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CHALEUR SPECIFIQUE DES SOLIDES

Considérations introductives
Contributions à la chaleur spécifique des solides :
 Dans les sels paramagnétiques, il existe une contribution due aux
orientations des particules en réaction aux champs magnétiques.
 Dans les métaux, il existe une contribution due aux électrons de
conduction.
 Contribution due aux vibrations des atomes dans tous les
matériaux à l’état solide. Cette contribution est de loin la plus
importante, sauf dans certains cas particulier (aux très basses
température par exemple, elle peut être prédominée dans le cas
des matériaux conducteurs par la contribution des électrons de
conduction).
Dans ce chapitre, nous allons étudier la contribution atomique à la
chaleur spécifique des solides.
Considérations introductives
Il est fondamental pour toute théorie sur la chaleur spécifique des
solides, d’être en mesure d’expliquer ces deux faits expérimentaux :
(1) Aux températures ordinaires, la chaleur spécifique de la plupart
des corps solides se situe autour de 3𝑘 par atome. Donc, pour
des molécules constituées de 𝑛 atomes, la chaleur spécifique
molaire sera de 3𝑅 . Ce fait expérimental constitue pour
l’essentiel ce qui est connu comme la loi de Dulong et Petit
(1819).
Le tableau (I) ci-après donne la chaleur spécifique molaire à pression
constante pour quelques substances solides à 1 atm., 298 K. Ces
valeurs sont à comparer avec la valeur 3𝑅 = 24.9 𝐽/𝑚𝑜𝑙𝑒 ∙ 𝐾. La loi
de Dulong et Petit représente ces valeurs seulement de façon
approximative, elle peut parfois s’en écarter de manière très
importante (voir par exemple la valeur donnée pour le diamant).
Considérations introductives
𝑱
Tablau (I) : Chaleur spécifique molaire 𝑪𝒑 à 𝟐𝟗𝟖 𝑲.
𝒎𝒐𝒍𝒆∙𝑲

Elément 𝑪𝒑 Elément 𝑪𝒑

Al 24.4 S 22.7

Au 25.4 Si 19.9

Cu 24.5 C(diamant) 6.1

(2) Aux basses températures, les chaleurs spécifiques décroissent et


s’annulent à 𝑇 = 0 𝐾. Des valeurs expérimentales typiques sont
représentées graphiquement aux figures 1 à 3 ci-après. La figure 1
montre le comportement général de la chaleur spécifique de l’or
jusqu’à la température de 300 K.
Considérations introductives

Les figures 2 et 3 montrent


le comportement détaillé de
la chaleur spécifique d’un
solide jusqu’à 4 K. Ce sont
des représentations de
𝐶𝑣 𝑇 en fonction de 𝑇 2 qui
indiquent que les chaleurs
spécifiques comme
fonctions de la température
sont de la forme :
𝐶𝑣 = 𝛼𝑇 3 + 𝛾𝑇
où 𝛼 et 𝛾 sont des
constantes. Fig. 1 :
Considérations introductives
Pour le chlorure de potassium (KCl) (fig.2 ci-dessous), on a 𝛾 = 0, ce
qui donne dans ce cas un 𝐶𝑣 directement proportionnel à 𝑇 3 aux
basses températures. Ce comportement est typique des matériaux
isolants.

