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PREMIÈRE PARTIE

DOCTRINE, FACTEURS, OBJECTIFS


ET MOYENS
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Le Cameroun dispose, comme tout État rationnel, d’un


système cohérent d’idées-forces qui forment l’ossature de son
principe de vision du monde et le référentiel de sa logique de
projection et d’action sur la scène internationale. Aussi bien ce
principe de vision que la logique de projection qui en découle
sont influencés par des structurants de divers ordres. Il s’agit
d’une logique de projection ou d’action qui s’inscrit dans
l’atteinte, à court, moyen et long terme, d’objectifs spécifiques
qui visent de manière substantielle la défense des intérêts de
souveraineté, de stabilité, d’image nécessaire pour une insertion
maîtrisée et bénéfique du pays dans le concert des nations. Cette
première partie tente ainsi de disséquer le dispositif doctrinal de
la politique étrangère et son évolution dans la longue durée
d’une part (Chapitre 1), et les facteurs, objectifs et moyens qui
déterminent et orientent sa mise en œuvre effective d’autre part
(Chapitre 2).
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1
Les éléments doctrinaux
de la politique extérieure

La politique extérieure est fille du « temps politique »


national qui caractérise la vie de l’État à un moment donné.
C’est ce que Marcel Merle énonçait dans cette formule lapi-
daire : « la politique étrangère est (...) la partie de l’activité
étatique qui est tournée vers le “dehors”, c’est-à-dire qui traite,
par opposition à la politique intérieure, des problèmes qui se
posent au-delà des frontières1 ». Il s’ensuit qu’il n y a pas de
politique extérieure qui ne soit le reflet des priorités gouverne-
mentales ou de l’agenda public de l’État dans son ensemble.
D’où la conception de « la politique extérieure [comme] conti-
nuation de la politique intérieure par d’autres moyens »
envisagée par Dario Battistella2. Cette vision de la politique
étrangère est également partagée par le Dean Acheson qui y voit
« l’ensemble de la politique nationale considérée à partir des
exigences imposées par le “vaste monde” qui s’étend au-delà
[des] frontières3 ». La politique extérieure de l’État est, au

1. Marcel Merle, La politique étrangère, Paris, PUF, 1984, p. 7.


2. Dario Battistella, Théories des relations internationales, Paris, Presses
de Sciences-Po, 2003, p. 329.
3. Dean Acheson, cité par Brewster C. Denny, La politique étrangère
américaine ou l’obligation de cohérence, Paris, Economica, 1988, p 2.
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16 LA POLITIQUE EXTÉRIEURE DU CAMEROUN

demeurant, ainsi que le souligne Mohammad-Rezza Djalili,


l’expression de la situation interne, de l’idéologie qui sert de
référence à l’action politique, de la représentation et de la
présentation du monde par l’État, du rôle qu’il s’y assigne et des
moyens d’action qu’il privilégie4. Elle est plus précisément la
projection, à l’extérieur du domaine la souveraineté étatique, du
paradigme politique national dominant.
Le paradigme politique dominant au Cameroun au lendemain
de son accession à la souveraineté internationale s’est structuré
autour de la consolidation de l’indépendance, de la construction
nationale et du développement économique. Ces préoccupations
constituent par conséquent les principes cardinaux de la
politique interne. C’est ce qui ressort clairement de ce discours
d’Ahmadou Ahidjo, premier président de la République du
Cameroun :

« L’œuvre de construction nationale (...) se confond en fait


avec notre politique nationale. Elle est l’objectif de cette
politique. Elle n’est cependant réalisable que par l’épanouis-
sement de notre souveraineté dans tous les secteurs de la vie
nationale (...). Mais une souveraineté politique qui ne repose
pas sur une souveraineté économique ressemble à une maison
sans fondations, sans soubassements (...). La bataille à gagner
est désormais d’ordre économique5 ».

Le paradigme national dominant au lendemain de l’accession


à l’indépendance est donc celui de la construction et du dévelop-
pement national comme socle de l’autonomie et de la souve-
raineté dans un monde marqué par une rude compétition pour le
leadership et la domination.

