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L’épistémologie en sciences de gestion

I. Définitions de l’épistémologie
• L’épistémologie peut se définir comme la discipline philosophique qui vise à établir
les fondements de la science. En ce sens elle cherche à caractériser la science afin
d’estimer la valeur logique et cognitive des connaissances qu’elle produit pour
décider si elles peuvent prétendre se rapprocher de l’idéal d’une connaissance
certaine et authentiquement justifiée (Soler, 2000).
• L’épistémologie est l’étude de la constitution des connaissances valables (Piaget,
1967).
II. Dimensions de la réflexion épistémologique
• Une dimension ontologique, qui questionne la nature de la réalité à connaître.
• Une dimension épistémique qui interroge la nature de la connaissance produite.
• Une dimension méthodologique, qui porte sur la manière dont la connaissance est
produite et justifiée.
• Une dimension axiologique enfin, qui interroge les valeurs portées par la
connaissance.
III. Référentiels du débat épistémologique en sciences de gestion

Référentiel des sciences • Conception homogène de la Science et, susceptible de


de la nature s’appliquer à l’ensemble des disciplines scientifiques
quel que soit leur objet. Historiquement portée par le
positivisme (Comte, 1844).
• Positivisme logique, post-positivisme, importance des
dispositifs méthodologiques marqués par la
quantification, l’expérimentation et la validation
empirique des énoncés ;
• Une visée de découverte de la vérité et la nature
explicative des connaissances scientifiques ; la
revendication d’une posture de neutralité et
d’objectivité du chercheur et de sa démarche.

Référentiel des sciences • Le référentiel des sciences de la nature est


humaines et sociales dénoncé par un grand nombre de disciplines appartenant
au champ des sciences humaines et sociales (Steinmetz,
2005).
• Construction autour de caractéristiques qu’il est
fréquent de rassembler sous le label de
constructionnisme (Hacking, 2001). L’interprétativisme va
souligner la nature intentionnelle et finalisée de l’activité
humaine ainsi que le caractère interactionnel, discursif et
processuel des pratiques sociales.
• Les approches visant la découverte de régularités
causales stables sont écartées au profit d’une posture
interprétativiste qui s’appuie sur des méthodologies
compréhensives.
• Ces méthodologies visent en priorité à comprendre le
sens plutôt qu’à expliquer la fréquence et à saisir
comment le sens se construit dans et par les interactions,
les pratiques et les discours. La réalité sociale dépendante
de contextes historiques toujours singuliers (Passeron,
1991). Vision relativiste de la connaissance scientifique.
• Remise en cause de la neutralité de la science et
l’indépendance de l’activité scientifique à l’égard de la
société (Bonneuil et Joly, 2013)

Référentiel des sciences • La recherche comme le développement «de


de l’ingénieur connaissances pertinentes pour la mise en œuvre
d’artefacts ayant les propriétés désirées dans les
contextes où ils sont mis en œuvre » (Avenier et Gavard-
Perret, 2012). Concevoir et construire une réalité.
• Centralité du chercheur et du projet de connaissance
qui sont au cœur de la réflexion épistémologique.
Remettant en question la séparation entre connaissance
et action, le rapport d’interaction entre sujet et objet
(projet) de connaissance sera particulièrement examiné.
• Les designs de recherche- intervention y occupent une
place importante (David, 2000).

L’orientation réaliste • L’orientation réaliste peut se définir, en première


analyse, à partir des caractéristiques saillantes du modèle
porté par les sciences de la nature. Elle défend l’idée que
la science a pour visée d’établir une connaissance valide
de la réalité (objet de connaissance) qui est indépendante
et extérieure au chercheur (sujet de connaissance).
Cependant, la succession des labels autour de la matrice
du positivisme (empirisme logique, post-positivisme, néo-
positivisme) rend compte des amendements successifs
apportés à cette conception. Plus récemment, le réalisme
critique (Bhaskar, 1978, Archer et al., 1998) formule une
proposition épistémologique qui rencontre un écho
important dans le champ des sciences sociales (Steinmetz,
2005) et plus particulièrement dans la recherche en
management (Reed, 2005).