Fig. 2 :
Considérations introductives
Pour le cuivre (Cu), la chaleur spécifique comporte également un
terme linéaire en 𝑇 (correspondant à l’intersection de la droite de
lissage avec l’axe des ordonnées à 𝑇 = 0 𝐾 sur la figure 3 ci-dessous :
𝛾 ≠ 0). Ce terme linéaire est une contribution des électrons de
conduction à
la chaleur
spécifique du
solide
conducteur.
Le terme en
𝑇 3 est dans
les deux cas
dû aux
vibrations
atomique du Fig. 3:
solide.
Considérations introductives
En mécanique statistique classique, le théorème de l’équipartition de
l’énergie conduit à une valeur constante de la chaleur spécifique
atomique du solide, à toutes les température; cette valeur est de 3𝑅.
Ce résultat contredit bien sûr à la fois les observations expérimentales
et le troisième principe de la thermodynamique qui exige que la
chaleur spécifique soit nulle au zéro absolu.
Une étape essentielle dans la procédure visant à résoudre cette
contradiction entre la théorie classique et l’observation expérimentale,
est due à Einstein qui, en 1907, a traité les vibrations atomiques du
solide par l’application des concepts de la théorie quantique.
La théorie d’Einstein reproduit sur le plan qualitatif les faits observés
expérimentalement. Il a proposé un modèle très simplifié qui
n’ambitionnait nullement de s’accorder à l’expérience sur le plan
quantitatif. Il a même relevé le type de modifications qu’il était
nécessaire d’apporter à son modèle pour le rendre plus précis. Plus
tard, Debye a apporté certaines améliorations au modèle d’Einstein.
Théorie d’Einstein concernant la chaleur
spécifique du solide
Dans son modèle, Einstein considère que les atomes d’un solide
cristallin vibrent indépendamment les uns des autres autour de
positions fixes au sein du réseau cristallin. Ces vibrations sont
supposées harmoniques simples, toutes avec la même fréquence :
𝜔𝐸
𝜈𝐸 = (1)
2𝜋
où 𝜔𝐸 est la fréquence circulaire de vibration.
L’équation du mouvement pour un atome, soit :
𝑟 = −𝜔𝐸2 𝑟 (2)
(où 𝑟 représente le déplacement de l’atome par rapport à sa position
d’équilibre dans le réseau), se décompose en trois équations
mutuellement indépendantes, de forme identique, pour les
composantes cartésiennes du vecteur position 𝑟 suivant 𝑥, 𝑦 et 𝑧.
Théorie d’Einstein concernant la chaleur
spécifique du solide
Par conséquent, un solide cristallin composé de 𝑁 atomes sera
équivalent à 3𝑁 oscillateurs harmoniques qui vibrent
indépendamment les uns des autres, tous avec la même
fréquence circulaire 𝜔𝐸 . La valeur de cette fréquence dépend de
l’intensité de la force de rappel qui agit sur les atomes.
Il est clair que le modèle proposé par Einstein constitue une
simplification grossière de la réalité, en considérant ainsi les
atomes comme des oscillateurs indépendants qui vibrent à la
même fréquence dans toutes les directions. La figure 4 ci-après
montre un schéma macroscopique analogique qui reproduit en
bidimensionnel les mécanismes des vibrations atomiques dans
un réseau cristallin.
Théorie d’Einstein concernant la chaleur
spécifique du solide
Si l’on écarte une seule des billes
qui représentent les atomes de
sa position d’équilibre, et qu’on
la relâche, soit par exemple la
bille (A) sur la figure, la
perturbation se propagera à
travers l’ensemble du réseau et
finira par provoquer la vibration
de toutes les billes qui le
composent. Donc, les vibrations
d’un réseau cristallin sont en
réalité des oscillations couplées Fig. 4
de façon très compliquée de tous
les atomes du réseau. De tels aspects sont ignorés par le modèle
d’Einstein.
Théorie d’Einstein concernant la chaleur spécifique du solide

Einstein appliqua aux 3𝑁 oscillateurs harmoniques indépendants les


concepts de la mécanique quantique. Rappelons ici que pour un
oscillateur harmonique de fréquence circulaire 𝜔𝐸 , l’énergie est
quantifiée selon l’expression :
1 𝜔𝐸 1 ℎ 1
𝜀𝑣 = ℎ𝜈𝐸 𝑣 + =ℎ 𝑣+ = 𝜔𝐸 𝑣 +
2 2𝜋 2 2𝜋 2
Soit :
1
𝜀𝑣 = ℏ𝜔𝐸 𝑣 + 𝑣 = 0, 1, 2 … (3)
2
Par conséquent, la fonction de partition pour un oscillateur sera :
∞ ∞
𝜀 ℏ𝜔 1
− 𝑣 − 𝑘𝑇𝐸 𝑣+2
𝑍1 = 𝑒 𝑘𝑇 = 𝑒
𝑣=0 𝑣=0
En posant 𝜃𝐸 = ℏ𝜔𝐸 𝑘 , puis 𝑥 = 𝜃𝐸 𝑇 , où 𝜃𝐸 est appelée
"température d’Einstein", l’expression ci-dessus devient :
Théorie d’Einstein concernant la chaleur spécifique du solide

