne n'est pas concernée en corse (corse:
vengu, veni, venenu; italien vengo, vieni, vengono): de même en italien méridional (calabrais viegnu,
vieninu ROHLFS 1966:537).
Notons aussi, pour le subjonctif présent, la présence de l'infixe dans tout le paradigme, y compris
au pl1 et 2 (cf. corse: venghimu, venghite, toscan: veniamo, veniate). Si l'amorce phonologique
concerne toute la Romania, les implications morphologiques sont diverses. L'extension au paradigme
du subjonctif présent concerne le corse (comme l'italien ou l'espagnol); on verra qu'en corse le
phénomène a des répercussions sur les désinences vocaliques (la variation -a/-i dans les verbes à
infinitif rhizotonique -ch'o venghi/ch'o venga- entraîne la même variation dans la première classe -ch'o
menghi/ch'o menga).
En tout état de cause, l'assimilation totale des types dogu, tengu, et ghjurgu n'est pas éclairante et
ne favorise pas une interprétation correcte du phénomène. La pression du type dogu (do/dogu) semble
plus significative dans le Mezzogiorno, où c'est l'épithèse de -gu qui se généralise comme le montrent
les exemples du type passeghe (= passu + gu, avec centralisation des voyelles atones) absent en corse.
En corse c'est la relation avec le type vengu qui semble déterminante (d'autant que le type dogu n'est
pas pancorse).
C'est pourquoi, bien que la référence aux développements méridionaux soit ici plus pertinente que
la référence au toscan, le phénomène corse a sa spécificité (cf. CHIORBOLI 1989A): on parlera
d'épithèse de -gu pour le Mezzogiorno, d'épenthèse de -g- pour le corse, ou plus exactement
d'infixation verbale à rapprocher de celle qui concerne -eghj- (-ighj-: sumengu/sumineghju; cf. infra).
D'une façon générale, les phénomènes de contact linguistique doivent être évalués globalement en
fonction de leurs effets sur le système d'accueil, au terme de leur processus d'évolution. Ainsi la
présence de l'infixe -/g/- dans la morphologie verbale, trait considéré en gallurais comme un emprunt
au toscan (BLASCO FERRER 1984A:184), n'en constitue pas moins un trait original dans le système
corse. Quelle qu'ait été diachroniquement l'amorce du phénomène -nous ne pouvons ici entrer dans les
détails- la généralisation de l'infixe à tous les verbes du 1er groupe (tufongu, ghjurgu etc.; les seules
contraintes sont d'ordre phonotactique) n'est attestée nulle part dans les mêmes conditions qu'en corse.
Le parallélisme avec le toscan (ancien) peut être justifié seulement pour les formes du type dogu ou
stogu (remarquons encore une fois que ces formes jugées "toscanisantes" ne se sont vraiment imposées
que dans le Sud de la Corse); encore l'auteur cité (BLASCO FERRER 1984A:137) n'exclut-il pas un
rapprochement possible avec les désinences vélaires du napolitain et du catalan.
2.3.6.2 L'infixe -eghj- (-ighj-)
2.3.6.2.1 Généralités
L'emploi et la généralisation de l'infixe -eghj-/-ighj- (<-IDIO) dans les verbes du 1er groupe est une
particularité importante du corse. Comme dans d'autres langues (mais l'italien officiel et le toscan
ignorent ce phénomène) l'infixe issu de -IDIO permet d'éviter la diversité du schéma accentuel et
d'obtenir une accentuation uniforme sur la désinence. Les formes verbales corses régulièrement
concernées sont l'indicatif présent (sg1,2,3 et pl3), le subjonctif présent (tout le paradigme) et
l'imperatif (sg2).
L'utilisation du suffixe d'origine grecque -IDIO en roumain et dans les dialectes italiens du Sud-Est
a conduit à la notion de "romanité interadriatique" (LAUSBERG 1976:801). L'emploi de notre suffixe
constitue une concordance remarquable entre des régions assez éloignées les unes des autres: zone
"interadriatique" d'une part, Corse et Sardaigne (sassarese-gallurese) d'autre part. A ce sujet nous
avons évoqué (CHIORBOLI 1989A) les mouvements de colonisation qui, de l'Italie méridionale
orientale se sont irradiés aussi bien vers les Balkans (cf. TEKAVCIC 1972:17, à propos des travaux de
LAUSBERG) que vers la Méditerranée.
La présence et l'importance du phénomène en corse est passée inaperçue. Quelques auteurs
pourtant y font de brèves allusions. Signalant "quelques traces de développement" de "-idyare" dans
certaines variétés,BOURCIEZ 1910:218) avait noté qu'"il en reparaît même en Corse" où il relève
"-eyya" à la 3ème personne du singulier. De son côté MELILLO 1977 remarque en corse
l'"ampliamento del tema nella I coniugazione" et cite des exemples tirés de L'ALEIC. ROHLFS 1966
dans sa grammaire historique ne relève pas l'emploi de l'infixe en corse et CHIODI 1981:95 fait état de
son silence dans sa monographie sur Siscu. Enfin BLASCO FERRER 1984B:406 note que l'utilisation
de -IDIO constitue "un trait spécifique de la morphologie verbale qui unit intimement le gallurais et le
sassarais aux dialectes corses et italiens" (sans mettre en relief la divergence avec le toscan:
CHIORBOLI 1988:34).
TEKAVCIC 1972:903, 1063, 1628 a traité ce problème de manière approfondie, mettant en lumière
les divers aspects qui le concernent: le corse n'est cependant pas évoqué.
2.3.6.2.2 La situation en corse
Il faut distinguer deux emplois différents de -IDIO.
Toutes les langues romanes continuent (sous diverses formes) -IDIARE dans le domaine de la
dérivation. En revanche seules quelques unes comme le roumain l'utilisent comme morphème
grammatical. Ce que LAUSBERG 1976;:801) dit du roumain correspond parfaitement à la situation en
corse: "Tale ampliamento radicale, che non viene impiegato in verbi non recenti (CANTARE,
PORTARE, JURARE), viene usato principalmente nel caso di verbi derivati da un nome, oppure intesi
come tali (per lo più con sfumatura frequentativa) (ciò concorda con la funzione semantica del suffisso
-IDIARE nelle altre lingue romanze: it. guerreggiare, fr. guerroyer, sp. guerrear); così pure nel caso
dei verbi il cui accento radicale verrebbe a cadere sulla terz'ultima sillaba. Nel romeno, tutti i
neologismi aderiscono a questo schema".
2.3.6.2.2.1 Dérivation
-IDIARE (suffixe latin emprunté au grec) sert dans toutes les langues romanes à former des verbes
à partir de noms ou d'adjectifs. On peut distinguer deux évolutions: populaire (italien -eggiare, corse
-ighjà, français -oyer; etc.) et savante (italien -izzare, corse -izà, français -iser, etc.
On note cependant que même dans ce domaine l'usage corse se caractérise par la valeur
fréquentative des dérivés, et par un emploi bien plus étendu qu'en italien par exemple (cf. infra,
"cumul"). De ce point de vue il faut une fois de plus noter l'affinité avec le Mezzogiorno (ROHLFS
1966:1160): corse caccighjà; calabrais cacciari "chasser" ("aller à la chasse"; cf. corse caccià "ôter").
2.3.6.2.2.2 Infixation verbale
|T)
(T|
subjonctif présent
(ch'eu) venghi (ch'eu) menghi
==>
(ch'eu) venga (ch'eu) Erreur ! Source du renvoi introuvable.
|T)
2.3.7.4.5 Extension de l'infixation verbale.
2.3.7.4.5.1 -fonction primaire: nivellement de l'accent (étymon proparoxytonique, infixation prosodique)
ghjudicheghju; ghjudichemu.
2.3.7.4.5.2 -fonction secondaire: hypercaractérisation
(étymon non proparoxytonique: infixation non prosodique)
2.3.7.4.5.2.1 distinction nom/verbe,
zappittèghja (*zappetta)
zìtteghja (*zitta)
2.3.7.4.5.2.2 néologismes
lucalizeghja
2.3.7.4.5.2.3 généralisation sans conditions
spassighj-eghj-u (spassighj-Ø -emu)
2.3.7.4.5.3 -hésitation et cumul d'infixes (-Ø -; -g-; -eghj-)
2.3.7.4.5.3.1 étymon paroxytonique
elàburu /elabòru /elabòrgu /elabureghju
(cf. accentuation non étymomogique -elàboro- en italien)
2.3.7.4.5.3.2 étymon proparoxytonique
sumènu /sumengu /sumineghju
accullucheghju (solution de l'hésitation: *còllucu; *cullòcu
(cf. accentuation étymologique -còlloco- en italien.)
2.4 Principales formes flexionnelles
2.4.1 Infinitif
2.4.1.1 infinitif réduit (apocopé)
On sait que l'infinitif corse est caractérisé par la chute de la syllabe finale latine -RE. Attestés dans
certains dialectes italiens du Centre et du Nord (Nord-Ouest, toscan du Sud, florentin populaire...), les
infinitifs apocopés sont caractéristiques du Mezzogiorno (à l'exception de l'extrême Sud; ROHLFS
1966:321,612).
2.4.1.2 Variation de la finale atone: -e/-a/-i
On observe une variation -exclusivement géographique- à la finale des infinitifs rhizotoniques
corses
risponde (Nord)/risponda (Sud).
C'est surtout la finale -a (variétés du Sud) qui a retenu l'attention des romanistes. Si la variation
phonologique suffit à expliquer l'absence de -e, son remplacement par -a (et non par -i: cf. indicatif
présent sg3 ellu risponde/iddu rispondi) requiert un autre type d'explication.
Certains auteurs expliquent la finale -a par la nécessité de distinction morphologique (MELILLO
1977:111). Une évolution phonétique régulière aurait donné dans le Sud une finale -i pour l'infinitif
(rispondi) comme pour l'indicatif présent (sg2,3)
(ùn vol micca) rispondi
(tù/eddu) rispondi
Rappelons encore que l'infinitif en -i (rispondi) est observable dans certaines variétés: le risque de
collision, considéré comme déterminant dans l'évolution majoritaire (dans le Sud), n'a pas produit ici
le passage systématique à la finale -a pour l'infinitif.
Il faut noter aussi que la finale -a ne résout pas tous les risques de confusion possible (-a représente
aussi la désinence de l'indicatif présent sg3 de la 1ère conjugaison); d'autre part la finale -e dans les
variétés du Nord est loin d'être univoque: elle est susceptible de collisions avec l'indicatif présent sg3
(2ème, ou même première conjugaison: Balagne par exemple) ou encore le subjonctif présent sg2
(Cervioni par ex.)
(ùn vole micca) risponde
(ellu) risponde/cante
(ci vole chì tù) risponde
Un autre type d'explication -phonologique- a été donnée pour d'autres variétés où l'infinitif en -a est
attesté (Italie du Centre et du Nord; ROHLFS 1966:613,174): il s'agit du passage de -e- à -a- dans les
proparoxytoniques. La variation vènde(re)/vènda(re) serait alors parallèle à celle que l'on observe dans
les noms du type léttere/léttare. Cette explication semble plus convaincante, bien qu'il faille, ici
comme ailleurs, exclure la cause unique. Les motivations morphologiques semblent apparaître dans le
fait que la variation est tolérée lorsqu'elle n'a aucune incidence au plan distinctif (léttere/léttare
peuvent être en variation libre) alors qu'une spécialisation a lieu quand les oppositions
morphématiques sont en cause (la séléction entre vende et venda est requise).
Le fait que le passage de l'infinitif à -a -vende(re)>venda(re)- se soit imposé seulement dans le Sud
alors que la tendance à l'ouverture des voyelles intertoniques est pancorse (cf. supra) pourrait être une
autre confirmation de l'interaction entre facteurs phonologiques et morphologiques. L'introduction de
la voyelle stable /a/ dans la syllabe postonique des proparoxytons, particulièrement exposée à
l'affaiblissement ou à la syncope (CHIORBOLI 1985:91), s'impose d'autant plus dans les variétés où
les voyelles atones (surtout finales) connaissent un affaiblissement important, et tendent vers une
voyelle "indistincte" (moyenne prévélaire). On songe ici à la situation caractéristique de l'extrême Sud
italien (ROHLFS 1966:144).
L'interférence des mécanismes de nature phonologique dans le domaine de la flexion verbale est un
fait banal si l'on considère les divers phénomènes réunis sous le nom d' "harmonisation vocalique".
Comme les variations du type léttara/léttera (traditionnellement mises en relation avec les influences
extérieures, toscanes bien entendu), les oscillations corses du type cantanu/cantenu; metti ti/mette ti,
etc. (cf. supra: expansions locales) trouvent une interprétation satisfaisante dans le cadre phonologique
et prosodique. S'il faut absolument introduire des éléments de comparaison avec d'autres variétés, les
affinités semblent plus évidentes dans le domaine Sud-italien, depuis le romanesco (fégheto,
chiameno, arricordete: ROHLFS 1966:139) jusqu'au salentino (gràtteti, ibidem) et au sicilien.
(arripòsiti; cf. supra et CHIORBOLI 1989B).
2.4.1.3 infinitif et substantifs déverbaux
2.4.1.3.1 Opposition formelle entre infinitif et nom
L'infinitif apocopé oppose le corse aux langues romanes standard. Seul le roumain connaît une
forme d'infinitif abrégé (a cîntà) qui s'oppose à une forme complète employée comme substantif
(cîntàre; LAUSBERG 1976:787).
Le corse connaît une distinction analogue pour un nombre limité de formes (issues du même
étymon) où l'on a une distinction formelle entre forme verbale infinitive apocopée et substantif "long"
en -re (-ri). Ainsi essare, putere, duvere... ne peuvent être que des substantifs, les formes verbales
correspondantes (esse, pudè, duvè) présentant obligatoirement l'apocope.
2.4.1.3.2 Différents degrés de substantivation
Dans les langues romanes l'infinitif est susceptible de remplir toutes les fonctions du nom
(conformément à son origine: l'infintif est un ancien substantif que le latin a fait entrer dans le système
de la conjugaison; VÄÄNÄNEN 1981:138). On peut donc avoir, à partir d'un infinitif verbal, un
infinitif "substantivé" (ou déterminé) et un substantif stable, selon le schéma suivant:
1 -> 2 -> 3
inf verbal -> inf déterminé -> substantif stable
Dans la phase 2 l'infinitif peut être déterminé à l'aide d'un article (au sg), la phase 3 est atteinte
lorsque le pluriel peut être employé
1: falà, ci vol'à falà
2: u parte di unu di noi hè sempre un casticu (CANAVA Petit bastiais 22/4/87)
3: tutti i puteri
Les différentes phases peuvent aussi être signalées par des caractéristiques phonétiques (cf. la
présence de -d- dans le substantif italien podere, et la "phase extrême" où seul le substantif est vivant:
français loisir, issu de LICERE; TEKAVCIC 1972:1161).
En corse l'infinitif verbal est obligatoirement apocopé, de même que l'infinitif déterminé; la forme
longue, dans les cas rares où elle existe, ne peut être employée qu'en fonction de substantif stable: la
présence de -re (-ri) est un signal analogue à celle de -d- dans podere en italien. En corse on a
1: ci vol' à sapè sceglie i so cumpagni (/*...sapere...)
2: u sapè sceglie i so cumpagni (/*...sapere)
3: tutti i sapè/ tutti i saperi
La discrimination entre substantif stable et déterminé est, elle, souvent plus délicate à opérer en
l'absence de signal formel comme la présence de -re (-ri); dans l'exemple ci-dessous l'identification
d'un emploi substantival semble procéder du fait que vulè peut commuter avec un pluriel (tutti i vulè?),
ou avec d'autres formes dérivées pourvues de marques plus clairement nominales (voglia, vuluntà)
ci vol'à falàne
On remarquera que le n- se soustrait ici au renforcement syntaxique habituel, qui affecte les autres
catégories lexicales, les pronoms par exemple
ci vol' à falà ne (falanne) una.
Des phénomènes analogues ont été relevés ailleurs (italien ancien, toscan méridional,
Mezzogiorno) sans qu'une explication définitive ait été trouvée. Pour le sarde ou l'italien méridional où
la paragoge est fréquente (l'explication pourrait aussi bien valoir pour le corse) la coexistence des deux
formes de la négation (par ex. italien méridional none /no) a pu déterminer la généralisation de la
double forme (avec ou sans paragoge) pour les autres catégories (LAUSBERG 1976:532).
