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La faillite de la banque anglaise "Bahrings" vient une fois encore illustrer les
risques de la spéculation sans frein sur les marchés à terme, dits aussi dérivés. 7
milliards et demi de francs de pertes, soit plus que la totalité de ses fonds propres,
ont conduit cette vieille banque coloniale à se faire racheter par une compagnie
néerlandaise, ING. Quel déshonneur pour la Reine d'Angleterre qui possédait un
compte... La direction de la banque a fait retomber la responsabilité de toutes les
erreurs sur son "trader" de 28 ans, Nicholas Leeson que le "Time" - l'hebdomadaire
américain - présente comme égocentrique et dilapideur. Or il s'avère qu'une partie
de la direction était au courant des opérations menées par le courtier. Elles
portaient sur le marché à terme de Singapour, le "Simex", sur des contrats indexés
sur l'indice Nikkei 225, un des indices de la bourse de Tokyo. Le pari n'était pas
idiot. La Bourse de Tokyo avait beaucoup baissé depuis la crise immobilière des
années 1990. Il était donc légitime de penser qu'elle pouvait remonter. Mais il
n'avait pas prévu le tremblement de terre de Kobé et la montée impétueuse du
cours du Yen qui a fortementdéstabilisé les cours de la Bourse...
Avant même cette faillite - que la Banque d'Angleterre a laissé faire pour donner
une "leçon" aux opérateurs, et appeler à la vigilance les pouvoirs publics - les pages
économiques des journaux bruissaient des pertes enregistrées par des entreprises de
toutes nationalités sur ces marchés. La perte la plus importante qui a eu des
répercussions sur la Bourse de New York, est celle du Comté d'Orange, une
localité proche de Los Angeles, plus de 2 milliards de dollars - soit prés de 11
milliards de francs. Il s'est déclaré en faillite. Les responsables du Comté, après la
démission du trésorier, ont mis en cause la firme de courtage - la première
mondiale - Merryl Lynch. Une enquête de la SEC, Security and Echange
Commission, l'équivalent de la COB française, Commission des Opérations de
Bourse, chargée de "moraliser" les marchés financiers, est ouverte. D'autres
Comtés connaissent les mêmes mésaventures, comme l'Etat de Floride - 175
millions de dollars de pertes - ou des firmes allemandes - Mettallgesellschaft, plus
de 1 milliard de dollars, en spéculant sur le marché à terme des produits pétroliers -
ou américaines - Procter and Gamble, "seulement" 130 millions de dollars - ou
encore japonaises (Japan Air Lines, Tokyo Securities, Kashima Oil, " en sérieuses
difficultés " . Sans parler du financier Soros, qui avait gagné beaucoup d'argent en
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spéculant contre le Franc, a lui aussi perdu 600, puis 400 millions de dollars " sur "
le Yen... Les "fonds de pension" - liés à des compagnies d'assurance - interviennent
énormément sur ces marchés. Les "investment bank", les banques d'affaires
américaines , annoncent des diminutions de profits liées à des opérations sur ces
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milliards de dollars des grandes compagnies sur les 18 mois passés, un déluge de
publicité défavorable, deux plaintes en justice et la perspective de litiges à venir,
les produits dérivés continuent à connaître une énorme croissance." Pourquoi cet
engouement ? Le montant total de ces marchés, soit le total des actifs
correspondant, " l'encours notionnel " comme disent les opérateurs dépassaient 15
000 milliards de dollars à la fin 1993. Est-il seulement lié à la spéculation ? De
1 Enjeux, les Echos ", janvier 1995 : " Faut-il avoir peur des produits dérivés ? "
"
2 Les banques françaises sont dans une situation différente, si l'on encroit l'exemple
du Crédit Lyonnais. Elles n'auraient pas encore "digéré" la crise immobilière.
Beaucoup de banques annoncent des pertes pour 1994, et donc des restructurations
et des suppressions d'emploi. Le Japon semble montrer une voie pour sortir les
banques de la crise : des fusions pourfaire surgir des mastodontes. Il n'est pas sur
que ce soit la bonne façon de faire. Le métier de banquier est entrain de se
transformer. La crise des banques est donc loin d'être terminée...
3 Dans un dossier ("survey") du 16 novembre 1994.
gagner beaucoup d'argent en peu de temps - en perdre aussi - facilement, par
l'intermédiaire de marchés qui s'apparenteraient à la roulette?
Le Fonds Monétaire International (FMI) s'est ému lui aussi des risques qu'ils
représentent. Sous le titre : "Les produits dérivés, un nouveau risque financier",
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Une définition
Les produits financiers dérivés sont dits aussi "à terme", ou "futures", en anglais.
L'achat et la vente portent sur des actifs - au sens large du terme, des marchandises,
des taux d'intérêt,des taux de change, et même des indices boursiers, allant jusqu'à
un panier théorique d'obligations d'Etat, pour le "notionnel sur le MATIF - à livrer
à une date future, à un terme donné, à une échéance fixée, ou sur des options. "Les
transactions ne portent pas sur des produits physiques, des obligations, des devises,
des bons du Trésor, mais sur des engagements à livrer ou à recevoir (dans le cas de
contrats à terme) des quantités et des qualités standardisées de produits physiques,
d'obligations, de devises, d'actions, de bons du Trésor, etc., ou sur des droits à
acheter ou vendre (dans le cas d'options) des matières premières, des titres
financiers, des devises, voire des contrats à terme portant sur des matières
premières, des titres financiers, des devises, etc."