𝑥 𝑥
−2 −2
𝑍1 = 𝑒 𝑒 −𝑥𝑣 = 𝑒 1 + 𝑒 −𝑥 + 𝑒 −2𝑥 + 𝑒 −3𝑥 + ⋯
𝑣=0
𝑥
−2 1
= 𝑒 ∙
1 − 𝑒 −𝑥
Soit finalement :
𝑥
−2
𝑒
𝑍1 = (4)
1 − 𝑒 −𝑥
L’énergie moyenne d’un oscillateur sera alors donnée par :
2
𝜕 ln 𝑍1 2
𝜕 𝑥
−2
𝜀 = 𝑘𝑇 = 𝑘𝑇 ln 𝑒 − ln 1 − 𝑒 −𝑥 𝑉
𝜕𝑇 𝑉 𝜕𝑇
2
𝜕 𝑥 𝜕 −𝑥
𝜕𝑥
= 𝑘𝑇 − − ln 1 − 𝑒 ∙
𝜕𝑥 2 𝜕𝑥 𝜕𝑇
1 𝑒 −𝑥 𝜃𝐸
= 𝑘𝑇 2 − − ∙ − 2
2 1−𝑒 −𝑥 𝑇
Théorie d’Einstein concernant la chaleur spécifique du solide

Soit finalement :
1 1
𝜀 = 𝑘𝜃𝐸 + 𝑥 (5)
2 𝑒 −1
Le premier terme de cette expression, 𝑘𝜃𝐸 2 , représente le point
zéro de l’énergie pour l’oscillateur, celle qu’il possède même lorsque
la température est nulle (au zéro absolu).
Etant donné que l’énergie est une propriété extensive, on obtient
directement l’énergie des 3𝑁 oscillateurs indépendants de notre
solide cristallin constitué de 𝑁 atomes :
1 1
𝐸 = 3𝑁𝜀 = 3𝑁𝑘𝜃𝐸 + 𝑥 (6)
2 𝑒 −1
Ensuite, on a pour la chaleur spécifique à volume constant du solide :
𝜕𝐸 −𝑒 𝑥 𝜃𝐸
𝐶𝑣 𝑇 = = 3𝑁𝑘𝜃𝐸 𝑥 2
− 2
𝜕𝑇 𝑣 𝑒 −1 𝑇
Théorie d’Einstein concernant la chaleur spécifique du solide
Soit en définitive :
𝑥2𝑒 𝑥 𝜃𝐸
𝐶𝑣 𝑥 = 3𝑁𝑘 𝑥 2
𝑎𝑣𝑒𝑐 𝑥 = (7)
𝑒 −1 𝑇
Cette équation représente le résultat fondamental de la théorie
d’Einstein sur la chaleur spécifique du solide. On notera que la
chaleur spécifique du solide selon la théorie d’Einstein dépend d’un
paramètre unique : la température d’Einstein définie par l’expression
𝜃𝐸 = ℏ𝜔𝐸 𝑘 , dont la valeur pourra être choisie différemment pour
chaque solide pour conformer ce résultat aux données
expérimentales.
Par ailleurs, étant donné que la chaleur spécifique dépend de la
température uniquement par le biais de la variable 𝑥, on peut
distinguer deux régimes limites selon que 𝑇 ≫ 𝜃𝐸 où 𝑇 ≪ 𝜃𝐸 :
(1) Limite des hautes températures : 𝑇 ≫ 𝜃𝐸 (𝑥 ≪ 1).
Dans ce cas, l’équation (7) se réduit directement à :
𝐶𝑣 = 3𝑁𝑘 𝑇 ≫ 𝜃𝐸 (8)
Théorie d’Einstein concernant la chaleur spécifique du solide
Autrement dit, à des températures suffisamment élevées, le résultat
d’Einstein se réduit à la loi de Dulong et Petit.
(2) Limite des basses températures : T ≪ 𝜃𝐸 (𝑥 ≫ 1).
On a dans ce cas 𝑒 𝑥 ≫ 1 et :
𝐶𝑣 = 3𝑁𝑘 𝑥 2 𝑒 −𝑥 𝑇 ≪ 𝜃𝐸 (9)
La chaleur spécifique tend vers zéro à mesure que 𝑇 décroît, comme
le veut le troisième principe de la thermodynamique.
La limite des hautes températures est en accord avec le théorème
classique de l’équipartition de l’énergie.
La figure 5 ci-après compare la chaleur spécifique molaire du diamant
observée expérimentalement, avec celle que prédit la théorie
d’Einstein sur l’intervalle 0 < 𝑇 𝜃𝐸 < 1 pour 𝜃𝐸 = 1325 𝐾. Cette
valeur a été choisie par Einstein pour que sa formule donne
exactement la même valeur de la chaleur spécifique que la valeur
mesurée à 𝑇 = 331.3 𝐾. Globalement, la figure 5 montre un bon
accord entre le modèle d’Einstein et les données expérimentales.
Théorie d’Einstein concernant la chaleur spécifique du solide