On a évoqué une "aversion pour l'oxytonie" (TEKAVCIC 1972:779) c'est-à-dire pour la voyelle
finale accentuée. Il faut cependant noter également la vigueur de la tendance (contraire) à l'apocope
qui a comme résultat un accroissement important de la fréquence des oxytons, qu'il s'agisse de noms
(outre le vocatif tronqué, le phénomène est important notamment en bastiais ou en ajaccien:
CHIORBOLI 1985) ou de formes verbales, notamment à l'impératif
mì! mirà (mirè) "regarde", "regardez" (cf. mira, mirate/mireti, formes longues de l'ancien verbe mirà)
tè! tenì (tinè!) "tiens", "tenez" (cf. teni, tenite/tinete...)
Quoi qu'il en soit, la coexistence des deux phénomènes opposés -quant au résultat- de la paragoge
et de l'apocope n'a pas de quoi surprendre. L'occurrence dans le discours d'un oxyton ou de sa variante
paroxytonique en -ne (-ni) dépend essentiellement de facteurs prosodiques, la structure intonative étant
bien sûr étroitement liée à la structure logique, à la mise en relief expressive de tel ou tel élément du
message. La paragoge est surtout fréquente en fin de phrase: et en effet c'est la partie finale de l'énoncé
qui supporte le maximum d'information linguistique. L'adjonction d'une syllabe atone, paragogique,
après le dernier accent fort a pour effet d'allonger la tonie (partie finale de l'énoncé) et de permettre ou
de favoriser les variations significatives par rapport au schéma intonatif neutre (non marqué).
L'absence de syllabe postonique impliquerait la concentration de la courbe intonative sur la seule
syllabe tonique finale (du point de l'analyse tonétique, la tonie "idéale" est celle qui comporte deux
syllabes postoniques: CANEPARI 1983:219). Un tel phénomène est à rapprocher de la reprise, en fin
de phrase et après un accent emphatique, du début de l'énoncé. En outre ce trait caractérise
notoirement le français régional de corse
elles me vont pas, elles me vont...
2.4.1.5 Infinitif personnel
Il est possible d'observer dans certains contextes des infinitifs corses pourvus de désinences
réservées aux formes fléchies
dev'essenu ghjunti "ils doivent être arrivés".
On songe à l'"infinitivo pessoal" caractéristique du portugais. On a aussi relevé dans le napolitain
du XVème siècle des infinitifs conjugués qui ont l'avantage de pouvoir être employés même lorsque le
sujet du verbe conjugué et celui de l'infinitif sont différents (la désinence -no appliquée à l'infinitif
permet de renvoyer à un sujet pl3; ROHLFS 1966:709)
tenemo ...essereno stati non homicidi li occidituri "nous estimons que les tueurs ne sont pas des
assassins"
A la suite d'autres auteurs, TEKAVCIC 1972:1163 exclut pour de tels exemples la survivance du
subjonctif imparfait latin.
De même dans l'usage corse pensons-nous qu'il s'agit d'une sorte d'attraction ("insertion arbitraire
de désinences" ROHLFS 1966:709). Comme dans le cas du participe passé datif (cf. infra) on pourrait
ici aussi parler de morphème discontinu: la désinence -nu est renvoyée à la fin de séquence MODAL +
INF, employée de manière absolue, comme une forme synthétique
avà devenu esse ghjunti -> avà dev'essenu ghjunti
Il faut également souligner la faible fréquence de deve dans son emploi modal, le corse ayant plutôt
recours à d'autres constructions (saranu ghjunti; quant'à mè...; soca...), la séquence pouvant même
être scindée à l'aide d'une préposition (devenu da esse ghjunti).
L'usage corse peut être rapproché de certains emplois sardes (pò nò èsserent ìasa "pour ne pas être
vues" avec un sujet pl3) ou du Mezzogiorno (deberet maneret, Codice diplomatico barese, cf. le
passage cité de ROHLFS 1966).
2.4.2 Gérondif
2.4.2.1 Morphologie
2.4.2.1.1 Exclusion de -ANDO
Le corse est caractérisé par l'exclusion de -ANDO qui ailleurs (dans presque toute la Romania)
constitue la forme de base pour la classe 1
cantà: cantendu (cf. italien cantare: cantando).
Nous avons ici une importante concordance avec le sarde et le Mezzogiorno. L'exclusion de -andu
est pancorse. Même à l'écrit la désinence -endu est la plus fréquente, avec les répercussions habituelles
dans les radicaux verbaux terminés par c ou g (ficcà: ficchendu). On note cependant quelques
fluctuations à l'écrit, surtout dans l'usage savant. Il s'agit parfois de l'influence du toscan, ou de la
pression normative qui vise à instaurer des "régularités" malgré un usage déjà solidement implanté
"da spassighj-a(re) scrivimu spassighjandu è micca spassighjendu, benchì a forma in -endu sia
generalmente imposta ancu ind'u a scrittura in cunfurmità cun l'usu parlatu maggioritariu"
(MARCHETTI 1984:42).
Nous donnons ci-dessous quelques formes tirées notamment de la presse écrite. On y observera le
gérondif de fà (fendu; cf. la forme figée de gérondif dans l'expression strada facendu :"chemin
faisant").
brighendu; sgubbendu (COTI Raconti:97)
spiichendu(ROTILY in U Ribombu 25/3/88)
fendu (DE ZERBI, in Cuntrasti2:106)
oparendu; spurtendu (ETTORI in U Ribombu mai/juin/juillet 1985:8)
priparendu (MAMBRINI in Corse-Matin 7/8/90)
guardendu (CASANOVA S. )
pisendu (TACLET SIMONPAOLI in Corse-Matin 2/11/88)
2.4.2.1.2 Généralisation de -endu
La plupart des parlers corses fond les trois désinences latines (-ANDO; -ENDO; -IENDO) en une
seule (-endu)
catendu=cridendu=durmendu.
;Certains parlers du Sud (Sartè) présentent une opposition entre -endu et -indu (cf.infra).
2.4.2.1.3 Intégration de l'infixe
On observe au gérondif l'intégration de -ISC- qui constitue une caractéristique majeure du corse
(cf. supra, infinitif: finiscia, etc.)
pruibiscendulu (gérondif, COTI in U Ribombu 175/1986)
2.4.2.1.4 Le type finindu (sartenais)
Dans certains parlers du Sud (sartenais: PAGANELLI 1975:69) qui opposent -endu et -indu on
retrouve la tendance à la bipartition des classes verbales dont nous avons observé qu'elle est très forte
en corse. Ces parlers présentent également la particularité de ne pas intégrer -isc-
cantendu /vindindu = finindu;
De tels déplacements de la voyelle thématique semblent correspondre à des tendances présentes
dans la majorité des parlers au présent par ex.:
(T|
DESINENCE LATINE: -ARE -ERE -IRE
(inf.)
INDICATIF Pt pl1: -Emu -Imu
GERONDIF: -Endu -Indu
|T)
Cependant on peut penser à une motivation essentiellement phonologique, au moins à l'origine. La
désinence -indu est attestée en calabrais dans des parlers où le i de -indu est considéré comme venant
régulièrement d'un E bref latin (ROHLFS 1966:618).
La désinence -indo est également attestée dans le domaine sarde où cependant -endu s'est imposé à
peu près partout (-indo <-IENDO y est considéré comme analogique à partir de -IRE: BLASCO
FERRER 1984A:107).
2.4.2.2 Emploi du gérondif
2.4.2.2.1 Polyvalence du gérondif
Avec la disparition presque totale du participe présent comme forme verbale, et sa fusion avec le
gérondif, plus ou moins complète selon les langues, la Romania procède dans le domaine des formes
non finies à des réaménagements souvent déjà amorcés en latin.
Une seule et même forme verbale prend en charge la plupart des fonctions autrefois partagées par
le participe présent et le gérondif.
Du point de vue morphologique, l'une ou l'autre peuvent s'imposer: celle du gérondif
(<-ANDO/-ENDO) comme en sarde, ou celle du participe (-ANTE/-ENTE) comme en français.
Le corse partage avec le sarde beaucoup de ses traits caractéristiques dans ce domaine
-réduction formelle des désinences (-ANDO/-ENDO> -endu; certains parlers en Corse
comme en Sardaigne conservent -INDO (<-IENDO et pression analogique de -IRE): sartenais finindu
(PAGANELLI 1975:69), logudorese buddinde (BLASCO FERRER 1984A: 107); les variantes sardes
en -e ne sont pas attestées en corse (logudorese bulende; corse bulendu "volant");
-l'emploi du gérondif en fonction de participe dans des constructions attestées en latin
ou en italien ancien mais exclues en italien standard (l'aghju vistu passendu per Barchetta "je l'ai vu
passant...= qui passait"; AGOSTINI 1984:131; pour le sarde cf. BLASCO FERRER 1984A:225);
l'emploi italien -savant- du participe présent (type "la legge obbligante i giovani a portare le armi",
ROHLFS 1966:723) est inconnu en corse (...ublighendu/chì ubligheghja...).
Certaines langues ont poussé très loin la fusion formelle et fonctionnelle évoquée: français (accord
en genre: "une femme charmante": LAUSBERG 1976:814), sarde (adjectif verbal en -ende: su sole
buddende; mais -ENTE se poursuit dans quelques unités: ojos lughentes, BLASCO FERRER
1984A:225). L'adjectif verbal corse continue -ANTE et surtout ENTE (cf. supra: impurtente/-ante, -i)
bien que certaines attestations (isolées? u cori battendu S. AUDDE' "A valisgia", in Arritti:809)
semblent témoigner d'une (con)fusion analogue à celle du sarde ( et aussi du Mezzogiorno: ROHLFS
1966:718).
Le contact avec le français a sans doute contribué à augmenter la fréquence de certaines
constructions dans l'usage quotidien (cf. in + gérondif). On peut également observer, au plan
glottopolitique, l'effet inverse dans la mesure où on assiste à une régression sensible des constructions
suspectes stigmatisées par les grammairiens et les puristes, ce qui se traduit parfois par des
comportements marqués au sceau de l'insécurité linguistique. On peut par exemple voir le gérondif
systématiquement évité, d'autant que les prescriptions grammaticales sont parfois contradictoires (cf.
-andu/-endu pour la classe 1) et que les recommandations du type "ne dites pas ...mais dites" sont
parfois interprétées à tort ou à raison comme des consignes d'abstention. Ainsi la formulation de la
règle qui recommande d'employer non pas "in falendu" mais "di falata" ("s'adopra (sbagliu) in falendu
invece di di falata", GERONIMI 1983:98) vise sans doute uniquement à exclure l'emploi de in avec le
gérondif. Mais elle peut laisser un doute quant à la structure correcte ou même à l'existence du
gérondif en corse (faut-il en corse remplacer systématiquement tous les gérondifs par des locutions
prépositionnelles? Comment traduire "en dormant" par une locution prépositionnelle?).
Nous examinerons dans les paragraphes suivants les emplois corses du gérondif.
2.4.2.2.2 Simultanéité
Il s'agit de la principale fonction du gérondif dans les langues romanes: déjà en latin l'ablatif du
gérondif tendait à remplacer le participe de simultanéité (CANTANDO AMBULAT = CANTANS
AMBULAT; TEKAVCIC 1972:910, 911). A partir de cette valeur de base se développent d'autres
fonctions (TEKAVCIC 1972:1166) telles la manière, l'instrument (ou moyen), certains emplois
pouvant cumuler des valeurs proches (l'emploi de in est fréquent mais unanimement condamné par les
grammairiens corses; cf. ci-dessous)
E s'e' m'addurmentu nannend'à tutti l'ori (DELLA FOATA in CECCALDI 1973:35)
si pò cunclude in fendu duie rimarche (Arritti 18-3-72).
2.4.2.2.3 Gérondif en fonction de participe
En corse les formes du gérondif peuvent être employées à la place du participe présent disparu
comme forme verbale, notamment dans des énoncés où il équivaut à une relative (l'aghju trovu
ghjuchendu = chì ghjucava). De tels emplois, réguliers en corse comme en sarde ou dans le
Mezzogiorno, sont attestés en latin tardif et en italien ancien, exclus en italien moderne et analogues à
ceux du français (où c'est cependant la forme du participe présent qui s'impose après sa fusion avec le
gérondif). On trouvera ci-dessous quelques exemples corses.
(1) dui dunnuchjarinucciuli...sempri brighendu qualchì travagliu (COTI Raconti:97)
(2) a vita si passava sgubbendu (COTI Raconti:97)
(3) stancu sonu li me occhi, sempre guardendu la via (CASANOVA S. in U Ribombu 12/8/88)
(4) si ni stà pusendu COTI Raconti:92
(5) vi mandu stu cumunicatu cuncernendu l'acquistu di u statutu speciali (U Ribombu 18/1/1985)
(6) grossi sucetà di fora, oparendu ...è spurtendu i so binifizii ETTORI in U Ribombu mai/juin/juillet
85;:8
(7) inchieste purtendu nantu à l'allevi (THIERS notice DEA:14)
(8) l'aghju vistu passendu per Barchetta "Je l'ai vu passant...(qui passait)" (AGOSTINI 1984:131).
(9) si pensi à Filice Quilici, fendu stampà e parolle di a tribbiera (DE ZERBI, in cuntrasti 2:106)
(10) si vo purghjiti l'arichja...sintareti l'ansciu di a vechja...aspittendu l'ora (ETTORI in COTI
Raconti:XIV).
L'usage montre que le corse peut remplacer le gérondif par l'infinitif, ou par une proposition
relative: ce que l'italien doit faire impérativement. En effet la construction gérondive n'est possible
dans cette langue que s'il y a coréférence entre le verbe principal et le gérondif.
En corse au contraire le sujet du verbe au gérondif est souvent lui-même le complément d'objet de
la principale (comme en sarde: BLASCO FERRER 1984A:225): cf. (5) et (8), (9), (10). L'application
aux exemples (9) et (10) de l'actuelle norme italienne (ou la règle parfois préconisée pour le corse:
MARCHETTI 1989:248; cf. ci-dessous) produirait une interprétation erronée ("Que l'on pense ...EN
FAISANT..."; "vous entendrez la vieille EN ATTENDANT...").
L'emploi du gérondif confère souvent au verbe un aspect duratif (exemples (1) à (4)) mais ce n'est
pas toujours le cas (cf. (5), (6), (7), (9). L'emploi de l'infinitif est possible (l'aghju vistu
passendu/l'aghju vistu passà); comme en sarde il n'y aurait pas alors de modalité progressive mais
seulement une "perspective globale ou d'ensemble" (BLASCO FERRER 1984A:225).
Certains emplois corses du gérondif (cf. (5), (6), (7)) sont parallèles à ceux du français ou de
l'italien qui se servent du participe (cf. italien "questo comunicato concernente...", cet usage italien est
"puramente letterario, non appartiene alla lingua viva parlata", ROHLFS 1966:723). On peut évoquer
ici le participe futur passif dont il ne reste que des vestiges dans la flexion nominale (italien bevanda,
corse bienda) malgré la présence de constructions latinisantes (italien "l'inaugurando ponte: ROHLFS
1966:718).
La dernière étape dans la fusion a été atteinte en sarde où le gérondif est employé comme adjectif;
le corse se contente d'ordinaire d'employer des participes lexicalisés tendant vers une désinence unique
(-ente, -i), parallèle à celle du gérondif(-endu). Les attestations du type u cori battendu (cf. ci-dessus)
pourraient témoigner de l'amorce d'un processus achevé en sarde; cependant l'absence d'éléments
quantitatifs suffisants ne nous permet pas de l'affirmer.
2.4.2.2.4 La construction esse + Gérondif
En ce qui concerne l'expression de la progressivité d'une action, le corse s'oppose à l'italien quant à
l'auxiliaire employé (SUM/STO).
Ancu trè ghjorni avanti mi tinivi un discorsu/
Che t'eri priparendu per mette in puesia (R.MAMBRINI Corse-Matin 7/8/90)
hè sempri lagnendusi (COTI, A signora)
stu merrulu è zifulendu (NATALI 1961 95:76
Cette construction est aujourd'hui concurrencée par le présent (ou l'imparfait), ou bien par une autre
périphrase esse in traccia di (cf. français "en train de", qui explique le gallicisme in tren di)
hè (/era) sempre in traccia di lagnà si
si lagna (/lagnava) sempre
On peut observer également l'emploi de esse + à + infinitif
o vo chì seti à scriva (O. JEHASSE; poésie inédite "Da i 3 GHJ").iii
La périphrase verbale formée de ESSE suivi d'un participe présent, employée pour rendre la
modalité d'action progressive, a des racines en latin archaïque et témoigne d'une influence grecque.
Elle est déjà attestée avec cette valeur chez Vitruve et s'affirme au IVème siécle chez le sarde Lucifer
de Caralis (SIS GERENS "tu es en train de faire") comme chez d'autres écrivains chrétiens et africains.
