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MARDI 24 AOÛT 2021

77E ANNÉE – NO 23833


3,00 € – FRANCE MÉTROPOLITAINE
WWW.LEMONDE.FR –
FONDATEUR : HUBERT BEUVE-MÉRY
DIRECTEUR : JÉRÔME FENOGLIO

Afghanistan : la vie sous le joug des talibans
▶ « Le Monde » a LES LEÇONS 
recueilli des témoigna­
ges sur place pour GÉOPOLITIQUES 
prendre le pouls du
pays après la chute
D’UNE DÉBÂCLE
du régime afghan le fiasco du départ des Améri­
cains d’Afghanistan aura des consé­
▶ La crainte de la priva­ quences géopolitiques durables. Le
tion de liberté coha­ 15 août 2021 marque la clôture du cy­
cle des guerres américaines ouvert
bite avec un sentiment après le 11 septembre 2001. Mais
de soulagement après cette fin de cycle n’implique pas un
quarante ans de guerre désengagement des affaires du
monde pour les Etats­Unis : Joe Bi­
▶ Les talibans eux­mê­ den assure vouloir se recentrer sur
des enjeux plus stratégiques, essen­
mes n’étaient pas pré­ tiellement la Chine. Pour les Euro­
parés à une victoire si péens, qui étaient aussi engagés en
Afghanistan, le réveil est rude. Enfin,
rapide et, faute d’orga­ ni la Chine, ni la Russie, ni la Turquie,
nisation, le contrôle de ni l’Iran ne voient les talibans s’ins­
Kaboul n’est que très taller à Kaboul sans appréhension.
PAGE 4
partiel. En province,
« la peur est partout »,
dit un père de famille
TRIBUNE
Alexandra de Hoop Scheffer :
▶ Autour de l’aéroport « La reprise du pouvoir
de la capitale, la ruée par les talibans illustre le
monde postaméricain qui
pour fuir le pays a fait se dessine »
plusieurs morts PAG E 25
PAGES 2-3

1 ÉDITORIAL
Un homme vend ses biens,
car il compte quitter BIDEN FACE À SON 
l’Afghanistan pour l’Iran,
à Kaboul, le 18 août.
PREMIER ÉCHEC
ANDREW QUILTY/AGENCE VU’ POUR « LE MONDE » PAGE 25

Présidentielle Marseille
Des victimes
Panthéon
Joséphine Baker,
Clément Beaune :  de règlements symbole pour
CES FEMMES « Il nous faudra  de comptes de plus Macron d’une
OUBLIÉES en plus jeunes France réconciliée
Retour sur le destin incarner le camp  PAGE 6 PAG E 10
exceptionnel de
Françaises restées
de la raison »
méconnues : Dans un entretien, le se­ ACCESSIBLE SUR
PA R C O U R S U P

Emilienne Moreau, crétaire d’Etat aux affaires


héroïne de 14-18 européennes conteste
et de la Résistance toute « droitisation »
du quinquennat
PAGES 2 0- 21
PAGES 1 0-11

Les religions Business development,


Human adventure
ne meurent Covid­19
jamais vraiment
La foi se renouvelle Blanquer veut  École de Commerce & Marketing
à Paris et Toulouse
PAGE 2 4 une rentrée 
Images animales « la plus normale  BAC+5
Le léopard de mer, | PROGRAMME GRANDE ÉCOLE DIPLÔME VISÉ À BAC+5
monstre amical possible »   Conférant le Grade de Master
- Marketing Digital et Innovation
PAG E 2 3 Seuls les élèves non - Commerce Responsable
vaccinés et cas contacts - International Business Development
Jeux sur mobile devront s’isoler sept jours.
BAC+3
« Snake », le succès Les syndicats jugent
07/2021 - DIRECTION MARKETING ET COMMUNICATION GROUPE IGS

inattendu d’un le protocole insuffisant | BACHELOR ICD - Diplôme visé Bac+3


2 parcours : Business Development | Event Management
serpent affamé PAGE 8

PAG E 2 2
| BACHELOR DIGITAL ET STRATÉGIES D’ENTREPRISE
Photographie ICD / EPF - Titre certifié inscrit au RNCP
Fiction Les colères de
« La nièce et le Charlotte Perriand CANDIDATEZ DÈS MAINTENANT
youtubeur », par
Delphine de Vigan au Monoprix W W W. I C D - E C O L E S . C O M

PAG E 1 9 Emilienne Moreau (1898­1971). Photographie anonyme


d’Arles I N S T I T U T I N T E R N AT I O N A L D U C O M M E R C E E T D U D É V E LO P P E M E N T - C R É É E N 1 9 8 0
E TA B L I S S E M E N T D ’ E N S E I G N E M E N T S U P É R I E U R T E C H N I Q U E P R I V É R E C O N N U PA R L’ E TAT - A S S O C I AT I O N LO I 1 9 0 1

de 1916. COLLECTION PINEAU/KHARBINE-TAPABOR PAGE 14

Algérie 220 DA, Allemagne 3,80 €, Andorre 3,80 €, Autriche 3,80 €, Belgique 3,30 €, Canada 5,80 $ Can, Chypre 3,20 €, Danemark 36 KRD, Espagne 3,60 €, Gabon 2 400 F CFA, Grande-Bretagne 3,20 £, Grèce 3,50 €, Guadeloupe-Martinique 3,30 €,
Hongrie 1 460 HUF, Italie 3,50 €, Luxembourg 3,30 €, Malte 3,20 €, Maroc 23 DH, Pays-Bas 4,00 €, Portugal cont. 3,50 €, La Réunion 3,30 €, Sénégal 2 400 F CFA, Suisse 4,50 CHF, TOM Avion 500 XPF, Tunisie 4,50 DT, Afrique CFA autres 2 400 F CFA
INTERNATIONAL
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A F G H A N I S TA N

La vie au jour le jour sous la férule talibane
Des Afghans témoignent des pressions religieuses quotidiennes, d’autres sont soulagés de la fin de la guerre

U
ne semaine est passée de­ Symbole d’une forme de retour à la nor­ En province, les villes de taille plus mo­ Selon plusieurs témoins, des signes noirs
puis que les talibans ont male, dimanche, des camions parcouraient deste ont permis aux talibans d’exercer un dessinés par les talibans sur certaines
pris le pouvoir en entrant, les rues de la capitale pour enlever les pièces contrôle social plus serré. Abdul Ghafar portes ont fait leur apparition dans la
victorieux, le 15 août, dans en béton élevées depuis des années en Sadiqi, âgé de 33 ans et père de trois enfants, province et la ville d’Herat. Les personnes
Kaboul, une capitale tom­ hauts murs de protection autour des admi­ employé au Norwegian Refugee Council interrogées n’ont pas su dire si cela signi­
bée sans combattre, au nistrations, de la zone verte des ambassa­ (NRC), à Herat, la grande cité de l’est proche fiait qu’une femme célibataire y résidait ou
terme d’une offensive dans le pays de seule­ des et des carrefours stratégiques du centre­ de l’Iran, n’est sorti pour la première fois de bien plutôt des Hazara chiites, une minorité
ment quarante­cinq jours. ville. Le Kaboul bunkérisé depuis quinze à chez lui que dimanche, dix jours après la persécutée par certains groupes talibans.
La population afghane est de nouveau vingt ans est appelé à disparaître. chute de la ville. « Dans les rues, j’ai senti la Par ailleurs, un membre de la famille
confrontée à ces fondamentalistes musul­ Mahmood, un entrepreneur anglophone peur partout. Les femmes, très rares, avaient d’un journaliste afghan travaillant pour la
mans chassés d’un pouvoir qu’ils ont dé­ de 45 ans qui possède plusieurs magasins « LE VISAGE  toutes couvert leur visage. Les combattants radio internationale allemande Deutsche
tenu entre 1996 et 2001. Ils affirment avoir de téléphonie, n’a aucune sympathie pour talibans, à moto et avec leurs armes améri­ Welle a été tué jeudi, à Herat, par des
changé, mais ils n’obéissent toujours qu’à la les nouveaux maîtres, mais il dit se sentir DE LA VILLE A  caines, paradaient. Il y a beaucoup moins de talibans qui étaient, semble­t­il, à la
loi de Dieu. Ils jurent avoir abandonné leurs davantage en sécurité, même s’il admet circulation dans la ville. Beaucoup de gens recherche de son parent.
pratiques obscurantistes, telles que les lapi­ avoir mis sa famille à l’abri à Dubaï. « Depuis CHANGÉ », EXPLIQUE  attendent la réouverture de l’aéroport pour
dations et les exécutions publiques, et ils le 15 août, les pillages dans les commissariats ABDUL GHAFAR  partir. Le visage de la ville a changé », « LES FEMMES SONT PRISONNIÈRES »
ont déclaré avoir ouvert des enquêtes sur et les bases militaires et les vols de voitures se explique­t­il au téléphone. Mardi, son fils Dans la ville de Qala­e Naw (capitale de la
les accusations d’exactions. Ils promettent, sont multipliés, mais la vie, ici, avec les tali­ SADIQI. de 7 ans a été renvoyé de l’école, parce qu’il province de Badghis, nord­ouest), les collè­
enfin, un gouvernement « ouvert et inclu­ bans, c’est quand même plus simple portait un uniforme occidental : une gues de Fatima (un pseudonyme), une ingé­
sif » et veulent entretenir des relations in­ qu’avant avec les policiers et les criminels, et MARDI, SON FILS  chemise blanche ainsi qu’une veste et une nieure de 37 ans, ne sortent que rarement
ternationales cordiales après avoir été mis puis, plus besoin de voitures blindées puis­ cravate marron. « Les talibans lui ont dit : dans la rue. Là aussi, « par peur », dit cette
au ban des nations. que ceux qui posaient les bombes sont aux
DE 7 ANS A ÉTÉ  “Tu dois mettre des habits afghans !” Mon fils Afghane. Les femmes rencontrent beaucoup
Le Monde a recueilli des témoignages à Ka­ manettes. » RENVOYÉ DE L’ÉCOLE. a pleuré. » de contraintes, dit­elle. « Elles sont devenues
boul et dans le reste de l’Afghanistan pour Les talibans ont devant eux des défis inat­ Voilà trois ans, après avoir travaillé pour prisonnières, ce qui est encore plus insuppor­
prendre le pouls d’un pays qui n’a plus rien à tendus. La ville, très étendue, n’a plus rien à « LES TALIBANS LUI  un programme anticorruption financé par table quand on est éduquées et qu’on tra­
voir avec celui que les talibans ont dirigé. voir avec celle qu’ils ont connue. Ils les Américains, M. Sediqi avait déposé une vaille. Elles sortent rarement et dans le cas
Plus de la moitié de la population afghane n’étaient pas préparés à une conquête si ra­ ONT DIT : “TU DOIS  demande de visa pour les Etats­Unis. Elle d’extrême besoin, portant une burqa et ac­
est née après 2001. Encore essentiellement pide du pays et, faute d’organisation, le con­ METTRE DES HABITS  est toujours en cours, ce qui ne manque pas compagnées par un membre masculin de leur
rural il y a vingt ans – ce sont les campagnes trôle de Kaboul n’est que très partiel. de l’inquiéter. Les bases de données des famille. La ville n’a plus l’odeur de la vie pour
traditionalistes qui ont donné naissance « Les profiteurs font leur business », ajoute AFGHANS !” » organisations gouvernementales et des les femmes », explique­t­elle.
au mouvement taliban, notamment dans le Mahmood. Les dirigeants talibans ont banques afghanes sont désormais entre les Dans sa ville, les écoles sont ouvertes
sud pachtoune –, le pays s’est, depuis, urba­ même dénoncé, samedi, « l’insécurité et les mains des talibans, qui peuvent ainsi con­ depuis quelques jours, mais les familles
nisé, modernisé et ouvert sur l’étranger. voleurs ». Par ailleurs, si les commerçants naître les noms de ceux qui ont été préfèrent ne pas laisser leurs filles, surtout
En 1996, Kaboul était détruite et comptait constatent une hausse sensible des ventes payés par les étrangers. « Je fais des les plus âgées, aller à l’école. Les bureaux
moins de 300 000 personnes. Aujourd’hui, de hidjabs et de turbans, la population cauchemars tous les soirs. Le pire, ce sont les gouvernementaux ont repris le travail sans
la Banque mondiale estime à six millions le féminine ne semble pas disposée à porter la descentes des talibans dans les maisons. les femmes et les sociétés privées ont de­
nombre de ses habitants et les immeubles burqa. Les talibans ont d’ores et déjà indiqué Avec ma femme, nous sommes très in­ mandé à leurs employées, dont Fatima, de
ont fleuri. qu’elle ne serait pas obligatoire, mais que les quiets », dit­il. travailler pour le moment à distance. « Tout
femmes devraient « couvrir leur bouche ». Son épouse, Vahida, montre moins de le monde attend que les talibans donnent
QUARANTE ANS DE GUERRE frayeurs. C’est elle qui sort dans la rue. En­ des signes comme quoi ils ont changé depuis
Les témoignages offrent une image con­ seignante depuis quatre ans, elle ne va plus 2001. S’ils ne voient pas ce changement, les
trastée du retour des talibans, en fonction Offensive dans la vallée du Panchir à l’école. « Les talibans m’ont dit que je ne Afghans ne pourront pas faire confiance aux
des milieux sociaux, des régions, des Les talibans au pouvoir à Kaboul ont annoncé, dimanche 22 août, pourrais pas enseigner aux garçons de plus insurgés », soutient Fatima, très inquiète
moyens financiers, des ethnies et des his­ le lancement d’une offensive d’envergure contre la seule zone de 13 ans », soutient­elle. pour ses deux filles.
toires personnelles. qui leur résiste encore : la vallée du Panchir, située au nord-est Sa cousine, étudiante en médecine à Dans le sud, à Lashkar Gah, capitale de la
Si l’aéroport de la capitale incarne, aux de Kaboul, longtemps connue comme un bastion anti-talibans. Herat, a été empêchée de se rendre seule à province du Helmand, la guerre a laissé des
yeux du monde entier, le chaos qui règne « Des centaines de moudjahidine de l’Emirat islamique se dirigent l’université. « Les talibans lui ont dit de venir traces et conditionne, en partie, l’accueil ré­
actuellement dans le pays, la réalité est vers l’Etat du Panchir pour le contrôler, après que des responsables accompagnée d’un membre masculin de servé au nouveau pouvoir. Selon un mem­
plus nuancée. La crainte du régime taliban locaux ont refusé de le remettre de façon pacifique », sa famille. Elle leur a répondu que les bre de Médecins sans frontières qui inter­
et de la privation de liberté ainsi que les ont indiqué les talibans sur leur compte Twitter en arabe. membres masculins de sa famille tra­ vient à l’hôpital Boost de la ville, le seul de la
menaces directes sur vingt ans d’acquis Le Front national de résistance (FNR) est notamment emmené vaillaient et ne pouvaient pas l’accompagner région à fournir, parmi d’autres, des services
pour les femmes afghanes cohabitent par Ahmad Massoud, fils du commandant Ahmed Shah Massoud, à l’université tous les jours. Les talibans lui pédiatriques, de maternité ou chirurgicaux,
avec un profond soulagement, celui de assassiné en 2001 par Al-Qaida. Un porte-parole du FNR, ont dit : “On te trouvera bien un homme.” la fin des combats a tout changé : « Fin juillet,
voir quarante ans d’une guerre quasi Ali Maisam Nazary, a déclaré à l’Agence France-Presse que le Ce qui veut dire un mariage forcé avec l’un il nous est arrivé de faire dix interventions par
ininterrompue prendre fin. Front se préparait à « un conflit de longue durée » avec les talibans. de leurs combattants », glisse Vahida. jour sur les seuls blessés de guerre, mainte­
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A F G H A N I S TA N

L’onde de choc géopolitique de la débâcle


L’humiliation infligée aux Etats­Unis pèsera sur la crédibilité politique de la première puissance mondiale

ANALYSE

D
ébâcle » : le mot est le
même en français et
en anglais, et il est
omniprésent dans les
récits de Kaboul depuis le diman­
che 15 août. « Débâcle » : « Dé­
route d’une armée. Débandade »
(Larousse), « Grand désastre,
échec total. Fiasco » (Merriam­
Webster).
Rares sont ceux, en revanche,
qui parlent de « défaite » à propos
du retrait chaotique des Etats­ Le président
Unis de l’Afghanistan, à l’issue de américain,
leur plus longue guerre – vingt Joe Biden,
ans. A quel moment une débâcle le 22 août,
tourne­t­elle à la défaite ? à la Maison
La tournure que prendront les Blanche.
événements à Kaboul dans les ANDREW
jours et les semaines qui vien­ CABALLERO-
nent en décidera : combien REYNOLDS/AFP
d’Afghans désireux de partir
pourront­ils être évacués ? Quel
sera le sort de ceux qui resteront ?
Quels acquis pour la société ci­
vile, et en particulier pour les
femmes, seront­ils préservés
sous le régime des talibans ? Le
pays redeviendra­t­il une base
pour le terrorisme international ?
En catastrophe, Washington,
pris de vitesse, tente de limiter les
dégâts. Mais une semaine après la
chute de Kaboul, qui a finalisé la
reconquête éclair de l’Afghanis­
tan par les talibans et précipité la
fuite des Américains et de leurs
alliés, les conséquences géopoliti­
ques de la débâcle que constitue
le retrait des Etats­Unis est déjà
perceptible. L’humiliation infli­
gée à la première puissance mili­ Etats­Unis remportaient la américaine, dit­il, est aujourd’hui tan, semblent découvrir la réalité l’occupant serait sous­estimer
taire mondiale, les erreurs d’éva­ guerre froide. La fin du cycle des si polarisée qu’elle ne parvient de la limite de la puissance de POUR LES EUROPÉENS, leur sagesse.
luation et opérationnelles com­ interventions post­11­Septembre plus à trouver de consensus. « Les « Global Britain ». Ils laissent ex­ LE RÉVEIL EST RUDE. LE  Les Russes ont déjà fait l’amère
mises par les Etats­Unis soulè­ ne signifie pas nécessairement le Etats­Unis ne vont probablement ploser leur frustration, quali­ expérience de l’Afghanistan,
vent une série de questions de désengagement des Etats­Unis pas regagner leur statut hégémo­ fient l’attitude du grand allié POUVOIR DE DÉCISION, Y  même si l’effondrement du ré­
fond sur leur rôle dans le monde. des affaires du monde. nique, et ce n’est d’ailleurs pas sou­ américain de « honteuse ». « Im­ gime qu’ils avaient mis en place
Joe Biden dit même le con­ haitable, note­t­il. Ce à quoi ils bécile », ajoutera même, cinglant, COMPRIS SUR LE RETRAIT  après leur retrait a été un peu plus
Echec au grand jour traire, puisqu’il affirme quitter peuvent aspirer est un ordre mon­ l’ancien premier ministre Tony lent que celui des Américains :
A court terme, l’impact sur l’Afghanistan pour pouvoir dial en harmonie avec les valeurs Blair sur son site.
ET SES MODALITÉS, A ÉTÉ  Mohammad Najibullah avait
l’image des Etats­Unis est désas­ se concentrer sur des enjeux démocratiques. Et ce n’est pas en Pour Armin Laschet, le dauphin EXCLUSIVEMENT  tenu trois ans, mais son corps cri­
treux. Les scènes déchirantes plus stratégiques – essentielle­ menant des actions éclairs à Ka­ d’Angela Merkel à Berlin, c’est la blé de balles s’est malgré tout re­
à l’aéroport de Kaboul, les com­ ment la rivalité avec la Chine. boul qu’ils peuvent y parvenir, « plus grande débâcle pour AMÉRICAIN trouvé pendu à un réverbère
paraisons avec l’évacuation de Cette posture pose deux ques­ mais en recouvrant un sens l’OTAN depuis sa création ». La en 1996. Ils n’y retourneront pas,
Saïgon, au Vietnam, en 1975, les tions : l’Asie centrale ne figure­t­ d’identité nationale et d’objectif chancelière elle­même recon­ même s’ils y gardent leur ambas­
contradictions entre les différen­ elle donc pas au rang des enjeux commun chez eux. » naît que l’expérience est frappe et on s’en va » ? « Est­on sade, mais ils mettent à profit la
tes déclarations du président Joe stratégiques dans le jeu des gran­ Pour les Européens, une fois de « amère » : comme les Améri­ encore capable de construire une version « 2.0 » des talibans pour
Biden depuis juillet, l’analyse des puissances ? Et si l’Amérique plus, le réveil est rude. Solidaires cains, les renseignements alle­ paix durable », s’inquiète un di­ assurer leurs arrières, c’est­à­dire
post mortem du processus de dé­ de Biden ne parvient pas à tenir des Etats­Unis dès la première mands ont mal évalué la progres­ plomate européen ? leur sécurité dans les anciennes
cision à Washington par les mé­ tête aux talibans, comment heure, le 11 septembre 2001, enga­ sion des talibans. « Nous ne pouvons pas aller re­ républiques soviétiques d’Asie
dias américains, le bilan des er­ peut­elle prétendre défendre gés en Afghanistan à leurs côtés Le fait qu’un débat aussi vif sur construire chaque pays en crise, centrale. C’était le sens de la ren­
reurs de jugement de quatre pré­ Taïwan d’une éventuelle agres­ dans le cadre de l’OTAN, ils four­ l’unilatéralisme américain en proclamait Barack Obama, le contre du chef de la diplomatie
sidents successifs en vingt ans, le sion chinoise ? C’est l’argument nissaient, à la fin de l’interven­ matière de sécurité s’ouvre à Lon­ 12 janvier 2016, à propos de russe, Sergueï Lavrov, avec une
rappel des avertissements dont aussitôt avancé par Pékin après tion et alors qu’il ne restait plus dres et à Berlin plutôt qu’à Paris l’Afghanistan. Ce n’est pas ça, le délégation de talibans en juillet.
personne n’a voulu tenir compte, la chute de Kaboul. Joe Biden y a que 2 500 soldats américains, les (les Français ayant quitté l’Afgha­ leadership. C’est la leçon du Viet­
tout cela est accablant. Contraire­ répondu de la manière la plus deux tiers des effectifs militaires nistan en 2014) est­il de nature à nam, c’est la leçon de l’Irak, et il Les craintes de la Chine
ment aux pays totalitaires, les froide qui soit : Taïwan est bien sur le terrain. Ils ont eu plus d’un réveiller les Européens et à stimu­ faudrait enfin la retenir. » Visible­ La Chine, quant à elle, aurait pré­
échecs américains se déroulent un enjeu stratégique, même sans millier de morts et d’innombra­ ler la réflexion stratégique en ment, Joe Biden l’a retenue. Cer­ féré voir les Etats­Unis partir
au grand jour : l’omerta n’est pas avoir le rang formel d’allié bles blessés. La campagne cours à l’OTAN depuis les déclara­ tains Américains, comme le gé­ après avoir conclu un accord de
une option. comme le Japon ou la Corée du d’Afghanistan, c’était aussi la leur. tions du président Emmanuel néral David Petraeus, et de nom­ paix avec les nouveaux maîtres
Pour autant, l’épisode pèsera Sud. Washington ne se retire pas Macron, en 2019, sur la « mort cé­ breux Européens, la considèrent de l’Afghanistan : l’instabilité
sans doute plus sur le crédit poli­ du monde, mais entend y inter­ La frustration britannique rébrale » de l’organisation ? comme une démission de la res­ dans la région ne lui convient pas
tique de Joe Biden que sur celui de venir de manière plus sélective, Mais le pouvoir de décision, y L’évolution de ce débat en Alle­ ponsabilité internationale. plus qu’à la Russie, et elle n’a
la puissance des Etats­Unis. La dé­ uniquement lorsque son propre compris sur le retrait et ses moda­ magne, en particulier, sera à sur­ Dans le contexte de la compéti­ guère non plus d’affinités avec
bâcle du retrait afghan n’arrive intérêt est en jeu. lités, a été exclusivement améri­ veiller, en marge des élections du tion des grandes puissances qui l’idéologie talibane. Elle redoute
pas comme un coup de tonnerre En réalité, en 2021, le vrai point cain, malgré l’impact possible 26 septembre ; Christoph Heus­ a succédé au moment unipolaire un retour de l’activité terroriste
dans un ciel d’azur : le fiasco de faible de la crédibilité des Etats­ pour l’Europe d’un éventuel gen, ancien proche conseiller de américain, la déroute des Etats­ islamiste, qui risquerait de débor­
l’invasion de l’Irak en 2003, sa sé­ Unis n’est ni militaire ni diplo­ exode de réfugiés ou d’une re­ Mme Merkel et ex­ambassadeur à Unis en Aghanistan est évidem­ der sur le Pakistan, son allié, ou
rie de bavures tragiques et le matique, mais politique, juge le prise du terrorisme. Lorsque les l’ONU, analyse déjà les leçons de ment du pain bénit pour les puis­ même de prendre des Chinois
chaos dans lequel elle a durable­ politologue Francis Fukuyama responsables américains ont « la catastrophe afghane » sur sances rivales, à la fois en termes pour cible. Lorsque Wang Yi, le
ment plongé le Moyen­Orient pa­ dans The Economist : la société briefé leurs partenaires euro­ l’engagement franco­européen de perte de prestige et pour la sa­ chef de la diplomatie chinoise, es­
raissent, en comparaison, plus péens à l’OTAN sur l’organisation au Mali, dans une tribune publiée tisfaction de voir l’Amérique time que « le monde devrait en­
lourds de conséquences. et le calendrier du retrait, les ten­ par le think tank European évincée de la région. courager et guider les talibans
Le 15 août 2021 marquerait ainsi tatives de quelques­uns d’entre Council on Foreign Relations : Par leur présence en Afghanis­ dans une direction positive plutôt
la clôture du cycle de guerres amé­ SI L’AMÉRIQUE DE BIDEN  eux – Britanniques, Allemands, fustigeant le « profond manque de tan, qui impliquait des points que de faire pression sur eux »,
ricaines ouvert par les attentats Turcs – d’influer sur le cours des respect » des Etats­Unis pour leurs d’appui au Pakistan et dans des c’est encore cette crainte de l’ins­
du 11 septembre 2001, plutôt que NE PARVIENT PAS À TENIR  choses ont été balayées. « Ame­ partenaires, il juge qu’il ne faut pays voisins d’Asie centrale, « les tabilité qui transpire : Pékin a peu
la fin d’un « siècle américain ». rica first », sous Biden comme pas renoncer à intervenir à Etats­Unis étaient devenus une d’appétit pour ouvrir d’autres
Depuis un siècle, l’interven­
TÊTE AUX TALIBANS,  sous Trump. « Les Allemands l’étranger, à condition de se mon­ puissance eurasiatique », note « routes de la soie » dans un pays
tionnisme américain est en effet COMMENT PEUT­ELLE  étaient très inquiets, se souvient trer plus exigeant vis­à­vis des di­ Dmitri Trenin, de centre de re­ de nouveau livré à la guerre civile.
marqué par un caractère cycli­ un diplomate, ils ont proposé de rigeants locaux – un message cherche Carnegie. Ils ne le sont Finalement, après le départ
que, avec des périodes de retrait PRÉTENDRE DÉFENDRE  rester plus longtemps. » qu’il adresse à la France et au Mali. plus. Imaginer cependant que la bâclé des Américains, ni la Chine,
qui succèdent à des phases d’acti­ Mais rester… sans l’appui de la C’est l’autre débat que soulève Chine et la Russie vont s’empres­ ni la Russie, ni la Turquie, ni
visme, et par une capacité de re­ TAÏWAN D’UNE  force américaine ? Impossible. A la débâcle afghane : le nation ser de prendre la place des Occi­ l’Iran, ni le Pakistan ne voient les
bond propre à l’Amérique : ÉVENTUELLE AGRESSION  la Chambre des communes, le building a­t­il un avenir ? Faut­il dentaux dans un pays qui a si ef­ talibans s’installer à Kaboul sans
quinze ans après le traumatisme 17 août, les députés britanniques, se limiter à des interventions ficacement fait la preuve, à tra­ appréhension. 
de la guerre du Vietnam, les CHINOISE ? dont huit ont servi en Afghanis­ éclairs de type « on entre, on vers l’histoire, de sa résistance à sylvie kauffmann
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MARDI 24 AOÛT 2021 international | 5

A Kiev, Merkel ne parvient pas


à rassurer les Ukrainiens
La chancelière allemande a déçu ses interlocuteurs sur Nord Stream 2,
Le retour des talibans le Donbass et la Crimée, deux jours après sa rencontre avec Poutine
attise les tensions entre
l’Inde et le Pakistan berlin ­ correspondant
« C’est une erreur constituer un moyen de pression
efficace sur Moscou. « C’est une
Uni, eux, se sont engagés à fournir
des navires militaires à l’Ukraine.

R
assurer les Ukrainiens : de ne pas erreur de ne pas voir que [Nord A propos de la Crimée, enfin,
tel était l’objectif d’An­ Stream 2] est une arme dange­ la chancelière allemande a égale­
New Delhi s’inquiète des conséquences de gela Merkel en se ren­
voir que reuse non seulement pour ment déçu les Ukrainiens. Lors de
la victoire des islamistes, alliés d’Islamabad dant à Kiev, dimanche [le gazoduc] l’Ukraine, mais aussi pour l’Europe sa conférence de presse aux côtés
22 août, deux jours après avoir dans son ensemble », a répété de Vladimir Poutine, vendredi,
été reçue par Vladimir Poutine
est une arme M. Zelensky, sous­entendant clai­ elle avait pourtant abordé sponta­
à Moscou. Malgré les propos dangereuse pour rement que Mme Merkel était nément la question en assurant
new delhi ­ correspondante vers l’Afghanistan, consolider son qu’elle a tenus sur les trois princi­ naïve de croire le contraire. que la position allemande – la
poids politique dans la région, et la paux dossiers qui empoisonnent
l’Europe dans S’agissant du Donbass, région de non­reconnaissance de l’an­

L’ Inde affaiblie, le Pakistan


renforcé ? Le retour des ta­
libans à Kaboul marque
un bouleversement des équili­
bres régionaux en Asie du Sud.
Chine profiter du vide laissé par les
Américains et développer ses pro­
jets d’infrastructures. » L’influence
de l’Inde est­elle sérieusement en­
tamée ? « La chute de Kaboul est
les relations ukraino­russes – le
gazoduc Nord Stream 2, la guerre
dans le Donbass et le sort de la
Crimée –, elle n’y est pas franche­
ment parvenue.
son ensemble »
VOLODYMYR ZELENSKY
président ukrainien
l’est de l’Ukraine où sévit depuis
2014 une guerre alimentée par des
groupes séparatistes soutenus par
Moscou, la chancelière a certes
accusé « la Russie [d’être] directe­
nexion de la péninsule par la Rus­
sie – ne changerait pas. « Nous re­
mercions l’Allemagne pour sa posi­
tion de fermeté et pour son soutien
à notre souveraineté », l’a félicité
Voilà des décennies que les deux pour New Delhi un moment décisif Concernant Nord Stream 2, qui ment impliquée dans ce conflit », ce M. Zelensky, dimanche.
ennemis jurés ont fait de l’Afgha­ et elle doit repenser ses stratégies doit acheminer annuellement sera le mieux », a­t­elle précisé, que Moscou dément et ce qui ex­
nistan l’arrière­cour de leurs riva­ et options régionales. Malheureu­ 55 milliards de mètres cubes de ajoutant que « les Etats­Unis et l’Al­ plique, selon elle, que les pourpar­ Maintenir le « dialogue »
lités afin de s’imposer comme la sement, elle n’en a pas beaucoup », gaz russe vers l’Allemagne via la lemagne sont d’accord sur le fait lers de paix « tournent en rond ». Si Mais en ne restant pas à Kiev,
puissance dominante. analyse Happymon Jacob, profes­ mer Baltique, Kiev a vécu comme que le gaz ne doit pas être utilisé elle a plaidé pour une reprise des lundi, pour la conférence interna­
Pour Islamabad, qui instrumen­ seur associé à l’université Jawa­ une trahison l’accord conclu entre une arme géopolitique ». négociations dans le cadre du tionale sur la Crimée organisée
talise sa proximité avec l’Afghanis­ harlal­Nehru. Berlin et Washington le 21 juillet. A ses côtés, M. Zelensky ne s’est « format Normandie », qui associe par l’Ukraine à la veille du 30e an­
tan et la « profondeur stratégique » « Le retrait des Etats­Unis de cette En mettant fin aux sanctions amé­ guère montré rassuré. « S’agissant l’Ukraine, la Russie, la France et niversaire de son indépendance,
que ce pays représente à ses yeux partie de l’Asie, le lien croissant en­ ricaines, celui­ci a rendu inélucta­ de la prolongation du contrat de l’Allemagne, Mme Merkel a toute­ Mme Merkel – qui sera représentée
face au rival indien en cas de nou­ tre la Chine, la Russie et le Pakistan ble l’achèvement du chantier de transit au­delà de 2024, je n’en­ fois douché les espoirs de Kiev, par son ministre de l’économie,
veau conflit avec son voisin, le dans toute la région, et un Iran di­ ce gazoduc auquel l’Ukraine s’est tends que des choses très généra­ qui souhaiterait que l’Allemagne Peter Altmaier, et non pas comme
triomphe des talibans est une in­ rigé par un partisan de la ligne toujours opposée, estimant qu’il les », a­t­il regretté, en faisant réfé­ lui vende des armements. « Nous prévu par celui des affaires étran­
contestable victoire. Pour New dure comme Ebrahim Raïssi, sont permettra à la Russie d’exporter rence aux sanctions évoquées par comptons beaucoup » sur le chan­ gères, Heiko Maas, officiellement
Delhi, fidèle allié des présidents autant de facteurs qui jouent en son gaz en Europe en la contour­ l’Allemagne en cas de politique gement de position de Berlin à ce retenu par les événements en
Hamid Karzaï, puis Ashraf Ghani, défaveur de l’Inde », estime nant et donc en la privant d’une gazière agressive de la Russie con­ sujet, a déclaré M. Zelensky, profi­ Afghanistan – a donné le senti­
c’est un revers stratégique. Les In­ Mayankodu Kelath Narayanan, source importante de revenus. tre l’Ukraine, dont Kiev juge le tant de l’occasion pour rappeler ment de ne pas vouloir s’impli­
diens ont investi, depuis 2001, ancien conseiller à la sécurité na­ A Kiev, dimanche, la chancelière mécanisme trop imprécis pour que les Etats­Unis et le Royaume­ quer dans ce dossier autant qu’elle
3 milliards de dollars (2,6 milliards tionale indienne de 2005 à 2010, allemande, qui quittera le pouvoir le pourrait.
d’euros) pour aider à la reconstruc­ dans une tribune dans le quoti­ après les élections législatives du Au risque de conforter, une fois
tion du pays, devenant ainsi le cin­
quième donateur de l’Afghanistan.
dien The Hindu.
Mais le péril taliban, pour New
26 septembre, a essayé de convain­
cre le président ukrainien Volody­
Soutien mesuré de Merkel à Laschet de plus, l’idée qu’au terme de ses
seize années à la tête de l’Allema­
Le premier ministre pakistanais Delhi, est d’abord sécuritaire. Le myr Zelensky qu’il n’avait pas à A cinq semaines des législatives du 26 septembre, Angela Merkel gne, sa volonté de maintenir coûte
considère l’arrivée des talibans ministre des affaires étrangères, s’inquiéter. « Il est important que s’est dite « convaincue » qu’Armin Laschet, le président de l’Union que coûte le « dialogue » avec la
comme une revanche sur l’his­ Subrahmanyam Jaishankar, a l’Ukraine reste un pays de transit chrétienne-démocrate (CDU), sera « le prochain chancelier » du Russie, qu’elle a rappelée vendredi
toire, car l’intervention militaire alerté le 19 août le Conseil de sécu­ [du gaz russe] », a­t­elle déclaré lors pays. Lors d’un rassemblement de son parti à Berlin, samedi à Moscou, ne l’aura certes pas
des Américains en Afghanistan, rité de l’ONU. « L’intensification d’une conférence de presse con­ 21 août, la chancelière a décrit un homme « pour qui le “C” [de empêchée de condamner à main­
après les attentats du 11 septem­ des activités du réseau Haqqani jointe avec son homologue. Sur ce l’acronyme CDU] n’est pas qu’une lettre mais aussi une boussole, tes reprises les agissements de
bre 2001, avait fait perdre au Pakis­ [dont l’un des membres, Sirajud­ point, elle a assuré que l’Allema­ (…) et un dirigeant capable de construire des ponts entre les M. Poutine, mais qu’elle n’aura
tan sa base arrière, et permis à din Haqqani, est le principal chef gne, comme le stipule l’accord du gens ». Selon le baromètre ARD-Deutschlandtrend du 20 août, surtout pas permis d’infléchir
l’Inde de renforcer ses liens avec militaire taliban, tout en étant 21 juillet, s’est engagée à ce que le seuls 16 % des Allemands souhaitent que M. Laschet devienne significativement une politique
l’Afghanistan et les Etats­Unis. Si­ proche d’Al­Qaida] justifie une in­ contrat de transit qui lie la Russie chancelier, alors que son parti n’est crédité que de 23 % des voix russe devenue au fil du temps de
tôt la prise de Kaboul, le premier quiétude croissante », a­t­il dé­ et l’Ukraine, qui doit expirer (– 4 points en un mois), désormais au coude-à-coude avec le plus en plus impérialiste. 
ministre pakistanais, Imran Khan, ploré, sans citer le Pakistan. New en 2024, soit prolongé. « Le plus tôt Parti social-démocrate (21 %, + 2 points) thomas wieder
s’est réjoui en direct à la télévision Delhi redoute que ces groupes is­
que les nouveaux maîtres de lamistes anti­indiens viennent
l’Afghanistan aient « brisé les chaî­ s’infiltrer dans la partie indienne
nes de l’esclavage » avec l’Occident. du Cachemire, à majorité musul­
Le premier ministre indien, Na­
rendra Modi, s’est, au contraire,
muré dans le silence. Tout juste a­
mane, et dont le Pakistan revendi­
que la souveraineté.
L’Inde a payé durement dans le
Le premier ministre japonais, Suga, essuie un
t­il évoqué le sujet, de manière si­ passé la violence des talibans,
bylline, à l’occasion d’un déplace­
ment dans le Gujarat, le 20 août, à
l’occasion de la reconstruction
meurtrie par une série d’attaques
terroristes. camouflet après la municipale de Yokohama
d’un temple. « Les forces destruc­ Le Pakistan sous pression
trices et les personnes qui suivent « Le plus grand défi pour l’Inde est
Le candidat de l’opposition, critique de la gestion de la pandémie, a remporté le scrutin
l’idéologie de la création d’empi­ une augmentation quasi certaine
res par la terreur peuvent dominer du terrorisme et de l’extrémisme
pendant un certain temps, mais dans la région. La présence améri­ tokyo ­ correspondance obtenant 33,59 % des voix. Le M. Okonogi bénéficiait de l’ap­ défaite de Yokohama, qualifiée de
leur existence n’est pas perma­ caine en Afghanistan, la pression taux de participation a atteint pui du PLD et de Komei, l’autre for­ « très dure » par le secrétaire géné­
nente, car elles ne peuvent pas
supprimer l’humanité pour tou­
jours », a­t­il prévenu.
L’Inde a fermé ses quatre con­
sulats, à Kandahar, Mazar­e Cha­
internationale sur les talibans et les
inquiétudes du Groupe d’action fi­
nancière [GAFI] sur le Pakistan ont
eu un effet relativement modéra­
teur sur l’écosystème terroriste de la
M al en point dans les
sondages et très criti­
qué pour son incapa­
cité à endiguer la recrudescence
des contaminations par le SARS­
49,05 %, en hausse de 12 points
par rapport au précédent scrutin
municipal, il y a quatre ans.