Le grand écart affiché par


rapport à la valeur prévue par
la loi de Dulong et Petit (voir
tableau I) est dû à la valeur
élevée choisie par Einstein
pour 𝜃𝐸 dans ce cas.
Pour la plupart des substances,
𝜃𝐸 se situe entre 200 et
300 𝐾, et puisque 𝐶𝑣 3𝑅 =
0.92 pour 𝑇 = 𝜃𝐸 (voir fig.5 ci-
contre), il s’ensuit que la
théorie d’Einstein valide la loi Fig. 5 :
de Dulong et Petit aux
températures ordinaires.
Théorie d’Einstein concernant la chaleur spécifique du solide

Une analyse plus approfondie de la théorie d’Einstein révèle que


son accord avec les données expérimentales n’est qu’approximatif.
En particulier, aux basses températures, les données expérimentales
montrent que la chaleur spécifique décroît comme 𝑇 3 , tandis que la
théorie d’Einstein prédit une décroissance exponentielle. Vu la
simplicité du modèle d’Einstein, on ne pouvait espérer qu’un accord
qualitatif avec les observations expérimentales.
Ce qui permet de distinguer physiquement une substance solide
d’une autre dans la théorie d’Einstein, c’est la température
caractéristique 𝜃𝐸 , ou plus précisément encore la fréquence
naturelle de vibration du réseau cristallin 𝜔𝐸 . Cette grandeur
dépend de la force de rappel qui agit sur les atomes vibrants (et par
conséquent de la masse de ces derniers), des propriétés élastiques
du solide et des distances interatomiques.
Théorie d’Einstein concernant la chaleur spécifique du solide

On peut également estimer la valeur de 𝜔𝐸 en exploitant différentes


autres propriétés des solides, puis comparer cette valeur avec des
valeurs de 𝜔𝐸 obtenues à partir de mesures de chaleurs spécifiques.
Les propriétés qui permettent une telle comparaison sont : les
modules d’élasticité, le point de fusion ou, dans le cas de cristaux
ioniques, les phénomènes d’absorption ou de réflexion sélectives
des radiations infrarouges.
Théorie de Debye concernant la chaleur
spécifique du solide
Considérons comme précédemment un cristal constitué de 𝑁
atomes. Un tel système possède 3𝑁 degrés de liberté,
correspondant aux 3𝑁 coordonnées nécessaires pour spécifier les
positions des atomes. Mais les vibrations des atomes ne sont plus
indépendantes comme dans le cas de la théorie d’Einstein. Les
vibrations des atomes sont plutôt couplées de façon complexe,
comme cela a été mentionné précédemment.
En mécanique classique, on sait que les oscillations d’un tel système
peuvent être décrites en termes de 3𝑁 modes normaux de vibration
du réseau cristallin dans son ensemble, chacun de ces modes avec sa
fréquence caractéristique propre : 𝜔1 , 𝜔2 , 𝜔3 , … , 𝜔3𝑁 .
Décrites en termes de ces modes normaux, les vibrations du réseau
cristallin sont équivalentes aux vibrations de 3𝑁 oscillateurs
harmoniques indépendants, avec les fréquences propres ci-dessus.
Théorie de Debye concernant la chaleur spécifique du solide