La périphrase se continue en sarde moderne après la fusion du participe présent et du gérondif (è
sempri prangendu) et constitue un trait typologique important en raison de sa fréquence (elle supplante
les temps simples) et de sa structure (elle utilise ESSE là où les langues romanes se servent de
STARE; BLASCO FERRER 1984A:51; cf. aussi 33, 106, 225, 251).
La concordance entre corse et sarde (et l'opposition à l'italien) est nette en ce qui concerne
l'exclusion de STARE, elle n'est pas totale dans la mesure où la périphrase ne supplante pas, en tant
que forme non marquée, les temps simples. Certaines attestations corses montrent cependant une
tendance à neutraliser l'opposition entre temps simple et périphrase; ainsi le traité grammatical déjà
cité (NATALI 1961 95:76) où l'on s'interroge sur l'équivalence entre temps simple et périphrase avec
esse + gérondif ou participe présent
stu merrulu zifula = stu merrulu è zifulendu (o zifulanti).
L'exclusion de STARE en corse au profit notamment de ESSE est aussi observable dans d'autres
emplois (cf. futur proche: le corse ne peut reproduire l'italien stare per + infinitif; cf. cependant
ci-dessous l'avis contraire de certains grammairiens: YVIA-CROCE 1972:139).iv
2.4.2.2.5 Gérondif prépositionnel (in + gérondif)
Dans la construction du "gérondif prépositionnel", la préposition IN (qui a d'ordinaire un sens
local) finit par exprimer la manière ou la simultanéité. C'est le cas déjà en latin (PLAUTE: IN
COGITANDO, VÄÄNÄNEN 1981:141), en italien ancien (DANTE: in andando, in camminando, in
soggiornando; PETRARQUE: in aspettando) et dans les dialectes modernes (y compris en toscan: in
mangiando, ROHLFS 1966:721), en provençal, en espagnol, en portugais (espagnol en viajando,
LAUSBERG 1976:820). Pour le corse on a des attestations pour des époques où l'influence française
était encore limitée (c'est après la dernière guerre que "le poids du français se fait de plus en plus
sentir" MARCHETTI 1989:248), notamment au XIXème siècle: l'ex. corse in turnendu (PAPANTI
1875:580) est cité par la plupart des études de linguistique romane. Nous fournissons ci-dessous
quelques exemples pour l'époque actuelle.
si po cunclude in fendu duie rimarche (Arritti 18/3/72)
simu surtiti in currendu (RCFM Madama Mozziconacci 25/1/87)
in pisendu l'occhji, quassù sopra Bastia/
si vede u campanile di Santa Lucia (TACLET SIMONPAOLI, Corse-Matin 2/11/88)
in organizendu (A.FRANCHI, FR3 18/6/88)
D'autres constructions sont employées avec la même fonction dans divers parlers italien et romans
(AD + gérondif, IN +infinitif, CUM + infinitif ou gérondif; cf. ROHLFS 1966:721). Pour la
construction avec per + gérondif, nous n'avons pas d'attestation autre que celle donnée par
FALCUCCI 1972 (per essendu zitella) et reprise dans divers manuels de linguistique romane (c'est
souvent le seul ex. roman donné pour cette construction, cf. LAUSBERG 1976:821, ou ROHLFS
1966:1 qui cite en outre une attestation pour le parler ancien de l'Aquila).
2.4.2.3 Prescriptions grammaticales
2.4.2.3.1 Gérondif participial et gérondif prépositionnel
Nous avons déjà évoqué la condamnation unanime par les grammairiens corses de la construction
in + gérondif.
Quant au type l'aghju vistu ghjuchendu (=chì ghjucava), qui viole manifestement la norme de
l'italien littéraire (moderne), il ne fait pas d'ordinaire l'objet d'une répression normative explicite en
corse.
Les grammaires en offrent des exemples, et lui accordent le droit de cité en recommandant de se
servir de l'ordre des mots pour désambiguïser certains énoncés où la forme en -endu peut être
interprétée commme gérondif (simultanéité, manière) aussi bien que comme participe présent (se
référant à un nom complément d'objet). Ainsi AGOSTINI 1984:131 indique que, pour éviter certaines
confusions,"la proposition participe se place toujours avant la proposition qu'elle complète"; l'auteur
donne deux exemples entre autres
Passendu per Barchetta l'aghju vistu "en passant par ...= alors que je passais..."
L'aghju vistu passendu per Barchetta "je l'ai vu passant ...= qui passait).
De telles recommandations impliquent que l'on n'admet pas l'emploi de in devant le gérondif,
emploi qui permettrait pourtant d'éviter toute confusion. Le problème ne se pose pas pour l'italien
moderne qui n'admet ni in devant le gérondif, ni l'emploi du gérondif en fonction d'adjectif. Il s'est
posé en latin tardif et en italien ancien où on lie l'emploi de la préposition et du gérondif en fonction
d'adjectif: des emplois tels que trovarono i giovani giocando (= che giocavano) expliqueraient "le
maintien de formes avec prépositions, destinées à distinguer le sujet du gérondif (surtout in mais aussi
con)
trova il giovane giocando (il giovane gioca)
trova il giovane in giocando (gioca e trova)" (GENOT 1982:212f).
La norme du corse coïnciderait exactement sur ce point avec celle de l'italien littéraire moderne
(selon MARCHETTI 1989:248) qui, de même que toutes les grammaires corses, n'admet pas l'emploi
de in suivi du gérondif, mais n'admet pas non plus, semble-t-il, l'emploi du gérondif en fonction
d'adjectif. L'auteur cite, parmi d'autres "gallicismes" de l'écrivain corse Peppu FLORI, l'énoncé "u
rivegu pusendu a u caminu qui, pour lui, devait être compris comme "je le revois lorsqu'il était assis
devant la cheminée", quand cela dit en fait: "je le revois en m'asseyant..." De telles observations
s'appliqueraient de la même façon à de nombreux énoncés cités plus haut (cf. "gérondif en fonction de
participe"; ex. (8) ou (9).
D'autres constructions comme le "gérondif absolu" (YVIA-CROCE 1972:139) sont admises,
assorties de la même recommandation: "généralement celui-ci se place en tête de la proposition...:
ghjunghjendu dumane u figliolu".
Sur la variation -andu/-endu, et son évaluation par les grammairiens, voir plus haut: 2.4.2.1.1.
Les textes latins vulgaires, comme nous l'avons signalé, offrent de nombreuses attestations
concernant les transformations formelles et l'extension des fonctions du gérondif. On peut même
trouver des informations sur la chronologie relative des phénomènes. On sait par exemple que le type
IN COGITANDO apparaît dès la période ancienne, alors que d'autres apparaissent plus tard, comme:
"le tour nominal correspondant à un substantif + attribut à l'ablatif absolu:...MULTI ORANTES
NON EXAUDIUNTUR, PROVIDENDO ILLIS DEUS MELIORA QUAM PETUNT "les prières de
bien des gens ne sont point exaucées, car Dieu les pourvoit (littéralement: "Dieu les pourvoyant")
d'avantages meilleurs qu'ils ne désirent" (VÄÄNÄNEN 1981:141).
De tels énoncés annoncent les emplois corses qui motivent aujourd'hui les prescriptions normatives
concernant l'antéposition du gérondif.
Il est probable que la fréquence des énoncés du type "un cumunicatu cuncernendu u statutu" soit en
partie due au modèle français (bien que le corse utilise -ENDO et le français -ANTE), c'est-à-dire en
fait à la syntaxe du discours savant (qui a des caractéristiques communes dans bien des langues,
européennes notamment). Mais l'extension des fonctions est la conséquence logique de la fusion entre
gérondif et participe présent.
Quant à la préposition précédant le gérondif, nous avons vu qu'elle peut s'expliquer par la nécessité
de rémédier à la surcharge fonctionnelle du gérondif, sans que cela soit forcément la seule raison de
son apparition. La même surcharge existe dans diverses langues romanes sans que la préposition
s'impose partout (elle est présente en italien ancien, s'affirme en espagnol, mais pas en sarde, par ex.),
et l'ambiguïté est un élément constitutif du langage: le degré de standardisation ne semble pas en
cause. On peut penser que le contact avec le français a pu accroître la fréquence d'un phénomène bien
plus ancien que la présence du français en corse: nous avons vu qu'il est attesté dès le XIXème siècle.
L'étude de textes anciens, même écrits par des Corses en latin ou italien, peut fournir des éléments
chronologiques à travers la technique dite de "l'analyse des erreurs" (on en a un exemple dans
CHIORBOLI 1970). On peut également combiner cette technique avec l'observation d'autres
communautés en situation de contact linguistique. On sait par exemple que l'emploi du gérondif en
fonction d'adjectif, parfois condamné comme gallicisme en corse, caractérise l'italien régional de
Sardaigne où le français n'a pourtant aucune prise (l'ho visto correndo, l'ho sentito urlando, LOI
CORVETTO 1983 cité in BLASCO FERRER 1984A:225). D'autres structures, condamnées comme
gallicismes en corse, sont présentes (et recommandées) en Sardaigne (emploi de l'indicatif imparfait
pour l'irréel du présent: CHIORBOLI 1988).
Au plan de effets de la codification, les phénomènes ne sont pas à mettre sur le même plan. Alors
que le type l'aghju vistu currendu résiste (il est d'ailleurs généralement admis), le type avec in est en
régression nette, tout au moins à l'écrit. Certains auteurs déclarent faire le choix de ne plus l'employer
à l'écrit après avoir pris conscience qu'il s'agit d'un gallicisme (ex. P. VACHET NATALI,
communication personnelle), mais il continue à être employé par d'autres concurremment au gérondif
non prépositionnel. Il s'agit souvent de l'usage hétérogène fréquent dans la poésie populaire où les
exigences techniques et esthétiques le cèdent aux préoccupations puristes (ex. les "chjam'è rispondi"
où l'on trouve fréquemment, à côté d'un pur toscanisme, un "gallicisme" et le terme "sputicu"
recommandé par les puristes, cf. par exemple les compositions très prisées de R. MAMBRINI). Il peut
s'agir aussi de l'utilisation de structures différentes dans des contextes différents, avec peut-être de
subtiles nuances sémantiques dont l'étude implique la prise en compte de la dimension stylistique ou
pragmatique. On trouvera ci-dessous une poésie (James STUART, Corse-Matin27/11/89) où se mêlent
diverses constructions avec le gérondif (toujours en -endu, même pour les verbes à infinitif en -à; de
même a-t-on -ente: spicchente, de spiccà):
(T|
Cu tante lumere à l'intornu
Stendusi fora a 'jente dice: Ø + gérondif)
"Cusi cu calmu dop'a u 'jornu
A nostra vita ghjè più felice.
[...]
"Cu e so pale in sbattulendu in + gérondif)
Ne franca per mare 'ssu fanale
Chi 'nu a notte puru pischendu puru +gérondif:
L'insegna sempre u so' casale. "même quant il pêche"
Ma e stelle, elle cu a luna,
Spicchente tutte cu l'armunia, adjectif participial
Sô cume 'ssi foghi di furtuna
Per u vechju portu di Bastia.
|T)
2.4.2.3.2 "Forme progressive"v
Certains énoncés proposés dans les grammaires corses pourraient faire croire à l'existence d'une
périphrase corse identique à la "forme progressive" italienne formée avec stare + gérondif
stava scrivendu quandu tu hai picchiatu (YVIA-CROCE 1972:139).
Le modèle grammatical italien explique évidemment beaucoup de choses, mais il faut souligner
que les exemples ci-dessus sont plausibles en corse dans la mesure où le verbe stà y est employé non
pas comme auxiliaire (comme dans la périphrase grammaticalisée italienne) mais avec son sens plein
("rester, demeurer"). La construction avec stà devient problématique avec un gérondif exprimant une
action incompatible avec le sens habituel de stà, par exemple s'il s'agit d'un verbe "de mouvement"
u focu ardente
un cumbattente
un cantente ;(RCFM 4/1/8Mari ; cf. cantadore;, canterinu...)
u parlente ("le locuteur").
Sur les emplois isolés du type u cori battendu "le coeur battant", cf. supra: gérondif: 2.4.2.2.1.
Les emplois du participe présent dans des énoncés du type "les personnes assistant au spectacle..."
(français) ou "un quadro rappresentante il giudizio universale" (italien) sont exclus en corse qui
recourt -comme les autres langues- a la construction relative (...chì assistenu...). Ce type est d'ailleurs
exclusivement littéraire en italien, et même en français il est considéré comme une réfection savante
(latinisme: transformation du gérondif étymologique en participe alors que ce dernier avait disparu:
LAUSBERG 1976:814).
Cette construction ne semble avoir droit de cité dans aucune grammaire corse; nous ne l'avons
relevée que dans le métadiscours grammatical (cf. ci-dessus; l'auteur -MARCHETTI 1984:43-
précisant que "st'impiegu di u participiu presente (non sustantivatu) hè soprattuttu teoricu")
a jente assistente à u spettaculu ùn pensava chè à turnassine in casa soia.
Sur le type "A ghjente assistendu à u spettaculu ùn pensava chè à turnassine...", cf. supra:
gérondif: 2.4.2.2.1.
2.4.4 Participe passé
2.4.4.1 participes "faibles"
A partir des éléments fournis plus haut (que nous résumons ici; cf. 2.2.1 "déplacements et
réductions"), on observe que le corse présente trois désinences "régulières" de part passé (formes
faibles)
-atu (classe 1, arhizotoniques, en -à): cantatu
-utu (classe 2, rhizotoniques non réductibles, en -e/-a/-i): vinutu
-itu (classe 2, rhizotoniques réductibles, en -(isc)-e /-iscia ou -ì): finitu
Par ordre d'importance, les désinences les plus fréquentes sont -atu, -utu et -itu.
La fréquence de -utu caractérise le corse. Avec l'uniformisation du gérondif (préférence pour
-ENDO) et du participe présent (adjectif ou substantif: préférence pour -ENTE), elle est significative
d'une "certaine préférence" pour les infinitifs à voyelle thématique -E- caractérisant aussi le
Mezzogiorno (TEKAVCIC 1972:1041) qui se signale parfois en même temps par son aversion pour la
classe IV (radicale en corse comme dans certains parlers de l'extrême sud: Taranto). Nous avons déjà
relevé que la classe corse héritière de la III (vende/-a) accueille non seulement la plupart des verbes
issus de la II (tendance panromane, mais qui devient la règle en corse: teme/-a) mais également de la
IV (parte/-a) voire de la I (entre/-a).
Le résultat est la fossilisation de la classe II (une poignée de verbes en -è) et la disparition de la
classe IV. Les infinitifs des verbes corses issus de -IRE conservent bien peu de vestiges de leur classe
d'origine: en passant définitivement au type vende/-a, la plupart acquièrent un part pas en -utu, (parfois
comme variante de -itu: partutu/partitu). Seuls les héritiers des inchoatifs latins restent fidèles à -ITU
(fini(sce)/fini(scia). Dans certains parlers où l'infixe inchoatif a perdu non seulement sa fonction
originelle mais sa qualité d'infixe puisqu'il est intégré au radical à toutes les formes verbales
(finiscemu, finiscìa, finiscendu...), le participe passé en -itu est alors l'unique témoin de l'évolution: la
conjugaison de vende et de finisce est identique à tous les modes et à tous les temps, mais le second se
distingue par son participe passé en -itu (et par son infinitif qui a une variante -libre- rhizotonique en
-ì).
La provenance des classes corses, à partir du latin vulgaire, peut être ainsi schématisée:
(T|
Ú--------Â---------Â----------¿
latin vulg. ³ -ATU ³ -UTU ³ -ITU ³
Ã------Â-Á---------Á-----Â----´
corse: ³-atu ³ -utu ³-itu³
À------Á-----------------Á----Ù
|T)
2.4.4.2 Participes "forts"
2.4.4.2.1 Tendance générale
En corse les parfaits forts (rhizotoniques) latins conservent leur structure accentuelle et connaissent
d'ordinaire une évolution régulière (de même qu'en italien ou en français)
messu/missu (<MISSU)
scrittu (<SCRIPTU)
2.4.4.2.2 Conservation des participe rhizotoniques
2.4.4.2.2.1 betu(-i); crettu, fertu
Le corse ne conserve pas normalement les participes passés rhizotoniques en '-ITU (désinence
atone), contrairement au sarde qui en fait le modèle pour les verbes issus de II/III, et parfois même
pour les parfaits sigmatiques (cf. sarde missidu, BLASCO FERRER 1984A:108, et corse missu).