4. Voir Mohammad-Rezza Djalili, Diplomatie islamique. Stratégie


internationale du Khomeynisme, Paris, PUF, 1989, p. 55-56.
5. Ahmadou Ahidjo, Contribution à la construction nationale, Paris,
Présence Africaine, 1964.
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LES ÉLÉMENTS DOCTRINAUX DE LA POLITIQUE EXTÉRIEURE 17

Dans la perspective de l’interrelation entre l’interne et


l’externe6, la politique extérieure est une exportation de la
politique interne ; sa réplication à l’extérieur des frontières
nationales. La politique extérieure du Cameroun n’échappe pas
à cette réalité. Elle est un prolongement de la politique nationale
entendue ici comme l’ensemble des normes, valeurs, objectifs et
stratégies qui caractérisent le jeu politique interne à un moment
donné et détermine de ce fait la politique de la nation. La
politique extérieure originelle du Cameroun est ainsi celle de
l’affirmation et de la défense de la souveraineté, de la cons-
truction de l’unité et de l’identité nationales, du développement
économique et social, de la construction de la paix et de la
stabilité nationales. Toute sa doctrine première s’en inspire et
tous ses principes fondamentaux en découlent.

Les principes fondamentaux de la doctrine extérieure

La lecture des discours, déclarations officielles, manifestes,


programmes ou chartes constitutives des partis dirigeants,
professions de foi et essais rédigés par les chefs d’État
successifs du Cameroun indiquent, en matière de politique
extérieure, les « principes cardinaux constants » suivants :
souveraineté et indépendance nationales, paix, solidarité inter-
nationale et coexistence pacifique, non-alignement et non-
ingérence dans les affaires intérieures des États, développement
national et coopération sans exclusives, unité de l’Afrique et
intégration régionale. Ces principes forment l’essentiel de
l’ossature doctrinale de la politique extérieure de l’État du
Cameroun.

6. Voir, sur ce point, James N. Rosenau, Linkage Politics. Essays on the


Convergence of the National and International Interests, New York,
The Free Press, 1969.
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18 LA POLITIQUE EXTÉRIEURE DU CAMEROUN

Souveraineté et indépendance nationales

La préoccupation initiale du Cameroun au lendemain de sa


sortie de la double tutelle française et britannique est l’affir-
mation de son indépendance et de sa souveraineté. La reconnais-
sance, le respect de l’indépendance et de la souveraineté sont
érigés en préalables intangibles pour la conclusion des relations
diplomatiques avec les autres nations du monde. Le président
Ahmadou Ahidjo le souligne avec suffisamment de force et
d’insistance dans son premier essai sur la construction nationale :

« Précisons-le tout de suite : les Nations du monde avec


lesquelles nous souhaitons entrer en relation doivent nous
considérer en partenaire égal et respecter notre souveraineté
(...). Le Cameroun est ouvert à tout pays qui entend nouer des
relations avec lui sur la base de l’égalité, de la réciprocité, du
respect mutuel des souverainetés et de la non-ingérence7 ».

Le principe de la reconnaissance et du respect de la souve-


raineté nationale comme structurant du comportement inter-
national du Cameroun est également réaffirmé par Paul Biya, le
successeur d’Ahmadou Ahidjo à la tête de l’État. En effet, dans
les « trente objectifs pour le Cameroun » qu’il expose dans son
ouvrage-programme Pour le libéralisme communautaire, celui
concernant les relations extérieures le réaffirme avec des propos
incisifs et sans ambiguïté :

« Jaloux de son indépendance et de sa souveraineté, le


Cameroun ne pourra que renforcer l’indépendance nationale en
exigeant, chaque fois que cela est nécessaire, le respect de sa
souveraineté, dans le cadre global d’une politique de non-
ingérence dans les affaires des autres États, et dans la coexis-
tence pacifique8 ».