Pour illustrer cette idée de transformation d’oscillations couplées en


modes normaux indépendants, considérons un système à deux
degrés de liberté composé de deux oscillateurs unidimensionnels
couplés, décrit par les équations du mouvement :
𝑞1 + 𝜔2 𝑞1 + 𝜆𝑞2 = 0
𝑞2 + 𝜔2 𝑞2 + 𝜆𝑞1 = 0
𝑞1 et 𝑞2 étant les coordonnées des positions des deux oscillateurs.
Le terme en 𝜆 représente le couplage entre les deux oscillateurs.
Pour 𝜆 = 0, on aura deux oscillateurs indépendants, chacun avec la
fréquence 𝜔.
Pour trouver les modes normaux de ce système, on doit chercher de
nouvelles coordonnées 𝑄1 et 𝑄2 qui satisfont les équations
d’oscillateurs harmoniques simples. A cet effet, introduisons les
variables :
𝑄1 = 𝑞1 + 𝑞2 et 𝑄2 = 𝑞1 − 𝑞2
Théorie de Debye concernant la chaleur spécifique du solide
Ecrites en termes de ces nouvelles variables, les équations de
mouvement précédentes deviennent:
𝑄1 + 𝜔2 + 𝜆 𝑄1 = 0
𝑄2 + 𝜔2 − 𝜆 𝑄2 = 0
𝑄1 et 𝑄2 sont appelées "coordonnées normales". En termes de ces
coordonnées, le système se comporte comme deux oscillateurs
indépendants, avec les fréquences 𝜔2 + 𝜆 1 2 et 𝜔2 − 𝜆 1 2 , qui
sont les fréquences caractéristiques du système.
Ainsi donc, si l’on connait les 3𝑁 fréquences caractéristiques du
réseau cristallin composé des 𝑁 atomes, soient ces fréquences
𝜔1 , 𝜔2 , 𝜔3 , … , 𝜔3𝑁 , on peut directement obtenir l’énergie du solide
cristallin, puisqu’il est équivalent à 3𝑁 oscillateurs indépendants
dont les fréquences sont connues. On aura donc :
3𝑁 3𝑁
1 ℏ𝜔𝛼
𝐸= 𝜀𝛼 = ℏ𝜔𝛼 + ℏ𝜔𝛼
(10)
2
𝛼=1 𝛼=1 𝑒 𝑘𝑇 −1
Théorie de Debye concernant la chaleur spécifique du solide
Cette approche nécessitant de passer par le calcul effectif des
fréquences caractéristiques du système a été initiée par Born et Von
Karman (1912). C’est un problème extrêmement compliqué, même
s’il est possible de le résoudre aujourd’hui que nous disposons
d’ordinateurs très puissants.
C’est également en 1912 que Debye utilisa une approximation qui lui
a permis de simplifier considérablement le problème et qui a connu
un grand succès.
Debye s’appuya sur le fait que certains modes de vibration normaux
du réseau cristallin étaient déjà connus à son époque, il s’agit de la
propagation des ondes sonores, qui sont des ondes élastiques de
faibles fréquences, c’est-à-dire de très grandes longueurs d’ondes 𝜆
comparativement aux distances interatomiques ( 𝑎 ) du réseau
cristallin : 𝜆 ≫ 𝑎. Sous ces conditions, on peut ignorer le caractère
discret de la structure atomique du solide et le décrire comme un
milieu continu élastique homogène.
Théorie de Debye concernant la chaleur spécifique du solide
Pour simplifier, on suppose un tel milieu isotrope, de sorte que la
vitesse de propagation des ondes élastiques sera indépendante de
leur direction.
La recherche des modes normaux pour les basses fréquences, se
confond alors avec la recherche des différents modes stationnaires
qui sont possibles dans le milieu considéré.
Pour la propagation des ondes élastiques dans un tel milieu, de
volume V, le nombre de modes correspondant à la bande de
fréquence 𝜔, 𝜔 + 𝑑𝜔 est donné par l’expression suivante :
𝜔2 𝑑𝜔 1 2
𝑓 𝜔 𝑑𝜔 = 𝑉 2 3 + 3
2𝜋 𝑣𝐿 𝑣𝑇
Soit avec :
3 1 2
3
= 3+ 3
𝑣 𝑣𝐿 𝑣𝑇
3𝜔2 𝑑𝜔
𝑓 𝜔 𝑑𝜔 = 𝑉 2 3
(11)
2𝜋 𝑣
Théorie de Debye concernant la chaleur spécifique du solide