On note cependant l'existence en corse moderne de certains participes qui ont conservé le schéma
rhizotonique latin, la voyelle intertonique ayant subi ensuite la syncope
betu/bitu (<BÍBITUS)
crettu (<CRÉDITUS)
On peut rapprocher ce type de celui que connaissent divers parlers italiens méridionaux, qui
conservent les participes latin rhizotoniques (ex. BÍBITU>napolitain vìppeto, ROHLFS 1966:626). Ce
phénomène est considéré comme significatif du caractère conservateur de ces régions, pour lesquelles
on souligne l'aversion pour la syncope et la préférence pour la proparoxytonie (TEKAVCIC
1972:1071). On voit que le corse semble occuper une position intermédiaire entre l'italien méridional
(conservation du schéma rhizotonique, conservation de la syllabe intertonique) et le toscan (passage au
schéma rhizotonique: bevuto, creduto).
En ce qui concerne la syncope, les comportements ne sont pas tranchés. On doit rappeler que, en
pleine zone conservatrice, certains parlers se révèlent innovateurs dans leur tendance à la syncope (cf.
le cas du pugliese où cette tendance semble récente: TEKAVCIC 1972:166).
Pour le corse, il faut considérer qu'il est -relativement- innovateur pour les noms, où la syllabe
intertonique n'a pas de fonction morphologique (cf. CHIORBOLI 1985; cf. les résultats de PERSICA
qui opposent la Toscane au Mezzogiorno, TEKAVCIC 1972:166; en corse la situation n'est pas
homogène: parsica/prasca).
En revanche le corse apparaît plus conservateur pour les verbes: par exemple au futur (où
cependant le corse du Sud semble plus innovateur: vurrà/vulerà (-ar-), voir plus loin 2.4.10.3.4; de
même dans le domaine de la phonétique syntaxique: qual ci hè?/quale ci hè?) ainsi qu'au parfait (corse
cantàimu / italien cantammo, voir plus loin) qui est lié au participe (cf. ROHLFS 1966:585; voir en
corse le participe chjòsu associé au parfait pl1 chjòsimu (-i), et qui a le même schéma
proparoxytonique au pl1 que les étymons de betu ou crettu.
Outre le fait que le participe passé a une flexion nominale, il faut surtout envisager une attraction
des parfaits forts (cf. POSITU>pòstu).
En ce qui concerne crettu (l'ani crettu GIACOMO-MARCELLESI 1989:27), la seule forme
analogue citée par ROHLFS 1966 est le vénitien ancien creto ou le salentino cretettu
(critettu<*credectum?, ROHLFS 1966:623 évoque l'extension possible de la désinence de
COLLECTUM).
Des variations telles que fertu (Sud corse)/feritu (Nord; cf. italien ferita, archaïque feruta)
pourraient étayer la thèse d'une propension "sudiste" à la syncope, bien qu'ici une influence analogique
(part en -tu, type tortu, suffertu...) soit tout à fait plausible.
On peut aussi citer ici piuvìtu (participe de piove) qui présente l'extension de -itu à une autre classe
que -IRE (phénomène très rare: ROHLFS 1966:621). Comparé aux formes méridionales issues de
*PLòVITU (romanesco piòvidu, calabrais chiòppitu) le corse piuvìtu (<*PLOVITU) présente un
schéma arhizotonique anormal. Aprés une phase *piòvitu, avec une désinence atone non attestée dans
le système corse, l'attraction a pu venir cette fois du type en -ìtu d'autant plus qu'ici l'environnement
phonétique est moins favorable à la syncope qui ailleurs a abouti au type rhizotonique (crettu comme
lettu). L'environnement phonétique a d'ailleurs pu jouer un rôle dans la solution -/'itu/ plutôt que -/'utu/
(succession de labiales: [pju'wutu]); piuvutu (cf. italien piovuto), attesté à Bastia par TOMMASEO (à
côté de piuvìtu et piossu: ASCOLI 1905), est surtout usité dans le Sud.
2.4.4.2.2.2 Relation avec le suffixe nominal atone '-ita (-u)
Si les participes du type betu sont isolés, il n'en va pas de même du suffixe nominal atone '-it-
(abbaghjitu: MARCHETTI 1974:128; cf. infra) qui est formellement lié aux anciens participe
rhizotoniques. Ce type de formation, connu en italien standard (prestito) est cependant considéré
comme caractéristique du Mezzogiorno (ROHLFS 1966:1137) où il est mis en relation avec la
conservation des participe rhizotoniques (TEKAVCIC 1972:1478, 1071).
La persistance du suffixe nominal atone en corse est sans doute une indication quant à la
conservation des participes rhizotoniques jusqu'à une époque (récente?) où s'est imposé le type -UTU.
Dans ce cadre, la survivance de formes du type betu/bitu constitue un indice significatif.
2.4.4.2.2.3 ascosu
La locution corse à l'ascosu (cf. ABSCONDERE; ABSCONSUS) "en cachette" est à rapprocher du
sarde (a ss'ascusi, cf. ABSCONSE, BLASCO FERRER 1984A:108). Par ailleurs ABSCONDERE est
peu populaire en corse (on emploie plutôt piattà, cf. italien appiattare) malgré les emplois plus ou
moins savants (asconde, nasconde, nascostu, nascosu, et même nascotu: MUNTESE 1985).
De tels phénomènes ne remettent pas en cause la préférence marquée du corse pour -UTU qui n'est
qu'une conséquence de la tendance générale à l'expansion de la classe héritière de la III. Contrairement
à ce qui se passe en toscan (littéraire et dialectal) ou même dans le Mezzogiorno, elle ne prend pas la
forme d'une extension au détriment des parfaits forts latins qui sont généralement conservés en corse
(cf. italien veduto/visto, perduto/perso, pisano/lucchese leggiuto, piangiuto; calabrais scrivutu, diciutu,
ROHLFS 1966:662; pour ces verbes le corse n'a pas d'autre forme que celle issue régulièrement du
parfait fort latin; cf. ci-dessus 2.2.3, intégration totale dans la classe rhizotonique.
2.4.4.2.2.4 Réfections analogiques
Pour toutes les formes évoquées ci-dessus, il est possible de supposer l'intervention de l'analogie,
qui a évidemment un rôle extrêmement important dans la flexion verbale romane. Nous n'insisterons
pas sur ce type de mécanisme, d'abord parce qu'il est facile d'abuser de ce genre d'explication (étant
donné la multiplicité des phénomènes "analogiques"), ensuite parce qu'il s'agit d'un domaine
affectionné par la linguistique romane. On poura relever quelques formes corses sans les commenter
abondamment, et sans s'attendre à une grande originalité (voir notamment TEKAVCIC 1972:885-8;
1049,1050, -5).
vulsutu/vugliutu (?vulutu): hà ;vulsutu (COTI i ghjorna persi)
intesu (participe passé de intende et de sente; cas de morphologie supplétive; polysémie de sente:
aghju intesu l'odore);
variation -uttu/-ottu (<-UCTU: le résultat o ouvert est en corse l'aboutissement normal de U bref
latin, sauf pour la zone de l'extrême Sud où subsiste un vocalisme archaïque: ROHLFS 1966:3):
pruduttu, intruduttu, cunduttu à côté de rottu ou sottu;
oscillation -utu/-itu:
insistutu /-itu esistutu /-itu; assistutu /-itu; esistutu /-itu
2.4.4.3 Participe passé "court" (à désinence Ø )
2.4.4.3.1 Principe général
A côté des formes en -atu, le corse utilise encore plus fréquemment des participes sans suffixe
(T|
IND. PRES. PARTICIPE PASSE
BREF /LONG
pAssu: ?/ pAssatu
mUghju: ?/ mUghjatu
|T)
La cooccurrence ne semble cependant pas systématique, même si l'on peut l'expliquer par d'autres
contraintes (pour legu présence de -g- qui pourrait avoir les mêmes effets que l'infixe -g-: cf. ci-dessus;
pour portu "collision" possible avec le nom portu: cf. plus loin):
(T|
IND. PRES. PARTICIPE PASSE
BREF /LONG
lEgu: ?/ lIgatu
pOrtu: ?/ pUrtatu
|T)
2.4.4.3.3 Sémantique, relations et contraintes pradigmatiques
D'autres contraintes sont à envisager, notamment la collision possible entre participes de verbes
différents (impustà: mi sò impustatu; impostu est le participe de impone)
Il convient donc d'établir une relation entre divers phénomènes, qui ont contribué plus ou moins
sensiblement:
-tendance à la rhizotonie,
-pression des parfaits forts,
-tendance au suffixe nul (cf. infra, a chjama/a chjamata)
-coexistence de formes brèves et longues, par dérivation régulière ou d'origine analogique,
-risque théorique ou effectif de confusion entre formes homophones, et tendance à la différenciation
ou à l'abandon d'une des formes.
Les formes coexistantes peuvent être:
-deux participes réguliers
CANTU (de CANERE) / CANTATU (de CANTARE);
-un nom dérivé du verbe (sans suffixe) et un participe
cantu / cantatu;
-un nom sans suffixe et un nom formé à l'aide d'un suffixe analogique (fréquent dans les langues
romanes, masculin ou féminin)
cantu / cantata;
chjama / chjamata;
La tendance à la dérivation sans suffixe (dérivation "rétrograde", VÄÄNÄNEN 1981:91,
"all'indietro", TEKAVCIC 1972: car on voit plus fréquemment un nom dériver d'un verbe) est très
forte en corse (comme en sarde: BLASCO FERRER 1984A:1O8); elle connaît aujourd'hui une
expansion d'origine savante (cf. infra). La coexistence de participes "longs" et "courts" (l'aghju
trovu/truvatu) vient donc se superposer à celle des noms où le suffixe -ata (très fréquent, notamment
dans des locutions presque grammaticalisées: : ci femu una pusata = pusemu), qui équivaut à une
alternance entre forme arhizotonique (cantata) et rhizotonique (cantu, et même abbàghjitu, ce type
pouvant coïncider formellement avec les dérivés sans suffixe; cf. crettu, fertu, où la syncope est
possible). Certaines bases peuvent apparaître théoriquement ou effectivement, sous une triple forme
(cf. abbàghju/abbàghjitu/abbaghjàta).
Pour simplifier, on peut avoir, quelle qu'en soit la genèse la coexistence d'un verbe (-à) d'une forme
en -/at/- (participe ou nom), d'une forme sans suffixe (participe ou nom). Nous voudrions souligner
que le point de départ de la dérivation (nom ou verbe) importe peu: dans la conscience linguistique des
locuteurs (latins ou romans: TEKAVCIC 1972:1974 confirme une thèse de LEUMANN) c'est le verbe
qui dérive du nom. Dans le schéma ci-dessous la position centrale du verbe est conventionnelle.
(T|
-at- -Ø -
VERBE (inf. en -à) P1 PØ
NOM N1 NØ
|T)
On peut s'attendre à ce que la présence simultanée des quatre formes constituant un sous-système
avec le verbe (deux noms: NØ ; N1 et deux participes: PØ ; P1) se produise rarement; par exemple
dans la sphère de cantà on peut supposer que la présence du nom cantu peut bloquer l'apparition de la
forme homophone PØ (*aghju cantu):
(T|
-at- -Ø -
P1 PØ
VERBE (cantà) cantata ?
N1 NØ
NOM cantata cantu
|T)
Un tel principe pourrait expliquer l'absence de participe court pour des verbes auxquels correspond
un nom à suffixe nul. Ainsi parallèlement à la présence en corse des noms dérivés suivants (nous
citons des formes qui sont nées de la même façon dans la plupart des langues romanes modernes:
TEKAVCIC 1972:1969) on constate l'absence de participe court correspondant
accordu (-iu), (ar)ricordu, studiu: aghju accurdatu (et non *aghju accordu)....
Une telle interprétation ne permet sans doute pas de rendre entièrement prévisible l'occurrence du
participe court. D'une part un mécanisme fréquent a tendance à se produire même dans des
circonstances défavorables, d'autre part il peut être bloqué sans raison apparente. On constate
généralement une inhibition dans le cas des verbes récents, notamment dans les gallicismes qui
tendent à se soustraire à ce type d'abréviation; la remarque s'applique en général au vocabulaire savant
ou technique.
Tous ces interdits à la fois semblent peser sur un verbe comme telef(f)unà (ou tilifunà) qui doit se
contenter d'un participe en -atu (*aghju telefunu semble hors de question): d'autant plus qu'il s'agit
d'un verbe à (double) infixe (tilifuneghju/tilifongu) auquel correspond un nom à infixe nul (u
telefunu)...!
A partir de cet exemple on constatera par ailleurs comment des emprunts récents d'usage populaire
peuvent connaître un degré remarquable d'intégration: phonologique (apophonie, mais le -f-
intervocalique oscille encore entre [v] et [ff], ou même [f] normalement exclu dans cette position) et
morphologique (l'une des fonctions de l'infixe -eghj-/-ighj- étant justement la redétermination des
néologismes; cf. supra).
On peut estimer en conclusion que la tendance générale, très forte en corse, est à la formation de
doublets (forme "courte"/forme "longue") avec une prépondérance relative des formes brèves, dont
l'apparition est susceptible d'être bloquée dans des conditions que nous avons évoquées ci-dessous.
Un étude plus approfondie demeure cependant nécessaire, la distribution des variantes ne nous
paraissant pas totalement prévisible.
2.4.4.4 Participe passé datif
On sait que la flexion du participe passé est nominale, dans la mesure où il porte des marques de
genre contrairement aux formes verbales. Le participe passé corse présente en outre (dans la zone
d'influence bastiaise: nous ne pouvons l'attester ailleurs) une sorte de désinence casuelle, un -i qui n'est
pas une marque de genre ou de nombre (cf. CHIORBOLI 1987)
l'aghju datu "je l'ai donné"
l'aghju dati "je lui ai donné"
Le phénomène n'a pas échappé à ROHLFS 1966:725 qui note "una singolare concordanza del
participio col dativo del pronome personale "gli" nel dialetto corso di Bastia". Reprenant une
explication de SALVIONI, l'auteur indique que le phénomène "è dovuto all'omonimia di li "gli" e li
"li", cioè ad analogia a li ha visti".
Nous avons nous même mis en relation ce mécanisme avec la neutralisation de l'opposition de
genre et de nombre (li lu dò> li li dò, on a en toscan ancien un phénomène analogue: ROHLFS
1966:467) et la simplification ultérieure (li li dò> li dò "je le lui donne; CHIORBOLI 1987).
Sans évoquer le cas du bastiais, on a relevé le même phénomène dans le Latium: "una sorta di
accordo del participio passato col pronome gli nei dialetti del Cimino...per cui a t'ò ditto risponde l'ò
ditti "gli ho detto" (VIGNUZZI 1988:633).
On voit que comme en corse la voyelle finale élidée du pronom, qui dans certains contextes porte
notamment une marque casuelle (lu=accusatif/li=datif), semble reportée sur le participe, devenant
ainsi une sorte de morphème discontinu.
Il faut signaler qu'en corse le phénomène persiste même devant consonne (s- de sò); peut-être
s'agit-il d'une extension ultérieure: la cooccurrence du pronom datif et d'un temps composé est plus
fréquente avec avè, qui a une initiale toujours vocalique (quand il est auxiliaire) contrairement à esse
(T|
CANTO TIMEO VENDO DORMIO (FINISCO)
LATIN I II III IV IVa
O EO O IO ISCO
AS ES IS IS ISCIS
AT ET IT IT ISCIT
AMUS EMUS IMUS IMUS IMUS
ATIS ETIS ITIS ITIS ITIS
ANT ENT UNT IUNT ISCUNT
CORSE 1 2 2c; 3
Sg1 u u ìscu/ìsciu
2 i i ìsci
3 a/e e/i ìsce/-isci
Pl1 Emu/Emi/Imu Emu/Imu/Imi (isc)-Emu/-Imu/-Imi
2 Ate/Eti Ete/Ite/Iti (isc)-Ite/-Iti
3 Anu/Ani/Enu Enu/Ini ìscEnu/ìscIni
|T)
2.4.5.1.2 Voyelles thématiques (pluriel)
Le tableau ci-dessous visualise de manière simplifiée la distribution des voyelles thématiques au
pluriel (en MAJUSCULES). Le désinences restent en minuscules, entre parenthèses quand la variation
est liée uniquement aux spécificités phonologiques
(T|
CANTO TIMEO VENDO DORMIO (FINISCO)
I II III IV IVa
³ ³ ³ ³ ³
À---------Á---------Å---------Á--------------Ù
³
Sg1 u
Sg 2 i
I II III IV IVa
³ ³ ³ ³
À---------Á----Â----Á--------------Ù
³
Sg3 a/e e/(i)
I II III IV IVa
³ ³ ³ ³ ³
À---------Á---------Å---------Á--------------Ù
³
Pl1 E/I
I II III IV IVa
³ ³ ³ ³
À--------Á----Â----Á--------------Ù
³
Pl2 A/E I
Pl3 A/E E/I
|T)
2.4.5.1.3 Verbes types
Le type majoritaire au Nord comme au Sud tend vers deux grandes classes, avec -I- comme voyelle
thématique de la seconde.