Mécontentement de la base
mation au pouvoir. Lui aussi s’op­
posait au projet de casino, mais
M. Suga le soutenait pour éviter
un succès de l’opposition.
Sa défaite – il est arrivé en
ral adjoint du PLD, Masahiro Shi­
bayama, pourrait revigorer une
opposition jusque­là peu audible
et morcelée.
Depuis l’arrivée au pouvoir de
rif, Herat et Jalalabad, ainsi que région », relève Happymon Jacob. CoV­2, le premier ministre japo­ Promettant de « changer le Japon deuxième position et n’a réuni M. Suga, le PLD enchaîne les revers
son ambassade à Kaboul. Les opé­ Pour le Pakistan, qui possède la nais, Yoshihide Suga, a subi un ca­ en partant de Yokohama », M. Ya­ que 42,7 % des voix des sympathi­ électoraux, ayant perdu plusieurs
rations d’évacuation de ses res­ plus longue frontière avec mouflet avec la défaite de son can­ manaka a mené campagne en cri­ sants du PLD, selon l’agence sénatoriales partielles et des scru­
sortissants se sont poursuivies l’Afghanistan, le retour des tali­ didat à l’élection du maire de Yoko­ tiquant le gouvernement pour sa Kyodo, signe d’un mécontente­ tins pour des gouverneurs de dé­
encore ce week­end, dans des bans est également à risque, car hama, dimanche 22 août. Ce revers gestion désastreuse de l’épidémie ment croissant de la base du parti partement, à Chiba et Shizuoka
conditions difficiles. ces derniers pourraient électriser hypothèque son avenir à la tête du de Covid­19. Les contaminations sur les questions sanitaires – ré­ notamment. Même s’il bénéficie
« L’Inde est confrontée à une dou­ des groupes terroristes, comme le gouvernement. L’élection était explosent – plus de 25 000 par jour vèle la fragilité de M. Suga, à quel­ de l’appui du puissant secrétaire
ble difficulté, résume Gilles Bo­ Tehrik­e­Taliban Pakistan (TTP), très suivie, car Yokohama est le fief dans tout le pays, quatre fois plus ques semaines de la fin de son général du PLD, Toshihiro Nikai,
quérat, professeur associé à la créé en 2007, qui s’est juré de ren­ électoral du premier ministre. qu’à la fin juillet – et les hôpitaux mandat de président du PLD. Ce M. Suga n’appartient à aucune fac­
Fondation pour la recherche stra­ verser le gouvernement pakista­ M. Suga soutenait Hachiro Oko­ refusent des malades dans les zo­ scrutin interne au parti se dérou­ tion, et plusieurs de ses soutiens
tégique. Elle a perdu un ami et un nais accusé d’être à la solde des nogi, avec qui il entretient des nes les plus affectées, comme Yo­ lera dans la perspective d’une se­ majeurs – tel l’ancien ministre de
allié, et, à l’inverse, ses rivaux pakis­ Américains et de « bafouer l’is­ liens étroits puisqu’il fut, à ses dé­ kohama. Ayant travaillé sur l’effi­ conde échéance pour le PLD : des la justice Katsuyuki Kawai, empri­
tanais et chinois vont tenter d’éten­ lam ». Personne n’a oublié, au Pa­ buts en politique, secrétaire du cacité des vaccins contre les va­ élections législatives en octobre. sonné pour achat de voix – ont été
dre leur influence. Islamabad peut kistan, l’attaque sanglante menée père de ce dernier. Parlementaire riants du coronavirus, le nouvel Dans un tel contexte d’impopu­ victimes de scandales.
espérer développer des liens com­ par ce groupe, en 2014, contre une de Yokohama et ancien directeur élu reproche aux autorités d’avoir larité du premier ministre – son Plusieurs candidats à sa succes­
merciaux avec l’Asie centrale à tra­ école de Peshawar accueillant des de la commission nationale de sé­ ignoré les appels des experts à des taux de soutien ne dépasse plus sion, comme l’ex­ministre des af­
enfants de militaires. Cent qua­ curité publique, M. Okonogi a di­ mesures plus fermes de préven­ 30 % –, le parti doit déterminer si faires étrangères Fumio Kishida,
rante­cinq personnes avaient rigé la campagne de M. Suga au tion du Covid­19, pourtant jugées M. Suga est le bon choix pour me­ se manifestent déjà pour le scru­
péri, dont 132 enfants. sein du Parti libéral­démocrate « nécessaires » par 67 % des person­ ner la bataille électorale à venir. La tin à la tête du parti. M. Kishida
« L’INDE A PERDU  Imran Khan est sous la pression (PLD) pour qu’il succède à Shinzo nes interrogées par l’agence de pourrait profiter de l’appui de
d’autres groupes extrémistes, no­ Abe, en septembre 2020. sondage ANN. M. Abe qui n’exclurait pas de
UN AMI ET UN ALLIÉ,  tamment le Tehrik­e­Labbaik Pa­ Le scrutin a été remporté par Ta­ M. Yamanaka s’opposait aussi jouer les faiseurs de rois. « Du
ET SES RIVAUX  kistan (TLP), qui se pose en gar­ keharu Yamanaka, 48 ans, ancien au très controversé projet de Depuis l’arrivée point de vue de M. Abe, son succes­
dien du prophète Mahomet et professeur à l’université de Yoko­ complexe touristique avec ca­ seur devait être Fumio Kishida,
PAKISTANAIS ET CHINOIS  dont les actions secouent depuis hama, sans la moindre expé­ sino, porté par la maire sortante,
au pouvoir pas Yoshihide Suga. Il l’a soutenu
plusieurs mois le pays, notam­ rience politique. Le statisticien, Fumiko Hayashi, arrivée troi­ de M. Suga, à contrecœur, car il s’est retrouvé
VONT TENTER D’ÉTENDRE  ment à coups de manifestations spécialisé dans les questions mé­ sième du scrutin. Ce projet s’ins­ coincé par Toshihiro Nikai qui
violentes pour exiger des mesu­ dicales, a gagné avec le soutien de crit dans le cadre d’une politique
le Parti libéral- avait pris l’initiative dans la cam­
LEUR INFLUENCE » res de rétorsion contre la France, l’opposition, le Parti démocrate nationale de soutien au tourisme, démocrate pagne », expliquait, le 19 août, au
GILLES BOQUÉRAT accusée de blasphème, et le dé­ constitutionnel, le Parti commu­ à l’initiative de l’ancien premier quotidien Japan Times, la journa­
professeur associé à la Fondation part de son ambassadeur.  niste japonais et le Parti social­ ministre Shinzo Abe (2012­2020)
enchaîne les liste politique Akiko Azumi. 
pour la recherche stratégique sophie landrin démocrate, pour une fois unis, en et promue par M. Suga. revers électoraux philippe mesmer
FRANCE
0123
6| MARDI 24 AOÛT 2021

Cité de La Marine bleue,


à Marseille, le 22 août.
FRANCK PENNANT « LA PROVENCE »/MAXPPP

verse des Marronniers, on a ta­


gué : « L’Etat nous laisse tomber. »
Une résidente du haut des Mar­
ronniers confirme : « On se sent
abandonnés. Les infirmières, les
médecins se font contrôler, on leur
demande où ils vont. Bientôt, ils
ne viendront plus. » Il y a quelques
semaines, une quinzaine de voi­
tures de police ont investi la co­
propriété de 400 logements, ra­
conte cette habitante. « Un quart
d’heure après leur départ, les
choufs criaient “c’est bon, c’est
bon” et le défilé de véhicules a re­
pris, parfois des belles voitures ve­
nues de quartiers chics. » Les en­
fants ne jouent plus dehors, as­
sure cette résidente, et tout le
monde connaît les appartements
servant de lieux de stockage mais
parler est dangereux. « Un pépé
qui regardait les trafiquants alors
qu’il était sorti faire pisser son
chien s’est retrouvé avec un pisto­
let sur la tempe. » Il a déménagé.

Eviter de nouvelles catastrophes


Les réseaux usent du bâton, de la
menace, mais aussi de la carotte.
Depuis quelques années, expli­
que l’éducateur chargé des mi­
neurs délinquants, « les cités his­
toriques où se déroulent les plus
gros trafics ouvrent des points de
vente dans d’autres cités mar­
seillaises mais également dans cel­

A Marseille, l’été meurtrier 
les d’Arles, de Martigues, d’Istres,
d’Aubagne, d’Avignon… Lorsque les
réseaux s’implantent, un billet de
marseille ­ correspondant 50 euros est glissé dans toutes les
boîtes aux lettres. Et lors du confi­

D
epuis la fin du mois de nement, ce sont des palettes de

n’en finit plus
juin, Marseille connaît nourriture qu’ils fournissaient
une flambée de vio­ pour alimenter les structures de
lences liée aux guerres solidarité. »
de territoires auquel se livrent les A Marseille, la violence est res­
réseaux de revente de stupé­ sentie partout dans les quartiers
fiants. Deux nouveaux règle­ nord. Quelques heures après la
ments de comptes ont fait trois
victimes dans la nuit de samedi 21 Les règlements de comptes sur fond de trafic de stupéfiants fusillade des Marronniers, des
coups de feu étaient tirés à la cité
à dimanche 22 août. A minuit,
dans la cité de la Marine bleue (14e ont fait quinze morts depuis le début de l’année. Dans la nuit de La Paternelle où un jeune était
blessé aux jambes. Il y a quinze
arrondissement), une des plus
paupérisées de la ville, deux hom­ samedi 21 à dimanche 22 août, trois jeunes hommes ont été tués jours, à Font­Vert, un mineur est
mort après un coup de couteau
mes âgés de 25 et 26 ans ont été à la jambe qui lui a tranché l’ar­
tués par un commando circulant à tère fémorale. L’hypothèse d’un
bord d’au moins deux véhicules. conflit lié aux stupéfiants n’est
Une heure plus tard, en centre­ balle ou non. Des blessures finale­ « nourrices », ces habitants qui « On a aujourd’hui située au début de la traverse qui pas écartée.
ville cette fois, dans le quartier ment sans gravité. stockent dans leur appartement la mène à la cité confient ne pas Aux Marronniers, la tension
tranquille des Chartreux (4e ar­ Copains d’enfance rencontrés drogue, l’argent et les armes. des choufs avoir peur, habituées qu’elles sont était à son comble ces dernières
rondissement), la police a été aler­ sur les bancs de l’école, les deux Auparavant rémunérés, certains [guetteurs] à voir tourner le « plan stups », semaines. Une habituée des lieux
tée de coups de feu et de l’enlève­ adolescents viennent de la cité des n’ont plus le choix de s’opposer à discutant même avec le guetteur s’en est rendu compte au renfor­
ment d’une personne. Le corps Marronniers (14e arrondisse­ l’annexion de leur domicile. de 12-13 ans habituellement assis dans un fau­ cement de la surveillance opérée
carbonisé d’un homme de 27 ans a ment), à l’entrée de laquelle s’est L’assassinat de l’adolescent a si­ qui recourent teuil défoncé devant leur bâti­ par le réseau. « On sent que ça s’est
été retrouvé un peu plus tard dans déroulé le drame. Rayanne est dé­ déré bon nombre de Marseillais. ment. Comme elles l’ont fait avec aggravé, c’est devenu très dange­
un véhicule incendié dans un crit comme un garçon sans his­ Un éducateur chargé des mineurs aux services l’adolescent assassiné. « Il était là reux. Avant on ne voyait pas de
autre quartier. Ces deux faits dis­ toire ; son camarade qui a survécu délinquants depuis vingt ans, des 9-10 ans » depuis une semaine. On n’a pas guetteurs sur la voie ferrée. C’est
tincts pourraient être liés, selon les était suivi par un juge des enfants avoue avoir « la gueule de bois » : peur car si on n’est pas mêlé à leurs une histoire de clans. »
enquêteurs. Les trois victimes, à la fois sur le plan pénal pour une « En 2010, la première fois qu’un ga­ SALIM GRABSI histoires, on ne craint rien. La seule Au début du mois d’août, rap­
connues des services – l’une d’en­ affaire en lien avec les stupéfiants min de 16 ans a été tué, on avait cru Syndicat des quartiers insécurité, confient­elles, c’est par porte le quotidien La Provence,
tre elles a été condamnée à douze mais aussi sous le coup d’une me­ à un coup de tonnerre isolé. populaires rapport aux balles perdues. » trois jeunes du réseau des Mar­
reprises –, devaient être prochai­ sure de protection et d’assistance Aujourd’hui, on voit que c’était le Du balcon de cette résidence ronniers avaient été enlevés par
nement jugées. La police judiciaire éducative. Son père avait dénoncé début d’un cycle avec des victimes neuve, un homme ne veut rien des concurrents de la cité voisine
recense depuis le début de l’année un enlèvement dont son fils avait de plus en plus jeunes. » Gueule de teurs] de 12­13 ans qui recourent dire : « Qu’est­ce que vous voulez des Rosiers. Sur les réseaux so­
quinze décès en lien avec les trafics été victime en janvier, vraisembla­ bois aussi au parquet de Marseille. aux services des 9­10 ans ». faire, c’est comme ça. Partout. » ciaux, avaient été diffusées des
de stupéfiants. Le maire socialiste blement par un clan rival. « Les deux jeunes pris dans la fu­ A la cité des Marronniers, seize Des voitures se croisent. Par les photos d’une mise en scène de
de Marseille, Benoît Payan, a dé­ La tante de Rayanne a déclaré sur sillade faisaient bel et bien leurs heures après la fusillade, le réseau fenêtres, des mères de famille l’exécution d’un garçon de 16 ans,
claré lundi 23 août dans un entre­ BFM­TV que son neveu se trouvait 14 ans, pas 16 ou 18 ans. Et les réinvestissait le terrain, comme l’a échangent : « C’est le fils de… » finalement libéré sain et sauf. Ra­
tien à Franceinfo qu’il « n’[avait] par hasard sur les lieux des faits. auteurs savaient qu’ils tiraient sur constaté Le Monde. En début « Il n’y a pas de mot, confie l’une rissimes il y a quelques années,
pas l’intention de rester les bras bal­ « Il était juste parti profiter d’une des enfants. C’est un monde de bar­ d’après­midi, jeudi 19 août, deux d’elles. C’est tous les jours et les ces actes se banalisent, déplore­
lants, regarder les balles passer et soirée d’été en allant manger un bares », déplore un magistrat. jeunes hommes dans une voiture victimes sont de plus en plus jeu­ t­on au parquet, au point que les
compter les morts tous les jours ». sandwich avec un ami au pied de la noire, dissimulant leur visage jus­ nes. Ils tirent sur des petits, ils en­ enlèvements ne sont la plupart
Il demande à ce que « l’Etat crée un cité », a­t­elle affirmé, démentant « Jeunes vulnérables » qu’aux yeux, lancent alors des or­ lèvent la vie comme on tue un du temps même plus dénoncés
parquet spécial à Marseille pour qu’il ait été un « pseudo­dealer ». Parmi les mineurs qui forment les dres à des guetteurs perchés plus chat. Ça va aller de pire en pire. » aux policiers, « comme s’il s’agis­
lutter contre les trafics de drogues ». Cette version s’oppose à celle des bataillons de guetteurs et de char­ haut sur la voie ferrée. On entend Des cités entières se trouvent sait de promenades dans des cof­
Ces deux nouveaux règlements enquêteurs, qui pensent « légiti­ bonneurs – revendeurs –, certains les mots « barrages », « poubel­ prises en otage et les habitants fres de voiture ».
de comptes portant le sceau du mement que les deux garçons sont recrutés sur les réseaux so­ les »… Aussitôt, des conteneurs à réduits au silence par peur de re­ Eviter de nouvelles catastrophes,
narco­banditisme interviennent étaient en poste de guet ». ciaux et arrivent de tous les coins ordures, des palettes de bois et présailles. En mars, lors d’une c’est l’objectif du collectif Trop
trois jours après une fusillade sur Selon le parquet, « pendant long­ du pays. « On vient travailler dans autres encombrants sont placées opération dans la cité de La Sa­ jeune pour mourir qui n’a jamais
un point de guet dans les quartiers temps, les petites mains des ré­ les plans stups à Marseille comme comme chicanes sur la chaussée vine où les policiers avaient récu­ aussi bien porté son nom. Son fon­
nord de Marseille qui avait coûté la seaux y participaient de leur propre un job d’été », relève ce magistrat et de la traverse des Marronniers qui péré 414 kg de résine, 51 kg dateur Hassen Hammou et une
vie à un adolescent de 14 ans et volonté. On s’aperçoit de plus en de fait, « ces jeunes sont à la merci mène à la cité. d’herbe de cannabis, 1,2 kg de co­ délégation de jeunes, de mères de
blessé son ami du même âge. plus souvent qu’elles sont parfois des trafiquants car plus isolés, plus caïne et 308 330 euros, les gé­ famille, d’éducateurs devraient
recrutées et n’ont pas le choix de vulnérables et malléables que ceux Cités entières prises en otage rants du plan stups avaient pla­ être bientôt reçus par le préfet de
« Un monde de barbares » dire non ». Il en va de même des de la cité ». Au débouché du tunnel ferro­ cardé cette mise en garde sur les région. « Il faut se servir de Mar­
Ciblé par deux individus arrivés Salim Grabsi, du Syndicat des viaire sur lequel un grapheur a bâtiments : « ALERTE – Nous sou­ seille comme d’un laboratoire dans
sur un scooter vers 22 heures, le quartiers populaires, a vu « céder dessiné un gigantesque et coloré haitons faire passer un message à la reconquête des territoires »,
garçon qui est mort à son arrivée à une digue vers 2006­2007 quand « Bienvenue aux Marronniers », tous les locataires de La Savine. plaide M. Hammou en s’appuyant
l’hôpital a été abattu dans le dos. « On vient les réseaux ont commencé à em­ les habitants étaient peu nom­ Toute personne qui souhaite ou sur le petit tissu associatif qui
L’autre a été touché par deux pro­ baucher des 16­18 ans, encore des breux à souhaiter commenter le envisage de coopérer avec la po­ existe dans les quartiers nord. His­
jectiles ; l’un lui a traversé un mol­
travailler dans minots dans leur tête. Ces jeunes drame. Une jeune femme qui lice, sachez que nous le saurons et toire de faire mentir cet adolescent
let, le second l’a atteint aux côtes. les plans stups ont recruté plus jeunes qu’eux pour vient rendre visite à sa mère nous nuirons à votre vie. Merci de à la gueule d’ange qui, aux Mar­
Dans la fusillade, un enfant de qu’ils aillent leur chercher des sand­ confie que cette dernière a peur : faire attention et de faire les bons ronniers, s’apprête à reprendre le
8 ans qui se trouvait dans le véhi­
à Marseille wichs contre un billet. Les plus jeu­ « Elle ne sort pas, elle fait atten­ choix pour votre sécurité. Nous vi­ poste de guet de son camarade as­
cule de ses parents, penché à la fe­ comme un job nes se sont laissé amadouer tion. Dans les quartiers, c’est vons avec vous tous les jours, eux sassiné. Lorsqu’on lui dit que c’est
nêtre, a été blessé au front par un comme des pigeons auxquels on comme ça, c’est triste. » sont que de passage. ALERTE. » dramatique d’être tué à 14 ans, il lâ­
éclat métallique – une expertise
d’été », relève donne à manger. C’est pourquoi on Parties promener leur chien, Comme en écho, sur un mur du che, fataliste : « C’est la vie… » 
dira s’il s’agit d’un fragment de un magistrat a aujourd’hui des choufs [guet­ deux jeunes filles de la résidence boulevard au débouché de la tra­ luc leroux
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0123
8 | france MARDI 24 AOÛT 2021

C O V I D ­1 9

Règles sanitaires
à l’école : derniers
ajustements
avant la rentrée
En France métropolitaine, tous les élèves
seront accueillis le 2 septembre. Seuls
les cas contacts non vaccinés d’un enfant
testé positif seront finalement isolés

E
mmanuel Macron l’avait pressé élèves non vaccinés seraient renvoyés chez
de réexpliquer clairement les eux. « Il n’a jamais été question de renvoyer
conditions sanitaires de la tout le monde, seulement les contacts à
rentrée scolaire auprès des risque », assure aujourd’hui son entourage.
enseignants et des parents. Par opposition au terme « évincés », qui
Jean­Michel Blanquer n’a pas at­ avait choqué, Jean­Michel Blanquer a indi­
tendu sa conférence de rentrée, prévue jeudi qué que « le mot le plus adapté était “proté­
26 août, pour faire de la pédagogie. Accueil gés”. Un élève non vacciné est dans une situa­
de tous les élèves, port du masque obliga­ tion plus risquée qu’un élève qui a reçu au
toire en intérieur, limitation du brassage… le moins une injection ».
ministre de l’éducation a donné, dans les
colonnes du Journal du dimanche (JDD) du ATTESTATION DES PARENTS
22 août, des précisions sur le protocole sani­ Autre précision importante : contrairement
taire en vigueur à la rentrée du 2 septembre. à ce qui a circulé cet été, les élèves de 6e sont
Comme on pouvait s’y attendre, c’est le bien soumis au même protocole que les
« niveau 2 » (sur quatre) du protocole diffusé autres collégiens lorsqu’un cas se déclare
fin juillet qui a été retenu pour la France dans leur classe. Mais, à la différence de leurs
métropolitaine : les élèves vont en classe camarades de plus de 12 ans autorisés à se
tous les jours en effectifs complets, conti­ faire vacciner, ils ne peuvent donc faire
nuent à porter le masque à l’intérieur et à jouer leur certificat de vaccination pour moyens, s’inquiète Catherine Nave­Bekhti, redoutent une « dégradation rapide » de la
respecter les gestes barrières et le non­bras­ revenir plus vite de l’isolement réglemen­ SELON  secrétaire générale du syndicat SGEN­CFDT. situation après la rentrée.
sage entre les niveaux scolaires. En intérieur, taire de sept jours. DES PROJECTIONS  Surtout s’il n’y a aucune prise en charge au ni­ « Ce protocole n’est pas à la hauteur du
les enseignants d’EPS sont invités à éviter les Sur la question sensible du statut vaccinal veau des salariés contraints de garder leurs risque, juge Guislaine David. Très vite, les clas­
sports « de contact », a précisé le ministre. des élèves, Jean­Michel Blanquer a donné DE L’INSTITUT  enfants chez eux. » ses vont recommencer à fermer, car la
Si des ajustements seront possibles en une précision de taille : les enfants considé­ circulation virale à l’école primaire sera
fonction des situations locales, ce niveau rés comme cas contacts pourront revenir en PASTEUR, LES ENFANTS  « TALON D’ACHILLE » importante. » La syndicaliste, secrétaire
d’alerte est « celui qui nous permet d’avoir la classe avant les sept jours sur la foi d’une at­ D’autres précisions étaient très attendues, à générale du SNUipp, est signataire d’une
rentrée la plus normale possible, avec les élè­ testation des parents. Ceux­ci « seront libres
ET LES ADOLESCENTS  dix jours de la rentrée : les enfants non vacci­ tribune collective de médecins et de profes­
ves en classe, tout en préservant la santé de de dire si leur enfant est vacciné ou non, mais POURRAIENT  nés pourront bien participer aux sorties sionnels de l’éducation, parue dans Le Monde
chacun », a insisté Jean­Michel Blanquer. cela relève de la responsabilité individuelle », scolaires, sauf lorsqu’ils seront mélangés le 19 août. Ce texte alerte sur la faiblesse des
Sur la gestion des cas positifs et des cas tranche le ministre. Les autorités sanitaires REPRÉSENTER  avec d’autres publics dans des lieux où le protocoles envisagés par l’éducation natio­
contacts, à l’école primaire, le protocole pourront, le cas échéant, vérifier que les passe sanitaire est en vigueur, comme les nale face à un variant Delta « circulant inten­
reste le même qu’en 2020 : un cas de familles des enfants cas contacts disent vrai. LA MOITIÉ DES  musées ou les cinémas. Le cas échéant, les sément parmi les enfants et les adolescents » –
Covid­19 entraîne la fermeture de la classe. Le choix du principe déclaratif pose cepen­ CONTAMINATIONS AU  élèves non vaccinés devront faire un test – eux qui resteront le dernier réservoir de non­
En juillet, le ministre avait créé la surprise en dant des questions, car il s’appuie sur la qui sera bientôt payant, même si le ministre vaccinés, puisque les enfants de moins de
annonçant sur France Info que les élèves bonne volonté des parents – qui seront MOIS DE SEPTEMBRE assure qu’il donnera sous peu des précisions 12 ans n’y ont pas accès.
non vaccinés des collèges et lycées seraient parfois sans solutions pour faire garder leurs pour garantir « le principe de gratuité ». Selon des projections de l’Institut Pasteur,
« évincés » si un élève était testé positif dans enfants. « Les familles pourront être tentées Le choix du « niveau 2 » était questionné, les enfants et les adolescents pourraient
leur classe, laissant penser que tous les de renvoyer leur enfant en classe par tous les dimanche soir, par les acteurs de l’école, qui représenter la moitié des contaminations au

La vaccination des enfants, nouvelle peur des manifestants


Quelque 175 000 personnes ont défilé dans toute la France pour le sixième samedi de mobilisation d’affilée

A u sixième samedi de ma­


nifestations, les protesta­
taires anti­passe sanitaire
– et souvent également antivaccin
– se sont retrouvés presque en ha­
aussi plus visibles dans différents
points de la capitale. » Les gendar­
mes mobiles qui encadrent les
manifestants et tentent de les em­
pêcher de dévier leur parcours
« C’est une grippette bénigne et sai­
sonnière qui ne fait mourir que les
vieux, mais les télés s’organisent
pour faire peur aux gens afin de
tous nous contrôler ! », assure ainsi
chez pas à nos enfants ! », clament
ainsi plusieurs manifestants.
C’est la même crainte qui anime
le défilé organisé par Florian Phi­
lippot, au cœur des quartiers
mois à prendre la tête du mouve­
ment de contestation des vaccins,
lance devant une foule exaltée et
une marée de drapeaux bleu­
blanc­rouge : « Vous êtes des flam­
nom du promoteur de l’hydroxy­
chloroquine n’est cité, mais les
manifestants d’extrême droite,
eux, en font leur héros.
Quelques jours auparavant, l’As­
bitués. Dans toute la France, vers les Champs­Elysées, sont co­ avec véhémence Jessica Penet, ve­ bourgeois de la rive gauche pari­ mes, des lumières qui ne s’étein­ sistance publique­Hôpitaux de
175 000 manifestants, selon la po­ pieusement pris à partie : « Pute nue des Yvelines comme chaque sienne. Là, la vaccination des en­ dront jamais. Nous ne capitulerons Marseille avait annoncé que l’in­
lice, se sont rassemblés (40 000 de à Macron ! », « Collabos ! » « On va samedi pour protester. fants est comparée au « harcèle­ pas face à leurs mensonges. » fectiologue allait prendre sa re­
moins que le samedi précédent), vous vacciner ! », hurlent à leur in­ Il y a un drôle de mélange de ment scolaire » ou même à un viol Samedi, il était épaulé au micro traite et serait amené à quitter ses
souvent à l’appel des « gilets jau­ tention quelques manifestants contestation des élites, des envies par « pénétration avec une serin­ par l’avocat Fabrice Di Vizio, dont fonctions de professeur des uni­
nes », parfois de l’extrême droite. sans pour autant se frotter à eux. de révolution et de guillotine, une gue ». Josette est inquiète. Sa fille les tirades véhémentes ont été po­ versités et de directeur de l’Institut
A Paris, samedi 21 août, Il y a là des collègues, des familles défiance à l’égard de tout, et sur­ lui a annoncé qu’elle était prête, s’il pularisées par les émissions de Cy­ hospitalo­universitaire de Mar­
15 000 personnes ont battu le avec leurs gamins, des retraités qui tout du président de la Républi­ le fallait, à vacciner ses enfants et ril Hanouna. « Cette crise n’a plus seille. Les manifestants n’en
pavé, en ordre dispersé. Un ras­ crient « Liberté », chantent La Mar­ que. « Vous allez voir, il va annuler elle ne s’en remet pas : « Mes petits­ rien de sanitaire. Ce qu’on a en face croient pas un mot. « C’est une dé­
semblement a en effet été orga­ seillaise et rêvent d’organiser, les élections présidentielles et ins­ enfants, c’est ce que j’ai de plus cher. de nous, c’est une crise de civilisa­ cision politique !, dit l’un d’entre
nisé par Florian Philippot, ancien comme ce manifestant qui en taller la dictature », assure ainsi Ro­ Je ne veux pas qu’on les touche. » tion », dit ce dernier, la mine grave. eux. Ils l’ont viré parce qu’il ne re­
conseiller de Marine Le Pen désor­ a inscrit la liste sur sa pancarte ger, sexagénaire,. La manifestation des Patriotes crache pas le discours officiel. »
mais leader de son propre mouve­ « une grève massive de la fréquen­ Une autre crainte a aussi surgi, à « Touche pas à Raoult » fustige, elle aussi, abondamment Dans le cortège, de nombreuses
ment – Les Patriotes – ; et pas tation des bars, cafés, restaurants, quinze jours de la rentrée scolaire. A trois pas, une pancarte pro­ le gouvernement, les laboratoires pancartes proclament : « Touche
moins de trois autres manifesta­ hôtels, agences de voyages, événe­ Celle d’avoir l’obligation de vacci­ clame : « Les enfants n’appartien­ pharmaceutiques, « l’oligarchie » pas à Raoult. » A la tribune, Florian
tions étaient encadrées par les « gi­ ments sportifs et culturels » pour ner les enfants, alors que le gros nent pas à la République. » L’ex­nu­ et, enfin, l’Union européenne, Philippot demande d’applaudir
lets jaunes » venus des huit dépar­ mettre à bas « le passe sanitaire, des manifestants croit encore que méro deux du Rassemblement bête noire du souverainiste Philip­ celui qui « dit la vérité ». Assurant
tements d’Ile­de­France. Macron, les flics et le système ». le vaccin « modifie l’ADN » et pour­ national martèle de son côté que pot, tous accusés d’anéantir la qu’attaquer le professeur, qui n’a
Trois manifestations « gilets jau­ Les médias aussi en prennent rait être un « poison » préparant « les mamans de France se lèvent et France et la liberté. Elle s’est cepen­ pas cessé de nier sur sa chaîne You­
nes » ? « Nous obligeons ainsi la po­ pour leur grade, accusés pêle­mêle un futur « génocide de l’huma­ refusent que leurs enfants se plient dant trouvé un nouveau symbole Tube l’importance de l’épidémie,
lice à diviser ses unités, assure Fa­ de soutenir le gouvernement, les nité. » C’est sans doute le slogan aux désidératas commerciaux des à défendre : le professeur Didier « c’est attaquer la France ». 
rouk Largo, l’un de leurs porte­pa­ laboratoires pharmaceutiques et qui réunit le mieux ces parents et grands laboratoires ». Florian Phi­ Raoult. Dans les défilés organisés raphaëlle bacqué
role du Val­d’Oise, et nous sommes de cacher la réalité de l’épidémie. grands­parents qui défilent. « Tou­ lippot, qui cherche depuis des par les « gilets jaunes », jamais le et marceau taburet
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MARDI 24 AOÛT 2021 france | 9