où 𝑣𝐿 et 𝑣𝑇 sont les vitesses de propagation, dans le solide


isotrope et continu, des ondes longitudinales (compression) et
transversales (cisaillement), qui sont en général différentes, mais
qui présentement sont prises égales par hypothèse. Le facteur 2
par lequel le terme en (1 𝑣𝑇3 ) a été multiplié est dû à la présence
de deux directions de polarisation transversales indépendantes,
comme dans le cas de la propagation des ondes de lumière.
L’équation (11) s’applique aux vibrations atomiques de basses
fréquences d’un réseau cristallin. Debye généralisa l’application
de cette équation à toutes les fréquences.
Théorie de Debye concernant la chaleur spécifique du solide

Etant donné que le solide cristallin considéré possède 3𝑁 modes en


tout, Debye a limité le domaine des fréquences à prendre en
considération en posant qu’il y a une fréquence maximum 𝜔𝐷 ,
appelée "fréquence de Debye", telle que :
𝜔𝐷

𝑓 𝜔 𝑑𝜔 = 3𝑁 (12)
0
Cette limitation du domaine fréquentiel a lieu parce que, à une
fréquence suffisamment élevée, c’est-à-dire à faible longueur d’onde,
on ne peut plus ignorer la nature atomique du solide. Un réseau
cristallin avec une distance interatomique 𝑎 ne peut pas propager des
ondes avec des longueurs d’ondes inférieures à 𝜆𝑚𝑖𝑛 = 2𝑎. Avec une
telle longueur d’onde limite, deux atomes adjacents vibrent en
opposition de phases (voir la figure 6 ci-après montrant les vibrations
transversales d’une chaîne d’atome linéaire).
Théorie de Debye concernant la chaleur spécifique du solide

Fig. 6 :

