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© Dunod, 2019

11 rue Paul Bert, 92240 Malakoff


www.dunod.com

ISBN : 978-2-10-079539-0
Sommaire
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Préface

Introduction

Partie 1
Les grands choix de la distribution de luxe

Chapitre 1 ■ Les différents modèles de distribution du luxe

Chapitre 2 ■ Les produits de luxe se vendent-ils encore en magasin ?

Chapitre 3 ■ Concept et design d’une boutique de luxe

Chapitre 4 ■ Online, offline ou O2O ?

Partie 2
Connaître et comprendre le client

Chapitre 5 ■ Remettre le client au centre

Chapitre 6 ■ L’identification des clients et le CRM

Chapitre 7 ■ Les enjeux de l’intégration offline et online

Chapitre 8 ■ La logistique adaptée à la culture digitale

Partie 3
Approfondir la relation client

Chapitre 9 ■ Le comportement du client en magasin ou sur la toile


Chapitre 10 ■ De l’importance des magasins pour nouer la relation
client

Chapitre 11 ■ L’expérience client et la fidélisation

Chapitre 12 ■ Comment internet a pulvérisé le modèle traditionnel de


la vente

Partie 4
Les méthodes de gestion des points de vente de luxe

Chapitre 13 ■ La localisation des points de vente

Chapitre 14 ■ La gestion du personnel d’un magasin : une boîte à


outils

Chapitre 15 ■ À quel prix faut-il vendre ?

Chapitre 16 ■ Analyse économique des points de vente

Conclusion

Index
Préface

Je suis convaincu que Michel Chevalier et Michel Gutsatz ont eu raison


d’écrire la deuxième édition de leur ouvrage de référence sur la gestion de
la distribution et des points de vente des marques de luxe. Je vois trois
grands phénomènes qui requièrent la réorganisation complète de cette
activité et leur livre se devait de décrire et d’expliquer ces nouveaux enjeux.
En premier lieu, et comme le suggère le titre de cette nouvelle édition, la
vague digitale, et déferlante, a complètement soulevé, modifié et
réorganisé la gestion des marques de luxe et de leurs points de vente. Il y a
dix ans, la majorité des marques de luxe semblaient freiner les
développements numériques (j’entendais des commentaires comme par
exemple : « Internet ne s’applique pas à nos métiers », « Nous voulons que
les consommateurs viennent dans nos magasins pour avoir une expérience
complète de notre marque et pour toucher les produits  », «  Internet, c’est
pour les livres et les disques, mais cela n’est pas pour nous  », «  J’ai des
choses plus importantes à faire que de mettre en place le site internet  »,
« Ma priorité, c’est d’ouvrir de nouveaux magasins en Chine »).
Aujourd’hui, les dirigeants des entreprises de luxe cherchent à convaincre
tout le monde que « la révolution numérique » est vraiment leur priorité. La
simple notion de distribution des produits de luxe sans site internet, sans e-
commerce et sans service digital intégré complet (achat en ligne, collecte en
magasin, achat en ligne, retour en magasin, achat en magasin pour livraison
à son domicile ou à l’hôtel) nous ramène à l’époque où la meilleure façon
d’aller à son travail tous les matins était de s’y rendre à cheval : ce n’est pas
être complètement en retard, c’est être complètement hors jeu  ! Ou bien
votre entreprise a une stratégie et une activité complètement digitale et
efficace, ou bien vous n’êtes pas capable de vous asseoir à la table et de
participer au match. D’où la nécessité de bien analyser quelle stratégie
numérique et quelle activité digitale doivent être mises en place dans votre
entreprise.
En deuxième lieu, et cela résulte de la situation décrite ci-dessus, le
développement du réseau de points de vente des principales marques
de luxe est pour ainsi dire terminé, tout au moins dans un avenir proche.
On peut remarquer que, dans ces dernières années, les principales marques
de luxe n’ont pas beaucoup accru le nombre total de leurs magasins. Elles
semblent se contenter de tailler les branches ici ou là ou de planter dans de
nouveaux massifs  : un point de vente ici, une ou deux fermetures un peu
plus loin… Par exemple, en Chine, une réorganisation est en cours avec un
combat quasi «  darwinien  » entre les centres de magasins de luxe, qui a
entraîné des fermetures et la « survie pour les plus vaillants ». Si on regarde
quelles marques ont ouvert le plus de points de vente en Chine ces cinq
dernières années, on peut les regrouper en deux catégories : 1) les marques
moyennes en croissance rapide qui s’installent (Moncler, Saint Laurent,
Céline ou Balenciaga) et 2) les nouvelles marques qui se développent sur le
thème du luxe accessible (comme Michael Kors). Les autres marques ont
connu une croissance faible de leurs ouvertures de points de vente et ont été
occupées à d’autres tâches plus prioritaires.
En fait, durant la dernière période d’expansion, les marques ont voulu
obtenir le même standard de qualité partout dans le monde  : il fallait
que les magasins soient partout aussi luxueux et offrent des services de
même qualité. C’est pourquoi les «  manuels  » imposant la «  cérémonie
d’achat » qui devait être organisée par chaque marque dans tous les points
de vente étaient devenus quasiment incontournables. Et puis, il fallait que
les magasins soient tous «  sortis du même moule  ». L’avantage, bien sûr,
c’était la cohérence. L’inconvénient, c’était que ces points de vente étaient
tous ennuyeux et incapables d’attirer les clients : « Pourquoi devrais-je par
exemple visiter le magasin de Milan, de New York ou de Los Angeles, s’il
est identique, en un peu plus petit, que celui qui se trouve près de chez moi
à Shanghai ? Et puis, pourquoi dois-je aller dans un magasin quand je peux
tout aussi bien acheter sur internet, après avoir vu et touché un produit dans
la petite boutique d’aéroport ? »
Les marques doivent faire face à une nouvelle tâche  : comment rendre
leurs magasins assez uniques et intéressants pour que les clients aient
toujours envie d’y entrer, aussi bien près de chez eux qu’au cours d’un
voyage ? Il va falloir oublier la standardisation. Il va falloir retourner à la
planche à dessin et répondre à deux questions : 1) comment mes magasins
peuvent être différents de ceux des marques concurrentes ? et 2) comment
ceux-ci peuvent-ils représenter l’ADN de ma marque et lui donner une
réalité physique ? Certaines marques semblent avoir tenté de répondre à la
question : Tiffany a ainsi ouvert un salon de thé à New York, avec vue sur
Central Park. Mais pour que chaque boutique apporte quelque chose de
réellement nouveau et intéressant, il va falloir penser davantage en termes
de «  particularité locale  » et moins en termes de globalisation  : c’est cela
qu’il faut comprendre et mettre en œuvre.
En troisième lieu, les marques de luxe font face à des clients de plus en
plus exigeants. Aujourd’hui, les files d’attente devant les magasins de luxe
se font plus rares et les hordes de nouveaux clients réclamant le dernier
modèle d’une marque prestigieuse sont moins bruyantes. Les clients ont
déjà beaucoup acheté. Il faut donc innover pour qu’ils restent intéressés.
Innover dans les produits, mais aussi dans les magasins. Innover aussi en
termes de communication et d’attention. Il faut « surprendre » ces clients.
Dans une boutique, cela signifie qu’il faut souvent changer et toujours
offrir de nouvelles activités. Cette nécessité a souvent été satisfaite par la
création de magasins éphémères. Ceux-ci deviennent de plus en plus
planifiés et budgétés très en avance… et cela pose une nouvelle série de
questions  : où implanter ces magasins éphémères  ? Comment les rendre
surprenants et étonnants  ? Comment les rendre complémentaires des
magasins plus classiques  ? Et pourquoi pas, d’ailleurs, les placer à
l’intérieur des «  boutiques amirales  »  ? Encore un sujet que les dirigeants
doivent savoir maîtriser…
Luca Solca
Managing Director, Luxury Goods, Sanford C. Bernstein
Introduction

Pourquoi cette refonte ?

Octobre 2013 : nous voyons la publication de la version française de notre


livre Luxury Retail Management, que nous avions rédigé en 2010 et 2011 et
publié en anglais en janvier  2012. Cinq ans plus tard, en observateurs
attentifs et acteurs de l’industrie du luxe1, nous avons réalisé que cette
industrie avait subi de tels bouleversements que nous nous devions de relire
notre livre pour le situer dans ces évolutions. Cette relecture nous a
persuadés que l’édition de 2013 était prémonitoire à bien des égards (en
particulier dans les chapitres portant sur Internet et la Chine) mais qu’elle
devait être complètement repensée si nous voulions lui conserver son rôle
d’ouvrage de référence lu par tous les spécialistes de la distribution du luxe
dans ses éditions française, anglaise et chinoise.
Nous avons donc décidé de réécrire l’essentiel de cet ouvrage en
l’organisant autour du nouveau business model du luxe – l’omnicanal – où
le client est au centre des canaux de communication et de distribution
comme des organisations. Est ou devrait ? Nous verrons tout au long de ces
pages que c’est là l’enjeu majeur pour les marques de luxe dans les cinq ans
à venir  : remettre le client au centre et construire des organisations et des
systèmes d’information le permettant.
Il convient donc de partir du client –  et pour ce faire de comprendre les
évolutions majeures le concernant ces dernières années.

L’accélération des changements : le consommateur


du luxe n’est plus le même

Bain montre dans son étude annuelle 20172 sur le luxe que toutes les
tendances structurantes pour l’industrie sont liées à la montée en puissance
des millenials (ou génération Y, c’est-à-dire les personnes nées entre 1980
et 2000)3. Deux chiffres montrent l’impact de cette génération sur
l’industrie du luxe :
►► Ils représentent actuellement 38 % des acheteurs du luxe et 30 % du
marché (en valeur).
►► 85 % de la croissance du marché du luxe en 2017 leur est due.
Leurs goûts, leurs comportements et leurs attentes sont donc en train de
structurer le marché et influencent les autres générations. Nous avons retenu
3 comportements qui nous semblent essentiels :
►► La recherche d’expériences : on ne consomme plus des produits mais
on vit des expériences. Donner du sens à la vie est un objectif essentiel
et les clients vont rechercher des marques qui savent leur apporter ces
éléments de sens. Par exemple, les clients ont des passions et ils
recherchent des marques qui savent nouer une relation autour de ces
passions.
►► L’engagement : plus une marque se montrera proche de ses clients,
plus ceux-ci auront envie d’en devenir les ambassadeurs. Ils souhaitent
« vivre l’histoire » de la marque et non plus la consommer, ce qui leur
permet ensuite de la partager… sur Internet.
►►  L’affirmation individuelle  : le luxe –  par le choix d’un style
personnel – est un moyen d’expression.
Dès lors, le couple boutique physique-Internet peut être considéré comme le
seul épicentre de la marque, là où le client va en vivre l’histoire : tout l’art
de la marque est de relier l’expérience de vie du client (ses  passions, ses
communautés, son style personnel) à l’expérience de la marque (les
services, les transactions, les valeurs, la communauté autour de la marque).
Pour cela, Bain suggère aux dirigeants des marques de luxe de devenir
« obsédés par le client » et de se couler dans l’esprit des millenials en six
points qui devraient être dans l’ordre du jour de tous les responsables de
l’industrie :
1. Faire vivre l’histoire de la marque au travers de conversations et
d’expériences inspirantes.
2. Développer des relations individualisées avec les clients.
3. Repenser le parcours client en adoptant une vision holistique de la
distribution – ce que nous appellerons plus loin l’omnicanal.
4. Comprendre (et interpréter) les aspirations des clients pour devenir
pertinent auprès d’eux – ce qui, à l’inverse, tendrait à dire que toute
marque s’éloignant des aspirations des clients (et des millenials en
particulier) deviendrait obsolète.
5. Développer la personnalisation du produit, des services et des
messages tout au long de la vie du client.
6. Investir dans les talents et les compétences pour réaliser tout cela4 et
maintenir une orientation marketing produit.
En résumé, les marques de luxe – qui se sont construites depuis vingt ans,
en partie sur le développement des boutiques (ce qui requiert des
investissements lourds et se concrétise par une augmentation du chiffre
d’affaires) – se voient proposer de changer de modèle et de se reconstruire
sur le marketing et la relation client. Cela va les amener à accroître leurs
dépenses opérationnelles annuelles en matière de relations publiques et de
promotion, et cela va donc alourdir leur compte d’exploitation. Les marques
de luxe sont donc à un tournant historique : elles doivent se réinventer. Les
chiffres avancés par Bain en 2017 sont à cet égard stupéfiants : là où dans
les belles années du développement du luxe (que ce soit à la période de la
démocratisation – 1994-2007 – ou à celle de la boulimie chinoise – 2010-
2014), 85 à 95  % des marques présentaient des résultats positifs, depuis
2016 elles ne sont plus que 65 % à être profitables (et seulement 35 % ont
réussi à augmenter leur rentabilité  !). La période actuelle, que l’on peut
considérer comme celle du « nouveau normal », va faire des gagnants et des
perdants…
Ce livre est donc notre contribution à ces nouveaux défis auxquels les
marques de luxe doivent faire face.

Cas d’entreprise
Un exemple significatif :
« See now/buy now »
Le 4  février 2016, Burberry annonçait qu’il mettait en place ce qui s’avère être une
véritable révolution dans le monde de la mode5: l’alignement des dates des défilés
et de la disponibilité en boutique de toute nouvelle collection. Dès
septembre 2016, les collections étaient réduites à deux par an, les défilés femme et
homme étaient fusionnés et les produits disponibles au même moment en boutique.
Dans la foulée, d’autres marques annonçaient leur désir de s’aligner sur Burberry  :
Tommy Hilfiger, Tom Ford, Rebecca Minkoff, Vetements, Mulberry… Le 24  février
2017, Ralph Toledano, président de la Fédération française de la couture, du prêt-à-
porter, des couturiers et des créateurs de mode, annonçait qu’ils ne changeraient
rien au calendrier actuel ; il fut suivi très rapidement par Gucci et toutes les marques
de Kering.
Christopher Bailey, alors CEO et directeur de création de Burberry, légitimait ce choix
par la volonté d’être au plus près de ses clients  : il ne voyait pas pourquoi les
produits ne seraient pas immédiatement disponibles ni pourquoi la mode devait
continuer à distinguer automne/hiver et printemps/été alors que la diffusion de la
mode est mondiale (et concerne les deux hémisphères). Au bout du compte, pour lui,
tout ceci ne lui demandait qu’une optimisation des méthodes d’approvisionnement et
de production  : «  Quand vous regardez cela en détail, il s’agit tout simplement de
faire varier votre système de production – et rien de plus. » Il aurait pu aussi évoquer
la baisse des coûts qu’une telle décision implique, surtout à un moment où les
résultats de Burberry étaient médiocres (sur les 6 premiers mois de 2015 : ventes et
bénéfice stables ; baisse des revenus des licences de 13 %).
Bien entendu, il s’agissait de tout autre chose  : le grand retour du luxe ET une
nouvelle phase dans l’opposition entre la France et l’Italie d’un côté, et les Anglais et
les Américains de l’autre…
«  De nombreuses personnes, dont les designers et les retailers, se plaignent des
défilés. Quelque chose ne fonctionne plus à cause des médias sociaux, les gens
sont perdus », disait Diane de Furstenberg, présidente du CFDA (Council of Fashion
Designers of America), annonçant qu’ils examinaient la possibilité d’une Fashion
Week « See now, buy now ». Il s’agissait bien d’une initiative américaine, présentée
comme se faisant sous la pression des médias sociaux et des consommateurs. Ce
point est essentiel, il suffit de se rappeler par exemple que Tommy Hilfiger avait
installé lors de son dernier défilé un espace dédié aux « instagrammers », « pour leur
permettre de shooter de manière optimale le show et [de] publier en “live” leurs
clichés sur Instagram »6 et que les défilés américains sont maintenant accessibles au
public (moyennant un droit d’entrée). Les défilés de mode américains deviennent
ainsi un « entertainment » démocratisé.
La réaction des marques de luxe défilant à Paris et Milan a été immédiate : elles ont
réaffirmé leur statut de marques de luxe, mettant en œuvre une véritable gestion de
la rareté. Elles se sont présentées comme creation driven – et renvoyaient ainsi les
marques américaines à leur image marketing driven. De ce fait, elles se distinguaient
définitivement des marques américaines (et de Burberry), souvent présentées
comme étant le luxe accessible. Nous avons ainsi assisté à cette occasion à un
repositionnement général des marques au sein de l’industrie du luxe.
Mais il ne s’agissait pas de la part des Français et des Italiens d’une position figée
sur un modèle inamovible. Prada a mis immédiatement à la disposition de ses
clients, dans ses boutiques, deux modèles de sacs présentés lors de son défilé. Et
Karl Lagerfeld avouait7 au même moment que l’organisation de Chanel était bien plus
subtile qu’on ne le pensait : « Chanel réalise six collections par an, mais je viens d’en
réaliser une de plus – la collection Capsule – que nous ne présentons ni à la presse,
ni à personne. Elle n’apparaît que lorsque nos magasins reçoivent le document de
présentation. Mais je voudrais faire quelque chose d’autre – il est peut-être d’ailleurs
trop tôt pour en parler  – une collection spéciale Internet  : 15  modèles qui
apparaissent sur la toile : vous la regardez, vous commandez un modèle et vous le
recevez immédiatement.  » Vision bien plus sophistiquée que le «  see now, buy
now ».

La définition du luxe

Il est impossible de parler du luxe sans proposer une définition de cette


notion. Beaucoup d’experts discutent de la signification de ce mot sans
sembler parvenir à se mettre d’accord.
La première distinction à opérer est entre le luxe et la mode. Pour certaines
personnes, une marque du secteur des textiles ou des accessoires démarre
simplement comme une marque de « mode » et ne devient une marque de
«  luxe  » que si elle parvient à acquérir une certaine stabilité dans son
concept et une intemporalité dans ses collections. Selon cette théorie, une
marque de mode doit être créative et trouver de nouvelles idées, de
nouveaux concepts et de nouveaux produits chaque saison pour susciter
l’intérêt du consommateur. Si elle parvient à développer des modèles
classiques qui se vendent tout au long de l’année et deviennent des best-
sellers permanents, alors son statut évolue de « la mode » au « luxe ». Mais
si cette distinction entre marque de mode et marque de luxe est valide, elle
n’en est pas moins trompeuse car même une marque de mode ayant atteint
le statut de marque de luxe, comme Chanel ou Dior, doit proposer de
nouveaux modèles chaque saison et les présenter chaque fois d’une
nouvelle façon pour conserver l’attention du consommateur.

Pourquoi est-il difficile de trouver une définition ?

Le concept de luxe a fluctué au fil du temps. Au Moyen Âge, les gens


considéraient le luxe comme non nécessaire et donc superflu. Un objet de
luxe était plus compliqué que l’objet standard utilisé pour remplir la même
fonction. Jusqu’au XIXe  siècle, les objets de luxe ne s’adressaient qu’aux
« happy few » et leur permettaient de se distinguer des autres.
De nos jours, le terme luxe revêt une connotation nettement moins négative.
Il n’est plus considéré comme superflu ou réservé à un groupe restreint
d’individus. Un nouveau concept a émergé, le concept de marque, si bien
qu’un objet de luxe est un objet qui porte une marque connue, crédible et
respectée. L’introduction de la signature, c’est-à-dire de la marque, fait
reculer le concept d’exclusion («  Ce n’est pas pour tout le monde  ») et
déplace la focale vers la qualité de l’offre.
Un autre élément qui a pu contribuer à cette perception plus positive du
concept de luxe est l’émergence d’un luxe intermédiaire qui s’adresse en
fait à tout le monde8. Ainsi, ce qui se fixe dans l’esprit du consommateur est
que les produits de luxe sont raffinés et chers, d’une qualité clairement
supérieure à la moyenne et signés par une marque au nom et à la puissance
d’attraction très forts.

Les différentes approches du luxe

Une autre manière de faire la différence entre les définitions du luxe


consiste à examiner les critères que différentes personnes peuvent utiliser
pour distinguer un produit de luxe d’un autre :
►►  En termes de perception, le consommateur décide de ce qui est ou
n’est pas un produit de luxe. Aujourd’hui, on ne parlerait pas de
«  gâchis remarquable  », comme pouvait le faire Thorstein Veblen,
mais de qualité de service dans un environnement raffiné.
►► En termes de production, les fabricants décident s’ils veulent ou non
que leurs produits fassent partie de la sphère du luxe. En conséquence,
ils s’assurent qu’un produit de luxe résulte du travail d’un artisan
soigneux, qu’il soit vendu dans un environnement raffiné et que sa
promotion soit faite d’une manière unique, en mettant l’accent
principalement sur la marque et ses valeurs propres. Pourtant, les
fabricants et les consommateurs ne sont pas nécessairement d’accord :
les dirigeants d’Hugo Boss, par exemple, font sans doute tout ce qu’ils
peuvent pour que leur marque soit associée à des produits de grande
qualité, vendus dans un environnement relativement haut de gamme.
Et d’une autre manière, pour les dirigeants de Zara, l’accent mis sur
leur réseau exclusif de points de vente, situés dans les meilleurs
endroits des villes, et sur l’arrivée ininterrompue de nouveaux modèles
dans chaque magasin, rapproche leur activité de celle de l’industrie du
luxe.
►► En termes de comportement social et individuel, un produit de luxe
serait décrit par les sociologues comme un objet qui permet à son
utilisateur de se distinguer. Les clients parleraient sans doute en termes
hédonistes et décriraient à quel point la possession d’un objet de luxe
en particulier leur donne une satisfaction personnelle et un plaisir
authentique, reflétant peut-être le raffinement des objets qu’ils ont ou
projettent d’acquérir.
Un élément se trouve de façon sous-jacente dans ces diverses définitions :
la marque elle-même et ses valeurs propres. Un produit a bien sûr ses
propres caractéristiques techniques et esthétiques, mais il porte aussi une
marque. Cette identité de marque doit être en cohérence avec ce que le
produit représente et devrait apporter une valeur supplémentaire pour
apparaître en cohérence.

Un ensemble de valeurs de luxe

Une autre approche de la définition du luxe consiste à recenser les


différentes composantes que devrait comporter un objet de luxe :
►►  La notion d’exclusivité est sous-jacente au concept de luxe. Un
produit de luxe devrait être rare et légèrement difficile à acquérir. Bien
sûr, il doit être disponible mais il faut que l’acquéreur ait l’impression
de se distinguer par son utilisation, qu’il puisse identifier ce qui rend
ce produit si différent des autres produits ou des autres marques, et
faire preuve d’un raffinement et d’un goût remarquable.
►►  Une caractéristique évidente d’un produit de luxe est sa qualité. Il
doit être plus beau qu’un autre. Sa garantie doit être simple et
généreuse. L’emballage doit être raffiné et l’objet doit coûter cher, en
tout cas plus cher qu’un produit similaire vendu sur le marché de
masse.
►► Autre facette : une forme d’hédonisme. Le produit doit être agréable
à posséder et à utiliser, il doit procurer un sentiment de satisfaction très
personnel.
►► L’image de la marque est sans doute la composante finale. Elle doit
être connue, mais aussi unique, différente mais avec des
caractéristiques connues de tous.
Enfin, le luxe est toujours une question de statut. Un professionnel du luxe
ne devrait jamais oublier son vrai métier  : fournir aux clients un statut
particulier, de manière directe ou indirecte, et quelle qu’en soit la forme.
En résumé, les clients sont disposés à payer un prix plus élevé parce qu’à
travers toutes ces caractéristiques, un objet de luxe comble tous leurs
besoins émotionnels ou symboliques et leur apporte une expérience
mémorable. Voilà ce dont il s’agit quand il est question d’exclusivité, de
qualité, d’hédonisme et d’image de marque.

Les différents types de luxe

Plutôt que de nous lancer dans une longue discussion sur une seule et
unique conception du luxe, il est peut-être plus efficace de distinguer les
différents types de luxe :
►► Le luxe authentique renvoie aux objets qui sont clairement différents
des produits du marché de masse par le fait qu’ils sont le fruit d’un
savoir-faire artisanal : ils ont peut-être une meilleure longévité, ils sont
peut-être plus faciles à utiliser et ils ont aussi une identité de marque
qui est gratifiante. Un vrai produit de luxe sera quelque peu intemporel
et agréable à manipuler ou utiliser pour son propriétaire, grâce à une
infinité de détails raffinés et soigneusement ouvragés. Il ne sera sans
doute pas bon marché et son identité procurera bien plus que la valeur
économique qu’il peut avoir  : ce ne sera pas tant une proposition
économique qu’un objet doté de composantes esthétiques qui
apporteront un surcroît de valeur émotionnelle à son propriétaire.
►► Le luxe intermédiaire (un des auteurs de ce livre a forgé l’expression
« luxe populi » dans un ouvrage à paraître) correspond à des produits
qui revêtent les attributs traditionnels du luxe en termes de créativité,
de communication et de cohérence au niveau de l’identité de la
marque, mais qui sont en fait une version améliorée de biens de
consommation classiques. Ils ne sont pas le fruit d’un savoir-faire
individuel. Ils se positionnent dans les échelons hauts du milieu de
l’échelle des prix et sont produits en quantités relativement grandes
dans des usines automatisées, mais leur image de marque est
soigneusement développée et contrôlée.
►► Le luxe excentrique renvoie à des produits qui sont pratiquement des
créations exclusives et qui se distinguent très nettement du standard.
Ferrari en est un bon exemple : une Porsche serait un produit de luxe
authentique  ; une Ferrari apporte une dimension autre, plus
excentrique. Les Ferrari sont produites en très petites quantités et
semblent affirmer le droit à la liberté et à la créativité de l’entreprise
Ferrari. Cette société ne fabrique pas des automobiles mais des objets
de collection uniques, dont certains ne verront jamais une route de
campagne normale. Comme l’a dit un jour Jean-Louis Dumas, l’ancien
président d’Hermès  : «  Une marque de luxe doit respecter trois
conditions : produire de beaux objets ; sélectionner ses clients pour en
faire des agents individuels de sa propre promotion  ; et décider
librement et sans aucune contrainte de ce qu’elle veut faire.  » Il
n’existe peut-être pas de meilleure définition du luxe.
►► Le luxe raisonnable n’est peut-être pas du luxe du tout, ou peut-être
n’est-ce qu’un cas particulier de luxe intermédiaire. Zara représente ce
segment  : des produits créatifs qui changent très rapidement, et des
consommateurs qui trouvent une satisfaction psychologique à acheter
et utiliser ces produits en mouvement. Les prix sont très raisonnables
et l’image de marque est soigneusement gérée et promue, avec une
vision à long terme claire. Comme nous le verrons, le business model
de Zara est très efficace. Mais si, du point de vue du fabricant,
beaucoup d’outils empruntés au luxe sont mobilisés, il ne s’agit peut-
être que d’une forme de luxe intermédiaire, voire simplement d’une
marque de masse sophistiquée et efficace. Zara est peut-être un
mauvais exemple parce que la plupart des lecteurs diront que cette
marque n’a rien à voir avec le secteur du luxe. Nous acceptons ce point
de vue, mais dans notre esprit, beaucoup d’outils du luxe peuvent être
utiles à des marques de masse. Et puis il s’agit sans doute d’un
continuum, avec Zara à un bout de ce continuum et Gucci ou Chanel à
l’autre bout.
Le contenu de cette nouvelle édition

Par rapport à la première édition, avec ses 13  chapitres descriptifs, dans
celle-ci, nous avons souhaité insister sur 4 éléments essentiels de la gestion
des points de vente. Nous aurions pu parler d’ailleurs non pas du luxe mais
de tous les secteurs marchands pour lesquels les magasins constituent
souvent la première source de revenus.
Il se trouve que par rapport à des secteurs plus traditionnels, l’industrie du
luxe comporte des particularités intéressantes : il est possible d’identifier les
clients dont on peut relativement facilement obtenir les coordonnées et de
suivre leurs achats sur plusieurs années. Le même client peut d’ailleurs
acheter des produits, tantôt près de son lieu de résidence ou de travail, tantôt
à l’autre bout du monde au cours de voyages touristiques ou professionnels.
Dans la première partie, nous présenterons les choix essentiels qui se
présentent aux marques de luxe en matière de distribution.
Dans la deuxième partie, nous mettrons le client au centre. Les clients du
luxe s’attendent à un service continu (seamless). Ils souhaitent pouvoir
passer à tout moment d’une démarche online à une démarche offline et
s’attendent à ce que la marque soit organisée pour leur permettre à tout
moment de passer d’un système à l’autre sans aucun à-coup. Il n’y a pas
aujourd’hui de terme universellement accepté pour désigner ceci  : nous
trouvons le plus souvent en France le terme « omnicanal », aux États-Unis
le terme « ROPO » (« Research Online, Purchase Offline », soit recherche
d’informations Online [sur Internet] Purchase [achat] Offline [dans un
magasin], ou également  : recherche d’informations offline [dans un
magasin], achat online [sur Internet]) et en Chine le O2O («  Offline to
Online  »). Nous adopterons dans ce livre le terme «  O2O  », lequel est
déclinable (offline to online/online to offline/offline to online to offline,
etc.). Mais le O2O, qui doit toujours s’adapter aux passages continus des
clients d’un système à l’autre, nécessite des systèmes de gestion, de
logistique ou de contrôle très subtils.
Dans la troisième partie, nous approfondirons le type de service qu’il faut
donner aux clients, nous montrerons comment construire sa fidélité et
comment assurer la qualité et la précision du service.
Dans la quatrième partie, nous présenterons les éléments plus classiques et
plus habituels de la gestion d’un point de vente.
Nous avons cherché dans cet ouvrage à répondre à toutes les questions qui
se posent aujourd’hui aux marques de luxe en matière de distribution
physique et à fournir des pistes de réflexion et des schémas de ce qui
devrait se passer dans les toutes prochaines années.
Partie 1

Les grands choix
de la distribution de luxe
Chapitre 1

Les différents modèles de distribution du luxe


« Le luxe aujourd’hui ne vend plus de la rareté mais du sentiment d’exclusivité, lequel dépend
en priorité de la sélectivité de sa distribution autant physique que digitale. »
Jean-Noël Kapferer

De l’extérieur, les observateurs peuvent penser que toutes les marques de luxe sont
distribuées de la même façon, dans des magasins exclusifs leur appartenant, et
qu’elles sont capables de diriger depuis leur siège social. En fait, la réalité est
beaucoup plus complexe.
Certains produits de luxe, comme les parfums ou les montres, sont vendus en
majorité dans des magasins multimarques ne leur appartenant pas. Ces magasins font
en général ce qu’ils pensent le plus efficace pour leur activité multimarque et ils ne
sont jamais faciles à motiver ou à mobiliser…
Dans certains pays (comme par exemple l’Arabie saoudite, la Thaïlande ou le
Viêtnam), une société étrangère d’importation et de distribution de produits fabriqués
à l’étranger ne peut pas posséder la majorité de sa filiale locale. Elle doit s’associer
avec un partenaire majoritaire de la nationalité du pays. Aucun groupe de luxe ne
peut donc, même s’il le souhaitait à l’origine, être propriétaire de tous ses points de
vente.
La construction d’un réseau mondial de points de vente nécessite beaucoup de
temps et d’argent. C’est formidable pour une grande marque de luxe d’avoir son
propre magasin à Oulan-Bator, mais comment peut-elle s’assurer que les clients
peuvent y trouver un service (accueil, conseil, prix et service après-vente par
exemple) identique à celui qu’ils obtiennent à Paris ou à Milan ?
Enfin s’il est possible pour Gucci ou Chanel d’investir pour ouvrir un magasin à
New York, cela est beaucoup plus difficile pour une petite marque qui a déjà du mal à
rentabiliser son magasin parisien.
Parler des points de vente des marques de luxe dans le monde oblige donc à décrire
tous les modèles, physiques ou digitaux, qui peuvent ou doivent être utilisés pour
présenter les produits à l’ensemble des clients mondiaux.

La distribution directe et la distribution indirecte


Les marques de luxe n’ont pas commencé avec des magasins exclusifs dans toutes les
villes du monde. Leur système de distribution a évolué. Elles ont souvent commencé
avec un seul magasin dans une seule ville (la cité d’origine) et ont ensuite utilisé un
réseau de points de vente multimarques qui leur ont offert une première visibilité et
un volume de chiffre d’affaires international. L’environnement commercial a aussi
évolué dans les 150  dernières années et les principaux types de magasins se sont
développés et ont trouvé leur raison d’être et leur équilibre.

La perspective historique

Le commerce de détail est sans doute un des plus vieux métiers du monde. Dès que
les gens ont réalisé qu’ils ne pouvaient se procurer personnellement tous les objets
dont ils avaient besoin pour leur propre survie, ils ont cherché à identifier d’autres
individus capables de rassembler une sélection d’articles demandés, qu’ils
revendaient ensuite à leur profit. Ce processus consistant à rechercher et sélectionner
différents objets pour présenter une gamme de produits dont l’acquisition serait
ensuite facilitée aux autres individus semble aussi vieux que le monde lui-même. Plus
tard, au Moyen Âge, à mesure que le commerce se développait, les commerçants d’un
même domaine ont souvent eu tendance à se regrouper dans une même rue. Il leur
semblait qu’ils étaient mieux installés près de leurs concurrents, considérant que les
clients viendraient chez eux d’autant plus facilement et aussi bien que chez leurs
concurrents, en faisant le tour de tous les magasins situés dans la rue. Ceux qui
avaient installé un magasin ailleurs, résolument isolés de leurs confrères, étaient alors
simplement à l’écart des itinéraires d’achats et rataient ainsi des occasions de vente.
Être situé loin des autres commerçants mais près des quartiers d’habitation constituait
néanmoins un avantage pour les services quotidiens comme les produits alimentaires
– en d’autres termes le commerce de proximité.
Cette distinction entre les achats de proximité et les autres a toujours existé et
explique les différences de stratégies de localisation. Le  fait que des commerçants
d’un même secteur aient voulu se rassembler et concentrer leur pouvoir d’attraction
n’est pas très différent de ce que nous observons aujourd’hui avec la concentration
des magasins de luxe dans les mêmes quartiers des grandes villes.
L’événement fondateur qui mérite d’être mentionné ici est la création en 1851 du
premier grand magasin au monde, Le Bon Marché, à Paris. L’idée était que, pour la
première fois, un même magasin vendrait du prêt-à-porter pour hommes et pour
femmes, ainsi que des chaussures et des ustensiles de cuisine : tout ceci à la fois, dans
la même boutique. Comme toujours, lorsqu’une idée est bonne, elle est rapidement
copiée et, en 1856, le premier grand magasin américain ouvrait à New York : Macy’s,
à son emplacement actuel.
Au fil du temps, l’apparence et le système de présentation des produits dans les
grands magasins ont été très marqués par les innovations techniques. En 1869, le
premier ascenseur était installé à Paris dans un magasin, facilitant le passage des
clients d’un étage à l’autre et rendant possible la présentation des produits sur quatre
ou cinq niveaux différents.
Une autre innovation, datant de 1892, a marqué l’allure de tous les grands
magasins du monde : l’escalator. Celui-ci a permis aux clients de passer d’un étage à
l’autre à leur propre rythme, sans devoir attendre un ascenseur. Les escaliers
mécaniques ont ainsi dessiné l’espace de presque tous les grands magasins
d’aujourd’hui : un puits central au milieu d’un hall aussi vaste et impressionnant que
possible, et parfois couronné d’une coupole, et des escaliers traversant ce puits,
permettant aux clients de passer d’un étage à l’autre comme ils le souhaitent.
En 1895, les premiers escalators étaient installés chez Harrods à Londres.
En 1915, le premier grand magasin japonais était créé à Tokyo  : Mitsukoshi
Nihonbashi.
1919 constitue une autre date très importante : le premier système de climatisation
était installé chez Abraham & Strauss à New York. Dès lors, les grands magasins
n’ont plus besoin de fenêtres. La climatisation, qui assure la ventilation, leur permet
de se passer de fenêtres et même, dans certains cas, des portes ouvrant sur la rue : les
magasins peuvent être intégrés à une galerie ou à un centre commercial. Les
boutiques n’ont donc non plus besoin de fenêtres, sauf bien sûr comme vitrines, à des
fins de présentation des produits. L’apparence des bâtiments des grands magasins
s’est ensuite à peu près stabilisée telle que nous la connaissons aujourd’hui.
En 1922, le premier centre commercial au monde, le Country Club Plaza, était créé
à Kansas City. L’apparence de ces centres est demeurée quasi inchangée depuis
95 ans, avec très peu d’innovations, à l’exception du premier magasin « hors taxes »
qui a ouvert en 1957 à l’aéroport de Shannon, en Irlande.
Sur un autre plan, il nous faut relever l’apparition de la première caisse
électronique en 1970 et du premier appareil de lecture optique en 1975. Avant ces
dates, il était difficile d’imaginer que chaque produit vendu dans le monde aurait un
jour son propre code facilement lisible par une machine.
Les grands magasins d’aujourd’hui, les centres commerciaux, les galeries
commerciales ou les points de vente « hors taxes » sont en fait le produit de 150 ans
d’innovation et de développement dans la distribution.

Les différents types de points de vente

■ La vente en gros et la vente de détail


Il existe en fait deux méthodes pour présenter ses produits au consommateur. Avoir
ses propres magasins, pour contrôler complètement la relation avec ses clients (la
vente de détail), ou bien vendre à des magasins qui présenteront eux-mêmes les
produits à leurs clients (la vente en gros). Cette distinction existe bien sûr pour les
magasins physiques. La même différence existe aussi en matière digitale. Céline vend
ses chaussures par l’intermédiaire de son propre site Internet (la vente de détail) mais
les vend également sur le site de Net-A-Porter (la vente en gros). Dans les deux cas,
le prix de vente au consommateur est le même (c’est le même prix de détail) mais
dans le second (la vente par l’intermédiaire de Net-A-Porter), Céline doit laisser à la
plateforme l’équivalent d’une marge de détail.
À première vue, on pourrait penser que la vente en gros (par l’intermédiaire de
points de vente multimarques indépendants ou de sites digitaux extérieurs à la
marque) est plus simple car la marque n’a rien à faire et elle n’immobilise pas ses
capitaux dans la propriété des magasins et des stocks. Mais, bien sûr, elle doit alors
partager la marge avec ces magasins.
Au contraire, on peut estimer qu’il est plus simple de vendre exclusivement dans
ses propres magasins et de garder toute la marge. Mais l’entreprise est-elle assez forte
pour attirer le client et le faire entrer dans ses propres boutiques ? De même, l’achat
est-il suffisamment important pour que le client fasse l’effort de venir chercher le
produit directement ? Un exemple va faire comprendre l’enjeu  : Hermès vendrait-il
plus de flacons de son Eau de Cologne – Eau d’Orange Verte – en vendant ce produit
dans toutes les parfumeries de Paris ou en le réservant exclusivement à ses seules
boutiques parisiennes ?

■ Les magasins en propre

Les boutiques en propre ou autonomes (en anglais : DOS – Directly Operated Stores)
semblent avoir la priorité de beaucoup de gestionnaires de marques.
Bien sûr, dès qu’une marque bénéficie d’un fort pouvoir d’attraction et qu’elle
dispose de moyens financiers suffisants, elle peut être tentée par ce système qui lui
permet de connaître très tôt la réaction des consommateurs à une nouvelle collection
ou à un nouveau produit. Mais le développement d’un large réseau de boutiques « en
propre  » modifie sensiblement l’organisation d’une marque de créateur de produits
exceptionnels : elle doit devenir gestionnaire de points de vente et les priorités de la
marque, de son organisation et de l’utilisation de ses moyens financiers en sont
affectés. Vendre, comme nous le verrons plus tard, est un véritable métier : la plupart
des marques de luxe –  structurées autour de la création  – ne possédaient pas les
compétences « retail » et les ont acquises au fil du temps.

■ Les magasins de partenaires


Les magasins de partenaires (en anglais : TPOS – Third Party Operated Stores) ont la
même apparence qu’un magasin en propre pour le client  : ils utilisent le même
concept, la même décoration et la même présentation qu’un magasin en propre, et le
client ne peut pas les différencier. Ils présentent les produits de la marque exactement
de la même façon que le magasin d’origine à Paris ou à Milan. Mais ils sont gérés,
financés et développés par un intermédiaire.
Cet intermédiaire est quelquefois un « franchisé » qui est intéressé par une marque
en particulier absente dans son territoire de prédilection (Toulouse par exemple pour
une marque française, ou pourquoi pas Astana au Kazakhstan ?). Celui-ci s’engage à
ouvrir un magasin en respectant à 100 % le concept de la marque, à acheter pour un
montant minimum des produits de la marque à chaque collection et à payer un
pourcentage de son chiffre d’affaires sous forme de royalties (en général, de 2 à 5 %).
En échange, ce franchisé bénéficiera, pour la durée de son contrat, d’une exclusivité
territoriale.
Ce système est très utilisé pour les marques de mode nationales, avec un niveau de
prix «  premium  ». Elles utilisent plusieurs franchisés dans le même pays, chacun
disposant d’une exclusivité dans une ville ou dans une partie de la ville.
Pour les marques de luxe, l’intermédiaire est plus souvent un distributeur exclusif
dans un pays donné (par exemple la Chine, le Japon ou la Russie). Il disposera d’une
exclusivité territoriale et choisira avec la marque, les villes où il s’implantera en
priorité. Le distributeur exclusif investira directement dans le développement d’un
réseau de boutiques exclusives et bénéficiera d’un contrat de longue durée
(quelquefois plus de vingt ou vingt-cinq  ans). Dans ce cas, le distributeur exclusif
devra assurer à la fois la présence publicitaire et digitale de la marque dans le pays, et
ses relations publiques.
Enfin, un cas particulier de distribution exclusif est celui où la marque de luxe
opère dans un pays où les étrangers n’ont pas l’autorisation de posséder une filiale
majoritaire. Les dirigeants de la marque décident donc de sélectionner un distributeur
exclusif qui sera actionnaire majoritaire de la filiale locale de distribution. Cet
actionnaire majoritaire respectera aussi les consignes de la marque en termes de
conception et de décoration des points de vente, et assurera la logistique de la marque
sur un territoire. Comme indiqué précédemment, dans des pays comme l’Arabie
saoudite, le Koweït, le Qatar, la Thaïlande, le Viêtnam et bien d’autres, les filiales de
distribution ne peuvent pas être possédées en majorité par un actionnaire étranger.

■ Les grands magasins

Traditionnellement, les grands magasins ont été créés pour s’approvisionner en toutes
sortes de produits, pour les acheter et disposer du personnel spécialisé pour les
présenter à la clientèle dans des comptoirs adaptés. Le grand magasin assurait alors
toutes une série d’activités :
• La recherche et la sélection des produits.
• L’achat, la réception et l’entreposage de ces produits.
• Le paiement des produits, quelquefois avant leur réception.
• La présence dans un comptoir.
• La présentation du produit à la clientèle.
• La vente et l’activité des vendeurs.
• L’encaissement du prix de vente.
Il s’agit ainsi d’un service financier, logistique, merchandising et commercial.
Aujourd’hui, les principales marques de luxe sont vendues dans des shop in shop
(des magasins dans un magasin)  : le grand magasin fournit un espace (quasiment
comme le ferait un agent immobilier), la marque de luxe réalise la décoration à ses
frais dans cet espace, embauche les vendeuses, les forme, leur fournit un uniforme et
les rémunère. Elle sélectionne les produits les plus adaptés à ce point de vente et,
dans un certain nombre de cas, en garde la propriété jusqu’au jour de la vente. Le
grand magasin se contente d’encaisser le prix de vente, de prendre la marge de détail
et de transférer un prix de gros à son «  fournisseur  ». Sa tâche consiste alors
simplement à :
– la mise à disposition d’un espace ;
– l’encaissement du prix de vente.
Son rôle est en fait relativement simple par rapport au rôle initial des grands
magasins – et se rapproche de celui d’un loueur d’espace immobilier.
Entre ces deux façons de travailler avec un grand magasin (la nouvelle et la
traditionnelle), il en existe une troisième : l’obtention par la marque d’un contrat de
« corner ». Dans ce cas, la marque dispose d’un espace limité, ouvert sur les autres
rayons mais quand même identifié et aménageable, avec des vendeurs payés par la
marque et une marchandise appartenant au grand magasin.