« Ne donne pas mon nom » : le traçage des cas


contacts des positifs au Covid­19 patine
La moitié des personnes infectées ne déclarent aucun contact à risque, contre 35,8 % en juin

TÉMOIGNAGES tionale de l’Assurance­maladie


(CNAM), avance plusieurs explica­ « ELLE VENAIT DE ME 
Le nombre moyen de personnes
contacts déclarées par cas avait

D iagnostiqué positif au
SARS­CoV­2 en juillet,
Thomas, 29 ans, a pré­
venu ses amis avec lesquels il avait
déjeuné peu avant l’apparition de
tions. En premier lieu, la large
réouverture des établissements
festifs et de loisirs, où ont lieu des
brassages de population, et où le
traçage des cas contacts se com­
DIRE QU’ELLE PARTAIT 
EN VACANCES ; JE N’AI 
PAS EU LE CŒUR DE LA 
déjà atteint son plancher actuel
(1,4 par personne) en novem­
bre 2020, pendant la deuxième va­
gue. Il « baisse quand il y a une aug­
mentation de la circulation virale ».
ses symptômes, pour qu’ils se fas­ plexifie. Sorti dans un bar en plein Le dispositif de traçage est plus
sent tester. Mais il ne l’a pas si­ air le week­end du 15 août, juste PRÉVENIR. J’AI SANS  poussé lorsque la pression épidé­
gnalé à l’Assurance­maladie, pour avant l’apparition de ses symptô­ DOUTE MISÉ SUR LE  mique est faible, puisqu’il y a
ne pas obliger ses professeurs de mes, Nicolas, 33 ans, explique ainsi moins d’appels à passer.
tennis à s’isoler une semaine. « Ils ne pas pouvoir donner les noms et FAIT QU’ELLE SOIT  « Avant que la barre des 20 000 cas
doivent gérer une dizaine de ga­ coordonnées des inconnus croisés par jour soit franchie, on avait mis
mins, cela aurait été compliqué ce soir­là. VACCINÉE, OU BIEN J’AI  en place un deuxième appel pour les
pour eux », justifie­t­il. « Une autre explication pourrait ÉTÉ UN PEU LÂCHE »,  personnes ne déclarant aucun cas
Comme lui, de nombreuses per­ être que les cas sont moins enclins à contact. Un enquêteur sanitaire, si
sonnes touchées par le Covid­19 désigner des personnes contacts, en CONFIE UN HOMME possible plus expérimenté, les rap­
ayant participé à notre appel à té­ particulier celles vaccinées », avance pelait pour essayer de confirmer »,
moignages assument de ne pas SPF. Un phénomène susceptible explique Jean­Baptiste Calcoen.
avoir communiqué tous leurs cas d’être accentué lors des vacances, positif, a enlevé de sa liste deux Mais cette vérification est difficile
contacts aux agents enquêteurs. pendant lesquelles les personnes proches vaccinés, qui craignaient à faire alors qu’il y a « un volume
Ces derniers doivent identifier et sont, de plus, difficiles à joindre. Un d’être placées en arrêt de travail. d’appels important à réaliser quoti­
appeler au plus vite les personnes homme confie qu’il n’a pas signalé « L’une de ces deux personnes était diennement ». Les 7 000 enquê­
ayant côtoyé des malades (face­à­ comme contact une personne avec en période d’essai. » teurs mobilisés ont dû temporaire­
face à moins de deux mètres sans laquelle il avait passé une heure La doctrine sanitaire exempte ment mettre en pause le « rétro­tra­
masque, présence simultanée dans une pièce juste avant d’ap­ pourtant d’isolement les cas con­ cing », une technique de traçage
dans un lieu clos un quart d’heure prendre sa contamination. « Elle ve­ tacts entièrement vaccinés, même rétrospectif des contacts très effi­
sans protection…). Il leur est en­ nait de me dire qu’elle partait en va­ s’ils doivent se faire tester et limi­ cace mais gourmande en temps,
joint de se faire dépister et de s’iso­ cances ; je n’ai pas eu le cœur de la ter leurs interactions sociales. qui avait été généralisée en juin.
ler, sauf si leur schéma vaccinal est prévenir ou de la faire prévenir. Elle a Mais, au moment où Fanny ap­ Si de nombreuses personnes
complet, pour éviter de contami­ plus de 50 ans, j’ai sans doute misé prend sa contamination, le témoignent auprès du Monde
ner d’autres personnes. sur le fait qu’elle soit vaccinée, ou 29 juillet, ces consignes venaient qu’elles ont refusé de donner la
Le mécanisme se heurte à des dif­ bien j’ai été un peu lâche. » tout juste d’évoluer. Elles restent liste complète de leurs contacts,
ficultés, selon les données issues d’ailleurs encore mal comprises elles ne rejettent pas pour autant
de « Contact Covid », le fichier rem­ « Certains n’en peuvent plus » par de nombreux répondants à les précautions sanitaires. La plu­
pli par les agents. Chaque personne Ce type d’omission est jugé « mi­ notre appel à témoignages, qui dé­ part assurent avoir obtenu d’eux
ne déclare plus, en moyenne, que noritaire » par Jean­Baptiste Cal­ plorent un manque de clarté. la promesse de se faire dépister et
1,4 contact, un nombre en baisse coen. Plus fréquemment, il s’agit Pas toujours évident de com­ de prendre des précautions.
depuis la semaine du 21 juin – il dé­ d’éviter de désorganiser la vie fa­ prendre que la vaccination n’em­ Ce contournement est facilité
passait 2,7 en mars. Désormais, miliale ou professionnelle. « Cer­ pêche pas les contaminations, ni par la très abondante offre de dé­
mois de septembre. Interrogé sur cette Dans une école près de la moitié des personnes at­ taines personnes n’en peuvent plus, la transmission du virus. Certains pistage (tests PCR, antigéniques,
tribune, Jean­Michel Blanquer réfute l’idée primaire, teintes du Covid­19 (49,3 %) ne dé­ surtout quand ça fait deux ou trois malades ne donnent pas sponta­ autotests…), qui a encore aug­
que l’école serait le « talon d’Achille » de la à Eysines clarent aucun contact à risque, con­ fois qu’elles sont cas contacts », té­ nément les noms de leurs proches menté avec l’instauration du passe
gestion de crise. « Il est faux de dire que le (Gironde), tre seulement 35,8 % en juin, selon moigne un enquêteur racontant vaccinés, pensant « par réflexe » sanitaire dans la plupart des lieux
milieu scolaire serait plus propice qu’un autre le 25 février. le dernier bilan de Santé publique qu’il a été essentiellement con­ que ceux­ci ne sont pas cas con­ publics.
à la diffusion du virus », assure­t­il au JDD. PHILIPPE LOPEZ/AFP France (SPF). Seuls 16 % des nou­ fronté à des « problématiques pro­ tacts « alors même qu’il est extrê­ Mais la situation pourrait chan­
D’autres points restent en suspens. Si le veaux malades ont été préalable­ fessionnelles et financières ». « Ne mement important que nous puis­ ger à la mi­octobre, date à laquelle
« maintien des mesures renforcées d’aéra­ ment identifiés comme cas con­ donne pas mon nom », a ainsi de­ sions les identifier pour leur com­ les tests réalisés sans ordonnance
tion » est prévu dans le protocole sanitaire, tacts par des proches. mandé à Hannah l’un de ses con­ muniquer les consignes sanitaires médicale deviendront payants,
ces outils sont aujourd’hui simplement « re­ L’enjeu – briser les chaînes de tacts partiellement vacciné quand spécifiques aux cas contacts vacci­ comme c’est déjà le cas pour les
commandés ». Médecins et enseignants ont contaminations – est pourtant im­ elle a appris sa contamination en nés », note Jean­Baptiste Calcoen. touristes étrangers. Le statut de
donné l’alerte à ce sujet dans la tribune du portant, d’autant que la circula­ août. « Il avait peur de ne pas pou­ Le responsable du traçage au cas contact, qui permettra d’obte­
19 août : « La recommandation d’équiper les tion virale est forte. Jean­Baptiste voir retourner au travail. » sein de la CNAM rappelle toutefois nir un dépistage gratuit, pourrait
établissements de détecteurs de CO2 ne peut Calcoen, coordinateur national du De même, Fanny, appelée par que la baisse des indicateurs n’est bien devenir envié. 
suffire : cela doit être la règle. » Jean­Michel « contact tracing » à la Caisse na­ l’Assurance­maladie après son test ni inédite ni « en soi une surprise ». léa sanchez
Blanquer assure vouloir les « généraliser », y
compris en aidant les collectivités qui
souhaitent s’équiper rapidement.
Le sujet est source de tensions depuis
plusieurs mois. « Les communes ne sont pas
en capacité de financer ces appareillages pour
En Polynésie, la triste réalité du tri des malades
l’ensemble de leurs classes, affirme Delphine
Labails, maire socialiste de Périgueux et res­ Avec un taux d’incidence proche de 2 800 cas, le territoire ultramarin est durement touché
ponsable des questions scolaires à l’Associa­
tion des maires de France. L’Etat doit nous
accompagner. Nous avons déjà fait cette de­
mande en mars, sans succès. » Certaines mu­
REPORTAGE mite, cela dépend de plein de cho­
ses, de l’état de santé de base des
l’hôpital abrite de nouveaux lits.
Avec ces 48 nouvelles places, le
formes graves de Covid­19. Tout
comme le surpoids. « En réanima­
papeete (polynésie française) ­
nicipalités n’attendent pas une éventuelle correspondance
gens, de leur autonomie : on essaie centre hospitalier atteindra près tion et aux urgences, la moyenne
obligation. A Cannes (Alpes­Maritimes), le d’avoir une réflexion qui est person­ de 300 lits réservés aux patients du poids des patients, c’est dans les
maire (Les Républicains) David Lisnard a, par
exemple, annoncé début août vouloir équi­
per les 230 classes de sa commune en
capteurs de CO2 et purificateurs d’air.
Reste enfin la question des tests, dont le
T rois ambulances arrivent
en même temps devant les
urgences du centre hospi­
talier de la Polynésie française,
à Tahiti. Les brancardiers tentent
nalisée », explique la docteure Mé­
lanie Tranchet, responsable du
service d’accueil des urgences.
Pour elle, la violence de l’épidémie
contraint les soignants à pratiquer
atteints du Covid­19, et une cen­
taine pour les autres pathologies.
Il manque aussi des soignants.
Quinze infirmiers de la réserve sa­
nitaire sont déjà arrivés de métro­
150 kg, constate un infirmier ur­
gentiste qui ne souhaite pas don­
ner son identité. Je leur demande
pourquoi ils ne sont pas vaccinés.
La plupart ne savent pas vraiment
ministre assure qu’ils seront de nouveau de placer les patients à distance les « une médecine de guerre ». pole et huit volontaires de Nouvel­ quoi répondre : ils disent qu’ils n’ont
déployés à la rentrée, à hauteur de 600 000 uns des autres. Même ici, à l’exté­ le­Calédonie. Le président de la Po­ pas eu le temps. » Selon M. Fritch,
par semaine. Ils sont peu pratiqués par les rieur du bâtiment, la place man­ Des bureaux transformés en lits lynésie française, Edouard Fritch, 98 % des Polynésiens décédés du
adolescents, invités à s’auto­tester au lycée – que. Quatre ouvriers agrandissent En un mois, la Polynésie est passée a lancé un nouvel appel pour obte­ Covid­19 n’étaient pas vaccinés.
on rapportait des taux d’acceptation de 20 % l’espace réservé aux nouveaux ar­ de quelques dizaines de cas à près nir d’autres renforts. Le ministère L’infirmier en veut aux prêtres,
au printemps. « Il faut être raisonnables sur rivants : ils posent de grandes toi­ de 8 000, pour une population de de la santé a annoncé que sept très influents : certains se sont pu­
les volumes, s’inquiète Bruno Bobkiewicz, se­ les pour leur conférer un peu d’in­ 280 000 habitants. La diffusion du infirmiers et trois médecins anes­ bliquement opposés à la vaccina­
crétaire national du Snpden­UNSA et provi­ timité. Il n’y a déjà plus de places variant Delta, avec un taux d’inci­ thésistes­réanimateurs rejoin­ tion. « Les religieux qui se sont expri­
seur à Vincennes (Val­de­Marne). J’ai des tests dans ce coin de parking : douze pa­ dence de près de 2 800 cas pour draient Papeete mercredi 25 août. més contre le vaccin, j’aimerais
de l’année dernière plein mes armoires. » tients, sur un brancard ou dans un 100 000 habitants, a fait monter Des renforts jugés insuffisants. leur faire visiter les urgences », dit­il.
Les familles des enfants plus jeunes fauteuil roulant, attendent le ver­ les hospitalisations en flèche : La dispersion des îles et atolls sur Malgré un sursaut vaccinal récent,
n’étaient, quant à elles, que 70 % à approuver dict du médecin. aucune à la mi­juillet, contre 329 le une surface grande comme l’Eu­ seuls 41 % des Polynésiens ont reçu
les tests salivaires au printemps, et les direc­ Depuis deux semaines déjà, il samedi 21 août, dont 40 en réani­ rope rend les évacuations sanitai­ leurs deux doses. Vendredi 20 août
teurs d’école ont maintes fois rappelé les faut faire des choix. Trier les pa­ mation. A Tahiti, le centre hospita­ res complexes. « Il y a beaucoup de a été décrété un confinement pour
lenteurs de leur déploiement. Les tests arri­ tients. « Les places manquent, alors lier a dû s’adapter. « On a été jus­ décès avant qu’on arrive dans les deux semaines aux îles du Vent et
vaient souvent plusieurs jours – voire ja­ c’est sûr qu’on va plus s’acharner à qu’à transformer des bureaux en îles », déplore le docteur Vincent Si­ aux îles Sous­le­Vent, les plus peu­
mais – après la détection de cas de Covid­19 sauver un jeune que quelqu’un lits d’hospitalisation, voire de réa­ mon, chef du SAMU. Il reçoit plus plées, et un couvre­feu de 20 heu­
dans une école. Selon le JDD, le conseil scien­ d’âgé qui a des comorbidités », re­ nimation, une aile de psychiatrie de 400 appels par jour, contre 150 à res à 4 heures du matin dans les
tifique aurait alerté le gouvernement sur grette une infirmière aux urgen­ accueille des patients de chirurgie, 200 en temps normal. Les maladies cinq archipels polynésiens. Les éta­
l’importance des tests à l’école – qui peuvent ces, qui ne souhaite pas donner il y a une transformation complète cardiovasculaires, l’insuffisance ré­ blissements scolaires ont fermé,
permettre, aussi, de n’isoler que les enfants son identité. « Ce tri est horrible à de l’établissement », détaille le doc­ nale et le diabète, des pathologies quelques jours après la rentrée. Les
infectés.  faire, parce qu’on se connaît tous teur Alexis Goubert, son directeur fréquentes en Polynésie, sont en Polynésiens peuvent se rendre au
sylvie lecherbonnier en Polynésie », déplore­t­elle. Pour adjoint. Ce n’est pas encore assez : outre des facteurs de risques sup­ travail munis d’une dérogation. 
et violaine morin faire ce choix, « il n’y a pas d’âge li­ depuis vendredi, le hall central de plémentaires de développer des mike leyral
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10 | france MARDI 24 AOÛT 2021

EXÉCUTIF

Joséphine Baker,
un symbole
politique
pour Macron
En faisant entrer la meneuse de revue et
résistante franco­américaine au Panthéon,
le chef de l’Etat espère « réconcilier » la France

J
oséphine Baker, icône d’une France King, le parcours de Joséphine Baker suffit à
fière et réconciliée ? Le 30 novembre, la toute lecture uchronique », souligne un pro­
meneuse de revue des Années folles, che du chef de l’Etat. En filigrane, Emmanuel
enfant misérable de l’Amérique ségré­ Macron poursuit son objectif : apparaître
gationniste, femme, noire, devenue comme le meilleur représentant du camp de
française, héroïne de la Résistance et la tempérance et de la raison face aux extrê­
militante antiraciste, entrera au Pan­ mes. Un président qui se veut « au­dessus de
théon, comme le révélait Le Parisien, diman­ la mêlée », loin des clivages partisans.
che 22 août. « La leçon globale donnée par José­ « C’est un joli coup. Mais, politiquement,
phine Baker, c’est celle d’une conquête d’éman­ cela devrait n’avoir qu’un effet marginal », re­
cipation et de liberté par la volonté, le choix lativise Frédéric Dabi, directeur général ad­
absolu de la France éternelle et universelle », joint de l’institut de sondages IFOP, souli­
décrit un conseiller du président de la Répu­ gnant que Joséphine Baker reste peu connue
blique. Celle qui se fit connaître de ce côté­ci du grand public. « C’est sur l’action que les
de l’Atlantique dans la Revue nègre au Théâtre choses se joueront », souligne l’analyste. Em­
des Champs­Elysées en 1925, sera la deuxième manuel Macron sait qu’à huit mois de l’élec­
femme, après Simone Veil en 2018, à occuper tion présidentielle les symboles pèseront
un caveau parmi les « grands hommes », de­ peu pour sa réélection. Le geste s’inscrit tou­
puis l’arrivée au pouvoir d’Emmanuel Ma­ tefois dans une stratégie qui permet au pré­
cron en 2017. Elle sera aussi la première artiste sident d’occuper l’espace dans une scène en­
et première femme noire à y trouver sa place. core dominée par la pandémie de Covid­19.
L’idée de faire figurer au Panthéon l’inter­ Omniprésent durant l’été sur les réseaux
prète de J’ai deux amours, portée depuis plu­ sociaux avec une douzaine de vidéos diffu­
sieurs années par ses soutiens, a été suggé­ sées depuis son lieu de vacances, le fort de
rée à Bruno Roger­Petit, conseiller mémoire Brégançon (Var), pour vanter les bienfaits de
du président ainsi qu’à l’état­major particu­ la vaccination et dénoncer la « liberté égo­
lier, le 25 mai, avant d’être présentée au chef ïste » des antipasses et des antivax, le chef de
de l’Etat le 21 juillet. « Ça a de la gueule »,
aurait alors affirmé Emmanuel Macron en
adoubant l’hommage. Cette sacralisation
l’Etat était encore en première ligne pour
réagir à la crise afghane, le 16 août, après l’ar­
rivée des talibans au pouvoir. De quoi laisser
Clément Beaune : « En 2022,
« est devenue une évidence ces dernières se­ transparaître derrière le président le poten­
maines », explique un conseiller du chef de
l’Etat. « Il n’est pas un choix que Joséphine Ba­
ker ait fait qui ne fasse écho à ce que nous vi­
tiel candidat en campagne pour sa réélec­
tion, même si l’entourage du chef de l’Etat se
défend d’avoir les yeux rivés sur 2022.
il nous faudra incarner le camp
vons en ce moment. Elle est un miroir devant
lequel chacun peut se projeter », ajoute­t­il.
A quelques jours de la rentrée politique,
QUERELLES INTESTINES
« Emmanuel Macron prend un temps
de la République et de la raison »
marquée par le conseil des ministres attendu d’avance, enrage Bruno Retailleau, chef du
mercredi 25 août, Emmanuel Macron appelle, groupe Les Républicains du Sénat. Le temps Le secrétaire d’Etat aux affaires européennes, proche de Macron,
avec ce symbole, à bâtir cette « France réconci­ de crise est toujours le temps de l’exécutif. Ce conteste toute « droitisation » du quinquennat et appelle à assumer
liée » qu’il appelait déjà de ses vœux lors de moment où les partis de gouvernement ne
son débat en 2017 face à la candidate du Front peuvent se laisser aller à une démagogie indé­ en vue de la présidentielle « une social­démocratie renouvelée »
national (devenu Rassemblement national), cente. Emmanuel Macron en profite. D’autant
Marine Le Pen. « C’est toujours le présent qui plus que son parti n’a pas, contrairement à la
se célèbre lui­même en consacrant tel ou tel
fantôme tutélaire », écrivait Régis Debray le
plupart des autres, à se poser les questions de
leadership. Mais, tôt ou tard, il lui faudra af­
ENTRETIEN violence et d’incivisme, alors que
l’immense majorité des Français
mier semestre 2022, doit aussi
permettre d’aboutir à des résul­
16 décembre 2013 dans une tribune au Monde
titrée « Et si Joséphine Baker entrait au Pan­
théon ? ». « Des Folies Bergère au suprême
sanctuaire ? De la ceinture de bananes à la
couronne de lauriers ? Profanation ! Le Front
fronter son bilan qui est médiocre. »
De fait, dans une campagne qui ne dit pas
encore son nom, gauche, droite et écologistes
seront mobilisés ces prochaines semaines
pour désigner leur candidat à la présiden­
C lément Beaune, secrétaire
d’Etat aux affaires euro­
péennes et proche d’Em­
manuel Macron, conteste toute
« droitisation » du quinquennat et
se vaccinent, sont responsables et
solidaires. Rappelons que parmi
ces groupes, il y a des comporte­
ments – heureusement minoritai­
res – radicaux, violents, antisémi­
tats sur les plans climatique, nu­
mérique et social. Je pense à la
taxe carbone aux frontières, à la
régulation des grandes plates­for­
mes numériques ou à l’instaura­
national accusera. Le burgrave gémira. La tielle, souvent grâce à des primaires. Ce appelle à incarner en vue de l’élec­ tes. On ne peut accepter que quel­ tion de règles communes pour un
vertu hoquettera », prédisait­il, tout en rappe­ temps, source fréquente de querelles intesti­ tion présidentielle de 2022 « le ques milliers de personnes qui salaire minimum européen.
lant les décorations obtenues par la gaulliste : nes, les « marcheurs » espèrent l’investir pour camp de la raison et de l’équilibre crient à la dictature, et n’ont mani­
croix de guerre et médaille de la Résistance. imposer leurs thèmes et défendre le bilan du qui tient une société ». festement pas compris ce que Les propos d’Emmanuel
quinquennat. « Le danger, ce serait de ne pas c’était, donnent le ton de la politi­ Macron sur l’éventuelle crise
« UN JOLI COUP » mettre à profit ce moment, de se faire embar­ La rentrée politique intervient que. Ce serait une perte de repères. migratoire après la prise de
L’entrée au Panthéon de Gisèle Halimi, fi­ quer dans le rôle de commentateur de l’opposi­ alors que la mobilisation con­ pouvoir des talibans en Afgha­
gure du féminisme et du droit à l’avorte­ tion et de se laisser aller aux petites phrases en tre le passe sanitaire s’installe Il ne reste que quelques mois nistan ont choqué. Pourquoi
ment, ne semble, en revanche, plus d’actua­ donnant le sentiment que la vie politique ne dans la durée. Craignez­vous pour agir avant l’élection prési­ avoir focalisé l’attention sur
lité. L’engagement de l’avocate dans la guerre s’intéresse qu’à elle­même », avertit Aurore l’émergence d’un mouvement dentielle de 2022, dans un « l’immigration irrégulière » ?
d’Algérie en défense de militants du Front de Bergé, présidente déléguée du groupe La Ré­ social de plus large ampleur ? contexte où le Covid­19 reste Dans l’intervention du prési­
libération nationale (FLN) avait, notamment, publique en marche (LRM) de l’Assemblée. Il faut relativiser et décortiquer. omniprésent. Toute réforme dent, il y a une volonté d’huma­
heurté les harkis. Un hommage aux Invali­ L’autre écueil, plus délicat, serait « d’être les Quelque 175 000 personnes ont d’ampleur est­elle enterrée ? nisme concret et responsable. La
des pourrait lui être rendu à l’automne. otages de la crise sanitaire qui confisquerait manifesté samedi 21 août, on ne La pandémie n’empêche pas France est le premier pays d’asile
A l’heure où le pays, décrit comme un archi­ tout débat démocratique », redoute Gilles peut pas dire que ce soit un mou­ d’agir. Nous avons, au cours de de l’UE pour les Afghans : nous
pel sans référentiel culturel commun par le Le Gendre, député (LRM) de Paris . L’exécutif, vement massif contre la vaccina­ ces dix­huit derniers mois, lancé en sommes fiers ! Ensuite, oui, il a
politiste Jérôme Fourquet, reste agité, un peu qui mise sur l’épuisement du mouvement de tion ou le passe sanitaire. Certes, la réforme de la fonction publi­ mentionné les flux migratoires ir­
plus de deux ans après la crise des « gilets jau­ contestation antipasse sanitaire, entend foca­ cette mobilisation trahit la lassi­ que, de l’assurance­chômage, un réguliers. Cela s’appelle les règles
nes », par des manifestations – émaillées de liser l’attention sur la relance économique, tude et le doute face à la situation plan de relance et d’investisse­ migratoires. Faire peur aux Fran­
dérives antisémites – contre le passe sani­ la jeunesse et le plan d’investissement censé sanitaire dans son ensemble. ment massif… Des chantiers çais en parlant d’un torrent migra­
taire, l’exécutif entend donc réunir la France bâtir la « France de 2030 », annoncé le 12 juillet Cette fatigue touche de nom­ aboutiront, comme celui de la loi toire et d’une fermeture des fron­
métissée, de gauche et de droite, autour d’une par le chef de l’Etat. Personne, toutefois, ne breux Français et cela est parfaite­ « 4D » sur les collectivités locales, tières serait une faute et un men­
figure plus consensuelle à même, espère­ doute que la question sanitaire continuera de ment compréhensible. ou pour la jeunesse, avec le re­ songe, ceux de l’extrême droite et
t­on, de faire taire les déchirures de l’époque ponctuer l’action de l’exécutif, même si l’en­ Mais les manifestants n’en sont venu d’engagement, ou encore de d’une partie de la droite. D’un
contemporaine. « Résistante, amoureuse de la trée au Panthéon de Joséphine Baker pourrait pas les porte­parole. Leur accorder la loi Climat et résilience. autre côté, ceux qui disent « le pré­
France, volonté de transmission, combat pour divertir les esprits quelque temps.  une importance excessive revien­ La présidence française de sident n’est pas assez humain, il
les droits civiques aux côtés de Martin Luther claire gatinois drait à encourager une forme de l’Union européenne [UE], au pre­ faut accueillir tout le monde »,
0123
MARDI 24 AOÛT 2021 france | 11

En Nouvelle­Calédonie,
ultime campagne
pour l’indépendance
nouvelée. C’est un effort que l’on Loyalistes et indépendantistes tentent de
doit continuer en élargissant no­
tre majorité aux femmes et aux
mobiliser pour le référendum du 12 décembre
hommes de progrès.