Le tableau ci-dessous illustre schématiquement le diasystème de l'indicatif présent corse et les
variations concernant les voyelles thématiques (en majuscules). Si l'on inclut les verbes à infixe -isc-
dans une classe distincte, le système le plus proche du latin (et le plus complexe) comprend 3 classes
(A), le système le plus simplifié comprend deux classes (B2).
(T|
Ú------Â------------------------Â------Â----------Â----------------¿
³ETYMON³ -ARE ³ -ERE ³ -IRE ³ -ISCERE ³
Ã------Å------------------------Å------Å----------Å----------------´
Ã------Å------------------------Å------Å----------Å----------------´
³VERBE ³ 1 ³ 2 ³ 3 ³ 4 ³
³TYPE ³ cantu ³vendu ³ dormu ³capiscu (-isciu)³
Ã------Å------------------------Å------Å----------Á----------------´
Ã------Å------------------------Å------Å---------------------------´
³DESIN.³ 1 ³ 2 ³ 3 ³
³P.PAS.³ -atu ³ -utu ³ -itu ³
Ã------Å------------------------Å------Á---------------------------´
Ã------Å------------------------Å----------------------------------´
³DESIN.³ 1 ³ 2 ³
³INFIT.³ -à ³ -e/-a (/-i) ³
Ã------Å------------------------Å----------------------------------´
Ã---Â--Å------------------------Å------------------Â---------------´
³ ³ ³ 1 ³ 2 ³ 3 ³
³P³ ³ Ú--¿ ³ Ú--¿ ³Ú--¿ ³
³ R ³ A³ ³-E³mu ³ ³-E³mu ³³-I³mu ³
³E³ ³ ³-A³te ³ ³-I³te ³³-I³te ³
³S³ ³ À--Ù ³ À--Ù ³À--Ù ³
³ E Ã--Å------------------------Å------------------Á---------------´
³ N Ã--Å------------------------Å----------------------------------´
³T³ ³ 1 ³ 2 ³
³ ³ ³Ú--¿ Ú--¿ Ú--¿ ³ Ú--¿ ³
³ I ³B1³³-E³mu(-i)/³-E³mu/³-I³mu³ (Ø )³-I³mu(-i) ³
³ N ³ ³³-E³ti /³-A³te/³-A³te³ (Ø )³-I³te(-i) ³
³ D ³ ³À--Ù À--Ù À--Ù ³ À--Ù ³
³ I Ã--Å------------------------Å----------------------------------´
³ C Ã--Å------------------------Å----------------------------------´
³A³ ³ 1 ³ 2 ³
³ T ³ ³Ú--¿ Ú--¿ ³ Ú--¿ Ú--Å ³
³ I ³B2³³-E³mu(-i)/³-E³mu ³ ³-E³mu / ³-I³mi ³
³ F ³ ³³-E³ti /³-A³te ³ ³-I³te / ³-I³ti ³
³ ³ ³À--Ù À--Ù ³ À--Ù À--Ù ³
À---Á--Á------------------------Á----------------------------------Ù
|T)
2.4.5.1.4 Variation et description linguistique
La possibilité de combiner de diverses façons les voyelles thématiques originelles produit un
diasystème extrêmement complexe. Les combinaisons théoriquement possibles sont très nombreuses,
et presque toutes effectivement attestées, avec une fréquence et une extension géographique très
diverses.
Indépendamment de la tendance à la normalisation (cf. ci-après), la complexité du système verbal
fait que la description constitue toujours une schématisation.
Nous avons relevé certaines formes non recensées ailleurs (ignorées ou considérées comme des
faits individuels ou isolés). Toutefois nous ne les avons pas toujours intégrées totalement faute
d'enquêtes complémentaires et d'éléments quantitatifs suffisants (nous indiquons en capitales le nom
des informateurs)
-infinitif en -i: rispondi (GARATTE, Isulacciu di Fiumorbu, /-e; -a: cf. plus haut, );
-extension de -isc (pl1,2)
avec voyelle thématique -I- (finiscImu, -Iti,-e)
vindimi = durmimi = divertiscimi (BATTISTELLI, Cuttuli Curtichjatu)
vindimu = durmimu = finiscimu (OTTAVIANI, Corti)
-paradigme mixte (-I-/-E-) des rhizotoniques: cridImu, -Ete (SANTUCCI, Niolu) avec parfois
l'intégration de -isc- dans le radical (ALBERTINI, Loretu)
- généralisation de la finale -anu: cantanu, vendanu, dormanu, finiscanu (BASSI, Vicu).
2.4.5.1.5 Les grammaires
Les grammaires corses, qui ont toutes une orientation plus ou moins normative, ont rencontré des
difficultés dans leurs tentatives de formalisation du système verbal. La volonté de réduire la variation
est présente partout mais ne va jamais jusqu'à son aboutissement extrême
BONIFACIO 1925 admet une variation dans la 1ère conjugaison (sg/pl3) tout en exprimant sa
préférence pour les variantes avec /a/
amà: -a/-e; -Anu, -Enu.
ALFONSI 1932 met en relief la spécificité de la désinence corse de pl1 (-Emu), mais signale
une variation pour les conjugaisons autres que la 1ère (sg/pl1)
teme, sente, crede: -Emu/-Imu.
TOTTI 1987 (rédaction vers 1940) donne (comme BONIFACIO 1925) 3 modèles de
conjugaison qui coïncident en grande partie avec les voyelles thématiques du latin
amà: -Emu; -Ate
crede: -Emu; -Ete
finì: -Imu; -Ite.
Il intègre cependant pour la première les mêmes variations que BONIFACIO 1925
amà: -a/-e; -Anu/-Enu.
YVIA-CROCE 1972 donne pour les mêmes verbes des modèles différents de conjugaison. Par
exemple on trouve veste parmi les "principaux verbes réguliers" de la 2ème conjugaison (p. 85) mais
aussi de la 3ème (p. 86). Cela s'explique sans doute par le fait que la 2ème et la troisième ont chez cet
auteur les mêmes désinences au pl1 et 2
vende: vindEmu; vindIte
ddorme: durmEmu; durmIte
;Tout en donnant pour finisce des formes en /i/ (pl1 et 2 finImu, finIte), qui s'opposent au
paradigme mixte de dorme (-Emu/-Ite), l'auteur les réunit dans la même conjugaison (3ème) et indique
que la seule particularité du type finisce est le "suffixe isc" (p. 87: les verbes du "2ème type de la 3ème
conjugaison" -finisce- "se conjuguent comme ceux du 1er type" -dorme-). Dans le "tableau de la 3ème
conjugaison" (p. 92), seul figure le type dorme.
AGOSTINI 1984 est la grammaire qui fait la plus grande place à la variation (alors que
YVIA-CROCE 1972 est la plus normative et exclut les parlers du Sud). Cependant les exclusions
-volontaires ou involontaires- n'y manquent pas non plus. On n'y trouve pas trace de l'extension de
-isc- aux premières personnes du pluriel (alors que même YVIA-CROCE 1972 donne par exemple
pour l'impératif une forme finiscemu qui n'a pas une fréquence ou une extension géographique
remarquables).
2.4.5.2 Principales marques morphologiques
2.4.5.2.1 Contact linguistique et évolution
La plupart des formes verbales corses que nous venons d'évoquer ont été mises en relation avec des
influences externes, toscanes et ligures surtout.
La Corse devrait -emu (cantemu) au ligurien et -imu (venimu) au toscan médiéval (ROHLFS
1966:1972), -ini également au toscan médiéval (BLASCO FERRER 1984A:184, 207 et BLASCO
FERRER 1984B:405), etc...
Sans les exclure a priori, il est bon de relativiser l'importance des influences externes directes (qui
sont souvent considérées comme nécessaires et suffisantes pour expliquer l'évolution des variétés
corses; cf. infra).
Nous avons déjà eu l'occasion de souligner (CHIORBOLI 1989A) que la mise en évidence de telle
ou telle convergence n'a pas en elle-même un grand intérêt, notamment dans le domaine
singulièrement complexe de la morphologie verbale romane. Tous les types de désinence étant attestés
ici ou là en Toscane (par exemple cantano/cantono/canteno/cantino) ou ailleurs, des convergences
seront fatalement observées sans qu'il faille y accorder une importance capitale. Sans exclure les
influences directes, il faudra penser aux effets conjugués de facteurs multiples et complexes.
2.4.5.2.2 Le singulier
2.4.5.2.2.1 Singulier 1
La finale -u (<-O) de sg1 est une caractéristique du corse dont le système phonologique exclut /o/
en position finale atone, ce qui constitue une concordance avec l'extrême Sud italien (CHIORBOLI
1986:5, 16; TEKAVCIC 1972:171).
2.4.5.2.2.2 Singulier 2
Au sg2, la finale est -i pour toutes les classes, même la première (tù canti) où le résultat devrait être
-e (-AS>-aj>-e: LAUSBERG 1976:357) en corse (dans les variétés qui admettent -e final) comme en
italien central et méridional ou en roumain).
La désinence étymologique -e est attestée en italien ancien non seulement au présent mais
également à l'imparfait; elle n'est pas attestée en corse au présent (bien que le rapprochement habituel
entre corse et toscan ancien ait été évoqué au sujet de certaines formes d'imparfait corse en -ave; cf.
infra).
Il s'agit ici du problème de la variation -i/-e (ou -a) dans la 2ème personne de diverses formes
verbales (cf. infra) qui constitue un problème non résolu de la linguistique romane en général (cf.
TEKAVCIC 1972:937, 946: "l'evoluzione...non è chiara") et corse en particulier (DALBERA-
STEFANAGGI 1983:359 ne risque pas "d'hypothèse hasardeuse à ce sujet"). La question ne se pose
pas dans les mêmes termes en Corse du Sud où -e est exclu, mais l'oscillation -e/-i/-a concerne
l'ensemble des parlers corses et diverses marques morphologiques (formes verbales ou autres: cf. corse
fora; chì / italien -standard- fuori, che...). Le problème de la présence non étymologique de -i concerne
d'ailleurs aussi le domaine italien; le -i final dans un certain nombre de formes de l'italien moderne
(par exemple dieci, influencé par venti? ) s'oppose au -e final étymologique de l'italien ancien (diece)
et du corse actuel (dece): l'analogie n'est pas toujours considérée comme une explication suffisante
(ROHLFS 1966:142; en corse on a dece/vinti).
On retrouve ce problème pour d'autres temps corses (subjonctif présent, imparfait, conditionnel)
sans qu'il soit aisé d'en donner une interprétation définitive. Ici comme dans tous les secteurs où les
mécanismes morphophonologiques ont une importance essentielle, loin de privilégier les pressions
externes les linguistes se contentent d'évoquer "une restructuration interne originale, sur des bases
analogiques" (DALBERA-STEFANAGGI 1983:359).
2.4.5.2.2.3 Singulier 3
Si le sg3 ne pose pas de problèmes dans la majeure partie des parlers corses (la classe 1 en -a
s'oppose aux autres qui ont -e ou -i), on retrouve certaines formes du type ellu cante (Balagna) qui
semblent témoigner d'une extension des désinences de II/III/IV. La grammaire de BONIFACIO
1925:30 admet pour la classe 1 les variations canta/cante et cantanu/cantenu.
On sait en effet que la voyelle thématique -E- est présente dans la classe 1 au sg1 (cantemu, -i), sg2
(canteti), sg3 (cantenu): cela ne se produit cependant jamais simultanément dans le même parler et la
classe 1 garde ainsi toujours son individualité.
Par exemple à Bastia on a elli cantenu (probablement par harmonisation vocalique, cf. 2.2.4.1
"déplacements mineurs") mais non ellu cante (l'opposition avec les autres classes serait de toutes
façons assurée grâce au pl2: -ate s'oppose à -ite).
Ici encore la notation de concordances ponctuelles (ligurien porte "il porte", ROHLFS 1966:529)
ne saurait tenir lieu d'interprétation si cette dernière conduit à privilégier une cause unique de
variation.
2.4.5.2.3 Le pluriel
2.4.5.2.3.1 Système latin vulgaire
Le système de marques que l'on pose comme base des langues romanes peut être ainsi schématisé
(cf. LAUSBERG 1976:879, ROHLFS 1966:530; TEKAVCIC 1972:848, 4, 939, 893-4):
(T|
I II III IV
CANTÁMUS VIDÉMUS Ú-VÉNDIMUS DORMÍMUS
Ã-VENDÍMUS
Ã-VENDÉMUS
À-VENDéMUS
Compte tenu de l'alignement de la III sur les autres classes en ce qui concerne l'accentuation de la
désinence (VÉNDIMUS > VENDÍMUS), de la fusion des classes II et III (même la classe fossile en
-è, héritière de la II tend à s'aligner sur les classes rhizotoniques), le jeu de marques du latin vulgaire
de corse peut être ainsi représenté
I II III IV
latin ÁMUS ÉMUS '-IMUS ÍMUS
(T|
I II III IV IVa
CANTO TIMEO VENDO DORMIO (FINISCO)
Sg1/2/3 '-i
En ceci le corse s'oppose à l'italien officiel qui suit, comme le roumain ou le sarde, le
latin. La rétraction existe cependant dans divers parlers italiens (Nord, centre Sud). En Toscane elle est
limitée à certaines zones (Lucca, Elba: ROHLFS 1966:550). En Corse, elle s'applique à tous les parlers
(sur les divergences quant à l'uniformisation de l'accent au subjonctif et à l'indicatif, et l'opposition
entre l'italien littéraire et d'autres systèmes dont le corse, cf. TEKAVCIC 1972:951-2 et ci-dessus,
subjonctif présent).
2.4.7.1.2 Fusion des classes II, III, IV (voyelle thématique -I-)
On retrouve à l'imparfait la tendance des verbes rhizotoniques (à l'infinitif) vers la voyelle
thématique -I-. Contrairement à ce qui se passe au présent, le passage à -I- est pancorse:
I / II = III = IV
cantàva (-àia) / cridìa = durmìa = fin(isc)ìa.
Nous avons ici une autre concordance remarquable entre le corse d'une part et de l'autre
l'extrême Sud italien (sicilien, calabrais, salentino), le sarde, l'espagnol et le portugais. La présence du
phénomène dans la poésie toscane ancienne (avia pour aveva ou avea) est considérée comme une
influence sicilienne: ROHLFS 1966:550).
On a évoqué la "pénétration de -iva (-ìa) dans la conjugaison en -are" pour certains parlers italiens
(marchigiano guardìa) et corses (intrìa, ROHLFS 1966:550). L'interprétation est inexacte en ce qui
concerne le corse. Le verbe INTRARE a donné en corse deux résultats qui coexistent aujourd'hui:
entrà (classe 1, arhizotonique) et entre/entra (classe 2, rhizotonique); intrìa est l'imparfait de
entre/entra (classe 2; cf. intrà: intrava, -aia). Le verbe entre (-a) a subi un métaplasme et tout son
paradigme est conforme à la classe 2 (indicatif présent: intrite, -i; participe passé intrutu, etc.; cf.
supra).
2.4.7.1.3 Finale indifférenciée -a aux trois personnes du singulier
L'influence du présent sur l'imparfait est responsable des finales -o (sg1) et -i (sg2) en italien et en
sarde. La tendance existe en corse (-u et -i) mais est faible; dans l'ensemble des parlers la finale -a est
encore une variante courante de la désinence influencée par le présent:
sg1 = <-BAM
sg2 durmìa <-BAS
sg3 = <-BAT
La conservation de -a existe en italien (parlers anciens et modernes) comme en espagnol ou en
portugais. Le passage définitif à -o est caractéristique de l'italien officiel et du sarde.
2.4.7.1.4 Différenciation consonantique de la désinence selon les classes verbales à l'indicatif imparfait
Contrairement à ce qui se passe pour l'italien officiel qui généralise [v] comme résultat de la labiale
latine (-ABAM, -EBAM, -IBAM > -avo, -evo, -ivo), de nombreux parlers (comme l'espagnol, le
portugais ou l'italien centroméridional: BEC 1970 I:22) présentent des évolutions différenciées selon la
classe verbale. En corse -B- donne [w] ou [j] dans les verbes de la 1ère classe, et disparaît dans les
autres (ou est réduit à un "son de liaison" proche de [j]; cf. CHIORBOLI 1989A).
(T|
I / II = III = IV
[w] ([j]) / [i(j)a]
La chute de [v] intervocalique (<-B-) est possible dans les parlers toscans (même dans le
radical: florentin laào = lavavo; TEKAVCIC 1972:1067; cf. au contraire en corse lavava [la'wawa],
lavaia [la'waja].