7. Ahmadou Ahidjo, Contribution à la construction nationale, op. cit.,


p. 47 et 49.
8. Paul Biya, Pour le libéralisme communautaire, Lausanne, Pierre
Marcel FAVRE/ABC, 1987, p. 147.
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LES ÉLÉMENTS DOCTRINAUX DE LA POLITIQUE EXTÉRIEURE 19

Ce principe semble à première vue une lapalissade dans la


mesure où les relations diplomatiques sont, pour les États, une
expression de leur souveraineté et de leur caractère indépendant.
Elles constituent également une marque de reconnaissance inter-
nationale de l’État. La diplomatie traduit la souveraineté en
situation relationnelle. Toutefois, replacé dans le temps politique
de son énonciation, le principe du respect de la souveraineté
s’inscrit dans une stratégie de renforcement de la stature inter-
nationale du jeune État camerounais nouvellement sorti de la
tutelle extérieure.

Non-alignement et non-ingérence

Dans le principe, le non-alignement est le corollaire de


l’affirmation de la souveraineté nationale. Il s’agit même d’une
illustration de celle-ci. Si la souveraineté désigne la pleine
capacité d’exercer son libre arbitre, d’agir selon son bon vouloir
sans obligation ni contrainte exercée par qui que ce soit, il va
sans dire que dans un contexte bipolaire, marqué par la domi-
nation quasi-hégémonique des deux superpuissances américaine
et soviétique, le refus de l’alignement derrière l’une ou l’autre
est un acte de pleine expression de l’indépendance et de la
souveraineté.

« Le non-alignement (...), souligne Ahmadou Ahidjo,


apparaît tout simplement comme une affirmation de notre
personnalité sur le plan international, une volonté d’indépen-
dance, c’est-à-dire d’exercer pleinement notre libre arbitre dans
les affaires internationales9 ».

Le rejet officiel de l’alignement servile est aussi l’une des


modalités principales à travers lesquelles « le Cameroun a
toujours entendu affirmer, défendre et consolider son

9. Ahmadou Ahidjo, Fondements et perspectives du Cameroun Nouveau,


Aubagne-en-Provence, Saint Lambert Éditeur, 1976, p. 120.
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20 LA POLITIQUE EXTÉRIEURE DU CAMEROUN

indépendance chèrement acquise10 ». Le président Paul Biya


professe également la même foi autonomiste du non-alignement
en faisant valoir

[qu’]« une politique de non-alignement authentique, conforme


à la situation géographique et à la vocation historique du
Cameroun, au confluent de tous les courants de civilisations,
(...) paraît dans le contexte international actuel correspondre le
mieux à notre souci d’indépendance11 ».

Le non-alignement se veut ainsi, dans sa dimension tactique,


une expression du libre arbitre, un attribut de la souveraineté et
de l’indépendance et une posture de consolidation de l’émanci-
pation. Il se revendique aussi comme un positionnement en
faveur de la paix internationale et de la concorde entre les
nations. Dans un contexte où les blocs se formaient à partir des
considérations militaro-stratégiques et suivant une logique de
l’affrontement, s’en tenir à l’écart revenait à se soustraire du
conflit idéologico-militaire global et à conforter une position de
neutralité. Le non-alignement s’inscrit enfin dans une optique de
diversification des amitiés internationales et des partenaires à la
coopération pour le développement. Le principe de politique
extérieure sous-jacent à la doctrine de non-alignement est celui
de la non-ingérence dans les affaires intérieures des États. Parce
que, tout au long de la politique des blocs, le rôle des
deux superpuissances, véritables hégémon, était de discipliner à
l’intérieur (du bloc) tout en dissuadant à l’extérieur, la politique
de l’alignement s’accommodait de l’ingérence, notamment de
celle des leaders des blocs dans les affaires intérieures des États
alignés. Refuser dès lors de s’aligner constitue un rejet mani-
feste de l’influence, de l’inféodation voire de la domination d’un
État ou d’un réseau d’États. L’esprit du non-alignement dans la

10. Ibid., p. 120.


11. « Rapport de politique générale du président national Son Excellence
Paul Biya », dans Le congrès du renouveau, Bamenda 21-24 mars 1985,
p. 38.
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LES ÉLÉMENTS DOCTRINAUX DE LA POLITIQUE EXTÉRIEURE 21

doctrine extérieure camerounaise réside bel et bien dans ce refus


de la servitude plus ou moins volontaire ou passive :