Le dépassement promis nouméa ­ correspondante


par le chef de l’Etat n’a­t­il
« On veut aller
pas disparu au profit d’une
droitisation ?
Quand vous êtes à l’épreuve du
pouvoir, vous faites face à des cir­
constances imprévues, mais sur le
E t de trois ! Indépendantistes
et loyalistes de Nouvelle­
Calédonie ont lancé sa­
medi 21 et dimanche 22 août leur
campagne pour le troisième et
chercher les
abstentionnistes
et les indécis
fond la ligne est là. Je suis de gau­ dernier référendum sur l’indépen­
avec un discours
che ; j’ai travaillé pour un premier dance, qui aura lieu le 12 décembre, plus ouvert »
ministre socialiste – Jean­Marc dans le cadre du processus de dé­
CHRISTOPHER GYGÉS
Ayrault –, et je n’ai aucun malaise, colonisation de l’accord de Nou­
directeur de campagne
au contraire. J’ai même une fierté méa (1998). Entre les deux pre­
des Loyalistes
un peu bridée, on n’a pas assez re­ miers scrutins de 2018 et 2020, les
vendiqué ce qu’on a fait. partisans du maintien de l’archi­
Les procès en droitisation vien­ pel dans la France ont vu fondre
nent probablement du fait que leur avance en voix de moitié, de indépendantistes. La France gaul­
nous n’avons pas assez mis en évi­ 18 535 à 9 965, et leur score rétro­ liste des cinq océans et le tiers­mon­
dence notre action, sur la revalori­ grader de 56,67 % à 53,26 %. Un disme socialiste, c’est fini. La géné­
sation des retraites agricoles, de électrochoc pour Les Loyalistes, ration Macron est froide et prag­
nombreuses prestations sociales, coalition majoritaire à droite, qui matique », commente un élu.
notre politique éducative, avec le a décidé de changer de braquet Bien décidés « à surfer sur la dy­
dédoublement des classes, le dé­ pour cette ultime et cruciale cam­ namique des deux premiers réfé­
veloppement de l’apprentissage, pagne, lancée samedi 21 août. rendums », le Front de libération
l’accès aux soins avec le reste à « Cette fois, on veut aller chercher nationale kanak et socialiste
charge zéro, la procréation médi­ les abstentionnistes et les indécis (FLNKS) a les mêmes cibles que
Emmanuel cale assistée pour toutes… avec un discours plus ouvert pour ses adversaires – abstentionnistes
Macron au Au niveau européen, nous lever une vraie vague populaire », et ventre mou de l’électorat –, sa­
Panthéon, avons agi à travers un plan de re­ explique Christopher Gygés, di­ chant que, selon les analystes, la
à Paris, le lance historique, le refus de mau­ recteur de campagne et membre plupart de ceux qui ont boudé les
27 avril 2018. vais accords commerciaux, la ré­ du gouvernement collégial. Alors urnes en 2020 se situent dans
THIBAULT CAMUS/AFP gulation des grandes plates­for­ que Marseillaise, forêts de dra­ leurs zones d’influence. « Il y a eu
mes numériques, la transition peaux bleu­blanc­rouge et envo­ 25 000 abstentionnistes en 2020,
écologique ; on a été le pays le plus lées patriotiques étaient le sceau dont 15 000 se trouvent en banlieue
en pointe, sans avoir rien à envier des campagnes précédentes, les de Nouméa. C’est ceux­là qu’il faut
aux partis sociaux­démocrates Loyalistes ont cette année opéré aller chercher », a exhorté Aloisio
ou écologistes au pouvoir. un recentrage, se faisant désor­ Sako, un des chefs de file du front
mais appeler « Les Voix du non » et indépendantiste.
La défiance envers la politique arborant une toutoute, conque A dessein, le FLNKS avait orga­
ne cesse de croître. Redoutez­ symbole de ralliement. nisé samedi un congrès à l’Anse
vous que la présidentielle de Vata, un quartier balnéaire majori­
2022 soit marquée par l’absten­ « Guerre du milieu » tairement européen de Nouméa,
tion voire le risque populiste ? « Cette campagne va être la guerre « pour montrer que le pays n’est pas
Il n’y a aucune fatalité à l’absten­ du milieu, l’idée étant, dans les coupé en deux ». « Le 12 décembre
tion si on montre que l’élection a deux camps d’ailleurs, de convain­ (…), on ne veut pas rejeter la France,
un rôle. Aux européennes de cre ceux qui peuvent faire la bas­ on veut simplement changer nos
2019, nous avons inversé une ten­ cule, qui hésitent entre le oui et le rapports avec elle », a rassuré Roch
dance vieille de vingt­cinq ans : le non », résume Nicolas Metzdorf, Wamytan, président du Congrès
taux de participation est remonté président du parti non indépen­ du territoire et figure historique de
partout en Europe. dantiste Générations NC. A droite, la lutte kanak. Dimanche, le FLNKS
Il n’y a aucune fatalité, non plus, plusieurs réserves de voix ont été a ouvert son rassemblement à
à la montée des partis populistes. identifiées et vont faire l’objet toute la mouvance nationaliste,
En 2022, la présidentielle et les lé­ d’un travail « à la cuillère à escar­ tablant sur une campagne à large
gislatives vont se jouer sur un cli­ got ». En haut de la liste, la pro­ spectre destinée « à ne pas rater
sont dans la posture. D’ailleurs, au Covid­19, à la fois sur l’organisa­ vage entre ceux qui assument la vince des îles Loyauté, indépen­ l’ultime marche d’un combat vieux
aucun élu de La France insoumise « EN FRANCE, ON A  tion de la campagne mais aussi complexité, la raison, la science, dantiste et peuplée quasi exclusi­ de 168 ans », en allusion à l’année
ou d’Europe Ecologie­Les Verts n’a BESOIN D’UNE PAROLE  sur les préoccupations des gens. une forme de modération verbale vement de Kanak, mais où le taux de la prise de possession en 1853.
précisé comment il s’y prendrait. Il faut néanmoins réfléchir à la et politique, et ceux qui jouent des de participation était à la traîne Mais, à la différence des précé­
Leur projet politique, c’est de dire PRÉSIDENTIELLE FORTE,  manière d’adapter et de renforcer effets de polémique et de division. de plus de dix points en dessous dents scrutins, les indépendantis­
aux Afghans : débrouillez­vous, notre modèle français et euro­ Marine Le Pen n’a pas de cohé­ du chiffre global en 2020 (74,33 % tes sont, depuis juillet et pour la
jetez­vous dans les bras des pas­ D’UNE VERTICALITÉ  péen, dont on a vu pendant la rence idéologique, le seul fil rouge contre 85,64 %). « Il y a là un poten­ première fois de l’accord de Nou­
seurs et bon courage ? L’accueil, ça crise à quel point nos concitoyens des populistes, c’est la haine. Il tiel de 2 500 à 3 000 voix », assure méa, aux commandes : ils prési­
s’organise, avec les ONG, nos par­
QUI A L’AVANTAGE  y étaient attachés, par la protec­ nous faudra incarner le camp de le député Philippe Gomes, à la tête dent le gouvernement collégial et
tenaires européens et les pays de DE L’EFFICACITÉ » tion qu’il nous apporte, avec un la République, de la raison et de de Calédonie ensemble, parti de le Congrès. Cette prise en main in­
la région. C’est notre devoir. Je re­ soutien massif à l’économie et l’équilibre qui tient une société. centre droit. tervient dans la pire conjoncture
vendique – qui le sait ? – que la l’emploi. Nous devons aller plus Nous avons sans doute commis Les quartiers populaires du qu’ait connue l’archipel depuis
France a été depuis 2018 le pre­ tions européennes sont les plus loin sur la réforme de l’Etat, de nos des erreurs dans la gestion de Grand Nouméa, « où la Calédonie des décennies : assurance­mala­
mier pays d’accueil des migrants ambitieuses au monde. institutions, avec la réduction du crise, mais le président de la Ré­ française n’offre pas de perspective die au bord du gouffre, finances
sauvés en Méditerranée. nombre de parlementaires et la publique a suivi les avis scientifi­ séduisante », font également par­ des collectivités à l’os, départ de
La société française est­elle proportionnelle, malgré les bloca­ ques et pris en compte l’équilibre tie des cibles, ainsi que les Euro­ population (au moins 10 000 per­
Cette coordination euro­ prête à accepter les bouleverse­ ges du Sénat. Il y a une fatigue dé­ social au moment où d’autres péens installés sur la côte ouest de sonnes entre 2014 et 2019). Sans
péenne fut impossible à trou­ ments économiques et sociaux mocratique en Europe. En France, hurlaient dans une forme de la province nord. « Ce sont des gens parler de la crise sanitaire.
ver lors de la crise migratoire qu’implique la lutte contre on a besoin d’une parole prési­ complotisme hystérique, disant qui vivent depuis trente ans dans Depuis mars 2020, le Caillou
de 2015­2016… le changement climatique ? dentielle forte, d’une verticalité tout et son contraire. des villages et une province gérés poursuit une coûteuse stratégie
Il n’est pas sûr qu’on obtienne Il faut sortir des impasses impo­ qui a l’avantage de l’efficacité. par les indépendantistes, où toutes zéro Covid et a quasiment fermé
un accord à Vingt­Sept. C’est pour sées par les partis écologistes, Le président de la République a Il y a plus d’un mois, on a ap­ les ethnies se mélangent. Ils sont ses frontières, mais le variant
ça que le président parle d’abord celle de l’écologie gadget – j’arrête sonné le rappel, en juillet, et dans pris que le Maroc avait visé nationalistes, avant tout calédo­ Delta peut à tout moment venir
d’un accord avec l’Allemagne, qui le sapin de Noël ou le club aéro­ l’heure un million de Français les téléphones d’Emmanuel niens, et se disent “après tout Ka­ semer le chaos dans une popula­
pourrait définir les priorités pour nautique – ou de la punition to­ demandaient à se faire vacciner ! Macron et de certains de ses naky pourquoi pas ?” », analyse tion vaccinée à moins de 30 % et
l’accueil des réfugiés. tale – la décroissance –, pour cons­ C’est notre modèle politique, ce­ ministres avec le logiciel es­ Philippe Gomes. Les non­indé­ fortement touchée par l’obésité,
truire un discours de transition lui de la Ve République, mais on pion Pegasus. Quels sont les pendantistes entendent aussi faire le diabète et les insuffisances res­
L’exécutif a été condamné et d’accompagnement social, en doit aussi aller vers plus d’ouver­ résultats de l’enquête et quelle grand usage de l’épais document, piratoires. Un contexte qui pour­
à deux reprises par le Conseil créant des emplois et en reconver­ ture. La verticalité a ses dangers, a été la réponse diplomatique ? transmis en juin par l’Etat, sur les rait bien peser sur l’issue du scru­
d’Etat pour son action trop fai­ tissant ceux qui vont être perdus. le président l’a bien identifié. Il y a une procédure judiciaire implications du oui et du non. tin du 12 décembre. 
ble en faveur du climat. Pour­ Si vous faites le bon élève tout en cours. Etant donné la gravité « C’est un truc plein d’arêtes pour les claudine wéry
quoi les ambitions du gouver­ seul, vous cabrerez la société. On Cette « fatigue démocratique », des faits allégués, la réponse di­
nement ne rencontrent­elles l’a vécu en France avec la hausse Emmanuel Macron prétendait plomatique ne peut venir que s’il
pas l’urgence décrite par les de la taxe carbone [à l’origine de la déjà la combattre en 2017… y avait la confirmation qu’un cer­
scientifiques du Groupe d’ex­ crise des « gilets jaunes », en 2018]. Dans chacun des moments de tain nombre de pays y ont parti­
perts intergouvernemental Si on réduit les émissions de gaz à crises, après les « gilets jaunes » ou cipé. Mais ce serait peu responsa­ S PO RT ANTISÉ MITIS ME
sur l’évolution du climat ? effet de serre sans demander aux les marches pour le climat, le pré­ ble de le faire alors que nous som­ Incidents Nice-Marseille, Le créateur du site
La décision du Conseil d’Etat exportateurs chinois, indiens, sident de la République a ouvert mes encore en train de démêler une enquête ouverte « Ils sont partout »
concerne une insuffisance d’ac­ américains ou russes de respecter de nouveaux espaces démocrati­ la réalité de la situation. Une enquête a été ouverte mis en examen
tion qui est un héritage ou une les mêmes règles que nous, on ques, avec le grand débat national après les incidents qui ont Samuel Goujon, fondateur
inertie de plusieurs années, elle tuera notre industrie tout en étant ou la convention citoyenne pour L’espionnage de journalistes conduit à l’interruption du du site antisémite « Ils sont
ne condamne pas les actions du inefficace sur le plan écologique. le climat. Quand on parle de la ré­ français a été confirmé. match de football de Ligue 1 partout », a été mis en exa­
gouvernement, qui pour certai­ forme de la haute fonction publi­ Pourquoi est­ce que la France Nice­Marseille, dimanche men, samedi 21 août pour
nes sont récentes, comme la loi Quelles seraient à vos yeux les que, de l’Etat, cela s’inscrit aussi ne réagit pas ? 22 août. La rencontre a été ar­ « injure publique à raison de
Climat et résilience. principales arêtes d’un second dans la lutte pour la mobilité, con­ Une procédure judiciaire a été rêtée après que des suppor­ l’origine, de l’appartenance à
On prend des mesures nationa­ quinquennat Macron ? tre les rentes, le statu quo. engagée, des plaintes déposées. teurs ont envahi le terrain. une ethnie, une race ou une
les, mais notre seul salut est dans Je souhaite que le chef de l’Etat Nous sommes devenus, en qua­ On ne va pas réagir par frag­ Des coups ont été échangés religion », « provocation pu­
une action européenne. C’est la soit candidat en 2022, mais ce n’est rante ans, un pays plus décentra­ ments, il faut bien mesurer l’am­ à différents endroits, dans blique à la discrimination,
France qui a été à l’initiative des pas à moi de faire le programme lisé, plus européen, plus contrac­ pleur de la situation.  une mêlée entre joueurs des à la haine ou à la violence et
grandes ambitions climatiques d’un candidat qui ne l’est pas. Il y tuel, ce qui, pour moi, est une propos recueillis par deux équipes, supporteurs à commettre des atteintes
de l’UE et les récentes proposi­ aura de plus une incertitude liée forme de social­démocratie re­ olivier faye et c. g. et stadiers. – (AFP.) volontaires à la vie ». – (AFP.)
ÉCONOMIE & ENTREPRISE
0123
12 | MARDI 24 AOÛT 2021

Un SDF,
à Portland
(Oregon),
le 5 juin.
PAULA BRONSTEIN/AP

La Côte ouest face au drame des sans­abri
A Portland, Seattle ou San Francisco, la crise liée au Covid­19 a aggravé le problème des SDF

REPORTAGE Unis. L’une d’entre elles est Ma­


ry’s Place, centre d’accueil pour
« Nous devions créer une distan­
ciation de deux mètres. Résultat,
« Le problème sions auparavant. Seattle est l’une
des très rares villes de notre région
pas le plan d’occupation des sols.
Je ne parle pas de gratte­ciel, mais
seattle (washington),
portland (oregon) ­ envoyé spécial les familles sans logement. Pour nous avons dû fermer deux refu­ fondamental est à fournir beaucoup de services. des maisons à quelques logements,
s’y rendre, nous avons vérifié à ges. Notre nombre de lits est passé Nous avons donc vu notre popula­ comme les maisons en grès brun
le déséquilibre

E
n cette fin de journée deux reprises l’adresse : juste à de 800 à 500 », déplore­t­elle. tion [de SDF] augmenter considé­ [brownstone], à New York. »
caniculaire, jeudi 12 août, côté du siège d’Amazon et de ses Heureusement que le bâtiment du marché rablement pendant la pandémie. L’enrichissement a rendu parti­
le centre­ville de Port­ deux sphères de jardins tropi­ d’Amazon a été inauguré à point Maintenant nous travaillons à [la] culièrement peu rentable la créa­
land, dans l’Oregon, était caux, symboles de pouvoir mon­ nommé. « Le bâtiment a ouvert le
du logement » réduire et à faire entrer les gens à tion de logements bon marché. La
désert. Nulle âme qui vive dans dial de Jeff Bezos, l’homme le plus 9 mars 2020 », nous confie­t­elle. RACHEL FYALL l’intérieur », assure la maire, qui ex­ maire Jenny Durkan assure avoir
les rues, par 37 °C, si ce ne sont riche de la planète. « Cela a été un incroyable cadeau professeure à l’université plique que « six SDF sur dix vivaient pris les choses en main : « Depuis
les sans­abri. Dans l’enfoncement C’est normal : l’immeuble est d’amour. J’appelle ce bâtiment de Washington dans une autre ville, lorsqu’ils sont que je suis maire, nous avons an­
d’un pas­de­porte, un homme mis à disposition gracieusement “notre grâce salvatrice” », se ré­ devenus des sans­abri, puis ont dé­ noncé plus de 1 milliard de dollars
d’origine asiatique dort, entière­ par Amazon, qui envoie aussi ses jouit Marty Hartman. Le prêt ménagé à Seattle ». de logements abordables, que nous
ment nu, derrière son fatras. Plus avocats et ses volontaires pour d’Amazon est valorisé 22 millions Les salariés du groupe américain Pendant la crise, le problème construisons. » C’est notoirement
loin, une femme balaie curieuse­ aider les sans­abri dans leurs de dollars (18,8 millions d’euros) viennent bénévolement aider les des SDF est devenu encore plus insuffisant, selon un rapport du
ment une fontaine asséchée, qui démarches. La directrice, Marty dans les comptes de l’association. familles à se reloger – elles restent visible, d’autant que la dédensifi­ cabinet McKinsey de 2020, qui
lui sert manifestement d’abri. Hartman, qui accueille des fa­ en moyenne quatre­vingt­cinq cation a, par exemple, conduit rappelle que la situation est pire
Au bout de cent mètres, trois jeu­ milles à Seattle (tout le monde, « Peur du Covid » jours –, gérer leurs dossiers d’en­ à les loger dans des écoles. « De­ que dans la baie de San Francisco :
nes fument du cannabis. Dans sauf les hommes seuls), donne Dans la tradition de la philanthro­ dettement, régulariser leur visa puis 2017, le taux de SDF était rela­ « Le phénomène des sans­abri dans
un campement de tentes, une une première explication à la si­ pie américaine, ce sont les entre­ lorsqu’ils sont étrangers ou rédi­ tivement stable [avec environ la région est en grande partie dû à
femme clopine, urinant debout. tuation : « A la différence de New prises (Starbucks, Amazon, Mi­ ger leur curriculum vitae. « La plu­ 11 700 sans­abri dans l’aggloméra­ la croissance et à la création de ri­
A Portland, la dignité humaine York, il n’y a pas le droit au loge­ crosoft) et les donateurs privés part des parents travaillent. Par­ tion], il n’y a pas eu de décompte chesse dans la région. Depuis 2010,
est bafouée dans toutes les rues. ment dans un refuge. » Cette diri­ qui financent l’association, qui tout, dans le commerce, dans en 2021, mais le phénomène est de­ le nombre d’emplois dans le comté
Et c’est la même chose à Seattle, geante dynamique nous fait visi­ emploie quelque 250 salariés. Les l’hôtellerie, dans la construction venu plus visible », tempère Ra­ [de Seattle] a augmenté de 21 %
280 kilomètres plus au nord, ter l’immeuble flambant neuf : pouvoirs publics ne financent et, parfois, chez Amazon, assure chel Fyall, professeure à l’univer­ et la population de 12 %, mais le
dans l’Etat de Washington. Dans une lingerie, un terrain de jeu que 10 % du budget annuel, qui Mme Hartman. Ils travaillent pour sité de Washington et spécialiste comté n’a augmenté son parc de lo­
le quartier touristique Market, pour les enfants, des salles à man­ s’élève à 17 millions de dollars. économiser et se reloger, parfois du sujet. Elle ne tarit pas d’éloges gements que de 8 %. »
passé 17 heures, il ne reste que des ger, une infirmerie et des loge­ Les entreprises mettent en scène ils ont des dettes. » sur les initiatives comme celles de De 2010 à 2017, les loyers ont
SDF, drogués, errant dans la cité, ments individuels par famille leurs œuvres : début mai, un tour La crise liée au Covid­19 aurait dû Mary’s Place : « Nous avons parmi augmenté de moitié, quand les
souvent avec leur chien. Quant au qu’on ne visitera pas pour cause de table a permis de lever plus de accentuer l’afflux de familles chez les meilleures associations d’aide salaires ne progressaient que de
centre­ville, il est quasi impossi­ de Covid­19 : le bâtiment com­ 1 million de dollars auprès de la Mary’s Place : pertes d’emplois, aux sans­abri des Etats­Unis. Mais 12 %. Résultat, la région a perdu
ble de l’arpenter à pied, tant cha­ porte 200 lits, et a été une aubaine population, somme qu’Amazon violences conjugales accrues avec c’est une goutte d’eau dans l’océan. 110 000 logements considérés
que espace de bitume est occupé lorsque la pandémie a éclaté. s’est engagée à doubler. le confinement, écoles fermées. Cela ne résout pas le problème fon­ comme abordables. Au lieu de dé­
par une tente de sans­abri. Ce débordement n’a pas eu lieu. damental qui est le déséquilibre penser 260 millions de dollars par
L’arrivée à Seattle est un choc. « Les gens avaient peur de venir du marché du logement. » an, le cabinet de conseil estimait
Comment ce bastion de gauche, dans des refuges, à cause du SARS­ qu’il faudrait dépenser pendant

580 000
connu depuis les émeutes anti­ CoV­2. Ils préféraient, par exemple, Des loyers en hausse dix ans 700 millions de dollars
mondialisation en 1999, mais rester dans leur voiture pour con­ L’explication est assez simple : la pour traiter le problème des sans­
aussi cité des corporations géan­ trôler leur exposition au virus. » région de Seattle a connu depuis logement, et 1 400 millions de dol­
tes (Boeing, Starbucks) et des Cette crainte, conjuguée au fait vingt ans un essor économique lars pour résoudre, en plus, celui
hommes les plus riches du monde C’était le nombre de sans-abri que comptaient les Etats-Unis que les abris ont dû recevoir sans précédent, avec le décollage des logements bon marché. Les
(Bill Gates, fondateur de Micro­ en janvier 2020, selon la fondation EndHomelessness, dont moins de monde pour respecter la de Microsoft, d’Amazon et de tant grandes entreprises s’étaient op­
soft, Jeff Bezos, patron d’Amazon), 409 000 personnes seules et 171 000 en famille. Des chiffres qui prophylaxie, explique que les per­ d’entreprises, qui s’est conjugué à posées avec succès, en 2017, à une
a­t­il pu en arriver là ? A force de vi­ donnent une bonne idée du problème structurel. Côté Pacifique, sonnes se soient retrouvées dans un afflux démographique. Seul taxe municipale de 275 dollars par
vre ainsi, les habitants semblent ils étaient 162 000 en Californie, 23 000 dans l’Etat de Washington les rues. Jenny Durkan, la maire problème, aux Etats­Unis, où la dé­ salarié pour financer le problème.
ne plus vraiment se poser de ques­ et 14 700 en Oregon. Sur la Côte est, leur nombre atteignait 91 000 démocrate de Seattle, interrogée mocratie locale est toute­puis­ La professeure Rachel Fyall met
tions, alors que l’Etat de Washing­ à New York et 18 000 dans le Massachusetts. Au Sud, ils étaient par Le Monde lors d’une réunion sante, le plan d’occupation des sols en garde sur l’idée de blâmer uni­
ton fait partie des Etats les plus ri­ 27 000 au Texas et en Floride. Six sur dix étaient des hommes : du Foreign Press Center, le con­ exige la construction uniquement quement les grandes entreprises :
ches et les plus socialisés, eu égard 48 % blancs, 39 % noirs et 22 % hispaniques. Le plan Biden, adopté firme : « Pendant la pandémie, le de maisons individuelles dans « On a tous bénéficié de l’essor
aux standards américains. en mars, a prévu une aide de 5 milliards de dollars (4,3 milliards centre de prévention de maladies et cette région cernée de lacs et de d’Amazon. En tant que commu­
Ce n’est pas faute d’avoir des d’euros) pour les sans-abri et les victimes de violences domestiques. le gouvernement fédéral des Etats­ montagnes, où les terrains sont ra­ nauté, ce n’est pas très honnête de
œuvres charitables, censées pal­ Le moratoire fédéral sur les expulsions locatives a été prolongé dé- Unis ont émis des directives selon res. « Nous avons besoin de moyens dire [que celui­ci] est responsable
lier les carences des pouvoirs pu­ but juillet, mais seuls 3 milliards des 47 milliards d’aides aux loyers lesquelles nous ne devions déplacer additionnels, mais la situation ne de tout. » 
blics, comme c’est le cas aux Etats­ impayés avaient été distribués, fin juin, à leurs destinataires. aucun campement, ce que nous fai­ changera pas si nous ne modifions arnaud leparmentier
0123
MARDI 24 AOÛT 2021 économie & entreprise | 13

Le Népal s’apprête l’époque, que 500 mégawatts


étaient installés dans le système »,
nous expliquait M. Ghising, lors
Le pays est encore
loin d’exploiter tout
centrale lui reviendra après
vingt­cinq ans.
Ces arrangements, pour être pé­
le potentiel que lui
à exporter son électricité
d’un entretien à Katmandou, en rennes, exigent que les infrastruc­
avril. Les urbains bien équipés ne tures nécessaires à la transmission
souffraient pas des délestages – à
offre sa position du courant à exporter soient fina­
la différence des plus pauvres, no­ centrale dans lisées. Or, la section centrale du ré­
tamment dans les zones rurales. seau, entre l’est et l’ouest du Népal,
En multipliant les barrages et en luttant contre la Autre conséquence des délestages,
l’Himalaya : 6 000 sur 400 km, a vu sa mise en œuvre
chacun s’évertue à faire fonction­ rivières descendent retardée en raison d’une joute po­
corruption, le pays accède à l’autonomie énergétique ner un maximum d’appareils dès
des sommets litique autour des intentions sup­
que l’électricité fonctionne. posées de son bailleur de fonds, les
Le secteur de l’électricité est Etats­Unis : les maoïstes népalais,
alors un nid de corruption : les qui occupent plusieurs ministères,
katmandou ­ envoyé spécial la partie supérieure de la rivière des centrales hydroélectriques au branchements directs et les rac­ seize employés pris en flagrant dé­ dont celui de l’électricité, dans le
Tamakoshi, qui coule à travers fil de l’eau – c’est­à­dire sans rete­ cordements sauvages sont légion. lit de se faire graisser la patte pour nouveau gouvernement de coali­

R
ares sont les pays où une l’Himalaya depuis le Tibet, doit en nue d’eau, à la différence du Tibet, Une partie des cadres dirigeants truquer les relevés de compteurs tion, accusent Washington – qui a
nomination à la tête principe être mis en ligne d’ici à générant une production d’élec­ reçoit des pots­de­vin de ven­ sont jetés en prison. Des cadres accordé, en 2017, 500 millions de
du fournisseur d’électri­ l’automne et générer un surplus tricité extrêmement variable se­ deurs de panneaux solaires indi­ soupçonnés de corruption sont li­ dollars (427,4 millions d’euros)
cité national provoque lors de la saison des pluies, de juin lon les saisons : les turbines tour­ viduels, de générateurs diesel im­ mogés ou mutés. La nouvelle di­ d’aide pour la construction de
autant d’enthousiasme : rappelé, à septembre. nent à pleine capacité durant la portés d’Inde et de batteries, ainsi rection rationalise la gestion des cette section dans le cadre du
le 11 août, par le nouveau premier Le Népal est certes encore loin saison des pluies, mais il est diffi­ que d’usines qui se voient garantir centrales : elles fonctionnent aussi Millennium Challenge Corpora­
ministre népalais, Sher Bahadur d’exploiter tout le potentiel que cile de stocker de l’électricité. Ces en échange une fourniture d’élec­ la nuit pour accumuler de l’éner­ tion, un programme d’aide aux
Deuba, pour diriger de nouveau la lui offre sa position centrale dans contraintes, associées à une ges­ tricité vingt­quatre heures sur gie, tandis que la maintenance se pays en développement – de vou­
Nepal Electricity Authority (NEA), l’Himalaya : 6 000 rivières descen­ tion désastreuse, ont longtemps vingt­quatre : les défaillances de la fait sur deux semaines, au lieu de loir utiliser cette donation pour
Kulman Ghising est, dans ce pays dent des sommets pour un « po­ limité la génération d’électricité et NEA enrichissent une myriade de deux mois, grâce à des primes. rallier le Népal au camp indo­paci­
enclavé de quelque 30 millions tentiel économiquement viable » ralenti le développement écono­ distributeurs et d’intermédiaires. Au bout d’un an, la NEA passe fique opposé à la Chine.
d’habitants, fêté comme un héros de 42 gigawatts (GW), selon un rap­ mique du pays – jusqu’à la nomi­ d’un déficit structurel de 9 mil­ « Je ne peux pas me prononcer sur
national, un manageur propre et port de 2020 de la Banque asiati­ nation à la tête de la NEA, en 2016, Du déficit aux bénéfices liards de roupies népalaises l’aspect politique. Mais, d’un point
compétent, dans un océan d’incu­ que de développement. Or, seule­ de M. Kulman, un ingénieur élec­ Le directeur général prend le tau­ (63 millions d’euros) à 9 milliards de vue technique, cette partie cen­
rie bureaucratique et de corrup­ ment 1,4 GW est aujourd’hui ins­ trique qui a fait toute sa carrière au reau par les cornes : « Le grand défi, de bénéfices – accumulant trale est très importante. Si elle
tion. Son départ, au terme de son tallé – auquel va s’ajouter 1,6 GW sein de l’entreprise d’Etat. Celui­ci c’était de savoir par où commen­ 40 milliards en quatre ans. Le Né­ n’est pas finalisée, la colonne verté­
premier mandat, en 2020, avait en 2021­2022. Le Tibet voisin, lui, va réussir un tour de force. cer. Nous avons décidé d’avoir pal, toutefois, doit importer de brale du réseau ne peut pas fonc­
été accueilli par des milliers de est équipé à tour de bras en barra­ Quand commence son premier d’abord un impact au niveau de la l’électricité d’Inde durant la sai­ tionner », dit M. Ghising. L’Inde,
« #ThankYouKulman ». Malgré ges par la Chine – le plus grand bar­ mandat, le Népal connaît, selon les demande, en changeant la percep­ son sèche. La NEA investit dans dont les relations sont au plus bas
cette popularité, le premier minis­ rage du monde, avec une capacité endroits, jusqu’à quatorze heures tion des usagers. On a supprimé les l’électrification, ce qui fait aug­ avec Pékin, a introduit de nouvel­
tre d’alors, Khadga Prasad Sharma de 60 GW, presque trois fois celle de coupures d’électricité par jour, délestages à Katmandou, sans rien menter la demande : 6 000 MW les conditions à ses procédures
Oli, avait refusé de le reconduire du barrage des Trois­Gorges (Hu­ en raison des délestages mis en expliquer. Puis on a annoncé, au de contrats de fourniture d’élec­ d’importation d’électricité. New
à son poste. bei), est programmé sur le Yarlung place par la NEA à partir de 2005. bout d’un mois, qu’il n’y aurait plus tricité sont signés, la moitié Delhi impose des restrictions lors­
Le nouveau gouvernement, Tsangpo, la section tibétaine du C’est un cercle vicieux : les con­ de coupure, mais que les consom­ auprès d’investisseurs domesti­ que l’électricité provient d’un pays
formé en juillet après des mois de fleuve Brahmapoutre, dans le sommateurs anticipent les coupu­ mateurs devaient nous soutenir, ques, et l’autre moitié auprès accueillant des investissements
crise politique au sommet, sem­ 14e plan quinquennal chinois res d’électricité et mettent en par exemple, en évitant de repasser d’étrangers. Si plusieurs projets d’Etats voisins comme la Chine.
ble déterminé à poursuivre la (2021­2025). Tandis que le Bhoutan charge, dès qu’ils le peuvent, batte­ ou de tirer l’eau du puits aux heures chinois ont été réalisés ou sont en Enfin, la pandémie de Covid­19 a
transformation entamée par Kul­ compte six centrales hydroélectri­ ries et onduleurs. « Le marché pour de pointe. Les gens nous ont suivis, construction, l’investisseur prin­ diminué, cette année, les besoins
man Ghising du pays en un acteur ques, construites avec l’aide de ces appareils était devenu gigan­ la consommation a baissé et cela a cipal reste l’Inde, qui s’est engagé, en électricité de l’Inde, qui traîne
respectable de l’électricité au ni­ l’Inde : l’exportation de l’électricité tesque, les stocks s’épuisaient vite, il permis de faire sortir du système en 2014, dans la construction des pieds : alors que la saison des
veau régional, après des années constitue près du tiers de ses reve­ y avait des foires pour ce genre de les batteries et les onduleurs, qui d’une centrale de 900 MW, Arun pluies commence, le Népal n’a pu
de dysfonctionnement : le Népal nus, grâce à une capacité installée matériel, et les gens s’y ruaient. Les étaient une vraie boîte noire, car ils III, destinée à l’exportation à par­ obtenir l’approbation du régula­
est en bonne voie de devenir un de 2,3 GW, mais pour seulement batteries perdent environ 30 % de la empêchaient de connaître la con­ tir de 2023, sur la rivière Arun. Le teur indien pour vendre son élec­
exportateur régulier d’électricité 1,2 million d’habitants. charge emmagasinée quand on les sommation réelle », explique­t­il. Népal recevra gratuitement une tricité en surplus à la Bourse
vers l’Inde et le Bangladesh. L’un La majeure partie de l’hydroélec­ utilise, cela augmentait encore la M. Kulman et son équipe s’atta­ partie de l’électricité produite d’échange d’électricité indienne. 
des plus gros projets du pays, sur tricité népalaise est générée par consommation. On estimait, à quent alors aux dérives de la NEA : (200 MW) – et l’intégralité de la brice pedroletti

Biotech : le roi de l’ADN


COUR DE JUSTICE
défie Bruxelles DE L’UNION EUROPÉENNE
L’américain Illumina n’a pas attendu le feu
vert de l’Union, où il fait l’objet d’une
enquête, pour acquérir son compatriote Grail

C’ est un pied de nez plu­


tôt osé, et qui n’a pas
manqué

toujours en cours de la Commis­


d’irriter
Bruxelles. Faisant fi de l’enquête
çage de l’ADN aux hôpitaux et la­
boratoires de recherche du monde
entier. C’est sur l’un de ses appa­
reils qu’a été réalisé, le 11 jan­
vier 2020, le premier séquençage
sion européenne, le géant mon­ complet du génome du Covid­19.
dial du séquençage de l’ADN,
l’américain Illumina, a annoncé, Crainte pour « la concurrence »
mercredi 18 août, la finalisation Il y a un an, l’américain avait an­
du rachat pour 7,1 milliards de dol­ noncé son intention d’acquérir la
lars (6 milliards d’euros) de son biotech Grail, son ancienne filiale.
compatriote Grail, une biotech Fondée en 2016 avec le soutien
spécialisée dans le dépistage pré­ d’investisseurs, dont le patron
coce du cancer. « Les régulateurs d’Amazon, Jeff Bezos, et le milliar­
de l’Union européenne [UE] exami­ daire Bill Gates, cette dernière a
nent la transaction, mais une déci­ mis au point un test innovant de
sion est prévue après l’expiration dépistage précoce du cancer, dont
de l’accord », s’est justifié la société la commercialisation a débuté en
californienne, lors de l’annonce. juin. A partir d’une prise de sang,
Illumina avait jusqu’au 20 dé­ celui­ci est capable de détecter,
cembre pour conclure le rachat de grâce au séquençage génomique,
Grail, sans quoi, elle aurait dû les signes d’une cinquantaine de La Cour de justice de l’Union européenne
payer à la biotech des frais de rési­
liation de 300 millions de dollars.
types de cancers chez des patients
encore asymptomatiques.
recherche des traducteurs free-lance
Pas de quoi attendrir Bruxelles, Le projet s’est cependant heurté par voie d’avis de marché
qui a répliqué, vendredi 20 août, aux autorités de la concurrence
en ouvrant une autre enquête, européennes. A la requête de la La Cour de justice souhaite confier ponctuellement la traduction de textes
cette fois pour évaluer si ce rachat France, la Commission avait dé­ juridiques de certaines langues officielles de l'Union européenne vers le français
précipité constitue une violation cidé, fin avril, d’examiner le rachat,
de l’obligation de statu quo de la craignant que l’opération ne « ré­
Bulgare (BG) Anglais (EN) Croate (HR) Maltais (MT) Slovaque (SK)
réglementation européenne, qui duise la concurrence et l’innova­
stipule aux entreprises d’atten­ tion ». Bruxelles redoute qu’Illu­ Tchèque (CS) Espagnol (ES) Hongrois (HU) Néerlandais (NL) Slovène (SL)
dre le feu vert de l’UE en cas d’en­ mina, en position dominante, Danois (DA) Estonien (ET) Italien (IT) Polonais (PL) Suédois (SV)
quête sur un projet d’acquisition. augmente les prix de ses séquen­ Allemand (DE) Finnois (FI) Lituanien (LT) Portugais (PT)
« Nous regrettons profondément ceurs ou en dégrade la qualité Grec (EL) Irlandais (GA) Letton (LV) Roumain (RO)
la décision d’Illumina (…). Les en­ pour les concurrents de Grail. Illu­
treprises doivent respecter nos rè­ mina avait riposté en lançant une
gles et procédures de concur­ action – encore en cours – auprès L’avis de marché est publié au JO 2021/S 101-265565 du 27/05/2021.
rence », a commenté la commis­ de la Cour de justice de l’UE, con­
saire européenne à la concur­ testant la compétence de Bruxel­ Les documents du marché sont accessibles à l’adresse:
rence, Margrethe Vestager. les sur le dossier. L’Europe n’est
L’entreprise risque une amende pas la seule à s’interroger sur ce ra­ https://curia.europa.eu/jcms/freelance
qui peut atteindre jusqu’à 10 % de chat. L’Autorité de la concurrence
son chiffre d’affaires. américaine s’est aussi saisie de l’af­
Un épisode de plus dans la saga faire. Mardi 24 août, un procès ad­ Les demandes d’information sont à adresser par courrier électronique à
de ce rachat. Peu connu du grand ministratif doit s’ouvrir aux Etats­
public, Illumina conçoit, fabrique Unis pour statuer sur le sujet.  FreelanceFR@curia.europa.eu
et vend des machines de séquen­ zeliha chaffin
CULTURE
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14 | MARDI 24 AOÛT 2021

Les colères de Charlotte Perriand
Les Rencontres d’Arles exposent des photomontages de l’artiste, où elle exprimait sa vision de la société

PHOTOGRAPHIE
arles (bouches­du­rhône)

C
e n’est sans doute pas la
part la plus connue de
l’œuvre de Charlotte
Perriand (1903­1999),
que ses travaux d’architecte et de
designer, ses mobiliers aux for­
mes épurées, ses collaborations
avec Jeanneret, Le Corbusier et
bien d’autres, placent au premier
plan de son époque. C’est une part
non moins importante : dans les
années 1930 et particulièrement
au temps du Front populaire, Per­ Photomontage
riand a voulu mettre en accord réalisé par
ses convictions politiques de gau­ Charlotte
che et son activité artistique. Perriand
On s’attendrait sans doute à des en 1937, pour
projets architecturaux et urbanis­ le ministère de
tiques, mais, désireuse d’agir vite l’agriculture.
et de façon accessible au plus ARCHIVES CHARLOTTE
grand nombre, Perriand a cher­ PERRIAND
ché à apostropher ses contempo­
rains de façon très immédiate et
brutale en concevant et dé­
ployant des photomontages mo­
numentaux. Ils n’ont pas sub­
sisté, mais il en reste assez d’ima­
ges et d’archives pour les recons­
tituer et décrire leur genèse : tel
est le but de « Charlotte Perriand.
Comment voulons­nous vivre ?
Politique du photomontage »,
l’une des expositions les plus ins­
tructives des Rencontres de la
photographie d’Arles 2021.
On ne saurait prétendre que cel­
les­ci lui ont accordé un lieu pres­
tigieux. Elle se tient au premier
étage, peu lumineux, d’un maga­
sin Monoprix. Avantage ou in­
convénient : on peut profiter de la
visite pour acquérir un maillot de
bain, un bob ou une paire de
tongs. Perriand excellait elle­
même à tirer parti des lieux les
moins accueillants, et aurait donc phie. Mais j’étais dans un état de « diorama » de Perriand et Fer­ thorique dans laquelle l’artiste quelques années plus tôt, mais
probablement accepté cette situa­ droit et je gardais ma liberté de nand Léger créé pour le minis­
L’artiste appelle s’approvisionne : images d’agen­ aussi aux pratiques publicitaires
tion inattendue. penser et de m’exprimer. » tère de l’agriculture à l’occasion à une révolution ces de presse, découpages de ma­ contemporaines.
Le deuxième photomontage de l’Exposition universelle de Pa­ gazines, photos prises par Per­ Toutefois un autre regard,
« Taxée de communisme » est destiné à la salle d’attente du ris en 1937. Une structure de pou­
de l’habitat, riand elle­même et d’autres fai­ moins technique, peut être porté
Trois photomontages sont réu­ ministère de l’agriculture, à la de­ tres de forme globalement octo­ des moyens tes par des reporters profession­ sur les reportages consacrés à la
nis. La Grande Misère de Paris mande de Georges Monnet, mi­ gonale se déploie porte Maillot, nels, Nora Dumas et François France rurale des années 1930 et
avait été présentée en janvier et nistre de l’agriculture du Front du côté du bois de Boulogne.
de transport Kollar principalement. Ce fonds, à celle des taudis de banlieue que
février 1936 à la IIIe Exposition populaire de 1936 à 1938, et reste Faite pour être traversée par les et de l’hygiène qui n’avait pas été montré jus­ Perriand a employés. On y voit le
des arts ménagers, 16 mètres de en place aussi longtemps que ce­ visiteurs, elle zigzague entre les qu’à présent, invite à bien des labeur, les méthodes archaïques
longueur, de 3 à 5 mètres de hau­ lui­ci. Trois murs de l’anticham­ arbres et sur les pelouses. analyses. de culture, la pauvreté bien sou­
teur. Comme son titre l’annonce, bre sont occupés par une cons­ Dans ce « centre rural », déno­ les toiles contemporaines de Lé­ Il permet d’observer Perriand vent, la saleté parfois : tout ce qui
elle dénonce les conditions de vie truction d’images, de cartes et de mination officielle, Perriand in­ ger, une restitution des couleurs au travail, sélectionnant les ima­ justifiait sa colère et son engage­
misérables de celles et ceux qui se statistiques, dont les vues prises tervient par dix­huit photomon­ a été tentée, les clichés subsistant ges les plus efficaces et celles qui ment politique. 
logent comme ils peuvent dans par François Kollar en 1936 tages de très grande taille, Léger aujourd’hui étant évidemment se prêtent le mieux à l’agrandis­ philippe dagen
les « zones », quartiers insalubres permettent de mesurer la force par la couleur et par le gra­ en noir et blanc. sement et au détourage. L’effica­
de la périphérie parisienne. Dans d’expression. « Double provoca­ phisme. Il y a en effet beaucoup à Le souci archéologique domine cité de la communication vi­ Charlotte Perriand. Comment
un second temps, elle appelle à tion », en a dit son autrice plus lire : les chiffres des productions en effet l’exposition présentée à suelle prime, quitte à décontex­ voulons­nous vivre ?
une révolution de l’habitat, des tard, « par le programme repré­ et des populations ou le pro­ Arles. Non seulement, elle res­ tualiser les clichés ou à n’en con­ Politique du photomontage,
moyens de transport et de l’hy­ senté d’une part, et par son mode gramme du Front populaire en suscite une part du travail de Per­ server qu’une partie, la plus Monoprix, boulevard
giène. L’accueil des officiels fut, d’expression – iconoclaste – majuscules : « A la campagne riand moins étudiée, mais elle éloquente. Emile­Combe, place Lamartine,
comme on l’imagine, réservé : « Je d’autre part. » comme à la ville, les travailleurs s’efforce de reconstituer la ge­ Il y a là une politique raisonnée à Arles (Bouches­du­Rhône).
fus taxée de communisme, écrit La troisième réalisation est la doivent bénéficier de la législa­ nèse des photomontages en ex­ de l’image, qui pourrait être com­ Jusqu’au 26 septembre,
Perriand dans son autobiogra­ plus vaste et la plus publique, un tion sociale. » En se fondant sur plorant la documentation plé­ parée à celle de John Heartfield de 10 heures à 19 h 30.