Évolution et perspective des types de points de vente

L’évolution depuis 1950

Dans le tableau  1.1, nous présentons le nombre de points de vente et le chiffre


d’affaires de certaines marques de luxe pour les dix-huit dernières années. Nous
avons choisi : Bulgari, Cartier et Van Cleef & Arpels, Gucci, Louis Vuitton et Tiffany.
Tableau 1.1 – Exemple de développement de nouveaux magasins pour quelques marques
(estimation)1

2000 2003 2007 2012 2018

Bulgari (CA)          
Chiffre d’affaires 376 759 1 091 1 100 2 800 (E)
Nombre de magasins 126 182 207 267 300

Cartier et Van Cleef          


Chiffre d’affaires 1 500 1 994 2 435 5 206 6 447
Nombre de magasins 250 250 301 400 401

Gucci (CA)          
Chiffre d’affaires 1 200 1 800 2 300 3 639 6 211
Nombre de magasins 143 174 233 429 529

Louis Vuitton          
Chiffre d’affaires 1 500 (E) 2 200 (E) 3 700 (E) 7 000 (E) 10 500 (E)
Nombre de magasins 284 317 390 500 450

Tiffany          
Chiffre d’affaires 1 334 1 600 2 342 3 035 3 682
Nombre de magasins 119 141 184 275 315

Le tableau montre clairement les points suivants :


• Le développement des points de vente directs a clairement constitué une activité
et un enjeu stratégique majeurs pour le luxe dans les vingt dernières années.
• Sur cet échantillon de 6 marques, le nombre total de magasins monomarques est
passé de 922 à 1 995 : la gestion, le contrôle et les ressources humaines afférant
à ces points de vente sont donc devenus des aspects majeurs de la gestion d’une
marque de luxe.
En fait, dans cette évolution, on enregistre à la fois l’évolution générale du marché
et l’émergence de grandes marques de plus en plus puissantes.
Pour une marque très forte, il est facile de payer des droits d’entrée très élevés pour
acquérir un emplacement privilégié dans une grande ville comme Tokyo ou Paris et
d’avoir suffisamment d’attractivité pour attirer dès le premier jour un très grand
nombre de clients : le point mort est facilement acquis.
Pour une petite marque, la situation est plus complexe. Au début de ce cycle, la
marque démarre généralement avec un magasin en propre et distribue ses produits via
quelques détaillants sélectionnés, surtout des points de vente multimarques. En
s’insérant sur un nouveau marché, elle passera par des agents locaux ou par un accord
de distribution  : par exemple, Bluebell et Dickson Poon sont des distributeurs
auxquels les marques européennes qui veulent entrer sur le marché asiatique ont
souvent recours.
Lorsque la marque grandit, elle développe ses magasins en propre et,
simultanément, passe d’un accord de distribution à un franchisé ou à un joint-venture
avec ses partenaires locaux. Sur des marchés nouveaux, en formation, comme le
marché russe, les franchises seront la solution  : par exemple, en décembre  2000,
Hermès a ouvert un magasin de 250  m² à Moscou, avec l’aide d’un intermédiaire,
JamilCo2. L’entreprise russe a couvert l’intégralité de l’investissement initial du
projet, y compris les coûts de construction et de décoration de la boutique, et Hermès
s’est occupé du design intérieur. Les  deux magasins Gucci à Moscou étaient alors
également gérés par un intermédiaire, Mercury Distribution. Autre exemple très
intéressant, celui du Club  213, originaire de Singapour, distributeur d’Armani au
Royaume-Uni, aux États-Unis et en Asie (Singapour, Malaisie, Thaïlande, Hong
Kong et Australie) grâce à des accords de franchise.
Enfin, lorsque la marque considère qu’elle est assez forte et que le marché est
suffisamment mûr, elle rachète ses franchises ou ses joint-ventures de distribution
pour établir une filiale contrôlée à 100 % : ceci a constitué la tendance majeure ces
dernières années pour des marques mondiales comme Gucci et Hermès, comme on
vient de l’indiquer, Louis Vuitton et Armani. On en voit un exemple emblématique
avec le cas Gucci – marque qui a véritablement initié ce business model il y a 20 ans
sous l’impulsion de Domenico De Sole4 :
In fine, un contrôle de la distribution reposera sur cinq canaux majeurs :
• Des magasins en propre sur les marchés principaux (via des filiales).
• Des distributeurs ou des franchises dans les pays en développement ou les pays
exotiques.
• Des boutiques shop in shop dans les grands magasins, de manière à  garder un
contrôle total sur le merchandising visuel, les ventes et la relation client. Seules
les marques très fortes peuvent travailler dans les grands magasins
exclusivement avec de grands shops in shops. Les  autres marques se
contenteront de comptoirs qui subiront très fortement l’influence du grand
magasin lui-même.
• Des points de vente travel retail, car même si les coûts de fonctionnement et les
marges exigées par les opérateurs de duty free sont élevés, les volumes de ventes
sont significatifs. Mais l’image de marque et l’impression d’exclusivité et de
qualité des produits peuvent se détériorer au fil du temps si l’entreprise ne garde
pas un contrôle suffisant sur ces opérations. Pour ces raisons, Gucci a établi son
premier point de vente duty free hors d’Italie, à Heathrow en 1999 – et agrandi
de 100 m² ceux de Rome et de Milan ; Chanel a ouvert ses premiers duty free en
1999 dans plusieurs terminaux d’Heathrow (100  m² chacun), mais Prada par
exemple a été plus long à s’y installer.
• Pour les montres, la joaillerie, les parfums, les cosmétiques et l’optique  : les
marques sélectionnent progressivement les meilleurs magasins multimarques,
ceux qui sont en phase avec leur image de marque.
Type de distribution et puissance de la marque

Comme expliqué ci-dessus, il n’y a pas un seul système adapté à la distribution des
produits de luxe mais des possibilités résultant du niveau d’attractivité d’une marque
et de son volume de ventes.
Les professionnels comparent facilement les marques par le chiffre d’affaires au
mètre carré réalisé dans leurs points de vente. Lorsque ce chiffre est très élevé (par
exemple 50  000  € ou 100  000  € par mètre carré et par an), il est facile d’ouvrir de
nouveaux magasins et de payer le loyer. Quand ce chiffre est de dix ou vingt fois plus
faible, il vaut mieux travailler avec des points de vente multimarques.
C’est pour cela qu’il n’y a pas qu’un seul optimum de distribution des produits de
luxe. Cela dépend du volume qui peut être réalisé dans un point de vente :
• Pour une marque faible, il est possible d’avoir un seul point de vente, en propre,
dans le pays d’origine. Pour le reste, il est prudent de privilégier l’accès aux
magasins multimarques. Dans ce cadre, les grands magasins aussi offrent une
solution idéale. Ils disposent du trafic  : les clients passent dans les allées du
magasin et sont prêts à acheter. La marque sera présentée au milieu d’autres
marques plus ou moins attirantes ou reconnues  ; cela crée un environnement
favorable et prestigieux. Enfin, lorsque l’on se trouve tout simplement dans un
rayon, les vendeurs sont rémunérés par le grand magasin… Bien sûr, si le chiffre
d’affaires réalisé en comptoir se trouve trop faible, le grand magasin ne
renouvellera pas l’expérience et il faudra trouver un autre système de
distribution…
• Pour une marque très très faible, les grands magasins exigeant peu ou prou un
chiffre d’affaires minimum, ils ne fournissent pas la solution idéale. Dans ce cas,
le petit point de vente unique où la vente peut s’organiser, mais où le magasin
sert aussi d’adresse officielle et de centre d’opérations de relations publiques
peut correspondre au système le plus adapté.

Les conséquences du type de distribution sur la politique


produit

Si les caractéristiques du produit ont une influence sur le type de distribution idéal, à
l’inverse la distribution choisie impose une politique produit adaptée.
Les circuits de distribution, indirects ou directs, requièrent des stratégies marketing
très différentes, comme nous le décrivons dans le tableau 1.2.
Pour la distribution indirecte, il n’est pas utile de disposer d’une gamme trop
étendue. Il vaut mieux lancer un seul produit qui aura suffisamment de force pour
s’imposer. Au contraire, lorsqu’une marque dispose de magasins monomarques, elle
doit proposer une gamme assez large, de sorte que chaque client entrant dans le
magasin puisse trouver le produit qui lui convienne.
Tableau 1.2 – Différence entre modèles de distribution direct et indirect

  Distribution indirecte Distribution directe


Boutiques non exclusives Boutiques exclusives

Ligne de produit Restreinte Large

Objectif produit Produit star Partie d’un ensemble

Publicité et promotion Tirer le produit Pousser le produit

Élasticité des prix Forte Limitée

Lien avec le client Restreint Fort (CRM)

Besoins logistiques Limités Essentiels

La clé, dans un magasin multimarque de parfums, est, pour une marque donnée,
d’avoir un seul produit star que les clients peuvent facilement identifier et rechercher.
Au contraire, dans une boutique monomarque, le même produit star n’arrivera pas
nécessairement à satisfaire tous les clients  : il risque de faire écran à chacun des
autres produits qui s’adresse à un segment spécifique du marché.
Les circuits de distribution, directs ou indirects, nécessitent un appui publicitaire et
promotionnel différent. Dans le circuit indirect, la publicité dans les grands médias
est une priorité pour convaincre le consommateur – qui est confronté à un large choix
de produits dans chaque magasin – que la marque X est plus désirable, plus moderne,
plus prestigieuse ou simplement plus adaptée que les autres. Dans le circuit direct, la
publicité dans les grands médias peut être nécessaire pour amener les clients dans la
boutique, mais la différence résulte des efforts des vendeurs qui doivent user de leur
force de conviction et de leurs propres arguments de vente.
Dans le circuit indirect, le client, face à une offre multimarque, se sert du prix
comme d’un critère de sélection. Dans le circuit direct, le client n’achètera certes pas
le produit s’il trouve son prix excessif, mais ce ne sera pas un critère de sélection
entre différents produits, dans une gamme de prix qu’il juge raisonnables.
Dans le circuit direct, un lien individuel fort entre le consommateur et la marque
devra être créé au fil du temps via le management de la relation client (MRC ou
CRM)  : les clients seront identifiés, leurs noms et adresses enregistrées, ainsi que
leurs préférences et leurs schémas d’achats. Il est ensuite possible de développer une
relation forte et d’organiser des programmes promotionnels conçus spécifiquement
pour eux. Dans un circuit indirect, la plupart des clients demeurent inconnus et non
identifiés, ce qui rend difficile d’établir des liens particuliers entre eux et une marque
donnée, celle-ci n’étant qu’une parmi d’autres dans l’offre qui leur est présentée.
Les exigences en termes de logistique sont aussi assez différentes d’un système à
l’autre. Dans le circuit indirect, une partie de la logistique, comme le stockage et la
livraison à chaque point de vente, est souvent assurée par l’intermédiaire. Dans le
circuit direct, ces tâches incombent exclusivement au propriétaire de la marque.
On a un peu tendance à considérer le système direct comme plus efficace que le
système indirect.

 Cas d’entreprise
Le cas de Ralph Lauren
Ralph Lauren fait figure de contre-exemple. Ses résultats montrent la puissance du système
indirect.
Les dirigeants de l’entreprise parlent d’un « modèle intégré flexible » qui comprend la distribution
directe, la distribution indirecte et les franchises. Avec des ventes annuelles proches de
5,3  milliards d’euros et un bénéfice net de 140  millions d’euros en 2018, Ralph Lauren obtient
une rentabilité comparable à celle de très grandes marques, ce qui n’est pas une mauvaise
performance pour une marque de première génération, toujours dirigée par son fondateur. Ce
modèle de fonctionnement s’appuie sur une approche intégrée pour la publicité et le marketing,
mais en matière commerciale, chaque région dispose d’un mélange entre des points de vente en
propre et des magasins franchisés, supervisés quelquefois par des distributeurs locaux ou
directement. Le chiffre d’affaires se répartit entre 55 % pour les ventes du circuit indirect, 40 %
pour les ventes du circuit direct et 5  % en royalties de licences. Toutefois, et cela n’est pas
anodin, seulement 23  % du bénéfice opérationnel total provient des points de vente contrôlés
directement.
Ralph Lauren affiche 8  611  points de vente indirects aux États-Unis et au Canada. Il n’en a
néanmoins que 120 au Japon. En fait, pour Ralph Lauren, le segment indirect comprend
11  000  points de vente. Dans le segment de distribution directe, Ralph Lauren gère
153 magasins (134 en Amérique du Nord et 19 en Europe) et 158 magasins d’usine.
Ralph Lauren a recours aux licences pour les parfums (L’Oréal), l’optique (Luxottica) et les
montres (Richemont) ainsi que pour le sur-mesure hommes (Dealers), les sous-vêtements et
pyjamas hommes (via Hanes et Chaps Sportswear du Groupe PHV).
Les dirigeants de Ralph Lauren font également appel à des distributeurs exclusifs pour gérer leur
distribution indirecte dans de nombreux pays comme le Japon, la Corée du Sud, Hong Kong, la
Chine et Singapour, de même que la Colombie, l’Équateur, le Pérou, la Bolivie et d’autres pays
en Amérique centrale ou dans les Caraïbes.
Le système de Ralph Lauren propose une approche diversifiée du luxe. Bien sûr, tous les
produits finissent par se trouver dans des magasins, mais pas nécessairement dans des points
de vente directement gérés par la marque  : les dirigeants ont recours au circuit de distribution
indirecte, mais aussi à des contrats de distribution avec des associés locaux, ainsi qu’à des
opérateurs de licences pour améliorer continuellement la qualité de leur présentation produit et la
viabilité de leur modèle de croissance globale.

L’essentiel, c’est de comprendre que chaque situation correspond à une politique


de distribution adaptée et évolutive et que chaque politique comprend ses propres
avantages et inconvénients.
Avantages et inconvénients des différents circuits de distribution

Si les marques les plus puissantes se renforcent avec une distribution directe intégrée,
il ne faut surtout pas faire de ce système la seule variable dans l’industrie du luxe.
Tout dépend de la taille de l’entreprise, de ses moyens financiers et de ses
perspectives. Une grande différence dans les systèmes de distribution tient à leurs
aspects financiers.

Marges et coûts de distribution

La grande différence entre ces systèmes, c’est que dans le cas d’une distribution
intégrée, la marque vend au prix de détail et bénéficie d’une marge pleine. Au
contraire, lorsqu’elle vend de façon indirecte, par exemple par l’intermédiaire d’un
détaillant multimarque ou d’un grand magasin, elle doit leur réserver une marge de
détail qui atteint généralement 40  % à 60  % du prix de vente. Par exemple,
lorsqu’une boutique appartient à la marque, si elle vend pour 500 000 € hors taxes par
an à ses clients, elle dispose de la totalité de cette somme. Si au contraire, elle réalise
ce chiffre d’affaires par l’intermédiaire d’un grand magasin, elle devra réserver une
marge de 200  000  ou 300  000  € hors taxes à ce grand magasin et son chiffre
d’affaires sera réduit d’autant.
Tableau 1.3 – Avantages et inconvénients relatifs des différents circuits de distribution

  Avantages Inconvénients

Développement de l’image de Capital mobilisé


marque Rentabilité (pour les magasins
Boutiques
Présentation et merchandising de phares) mais résultats difficiles pour
gérées directement
toute la gamme les magasins dans des villes à
potentiel limité

Développement de la connaissance Perte de contrôle sur l’image


Franchises et de la présence de la marque
Présentation de toute la gamme

Développement de l’image de  
marque
Shop in shop
Développement de la connaissance
en grand magasin
de la marque
Présentation de toute la gamme

Boutiques Développement de l’image de Présentation limitée de la gamme


multimarques marque Pas de contrôle de l’image

Développement de la connaissance Présentation segmentée


Revendeurs
de la marque Perte de contrôle sur l’image de la
indépendants
Croissance de la rotation marque (sauf si sélection très stricte)

Comptoirs Développement de la connaissance Présentation segmentée


en grand magasin de la marque Perte de contrôle sur l’image de la
Croissance de la rotation marque dans certains grands
magasins

Grande affluence Perte de contrôle sur l’image de la


Croissance de la rotation marque dans les points de vente
Travel retail
Nouvelle clientèle multimarques et les galeries des
aéroports

Tableau 1.4 – Calcul de la marge suivant le système de distribution

Magasin Magasin
Magasin visité par un distributeur
  en appartenant
autonome
propre à un tiers

Prix de détail 100 € 100 € 100 €

Prix de gros   50 € 50 €

Marge
    20 €
du distributeur exclusif

Prix de facturation pour la


100 € 50 € 30 €
société

À première vue, le magasin en propre semble le système le plus judicieux, mais


c’est à ce magasin d’organiser les soldes, de gérer les invendus, de payer le salaire
des vendeurs et surtout de payer de loyer…

Frais fixes et frais variables

La grande différence, lorsqu’on dispose de son propre réseau de boutiques, c’est que
l’on doit payer des frais fixes (loyer et salaires), alors que lorsqu’on travaille avec des
franchisés, on se contente de leur réserver une marge.
On pourrait d’ailleurs encore affiner cette démonstration : pour un chiffre d’affaires
vraiment très faible, le système des grands magasins, où il est nécessaire de
rémunérer un vendeur, peut devenir plus coûteux que la location d’une petite
boutique, mal placée et au loyer très faible, où le vendeur peut être occupé à d’autres
tâches (les opérations, la comptabilité par exemple) et moins peser sur les comptes…
Le message de ce chapitre est simple. Il n’y a pas de structure de distribution plus
performante qu’une autre. Tout dépend de la taille de la marque et de ses
perspectives. Tout dépend aussi des produits. Si l’analyse est plus facile pour la mode
ou les accessoires, elle est plus compliquée par exemple pour les montres ou les
parfums car, dans ce cas, les clients privilégient souvent les points de vente où ils
peuvent comparer des produits de plusieurs marques différentes avant de faire leur
choix.
Tableau 1.5 – Impact des frais fixes et des frais variables sur la rentabilité

Chiffre d’affaires de Chiffre d’affaires de


 
5 000 000 €/an 1 000 000 €/an

Magasin Grand Magasin Magasin Grand Magasin


 
en propre magasin multimarque en propre magasin multimarque

Chiffre de 5 000 000  1 000 000 


5 000 000 € 5 000 000 € 1 000 000 € 1 000 000 €
vente € €

Marge de 2 500 000 
  2 500 000 € 500 000 € 500 000 € 500 000 €
détail €

Chiffre de 2 500 000 
  2 500 000 €   500 000 € 500 000 €
gros €

– –
Loyer  1 000 000       1 000 000     
€ €

– –
Salaires – 200 000 €   – 100 000 €  
 200 000 €  100 000 €

Marge
avant 2 300 000 
3 800 000 € 2 500 000 € – 600 000 € 400 000 € 500 000 €
coûts de €
production

Dans ce premier chapitre, nous avons peu parlé des ventes digitales. Ce n’est pas
un oubli. Nous avons surtout voulu montrer la diversité et la complexité des enjeux et
persuader le lecteur qu’il existe plusieurs chemins pour organiser la distribution des
produits de luxe. Par la suite, nous allons montrer que même des marques très
puissantes ne se limitent pas à un seul type de points de vente mais savent s’adapter
suivant les pays, suivant les législations locales, suivant la tradition, à tous les
systèmes. À cet égard, la distribution digitale ou la recherche d’un continuum parfait
entre une distribution digitale et une distribution physique ne fait que compliquer les
enjeux.

L’essentiel
►► La gestion des produits de luxe est passée d’une phase où l’essentiel des efforts était
concentré sur la création, l’artisanat et la fabrication à une phase où la distribution
physique et digitale et la gestion des points de vente sont une préoccupation de tous les
jours.
►► Les activités de présentation des produits aux clients finaux sont organisées de
façon à la fois directe et  indirecte et chacune de ces deux activités contribue à la vitalité et
au développement de la marque.
►► Les grands magasins, comme les magasins multimarques, peuvent constituer dans
certains cas et à certaines phases du développement de la marque, des alliés fidèles et
essentiels.
►► L’analyse économique des points de vente, qui sera présentée dans le chapitre 16,
est nécessaire à tout moment pour évaluer les avantages et les inconvénients de chacun
des chemins disponibles.
Chapitre 2

Les produits de luxe se vendent-ils encore


en magasin ?
« Si vous contrôlez votre distribution, vous contrôlez votre image. »
Bernard Arnault

Posée comme elle apparaît dans le titre, la question  : «  les produits de


luxe se vendent-ils en magasin ? » semble avoir une réponse évidente. Bien
sûr que oui, puisque ces produits sont destinés à des consommateurs finaux,
et en dehors des cas où ils sont livrés directement à leur domicile, ceux-ci
ont bien dû les acheter quelque part, et donc dans un magasin.
La question pourrait aussi être posée différemment  : le consommateur
achète-t-il son produit dans un magasin appartenant à la marque, ou chez un
intermédiaire indépendant qui peut agir selon des critères de performance et
de qualité qui lui sont propres ? Ou, dit d’une autre manière : achète-t-il son
produit dans un magasin multimarque ou au contraire dans un point de
vente exclusivement dédié à la marque ?
Il faudrait aussi distinguer deux cas de figure : quand un client achète une
montre Cartier aux Galeries Lafayette, il sait qu’il fait son achat dans un
point de vente n’appartenant pas à la maison Cartier. Mais s’il réalise ce
même achat dans un point de vente exclusif et monomarque Cartier à Ryad,
il a le sentiment de se trouver «  chez Cartier  », alors qu’il se trouve sans
doute chez un distributeur exclusif de la marque pour l’Arabie saoudite. Les
Américains ont une façon simple de distinguer ces deux cas, comme nous
l’avons expliqué dans le chapitre 1. Ils parlent tantôt de « Directly Operated
Stores (DOS)  » et de «  Third Party Operated Stores (TPOS)  ». Cette
distinction, très utile, n’est ailleurs pas toujours limpide, car certaines
marques, dans leurs rapports annuels, considèrent les shop in shop dans les
grands magasins comme des DOS (puisque les vendeurs sont leurs propres
salariés) alors que d’autres les inscrivent comme TPOS puisque c’est le
grand magasin qui fournit l’espace, qui encaisse le montant de la vente, qui
prend la marge et qui, quelquefois, est propriétaire du stock.
Quelles que soient d’ailleurs les définitions utilisées, ce qui est certain,
c’est qu’aujourd’hui, une marque connue comme Chanel, surtout pour la
mode et les accessoires, se considère comme un détaillant et s’implique très
fortement dans la recherche d’emplacements appropriés, dans la conception
de ses magasins et dans leur gestion quotidienne. D’une certaine façon, les
dirigeants de Chanel sont aujourd’hui des détaillants et, dans les équipes,
les spécialistes de la gestion des points de vente ont plutôt «  le vent en
poupe ».
À première vue, on pourrait dire qu’entre 1980 et aujourd’hui, les
activités des dirigeants d’entreprises de luxe se sont rapprochées de plus en
plus de celles d’un détaillant complètement international, devant gérer des
magasins répartis partout dans le monde, et assurant la conception et la
réalisation de produits adaptés à sa clientèle. Nous montrerons dans ce
chapitre comment cette évolution s’est caractérisée.
Mais pour compliquer le sujet, depuis vingt ans, un autre phénomène est
apparu  : celui de la numérisation de l’économie et de la distribution
physique des produits. Certaines entreprises de luxe qui avaient le contact
direct avec les clients «  finaux  » ont développé des plateformes de vente
online qui se sont avérées très efficaces. On peut estimer qu’aujourd’hui,
ces ventes numériques (directes ou indirectes) représentent 10 % du chiffre
d’affaires d’une entreprise de luxe vendant aux clients finaux (comme les
grandes marques de mode) et qu’elles pourraient atteindre 25 % en 2025.
Le tableau  2.1 retrace l’évolution estimée des canaux de vente d’une
marque de mode1 depuis 1960 jusqu’en 2025.
Tableau 2.1 – Évolution du chiffre d’affaires d’une marque de mode en fonction de
différents systèmes de distribution

  1960 1990 2010 2025

Magasins monomarques 20 % 50 % 65 % 55 %

Magasins multimarques 80 % 50 % 30 % 20 %


indépendants
(y compris grands magasins)

Ventes numériques 0 % 0 % 5 % 25 %


Total 100 % 100 % 100 % 100 %

Source : Estimation des auteurs.

On remarque la forte diminution des ventes dans le circuit multimarques


(et l’évolution des grands magasins qui ont très vite fait le choix
d’emplacements réservés pour les grandes marques sous la forme de shop in
shop) et enfin la croissance du numérique.
Le développement des achats numériques va forcer les marques de luxe à
revoir leurs canaux de distribution.

Le patron devient aussi détaillant

La répartition traditionnelle des tâches

Jusque dans les années  1950 ou 1960, une marque de mode ne disposait
généralement que d’un seul point de vente au détail au monde : le magasin
d’origine, que l’on n’appelait pas encore un flagship. Dior ne disposait que
d’un point de vente, celui de l’avenue Montaigne, et Chanel avait son
magasin de la rue Cambon. Bulgari, de son côté, avait son magasin
traditionnel de Rome. À l’époque, pour acheter un bijou Bulgari, il suffisait
de faire un voyage à Rome pour visiter la boutique. Enfin, surtout pour la
mode, la distribution internationale s’était organisée. Dior vendait ses
vêtements dans quelques grands magasins de New York ; il vendait surtout
des « patrons » en papier que les Américaines venaient acheter pour faire
ensuite réaliser un modèle par leur couturière habituelle.
Dès cette époque, Dior a souhaité établir une présence commerciale plus
forte à l’étranger et a développé des licences, avec des structures de
«  master-licence  » et de «  sous-licences  » aux États-Unis et au Japon. À
l’inverse, Chanel n’a jamais souhaité développer cette activité.
Les activités commerciales se concentraient alors sur la gestion du point
de vente parisien et sur le développement d’un réseau de partenaires
internationaux, constitué de grands magasins étrangers ou de boutiques
multimarques ayant une vision très pointue de la mode. Le travail consistait
surtout à animer ce réseau de distributeurs étrangers et, dans le cas où il y
avait également des licences, à leur fournir des dessins et des modèles, à
contrôler les prototypes et la fabrication et à surveiller les résultats des
activités commerciales.
Pour les entreprises de mode, l’activité était déjà tournée autour du
directeur artistique, qui parlait aux journalistes et qui organisait des défilés
de mode dans un certain nombre de grandes villes de la planète.

Le développement des franchisés et des distributeurs

Dans les années  1980, la franchise s’est développée rapidement. Cela


permettait à une marque de sous-traiter l’ouverture et la gestion d’un point
de vente monomarque, reprenant le concept et le décor du magasin
principal, dans un pays ou une ville où ce point de vente serait assuré de
l’exclusivité. Ce système a permis par exemple une croissance très rapide
d’une marque de masse connue, Benetton, qui a ouvert des franchises dans
toutes les villes du monde et qui, à son apogée, ouvrait un magasin par jour.
Mais pour les principales marques, et surtout pour les marques de luxe,
ce système de franchise rendait difficile à organiser la cohérence des
activités commerciales et de marketing sur un territoire. De plus, les
franchisés, qui investissaient ainsi dans un seul magasin, avaient souvent
des moyens financiers limités et ne pouvaient pas toujours accompagner
facilement la croissance de la marque en ouvrant deux, puis trois, puis cinq
magasins sur leur territoire au fur et à mesure de son développement.
D’où l’avantage des distributeurs exclusifs qui disposent généralement de
moyens financiers, administratifs et humains et qui peuvent ouvrir assez
rapidement 10 à 30  points de vente, organiser professionnellement leur
approvisionnement et contrôler la qualité du service assuré dans ces
magasins tout en développant une présence publicitaire et commerciale
adaptée.
Ce système de distribution est toujours aujourd’hui l’un des plus
efficaces et des plus rapides. Il est recommandé dans les pays principaux ou
d’accès compliqué. Il permet d’obtenir rapidement une présence forte et
diversifiée.
Un autre système qui a connu durant cette période une importance
considérable est celui des grands magasins. Ils ont su développer le concept
de shop in shop, c’est-à-dire qu’ils fournissent un emplacement où une
marque va pouvoir créer son concept particulier avec ses couleurs, son logo
et sa décoration habituelle. La marque sera libre de créer le décor qui lui
convient.
Les shop in shop sont en fait une autre forme de la franchise décrite plus
haut, qui permet une mise en place accélérée d’une marque dans une ville
ou dans un pays  : qui n’a pas rêvé d’un shop in shop chez Bergdorf
Goodman ou chez Sak’s Fifth avenue à New York ? C’est toujours possible
si les performances de la marque à Paris ou à Londres sont encourageantes
et si le projet d’implantation aux États-Unis est convaincant.
Sur une période de trente à quarante années, les franchises et les grands
magasins ont joué un rôle essentiel dans le développement international des
marques. Les distributeurs pour leur part, qui ont joué un rôle considérable
dans cette période, le jouent encore aujourd’hui et continuent d’être souvent
incontournables.

La sélectivité des interlocuteurs

À partir des années 2000, les grands magasins n’ont pas su rester moteurs
dans le développement des marques de luxe, probablement car celles-ci ont
souhaité développer un nombre de points de vente plus élevés que ce qu’ils
pouvaient leur offrir. De plus, la croissance des marques de luxe (de  8 à
10 %) par an, est beaucoup plus rapide que celle des grands magasins (1 à
2  %) et celles-là devaient les contourner pour maintenir leur rythme de
développement.
Cette accélération du développement sera en partie obtenue par la
création de filiales à 100 % dans les principaux pays prioritaires ou par la
mise en place de joint-ventures avec les meilleurs distributeurs.
Petit à petit, comme nous l’expliquions précédemment, la tendance a été
au renforcement de la vente dans des points de vente contrôlés ou
appartenant à la marque (les fameux Directly Operated Stores). Par
exemple, une marque de joaillerie comme Cartier qui avait revendiqué, il y
a quelques années, un chiffre d’affaires de 50  % en retail (les points de
vente directement contrôlés) et 50 % en wholesale (la vente à des détaillants
multimarques), basculait vers un chiffre d’affaires réalisé en très grande
partie dans ses propres magasins (Richemont annonce que 63  % de ses
ventes se firent en retail en 2009 contre 50 % en 2011).

La mise en place des systèmes online

Dès l’année 2000, les marques de luxe se sont demandé quel devait être le
meilleur système de développement online.
Une première hésitation a tenu au système à mettre en place  : fallait-il
implanter un site multimarque (une forme de grand magasin du luxe, qui
aurait pu alors être développé en France par le Printemps ou les Galeries
Lafayette), ou au contraire développer un site propre à chaque marque ?
Vers l’an  2000, il n’était pas facile de comprendre que la création d’un
site marchand individuel propre à chaque marque n’entraînait pas de
dépenses excessives et que des « hébergeurs » inconnus du consommateur
final pouvaient très bien assurer la gestion informatique et logistique des
ventes.
D’où, dans une première phase, le développement de plusieurs groupes
comme Yoox ou Net-A-Porter.com qui accélèrent la mise en place
d’activités online. Mais, à terme, il faut se poser une autre question : si la
logistique est si simple, qu’est-ce qu’un site multimarque apporte de plus,
en termes de satisfaction, de commodité ou de facilité que le propre site de
Chanel ou de Cartier ?
En fait, la valeur ajoutée d’un site multimarques peut-être, par exemple :
– des prix plus bas ;
– des produits soldés ou d’anciennes collections ;
– des modèles exclusifs.
Mais cette valeur ajoutée comprend aussi des inconvénients et, s’il faut
absolument baisser les prix pour se débarrasser d’un stock trop élevé pour
un produit, pourquoi ne pas le faire sur son propre site ?
Petit à petit, les grandes marques ont décidé par exemple de lancer Louis
Vuitton online ou Hermès online. Elles l’ont fait d’abord indépendamment
et sans lien avec leurs points de vente traditionnels, mais avec des prix
adaptés à l’adresse de chaque client, suivant son pays de résidence et les
droits de douane correspondants. Et leurs ventes se sont développées.
On estime qu’aujourd’hui, les principales marques de luxe réalisent entre
5 % et 10 % de leur chiffre d’affaires sur leur site, ce qui n’est pas si mal
(l’équivalent d’un gros flagship, disaient-elles, mais c’est déjà beaucoup
plus aujourd’hui…). Pour Gucci par exemple, l’activité digitale a atteint
270 millions d’euros en 2017.
D’autres marques comme Hermès ont été pendant longtemps moins
ambitieuses. Elles spécialisaient leur catalogue online dans les cadeaux
d’achat plutôt facile (cravates, foulards, petits bracelets par exemple).
Ce qu’on peut dire aujourd’hui, c’est qu’à quelques exceptions près, la
structure online est toujours séparée des activités commerciales en points de
vente et qu’elle y apporte seulement un complément.
Comme nous le monterons dans cet ouvrage, il reste à nouveau à faire un
pas en avant  : que cette activité digitale devienne une part entière de
chacune de ces marques et que toutes les barrières pour que le client puisse
passer indifféremment dans sa recherche d’informations, dans ses
essayages, dans son achat et dans son service après-vente du site Internet à
n’importe quelle boutique ou point de vente de la marque soient supprimées
et que celui-ci le fasse dans une continuité parfaite.

La différence des situations suivant les secteurs du luxe

Pour l’instant, nous avons parlé du luxe en général, en citant presque


toujours la mode et les accessoires ou quelquefois la joaillerie, pour décrire
l’évolution des habitudes qui sont passées assez rapidement de la vente en
gros à des détaillants multimarques à une pratique de développement de
points de vente et enfin à la vente en ligne. En fait, parallèlement à cette
évolution, on a assisté aussi à une place toujours plus forte donnée aux
boutiques monomarques, laquelle s’est accompagnée d’une forte
diversification de l’offre.

Le point de départ

Jusque dans les années  1990, on peut dire que suivant les secteurs,
l’utilisation de magasins monomarques gérés en propre était plus ou moins
systématique.
Pour la parfumerie et les cosmétiques, il semblait qu’il ne pouvait y avoir
qu’un seul schéma  : la vente en gros à de nombreux parfumeurs
multimarques. Dans certains pays, ces multimarques étaient essentiellement
des grands magasins et réalisaient plus de 50 % du chiffre d’affaires. C’était
le cas bien sûr des États-Unis mais aussi du Japon, de la Grande-Bretagne,
du Mexique, du Canada, de l’Australie et de quelques autres pays. Dans ces
pays, le parfum se vend au rez-de-chaussée des grands magasins et les
ventes s’effectuent dans des «  bergeries  » au nom et à l’enseigne des
marques (c’est le cas de Dior, Chanel, Estée Lauder, Saint Laurent, Armani,
Ralph Lauren, Gucci et de quelques autres, dont les marques de parfums de
niche rachetées par les grands groupes –  comme Atelier Cologne ou
Éditions Frédéric Malle). Pour qu’une marque puisse disposer d’une
bergerie à son nom, il faut qu’elle réalise un chiffre d’affaires important  ;
c’est surtout possible pour celles qui ont développé à la fois de la
parfumerie alcoolique, mais aussi du maquillage et des produits de soin.
Pour visiter et servir ces points de vente très nombreux, il faut disposer
dans chaque pays d’une force de vente qui visite et anime ces magasins. On
pourrait dire la même chose des vins et des spiritueux qui sont aussi vendus
exclusivement chez des multimarques, sans parler d’un second réseau de
vente : celui des restaurants, des cafés et des boîtes de nuit.
Enfin, à cette époque, les montres étaient toujours vendues chez des
détaillants ou de grands magasins multimarques : il ne serait pas paru très
logique pour les marques de montres d’ouvrir des magasins monomarques.
On pouvait alors observer que les marques de joaillerie et de montres
avaient un système de distribution adapté aux montres. Pour les marques
comme Cartier, dont le chiffre d’affaires d’horlogerie était très important,
les ventes se réalisaient à la fois dans des magasins exclusifs à la marque et
chez de très nombreux bijoutiers indépendants. Pour les marques peu
implantées en horlogerie, comme Tiffany ou Van Cleef & Arpels, elles
étaient presqu’exclusivement présentées dans des magasins monomarques
ou dans des shops in shops de grands magasins.
Et les stylos et autres instruments d’écriture  ? Ils étaient vendus
exclusivement dans les grands magasins et les papeteries. Quatre grandes
marques se partageaient alors le marché « premium » : Montblanc, Parker,
Schaeffer et Waterman et elles étaient toutes vendues exclusivement chez
les multimarques. En 1991, Montblanc a décidé de développer des
magasins monomarques, dont le premier a été créé à Hong Kong. Ceci a
donné à cette marque à la fois la possibilité et l’obligation de diversifier son
offre de produits avec les montres, puis la maroquinerie masculine, puis les
bijoux et la maroquinerie féminine. Aujourd’hui, les trois autres marques de
stylos ne vont pas extrêmement bien. De son côté, Montblanc réalise un
chiffre d’affaires de 760  millions d’euros et un bénéfice opérationnel
imposant. La conversion à une distribution constituée de nombreux
magasins monomarques, alliée à une diversification de l’offre, semble lui
avoir réussi.

Les fabricants de montres développent des points


de vente monomarques

Comme Montblanc, certaines marques de montres ont aussi développé des


magasins monomarques. La première, Ebel, a ouvert des magasins en Asie
du Sud et en premier à Hong Kong vers 1990. Mais le chiffre d’affaires
n’était pas au rendez-vous et la société a alors connu de très grosses
difficultés. Puis en Chine continentale, Oméga le premier, Rolex ensuite,
ont ouvert plusieurs dizaines de points de vente, tout en continuant à vendre
dans les magasins multimarques. Cela a porté chance à Oméga qui a obtenu
une position très forte dans ce pays. La tendance aujourd’hui reste toutefois
en faveur des magasins multimarques en horlogerie.
La marque Bréguet, de son côté, a mis au point une stratégie différente.
Dans un certain nombre de grandes capitales comme Paris ou Londres, ou
encore Moscou, elle ouvre un seul magasin à son enseigne, en général très
bien placé, qui sert à la fois de show-room pour les détaillants
multimarques, de vitrine pour des opérations de relations publiques, et
accessoirement de point de vente.

Le développement des parfums de niche

Dans ces quarante dernières années, de nombreux parfumeurs entrepreneurs


ont décidé que, contrairement à l’habitude, on pouvait lancer des parfums
de niche, souvent deux à quatre fois plus chers que ceux que l’on peut
trouver dans les grands magasins et les vendre dans des points de vente
uniques monomarques et sans aucun budget publicitaire. L’idée était de
valoriser exclusivement la senteur et l’odeur, en proposant aux
consommateurs avisés et intéressés des senteurs uniques dans une
atmosphère où un « expert » en parfumerie peut parler à « d’autres experts
en parfumerie ».
Les premières marques de parfums de niche, comme Le Jardin Retrouvé
(1975), L’Artisan Parfumeur (1976) ou Annick Goutal (1984) ont été des
fondateurs. Certains de ces précurseurs ont été ensuite rachetés, l’Artisan
Parfumeur par le Groupe Puig, Annick Goutal par les Coréens d’Amore
Pacific. Il y eut ensuite (entre autres) des marques comme Jo Malone et
Éditions Frédéric Malle, rachetées toutes les deux par The Estée Lauder
Companies. L’année 2006 à elle seule a vu la création de plusieurs marques
de parfumerie de niche : État Libre d’Orange, Le Labo, Byredo, Escentric
Molecules. Chaque groupe semble se positionner sur ce segment à la
croissance rapide : L’Oréal a ainsi racheté Atelier Cologne (2017) et LVMH
Francis Kurkdjian (2017) et, en 2018, c’est à nouveau The Estée Lauder
Companies qui ajoutent By Kilian à leur portefeuille de marques. Enfin,
ayant compris le potentiel lié à cette parfumerie de niche, les marques de
luxe ont récemment développé des lignes de produit à des prix sensiblement
plus élevés que leur gamme de parfums standards : on a vu ainsi apparaître
les Exclusifs de Chanel, Dior Collection Privée, Le Vestiaire des parfums
d’Yves Saint Laurent, Armani Privé, Maison Lancôme Collection, Louis
Vuitton.
Ce segment du secteur de la parfumerie connaît une croissance très forte,
environ 25 % par an, et apporte un mode de distribution tout à fait nouveau
pour cette catégorie de produits. Nous estimons aujourd’hui que si on y
intègre les marques de parfums appartenant aux grands groupes mais
vendues pour la majorité de leurs chiffres d’affaires dans des boutiques
monomarques ainsi que la déclinaison (niche) des grandes marques, son
chiffre d’affaires 2018 est supérieur à 3 milliards d’euros.

Le cas des alcools et des spiritueux
Pour les alcools, la nécessité de distribuer sous deux canaux distincts
(supermarchés, cafés et restaurants, sans oublier les boutiques de
spécialistes) complique la donne.
Les spécialistes du secteur divisent ce marché en deux segments  :
le  segment on-premise pour les alcools consommés sur place, c’est-à-dire
dans les restaurants, les bars ou les clubs, et le segment off-premise pour les
alcools consommés hors du point de vente, donc à la maison. Ces points de
vente sont généralement des supermarchés, des épiceries ou des marchands
de vins de proximité.
À quelques exceptions près, l’activité commerciale des vins et des
spiritueux se maintiendra dans des points de vente multimarques. C’est le
seul secteur du luxe dont la distribution est assurée dans les grands points
de vente alimentaires et les discounteurs. Quand Carrefour organise une
«  foire aux vins  », cette entreprise est capable d’écouler un nombre de
bouteilles impressionnant. Elle a la clientèle : les acheteurs en hypermarché.
Elle a la logistique : les parkings et les caddies. Elle a la puissance de vente
et d’achat pour obtenir de bons prix d’achat, et il est difficile de faire aussi
bien.

L’avenir des magasins multimarques

Plus les marques de luxe s’installent, élargissent leur offre de produits et se


développent, moins elles sont obligées de passer sous les «  fourches
caudines  » des magasins multimarques. Cela semble indiquer que ces
multimarques risquent de voir partir les marques de plus fort volume pour
ne conserver que de nouveaux venus plus difficiles à vendre et sans réel
pouvoir d’attraction.

L’exemple des grands magasins

Dans la première édition de cet ouvrage, écrite en 2011, nous avions


consacré une quinzaine de pages à ces grands magasins et avions observé
dans beaucoup de ces groupes, surtout aux États-Unis et au Japon, de
grandes difficultés financières qui avaient conduit à des fusions. Aux États-
Unis, nous parlions de la fusion entre Macy’s, May et Bloomingdale’s, au
Japon des fusions entre Mitsukoshi, Isetan et Marui d’un côté, et entre
Seibu et Sogo d’un autre. Dans cette seconde édition, nous avons décidé de
nous contenter de donner une vue d’ensemble. Ce qui nous intéresse ici,
c’est de voir comment ces points de vente peuvent se développer dans les
années qui viennent.
Nous avons montré en début de ce chapitre et dans le chapitre précédent
comment les grands magasins étaient passés d’un stade de sélection de
marchandises et d’achat à une fonction de gestionnaire d’espaces et
d’emplacements pour des marques déjà connues et respectées par ailleurs.
Cela ne les empêche pas de développer et de promouvoir leurs propres
marques, et par exemple, au Bon Marché à Paris, la marque de mode
masculine Balthazar bénéficie d’emplacements de premier ordre et de
collections toujours plus larges et plus innovantes.
Mais l’avenir passe sans doute aussi par le développement d’une offre
plus large et de nouveautés. Les grands magasins bénéficient d’un grand
avantage : ils arrivent à attirer des clients et à obtenir un trafic considérable,
et peuvent ainsi offrir un contact physique entre ces «  visiteurs  » et
d’éventuelles nouvelles marques.
Enfin, les grands magasins sont souvent implantés dans des «  endroits
magiques », dans le centre historique d’une ville ou dans la partie piétonne
d’un faubourg. C’est l’occasion ou jamais de réaliser des espaces de vie et
d’expérience, avec éventuellement des restaurants, des musées ou des salles
de spectacle.
De même, leur nouveau métier de gestionnaire d’espaces commerciaux
pour les marques de luxe ou de mode peut les amener à développer des
centres commerciaux réservés à ces marques.

