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SYNTHÈSE

Cryoglobulinémie :
dans 50% des infections
par le VHC
Objectif : Savoir rechercher
une cryoglobulinémie chez ou des immunoglobuline(s) qui les constituent : Par Damien Sène,
Marita Andreu,
un patient infecté par le VHC. – type I, dit monoclonal : immunoglobuline mono-
Patrice Cacoub,
clonale isolée ; Service de
Certaines manifestations – type II, cryoglobulinémie mixte (CM): immuno- médecine interne,
cliniques et anomalies globuline monoclonale associée à des immunoglo- hôpital La Pitié-
Salpêtrière,
bulines polyclonales ;
biologiques peuvent – type III, cryoglobulinémie mixte (CM) : immuno- 83, boulevard
de l’Hôpital, 75651
orienter vers un diagnostic globulines polyclonales. Paris Cedex 13.
de cryoglobulinémie qui peut Forte corrélation entre VHC et CM
nécessiter une thérapie Les premières observations d’infection par le VHC
Courriel :
patrice.cacoub@
antivirale. chez les patients ayant une CM étaient de simples cas psl.ap-hop-paris.fr
cliniques.Puis des études méthodologiquement rigou-
reuses, prospectives, incluant de larges séries de
patients,non co-infectés par le VHB ou le VIH,et avec
epuis la première description des cryo- recherche d’ARN viral dans le sérum et (ou) dans le

D globulinémies en 1933, 1 la liste des causes


associées n’a cessé d’augmenter, incluant
des pathologies infectieuses, inflammatoires
et hématologiques. Dès le début des années 1970, la
relation entre cryoglobulinémies dites « essentielles »
RECHERCHE DIFFICILE DE LA CRYOGLOBULINE
La mise en évidence des cryoglobulinémies est difficile en raison
des contraintes de prélèvement, de transport et de techniques.
et hépatopathie chronique d’origine probablement Il est nécessaire que l’analyse immunochimique soit réalisée
par un laboratoire expérimenté dans la recherche de cryoglobulines
virale a été soulevée devant la fréquence élevée pour pouvoir réaliser de manière fiable un typage immunochimique
d’anomalies du bilan hépatique. La découverte du et une quantification du cryoprécipité.
virus de l’hépatite C (VHC) en 1990 et la mise au Les prélèvements sont effectués chez un sujet à jeun depuis 12 heures
point de techniques fines de diagnostic et secon- (10 mL de sang au minimum) dans un tube sec préalablement réchauffé
dairement de détection qualitative et quantitative à 37 °C, puis transportés au laboratoire le plus rapidement possible
de l’ARN viral dans le sérum, ont permis de prou- dans des boîtes calorifugées. Ils sont alors maintenus à 37 °C (étuve) pendant
au moins 2 heures jusqu’à coagulation complète, puis centrifugés à 37 °C.
ver son implication dans la survenue d’une grande Le sérum est ensuite décanté dans 2 tubes distincts dont un est mis à + 4 °C
majorité des cryoglobulinémies mixtes dites essen- pendant 7 jours.
tielles (CME). Un précipité d’aspect et d’abondance variables apparaît plus ou moins
rapidement (fig. 1). Un délai de 7 jours est parfois nécessaire pour déceler
PRÉSENCE D’IMMUNOGLOBULINES ANORMALES certaines cryoglobulines peu abondantes et les cryoprécipitations tardives.
Une cryoglobulinémie est définie par la présence per- Le précipité se disperse facilement dans le sérum et se solubilise
généralement après réchauffement à 37 °C. La recherche d’une cryoglobuline
sistante dans le sang d’immunoglobulines anormales, est considérée comme négative si aucun précipité visible à l’œil nu
de caractère monoclonal ou polyclonal, précipitant à n’est apparu au fond du tube après un délai de 7 jours à + 4 °C.
basse température et se dissolvant généralement lors Les étapes de purification et de quantification de la cryoglobuline
du réchauffement. sont ensuite effectuées. Enfin, une analyse qualitative visant à déterminer
Depuis 1974, la classification de Brouet est la plus uti- les constituants immunochimiques (types d’immunoglobulines et caractère
lisée. 2 Elle repose sur une analyse immunochimique mono- ou polyclonal) par immunotransfert sur membrane de nitrocellulose
est réalisée pour définir la classe de la cryoglobuline selon la classification
des cryoglobulines permettant de définir 3 types en de Brouet.
fonction du caractère monoclonal ou polyclonal de
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de l’infection virale par interféron secondairement
associé à la ribavirine.