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Ces contrats font, à leur tour, l'objet d'une cotation - comme les actions ou les
obligations à la Bourse - sur le MATIF - Marché à Terme International de France -,
ou le MONEP - spécialisé dans les options sur l'indice CAC 40 - en France, par
exemple. Ils ont donc une vie propre, tout en dépendant, en dernière instance, de
l'actif appelé "sous-jacent", qui légitime, justifie l'existence de ce produit financier
dérivé. Le terme "dérivé" provient du fait qu'il s'agit d'un engagement ferme ou
optionnel, pour un produit futur.
L'actif sous-jacent est soit matériel - produits agricoles, animaux, métaux précieux,
produits énergétiques - soit immatériel - indices boursiers. Plus encore, on peut
avoir des options - le droit d'acheter ou de vendre - des contrats à terme...
Autrement dit on peut avoir des produits dérivés de produits dérivés. On comprend
de ce fait que la référence à l'actif sous-jacent s'éloigne. Il est possible de spéculer
sur l'actif lui-même, actions, obligations par exemple, sur l'engagement de livrer ou
de recevoir - le contrat à terme "ferme" - ou sur l'option - le droit d'acheter ou de
vendre. C'est une pyramide inversée qui repose sur l'actif sous-jacent - moins de
1% des contrats à terme et des options donnent effectivement lieu à la livraison de
l'actif sous jacent -, dont l'évolution a, pourtant,des effets en chaîne.
Ainsi lorsque le CAC 40 - l'indice de la Bourse de Paris qui synthétise l'évolution
des cours en prenant en compte les 40 valeurs les plus importantes, tout secteur
confondu - baisse, il entraîne avec lui tous les contrats, à terme - côté sur le MATIF
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de crédit, même si leur maturité est parfois longue, jusqu'à 15 ans pour les "swaps".
Il faut donc des garanties, et c'est qu'intervient le "rating" qui permettra de noter la
capacité de l'entreprise à faire face à ses obligations, pour éviter la faillite ou le
défaut de paiement. "Le risque de crédit se concrétise (...) lorsque simultanément
une contrepartie fait défaut - en cas de faillite par exemple NDR - et que la
variation de prix du sous-jacent est défavorable." Il faut donc que les banques se
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du bilan. Dans tous les pays développés des lois sont en préparation ou sont mises
en application pour permettreaux autorités monétaires d'intervenir, ce qui fait peur
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au Trésor d'intervenir sur les marchés dérivés. (Journal Officiel du 3 janvier 1995),
cf La Tribune de l'Expansion du 4 janvier 1995.
Les "swaps" sont les produits dérivés les plus communs. Ils représentaient, en ce
qui concerne les "swaps de taux" - dont nous avons donné un exemple plus haut -
3876 milliards de dollars en 1993, contre 568 en 1988, et 1622 en 1991, cependant
que les "swaps" de devises - échange d'une devise contre une autre, Dollar contre
Yen par exemple - représentaient 314 milliards de dollars en 1993, contre 123 en
1988, mais 328 en 1991. 12
de base et un produit dérivé n'est pas toujours claire, la Banque des Règlements
Internationaux préfère classer ces instruments par référence à leur fonction :
transfert de risque de prix, transfert de risque de solvabilité, augmentation de la
liquidité, opération génératrice de créances ou opérations génératrices de titres de
participation."
Un peu d'histoire
Pour comprendre la vogue actuelle de ces produits dérivés, il faut faire référence à
la crise du système monétaire international qui marque le milieu des années 60.
L'hégémonie absolue américaine se trouve en butte à la concurrence de
l'Allemagne de l'Ouest et du Japon, qui commencent à accéder au statut de grandes
puissances économiques. Le Mark et le Yen sont au début de leur ascension au
rang envié de monnaies internationales. Du coup les crises monétaires succèdent
aux crises monétaires, avec la création d'un nouveau marché celui des euro-dollars
- des dollars qui restent en Europe sur un marché non réglementé -, pour aboutir à
la décision du président Nixon du 15 août 1971, de rendre inconvertible le dollar
en or. Cette convertibilité était pourtant le pivot du système monétaire international
décidé à Bretton Woods en juillet 1944.
Nécessité se faisait sentir de transformer le système monétaire international. En
1973 c'est chose faite par la création d'un système de change-flottant, dans lequel
on mettait beaucoup d'espoirs. Aujourd'hui on le critique pour l'incertitude qu'il fait
régner sur le marché des changes. Il fallait donc trouver des réducteurs
d'incertitude. En 1972, est créé à Chicago, le premier produit financier "à terme",
"futures", sur le modèle de la Bourse de marchandises, où la récolte est vendue
avant que d'exister.
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déréglementation sans être prêts à en assurer les risques. Pour l'Union Européenne,
cette déréglementation s'est traduite par la liberté de circulation des capitaux, mise
en place le premier juillet 1990, dont la traduction concrète a été la fin du contrôle
des changes. 17
14 Pour avoir une illustration de ces Bourses, voir le film qui passe très souvent à la
télé, "Un fauteuil pour deux", avec Eddie Murphy, où on peut aussi apprécier les
"délits d'initiés", pour gagner de l'argent facilement. Sur le NASDAQ, un certain
nombre d'utilisateurs accusent les responsables du réseau de délits d'initiés...
Comme quoi l'informatique ne préserve pas des fraudes...
15 Voir l'article d'Albert Bressand et Catherine Distler : "Le "village global"
chez Nathan.
18 Voir le livre d'Henri Bourguinat "La tyrannie des marchés" aux éditions