La crise des grands magasins

Depuis notre première édition, la situation des grands magasins ne s’est pas
beaucoup améliorée. Dans leur nouveau métier de gestionnaire d’espaces
commerciaux, ils sont concurrencés par le développement des centres
commerciaux consacrés exclusivement aux marques de luxe, comme il en
existe un grand nombre en Chine. Disposant d’emplacements prestigieux
mais souvent coûteux, ils ont des difficultés à suivre les déplacements de
population en dehors des centres-villes et à ouvrir des magasins à la fois
rentables et prestigieux en périphérie.
Le tableau 2.2 donne l’évolution du chiffre d’affaires de différents grands
magasins entre 2010 et 2017.
Tableau 2.2 – Performances de différentes chaînes de grands magasins (chiffres
d’affaires en milliards d’euros)

  2010 2017

Galeries Lafayette 3 4,5

Harrods 0,58 2,2

Isetan Mitsukoshi 11,7 10,1

J.C. Penney’s 12,9 10,8

Macy’s 19 21,6

Nordstrom 6,1 13

Printemps 1,3 1,5

Takashimaya 7,2 6,9

Source : Rapports annuels ou estimation des auteurs.

Dans le tableau  2.2, on remarque trois groupes en décroissance  : J.  C.


Penney’s et les deux principaux groupes japonais, Isetan Mitsukoshi et
Takashimaya ; deux groupes à la croissance faible : Macy’s et le Printemps ;
et trois groupes à la croissance rapide, mais qui ont modifié leurs
périmètres.
Dans le cas des Galeries Lafayette, il est certain qu’au moins le BHV et
sans doute aussi La Redoute ont été intégrés à ces comptes. La raison d’être
de l’achat de La Redoute, c’est de familiariser le groupe avec les activités
digitales, ce qui paraît assez judicieux. Probablement aussi les 8 magasins
implantés à l’étranger (une vingtaine sont prévus en 2025…) ont contribué
à la croissance du Groupe. Le magasin des Champs-Élysées, ouvert à la mi-
juin 2019 devrait aussi fournir une autre source de croissance à long terme.
Les deux autres magasins à croissance rapide, Harrods et Nordstrom, ont
vu leurs activités changer de façon considérable. Aujourd’hui par exemple
Nordstrom dispose de 117 grands magasins, mais de 216 Price Nordstrom
Racks, dont les activités sont sensiblement différentes puisqu’il s’agit
essentiellement de magasins de déstockage et de discount. Le cas de
Nordstrom est intéressant, parce que cette chaîne originaire de Seattle et
très puissante dans l’ouest des États-Unis a ouvert son premier grand
magasin new-yorkais le 13  septembre 2018  : d’abord un magasin pour
homme, puis, en face, un magasin pour femme qui sera terminé en
septembre  2019. Juste au moment où beaucoup de grands magasins
américains ferment leurs succursales new-yorkaises, un groupe familial
vient s’y implanter avec force et enthousiasme et sur la base d’un historique
de croissance remarquable.
Certains professionnels s’appuient sur les chiffres d’affaires à la
croissance faible de beaucoup de chaînes américaines pour parler du déclin
des grands magasins américains. La fermeture, début 2018, du grand
magasin de spécialité Henri Bendel n’est pas non plus très encourageante.
C’est vrai que la vie n’est pas toujours facile pour ce type de magasins.
Mais on peut aussi dire que ce système de distribution a été sans doute
beaucoup trop développé aux États-Unis (avec 5 000 grands magasins, alors
qu’il n’en existe que 92 en France) et a été trop banalisé. Le développement
des succursales de «  discount  » n’est pas non plus une situation qui peut
redonner aux clients l’envie de revisiter les plus luxueux grands magasins
américains de centre-ville.
Les nouvelles d’autres grands magasins ne sont pas très bonnes non plus.
En Allemagne, Kaufhof et Karsdadt ont dû fusionner. La  chaîne anglaise
House of Fraser s’est déclarée en cessation de paiement et son principal
concurrent, John Lewis, a vu ses profits du début 2018 décroître de 99 % !
Pour revenir aux développements internationaux, tout en observant
l’internationalisation des industries du luxe et de la mode, beaucoup de ces
grands magasins ont échoué à sortir de leur pays d’origine et à s’imposer à
l’extérieur. En dehors des enseignes Selfridges et peut-être Debenhams, les
grandes marques américaines, japonaises ou européennes ont eu beaucoup
de mal à s’implanter à l’international. On remarque souvent des enseignes
qui quittent des pays comme Sears (Espagne, Chili et Brésil) ou Daimaru
(Hong Kong et Singapour).
Le succès des grands magasins à l’étranger suppose des conditions
particulièrement rares à regrouper  : 1) des résidents locaux originaires du
pays de l’enseigne ou ayant vécu dans un pays où l’enseigne était déjà
établie, 2) des marques de mode du pays de l’enseigne réputées qui peuvent
signer des exclusivités et qui ne sont pas liées par des accords anciens avec
des grands magasins du pays et 3) une enseigne qui peut s’appuyer sur un
style de vie national et des pratiques en matière de mode ou de décoration
qui peuvent intéresser les consommateurs de tel ou tel nouveau pays.
Trop souvent, les grands magasins résistent dans leur pays ou dans leur
ville d’origine, mais ils ont du mal à apporter suffisamment de nouveauté et
de créativité dans de nouveaux pays.

Les chaînes multimarques de parfums et cosmétiques

Face aux petites parfumeries individuelles se sont créés quatre empires  :


Sephora d’abord, dont le chiffre d’affaires en 2018 dépasse les 8 milliards
d’euros et qui bénéficie de positions très fortes en Europe, aux États-Unis et
en Asie. Sephora distribue les principales marques de parfums et de
cosmétiques sélectives, mais développe aussi ses propres produits sous sa
marque qui sont estimés représenter 24  % des bénéfices opérationnels.
Marionnaud, ensuite, lié à la chaîne asiatique Watson’s, laquelle est très
puissante en Chine et dont le chiffre d’affaires consolidé, pour toutes ses
activités, atteint 15 milliards d’euros.
Une chaîne récente, Ulta Beauty, créée aux États-Unis en 1990 et
disposant de 1 074 points de vente dans ce pays (d’une taille moyenne de
1 000 m²), avec un chiffre d’affaires de 5,2 milliards d’euros en 2017, est
aussi un opérateur majeur. Ce groupe réalise sans doute un chiffre d’affaires
beaucoup plus élevé que Sephora sur le territoire américain et dispose d’un
concept plus ouvert : des centres de soins dans chaque magasin et toute une
gamme de produits englobant aussi bien des produits de parfumerie
sélective que des produits de masse.
Enfin, nous pouvons parler de Douglas, présent surtout en Allemagne, en
Europe de l’Est, en Italie, en France, en Espagne et en Pologne et dont les
ventes atteignent 3 milliards d’euros.
Dans l’ensemble, ces groupes disposent aujourd’hui de presque toutes les
grandes marques de parfums et de cosmétiques. Mais ils développent aussi
des gammes de maquillages et de soins qui leur sont propres et qui
correspondent pour certaines d’entre elles à une partie importante de leur
chiffre d’affaires.

Les magasins de mode multimarques

Certains de ces magasins de mode multimarques ont été très célèbres à une
certaine période, comme par exemple Victoire ou Colette à Paris et Corso
Como à Milan. Colette disposait d’un seul point de vente à Paris, d’environ
400 ou 500  mètres carrés. Elle présentait souvent des produits de mode
exclusifs. Le magasin était toujours bondé et les clients y venaient
régulièrement, sans avoir toujours une intention d’achat très précise. La
boutique Colette, entre la place Vendôme et le palais Royal, était devenue
un but de promenade. Les gens y cherchaient des polos Lacoste
spécialement tissés avec un crocodile rouge, ou des chemises Ralph Lauren
avec un joueur de polo deux fois plus grand que d’habitude. En fait, le
client y venait pour trouver un article de mode, cher, mais introuvable
partout ailleurs. Le magasin a fermé le 1er  janvier 2018, la propriétaire de
Colette, Madame Colette Rousseaux ayant pris sa retraite et n’ayant pas
trouvé de successeur. Elle avait ouvert ce magasin en 1997 et pendant vingt
ans, Colette était le magasin préféré des « fashion victims ».
La formule gagnante pour un magasin de ce type semble être : un lieu de
visite, avec sans arrêt des nouveautés ou des produits exclusifs, ou le petit
souvenir qui pourrait faire un cadeau original. On cite toujours la vente
exclusive de chaussures de basket Louis Vuitton comme un des événements
exceptionnels qui ont été organisés dans ce magasin.
Il faut aussi mentionner les boutiques Joyce à Hong Kong. Il s’agit d’une
chaîne de magasins de mode créée par Mme Joyce Ma et qui apporte chaque
année à ses clients les nouvelles marques de mode qui devraient se
développer rapidement, car elles apportent quelque chose de nouveau ou
d’original. Les boutiques Joyce ont connu des difficultés en 2008, mais
l’entreprise a été rachetée par la chaîne de grands magasins Lane Crawford
qui a profité de cette acquisition pour se donner une image de spécialiste
d’une mode très pointue.
La leçon à tirer des exemples comme Colette et Joyce, c’est qu’il y a une
place pour des magasins capables d’identifier les nouvelles tendances de la
mode et d’apporter une grande variété de produits, souvent originaux ou
exclusifs. On peut toutefois se poser la question de leur pérennité et de leur
développement  : la fermeture de Colette, comme le relatif échec des
franchises Corso Como en Chine, montre bien que ces concepts sont
intimement liés à leur créateur.

Le cas particulier du travel retail

Le chiffre d’affaires réalisé en travel retail a été de 57 milliards d’euros en


2017, dont presque 36 % pour les parfums et cosmétiques (24,5 milliards)
et 17 % pour les vins et spiritueux (11,4 milliards). Il s’agit bien sûr d’une
activité presque toujours en vente indirecte et sans possibilité de
développements digitaux puisque les produits doivent être achetés
physiquement dans une zone, le plus souvent hors taxe, et les clients
doivent passer un contrôle douanier avec ces objets en sortant d’un avion ou
d’un navire international.
En fait, dans la liste des 12 aéroports les plus fréquentés, on en dénombre
4 aux États-Unis (Atlanta, Los Angeles, Chicago et Dallas) et 4 en Asie
(Pékin, Tokyo, Hong Kong et Shanghai), alors que le chiffre d’affaires en
vente de produits de luxe est surtout réalisé en Asie (44,4 % des ventes en
duty free) et en Europe (29,9 % des ventes en travel retail) ; alors qu’il est
seulement de 16,5 % pour les Amériques. C’est bien sûr parce qu’aux États-
Unis, la grande majorité des vols sont domestiques…
Les aéroports dont le chiffre d’affaires « travel retail » est le plus élevé
sont Séoul (1,8 milliard d’euros), Dubai (1,6 milliard d’euros) et Singapour
(1,5  milliard d’euros), suivis de près par deux aéroports européens  :
Londres-Heathrow et Paris-Roissy. Comme on peut le voir, un grand
aéroport réalise un chiffre d’affaires bien supérieur à un grand magasin très
bien implanté et renommé…
Il est très rare que les aéroports gèrent eux-mêmes les ventes en travel
retail. Ils organisent des enchères pour signer une concession de longue
durée avec l’opérateur qui leur garantira la commission la plus élevée
possible. Ces accords ont des durées longues (souvent 5 à 7  ans) et le
concessionnaire s’engage à promettre une commission (généralement entre
40 % et 55 % du chiffre d’affaires réalisé) à l’aéroport. Cela entraîne deux
conséquences :
• Tout d’abord, les commissions versées à l’aéroport constituent souvent
sa première source de revenus, avant les charges d’atterrissage, de
stationnement et de décollage d’avions payées par les compagnies
aériennes.
• De plus, pour pouvoir verser des commissions aussi élevées et gagner
ainsi des enchères, les opérateurs doivent pouvoir mobiliser un très
grand volume d’achats pour obtenir des prix attractifs et des remises de
la part des parfumeurs, des fabricants de vins et spiritueux ou des
fabricants d’accessoires de mode. Ce sont en dernier recours les
fabricants qui doivent ainsi payer la note pour tout le monde…
Ces opérateurs de travel retail sont souvent européens (Dufry, Aelia
Lagardère, DFS ou Heinemann) et opèrent généralement partout dans le
monde, avec des spécialités : DFS, qui appartient à LVMH, travaille surtout
en Asie et dans le Pacifique. Heinemann, une société familiale basée à
Hambourg, est très active dans tous les pays d’Europe de l’Est. De son côté,
Dufry est très bien implanté dans les Amériques.
En général, les équipes commerciales qui vendent aux opérateurs de
travel retail ne sont pas réparties de façon géographique. Elles gèrent
l’ensemble de leurs clients avec des collaborateurs en général exclusifs et
spécialisés.
Les ventes en travel retail constituent un chiffre d’affaires très important
pour les marques. Elles sont aussi très importantes pour la visibilité qu’elles
leur donnent et la possibilité de diffuser leurs produits sur de nouveaux
territoires.

L’essentiel
►► Le rôle des points de vente pour l’industrie du luxe a changé du tout au
tout et même plusieurs fois depuis cinquante ou soixante ans. Avec l’arrivée du
monde digital, une nouvelle révolution s’est produite et va entraîner un nouveau
changement.
►► Aujourd’hui, ce n’est pas l’avenir des points de vente qui est en cause,
mais la façon dont ils vont s’intégrer dans un système omnicanal plus large,
que certains appellent ROPO, pour « Research Online, Purchase Offline,
Research Offline, Purchase Online » ou O2O.
►► Si aujourd’hui les ventes digitales sont encore faibles (10 %), nous
pensons qu’elles devraient atteindre 25 % en 2025. Lorsque ces ventes
digitales atteindront 25 %, cela ne voudra pas dire pour autant que les
magasins physiques seront devenus inutiles. Ils devront être organisés pour
que les consommateurs bénéficient à tout moment d’un service complet
omnicanal avec une continuité parfaite d’un système à l’autre et qu’ils n’aient
jamais l’impression qu’un de leurs interlocuteurs semble privilégier un système
par rapport à un autre. Pour que cela soit bien le cas, il faut que les employés,
les collaborateurs ou les intermédiaires extérieurs à l’entreprise n’aient jamais
intérêt à leur proposer un système plutôt qu’un autre.
►► Il y a aujourd’hui des interlocuteurs extérieurs dans les activités
commerciales physiques. Il y en a d’autres pour les activités digitales. À terme,
la répartition des activités commerciales directes et des activités commerciales
indirectes peut évoluer, mais aucune entreprise du secteur du luxe ne pourra
jamais intégrer la totalité des activités commerciales internationales.
►► Chacun des intermédiaires actuels de la chaîne de distribution des
produits de luxe, des grands magasins, indépendants franchisés et distributeurs
exclusifs sur un territoire aux spécialistes du commerce digital, verront leurs
activités évoluer, mais ils devront tous définir une nouvelle raison d’être et faire
évoluer la valeur ajoutée qu’ils offrent aujourd’hui aux clients et aux
gestionnaires de marque.
Chapitre 3

Concept et design d’une boutique de luxe


« Le client doit à la fois reconnaître la maison, partout dans le monde et en même temps,
être étonné. »
Christian Blanckaert.

Les marques de luxe se sont réinventées le jour où elles ont décidé


qu’elles devaient vendre non seulement à des distributeurs mais aussi
directement dans leurs propres boutiques. Ceci les a conduites à développer
de nouvelles compétences, dont celle de la conception et du design de
magasin. Nous examinerons ce point, crucial pour la vente de produits de
luxe, à travers quatre sujets clés :
• Le concept de la boutique : la boutique doit par sa conception traduire
la vision de la marque. Il nous faut donc comprendre le rôle de la
vision de la marque avant de regarder les spécificités liées au design
du magasin.
• Le design de la boutique : il s’agit de comprendre à la fois le format du
magasin et l’importance de ses vitrines.
• Le merchandising visuel : c’est un art dans lequel les marques de luxe
sont passées maîtres, car il permet aux clients de percevoir les
spécificités esthétiques de la marque.
• Le design de la boutique d’e-commerce  : encore plus que pour les
boutiques physiques, la notion de design est essentielle pour capter la
clientèle online.

Relancer une marque :
l’urgence d’un nouveau concept de boutiques

Lorsque Domenico De Sole est devenu PDG de Gucci en mai 1994, une de


ses toutes premières décisions a été de redessiner les boutiques :
«  En décembre  1994, en six semaines, tous les magasins dans le monde entier ont été
“milanisés”, c’est-à-dire redessinés sur le modèle du magasin de Milan. De petits changements,
peu coûteux, mais dont l’impact a été majeur1. »

Quand Gucci a racheté Yves Saint Laurent en novembre  1999, la toute


première chose qu’ils ont faite a été de développer le réseau de magasins et
de revoir le design du format standard des boutiques. Le prototype du
nouveau magasin YSL, conçu par Tom Ford et l’architecte William Sofield,
a ouvert en 2000 au Bellagio de Las Vegas, et le second à New York, le
porte-étendard sur Madison Avenue, en septembre  2001. Le nombre de
magasins, qui était de 15 au moment du rachat de la marque, est passé à 30
un an plus tard et à 40 deux ans après. En 2010, YSL avait 78  magasins
dans le monde et 184 en 2017.
Quand Gucci a racheté Bottega Veneta en février  2001, la marque
possédait 19  boutiques. Le premier porte-étendard, nouvelle version, a
ouvert en décembre 2001 sur Madison Avenue. 6 magasins supplémentaires
–  à Paris, Milan, Londres, San José, Costa Mesa et Chicago (avec un
déménagement vers un lieu plus prestigieux, dans le Hyatt) – et 8 magasins
au Japon devaient ouvrir en 2002, en plus de la rénovation complète des
boutiques existantes, le tout en un an. Ceci signifie que dans les deux ans
suivant sa reprise, Bottega Veneta avait rénové tous ses magasins et
multiplié par deux leur nombre ! En 2010 – neuf ans plus tard – la marque
avait 148 magasins. En 2018, elle avait 270.
Quand Alessandro Michele a pris les rênes de la création chez Gucci en
janvier 2015 et Marco Bizzari a été nommé CEO, deux de leurs premières
décisions ont été de repenser le concept des boutiques Gucci (la première
boutique rénovée a été ouverte en septembre 2015 à Milan) et de repenser
l’ensemble des points de contact entre la marque et ses clients afin de les
mettre en conformité avec la nouvelle vision créative de la marque
(publicités, site Web, témoignages clients, relations presse, événements,
médias sociaux, catalogues… ET vitrines, packaging, merchandising
visuel).
Les magasins sont le lieu de la rencontre entre la marque et le client, le
lieu où la vision et le style de la marque s’expriment. C’est le lieu où une
marque de luxe doit investir en CAPEX2 si elle veut accroître sa visibilité.
Les marques qui n’ont pas l’argent nécessaire, ou les marques qui ne
comprennent pas à quel point tout se passe en magasin et qui demeurent
obstinément fixées sur de vieux concepts, connaîtront de sérieux
problèmes3.
Toutes les marques tournent autour d’une vision du monde –  une
Weltanschauung en allemand. Quelle vision du monde, quel sens la marque
véhicule-t-elle ? Qu’est-ce qui donne à ses prises de position leur unicité ?

 Cas d’entreprise
Comment la « vision du monde » de Giorgio Armani nourrit
la conception de ses magasins
«  Ma mode est en phase avec notre monde. Je vois mon métier comme une
mission  : je ne dois rien produire de superflu, je dois montrer la voie, créer des
différences4. »
« Pour moi, il est essentiel d’éliminer l’inutilité, au travail, à la maison, même dans ma
vie sociale. Tout doit avoir un sens et être en harmonie avec son environnement. La
femme qui porte du Armani est une individualité subtile dont l’élégance vient de
l’intérieur plutôt que du fait de dévoiler sa poitrine ; elle se meut avec grâce dans une
veste pour homme5. »
Il y a trois éléments fondamentaux dans la vision du monde de Giorgio Armani :
1. Mélange  : mêler les réalités  : «  La mode d’aujourd’hui joue sur plusieurs
niveaux de réalités –  les femmes s’habillent de tant de manières différentes.
Donc il ne peut pas y avoir qu’une seule tendance, il faut les mêler6. » Mêler les
modes : « Il n’y a plus une seule tendance mais un mélange de tendances7. »
2. Contraste : contraste des sensibilités à l’intérieur d’une même personne : « Je
pense qu’aujourd’hui, l’homme le plus séduisant est celui qui accepte avec
ironie un certain sentiment d’insécurité et n’a pas peur de le montrer… Je
l’imagine aussi tendre, libre d’exprimer ses sentiments, ses émotions, d’être
timide, et tout ceci constitue une part vitale et précieuse de sa personnalité8.  »
Contrastes entre les sexes dans la mode : « Elle voulait une veste homme avec
un tee-shirt en satin de soie en dessous –  un mélange très étrange à
l’époque9.  » «  Une femme élégante sait jouer des contraires, associer les
contrastes… »
3. Harmonie  : «  Le luxe, aujourd’hui, ce n’est plus une question de montrer sa
puissance aux autres. Il s’agit plus d’une vie en harmonie. D’être en harmonie
avec soi-même, avec sa garde-robe  ; l’harmonie doit exister chez soi et dans
les endroits où l’on prend plaisir à être. Oui, l’harmonie doit faire le lien entre
toute chose, c’est ma philosophie10. »
Giorgio Armani oppose la femme-qui-est-elle-même à la femme-qui-se-montre. Ayant
une préférence pour la première, il considère que les vêtements qu’il dessine doivent
mettre en valeur sa personnalité, l’aider à être en harmonie. Ses couleurs devraient
exprimer de la sérénité  ; son corps étant en mouvement, ses vêtements devraient
être conçus pour se mouvoir avec elle. Georgio Armani veut habiller des gens qui
sont acteurs de leur propre vie et se considèrent comme libres et autonomes.
Comme il le dit lui-même dans l’un des articles précités : « Imposer une mode, quelle
qu’elle soit, signifie n’avoir aucun respect pour la personne qui porte vos créations.
Personnellement, je fais tout le contraire. Mon but est simple  : aider les gens à
distiller, à raffiner leur propre style à travers mes vêtements et éviter d’en faire des
fashion victims. »
Il applique cette philosophie en mélangeant les matières («  Je n’ai inventé aucune
forme, seulement la manière de mêler tissus et forme dans des combinaisons très
originales  : cuir et georgette, soie blanche et tweed grossier11  »)  ; en utilisant des
couleurs neutres (« Marier deux beiges est quelque chose qui me paraît subtil12 ») ;
en éliminant tout ce qui est superflu («  Moins, c’est plus.  »)  ; en mélangeant les
centres d’intérêt dans ses magasins («  Je voulais un coin pour la musique, les
journaux et un petit restaurant. J’aurais aussi aimé avoir une galerie d’art. Il faut que
ce soit un lieu de rendez-vous13  »)  ; en ayant une conception de l’espace («  Un
quartier de la ville dédié exclusivement à la mode est la pire des choses.14 »).
Ceci explique pourquoi les magasins Armani sont un mélange de tons beiges et gris,
pourquoi les magasins Armani Casa sont des harmonies de brun et de beige et
pourquoi le magasin Emporio Armani à Paris a été le premier à avoir un restaurant,
le Armani Café, qui depuis 2016 s’est « autonomisé » et existe indépendamment de
la boutique avec sa propre ouverture sur le boulevard Saint-Germain. Tous les
concepts des magasins de la marque sont en cohérence avec la vision de la marque.

Figure 3.1 – Les quatre pôles de la vision d’une marque15

Le concept de la boutique : mettre en œuvre la vision


de la marque

Le principal problème des marques de luxe est de s’assurer que leur vision
est bien mise en œuvre partout –  et de manière cohérente (cf. figure 3.1).
Pour comprendre quel impact ceci a sur la stratégie de merchandising visuel
de la marque, nous suggérons de décomposer les activités d’une marque de
luxe en quatre composantes principales :
• Production de la vision de la marque : ce sont les endroits où le flux
continu d’idées et d’images qui incarnent la vision de la marque (ou la
vision du créateur, s’il est toujours aux commandes) est généré. Des
exemples importants en sont les défilés, les produits eux-mêmes, le
concept de boutique et, bien sûr, le code et l’iconographie de la marque
(son logo, ses produits iconiques, ses couleurs institutionnelles). Ceci
explique l’importance cruciale de la conception des magasins en elle-
même, parce que c’est là (avec le site Web d’e-commerce) que se fait
la rencontre quotidienne entre la marque et le client.
• Circulation de la vision de la marque : une fois créée, la vision de la
marque doit être véhiculée, transmise, mise en circulation. Une clé de
cette circulation est bien sûr la publicité, mais aussi le packaging, les
sacs, l’utilisation d’un «  visage  » (quelqu’un qui soit en cohérence
avec la marque, pas quelqu’un que l’on choisit parce que c’est la
personne du moment  !), les principaux événements organisés par la
marque –  un anniversaire, un lancement, une exposition. Nous
songeons par exemple aux diverses stratégies mises en œuvre par des
marques de luxe pour éduquer les clients chinois concernant l’histoire
et l’héritage de la marque, comme l’exposition rétrospective de Louis
Vuitton à Shanghai en 2010 ou les mises en scène de ses artisans faites
par Hermès dans le monde entier mettant en avant le savoir-faire et la
qualité des produits de la marque : « Hermès hors les murs »16.
La production comme la circulation de la vision relève de la
responsabilité directe du directeur de création de la marque et est
mise en œuvre au niveau des magasins par les merchandisers visuels
qui travaillent à la direction de l’image retail (cf. l’étude de cas
présentant l’organigramme de Bally page 79). Le contrôle artistique est
exercé par cette équipe au siège de la marque, où est ainsi développé
un standard de présentation des marchandises et où sont conçus les
visuels des vitrines. Elle peut même composer une musique originale
pour la diffusion en magasin17.
• La chaîne d’approvisionnement : une fois que la vision de la marque
existe et a été mise en circulation, l’ensemble de la chaîne
d’approvisionnement doit être organisé de manière cohérente et en
phase avec cette vision. Ceci signifie par exemple que les nouveaux
produits dont la publicité est faite doivent être livrés aux magasins
avant que le message publicitaire ne parvienne au public, et non pas
après, auquel cas on perd des ventes et l’image de la marque est
affectée négativement.

Exemple

Un des auteurs de cet ouvrage a été témoin de ce type de dommages causés à une
marque lorsqu’il était DRH chez Bally. Lors d’une réunion du comité de direction, le
directeur artistique s’est emporté  : «  Où sont les nouveaux sacs  ? Nous avons
redessiné toute l’identité de la marque. Nous avons un nouveau concept pour les
magasins. Nous avons un nouveau packaging mais les nouveaux sacs ne sont pas
dans les magasins. Où sont-ils ? »
Personne ne le savait.
Quelques jours plus tard, en visitant un entrepôt, il voit au sol d’immenses paquets.
«  Qu’est-ce que c’est  ?  » demande-t-il au responsable logistique. «  Les  sacs.  »
«  Mais on les cherche partout  ! Pourquoi ne sont-ils pas en  magasin  ?  » «  Parce
que je n’ai pas leur code – vous savez que je ne peux rien expédier sans code ! Et
la direction informatique me dit qu’ils ont tellement de  travail en retard qu’ils n’ont
pas le temps de générer un  code pour des articles gratuits  !  » (Bienvenue dans
l’univers des problèmes de gestion quotidienne qui viennent perturber la cohérence
d’une marque.). Aujourd’hui un tel problème pourrait être résolu par une société
comme Infinity Global, laquelle se charge de faire fabriquer et de distribuer à tous
les  magasins d’une grande marque tout le matériel de merchandising  : la  raison
d’être de ces sociétés est de livrer en temps et en heure mondialement
les magasins d’une marque.

Le système humain  : tout ceci nécessite du personnel. La construction


d’une marque de luxe requiert constamment des gens disposant des bonnes
compétences, une organisation des magasins en phase avec l’image de la
marque et une définition précise du type de relation client que la marque
veut instaurer.
Ces deux derniers points sont sous la responsabilité directe du dirigeant
et de ses équipes.

 Cas d’entreprise
Luxe et savoir-faire exposés dans les boutiques en Chine
En partenariat avec la chambre française de commerce, Hong Kong a  accueilli en
2010 « Boutique Boulevard : So Lush, So Central » – le rendez-vous des marques de
luxe à Hong Kong.
Du 14 au 23 mai, les marques les plus célèbres ont organisé une série de rencontres
avec des professionnels du luxe qui ont pu exposer leur savoir-faire aux yeux de
leurs nombreux fans à Hong Kong, et partager avec eux leur univers d’exception.
L’événement a commencé avec une soirée réservée aux happy few qui avait lieu
dans le secteur le plus dynamique de Hong Kong, le Central District. L’itinéraire
conduisait les invités à travers le quartier, reliant les divers centres commerciaux
dédiés au luxe et laissant chacun flâner d’une boutique à l’autre en découvrant :
– un atelier («  Scent & Sensibility  ») proposé par Guerlain et animé par un des
créateurs de L’Instant by Guerlain, Mme  Sylvaine Delacourte, qui montrait
pourquoi et comment porter un parfum ;
– un atelier dédié à l’art du (double) rasage, présenté par le barbier du prestigieux
Mandarin oriental, Angel Gonzales ;
– les conseils du très estimé sommelier français Pierre Legrandois ;
– des ateliers de confection et de présentation avec des conseils sur la mode et
l’étiquette, proposés par un certain nombre de marques, de Dunhill et Tiffany à
Armani, Cartier et Gucci en passant par Louis Vuitton.
L’événement faisait également écho à l’exposition Savoir faire organisée du 30 avril
au 2  mai par Dior à Hong Kong pour sa nouvelle collection de bijoux Rosewood.
Organisée pour la première fois à Paris l’année précédente, cette exposition avait
contribué à asseoir ces pièces uniques de joaillerie en tant qu’expression de
l’expertise et de la passion créatrice de Dior.
Encouragée par le succès de l’événement parisien, la marque a envoyé trois
artisans-joailliers à Hong Kong pour y faire la démonstration de leur expertise et y
présenter la nouvelle collection Rosewood, conçue par Victoire de Castellane, et
comprenant 13  pièces qui rendaient hommage aux fleurs préférées de Christian
Dior : les roses de son jardin à Milly-la-Forêt.
De la même manière, Montblanc organisa une exposition présentant la dimension
historique et artisanale de la marque à Shanghai en avril  2014 et Hermès mit en
scène ses artisans dans une exposition itinérante mondiale, le Festival des métiers,
devenue « Hermès hors les Murs ».

D’où vient l’obsession que semblent avoir les marques de luxe pour ce
genre d’événements ? Quels avantages en retirent-elles ?
Ce type d’«  opération séduction  » qui présente le savoir-faire des
marques les plus prestigieuses est très apprécié en Asie. En effet, avec le
nombre croissant de nouveaux riches chinois, les marques de luxe tentent
d’enseigner à leurs clients actuels et à venir les valeurs sur lesquelles leur
réputation en Europe est fondée. Ces valeurs, ce savoir-faire, cette expertise
et la démonstration des gestes méticuleux de leurs artisans les plus qualifiés
assoient leur légitimité – et celle des prix pratiqués par les grandes maisons.
L’exposition des procédés de fabrication, l’immersion dans l’histoire et la
découverte de l’univers de la marque sont complètement liées. Une fois le
client convaincu que le produit est bien fait et de qualité, il faut le
convaincre d’adhérer à l’image de la marque et à ce qu’elle renvoie. Ce
processus prend plus de temps qu’un simple acte de séduction, mais s’il
réussit, la fidélité du client en découlera et il sera convaincu d’avoir placé
sa confiance dans une marque de qualité qui reflète étroitement ses propres
valeurs.
En outre, organiser des opérations commerciales de cette envergure peut
également attirer une couverture médiatique considérable et faire de villes
comme Hong Kong, Shanghai ou Seoul des points de rendez-vous pour le
luxe en Asie. En fait, la Chine et Hong Kong sont en général assez friands
d’événements promotionnels spectaculaires qui créent un buzz. Dans un
environnement où il s’agit toujours de montrer le meilleur, les marques de
luxe essaient généralement, en Asie, de faire preuve de plus d’imagination
que leurs voisines et s’efforcent sans cesse de placer la barre toujours plus
haut pour ces événements –  Chanel (Croisière Automne 2010), Dior
(Printemps-Été 2013) et Louis Vuitton (Automne-Hiver 2012-2013) ont par
exemple présenté leurs collections à Shanghai sur le Bund.
Bien que les marques de luxe n’attirent pas toujours de clients dans le
sillage immédiat de ces événements, elles auront tout de même initié le
processus chez quelques-uns d’entre eux. Les visiteurs qui viennent par
curiosité et qui ne correspondent peut-être pas au cœur de la clientèle ciblée
par les marques, n’en sont pas moins susceptibles d’être fascinés par
l’univers d’une marque et d’en devenir clients dès qu’ils le pourront. Cette
approche préliminaire à une clientèle moins familière du luxe contribue
aussi à démystifier l’accès à certaines de ces marques célèbres, qui peuvent
souvent être perçues comme intimidantes.

Format des magasins : fermé ou ouvert ?

Traditionnellement, un magasin d’une marque de luxe est un magasin


fermé, dans lequel on entre par une porte vitrée. En effet, le meilleur moyen
de préserver l’exclusivité de la marque est de réduire l’accès au magasin.
On constate toutefois que ce format ancien a sensiblement évolué et que
l’on trouve aujourd’hui trois formats différents –  allant du plus fermé au
plus ouvert  – qui présentent tous des modes d’accès à la marque
sensiblement différents :
• Une vitrine fermée, sans percée vers l’intérieur du magasin, et une
porte qui ne s’ouvre qu’à la demande : c’est le format traditionnel des
boutiques d’horlogerie et de joaillerie –  pensez au format en marbre
vert que Cartier utilisait dans la plupart de ses magasins jusque dans
les années 2000 et qui subsiste encore rue de la Paix à Paris.

© Michel Gutsatz

• Une vitrine ouverte, présentant les produits sur un arrière-plan


escamotable qui donne une vue partielle sur l’intérieur du magasin. Ce
format est devenu le standard pour les magasins de luxe dans le
domaine de la mode et de la maroquinerie, et plus récemment du
parfum (cf. les vitrines Balenciaga, Burberry ou Diptyque). Les
marques de joaillerie peuvent aussi y avoir recours – comme Cartier et
sa boutique « ardoise » rue du Faubourg-Saint-Honoré à Paris. C’est le
format que nous lierons à la période de démocratisation du luxe  : le
client doit pouvoir apercevoir la totalité de la boutique et donc
comprendre que l’offre est bien plus importante que celle disposée
en vitrine.
• Une vitrine ouverte, transparente, qui permet au client de voir
l’ensemble du magasin depuis l’extérieur et d’y accéder sans rupture
de seuil  : c’est le cas de nombreux magasins de beauté (à  l’instar de
Sephora) et de la plupart des magasins dans les shopping malls.

© Michel Gutsatz

Tableau 3.1 – Format de boutique et relation marque-client

  Clients habitués Clients non habitués


Vitrine fermée Ils se sentiront à l’aise, protégés Ils ne se sentiront pas les
du reste du monde dans bienvenus et ne pousseront même
un environnement très « select ». pas la porte du magasin.

Vitrine   Un bon compromis pour inciter les


ouverte clients non habitués à entrer.

  Ils se sentiront plus à l’aise,


Vitrine semi-
en pouvant anticiper ce qui les
ouverte
attend à l’intérieur.

Chacun de ces formats engendrera une relation différente entre le client


et la marque, qui dépendra beaucoup du degré de proximité existant (cf. le
tableau 3.1) et, comme le disait Alfred Traubman, chacune va générer une
résistance au seuil différente.
La démocratisation du luxe signifie aussi que des clients potentiels, qui
ne sont pas initiés à la marque, doivent pouvoir y avoir accès sans se sentir
rejetés ni intimidés. Le format de vitrine ouverte est donc bien plus adapté
aux nouveaux clients.
Il existe un quatrième concept de magasin, le magasin (totalement)
ouvert, qui fait le maximum pour se montrer accueillant à des clients non
initiés  : ni porte, ni vitrine n’entravent l’entrée. Deux exemples de ces
magasins :
• Presque toutes les boutiques d’aéroports sont sur ce concept : les gens
peuvent entrer sans avoir à pousser une porte. Toutes les études
montrent que ceci facilite l’accès aux marques de luxe pour les clients
non initiés. Même des joailliers comme Cartier et Bulgari optent pour
ces magasins ouverts dans leurs points de vente en aéroport.
• Sephora, le spécialiste de la distribution de parfums et cosmétiques, a
opté pour ce format. Leur flagship sur les Champs-Élysées en est un
exemple parfait. Il est intéressant de le comparer avec la parfumerie
traditionnelle Guerlain située 50 mètres plus bas sur l’avenue, d’autant
plus que la situation a sensiblement évolué depuis la rédaction de la
première édition de ce livre.

Exemple

En 2012 : les deux devantures occupent environ la même largeur mais franchir le
seuil de la boutique Guerlain peut être intimidant  : il y a d’abord une lourde porte
derrière laquelle se tient un gardien  ; l’entrée est flanquée de deux vitrines
traditionnelles à travers lesquelles le client peut voir qu’il s’agit d’un magasin plutôt
petit dans lequel peuvent se trouver quatre vendeurs (cf. figure  3.2). L’effet global
est très intimidant.
Sephora, au contraire, est un véritable portail ouvert sur l’avenue, avec une  pente
douce qui vous entraîne vers l’intérieur de la boutique. Le gardien est positionné de
façon très discrète et il y a un flux constant de visiteurs qui entrent et sortent : il n’y
a aucune barrière à l’entrée (cf. figure 3.3). Par conséquent, on retrouve à l’intérieur
des clients qui n’entreraient jamais chez Guerlain à côté. Et ils achèteront
probablement leurs parfums et leurs cosmétiques Guerlain chez Sephora !

Figure 3.2 – Devanture de Guerlain

© Michel Gutsatz

Figure 3.3 – Devanture de Sephora


En 2018  : les responsables de la marque Guerlain, ayant
vraisemblablement lu notre livre, ont décidé de profiter qu’un espace se
libère entre Sephora et leur boutique pour y installer l’Atelier Guerlain
Parfumeur, lequel est grand ouvert sur l’avenue…

Personnalisation des boutiques et flagships

Un credo majeur de toutes les marques de luxe a longtemps été qu’elles


doivent avoir des magasins similaires dans le monde entier, de manière à
créer une image de marque unique que les clients reconnaîtront
immédiatement. Prada en a été longtemps un exemple parfait : le syndrome
du contrôle total développé par la marque l’a conduite à appliquer non
seulement le même format à ses magasins (peinture vert-menthe et tapis
glacés), mais aussi à ses bureaux.
Cette stratégie a évolué dans les premières années du XXIe siècle – et tout
particulièrement pour ce qui concerne les vaisseaux amiraux (ou flagship
stores). Les marques qui se considéraient comme fortes ont décidé de
changer d’approche et Prada, comme souvent, a été pionnière en la matière.
En 1999, ils ont fait appel à Rem Koolhaas pour trois projets : un nouveau
magasin de 2 250 mètres carrés dans l’ancien espace Guggenheim Soho à
New York  ; le nouveau design du magasin de 2  000  mètres carrés à Los
Angeles et un magasin de 4  300  mètres carrés à San Francisco. D’autres
architectes, Herzog et de Meuron, qui ont accédé à la célébrité entre autres
grâce au projet de la Tate Modern à Londres, ont redessiné le magasin de
Tokyo, de même que les bureaux de Prada à New York et le siège de l’usine
toscane.