MANIFESTATIONS SYSTÉMIQUES DES
LÉSIONS
Les cryoglobulinémies font partie des vascularites sys-
témiques :
– le substratum anatomique correspond à une vascu-
larite par complexes immuns, touchant essentielle-
ment les vaisseaux de petit calibre ;
– il existe une grande diffusion des lésions dans plu-
sieurs organes.
Les cryoglobulinémies mixtes associéesà l’infection par
le VHC sont symptomatiques chez 25 % environ des
patients 7-9 et il faut savoir y penser devant différents
signes.
Lésions cutanées évocatrices
de purpura vasculaire
Le purpura vasculaire, présent chez 31 à 100 % des
patients,est la manifestation cutanée la plus fréquente
(fig. 1). Souvent révélateur et intermittent, il survient
volontiers au cours des périodes hivernales et débute
toujours aux membres inférieurs mais peut s’étendre
Fig. 1 : Purpura
vasculaire. progressivement jusqu’à l’abdomen.Il est infiltré,non
cryoprécipité,ont confirmé ces résultats. 3-5 Quarante prurigineux,d’aspect pétéchial ou papulaire,rarement
à 95 % des patients ayant une CM ont des anticorps nécrotique. Les poussées purpuriques, volontiers
anti-VHC sériques et,pour la grande majorité d’entre précédées par une sensation de brûlure, persistent
eux, de l’ARN viral dans le sérum et dans le cryopré- 3 à 10 jours, laissant généralement une hyperpig-
cipité. Par ailleurs, la moitié des patients infectés par mentation brunâtre séquellaire. Elles peuvent être
le VHC ont une cryoglobulinémie mixte au cours de déclenchées par l’orthostatisme,les efforts prolongés,
l’évolution. L’implication du VHC dans la pathogé- l’exposition au froid, voire un traumatisme.
nie des CM a été ultérieurement confortée par plu- Plus rarement, l’atteinte cutanée peut corres-
sieurs types d’arguments : la présence d’ARN du VHC pondre à des ulcères supramalléolaires associés au
dans le cryoprécipité à des titres plus élevés que dans purpura,à un syndrome de Raynaud pouvant se com-
le sérum 6 et que dans certains tissus pathologiques pliquer d’ulcérations digitales (fig. 2) ou à une vascu-
Fig. 2 : Syndrome extra-hépatiques (lésions artériolaires de vascularite larite urticarienne.
de Raynaud,
ulcérations cutanée), et l’effet bénéfique sur la CM du traitement
digitales. Polyneuropathie distale
Des signes d’atteinte du système nerveux périphérique
sont observés chez 9 à 36 % des patients cryoglobuli-
némiques 2, 10, 11 avec généralement une symptoma-
tologie de polyneuropathie sensitive ou sensitivomo-
trice distale prédominant aux membres inférieurs.Les
troubles sensitifs superficiels avec douleurs et pares-
thésies asymétriques,devenant secondairement symé-
triques, en sont les premiers symptômes. Inconstam-
ment, peut s’y associer un déficit moteur distal
touchant essentiellement les loges antéro-externes des
membres inférieurs.
L’évolution prolongée se fait par poussées, avec
stabilisation, rémission ou exacerbation des symp-
tômes parfois déclenchés par une exposition au froid.
L’électromyogramme permet de confirmer le dia-
gnostic.
Manifestations rhumatismales
Il s’agit principalement d’arthralgies touchant les
grosses articulations, mains et genoux, plus rarement
les chevilles ou les coudes, bilatérales et symétriques,
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non déformantes et non migratrices. Intermittentes surveillance relèvent du médecin généraliste en col-
et souvent inaugurales, elles sont observées chez 50 à laboration avec le spécialiste.
