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souverain menace de mort par décret public quiconque fera rendre
à l’ennemi de la cité les honneurs de la sépulture. Mais Antigone ne
se laisse pas détourner par un ordre qui ne concerne que le bien
public, et elle s’acquitte du devoir sacré de l’inhumation, selon la
piété qui lie la sœur au frère. Ce faisant elle invoque la loi des
dieux ; mais les dieux qu’elle vénère sont les Dieux inférieurs de
l’Hadès (v.451), les dieux intérieurs du sentiment, de l’amour, du
sang et non pas les dieux diurnes de la vie libre et consciente de soi
du peuple et de l’État ».
G.W.F. Hegel, Leçons d’esthétique, II, section 2, c.1 (trad. Emmanuel
Martineau), Werke XVI, p.13
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Cicéron – et « résonne » sa voix (jeu de mots avec per-sonare « qui sonne
à travers »). De là, persona en est venu progressivement à désigner le
« rôle », le « caractère », le « personnage », puis un « individu » ou une
« personnalité ». L’usage de cette notion de personne a été infléchi par la
théologie chrétienne avec le thème trinitaire. Le Dieu chrétien est en
effet un et trois en même temps. Le mystère de la Trinité a ainsi, après
bien des discussions et des condamnations pour hérésie, été formalisé
par l’usage de concepts empruntés à la philosophie antique : une
substance (la nature divine) et trois personnes (le Père, le Fils et le Saint-
Esprit), la Trinité étant la manière dont Dieu est un. Le terme de persona
a ainsi pris son sens philosophique précis en théologie. Au terme de ce
processus, on trouve ainsi cette définition classique de la persona chez
Boèce qui l’unit à la notion d’individu devenue classique :
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essentiellement l’existence humaine sur le plan politique. Elle l’affecte
aussi sur le plan des normes morales.
LA CONDITION MORALE DE L’EXISTENCE HUMAINE
Parmi les formes d’obligation qui s’imposent à l’existence humaine et
en détermine le cours, outre le droit positif et les contraintes qui en
procèdent, il y a des règles issues des coutumes et des mœurs, parfois
médiatisées par le jeu des croyances religieuses, et les règles de moralité
(Perspective La Politique et La Morale, Le Devoir). Elles imposent que
tout être humain soit considéré comme une personne morale caractérisée
par sa dignité. La personnalité, sujet singulier responsable de ses actes,
capable d’agir par devoir, devient alors une catégorie morale
indissociable de la liberté humaine (La Liberté). Là encore l’idée de
personne n’est pas sans lien avec la fonction de masque. « L’idée de
personne-masque » a contribué à la formation de personne morale. Cette
perspective est particulièrement remarquable dans la tradition du
stoïcisme pour laquelle l’éthique est en partie modelée sur le rapport
entre l’acteur et son masque. Avec cette double contrainte auquel soumet
le déterminisme aux accents fatalistes de la doctrine stoïcienne : l’acteur
ne peut pas s’identifier avec son rôle, ni prétendre le choisir.
Jouer son rôle, remplir son office, se tenir à la hauteur est ce qui
permet à l’homme de se tenir droit dans l’existence. Il s’en faut
cependant que l’on ne risque pas d’être la dupe de ses propres
identifications. Risque dont Épictète est par ailleurs bien conscient :
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propre vie. Mais lorsque l’occasion lui est donnée de faire ses preuves, il
échoue. Il commet la faute, impardonnable pour un officier de marine, fût-
il un second, d’abandonner à leur sort les passagers du Patna (des
pèlerins qui se rendaient à la Mecque) dont il avait la responsabilité.
