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Questions contemporaines > Secret > secret et psychologie humaine

INTRODUCTION

Secret vient du latin secretus, ce qui a été mis à part, ce qui a été rejeté. Donc pour la
psychologie humaine et sociale, le secret est de fait constitutif d’une intériorité, puisqu’en
dissimulant quelque chose, il crée une frontière avec l’extérieur, au plan individuel comme
collectif

→ André Petitat : « le secret surgit avec la vie, avec la membrane qui sépare et relie
l’intérieur et l’extérieur » (Secret et formes sociales, Paris PUF. 1998)

Si l’intériorité humaine, et donc en quelque sorte l’intimité, se fait en partie par le secret,
se pose alors la question de savoir quel type de secret est ici en jeu. Entre 1. Ce que l’on cache
au regard des autres (jardin intime), 2. Ce qui nous est caché (l’enfant qui s’apprend et
apprend le monde), et 3. Ce que l’on se cache à nous même, individuellement et
collectivement (inconscient et tabou).

Le secret a un autre point commun avec le sujet : les deux sont des concepts relationnels.
De la même manière qu'il existe un secret parce qu'il y a des personnes qui en sont exclues,
il n'existe des sujets que relativement à la société.

Comment l'un et l'autre se constituent-ils et se renforcent-ils ?

I. SECRET ET CONSTITUTION DE L’INTIMITE

Définition de l’intimité ou du « jardin secret » : on peut définir l'intimité comme l'espace


intérieur de quelqu'un. Cet espace intérieur ne se peut se penser qu'en relation avec un
extérieur : l'intime c'est ce qu'on est privé, ce que l'on cache, ce qu'on ne veut pas dévoiler.
Ce « secret de l'intime » peut se matérialiser de différentes façons, allant de l'espace privé
de la chambre dans laquelle on ne peut rentrer librement à l'espace des messages privés
sur les réseaux sociaux... Mais cet espace intime est aussi symbolique (la zone de sureté
dans le contact physique) et psychique.

Si cette vie secrète n'existe plus on ne peut plus se penser comme individu : le contre-
exemple des régimes totalitaires montre bien que quand l'espace privé est colonisé par l'Etat,
la seule chose qui peut lui échapper est ce jardin secret. La Stasi ou la Gestapo pouvait tout
sonder et savoir, sauf ce qui se passait dans le fort intérieur.

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REF En latin, intimité veut dire « asylum » qui signifie « lieu inviolable, refuge »

EX : Etty HILLESUM dans une vie bouleversée, ou Jacques LUSSEREYEAN dans Et la Lumière
fut raconte comment leur vie intérieure leur a permis de survivre dans les camps.

→ Se penser comme individu, c'est se cacher du regard des autres.

C'est tout le trajet de l'enfance qui est lié au secret puisque :

1. D’une part l'enfant dévoile les secrets du monde par l'apprentissage. L'humain est un
animal qui vient au monde sans instinct ni connaissance. Pour lui, tout est encore à
découvrir : il doit apprivoiser son environnement, et prendre conscience de ce qu'il ne
connait pas encore. Le secret peut être lié pour l'enfant à l’émerveillement : il est celui
qui s'étonne de tout puisqu'il n'en connait pas les causes, ni les conséquences. Il est
par exemple, des secrets cruels qui peuvent être dévoilés, comme celui de la non-
existence du Père-Noel. La sortie de l'enfance définit l'entrée dans la rationalité, et
donc la fin de la magie et du mystère.

REF = Muriel DARMON (sociologue) dans la socialisation (2010) travaille sur la socialisation
primaire de l'enfant, c'est-à-dire sur toute l'inculcation de norme et de valeur qui lui permette
de rendre le monde lisible et compréhensible en le démystifiant

2. Et de l'autre, il acquiert son autonomie en se constituant ses propres secrets, son


intimité. Le fait de se cacher de ses parents, pour l'enfant, est une forme de rébellion
à leur autorité. Le secret lui permet de s'émanciper et de se construire en tant que
personne et qu'individu. Plus que ce qu'il a pu apprendre, ce qui lui confère son unicité
en tant que personne, c'est ce qu'il choisit de cacher au regard des autres.