83 % des patients. 11, 12 Une arthrite vraie ou une La rechute est habituelle chez les patients non répon-
atteinte du rachis est beaucoup plus rare. deurs virologiques à l’arrêt du traitement antiviral.
Le maintien de l’interféron peut être alors envisagé
Signes d’atteinte rénale pour atténuer la sévérité des manifestations cliniques
Entre 2 et 50 % des patients symptomatiques ont une dans l’attente de combinaisons antivirales plus effi-
atteinte rénale. 10, 13 La forme clinique la plus carac- caces.
téristique est la glomérulonéphrite aiguë ou chro- Pour les CM d’autres causes, dans les formes
nique. Elle est habituellement retardée et se mani- sévères ou récidivantes (neuropathie périphérique
feste par une protéinurie parfois néphrotique, une sévère, nécrose, gangrène distale des membres, glomé-
hématurie micro- ou macroscopique, une insuffi- rulonéphrite),le traitement comporte des associations
sance rénale chronique modérée. L’hypertension de corticoïdes,cyclophosphamide avec ou sans échanges
artérielle est fréquente dès l’apparition de la néphro- plasmatiques.
pathie.
Elle s’observe surtout chez les patients ayant une Ne pas oublier le traitement symptomatique
cryoglobulinémie mixte de type II dont l’immuno- Dans tous les cas :
globuline M kappa est le composant monoclonal. – le patient doit éviter soigneusement l’exposition au
Histologiquement, l’atteinte rénale correspond, dans froid ;
80 % des cas, à une glomérulonéphrite membrano- – il doit se mettre au repos en cas de poussée purpu-
proliférative. À un stade tardif, une insuffisance rique ;
rénale chronique apparaît fréquemment mais – la recherche et l’éradication de tout foyer infectieux
demeure modérée, n’obligeant qu’exceptionnelle- chronique doivent être systématiques.
ment à une épuration extrarénale définitive.
CONCLUSION
Association avec des anomalies biologiques La cryoglobulinémie mixte est la manifestation extra-
Certaines anomalies biologiques « associées » peu- hépatique la plus fréquente de l’infection chronique
vent aussi faire évoquer indirectement la présence par le VHC. L’apparition de manifestations cliniques
d’une cryoglobulinémie,même en l’absence de mani- systémiques justifie la mise en route d’un traitement
festations cliniques : présence d’un facteur rhuma- antiviral dont l’efficacité virologique est souvent asso-
toïde (les cryoglobulines de type II ont très souvent ciée à une rémission clinique. ■
une activité anti-immunoglobuline, c’est-à-dire une
activité de facteur rhumatoïde), baisse de certaines
fractions du complément (C4 et CH50) alors que le
C3 reste à un taux normal, présence d’un pic mono-
clonal (cryoglobuline de type I ou II), vitesse de sédi-
mentation anormalement basse dans un contexte de Références
1. Wintrobe MM, Buell MV. Hyperproteinemia associated with mul-
vascularite. tiple myeloma. Bull Johns Hopkins Hosp 1933 ; 52 : 156-65.
LE TRAITEMENT HABITUEL EST CELUI DU VHC 2. Brouet JC, Clauvel JP, Danon F, Klein M, Seligmann M. Biologic and
clinical significance of cryoglobulins. A report of 86 cases. Am J Med
Les cryoglobulinémies mixtes de type II ou III, ont 1974 ; 57 : 775-88.
une évolution et un pronostic très variables d’un sujet 3. Pascual M, Perrin L, Giostra E, Schifferli JA. Hepatitis C Virus in
à l’autre, dépendant de l’atteinte rénale (CM de patients with cryoglobulinemia type II. J Infect Dis 1990 ; 162 : 569-70.
type II),de l’extension systémique de la maladie,et de 4. Ferri C, Greco F, Longombardo G, Palla P, Moretti A, Marzo E.Anti-
la sévérité de l’hypertension artérielle. bodies to hepatitis C virus in patients with mixed cryoglobulinemia.