L’orientation • L’orientation constructiviste est portée par les


Constructiviste référentiels des sciences sociales et des sciences de
l’ingénieur, qui remettent en cause le caractère unitaire
de la science et du projet de démarcation entre science et
non-science qui le sous-tend. Elle répond par la négative à
la question suivante : peut-on considérer tous les objets
de connaissance scientifiques comme des objets naturels
?
• L’orientation constructiviste pose que la réalité et/ou
la connaissance de cette réalité est construite.
• Les paradigmes qui s’inscrivent dans cette orientation
(interprétativisme, postmodernisme et constructivisme
ingénierie)

IV. Orientations et tensions épistémologiques

Orientations Réalisme Constructivisme

La question ontologique Essentialisme Non -essentialisme


Qu’est-ce que la réalité?
La question épistémique Objectivisme Relativisme
Qu’est-ce que la connaissance?
La question méthodologique Correspondance Adéquation
Quels sont les critères de la connaissance
valable?
La question axiologique Autonomie Performativité
La connaissance est-elle sans effet?

1. Qu’est-ce que la réalité

• Les paradigmes inscrits dans une orientation réaliste (le positivisme logique, le post-
positivisme et le réalisme critique) formulent une réponse de nature essentialiste.
• La réalité a une essence propre, qu’elle existe en dehors des contingences de sa
connaissance, qu’elle est indépendante de son observation et des descriptions
humaines que l’on peut en faire.
• Les différents paradigmes réalistes mettent ainsi en exergue l’extériorité de l’objet
observé.
• Cette essence peut être en outre qualifiée de déterministe, en ce que l’objet de la
connaissance est régi par des règles et lois stables et généralisables qu’il convient
d’observer, décrire, expliquer.
• Les paradigmes inscrits dans une orientation constructiviste (l’interprétativisme, le
postmodernisme et le constructivisme ingénierique) formulent pour leur part une
réponse de nature non essentialiste à la question ontologique. Cette réponse
s’exprime généralement par l’affirmation que la réalité est construite et non donnée.
• Dire d’une réalité qu’elle est construite ne revient pas à affirmer que cette réalité
n’existe pas. Cela signifie que la réalité n’a pas d’essence propre, autrement dit
qu’aucune substance indépendante, nécessaire ne se trouve à son fondement.
• Les paradigmes inscrits dans l’orientation constructiviste partagent donc la même
méfiance à l’égard de tout ce qui ressemble à une essence de la réalité et mettent en
exergue la spécificité des réalités qui constituent leur objet.
• Les réalités humaines et sociales sont spécifiques, comme le rappelle Lyotard (1995),
en ce qu’elles sont animées de dimensions intentionnelles, signifiantes et
symboliques.

2. Qu’est-ce que la connaissance

• Les conceptions contemporaines du réalisme et du constructivisme partagent l’idée


que la connaissance est une construction de l’esprit (un phénomène), elles ne
partagent pas nécessairement le même point de vue sur la nature et le statut de
cette connaissance.
• Les épistémologies réalistes défendent l’idée que la connaissance permet de dire ce
qu’est la réalité et qu’elle doit être envisagée comme une affirmation de vérité
portant sur des entités et des processus réels
• Dans ce cadre une connaissance objective implique de mettre en place les
procédures méthodologiques permettant au chercheur de connaître cette réalité
extérieure et d’assurer l’indépendance entre l’objet (la réalité) et le sujet qui
l’observe ou l’expérimente
• La connaissance sera dite objective dans la mesure où elle peut garantir
l’indépendance du sujet à l’égard de l’objet de connaissance, ou du moins limiter les
interférences entre le sujet et l’objet.
• Dans l’idéal positiviste la connaissance objective correspond à la mise à jour des lois
de la réalité, extérieures à l’individu et indépendantes du contexte d’interactions des
acteurs.
• Relativisme, impossibilité de prouver qu’une théorie scientifique vaut mieux qu’une
autre, soit qu’il est impossible de justifier la supériorité de la science par rapport à
d’autres formes de connaissances (Soler, 2000).
• Dans cette orientation constructiviste on va adopter une conception plus ou moins
relativiste de la connaissance reposant sur : 1) la nature des objets de connaissance
qui ne permettent pas de concevoir une connaissance « absolue » (hypothèse
ontologique non-essentialiste) ; 2) l’incapacité du sujet connaissant à produire une
connaissance sur cet objet extérieurement à lui-même (hypothèse épistémique d’une
interdépendance entre sujet et objet).
• L’interprétativisme va adopter une approche compréhensive plutôt qu’explicative,
cette démarche implique nécessairement de retrouver les significations locales que
les acteurs en donnent. La connaissance est ainsi relative car les significations
développées par les individus ou les groupes sociaux sont toujours singulières.
• Le postmodernisme se distingue par le dévoilement du caractère irrémédiablement
instable et mouvant de la réalité. (Allard-Poesi et Perret, 2002).