« Le non-alignement, écrit dans ce sens Paul Biya, ne


signifiant ni le rejet de tout partenaire ni le refus de toute
allégeance, le Cameroun continuera à militer activement au sein
du mouvement des non-alignés. En effet, le véritable non-
alignement consiste à sauvegarder en permanence la possibilité
et la liberté de négocier de nouvelles alliances ou de dénoncer
les anciennes. C’est dans cet esprit que [le Cameroun] devra
rechercher une coopération économique et culturelle sans
exclusives, mais équitable, tout en faisant ce qui est en son
pouvoir pour consolider le front uni du tiers-monde12 ».

Le Cameroun, en vertu de sa nature d’État souverain, rejette


toute ingérence dans ses affaires intérieures et s’abstient, en
retour, de s’ingérer dans celles des autres en raison du strict
respect de leur souveraineté. Véritable principe cardinal et
constant de politique extérieure, le raffermissement de la non-
ingérence est même considéré comme la dorsale de l’édification
d’« un nouvel ordre politique dans le monde13 ». C’est ce qui
ressort de ce passage du président Paul Biya :

« Nous insistons plus particulièrement sur le respect de la


souveraineté des États, sur la protection, par la société
internationale toute entière, de l’exclusivité, de l’autonomie et
de la plénitude de leur autorité sur les sociétés qu’ils gouvernent
autant que sur la préservation de leur inviolabilité extérieure :
une telle action doit conduire notamment au respect scrupuleux
de l’égalité des États, de la non-ingérence dans les affaires
intérieures, de leur liberté de pourvoir à leur défense selon les
moyens les plus appropriés14 ».

12. Paul Biya, Pour le libéralisme communautaire, op. cit., p. 148.


13. Paul Biya, Pour le libéralisme communautaire, op. cit., p. 20.
14. Ibid., p. 20.
22 LA POLITIQUE EXTÉRIEURE DU CAMEROUN

Il y a en tout cas comme une relation d’osmose entre non-


alignement, non-ingérence et égalité des États sur la scène
internationale.
La politique extérieure du Cameroun réaffirme aussi de
façon quotidienne, autant par sa doctrine que par son action, le
principe de la non-ingérence. Ce que d’aucuns ont qualifié
d’esprit d’indifférence ou de suffisance pour décrire le compor-
tement régional de neutralité du Cameroun apparaît alors
comme une traduction diplomatique du principe de non-
ingérence dans les affaires intérieures des États.

Coopération sans exclusives et solidarité internationale

Le non-alignement précédemment évoqué est apparu comme


un attribut de la souveraineté. La coopération sans exclusives
s’affirme pour sa part comme une conséquence du non-
alignement. Celui-ci laisse le champ international ouvert à l’État
camerounais qui y agit en fonction du seul impératif absolu que
constitue son intérêt national. L’alignement derrière un camp
idéologique quelconque avait pour conséquence néfaste de
rétrécir les possibilités de coopération des États alignés, compte
tenu en l’espèce de la « doctrine Hallstein » à l’échelle inter-
nationale qui régissait les rapports des États aux deux blocs en
conflit. À titre de rappel, la doctrine définie dans les années 1950
par Walter Hallstein – alors ministre ouest-allemand des
Affaires étrangères – reposait sur entre autres principes, sur
celui majeur, de la rupture ou du non-établissement des relations
diplomatiques avec les pays ayant reconnu la République
démocratique allemande (RDA)15. Pareillement, la politique des
blocs se fondait, avec cependant moins de rigidité, sur le même
principe sinon de l’exclusion du moins de la marginalisation et
du combat par les États membres d’un bloc de ceux ayant opté
pour le bloc adverse. En tout cas, la politique des blocs est une

15. Pour des repères essentiels sur la guerre froide, voir : Stanislas
Jeannesson, La guerre froide, Paris, La Découverte, 2002.

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