Substituant l’équation (11) dans l’équation (12) puis intégrant, on


obtient :
3 2
𝑁 3
𝜔𝐷 = 6𝜋 𝑣 (13)
𝑉
Théorie de Debye concernant la chaleur spécifique du solide
Donc, la fréquence de Debye est donnée en fonction de la vitesse de
propagation des ondes sonores au sein du solide.
Utilisant l’équation (13), on peut réécrire l’équation (11) sous la
forme :
𝜔2 𝑑𝜔
𝑓 𝜔 𝑑𝜔 = 9𝑁 3 (14)
𝜔𝐷
A présent, avec le nombre de modes donné par l’équation (14) pour
la bande de fréquence 𝜔, 𝜔 + 𝑑𝜔, on peut remplacer dans l’équation
(10), la sommation sur les fréquences 𝜔𝛼 par une intégration sur 𝜔.
On obtient pour l’énergie de vibration atomique du solide cristallin:
𝜔𝐷
9 9𝑁ℏ 𝜔3
𝐸 = 𝑁ℏ𝜔𝐷 + 3 ℏ𝜔
𝑑𝜔
8 𝜔𝐷
0 𝑒 𝑘𝑇 − 1
𝑥𝐷
9 9𝑁𝑘𝑇 𝑥3
= 𝑁𝑘𝜃𝐷 + 3 𝑥
𝑑𝑥 (15)
8 𝑥𝐷 𝑒 −1
0
Théorie de Debye concernant la chaleur spécifique du solide
où:
ℏ𝜔
𝑥= (16)
𝑘𝑇
ℏ𝜔𝐷 𝜃𝐷
𝑥𝐷 = = (17)
𝑘𝑇 𝑇
Cette dernière équation définit la température de Debye :
ℏ𝜔𝐷
𝜃𝐷 =
𝑘
de manière analogue à la température d’Einstein.
A présent, on obtient l’expression de la chaleur spécifique à volume
constant selon la théorie de Debye, par différentiation de l’équation
(15):
𝑥𝐷
𝜕𝐸 3 𝑥4𝑒 𝑥
𝐶𝑣 = = 3𝑁𝑘 3 𝑑𝑥 (18)
𝜕𝑇 𝑉
𝑥𝐷 𝑒𝑥 − 1 2
0
Théorie de Debye concernant la chaleur spécifique du solide
On voit d’après cette expression que la chaleur spécifique du solide
cristallin selon la théorie de Debye, dépend de la seule température
de Debye 𝜃𝐷 en tant que paramètre.
Il est impossible d’évaluer analytiquement l’intégrale figurant à
l’équation (18), mais la fonction à l’intérieur des parenthèses est
tabulée (voir annexe en fin de chapitre).
Analysons, comme dans le cas de la théorie d’Einstein, les limites des
hautes et des basses températures :
(1) Limites des hautes températures : Cette limite est définie par
𝑇 ≫ 𝜃𝐷 , soit encore 𝑥𝐷 ≪ 1 . Dans ces conditions, on met
l’intégrande dans l’équation (18) sous la forme :
𝑥4𝑒 𝑥 𝑥4 𝑥4
𝑥 2
= 𝑥 −𝑥
=
𝑒 −1 𝑒 −1 1−𝑒 2 cosh 𝑥 − 1
𝑥4
= 2 4 (19)
𝑥 𝑥
2 + +⋯
2! 4!
Théorie de Debye concernant la chaleur spécifique du solide