3. Qu’est-ce qu’une connaissance valable


• Dans l’orientation réaliste, la vérité est traditionnellement définie en termes de
vérité correspondance. Une connaissance sera dite vraie si elle correspond à (décrit
fidèlement) ce qui est : si les entités, relations et processus mentionnés existent
vraiment en réalité (Soler, 2000).
• Pour le positivisme, la connaissance scientifique vise à énoncer la vérité et le critère
de vérifiabilité permet de garantir cet énoncé.
• Dans ce cadre, il est nécessaire pour un chercheur de s’assurer de la vérité de ses
énoncés au travers d’une vérification empirique.
• Le critère de confirmabilité, proposé par Carnap (1962), va remettre en cause le
caractère certain de la vérité. Il repose sur l’idée que l’on ne peut pas dire qu’une
proposition est vraie universellement mais seulement qu’elle est probable.
• Le critère de réfutabilité pose que l’on ne peut jamais affirmer qu’une théorie est
vraie, on peut en revanche affirmer qu’une théorie est fausse, c’est-à-dire qu’elle est
réfutée.
• Dans une orientation constructiviste on s’intéresse à la valeur et la validité des
connaissances scientifiques ce qui nous amène à contester l’idée de vérité-
correspondance et à lui substituer l’idée de vérité-adéquation.
• De manière générale, une connaissance adéquate peut se définir comme une
connaissance qui convient, soulignant ici le caractère relatif attaché à la conception
de la vérité.
• Ainsi pour l’interprétativisme, l’adéquation pourra se comprendre comme la capacité
de la connaissance à garantir la crédibilité de l’interprétation proposée. Il conviendra
de s’assurer que la connaissance est le résultat d’un processus de compréhension
inter-subjectivement partagée par les acteurs concernés (Sandberg, 2005) et de
rendre compte de manière rigoureuse de l’administration de la preuve qui permet de
construire l’interprétation (Lincoln et Guba, 1985).
• Pour le constructivisme ingénierique, l’adéquation s’évaluera plutôt au travers du
critère d’actionnabilité de la connaissance produite. Si l’on ne peut donner aucune
définition ontologique de la connaissance actionnable (Martinet, 2007), elle peut être
appréhendée au travers du principe d’adaptation fonctionnelle proposée par Von
Glaserfeld qui pose qu’une connaissance est valide dès lors qu’elle convient à une
situation donnée.

4. La connaissance est-elle sans effet

• La prétention à l’autonomie de la science doit s’entendre comme la revendication


d’une indépendance de l’activité scientifique à l’égard de la société.
• La science doit être conçue comme une activité à part et ne pouvant s’épanouir que
dans l’autonomie.
• Cette conception défend l’idée que la science est une activité en dehors du social et
qu’elle est régie par ses propres normes et ses propres lois de développement.
L’environnement « externe » peut éventuellement influencer les rythmes et les
thèmes de recherche mais pas le contenu des découvertes ni les méthodes et
normes de la preuve.
• Dans ce cadre, la question des rapports entre science et société se résume « à la
définition des bons et des mauvais usages d’une science dont le noyau serait neutre
» (Bonneuil et Joly, 2013).
• Remise en cause cette conception de la science pour défendre l’idée que les choix
scientifiques et les systèmes techniques sont des structures politiques en ce sens
qu’ils ouvrent et contraignent les choix qu’une société peut se donner. Ces travaux
vont conduire à adresser de nouvelles questions à la pratique scientifique : comment
penser la performativité des sciences et des techniques ? Comment les réinscrire
dans une perspective d’émancipation et dans le fonctionnement démocratique ?
(Bonneuil et Joly, 2013).

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