«  C’est un projet exceptionnel, confiait Muccia Prada dans une interview à  WWD. Nous
pensons que beaucoup de marques aujourd’hui ont des magasins qui sont tous identiques – et
c’est simplement ennuyeux. Nous avons souhaité développer un magasin expérimental et poser
la question  : “Qu’est-ce que le shopping  ?” Nous savons qu’aujourd’hui, les clients aiment
faire du shopping, que c’est devenu une forme de socialisation et de communication. »

Prada introduisait alors un nouveau concept, qu’ils appelaient « magasins


épicentres » – et qui s’est depuis généralisé chez toutes les marques de luxe
sous la forme des magasins amiraux (flagship stores). Ce sont des magasins
dont le rôle sera de contribuer à la définition de la marque en montrant aux
clients l’ostentation, l’espace, l’opulence dont une marque de luxe est
capable. Comme l’a dit Rem Koolhaas :

« Le risque du nombre, c’est la répétition. Chaque nouveau magasin diminue l’aura globale et
contribue à créer un sentiment de familiarité. Le risque associé à l’échelle, c’est le syndrome du
porte-étendard : une accumulation mégalomaniaque des évidences, qui tend à éliminer ce qui
peut rester d’éléments de surprise et de mystère liés à la marque, et à l’emprisonner dans une
identité “définitive”. Mais la croissance peut aussi être l’occasion de redéfinir la marque, en
introduisant deux types de magasins – le typique et l’unique – le magasin épicentre devient un
mécanisme de renouvellement de la marque en agissant à  contre-courant et en déstabilisant
toute notion préconçue de ce que Prada est, fait ou sera. Le magasin épicentre fonctionne
comme une vitrine conceptuelle  : un moyen de diffuser les orientations futures, qui rayonne
positivement sur la masse plus grande des magasins standard18. »

Typiquement, les magasins amiraux peuvent être cinq à huit fois plus
grands que les magasins standard, s’étendre sur beaucoup plus que le
traditionnel rez-de-chaussée et comprendre autre chose qu’un simple
magasin. Le porte-étendard de Chanel à Tokyo Ginza, qui a ouvert en 2005,
possède 10 niveaux. Comme le rapporte Architectural Record :

«  Fonctionnant comme une enseigne du XXIe  siècle, l’immeuble est un rendu conceptuel du
tweed classique de Chanel, d’après l’architecte en chef Peter Marino. L’objectif premier de
l’équipe était de créer une icône architecturale contemporaine exprimant l’ethos de Chanel.
Avec ses 65 mètres de haut, le bâtiment est le plus haut du quartier commercial de Ginza. Parmi
les  dix  niveaux, on trouve une boutique Chanel sur 3  niveaux, un espace d’exposition et de
concert au 4e niveau, des bureaux à louer aux étages supérieurs, un restaurant gastronomique à
l’étage noble et un toit-terrasse paysagé et multifonctions19. »

Un directeur marketing interviewé au sujet des magasins amiraux disait


un jour :

«  Les règles du luxe sont claires. L’espace et ce qu’on désigne comme “une  utilisation
extravagante de l’espace libre” définissent une expérience de  luxe. En disposant d’espaces
commercialement inactifs, nous envoyons un signal d’exclusivité, de luxe et d’extravagance qui
est au cœur du luxe20. »

Ces espaces distinctifs peuvent aussi aider la marque à construire sa


réputation grâce à un savant mélange :
• Bâtiments historiques  : ceci permet à une partie de l’histoire du
bâtiment de se fondre dans l’histoire de la marque elle-même.
L’exemple le plus prégnant, et le premier dans son genre, fut
l’acquisition par Ralph Lauren de la Maison Rhinelander en 1986.
Ce vaisseau amiral de 2 000 mètres carrés appartenait à une famille de
la grande aristocratie new-yorkaise au début du XXe siècle. En faire un
magasin dans lequel les éléments d’origine sont préservés ainsi que les
peintures et le mobilier donne à la marque l’immanquable cachet qui
prouve sa légitimité – celle du style de vie WASP. Le siège de Ralph
Lauren sur Madison Avenue renforce aussi sa légitimité : le lobby en
acajou rappelle (dixit l’architecte qui a réalisé le projet) «  le salon de
première classe sur le Normandie ».
• Architectes célèbres  : «  Les marques de luxe sont les nouveaux
mécènes de l’architecture –  nous avons succédé aux papes et à la
royauté21  !  » Depuis le début des années  2000, toutes les grandes
marques de luxe ont travaillé avec les grands noms de l’architecture –
à la fois parce que ceci à un impact positif sur l’image de la marque et
aussi parce que ceci leur donne un élan novateur en capitalisant sur la
créativité de l’architecte. Peter Marino travaille ainsi pour Chanel,
Dior, Louis Vuitton ou Zegna  ; Massimiliano Fuksas réalise les
magasins Armani de New York, Tokyo et Hong Kong.
2017 et 2018 ont vu le redémarrage des constructions de navires amiraux
de plus en plus grands et impressionnants. Pour n’en citer que quelques-
uns  : Louis Vuitton a ouvert un superbe magasin de 3  500  mètres carrés
place Vendôme à Paris  ; Hermès s’est installé dans le Prince Building à
Hong Kong sur un espace de 920  mètres carrés (après avoir ouvert une
5eMaison Hermès de 1  200  mètres carrés à Shanghai en 2014)  ; Chanel a
remplacé sa première boutique de Ginza à Tokyo par un nouveau bâtiment
de plus de 1  000  mètres carrés… et prévoit d’ouvrir 6  nouveaux navires
amiraux (dont celui de la rue Cambon à Paris, entièrement rénové) en 2018.
Développer l’image de la marque implique d’avoir d’excellentes
relations avec la presse, et la presse de mode en particulier. Les magasins
amiraux jouent un rôle ici, que l’on comprend mieux en examinant ce
contre-exemple fascinant : un distributeur explique que, à partir du moment
où leur porte-étendard londonien a fermé (du fait de coûts de
fonctionnement intenables), la presse de mode britannique n’a plus assuré
aucune couverture de la marque, et ceci a eu un impact négatif, d’après la
société, sur les chiffres d’affaires de leurs autres points de vente :

«  La presse a besoin d’un lieu pour se lier à une marque. Quand nous avons fermé notre
magasin, ça a été comme si nous avions été effacés des mémoires des journalistes. C’était
incroyable  : peu importait ce que nous faisions, nous n’avions tout simplement plus
d’importance pour eux. Il nous a fallu rapidement renverser notre décision parce que l’impact
d’une non-couverture médiatique est purement et simplement terrible pour le chiffre d’affaires
d’une marque de luxe22. »

Ces magasins amiraux ont encore un autre rôle  : ils soutiennent la


relation que la marque entretient avec ses autres distributeurs. L’existence
d’un nouveau concept de magasin –  créé par un architecte célèbre  – peut
fournir un point d’appui lorsque la marque souhaite que ses partenaires et
ses distributeurs fassent monter en gamme leurs magasins, et peut aussi
servir de showcase pour recruter et retenir des intermédiaires :

«  Il est très clair pour nous que le magasin amiral a un rôle important à jouer dans le
développement des ventes en gros. Quand nous avons ouvert un flagship à Shanghai, l’impact
sur nos ventes en gros a été incroyable. Si nous rénovons nos flagships, nous savons également
que nous attirerons plus de cent nouveaux intermédiaires grâce à cela23. »

Le magasin amiral est le lieu où la marque forme ses franchisés et les


informe des nouvelles collections et du lancement de nouvelles lignes de
produits ; c’est le lieu où elle expose sa nouvelle stratégie de merchandising
aux intermédiaires qui devront eux aussi l’adopter à un moment ou à un
autre.
Les magasins amiraux et les nouveaux concepts de magasins sont donc
au cœur des relations très complexes qui se tissent entre une marque, ses
clients, ses distributeurs et la presse. C’est une décision très coûteuse que
celle de lancer un nouveau concept de magasin ou d’investir dans un
flagship, mais les retombées sont là  : il ne faut jamais évaluer un tel
investissement à la seule aune des chiffres de ventes24 !
Comme Scott Fellows, ancien directeur artistique de Bally, l’a dit un jour
à l’un des auteurs :

« Pourquoi d’après vous est-ce que je choisis de mettre dans la vitrine homme des chaussures
rouges ou bleues ? Parce que ceci attirera des clients dans le magasin, qui repartiront avec une
paire de chaussures noires ou marron ! »

Dans l’art de bien vendre, les vitrines jouent un rôle très important : c’est
le premier contact visuel entre le client d’un côté et la marque et ses
produits de l’autre. Les vitrines peuvent arrêter les passants dans leur course
et les attirer à l’intérieur du magasin.

Exemple

Un jour, l’un des auteurs marchait dans le quartier de Soho à New York quand ses
yeux furent attirés par… une vitrine vide. De l’autre côté de la rue, en face de lui, se
trouvait en effet une boutique avec une vitrine vide. C’était le contraire de tout ce
qu’il avait en tête en termes de merchandising visuel, aussi décida-t-il de traverser
la rue. En s’approchant, il commença peu à peu à voir ce qu’il y avait à l’intérieur,
puis une fois devant la vitrine, il eut une vision complète de ce qui se passait dans
le magasin ! Voilà un exemple fascinant de la manière dont une marque, au début
des années 2000, est passée maître dans l’art de nouer les mille liens qu’une vitrine
peut tisser avec un passant  : le Pleats Please de Issey Miyake faisait appel à un
verre issu d’une nouvelle technologie pour étonner et attirer l’attention sur la
marque et ses produits.

Quelques années plus tard (vers la fin de l’année 2005), Abercrombie &


Fitch réinventait une fois encore l’absence de vitrine : son nouveau magasin
porte-étendard, sur la Cinquième Avenue, présentait des vitrines fermées.
Aucun produit n’y était présenté. Plus de 10  vitrines –  un actif précieux
dans un emplacement aussi cher – avaient été condamnées. En lieu et place,
les clients étaient attirés vers l’entrée du magasin par la musique qui s’en
échappait.
La vitrine, c’est là où l’émotion démarre.
Combien de marques de luxe –  en dehors de leurs magasins amiraux  –
développent des vitrines qui renforcent l’image de la marque et fortifient le
lien émotionnel avec leurs clients ? Trop peu.
Combien de marques utilisent leurs vitrines pour informer les clients,
pour instiller en eux une connaissance de la marque ? Un des auteurs a été
assez surpris de voir récemment, dans la vitrine du magasin Bally de New
Bond Street, des photographies de modèles de chaussures créés par la
marque au XIXe et au début du XXe  siècles. Le  message était passé, en
quelques secondes.
Combien de marques font ce que les grands magasins Bonwit Teller
faisaient dans les années 1930 : confier à des artistes le soin de concevoir
leurs vitrines –  et entre autres à Salvador Dali, Man Ray et Marcel
Duchamp ? Et, dans les années 1950, Andy Warhol ?
La plupart des marques n’utilisent leurs vitrines que comme des
présentoirs à produits. Les marques de luxe ont plus à raconter à leurs
clients et à tous les passants. Ils devraient utiliser leurs vitrines pour
démontrer leur unicité et construire une relation émotionnelle forte. C’est
exactement ce que Hermès a fait avec les créations extraordinaires de Leila
Menchari (décoratrice de ses vitrines de 1978 à 2013 –  maintenant
remplacée par Antoine Platteau, chef décorateur de cinéma français) et ce
que Paul Smith fait maintenant dans la plupart de ses magasins. C’est ce
que Dior a réussi lorsque John Galliano est arrivé et a rénové totalement
l’image de la marque (les vitrines de l’avenue Montaigne contenaient les
images «  scandaleuses  » avec Gisèle Bündchen)  : créer de l’émotion.
Susciter chez le spectateur l’envie d’entrer et de participer à cette histoire.

Le merchandising visuel et l’image institutionnelle


de la marque
Les vitrines représentent une part importante du merchandising visuel de la
marque. Les marques de luxe ont transformé ce qui fut jadis un des traits
distinctifs des grands magasins en un élément clé de leur image
institutionnelle de marque. Elles ont appris que chaque détail compte et que
des équipes spécifiques –  les merchandisers visuels  – sont indispensables
pour mettre en œuvre, au niveau du magasin, les orientations artistiques
décidées au niveau du siège.
La meilleure manière de comprendre ceci est d’examiner un cas que l’un
des auteurs a connu de l’intérieur chez Bally, quand un nouvel
organigramme a été mis en place en 2000, en s’inspirant des grands
magasins américains.

 Cas d’entreprise
Organigramme de la direction de l’image retail chez Bally
L’équipe de direction de l’image retail comprenait à la fois une équipe mondiale et
des équipes régionales, chargées de mettre en œuvre dans chaque magasin les
orientations décidées au niveau global de l’entreprise.

Source : Michel Chevalier et Gérald Mazzalovo,


Management et Marketing du Luxe, Dunod, 2008.

Figure 3.4 – La direction de l’image retail dans l’organigramme de Bally

L’équipe mondiale était placée directement sous la supervision du directeur artistique


et nommée « direction de l’image retail » (cf. figure 3.4). Elle comprenait :
– un coordinateur du merchandising visuel au niveau mondial ;
– quatre spécialistes du merchandising visuel pour les magasins en gestion
directe ;
– un concepteur de vitrine pour les magasins en gestion directe ;
– un coordinateur du merchandising visuel pour les grossistes et les boutiques de
travel retail.
– quatre merchandisers visuels/concepteurs de vitrines pour l’Europe ;
– quatre merchandisers visuels/concepteurs de vitrines pour l’Asie et les États-
Unis.
Nous percevons l’importance de l’habillage des vitrines, grâce à la présence dans
cette équipe d’un spécialiste du merchandising visuel dont le travail était entièrement
consacré aux vitrines.
Quand ils visitent un magasin, les merchandisers visuels doivent vérifier si leurs
directives sont bien mises en œuvre par les responsables des magasins. Il leur faut
donc des documents spécifiques. Le document présenté en figure  3.5 est un
exemple de grille remplie par les merchandisers visuels centraux après une visite
dans un magasin.

Figure 3.5 – Document de travail pour le merchandising visuel – Bally


Un mois plus tard, le merchandiser visuel a refait une visite et ses commentaires
montrent que l’équipe locale avait bien compris ses directives visuelles :

■ Commentaires du MV
– « Le magasin présente bien. »
– « Les blocs commandés lors de notre précédente visite ont été livrés. »
– «  Nous avons revu la disposition, ce qui améliore le nombre d’options de
présentations. »
– «  X a été d’un secours précieux et nous aimerions qu’elle soit la
merchandiseuse visuelle pour ce magasin. »
Les magasins-épicentres de Prada et tous les magasins amiraux des marques
sont des exemples de magasins «  waouh  ». Mais sont-ils autre chose que
l’incarnation de tentatives par une marque d’impressionner d’autres marques ? Ne
peuvent-ils être vus comme une nouvelle étape dans une escalade d’assauts
visant à reconquérir l’attention déclinante des clients ? Koolhaas contre Gehry (qui
réalise la Fondation Louis Vuitton ouverte à Paris en 2014), ou Marino contre
Future Systems, ne sont peut-être qu’un avatar, coûteux, de la guerre des
marques. Le client n’est-il qu’un otage d’une «  spirale ascendante dont le
mouvement tend à éliminer le client lui-même de l’équation – pour finir par n’être
plus que directeurs artistiques parlant aux autres directeurs artistiques et designers
aux designers. Le client est devenu de plus en plus un spectateur de ces jeux du
cirque plutôt que leur point focal25.  »  ? Notre position ici est que l’attention
consacrée sans compter par les marques de luxe aux concepts et au
merchandising visuel dans leurs magasins –  si important que cela puisse être,
comme nous l’avons vu  – ne doit pas être l’alpha et l’oméga. Si la qualité de
service n’est plus au centre des préoccupations, le client sera hors-champ, sauf
pour dire à quel point il est impressionné par un magasin qui, in fine, n’est rien
d’autre que décorum.

L’essentiel
►► Les marques de luxe sont devenues depuis trente ans des retailers et le
choix d’un concept architectural est un geste important de l’identité de marque.
►► Les formats de boutiques évoluent vers des espaces de plus en plus
grands et de plus en plus ouverts, de manière à ne pas créer de barrière à
l’entrée.
►► La vitrine est un lieu privilégié d’expression de la marque – où l’émotion doit
être créée avec un très fort impact sur le client/prospect.
Chapitre 4

Online, offline ou O2O ?


« Le principe fondateur de Net-A-Porter.com était et demeure de créer un équilibre entre
contenu et commerce. »
Natalie Massenet

Internet est devenu un canal majeur de distribution et de communication


pour les marques de luxe qui ont fait le choix d’investir dedans – mais leur
attitude vis-à-vis du Web n’est pas toujours simple. Partons à la découverte
des méandres de la relation d’amour/haine que les marques de luxe
entretiennent avec les technologies modernes de communication. Nous
prenons comme point de départ un tournant  : comment Yoox.com et son
business model ont-ils changé le point de vue des marques de luxe sur l’e-
commerce ?
Si nous voulons comprendre les différences de culture qui existent entre
le luxe et Internet, il nous faut revenir en arrière de quelques années pour
suivre l’évolution de cette relation d’amour/haine. Nous examinerons
ensuite la situation actuelle, où se mêlent utilisation d’Internet comme
moyen de communication et comme vecteur d’e-commerce, situation qui
changera certainement dans les années à venir. Enfin, nous expliquerons les
complexités du marketing numérique et énoncerons sept règles que toute
marque devrait respecter sur Internet et les réseaux sociaux pour développer
ses activités en ligne.

De Yoox.com à la fusion avec Net-A-Porter.com

Durant la Fashion Week milanaise de 2009, un homme a fait sensation  :


Federico Marchetti, PDG de Yoox, qui avait sa place attitrée au premier
rang de tous les défilés.
Pourquoi un tel honneur ? Parce que Federico Marchetti a fait de Yoox un
acteur clé du secteur du luxe, avec un revenu total de 214 millions d’euros
en 2010, revenu qui atteindra 524 millions d’euros en 2014 (et 2,1 milliards
d’euros en 2017 après la fusion avec Net-A-Porter.com).
Un bref rappel de l’histoire de Yoox va nous permettre de comprendre le
business model novateur qu’il a mis en œuvre.
Yoox a été lancé en 2000 et a été l’un des premiers points de vente à prix
réduits sur Internet, donnant aux marques italiennes de luxe et de mode un
moyen de se défaire de leurs stocks d’invendus des saisons précédentes à
travers un élégant portail virtuel. La logistique de Yoox était conçue de
manière à offrir aux clients un service digne des marques elles-mêmes.
Dans cette première phase, Yoox était positionné comme une référence du
e-discount, l’élément clé de son business model étant que Yoox ne paie ses
fournisseurs qu’après conclusion de la vente –  et n’avait donc pas à
supporter les coûts de stockage.
Dans une seconde phase, Yoox a mis sur pied une stratégie de
différenciation  : proposer les créations de jeunes designers de même que
des objets et des livres. Deux aspects importants caractérisaient cette
nouvelle offre : la marchandise était vendue à son prix réel (sans remise) et
capitalisait beaucoup sur l’image du «  Made in Italy  ». «  Notre âme est
italienne », déclarait Federico Marchetti. Dans cette seconde phase, Yoox se
positionnait comme un acteur clé du secteur de la mode – en abandonnant
son image « Tout est soldé ».
Après avoir acquis un savoir-faire en matière d’e-commerce, Yoox a
externalisé deux fonctions importantes  : le stockage et l’emballage des
produits (pick and pack), qui ont été confiés à Norbert Dentressangle, et la
livraison à UPS.
Yoox a pu constater qu’il possédait un savoir-faire recherché quand les
marques de luxe ont commencé (enfin) à étudier la question des ventes en
ligne. Pour ce faire, elles ont dû trouver un opérateur professionnel
indépendant, et ce fut Yoox Services, filiale de Yoox. En 2006, le site d’e-
commerce Marni était lancé, bientôt suivi par d’autres affichant, comme lui,
la mention «  Powered by YOOX  »  : Emporio Armani, Diesel, Dolce &
Gabbana, Jil Sander, Valentino, Bally, Dsquared, Miss Sixty, Costume
National, Emilio Pucci, Stone Island et CP.
Yoox a aussi créé un Master en e-fashion au MIP, l’école de commerce
du Politecnico di Milano, avec des bourses financées par Armani. La
société s’appuie ainsi sur ses relations privilégiées avec les marques au
service d’une vraie stratégie de formation dans les secteurs du management
de marques et du e-commerce.
Le site Yoox.com constitue un excellent exemple des sites d’e-commerce
moderne, avec des informations, des vidéos de défilés et des exclusivités,
ainsi qu’un espace eco-design, Yooxigen. Il ne lui manque que la dimension
« Communauté » pour être complet.
Si ce business model a connu un tel succès, c’est parce qu’il s’est
construit autour de quatre avantages stratégiques :
• Une offre d’e-commerce complète et intégrée. Il s’agit d’un véritable
(et nouveau) savoir-faire, que les marques de luxe ne savaient pas
spontanément déployer et qui requiert des cadres spécialement formés.
• La confiance construite autour d’une relation client-fournisseur –
 et une connaissance fine des ventes de chaque marque.
• L’utilisation d’une technologie entièrement contrôlée en interne  :
des puces RFID pour référencer les produits, des logiciels d’e-business
propriétaires, un studio de design, etc.
• L’image d’une expertise dans la mode et dans le discount : tout le
monde trouve ce qu’il cherche –  des marques bien connues à prix
réduits, des marques confidentielles, des exclusivités, du vintage et
ainsi de suite.
En 2012, Yoox créa un joint-venture avec Kering en charge du e-
commerce de l’ensemble des marques Kering (sauf Gucci). Dès lors, Yoox
s’est positionné en opérateur e-commerce pour un nombre significatif de
marques de luxe (plus de 30 hors Kering).
Mais l’histoire de Yoox a pris une tout autre dimension en mars 2015  :
Yoox et Richemont, actionnaire de référence depuis 2010 de Net-A-Porter,
annoncent la fusion des deux sociétés et la constitution du Yoox-Net-A-
Porter Group – lequel affichera un chiffre d’affaires de 1,7 milliard d’euros
pour 2015 (27 millions de visiteurs uniques sur leurs sites chaque mois) et
de 2,1  milliards d’euros en 2017. Richemont dispose alors de 50  % des
actions et 25 % des droits de vote.
Cela faisait cinq ans que Richemont avait acquis Net-A-Porter et que les
analystes avaient salué ce mouvement comme la preuve de la prise de
conscience par un des groupes majeurs du luxe de l’importance du digital.
Mais pendant cinq ans, les marques du groupe Richemont, comme toutes
les marques de luxe d’horlogerie et de joaillerie, ont continué à être les
mauvais élèves de la classe « Internet », loin derrière les marques de beauté
et les marques automobiles. En 2013, le think tank américain L2 écrivait :

« Les pages produits des marques de montres et de joaillerie sont très décevantes. Bien que la
moitié présente des images en gros plan, seulement un tiers présente des angles de vue
différents, un quart du contenu interactif et moins d’un cinquième ont des outils permettant de
comparer plusieurs options. »1

Février  2018 va constituer un tournant majeur dans cette évolution  :


Richemont annonce le rachat de la totalité du capital de Yoox-Net-a-Porter
Group et la prise de contrôle d’YNAP. La prise de conscience a eu lieu et,
en l’espace de deux ans, l’ensemble des marques d’horlogerie-joaillerie
Richemont (comme Cartier, Baume & Mercier, Piaget ou IWC et, hors
Richemont, comme les marques LVMH Zenith et Tag Hauer, ou encore
indépendantes comme Tiffany et Chopard) sont venues rejoindre ce
nouveau canal de distribution comme le montre la figure suivante.

Figure 4. 1 – La constitution des partenariats YNAP et les acquisitions dans


l’horlogerie-joaillerie

Que s’est-il passé  ? La montée en puissance du marché parallèle sur


Internet ces dernières années (comme le phénomène «  daigu  » en Chine
dont nous parlerons au chapitre 7) a heurté de plein fouet la situation (trop)
confortable d’un secteur exclusivement centré sur la distribution physique
(offline) et pour lequel Internet était, au mieux, une jolie vitrine. Les
marques traditionnelles de luxe se sont réveillées et ont constaté leur
(énorme) retard en la matière. Exactement comme le Swatch Group a
pendant plusieurs années été le passage obligé en matière de fourniture de
mouvements pour les marques horlogères, est-ce que Richemont (via Yoox-
Net-A-Porter Group) va devenir le passage obligé de certaines marques de
luxe en matière de digital ?

 Cas d’entreprise
Le cas Farfetch
Connaissez-vous Lauren Santo Domingo  ? Ancienne rédactrice en chef de Vogue,
elle a fondé en 2011 le site Modus Operandi, lequel se présente comme le premier
« pre-tailer » – un lieu où les consommateurs peuvent précommander tous les styles
repérés lors des défilés de mode. Modus Operandi a levé $165  millions de
financement fin 2017.
Connaissez-vous «  The Real Real  »  ? Il s’agit d’une place de marché internet qui
vend des objets de luxe (authentifiés) de seconde main. Fondée en 2011, elle a levé
un financement de $173  millions en 2017 et vient d’ouvrir sa première boutique à
New York.
Les nouvelles plateformes du luxe se développent rapidement sur internet –  et les
investisseurs abondent. Mais la plus intéressante et la plus développée actuellement
est à l’évidence Farfetch. L’idée de départ de José Neves (2008) est très simple : il
existe de nombreuses boutiques multimarques de luxe dans le monde qui
souhaiteraient élargir leur clientèle et disposer d’outils de vente online beaucoup plus
sophistiqués que ceux qu’ils auraient (éventuellement). Farfetch leur apporte une
réponse : c’est une plateforme de mise en relation entre ces boutiques multimarques
(qui y présentent leur offre) et des clients mondiaux à la recherche de produits
d’exception. La boutique dispose ainsi à la fois d’outils sophistiqués de vente
(comme une app et une sécurisation des échanges) et d’un accès à une base de
données clients. Farfetch prélève une commission sur chaque vente (environ 25 %),
la boutique se chargeant des expéditions (et des retours). Le stock reste donc dans
la boutique, laquelle ne se contente plus de mettre son offre en ligne  : les plus
avancées achètent en fonction de la nouvelle clientèle qu’ils atteignent ainsi (et
Farfetch peut représenter jusqu’à 45 % de ses ventes). Le site regroupe maintenant
524 boutiques (décembre  2018) dans plus de 40 pays et propose plus de 200
marques différentes. Farfetch assure la partie merchandising afin d’avoir un « look »
unique et homogène. De fait les clients accèdent aux produits – sans que ceux-ci ne
soient liés à une boutique spécifique. Le lien ne se fait qu’au moment de l’achat.
Toutefois la plateforme permet du « click and collect », offre des livraisons le même
jour dans plus de dix villes et permet à un client de retourner un produit dans un
autre point de vente que celui où les clients ont acheté. Le modèle a sensiblement
évolué, les marques elles-mêmes intégrant la plateforme en 2015 (plus de 75
marques de luxe étaient présentes sur Farfetch fin 2016 et Burberry y est entré en
2018). Farfetch est maintenant, avec un chiffre d’affaires de plus de 700  millions
d’euros, un acteur incontournable de la vente de luxe sur internet –  associant
l’ensemble des canaux de vente monomarques et multimarques sur une même plate-
forme.
L’actionnariat de Farfetch s’est aussi élargi : au-delà des fonds d’investissement, on
trouve Conde Nast, JD.com (depuis 2017 –  qui lui ouvre le marché chinois et lui
permet de bénéficier de l’expertise logistique de JD) et Chanel depuis 2018 (sans
vendre ses collections directement sur Farfetch). Le partenariat entre Chanel (qui n’a
toujours pas de vente en ligne) et Farfetch permet à la marque de proposer à ses
clientes ayant téléchargé l’app Farfetch d’être identifiées dès leur entrée en boutique
et de bénéficier d’un service sur-mesure en fonction de leur historique d’achat. Ainsi
Farfetch va permettre à Chanel de bénéficier de son savoir-faire technologique pour
répondre aux attentes de ses clientes connectées.
Le dernier acte en date est l’annonce de l’ouverture de boutiques physiques
Farfetch : Store of the Future. Les outils technologiques qui y sont mis en place sont
au service du client ET de la collecte de données : une identification de la cliente (via
un identifiant universel), des miroirs digitaux permettant de mettre à disposition tous
les produits recherchés par la cliente, un système de paiement mobile (comme chez
Apple), un système de puces RFID permettant d’identifier les produits que la cliente
regarde sur les portants. Un des objectifs est de libérer les vendeurs et vendeuses
de la gestion de l’inventaire et des tâches administratives pour les concentrer sur le
service. Farfetch prévoit ainsi un réseau de 1 000 Stores of the Future – ouverts par
des partenaires (les boutiques partenaires actuelles ou d’autres) auxquels Farfetch
offre sa technologie (pour en faire un lieu de service de luxe) en échange de la
collecte des données (ces partenaires pourront aussi compléter l’offre technologique
avec de nouvelles apps). Un véritable écosystème de partenaires. Comme le dit José
Neves  : «  Les données clients, c’est de l’argent et j’en attends un retour… Quand
vous obtenez d’une cliente qu’elle partage ses données avec vous, vous avez acquis
de la poudre d’or. »

Petit historique de la relation d’amour/haine des marques


de luxe avec Internet

Dans l’industrie du luxe, l’exemple de Yoox.com a été un déclencheur. Les


marques de luxe s’en sont saisies pour entamer une grande réflexion sur
leur stratégie en ligne, autour d’une même question  : alors même qu’au
cours des vingt dernières années, la stratégie des marques de luxe avait été
structurée autour d’un business model incluant le contrôle de leur
distribution, pourquoi abandonneraient-elles un canal de distribution très
prometteur aux mains d’opérateurs extérieurs ? Pourquoi ne contrôleraient-
elles pas également les marges sur l’e-commerce pour maintenir leur
rentabilité à des niveaux très élevés (cf. chapitre  16)  ? Étant donné la
croissance des coûts de CAPEX, du fait de l’indispensable ouverture de
magasins nouveaux et attractifs dans des lieux aux loyers de plus en plus
élevés, pourquoi se priver de la possibilité de faire entrer de l’argent grâce à
un canal de distribution dont les coûts sont nettement plus faibles que ceux
d’un magasin ?
Mais ceci ne se peut qu’à condition que la marque de luxe acquière ces
nouveaux savoir-faire – celui de l’e-business – tout comme elle a, au fil des
ans, acquis celui du commerce classique. Ceci explique pourquoi les
groupes de luxe ont ouvert la chasse aux talents en matière d’e-business :
• Le groupe Richemont, qui avait fait l’acquisition en 2010 de www.net-
a-porter.com, considérée comme l’une des meilleures sociétés d’e-
business dans le secteur de la mode, vient d’intégrer Yoox-Net-A-
Porter Group en rachetant complètement le groupe.
• Kering a créé un joint-venture avec Yoox en 2012 pour six de ses
marques (Bottega Veneta, Saint Laurent, Balenciaga, Brioni,
Alexander McQueen, Stella McCartney) : cette société prend en charge
la création des sites d’e-commerce, la gestion de ces sites, le Web-
marketing, la CRM et la relation client.
• LVMH a développé au sein même de son portefeuille de marques un
des meilleurs sites de commerce en ligne –  sephora.com  – et a été
propriétaire entre 2000 et 2009 de e-luxury.com, le tout premier site
multimarques d’e-commerce de luxe. Ceci lui a beaucoup apporté en
termes de connaissance d’Internet et du commerce en ligne. LVMH a
ensuite mis en place, en juin  2017, 24sevres.com, la plateforme
digitale du Bon Marché… Mais, à la lecture du document de
présentation de la carte 24Sèvres, on peine à trouver une référence au
site Web – comme si online et offline coexistaient en silos. Enfin, une
division digitale (Digital Atelier) est créée en 2015 avec à sa tête Ian
Rogers (ancien d’Apple) dont l’objectif est de créer une véritable
culture digitale au sein du groupe.
• Chanel – longtemps réticent au digital – a signé en 2018 un partenariat
pour investir dans Farfetch (voir le cas Farfetch plus haut), lequel
offrira un éventail de services digitaux, de nouvelles expériences (dont
un parcours client en réalité augmentée) et de services aux clientes des
190 boutiques Chanel dans le monde.
On constate ainsi que la ruée vers le digital dans le luxe a véritablement
débuté vers 2015 – il y a seulement quelques années !
En fait il s’agit de la prise de conscience que le modèle traditionnel du
luxe ne sera plus opérationnel à moyen terme. Ainsi, deux visions du
monde très différentes sont à l’œuvre au sein de l’industrie du luxe : nous
allons les présenter en trois époques (Avant 2000-2005, 2005-2015, Depuis
2015) et en cinq phases, correspondant à autant de rôles différents donnés
au site Internet de la marque.

Avant 2000 ou 2005 (selon les marques)

Au début du XXIe siècle, les marques de luxe considéraient Internet comme


un corps étranger – car elles croyaient que celui-ci et le luxe faisaient fond
sur des cultures très différentes (cf. figure 4.2).
Au moins deux caractéristiques –  la question du virtuel et celle du
contrôle – ont joué un rôle déterminant dans la relation d’amour-haine entre
les marques de luxe et le Web, et ces points sont essentiels pour comprendre
les quatre phases principales qu’a traversées cette relation.

Figure 4.2 – Comparatif culturel d’Internet et des marques de luxe

Traitons rapidement la question du virtuel : si l’essence d’un produit de


luxe est de donner à «  sentir  » et «  saisir  », responsables marketing et
commerciaux peuvent être amenés à penser que le luxe ne peut être acheté
qu’en boutique, qu’un client doit toucher et sentir le produit et que la
présence d’un vendeur est essentielle. Ceci est certes important mais ce
n’est pas essentiel : des études de consommation (nous reviendrons sur ce
point) ont montré que les consommateurs du luxe sont assez éclectiques et
seraient prêts à acheter n’importe quel article de luxe sur le Web, du
moment que le site est suffisamment attractif et fonctionnel2. Durant des
années, cet argument est tombé à plat –  parce que l’inquiétude était
ailleurs  : les responsables marketing et les dirigeants des marques de luxe
craignaient tous (et craignent toujours) qu’une forte présence virtuelle non
contrôlée mette en danger leur marque. Parce qu’ils en perdraient le
contrôle au profit des internautes. Ce qui est vrai.
À cause de cette crainte, quatre rôles ont été donnés à Internet – comme
nous le voyons à travers des études très intéressantes réalisées par L2, un
think tank en ligne dédié à l’observation, à l’analyse et à la mesure de la
relation entre le luxe et le Web  : 72  marques ont été analysées dans leur
rapport  2010 et ils ont depuis multiplié les rapports par catégorie et par
pays.
On constate à cette période – de 2000 à 2005 – que les marques de luxe
se passent de site Web. Ainsi :
Rôle 1 : Internet n’existe pas et la marque n’a pas de site Internet. Le
site de Prada est célèbre pour n’avoir été pendant plusieurs années qu’une
page affichant  : « Opening Soon  » –  ils n’ont ouvert que fin  2005 un site
dédié aux parfums, et le site principal n’a quant à lui ouvert qu’en 2007.

2005-2015 : les marques partagent une vision en silos


où l’e-commerce est « comme un gros flagship store »

À partir de 2005, les marques traversent alors les trois autres phases,
lesquelles sont toutes marquées par une vision organisationnelle où l’e-
commerce est soit externalisé (comme chez Yoox par la plupart des
marques italiennes), soit développé en interne et intégré à la direction
commerciale. Dans le premier cas, le marketing digital est confié au
partenaire, la marque conservant le marketing «  boutiques  » et les deux
étant alors disjoints. Dans le second cas, la communication digitale (et les
médias sociaux) est rattachée au département communication et la vente à
la direction commerciale – et se déploie en parallèle. On constate ainsi que
se met en place une organisation en silos à laquelle le client n’est pas
intégré.
C’est à cette période qu’apparaissent et se succèdent trois nouveaux rôles
donnés au site Internet :
• Rôle 2 : un site institutionnel. Il s’agit du type de site où une marque
peut présenter son essence, son histoire, ses événements et ses
collections sans jamais entrer en contact avec ses clients. En ligne,
ceux-ci sont maintenus à distance par les marques de luxe dont la
relation avec le Web est de nature « aristocratique » – du haut vers le
bas : « Révérez notre marque. » L2 montre qu’en 2010, seules 39 des
72  marques étudiées avaient un site d’e-commerce (contre 32 en
2009) : près de la moitié des marques de luxe en étaient toujours à ce
stade de leur développement en ligne… alors qu’elles sont présentes
sur les réseaux sociaux.
• Rôle 3  : un site d’e-commerce. Une fois Internet reconnu comme
canal de distribution à part entière, les marques incluent dans leur site
institutionnel un site de commerce en ligne (c’est là que les yoox.com
du monde entrent en jeu). Plus de la moitié des marques de luxe en
sont aujourd’hui à cette étape de leur développement en ligne (cf.
l’étude du cas Hermès plus bas). Les marques qui vendent en ligne ont
alors plus de chances d’être présentes sur de multiples plateformes, de
revendiquer une communauté plus vaste et d’interagir plus
fréquemment avec leurs fans et autres followers. Les marques
présentes dans le commerce en ligne sont également de meilleurs
marketeurs numériques et ont plus facilement recours au courrier
électronique et au sponsoring de résultats de recherche pour générer du
trafic vers leur site et leurs boutiques3. Cela les mène directement à
donner à Internet le 4e rôle.
• Rôle 4  : Internet est un réseau où commerce, communication et
présence sur les réseaux sociaux doivent être combinés. Toutes les
marques de luxe rompues à l’utilisation d’Internet ont évidemment pris
le train des réseaux sociaux. Elles ont toutes des pages Facebook, des
comptes Twitter, des applications sur iPhone et iPad  : 90  % des
marques étudiées par L2 étaient sur Facebook en 2010 (contre 79 % en
2009), 48  % étaient sur Twitter, 55  % sur YouTube et 39  %
proposaient des applications pour smartphones. Si elles multiplient les
points de contact, les marques ne font pas connaissance avec leurs
clients, elles n’échangent pas avec eux. Elles contrôlent toujours la
relation et le message – et bien souvent, leur présence dans les médias
sociaux laisse à désirer, comme nous le verrons plus loin.

Depuis 2015 environ : l’enjeu pour les marques


est de mettre le client au centre

La montée en puissance des clients chinois (qui représentent maintenant


32 % des ventes mondiales du luxe selon Bain) et la prise de conscience de
l’importance de la génération des millenials ont bouleversé la vision du
monde des marques : ces deux marchés, Chinois et millenials, partagent le
fait d’être des «  digital natives  ». Téléphone en main, ils parcourent le
monde et leur vie en partageant expériences et achats avec leurs amis.
Passant sans difficulté du virtuel au réel, adeptes d’un parcours client
mêlant de nombreuses sources d’information et lieux potentiels de vente
(monomarques, multimarques, online, offline…), ne faisant confiance qu’à
leurs pairs, ils posent aux marques de luxe un problème fondamental : est-il
possible de passer d’une vision «  aristocratique  » top-down de la marque
(caractéristique des deux époques précédentes) à une vision
« démocratique » où le mode essentiel est celui de la conversation ?
Ceci a une conséquence organisationnelle immédiate  : comment
organiser un parcours client, un service client, une expérience client
acceptable sans mettre le client au centre du dispositif ?
Une véritable course contre la montre est en train de s’organiser entre les
marques sur ce sujet, en sachant que leur point de départ en la matière
témoigne d’une importante marge de progression. Une étude de Exane BNP
Paribas et ContactLab réalisée en 2015 aux États-Unis4 est à cet égard
révélatrice.
Figure 4.3 – Performances des marques de luxe en omnicanal (New York, 2016)

Même si les auteurs constatent une amélioration une amélioration de


25  % depuis un an de la performance online/offline pour 30  marques de
luxe, le constat global est affligeant  : au mieux, 6  marques permettent de
retirer en boutique une commande passée sur Internet et 16 permettent de
retourner en boutique un produit acheté sur Internet. Nous sommes très loin
de l’intégration offline/online recherchée par les clients.
C’est pour faire face à cette carence que Yoox-Net-A-Porter Group
(YNAP) est venu positionner son offre omnicanale : il propose à ses clients
trois niveaux de prestation d’e-commerce dont la plus élaborée se nomme
«  fully integrated omni channel  ». Offrant au client de la marque une
expérience totalement fluide entre boutiques et Internet (« seamless online-
offline brand experience  »), à travers une palette de 9  services, et
transmettant à la marque l’ensemble des données client (« single view of the
customer ») réunies en un seul lieu.
Figure 4.4 – L’offre Yoox Net-a-Porter Group (Source : YNAP IPO)

Dès lors, la bataille suivante se profile  : celle des données clients.


Comme le dit le CMO de Farfetch John Veichmanis :

« Les données sont la nouvelle monnaie. »

Bien entendu, chaque marque travaillant avec YNAP dispose de


l’ensemble des données clients la concernant, mais YNAP dispose des
données clients des 50  marques avec lesquelles il travaille –  un véritable
trésor dont nous saisirons tout l’intérêt dans notre chapitre sur la CRM.
Nous pouvons donc introduire dans la classification de L2 un cinquième
rôle donné à Internet :
• Rôle 5  : vendre et construire une expérience en omnicanal  : les
marques de luxe ont enfin pris conscience de l’importance d’Internet
dans le parcours client. Il devient donc essentiel de construire une
relation client sur tous les canaux de distribution et de communication
possibles –  offrant au client une expérience de marque unique. Les
systèmes d’information sont reconstruits autour d’une base de données
clients unique et d’un CRM unique. La marque construit alors un
véritable écosystème où vente et communication sont en permanence
interconnectées. Le site d’e-commerce devient alors ce qu’il doit être :
un lieu de vente. Le meilleur exemple est la nouvelle organisation en
« hub » mise en place par Gucci (seule marque importante de Kering
hors du périmètre du joint-venture avec YNAP) depuis 2016, telle
qu’illustrée dans la figure suivante5 .

Figure 4.5 – La stratégie omnicanale de Gucci

La bataille pour la mise en place d’une organisation centrée sur le client


est donc en cours. Toutefois une première analyse des stratégies internet
actuelles des marques de luxe nous conduit d’ores et déjà à deux
conclusions essentielles :
• Les marques de luxe devraient intégrer leurs circuits de communication
et de distribution.
• Internet et les réseaux sociaux ne sont rien d’autre qu’un outil au
service d’une stratégie de relation-client.

 Cas d’entreprise
L’évolution de la conception des sites Web dans le luxe :
l’exemple de Hermès
L’évolution récente du site hermes.com est un parfait exemple des évolutions que
nous venons de décrire : il est en effet passé en 2018 d’une conception centrée sur
l’image de la marque à une conception centrée sur la vente.
■ Créer un site Web en cohérence avec l’image de la marque
Les marques de luxe sont confrontées à une question majeure lorsqu’elles atteignent
la phase du e-commerce  : créer un site Internet qui soit totalement en cohérence
avec les valeurs de la marque et l’image de la marque. Le « meilleur de la classe »
est ici incontestablement Hermès.
Hermès est une marque qui sait prendre son temps : son site de commerce en ligne
n’a ouvert qu’en 2008. Le site est un reflet merveilleux de l’intelligence de la marque.
Dès l’abord, la page d’accueil pose les éléments fondamentaux de l’esthétique de la
marque, qui sont chacun des références à la «  vision globale  » (l’éthique) de la
marque :
– Un logo décentré, légèrement incliné. Là où tant de marques affichent leur logo
en grand, de manière presque agressive, Hermès n’a pas besoin d’affirmer sa
présence.
– L’utilisation du dessin et de l’écriture  : Hermès est une marque qui attache de
l’importance au fait-main, au geste – celui de l’artisan comme celui du designer.
– Une atmosphère à la fois romantique et non conventionnelle : Hermès caresse
l’imagination de ses clients.
– L’utilisation de la couleur orange et de la boîte orange, emblématiques de la
marque.
– Les pointillés discrets que l’on voit sur toutes les pages (utilisés pour séparer les
zones des pages Web) – le point sellier – symbole de son cœur de métier.
La page suivante montre le cocher, descendu de voiture. Il vient livrer nos achats et,
ce faisant, nous conduit dans le monde d’Hermès. Vous découvrirez le sens du mot
«  sabrer  » (couper/trancher avec une épée), et le travail de la «  sabreuse  »  ; la
symphonie des outils ; vous êtes invités à vibrer à la vue des carnets Hermès de la
baronne Nica de Koenigswarter, à découvrir le petit tricycle de Napoléon III, pièce de
la collection Émile Hermès, et bien, bien plus… Le site offre une déambulation
poignante et exceptionnelle à travers le monde des artisans, des matériaux et des
anecdotes de la marque.
En avançant vers la boutique, escortés par une forêt de liens qui se délient au fil des
mouvements de la souris, nous découvrons des dessins, des inscriptions et les
produits présentés dans un arrangement en quinconce.
Ce site est une véritable fête des sens. L’œil aussi bien que l’oreille sont captivés : la
marque y exprime sa vision du monde, son éthique tout comme son esthétique. Ses
produits sont bien présentés  ; l’acte d’achat émane directement de l’émotion
ressentie lorsqu’on parcourt le site – même si la gamme de produits vendus en ligne
est très limitée (et d’aucuns pourraient trouver ceci frustrant).
■ 2017-2018 : créer un nouveau site dédié à la vente
En 2017, lors de la présentation des comptes 2016, le PDG d’Hermès Axel Dumas
annonce la création d’un nouveau site Web et déclare qu’il préfère «  miser sur la
vente en ligne plutôt que sur un nouveau site institutionnel  ». Il ajoute vouloir
l’optimiser afin d’offrir à ses clients une expérience unique : « Pour mieux restituer la
magie d’Hermès, nous avions décidé de faire un site où les gens se perdent.
Résultat : les personnes s’y sont vraiment perdues.6 »
Le nouveau site hermes.com, testé aux États-Unis, est étendu début  2018 à
l’ensemble de l’Europe. La différence est frappante : c’est devenu un site de ventes
en ligne (comme il en existe de nombreux) où les codes de la marque sont à peine
perceptibles, mais où la navigation client est optimisée (avec la colonne gauche
permettant de sélectionner les prix, catégories, produits recherchés – à la Sephora).
Les clins d’œil à la marque subsistent mais sont bien moins nombreux : le client ne
doit pas «  se perdre  » en  dehors de l’objectif premier  : vendre. La marque va
maintenant raconter son histoire et établir une conversation avec ses clients ailleurs
– via les apps ou sur les médias sociaux.

Le cas Hermès illustre bien notre propos  : les marques de luxe ont très
fortement évolué ces dix dernières années et elles ont aujourd’hui intégré
internet dans leurs stratégies. Toutefois la pression des grandes plateformes
multimarques va se faire sentir de plus en plus et les enjeux vont maintenant
tourner autour de l’expérience client et du contrôle de la donnée client.