Une forme de base en -/àa/ est retenue pour le sarde (BLASCO FERRER 1984A:103), et les types
cantàa sont attestés en marchigiano ou en pugliese (ROHLFS 1966:552).
En corse la séquence "intolérable" aurait été résolue par un son de liaison (qui est fréquemment [j]:
cf. CHIORBOLI 1986). L'apparition de [j] dans la classe 1 a pu être favorisée également par les
désinences des autres classes où l'amuïssement de -B- ainsi que l'insertion de [j] sont déterminées par
les caractéristiques articulatoires de la séquence /ia/ (la séquence bisyllabique est couramment réalisée
[ija], cf. supra: la tendance à transformer les diphtongues en séquences bisyllabiques est une
caractéristique sarde -campidanese, BLASCO FERRER 1984A:68- et corse):
[min'aa] / [cridi(j)a] => [min'aja] / [cridi(j)a].
2.4.7.2.2 Désinence -aghjìa
La référence au sarde est est de rigueur en ce qui concerne les formes (toujours en corse du Sud)
comme andaghjìa. Les formes sardes du type cantaìa sont expliquées par l'influence analogique de -ìa
(<-IBAM) sur la classe 1 (-ABAM):
/kantaìa/ = /kantàa/ + -/ìa/ ("forme ibride", BLASCO FERRER 1984A::103, 275)
On note en corse l'apparition d'une affriquée qui ne surprendra pas étant donné les rapports étroits
existant dans cette langue (et d'ailleurs déjà en latin) entre la "semi-consonne" ("approssimante", cf.
CANEPARI 1979) et la "consonne". On peut aussi rappeler ici le processus morphophonologique
caractéristique qui porte aux alternances du type ghjera/ellu [j]era, ou ghjapri/iddu [j]apri (cf.
CHIORBOLI 1989B). En outre la forme cantaìa analysée comme cant[aj'i]a présente la séquence [ji]
où le rétrécissement extrême du chenal vocal provoque presqu'inévitablement la réalisation d'une
affriquée.
On pourrait aussi évoquer pour l'imparfait de andà une forme (reconstruite) ghjiva (de IRE: cf.
iva/jiva dans le Mezzogiorno: ROHLFS 1966:553), d'autant que l'alternance dans le même paradigme
de IRE/VADERE/AMNARE (AMBULARE) est fréquente dans les langues romanes (ROHLFS
1966:545).
Cette hypothèse serait renforcée par le fait que la désinence -aghjìa s'applique à andà et aux verbes
qui lui sont étroitement associés comme dà et stà. FOATA 1980:34 fait un rapprochement (une
confusion?) entre -aia ou -aghjia: "la deuxième forme" (en -aghjia) "est généralement usitée dans les
verbes courts, le plus souvent monosyllabiques (dà, stà, andà). Elle constitue en outre la forme du
verbe avè (avoir) à l'indicatif imparfait". Cette dernière remarque se réfère sans doute à la forme
orthographiée avia, où le -v- est normalement réalisé comme une spirante bilabiale qui peut disparaître
en fonction de la vitesse d'élocution; cependant l'imparfait de avè, même trancrit aia, reste accentué
sur -i- contrairement à la désinence -aia (-àia: aspittàia).
2.4.7.2.3 Désinence -ave (sg2)
Certains parlers (ex. Cervioni) présentent une désinence atypique
tù cantave.
A l'instar des romanistes qui divergent quant à l'origine des désinences du subjonctif
imparfait, les grammairiens corses ne sont pas unanimes dans leurs prescriptions. Pour la classe 1 on
présente aussi bien la double forme -assi/-essi (MARCHETTI 1974) qu'une forme unique: -essi
(PAGANELLI 1975), ou même la forme minoritaire -assi (YVIA-CROCE 1972 et même AGOSTINI
1984, pourtant d'ordinaire plus ouvert à la variation).
2.4.8.4 Oscillation de la voyelle finale (-e/-i)
Aux 3 personnes du singulier on observe une variation -e/-i, peu significative, que nous
rapprocherons de celle qui concerne de nombreuses formes verbales (par ex. indicatif imparfait) et de
nombreuses variétés anciennes et modernes de l'aire italienne.
sg1: ch'o cantessi/cantesse
2.4.9 Parfait
2.4.9.1 Profusion de formes et régression
Il faut garder à l'esprit la grande complexité morphologique du parfait en latin et -malgré les
innombrables remaniements dus aux pressions analogiques interparadigmatiques- dans les systèmes
néolatins. Le parfait corse connaît donc une profusion de formes et de variations, significatives des
structures qui, parce qu'elles sont peu employées, sont réfractaires à la normalisation. Il est en
régression comme un peu partout dans la Romania (RENZI 1987:195). Son emploi -en corse comme
ailleurs- trahit une intention artistique (BARTHES 1953) et/ou une volonté de distanciation (certains
auteurs opposent sa permanence en corse par rapport à la régression qui se manifeste en français: cf.
MARCHETTI 1974:37).
Sur le schéma évolutif du parfait, et sur la concurrence entre parfait et passé composé ou imparfait
(en sarde et dans la Romania en général) cf. BLASCO FERRER 1984A:276 et note 172).
2.4.9.2 Parfaits "faibles": dédoublement des paradigmes (types -AVI/-ETI)
On a dans toute la Corse deux modèles possibles pour le parfait. A côté des formes en -ai (ou -aiu),
issues du type -AVI (CANTAVI), on a le type -eti ([eti]/[edi]) résultant de l'extension du type -ETI (ou
-EDI: DEDI, STETI)
sg1 cantai(u) / canteti
2.4.9.3 Parfaits "forts": extension des parfaits sigmatiques
A partir des formes classiques de parfait rhizotonique (type SCRIPSI) on note en latin vulgaire et
donc dans les langues romanes une extension du modèle, plus ou moins importante selon les parlers.
La langue italienne littéraire la pratique, mais moins que d'autres systèmes: corse, italien central,
italien méridional
corse: morsi, volsi, chersi, etc.
2.4.9.4 Le type -ETI
2.4.9.4.1 Interprétations
Le sarde également connaît pour le groupe I "les formes régulières -AVI>-ài et -EDI généralisées à
partir de DEDIT, STETIT" (BLASCO FERRER 1984A:276).
Les parfaits corses du type purtedi ont été relevés par TEKAVCIC 1972:998 qui pose également
DEDI comme base de l'analogie.
LAUSBERG 1976:892, qui recourt pour expliquer le parfait de la classe III en roman à la
combinaison des types VENDÉDI(<VÉNDIDI) et DEDI, note que le corse se distingue en étendant ce
type à la classe I.
Pour ROHLFS 1972:179 les parfaits corses -aussi bien les formes en -si que celles en -edi- relèvent
de l'influence toscane.
Quant à BLASCO, il accepte l'explication de ROHLFS en ce qui concerne l'origine toscane des
parfaits (corses et gallurais) en -si (136) mais ne parle pas de pression extérieure à propos des formes
sardes du type purtedi (BLASCO FERRER 1984A:104, 276).
2.4.9.4.2 Elements contrastifs
2.4.9.4.3 Consonantisme:-tt-/-t-/-d-
La flexion particulière en latin de DARE et STARE est à l'origine d'importantes innovations corses
et romanes. Il ne semble pas nécessaire pour le corse de postuler des bases en -UI (*DEDUI,
*STETUI) comme on le fait pour l'italien, le roumain, l'espagnol (LAUSBERG 1976:825). Il n'y a pas
en tous cas de réduplication consonantique dans la syllabe finale (ex. italien STETI>*STETUI>stetti,
TEKAVCIC 1972:967). La désinence corse se présente sous la forme /eti/ avec [t] ou [d]
conformément aux règles locales de sandhi: on a uniformément [edi] dans le Nord, [eti] dans le Sud,
malgré les fluctuations de la graphie qui varie entre -edi/-eti/-etti.
2.4.9.4.4 Opposition toscane -iedi/-tti (<DEDI/*STETUI)
On relève en toscan des désinences distinctes -iedi (<DEDI) et -etti (STETUI). Cette distinction ne
concerne pas le corse pour lequel il faut poser /eti/ et ses réalisations concrètes
En toscan l'extension de -iedi (à partir de diedi) ne concerne pas la classe 1 (sauf andiedi).
Quant à -etti, il ne concerne que la classe 2 (-ere) en italien littéraire, alors que dans certains
dialectes (lucchese) il s'étend à la classe 3 (partitti) et même à la classe 1 (la désinence prend alors la
forme -atti, inconnue en corse: ROHLFS 1966:578; cf. lucch pregatti, corse prigheti).
2.4.9.4.5 Structure uniforme du parfait (faible) corse en -/t/
En corse la désinence -eti s'applique uniformément à tous les parfaits faibles de la classe 1 où elle
est aussi fréquente que -ai(/-aiu). Elle s'applique également, sous la forme -iti, aux autres classes, où la
concurrence du type -IVI est, surtout dans le Nord, plus nette (la graphie des auteurs du Sud oscille
entre -t- et -tt-)x
sg1
parleti, timìti (MARCHETTI 1974:358)
criditti (AGOSTINI 1984:166)
partitti, finitti (PAGANELLI 1975:77).
On peut même observer des paradigmes où le consonantisme caractéristique de sg1 s'est généralisé
(avec à la 2ème pers une variation -t-/-st-) comme dans le modèle de conjugaison proposé dans
MARCHETTI 1974:358
timiti
timiti (/timisti)
timiti (/timì)
timitimi (-u)
timititi (-e)
timitini (-u)
Ce type de parfait apparaît donc formé à l'aide du radical suivi, à toutes les personnes, de la voyelle
thématique accentuée, et de la désinence de la personne (sg1,2,3: -i; pl1: -u/-i, pl2: -iti/-ite; pl3:
-nu/-ni). On aura par exemple au pl1:
(T|
RAD. +THEME +/t/ +DES. PERS.
ex. cant -e -t -imi
tim -i -t -imi
fin -i -t -imi
|T)
2.4.9.5 Parfait sigmatique
Les parfaits sigmatiques en corse (et en sassarais-gallurais) ont été attribués à l'influence toscane
(ROHLFS 1972:179, BLASCO FERRER 1984B:406). Ce type d'explication (par la pression externe et
localisée avec précision) nous semble réducteur quant on sait que l'extension des parfaits en -SI est une
caractéristique importante du latin vulgaire et tardif (TEKAVCIC 1972:881, 988): on en trouve les
traces dans Plaute par exemple, et les interventions glottopolitiques des grammairiens ("ne dites pas
MORSIT mais MOMORDIT") attestent un usage fréquent dans le peuple des parfaits en -SI. Leur
présence en corse, en sarde, dans divers parlers toscans, comme à Rome, en Calabre, en Sicile...n'a
donc pas de quoi surprendre.
A propos du sassarais-gallurais on a englobé dans le même type d'explication les parfaits en -si
(morsi) et en -esi/-isi (magnesi) en évoquant leur fréquence en toscan (ancien et moderne) et en corse
(BLASCO FERRER 1984A:137; on a même fait référence à des attestations de formes en -esi /-isi en
"corse médiéval (XVI/XVII siècles)": BLASCO FERRER 1984B:406). Cela est à nuancer en ce qui
concerne le corse qui ignore les formes citées pour le sassarese-gallurese (magnési,vurisi, andesi,
mandési, fési, falésini...). En effet le corse moderne ne connaît pas de formes sigmatiques pour la
classe 1 (-à) contrairement à ce que l'on relève en sassarese-gallurese (et en toscan).
Quant aux attestations en "corse médiéval", nous avons indiqué ailleurs (CHIORBOLI 1988) qu'il
doit plutôt s'agir des anciens registres mortuaires de l'île d'Elbe évoqués par ROHLFS 1966:581).
2.4.9.6 Systèmes de marques
2.4.9.6.1 sg1 en -u
A côté des formes étymologiques en -i, on observe pour le type issu de -AVI une tendance à la
finale -u pour le sg1 (obtenue par paragoge) sur le modèle des autres temps
cantaiu, vindiu, finiu (/cantai, vindii, finii).
Outre la recherche de -u comme marque unique de sg1 (cf. imparfait eu sapia/sapiu), on a la
tendance à éviter -i (senti comme la marque du sg2) par la paragoge de -u (ou par d'autres moyens
comme l'emploi de la finale du sg3: cf. cantò pour cantai/cantaiu).
2.4.9.6.2 Bipartition des classes verbales
Elle est scrupuleusement respectée, quelle que soit le type de parfait (cf. ci-dessus):
(T|
SG1
1 /2
cantai /vindii =finii
cantaiu /vindiu =finiu
canteti /vinditi =finiti
|T)
La notation sporadique d'une variation -E-/-I- dans la classe 2 est à mettre en relation avec les
intentions littéraires qui président à l'emploi du passé simple (AGOSTINI 1984:166, 170 note la
variation cridei/cridìi au "passé défini", et mentionne même en note une "forme ancienne" d'imparfait
indicatif crideva).
2.4.9.6.3 Structure de pl3 (sg3 + nu)
Le formes corses de pl3 apparaissent formées de sg3 + -nu:
(T|
1 2
sg3 cantò / cantete partì / partiti
pl3 cantonu / cantetenu partìnu / partitini
|T)
Cela s'applique également aux parfaits forts, quelles que soient les caractéristiques phonologiques
locales:
(T|
Nord Sud
sg3 morse morsi
pl3 morsenu morsinu
|T)
On a rapproché les formes corses de la 3ème personne du pluriel des formes rustiques de Lucca (en
-ono: ROHLFS 1966:568 n.3). Le rapprochement doit être intégré dans une explication d'ordre
structural: le segment -nu (-ni), ajouté aux formes de la 3ème personne du singulier est en corse la
marque régulière -et unique- de la 3ème personne du pluriel à tous les temps, à tous les modes et pour
tous les verbes (sauf indicatif présent de esse (-a).
2.4.9.6.4 Extension de -O- (sg1, pl1: eu cantò, no cantomu)
Sur le modèle cantò + nu > cantonu (pl3), on note dans les parlers du Sud une extension de /o/
tonique dans d'autres désinences
sg1: m'affaccò, a li pruvò (S. AUDDE' in CECCALDI 1973:650)
pl1: diccipom' i quarceti (NATALI 1961:63)
amomi (-mm-), cantomi (PAGANELLI 1975:70, 81)
scappommu (D. CASTELLI).
Les formes cantommu pourraient représenter cantò +mu: la 3ème personne suivie de la marque de
la 1ère du pluriel (avec la gémination caractéristique de [m] posttonique, rarement marquée dans la
graphie).
Le phénomène est connu dans certains parlers toscans (lavommo: Lucca, Elba, Giglio: ROHLFS
1966:568); en corse il est limité à certains parlers du Sud, à savoir ceux qui sont d'ordinaire considérés
comme moins exposés à l'influence toscane.
Les formes en -ommu pourraient également résulter d'une évolution phonétique régulière analogue
(syncope, passage de -AU- à -ò- et gémination régulière de -m-):
(T|
CANTAVIT >CANTAUT >cantò
CANTAVIMUS >*CANTAUMUS >cantommu
|T)
On aurait alors une syncope et une assimilation inhabituelles en corse (cf. cantàimu, stètimu,
opposées au toscan cantammo, stemmo). Une explication analogue a été donnée pour l'évolution "non
perfettamente chiara" des formes italiennes en -ammo (assimilation de -avm- en -amm-: TEKAVCIC
1972:965).
Quant aux formes de sg1 en -ò, elles sont attestées en ombrien ou en marchigiano (sg1 gridò,
ROHLFS 1966:568).
2.4.9.6.5 Formes proparoxytoniques au pl1 (sans alternance du radical)
On relève, également pour le parfait fort, le schéma accentuel rhizotonique déjà évoqué pour
d'autres paradigmes (cf. italien giunsi/giungemmo)
sg1 ghjunsi
pl1ghjunsimu
Ce type est présent en Toscane comme dans les parlers méridionaux (Calabre): il s'agit d'un schéma
accentuel normal en latin, où ne se produisait pas non plus d'alternance du radical entre sg1 et pl1
Le verbe modal est obligatoirement avè, suivi obligatoirement et exclusivement de da (dans ses
diverses variantes phonosyntaxiques).
2.4.10.2.2 Le modal (HABEO/DEBEO)
Malgré la concordance avec le sarde et l'italien méridional quant à l'emploi privilégié de la
construction analytique, le futur corse présente des spécificités quant à sa réalisation concrète.
Dans certaines zones (comme le sarde) le modal peut être HABEO ou DEBEO; le corse (comme
l'italien méridional) se sert de HABEO.