Arthritis Rheum 1991 ; 34 : 1606-10.
Selon l’état du patient 5. Cacoub P, Lunel F, Musset L, Opolon P, Piette JC. Hepatitis C virus
and cryoglobulinemia. N Engl J Med 1993 ; 328 : 1121-2.
Dans les cryoglobulinémies mixtes liées au VHC,
l’indication du traitement dépend à la fois de la sévé- 6. Cacoub P, Lunel-Fabiani F, Musset L, Perrin M, Frangeul L, Leger JM.
Hepatitis C virus and essential mixed cryoglobulinemia. Am J Med
rité des manifestations cliniques de la CM,des lésions 1994 ; 96 : 124-31.
hépatiques et des chances de succès prévisibles du trai- 7. Akriviadis EA, XanthakisI, Navrozidou C, Papadopoulos A. Preva-
tement (génotype du VHC essentiellement). Le trai- lence of cryoglobulinemia in chronic hepatitis C virus infection and
tement est avant tout dirigé contre le VHC par response to treatment with interferon-alpha.J Clin Gastroenterol 1997;
l’interféron associé à la ribavirine.Il permet une amé- 25: 612-8
lioration voire une disparition des symptômes cuta- 8. Cresta P, Musset L, Cacoub P, Frangueul L,Vitour D, Poynard T et al.
nés, articulaires, neurologiques et rénaux 14 avec une Response to interferon alpha treatment and disappearance of cryo-
globulinaemia in patients infected by hepatitis C virus. Gut 1999 ; 45:
diminution significative ou une négativation de la 122-8.
cryoglobulinémie, surtout chez les bons répondeurs 9.Lunel F,Musset L,Cacoub P,Frangeul L,Cresta P,Perrin M et al. Cryo-
virologiques. 15 L’initiation de ce traitement doit être globulinemia in chronic liver diseases: Roles of hepatites C virus end
faite en milieu spécialisé. Son renouvellement et sa liver damage. Gastrenterology 1994; 106: 1291-300.
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10. Gorevic PD, Kassab HJ, Levo Y et al. Mixed cryoglobulinemia: cli-
nical aspects and long term follow up of 40 patients. Am J Med 1980 ;
EN RÉSUMÉ 69 : 287-308.
11. Ferri C, Zignego AL, Pileri S A. Cryoglobulins. J Clin Pathol 2002 ;
• Les cryoglobulinémies mixtes sont très fréquentes 55 : 4–13
chez les patients infectés par le VHC puisque retrouvées 12. Weinberger A, Berliner S, Pinkhas J. Articular manifestations of
chez 50 % d’entre eux, mais elles ne sont que rarement essential cryoglobulinemia. Semin Arth Rheum 1981 ; 10 : 224-9.
13. Fabrizi F, Pozzi C, Farina M et al. Hepatitis C virus infection and
symptomatiques. acute or chronic glomerulonephritis: an epidemiological and clinical
appraisal. Nephrol Dial Transplant 1998 ; 13 : 1991-7
• Les manifestations cliniques les plus fréquentes
14. Cacoub P, Lidove O, Hausfater P et al.Antiviral treatment and out-
sont le purpura vasculaire, les arthralgies, come in patients with hepatitis C virus systemic vasculitis. Arthritis
les neuropathies périphériques sensitivo-motrices Rheum 2001 ; 44 : S56.
et les néphropathies glomérulaires. 15. Cacoub P, Ratziu V, Myers RP et al. Impact of treatment on extra
hepatic manifestations in patients with chronic hepatitis C. J Hepatol
• Le diagnostic biologique nécessite 2002 ; 36 : 812-8.
un prélèvement de sérum dans un tube
maintenu à 37 °C pendant le transport (thermos)
vers un laboratoire d’immunochimie spécialisée.
• Quelques anomalies biologiques doivent faire penser
à la cryoglobulinémie : une baisse du C4 et du CH50,
une positivité du facteur rhumatoïde.
• Le traitement des cryoglobulinémies mixtes
symptomatiques nécessite une bithérapie antivirale
associant l’interféron à la ribavirine.

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