Au Musée de Bastia, bandits corses et brigands italiens


La figure ambiguë du hors­la­loi est explorée à travers de nombreuses œuvres, dont certaines prêtées par la galerie des Offices de Florence

ARTS vement de centralisation fran­


çais ne parviendra jamais, en
prodigue en toiles mettant en
scène des brigands.
qui ne recouvrent pas toujours la
réalité d’un phénomène autre­
de jouer un rôle dans les luttes en­
tre aristocrates, clergé, factions »
pillant et tuant sans autre raison
que la quête du profit.
bastia
Corse, à effacer la profonde Ici, de farouches Brigands atta­ ment complexe. Dans ce système en Italie, il s’opposera, après le Ri­ Il faudra attendre une véritable

L e banditisme est anéanti ! »


En Corse, il ne faut pas tou­
jours croire les préfets :
malgré son triomphalisme pré­
maturé, cette proclamation de
influence culturelle.
Les œuvres exposées ne déro­
gent pas aux canons du genre,
profusion de stylets au manche
ouvragé, fusils et shakos de volti­
quant des cavaliers à Rome (Jo­
hann­Heinrich Schönfeld, datant
du XVIIe siècle) voisinent avec
Brigand mourant les bras en
croix, figure couchée presque
de significations, explique ainsi
Sylvain Gregori, directeur du Mu­
sée de Bastia et cocommissaire de
l’exposition avec l’historien An­
toine­Marie Graziani, « le brigand
sorgimento, à l’unification de
l’Etat dirigé par les Piémontais.
Lui faire la chasse revêt alors
l’aspect d’une « guerre civile desti­
née à achever le processus
expédition militaire au tournant
des années 1930 pour réduire les
derniers vestiges du banditisme,
sans pour autant mettre un
terme au trouble prestige qu’il
Constant Thuillier, représentant geurs, pilone – lourd manteau en christique (Guillaume Bodinier, n’est rien d’autre qu’un vulgaire d’unité », précise Sylvain Gregory exerce sur l’imaginaire. En témoi­
de l’Etat dans l’île en 1853, signe poil de chèvre – et, puisque les 1824) ; là, une touchante Femme voleur, un assassin dont les ac­ quand, en Corse, sa traque revêt la gnent les ritournelles de Tino
surtout l’impuissance des autori­ bandits sont de grands supersti­ de brigand veillant sur le sommeil tions matérialiseraient les plus bas dimension quasi exclusive d’une Rossi, succès d’époque, l’abon­
tés à juguler un phénomène en­ tieux, scapulaires et chapelets… de son mari (Léopold Robert, instincts de l’humanité ; le bandit, entreprise de sécurité publique dance de romans de quatre sous
raciné, qui perdurera encore près Mais l’exposition donne sur­ 1827) offre le contrepoint au vi­ en revanche, est avant tout un rendue indispensable par son publiés au long du XXe siècle et,
d’un siècle. tout à comprendre les représen­ sage halluciné d’un Bandit corse homme d’honneur incarnant un pullulement et la multiplication plus récemment, le succès de la
« Banditi ! », riche exposition tations successives de la figure du (Ignace Louis Varese, première système de valeurs au point d’y sa­ de ses méfaits. série télévisée Mafiosa, diffusée
organisée par le Musée de Bastia, « roi du maquis » à travers les moitié du XIXe siècle), fusil au crifier sa vie ». Le maquis en recensera jusqu’à sur Canal+. 
retrace la construction de ce my­ œuvres prêtées par la galerie des poing, yeux écarquillés et barbe 600, d’abord réfractaires à la antoine albertini
the qui fascina Flaubert, Maupas­ Offices, à Florence, la Bibliothè­ de despote perse. Impératif social de vengeance conscription sous l’Empire, puis
sant, Mérimée, Dumas, la fine que nationale, les Musées des Se dégage de ces toiles l’ambi­ Cette équivoque se retrouve dans simples villageois que l’impératif Banditi !, brigandage et
fleur des lettres françaises du beaux­arts d’Angers, Rennes ou guïté fondamentale associée à la la qualification du banditisme par social de vengeance après un af­ banditisme Corse­Italie,
XIXe siècle. Son grand mérite : La Chaux­de­Fonds (Suisse), pa­ figure du hors­la­loi, qualifié de les autorités, enjeu de légitimité front met dans l’obligation de se 1600­1940, au Musée de Bastia,
jeter un pont vers l’Italie, cette trie de Léopold Robert, disciple brigand ou de bandit en fonction variable selon les latitudes et les soustraire à la justice, canailles jusqu’au 18 décembre.
terre mère dont le puissant mou­ de David et peintre romantique d’impératifs sociaux et politiques époques. « Acteur social capable sans aveu enfin, rançonnant, Musee­bastia.com.
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MARDI 24 AOÛT 2021 culture | 15

Rægular, le graphiste
du rap français
Nekfeu, Lomepal… L’artiste a imposé son esthétique
en créant de nombreuses pochettes d’album

MUSIQUE ville – les iconiques et mystérieu­


ses ondes de Joy Division, c’est
rencontre, que le client comprenne
ce que tu fais mais que tu com­

S
on style inventif, épuré et lui –, ou MM, agence parisienne prennes aussi ce qu’il veut ».
coloré tranche avec l’ima­ qui a notamment travaillé avec Privilège inattendu, la demande
gerie répétitive et sou­ Björk et Kanye West. Des créa­ afflue pour lui rapidement. A sa
vent grossière associée au teurs, glisse­t­il, « qui ont poussé sortie d’école en 2011, soucieux de
rap. Samuel Lamidey, dit Rægular, l’art très loin en réalisant des po­ « réaliser un projet qui [lui] parle »
discrètement installé dans son chettes qui ne ressemblent pas à en évitant « le moule du monde
atelier près de la place de Clichy, à des pochettes ». professionnel », il s’installe avec
Paris, a signé ces dernières an­ Lui, humble et réfléchi, ne se un groupe d’amis photographes,
nées quelques­unes des pochet­ considère pourtant pas comme réalisateurs, designers, architec­
tes d’album les plus originales du un artiste, au mieux comme « un tes d’intérieur au Garage, un lieu
rap francophone. Le designer gra­ régleur de problèmes visuels ». qu’ils transforment en bureaux
phique y tient : il « change d’uni­ Rægular a déjà développé en une rue Scipion, dans le 5e arrondisse­
vers à chaque projet ». Pour Geor­ brève carrière une identité forte. ment de Paris.
gio, il a élaboré récemment en Mais, tout en louant ce trait chez
complément de son opus Sacré ses modèles, il se défend d’être re­ Retour aux premières amours
(2021) un livre élégant et fourni. connaissable : « Je me suis toujours Le collectif de rappeurs 1995, intri­
Pour l’album Flip (2017), il s’est dit, que si j’avais un jour une patte, gué en passant devant ce « bordel
improvisé à la fois photographe et c’est que je tournerais en rond. » joyeux », fait appel à eux. « C’était
maquilleur de Lomepal. En cohé­ Des Arts déco, qu’il intègre le début de mon aventure dans la
rence avec le principe de compila­ après deux tentatives avortées en musique, totalement par hasard »,
tion, Alpha Wann lui a demandé étant sûr « à 99 % » de vouloir s’étonne encore Rægular. Quand
pour la Don Dada Mixtape vol. 1 opter pour le graphisme, il retient le rappeur Alpha Wann et le DJ et
(2020) un objet « pas cher, qui que son travail « dépend d’un producteur Hologram Lo’ quit­
puisse se passer de main en main ». commanditaire, qui indique s’il tent la formation pour fonder Pochettes d’album créées par Rægular.
A l’inverse de Nekfeu qui, pour Les aime ou pas le résultat. S’il n’aime leur label Don Dada, les deux De gauche à droite et de haut en bas : « Une
Etoiles vagabondes (2019), imagi­ pas, ma production n’existe pas. Je compères le convient à nouveau. main lave l’autre » (Alpha Wann), « Oxyz »
nait avec lui un format physique suis là pour répondre à des atten­ Après les premières mixtapes (Squeezie), « Jeannine » (Lomepal) et « Les
sophistiqué pour coller à la thé­ tes. » Alors qu’on vient chercher Alph Lauren, ils lui proposent de Etoiles vagabondes » (Nekfeu). RÆGULAR
matique cosmique de l’album. ceux qu’il admire précisément rejoindre en urgence la concep­
Depuis un peu plus de cinq ans, « parce qu’ils sont des artistes », tion de Cyborg, deuxième album
Rægular mélange les disciplines Samuel Lamidey veille avant tout studio de leur ancien acolyte Nek­ graphiste ne propose spontané­ simples et sincères dans leur capa­ gue d’une exposition sur le hip­
et modernise le registre éprouvé à donner « du sens aux images. Il feu, qui sera publié en 2016. ment ses services qu’une fois, à cité d’aimer sans intellectualiser. » hop prévue en décembre à la Phil­
de l’esthétique d’un disque. S’il se faut qu’il y ait un dialogue, une Samuel Lamidey a déjà croisé Némir, « parce que j’entends un Peut­être parce qu’elles nourris­ harmonie de Paris. En parallèle, il
souvient de « marqueurs » sur­ l’artiste parisien au Garage. Le­ jour qu’il cherche quelqu’un ». sent moins d’attentes sur les vi­ continue à dessiner des logos de
tout américains, avec des pochet­ quel se montre « si exigeant qu’il Aujourd’hui, Samuel Lamidey suels que dans d’autres genres, où marques, des visuels de restau­
tes comme celles d’Illmatic (1994), faut savoir s’adapter ». L’alchimie manque de temps. Il vient d’ache­ les artistes restent plus attentifs à rants. Mais, en 2022, Samuel La­
de Nas, du premier Wu­Tang Clan
« Je me suis opère. La pochette est révélée par ver l’esthétique « très ambitieuse » leur image. Sûrement, aussi, midey pense déménager à Rome.
ou de Doggystyle de Snoop Dogg toujours dit que, surprise lors d’un concert pari­ du prochain Disiz, mais voudrait parce que le rapport du graphiste Sa compagne photographie l’Ita­
(1993), le graphiste puise ses in­ sien à l’AccorHotels Arena de ne pas « s’enfermer » dans les mu­ au rap s’avère sentimental. lie, lui a des origines locales.
fluences plus loin. Ce passionné
si j’avais un jour Paris (ex­Palais omnisports de siques urbaines. S’il a déjà tenté Il reviendra à ses premières « Le Covid m’a décidé, dit­il. J’ai
« de musées, de cinéma et de musi­ une patte, c’est Paris­Bercy), le 1er décembre 2016. l’aventure du côté de la pop en amours à la fin de l’année, sous envie de me rafraîchir l’esprit, de
que » en général, entré sans le Puis placardée dans le métro. français (Les Forces contraires de une autre forme, confie ne pas découvrir une autre culture, une
vouloir dans le rap, s’inspire sur­
que je tournerais Pour Rægular, c’est un « change­ Terrenoire) ou de l’électro mon­ souhaiter non plus « s’enfermer autre façon de voir les choses. » Le
tout de graphistes qui touchent en rond » ment de dimension ». dialisée (Good Faith de Madeon), dans les pochettes ». Avec les graphiste l’admet soudain : il a
« à la culture au sens large ». Lomepal fait appel à lui, suivi il tempère : « Les personnalités moyens de la Réunion des mu­ « peur de tourner en rond ». C’est
SAMUEL LAMIDAY
Ainsi la structure Hipgnosis, col­ par Caballero & JeanJass, Kobo, dans le rap restent les plus agréa­ sées nationaux – « un savoir­faire peut­être, finalement, qu’il a
ALIAS RÆGULAR
laborateur historique du groupe Lord Esperanza, Squeezie, Di­ bles avec lesquelles travailler. Elles incroyable, le Graal », jubile­t­il –, trouvé sa patte. 
graphiste
britannique Pink Floyd, Peter Sa­ Meh… La déferlante est telle que le sont spontanées, enthousiastes, il façonne actuellement le catalo­ louis borel

Avec Alonzo en tête d’affiche, L’Orient et Flaubert à l’honneur


au Festival Berlioz de La Côte­Saint­André
Marsatac réussit son pari
En misant sur des artistes rap et locaux, le festival marseillais a réuni
ce week­end plus de 4 000 spectateurs par soir A près avoir rendu hommage, le
18 août, à Camille Saint­Saëns, à l’oc­
casion du centenaire de sa mort, le
Festival Berlioz, qui se tient jusqu’au 30 août à
La Côte­Saint­André (Isère), a profité d’une
la volupté, etc. (…) Moi, je l’ai ressenti différem­
ment. Ce que j’aime au contraire dans l’Orient,
c’est cette grandeur qui s’ignore et cette har­
monie de choses disparates. »

autre commémoration, celle du bicentenaire Scintillement des percussions


FESTIVAL tion complète, ou d’un test PCR
ou antigénique négatif de moins
Alonzo, né Kassim Djae, a
grandi, comme son cousin So­
de la naissance de Gustave Flaubert, pour pla­
cer sa programmation sous l’influence de
Mis en exergue dans la remarquable exposi­
tion « Les Orientales de Berlioz », accessible
marseille (bouches­du­rhône)
de soixante­douze heures. prano, dans les quartiers Nord de l’Orient, destination de rêve littéraire chérie gratuitement jusqu’au 31 décembre au Musée

M arsatac, qui s’est tenu


du 20 au 22 août à Mar­
seille, est l’un des gros
festivals de musiques urbaines de
l’été qui a réussi à maintenir son
Samedi, en dépit des manifes­
tations anti­passe sanitaire,
le public n’a pas boudé son plai­
sir, ce qui réjouissait Alonzo, tête
d’affiche du festival, poids lourd
Marseille où, samedi soir encore,
deux règlements de compte ont
tué trois personnes. Les six al­
bums solos de ce membre des
Psy 4 de la rime racontent le quoti­
par l’auteur de Salammbô.
Deux concerts invitaient au voyage sous ces
auspices, vendredi 20 août.
Le premier – un récital de
Hector­Berlioz de La Côte­Saint­André, ce
constat effectué en 1853 par Gustave Flaubert
résume le programme donné par l’Orchestre
national de Metz sous la direction démons­

édition malgré les restrictions du rap français avec ses collègues dien de son ancien quartier, énu­
AVEC « LE SONGE  piano dans l’église Saint­
André – avait trait à l’Espa­
trative de Constantin Trinks. Notamment
pour les échos des Trois contes, publiés par
liées à la pandémie de Covid­19. marseillais Jul, Soprano ou Soso mèrent les rêves de ce jeune père DE CLÉOPÂTRE »,  gne, où l’Orient a maintes l’écrivain en 1877. La Chasse fantastique, de
Avec le Demi­Festival à Sète, pro­ Maness. « Avec mon groupe, de famille, pris entre les histoires fois imprimé sa marque. Camille Erlanger (1863­1919), d’après La Lé­
grammé du 12 au 14 août, mais les Psy 4 de la rime, nous avons de ses copains et ses ambitions DE MEL BONIS, LA  Iberia, le cycle monumen­ gende de saint Julien l’Hospitalier, utilise les fi­
avec une jauge plus réduite de joué à la première édition de Mar­ d’artiste. La pochette de son troi­ tal d’Isaac Albéniz (1860­ celles de la musique descriptive sans jamais
1 000 spectateurs par soir, le ren­ satac, à l’Espace Julien [en 1999], sième album, Règlement de comp­
REINE D’ÉGYPTE  1909), en témoigne par accrocher l’oreille. Mieux écrite, l’évocation
dez­vous marseillais était l’un commente Alonzo, interrogé sa­ tes, montrait d’ailleurs la statue de NOUS APPARAÎT  quelques couleurs dans la de Salammbô par Florent Schmitt (1870­1958)
des rares événements à accueillir medi en coulisses. Ce soir, ce sera « la Bonne Mère » de Marseille, en peinture très personnelle règle une offensive de chars d’assaut avec une
des artistes rap – la plupart d’en­ mon premier concert en tant larmes, laissant tomber de ses DANS TOUTE  de plusieurs villes espa­ mécanique d’horlogerie, tandis que celle
tre eux ayant préféré déclarer for­ qu’artiste solo. L’an passé, avec le doigts des balles de Kalachnikov. gnoles : Séville, Malaga, d’Hérodiade par Jules Massenet (1842­1912)
fait dès la fin du printemps plutôt Covid, on n’a pas pu en donner. Je Samedi soir, sur la scène de Ma­ SA SPLENDEUR Grenade, Almeria… Jean­ s’apparente à un chromo un peu kitsch.
que de jouer devant un public ré­ suis ravi de retrouver la scène rastac, Alonzo a donné l’impres­ François Heisser ne les pré­ Il en va autrement avec Le Songe de Cléopâ­
duit pendant l’été. avec un festival si prestigieux, en sion d’être en récréation. Seul sur sente pas comme un guide de tour­opérateur tre, de la compositrice Mel Bonis (1858­1937). Le
Marsatac, qui a bouclé sa pro­ plus à la maison. J’ai hâte de faire le plateau avec son DJ, Spike mais comme un habitant des lieux enclin corps aux chairs frissonnantes, les poses lasci­
grammation fin juin et avait dé­ la fête avec ma ville. » Miller, il s’est contenté de rapper à partager son quotidien émerveillé. Sa perfor­ ves et même les parures rendues par le scin­
cidé de changer de date comme sur les disques de ses tubes, mance est « éclabouissante », si l’on peut user tillement des percussions : la reine d’Egypte
de lieu, passant du parc Chanot au Récréation La Belle Vie, La Seleção, On met les de ce néologisme pour rendre compte de l’effet nous apparaît dans toute sa splendeur. Mais
parc Borély, avait tout misé sur Après une première soirée ven­ voiles. Certes, il n’y a pas eu beau­ produit par le jaillissement de couleurs encore c’est avec la Cléopâtre de Berlioz, dans l’inter­
des artistes essentiellement rap dredi, avec le groupe pop L’Impé­ coup de concerts pour répéter ses fraîches sous l’éclairage d’un doigté expert. prétation poignante de la soprano Véronique
et locaux. Le pari était risqué, ratrice et le barbu de la musique prestations, mais un « backer » – Après un tel parcours, plus révélateur de Gens, qu’elle parvient à nous émouvoir.
mais a été relevé, avec plus de électronique, Sébastien Tellier, le le choriste qui accompagne les l’identité du compositeur que de son sujet, on « Grandeur qui s’ignore » et « harmonie de cho­
4 000 spectateurs par soir. public d’Alonzo a pu apprécier le rappeurs pour interpréter au sort un peu désorienté. Le concert d’orches­ ses disparates », Flaubert y aurait trouvé son
L’équipe du festival avait fait de décor. En début de soirée, le rap­ moins le couplet des featurings tre, le soir, au château Louis XI, va remettre le compte. La célébrissime Danse des sept voiles,
son mieux pour faciliter le trans­ peur parisien Sofiane ne man­ absents des versions instrumen­ cap dans la direction annoncée par le capi­ extraite de la Salomé de Richard Strauss, porte
port des festivaliers jusqu’au parc quait pas d’ailleurs de remercier tales des morceaux –, c’est quand taine Flaubert : « On a compris jusqu’à présent ensuite l’érotisme à son comble. 
Borély ou les motiver à prendre le les organisateurs de le faire jouer même le minimum requis pour l’Orient comme quelque chose de miroitant, pierre gervasoni
vélo. Il fallait présenter un passe dans l’écrin du parc Borély, le châ­ la scène d’un festival.  de hurlant, de passionné, de heurté. On n’y a vu
sanitaire attestant d’une vaccina­ teau en fond de scène. stéphanie binet que des bayadères et des sabres recourbés, (…) Festival Berlioz. Jusqu’au 30 août.
16 | télévision 0123
MARDI 24 AOÛT 2021

Neuf personnages en quête d’eux­mêmes NOTRE


SÉLECTION
Dans sa nouvelle création, David E. Kelley marche dans les pas de « Big Little Lies », sans en retrouver la profondeur MAR DI 24 AOÛT

OCS Choc
AMAZON PRIME VIDEO Des maux qui d’ordinaire se Thalasso
À LA DEMANDE traitent sur le divan d’un psy, 20.40 L’univers de Guillaume
MINI-SÉRIE mais que Masha, riche d’un passé Nicloux est souvent celui d’un calme
trouble qui l’a amenée à – littéra­ délire, où l’étrangeté, voire le

N
ine Perfect Strangers lement – renaître, promet de surnaturel des situations, installe
pourrait être au mois faire passer grâce à une curieuse un climat singulier. Ici, le duo Gérard
d’août ce que The médecine : un smoothie person­ Depardieu-Michel Houellebecq
White Lotus (sur OCS) nalisé, et qui ne contient pas tou­ confine au génie burlesque.
fut au mois de juillet. Soit deux jours que des fruits.
mini­séries estivales en ce qu’elles La cohabitation forcée de per­ France 4
propulsent un groupe de person­ sonnages fêlés – dans tous les Les Noces de Figaro au Théâtre
nages hors de l’espace et du temps. sens du terme –, engagés dans un des Champs-Elysées
The White Lotus dans une station protocole de soins étrange qui 21.05 La tentation est grande
balnéaire hawaïenne, Nine Perfect leur fait doucement perdre pied, de faire venir à l’opéra des cinéastes
Strangers dans une retraite à mi­ est le principal intérêt de Nine Per­ de renom. Certains y ont fait
chemin entre le spa et la cure de fect Strangers qui, pour le reste, des prodiges, d’autres s’y sont cassé
désintoxication. peine à captiver. Sous­employée, les dents. James Gray se mesure ici
David E. Kelley applique à cette affublée d’un drôle d’accent à Mozart d’après Beaumarchais.
mini­série en 8 épisodes une for­ russe, Nicole Kidman fait de son
mule proche de celle de Big Little mieux – mais pas plus – pour don­ France 2
Lies (les deux séries sont inspirées ner corps à une intrigue parallèle Françoise Dolto, au nom
de livres de l’autrice Liane Mo­ qui la confronte aux fantômes de de l’enfant
riarty). Les deux situent leur ac­ son passé et à ses liens sulfureux 23.10 Grâce à ses émissions sur
tion en Californie, bien qu’elles en avec un couple d’employés. France Inter, la pédopsychanalyste
donnent des versions différentes : Ce n’est pas qu’on s’ennuie, mais a fait beaucoup pour vulgariser
les paysages sauvages de Big Little Masha (Nicole Kidman) et Jessica (Samara Weaving), dans « Nine Perfect Strangers ». HULU la formule commence à s’user. Ce le fruit de quarante années de
Lies n’ont pas grand­chose de suspense qui n’en est pas vrai­ pratique thérapeutique fondée sur
commun avec la nature paradisia­ ment un, ces petits mystères dis­ l’écoute et la parole. Virginie Linhart
que, apaisante, montrée dans impressionnante de maîtrise, clé la difficulté, en tant qu’êtres hu­ flèche plantée dans leur dos. Jes­ tillés au gré de scènes inutiles, revient sur cette figure essentielle.
Nine Perfect Strangers (en réalité de voûte du propos puissamment mains, à vivre ensemble. Il est ici sica (Samara Weaving), instagram­ moins pour tenir en haleine le
tournée en Australie). féministe de la série. Elle campe ici question de la douleur de vivre meuse, et son très riche compa­ spectateur que pour le forcer à Amazon Prime Video
Les personnages qu’incarne Ni­ un gourou aux allures de sorcière avec soi­même. gnon viennent sauver leur couple, enchaîner sur l’épisode suivant. Modern Love (saison 2)
cole Kidman dans les deux séries moderne, liane blond platine tout la famille Marconi tente d’exorci­ Tout cela banalise considérable­ A la demande Conçue comme une
ont en revanche en commun de droit issue d’un roman de Tolkien, Cohabitation forcée ser la mort d’un fils, Frances (Me­ ment une série qui se veut pour­ collection de « nouvelles » littéraires
dissimuler, sous des apparences qui règne d’une main de fer sur un En ce sens, Nine Perfect Strangers lissa McCarthy) digère mal l’humi­ tant très premium.  filmées (à partir d’une chronique
soignées à l’extrême, de profondes centre de remise en forme au nom est aussi une série post­confine­ liation causée par le refus de son audrey fournier publiée par le New York Times), cette
blessures. Femme battue claque­ médicamenteux, Tranquillum. ment. Les neuf clients de Tranquil­ dernier roman, Tony (Bobby Can­ série émouvante et rafraîchissante
murée dans le déni, l’actrice livrait Il était d’une certaine façon lum s’y installent pour quelques navale) ne se remet pas de la fin de Nine Perfect Strangers, de David décline des variations sur les formes
dans Big Little Lies une partition question dans The White Lotus de jours dans l’espoir de décrocher la sa carrière sportive… E. Kelley. (EU, 2021, 8 x 45 min) amoureuses contemporaines.

Au cœur de Moscou, tout au long de l’année 1941


A travers des écrits intimes, une passionnante plongée dans le quotidien de la capitale soviétique convoitée par la Wehrmacht

ARTE personnels d’autant plus pré­ Car ces témoignages lus en voix des images avec, en fond sonore, dont des Allemands appréciant en bre, il fait − 26 degrés, la contre­
MARDI 24 - 20 H 50 cieux que le contexte de terreur off sont illustrés par des archives les voix douces ou sombres des connaisseurs les chars et les avi­ offensive est une réussite. Le
DOCUMENTAIRE qui régnait à l’époque a conduit d’une richesse étonnante. Images témoins, martiales ou nasillardes ons de l’Armée rouge. Le 22 mai, 15 décembre, le diplomate britan­
beaucoup de citoyens soviétiques de paix puis de préparatifs de des commentateurs de l’époque. le comte von der Schulenburg, nique Anthony Eden arrive dans

U ne jeune étudiante, un
lycéen, des artistes sovié­
tiques, un diplomate al­
lemand, une photographe améri­
caine. Qu’ont­ils en commun ? Ils
à les détruire, de crainte qu’ils ne
deviennent compromettants.
Des fêtes du début d’année
à l’invasion du pays par les trou­
pes allemandes en juin, des exa­
guerre, extraits de films soviéti­
ques des années 1920 et 1930,
d’actualités et de publicités, d’éco­
liers studieux ou d’étudiants sou­
riants. Avant les images de bom­
Alors que l’Europe est en feu
mais que la paix règne encore à
Moscou, entre janvier et juin, cha­
cun réagit de manière différente :
optimiste pour certains, fataliste
ambassadeur du Reich à Moscou
depuis 1934, envoie à son épouse :
« Nous nous attendons à ce que
la crise éclate fin juin… »
Au fil des défaites de juillet, août
la capitale. Le lendemain, il sort de
Moscou pour voir les traces de la
bataille. Dans la neige, cadavres
allemands, tanks détruits, ca­
mions éventrés. « J’ai vu de mes
ont vécu à Moscou en 1941. Et ont mens scolaires du printemps aux bardements et de cadavres gelés. pour d’autres. La guerre aura­t­ et septembre, certains pensent propres yeux l’armée allemande
consigné dans des carnets ou des alertes aériennes, des rencontres elle lieu ? Pas possible, pas ici… évacuer la ville. Le 16 octobre, c’est défaite ! » Moscou est sauvé. 
lettres leurs sentiments au cours sportives aux réunions politi­ Une date, un événement Au fil des semaines, l’inquiétude le chaos : métro fermé, pas de alain constant
d’une année commencée dans ques, de l’anodin au tragique, tout Le procédé employé dans ce docu­ grandit. Le 19 mai, une grande pa­ journaux. « Les gens ont honte »,
une certaine insouciance, pour­ ce qui s’est passé à Moscou entre mentaire est classique : une date, rade militaire se déroule sur la écrit un témoin. Début novem­ Moscou 1941. Les voix de la
suivie dans l’angoisse, et termi­ janvier et décembre 1941 prend un événement survenu ce jour place Rouge, en présence d’atta­ bre, les Allemands sont à 50 kilo­ mémoire, documentaire d’Artem
née dans l’espérance. Des écrits soudain forme. précis, le tout accompagné par chés militaires du monde entier, mètres du Kremlin. Début décem­ Demenok (All., 2021, 95 min).