Sur le domaine d’intégration 0 ≤ 𝑥 ≤ 𝑥𝐷 dans l’équation (18) et


tenant compte du fait que 𝑥𝐷 ≪ 1 , on a besoin de retenir
uniquement le premier terme en 𝑥 2 au dénominateur de l’équation
(19). De la sorte, l’équation (18) devient pour les hautes
températures :
𝑥𝐷
3
𝐶𝑣 = 3𝑁𝑘 3 𝑥 2 𝑑𝑥 = 3𝑁𝑘 𝑇 ≫ 𝜃𝐷 (20)
𝑥𝐷
0
On retrouve ainsi de nouveau la loi de Dulong et Petit. Ce n’est pas
une surprise que la théorie de Debye conduise vers cette limite à
haute température, puisque ce résultat peut être déduit directement
en dérivant l’expression (10) de l’énergie, indépendamment des
valeurs des fréquences caractéristiques du système
𝜔1 , 𝜔2 , 𝜔3 , … , 𝜔3𝑁 qui figurent dans cette équation.
Théorie de Debye concernant la chaleur spécifique du solide
(2) Limite des basses températures : 𝑇 ≪ 𝜃𝐷 (𝑥𝐷 ≫ 1) : Puisque
l’intégrande dans l’équation (18) tend rapidement vers zéro pour de
grandes valeurs de 𝑥 (l’intégrande en question se comporte comme
𝑥 4 𝑒 −𝑥 ), on peut remplacer la borne supérieure de l’intégrale par +∞
dans ce cas. L’équation (18) devient alors :
3 +∞
𝑇 𝑥4𝑒 𝑥
𝐶𝑣 = 3𝑁𝑘 3 𝑑𝑥 𝑇 ≪ 𝜃𝐷 (21)
𝜃𝐷 𝑒𝑥 − 1 2
0
L’intégrale figurant dans cette équation a une valeur numérique bien
déterminée. Il s’ensuit que, d’après l’équation (21), la chaleur
spécifique selon la théorie de Debye décroît comme 𝑇 3 à basse
température, en accord avec les données expérimentales. C’est donc
une théorie plus précise que la théorie d’Einstein. Le terme qui figure
entre parenthèses dans l’équation (21) a la valeur suivante :
+∞
𝑥4𝑒 𝑥 4𝜋 4
3 2 𝑑𝑥 = 5
(22)
𝑒𝑥 − 1
0
Théorie de Debye concernant la chaleur spécifique du solide
Ce qui donne finalement la chaleur spécifique à basse température
d’après la théorie de Debye :
3
12 4 𝑇
𝐶𝑣 = 𝜋 𝑁𝑘 𝑇 ≪ 𝜃𝐷 (23)
5 𝜃𝐷
La figure 7 ci-après donne une représentation graphique de la
chaleur spécifique de Debye en fonction de 𝑇 𝜃𝐷 . Sur la même figure
sont portées les mesures de chaleurs spécifiques de L’aluminium, du
cuivre et du plomb. Les températures de Debye utilisées dans la
représentation pour ces trois métaux sont respectivement de 380 K,
309 K et 88 K. Comme on peut le voir, ces valeurs de 𝜃𝐷 permettent
de corréler de manière très acceptable les données expérimentales
sur l’ensemble du domaine des températures considéré. Nous avons
déjà noté l’excellent accord concernant le terme en 𝑇 3 aux très
basses températures. Malgré tout, la théorie de Debye reste encore
une approximation. On peut le constater dès qu’on considère avec
plus de détail la comparaison avec les données expérimentales.
Fig. 7 :
Théorie de Debye concernant la chaleur spécifique du solide
En particulier, si l’on choisit une valeur de 𝜃𝐷 pour obtenir un accord
en chaque point avec les données expérimentales, on se rend
compte que 𝜃𝐷 n’est pas une constante, mais un paramètre qui varie
avec la température 𝑇. Cependant, cette variation qui touche 𝜃𝐷
dépasse rarement 20%, et dans de nombreux cas elle reste même en
dessous de 10%.
Si la théorie de Debye s’accorde aussi bien avec les observations
expérimentales, notamment aux basses températures, c’est que
justement aux basses températures et aux hautes températures,
cette théorie est exacte. C’est une formule d’interpolation entre deux
limites où elle est exacte.
Aux hautes températures, ceci se voit directement à partir de
l’équation (10) comme déjà mentionné précédemment.
Aux basses températures, les seuls termes qui contribuent à la
quantité :
Théorie de Debye concernant la chaleur spécifique du solide
3𝑁
1
𝐸− ℏ𝜔𝛼
2
𝛼=1
dans l’équation (10), et par conséquent à la chaleur spécifique du
solide de Debye, sont ceux pour lesquels (ℏ𝜔𝛼 ) est inférieur à 𝑘𝑇 (ou
de l’ordre de 𝑘𝑇 ). En effet, pour ℏ𝜔𝛼 ≫ 𝑘𝑇 , le facteur
ℏ𝜔𝛼 −1 ℏ𝜔
− 𝑘𝑇𝛼
𝑒 𝑘𝑇 − 1 devient 𝑒 ≪ 1. En d’autres termes, à la limite des
basses températures, seuls les modes de basses fréquences
continuent à contribuer à la chaleur spécifique atomique du solide de
Debye, et pour ceux-là, il est justifié sans hypothèse supplémentaire
de remplacer les modes caractéristiques du réseau cristallin du solide
par les ondes élastiques dans un milieu continu.
3 𝑥𝐷 𝑥 4 𝑒 𝑥
ANNEXE : D 𝑥𝐷 = 3 0 𝑥 2 𝑑𝑥
𝑥𝐷 𝑒 −1

Quelques valeurs numériques de la fonction de Debye

𝑥𝐷 = 𝜃𝐷 𝑇 𝐷(𝑥𝐷 ) 𝑥𝐷 = 𝜃𝐷 𝑇 𝐷(𝑥𝐷 )

0 1.0000 3.0 0.2836

0.1 0.9630 4.0 0.1817

0.2 0.9270 5.0 0.1176

0.5 0.8250 10 0.0193

1.0 0.6744 20 0.0024

2.0 0.4411 ∞ 0

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