Marlow, le narrateur, analyse cet Hamlet moderne (Le devoir) :
L’EXISTENCE COMME FUITE DEVANT LA LIBERTÉ
L’existence humaine est constamment menacée par cet
histrionisme3 qui fait qu’on se prend toujours plus ou moins pour un
autre que celui qu’on est et qu’on consent à jouer son rôle. Sartre,
dans L’Être et le Néant élève au rang de dimension fondamentale de la
« réalité humaine », ce qu’il décrit sous la catégorie des conduites de
« mauvaise foi » :
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vérité). Et cela parce que chacun tendrait à fuir sa propre existence : « La
plupart du temps, nous fuyons l’angoisse dans la mauvaise foi » (L’Être et
le Néant, Gallimard, p.642). Au fond, l’existant humain se nierait et
jouerait à se voiler la face pour fuir son angoisse d’exister et le tourment
d’avoir à être libre (La liberté).
Autrement dit :
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résultats des activités qui témoignent d’une capacité à s’écarter de la
nature. Ce serait là un trait caractéristique de l’espèce humaine, quand
bien même il est possible de parler de « culture » dès qu’un être vivant
commence à aménager son milieu environnant selon des intentions qui
ne sont pas fixées seulement par les déterminismes naturels ou l’hérédité
biologique. Des éthologues considèrent ainsi que quelques espèces
animales (primates, insectes, épaulards, rats, etc.) sont capables de
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formes plus ou moins rudimentaires de culture .
« Avoir de la culture », « être cultivé », « pluralité des
cultures »
Enfin, on dit d’une personne qu’elle a de la culture ou qu’elle est
cultivée lorsqu’on estime qu’elle a développé et, en quelque sorte
capitalisé, un certain savoir qui la distinguerait des hommes « incultes »
ou manquant de culture. Il est difficile en cet usage d’éviter l’arbitraire
des jugements de valeur plus ou moins implicites : ainsi un homme qui
possède une solide culture classique, une bonne culture scientifique,
littéraire, musicale, etc., ne sera pas tout à fait jugé cultivé au même titre
ou au même degré que l’homme dont la culture sera qualifiée de
populaire ou d’inférieure, parce qu’elle est minoritaire ou relèverait de ce
que le sociologue américain Théodore Roszak a appelé une contre-
culture, une culture résistant à la culture dominante. Dans tous les cas se
joue l’idée que s’est formée dans le sujet une certaine aptitude à
ressentir et à juger le réel en fonction d’un ensemble flou de
représentations et de valeurs, quand bien même celui qui en est porteur
n’en a pas toujours une claire conscience, ni n’a nécessairement
conscience des conditions objectives de la formation de ce capital
symbolique. Cette acquisition est indissociable d’un héritage, de la
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Carlo Ginzburg, dans Histoire nocturne, définit les sémiophores
comme ces «objets porteurs de sens» qui «ont la prérogative de
mettre le visible en communication avec l'invisible, des événements
ou des personnes éloignées dans l'espace et le temps ». Ainsi, Homo
sapiens utilisait les os d'animaux tués et l'ocre pour les enterrements
pour désigner l'absence, mettant en œuvre une capacité symbolique
d'origine biologique. Lier la communication visible et invisible et
garantir la continuité culturelle de l'héritage de l'espèce au-delà de la
mort individuelle sont les fonctions qui fondent tout discours
ultérieur sur la mémoire et l'immortalité.
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transmission d’une tradition et d’une forme d’apprentissages plus ou
moins actifs. L’homme cultivé en ce sens tend à se présenter aussi
comme un homme davantage civilisé, par se distinguer du rustre, du
grossier ou du barbare.