0123 est édité par la Société éditrice


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tif. 5. Gel. Si. 6. En. Ruade. 7. Oté. Laredo. 8. Natte. Et. 9. Niai. Berné. En partenariat
avec

Ce journal est imprimé sur un papier UPM issu de forêts gérées


11. Chez Joe. Le Bâtard d’Orléans. durablement, porteur de l’Ecolabel européen sous le N°FI/37/001.
10. Artère. Ior (roi). 11. Gê. Délesta. 12. Espérances.
12. Après un bon passage de brosse. Eutrophisation : PTot = 0.009 kg/tonne de papier
0123
MARDI 24 AOÛT 2021 disparitions | 17

Louisette Texier
Pilote automobile
et résistante

L
ouisette Texier ne vou­ accostent à Marseille (Bouches­ Louisette
lait pas vieillir. Rien, du­Rhône) en 1924 puis s’instal­ Texier
d’ailleurs, ne la promet­ lent durablement au Raincy (Sei­ (au centre)
tait à une existence lon­ ne­Saint­Denis) en septem­ et Annie
gue de cent huit ans. C’est un par­ bre 1928. A cette date, selon un ar­ Soisbault,
cours hors du commun que le ticle du quotidien L’Intransigeant, lors d’un
destin lui a tracé, depuis sa nais­ on compte 250 orphelines dans ce rallye.
sance dans un village arménien qui deviendra l’école privée COLLECTION
de Turquie, à l’aube du génocide, franco­arménienne Tebrotzas­ FAMILLE TEXIER
aux routes des rallyes automobi­ sère, toujours en activité. Dans le
les du monde entier, en passant groupe, une autre jeune femme
par les cabarets de Paris et les dé­ promise à un avenir exceptionnel
dales de la Résistance. a fait le périple depuis Constanti­
Née Arpine Hovanessian le nople : une certaine Mélinée
18 février 1913, Louisette Texier est Soukémian, qui sera plus connue
morte discrètement le 20 juillet à sous le nom de son époux, Missak
La Romieu, dans le Gers. Discrète, Manouchian, résistant fusillé au
elle ne l’était pas vraiment, elle mont Valérien en 1944.
que ses copains pilotes surnom­ C’est à ce moment­là que Loui­
maient « le Bulldozer ». Sûre d’el­ sette prend son premier virage. A
le­même, fonceuse, indépen­ 15 ans, elle quitte le pensionnat
dante, aventurière, Louisette Ar­ « pour devenir danseuse dans les
pine n’a jamais pris le temps de cabarets parisiens et vivre sans
vieillir, trop occupée qu’elle était contrainte », comme elle le racon­
à défier cette vie qu’elle n’aurait tera à TV5 Monde en 2018. Elle qui Paris, on ne peut qu’y croire bien 18 FÉVRIER 1913 Naissance couvre ce qui deviendra la pas­ souriantes, euphoriques même.
jamais dû avoir. ne parle qu’un français hésitant volontiers. près de Bursa (Turquie) sion de sa vie : le sport automo­ Mais, si chic soit­il, rien n’arrête
Elle a à peine 2 ans quand son se produit à Montmartre et sem­ Les dix années suivantes pas­ 1924 Arrivée en France bile. En janvier, à 42 ans, elle le Bulldozer : à au moins cinq re­
père est pendu par les Turcs. Sa ble avoir du succès, vu le prestige sent comme une ligne droite : 1956 Participation à son prend le départ de son premier prises, Louisette prend le départ
mère, cherchant à protéger ses du photographe qui lui tire alors mariage, enfants, divorce. Elle qui premier rallye automobile Rallye Monte­Carlo avec Annie du Tour de France automobile et
deux filles des massacres perpé­ le portrait. n’a pas connu de famille et ne par­ et ouverture de sa première Soisbault, une sportive de haut de ses 6 060 kilomètres de par­
trés contre les Arméniens, les donnera jamais à sa mère de boutique niveau de vingt et un ans sa ca­ cours, se classant notamment
place dans un orphelinat d’Is­ « Marre des hommes » l’avoir, selon elle, abandonnée 1963 Deuxième au classe- dette, championne de France ju­ deuxième dans la catégorie tou­
tanbul fondé par une association Cette période reste floue jusqu’au n’élèvera pas ses deux fils – qui ment général du Tour nior de tennis et dont la devise est risme en 1963.
de femmes arméniennes. Quand sortir de la guerre. Il faut s’accro­ grandiront entre pension et fa­ de France automobile, « Au danger, mon plaisir ! ». Imagi­ Louisette s’épanouit au sein de
elles se retrouveront des dizaines cher aux documents et aux sou­ mille proche – et ne se remariera catégorie tourisme nez la paire ! cette famille choisie où elle prend
d’années plus tard, la mère expli­ venirs des descendants, faute de jamais. « J’ai préféré vivre pleine­ 20 JUILLET 2021 Mort à littéralement sa vie en main, dans
quera être revenue les chercher survivants. Sa carte des FFI (For­ ment, j’en ai eu marre des hom­ La Romieu (Gers) Un dernier rallye à 80 ans ce milieu amateur et convivial où
sans avoir pu les retrouver. ces françaises de l’intérieur), que mes ! », justifiait­elle auprès de « Nous résistions mieux que les les fêtes d’après­rallye durent
Comme souvent dans les trajec­ son fils William a retrouvée, at­ TV5 Monde. hommes, et notre coquetterie était toute la nuit. Toujours entourée
toires de réfugiés, le fil exact de teste de sa participation à la Résis­ 1956 marque un nouveau tour­ peut­être la meilleure des armes : de copains, elle cavale sans jamais
l’histoire est impossible à retra­ tance. Son filleul, qui se trouve nant. Forte des cours de couture nous faisions tout, avec ma coé­ freiner, se fait sponsoriser par Ja­
cer. Ce qui est sûr, car des docu­ être Ara Toranian, fondateur et ré­ dispensés à l’orphelinat, elle quipière Annie Soisbault, pour guar, collectionne les coupes (une
ments officiels en attestent, c’est dacteur en chef de Nouvelles d’Ar­ ouvre une boutique de vêtements prendre de l’avance. Le but : nous bonne trentaine), court à travers
qu’en 1922 l’association fait le ménie Magazine, se souvient sur l’avenue principale de arrêter un peu avant l’arrivée, nous le monde, en Russie, en Jordanie
choix de l’exil et emmène avoir connu la famille juive que Neuilly­sur­Seine, où elle est l’une remaquiller, nous recoiffer et arri­ ou encore au Kenya, pour son der­
90 filles à Salonique, en Grèce, Louisette aurait cachée pendant des premières à commercialiser ver aux contrôles horaires fraîches nier rallye, à… 80 ans. Inarrêtable,
dont Louisette et sa sœur, qui la guerre : « Elle n’agissait pas tant des jeans pour femmes. Elle en comme des roses ! », racontait Louisette Texier faisait encore des
poursuivra sa route en Bulgarie. par idéologie que par amitié. ouvrira trois autres, qu’elle gérera Louisette en 2018. tours de kart avec son petit­fils à
Grâce à l’obtention d’un visa col­ C’étaient ses copains et elle voulait avec succès jusqu’à ses 90 ans. Les photos de l’époque ne di­ 100 ans passés. Vivre vite, mourir
lectif, les femmes repartent deux les protéger. » Quant à sa partici­ Surtout, après une rencontre avec sent pas le contraire ; elles y appa­ vieux. 
ans plus tard vers la France : elles pation supposée à la libération de le pilote Georges Houel, elle dé­ raissent élégantes, apprêtées, hélène bekmezian

Raoul Cauvin Raoul

Scénariste de bande dessinée Cauvin.


VINCENT HOPER/
EDITIONS DUPUIS

P
lusieurs décennies du­ sieurs jours », expliquait­il, pour naut, en Belgique, voit son destin trois histoires longues du person­
rant, Raoul Cauvin fut le écrire un album de quarante­qua­ basculer, en 1968, grâce à… Lucky nage emblématique de la maison
scénariste « attitré » de tre pages, en particulier des Tuni­ Luke. Le cow­boy, « qui tire plus Dupuis, le groom Spirou, qui lui
l’hebdomadaire Spirou. ques bleues, sa série la plus emblé­ vite que son ombre », vient de vaudront un tombereau de criti­
Par « attitré », comprendre qu’il matique, lancée avec le dessina­ quitter l’hebdomadaire de Marci­ ques négatives.
animait plusieurs séries en teur Louis Salvérius, en 1968, puis nelle pour poursuivre ses aventu­ Cauvin en fait­il alors trop ?
même temps, lesquelles occu­ reprise par Willy Lambil, en 1973, res chez le concurrent, Pilote. En 1984, le scénariste à mousta­
paient, certaines semaines, plus à la mort du premier, en 1972. Il faut alors une autre série wes­ ches est invité à monter à la tri­
de la moitié des pages du maga­ Adulé par plusieurs générations tern à Spirou. Cauvin imagine bune du Festival d’Angoulême
zine des éditions Dupuis. de lecteurs, pas toujours aimé de des soldats de l’armée nordiste pour recevoir un prix attribué à
« Stakhanoviste du gag », « M. Scé­ la critique et décrié par une partie pendant la guerre de Sécession : Peyo, le créateur des Schtroum­
nario », « L’homme aux 50 mil­ du milieu de la bande dessinée in­ portées par un humour de situa­ pfs, absent ce jour­là. Le public,
lions d’albums vendus »… les sur­ dépendante, qui lui reprochait tion particulièrement rodé (et composé majoritairement
noms n’ont jamais manqué pour d’utiliser les mêmes recettes, parfois usé jusqu’à la corde), Les d’auteurs et de professionnels, le
décrire l’activité du plus prolifi­ Raoul Cauvin développa un style Tuniques bleues vont développer, hue sur­le­champ. « De retour en
que auteur que la bande dessinée unique, dont la mécanique repo­ au sein même d’un journal pour Belgique, j’ai dit à Peyo : “La pro­
franco­belge ait connu. sait immanquablement sur une enfants, le thème de l’horreur de chaine fois, tu iras le chercher tout
Créateur, entre autres, des Tuni­ chute ou sur un bon mot. Au plus la guerre et celui de l’antimilita­ seul, ton prix” », confia­t­il au
ques bleues, de L’Agent 212 et de fort de son activité, dans les an­ risme, à travers le personnage de « Monde Magazine » en 2010.
Pierre Tombal, Raoul Cauvin est nées 1980, il animera jusqu’à Blutch, un déserteur patenté ne « Les “gros nez” [marque de fabri­
mort, jeudi 19 août, à l’âge de douze séries en même temps. Un parvenant jamais à ses fins. Cet que de la BD franco­belge] ont
82 ans, d’un cancer incurable record. anti­héros marquera de très toujours été rejetés par l’intelli­
dont il avait annoncé l’existence il nombreux lecteurs, notamment gentsia française. Cela tient de
y a trois mois. A l’ombre des géants un certain Christian Hincker, qui l’acharnement. Je n’y vois qu’une
Encouragé, au milieu des an­ Une sacrée revanche pour celui, adoptera le sobriquet de Blutch explication : le nombrilisme pari­
nées 1960, par l’éditeur Charles ancien lithographe de formation, avant de se lancer dans une 26 SEPTEMBRE 1938 Nais- entre scénariste et dessinateur), sien », disait­il alors également.
Dupuis à écrire des minirécits dont la carrière, au sein de Spirou, (brillante) carrière d’auteur de sances à Antoing (Belgique) Boulouloum et Guiliguili, avec Ma­ Après avoir annoncé, en 2019,
pour Spirou, le scénariste avait débuta à l’ombre des géants de bande dessinée. 1960 Entre aux éditions zel, Les Grandes Amours contra­ qu’il abandonnait Les Tuniques
mis au point un procédé créatif l’époque (Franquin, Roba, Will, Dès le début des années 1970, la Dupuis riées, avec Philippe Bercovici bleues, dont il estimait avoir fait
unique qui lui permettait de sau­ Tillieux, etc.), d’abord par des mé­ production de Raoul Cauvin s’ac­ 1968 « Les Tuniques bleues » (avec qui il lancera plus tard Les le tour, Raoul Cauvin avait écrit
ter d’une série à l’autre, d’en ima­ tiers annexes, comme dessina­ célère. Le scénariste paraît insa­ avec Louis Salvérius (puis Femmes en blanc), Pierre Tombal, un ultime scénario, le 64e de la sé­
giner plusieurs nouvelles chaque teur de grilles de mots croisés, let­ tiable. Il crée Mirliton, avec Ray­ Willy Lambil à partir de 1972) avec Marc Hardy, Cédric, avec Lau­ rie, Où est donc Arabesque ? (du
année et de faire vivre un nombre treur ou cameraman pour le stu­ mond Macherot, Sammy, avec 1986 « Les Femmes en dec, Cupidon, avec Malik, Les Psy, nom de la jument de Blutch qui
important de dessinateurs. Son dio d’animation créé par Dupuis. Berck, Le Vieux Bleu, avec François blanc » (avec Bercovici), avec Bédu… s’écroule et fait la morte dès
secret résidait dans son divan. Après quelques scénarios desti­ Walthéry, L’Agent 212, avec Daniel « Pierre Tombal » (avec Polar, western, chronique ani­ qu’elle entend un coup de feu).
Cauvin pouvait y rester trois ou nés à des dessinateurs maison Kox, Godaille et Godasse, avec Jac­ Hardy) et « Cédric » (avec malière, épopée napoléonienne… Dessiné par le fidèle Lambil, il
quatre heures de suite avant que (dont une débutante appelée ques Sandron, Pauvre Lampil, Laudec) rien ne l’arrête, même si tout ne sortira d’ici à la fin de l’année
ne surgisse le gag, dans le cas Claire Bretécher), le natif d’An­ avec Willy Lambil (sa série la plus 1992 « Les Psy » (avec Bédu) sera pas que succès. En 1980, avec 2021. 
d’une histoire courte, voire « plu­ toing, dans la province de Hai­ réussie, racontant les relations 19 AOÛT 2021 Mort le dessinateur Nic, il signe ainsi frédéric potet
18 | carnet 0123
MARDI 24 AOÛT 2021

Sylvie Peureux et Fabrice Denys, Nous avons le chagrin d’annoncer François et Nicole du Temple de Brigitte Vejdovsky,
ses enfants, la mort de Rougemont, son épouse,
Fabienne Elgrably, son frère et sa belle-sœur, Olivier,
Claude HUDELOT, Anne du Temple de Rougemont,
Le Carnet sa compagne, son fils
en vente Jérôme Peureux,
sa sœur,
Éric et Françoise Deschodt, et son épouse, Laurence,
actuellement son gendre, à Bali, le 15 août de cette année. son beau-frère et sa belle-sœur Vincent,
Adrienne Cadiot, et leurs enfants, son fils,
Vous pouvez nous faire parvenir Chers artistes qu’il a eu le bonheur Guy et Carole de Durfort,
sa belle-fille,
K En kiosque vos textes soit par e-mail : Benjamin et Sally, Sarah, Sanya,
de rencontrer et d’honorer, chères Béatrice de Durfort, Frédéric,
son fils
institutions culturelles qu’il a eu le Jean et Benita de Durfort,
carnet@mpublicite.fr Esther, privilège de servir en tant que Jean-Baptiste et Laure de Proyart, et son épouse, Laurence,
HORS-SÉRIE (en précisant impérativement ses petits-enfants, directeur et attaché culturel, chers Laurent et Sophie du Temple de Antoine, Charlotte, Nicolas et
votre numéro de téléphone et Aurélien et Théa Chauvaud, Rougemont,
collègues, amies et amis, compagnes Maxime et Garance Chinchilla, Matthieu,
INCLUS de A à Z
votre éventuel numéro d’abonné fils et petite-fille de Fabienne, et compagnons de route en France, ses petits-enfants,
«La bataille du riz»
l’album complet ses neveux et nièces
ou de membre de la SDL) Sa famille, en Chine et au Japon ; nous tenons à et leurs enfants,
Ses amis de toujours, de l’aube de vous remercier en son nom, d’avoir ont la tristesse de faire part du décès,
soit sur le site : la Libération jusqu’à aujourd’hui, enchanté sa vie. ont la tristesse de faire part du décès de survenu le 17 août 2021, à Saint-Malo,
https://carnet.lemonde.fr Ses anciens élèves,
de
Margo, Guy
L’équipe du Carnet reviendra vers du TEMPLE de ROUGEMEONT,
ans son épouse,

75 de Far West
numéro sont très émus d’annoncer l’envol de « Rougemont »,
anniversair
e
vous dans les meilleurs délais Cléa, Nadia, et Victor, Michel VEJDOVSKY,
artiste, ingénieur civil
pour vous confirmer la parution. Ivan DENYS, ses enfants, membre
Valentin et Marie, de l’Académie des beaux-arts des ponts et chaussées
né le 13 décembre 1926,
Hors-série ses petits-enfants. commandeur promotion 1959.
carnet@mpublicite.fr professeur de chaire supérieure,
dans l’ordre des Arts et des Lettres,
https://carnet.lemonde.fr agrégé de lettres classiques, Lyon. La Fouly. survenu le 19 août 2021.
La cérémonie aura lieu le samedi
HORS-SÉRIE médaillé de la Résistance, 28 août, à 10 h 30, au crématorium
Monique Lucien-Brun, La cérémonie religieuse se tiendra de Cannes.
AU CARNET DU «MONDE» enseignant passionné,
Aragon-Triolet
Balzac
Chateaubriand

Bénédicte dans l’intimité le mercredi 25 août,


Cocteau

amoureux des arts,


Colette
Dumas

à 9 h 30, en l’église Saint-Sauveur de


Giono
Hugo
et son fils Zéphyr, Cet avis tient lieu de faire-part.
80 sans relâche curieux
Loti

Marsillargues (Hérault).
Mallarmé

Décès Pierre et Isabel


Mauriac
Proust

et profondément humaniste,
Saint-Exupéry

MAISONS
Sand…

et leurs enfants, Chloé, Côme, Gaspard, 5, rue Dante,


D’ÉCRIVAINS éternel épris de Paris, Une messe sera célébrée
Marseille. Cassis. Hector ainsi que May,
pour l’été —
ultérieurement à Paris. 06000 Nice.
Stéphanie,
Elisabeth Cayol-Albaranes, le samedi 14 août 2021 au matin, avec Emmanuelle et Nicolas 112, rue de la Tombe-Issoire,
son épouse, le soleil naissant. et leurs enfants, Marie et Thomas, 75014 Paris. Anniversaire de décès
Julien, François et Mathias,
ses fils Toute sa famille tient à saluer ont la tristesse de faire part du décès Le 24 août 2020,
Hors-série et leurs conjointes, l’extrême bienveillance et le savoir- de
M. Alain Charles Perrot,
président,
Pierre et Manon, faire de l’équipe du docteur Intza M. Laurent Petitgirard, Olivier JUILLARD
ses petits-enfants, Hernandorena à l’hôpital Broca, Henry LUCIEN-BRUN, secrétaire perpétuel,
Sauver 0123 avocat honoraire,
HORS-SÉRIE JEUX
Ses belles-sœurs et beaux-frères à Paris. Et les membres de l’Académie des nous quittait.
la planète Et toute la famille, beaux-arts,
en jouant avec
le Petit Prince La cérémonie aura lieu le jeudi survenu à La Fouly (Suisse).
ont la tristesse de faire part du décès La douleur est toujours brûlante.
ont la douleur de faire part du décès 26 août, à 15 h 30, en la salle de la
Une cérémonie religieuse sera de leur confrère,
du Coupole du crématorium du cimetière
du Père-Lachaise, Paris 20e.
célébrée le 26 août 2021, à 14 heures, Hommage
docteur en l’Abbaye Saint-Martin d’Ainay. Guy de ROUGEMONT,
Robert ALBARANES, Ni fleurs ni couronnes. membre
psychiatre, psychanalyste, famillelucienbrun@mailo.com de la sectionde Peinture Aline PRITCHARD CAMINADE
de l’Académie des beaux-arts,
Des dons peuvent être adressés à membre de l’Institut,
survenu le 14 juillet 2021, La direction nous a quittés le 13 juillet 2021.
l’Institut Curie et aux Petits Frères commandeur
Hors-série à l’âge de quatre-vingt-dix ans. des Pauvres. Et ses collègues dans l’ordre des Arts et des Lettres,
de la Maison des Sciences de l’Homme Nous serions heureux de vous
François Albaranes, « Mondes », à Nanterre, retrouver le samedi 28 août, à
denys.fabrice@gmail.com
Collections
8, rue Lacépède, survenu le mercredi 18 août 2021, 11 heures devant la tombe de Denise
13004 Marseille. à l’âge de quatre-vingt-six ans. Caminade, au cimetière de Créteil,
ont la tristesse de faire part du décès
Bénédicte et Luc Dumont, pour honorer sa mémoire.
de Ses obsèques auront lieu le mercredi
ses enfants
PRÉSENTE Toulon (Var). 25 août, à 9 h 30, en l’église Saint-
et leurs familles, Julien Pritchard, Elizabeth, Françoise
Sauveur à Marsillargues (Hérault).
Mme Liliane Cauden, Marie-Thérèse, sœur Myriam, Jean- et Odile Caminade.
Bernard, Élisabeth, Evelyne SINIGAGLIA,
son épouse, Une messe sera célébrée à Paris
son frère et ses sœurs, ingénieure de recherche du CNRS, ultérieurement. Merci de confirmer votre présence
Isabelle Cauden,
sa fille, par mail à :
Alexandra Criquet, ont la profonde tristesse de faire part Cet avis tient lieu de faire-part.
Diane Criquet, du décès de survenu, à Paris, le 7 août 2021. (Le Monde du 23 août.) francoise.caminade4@gmail.com
ses petites-filles,
Jean-Louis et Maryse Cauden, Céline DUMONT,
son frère et sa belle-sœur née RUGGIERI,
Ainsi que toute la famille,
VICTOR,
DE LA BRIGADE MONDAINE
par Maurice Leblanc
ont la tristesse de faire part du décès, survenu le 19 août 2021.
survenu le 18 août 2021, à l’âge de
quatre-vingt-trois ans, de Une cérémonie religieuse sera
Dès mercredi 25 août, célébrée le 24 août, à 15 heures, en
le volume n° 20 VICTOR, M. Joël CAUDEN, l’église Saint-Merry, 78, rue Saint-
DE LA BRIGADE MONDAINE administrateur civil honoraire, Martin, Paris 4e.

domicilié à Toulon. Ni fleurs ni couronnes.


AU CŒUR DE LA MYTHOLOGIE

La grande encyclopédie de référence


Les obsèques seront célébrées
le jeudi 26 août, à 14 h 30, en la
paroisse de l’Immaculée-Conception,
Merci de les remplacer par un don
au profit du monastère de la Bonne-
Nouvelle de Bouaké (Côte d’Ivoire).
Le journal papier livré chez
vous et le numérique
La Loubière, 226, boulevard Georges-
Richard, à Toulon.
https ://lydia-app.com/
collect/55947-celine/fr
Frédérique Lalo,
Arnaud Roujou de Boubée (†),
Benoit Roujou de Boubée, Saint-Denis.
ses neveux, Montbrun (Lozère).
leurs conjoints
et leurs enfants, Frédéric et Christophe,
ses fils,
ont l’immense tristesse de faire-part Luana, Mathieu, Alejandro, Marion,
Actuellement en vente, du décès de Maia et Noa,
le volume n° 11 ses petits-enfants,
Marie-Edith Françoise, Catherine et Martine,
LA GUERRE DE TROIE CLAUDE-SAGLIO,
ses sœurs
survenu le 16 août 2021. et leurs familles,

La cérémonie religieuse sera ont l’immense tristesse de faire part


HISTOIRE de FRANCE
LE CHEF-D’ŒUVRE DE JULES MICHELET
célébrée le jeudi 26 août, à 10 h 30, du décès de
en l’église Saint-Lambert, Paris 15e.
Mme Anik GIRARD,
Nous avons la douleur de faire née GLOBA-MIKHAILENKO,
part du décès de docteur vétérinaire
(Maisons-Alfort 1959),
M. Henri COULOMB,
cardiologue, survenu le 13 août 2021,
à l’âge de quatre-vingt-cinq ans.
survenu le jeudi 12 août 2021,
à l’âge de soixante-seize ans, Une cérémonie civile a lieu ce
des suites d’une longue maladie. mardi 24 août, à 14 heures, au

Dès jeudi 26 août, La cérémonie aura lieu dans la


crématorium du cimetière des
Joncherolles, à Villetaneuse.
Abonnez-vous en ligne sur :
plus stricte intimité.
le volume n° 13 promo.lemonde.fr/quotidien-numerique-3-mois
CHARLES V De la part de Cet avis tient lieu de faire-part.

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Conseil de surveillance Jean-Louis Beffa, président, Sébastien Carganico, vice-président
0123
MARDI 24 AOÛT 2021 | 19

JÉRÔME DUBOIS

L’
idée, je l’ai eue un soir, experts et les sondeurs se rejoi­
alors que nous venions gnaient dans un même pronostic : la
de terminer l’enregis­ déferlante tant redoutée serait, cette
trement d’une vidéo. fois, inévitable. Au sein du parti
Il y a des mots qu’il annoncé si sûrement vainqueur, la
faut préserver du grand tante avait dû s’incliner devant la
air, de l’oxydation, qu’il faut nièce. La nièce était blonde, jeune et
apprivoiser dans la plus stricte inti­ vive, elle maîtrisait les outils et
mité. Celui qui m’est venu ce soir­là, jouissait d’un redoutable capital de
tandis que je regardais Léo, son sympathie. Après une éclipse de
aisance, son aura, tandis que j’écoutais quelques années, elle venait de faire
ses paroles, cette fluidité rare qui ja­ un come­back médiatique d’une rare
mais ne rencontre l’obstacle, et la fré­ ampleur. Sans aucun doute
quence sourde de sa voix, reconnais­ l’emporterait­elle là où la tante, à
sable entre mille, ce mot qui m’est plusieurs reprises, avait échoué.
venu comme la vision d’avenir D’autant que les Français dans leur
foudroie la voyante, je ne l’ai pas ensemble semblaient entrés dans
prononcé. Ce soir­là, j’ai regardé Léo une forme de dissidence électorale
en silence et je me suis dit : « Le consistant à se retirer du jeu.
charisme, à ce point, ce n’est pas un L’idée, donc, je l’ai eue un soir, mais
don, c’est un miracle. » Bien sûr que j’ai attendu le lendemain pour en
j’étais amoureux de lui. Mais ça, c’est parler à Léo. Je me suis assis en face
une autre histoire, et celle­là, je savais de lui et je lui ai dit : « Tu vas te présen­
qu’elle n’aurait jamais lieu. ter à l’élection présidentielle. » Il
Léo avait lancé sa chaîne YouTube à m’écoutait avec une attention
l’âge de 15 ans, d’abord axée sur les inhabituelle, j’ai poursuivi.
jeux vidéo et les contenus humoristi­ « Ils sont venus sur notre terrain,
ques. Des formats assez simples dans dans notre cour. Ils ont voulu nous
lesquels, face à la rencontrer, être des nôtres, faire
caméra, il enchaî­ comme nous. Ils ont adopté nos codes,
nait les blagues, nos gimmicks, notre langage. De là à
« Bref, le CSA commentait l’actua­ penser que nous pouvons faire comme
a lâché l’affaire lité du Net et parta­
geait avec sa
eux… Réfléchis. Nous n’avons besoin de
rien, nous avons tout entre les mains.
et la politique communauté ses L’audience, l’argent, l’amour. Depuis
singulières considé­ dix ans, tu es le grand frère, l’ami, le
a inventé rations sur la vie. modèle, l’emblème de toute une
sa propre Mais le vrai succès
est venu plus tard,
génération. Alors pourquoi pas
l’homme providentiel ? »
télé-réalité » quand je l’ai rejoint, Léo est parti dans un grand éclat de
et que nous avons rire. Sans lâcher mon regard une
inventé ensemble seconde, comme s’il y cherchait la
les rubriques devenues cultes : « La confirmation des propos insensés
bamboche, c’est pas pour demain », qu’il venait d’entendre, il a ri pendant
« Philo debout », « La question qui tue un temps qui m’a semblé intermina­
(et sa réponse) ». Clips, fausses inter­ ble. Et puis, quand le rire s’est éteint, il
views, confessions intimes revisitées m’a dit : « D’accord. »
en parodies, chacune de nos vidéos
était un événement. Si j’avais dû l’ex­ LE SOUTIEN DE KIM KARDASHIAN
pliquer, j’aurais admis que le succès NOUVELLES D’ÉCRIVAINES 1 | 6 La nuit suivante, nous avons tourné la
de Léo reposait avant tout sur la cou­
leur de ses yeux, d’un vert d’eau
« Le Monde » a proposé vidéo qui annonçait sa candidature.
La promesse tenait en quelques mots.
translucide, littéralement hypnoti­ à six écrivaines de rédiger Un mouvement, une envie, une

une nouvelle de fiction


que, et sur son sourire à tomber par révolte… Un élan plus qu’un contenu.
terre. En outre, étant pourtant entré Le programme, on verrait plus tard.
dans l’âge adulte comme un animal
récalcitrant dans un sac de voyage, et
à partir du mot En quelques heures, la vidéo a fait dix
millions de vues… et le tour du
à l’aube d’une période bien peu pro­
Delphine de Vigan.
« politique ». Delphine monde. Dans les jours qui ont suivi,

de Vigan a pris la plume


metteuse pour les gens de notre gé­ nous avons obtenu le soutien des plus
nération, Léo avait su préserver son ULF ANDERSEN/AURIMAGES/AP grandes figures de YouTube : les
humeur goguenarde. Il avait besoin gameurs, les bimbos, les beaux gos­
de moi pour le cadre, les grandes ses, les humoristes, les philosophes,
idées, la comptabilité, mais pouvait les vulgarisateurs, les décrypteurs, les

La nièce
partir dans des monologues de vingt pionniers devenus vétérans, bien vite
minutes sans que personne ne décro­ rejoints par les influenceurs et in­
che. Ses improvisations étaient deve­ fluenceuses d’Instagram. Ce n’était
nues légendaires. plus un mouvement, c’était une
marée. Il ne s’agissait pas seulement

et le youtubeur
CHAUSSE-TRAPPE des jeunes. Toutes les générations
Léo palabre, donc, c’était nous. Moi semblaient soudain concernées. Des
dans l’ombre et lui dans la lumière. chaînes de jardinage, de bricolage, de
Une histoire commencée dans sa pâtisserie, de yoga, de mères au foyer,
chambre d’adolescent qui avait pris de grands­parents actifs, de retraités
des proportions inattendues : dix joyeux, de retraités déprimés, se sont
millions d’abonnés, deux chaînes mises à relayer la vidéo et à appeler au
YouTube, des stories Instagram qui soutien. Pour la première fois, les
battaient des records d’audience et, au multiplié leurs apparitions sur Twitch, jeune et brillante community mana­ résonance. Libérés des trouble­fêtes et communautés s’additionnaient.
bout du compte, plusieurs milliards Snapchat ou Instagram, lancé des geuse – la première à formaliser de des contradicteurs, les politiques se Quelques jours plus tard, alors que
de vues par an. Nous n’aimions pas la défis, chanté des chansons, participé à nouvelles stratégies digitales inspi­ filmaient désormais eux­mêmes, le Kim Kardashian (223 millions d’abon­
politique. Mais, peu à peu, la politique des concours d’anecdotes. Parfois, rées de l’étranger –, la communication téléphone à bout de bras. Les nés) venait de nous adresser ses
est venue à nous. Elle s’est délocalisée. tandis qu’ils regardaient la caméra politique sur les réseaux sociaux s’est principes étaient néanmoins l’objet encouragements et que la presse
Au début des années 2020, des pour créer de la proximité et donner le affinée. Terminé la multiplication des d’interprétations diverses. Ainsi pariait sur une stratégie 100 % digitale
membres du gouvernement, des élus sentiment de parler à chacun, une comptes sur toutes les plates­formes a­t­on pu découvrir : une ministre de (avec cagnotte de levée de fonds en
et quelques leaders de l’opposition ont pluie de petits fantômes, de cœurs ou et les tweets aux formules cent fois ré­ la culture en chemise de nuit, une ligne), tous les sondages donnaient
multiplié leurs apparitions sur les ré­ d’étoiles se dispersaient sur l’écran. Ils pétées, ne servant qu’à reprendre ce députée de la majorité en randonnée Léo présent au second tour. Comme
seaux sociaux. Au­delà de leurs comp­ étaient devenus des produits comme que tout le monde savait déjà. Il fallait pédestre dans « les territoires », un une farce post­adolescente qui aurait
tes Facebook ou Twitter, générale­ les autres, qu’il fallait placer. Notam­ inverser le processus. Créer le buzz sur membre de l’opposition à la réunion basculé dans une réalité augmentée
ment gérés par des communicants, ils ment auprès des influenceurs, leaders les réseaux, miser sur le contact direct. parents­profs de sa fille, un candidat ou un scénario de science­fiction, ou
ont tenté avec plus ou moins de succès d’opinion de l’ère numérique, avec Se concentrer sur un ou deux canaux écologiste partageant sa nouvelle comme le symptôme désormais
− et une certaine indifférence au senti­ lesquels il importait manifestement et poster des contenus exclusifs. Il fal­ routine matinale (céréales, curcuma incontournable d’une époque où le
ment de ridicule − de se rapprocher d’entretenir un commerce agréable. lait adopter les codes des influenceurs et graines de chia) et le porte­parole du virtuel dictait ses propres règles, il
des stars du Net. Humoristes, you­ La frontière entre le politique et le eux­mêmes, construire sa propre gouvernement sortant du grand bain nous fallait bien admettre le pronos­
tubeuses beauté, coachs sportifs, ou divertissement n’avait jamais été communauté, s’adresser directement après ses cinquante longueurs tic : face à la nièce conquérante, Léo
enfants influenceurs exploités depuis aussi poreuse et un animateur de à ses abonnés, donner à voir les coulis­ quotidiennes. Le langage était simple, était le seul à pouvoir l’emporter.
leur plus jeune âge par leurs parents show télévisé avait même mené le dé­ ses et l’envers du décor. Incarner. Se li­ direct, voire familier. Les live se Et la question qui faisait ce matin­là
(quand bien même une loi venait bat de l’entre­deux­tours. vrer régulièrement à des face caméra multipliaient, le concept « une jour­ la « une » d’un grand quotidien n’allait
d’être votée pour tenter d’encadrer ces Un jour, Léo m’a demandé : « Les – sans filtre, sans intermédiaire −, née avec » rencontrait un succès pas finir de nous hanter : la nièce ou le
activités) étaient devenus des interlo­ réseaux sociaux, tu dirais que c’est prendre le risque du faux pas, de la spectaculaire. Bref, le CSA a lâché youtubeur ? 
cuteurs de premier choix. Il fallait l’apogée de la démocratie ou la fin de la vulnérabilité. Partager son quotidien l’affaire et la politique a inventé sa delphine de vigan
faire feu de tout « like ». civilisation ? » Et puis il a éclaté de rire, en mode selfie, assumer le geste qui propre télé­réalité.
En outre, ces nouveaux contenus comme il savait si bien le faire pour tremble, l’artisanal. Etre proche. Etre Une nouvelle élection présiden­ Dernier livre paru « Les enfants sont
avaient le mérite de ne pas être pris en déloger de la conversation la chausse­ vrai. tielle approchait, dont le principal rois » (Gallimard, 352 pages, 20 €).
compte dans le temps de parole con­ trappe qu’il venait lui­même d’y Les médias traditionnels, à l’affût de enjeu consistait, de nouveau, à
trôlé par le CSA. A l’approche de la pré­ glisser. Dans les années qui ont suivi, ces nouveaux contenus, ne seraient contrer l’Extrême Menace. Au début Prochain article « Les relations
sidentielle de 2022, les politiques ont notamment sous l’influence d’une bientôt plus qu’une caisse de de l’année 2027, les observateurs, les toxiques », par Belinda Cannone
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20 | MARDI 24 AOÛT 2021

NOS OUBLIÉES 1 | 6 
Ces Françaises d’autrefois,
aux destins exceptionnels, n’ont
eu droit qu’à de brefs hommages
à leur mort. Retour sur une
héroïne des deux guerres
mondiales, qui fut élevée au rang
de Compagnon de la Libération