L’essentiel
►► Les marques de luxe, après avoir négligé le rôle d’Internet, en font
maintenant un élément essentiel de leur stratégie de distribution et de
communication.
►► Les grands groupes de luxe se positionnent sur les plateformes de vente
Internet et en font un élément stratégique essentiel.
►► L’enjeu des années à venir va être de mettre le client au centre – et donc
de concevoir une nouvelle expérience client : le client doit pouvoir passer d’un
point de contact avec la marque à un autre sans rupture (seamless).
Partie 2

Connaître et comprendre
le client
Chapitre 5

Remettre le client au centre


« Entrez dans un magasin et regardez ce que font les gens. »
Paco Underhill

Si la plupart des marques –  confrontées à la nouveauté complète que


constitue le médium Internet  – ont construit leur présence en ligne en
superposant des couches les unes après les autres, le temps est venu
désormais de repenser de fond en comble leur business model sur le Web.
Au cours des dix dernières années, les marques de luxe ont développé
une présence en ligne très en phase avec leur organisation et leur business
model standard, moyennant l’addition de deux couches indépendantes ou
presque :
• Une couche «  ventes  », incluant  : boutiques  ; shop in shops dans les
grands magasins  ; boutiques travel retail  ; site de vente en ligne  ;
distribution indirecte.
• Une couche «  communication  », consistant elle-même en  :
communication institutionnelle ; gestion de la relation-client (CRM) ;
présence sur les réseaux sociaux ; présence sur les mobiles. Tous ces
éléments sont de simples outils qui devraient tous être mis au service
d’une stratégie globale (et omnicanale) de relation client.
L’organigramme classique d’une marque de luxe sépare les ventes du
marketing et parfois même de la communication, qui est du ressort du
directeur créatif. Malheureusement, ceci génère des difficultés pour créer
une stratégie de relation client intégrée à travers tous les services, plutôt
qu’une addition de 4 stratégies  : stratégie de communication +  stratégie
CRM + stratégie Internet + stratégie de ventes.
À revers de la culture à laquelle elle fait référence, qui s’appuie sur la
marque et sa valeur, nous suggérons un renversement complet. Nous
pensons que, pour pouvoir se confronter aux exigences de leurs clients les
plus connectés, les marques de luxe devront recentrer et reconstruire leur
business model numérique, en partant de l’acteur le plus influent du vingt et
unième siècle : le client. Ceci signifie que toute la chaîne de valeur doit être
repensée.
La chaîne de valeur traditionnelle (cf. figure  5.1) va de l’intérieur vers
l’extérieur : la marque identifie son cœur de compétences, d’où elle tire son
business model, puis elle identifie son offre, choisit ses canaux de
distribution et, enfin, va à la rencontre de ses clients.

Figure 5.1 – Chaîne de valeur traditionnelle

La nouvelle chaîne de valeur va de l’extérieur vers l’intérieur (cf.


figure 5.2) : la marque commence par identifier et segmenter le cœur de sa
clientèle et ses besoins, puis définit l’expérience de marque qu’elle veut
partager avec elle, et seulement après construit son offre et son business
model.

Figure 5.2 – Nouvelle chaîne de valeur

Ceci signifie que la construction d’une relation client spécifique et


identifiable devient un problème critique pour chaque marque. Voyons
comment ceci peut être fait.
La construction d’une relation entre une marque et ses clients passe par
cinq phases clés :
• Attirer
• Aborder
• Retenir
• Apprendre
• Se lier
Chacune de ces phases nécessite des leviers spécifiques qui contribueront
à construire et entretenir la relation. La figure 5.3 montre comment presque
tous ces leviers racontent la même histoire  : il faut en effet considérer
simultanément les magasins et Internet car ils sont complémentaires.

Figure 5.3 – Les leviers de la relation client

Partir des clients : pourquoi sont-ils connectés et comment


utilisent-ils Internet ?

Toutes les études récentes sur les schémas suivis par les internautes (le
parcours client ou customer journey) montrent qu’ils :
– vont sur Internet chercher des informations ;
– puis se déplacent vers des forums, en se concentrant sur leurs sujets
d’intérêt ;
– et finissent par aborder des gens avec qui ils partagent des centres
d’intérêt et des passions.
Conclusion : les gens ont des passions dont ils suivent le fil sur le net, où
ils finissent par les partager avec d’autres internautes –  le Web est un
monde de communautés (et en Chine encore plus qu’ailleurs !). Il y a ainsi
des groupes Facebook d’amateurs de vin, de passionnés de parfums,
d’aficionados des montres…
L’investissement d’un membre dans une communauté dépendra de deux
facteurs :
• La relation que la personne noue avec le cœur de l’activité en ligne de
la communauté  : plus cette activité est centrale dans l’image que
l’individu a de lui-même, plus il a de chances de rechercher et de
chérir l’appartenance à cette communauté.
• L’intensité des relations sociales que l’individu entretient avec les
autres membres de la communauté.
Quatre types de membres de communauté peuvent être définis1, comme
on le voit sur la figure 5.4.

Figure 5.4 – Les quatre profils de membres de la communauté

 Cas d’entreprise
L’exemple de Krug et Sephora
Ces histoires sont anciennes, à l’échelle d’Internet ou même du temps des marques,
mais elles sont toujours formidablement édifiantes : chaque marque de luxe doit les
méditer pour comprendre le potentiel que représente le Web pour la construction
d’une relation client.

■ Voici les « krugistes »
Vers la fin de 1998, Remy Krug, PDG de Champagne Krug, était invité à une cyber-
dégustation de champagne par Wine Spectator. Il dit à un des auteurs : « C’est une
idée de ma fille. Mais je ne la trouve pas très bonne. Le champagne est fait pour être
partagé ! »
À sa grande surprise, des centaines d’amateurs de Krug étaient connectés –  avec
une bouteille de Krug, parfois seuls, parfois en groupes – prêts à l’accueillir, prêts à
partager avec lui leur connaissance et leur passion de la marque et de ses produits.
« Ce fut une expérience unique », déclara-t-il.
Le Web déborde d’émotions.

■ Voici les « Sephora-cooliques »
Sephora a ouvert sa première boutique américaine à Soho en juillet 1998.
En décembre  1998, sur le site d’Alt fashion, les gens écrivaient  : «  À quand un
Sephora à Minneapolis ? Je suis Sephora-coolique ! »
C’est pour désigner des choses importantes que l’on invente des mots : avoir forgé
un mot montre quelle relation les gens peuvent nouer avec une marque ou un
commerçant.
Le Web regorge d’émotions.

Les sept règles d’Internet et des réseaux sociaux

Les marques de luxe souhaitant exploiter le potentiel d’Internet et des


réseaux sociaux devraient mettre en pratique sept règles fondamentales.

Règle 1 : Internet et les réseaux sociaux sont un espace


de dialogue entre une marque et ses clients

Il faut être deux pour dialoguer. Le Web devrait être utilisé pour créer une
conversation non commerciale avec les clients, sur des sujets tels que des
conseils pratiques, à travers des forums et d’autres services en ligne. C’est
une des meilleures manières de susciter un sentiment d’appartenance.
Exemple

Le forum Huggies ne vend pas de couches-culottes. Il donne des conseils gratuits,


propose un assistant virtuel pour la décoration d’une chambre de bébé, montre
comment gérer les contractions et comment masser un bébé, et il propose un
espace de revente d’articles de puériculture d’occasion.

Règle 2 : accepter une perte de contrôle

Les médias sociaux se fondent sur un investissement réciproque. La marque


doit donc accepter une réciprocité d’information, partager du contenu avec
ses clients et accepter la critique. Dans la construction d’une relation avec
les clients, les marques devraient utiliser des études de cas : « Voilà ce qui
se passe  »/«  Voilà comment nous avons résolu ce problème ou comment
nous avons fait cela. » Ceci aide à construire une crédibilité.

Exemple

Lorsqu’ils ont entrepris de rénover leur image sur Internet, les dirigeants du Forum
économique mondial de Davos ont publié des photos et des vidéos, tirées de leur
immense base, sur Flickr et YouTube. Certaines ont été immédiatement détournées
– en particulier par les opposants politiques de certains leaders représentés. Mais
ceci a contribué à accroître la crédibilité du forum.

Règle 3 : connaître ses clients

Il s’agit d’un point clé  : la plupart des marques ont développé des
segmentations de leur clientèle fondées trop souvent sur des indicateurs
démographiques ou de vente… mais il existe encore des marques
prestigieuses qui considèrent la segmentation client comme un outil réservé
aux marques de masse ! Les pratiques les meilleures suggèrent néanmoins
de faire des segmentations complexifiées qui tiennent compte des niveaux
d’engagement ou d’investissement des clients vis-à-vis de la marque ainsi
que de leurs besoins.

Exemple

La clientèle de Lego est constituée de cinq segments :


• Les ménages couverts : tous ceux susceptibles d’acheter un produit Lego.
• Les ménages actifs : ceux qui ont acheté un produit Lego au cours des
12 derniers mois.
• La communauté connectée : ceux qui se lient activement avec la marque en
visitant son site Internet ou une boutique (environ la moitié des ménages
actifs). Lorsqu’un ménage actif se lie avec la marque, la dépense moyenne
triple !
• La communauté 1:1 : les membres du Club Lego – des adultes inscrits comme
fans ou comme utilisateurs du catalogue en ligne (environ la moitié de la
communauté connectée donne ses données personnelles). Lorsqu’un ménage
actif devient 1:1, la dépense moyenne quintuple.
• Les grands utilisateurs : partenaires de l’univers Lego, ces fans s’impliquent
dans la conception de nouveaux produits par exemple.

Ceci montre que les dépenses augmentent au fur et à mesure que les
consommateurs montent dans la pyramide –  et la marque s’implique de
manière différente selon les segments.
Ces segmentations sont encore plus riches quand on les aborde sous
l’angle des buyer personas  : la marque construit les profils types de ses
clients en identifiant chacun à l’aide d’informations comportementales. On
y trouve ainsi, outre le profil démographique type  : ce  qu’ils disent de la
marque et de sa catégorie  ; ce qu’ils ressentent  ; ce qu’ils font  ; leurs
attentes et leurs désirs ; leur profil de consommation ; leurs frustations ; des
mots-clés leur correspondant2.

Règle 4 : mesurer, mesurer, mesurer

Les pure players sur Internet ont mis au point cette règle qui, étonnamment,
est nouvelle dans l’industrie  : toujours mesurer les résultats d’une action,
quelle qu’elle soit. On lance un projet (un jeu, un emailing…) et on constate
rapidement s’il fonctionne ; on en mesure les résultats (Google Analytics et
Facebook Ads Manager fournissent des outils en ce sens). Si le projet
n’atteint pas les objectifs espérés, on l’arrête ou on en modifie les éléments
(ce que les marketers digitaux appellent A/B Testing) : on modifie l’intitulé
d’un mail, on déplace un bouton d’action, etc.3
La plupart des marques ayant une activité en ligne utilisent par exemple
les Net Promoter Scores (NPS) qui permettent de compter les promoteurs
(des avocats de la marque par exemple) et de comparer leur nombre avec
les détracteurs (ceux qui se plaignent de la marque). Ceci est assez
important  : la plupart des marques ne font que mesurer un taux de
satisfaction globale et se satisfont de taux supérieurs à 85 %. Or, toutes les
études montrent qu’un bon indicateur doit mesurer à la fois le taux
d’approbation et le taux de réprobation de la marque, et conduit à la fois à
une mesure du niveau de fidélité ainsi qu’à une économie de la
recommandation : quel est le niveau de fidélité d’un client et recommande-
t-il (ou décrédibilise-t-il) la marque à d’autres clients ?

Exemple

Lego utilise les NPS pour mesurer la capacité de la marque à promouvoir des taux
de recommandation différenciés. Quatre dimensions sont prises en compte  :
expérience produit (achat immédiat), expérience en ligne, expérience en magasin et
expérience du service clients.

Règle 5 : avoir une équipe dédiée au digital

Méthode : la marque doit mettre sur pied en interne une solide équipe ayant
les capacités de créer et maintenir un lien transversal entre les services et les
silos organisationnels. On peut même imaginer que l’ensemble des
fonctions digitales (e-commerce, bases de données digitales et marketing
digital) soient regroupées au lieu d’être dispersées entre commercial et
communication (comme chez YNAP). Il faut savoir aussi :
– identifier des segments de clientèle et en déduire des personas
(règle 3) ;
– gérer des Facebook ads (et construire le site d’e-commerce en
conséquence) ;
– gérer des e-mailings par segments de clientèle ;
– faire du A/B testing ;
– analyser et mesurer toutes les actions menées (règle 4) ;
– entretenir la conversation avec les clients.
Quand il est question de tout ce qui touche à Internet, quelques règles
élémentaires doivent être observées :
• Agir rapidement.
• Entrer dans la conversation.
• Entretenir le dynamisme et l’intérêt des canaux.
• Développer son empreinte numérique.
• Créer des canaux de communication anticipant ainsi une crise (qui
arrivera).
Ceci nécessite un réel investissement en interne  : il faut que des
employés s’impliquent sur les réseaux sociaux et il faut embaucher un
community manager professionnel. Il ou elle est un ambassadeur de la
marque, clairement en charge de son image –  particulièrement dans les
périodes de crise.

Exemple

Sur le compte Twitter de Kenneth Cole, un tweet signé par le créateur lui-même (ou,
du moins, «  une personne autorisée  ») le 3  février 2011 disait  : «  Des millions de
manifestants au #Caire. La rumeur dit qu’ils ont appris que notre nouvelle collection
printemps était disponible sur http://bit.ly/KCairo-KC. »
C’était en plein milieu de la révolution égyptienne. Des dizaines de milliers de
manifestants se rassemblaient chaque jour place Tahrir pour exiger une vraie
démocratie  ; et voilà qu’en plein dans ces événements, cette marque de mode
américaine tente de récupérer le mouvement au profit de sa propre communication.
Ce tweet a fait le tour d’Internet, déclenchant de vives critiques autant que des
messages d’approbation. Soudain, le monde virtuel était partagé  : d’un côté, ceux
qui trouvaient le tweet du plus mauvais goût, critiquant l’irresponsabilité de la
marque  ; de l’autre, des fans (surtout américains), qui trouvaient le message
amusant et réaffirmaient leur fidélité à la marque.
Kenneth Cole, après avoir admis (à demi-mot) qu’il ne souhaitait pas offenser les
Égyptiens, publia finalement des excuses (tout aussi discrètes) sur Facebook.
Règle 6 : les réseaux sociaux par eux-mêmes ne font
pas vendre

Mai  2009  : un rapport de Knowledge Networks4 donne aux publicitaires,


aux marketeurs et aux chercheurs une image plus claire des motivations et
attitudes des utilisateurs de réseaux sociaux (hors blogs) aux États-Unis :
• 83  % des internautes (âgés de 13 à 54  ans) passent du temps sur les
réseaux sociaux – 47 % de façon hebdomadaire.
• Moins de 5  % des utilisateurs réguliers de ces réseaux y recherchent
des conseils pour décider de leurs achats.
• Seuls 16  % des utilisateurs disent être plus susceptibles d’acheter les
produits des sociétés qui communiquent par le biais de ces réseaux.

Règle 7 : les marques de luxe doivent disposer


d’une vision intégrée de leur activité physique et digitale

Les médias sociaux doivent faire partie intégrante d’une stratégie globale
visant à développer la conscience de la marque, l’image de la marque, la
relation-client – et in fine à VENDRE.
Internet, ce n’est pas seulement avoir un site institutionnel, une boutique
en ligne, un blog, un compte Twitter, une page Facebook, un compte
YouTube, d’envoyer des courriers ou autres messages électroniques  : il
s’agit d’utiliser tout ceci de manière intégrée. Toutes les initiatives de la
marque doivent être intégrées, frappées du sceau de la marque et
cohérentes.
Les marques de luxe doivent prendre conscience que leur « terrain de jeu
digital » (pour reprendre l’expression d’Exane BNP Paribas) va ne faire que
s’étendre et doit être perçu comme un tout.
Figure 5.5 – Le terrain de jeu digital

Quand on sépare les clients en trois segments –  «  digitalement


contactables » (clients ayant donné leur e-mail à la marque), « enregistrés »
(clients ayant donné leur nom, prénom et adresse à la marque) et
«  anonymes  »  – on constate que les revenus tirés du «  terrain de jeu
digital » représentaient 25 % des ventes en 2014 et s’élèveront à 50 % en
2020 (le « terrain de jeu digital » désigne tous les clients qui à un moment
ou un autre se trouvent en contact digital avec la marque). Disposer d’une
vision intégrée de son activité est donc indispensable pour une marque de
luxe.
Ceci nous conduit à une première conclusion forte  : aujourd’hui, pour
une marque, l’idée d’intégrer les différents canaux de distribution et de
communication est cruciale.
Source : Exane BNP Paribas & Contactlab :
« Digital Frontier: The New Luxury World of 2020 (Mai 2015) ».

Figure 5.6 – Pourcentage du chiffre d’affaires réalisé auprès de clients que l’on


contacte par e-mail

Une étude de McKinsey, «  Les promesses du commerce multicanal  »5,


vient renforcer cette idée en rappelant quelques faits essentiels et en
apportant quelques idées :
• Fait  : aux États-Unis, seuls 25  % des grands magasins, 40  % des
distributeurs et 60  % des commerçants spécialisés dans la mode
avaient regagné leur taux de croissance pré-crise cinq ans après la
récession de 2001.
• Une information trop souvent ignorée  : les consommateurs qui
achètent via des canaux de distribution multiples dépensent bien plus
que ceux qui n’utilisent qu’un seul canal. L’exemple de la mode est
particulièrement édifiant : les rapports vont de 1 à 5 !
• Pourquoi tant de marques ne sont-elles pas à la hauteur  ? Parce
qu’elles pensent que l’intégration des canaux de distribution signifie
une duplication du concept «  boutique/magazine  » sur Internet, ou la
création d’un extrait du catalogue des ventes qui ne fait que reproduire
ce qu’on trouve en magasin, espérant qu’en démultipliant la
disponibilité des produits, cela conduira le consommateur à acheter
plus. C’est une grossière erreur  : chaque canal est unique  ! Il doit
correspondre à une offre spécifique et complémentaire aux autres
canaux, à travers l’offre de services, l’information disponible et une
connaissance des attentes des consommateurs.
L’avenir d’Internet pour les marques repose donc sur une stratégie menée
par le président (mais combien de présidents de marques de luxe sont-ils
des « natifs » du Web ?), sur une organisation dans laquelle distribution et
communication sont étroitement liées, et sur l’utilisation de canaux
multiples, y compris les téléphones portables.

 Cas d’entreprise
Quand les marques (se) saisiront-elles (de) l’aspect
« social » des réseaux sociaux ?
Même si elle est ancienne, cette étude s’avère révélatrice de l’attitude que les
marques ont souvent vis-à-vis des médias sociaux.
Dans une étude menée par A.T.  Kearney en 20116 sur les cinquante premières
marques mondiales tous secteurs confondus (selon Interbrand), 1  115  messages
publiés par les clients sur Facebook ont été analysés, avec 60  750  réponses
analysées parmi les 45 premières marques, représentant un total de 70 016 541 fans
pour les cinquante marques. Les résultats sont fascinants :
– Cinq de ces marques ne sont pas présentes sur Facebook.
– Sept – dont Gucci et Louis Vuitton – n’autorisent que les conversations initiées
par la marque.
– Une seulement offre aux fans un mur Facebook ouvert –  les 45  autres
choisissent d’abord de restreindre clients et fans à une sélection (filtrée) de
publications institutionnelles !
Ceci signifie que ces marques (parmi lesquelles des marques de luxe) utilisent les
médias sociaux comme une variante du marketing traditionnel, un canal de
communication unidirectionnel – ce qui est parfaitement non pertinent dans le monde
numérique.
Mais ce n’est pas tout.
89  % des messages de clients sur Facebook restent sans réponse –  «  Gucci, par
exemple, n’a pas donné la moindre réponse durant les trois derniers mois  »  – et
seulement 11 marques ont répondu à plus d’un message !
Lorsque les marques répondent, 15  % seulement de leurs réponses invitent à
poursuivre la conversation. Ce qu’on peut traduire par : « Nous reconnaissons votre
présence mais, s’il vous plaît, cessez de nous importuner ! ». Ceci n’est clairement
pas une conversation et n’a rien à voir avec un échange enrichissant. Ceci signifie
que la plupart des marques ne veulent pas réellement se lier avec leurs clients, ni
apprendre d’eux. Nous sommes donc très loin des cinq phases décrites ci-dessus, et
il reste une belle marge de progression.
Une fois encore, nous rencontrons non seulement la crainte d’une perte de contrôle,
mais aussi quelque chose que nous pourrions appeler « une paresse marketing » :
71 % des messages publiés par les sociétés sont promotionnels, offrant des tickets
de réduction, des cadeaux et d’autres avantages.
D’un autre côté, les 5  % de messages engageant une vraie conversation entre la
société et des consommateurs sont extrêmement instructifs. Ils montrent qu’il existe
trois techniques principales –  faisant toutes intervenir des liens émotionnels  – qui
fonctionnent :
– Invoquer la nostalgie – via les produits disparus et l’histoire de la marque.
– S’engager dans la discussion des produits, solliciter l’évaluation et l’avis des
consommateurs sur de nouvelles couleurs, de nouveaux parfums, de nouveaux
produits.
– Se rassembler autour de causes communes.

Revisiter la stratégie Internet de la marque

Au chapitre 3, nous avons détaillé les cinq phases que les marques de luxe
ont traversées au cours du développement de leurs stratégies Internet. Une
étude7 suggère de distinguer quatre stratégies, selon la relation client (top-
down ou conversation) et la stratégie de canal choisie par la marque
(monocanal ou multicanal), tel qu’illustré sur la figure  5.7. Deux axes
structurent donc ces stratégies  : le type de relation client que la société
souhaite construire (top-down ? conversation ?) et le choix d’une stratégie
de canal (monocanal ? multicanal ?).
Aujourd’hui, la plupart des marques de luxe mettent toujours en place
des stratégies multicanales et top-down. Ce que l’étude montre, c’est que la
stratégie «  nord est  » (multicanal plus conversation –  ce qu’aujourd’hui,
nous appellerions omnicanal et expérience client), qui relève d’un profil à
fort niveau d’implication, génère une croissance des revenus plus forte (plus
18 % contre à peine 10 % pour les autres), des marges brutes plus élevées
(15 % contre à peine 3 %) et des marges nettes plus élevées (4 % contre des
marges négatives) que toutes les autres stratégies. Tout ceci plaide donc
pour la mise en place d’une véritable stratégie omnicanale centrée sur
l’expérience client.
Figure 5.7 – Matrice de stratégie clients

Les travaux d’Exane BNP Paribas plaident en ce sens. Ils constatent que,
en moyenne :
– en 2014, les clients du luxe « digitalement contactables » ont dépensé
16 % de plus en boutique que les clients « enregistrés en boutique » ;
– les clients omnicanaux dépensent sur l’année 50  % de plus que les
clients exclusifs « boutiques ».
Ce qui nous amène à notre deuxième grande conclusion : les marques de
luxe doivent en premier lieu définir et structurer leur stratégie de relation
client, car il s’agit de la pierre angulaire de toutes les stratégies Internet.
Comme l’avance l’équipe d’Exane BNP Paribas dans leurs perspectives
pour 20208 :

« Nous nous attendons à ce que le luxe soit très différent en 2020. Nous prévoyons que :
– les marques de luxe connaîtront par leur nom la quasi-totalité de leurs clients – 45 % seront
enregistrés dans leurs bases de données et 41  % seront contactables par e-mail. Ceci
représentera donc presque 90 % des clients ;
– séparer le digital du physique n’aura aucun sens ; l’omnicanal représentera 80 % des ventes ;
– L’exécution digitale sera la marque du succès ou de l’échec des marques de luxe – le « terrain
de jeu digital des ventes9  » (les ventes faites à des clients O2O  – offline to online/online to
offline) représentera 50 % des ventes, les ventes purement digitales (les clients qui n’achètent
qu’en e-commerce) vont doubler voire tripler, montant à 12-18 % des ventes »10.
L’essentiel
►► Le client anonyme est en train de disparaître. Il ne représente plus que
10 % du chiffre d’affaires dans les produits de luxe vendus en points de vente
monomarques. Une marque bien organisée connaît ses clients et dispose au
minimum de leurs coordonnées, mais très souvent aussi de leur adresse sur
internet. À celle-ci de définir comment elle peut optimiser cet outil.
►► Il faut arriver à fusionner les activités de vente (boutiques, shop in shop,
travel retail et ventes digitales) et les activités de communication (CRM, médias
sociaux) pour disposer d’une stratégie globale offline.
►► Le véritable levier de la relation clients, ce sont les messages internet
prévus pour eux, mais aussi ceux qui viennent de leurs amis ou qui se
développent sur les réseaux sociaux.
►► Laisser les clients se parler entre eux, les laisser s’exprimer et partager
leurs impressions, c’est accepter de perdre le contrôle. Mais la marque doit se
garder d’intervenir, sauf bien sûr si les commentaires deviennent excessifs ou
manquent d’éthique.
Chapitre 6

L’identification des clients et le CRM


« Vos clients les plus insatisfaits sont votre plus grande source d’apprentissage. »
Bill Gates

Plus on connaît les goûts des clients, plus il est facile de les convaincre. Il
est donc important de les connaître aussi personnellement que possible. Plus
on peut identifier globalement les caractéristiques des clients qui visitent tel
ou tel point de vente, plus on peut s’adapter à leurs besoins. Si un magasin
est visité très fréquemment par des Coréens mieux vaut, si c’est possible,
avoir un vendeur coréen. Si une boutique dispose d’une clientèle plus jeune
qu’une autre, autant qu’elle ait des vendeurs plutôt plus jeunes. Il faut donc
disposer d’une base de données clients la plus complète possible.
Cette base de données est élaborée en parallèle des KPI (Key
performance Indicators) que chaque magasin doit mettre en place pour
assurer le suivi des opérations :
• Taux d’attraction  : nombre de passants entrant dans la boutique, par
rapport au nombre de passants sur le trottoir de la boutique. C’est un
indicateur essentiel dans les galeries commerciales où on peut
remarquer si la marque correspond plus ou moins bien avec la clientèle
de ce centre.
• Taux de conversion : nombre de clients achetant divisé par le nombre
de personnes entrant dans le magasin.
• Nombre de clients entrant dans la boutique par jour.
• Ticket moyen.
• Éventuellement  : chiffre d’affaires réalisé par les produits de mode et
chiffre d’affaires réalisé dans les accessoires.
Dans une boutique bien gérée, le directeur de magasin peut inscrire sur
l’ordinateur le nombre de gens passant devant (ce qui peut être compté
physiquement ou obtenu par une caméra) et le nombre de personnes entrant
dans la boutique (lorsqu’il y a un garde de sécurité, c’est lui qui fournit ce
chiffre, sinon, une caméra intérieure peut l’enregistrer, ou bien encore, le
caissier peut se charger de l’inscrire…). Les autres données sont disponibles
sur l’ordinateur et les 5  KPI’s mentionnés ci-dessus peuvent être
systématiquement inscrites sur l’écran.
Mais il ne s’agit là que d’une première base. Que peut-on savoir de plus
de ces clients ? C’est ce qui nous occupe dans ce chapitre.
Nous essayons ici de voir comment organiser et utiliser une base de
données clients. Les marques de luxe, quand elles vendent une partie
importante de leur production dans leurs propres boutiques ou dans des
boutiques qu’elles contrôlent, ont un contact direct avec leurs clients. Elles
ont développé assez tôt des bases de données bien organisées et efficaces. Il
y a une dizaine d’années, elles ont recruté des spécialistes, venant souvent
de l’hôtellerie pour les constituer.

La gestion de la base de données clients

Les bases de données clients existent depuis toujours et à l’origine, les


informations étaient collectées à la main dans de grands cahiers par les
caissiers ou les directeurs de magasin. Le changement est intervenu lorsque
les caisses enregistreuses ont été connectées à un ordinateur central et ont
pu rajouter au jour le jour et automatiquement l’historique des achats de
chaque personne.
Aujourd’hui, certaines des grandes marques de luxe disposent de bases
de données «  complètes  » qui peuvent comporter une liste de 5 à
10 millions de clients. Par exemple, une marque disposant de 500 boutiques
mondiales peut ainsi avoir 10  000  acheteurs individuels identifiés par
magasin, avec un nombre très important d’entre eux (peut-être la moitié)
n’ayant en fait réalisé qu’un seul achat.
Dans un ouvrage de 1997, c’est dire avant la « data révolution », Andrew
Wileman et Michael Jary définissaient ce qu’ils considéraient comme la
structure de la « base de données clients d’une marque »1 :
Tableau 6.1 – Le ciblage de la base client

Part de la population % %
(en %) des tickets du chiffre

Clients les plus fidèles 1 % 30 % 40 %

Clients fidèles
2 % 25 % 28 %
(2e groupe)

Clients des soldes 1 % 15 % 12 %

Clients occasionnels 10 % 30 % 20 %

Non-clients 86 %    

Total 100 % 100 100

Source : Andrew Wileman et Michael Jarry.

On remarque que 21 % des clients (3 % de 14 %) représentent 68 % du


chiffre d’affaires. L’objectif consiste donc à bien connaître et à bien
comprendre ces clients et à cibler sur eux la majorité des actions
promotionnelles et publicitaires. On doit aussi remarquer que 71  % des
clients sont occasionnels (et vraisemblablement n’achètent qu’une seule
fois) tout en générant 20  % du chiffre d’affaires. Les marques sont donc
confrontées à un double objectif :
• Faire revenir les clients «  fidèles  » –  surtout dans une période où la
loyauté à une marque donnée est en baisse.
• Renouveler en permanence les clients occasionnels (puisqu’ils
n’achètent qu’une seule fois).
La richesse d’une base de données repose sur la qualité des informations
rassemblées et organisées  : nom et adresses, et si possible la date de
naissance (si la personne a donné sa carte d’identité ou son passeport au
moment du paiement). À défaut d’une date de naissance, on peut demander
aux vendeurs d’estimer un âge dans une fourchette (15 à 30 ans, 30-45, 45-
60 et plus de 60) en sachant que les Occidentaux ont beaucoup de mal à
estimer l’âge des Asiatiques, et peut-être vice versa.
Les maisons de vente en ligne essayent également d’estimer l’âge des
clients en fonction de leur prénom. Il est certain par exemple qu’en
Allemagne, les Adolf sont généralement nés avant 1945. Beaucoup de
prénoms correspondent à une probabilité d’âge particulière. Par exemple,
cette fois-ci en France, les Kevin sont généralement nés entre 1988 et 1995.
Il est de toute façon possible de valider ces dates de naissance par l’analyse
des achats…
Aujourd’hui, les logiciels disponibles (par exemple Mailchimp pour les
e-mailings) disposent d’algorithmes permettant d’estimer l’âge des
consommateurs.
Mais, pour être efficace, une base de données doit être organisée selon
des critères de comportement d’achat.

Les données marketing

Les données marketing de base

■ L’achat de mode classique ou l’achat de mode « pointue »

Pour utiliser cette information, il suffit que le logiciel identifie les produits
les plus «  pointus  » et les plus classiques. La base de données peut alors
automatiquement attribuer à tel ou tel client un profil plutôt « classique » ou
plutôt «  pointu  ». On peut penser que lorsque la cliente entre dans un
magasin, le vendeur essaye de l’identifier immédiatement dans l’une ou
l’autre catégorie par la façon dont elle est habillée, mais une véritable
information statistique peut être utile pour les équipes marketing qui
peuvent réaliser alors des catalogues spécialement adaptés à ces différents
profils et envoyés à des destinataires ciblés.

■ Les achats masculins ou les achats féminins

Ce constat sur la base des achats semble recouper celui du genre du client.
Les femmes achètent généralement de la mode féminine pour elles et les
hommes auront un comportement symétrique.
Mais certaines femmes, surtout pour une marque essentiellement
masculine, peuvent acheter en majorité pour faire des cadeaux. Certains
hommes peuvent au contraire être presque exclusivement des clients pour
des achats de cadeaux. Cette distinction n’est pas neutre et peut donner lieu
à des actions promotionnelles ciblées.
Il peut être également important de savoir si la personne qui fait un
cadeau vient en boutique avec le récipiendaire de ce cadeau ou si elle achète
à sa seule initiative.

■ La variété d’achat

Suivant la largeur de la gamme de produits vendue, il peut être intéressant


de distinguer par exemple entre les clients qui n’achètent que de la mode
quand d’autres n’achètent que des accessoires.
Ce critère peut permettre de distinguer des différences par nationalité.
Les Japonais peuvent être très friands de prêt-à-porter féminin d’une
marque et ne presque jamais acheter ses accessoires. Au  contraire, les
Allemands ou les Russes peuvent n’acheter pratiquement que des
accessoires. On imagine combien cette information précise et quantifiée
peut-être utile aux équipes de marketing qui peuvent adapter des campagnes
publicitaires ou des actions promotionnelles en conséquence.

■ L’achat de la collection ou l’achat en soldes

Certains clients n’achètent qu’en début de collection et seraient bien


incapables d’acheter en soldes. D’autres au contraire ont un comportement
opposé et achètent presque toujours en soldes. Il est certain que les clients
des soldes et les clients achetant la collection à son tout début doivent être
informés de l’activité de la boutique à des moments différents. À première
vue, les clients des soldes peuvent apparaître peu intéressants et peu
rentables. En fait, eux aussi rendent service  : ils constituent un groupe de
clients indispensables à la bonne marche du magasin. Ils peuvent par
exemple être invités à des « ventes privées » avant les soldes.
Au contraire, les clients achetant au début de la saison peuvent être
invités à voir la collection quelques jours avant sa présence en magasin.
Bien sûr, la majorité des clientes achètent sans doute à la fois au début de
la collection et en solde. Mais il peut être intéressant de distinguer s’il s’agit
d’un achat à prix normal pour au moins 75  % de leurs achats, au moins
50 % ou au moins 25 %.

Les données client en point de vente

■ Le montant d’achat sur une période donnée

Ce critère est évidemment complémentaire du ticket moyen et de la


fréquence d’achat. Le chiffre donné peut être comparé au chiffre d’affaires
de la boutique et son directeur pourra dire par exemple que ses 50 premiers
clients représentent 15 % de ce chiffre.
Nous parlerons plus tard de l’utilisation commerciale de la base de
données, mais ce montant d’achat encourage les vendeurs à bien connaître
et bien identifier ces 50 clients.
La période d’achat la plus logique semble être l’année qui a bien sûr
l’avantage de pouvoir être directement comparée au chiffre d’affaires de
l’entreprise. Mais pour pouvoir bien observer l’évolution du ticket moyen
ou de la fréquence d’achat, les entreprises de mode utilisent souvent une
durée de 2 ans.

■ La fréquence d’achat

Trois critères de ticket moyen, de montant d’achat dans l’année et de


fréquence d’achat se complètent. Il suffit d’avoir deux de ces critères pour
obtenir le troisième. Mais celui de la fréquence d’achat est très important
pour savoir à quelle date le client qui sort de la boutique devrait revenir.
Ce critère donne, bien sûr, le nombre de visites dans la boutique par an
(ou plutôt, le nombre d’achats par an). C’est une autre façon de distinguer
les personnes que le vendeur va avoir en face de lui.
On peut regrouper ces consommateurs par le temps moyen de passage
entre deux boutiques (ou plutôt dans une boutique de la marque) :
• de 1 à 45 jours
• de 45 à 90 jours
• de 90 à 180 jours
• de 180 à 365 jours
• de 365 à 730 jours
Ce critère permet également de distinguer les clients qui accélèrent leurs
visites en boutique et ceux qui les ralentissent. Dans ces deux cas, des
programmes promotionnels adaptés peuvent être mis en place.
La fréquence d’achat va bien entendu dépendre de la catégorie : l’achat
de produits de soin ou de maquillage va être beaucoup plus fréquent que
l’achat de parfums par exemple.

■ Le nombre de jours depuis le dernier achat

À première vue, ce critère semble recouper la fréquence d’achat. On a vu


par exemple que certains acheteurs venaient acheter tous les 45 ou tous les
90 jours. Demander au système de sortir le nombre de jours depuis le
dernier achat permet de sélectionner les gens qui sont en retard sur leurs
habitudes d’achat : 20 jours, 45 jours, 90 jours de retard. Est-ce que cela ne
vaudrait pas un petit coup de téléphone ou l’envoi d’une petite note
manuscrite ?
Dans le cas d’un supermarché, 15 jours de retard sur la visite habituelle,
cela peut être normal. Dans le cas d’un magasin de mode, un retard de plus
de 180 jours, c’est-à-dire de toute une collection, cela veut peut-être dire
que cette dernière collection n’a pas plu ?
En tout cas, ce critère peut apporter un avantage considérable aux
vendeurs pour conserver un contact suivi avec leurs meilleurs clients et
pour n’oublier personne.

Les données de performance des vendeurs

■ Le nombre d’articles par ticket

C’est un critère un peu « fétiche » des directeurs de magasin. Ils regardent


ce critère pour chaque vendeur et établissent une liste des plus performants.
On peut aussi croiser ce critère avec la taille du magasin. Plus celui-ci est
grand et plus il est possible d’y présenter toute la gamme, et donc plus il
devrait y avoir d’achats multiples.
Il est certain qu’un vendeur qui réalise une moyenne d’articles par ticket
à 1,4 est sans doute plus convaincant et plus imaginatif que celui qui
n’obtient qu’une moyenne de 1,1. Mais on peut aussi regarder uniquement
le ticket moyen qui recouvre un concept différent et sans doute une manière
un peu différente de voir.
En revenant au consommateur, qui est la raison d’être de cette base de
données, celui qui réalise 2 ou 3 achats par visite est certainement
quelqu’un d’important et qui mérite d’être encouragé.

■ Le ticket moyen

Le ticket moyen est un critère qui apparaît dès que l’on réalise un budget
prévisionnel pour une nouvelle boutique : on regarde le nombre de clients
espérés, compte tenu de la population dans la zone de chalandise et de son
niveau de revenu moyen. Le ticket moyen permet alors de prévoir un chiffre
d’affaires espéré et de le comparer aux coûts fixes de loyer et de salaire. Le
calcul du point mort devient facile : c’est la somme des frais fixes pour une
période, qui doit être égale à la marge brute réalisée par le chiffre d’affaires
correspondant. Il suffit de diviser ce chiffre d’affaires au point mort par le
ticket moyen pour avoir le nombre de clients nécessaires par mois.
Ce nombre de clients budgété par mois est-il réaliste, compte tenu de ce
que la marque connaît de ses dernières implantations et compte tenu de ce
qu’elle connaît de la zone de chalandise et de la localisation précise du
magasin ?

Comment identifier le client ?

La première fois

Lorsqu’il entre pour la première fois dans le magasin, ou s’il n’est pas
reconnu, le client doit être observé très discrètement. Son âge d’abord et
une évaluation de son niveau de vie qui peut parfois être appréciée par les
vêtements, les bijoux ou la montre et éventuellement le sac porté par une
femme. Mais il faut bien sûr prendre beaucoup de distance par rapport à ce
regard, car les apparences sont souvent trompeuses. On  se souvient par
exemple de Madame Oprah Winfrey, la très grande journaliste américaine
qui avait été interdite d’entrée chez Hermès un samedi soir à une heure
proche de la fermeture parce que les agents de sécurité qui ne la
connaissaient pas, l’avaient jugée sur la base de son jean troué et de son
look un peu « grunge ».
Il n’empêche que des bijoux ne sont pas toujours neutres. Une très vieille
montre de prix n’est pas la même chose qu’une Rolex toute neuve ou, dans
une autre situation, qu’une Swatch. Une femme qui porte un sac Hermès a
sans doute aussi un sac Longchamp ou un autre sac de marque mais le fait
qu’elle porte tantôt l’un et tantôt l’autre n’est pas neutre non plus.
De même, un homme peut souvent être identifié par sa cravate, s’il en
porte une. Les couleurs préférées par les porteurs de cravates peuvent
différer selon les nationalités. Les Américains du Nord aiment souvent les
couleurs acidulées quand les Européens sont plus classiques.
Rien n’est neutre bien sûr, et sans aller à des conclusions trop rapides, les
vendeurs doivent être formés à l’observation et au sens du détail.
Aujourd’hui, surtout, l’observation peut être renforcée par différents
logiciels. Par exemple, lorsque les clients viennent dans un magasin à
plusieurs, un logiciel peut écouter la langue qu’ils parlent entre eux et en
regrouper le détail ou définir la nationalité avec des clients venus par
exemple la semaine dernière. Si le magasin compte un nombre de visiteurs
chinois, ou ukrainiens, il peut être utile de s’assurer qu’un membre de
l’équipe peut parler les langues correspondantes. De même, lorsqu’une
marque dispose de plusieurs magasins à Paris ou à Hong Kong, savoir les
langues parlées ici ou là peut modifier l’allocation des employés de vente
en fonction de leurs compétences linguistiques.
Cette écoute peut aussi avoir un autre usage : les commentaires positifs
ou négatifs sur les produits, sur les couleurs préférées et sur les couleurs
achetées ou des appréciations sur les niveaux de prix peuvent être
enregistrés, bien sûr anonymement, et ensuite synthétisés ou encore
comparés aux commentaires de l’année précédente.
Et puis, quand il décide d’acheter, le client s’approche de la caisse. S’il
ne paye pas en argent liquide (donc avec un chèque ou une carte de crédit)
son nom va apparaître. Il ne reste plus qu’à lui demander gentiment ses
coordonnées et dans presque tous les cas il les donnera volontiers.
Certains magasins disposent de jolies cartes et les employées demandent
à leurs clients de remplir les cases ou ils les remplissent eux-mêmes.
D’autres préfèrent que la question soit posée par le caissier qui enregistre
directement la réponse sur son ordinateur. C’est bien sûr le moment
d’obtenir aussi un numéro de téléphone et une adresse e-mail. Ils sont
souvent donnés.
Dans les critères d’évaluation des employés d’un magasin, certaines
marques utilisent un «  taux de capture  » ou un taux de «  précision
digitale ». Il s’agit du pourcentage de clients d’un magasin dont on dispose
de l’adresse complète. Les choses sont donc organisées de plus en plus
formellement.

À son retour en magasin

Ce qui change tout dans l’atmosphère de la relation, entre une marque et ses
clients, c’est lorsqu’ils sont reconnus et si possible par leurs noms, à leur
seconde visite.
Depuis toujours les vendeurs font beaucoup d’efforts pour se rappeler le
nom de leurs clients. Ils ont l’habitude d’avoir de petits cahiers2 où ils les
marquent, si possible avec une description d’un élément (non négatif) de
leur physique qui leur sert d’outil mémo technique. Sur ces cahiers ils
indiquent aussi des anecdotes les concernant qui peuvent animer une future
conversation. L’idée est bien sûr de montrer au client qu’il est apprécié et
que l’on s’intéresse sincèrement à lui.
Aujourd’hui il est possible d’utiliser des logiciels de reconnaissance
faciale dans les pays où ils sont autorisés. Cela permet d’accroître le
nombre de cas ou le client pourra être reçu et reconnu comme quelqu’un
d’important. Utilisé avec tact et finesse, ce système améliore du tout au tout
la qualité de l’accueil d’un point de vente.
En fait, si on pouvait identifier le client au moment où il entre dans la
boutique par la localisation de son téléphone portable, tout serait plus
simple. On disposerait de ses coordonnées et si possible de son historique
d’achat pour la marque. Dès aujourd’hui cette information est
techniquement disponible et lorsque les lunettes « Google » étaient encore
dans le paysage, il était possible à un vendeur d’être informé, sur le petit
écran de ces lunettes, de l’historique d’achat de la personne entrant dans le
magasin. Cette information est donc techniquement disponible et la loi
devra dans chaque pays décider si ce système est conforme au respect de la
personne.
Il faut bien comprendre qu’il y a un grand intérêt à cette reconnaissance
du client lorsqu’il passe la porte d’un magasin. Il devient alors possible de
le conseiller en ayant à l’esprit ses achats passés et ce qu’ils révèlent de ses
goûts.
Si ces informations clients ne sont disponibles qu’au moment où le client
s’apprête à payer, et donne le plus souvent une carte de crédit ou un chèque,
cela ne permet pas au vendeur d’aider efficacement celui-ci dans ses achats
en ayant ces informations à l’esprit.
Ce qui est certain, c’est qu’entre les systèmes de reconnaissance faciale,
les modèles d’identification à l’entrée du magasin par géolocalisation du
téléphone mobile, et dans un dernier recours, l’identification à la caisse, il
sera de plus en plus courant d’avoir une information assez complète sur les
clients habituels.
Ce qui est certain aussi, c’est que l’expérience la plus gratifiante en
entrant dans un magasin ou un restaurant, c’est d’être salué par son nom :
«  Bonjour, Madame Unetelle  ». Pour les restaurants (et pour l’hôtellerie),
c’est plus facile, puisque les gens donnent leur nom pour réserver. Avant le
dîner, le chef de salle peut relire les noms de ceux qui ont réservé, et vérifier
leurs préférences et leurs spécificités. L’accueil en sera d’autant plus cordial
et personnalisé. C’est bien plus difficile pour un magasin  : les bons
vendeurs doivent faire l’effort de connaître cent ou deux cents de leurs
meilleurs clients par leur nom. Pour les autres, dont le nom ne sera connu
qu’au moment du passage en caisse, une bonne base de données devrait
mettre en lumière quelques détails qui pourraient être évoqués lorsque le
personnel raccompagne le client à la porte du magasin. Ces mots d’au
revoir devraient être différents d’une visite à une autre, et serviront à dire au
consommateur qu’il est un client bienvenu et apprécié.
À l’évidence, toutes ces pratiques d’identification du client sont propres
aux boutiques physiques. Sur les sites d’e-commerce, le client est amené à
s’identifier a  minima (adresse e-mail) et l’utilisation de logiciels externes
permet de qualifier encore mieux la base.