L’INFLATION DU TERME DE « CULTURE »
Comme débordant de lui-même, le mot « culture » s’est étendu bien
au-delà de ces trois usages. Dans la civilisation contemporaine,
caractérisée par l’échange marchand généralisé et une certaine
uniformisation des modes de vie et de consommation que catalyse
l’idéologie du progrès inhérente aux sociétés industrielles, s’est
imposée l’idée que tout est peu ou prou culturel. « Tout est culture »,
proclamait François Mitterrand dans sa « Lettre à tous les Français »
(1988). Aussi parle-t-on de culture des médias, de « culture jeune », de «
culture des banlieues », de « culture d’un club de foot », de culture gay,
grunge, geek (se réfère aux passionnés d’informatique en réseau et de
technologie à la mode), kitch, rock, trash, etc., tandis que se développent
parallèlement des industries et une ingénierie culturelles censées fournir
en « produits culturels » des masses qu’on suppose avides de se cultiver
en consommant lesdits produits, ainsi qu’une nouvelle nomenclature de
métiers (le médiateur culturel, fonctionnaire du ministère de la Culture
chargé notamment d’aller chercher les publics éloignés ou socialement
imperméables). On peut craindre que l’inflation du mot ne cache sa
démonétisation, autrement dit que, dans le monde des réseaux
interconnectés, il ne trahisse un processus de déculturation (destruction
de formes culturelles intégrant l’individu au groupe). Il faudrait à ce
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compte le tenir pour un symptôme de barbarie moderne, au même titre
que le touriste consommateur qui, fort de ses préjugés, réduit la culture
des contrées qu’il « visite » à du folklore. La culture de masse des sociétés
industrielles constituerait dès lors une menace tant pour les autres
cultures supposées avoir manqué le train de la modernité industrielle que
pour la culture classique, jugée plus raffinée, mais trop élitiste et
représentée historiquement par les figures idéalisées et périmées de
l’érudit humaniste de la Renaissance, de « l’honnête homme » du XVIIe
siècle, de l’Aufklärer, l’homme éclairé qui a « le courage de se servir de
son propre entendement » (Kant, Qu’est-ce que les Lumières ?), au XVIIIe
siècle, de l’homme de lettres au XIXe siècle ou de l’homme cultivé au XXe
siècle.
DE LA CULTURA À LA CULTURE, UNE HISTOIRE SINUEUSE
Hannah Arendt, en s’appuyant sur l’origine latine du concept de
culture a mis en valeur l’idée que la culture serait indissociable de la
nécessité de rendre le monde habitable pour l’homme. Celle-ci se
traduirait « par une attitude de tendre souci », ce qui expliquerait
pourquoi le terme « ne s’applique pas seulement à l’agriculture mais peut
aussi désigner le “culte” des dieux, le soin donné à ce qui leur appartient
en propre ».
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se poursuivre tout au long de l’existence et qu’elle suppose une
dimension esthétique, relevant de ce qu’on pourrait appeler le goût.
« Tout ce qui flatte le plus notre vanité n’est fondée que sur la
culture, que nous méprisons ».
Luc Clapiers de Vauvenargues, Réflexions et maximes, 594 et 595 (Œ. C.
II, éd. Brière, 1821), p. 134.
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Cultiver son esprit reviendrait à le perfectionner en développant ses
qualités naturelles notamment par l’instruction. Le terme « culture »
peut prendre alors un sens général et Kant le définit comme le premier
moment du processus historique conduisant l’humanité à sortir de la
grossièreté de l’état de nature pour se rendre apte à être « civilisée »,
tâche encore à venir grâce au développement de bonnes législations, et à
se moraliser, idéal qu’elle risque de ne jamais réaliser (Kant, texte xxx).
LA DISTINCTION CULTURE/CIVILISATION
En un de ses sens au moins, la notion de culture est très proche de
celle de civilisation, terme attesté pour la première fois en français sous
la plume de Mirabeau en 1757. La notion de civilisation renvoyait, dans le
contexte de l’idéologie des Lumières, davantage au civisme qu’à
l’urbanité, la politesse ou les bonnes manières, qualités appréciables
certes, mais statiques, et qui ne dénotaient, par leur caractère
traditionnel, aucun progrès. Bref, la notion de civilisation ne se distinguait
pas vraiment de celle de culture, les anthropologues employant
indifféremment les deux termes jusqu’au début du XXe siècle. C’est en
Allemagne, comme l’a souligné le sociologue Norbert Elias (Civilisation
des mœurs, 1973), que les termes de « culture » et de « civilisation » ont
été distingués et même opposés, la civilisation se donnant comme une
expression de la qualité sociale, liée à la bonne tenue, à l’art de bien
parler, sur le modèle des bienséances (supposées) de la cour des
monarques français, tandis que la « culture » au contraire désignant
l’ensemble des activités et des productions qui manifesterait le caractère
et le génie propres d’un peuple. D’autres critères sont venus étayer cette
distinction somme toute labile. On peut en relever deux : à la différence
de la culture, la civilisation serait liée au phénomène de l’urbanisation.
