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Henry Tulkens
Henry Tulkens*
Le fédéralisme est posé tout d’abord comme une parmi plusieurs formes
alternatives d’organisation d’un État. Avantages et inconvénients économiques
de cette forme institutionnelle sont considérés et discutés. Enfin, l’institution fédé-
rale est examinée du point de vue des processus de décision qui y prévalent.
Une distinction fondamentale est proposée quant à la nature et aux formes alter-
natives de la coopération, dans le cadre fédéral, entre les entités fédérées. Cette
distinction entre modes de coopération éclaire aussi les relations entre fédération
et confédération.
WHITHER FEDERALISM?
* Center for Operations Research & Econometrics (CORE), Université catholique de Louvain,
34 voie du Roman Pays, B-1348 Louvain-la-Neuve, Belgique. E-mail : tulkens@core.ucl.ac.be
Je remercie Roger Guesnerie pour ses remarques stimulantes ainsi que Hughes Dumont, doyen
de la faculté de droit des Facultés universitaires Saint-Louis à Bruxelles pour les informations éclai-
rantes fournies à l’occasion de discussions sur le sujet de cette contribution.
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1. Telle que formulée pour la première fois dans Musgrave [1959], et reprise dans Musgrave et
Musgrave [1984].
2. Une étude comparative détaillée des régimes de sécurité sociale de plusieurs États fédéraux a
été faite par Cattoir [1998].
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notamment parce que peu entravée par des facteurs culturels tels que linguisti-
ques par exemple (États-Unis, Canada, Australie, Allemagne). Dans les pays où
la mobilité est moins aisée, cet argument perd évidemment son importance, et il
peut alors s’y substituer un autre – allant dans la direction inverse – qui est celui
du respect des différences dans les préférences des citoyens en matière de redis-
tribution. A priori, ces préférences peuvent en effet différer : non seulement entre
individus pris isolément, mais aussi entre collectivités locales auxquelles il serait
demandé de s’exprimer à ce sujet, par vote par exemple1. Si, en bonne démo-
cratie, on invoque ces préférences comme référence première pour fonder la
conception des institutions en cette matière, on ne voit pas a priori pourquoi les
régimes de sécurité sociale ne pourraient différer entre composantes d’une fédé-
ration. Ceci, au même titre que ce qui relève de la fonction allocative traitée
précédemment. Mais les valeurs de solidarité, fondement même du système, ne
sont-elles pas alors abandonnées?
Cette conclusion serait trop rapide. Une réponse négative à la question tient
en effet en deux points : d’une part, et comme on l’a déjà évoqué, l’égalité de
traitement reste d’application à l’intérieur de chaque entité. D’autre part, une
forme différente de solidarité reste possible entre les entités elles-mêmes :
concrètement, par le moyen de transferts publics effectués non pas des individus
vers les individus via un organisme central national, mais bien entre les institu-
tions incarnant les régions (provinces, États ou Länder).
La forme de solidarité s’exprimant (notamment) par de tels transferts entre
institutions me paraît être très caractéristique d’une structure fédérale, dont le
propre est, d’une part, de reconnaître dans des institutions appropriées les diffé-
rences entre communautés, et de fournir, d’autre part, des instruments de coopé-
ration volontaire, animée par la Bundestreue, entre ces institutions. En somme,
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1. Tel est le cas en Suisse, qui connaît un des systèmes de sécurité sociale le plus décentralisé
du monde.
2. Et développés à la section 5 de d’Alcantara et Tulkens [1994].
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1. On pourrait aussi interroger la philosophie politique, ce que nous ferons brièvement en conclusion.
2. Ou confédération, modalité sur laquelle nous reviendrons plus loin.
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celles-ci des accords librement consentis par elles, et donc fondés sur l’unanimité
des partenaires1. Ici, et contrairement au cas de ce qui relève de la coopération
intégrée, lorsqu’un gain à obtenir ne peut être identifié pour chacun, il reste
possible pour chaque composante de s’en remettre – du fait même de la dévolu-
tion de la compétence au niveau des entités fédérées – à une action indépendante,
non coopérative, qui ne met pas en danger pour autant la fédération2.
Un élément majeur de flexibilité de cette double forme de coopération, assu-
rant aussi la viabilité du système, est qu’une même compétence ou matière puisse
glisser d’un régime de coopération à l’autre3. C’est pourquoi nous nous sommes
abstenu de mentionner, ni au titre d’exemples, ni comme une matière de prin-
cipes, que telle ou telle compétence devrait relever de l’un ou de l’autre régime4.
C’est sans doute une des spécificités du système institutionnel fédéral que de
comporter pour l’exercice de chaque compétence non seulement l’alternative de
décisions autonomes ou de décisions coopératives, mais en plus la possibilité que
ces dernières soient prises soit sur une base volontaire et donc unanime, soit sur
une base intégrée, c’est-à-dire majoritaire.
Par rapport à la situation d’États séparés qui concluraient entre eux des traités,
l’utilisation d’accords de coopération volontaire à l’intérieur d’une structure
fédérale est typiquement plus souple et plus directe; elle permet aussi l’expres-
sion plus ample de loyautés mutuelles, telles que la Bundestreue. Et par rapport
à la coopération forcée de l’État unitaire, la structure fédérale rend possible que
la coopération soit volontaire.
En résumé, le sens d’un processus de fédéralisation, centripète ou centrifuge,
est à rechercher dans la volonté des acteurs de se donner des institutions qui
privilégient, dans les décisions de coopération à prendre entre partenaires, soit
le vote majoritaire – la fédéralisation est alors plutôt centripète –, soit les déci-
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AU-DELÀ DU FÉDÉRALISME :
FÉDÉRATION VS CONFÉDÉRATION
1. D’autres développements sur cette distinction, dans la perspective de sa relation avec la notion
d’État, ont été présentés dans Tulkens [2001].
2. Proposé par Ferry et Lacroix [2000], p. 300.
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RÉFÉRENCES BIBLIOGRAPHIQUES
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