L’utilisation de la base de données clients

Une fois la base de données constituée, et il faut déjà plus de deux ans pour
avoir des données valides, il faut s’assurer qu’elle a été adoptée par tout le
monde dans l’entreprise. Sinon, les acteurs et les vendeurs vont s’en
désintéresser et ne vont pas la mettre à jour de façon rigoureuse. Et puis, il
faudra montrer à tout le monde qu’elle peut être leur utile.

La finalisation et la vérification

Une base de données ne fonctionne que si elle est exacte et si elle est
régulièrement mise à jour. On peut supposer que les vendeurs feront un
effort pour obtenir de bonnes adresses et des adresses complètes. En fait, ils
y sont souvent incités par l’objectif du « taux de capture » mentionné plus
haut. Mais ils peuvent être tentés de donner des numéros de téléphone
inexacts pour éviter que d’autres vendeurs ou des vendeurs d’autres
magasins de la même marque puissent contacter leurs meilleurs clients et
essayer de les convaincre de s’adresser plutôt à eux. Il faut donc mener des
tests aléatoires sur les données fournies pour mesurer la qualité des données
venant d’un magasin ou d’un autre.
Comme toujours, néanmoins, la grosse difficulté, c’est la mise à jour.
Pour que les vendeurs fassent l’effort de cette mise à jour il faut qu’ils se
rendent compte de l’utilité de cette base de données dans leurs activités
quotidiennes.

La mise en place de la base de données

L’utilisation la plus simple et la plus évidente de cette base, revient à


l’équipe marketing. Celle-ci peut analyser les achats de différents types de
clients et répondre à un certain nombre de questions :
• Les gros acheteurs sont-ils plutôt « très mode » ou « classique » ?
• Qu’est-ce qui fait que certains achètent de la mode et pas
d’accessoires  ? Que savons-nous d’eux et d’où viennent-ils  ? Même
question pour ceux qui achètent surtout des accessoires ?
• Comment établir une dizaine de profils d’acheteurs qui pourront
recevoir des catalogues ad hoc ?
• Comment s’adresser aux clients qui ont tel ou tel comportement
d’achat ?
• Comment s’adresser à ceux qui achètent, apparemment, loin de chez
eux ?
Pour motiver les équipes commerciales en magasin, il faut aussi leur
fournir un écran ordinateur rempli des données disponibles  : Pourcentage
des acheteurs (ou du chiffre d’affaires) venant de la proximité de la
boutique, pourcentage de nationaux venus d’une autre ville, pourcentage
d’étrangers, liste des clients attendus ce mois avec leur fréquence de visite,
et la date de leur dernière visite, ticket moyen pour le magasin et pour
chaque vendeur, nombre d’unités de produits achetées par ticket etc..

La valorisation du client en fonction de son potentiel

La base de données client fournit une information essentielle. Elle explique


comment se comporte tel ou tel groupe de clients. Par exemple pour une
marque de luxe ayant un chiffre d’affaires de 700 millions et avec une base
de données client de 1,2  million de noms, on trouve les chiffres qui
apparaissent au Tableau 2 (basé sur des données confidentielles recueillies
par les auteurs).
Tableau 6.2 – Exemple de groupes de consommateurs pour une marque ayant un
chiffre d’affaires de 700 millions € par an

% des ventes Achat moyen dans


% cumulé
totales l’année

Premiers 1 000 clients 4 % 4 % 28 000 €

Du 1 000 au 5 000 6 % 10 % 10 500 €


Du 5 001 au 10 000 4 % 14 % 5 600 €

Du 10 001 au 50 000 10 % 24 % 1 750 €

Du 50 001 au 100 000 6 % 30 % 700 €

Plus de 100 000 70 % 100 % *

* Ce chiffre n’est pas disponible car il inclut beaucoup de clients dont l’adresse n’est


pas disponible

Ce qui est impressionnant, c’est que seulement 5 000 clients constituent


10  % du chiffre d’affaires de la marque. Ils méritent une attention très
particulière et doivent être traités avec beaucoup de soin et d’égards. Mais
ce qui est évident au niveau d’un groupe est plus compliqué dans le cadre
d’un seul point de vente. Supposons que la marque dont nous décrivons la
clientèle dispose de 250 boutiques dans le monde. Certaines boutiques
auront une vingtaine de ces clients qu’elles connaissent bien et qu’elles ont
identifiés. Mais d’autres n’en comportent que trois ou quatre et il leur est
difficile d’organiser des programmes particuliers pour eux. Bien sûr, chaque
directeur de boutique peut envoyer un bouquet de fleurs pour l’anniversaire
de ces clients, avec carte manuscrite, mais il faut aussi montrer d’autres
marques de reconnaissance.
Certaines maisons de luxe font participer leurs meilleurs clients aux
défilés de mode, mais le programme doit être bien organisé et les règles
bien établies depuis le début car venus une fois, ceux-ci peuvent s’attendre
à être de nouveau invités tous les 6 mois…
Tableau 6.3 – Concentration des principaux clients

Premiers 100 clients 4 % du chiffre d’affaires

Premiers 10 000 clients 14 % du chiffre d’affaires

Premiers 100 000 clients 30 % du chiffre d’affaires

De leur côté, les 100 000 principaux clients pourraient être invités dans
leur boutique la plus proche à des cocktails de présentation d’une pré-
collection en magasin, ou s’ils ont un profil «  soldes  », à des ventes
spéciales avant les soldes.
Ce qui est essentiel, c’est qu’un programme global de suivi des
principaux clients soit organisé au niveau de la marque, puis dans chaque
pays, et que chaque point de vente organise des activités qui permettent de
créer une véritable proximité avec ses principaux clients. Quand le directeur
d’un magasin a bien organisé ces activités, il y a moins besoin de la
reconnaissance faciale à l’entrée de son magasin, car il connaît ses
principaux clients et n’utilise la reconnaissance faciale que comme une
forme de « session de rattrapage ».
Pour conclure, on pourrait décrire le «  paradoxe de l’efficacité  ». On
pourrait penser que les non-clients constituent la meilleure cible pour
augmenter les ventes. Il est vrai que si l’on pouvait convaincre la moitié
d’entre eux de venir et d’acheter quelque chose au magasin une fois par an,
on multiplierait par deux ou trois le chiffre d’affaires. On pourrait aussi
convaincre les clients occasionnels de venir plus souvent, mais ce qui est le
plus facile et le plus efficace à court terme, c’est de convaincre les clients
réguliers de venir une fois de plus l’an prochain. Toutefois comme nous le
disions en ouverture de ce chapitre et dans l’introduction à ce livre, les
comportements des consommateurs du luxe évoluent et la fidélité à une
marque est de moins en moins assurée : les marques sont donc confrontées
à la nécessité de renouveler leur base clientèle en permanence – et donc de
mettre en place des stratégies de communication faisant du drive to store un
objectif essentiel.

L’essentiel
►► On a pu remarquer que les clients sont en général plutôt disposés à
communiquer leurs coordonnées, s’ils ont le sentiment de faire ainsi partie d’un
groupe respecté et privilégié.
►► Ce qui est sûr, c’est que la qualité des données rassemblées dépend en
grande partie de la motivation des équipes de vente. Mais la disponibilité et
l’empathie de l’équipe chargée d’assurer la qualité de cette base de données et
de la « vendre » en interne sont capitales.
►► Une fois la base de données constituée, il faut qu’elle serve et qu’elle
démontre son efficacité. Sinon, petit à petit, les données vieillissent et ne sont
plus aussi fiables. Elles deviennent très vite inutiles. Le taux de « capture »
rappelle aux employés de vente qu’il est essentiel d’effectuer des mises à jour
très régulières. Ce taux de « capture », plus faible bien sûr dans les magasins
très touristiques, doit être régulièrement analysé et vérifié par les équipes.
►► Une fois le système en marche, il oblige les commerciaux comme les
responsables marketing à faire preuve de créativité dans les « cadeaux » qu’il
faut savoir offrir et dans les « personnalisations » qui peuvent être proposées.
Les clients auront alors l’impression qu’ils sont « importants » pour la marque et
qu’ils bénéficient de sa considération.
Chapitre 7

Les enjeux de l’intégration offline et online


« Je considère que les ventes online et les ventes offline vont continuer à se compléter
et à se renforcer l’une et l’autre pour donner à nos clients une approche globale
améliorée. »
François-Henri Pinault

Exane BNP Paribas dans une de leurs études1  introduisent la notion de


« terrain de jeu digital » des marques de luxe. Ils rompent avec une vision
en silo de canaux de vente étanches fondée sur le seul lieu d’achat (en
boutique ou sur le site d’e-commerce) et adoptent une vision centrée sur le
client –  et plus précisément sur le parcours client. C’est la perspective
adoptée dans ce livre et que nous avons introduite au chapitre  4. Ce
« terrain de jeu digital » (voir p. III) ne fait que s’étendre et les prévisions
pour 2020 d’Exane BNP Paribas sont impressionnantes :
• Les ventes issues du « terrain de jeu digital » (somme des ventes online
et des ventes offline faisant suite à des recherches online – « Research
Online Purchase Offline ») monteront à 51 % (contre 27 % en 2014).
Ceci est un véritable bouleversement pour le luxe.
• Les clients O2O dépensent sur l’année 60  % de plus que les clients
n’achetant qu’en boutique (et ce chiffre augmente année après année)
ET ils achètent de plus en plus online  : un parcours O2O développe
donc les ventes globales.
• Les marques de luxe pourront identifier 90  % de leurs clients en
boutique soit sous forme digitale (e-mail) soit sous forme de fiche
complète (clients enregistrés) : en 2014 ils représentent déjà 73 % de la
base clients.
Par ailleurs, une étude importante faite en Grande-Bretagne et en
Espagne2 montre que l’intégration omnicanale (ou O2O) développe la
satisfaction client, laquelle impacte la fidélité –  autant envers les canaux
online qu’envers les canaux offline. Les auteurs pointent par ailleurs qu’il
n’y a pas de lien direct entre fidélité online et fidélité offline –  ce qui
implique un dédoublement des efforts à faire pour fidéliser les clients…

Source : McKinsey & Company: « The age of digital Darwinism » (Janvier 2018).

Figure 7.1 – Nombre des contacts online & offline avant l’achat

Enfin une étude récente McKinsey3 montre que lors du parcours client
menant à l’achat, la multiplication des points de contact se fait autant online
que offline  : quel que soit le pays étudié on constate un équilibre entre
points de contact online et offline –  ce qui infirme les prédictions
apocalyptiques sur la disparition du physique et montre bien que les deux
canaux se complètent. On constate également que les parcours ont tendance
à devenir plus longs : entre 2014 et 2016 ils augmentent de deux unités. La
décision finale d’achat en est d’autant plus reculée.
De même quand on s’intéresse aux consommateurs chinois dont on dit
trop souvent qu’ils ne font leurs achats que online, on constate non
seulement un parfait équilibre en nombre de points de contact entre offline
et online mais que leur parcours est à peu près deux fois plus long que celui
des clients occidentaux. Une autre étude4 montre que 64  % des 20/30 ans
chinois préfèrent acheter les produits de luxe en boutique.
Ces projections campent le futur paysage pour les marques de luxe mais
ont besoin d’être «  opérationnalisées  ». Nous voyons deux enjeux
opérationnels majeurs pour les marques :
• Enjeu no  1  : intégrer digital et physique. Les organisations sont
traditionnellement construites autour d’une séparation en trois entités :
le retail (les boutiques), l’e-commerce (tous deux intégrés au
département commercial), et les médias sociaux (intégrés au
département marketing). Il va falloir faire tomber au moins deux
murs : celui séparant ventes et marketing et celui séparant boutiques et
e-commerce.
• Enjeu no 2  : disposer de bases de données mondiales clients. En effet
identifier 90 % des clients ne dit rien quant à la capacité des marques à
les suivre et à disposer d’outils permettant d’analyser leurs ventes. Le
plus souvent les marques disposent de bases de données régionales non
interconnectées.
Pour mieux comprendre comment répondre à ces enjeux nous allons
aborder deux sujets clés : les critères d’intégration entre offline et online et
le suivi mondial des clients.

Quels critères d’intégration offline/online ?

Comme le dit Exane BNP Paribas :

« Peu de marques ont actuellement atteint le Graal de l’intégration physique et digitale »5.

Cette conclusion repose sur une analyse qui est actuellement la plus
détaillée et la plus exhaustive disponible6 sur les pratiques digitales des
marques de luxe. Nous en reprenons les éléments essentiels ici.
85 critères regroupés en 7 catégories permettent de comprendre à la fois
la stratégie e-commerce et l’expérience digitale vécue par le client pour
34  marques de luxe7. Sur chacun des critères un potentiel de 100  % est
défini et les marques sont notées sur la base de leurs réalisations  : elles
peuvent ainsi réaliser seulement 60 % ou 50 % du potentiel total réalisable.
Tableau 7.1 – Critères d’intégration O2O
Source : Exane BNP Paribas & Contactlab:
« The Online Purchase Experience Ranking » (septembre 2016).

Globalement les sites d’e-commerce sont efficients quand il s’agit de leur


visualisation, de la vente, de l’offre, des langues disponibles et des services
de base (au-dessus de 65 % du potentiel réalisé). Ils sont moyens (50 % à
65  % du potentiel) pour la présentation des produits, la sélection des
produits, l’identification des boutiques et l’aide à la vente.
Il est intéressant d’identifier les critères sur lesquels les marques en 2018
ont les marges de progression les plus importantes –  c’est-à-dire où elles
atteignent globalement moins de 50 % du potentiel total8.
• Les deux critères obtenant les plus mauvais résultats (en dessous de
45 % du potentiel) sont comme nous pouvions le prévoir les « services
personnels  » et les «  services omnicanaux  ». Les marques maîtrisent
mal les services online (les diverses formes d’assistance  : chats  ;
téléphone  ; e-mail, la prise de rendez-vous  ; la personnalisation de
l’offre) comme les services O2O (localisation du client ; cartes ; heures
d’ouverture des boutiques  ; envoi d’e-mails à une boutique  ; contact
dans la boutique). Les services de livraison sont aussi déficients avec
seulement 46  % du potentiel réalisé (c’est  pourtant un des éléments
clés des attentes client aujourd’hui).
Exemple

Une marque ayant intégré cette dimension O2O est Audemars Piguet  via
sa  fonctionnalité «  Click to Try  »  : lorsqu’un client est sur le site de  la  marque9 et
identifie un produit qui l’intéresse, il peut cliquer dessus et prendre directement
rendez-vous avec la boutique la plus proche pour essayer la montre.

• L’offre des marques est médiocre (57 %) quand il s’agit de stratégie de


relation par e-mail  : une étude séparée10 montre que les marques de
luxe ne savent pas véritablement exploiter cet outil indispensable de la
relation client. Elles ont des progrès importants à réaliser (les auteurs
parlent de « pratiques primitives ») en matière de structure des e-mails,
d’acquisition client, de plan éditorial et de partage (sur les médias
sociaux, avec des amis).
• 51  % seulement expliquent où leurs produits sont fabriqués –  en ne
faisant pas référence au « Made in… » : elles perdent ainsi un véritable
avantage concurrentiel… sauf si cet «  oubli  » est la preuve que de
nombreux produits de luxe ne sont pas manufacturés dans le pays
d’origine de la marque (ce qui serait étonnant de marques comme
Hermès, Chanel ou Cartier qui ne le mentionnent jamais).
• 37  % seulement disposent d’apps séparées –  permettant d’étendre
l’expérience client au-delà du seul site Web (et certaines ne disposent
pas systématiquement d’apps à la fois sur iPhone et sur Android !).
La confrontation des résultats pour l’ensemble des 34 marques montre
toutefois qu’une dynamique est mise en place au sein de certaines marques :
• 6 marques dominent le classement avec des résultats honorables sur la
plupart des critères : Burberry, Gucci, Valentino, Louis Vuitton, Fendi
et Cartier.
• 8 marques ont réussi à la fois à améliorer leur niveau d’expérience
client O2O et leur niveau de portée stratégique (développement de la
relation client, mise en avant du «  made in  », développement d’une
stratégie d’e-commerce) sur la période 2016-2018  : Fendi, Michael
Kors, Bulgari, Prada, Ferragamo, Celine, Bottega Veneta et Cartier.
Cela laisse tout de même de côté 22 marques dont la situation
compétitive en matière d’intégration O2O laisse encore largement à désirer.

Le suivi mondial des clients


 (en particulier, les Chinois)

Exemple

Nous sommes en 2014 dans une boutique de l’avenue Montaigne à Paris. Un


groupe de cadres et dirigeants chinois (étudiants d’un Executive MBA renommé)
s’est vu proposer la visite des salons couture de la marque et de la boutique et une
fois la visite terminée, se précipite pour acheter. À notre grand étonnement aucune
information client n’est collectée. Une  responsable de la boutique répond à notre
interrogation : « Ce sont des touristes… » et, pressée sur la question, nous avoue :
« nous n’avons pas de base de données clients commune avec la Chine ».
Nous sommes en 2016 et nous intervenons sur la question de la clientèle chinoise
devant l’ensemble des équipes de direction d’une marque de luxe de beauté – tous
les pays sont représentés. L’assistance est extrêmement attentive mais une
remarque fuse  : «  Savez-vous que nous avons 21  filiales et donc 21 bases de
données différentes non interconnectées –  et  vraisemblablement non
interconnectables ? ».

Deux exemples parmi tant d’autres qui pointent la zone aveugle de bien


des marques globales  : l’inexistence d’un système d’information clients
unique permettant de suivre tous leurs achats et l’ensemble des relations
entretenues avec eux.
Le cas des clients chinois du luxe est à cet égard révélateur. Ils
représentent en 2017 32 % des ventes des « personal luxury goods »11 mais
seulement 8  % de ces biens sont achetés en Chine  ! Où achètent-ils  ? En
Europe, à Hong Kong et Macau (même si ces destinations sont en perte de
vitesse), au Japon et en Corée (destinations en fort développement). Le
client chinois est donc un voyageur.
Mais nous devons aller bien au-delà de l’acception classique du voyage
« géographique » : le client (chinois) est aussi un voyageur O2O, passant du
physique au digital, recherchant sans arrêt les meilleurs prix ou les produits
non disponibles localement. En décembre  2014 la chute brutale du rouble
(qui perd 20  % de sa valeur le 16  décembre) n’est pas suivie par les
marques de luxe qui ne réajustent pas instantanément leurs prix en Russie.
Dès le lendemain, des avions entiers de Chinois –  voyageurs réguliers
comme «  daigu  »12  – atterrissent à Moscou et Saint-Pétersbourg et
dévalisent les boutiques des marques de luxe. Les clients chinois sont
passés maîtres dans l’utilisation d’Internet pour suivre les évolutions de prix
et ainsi bénéficier des meilleurs prix. Ce « voyageur » va donc passer d’un
pays à l’autre, d’un point de vente à l’autre, du physique au digital. Aucune
marque de luxe ne peut ignorer cela et chacune se doit de le suivre.
Nous allons donc le suivre dans ses « voyages ».

Les voyages géographiques

Les chiffres les plus récents indiquent que seulement 120  millions de
chinois ont un passeport – ce qui représente 8.7 % de la population totale –
mais selon la CEO de Ctrip ils devraient doubler et représenter 240 millions
en 202013.
Leur façon de voyager est en train de changer et ces évolutions vont
structurer leurs manières d’acheter du luxe dans les prochaines années. Le
premier phénomène est l’arrivée de voyageurs jeunes (moins de 35 ans),
plus éduqués, avec des moyens significatifs et voyageant individuellement.
Ces voyageurs font, à l’image des jeunes chinois, de leur téléphone mobile
le centre névralgique de leur vie : ils y communiquent avec leurs amis, ils y
achètent l’essentiel, ils y trouvent toutes les informations dont ils ont
besoin. Le rôle de leurs réseaux (amis et famille) ne doit pas être sous-
estimé  : leurs choix sont dictés par les recommandations faites par leur
réseau, que ce soit sous la forme d’évaluations trouvées sur des sites comme
Ctrip ou Meituan-Dianping ou sous la forme de recommandations dans les
Moments de WeChat.
Ceci a une conséquence immédiate pour les marques de luxe  : il est
essentiel de construire une relation de long terme avec ces nouveaux
voyageurs –  puisqu’ils contrôlent des réseaux de recommandation
importants. Pour cela il est essentiel de disposer d’une base de données
globale permettant de les suivre dans leurs voyages et leurs achats
domestiques et internationaux.
Ces mêmes voyageurs recherchent avant tout des expériences : les achats
se sont déplacés des biens personnels (vêtements, joaillerie, horlogerie,
cosmétiques…) vers les resorts, les spas, les croisières, la gastronomie… Ils
rejoignent en cela l’ensemble des consommateurs du luxe qui déplacent leur
consommation vers les expériences et les biens expérientiels  comme le
montre le graphique 114 : les voyages, la nourriture, les vins et spiritueux ou
les voitures.

Source : Bain 1 Company/Altagamma :


« Worlwide Luxury Market Monitor » (octobre 2017).

Figure 7.2 – Croissance des « expériences », des « produits expériences »


et des « produits personnels » entre 2010 et 2017

Les «  expériences  » comprennent les hôtels, les croisières et les


restaurants. Les « produits expériences » comprennent les voitures, les vins
et spiritueux, les avions privés et les objets d’art. Les «  produits
personnels » comprennent tous les autres produits de luxe.

Les voyages virtuels et le parcours client

Les consommateurs chinois du luxe présentent aujourd’hui les profils de


consommation les plus complexes que l’on puisse imaginer. Ils vont acheter
à la fois à prix boutique et rechercher des bonnes affaires en se déplaçant
sur l’ensemble des points de vente accessibles à la fois offline et online.
Cette complexification du parcours client ne va que s’accentuer avec le
temps et va progressivement toucher tous les clients du luxe.
Afin de mieux comprendre cette situation radicalement nouvelle
auxquelles les marques de luxe doivent faire face, nous nous proposons de
partir d’une classification des points de ventes possibles –  partout où un
client (chinois ou autre) du luxe va pouvoir accéder à des produits de luxe.
On constate très vite que la multiplication des offres (et nous
n’envisagerons pas ici les nouvelles offres où un client peut acheter des
produits de seconde main ou louer des objets de luxe) pose problème à la
marque. En effet un grand nombre de ces points de vente sont en dehors de
son contrôle. Nous devons donc essayer de les classer afin de mieux les
comprendre. Pour cela nous distinguerons deux dimensions –  qui toutes
deux renvoient à la notion de contrôle :
• Une première distinction porte sur le niveau de contrôle exercé par la
marque  : certains points de vente sont possédés par les marques,
d’autres sont contrôlés par les marques, d’autres enfin sont entièrement
contrôlés par des tiers.
• La seconde distinction porte sur le niveau de prix  : vente à prix
« plein », vente avec rabais sur certains produits, vente avec des rabais
systématiques. La volonté de contrôle de la marque sur le niveau de
prix ne peut s’exercer partout –  et tout particulièrement sur les sites
d’e-commerce où s’écoule tout le marché parallèle. Le  manque de
discipline des partenaires « wholesale » est accentué par le digital ET
les marques elles-mêmes vraisemblablement scient la branche sur
laquelle elles sont assises. Comme le disent les analystes d’Exane  :
« Une marque qui vend à des prix plus élevés en Chine qu’en Europe
ou aux États-Unis, mais offre ensuite la possibilité à des
consommateurs chinois d’acheter aux prix européens ou américains
sur ses sites web européens ou américains, va à l’évidence vers de
nombreux problèmes »
La figure 7.3 présente une répartition de ces points de vente. On constate
de fait la multiplication des canaux de vente accessibles à tous les
consommateurs du luxe, chinois ou non. On y retrouve ainsi Yoox, Net-à-
Porter et Farfetch dont nous avons parlé précédemment.
On constate donc que la montée en puissance du digital s’accompagne
d’une multiplication des offres dont bénéficient les clients et d’une
complexification du paysage que les marques sont bien en peine de
contrôler. Le contrôle de la distribution – qui est essentiel à la réalisation du
business model des marques de luxe et à leur profitabilité – est donc battu
en brèche par de nombreux nouveaux opérateurs au bénéfice des seuls
clients. Certaines marques peuvent alors craindre une forme de banalisation.

Source : Adapté de Bain & C° (2018) :


« Growth of Brands in the New Era : Striking a Balance Between Heritage and Innovation ».

Figure 7.3 – Cartographie des canaux de distribution du luxe

Dès lors les marques doivent faire face à une équation insoluble  :
comment « suivre » un client qui passe d’un point de vente contrôlé par la
marque à un point de vente d’un tiers partenaire à un point de vente « non
contrôlé  »  ? La solution est vraisemblablement de passer de véritables
partenariats avec les nouveaux acteurs géants du secteur : YNAP et Farfetch
en occident, Alibaba et JD en Chine. Pour ce qui concerne la Chine la
réticence des marques de luxe à aller sur Alibaba ou JD a été partiellement
levée par la mise en place de leur offre «  haut de gamme/luxe  » Tmall
Luxury Pavilion15 et JD Toplife16. Du coup Alibaba et JD, longtemps
ostracisés par le luxe (et  tout particulièrement Alibaba pour ne pas avoir
voulu lutter significativement contre la contrefaçon), se confirment comme
étant incontournables sur le marché chinois.
La complexification du paysage commercial est donc évidente  : aux
points de vente physiques traditionnels évoqués dans la Première Partie
(boutiques, grands magasins, travel retail…) s’ajoute maintenant la
multiplicité des points de ventes online. Dès lors il nous semble que les
marques de luxe vont devoir faire face à trois nouveaux challenges.
• Challenge 1  : Disposer d’un système d’information unique
permettant de suivre un client. Toutes les entreprises mondiales sont
actuellement confrontées à ce défi. Il est intéressant de constater
qu’Alibaba (pure player s’il en est) vient de le réaliser (en 2017) : ils
viennent de mettre en place UniID –  une identification unique pour
l’ensemble de leurs clients, qu’ils proviennent de Tmall ou Taobao (e-
commerce), Alipay (paiement mobile), Didi (taxis) ou de toute autre
planète de la galaxie Alibaba (comme les assurances). L’ensemble des
données du comportement d’achat de tous leurs clients est donc
maintenant disponible… et analysé.
• Challenge 2  : passer d’une logique de CAPEX («  capital
expenditure ») à une logique d’OPEX («  operating expense  »). Le
ralentissement dans l’ouverture de boutiques propres constaté pour
l’ensemble des marques17 –  et donc la nécessité d’avoir un CAPEX
très important  – laisse la place à des investissements (opérationnels)
nouveaux :
– il faut investir dans la rénovation du parc de boutiques existant (et
donc disposer de nouvelles approches de la maintenance des
boutiques). En effet les coûts de maintenance peuvent atteindre
5 % des ventes en temps normal et monter à 15 % des ventes pour
une boutique lors d’une rénovation.
– La mise en place de systèmes d’information mondialisés, le
nécessaire recrutement de talents en marketing digital et en
gestion de marques mondiales18, la construction d’expériences
clients, tout concourt à augmenter les frais opérationnels des
marques.
• Challenge 3 : faire face à des écarts de prix incompatibles avec le
positionnement de la marque Lorsqu’on analyse l’état des marques
de luxe selon deux dimensions – le discount moyen auquel sont vendus
les produits et le pourcentage de produits vendus sur Internet au sein
du canal «  rabais systématiques  »  – on constate que de nombreuses
marques sont en mauvais état19 :
– Michael Kors, Stella McCartney, Christopher Kane, Marc Jacobs,
Hogan et Brunello Cuccinelli, Armani s’avèrent être disponibles à
des prix discount (selon les deux critères). Leur situation est donc
critique – au risque de la banalisation et de la perte de statut.
– De nombreuses marques arrivent à contrôler leurs ventes
discounts mais pas leur disponibilité sur les canaux « off price » :
Versace, Dolce & Gabbana, Emilio Pucci, Emporio Armani,
Valentino. On peut légitimement s’interroger sur le sourcing des
produits de ces marques que l’on retrouve ainsi largement sur le
marché parallèle.
– Ralph Lauren est quasiment la seule marque qui organise elle-
même son propre discount – mais cela fait partie de son business
model où les (nombreux) magasins d’usine font partie des canaux
contrôlés par la marque.
Le contrôle des prix sur un marché global et où les canaux de distribution
online se multiplient devient donc une preuve du savoir-faire d’une marque
de luxe.

L’essentiel
►► L’intégration omnicanal développe la satisfaction du client et accroît sa
fidélité à la marque, ce qui se constate aussi bien dans les magasins que sur le
site internet.
►► Il faut connecter les données des clients online et offline, mais il faut
aussi savoir connecter les données de toutes les filiales internationales de la
marque.
►► Le contrôle de la distribution devient de plus en plus difficile, car il faut à la
fois fédérer certains services de l’entreprise, des services extérieurs habituels
et des intervenants ou des intégrateurs inhabituels.
►► Cette nécessité de tout intégrer online et offline ne se limite pas aux
produits de luxe personnels. Il s’étend aussi bien sûr aux expériences et aux
produits-expérience.
Chapitre 8

La logistique adaptée à la culture digitale


« La limite entre l’ordre et le désordre, c’est la logistique. »
Sun Tzu

Ce qui étonne le plus dans les innovations digitales, ce sont les services
nouveaux qui sont offerts aux clients. Quand Nordstrom a ouvert son
premier magasin sur la côte est, à New York, en septembre 2018, il a fourni
à ses clients deux nouveaux services :
• Si un client new-yorkais veut acheter une cravate ou une valise au
milieu de la nuit, par exemple à 3  heures du matin, il lui suffit de la
choisir et de la payer sur Internet. Il ne lui restera plus qu’à prendre sa
voiture ou un taxi jusqu’au nouveau grand magasin de la 57e rue où un
employé Nordstrom l’attendra devant la porte avec l’objet qu’il vient
d’acheter.
• Si un autre client a acheté la veille une paire de chaussures qui ne lui
convient pas, il peut aussi la rapporter à tout moment du jour ou de la
nuit et la scanner dans le kiosque digital, puis la déposer dans un casier
ou dans une trappe  : le même jour, le produit lui sera remboursé sur
son compte bancaire.
Si l’on se place dans une perspective omnicanal, ces services ne sont que
des conséquences normales de la parfaite continuité entre le commerce
physique et le commerce digital  : tout doit être possible à tout moment et
les services physiques et digitaux doivent se compléter pour offrir la
prestation le plus complète à la clientèle. Mais cette continuité parfaite
nécessite une flexibilité totale et positive de la part des employés et des
partenaires de la marque et une logistique parfaite et efficace.
Chacun devrait regarder sur YouTube un film sur les systèmes d’entrepôt
Amazon. Quand nous pensons au travail d’un employé aux expéditions,
nous l’imaginons se déplacer entre les étagères pour chercher les différents
produits apparaissant sur chaque commande. En fait ce sont les étagères qui
se déplacent  lorsque l’ordinateur a lu une commande, pour que l’employé
chargé d’emballer cette commande dispose ainsi de tous les produits
nécessaires sans avoir à bouger. De petits moteurs positionnés sous ces
étagères peuvent soulever les colonnes et les « promener » pour qu’elles se
retrouvent, dans l’ordre de cette commande devant celui qui la remplit. Puis
chaque colonne retrouvera un nouvel emplacement choisi par l’ordinateur
en fonction de la probabilité d’une nouvelle commande des produits qu’elle
recèle.
On s’émerveille quelquefois devant la taille de ces entrepôts jusqu’à
l’équivalent de 59 terrains de football ou devant l’automatisation du
remplissage des paquets, mais c’est tout le système qui est impressionnant
et qui a été conçu pour apporter ainsi un service automatique, sans faute et
bon marché. Ce que l’on peut dire, c’est que dans un tel schéma, l’attention
doit être portée sur chaque activité, pour réduire au maximum les coûts,
mais surtout les erreurs.

Le système traditionnel

La petite boutique traditionnelle

Dans une épicerie de quartier, tous les produits disponibles sont posés sur
les rayons. Par exemple, le sel, qui ne se vend pas très fréquemment, se
trouve à côté du lait qui, lui, se vend plusieurs fois par heure.
On s’aperçoit qu’il peut être logique de créer une arrière-boutique pour y
mettre à la fois une partie des stocks de produits à forte rotation, pour qu’ils
n’occupent pas trop de place dans le point de vente, et les produits très peu
vendus pour lesquels il suffit de mettre un seul produit visible dans le point
de vente. Dans un magasin de mode féminine, il peut être judicieux, par
exemple, de présenter en boutique toutes les tailles d’une robe «  best-
seller » (du 36 ou 48) mais de ne mettre dans cette boutique que les tailles
38 et 40 d’un modèle qui se vend beaucoup moins et de ranger les autres
tailles en arrière-boutique  : il serait en effet dommage d’utiliser trop
d’espace de vente pour des robes que le public ne s’arrache pas et qui
peuvent donner une impression triste et peu attirante à l’ensemble du
magasin.
Lorsque les boutiques de mode reçoivent la marchandise de chaque
saison en une seule fois (la collection printemps-été en mars et la collection
automne-hiver en septembre), la directrice peut être tentée de tout présenter
dès le 1er mars ou le 1er septembre. Mais les clients qui entrent 4 à 6 fois par
saison dans la boutique, et donc qui viennent par exemple plusieurs fois en
octobre et en novembre, peuvent avoir l’impression qu’il n’y a «  rien de
nouveau ». C’est pourquoi il peut être judicieux de garder certains modèles
en arrière-boutique et de les dévoiler progressivement pour toujours
maintenir une impression de nouveauté. Pour cela aussi, l’arrière-boutique
peut être quelquefois bien utile…

Le stock-tampon ou le répartiteur

D’autres commerçants disposent d’un dépôt ou d’un entrepôt à proximité de


leurs points de vente. Cela permet de bien sélectionner les produits visibles
en magasin et de conserver les autres en réserve.
Quand une marque dispose de plusieurs magasins dans une même ville,
par exemple une marque de maroquinerie qui a 12 ou 15 magasins en
région parisienne, chaque soir, un employé est chargé d’identifier toutes les
ruptures de stock et tous les risques de ruptures de stock pour les jours
suivants. Il suffit ensuite de regarder où ces différents produits sont en
surstock et d’organiser des transferts pendant la nuit ou aux premières
heures du matin. Aujourd’hui d’ailleurs, le travail de cet employé n’est plus
nécessaire. Un système informatique, optimise ces transferts à la minute
même de la fermeture du dernier magasin d’Île-de-France, et recommande
aussi des transferts ou des livraisons dans tous les magasins de France pour
les 48 heures suivantes. Le système digital existe donc. Il ne reste plus alors
qu’à organiser les transports physiques des produits et les rendre les plus
fluides possible.
Autre système : celui utilisé par les pharmacies, les magasins d’optique
ou les garages. Le stock magasin est réduit, mais des répartiteurs, présents à
moins de 45 minutes en camion de tous les points de vente de la région,
partent le matin, puis une deuxième fois en début d’après-midi pour visiter
tous les points de vente et apporter 100  % des objets nécessaires. Un
garagiste qui doit réparer l’embrayage d’une voiture qui lui a été confiée à
8 h 30, recevra la pièce nécessaire vers 11 heures et le client récupérera sa
voiture dans l’après-midi. Le système de répartiteur permet de réaliser des
réductions d’inventaire physique et une efficacité commerciale accrue dans
chaque point de vente.
Le système des répartiteurs nécessite néanmoins une analyse très précise
des stocks disponibles et des prévisions d’utilisation et la mise en place
d’entrepôts aussi automatisés que possible. Il requiert également un système
de transport organisé et précis, avec des livraisons régulières, des
récupérations de marchandise assurées et des périodicités fortes.
Avec la révolution digitale, le client va souvent chercher un article dans
le magasin, mais pas toujours. Souvent aussi, par commodité, il préfère
qu’on le lui apporte chez lui et les marques doivent donc assurer avec
beaucoup de fluidité et d’exactitude la logistique du dernier kilomètre,
enjeu majeur pour tous les opérateurs.
Nous sommes tellement habitués à « faire nos courses » dans un magasin,
que nous ne réalisons pas vraiment l’avantage d’une livraison à domicile.
C’est pourtant ce qui est le plus simple. Les objections sont nombreuses :
• « Je vais être livré alors que je ne serais pas chez moi et le produit sera
perdu et il faudra que je redémarre le processus d’achat  ». C’est en
effet un risque, mais il peut facilement être évité. Il suffit que l’heure
de la livraison soit précise et s’adapte parfaitement à vos exigences.
• «  J’achète un bijou très cher et je souhaite une véritable “cérémonie
d’achat” ». En fait, il est tout à fait possible d’être livré par un employé
professionnel et en uniforme, qui vient chez vous, s’assied à une table
avec vous et vous montre cet objet, et éventuellement d’autres objets
comparables. L’histoire raconte qu’à Londres, les chauffeurs livreurs
de Net-A-Porter.com utilisaient des Rolls Royce pour les livraisons de
bijoux. Peut-être était-ce le cas. En tout cas, à Paris, il est possible de
faire livrer un cadeau Hermès par un vendeur en uniforme.
Ce qui est certain, c’est que la livraison de son achat chez soi est le
processus d’achat le plus simple et le plus naturel. Il faut simplement
l’organiser, la sécuriser et la rendre tout à fait naturelle.
Le nombre de magasins dans chaque ville

Traditionnellement, une marque ouvre d’abord un magasin dans chaque


ville importante, puis dans des villes secondaires. Dans les très grandes
villes, elles peuvent décider d’ouvrir une seconde, puis une troisième
boutique. Mais bien souvent, ces différentes boutiques d’une même ville
n’ont pas tout à fait la même raison d’être. La plus grande peut présenter
toute la gamme de produits et jouer un rôle de référence. Elle dispose d’une
implantation dans un endroit prestigieux et commercial, en plein centre-
ville. Les autres boutiques, en général plus petites donnent à la marque une
présence plus forte. Ce  sont des boutiques de «  commodité  » chargée de
faciliter l’achat du client sans l’obliger à aller en centre-ville.
Traditionnellement, les grandes marques classifient leurs parcs de
magasin en boutiques A, B et C.
Les boutiques A sont des boutiques phares. Elles disposent de la totalité
de la collection et dans les très grandes villes, jouent un rôle de Musée de la
marque en assurant ce que les spécialistes appellent le « Retail-tainment » :
elles cherchent à convaincre tout le monde de la puissance de la marque, de
sa diversité et de son attractivité.
Les magasins  B sont plus petits. Ils n’ont pas toutes les catégories de
produits de la marque. Il peut leur arriver de présenter la mode féminine,
mais de ne pas avoir assez de place pour la mode masculine. Certains
magasins B pour certaines marques présentent les collections de ville, mais
oublient les collections de week-end ou de campagne.
Enfin les magasins C présentent une gamme courte avec les seules
références les plus vendues.

Un exemple d’aide à la logistique : le RFID

La radio-identification (RFID) a été mise au point aux États-Unis dans les


années 1970. L’idée était d’équiper différents objets avec une puce, à des
fins d’identification et de pistage.
Les puces RFID peuvent être lues à plusieurs mètres de distance.
De  plus, contrairement aux codes-barres, il est toujours possible d’ajouter
des informations supplémentaires à la puce à chaque fois qu’elle passe à
proximité d’un lecteur/émetteur.
Ce système a été utilisé dans la vente de détail, pour la première fois en
2005 par la chaîne Freedom Shopping, Inc. en Caroline du Nord. Une puce
RFID peut être introduite dans l’étiquette d’un produit (pour un coût de
5  cents par article) et peut enregistrer par exemple la date à laquelle le
produit est passé au contrôle qualité, puis a été envoyé dans un entrepôt, la
date où il a été mis en rayon (identification du magasin, affichage du prix),
la date où il a été vendu et enfin la date où il a été éventuellement retourné.
En utilisant ce système, une marque peut suivre chaque article depuis sa
fabrication jusqu’à son point de vente, et connaître le nombre exact de jours
passés en magasin. Il est également possible de localiser le produit et ainsi
d’organiser les transferts d’un magasin à l’autre.
Ce type d’analyse n’est pas nouveau, et tout bon système électronique
peut déjà identifier le nombre d’unités de stock (SKU) qui ont été livrées à
un magasin donné, combien ont été vendues et combien restent en stock. La
différence avec la RFID, c’est que l’information électronique peut être
vérifiée par la présence physique de chaque article dans le magasin. On peut
voir, par exemple, si les SKUs qui sont arrivées en premier dans le magasin
ont été vendues en premier.
En 2005, Walmart a demandé à 100 de ses principaux fournisseurs de
placer des puces RFID sur les articles qui leur étaient destinés.
Le  distributeur utilise aussi le système pour suivre l’évolution des
campagnes promotionnelles : il est possible de savoir combien de produits
sont sortis de l’usine à un prix spécial (valable pour une durée limitée) et
combien d’articles ont été vendus à prix réduit durant cette période,
combien d’articles ont été vendus à prix réduit en dehors de cette période et
combien d’articles préparés pour une offre promotionnelle ont finalement
été vendus au prix fort.
Pour les biens de luxe, le système RFID peut localiser chaque article
individuel au fil du temps, identifier le magasin où la marchandise a été vue
pour la dernière fois. S’il disparaît du stock, le système peut permettre de
repérer un possible vol. En outre, il peut permettre d’identifier l’origine
d’un produit trouvé au marché «  gris  », ce qui compliquera la tâche des
opérateurs de ce marché qui doivent tenir secrets leurs gentils fournisseurs.
Mais les étiquettes RFID peuvent être effacées au four à micro-ondes.
La RFID n’est pas le seul moyen de gérer un système d’information,
mais il est le seul qui permette de suivre individuellement les articles.