Ainsi, une culture qui concentrerait dans les villes des activités à
caractère économique, politique ou social (cérémonies, rites) tendrait à
devenir une civilisation. L’étymologie de « civilisation » (du latin civis, «
citoyen ») fournit un second critère : il qualifierait les cultures qui fondent
leur organisation sur le développement de principes juridiques (droit civil,
droit public). De ce point de vue, si toutes les cultures de l’humanité
participent de la culture humaine, seules certaines d’entre elles se
seraient donné pour destin historique de devenir des modèles de
civilisation, l’Occident, lorsqu’il s’arroge le monopole de la défense des
droits de l’homme paraissant, de ce point de vue, comme l’élément
véritablement civilisateur. Quel que soit le critère retenu, la distinction
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entre culture et civilisation, dans la mesure où elle conduit souvent à
conférer à la civilisation une prééminence sur la culture, reste délicate,
justifiée pour les uns, arbitraire et inutile pour d’autres. La recherche de
ce critère de distinction fait de la civilisation une notion chargée en elle-
même d’ethnocentrisme.
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manifester ses aptitudes à la culture, comme l’art, reflet de sa relation au
monde intérieur de ses affects, ses vécus ou ses pensées et expression de
la réalité extérieure (L’Art). C’est aussi le cas du travail et de la technique
qui ont permis à l’homme de se libérer par bien des aspects de sa
dépendance initiale à l’égard de la nature tout en formant sans doute
d’autres formes d’aliénation (Le Travail). La maîtrise technique n’est
qu’un des aspects de la relation de l’homme au monde (La Technique).
Homo laborans et homo faber, il est aussi homme en ce qu’il est capable
de rendre un culte : homo religiosus qui a forgé croyances, légendes,
récits, mythes et religions qui sont autant de manières de se tenir dans le
monde (La religion). Ce sont là autant de formes créant les conditions de
possibilité d’une conscience historique (Le Temps). Le résultat de ces
progrès de la culture est d’avoir permis à l’homme, à un moment de son
développement, de dépasser le stade de la préhistoire pour accéder à
celui de l’histoire et de former une sorte de conscience de l’humanité. La
science (La science) et la technique (La Technique) jouent un rôle
essentiel dans cette nouvelle configuration. Le paradoxe tient à ce que la
science et la technique paraissent en même temps pouvoir promettre un
« avenir radieux » à l’humanité et menacer quelque chose d’essentiel à
l’existence humaine.
• Sujets de dissertation Y a-t-il une vérité de l’existence humaine ?
• Le bonheur est-il le but de l’existence humaine ?
• Y a-t-il un sens à dire que seul l’homme existe ?
• Exister est-ce davantage que vivre ?
• Qu’est-ce qui donne sens à l’existence humaine ?
• La religion est-elle nécessaire pour donner sens à l’existence
humaine ?
• N’y a-t-il d’existence qu’individuelle ?
• En quel sens peut-on dire de l’homme qu’il existe ?
• La culture dénature-t-elle l’homme ?
• Toutes les cultures se valent-elles ?
• Y a-t-il une culture universelle ?
• Le progrès technique menace-t-il la culture ?
• Défendre l’universalité des droits l’homme, est-ce renoncer à la
particularité des cultures ?
• La culture consiste-t-elle à nier la nature ?
• Faut-il reprocher à l’homme de s’être éloigné de la nature ?
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• La culture nous rend-elle plus humain ?
• La distinction entre la nature et la culture va-t-elle de soi ?
• Une culture peut-elle en juger une autre objectivement ?
• La culture permet-elle d’échapper à la barbarie ?
• La culture est-elle une seconde nature ?
• Une culture peut-elle être porteuse de valeurs universelles ?
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