→ la psychanalyse a bien montré comment l'enfant acquiert sa vie intérieure en se


détachant de ses parents, en se fabriquant son propre espace, son moi, par séparation
de celui de ses parents. Piera AULAGNIER parle « d'autonomie psychique », qu'il

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oppose à la « psychose » qui est au contraire une intimité qui n'a pu su affirmer son
intériorité et qui en devient pathologique.

→ Secret et pensée : la nécessité du secret pour la liberté

Nous pouvons penser parce que nous ne sommes pas contraints de dévoiler notre vie
psychique (nos idées, nos émotions et nos désirs). Cette intimité, et donc son secret, permet
à la fois la pensée et la liberté : comme le dit PLATON la pensée est « un dialogue invisible et
silencieux de l'âme avec elle-même ». La conscience humaine est donc rendue possible par
le secret.

→ Si la pensée peut se définir comme le dialogue avec son intimité, la réflexion avec ses
désirs, ses émotions, ses idées. Alors la liberté est son corollaire comme autonomie
et prise de distance par émancipation avec ses désirs, ses émotions et ses idées.

REF : Piera AULAGNIER « Le droit au secret : condition pour pouvoir penser » (2004) :
« Enoncer un mensonge, c'est énoncé une pensée dont on sait qu'elle est la négation d'une
autre pensée qu'on garde secrète. Se découvrir capable de mentir, découvrir que l'Autre peut
croire l'énoncé mensonger, porte son premier coup et aussi le plus décisif à la croyance en
la toute-puissance parentale ».

TRANSITION : Les secrets ne sont pas seulement ce qui façonnent les individus, ils
permettent aussi la constitution de collectifs.

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II. SECRET ET ANTHROPOLOGIE – LE SECRET PARTAGE : LE SECRET COMME


CONSTITUTION COLLECTIVE

Les secrets peuvent être aussi transindividuels, puisque comme confidences partagées, ils
peuvent permettre de créer des liens forts qui unissent les individus et font ainsi les
collectivités, les communautés et les sociétés.

➔ Secret comme permettant de créer du lien : ex du jeu. Le secret comme lien social
peut être ramené à un carcan simple, celui du jeu du cache-cache. Une personne
sait que l'autre est caché et l'autre réside dans un endroit connu comme secret
par l'autre. Un secret lie les deux, et seulement les deux : il ne viendrait à personne
l'idée de chercher quelqu'un sans savoir qu'il est caché (de la même manière, ne
pas dire à son professeur ce que l'on a mangé la veille n'est pas un secret, ce n'est
juste pas dans la nature de la relation). Avoir un secret un commun façonne donc
un horizon d'attente réciproque, cela implique donc une éthique.

➔ Le secret partagé comme éthique : préserver les secrets des autres et ceux que
l'on partage avec eux relève d'un devoir, puisqu'on est dans l'ordre de la promesse
et de la confiance. En effet, savoir qu’autrui a un secret ou en partager un avec lui
crée quelque chose en commun qui permet de tisser des liens, puisque préserver
le secret de quelqu'un c'est préserver son intimité, et donc sa dignité. Sans secret,
pas de sentiment d'attachement, et donc pas de sociabilité. Les secrets sont l’une
des conditions de possibilité de la vie en collectivité. Et c'est aussi valable au
niveau des sociétés.

➔ Secret comme mythes fondateurs : Il existe un lien fort entre les étymologies
latines de « secret » et celle de « sacré », puisque dans les deux cas, il est question
de « séparation ». Les trois grandes religions monothéistes sont des religions
dites à « théologie révélée », c'est à dire que les textes divins ont été donnés aux
croyants. L'idée derrière ces trois grandes religions est que le sensible ne suffit
pas, est qu'il y a des secrets qui nous sont imperceptibles (on dit des mystères
dans la religion catholique). Être croyant revient donc à partager un secret en
commun, un secret que n'ont pas ceux qui ne croient pas. Cela à la conséquence
de créer une communauté de croyants, que ce soit le « Peuple de Dieu » pour les
catholiques, « l'Ouléma » pour l'Islam, et le « Peuple élu » pour la religion juive.

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TRANSITION : mais le secret est ambivalent : il protège autant qu'il fragilise, il console
autant qu’il peut faire souffrir, il permet la liberté tout en pouvant l'entraver.

III. SECRET QUE L’ON SE CACHE - L’INCONSCIENT

→ Les mécanismes de l’inconscient / secret

La psychanalyse s'intéresse à un autre type de secrets : ceux que l'on se cache sans même
en avoir conscience. Il s’agit des secrets propre à l'inconscient : qui sont tous les désirs et
les idées qui sont enfouis en nous, sans même que nous puissions nous en rendre compte,
sauf par des voies détournées comme des rêves ou des actes manqués.