En logudorais moderne l'emploi de DEBEO dans la construction en question est en régression en
raison de la valeur de base ("devoir") de ce verbe en sarde (BLASCO FERRER 1984A:268)
Pour le futur DEBEO n'est pas employé en corse moderne bien que sa valeur de base ne soit pas la
nécessité (exprimée par diverses locutions verbales (ex. ci vole). Il faut cependant lier les périphrases à
valeur de futur et de nécessité. Dans certains cas le contexte est nécessaire pour lever l'ambiguïté
potentielle de avè da; dans le proverbe ci-dessous l'idée de nécessité est rendue par la périphrase qui
d'ordinaire a valeur de futur
(Per chì s'hà da marità) l'omu pò sceglie, a donna hà da accettà.
Mais il ne peut y avoir confusion avec les continuateurs de AD: da en corse ne provoque
pas le redoublement syntaxique comme en toscan (ROHLFS 1966:833) mais la lénition. Dans le cas
du futur analytique il y donc concordance avec le Mezzogiorno (calabrais, lucanien, napolitain,
abruzzese: ROHLFS 1966:84; l'auteur ne considère pas le cas du corse). En corse on a par exemple
En position faible faible da peut être réalisé [a] même dans les variétés où /d/ se maintient
(de même pour di: Bastia a donna di Petru = a [d]onn [i] Petru; trait également caractéristique du
Mezzogiorno: ROHLFS 1966:321). Elle peut être entièrement absorbée par par son entourage
aghu da avè ne unu dumane = aghj [a]vè ne ...
aghju da aspettà lu = aghj [a]spettà lu.
2.4.10.2.3.2 Présence dans tout le paradigme
Un phénomène analogue en italien méridional a pu faire penser à une survivance éventuelle du type
HABEO DICERE (ROHLFS 1966:702); en corse il est clair que le connecteur est indispensable: la
forme pleine réapparaît en position forte.
La présence de da (pour a) a été expliqué comme un moyen d'éviter le hiatus, d'abord au sg2. Les
parlers modernes du Mezzogiorno l'étendent à tout le paradigme ("per compenso di iato") alors que le
corse ne présente pas forcément la forme pleine, même quand elle permettrait d'éviter le hiatus
ai da purtà = [aa] purtà.
2.4.10.3 Futur synthétique
2.4.10.3.1 Structure
Le futur synthétique corse est formé du léxème suivi de la marque morphématique du futur
(variantes géographiques -/ar/ ou -/er/) et du présent du verbe avè
RADICAL +/ar/ + présent de avè
/er/
L'auxiliaire avè prend les mêmes formes flexives dans toutes les périphrases verbales où il
intervient, quel que soit leur degré de lexicalisation. Dans les formes soudées il apparaît
obligatoirement sous sa forme réduite:
(T|
participe passé cantaremu cantatu / avemu cantatu
Elle concerne aussi d'autres secteurs ou les motivations morphologiques ne sont pas
concernées (nùmeru/nùmaru; cf. aussi ROHLFS 1966:140: "La Corsica davanti a r preferisce a:
...numarosu, avaria..."
2.4.10.3.4.2 Formes contractées
Bien que les grammaires les ignorent, on relève deux verbes (vulè, pudè) qui présentent une flexion
irrégulière au futur (et au conditionnel):
vularà, vulerà / vurrà
pudaremu, pudarebe / purremu, purrebe (MARCHIONI, Corse-Matin 2/11/88)
Les formes du type purrà sont sans doute analogiques, influencées par vurrà qui peut témoigner
d'une évolution régulière (syncope suivie d'une assimilation consonantique
vularà > *vulrà > vurrà; cf. italien vorrà).
Le fait que vurrà soit surtout observable dans le Sud pourrait conduire à mettre cette
forme en relation avec la tendance des parlers du Sud à pratiquer l'apocope plus couramment que dans
le Nord (et peut être aussi avec l'affaiblissement des voyelles finales caractéristique de certaines zones
du Sud corse -et italien: cf. LAUSBERG 1976:272)
qual ci hè? / quale ci hè?
ùn vol dì / ùn vole dì
Ces cas isolés ne remettent pas en cause la tendance pancorse à l'absence de syncope dans
le futur synthétique.
2.4.10.3.4.3 Sg2 en -è(-i)
On observe pour le sg2 des formes corses de futur en -è ou -ei, ignorées semble-t-il par les
romanistes, mais assez fréquentes pour être relevées par les grammaires corses à côté des formes en
-ai, ou proposées même comme modèle unique (YVIA-CROCE 1972)
cantarè (Sud), cantarei, cantarè (Nord); cf. AGOSTINI 1984
Dans l'aire italienne ce type de futur est attesté dans le Nord où il correspond à un
développement phonétique régulier (ROHLFS 1966:588).
DALBERA-STEFANAGGI 1983:359 voit un simple phénomène phonétique à l'oeuvre dans les
formes corses de futur en -è(i): "la séquence à-i (le à représentant ici le radical du verbe avoir) ... peut
se résoudre en une voyelle moyenne, de timbre è, de manière exactement symétrique à à-u ->ò".
L'interprétation est recevable à condition qu'il s'agisse de la position non accentuée: si en position
tonique "la diphtongue AU aboutit généralement à ò en corse" (DALBERA-STEFANAGGI
1983:382), on aurait du mal à trouver des exemples attestant le passage à è de la diphtongue
(secondaire) ài accentuée (le type CANTARE HABEO aboutit à un paradigme uniformément accentué
sur l'auxiliaire: LAUSBERG 1976:846). Le résultat e est régulier en italien septentrional et sporadique
en italien méridional; ailleurs, notamment en corse, on a soit le maintien soit le passage à a (cf.
ROHLFS 1966:15)
S'il s'agit au contraire de la position atone (proclitique), on peut observer en corse moderne (au
Nord comme au Sud et même à l'écrit: CHIORBOLI 1987) des variations parallèles à u/o et à i/e (o
scrittu = à u scrittu MORACCHINI 1986:66; e ligna = à i ligna PAGANELLI 1975:20.
Notons que de tels phénomènes sont attestés en italien méridional (calabrais e casi = à i casi,
ROHLFS 1966:133) et qu'en sicilien on a (pour le sg1) è bìnniri à côté de aj a binniri.
Il faudrait alors envisager un passage à e dans le type HABES (AD) DARE, dans un contexte où
l'auxiliaire est désaccentué (ai>e). La forme e a pu alors s'étendre au type DARE HABES, où
l'auxiliaire reçoit l'accent, et éventuellement la marque -i caractéristique du sg2
*ai dà(ri) / darài
*e dà(ri) / darè(i)
Notons aussi que dans le Sud le -i du sg2 manque généralement après a ou e: a' fattu = ai
fattu; se' (<*sei) corsu = sè corsu = sì corsu. Cela a pu produire une homonymie entre le sg2 et le sg3
dans le type DARE HABEO
sg2: *[a] dà(ri) / dar[a]
sg3: *[a] ddà(ri) / dar[a].
Une telle homonymie est aujourd'hui résolue dans certains cas grâce aux caractéristiques
phonosyntaxiques du corse (sg2: a' [v]attu; sg3: hà [ff]attu). Dans le cas de la désinence du futur le /e/
(régulier) de pl2 (dar/e/ti) a pu s'étendre au sg2 (darè), en vertu notamment du rapport morphologique
étroit qui existe d'ordinaire dans de nombreux paradigmes entre sg2 et pl2 (cf. cond saresti/sarestite).
Des couples comme canteti/cantetite (parfait) ou saresti/sarestite (conditionnel; cf. infra) ont pu
engendrer une sorte d'équation
pl2 = sg2 + /te/ (ou /ti/)
Après l'extension analogique de /e/ au sg2, on a entre certains paradigmes du futur et du
conditionnel (notamment) des rapports symétriques:
(T|
CONDITIONNEL FUTUR
sg2 saresti cantarè
(T|
RAD + /ar/ + DES de PERS-NB:
(/er/)
ex. av- ar- è
|T)
2.4.10.3.4.4 -/i/- au pl1 et 2
De même que la désinence -imu dans la classe 1 est caractéristique du parler de Corti, les futurs en
-erimu, -erite (ex. dì: dicerimu, dicerite) font partie des "indicateurs internes" de cette zone: "à Corté,
par exception, toutes les désinences verbales en -emu de la 1ère p.p. passent à -imu. De la même façon,
les désinences en -ete de la 2ème p.p. passent souvent à -ite: avite, averite, parlerite, etc."
(MARCHETTI 1974:145). On relève également (p. 144):
futur: piglierimu, passerimu, surterimu
présent: cullimu, andimu.
Nous avons déjà souligné pour l'indicatif présent la tendance à généraliser la voyelle thématique -I-
à l'ensemble des classes verbales. Le futur empruntant ses désinences au présent de avè, il est naturel
de s'attendre à une identité de marques, d'autant plus que Corti se distingue également par la flexion de
la classe fossile en -è: on a uniformément -I- là où on a ailleurs soit -E- (étymologique) soit une
variation plus ou moins libre -E-/-I-. Ici aussi on retrouve au futur les désinences de avè:
(T|
avè (présent): av- imu
cantà (futur): canter- imu
|T)
Des désinences analogues (vederite) ont été relevées dans des textes italiens anciens: ROHLFS
1966:592 les considère comme "douteuses" et suppose qu'il s'agit d'un "futur normal" (et non de
vestiges du futur antérieur latin, type CANTA(VE)RO) avec des désinences méridionales".
2.4.10.4 Formes et fonctions
2.4.10.4.1 Elements de comparaison
2.4.10.4.1.1 Restucturations
Les transformations importantes des formes verbales du latin parlé ont abouti dans les diverses
langues romanes à des systèmes complexes, où de nouvelles périphrases naissent et coexistent avec
des fonctions multiples.
Le rôle et la genèse des formes périphrastiques tiennent une place importante dans les études
typologiques. Le fonctionnement en corse du type type HABEO AD + infinitif et des types
concurrents ont fait l'objet d'interprétations diverses.
2.4.10.4.1.2 cantaraghju (canteraghju)
La référence au domaine toscan est constante malgré la variation, qu'il s'agisse des formes
synthétiques ou analytiques. Il est vrai que l'extrême diversité des formes dans le domaine toscan et
italien en général favorise tous les rapprochements.
Les formes en -er- au lieu de -ar- dans la classe 1 (cant/e/raghju à Bastia) peuvent être rapprochées
du cant/e/rò de l'italien littéraire; quand il s'agit du processus inverse (et majoritaire en corse) qui
généralise -ar- à toutes les classes, on peut faire référence au parler de Sienne. Malgré la réduction de
HABEO à ho qui oppose le toscan et l'italien littéraire aux évolutions survenues ailleurs (TEKAVCIC
1972:1008), on relève surtout la correspondance entre les formes corses modernes (saparaghju,
diceraghju, andaraghju) cantaraghju) et le toscan ancien (sapraggio: ROHLFS 1966:587) sans relever
l'absence de syncope caractéristique du corse (et du sicilien par exemple).
Tout autant que pour le toscan ancien, il est utile de relever la concordance avec les parlers
-actuels- du Mezzogiorno : qu'il s'agisse de -aghju (y compris la consonne affriquée médiopalatale
/gJ/), ou de la généralisation de -ar- à toutes les classes (STEHL 1988:709).
2.4.10.4.1.3 aghju da cantà
Pour ce qui est de la forme périphrastique, elle n'est pas relevée d'ordinaire parmi les traits
caractéristiques du corse (cf. MERLO 1925, MELILLO 1977, NESI 1988).
ROHLFS 1966:591 a simplement relevé que, en dehors de l'aire méridionale, on la trouve en
florentin populaire et en corse, alors qu'en Sardaigne sa présence est "tout à fait normale".
Si d'autres formes sont présentes en fonction de futur (présent simple, futur synthétique avec
diverses fonctions et nuances sémantiques, formes périphrastiques diverses: cf. CHIORBOLI
1988:37); le type HABEO AD + infinitif est cependant un trait typique du corse, comme du
Mezzogiorno et de la Sardaigne. Nous avons observé que les concordances avec le Mezzogiorno
s'étendaient à la forme du connecteur employé ainsi que du corse (da au lieu de a), les répercussions
phonotactiques étant les mêmes (par exemple en pugliese et salentino: STEHL 1988:709): la Toscane
est d'ailleurs la seule à pratiquer le renforcement syntaxique après da (ROHLFS 1966:833; on a au
contraire la lénition en corse: da [v]alà/à [ff]alà).
La conservation des constructions analytiques est considérée comme un trait archaïque des zones
périphériques de la Romania (BLASCO FERRER 1984A:32). Le futur n'est pas le seul domaine où le
corse se distingue par un usage préférentiel de tours périphrastiques (CHIORBOLI 1988:48-9).
2.4.10.4.2 Le système
La présence dans le même système de formes synthétiques concurrentes à côté du futur analytique
ne doit pas surprendre; rappelons que la grammaticalisation de la périphrase avec HABEO postposé
est présente même dans les zones méridionales italiennes où elle est notoirement impopulaire (cf.
STEHL 1988:709).
La diversité des interprétations du fonctionnement corse dans ce domaine tient sans doute au fait
qu'on intègre rarement l'ensemble des structures verbales concernées, ou qu'on tend à établir entre
celles-ci une division stricte des rôles, là où les mêmes fonctions sont souvent prises en charge par des
formes différentes et où, inversement, les mêmes formes remplissent des fonctions multiples et
variables selon le contexte.
Pour simplifier il faut considérer, dans la sphère du futur
-le présent simple;
-le futur périphrastique;
-le futur synthétique.
Pour exprimer le futur, le corse se sert couramment du présent simple, la plupart du temps
commutable avec la périphrase (avè da + infinitif)
1) colla dumane
2) hà da cullà dumane dumane
L'emploi de la forme synthétique dans un tel contexte n'est pas exclue, mais impliquerait une
nuance qui pourrait être par exemple:
(T|
3) cullerà avà : épistémique, événement présent (c'est probable)
4) sarà cullatu eri : épistémique, événement passé (c'est probable)
5) cullerà dumane : futur (c'est probable)
6) cullerà avà/dumane : impérative (il le faut)
7) cullerà avà/dumane : concessive (puisqu'il le faut...)
|T)
L'emploi de la forme synthétique avec des précisions chronologiques semble inadaptée si la valeur
est purement temporelle; il redevient plausible si l'indication chronologique est imprécise
8) cullerà un di sti ghjorni (cf. le slogan "un ghjornu camperemu in una Corsica libara è sucialista")
2.4.10.4.3 Lignes de force
2.4.10.4.3.1 Futur
Il semble que, grosso modo, les tendances relevées en français (ARRIVE/GADET/GALMICHE
1986:275) puissent valoir pour le corse: "surtout quand la réalisation du procès est conçue comme
proche ou inéluctable, le futur est concurrencé par le présent et les périphrases verbales". En italien
également le présent concurrence fortement le futur (vengo domani: BERRUTO 1987:70). Nous
croyons pouvoir relever également en italien, avec une valeur stylistique voire ludique, l'amorce d'une
construction parallèle au français aller + inf: "ed ora, signori e signore, andiamo a presentarvi..."
(l'influence du français, particulièrement dans les médias, est actuellement très forte en Italie).
2.4.10.4.3.2 Périphrases
En corse, contrairement à la périphrase "hà da cullà", un énoncé comme "cullerà" sera difficilement
perçu comme un simple futur.
Les périphrases aller + infinitif et avè da + infinitif sont employées à peu près de la même façon.
Au français "être sur le point de" et à l'italien "stare per" suivis de l'infinitif on peut faire
correspondre en corse la structure esse per + infinitif
sò pè finì
L'emploi de ESSE au lieu de STARE dans les périphrases ("ausiliare OMNIBUS") est
relevé comme un trait opposant le sarde au toscan (BLASCO FERRER 1984A:183). De ce point de
vue l'opposition existe également entre corse et toscan (futur proche: hè per more, ou présent
progressif: hè sempre lagnendu si; cf. CHIORBOLI 1989A).
2.4.10.4.3.3 Emploi épistémique
L'emploi du futur synthétique à valeur épistémique a été relevé en français ("le glas est en train de
sonner: ce sera pour cette pauvre Madame Hons", ARRIVE/GADET/GALMICHE 1986:276) et en
italien où semble même s'amorcer une spécialisation (BERRUTO 1987:70).
En corse de tels emplois sont particulièrement fréquents (avec des répercussions dans le français
régional); "le futur hypothétique apparaît donc comme un opérateur d'identité de la langue corse"
(GIACOMO-MARCELLESI 1983:392).