Emilienne Moreau,
la « Jeanne d’Arc »
du Pas-de-Calais
S
ur les images qui crachotent en Le moral des troupes fléchit face à la contre­
noir et blanc, une jeune femme offensive allemande ? Elle ravive le courage
aux longues tresses de cheveux des soldats en chantant une Marseillaise – on
clairs s’émeut de l’emprisonne­ ne l’entend pas puisque le film est muet,
ment d’un soldat anglais. Nous mais c’est écrit sur les intertitres. Dans un ul­
sommes en 1915, et la guerre dé­ time acte de courage, la jeune femme se sai­
chire l’Europe. Les Allemands accusent sit d’un drapeau tricolore et, dans la pous­
l’homme d’être un espion, il ne lui reste que sière des bombes et des balles, court vers les
quelques heures à vivre avant d’être exé­ lignes ennemies, entraînant avec elle des
cuté. Emilienne, c’est l’héroïne aux longues soldats revigorés vers la victoire finale. Un
tresses, va plaider sa cause devant un offi­ intertitre, et Emilienne apparaît sous nos
cier allemand et, prenant des risques insen­ yeux pour recevoir la croix de guerre devant
sés, lui subtilise la clé de la prison, son uni­ des militaires alignés au garde­à­vous.
forme et son casque à pointe, puis parvient à
libérer le jeune homme. Plus tard, les ima­ « COURAGE EXCEPTIONNEL »
ges crachotent toujours autant, sous la mi­ Il ne reste malheureusement que vingt­huit
traille cette fois­ci, la jeune fille prodigue des minutes du film initial, retrouvées dans les
soins aux blessés, bondissant d’un homme archives du National Film and Sound Ar­
à un autre, malgré le danger et les balles. chive of Australia (NFSA). The Joan of Arc of
Armée d’un pistolet et de son sang­froid, Loos (« la Jeanne d’Arc de Loos »), réalisé
elle tue deux snipers embusqués dans une en 1916 par un cinéaste australien, George non signée, page 26, en bas à droite, entre l’un d’eux. Enseignant dans un collège voi­
maison. On la voit ensuite jeter des grena­ Willoughby, dans un village reconstitué sur une publicité pour le « marketing scientifi­ sin, il habite un pavillon à Loos, acheté avec
des, comme on lancerait maladroitement une plage des environs de Sydney, rend hom­ que » et une annonce pour un placement les économies familiales il y a trente ans.
un ballon avec la seule force de son avant­ mage au courage extraordinaire d’une Fran­ promettant un « taux d’intérêt de 9,8 % net Dans son potager, qu’il retourne avec l’es­
bras, pour déloger et tuer trois autres militai­ çaise de 17 ans, quelques mois plus tôt, dans d’impôt ». Difficile de faire plus court. Le ré­ poir de faire pousser des tomates, il avait
res qui avaient eu la lâcheté de se dissimuler les faubourgs de Loos (Pas­de­Calais), au dacteur anonyme a précisé l’adresse où la trouvé des balles et des obus, conservés dans
dans un bosquet pour viser leurs ennemis. cours de la bataille du même nom entre Alle­ vieille dame de 73 ans vient de mourir. son garage, faisant naître sa passion pour
mands et bataillons de la reine d’Angleterre. « Mme Emilienne Moreau, dernière femme l’histoire de la commune détruite par les com­
Hormis l’intervention incongrue d’un compagnon de la Libération, est décédée ce bats acharnés entre Anglais et Allemands, qui
ange, les scènes du film racontent l’histoire mardi matin 5 janvier à son domicile 89, rue tenaient le verrou de Lens, notamment la
d’Emilienne Moreau, 17 ans, née en 1898, à Etienne­Flament, à Lens. » Suivent quelques gare, terriblement importante. La bataille de
Wingles, une ville ouvrière du Pas­de­Calais, lignes retraçant son parcours. septembre 1915, en particulier, fut épouvanta­
héroïne de la première guerre mondiale. A bien y regarder, l’oubli est beaucoup plus ble : 15 000 Britanniques tués, 35 000 blessés
De fait, son destin a de quoi fasciner. Car large : hormis dans les Hauts­de­France, ou gazés – parce qu’aux milliers de tonnes de
cette femme, devenue institutrice après l’ar­ Emilienne Moreau n’est célébrée que dans bombes s’ajoutèrent des gaz de combat, du
mistice, fut aussi une héroïne de la seconde une poignée de bâtiments ou de lieux pu­ chlore, pour tenter d’anéantir la chair à canon
guerre mondiale. Au risque de sa vie, de celle blics. Dix rues, une allée, une impasse, six qui se trouvait de l’autre côté des lignes. Du
de son mari et des enfants de celui­ci, elle fut écoles maternelles ou élémentaires, un cen­ côté des Allemands sur la défensive, mieux
résistante pendant cinq longues années. tre de logements de jeunes travailleurs, a re­ protégés, le bilan fut un peu moins lourd :
Pour son courage et pour les actions entre­ censé Vladimir Trouplin, le conservateur du 5 000 morts, 15 000 blessés. La ligne alle­
prises, elle fut désignée compagnon de la Musée de l’ordre de la Libération. A Paris, un mande ne rompit jamais.
Libération, l’hommage suprême de la na­ coin de la place de République réaménagée
tion aux résistants, « cette chevalerie excep­ en 2013 a été nommé en son honneur. DÉCORÉE DE LA CROIX DE GUERRE
tionnelle créée au moment le plus grave de 54 mètres de longueur sur 16 mètres de lar­ La propagande militaire s’est immédiate­
l’histoire de France », selon les mots du gé­ geur. Dans la ville aux 6 000 rues, c’est peu. ment saisie des exploits de l’héroïne de
néral de Gaulle. Une reconnaissance hors A Loos (devenu Loos­en­Gohelle en 1937), 17 ans pendant la bataille de Loos. Le général
norme, et plus encore pour une femme : où elle grandit, le bâtiment de brique du Douglas Haig, qui devint commandant en
parmi les 1 038 compagnons, six femmes foyer municipal abrite un Musée de la pre­ chef des armées britanniques, lui écrivit
seulement furent récompensées, dont qua­ mière guerre mondiale, rempli d’un bric­à­ pour exprimer son « admiration très sin­
tre à titre posthume. brac d’objets et d’images : des casques, des cère » pour son « patriotisme » et son « cou­
Emilienne Moreau fit « preuve d’un patrio­ obus, des médailles, des lettres, des cartes, rage dévoué ». Le général Ferdinand Foch la
tisme et d’un courage exceptionnels au cours des uniformes… Trois salles minuscules, félicita à son tour, et elle fut citée à l’ordre de
des deux guerres », indiquent ses camarades dans l’ombre et la poussière, que font vivre l’armée. Quelques semaines plus tard, à Ver­
de l’ordre de la Libération dans la note confi­ des passionnés d’histoire locale, une quaran­ sailles, en novembre 1915, elle reçut la croix
dentielle présentée alors au général de taine d’adhérents au total. Gilles Payen est de guerre. « La cérémonie aurait dû normale­
Gaulle pour justifier son entrée dans l’ordre. ment se dérouler à Paris, place des Invalides,
Avec ces mots : « Emilienne Moreau fut l’in­ mais les Allemands ont fait savoir que si on
carnation de la résistance féminine fran­ Le moral me décorait aux Invalides, tout civil capturé
çaise. » En août 1945, à Béthune, le général par leurs troupes serait considéré comme
de Gaulle lui remet la croix de la Libération des troupes franc­tireur et fusillé », écrit­elle dans La
et prononce la phrase rituelle : « Nous vous
reconnaissons comme notre compagnon
fléchit face à la Guerre buissonnière, le livre (Solar) qu’elle
publia avec son mari, en 1970 .
pour la Libération de la France dans l’hon­ contre-offensive Pour avoir sauvé ses soldats, l’armée an­
neur et par la victoire. » glaise lui attribua la médaille militaire, la
Son histoire aurait dû la placer au pan­ allemande ? Elle Croix­Rouge royale et elle fut nommée dans
théon de la mémoire collective. Avec les plus
grands résistants. Il n’en fut rien. Ni dans les ravive leur courage l’ordre de Saint­Jean de Jérusalem. Dans la
douleur des défaites françaises, son histoire
médias ni dans la mémoire officielle. A com­ en chantant une semblait pouvoir redonner confiance.
Page du cahier d’école d’Emilienne Moreau, à la date du 4 octobre mencer par Le Monde. Lorsqu’elle s’éteint, « L’exemple de cette jeune héroïne, symbole vi­
1914, venant de la collection de Gilles Payen. DOCUMENT « LE MONDE » en 1971, le journal se contente d’une brève « Marseillaise » vant de l’alliance franco­britannique, tombait
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MARDI 24 AOÛT 2021 | 21

Ci­dessus, de gauche à droite : numéro 105 du « Miroir », daté du 28 novembre 1915 ;


extrait du supplément au numéro 107 du « Miroir », du 12 décembre 1915 ; « une »
du numéro 171 de « L’Image », daté de février 1918. COLLECTION BIBLIOTHÈQUE NATIONALE DE FRANCE

à pic pour raffermir le moral du pays alors que qu’au cimetière. D’une plume émue, elle re­ voie, puis Lyon, où ils peuvent se réfugier
les offensives d’Artois et de Champagne vient sur ces jours où elle sauva probable­ A trois reprises, elle sous de fausses identités. En lien avec les or­
avaient abouti à un bain de sang », souligne
Jean­Marc Binot, dans une notice consacrée
ment des centaines de vies parmi les soldats
alliés, en courant à leur rencontre pour les
tente de s’envoler ganisations de résistance de la région lyon­
naise, la jeune femme assure les liaisons avec
à Emilienne Moreau au sein du Maitron, le prévenir qu’« une mitraille impitoyable les pour Londres dans la Suisse, s’occupe des maquis, effectue des
Dictionnaire biographique du mouvement attend ». La maison familiale est transfor­ missions pour différents réseaux, notam­
social et ouvrier. mée en infirmerie de campagne. Dans la la nuit, mais les ment Brutus et France au combat.

« J’AI TUÉ DES HOMMES »


rue, les combats continuent. Emilienne se
souvient : « On court entre les maisons, et ma
opérations sont Elle fait semblant d’être enceinte pour trans­
porter de l’argent sans être fouillée. Elle se dé­
Gilles Payen ouvre ses cartons sur la table de connaissance parfaite des lieux nous permet annulées parce que guise, se teint les cheveux – d’où son surnom
son salon et sort des cahiers d’écolier avec de surprendre les Prussiens embusqués. Prise d’« Emilienne la blonde ». « Traquée par la po­
un trait rouge vertical pour marquer la par une sorte de furie, moi aussi, je prends des trop dangereuses. lice de Vichy, la Gestapo, la milice de Darnand,
marge à gauche et des gros carreaux qu’une
plume enfantine a remplis de son écriture.
grenades et je les lance par l’escalier de la
cave. Des explosions sourdes retentissent. La quatrième sera elle échappe de justesse à l’affaire de l’avenue
de Saxe où dix­sept de ses camarades furent ar­
Parfois d’un seul trait, parfois raturés, corri­ Puis c’est la fumée et le silence. J’ai tué des la bonne rêtés », relèvent les membres de l’ordre de la Li­
gés. Nom de l’élève : « E. Moreau ». Ce sont hommes. » D’autres Allemands font feu sur bération dans son dossier. « En mai 1944, une
les cahiers sur lesquels la jeune fille a ra­ l’infirmerie. Elle prend un revolver posé sur série de rafles décime le mouvement France au
conté sa vie. La presse française et interna­ un banc et tire. « Les deux ombres s’effon­ mars 1945 pour évaluer ses mérites de résis­ combat. Alors qu’elle rentre chez elle, Emilienne
tionale s’était en effet emparée de son his­ drent. Puis c’est le silence. » tante et vérifier qu’elle s’est « signalée de ma­ repère deux hommes au pied de l’escalier. Elle a
toire. Le Petit Parisien proposa à la jeune L’époque est à la revanche, l’héroïne de nière exceptionnelle dans l’œuvre de la libéra­ le réflexe de s’enfuir en courant et s’échappe in
Emilienne fille, et à sa mère, de la payer 5 000 francs Loos n’y échappe pas. « Si je deviens institu­ tion de la France », comme le prévoit l’ordon­ extremis après s’être fait tirer dessus », écrit
Moreau, pour raconter son histoire en exclusivité. trice, oh ! comme aux petits dont j’aurai à for­ nance signée par de Gaulle. Vladimir Trouplin dans le livre Dans l’hon­
à Londres, « La somme est fabuleuse, et nous sommes mer le cœur et l’intelligence j’enseignerai la Au début de l’Occupation, elle est d’abord neur et par la victoire. Les femmes compagnon
en 1944. COLLECTION alors dans une situation financière précaire : haine des Allemands, avec quelle foi je leur ré­ placée en résidence surveillée par les Alle­ de la Libération (Tallandier, 2009).
MUSÉE DE L’ORDRE nous vivons avec une allocation militaire de péterai, tant que les années aient passé, que, à mands, qui n’ont pas oublié ses exploits de la
DE LA LIBÉRATION 3,50 francs par jour et une aide pour les en­ l’égard de cet abominable peuple, l’oubli et le guerre précédente, puis l’étau se desserre un PORTE-PAROLE DE LA RÉSISTANCE
fants de 1,5. C’est peu ». Le journal en fit la pardon sont pour toujours impossibles ! » peu. Dans la clandestinité, avec son mari, elle Il lui faut partir de nouveau. Pour Londres,
« une » de son supplément, Le Miroir, et pu­ Emilienne Moreau obtient son diplôme contacte d’autres militants socialistes pour cette fois. A trois reprises, elle tente de s’en­
blia l’intégralité de ses souvenirs sous d’institutrice tandis que sa mère achète une reconstituer un groupe d’action et commen­ voler dans la nuit, mais les opérations sont
forme de feuilleton jusqu’en janvier 1916. Le boulangerie dans le Pas­de­Calais. « Nous vi­ cer à distribuer des tracts ou des journaux tels annulées parce que trop dangereuses. La
film tourné quelques mois plus tard en Aus­ vons enfin dans la paix. » Elle se marie une que L’Homme libre ou La Voix du Nord. L’Intel­ quatrième sera la bonne. Sur les rives de la
tralie s’en inspira largement. première fois, devient veuve assez vite, puis ligence Service – les renseignements britanni­ Tamise, son histoire et son nom en font une
Sur ses cahiers d’écolier retrouvés par l’en­ épouse Just Evrard, un militant aguerri de la ques – entre en contact avec eux ; Emilienne porte­parole des forces de la Résistance inté­
seignant de Loos, elle décrit sa vie « sous le SFIO du Pas­de­Calais. Elle milite avec lui au fournit des indications sur les déplacements rieure, notamment du rôle des femmes en
joug des Allemands ». Elle raconte ainsi sa sein du Parti socialiste, à un rang modeste, des troupes ennemies. son sein. Sur les ondes de la BBC et lors de
douleur infinie au moment du décès de son plus discret, dans une période où le rôle poli­ Suspecté d’avoir participé au sabotage conférences de presse, elle redevient une ar­
père, ancien mineur qui avait ouvert une tique des femmes est réduit à sa plus simple d’une usine proche de Lens, son mari est ar­ dente propagandiste de la République. « Jour
épicerie­mercerie­bonneterie à Loos. « Mon expression. La seconde guerre mondiale va rêté par les Allemands. Il reste en détention après jour, malgré les vexations, les arresta­
père meurt sous nos yeux, terrassé par les pri­ tout faire basculer. « Emilienne Moreau se re­ sept mois. Emilienne, elle, continue son acti­ tions, les tortures, les exécutions, les patriotes
vations et les angoisses. » Avec son frère, elle trouve à l’avant­garde de la résistance dès vité clandestine. Mais les risques sont deve­ ont préparé l’arrivée des Alliés et la reconsti­
récupère des planches, fabrique un cercueil, juin 1940 », mentionne l’ordre de la Libéra­ nus trop importants. Ils quittent le Pas­de­ tution d’une France libre. Les souffrances
et ils portent le corps sur une brouette jus­ tion dans la note dactylographiée établie en Calais pour Thonon­les­Bains, en Haute­Sa­ nous ont trempés, durcis, c’est pourquoi le bo­
che a vu se dresser devant lui un peuple ivre
de liberté, de justice et de fraternité hu­
« Voilà la femme française durant la guerre » maine », déclare­t­elle ainsi, le 30 août 1944.
La fin de la guerre la ramène à une vie plus
ordinaire. Elle continue de militer pour la
VERBATIM aux prises avec toutes sortes de diffi­
cultés que ne connaissent pas les hom­
portaient des mots d’ordre et faisaient
de la propagande. Ce sont les femmes
souvent la mort par la torture. (…) Voilà
la femme française durant la guerre.
SFIO, se débat parfois dans les combats d’ap­
pareil et soutient la carrière politique de son
[Le 15 août 1944, Emilienne Moreau rencon­ mes. Tout d’abord la femme du prison­ qui acheminaient les vivres destinés au J’ajouterais les mères de famille qui, mari, qui sera député socialiste de 1945 à
tre des journalistes des pays alliés à Lon­ nier. Celui­ci, abandonné par celui qui ravitaillement des membres des orga­ plutôt que de voir leur enfant partir en 1962. En 1970, le contrat d’exclusivité de cin­
dres, qu’elle vient de rejoindre pour échap­ avait abrité la révolution nationale sous nisations traquées par la Gestapo, la Allemagne pour prêter ses bras à la ma­ quante ans signé avec Le Petit Parisien a pris
per à la Gestapo et à la police française.] la fameuse trilogie : « Travail, Famille, police de Vichy et les miliciens. Ce sont chine de guerre allemande, l’encoura­ fin. Elle peut de nouveau écrire – un livre
Ce sont pour la plupart des Patrie », laissait sa femme avec la mo­ les femmes qui, sous certains déguise­ gent à prendre le maquis. avec son mari et les deux enfants de celui­ci,
femmes qui font les liaisons deste allocation de 10 francs par jour. ments, allaient et venaient pour trans­ Pourtant, d’un côté, il y a une alloca­ également résistants.
des groupes de résistance, ce Elle fut obligée de travailler, en évitant mettre les ordres des chefs de nos orga­ tion importante et la presque certitude En exergue de ses Mémoires, un clin d’œil
sont des femmes qui portent par tous les moyens que son travail pro­ nisations. Ce sont les femmes qui, pour du retour, et de l’autre, l’obligation de très politique, quelques mois après Mai 68 :
et distribuent souvent les journaux et les fite à ceux qu’elle haïssait. la plupart, allaient à travers la France, subvenir aux besoins du garçon, l’an­ « Il paraît que ma petite­fille a lancé des pavés,
tracts. Ce sont encore des femmes qui, La misère s’installait en France, plus déjouant les traquenards des armées goisse de le savoir en danger… en mai… La belle affaire ! Moi, à son âge, j’avais
lors de la tentative d’invasion de l’Angle­ particulièrement dans les villes. On vit de policiers qui pullulent dans notre Bien sûr, il y eut parmi les Françaises tué quatre Prussiens ! » Ses derniers mots
terre, allaient dans les ports, sur les pla­ les femmes parcourir les campagnes pays, pour aller se renseigner sur la des collaboratrices qui pactisèrent avec s’adressent aux générations futures : « Vous,
ges, dans les bois, et revenaient fourbues, afin de trouver la pitance nécessaire concentration de troupes. l’occupant ; mais, croyez­moi, il y en eut les jeunes, soyez prêts à défendre la paix et la li­
lasses, épuisées, rapportant aux organi­ pour élever et nourrir leurs enfants. Ce sont les femmes, et je les connais peu et elles seront châtiées, car s’il est berté, car c’est ce qu’il y a de plus beau au
sations les renseignements nécessaires Parmi elles, parmi aussi les jeunes bien, croyez­moi, qui abritent nos pe­ vrai que certains de nos alliés trouvent monde. Pensez à l’exemple que vous ont donné
sur la concentration des troupes et des filles de toutes classes, s’éleva un souf­ tits gars pleins de courage et d’hé­ qu’il n’est pas bon de raser les femmes les soldats de l’ombre… Et, s’il le faut, faites
péniches destinées à l’invasion de votre fle de révolte contre l’envahisseur, et el­ roïsme, après un coup de main sur un collaboratrices, nous trouvons, nous, comme eux, demain. » 
pays. les se mirent au service de la Résis­ train, une écluse, un ouvrage de dé­ en France, que ce châtiment est trop luc bronner
La femme française a réagi, j’oserai tance. C’est ainsi qu’on vit bientôt les fense allemand. Pourtant, elles savent – doux, pour toutes celles d’entre elles
dire, plus vite que les hommes parce routes sillonnées de courageuses peti­ et malheureusement, il y en eut des qui furent la cause de l’arrestation et de Prochain article Hélène Bessette,
que, mère de famille, elle s’est trouvée tes qui, sous prétexte de ravitaillement, exemples – qu’en cas de capture c’est la torture des nôtres. »  la disparue des lettres françaises
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22 | MARDI 24 AOÛT 2021

« Snake », pionnier du jeu sur mobile


FRED PEAULT

En Allemagne,
un succès
de droguerie
UN PAYS, UN LIVRE
Les Allemands connaissent depuis
longtemps les drogueries Rossmann,
où l’on trouve aussi bien du shampoing
et de la lessive que du papier­toilette ou
des croquettes pour chien. Ils ignoraient
que le fondateur de cette enseigne flo­
rissante (56 000 employés, 10,3 milliards FILIPPO FONTANA
d’euros de chiffre d’affaires en 2020)
était également doué pour vendre ses
JEUX VIDÉO, DU TÉLÉPHONE 

E
propres livres. Dès sa sortie, en novem­ n noir et blanc, affichant dans la culture vidéoludique. Des
bre 2020, Der neunte Arm des Oktopus de gros pixels et à peine ca­ AU SMARTPHONE 1 | 6  clones pullulent dans les maga­
(« Le neuvième bras du poulpe », Bastei
Lübbe, non traduit), de Dirk Rossmann,
pable d’émettre un bip,
Snake fut le premier suc­ Disponible sur le Nokia 6110 sins d’applications en ligne et une
version modernisée est disponi­
a fait un carton : numéro un sur la liste
des best­sellers du Spiegel pendant plus
cès du jeu vidéo mobile – avant
même l’arrivée des smartphones.
à partir de 1998, ce serpent ble gratuitement sur Google lors­
que l’on tape « Snake ».
de deux mois, il a été vendu à plus de Lorsqu’il commence à le program­ affamé a connu un succès Après ce premier succès, Nokia

planétaire inattendu
300 000 exemplaires au total. mer chez Nokia en 1996, le Finlan­ sent plus tôt que ses concurrents
Comment expliquer un tel succès ? dais Taneli Armanto est loin de se le potentiel du jeu sur téléphone.
D’abord, le sujet, bien sûr. Ce thriller aux douter que, vingt ans plus tard, le Un peu trop cependant : le cons­
accents apocalyptiques résonne avec jeu sur téléphone portable devien­ tructeur propose dès 2003 un por­
l’une des grandes angoisses de notre dra un secteur très lucratif. A l’épo­ table curieux, doté des mêmes ca­
époque : le dérèglement climatique. Pour que, ces outils sont bien trop limi­ concepts, à les coder pour diffé­ fini. » Cette formule est celle qui ractéristiques techniques qu’une
cela, l’auteur – ou plutôt les auteurs, Dirk tés. « Les choix des développeurs rentes plates­formes et à les tester. s’imposera sur smartphone la console portable, le N­Gage. Mo­
Rossmann n’ayant pas caché avoir été étaient conditionnés par les con­ Durant ces essais, il programme décennie suivante et offrira le qué pour sa forme de croissant et
aidé par d’autres dans le processus d’écri­ traintes de la plate­forme : écran une version du célèbre Tetris. Le ti­ spectacle de joueurs tête baissée boudé à cause de son prix élevé,
ture – s’est plu à imaginer un Vladimir minuscule, faible mémoire, disposi­ tre, une valeur sûre, avait déjà été et mains actives en tous lieux et c’est un échec commercial.
Poutine cherchant à convaincre Xi tion des touches », explique le dé­ adapté en 1994 pour le MT­2000 en tout temps. Ayant raté le virage technologi­
Jinping et Kamala Harris, devenue entre­ sormais quinquagénaire. de l’allemand Hagenuk, un des que des smartphones, l’entre­
temps présidente des Etats­Unis, de fon­ Avant de se plonger dans la ge­ premiers portables commerciali­ Le premier « classique » prise, numéro un de la téléphonie
der un « G3 » pour sauver la planète. nèse de Snake, il faut oublier sés avec un jeu. Mais Nokia et la Taneli Armanto se dit encore mobile depuis 1997, entame un
« Un conte de fées dictatorial ultraécolo », l’écran tactile de nos smartpho­ Tetris Company échouent à trou­ « surpris » de la réussite du reptile déclin rapide et cède sa place à
résume le Spiegel, évoquant « un livre qui nes et leur mosaïque d’applica­ ver un accord financier. « Ce fut pixélisé qui a éclipsé les deux Samsung en 2012. Son empreinte
colle bien à une époque où beaucoup de tions bigarrées – ainsi que leur peut­être une chance pour Snake », autres programmes qu’il a confec­ sur l’industrie vidéoludique fin­
gens veulent des personnalités à poigne connexion 4G ou 5G. Il faut se rap­ confie Taneli Armanto, vingt­cinq tionnés pour Nokia : un jeu landaise reste cependant toujours
pour faire face aux pandémies, aux guer­ peler que, dans la seconde moitié ans plus tard. d’énigme, Logic, et une déclinai­ visible. « Nokia a stimulé des créa­
res et aux problèmes environnementaux ». des années 1990, les portables Tout cela lui paraît bien lointain son du jeu de société Memory. Il teurs talentueux, a constaté Frans
ressemblaient à aujourd’hui et, si sa mémoire raconte s’être senti dépassé en dé­ Mäyrä. Ces Finlandais avaient dé­
Force de frappe marketing des briquettes de flanche parfois, il en plaisante. Ce couvrant la « virtuosité de certains veloppé des studios sous­traitants.
Comme chacun le sait, cependant, une plastique équi­ dont il se souvient à coup sûr, joueurs » lors de championnats Lorsque l’iPhone d’Apple est arrivé
bonne histoire ne suffit pas à garantir un Ses règles sont pées d’un clavier c’est qu’il ne repère pas immédia­ finlandais et se rappelle les repro­ en 2007, cela a étendu la portée du
succès éditorial. Encore faut­il savoir la
vendre. C’est ce qu’a fait Dirk Rossmann,
tellement et servaient prin­
cipalement… à té­
tement le potentiel du pro­
gramme mettant en scène un ser­
ches à son encontre : « Des gens
me disaient : “Vous vous rendez
jeu mobile. Ces studios étaient très
qualifiés dans leur domaine, et ont
en distillant ses confidences sur la genèse simples qu’elles léphoner. pent. L’idée n’est d’ailleurs pas compte de ce que vous avez créé ! Je occupé le secteur. » Ainsi, au début
du livre. Agé de 74 ans au moment de sa En 1996, Nokia nouvelle : on peut remonter l’ar­ passe mon temps dessus, je n’ai des années 2010, Rovio réussit à
sortie, le milliardaire a ainsi raconté que tiennent en fourbissait ses ar­ bre généalogique de Snake jus­ plus le temps de faire autre catapulter ses Angry Birds au som­
l’idée avait pris forme, trois ans plus tôt,
en discutant de l’avenir du monde pen­
quatre phrases mes pour détrô­
ner l’américain
qu’à Blockade et Barricade, dispo­
nibles sur des bornes d’arcade dès
chose.” » Des professeurs lui ont
dit qu’ils avaient surpris leurs élè­
met de l’App Store. Puis son com­
patriote Supercell crée le très ré­
dant une partie de skat avec son ami sur les notices Motorola, le lea­ 1976. Comme tous les jeux popu­ ves tentant de battre leur record munérateur Clash of Clans.
l’ex­chancelier social­démocrate Gerhard der du marché du laires d’une époque peu à cheval sur Snake au fond de la classe. Ces Taneli Armanto n’a jamais capi­
Schröder (1998­2005). Une façon de dire mobile. Alors âgé sur le droit d’auteur, ceux­ci se­ anecdotes ont beau le faire sou­ talisé sur le jeu mobile. Snake est
que l’ouvrage ne s’adresse pas seulement de 31 ans, Taneli Armanto était ront copiés, clonés, déclinés à l’in­ rire aujourd’hui, il dit avoir for­ un succès planétaire qui ne l’a
aux amateurs de science­fiction, mais programmeur dans l’équipe char­ fini, jusqu’à échouer sur le Macin­ mulé de plates excuses à l’époque. rendu ni riche ni célèbre. Cette si­
qu’il se présente aussi comme « un essai gée des interfaces : « Nous savions tosh d’Armanto. « C’est le premier jeu à grand suc­ tuation lui convient très bien.
politique sous forme de pamphlet et que nous allions travailler sur un Le grand public découvre Snake cès installé sur portable. Il a touché « Mais, dit­il, dès lors que mon nom
de thriller, le tout emballé dans une his­ nouveau téléphone et nous nous en 1998, lorsque le Nokia 6110 est des millions de personnes qui ont a été divulgué, des gens m’ont attri­
toire haletante », selon ses propres mots. répartissions les tâches afin de sa­ mis en vente. Ses règles sont telle­ appris à jouer sur cette plate­forme. bué sa création. J’essaie d’expliquer
Paru au début de la deuxième vague voir qui allait faire l’agenda, le ré­ ment simples qu’elles tiennent en On le considère donc comme le clas­ que je n’en suis que le programmeur
de l’épidémie de Covid­19, au moment pertoire, la calculatrice, etc. Quel­ quatre phrases sur les notices : sique de l’ère précédant les smart­ et que je n’ai pas inventé Snake.
où plusieurs Länder allemands déci­ qu’un du marketing a alors de­ « Nourrissez le serpent avec autant phones. Il fait partie des icônes du Mais je ne peux rien y faire : c’est à la
daient de fermer les librairies, classées mandé d’ajouter de petits jeux. » de friandises que possible. Utilisez jeu vidéo pour sa valeur historique, fois bizarre et sympathique. »
« commerces non essentiels », Der neunte [les touches] 1 à 9 (à l’exception même s’il n’est pas le premier du Depuis 1998, il n’a pas élaboré de
Arm des Oktopus aurait pu souffrir de ce Un quiproquo décisif du 5) pour diriger le serpent. Plus le genre », précise Frans Mäyrä dont nouveaux jeux, à l’exception de sa
contexte peu propice au secteur de l’édi­ La mission lui échoit presque par serpent est long, plus votre score l’université est située à quelques participation à l’éphémère Snake
tion. C’était compter sans la force de hasard. « Un de mes collègues ve­ est grand. Quand le serpent touche dizaines de kilomètres de la ville Rewind proposé sur smartphone
frappe marketing de sa maison d’édition, nait d’essayer un jeu sur ordinateur sa propre queue ou l’un des murs, de Nokia, où est née l’entreprise. en 2015. L’animal rampant reste
Bastei Lübbe, dont le catalogue com­ signé par un certain T. Armanto », la partie est perdue. » Il reste cependant impossible de un heureux accident de parcours
prend des « locomotives » à best­sellers s’amuse encore Taneli Armanto. Le portable s’installe dans notre mesurer son audience avec préci­ dans sa carrière de programmeur
comme Ken Follett, et qui a accompagné Le Armanto en question est un quotidien, à portée de main. Pour sion. A partir de 1998, Snake est in­ anonyme chez Nokia, qu’il a
la sortie du livre d’une campagne publi­ homonyme, mais tant pis, ou tant des millions d’utilisateurs un peu tégré par défaut dans tous les télé­ quitté en 2011. Il affirme exercer
citaire massive. Sans oublier un dernier mieux : sur ce malentendu, il est geek mais pas assez accros pour phones Nokia. Des 160 millions de aujourd’hui un travail « assez ba­
détail : le fait que, pendant toute cette propulsé responsable des jeux vi­ s’offrir une Game Boy, Snake de­ détenteurs du 3210 (qui intégrait nal » dans une entreprise infor­
période, les quelque 2 000 drogueries déo du futur produit. Mais il n’est vient un inséparable compagnon la version de Taneli Armanto) et matique tout en restant pas­
Rossmann du pays, elles, sont restées pas en terre inconnue. A l’univer­ de pause. « Le jeu est simple à ap­ des 250 millions du 1100 (qui pro­ sionné par les jeux, de société par­
ouvertes, comme tous les magasins sité, il avait élaboré de nombreux prendre mais difficile à maîtriser, posait une de ses suites), on ne ticulièrement. Au point d’en pos­
vendant des produits de première petits jeux. Enfant, il multipliait analyse Frans Mäyrä, professeur saura jamais combien d’utilisa­ séder une collection de 400 boîtes
nécessité. Ce qui a opportunément les parties de jeux de société, de et directeur du centre d’études vi­ teurs se sont arraché les cheveux à dans son garage. 
permis au livre du patron de figurer cartes ou les puzzles – de quoi dé­ déoludique de l’université de cause de sa courbe de difficulté re­ pierre trouvé
en bonne place sur les présentoirs.  velopper son goût pour la logique. Tampere, en Finlande. Son prin­ doutable. Mais les hommages et la
thomas wieder Entre 1996 et 1997, il passe ainsi cipe est immédiatement compré­ nostalgie qu’il suscite encore té­ Prochain article La nostalgie
(berlin, correspondant) « plusieurs mois » à chercher des hensible et on peut y jouer à l’in­ moignent de son importance des « Angry Birds »
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MARDI 24 AOÛT 2021 | 23

Une des photos


prises en 2006
par Paul
Nicklen, où une
une femelle
léopard de mer
lui envoie des
manchots,
comme si
elle souhaitait
le nourrir.
PAUL NICKLEN

À VOIR, À LIRE
Galerie
Gadcollection, 4, rue
du Pont-Louis-Philippe, Pa-
ris 4e.
Tél. : 01-43-70-72-59.
Gadcollection.com

« Born to Ice »
de Paul Nicklen (éditions
teNeues, 2018, non traduit)

IMAGES ANIMALES 1 | 6
Longtemps fascinés par l’animal dans son milieu naturel,
les photographes explorent aujourd’hui les relations
complexes entre l’homme et les autres espèces.
Paul Nicklen, passé de la photo animalière à l’écologie,
raconte sa rencontre avec un prédateur plutôt amical