Ces secrets de l'inconscient sont souvent des choses que l'on a refoulées pour préserver
notre équilibre psychique, des choses que l'on se cache à soi même. De la même manière, on
peut répéter des comportements dont on ignore les causes, comme c'est le cas des tics ou
des troubles obsessionnels compulsifs.

REF : Sigmund FREUD : « Celui qui a des yeux pour voir et des oreilles pour entendre constate
que les mortels ne peuvent cacher aucun secret. Celui dont les lèvres se taisent bavarde
avec le bout des doigts ; il se trahit par tous les pores. C'est pourquoi la tâche de rendre
conscientes les parties les plus dissimulées de l'âme est parfaitement réalisable » Cinq
Psychanalyses

→ Secret constitutif des sociétés humaines (tabou)

Ce qui prévaut comme inconscient pour les individus, se nomme tabou pour le collectif :
quand la mémoire collective se joue des tours à elle-même. Dans les deux cas, 1. ce n'est pas
un secret que l'on choisit, mais un secret que l'on subit et 2. Il y a un lien avec la temporalité :
plus le traumatisme refoulé à l'origine du tabou reste secret, plus les conséquences seront
néfastes.

EX : les secrets de famille : Un secret de famille est un savoir commun que l'on ne partage
pas avec les autres membres de la famille. C'est quelque chose qui est suffisamment honteux
pour que le simple fait de le nommer revienne à transgresser l'ordre familial établi.

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REF : Selon Sylvia ANGEL (Psychanalyste) : « les contenus des secrets de famille touchent
essentiellement à la mort, les origines, la sexualité, la stérilité, le divorce, la maladie mentale,
le handicap, les transgressions morales et/ou juridique. Le secret des secrets, c'est
l'inceste ».

REF : Serge TISSERON (Psychanalyste) : « les secrets de famille ne s’opposent pas à la vérité
mais à la communication ».

EX : les tabous d'une société : dans l'histoire française récente, l'exemple le plus
paradigmatique, hors guerre d'Algérie, est le tabou qui entoure la Résistance pendant la
Seconde Guerre mondiale. La mémoire officielle instaurée à la fin de la guerre par le général
Charles de Gaulle prévalait que la France avait été résistante, et que le régime de Vichy était
nul et non avenu. Le premier travail à avoir dévoilé ce traumatisme refoulé de la collaboration
a été le documentaire de Marcel OPHULS Le chagrin et la pitié (1969) en chroniquant les
mémoires entre 1940 et 1945 des habitants de Clermont-Ferrand. Il montre qu'une bonne
partie de la population a été, au mieux, indifférente, et au pire vichyste ou collabo. Pour avoir
remis en cause la mémoire officielle, il fut censuré à la télévision. Sur un plan plus
scientifique, le livre Vichy, un passé qui ne passe pas (1996) des historiens Henri ROUSSO et
d'Eric CONAN revient sur cet inconscient collectif : « L'important aujourd'hui n'est plus de
dénoncer ou de dévoiler des secrets. Il est de comprendre et plus encore d'accepter. Il ne
s’agit pas de se résigner, mais d’accepter que ce passé, et peut-être plus encore la manière
dont il a été géré après la guerre par la génération qui l'a subie, est révolu. D'autant que
l'insupportable avec "Vichy" ce n'est pas tant la collaboration ou le crime politique organisé
que ce qui fut au fondement même de l'idéologie pétainiste et qui eut, un temps, les faveurs
du plus grand nombre : la volonté de mettre un peuple tout entier hors de la guerre et le
cours de l'Histoire entre parenthèses. »

CONCLUSION

Les secrets permettent aux individus et aux collectifs de se constituer mais ils peuvent aussi
les détruire. Question de l'éthique du secret : qu'est-ce qu'il faut garder pour soi parce que
cela nous renforce ? Qu'est-ce qu'il faut partager puisque cela nous amoindrit ? Et à qui le
partager ? Puisque le secret est une affaire de séparation, se pose plus fondamentalement
les questions des frontières de cette séparation et des forces qui l'animent. Le secret est
donc aussi et avant tout un pouvoir : une capacité qui permet de faire et d'agir.

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