La spécialisation semble plus avancée en corse. Si l'italien emploie le "futur épistémique" en
référence à un événement présent ou passé, (cf. ci-dessus 3) et 4), le corse peut le faire également en
référence à un événement envisagé dans le futur (ce qui ne semble pas possible en italien: "il futuro
può essere usato...con un valore epistemico rispetto a un evento presente: saranno le tre; SALVI
1988:118; de même BERRETTA 1988:765)
venerà dumane?
L'interrogation peut porter soit sur la proposition entière (qui sait s'IL VIENDRA DEMAIN) ou bien
sur l'indication chronologique (qui sait s'il viendra DEMAIN). Il faudrait, pour évacuer la valeur
épistémique, employer le présent ou la périhrase (vene dumane?/hà da vene dumane?).
En italien la présence d'une précision chronologique relative à un événement futur (verrà domani?)
semble devoir exclure la valeur épistémique.
2.4.10.4.3.4 Schématisation
On peut dire pour simplifier que le futur est exprimé en corse par le présent simple ou la tournure
périphrastique, et que le futur synthétique a plutôt une valeur épistémique. Nous aurons d'ailleurs à
revenir sur l'emploi des temps et le rôle des (nombreuses) formes périphrastiques corses. Même si
s'imposent des études ultérieures approfondies, prenant notamment en compte l'aspect littéraire et
stylistique (cf. GIACOMO-MARCELLESI 1983), l'essentiel à propos du futur en corse a été dit dans
un article déjà ancien, qui met en lumière les caractéristiques majeures (nous renvoyons à GIACOMO-
MARCELLESI 1974, notamment aux pages 132-3 qui mériteraient d'être citées in extenso).
Nous voudrions souligner ici que nous avons distingué entre valeurs temporelles et valeurs modales
uniquement pour simplifier l'exposé des caractéristiques morphologiques. On sait par ailleurs que le
futur, sous ses diverses formes, n'a pratiquement jamais une valeur purement temporelle ("il carattere
puramente deittico del futuro è illusorio" SORNICOLA 1988:174), et qu'il est aussi difficile de définir
les propriétés syntaxiques indépendamment des aspects pragmatiques (essentiels mais pour l'instant
peu étudiés par les linguistes).
2.4.10.4.3.5 Genèse
En ce qui concerne la genèse du système corse, elle est bien sûr difficile à reconstituer en raison de
l'absence de textes aux diverses époques. On voit que le corse moderne connaît la construction
analytique mais également la grammaticalisation de la tournure avec HABEO postposé.
En sarde moderne, au contraire, les constructions du type HABEO AD CANTARE se sont
imposées en fonction de futur (à côté de celles qui utilisent DEBEO: BLASCO FERRER 1984A:110).
Mais on sait que le sarde a connu des époques où diverses tournures coexistaient avec diverses
fonctions -modales ou temporelles- selon le contexte. BLASCO FERRER note que jusqu'au XVIIème
siècle se maintiennent aussi bien les constructions "asyndétiques" (sans connecteur: HABEO
CANTARE) que les constructions "syndétiques" (HABEO AD CANTARE) où le connecteur AD
renforce la valeur temporelle au détriment des autres.
Pour le corse, après une période de "surcharge fonctionnelle" analogue à celle du sarde (BLASCO
FERRER 1984A:109), on peut supposer que les périphrases contenant le connecteur AD se
spécialisent dans la fonction temporelle, alors que les périphrases sans connecteur (avec HABERE
postposé) tendent à prendre en charge la fonction modale. Nous avons schématisé ci-dessous les
phases de l'évolution supposée:
(T|
valeur temporelle modale
1) HABEO CANTARE /CANTARE HABEO + +
2) HABEO CANTARE /CANTARE HABEO + +
HABEO AD CANTARE + +
3) HABEO CANTARE /CANTARE HABEO + +
HABEO AD CANTARE +
4) /cantaraghju +
aghju da cantà/ +
|T)
2.4.11 Conditionnel
2.4.11.1 Généralités
Le conditionnel a un statut controversé. Il est employé soit comme mode, soit comme temps, et est
constitué, dans les langues qui le connaissent, selon le même principe que le futur.
La création du "conditionnel" pour remplacer le "futurum praeteriti" ou en tant que nouveau mode
est un phénomène bien connu et étudié par les romanistes (cf. par ex. TEKAVCIC 1972:855 et suiv.)
La plupart des caractéristiques morphologiques du futur se retrouvent dans le conditionnel, compte
tenu du fait que le conditionnel est formé à l'aide du passé de HABERE (ex. CANTARE
HABEBAM/HABUI; cf. pour le futur CANTARE HABEO).
Comme nous l'avons observé pour le futur, on trouve en corse la plupart des formes employées ici
ou là dans la Romania pour exprimer le conditionnel dans ses diverses valeurs temporelles ou ou
modales:
A) Futur dans le passé
(T|
CORSE FRANCAIS ITALIEN
(dicia ch'ellu) (il disait qu'il) (diceva che)
avia da parte
partaria partirait
saria partutu sarebbe partito
|T)
B) "Conditionnel" (par exemple irréel du présent)
(T|
CORSE FRANCAIS ITALIEN
(s'o era riccu) (si j'étais riche) (se fossi ricco)
( = fussi =)
avia da parte
partia
partaria je partirais partirei
|T)
Ici aussi il faut cependant souligner que les formes issues de la fusion du type CANTARE
HABEBAM/HABUI sont en corse fortement concurrencées par d'autres moyens d'expression,
notamment des formes périphrastiques (non soudées). C'est le cas pour les emplois modaux, et surtout
pour la valeur temporelle: contrairement à la plupart des langues romanes, le corse n'est pas contraint
de recourir au "conditionnel" pour exprimer le futur dans le passé, qu'il peut rendre par la formule avè
(imparfait) +da +infinitif (symétrique du futur formé de la même manière avec le présent de avè; cf.
CHIORBOLI 1988; à rapprocher du français: il sait qu'il va partir/il savait qu'il allait partir).
2.4.11.2 Formes synthétiques
2.4.11.2.1 CANTARE HABEBAM/HABUI
Le corse connaît la formation avec l'imparfait de HABERE, ainsi que celle avec le parfait. Le type
CANTARE HABUI, caractéristique de l'italien, est limité en corse à certains parlers comme le bastiais
qui connaît également d'autres formes (généralement hybrides; cf. infra). Malgré la variété des formes
significative d'une mauvaise intégration du conditionnel dans le système, le type CANTARE
HABEBAM (propre à la plupart des langues romanes) est majoritaire en corse et tend à s'imposer dans
l'ensemble des variétés grâce notamment à l'élaboration linguistique (cf. CHIORBOLI 1988:38).
Le type avec HABUI(>-ei) est considéré comme autochtone en Toscane, alors que HABEBAM
(>-ia) y a pratiquement disparu. La présence du type HABEBAM en italien anc (tosc: cantaria) est
aujourd'hui considérée comme résultant d'influences littéraires méridionales (sicilien notamment) qui
persistent dans l'usage savant jusqu'au XIX siècle ("sappiamo con certezza che i condizionali in -ia (e
sim.) non spettano alle tradizioni toscane", MULJACIC 1988:292; cf. aussi DEVOTO 1974:202 qui
parle de "latinità napoletana" à propos du conditionnel en -ia).
Aujourd'hui le type avec HABUI s'est imposé en italien littéraire, alors que HABEBAM est
caractéristique du Mezzogiorno (pour les zones qui emploient le conditionnel!). Cependant les deux
types de conditionnel sont présents un peu partout, ainsi que les paradigmes mixtes dus aux
contaminations et aux formations analogiques (TEKAVCIC 1972:1012).
2.4.11.2.2 Variations formelles
On retrouve en général au conditionel les caractéristiques phonétiques de l'imparfait ou du parfait
corses, ou les contaminations et restructurations analogiques habituelles
-absence de syncope
(T|
canterebbi (cf. tosc. canterei);
canterebbimu (cf. tosc. canteremmo)
vinaria/venerebbe (cf. tosc. verrebbe)
|T)
(Cf. futur pour les restrictions concernant vulè: vurria)
(T|
latin: QUIS CREDAT HOC VERUM ESSE
italien: chi crederebbe che questo sia vero?
corse: quale hà da crede ch'ella hè vera quessa?
/... cridaria ... sia
|T)
On a également relevé "l'utilisation du conditionnel en tant que métaphore temporelle par l'emploi
de laquelle il perd tout caractère narratif mais garde le désengagement à quoi on reconnaît le monde
raconté du monde commenté"; cette fonction -connue ailleurs- de "restriction de validité" est
considérée comme originale lorsqu'elle s'exprime en corse "pour rendre compte des liens de parenté"
(GIACOMO-MARCELLESI 1983:393)
vinaria u fiddolu di Petru "c'est le le fils de Pierre".
On pourrait voir dans de tels énoncés un parallélisme par rapport aux emplois
"épistémiques" du futur (sarà u fiddolu di Petru).
Comme pour le futur, il apparaît indispensable d'intégrer la dimension pragmatique pour rendre
compte des modalités prises en charge par le conditionnel. Comme dans d'autres domaines (ordre des
mots, articles, possessifs et autres déictiques...) cela est capital si l'on veut éviter de confondre des
propriétés syntaxiques plus ou moins originales avec des modes d'expression indissolublement liés aux
circonstances précises dans lesquelles se produisent les actes linguistiques.
2.4.12 Impératif
2.4.12.1 La 2ème personne
L'impératif a comme formes propres la 2ème personne du singulier et du pluriel (TEKAVCIC
1972:948) et sa flexion est en rapport étroit avec celle de l'indicatif présent (LAUSBERG 1976:805).
Au sg2 on a une opposition entre -a (classe 1) et -i (autres classes); on retrouve éventuellement les
mêmes infixes qu'au présent indicatif
canta! /vendi! = finisci
impruviseghja (-ighja)!
Le pl2 en corse (comme en italien, en français ou en roumain: TEKAVCIC 1972:1021) est
identique à l'impératif et à l'indicatif présent
(T|
IMPERATIF =INDICATIF
cantate (canteti)! = (vo(i) cantate (canteti)
|T)
2.4.12.2 La 1ère personne du pluriel
Il en va de même pour le pl1; cependant on notera que le subjonctif n'est pas ici concerné (cf.
supra, indicatif présent) contrairement à ce qui se passe en italien où -iamo s'est imposé au subjonctif
comme à l'indicatif:
(T|
IMPERATIF INDICATIF SUBJONCTIF
corse: cantemu (-i)! = (no(i) cantemu / (ch'è no) càntimu
italien: cantiamo! = (noi) cantiamo = (che noi) cantiamo
|T)
Cela mérite d'être signalé dans la mesure où l'on justifie parfois l'immixtion du subjonctif dans le
paradigme de l'impératif par les propriétés de ce dernier, non seulement à la 3ème pers (singulier et
pluriel) mais également à la 1ère du pluriel; en italien par ex. "queste forme sono forme del
congiuntivo presente, le quali, per il tratto più generale di subordinazione, possono coprire la funzione,
più ristretta, dell'imperativo" (SKYTTE 1988:44).
En corse les mêmes observations s'appliquent seulement pour la 3ème personne (singulier et
pluriel) où les formes du subjonctif peuvent suppléer celles de l'impératif
ch'ellu (eddu/iddu) canti!
ch'elli (eddi/iddi) cantinu (-i)!
2.4.12.3 Reconstructions
En corse l'impératif cantemu peut remonter directement au subjonctif latin CANTÉMUS. Dans
l'aire romane, comme l'observe ROHLFS 1966:608 , "in origine la prima persona del plurale con senso
esortativo dovette essere identica alla corrispondente forma del congiuntivo presente".
On aurait alors eu en corse une phase ancienne avec identité de formes (-emus) entre indicatif,
subjonctif et impératif (comme en roumain ou en ancien français: LAUSBERG 1976:803), et une
différenciation ultérieure du subjonctif (cf. -iamo et -ions en italien et en français moderne). Nous
rappelons ici que les modalités spécifiques de la différenciation corse ont abouti à un paradigme
entièrement rhizotonique (cf. supra, subjonctif présent).
En corse moderne comme en italien ou en français on aboutit ainsi -par des chemins divers- à
l'identité formelle entre impératif et indicatif (pl1 et 2). C'est le cas également pour le Mezzogiorno où
le subjonctif présent a pratiquement disparu (ROHLFS 1966:608). La variation géographique interne à
la Corse ne change rien à cette symétrie:
(T|
SUD NORD
PL1 INDICATIF/IMPERATIF cantemi cantemu
PL2 INDICATIF/IMPERATIF canteti cantate
|T)
On sait que l'indicatif (pl1) d'autres langues romanes est considéré comme résultant de
l'influence du subjonctif (par ex. en français ou en italien: LAUSBERG 1976:803, TEKAVCIC
1972:939).
Comme nous l'avons déjà signalé plus haut (cf. indicatif présent), il n'est pas exclu que le subjonctif
(ancien) ait également influencé les formes d'indicatif conservées en corse moderne, notamment dans
le Sud où -emu, -eti de l'indicatif pourraient renvoyer au subjonctif en -EMUS, -ETIS. Le fait que le
subjonctif corse moderne ne soit pas aujourd'hui concerné par cette symétrie peut être dû à sa
différenciation ultérieure qui a abouti à un paradigme uniformément rhizotonique.
2.4.12.4 Forme négative (sg2)
Dans le système verbal roman, seul l'impératif change sa flexion en présence de la forme négative
(TEKAVCIC 1972:1020).
Le corse (comme l'italien, le roumain et le français ancien) se sert en général de l'infinitif pour le
sg2 (alors qu'au pl2 l'impératif est conservé)
veni / ùn vene micca!
vinite / ùn vinite (-i) micca!
Le corse emploie régulièrement le subjonctif pour esse et avè (cf. sicilien non siari bestia,
ROHLFS 1966:617) y compris à la forme négative (cf. le paragraphe suivant)
ùn sia micca incurrettu (NOTINI in CECCALDI 1973:538
ùn appia peura!
2.4.12.5 Emploi du subjonctif en fonction d'impératif
2.4.12.6 Cas particuliers (esse, avè)
L'emploi du subjonctif à la place de l'impératif pour certains verbes est un phénomène commun à
plusieurs langues (les adjectifs ci-dessous montrent également la différenciation sémantique du même
fonds lexical latin)
corse: sia bravu!
italien: sii buono!
français: sois sage!
Nous avons vu ci-dessus que le corse (contrairement à l'italien) conserve le subjonctif même pour
la forme négative (ùn sia micca baullu / non essere sciocco).
2.4.12.7 Nuances syntaxiques, pragmatiques, sémantiques, stylistiques..
On pourra également noter que le corse peut employer le subjonctif concurremment à l'impératif et
avec des nuances plus ou moins nettes. Des emplois analogues ont été signalés (ROHLFS 1966:610)
comme caractéristiques du Mezzogiorno (où bien sûr c'est l'indicatif présent qui est utilisé en l'absence
de subjonctif)
salentino: cu nno cati cf. corse: (ch'è) t'ùn càschi)
(catite) (ch'è) vo ùn càschite)
|T)
Cependant l'originalité dans ce domaine ne semble pas évidente, qu'il s'agisse du corse ou du
Mezzogiorno. L'expression de l'impératif (négatif notamment) par le subjonctif est observable dans les
textes anciens comme dans les langues modernes, les diverses constructions permettant des "sottili
sfumature semantiche: non crediate significa su per giù "non pensate" (inglese don't think), non
credete equivale a "non prestate fede" (inglese don't trust)" (TEKAVCIC 1972:1032).
Des remarques analogues pourraient s'appliquer au corse (vo) ùn credite, à côté de ùn cridite
(micca), avec probablement l'intervention de l'emphase liée notamment à la structure de la forme
négative (avec ou sans micca)... A propos de l'emploi du subjonctif de "respect" ou de "courtoisie" au
lieu de l'impératif, le traducteur de ROHLFS remarque qu'un énoncé comme "mi porti un caffè" en
italien pouvait aussi bien représenter au contraire "un ordine secco al cameriere" (ROHLFS 1966:609
note1).
Il faudrait également intégrer la possibilité pour le corse d'exprimer le subjonctif "à travers des
circonlocutions", trait caractéristique (selon ROHLFS 1966:684) des régions méridionales qui ont
perdu le subjonctif présent.
Nous avons parlé (CHIORBOLI 1988:32) pour désigner ce trait corse de "subjonctif affectif
périphrastique" (comparer avec certains emplois de aller en français: "éventualité, avec une valeur
affective", ROBERT 1) et cité un exemple tiré d'un voceru (traduction de ETTORI, in Etudes corses
12/13, 19791:85)
Ch'ell'un abbia da entrà "qu'il n'aille pas entrer"