Le léopard de mer,
monstre sympathique
V
éloce, féroce et brutal, allés plonger avec eux, et ils étaient ré­ avait l’air de se passer. » A un mo­ nées sur la glace, de plus en plus frus­ avec des photos plus perturbantes,
le léopard de mer n’a putés féroces. » ment, comme désespérée devant tré à l’idée de « faire des animaux, et liées au trafic d’animaux ou aux pro­
pas bonne réputa­ Le premier contact est à la hauteur tant d’incompétence, elle jette de toute cette beauté, des listes de blèmes environnementaux.
tion. En 2003, l’un de ses espérances : une énorme fe­ même les manchots à la tête du pho­ données », dira­t­il dans un entretien Paul Nicklen a, lui, créé en 2014 avec
d’eux a même tué melle léopard de mer s’approche, tel­ tographe – ce qui lui permet de pren­ avec le journaliste Graham Bensin­ sa femme, la photographe Cristina
une scientifique bri­ lement grande qu’elle dépasse le Zo­ dre cette extraordinaire photo faite ger. Armé d’un appareil photo et de Mittermeier, l’ONG SeaLegacy, qui se
tannique en mission en Antarctique diac de trois mètres où il est embar­ très près, et aux allures de dessin ses compétences en plongée, il cla­ concentre sur la défense des océans,
en l’entraînant sous l’eau. Dans le des­ qué et fait tanguer le bateau. Sous ses animé : les pattes jaunes du manchot que alors la porte de son travail bien organisant des expéditions, des re­
sin animé Happy Feet (2006), le mé­ yeux, la voilà qui attrape et tue un passent au­dessus du photographe, payé, pour se jeter à corps perdu portages, des campagnes médiati­
chant du film, le monstre énorme au manchot, secouant violemment tandis que, juste devant lui, la fe­ dans la photo d’animaux sauvages. ques, des pétitions et des levées de
sourire cruel qui poursuit le mignon l’animal dans tous les sens pour le dé­ melle léopard de mer semble atten­ Et mettra sept ans à atteindre le fonds – en ce moment, l’ONG tente de
petit manchot pour le dévorer, est un chiqueter. « C’était assez horrible, il y dre en souriant, pleine d’espoir, la Graal : rejoindre les rangs des habi­ faire pression sur la communauté in­
léopard de mer. avait des morceaux de manchot par­ gueule ouverte et la langue rose, au tués des pages de National Geogra­ ternationale dans les débats autour
Mais il n’y a pas de méchant et de tout », a raconté Paul Nicklen dans sa milieu des bulles, qu’il accepte son phic, où il publie des reportages sou­ de la création de trois zones mariti­
gentil dans la chaîne alimentaire du vidéo pour National Geographic. « cadeau ». A un moment, elle va vent risqués dans les régions polai­ mes protégées (ZMP) en Arctique.
monde sauvage, rappelle le photogra­ Lorsque le photographe, pas très même faire fuir un autre léopard de res, consacrés aux narvals, aux balei­ Alors qu’Instagram a fait des ani­
phe Paul Nicklen, 53 ans, l’une des rassuré, se résout à se mettre à l’eau, mer et lui dérober sa proie, pour la nes, aux ours polaires… maux mignons les stars toutes caté­
plus grandes stars de la photo anima­ l’animal lui fonce dessus, toutes présenter au photographe. « Moi qui gories des écrans, Paul Nicklen a com­
lière. « Les grands prédateurs qui nous dents dehors, menaçant d’engloutir avais peur de rater ce reportage, en SENTIMENT D’URGENCE pris le pouvoir de ses images d’ani­
font peur sont souvent juste de grands son appareil photo et sa tête avec. Ce deux jours l’histoire était bouclée ! », Mais, de plus en plus, Paul Nicklen maux sauvages et ses paysages ma­
incompris et, dans la plupart des cas, qui lui a valu une belle frayeur… ainsi résume­t­il. voit combien les espèces sauvages rins ou enneigés, qui font naître dans
ils considèrent les humains avec curio­ qu’une photo impressionnante de la Avec son compte Instagram à 7 mil­ magnifiques qu’il dépeint sont affec­ le public un sentiment de paix, d’im­
sité », explique le Canadien au Monde, mâchoire de l’animal en gros plan. lions d’abonnés, Paul Nicklen est tées par le changement climatique. Et mensité, de plénitude.
entre deux expéditions. « Sa gueule ouverte et toutes ses bul­ l’une des figures les plus en vue de la en particulier dans son Canada natal, « Les données des scientifiques sont
Le photographe l’a prouvé avec les étaient des tentatives pour me dire wildlife photography, la photo d’ani­ où la banquise fond à vitesse grand V, vitales pour comprendre le change­
cette rencontre exceptionnelle dont quelque chose », Paul Nicklen en est maux sauvages – au point qu’il est rejetant les ours polaires sur la terre ment climatique mais ne parviennent
il se souviendra « jusqu’à la mort » : persuadé. très difficile de lui mettre la main des­ ferme, où ils n’arrivent plus à se nour­ pas à motiver les gens pour lutter, ex­
une aventure qui lui est arrivée sus pour une interview. Mais, avec rir. « Au fur et à mesure que la planète plique Paul Nicklen. Après avoir été
en 2006, lors d’un reportage pour le COMPORTEMENT « NOURRICIER » son ONG SeaLegacy, il est devenu se réchauffe, la saison pendant la­ frustré devant l’inertie des politiques,
magazine National Geographic, et qui Car ensuite, le léopard de mer adopte bien plus que ça : « Les gens ont pu me quelle la glace se forme en Arctique de­ j’ai décidé de changer mon approche.
est devenue très populaire ces der­ un comportement « nourricier » et décrire comme un journaliste, un ar­ vient plus courte, empêchant les ours J’ai utilisé ma maîtrise de la photogra­
nières années par la magie des ré­ étrangement amical. La femelle cap­ tiste, un activiste environnemental. de chasser le phoque depuis la glace, phie pour ajouter l’esthétique et la nar­
seaux sociaux. ture un manchot pour le relâcher Moi, je me considère surtout comme nous raconte­t­il. Et cela a un effet di­ ration aux données scientifiques, ce
Depuis ses débuts, juste devant le photographe. Lorsque quelqu’un qui veut aider à faire avan­ rect sur leur capacité à survivre. Autre­ qui, à mon avis, est une stratégie bien
le photographe est le volatile s’enfuit, elle le rattrape, et cer les choses », dit­il. fois, quand j’étais étudiant, je guidais plus efficace. »
« Je pense un spécialiste des
zones polaires, où il
le relâche de nouveau devant lui. Un
manège qui dure toute la journée.
Le Canadien fait remonter sa pas­
sion pour les animaux et les zones
les touristes pour photographier les
ours polaires à Churchill, dans le Ma­
Il compte bien utiliser cette res­
source qu’est l’émotion pour mobili­
que la léopard part à la rencontre Puis, voyant que rien ne se passe, elle polaires à son enfance, quand « à l’âge nitoba. La situation a empiré, je l’ai vu ser, au service de l’environnement,
des phoques, des ba­ se met à lui offrir des manchots de 4 ans, ma famille a emménagé sur de mes propres yeux. » par tous les moyens. « Certains vont
de mer était leines et des narvals. morts. « Je pense qu’elle était frustrée l’île de Baffin, dans l’Arctique cana­ En 2018, sa vidéo choquante d’un tomber amoureux d’un adorable
Pour National Geo­ que je ne mange pas les manchots dien ». Son père travaille alors comme ours blanc émacié et mourant a manchot, d’autres vont être choqués
frustrée que graphic, il avait eu frais qu’elle m’offrait, raconte Paul mécanicien pour le département des d’ailleurs fait le tour du monde, deve­ par un ours qui meurt de faim. Pour
je ne mange pas envie d’aller en An­
tarctique, pour voir
Nicklen. Je crois qu’elle m’a pris pour
un prédateur pas doué, qui avait be­
travaux publics à Kimmirut, une
communauté inuite de 200 person­
nant la vidéo la plus vue de l’histoire
du site National Geographic. Ce senti­
moi, les deux images sont égales, du
moment qu’elles incitent les gens à
les manchots de plus près les léo­ soin qu’on lui apprenne comment nes quasiment coupée du monde. ment d’urgence lié aux dangers que agir pour sauver notre planète de la
pards de mer, ces chasser ! » Paul Nicklen grandit avec la banquise fait peser l’activité humaine sur les crise existentielle que constitue le
frais qu’elle énormes phoques Pendant quatre jours, cette léopard comme bac à sable, au contact des animaux (et non l’inverse) est par­ changement climatique. » 
m’offrait » qui peuvent peser
jusqu’à 500 kilos :
de mer va tenter de nourrir son pro­
tégé humain : « J’ai suivi des études de
animaux sauvages.
Devenu biologiste pour le gouver­
tagé par nombre de photographes
animaliers : après des années à chan­
claire guillot

PAUL NICKLEN « A l’époque, peu biologie, donc j’évite de faire de l’an­ nement canadien, il goûte peu la vie ter la beauté des bêtes sauvages, cer­ Prochain article Sur la tombe
photographe d’humains étaient thropomorphisme, mais c’est ce qui de bureau et préfère passer ses jour­ tains gagnent aujourd’hui des prix du rhinocéros inconnu
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24 | décryptage MARDI 24 AOÛT 2021

LES RELIGIONS,
MORTELLES POUR
L’ÉTERNITÉ
LES RELIGIONS NE MEURENT JAMAIS VRAIMENT 1 | 6
L’histoire regorge d’exemples de cultes
autrefois tout-puissants puis réduits
à néant. Mais le phénomène religieux
semble, lui, toujours bien vivant

E
gypte, Egypte, il ne restera de tes vilégié pour consigner et diffuser ce qui
pratiques religieuses que des avait trait à l’ancienne religion », constate
histoires et, pour tes descen­ Sylvie Peperstraete, spécialiste des reli­
dants, elles seront sans crédibi­ gions du Mexique ancien à l’Université li­
lité. » Cette prophétie consi­ bre de Bruxelles.
gnée dans l’Asclépius latin – un Face à la déliquescence des temples et
manuscrit rédigé aux alentours du IVe siè­ du clergé mis à mal par l’arrivée d’un nou­
cle, à l’époque où l’Egypte se trouvait sous veau culte, croyances et pratiques popu­
la domination de Rome – annonce en réa­ laires se maintiennent souvent plus faci­
lité, avec une implacable lucidité, le deve­ lement, en toute discrétion. Voire se
nir tragique de la plupart des religions. transforment en revêtant les apparences
Alors qu’elles se présentent comme dépo­ de la religion victorieuse. De sorte qu’une
sitaires de l’éternité des mondes, elles ne religion, même morte, laisse toujours un
sont pourtant pas éternelles. héritage – si modeste soit­il.
Paul Valéry l’écrivait au sortir de la pre­ D’autres fois, c’est tout simplement le
mière guerre mondiale : « Nous autres, ci­ temps et le manque de vitalité qui ont fait
vilisations, nous savons maintenant que leur œuvre. Nombre de communautés se
nous sommes mortelles. Nous sentons sont éteintes de leur belle mort, sans que
qu’une civilisation a la même fragilité quiconque soit venu leur chercher que­
qu’une vie. » Telle est la leçon de l’histoire : relle. En y regardant de plus près, c’est
même les empires les plus puissants – ce­ peut­être parce que ces courants n’ont pas
lui des Perses, celui des Romains – n’ont su su évoluer, figés dans des rites ou des tra­
résister aux assauts ou à l’usure du temps. ditions ne faisant plus vraiment sens
Ce constat peut bien sûr s’appliquer aux dans le monde alentour, qu’ils ont fini par
religions. A ce titre, exhumer la mémoire s’évanouir. C’est le cas, apparemment, des
des croyances tombées dans les oubliet­ très austères elkasaïtes, au Moyen­Orient, CHRISTELLE ENAULT
tes de l’humanité résonne comme une in­ ces judéo­chrétiens des premiers siècles
vitation à questionner nos propres certi­ de notre ère tellement obsédés par la pu­
tudes. A l’époque de Babylone la superbe, reté qu’ils baptisaient jusqu’aux légumes auraient contribué à la survie du peuple Delumeau lui­même manifestait une
joyau du dieu Mardouk, qui aurait deviné avant de les consommer. juif, en dépit de l’adversité millénaire prudence similaire, quelques années
que cette merveille du monde devien­ Mais, si tout ce qui n’évolue pas finit par qu’il a rencontrée – jusqu’au paroxysme avant sa mort survenue en 2020. « A vrai
drait la « grande prostituée » de l’Apoca­ périr, comme le veut la leçon du darwi­ que l’on sait au XXe siècle. dire, déclarait­il en 2016, je ne me sens pas
lypse de Jean ? Et, à l’époque où le paga­ nisme, il ne faudrait pas en conclure trop La première concerne l’identité du du tout l’âme d’un prophète. Ce que sera
nisme était la religion officielle d’un Em­ vite que, pour rester en vie, les religions groupe, qui « ressemble davantage à celle l’avenir de l’humanité, je ne le sais pas. Ce­
pire romain triomphant, qui aurait parié doivent nécessairement adapter leurs tra­ d’une famille. Ce peuple­famille a toujours pendant, je ne pense pas du tout que nous
sur son interdiction prochaine, au profit ditions aux changements sociétaux. « On accordé une importance essentielle à la allions vers une société sans Dieu, même si
du christianisme jadis assimilé à une sub­ considère souvent que c’est parce que le ca­ transmission de ses traditions », relèvent on peut en avoir l’impression en Occident.
versive superstition ? tholicisme n’a pas su se mettre au diapa­ les auteurs. La deuxième concerne les Je ne crois ni à la mort du christianisme ni à
De fait, « chaque croyant pense que sa reli­ son des évolutions des mentalités, en parti­ idéaux politiques et sociaux : « Depuis la mort de la religion. »
gion ne va jamais mourir, qu’elle va durer culier sur le plan des mœurs, qu’il a perdu l’origine de leur peuple jusqu’à nos jours, Hors du « canton » – pour reprendre le
pour toujours, que ce sont les religions des du terrain, note Anne Morelli. Or, le pro­ les enfants d’Israël ont poursuivi le même mot de Régis Debray – qui est le nôtre, la
autres qui vont disparaître », relève l’histo­ testantisme historique, plus ouvert sur ces objectif : retourner sur leur terre pour y religion se porte bien. D’où le constat
rienne Anne Morelli, qui a codirigé, avec questions, connaît cependant une forme construire une société en accord avec les dressé par le sociologue Peter L. Berger
Jeffrey Tyssens, un ouvrage sur ce thème de déclin. » Au contraire, des mouvements commandements et les valeurs que l’Eter­ dans son essai Le Réenchantement du
(Quand une religion se termine… Facteurs qui semblent s’inscrire à rebours de l’air nel leur avait enseignés sur le mont Sinaï. » monde (Bayard, 2001) : « L’idée selon la­
politiques et sociaux de la disparition des du temps, tels les fondamentalismes isla­ Enfin, terminent Moshe Sebbag et Ar­ quelle nous vivons dans
religions, EME Editions, 312 pages, miques et chrétiens, connaissent un re­ mand Lafferère, ce qui a permis aux juifs un monde sécularisé est
31 euros). Or, poursuit la professeure hono­ gain d’intérêt contre­intuitif. d’échapper à l’extinction tiendrait en fausse. Le monde
raire à l’Université libre de Bruxelles, « la D’une certaine manière, les religions outre à leur rapport au sacré : « Les textes d’aujourd’hui est aussi fu­
religion est un phénomène vivant. A ce titre, seraient aussi soumises à une forme de religieux d’Israël (…) instaurent une rela­ rieusement religieux qu’il
elle a naturellement une naissance, une diktat de la mode. Ainsi l’Europe a­t­elle tion avec l’Eternel qui permet d’engager l’a toujours été. » Si les re­
phase d’épanouissement et une fin. Lorsque connu la vogue du spiritisme au XIXe siè­ avec lui un débat sans fin, de faire l’expé­ ligions, au pluriel, ne S’IL N’EXISTE PAS
le déclin se manifeste, des mécanismes cle et un fort attrait pour l’ésotérisme au rience du sacré au milieu même du monde sont pas éternelles, la re­
communs sont généralement à l’œuvre ». début du XXe. A l’heure actuelle, le profane et de surmonter la crainte univer­ ligion au singulier ne DE RECETTE
DISCRÈTE RÉSISTANCE
bouddhisme, volontiers perçu comme
une philosophie non religieuse en Occi­
selle de la mort grâce aux efforts consacrés
à la survie du groupe. »
s’apparente­t­elle pas à
un phénix renaissant de
QUI PERMETTE
Parmi eux, le politique joue un rôle pré­ dent, connaît un engouement notable, Et, s’il n’existe pas de recette universelle ses cendres, sous des at­ À UNE RELIGION
pondérant. Il est bien évident que lors­ dont il est périlleux de prédire l’évolution qui permette à une religion de se mainte­ tributs certes différents ?
qu’il décide de faire du christianisme sa à moyen terme. nir dans le temps, la vitalité de son clergé Selon Raymond Aron, DE SE MAINTENIR,
religion personnelle, en 312, l’empereur
Constantin change drastiquement le IMPERTURBABLE JUDAÏSME ?
est un signe qui ne trompe pas. Partout
où les rangs des officiants tendent à se
la raison de cette perma­
nence réside dans le fait LA VITALITÉ
cours de l’histoire. « Un des principes pou­ Il existe quelques rares exemples de reli­ clairsemer, la transmission se perd pro­ que « l’homme a besoin DE SON CLERGÉ
vant expliquer la disparition d’une reli­ gions au demeurant imperturbables – ou gressivement, les lieux de culte se vident, de religion, parce qu’il a
gion, processus complexe et multifactoriel, presque – face aux contextes sociopoliti­ et c’est un cercle vicieux qui s’enclenche. besoin d’aimer quelque EST UN SIGNE QUI
réside dans l’installation d’un nouveau ques qu’elles traversent. Le judaïsme en Un tableau qui n’est pas sans rappeler ce­ chose qui le dépasse. Les
mouvement qui tient progressivement lieu constitue un exemple particulièrement lui du catholicisme, du moins dans le con­ sociétés ont besoin de reli­ NE TROMPE PAS
de pôle religieux de référence », analyse éloquent. Alors qu’il n’a jamais concerné texte de l’Europe sécularisée. « Un monde gion parce qu’elles ont be­
Vincent Mahieu, docteur en histoire des qu’une infime minorité de la population a basculé, note l’historienne Anne Mo­ soin d’un pouvoir spiri­
religions, dans le même livre. Les hom­ mondiale, que sa terre d’origine a été à relli. Des valeurs qui étaient prégnantes au tuel, qui consacre et modère le pouvoir
mes se convertissent, les bâtiments égale­ maintes reprises sous le joug d’occupants début du XXe siècle sont tombées en désué­ temporel et rappelle aux hommes que la
ment. C’est ainsi que le Panthéon de très puissants – au premier rang desquels tude à la fin du même siècle. » hiérarchie des capacités n’est rien à côté de
Rome, dédié autrefois à toutes les divini­ l’Empire romain –, il a traversé les siècles et la hiérarchie des mérites » (Les Etapes de la
tés païennes, devient chrétien. vu s’effondrer des religions bien plus soli­ « UN MONDE FURIEUSEMENT RELIGIEUX » pensée sociologique, Gallimard, 1967).
Pour violent qu’il soit, le processus se dement installées que lui. Titus détruit le Dès lors, « le christianisme va­t­il mou­ Et tandis que nombre de penseurs pro­
fait rarement du jour au lendemain. La ré­ Temple de Jérusalem en 70 : les textes sa­ rir ? », se demandait l’historien Jean Delu­ phétisaient, en particulier au XIXe siècle,
sistance souterraine peut s’avérer tenace. crés des juifs deviennent leur sanctuaire. meau dans un livre publié en 1977 (Ha­ la mort de la religion, Dieu semble avoir
C’est ainsi qu’en Mésopotamie le temple Hadrien envoie sur la route de l’exil le peu­ chette). Difficile de répondre à cette ques­ encore de beaux jours devant lui, comme
de Bêl­Mardouk, à Babylone, se trouve ple de Judée après la révolte de Bar Kokhba, tion, bien que l’augmentation l’illustre une légende urbaine bien con­
toujours en activité au IIe siècle de notre en 135 : il se renouvellera dans la diaspora. ininterrompue de personnes se déclarant nue. Elle raconte qu’en mai 1968, à Paris,
ère. A l’autre bout du monde, en Améri­ Une telle capacité de résistance ne « sans religion » en France ne paraisse pas un anonyme aurait écrit sur un mur :
que latine, malgré les efforts des conquis­ laisse d’interroger. « Tout concourait à ce y annoncer un avenir radieux pour le ca­ « Dieu est mort. Signé : Nietzsche. » Et que,
tadors pour éradiquer les anciennes reli­ que les juifs finissent par disparaître au tholicisme. En 2018, 58 % de la population à la retentissante déclaration du philoso­
gions indigènes, des prêtres aztèques sein des nations », écrivent le rabbin de l’Hexagone se déclare « sans religion » phe allemand, un esprit facétieux aurait
poursuivent clandestinement leur culte, Moshe Sebbag et l’essayiste Armand (catégorie rassemblant indifférents reli­ ajouté ce correctif : « Nietzsche est mort. Si­
au moins jusqu’au XVIIe siècle. Et les ef­ Lafferère dans un ouvrage où ils tentent gieux et athées convaincus), contre 27 % gné : Dieu. » 
fets de cette conquête se révèlent parfois d’expliciter les raisons de cette remar­ en 1981 (enquêtes EVS). virginie larousse
inattendus : « L’écriture alphabétique, en­ quable longévité (L’Eternité des Juifs, Pour autant, prévient Anne Morelli, « les
seignée aux indigènes dans les collèges Odile Jacob, 256 pages, 23,90 euros). Et de évolutions peuvent être surprenantes et un Prochain article
franciscains, devint en effet un moyen pri­ dégager trois caractéristiques qui revival n’est jamais impossible ». Jean La préhistoire, ses mythes et ses secrets
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MARDI 24 AOÛT 2021 0123 | 25

AFGHANISTAN : 
BIDEN FACE 
L’ intervention américaine en
Afghanistan avait commencé
en octobre 2001, sous la prési­
dence de George W. Bush, par des tirs
de missiles de croisière de haute tech­
étrangère qui s’installait à la Maison
Blanche. Rapidement, tout en s’atte­
lant à la gestion de la crise liée au
Covid­19, il s’employait à rompre avec
la diplomatie de son prédécesseur,
Joe Biden aurait pu ne pas l’appliquer.
Mais son opposition à la poursuite de
l’intervention en Afghanistan est an­
cienne et profondément ancrée ; il se
savait soutenu sur ce point par l’opi­
Le séquençage des opérations, en­
suite : la décision, difficilement com­
préhensible, d’évacuer les militaires
avant les civils, s’est révélée catastro­
phique lorsque Kaboul est tombée et a
À SON PREMIER  nologie en direction des camps d’en­ Donald Trump, en remettant les Etats­ nion publique, qui s’était désintéressée obligé le Pentagone a renvoyer 6 000
ÉCHEC traînement terroristes d’Al­Qaida, abri­
tés par le régime taliban. Il s’agissait
Unis sur les rails du système
multilatéral.
de ce pays, où n’étaient plus présents
que 2 500 soldats américains, alors
soldats en catastrophe pour tenir l’aé­
roport. L’absence de concertation,
d’anéantir l’organisation responsable La rupture, cependant, n’a pas été to­ qu’ils y ont été plus de 100 000. Il s’est aussi, avec les alliés européens, pour­
des attentats du 11­Septembre. L’opéra­ tale. Sur la Chine et le dossier afghan, contenté de restructurer le calendrier tant impliqués sur le terrain. Les er­
tion, baptisée « Liberté immuable », en particulier, le président démocrate du départ. reurs d’évaluation, enfin, sur la rapi­
était couronnée de succès en trois se­ s’est inscrit dans la continuité. Déter­ Mais, si la décision du retrait était dité de l’avancée des talibans.
maines. Elle s’achève vingt ans plus miné à rapatrier la totalité des troupes consensuelle, l’exécution de l’opéra­ Réputé homme d’empathie et de
tard par une retraite chaotique, piteuse américaines en vue de sa réélection, tion a été marquée par de lourdes er­ compassion, Joe Biden en a paru singu­
et précipitée, négociée avec ces mêmes Donald Trump avait lancé les négocia­ reurs, dont Joe Biden et son équipe doi­ lièrement dénué au début de cette
talibans que « Liberté immuable » avait tions avec les talibans au Qatar ; elles vent aujourd’hui répondre. La rigidité crise, alors que les images dramatiques
chassés. s’étaient conclues par un accord peu du calendrier, d’abord : en fixant la des évacuations inondaient les écrans.
Pour avoir arrêté le calendrier de glorieux, que le secrétaire d’Etat Mike date symbolique du 11 septembre pour Son entourage évalue déjà l’impact de
cette retraite sans prévoir la rapidité Pompeo avait sanctionné de sa pré­ marquer le vingtième anniversaire des ce fiasco sur sa popularité et sur celle
du retour des talibans, Joe Biden af­ sence à Doha, en février 2020. L’accord, attentats plutôt que de lier le retrait à du Parti démocrate. Le plus urgent,
fronte la première grave crise politique dont les talibans n’ont pas respecté une série de conditions à remplir, il a pourtant, pour l’heure est d’organiser
de son mandat. Il y a sept mois, c’est leur partie et qui est dans l’ensemble à contraint les militaires à organiser le la poursuite de l’évacuation à Kaboul
pourtant un président loué pour son l’origine du désastre actuel, prévoyait repli en pleine saison des combats, fa­ dans des conditions plus dignes de la
immense expérience en politique le départ des troupes américaines. vorable aux talibans. première puissance mondiale. 

Alexandra de Hoop Scheffer mée et d’une police afghanes. Cette juxta­


position d’objectifs a créé de la confusion
et brouillé la communication de Washing­
ton et de l’OTAN.
leur protection des convois américains n’a
fait qu’affaiblir le gouvernement sans
cesse court­circuité.
Les projets de reconstruction (infras­

Le retrait américain
En décembre 2010, le président Obama tructures, écoles) ont souvent été conçus
recentre sa stratégie sur l’impératif sécuri­ dans un contexte de précipitation, sans
taire de la lutte contre Al­Qaida et exclut qu’on se soit assuré de la capacité du gou­
toute entreprise de « nation­building » vernement ou des autorités locales à les
(« construction d’Etat ») en Afghanistan, maintenir et à les entretenir une fois les
devenu un concept tabou. Il est intéres­ forces internationales parties. Les 145 mil­

d’Afghanistan marque
sant de noter que Joe Biden, lui aussi, a liards de dollars investis dans la recons­
évolué sur le sujet : en 2001, alors prési­ truction de l’Afghanistan n’auront donc
dent de la commission des affaires étran­ pas permis de préparer l’après­retrait
gères du Sénat, il évoquait un projet de re­ américain.
construction similaire au plan Marshall, Les Etats­Unis et leurs alliés de l’OTAN

la fin de l’ère
affirmant qu’une entreprise de « nation­ sont aujourd’hui en panne de stratégie,
building » en Asie centrale et du Sud était comme en témoignent les revirements en
la solution à long terme au problème du Afghanistan, en Irak, en Libye, en Syrie et
terrorisme. Dix années plus tard, il insis­ au Sahel, les balbutiements de la réflexion
tait sur une stratégie américaine non plus européenne sur ces sujets et l’incapacité
de nation­building en Afghanistan mais des gouvernements à expliquer les objec­

post-11 septembre 2001


focalisée sur la lutte contre le terrorisme, tifs de leurs engagements militaires
une position qu’il défend aujourd’hui avec auprès d’opinions publiques de plus en
fermeté. plus sceptiques.
Les interventions politico­militaires Cet appauvrissement de la réflexion
contemporaines se caractérisent ainsi par stratégique des deux côtés de l’Atlantique
un paradoxe inexorablement lié à leurs est en partie attribuable aux deux décen­
échecs répétitifs : guidées en premier lieu nies de la « guerre globale contre le terro­
par leur calendrier électoral et la volonté risme » dans laquelle l’Amérique a plongé
de retirer leurs troupes le plus rapidement le monde au lendemain des attentats du
La stratégie de « guerre leur politique étrangère en comptant indé­
finiment sur les moyens américains.
possible, les puissances occidentales justi­
fient leurs interventions en affichant des
11 septembre 2001, entravant toute forme
de réflexion sérieuse sur les évolutions de
globale contre le Les vingt années d’intervention améri­
caine en Afghanistan, avec l’appui des al­
objectifs ambitieux (éradication des grou­
pes terroristes, reconstruction, stabilisa­
l’environnement stratégique contempo­
rain. La lutte contre le terrorisme a empê­
terrorisme », menée liés de l’OTAN, sont une longue chronique tion, démocratisation, formation des for­ tré les Etats­Unis et leurs alliés dans des
d’erreurs stratégiques qui ont préparé le ces de sécurité) laissant présager une pré­ guerres perpétuelles et diminué la créati­
par les Etats­Unis et terrain à la reprise du pouvoir par les tali­ sence pérenne des forces militaires, alors vité diplomatique, ainsi que leur capacité
bans. L’administration Biden a sous­es­ qu’elles n’ont ni la volonté ni les moyens à réagir aux changements géopolitiques.
leurs alliés depuis timé leur résilience et leur capacité à re­ d’entreprendre ces tâches. Ce décalage En retirant les troupes d’Afghanistan, Joe
prendre le pouvoir rapidement et sures­ crée une ambiguïté quant aux objectifs Biden souhaite mettre fin à l’ère
2001, a appauvri leur timé la capacité de l’armée afghane à réels de la mission et rend illusoire le ca­ post­11 septembre 2001 et fait pression sur
capacité de réaction défendre son territoire. L’Amérique a dé­
pensé plus de 2 000 milliards de dollars
ractère transitoire de l’intervention. ses alliés européens pour qu’ils intègrent
dans leurs réflexions l’endiguement de
aux changements [1 700 milliards d’euros] en Afghanistan de­
puis 2001, dont plus de 83 milliards pour la
SE DÉCHARGER DU FARDEAU
Les missions d’« aide à la transition »,
la puissance chinoise, notamment tech­
nologique, comme priorité de leurs politi­
géopolitiques, au formation de l’armée afghane. Et pourtant d’« assistance », de « formation » camou­ ques étrangères.
cette dernière s’est rapidement décompo­ flent en réalité une atrophie de l’espace Ce changement de paradigme rappelle
profit d’autres sée face aux talibans. La brutalité du retrait politique afghan, que Washington accen­ les inflexions données par ses prédéces­
américain a montré les failles de l’armée tue en menant des pourparlers avec les ta­ seurs en début de mandat, de Clinton à
puissances, estime régulière afghane, minée par la corruption, libans sans le pouvoir central. L’« afghani­ Trump, qui ont tous souhaité recentrer la
mal approvisionnée et dépourvue de sou­ sation », c’est­à­dire la responsabilisation politique américaine sur la compétition
la politiste tien aérien. croissante des Afghans dans l’utilisation avec la Chine et la Russie. Cette vision fut
de l’aide militaire et financière internatio­ vite bousculée par les crises au Moyen­
MANIPULATION DES STATISTIQUES nale, permet aux Etats­Unis et aux alliés Orient et en Afrique, mobilisant la puis­

I
Ces événements posent la question de l’ef­ de l’OTAN de se décharger du fardeau de la sance militaire américaine.
ficacité de l’intervention militaire et du reconstruction après­conflit et de faire En raison de sa place géostratégique
l aura fallu seulement dix jours pour programme de formation des forces de sé­ porter la responsabilité des échecs de la dans la compétition avec la Chine et la
que les talibans reprennent le con­ curité en particulier, et incitent à repenser lutte contre la corruption ou le terrorisme Russie et des risques de résurgence de la
trôle de l’Afghanistan et célèbrent à les principes du désengagement militaire, sur les autorités et les forces locales. menace terroriste, l’Afghanistan pourrait
leur manière le vingtième anniver­ au même titre que ceux de l’engagement Le désengagement de la force internatio­ faire l’objet d’une concertation tripartite
saire des attentats du 11 septem­ militaire. Le problème principal de ces pro­ nale est devenu la stratégie à partir de entre les Etats­Unis, la Chine et la Russie,
bre 2001. Cette reconquête éclair et la grammes de formation réside dans leur 2010­2011. Les échéances politiques – te­ qui partagent le même intérêt pour la sta­
détermination du président Biden à reti­ approche purement militaire et apoliti­ nue d’élections, négociations politiques – bilité régionale.
rer les troupes américaines ont sidéré le que, alors que l’enjeu principal est politi­ étaient alignées sur le calendrier électoral La fin de l’intervention américaine en
monde entier. En réalité, nous assistons que : le manque de cohésion et l’absence américain, les vidant de leur substance. Le Afghanistan entérine en quelque sorte la
ici à l’aboutissement d’une décennie de d’allégeance de l’armée afghane à une « nation­building » sans la nation a sapé désoccidentalisation de l’intervention­
désengagement américain et d’une déli­ autorité politique reconnue comme légi­ tout projet de reconstruction étatique et nisme, déjà à l’œuvre en Libye et en Syrie :
quescence chronique des institutions time rendent ces forces armées vulnéra­ de réconciliation. Au contraire, l’accéléra­ Pékin voit l’Afghanistan en partie à tra­
afghanes qui ont profité aux talibans. bles et peu fiables. Les allégeances com­ tion du calendrier a provoqué des ten­ vers le prisme des « nouvelles routes de la
La reprise du pouvoir par les talibans munautaires priment et divisent les forces sions et des frustrations supplémentaires, soie » (Belt and Road Initiative). La Chine
marque un tournant géopolitique : il de sécurité. L’AFGHANISTAN au profit des talibans. Avec le retrait mili­ a déjà construit de vastes infrastructures
s’agit d’abord d’une défaite stratégique Soucieux de montrer des résultats rapi­ taire, les Etats­Unis se privent d’un levier de transport à travers les pays d’Asie cen­
pour les Etats­Unis et leurs alliés de des, les responsables politiques améri­ POURRAIT FAIRE de pression sur les talibans. Il est illusoire trale au nord de l’Afghanistan et continue
l’OTAN, avec des implications à long
terme pour leur crédibilité et leur capa­
cains ont délibérément manipulé les sta­
tistiques (nombre des soldats afghans for­
L’OBJET D’UNE de croire que Washington pourra influen­
cer la trajectoire de la transition politique.
de le faire à un rythme soutenu dans cette
région et au Pakistan jusqu’à Lahore
cité à agir ailleurs ; c’est aussi une illus­ més, niveau de violence, contrôle du CONCERTATION Pendant vingt ans, les Etats­Unis et leurs et Gwadar. Les Etats­Unis doivent accep­
tration cinglante du monde post améri­ territoire) censés permettre le départ des alliés ont tenté différentes stratégies pour ter qu’avec leur retrait militaire d’Afgha­
cain qui se dessine, au profit d’autres troupes américaines. Les « Afghanistan Pa­ TRIPARTITE ENTRE défaire les talibans. Entre 2001 et 2005, ils nistan ils perdent en influence et sous­
puissances, la Chine en premier lieu, pers » parus en 2019 retranscrivent ces se sont appuyés sur les chefs de guerre traitent de facto l’avenir du pays aux puis­
mais aussi la Russie, la Turquie et l’Iran, « success stories » mensongères qui ont
LES ÉTATS-UNIS, afghans, tandis que les Etats­Unis se con­ sances régionales. 
qui s’imposent sur le terrain et mènent la contribué à déformer la réalité du terrain LA CHINE centraient sur l’Irak. En 2014, le soutien
diplomatie de crise. et à aboutir à la situation chaotique du aux milices afghanes et aux soulève­
La politique du fait accompli de Joe Bi­ mois d’août. ET LA RUSSIE, QUI ments anti­talibans était devenu la clé. A
den en Afghanistan rappelle aussi aux al­ Si l’objectif initial de l’intervention en défaut de restaurer la sécurité, l’armée
liés des Etats­Unis (de l’Europe à l’Asie en Afghanistan était l’éradication des sanc­ PARTAGENT LE MÊME américaine a distribué de l’argent pour Alexandra de Hoop Scheffer est
passant par les pays du Golfe) qu’ils doi­ tuaires d’Al­Qaida, il s’est trouvé amplifié INTÉRÊT POUR LA tenter d’« acheter » la paix temporaire : le politiste et directrice, à Paris, du think
vent assumer leur part du fardeau de la d’une entreprise plus complexe de recons­ financement apporté aux seigneurs de tank transatlantique German Marshall
sécurité internationale et ne pas bâtir truction d’un Etat post­talibans, d’une ar­ STABILITÉ RÉGIONALE guerre et à leurs milices en échange de Fund of the United States
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