Le détail du système logistique : un exemple

L’un des auteurs a travaillé dans une entreprise où un premier diagnostic


logistique, tel qu’établi par les opérateurs des points de vente, était le
suivant :
Les points de vente américains ouvraient tous les cartons qu’ils
recevaient parce que :
– Les informations figurant sur ces colis étaient incomplètes ou
incorrectes (pour 30  % des expéditions) ou les bons de livraisons
étaient manquants.
– On notait une absence totale d’étiquetage sur les produits venant d’une
des usines (représentant 20 % du volume total), ce qui avait d’ailleurs
obligé la filiale américaine à investir dans son propre matériel
d’étiquetage.
– Les marchandises livrées n’étaient pas conformes à la commande dans
10 % des cas.
Les filiales de Tokyo et Hong Kong ouvraient tous les cartons parce que :
– Les critères de contrôle de qualité des Asiatiques et en particulier des
clients japonais étaient différents et plus élevés que ceux utilisés par
les usines européennes et correspondant à la procédure standard de
l’entreprise.
– Les étiquettes figurant sur les produits ne correspondaient pas non plus
aux exigences asiatiques et tous les produits devaient être étiquetés une
nouvelle fois.
En lisant aujourd’hui ce texte, le lecteur pense sans doute que nous
exagérons et que la situation ne pouvait pas être à ce point mauvaise, mais
c’était pourtant bien le cas. Et ceci était dû au fait que :
– Les usines européennes n’avaient jamais tenu compte des besoins
spécifiques des distributeurs japonais ou américains et des clients
finaux.
– Les systèmes logistiques n’avaient jamais été soumis clairement et
complètement à des procédures systématiques.
– Les très nombreuses étapes du processus de productions, d’expédition,
de livraison et de réception n’avaient jamais été clairement identifiées
ni soigneusement organisées.
– Les différentes usines utilisaient des codifications différentes et la
consolidation de ces systèmes n’était pas toujours réalisée.
Le système n’était pas suffisamment transparent, pas suffisamment
robuste et pas vraiment prévisible. Il laissait trop de place à des failles
potentielles. Il était inacceptable en bout de chaîne, c’est-à-dire au niveau
de la réception dans les magasins.
Un comité a été créé avec des spécialistes des systèmes d’information,
des experts de la logistique, des gestionnaires de développement des
produits, des équipes du contrôle qualité et des usines, ainsi que des filiales
de distribution des différentes parties du monde. Le comité a établi une liste
de recommandations et formulé la demande d’un renouvellement complet
des procédures. Un planning précis a été établi, les procédures ont été mises
à plat, de nouveaux processus de fabrication et de contrôle qualité ont été
mis en place, des investissements dans de nouveaux systèmes d’information
d’étiquetage et logistique ont été réalisés et en deux ans un plan infaillible a
pu être mis en œuvre.
Quand cette entreprise a cherché à analyser les processus de la chaîne
d’approvisionnement, le niveau de contrôle que ses différents concurrents
pouvaient avoir, a été examiné. Les résultats sont présentés dans le
tableau 8.1.
Tableau 8.1 – Différents modèles logistiques1

Approvisionnement
en matière Production Distribution Commentaires
première

Bally Contrôle moyen Contrôle faible Contrôle total Besoin


d’amélioration ?

Ferragamo Contrôle moyen à Contrôle faible Contrôle total Levier trop fort
élevé sur les
fournisseurs

Gucci Contrôle moyen Contrôle Contrôle total Système ouvert


moyen mais efficace

Prada Contrôle moyen Contrôle total Contrôle total Contrôle fort


sur les
fournisseurs

Sergio Contrôle moyen Contrôle Contrôle Améliorations


Rossi moyen moyen en cours

Valentino Contrôle moyen Contrôle très Contrôle total Priorité à la


faible croissance

Il nous a semblé que nous pouvions publier leur fiche d’évaluation car la
situation et donc les commentaires afférents ont dû évoluer du tout au tout
en quelques années. Mais le point est qu’une distribution fluide et efficace
n’est possible que si :
– Tous les acteurs impliqués, depuis les fournisseurs jusqu’aux sous-
traitants et aux usines internes, sont totalement coordonnés, travaillent
avec le même ensemble d’objectifs et utilisent les mêmes procédures.
– Le système est convivial pour ses utilisateurs et a été développé avec
une compréhension complète des exigences des points de vente et
l’approbation totale du personnel du back-office.
– Les procédures sont fluides, infaillibles et ont été testées et retestées au
fil du temps.
Ce n’est qu’alors que nous pouvons parler d’une organisation qui tire
pleinement parti du pouvoir de la marque et qui peut se concentrer sur sa
tâche principale : procurer au client une expérience mémorable.

Le nouveau système logistique

Si l’on considère qu’une partie très importante des ventes doit être livrée, le
système logistique doit être complètement modifié.

Faut-il avoir du stock en magasin ?

Si le système mis en place souhaite que 40 ou 50  % des produits achetés


soient livrés, le stock en magasin n’est plus seulement là pour être emporté,
mais surtout pour être vu. Cela change tout. Pour une robe, il n’y a pas
besoin d’avoir toutes les tailles. Il suffit d’avoir une ou deux tailles de
référence pour chaque modèle et d’un ou deux modèles témoins qui
disposeront de toutes les tailles pour que les consommateurs se rassurent.
Si une marque de mode dispose d’une dizaine de magasins à Paris, il
suffira d’un stock central, très bien fourni, qui peut organiser des livraisons
pour le jour même ou pour le lendemain. Lors de l’achat, le stock central est
consulté et un article est identifié, réservé et déjà affecté pour une livraison
à un moment défini.
Dans ce système, le magasin de mode standard, dispensé d’un stock
considérable, peut être plus petit. C’est en quelque sorte un « showroom »
et un centre d’essayage. Chaque produit doit être visible dans une ou
plusieurs tailles pour que le client puisse le toucher, le regarder à la lumière
du jour et avoir une idée du niveau de finition. C’est tout.
La répartition des points de vente dans une ville peut alors varier. On
peut envisager un magasin central, disposant de toute la collection dans
presque toutes les tailles et des magasins annexes, relativement petits et
situés dans des zones très passantes, avec un stock adapté et réduit. Et puis
les livraisons peuvent être réalisées le jour même où le lendemain.
Dans ce cas, la répartition des magasins avec des catégories A, B et C n’a
pas lieu d’être. À première vue, il suffirait d’avoir un seul magasin, très
grand qui joue le rôle de vitrine et de présentation.
Cela signifie-t-il que tous les autres magasins d’une très grande ville ne
sont plus nécessaires  ? On l’entend souvent dire et c’est inexact. Car si
l’objectif d’un déploiement de 6 à 10 points de vente dans une grande ville
était d’assurer la proximité de la marque, cela reste toujours un besoin à
l’ère digitale. Certains clients veulent pouvoir toucher les produits, se faire
aider par des vendeurs ou conseiller par des spécialistes.
La seule différence, c’est que la distinction entre les magasins B et les
magasins C n’a plus de raison d’être. En dehors du magasin A, il faut un
petit nombre de magasins ayant un stock limité mais pouvant présenter la
gamme complète et rassurer les clients. Ce sont donc surtout les magasins B
qui deviennent inutiles, à l’exception bien sûr des villes secondaires qui
n’avaient jamais eu de magasin A et qui continueront à se contenter de ces
magasins B.
La nouvelle répartition est simple : des magasins A et C dans les grandes
villes ; des magasins B dans d’autres.

Les critères de fonctionnement des entrepôts

Ce qui importe, c’est que le modèle logistique soit centralisé, économique


et précis. Il doit quasiment atteindre le «  zéro  défaut  ». En France par
exemple, on imagine un entrepôt à Paris, mais plusieurs pour le reste de la
France (Lyon, Bordeaux, Rennes et Reims, a exemple).
Ces entrepôts doivent-ils appartenir à la marque ? Si la question se pose
pour les très grandes marques, elle n’a pas lieu d’être pour les petites. La
gestion décentralisée de 5 centres d’expédition en France pour une petite
marque, avec l’objectif d’un service impeccable, paraît coûteuse et
aléatoire. La solution la plus simple semble la sous-traitance avec un
prestataire extérieur respectant des procédures précises et efficaces. Mais le
système ne s’arrête pas là. Le « maillage » ne doit pas exister qu’en France.
Il doit être mondial, et il faut identifier des logisticiens qui peuvent fournir
le même type de service, par exemple, aux États Unis, en Chine et au Japon.
On peut penser qu’il n’est pas nécessaire d’organiser partout des
livraisons rapides et prestigieuses et qu’il suffit d’organiser dans chaque
pays des points de retrait nombreux et proches des clients comme cela
existe pour les marques de produits massmarket online, mais dans ce cas,
on s’éloignerait vraiment beaucoup de l’atmosphère et de la particularité de
l’industrie du luxe.

La rapidité d’exécution

Mais les performances techniques des entrepôts ne sont pas les seuls
critères à prendre en compte. La solidité et la flexibilité du système
informatique doivent apporter un complément d’efficacité au système.
En France par exemple, le système de La Redoute permet d’obtenir un
temps moyen de 2  heures 15 entre le dernier clic du client digital et la
présence du colis dans un camion qui part vers le Hub du transporteur
affecté à ce client. Cela suppose un système informatique très efficace, une
localisation adéquate du produit dans l’entrepôt, un emballage adapté et
performant et bien sûr un transport final très rapide lors de la sortie de
l’entrepôt.

La « bataille » des plateformes

Comme on peut le comprendre par la description précédente, le


développement de la vente online passe par la constitution de plateformes
parfaites, efficaces et économiques. Une marque qui n’a pas accès à ces
plateformes, et qui dispose d’un volume d’activité trop faible pour
construire la sienne ne peut pas accélérer sa révolution digitale et en
conserver tout le contrôle. Les alternatives sont simples :
• Soit elle sous-traite la totalité de ses ventes online à des spécialistes,
comme YNAP ou Farfetch et à ce moment-là, elle ne maîtrise plus
vraiment sa distribution et la continuité entre ses activités online (un
détaillant extérieur digital) et ses activités offline (ses propres
magasins) risque de ne pas être parfaite.
• Soit elle conserve l’activité de la vente digitale pour elle et elle se
contente de sous-traiter à des tiers les activités de stockage et de
livraison, mais cela suppose que les deux systèmes digitaux (celui de
la vente, et celui du stockage et de la livraison) soient compatibles.
De plus, une marque petite ou moyenne dans un grand groupe, comme
Kenzo chez LVMH, dispose d’une possibilité additionnelle. Elle peut sous-
traiter la totalité de son activité online à une marque amie de son groupe
comme Louis Vuitton ou Dior qui peut alors agir sous forme de sous-
traitant.
On s’aperçoit qu’il y a aujourd’hui une course dans tous les sens :
• Les très grandes marques construisent leur propre système (vente en
ligne, entrepôts, livraison).
• Les opérateurs indépendants (YNAP qui appartient au groupe
Richemont, ou Farfetch) et les grands groupes digitaux (comme
Amazon) offrent des services complets et peuvent gérer tout ce qui est
digital et qui n’est pas en vente en magasin.
• Les marques essayent de passer des accords précis avec les entreprises
digitales. Le groupe Chanel a par exemple passé un accord avec
Farfetch en 2018 et a pris une participation dans son capital.
Tout bouge, tout est possible mais le temps presse.

Les magasins sans employés

Il faut décrire ici les nouveaux supermarchés en cours de test en Chine. Le


client, en entrant dans le magasin et en passant la porte, présente son
téléphone portable à un capteur  ; Il est alors identifié et repéré par les
caméras qui vont noter son nom, ses coordonnées bancaires, sa silhouette,
son visage et ses habits. Il pourra alors se promener dans les rayons et
prendre tous les produits qu’il souhaite sur les étagères  : chaque produit
dispose d’un code électronique et est identifié par sa localisation dans le
point de vente ; ce produit n’est d’ailleurs pas sur une étagère normale mais
il est posé sur une balance invisible pour le client, mais permettant au
système de savoir s’il prend un, deux ou trois produits dans la même case.
Tous ses achats sont ainsi enregistrés et lorsqu’il passe la porte du magasin,
il entend un petit clic sur son smartphone : ses achats ont été complètement
enregistrés, tout au long de sa visite, le prix à payer pour ces achats a été
calculé et le montant a été déduit de sa carte de crédit.
Ce système n’est bien sûr pas à l’ordre du jour pour la majorité des
produits de luxe, mais il intéresse sûrement Sephora. Non seulement c’est
un système nouveau et impressionnant, mais il conforte le client dans le
sentiment que le magasin dans lequel il se trouve est vraiment à la pointe de
la technique et reste aussi innovant que possible.

Les enjeux de la logistique

Dans le développement très rapide d’un système logistique global et


continu, il apparaît un paradoxe : le coût de mise en place d’un tel système
est onéreux et ne peut fonctionner et devenir rentable que dans la mesure où
il est complet, intégré et que toutes ses phases ont été prises en compte et
fonctionnent bien. Ce système devient alors une activité qui donne un très
grand avantage concurrentiel en terme commercial et financier.
Si dans un pays ou dans une région, d’autres opérateurs installent des
entrepôts automatiques identiques et des services de livraison tout aussi
prestigieux, les fabricants auront le choix entre plusieurs systèmes et la
concurrence entre ces derniers peut se trouver beaucoup plus forte. Ce qui
est certain, c’est que les plateformes de stockage et d’expédition
complètement automatisées vont se développer et devront un jour se battre
pour conserver un assez gros volume d’activités et rester compétitives…
Et puis, certains sujets doivent encore être abordés : structure mondiale,
régionale ou nationale ?
Traditionnellement, les entreprises de luxe avaient une structure
nationale. Dans chaque pays, elles s’adaptaient aux droits de douane et aux
taxes spécifiques (par exemple la TVA ou les taxes locales). Elles donnaient
aussi des exclusivités commerciales sur des territoires, soit par des contrats
de franchise de magasin, soit par des accords de distribution exclusifs. Dans
ces accords, l’analyse des droits de douane et autres impôts locaux était
prise en compte. Lorsque les plateformes logistiques deviennent régionales
et que des dizaines de milliers de colis partent tous les jours par exemple
d’Irlande pour l’Allemagne ou la Russie, ces plateformes devraient
acquitter ces différentes taxes et respecter toutes les exclusivités
territoriales. Sont-elles en mesure de le faire ? Lorsqu’un sac d’une grande
marque de luxe italienne part de Dublin pour la Russie ou pour la Chine,
est-ce que tous les droits des distributeurs exclusifs Russes et Chinois sont
tout à fait respectés ? La réponse n’est pas facile.
On arrive d’ailleurs au paradoxe selon lequel le distributeur russe se
conforme à toutes les exigences nationales, y compris le paiement des droits
de douane, alors que la plateforme hors-sol n’est pas toujours obligée de le
faire. Les droits de douane agissent ainsi au détriment de ceux qui
respectent fidèlement les règles et à l’avantage des plateformes globales qui
peuvent s’en extraire : c’est ce qu’on appelle une distorsion de concurrence.
En d’autres termes, dans la concurrence mondiale, ces droits de douane
pénalisent les entreprises nationales. Il faudra sans doute que le système
évolue. En tout cas aujourd’hui la concurrence favorise étrangement les
plus puissants et les moins établis dans des pays spécifiques.
Cela n’est pas tout. Certains distributeurs de produits de luxe comme
Imaginex, une société basée à Hong Kong et distributeur de marques
comme Tory Burch ou Isabel Marant pour la Chine continentale, proposent
des interventions spécifiques comme la gestion des approvisionnements en
boutique, le recrutement et le suivi des personnels de boutique, ou la
gestion administrative offline sans obligation d’un accord de distribution.
Dans cette multiplication de fournisseurs de services logistiques partiels ou
complets, de partenaires offline et online, de sociétés puissantes ou
minuscules, tous les services et tous les partenariats sont possibles et toutes
les évolutions peuvent se concrétiser.
Pour terminer, on peut citer le cas de HAVR, une petite société française
qui a mis au point des serrures digitales, reliées au téléphone portable du
propriétaire d’un appartement, et qui lui permet d’ouvrir son appartement à
la demande d’un livreur, le laisser déposer un colis à l’intérieur de
l’appartement et s’assurer qu’il a bien fermé la porte avant de partir. C’est
là une innovation qui peut paraître secondaire, mais qui correspond à une
des dernières pièces du puzzle  : que faire lorsque le client n’est pas chez
lui ?

L’essentiel
►► La continuité totale et naturelle des moyens d’achat et de relations
avec la clientèle va entrer dans notre quotidien et alors qu’elle est aujourd’hui
si difficile à organiser, elle nous semblera bientôt aller complètement de soi.
►► Le dernier kilomètre doit devenir parfait pour la livraison d’un produit,
mais c’est toute la cérémonie d’achat qui doit être repensée et qui doit avoir
lieu, aussi bien dans un point de vente qu’au domicile du client.
►► Développer une plateforme logistique online oblige à repenser la totalité
du système de développement international offline et online.
►► Il semble que les jeux ne sont pas faits et que dans 10 ans, d’autres
interlocuteurs existeront sans doute, en matière digitale et logistique, et la
configuration actuelle aura bien sûr encore beaucoup évolué.
►► Le rôle des points de vente va changer et le concept de magasin amiral
donnant une expérience globale va se développer.
►► Dans cinq ou dix ans, les magasins les mieux adaptés à une marque et les
plus rentables ne seront pas nécessairement les mêmes qu’aujourd’hui.
Partie 3

Approfondir la relation client


Chapitre 9

Le comportement du client en magasin


ou sur la toile
« En fait, quand je rentre dans un magasin, je ne souhaite pas que l’on me vende
quelque chose. Je veux être accueillie. »
Angela Ahrendts

La vente est essentiellement affaire d’expérience directe. Rien ne


remplacera jamais l’observation des clients, de leurs relations avec les
produits, de la manière dont les vendeurs se comportent, et des interactions
entre ces clients et la marque. Les marques de luxe savent que les clients ne
sont pas passivement en admiration devant une marque et un produit  : ce
sont des acteurs à part entière de la relation (que nous examinerons dans le
chapitre  10). Par conséquent, observer la manière dont les clients se
comportent dans un magasin est un point crucial pour tout vendeur et ceci,
pour tous les secteurs industriels, mais aussi tout particulièrement dans le
secteur du luxe.
Malheureusement, peu d’études ont été publiées sur le comportement des
clients dans les magasins de luxe. La grande majorité de ces études
constituent un ensemble de connaissances confidentielles conservées
précieusement par chaque grand groupe de luxe pour des analyses et des
comparaisons internes.
Cependant, si nous examinons des études consacrées au marché de
masse, et en particulier dans le secteur de la mode, nous pouvons tirer
quelques conclusions générales sur la manière dont les consommateurs se
comportent dans un magasin. Ce qu’il faut d’ailleurs observer dans un point
de vente, ce ne sont pas seulement les meubles, les produits ou les clients.
C’est la façon dont se déroule l’expérience  : expérience du client qui
mobilise probablement tous ses sens et qui se retrouve dans ce que les
observateurs appellent la cérémonie d’achat. Le client est-il assis  ? Est-il
confortable ? Lui donne-t-on l’impression qu’il a tout son temps ?
Il y a quelques années, certains observateurs extérieurs avaient assuré que
les achats en ligne ne se développeraient jamais dans l’industrie du luxe
parce que, disaient-ils, « on ne remplacera jamais la cérémonie d’achat », et
c’est vrai qu’il n’a jamais été question de la supprimer. Mais ce processus
est aujourd’hui légèrement modifié. Le client entre dans une boutique et il
regarde les produits, puis il rentre chez lui et il s’informe sur le site internet
de la marque. Il regarde alors des sites d’autres marques et s’il vient ensuite
de nouveau en magasin, il disposera déjà d’une expérience complète. Enfin,
quand il aura réalisé son achat, il continuera à s’informer sur le site de
l’entreprise : sa relation avec la marque est permanente et continue.
Et les vendeurs doivent s’adapter à un nouveau rôle et faire face à des
interlocuteurs qui se sont déjà informés sur la marque et ses produits, et qui
achèteront tantôt en magasin, tantôt ailleurs, mais qui considèrent quand
même souvent la boutique comme un point d’attache. Si ces clients
reçoivent chez eux un produit qui ne leur convient pas, ou qui n’est pas à
leur taille, ils viendront en boutique pour le rendre ou pour l’échanger ou
encore pour demander conseil, mais il ne leur viendrait pas à l’idée qu’on
leur dise que le magasin n’est pas équipé pour reprendre ou échanger ce
produit, ou encore pour leur donner un conseil. L’expérience et la
cérémonie d’achat, en partie online, en partie offline, doivent donc
s’intégrer dans un continuum fluide et sans à-coups.
C’est ce que Manuel Diaz explique très bien :

«  La boutique de luxe doit se recentrer sur deux missions essentielles  : le  cérémonial et
l’expérience d’achat, ainsi que l’amorçage de l’expérience partagée, la phase amont se passant
désormais en ligne. »1

À l’inverse, toujours d’après Manuel Diaz :

«  Le client devra pouvoir choisir en ligne le produit qui l’intéresse, et  le  cas  échéant, en
fonction de sa taille, voire des couleurs qu’il désire essayer, la boutique sera en mesure de lui
fixer un rendez-vous le jour où elle se sera procuré le produit en question ».

Le comportement en magasin
Un des pionniers en la matière d’analyse des comportements des clients en
magasin est sans doute, Paco Underhill2, qui a formalisé les premières
études de suivi des clients. Aujourd’hui des moyens plus systématiques se
sont développés.

L’origine : les études de tracking

La société de Paco Underhill, Envirosell Inc, a mis au point un système


d’études par tracking. L’idée est d’utiliser une équipe de deux ou trois
pisteurs (trackers), armés du plan du magasin ou du centre commercial et
chargés de noter la manière dont les consommateurs entrent et se déplacent
dans un magasin  : quel chemin suivent-ils vraiment  ? Que touchent-ils  ?
Comment se comportent-ils  ? Que regardent-ils  ? Qu’achètent-ils  ?
Comment paient-ils  ? Que font-ils après avoir payé  ? Sans parler du
repérage des endroits exacts où ils sont allés.
Une telle étude pourrait par exemple contenir, pour chaque client
observé, le parcours suivant :
• 15 h 25, entre dans le magasin.
• 15 h 27, s’approche du comptoir de la marque de parfum X, regarde le
parfum Y, prend un testeur, vaporise et sent l’odeur du parfum, le
remet en place ; regarde un autre parfum de la marque X.
• 15  h  31, une vendeuse s’approche pour engager la conversation  :
l’homme s’éloigne.
• 15  h  33, regarde les chaussures de femme, regarde les prix de trois
modèles.
• 15 h 36, va vers le présentoir des ceintures ; touche cinq produits, en
choisit un, l’essaye autour de la taille.
• 15 h 40, va à la caisse ; paie par carte de crédit.
• 15 h 45, sort du magasin.

L’utilisation actuelle des téléphones portables


Une start-up française, RETENCY, a développé un récepteur qui permet de
suivre le trajet des clients dans un magasin en utilisant la géolocalisation et
en notant tous leurs mouvements grâce à leurs téléphones portables. Il est
considéré que les données ainsi recueillies peuvent être diffusées ou
utilisées sans autorisation car l’anonymat du client est parfaitement
respecté. Mais il est ainsi possible de capter les mouvements d’un large
échantillon de clients dans un magasin, leurs hésitations, leurs temps
d’arrêt, et surtout, comme avec les tracking studies décrites plus haut, les
endroits du magasin les moins visités ou les moins attirants. Ces
informations retracent aussi de la même façon que dans la version
«  papier  », un parcours en magasin et le temps passé dans chaque rayon.
Une application apparemment comparable, NEOMA, a également été
développée à Hong Kong.

Le suivi et les résultats issus de ces études

Avec les résultats de ces trackings, obtenus soit par la méthode


traditionnelle, soit par des moyens plus modernes, il est possible de changer
la décoration et l’implantation d’une boutique pour modifier le parcours
attendu du client dans un point de vente.
Lorsque les gens entrent dans un magasin, la première chose qu’ils font,
c’est de franchir le seuil, rapidement. Donc le point d’entrée d’un magasin
n’est certainement pas le point le plus efficace sur le plan commercial. Les
gens ont également tendance à utiliser l’entrée comme point de rendez-
vous, ce qui n’en fait peut-être pas un point très agréable pour les autres.
Également, lorsque les clients entrent dans un magasin, ils passent d’un
environnement (la rue, la galerie) à un autre (le magasin), ce qui nécessite
une phase d’ajustement sensoriel avant qu’ils puissent incorporer ce qu’ils
ont maintenant autour d’eux. Ce lieu de transition n’est donc pas un bon
endroit pour vendre, contrairement à une idée reçue. Ce n’est qu’après avoir
dépassé ce point de transition que des clients ralentiront et seront prêts à
regarder ce que le magasin leur propose.
En entrant dans le magasin, ils ont tendance à ne pas aller exactement
tout droit mais à se déplacer imperceptiblement vers la droite. C’est
pourquoi dans la plupart des supermarchés, la porte d’entrée n’est pas au
centre mais décalée vers la droite. Ainsi, les gens, en allant à droite,
trouveront rapidement un mur et rebondiront, couvrant au final une surface
plus large, en moyenne, qu’ils ne l’auraient fait si la porte avait été située au
centre ou à gauche.
En parcourant le magasin, les gens ont tendance à toucher les produits
souvent avec leur main droite. Même dans les pays où l’on conduit à
gauche, les gens poussent leurs chariots sur le côté droit des allées, de
manière à pouvoir plus facilement entrer en contact avec les articles. Liront-
ils un panneau compliqué  ? Probablement pas, puisqu’ils ont tendance à
regarder devant eux et à ne pas s’arrêter pour absorber quelque détail que ce
soit.
Veulent-ils être visibles depuis la rue ? Cela dépend du type de produits
que vend le magasin. Pour la mode ou le luxe, les gens préfèrent en général
ne pas être vus par des amis qui viendraient à passer dans la rue au moment
où ils sont en train d’essayer une robe ou une montre chère. C’est pourquoi
la majorité des magasins de luxe ont des vitrines aveugles et les magasins
de mode ont des coins intérieurs et des espaces en retrait  ; les cabines
d’essayage sont généralement cachées tout au fond du magasin (et
généralement à gauche, endroit le moins visité systématiquement).
Qu’est-ce qui peut contribuer à augmenter le taux de conversion d’un
magasin donné ? Par taux de conversion, rappelons que nous entendons le
pourcentage de gens ressortant du magasin avec un achat par rapport au
nombre de ceux qui ont passé la porte. Étonnamment, plus ils restent
longtemps, plus le taux de conversion est élevé ; il est donc dans l’intérêt de
l’équipe du magasin de s’assurer que les gens se sentent bienvenus et à
l’aise, de sorte qu’ils restent un peu plus longtemps que dans le magasin
d’un concurrent.
Paco Underhill a mesuré le temps moyen passé dans un magasin de
décoration intérieure aux États-Unis. Ses résultats sont repris dans le
tableau 9.1.
Tableau 9.1 – Temps moyen passé dans un magasin de décoration intérieure

Une femme avec une femme 8 minutes 15 secondes

Une femme avec un enfant 7 minutes 19 secondes

Une femme seule 5 minutes 20 secondes


Une femme avec un homme 4 minutes 41 secondes

Attente et perceptions en magasin

Le tableau  9.2 résume ce que les gens attendent quand ils entrent dans un
magasin, et au contraire ce qu’ils n’aiment pas. Par exemple, les clients
veulent toucher les produits, mais certaines marques, comme Louis Vuitton
et Hermès, s’assurent que les clients n’ont pas de contact direct avec les
produits : c’est leur manière de créer un sens de la rareté ou, du moins, de
donner le sentiment que chaque produit est très spécial.
Tableau 9.2 – Attentes et perceptions des clients en magasin

Ils veulents Ils ne veulents pas

Toucher les produits Faire la queue

Se voir dans des miroirs Qu’il y ait trop de miroirs

Trouver les choses par eux-mêmes Être obligés de poser des questions bêtes

Parler Trouver des étiquettes illisibles ou des codes


obscurs

Être respectés Apprendre que l’article qu’ils veulent est


en rupture

Faire une bonne affaire Se trouver face à des vendeurs intimidants

Les gens veulent aussi pouvoir se regarder dans un miroir, mais ils ne
veulent pas être entourés de miroirs comme ceux qu’on trouve dans les
supermarchés et les drugstores américains, qui sont suspendus et placés à
45 degrés, de sorte que la personne à la caisse puisse voir ce que font les
clients dans le magasin : ils ne veulent pas être espionnés, mais ils aiment se
voir ici ou là en déambulant dans le magasin.
Une situation similaire se produit pour ce qui est des interactions avec le
personnel de vente. Les gens disent qu’ils aiment bien parler mais qu’ils ne
veulent pas se sentir intimidés par les vendeurs. Ils recherchent un
environnement agréable et encourageant, dans lequel ils ne se sentiront pas
contraints de faire ceci ou cela.
À la dernière ligne du tableau  9.2, les clients disent qu’ils veulent faire
une bonne affaire. Ceci ne signifie pas forcément qu’ils sont uniquement en
quête de promotions ou d’une réduction substantielle. Ils veulent tout
simplement ne pas se laisser abuser, et avoir le sentiment qu’ils ont fait un
achat au prix juste, dans un environnement agréable et gratifiant.
Paco Underhill identifie beaucoup d’autres comportements particuliers. Il
mentionne par exemple le fait que, en entrant au supermarché, 90  % des
femmes ont une liste contre seulement 25 % des hommes. Et pourtant, dans
60 % des cas, les unes comme les autres achètent finalement des articles qui
n’étaient pas prévus.
Comment les consommateurs réagissent-ils au temps d’attente  ? Pour
évaluer ceci, on peut mesurer de manière exacte le temps que les gens ont
effectivement passé à attendre puis leur demander combien de temps ils
pensent avoir attendu. Il est intéressant de remarquer qu’il n’y a pas de
différence entre temps réel et temps perçu pour une attente de 90 secondes.
En revanche, deux minutes sont perçues comme une durée bien trop longue.
C’est un problème parce que nous savons que le temps d’attente est le
critère numéro un dans l’évaluation de la qualité de service : toute personne
attendant plus de trois minutes dans un magasin risque d’être mécontente.
Comment résoudre ce problème ? En montrant aux clients que vous vous
souciez d’eux. Les clients se sentent bien mieux dès qu’ils ont la possibilité
d’interagir avec quelqu’un. Dans le magasin d’une des principales marques
de luxe à Hong Kong, la direction s’inquiétait des longues files de clients
chinois et japonais attendant d’entrer dans le magasin. Ils ont donc loué un
appartement dans l’immeuble à côté et demandé aux vigiles de distribuer à
tout le monde une carte disant  : «  Nous sommes désolés de l’attente à
l’entrée de notre magasin, celui-ci est trop petit pour accueillir autant de
clients simultanément. Pour nous assurer que vous puissiez être servis aussi
vite que possible, nous avons loué un appartement à côté, au 21e étage de la
tour voisine, où vous pouvez vous rendre dès à présent si vous le souhaitez
pour être immédiatement accueillis par un de nos vendeurs3  ». La plupart
des gens lisaient la carte, acquiesçaient et restaient dans la file d’attente. Ils
appréciaient l’attention, mais préféraient continuer à faire la queue pour être
accueilli dans le « vrai » magasin4.
En plus d’une interaction et d’une attention visant à réduire l’agacement
lié à l’attente, d’autres techniques peuvent être déployées pour rendre celle-
ci plus agréable. Dans une banque ou un bureau de poste, des files bien
organisées ou d’autres systèmes permettent de garantir le principe du
«  premier arrivé, premier servi  » et réconfortent les gens. À cette fin,
quelques queues distinctes regroupant quatre ou cinq guichets sont
bienvenues, alors qu’une seule file conduisant à 20 guichets (comme on en
voit dans les gares ou aujourd’hui à la FNAC et dans les magasins
d’alimentation) ne l’est pas : avec autant de monde dans la file d’attente, les
gens ont tendance à s’énerver, même si la file avance très vite. Il est bien
plus efficace de gérer trois files de six ou sept personnes chacune  : les
clients auront le choix d’attendre ici ou là. Les files avanceront
probablement, à peu de chose près, aussi rapidement l’une que l’autre, et la
plupart des gens seront satisfaits de leur choix…
Une autre manière simple de relâcher la tension liée à l’attente consiste à
faire diversion  : certaines banques ont recours à des télévisions branchées
sur des chaînes d’information en continu, pour s’assurer que les gens aient
quelque chose à faire pendant qu’ils attendent. Ceci semble être une
manière très efficace de résoudre le problème.

Les règles de base du merchandising en supermarché

Tandis que nous passons maintenant des magasins spécialisés aux


supermarchés, vous pourriez penser que nous nous éloignons beaucoup des
spécificités du commerce de luxe. Et pourtant, il y a là, dans les allées et au
milieu des présentoirs vertigineux, des trésors de réactions simples et de
comportements de clientèle, soigneusement identifiés, et les professionnels
de tous les secteurs commerciaux peuvent souvent s’en inspirer.
Un premier domaine de recherche est celui des facings et de leurs
extensions. Le facing est la face visible, pour le consommateur, d’un
produit se trouvant en rayon. Les facings ne dépendent pas du nombre
d’articles rangés derrière les premiers  : ce sont les façades que le
consommateur voit en se déplaçant dans le magasin. Or, il se trouve que,
selon la taille du magasin, la notoriété de la marque et la fidélité de sa
clientèle, doubler le nombre de facings d’un produit entraîne une hausse de
ses ventes d’environ 30  %. Donc, dans une catégorie de produits donnée,
avec un espace de rayonnage dédié limité, il est possible d’optimiser les
ventes ou les profits pour la catégorie en augmentant les facings d’articles
qui se vendent bien ou sont très rentables et en diminuant ceux d’articles se
vendant moins bien ou qui sont moins rentables. Cette pratique s’appelle
dans le sabir du marketing le product category management et c’est une
partie importante du merchandising en supermarché. Ce n’est toutefois pas
une tâche simple, car elle varie en fonction des changements de prix d’un
produit ou d’un autre, et des campagnes promotionnelles et publicitaires.
Ceci s’applique-t-il au commerce du luxe ? Naturellement, pas autant que
pour les supermarchés, mais le concept du category management s’applique
certainement pour déterminer quelle place devrait être allouée aux
différentes catégories de produits et à chaque article. Dans une boutique de
parfums et cosmétiques, on ne donne pas à chaque article exactement le
même espace en rayon. Certaines marques devraient avoir plus de place et
d’autres moins, de manière à obtenir un environnement commercial plus
efficace.
La hauteur du produit en rayon est une autre dimension importante  :
l’étagère la plus basse, près du sol, est moins efficace que celle au niveau du
regard. Dans un supermarché, les merchandisers représentant les différentes
marques s’affrontent pour obtenir que leurs produits ne soient pas placés au
niveau du sol ; ils essaient de convaincre les gérants du magasin de placer
leurs produits sur des étagères plus hautes.
Une étude dite Colonial a été menée il y a longtemps et n’a semble-t-il
jamais été reproduite. Elle s’intéressait aux chiffres de vente de 400
produits différents, déplacés de l’étagère supérieure (au niveau du regard)
vers l’étagère intermédiaire (à portée de main), puis en bas, au niveau du
sol.
Les résultats en sont repris dans le tableau 9.3.
Tableau 9.3 – Variation en volume selon la hauteur en rayonnage

Augmentation Diminution
  Indice
en montant en descendant

Niveau du regard 211 100 148

Niveau de la main 141 65 100

Niveau du sol 100 47 70


Source : étude Colonial.

La leçon fondamentale, telle que l’indice, est que lorsqu’un produit


monte du niveau de la main au niveau des yeux, ses ventes augmentent
d’environ 50 % et, lorsqu’il descend du niveau de la main au niveau du sol,
elles diminuent de 30 %, ce qui est beaucoup. Et entre le niveau du sol et
celui du regard, on peut voir que les volumes sont un peu plus que doublés.
La question de la hauteur est donc très importante dans la gestion de la
présence produit dans un magasin.
Étant donné les enjeux, le management des catégories de produits fournit
des règles d’optimisation à chaque instant.
Quelle est l’efficacité des actions promotionnelles  ? En fait, plusieurs
études ont montré qu’indépendamment de sa part de marché, un produit en
tête de gondole se vend quatre à cinq fois plus qu’en rayon. Ces
présentations sont donc plus efficaces pour les produits qui se vendent déjà
beaucoup en rayon que pour les autres. Mais les produits qui se vendent
moins pourront attirer plus de nouveaux consommateurs qu’en rayon, et
ainsi augmenter leur part de marché. Le fait que dans ses plus grands
magasins, Sephora ait recours à des espaces de promotion, dans lequel les
produits s’empilent en hauteur pour attirer l’attention de nouveaux clients,
semble indiquer que ce qui se passe en supermarché peut aussi se passer
dans un magasin de parfums, et sans doute avec le même impact (mais
d’aucuns diront que Sephora transpose toutes les techniques de la grande
distribution à la beauté).
Un résultat important des études de merchandising en supermarché est
que les nouveaux produits ont tendance à être moins efficaces en tête de
gondole que les produits existants. Si nous étendons ce résultat au secteur
des parfums, ceci signifie probablement que les promotions de nouveaux
parfums dans les magasins Sephora seraient moins efficaces que les
promotions de produits plus anciens, sauf lorsque, outre la présentation, un
programme promotionnel spécial ou une démonstration en magasin du
nouveau produit est organisé.
Tous ces outils venant d’autres secteurs que le luxe apportent des idées
très intéressantes sur ce qui peut se produire dans un magasin de luxe et sur
la façon dont les gérants de tels magasins peuvent agir pour rendre leur
magasin plus efficace et plus rentable. Les produits sont certes très
différents, mais il se trouve que les consommateurs sont les mêmes et
auront les mêmes réactions dans un environnement raffiné que dans un
magasin de textiles standard ou dans un supermarché.
La morale est que, comme tout autre magasin, un magasin de luxe doit
comprendre les attentes de ses consommateurs et s’assurer que rien n’est
laissé au hasard : tout doit être pensé, planifié et mis en œuvre de la manière
la plus efficace. Ceci est évident pour quiconque s’intéresse aux activités
commerciales dans le secteur du luxe.

L’essentiel
►► Les outils d’analyse du comportement en magasin évoluent eux aussi, et
la géolocalisation ou la reconnaissance faciale peuvent renouveler une activité
très importante dans la compréhension des comportements d’achat en
magasin.
►► Le category management ne se limite pas à la politique de merchandising
en supermarché. Il est aussi utile pour la présentation des accessoires pour
une marque de mode ou des montres chez un joaillier.
►► Compte tenu du coût de location d’un mètre carré dans les endroits les
plus prestigieux du monde, tout ce qui peut améliorer la compréhension
des comportements individuels et de l’utilisation de l’espace fourni doit être mis
en œuvre.
Chapitre 10

De l’importance des magasins pour nouer


la relation client
« Tant de designers oublient que ce sont les clients,
in fine, qui sont les VIPs. »
Paul Smith

Les marques de luxe doivent faire face à un problème majeur : retenir leur
clientèle, dans un contexte extrêmement concurrentiel. La plupart des
études disponibles montrent qu’environ 20 % des clients génèrent 65 % des
revenus de la marque1  : ceci signifie qu’une marque doit trouver les
manières et les moyens de se doter d’une clientèle fidèle. Fidéliser ses
clients et faire de ces nouveaux clients des clients fidèles, est crucial pour la
marque. Nous avons vu par ailleurs2 que les paniers clients sont plus
importants lorsque les clients online vont ensuite acheter offline. De ce fait,
c’est en magasin que tout se joue. C’est là que la marque rencontre ses
clients. C’est là que la relation se noue. C’est là que le parcours client, aussi
complexe soit-il, se concrétise.
Deux aspects sont essentiels ici, que nous analyserons tour à tour :
• Gérer un magasin est un domaine en soi, qui nécessite des compétences
et des outils spécifiques. Nous décrirons la plupart d’entre eux et
donnerons des outils détaillés pour les descriptions de fonctions, le
recrutement, les rémunérations et le déroulement de carrière.
• Les relations durables avec les clients doivent être nouées en se fondant
sur le développement de services personnalisés (un sujet que nous
détaillerons au chapitre 12).

Pourquoi le personnel de vente doit tout savoir


sur la marque
Exemple

C’était en septembre  2008, à la boutique Paul Smith de Paris. C’est un  endroit
surprenant, reflet de la philosophie de son créateur  : «  Classic with a twist  ». Les
murs sont couverts d’objets encadrés, de tableaux et de livres. C’est un lieu qui
frappe, dans l’univers très lisse des marques de luxe.
Un des auteurs y cherchait une bourse pour l’offrir à une amie. La vendeuse lui
montra plusieurs modèles et parmi tous ceux qui portaient les bandes multicolores
emblématiques de la marque, l’un d’eux retint son attention : sur l’un des côtés se
trouvait la reproduction d’une lettre adressée à  M.  Paul  Smith, avec  une  écriture
féminine, peut-être celle d’une enfant. De l’autre côté du  fermoir, cinq lettres
énigmatiques, de la même écriture : S.W.A.L.K.
Il demanda à la vendeuse pourquoi ce modèle était si différent des autres. Montrant
le mur à côté d’elle, elle répondit que Paul Smith collectionnait les lettres qu’on lui
envoyait et que les plus belles d’entre elles étaient exposées dans les magasins. Il
lui demanda ensuite ce que signifiaient les  cinq lettres mystérieuses. Un silence.
Elle ne savait pas.
En rentrant chez lui, il essaya de résoudre cette énigme  : ces lettres signifiaient
certainement quelque chose, elles n’étaient pas là par hasard  ! Et  bien entendu,
elles avaient en fait un sens, et même une histoire  : durant la guerre, les soldats
britanniques et leurs femmes, ne pouvant écrire librement leurs sentiments et leurs
désirs dans la correspondance qu’ils échangeaient, avaient inventé des acronymes
pour contourner la censure :
• B.U.R.M.A. : Be Upstairs Ready My Angel
• M.A.L.A.Y.A. : My Ardent Lips Await Your Arrival
• B.O.L.T.O.P. : Better On Lips Than On Paper
• H.O.L.L.A.N.D. : Hope Our Love Lasts And Never Dies
Et S.W.A.L.K.  ? Sealed With A Loving Kiss (scellé d’un baiser amoureux). Quel
symbole admirable et émouvant  : sur cette bourse, objet d’intimité féminine, dans
lequel les femmes conservent d’innombrables choses précieuses et futiles, cet
acronyme, ce message d’amour, acquiert un sens authentique. Paul Smith, en
créant cet objet, l’a chargé de tout un monde d’émotions, renvoyant non seulement
à ses propres lettres (mais qui est la femme ou la fille qui lui écrit ainsi ?) mais aussi
à l’immortalité de toute correspondance amoureuse. Pour la femme qui achète cet
objet, il deviendra plus précieux que tous les autres.

Un jour, Paul Smith a dit :

« Tant de designers oublient que ce sont les clients, in fine, qui sont les VIPs. »
Il a parfaitement raison, mais l’expérience vécue par un des auteurs
montre que ce message n’est pas appliqué dans ses propres boutiques. Cet
exemple n’est qu’une illustration du fait que les marques de luxe sont
encore loin de réaliser l’importance de faire de leurs vendeurs les
dépositaires vivants de l’histoire de leurs marques et des histoires qu’elles
racontent. La relation très spéciale, très émotionnelle qui se noue entre un
consommateur et une marque doit être l’objet d’attentions constantes  :
l’histoire et son récit y ont une part essentielle. Lorsqu’il était directeur des
ressources humaines chez Bally, un des auteurs a fait de la formation et de
la montée en qualification du personnel de vente une des principales
caractéristiques de son action : il ne faut jamais oublier qu’ils jouent un rôle
clé dans la relation qui existe entre la marque et ses clients. Les vendeurs
sont les vecteurs de l’unicité de la marque et de sa communication ; ils sont
ses premiers ambassadeurs – bien avant les « people »3. Ils devraient donc
être mieux payés, mieux formés et mieux dirigés  : c’est un prix que les
marques de luxe devraient être prêtes à payer.

Le problème du retail : garder les clients

Si vous êtes entrés récemment dans un magasin d’une marque de luxe,


comme c’est le cas des auteurs durant la préparation de ce livre, vous avez
dû avoir des expériences similaires et aussi navrantes. Les situations
négatives vont du fait de n’être pas salué par des vendeurs qui ont l’air de
s’ennuyer à mourir, jusqu’à des attitudes arrogantes qui vous font vous
sentir comme n’ayant pas votre place dans le magasin. Il nous est arrivé de
voir des vendeurs nous ignorer complètement en tant que personnes ; leur
seule préoccupation semblait être de réaliser une vente, nous donnant le
sentiment de n’être guère plus qu’une carte de crédit ambulante. Une fois,
nous avons été témoins d’un cas extrême  : un vendeur venait de passer
20  minutes avec un monsieur d’un certain âge, et nous dit après l’avoir
quitté qu’il s’agissait d’un très bon client de la marque, il cherchait un
produit en particulier, qu’il n’avait pas trouvé dans son magasin habituel. Il
était venu jusqu’au magasin amiral et « reviendrait ». Lorsque nous avons
demandé au vendeur s’il avait noté les nom et adresse du monsieur en
question, pour rester en contact avec lui, nous avons reçu pour seule
réponse de la surprise.
Nous avons emmené des groupes entiers d’étudiants et de professionnels
visiter des magasins de marques de luxe, et ils en sont toujours revenus
avec les mêmes commentaires :
• Les magasins sont sales, parfois désordonnés, ne correspondant pas du
tout à l’idée du luxe qu’ils avaient en tête.
• Le personnel est arrogant ou peu investi.
À chaque fois qu’ils reviennent avec une expérience positive, ils ne
cessent de s’en extasier. Des expériences analogues faites dans les
boutiques des mêmes marques à Paris et Shanghai par exemple ont
débouché sur des interrogations fondamentales  : s’agit-il vraiment de la
même marque ? Pourquoi le style des vendeurs est-il si agressif ? Placer ses
étudiants dans la situation la plus difficile, celle de ne rien acheter tout en
adoptant une attitude de client mystère, est une excellente manière de
mesurer le type de service qu’une marque est prête à offrir à ses clients
potentiels.
Une étude (ancienne mais très révélatrice) de 2001 faite par Euromap,
une société française de marketing, est encore plus fascinante4. L’enquête
portait sur 600  femmes européennes (désignées comme «  des leaders  »),
connaisseuses du luxe et des marques de luxe. En réalité, elles en étaient
même expertes. Néanmoins, 20  % d’entre elles trouvaient le magasin de
luxe où elles font leur shopping intimidant  ! 22  % le trouvaient peu
accueillant ! 20 % avaient l’impression de déranger le personnel de vente !
Et 20  % trouvaient que les vendeurs n’écoutaient pas ce qu’elles leur
disaient ! Les choses ont-elles vraiment changé ?
Les marques de luxe sont comme des enfants gâtés : elles ont tellement
l’habitude de voir les clients faire la queue pour acheter leurs produits
(aujourd’hui les Chinois, auparavant les Japonais par exemple) qu’elles leur
accordent rarement de l’intérêt. Deux cas extrêmes méritent d’être
mentionnés :
• Il y a quelques années, une marque française, assaillie de clients
japonais, a essayé d’offrir un traitement préférentiel à ses clients
européens. Les magasins étaient organisés de telle manière que les
clients japonais faisaient la queue d’un côté et étaient traités comme du
bétail, tandis que les clients non japonais avaient droit au tapis rouge.
Heureusement, cela n’a pas duré longtemps.
• Interrogé sur l’existence d’une base clients, le directeur exécutif d’une
marque de mode italienne nous confia :

« Bien sûr que non. Ce monsieur que vous voyez là en train d’acheter une robe pour la femme
qui l’accompagne  ? C’est peut-être sa maîtresse. Ce  serait parfaitement inopportun de lui
demander qui il est, voire d’envoyer à son domicile des brochures qui pourraient lui causer des
ennuis. »

Les raisons de ne pas traiter les clients comme des individus sont
nombreuses. Des sociétés comme Tiffany (mais il s’agit d’une marque
américaine, pour lesquelles ces approches sont habituelles, alors que les
marques européennes de luxe ont des approches nettement plus « élitistes »)
ont développé des techniques informatiques de clienteling depuis plus de
40  ans, essentiellement dans l’idée de suivre les achats de chaque client5.
Ceci est une approche très imparfaite de la relation avec le client  : ce
qu’une personne achète est le fruit d’interactions complexes entre ses
souhaits, l’attitude du personnel de vente, la situation actuelle du client et la
gamme de produits actuellement proposée par la marque. Tout ceci peut et
doit être enregistré.

Gérer un magasin : un métier spécifique

La plupart du temps, lorsque les dirigeants d’une marque de luxe visitent un


de leurs magasins, ils se soucient de choses visibles : la marchandise (« a-t-
elle été livrée à temps ? »), la présentation (« ça ne va pas comme ça ») et le
chiffre d’affaires (« combien avez-vous fait samedi dernier ? »). Leur seule
interaction avec le personnel de vente, s’il y en a une, passe par le directeur
du magasin. Les marques de luxe les mieux gérées considèrent leurs
magasins comme des entités économiques à part entière, qui doivent avoir à
leur tête un vrai professionnel, dirigeant et animant une équipe de vendeurs
motivés et bien formés. Louis Vuitton en a fait un véritable avantage
concurrentiel. Ils engagent des directeurs de magasins diplômés de grandes
écoles ou titulaires d’un MBA, organisent de grands programmes de
formation pour le personnel de vente et ont une politique salariale en
conséquence.
Les dirigeants de magasins et leurs équipes de vente doivent être
considérés comme des professionnels et, de ce fait, recevoir une attention
particulière. Ceci implique de s’assurer que les résultats des employés vont
dans le sens des objectifs économiques de la société et motivent leur
investissement, ce qui pose quatre questions fondamentales :
• Recrutement : les marques de luxe doivent reconnaître que leur pool
de recrutement traditionnel (les autres marques de luxe le plus
souvent) ne peut constituer qu’une de leurs sources de recrutement.
C’est le talent qu’elles doivent rechercher, et le talent se trouve dans
les services – des secteurs cruciaux comme l’hôtellerie de luxe voire la
banque privée. Les directeurs de magasins doivent être considérés
comme des dirigeants d’entités économiques dont les capacités dans le
domaine doivent être établies. Traditionnellement, il s’agissait de bons
vendeurs qui avaient été promus. Dans le contexte actuel, ceci peut
être catastrophique parce que leurs capacités de direction peuvent se
révéler très minces et leurs compétences économiques inexistantes.
Recruter des diplômés de Grandes Écoles ou de MBA directement
comme directeur de magasin est tout à fait novateur et peut se révéler
une réussite si on leur donne des incitations sur le long terme en
matière d’évolution de carrière (voir Outil  2 chapitre 14  : Gérer les
recrutements).
• Rémunération  : habituellement, la rémunération du personnel de
vente présente deux caractéristiques principales. Elle est faible et sa
structure varie d’une région à l’autre. En Europe, la composante fixe
en sera une part substantielle et la composante variable, individualisée,
nettement plus faible  ; aux États-Unis, la quasi-totalité de la
rémunération sera liée aux performances individuelles de vente  ; au
Japon, il y aura une composante fixe et une composante variable
collective.
• Deux problèmes doivent être abordés : les niveaux de rémunération
globaux doivent être augmentés6 et il faut introduire un système de
rémunération unique7, qui inclut une part fixe (pour que les vendeurs
se sentent en sécurité), une part variable individualisée (pour
récompenser le mérite individuel) et une part variable collective (pour
récompenser le travail d’équipe) (cf. cas d’entreprise «  Comparaison
des salaires du personnel de vente en Europe  », chapitre 10, et voir
Outil no  7 chapitre 14  : «  Concevoir un système de rémunération
équitable »).
• Développement des compétences  : pour être un vendeur ou un
directeur de magasin efficace, il faut des compétences spécifiques dont
la marque doit continuellement chercher à assurer le développement.
Formation à la marque, connaissance des produits, techniques de
constitution de clientèle, techniques de direction de magasin,
techniques de direction d’équipe sont essentielles. La formation est
incontournable pour fixer les normes et faire circuler les
connaissances. Néanmoins, cela ne pourra commencer à faire évoluer
les comportements que si elle comprend des activités réelles et des
retours d’expériences dont les gens peuvent apprendre (plutôt
qu’uniquement des cours et des exposés) et si elle est assortie d’un
suivi continu sur le terrain.
• Les dirigeants ont un rôle clé à jouer ici  : ils doivent soutenir les
initiatives de formation en étant présents durant leur mise en œuvre et
leur suivi de manière à envoyer un message clair. Le rôle des
formateurs de la marque est en fait de former les directeurs de magasin
en leur apportant les compétences, les outils et le soutien nécessaire
pour diriger les performances de leurs employés. Les formateurs sont
des consultants en performance et doivent développer un partenariat
authentiquement fonctionnel avec les gestionnaires de la marque de
manière à pouvoir à la fois évaluer l’attitude nécessaire à de bonnes
performances et instiller cette attitude. (Voir Outil no  1 chapitre 14  :
«  Une organisation commerciale standard  », et Outil 4  : «  Fiches de
poste ».)
• Évolution de carrières : traditionnellement, le personnel de vente ne
sort pas de la fonction « vente ». Les meilleurs d’entre eux deviennent
directeurs adjoints ou directeurs de magasin, ou sont débauchés par la
concurrence. On observe ainsi un étrange ballet autour de la place
Vendôme ou de l’avenue Montaigne à Paris, de la Via Monte
Napoleone à Milan, de Plaza 66 ou IAPM à Shanghai –  comme de
toutes les artères du luxe mondial  : les gens passent d’une marque à
l’autre, avec une hausse de salaire à chaque fois, pour finalement
revenir « à la maison ». La hausse qu’ils n’auraient jamais obtenue en
restant dans le même magasin sera ainsi obtenue en tournant. Il faut
donner des incitations claires en termes de déroulement de carrière au
personnel de vente et de direction des magasins. Il existe au moins
quatre déroulements de carrière possibles, et chacun doit être pris en
compte (voir Outil no 5 chapitre 14 : « Déroulement de carrière ») :
– Changer de magasin ou de catégorie pour développer les
compétences de l’employé.
– Passer directeur adjoint ou directeur de magasin.
– Devenir acheteur pour la marque, localement ou au siège (selon
l’organigramme de la marque)  : leur expertise concernant les
ventes locales est un atout ici.
– Devenir formateur.

 Cas d’entreprise
Comparaison des salaires du personnel commercial
en Europe
Un des auteurs –  alors DRH d’une marque de luxe  – a commandé une étude à
l’échelle européenne pour comprendre les différences de rémunération du personnel
commercial entre les différentes marques de luxe. Deux catégories de personnel ont
été examinées  : les directeurs de magasins et les vendeurs. Les résultats ont été
édifiants, et ont conduit l’auteur à redéfinir complètement le système de rémunération
du personnel commercial de la marque.
Les résultats de cette étude sont obsolètes, mais les principaux enseignements sont
toujours valides, en particulier les trois suivants :
1. Les niveaux de rémunération varient d’une ville à l’autre, à cause des
différences de pouvoir d’achat ; c’est le cas partout.
2. Les niveaux de rémunération varient beaucoup d’une marque à une autre. Par
exemple, au moment de l’enquête, dans une certaine ville, les vendeurs chez
Gucci ou Chanel pouvaient gagner environ 50 % de plus que ceux chez Bally
ou Hermès.
3. Les systèmes de rémunération varient beaucoup entre les marques et au sein
d’une même marque. Prenons l’exemple de la marque  X. Les directeurs de
magasin étaient payés :
– à Paris/Milan/Londres/Munich : salaire fixe + part variable individualisée
– à Genève/Bruxelles/Madrid : salaire fixe + part variable collective
Pour la marque Y, c’était une autre histoire :
– à Londres/Genève/Bruxelles/Madrid/Milan : salaire fixe.
– à Munich : salaire fixe + part variable individualisée.
– à Paris : salaire fixe + part variable collective.
Ceci signifie que les structures de rémunération ne sont pas déterminées par la
culture locale (puisque dans une même ville, elles varient d’une marque à une autre)
mais par l’histoire locale de la marque, et le fait regrettable qu’aucune stratégie
européenne de rémunération n’ait été conçue à l’époque. Ce que confirme la
structure des rémunérations dans la société où travaillait l’auteur  : comme nous le
savons, le système de rémunération à un impact significatif sur la manière dont se
noue la relation client. Ceci implique que les marques de luxe, si elles
considèrent cette relation comme stratégique, doivent d’abord et avant tout
revoir leurs systèmes de rémunération du personnel commercial.

Construire la relation-client : le défi du service individuel

Le défi qui se pose de plus en plus aux marques de luxe est celui du
développement de la fidélité des clients, qui ne peut être réalisé, au niveau
du magasin, que grâce à la qualité de service.

Les consommateurs du XXIe  siècle veulent être perçus comme des
individus, pas comme des porteurs anonymes de cartes de crédit
susceptibles, dans le meilleur des cas, de recevoir une offre fondée sur leur
dernier achat à (par exemple) Carrefour, parce que Carrefour a mis en place
un système d’analyse des données d’achats. Ou de voir sur l’écran, en se
connectant à Amazon, « Bonjour M. X, Nous avons des recommandations
pour vous  ». Ces entreprises possèdent une technologie qui vous
recommande des produits en fonction de vos derniers achats, et ils vous
demandent d’améliorer ces recommandations en leur donnant des
informations supplémentaires sur votre appréciation des produits achetés.
Carrefour et Amazon considèrent les gens qui achètent chez eux comme
des clients et non simplement comme des clients anonymes, ce qui au
moins constitue un pas dans la bonne direction.
Mais les clients du XXIe siècle veulent être considérés comme des clients
individuels  : ils veulent être reconnus, considérés dans leur singularité,
choyés et rassurés. Et ils savent faire la différence entre une offre
automatique générée par ordinateur et une offre authentiquement
personnelle.
Le défi pour les marques de luxe est de s’appuyer sur un de leurs mythes
constitutifs  : leurs clients leur importent. Elles doivent apprendre à
développer des relations individuelles avec tous leurs clients, pour les
satisfaire et leur donner envie de revenir dans n’importe lequel des
magasins de la marque. Elles doivent devenir des sociétés de services de
luxe.
À cette fin, cinq objectifs sont déterminants :
• Développer le clienteling : chaque client doit être reconnu comme tel
et il faut chérir ses informations personnelles. Le clienteling signifie
établir une relation interpersonnelle entre un vendeur et un client. Ceci
ne se peut qu’à travers des attitudes spécifiques et avec l’aide d’outils
dédiés.
• Les vendeurs doivent se concentrer sur les clients : chaque personne
entrant dans le magasin doit être considérée comme un futur client,
que ce soit aujourd’hui ou dans un an, que ce soit dans ce magasin ou
dans n’importe lequel des autres magasins de la marque. Chaque client
devrait être évalué et profilé, ses motivations et ses attentes devraient
être rapportées et chaque élément d’information conservé. Les clients
révèlent sans cesse des informations à leur sujet pour qui est attentif :
dans la conversation, en expédiant ou recevant des paquets (adresse
professionnelle, de villégiature ou autre), en choisissant des présents
(noms, goûts, adresses et événements significatifs dans la vie des
parents, amis, collaborateurs), dans les conversations entre clients, sur
leurs cartes de visite. L’objectif de chaque vendeur est que ses clients
aient confiance en lui ; ce n’est qu’alors qu’ils pourront le considérer
comme un conseiller compétent.
• Les outils peuvent aller du plus élémentaire au plus compliqué.
Le  client book est un outil élémentaire que chaque vendeur devrait
avoir. Il leur permet de développer une connaissance intime de leurs
clients, de devenir leur conseiller et de préparer la saison8. Une
solution informatique avec un logiciel de CRM et une base de données
peut être une alternative, à condition d’inclure toutes les informations
qualitatives que les vendeurs recueillent au sujet des clients, et pas
seulement des chiffres, dans la mesure où le cadre légal dans lequel se
trouve le magasin autorise la collecte de ces informations.
• Faire de la qualité de service la pierre angulaire de la relation-
client : shopping sur rendez-vous, présentations privées, constitution
de garde-robe, livraisons des achats (ou centralisation dans un grand
magasin), notes manuscrites de remerciements, information aux
touristes sur le directeur du magasin le plus proche de chez eux dans
leur pays d’origine ; voici quelques-uns seulement des services qu’un
client peut se voir proposer dans le magasin d’une marque de luxe9. Il
est aussi possible de développer des récompenses financières, comme
le font avec succès Neiman Marcus (programme InCircle) et Saks
Fifth Avenue (Saks First) depuis les années 1980. Les niveaux de
services doivent être décidés au siège de la marque, et la mise en
œuvre au niveau des magasins est ensuite cruciale.
• Reconnaître le rôle central du personnel de vente : chaque vendeur
a un rôle essentiel à jouer pour identifier le client, se soucier de ses
besoins et lui fournir le meilleur des services. Comme le disait Russell
Reynolds Associates dans une de leurs brochures  : «  Ce n’est pas
l’information qui fait une société ; ce n’est pas la science ; ce n’est pas
l’intuition ; ce ne sont pas les promesses ; ce ne sont pas les volumes ;
ce ne sont pas les frontières ; ce sont les gens. » Ceci nous ramène au
recrutement, à la rémunération, à la formation et au déroulement de
carrière. Ceci nous rappelle aussi les rôles respectifs du personnel et
des clients dans leur relation. La plupart du temps, ces rôles sont
asymétriques  : soit le vendeur considère le client comme un parasite
(attitude arrogante), soit il le considère comme une sorte d’être
supérieur qui peut dépenser en cinq minutes ce qu’il gagne en un mois
(attitude d’infériorité). Une relation symétrique devrait être construite
sur le fait que vendeur et client sont sur un pied d’égalité, et
s’engagent dans une transaction commerciale. Ritz-Carlton s’est ainsi
forgé une devise sur laquelle toutes les marques de luxe devraient
méditer  : «  We are Ladies and Gentlemen Serving Ladies and
Gentlemen. ». On peut aussi s’inspirer du modèle des Grands Vendeurs
développés par les marques de joaillerie10.

 Cas d’entreprise
Les quatre profils de vendeurs11
Le rapport annuel Wharton sur le mécontentement des clients a établi que ce
mécontentement est causé essentiellement par des questions liées au personnel
plutôt qu’au magasin ou aux marques. Ceci a conduit les auteurs de l’étude à
identifier les principaux traits de caractère que devrait avoir un vendeur idéal. Ils sont
au nombre de quatre :
– Le plus important est de savoir faire le premier pas. Les vendeurs correspondant
à cette description sourient et savent interrompre leur activité, quelle qu’elle soit,
pour aider un client. C’est l’absence de ce trait qui est la plus frappante
globalement, et dans tous les types de magasins.
– Le deuxième trait le plus important chez un vendeur est d’être un « éducateur ».
Il est capable d’expliquer les produits, de donner des conseils et de dire aux
clients où l’on peut trouver les produits. Le vendeur vous aide-t-il à trouver ce
que vous cherchez, vous donne-t-il des informations, vous apprend-il quelque
chose ?
– Autre trait du vendeur idéal, une certaine diligence. Il est sensible au temps des
clients et les aide à ne pas le perdre dans les files d’attente. Il sait que, grâce à
son intervention, les choses avancent. Quelqu’un a remarqué le problème et
s’est dérouté pour y remédier.
– Enfin, l’étude montre que les clients veulent des vendeurs « sincères », qui les
laissent naviguer à leur gré, et se montre authentiquement intéressés par le fait
de les aider, qu’ils achètent ou non quelque chose.
Les bons vendeurs mêlent ces quatre traits de caractère.

L’essentiel
►► Quel que soit le parcours client (online et/ou offline), au bout du compte
c’est la qualité de la relation nouée en boutique qui fera la différence.
►► Les marques doivent reconnaître le rôle central du personnel de vente,
les seuls au contact direct des clients. De multiples formes de reconnaissance
et d’empowerment doivent être mises en place.
►► La performance des vendeurs et vendeuses est liée au modèle de
rémunération : les marques doivent le sophistiquer afin d’inclure des
dimensions variables individuelles et collectives.
►► Le service individualisé et personnalisé est le prochain défi pour les
marques de luxe.
Chapitre 11

L’expérience client et la fidélisation


« Lorsque les gens entrent dans un magasin Louis Vuitton, ils devraient y trouver
le meilleur niveau de service au monde. »
Bernard Arnault1

Offrir un service incomparable et une relation personnalisée avec chaque


client est le principal défi que doivent relever les marques de luxe
aujourd’hui. Comment y parvenir ?
Nous proposons six étapes essentielles :
• Se concentrer sur le client, en le plaçant au centre.
• Faire que les clients réguliers deviennent des avocats de la marque.
• Offrir une expérience unique – et la mettre en œuvre.
• Définir le contrat entre la marque et les clients et adopter des outils
spécifiques pour l’optimisation du commerce (segmentation de la
clientèle, CRM, etc.).
• Définir les parcours des clients.
• Penser le design de l’expérience vécue par le client.
L’industrie du luxe doit maintenant faire face à quatre questions majeures
concernant ses clients, questions qui modèleront son avenir :
• Partout dans le monde, les clients du luxe cherchent plus que
simplement le produit  : ils attendent une expérience et une
personnalisation de la relation. Ils recherchent un niveau de service
qui est bien au-delà de ce que les marques de luxe offrent aujourd’hui.
Les études de Bain sur le luxe l’attestent année après année. Dans leur
rapport 20172 ils mettent en avant que le luxe « change de peau » : il se
« millenialise », l’ensemble de ses clients recherchant maintenant une
nouvelle relation au luxe, inspirée de celle beaucoup plus informelle,
portée par la génération des millenials (nés après 1980). Bain identifie
entre autres deux éléments essentiels autour desquels les marques de
luxe doivent construire leurs stratégies : la recherche d’expériences de
luxe (voyages, gastronomie, boissons, arts, maison…) et le sentiment
d’appartenir à une communauté tout en exprimant son propre style.
Les marques de luxe traditionnelles sont donc confrontées à la
concurrence de nouveaux services ou produits comme de marques
nouvelles telles les marques de streetwear. Elles doivent donc
apprendre à transformer leurs espaces de vente en lieux d’expériences
entre online et offline. Ceci passera par de nouvelles compétences –
  particulièrement au niveau de la vente et du marketing  – et une
nouvelle manière de construire sa relation au client.
• L’industrie du luxe pénètre de nouveaux marchés (comme l’Inde et la
Chine), qui seront des leviers pour sa croissance future, mais en même
temps elle devra trouver des relais de croissance sur les marchés
matures : les marques devront donc s’adapter à différentes cultures au
sein de leur clientèle et faire face à la transformation des attentes des
clients sur les marchés matures. Ceci nécessitera de trouver le bon
équilibre entre nouveaux marchés et nouveaux clients, et dynamiser les
revenus à court terme dans ces régions tout en maximisant les revenus
à long terme grâce aux clients existants sur les marchés matures.
Malheureusement, le très fort développement de la clientèle de
touristes étrangers (Chinois, Russes, Brésiliens…) dans leurs boutiques
européennes ou américaines ne les incite guère à cela.
• Le commerce est un métier que, traditionnellement, les marques de
luxe ne maîtrisent pas. Les plus importantes (souvent celles faisant
partie des grands groupes) l’ont acquis depuis la période de
développement des boutiques en propre –  le milieu des années  1990.
Comme nous l’avons vu au chapitre précédent, les enjeux sont
cruciaux pour les marques dans chacun de leurs magasins car c’est là
que la marque rencontre ses clients. Elle doit donc recruter des
managers, former des experts en vente et revoir les grilles de
rémunération. Un cadre dirigeant du luxe venant des Grands Magasins
a confié à un des auteurs sa surprise lorsqu’il a été recruté comme
Directeur Général France d’une célèbre marque italienne  : «  tout est
organisé autour de la création et du calendrier créatif  ! Ils n’ont
aucune véritable structuration retail  ». C’était bien pour cela qu’il
avait été recruté : transférer les savoir-faire retail des Grands Magasins
dans la marque.
• Nouer des relations durables avec les clients nécessite de la part des
marques de luxe qu’elles définissent de réelles stratégies de relation-
client.
Ceci signifie que, enfin, le client doit être roi pour les marques de luxe.
Les marques qui ont construit leur croissance sur un modèle strictement
pyramidal pour attirer de nouveaux clients (plus de produits dans plus de
magasins dans plus de pays) doivent au lieu de cela imaginer comment elles
peuvent développer leur activité en ayant des clients fidèles qui reviennent
souvent (et contribuent ainsi à dynamiser le revenu et la rentabilité). Elles
doivent s’assurer que le client est bien au centre de toutes leurs activités et
elles doivent devenir vraiment «  centrées client  » dans leur approche.
Malheureusement, beaucoup de marques ont du mal à accepter ce type de
transfert de pouvoir vers le client, parce qu’elles pensent qu’il est nécessaire
d’exercer un contrôle total.

Étape 1 : se concentrer sur le client

Les marques de luxe dépensent beaucoup d’argent pour lancer de nouveaux


produits, ouvrir de nouveaux magasins et envoyer des messages à leurs
clients via les canaux traditionnels de communication –  les dépenses
marketing peuvent représenter plus de 15  % du chiffre d’affaires annuel.
Mais pas un centime de cet argent ne vaut autant que le fait de rencontrer
les clients. Lorsque les clients se rendent en masse en boutique, pourquoi se
soucier de qui est tel client, ou quelles sont ses attentes  ? Nous pouvons
donc comprendre la ruée vers la Chine (où les marques de luxe, passé
l’enthousiasme des premières années, ont constaté qu’elles y avaient trop de
magasins et ont donc été amenées à en fermer) et vers les marchés
émergents (Louis Vuitton et Zegna ont ouvert des magasins dans la capitale
mongole, et Gucci a ouvert des magasins en Azerbaïdjan et à Ekaterinbourg
en Russie centrale). Beaucoup de marques préféreront donc ouvrir des
nouveaux magasins dans les nouveaux marchés.

« Aucun d’entre nous ne vend des produits de première nécessité ; le luxe est affaire de désirs
que l’on crée et que l’on satisfait. »
Belinda Earl, PDG de Jaeger3.
Voyons les choses en face : les marques de luxe courent le risque de la
trivialisation4. Avoir un trop grand nombre de magasins tue le sentiment
d’exclusivité nécessaire pour qu’une marque de luxe puisse asseoir son
image – il n’y avait qu’un magasin Hermès et demi, à Paris, jusqu’en 2010 ;
il y en a 3 aujourd’hui, mais il y en a 7 à Hong Kong ! Les marques de luxe
ne semblent pas conscientes de cela. De surcroît, elles doivent faire face à
un autre problème : le déclin du chiffre d’affaires par mètre carré dans les
magasins existants.
Quatre facteurs principaux ont contribué à ce déclin :
• La crise économique ;
• L’émergence d’Internet, qui contribue au transfert du pouvoir vers le
consommateur ;
• Les nouvelles mégatendances de consommation, parmi lesquelles
l’importance croissante de l’«  éco-  » attitude et du développement
durable ;
• La situation en Asie. Les marques de luxe ont commis récemment les
mêmes erreurs en Chine que quelques années auparavant au Japon.
Nous indiquions dans notre première édition que le Japon est un
marché très important pour le luxe, dans lequel, convaincues que
l’appétit des consommateurs pour leurs produits durerait toujours, les
marques ont ouvert magasin sur magasin (en 2012, lors de la rédaction
de la première édition de ce livre, Burberry avait 75 magasins au Japon
et seulement 32 aux États-Unis, Hermès 64 contre 30, Prada 35 contre
15 et Bulgari 31 contre 17  ; en d’autres termes, deux fois plus de
magasins au Japon qu’aux États-Unis, bien que les marchés soient de
tailles comparables), alors même que les ventes y baissaient depuis
2006. La situation en Chine est tout à fait identique – les marques de
luxe y sont surexposées :
– En 2009, les 18 marques les plus importantes ont ouvert
150 magasins, en 2010 160 magasins, 150 magasins en 2011, 160
en 2012, 100 en 2013.
– En 2015, les 20 marques les plus importantes totalisaient
1 125 boutiques. Elles en ont fermé 144 en 2016 et 2017 et en ont
ouvert 138. On assiste enfin à une stabilisation du nombre de
magasins (à un niveau très élevé)5.
Par conséquent, les marques de luxe réalisent (lentement) que les
marchés mûrissent plus vite qu’elles ne le pensaient. Se concentrer sur leurs
clients actuels est devenu une question clé et l’optimisation commerciale
figure désormais tout en haut de leur liste de priorités6. Elles s’efforcent de
devenir de meilleurs commerçants pour améliorer leurs chiffres d’affaires
au mètre carré et doivent donc recueillir des informations approfondies sur
leurs clients et leurs attentes.
Les sociétés doivent en permanence améliorer leurs résultats et sont
soumises à une pression toujours plus forte pour y parvenir (par exemple
sur leurs dépenses marketing et leur retour sur investissement). Cet accent
sur la collecte de données, les mesures et les résultats est présent depuis
maintenant très longtemps dans les secteurs des cosmétiques ou des vins et
spiritueux, où les marques de luxe se sont toujours affrontées à des marques
de masse dans les mêmes canaux de distribution. Mode, montres et
joaillerie, principalement distribués via des canaux très sélectifs, doivent
maintenant relever des défis similaires.
Les stratégies marketing traditionnelles des marques de luxe sont
inopérantes ici  : above-the-line/sponsoring/endorsement par des
vedettes/placement de produit/publicité, tout ceci n’aide guère à nouer des
relations personnalisées avec les clients.

 Cas d’entreprise
La question de la fréquentation
Tous les magasins de luxe n’ont pas à gérer le même niveau de fréquentation. Voici
quelques jalons :
– Magasin amiral d’une marque de mode française (à Paris) : 800 clients par jour
(3 000 pendant les soldes).
– Magasin amiral d’une marque de mode italienne (à Paris) : 600 clients par jour
(1 000 le samedi).
– Magasins d’une marque française de maroquinerie (à Paris)  : magasin amiral,
4  000  clients par jour  ; magasin secondaire, 500 clients par jour (1  000 un
samedi).
– Magasin amiral d’une marque de joaillerie française (à Paris)  : 25  clients par
jour.
– Magasin amiral d’une marque européenne de biens durables de luxe (à Paris) :
100 clients par jour.
– Parfums et cosmétiques dans le magasin amiral d’un distributeur haut-de-
gamme (à Paris) : 9 000 clients par jour (20 000 le samedi).
Inutile de préciser qu’il y a une grosse différence entre le fait de gérer 25 clients par
jour et celui d’en gérer 30  000. Pour ce qui nous concerne dans ce chapitre, étant
donné que la distribution de parfums et cosmétiques en open-space appartient à une
catégorie très différente, concentrons-nous sur les points de vente plus traditionnels
des marques de luxe. Il nous semble que plusieurs modèles de luxe sont à l’œuvre
ici :
– Modèle  1  : Modèle de ventes privées. Dans des magasins avec moins de
100 clients par jour, le nombre de vendeurs est typiquement d’environ 7, ce qui
fait une dizaine de clients par vendeur par jour. La  marque organisera ses
ventes sur la base d’un contact en tête à tête : chaque client recevra le temps et
l’attention nécessaires pour finaliser la vente.
– Modèle  2  : Modèle de ventes de luxe. Les magasins accueillant 500 à
800 clients par jour auront typiquement 35 à 50 vendeurs, soit environ 15 clients
par vendeur et par jour. La marque s’efforcera de maintenir toujours le bon
équilibre entre la perception du luxe et la pression du nombre de clients.
– Modèle  3  : Modèle de processus professionnel. Les magasins avec plus de
1  000  clients par jour auront quelque 200  vendeurs, soit jusqu’à 20  clients par
vendeur par jour. Le processus de vente est complètement professionnalisé,
mais la marque doit faire attention à ne pas obérer la perception du luxe.

Étape 2 : L’effet fidélité – transformer les clients réguliers


en avocats de la marque

Les marques de luxe, qui se sont toujours concentrées sur les techniques
traditionnelles du marketing, entrent désormais dans l’ère de la relation-
client.
Des repères permettent de mieux voir l’impact commercial positif des
stratégies marketing de fidélisation. Elles augmentent la dépense moyenne
par client de 7  % et la fréquence des visites en magasin de 10 %. De tels
points de référence montrent aussi l’importance du bouche-à-oreille :
• La probabilité d’un bouche-à-oreille positif de la part des membres du
programme de fidélité est 1,7  fois plus grande que par les non-
membres7 ;
• Le bouche-à-oreille est un driver des ventes ;
• «  Sur une semaine typique, le consommateur américain moyen
participe à 121  conversations, dans lesquelles des noms de marques
sont mentionnés 92  fois. Pris sous un autre angle, les Américains
participent à 3,5 milliards de conversations chaque jour ! Les marques
sont évoquées 2,3  milliards de fois par jour. Les marques, on peut le
dire, sont un élément majeur des conversations américaines8. »
Mais les marques de luxe devraient avoir conscience de l’omniprésence
des termes « fidélité » et « satisfaction client ». Il est intéressant de revenir
à un article fondateur, paru dans la Harvard Business Review en 20039, qui
montrait que «  une question peut à elle seule servir d’indicateur de
croissance future (…) la propension des clients à recommander un produit
ou un service de la marque à quelqu’un d’autre. » La formulation exacte de
la question était  : «  Recommanderiez-vous la marque X à un ami ou un
collègue  ?  » S’ensuit l’établissement d’une échelle séparant «  les
promoteurs de la marque » – ceux des clients ayant les taux d’achats et de
recommandation les plus élevés, répondant à la question par une probabilité
de 9 ou 10 sur 10, et les «  détracteurs de la marque  », avec des réponses
entre 0 et 6, et les « satisfaits passifs » répondant 7 ou 8. En allant un pas
plus avant, l’article recommande de représenter graphiquement la
croissance des revenus de la marque en fonction de son taux de
« promoteurs » net, c’est-à-dire le pourcentage de promoteurs moins celui
de détracteurs. Cette étude passionnante (suivie de beaucoup d’autres)
montre que :
– le bouche-à-oreille est crucial pour une marque
– les détracteurs peuvent être dangereux
– les promoteurs sont de véritables avocats de la marque
– une marque devrait se soucier au plus haut point de transformer ses
clients en promoteurs.
D’autres études importantes ont confirmé que la promotion assurée par
les clients était un facteur de croissance dans toutes les catégories. Les
marques et les sociétés jouissant de taux de promoteurs net élevés et de taux
de bouche-à-oreille négatif faible connaissent une croissance quatre fois
plus forte que les sociétés ayant de faible taux de promoteurs et des taux
élevés de bouche-à-oreille négatif10.
La plupart des sociétés commerciales sont à la peine quand il s’agit de
nouer des relations solides avec leurs clients, comme le montre la
figure 11.1.

Source : « 2007 Customer Focused Apparel Retailer Studies »,


IBM Institute for Business Value.

Figure 11.1 – La plupart des distributeurs de vêtements ont du mal à développer


des relations fortes avec leurs clients

La question critique est donc  : comment une marque de luxe peut-elle


faire de ses clients des avocats de la marque ? Notre réponse est simple : il
faut procurer au client une expérience qui dépasse ses attentes et ses repères
précédents. Chaque client garde en tête des expériences similaires –  très
souvent en dehors du luxe – qui fonctionnent comme des jalons. Imaginez
une expérience parfaite chez Apple, où la marque vous propose un transfert
fluide et sans encombre de tout le contenu de votre ancien ordinateur sur
votre nouveau Mac grâce à son service One to One. Ceci deviendra votre
jalon en termes d’expérience (cf. cas d’entreprise «  Weston –  Un  service
magnifique », plus loin).
Cela demeure valide quel que soit le modèle de vente. Si une marque
opte pour un modèle personnalisé, elle devrait connaître ce que seront les
attentes du client avant même que celui-ci franchisse le seuil du magasin, et
elle devrait se préparer à dépasser ces attentes, de manière à marquer un
nouveau jalon en termes d’expérience vécue dans l’esprit du client.
Les conséquences en sont autant de défis à relever pour les marques de
luxe. Par exemple, une marque ayant différents magasins avec des niveaux
de fréquentation différents devra mettre en œuvre des modèles de vente
différents pour tenir compte de la différence des situations (le modèle de
vente de luxe dans son flagship (A), et le modèle personnalisé dans son
magasin secondaire (C). Elle devra trancher un dilemme cornélien : est-ce
que nous offrons le même niveau d’expérience partout, ou bien proposons-
nous des expériences différentes à des clients qui pourraient être les
mêmes ?
Un exemple typique est celui de Louis Vuitton, une marque qui, étant
donné la fréquentation de ses magasins, fait face quotidiennement à ce
problème. Une première réponse a été donnée par Bernard Arnault à des
experts lors de la présentation des résultats de LVMH pour 2009  :
«  Lorsque les gens entrent dans un magasin Louis Vuitton, ils devraient y
trouver le meilleur niveau de service au monde.  » Yves Carcelle, alors
président de Louis Vuitton, ajoutait : « Nous concentrons nos énergies pour
offrir à nos clients une expérience plus raffinée. » Or au même moment des
clients (fortunés) en famille avec une poussette pour bébés se voyaient
refuser l’entrée du magasin amiral des Champs-Élysées au prétexte que
celui-ci fermait « bientôt » (une demi-heure plus tard).
Ceci montre comment les grandes marques de luxe sont en train de
déplacer leur centre d’attention vers la qualité de service – et pas seulement
pour leurs VIPs  – et ont malgré tout encore bien des difficultés à y
parvenir !
Alors que les marques de luxe ne font que commencer à chercher à
construire une telle offre, l’hôtellerie de luxe en a une longue expérience –
 parce qu’ils ont toujours dû se concentrer sur les attentes de leurs clients et
non sur les promesses de la marque.
La pire expérience qu’un client fasse en général lors d’un séjour dans un
hôtel est le passage à la réception à son arrivée  : faire la queue après un
voyage fatigant peut être énervant. Four Seasons a prévu une expérience
client unique pour ses meilleurs clients : lorsque vous descendez de voiture,
une personne vous conduit directement à votre chambre où sera effectuée
directement une version personnalisée des formalités d’enregistrement.
Ritz-Carlton offre un autre exemple d’un tel succès. Portés par leur
devise11, ils ont mis au point une méthode unique de saisie des données dans
leur CRM, de sorte que, si vous demandez un oreiller à cause de douleurs
au dos, vous en trouverez un vous attendant dans votre chambre lors de
votre prochain séjour dans un hôtel Ritz-Carlton. Ou, si vous retournez dans
un de leurs hôtels, vous retrouverez la même babysitter pour s’occuper de
vos enfants (« vous comprenez ils me connaissent »…).

Étape 3 : Offrir une expérience unique – et en tirer


les conséquences pour ce qui est de l’organisation interne

L’expérience ne se réalisera vraiment avec succès que si tous les points de


contact sont en phase et si tout le personnel, qu’il soit de vente, du
marketing, ou de direction, est convenablement informé et –  surtout  –
convaincu et motivé. L’expérience se construit à tous les niveaux de la
société, ce qui aura cinq conséquences importantes pour les marques de
luxe :
• L’organisation de la marque devrait être repensée d’une manière qui
place la focale sur le client. Une attention particulière devrait être
accordée aux systèmes d’information et aux éléments transversaux des
projets. Ceci implique qu’une telle culture orientée vers le client
devrait être inscrite dans tous les recrutements à venir (et pas
seulement ceux du personnel commercial).
• La formation devra porter également sur la culture de la marque, les
valeurs et des éléments d’orientation de la qualité de service – et non
seulement sur le règlement et les procédures.
• Il sera nécessaire de recruter de nouveaux talents pour les postes de
directeurs des performances retail, directeurs CRM, directeurs des
programmes de fidélisation et directeurs des services clients.
• L’évaluation du personnel de vente devra comprendre de nouveaux
critères  : priorité donnée au service, connaissance de la culture de la
marque et compétences à se comporter en ambassadeur de la marque.
• Les grilles de rémunération devront récompenser les comportements
fondés sur les valeurs de la marque, de manière à renforcer l’attention
portée au client et la capacité à offrir à ce client une expérience unique
(cf. cas d’entreprise « la question du système de rémunération »).
 Cas d’entreprise
La question du système de rémunération
Comme nous l’avons vu au début de ce chapitre, les systèmes de rémunération
varient d’une marque à une autre et d’un pays à un autre. En partant d’exemples
réels, examinons certaines situations sur lesquelles les systèmes de rémunération
ont un impact très clair :
– Cas  A  : un vendeur reçoit soit une commission mensuelle variable sur ses
ventes soit se trouve en concurrence dans un système interne indexé sur une
variable « panier » où la personne qui réalise le « panier » le plus élevé sur une
période donnée reçoit un bonus. Entre dans le magasin un client (irrité) ayant
une question d’après-vente –  qui ne conduira clairement pas à une vente. La
plupart du temps, étant donné que le processus après-vente est long (pour des
raisons administratives  : avez-vous votre facture  ? Où avez-vous acheté cet
article ? Peut-on voir ce qui fait problème ?), le vendeur n’aura pas de motivation
à s’assurer que le client reparte satisfait.
– Cas B : de nombreuses marques de luxe ont mis au point des programmes de
reconnaissance (employé du mois, par exemple) conduisant à des
comportements antagonistes entre les vendeurs plutôt qu’incitant à la
coopération. Pourtant, servir un client, en particulier un client non satisfait,
requiert assez souvent la coopération de plusieurs employés du magasin. Les
vendeurs devraient donc être incités à coopérer. Par exemple, on peut utiliser
des concours d’innovations contribuant à optimiser l’expérience de la marque
vécue par le client. Un exemple excellent en est le concours « Make Nordstrom
Special  » qui contribue à renforcer les valeurs du groupe et l’excellence du
service fourni au client12.
– Cas C : traditionnellement les marques de luxe offrent des commissions à leur
personnel de vente sur la base du chiffre d’affaires constaté. Nous avons vu au
chapitre 7 combien les clients du luxe voyagent. Une vente pour une pièce
importante pourra débuter à Londres et se voir conclure à Dubai. Dans cette
organisation traditionnelle la commission sera entièrement donnée à la boutique
de Dubai  ! Toutefois de plus en plus de marques sont conscientes de la
complexification des parcours clients et mettent en place des partages de
commissions –  chaque boutique étant intervenue dans la vente recevant une
commission spécifique.
On retrouve la même situation online : travailler avec des influenceurs peut amener
la marque à constater que dans le parcours complexe qui mène à l’achat, plusieurs
influenceurs ont «  influencé  » le choix final du client  : un premier amènera le futur
client une première fois sur le site de la marque et un second (ou un troisième  !)
déclenchera l’achat. Comment les rémunérer  ? Il existe maintenant des systèmes
d’affiliation offrant des partages de commissions (split commissions) entre les
différentes personnes étant intervenues dans le parcours client vers la vente finale.
 Cas d’entreprise
Ce que les clients américains attendent des marques
de luxe
Nombre d’études ont porté sur les attentes des clients du luxe dans différentes
parties du monde. Voici les principaux résultats pour les clients aux États-Unis – et
nos recommandations en découlant.

■ Les marques de luxe dans les grands magasins


Pour une étude d’Alix Partners parue dans le numéro du 13 juillet 2006 de WWD, il a
été demandé aux clients de classer, sur une échelle de 1 à 5, une série de leurs
attentes en matière de shopping pour cinq magasins  : Saks Fifth avenue, Neiman
Marcus, Nordstrom, Lord & Taylor et Bloomingdale’s. Voici les 10 premières attentes,
qui devraient donc être au cœur du contrat de base qu’une marque de luxe doit avoir
avec ses clients.
– Des employés courtois et respectueux. Ces qualités, aussi élémentaires soient-
elles, sont considérées par le client comme au cœur d’une expérience de luxe.
– Un retour de marchandise rapide et sans embarras. Les services-clients sont
souvent sous-dotés en personnel, ce qui conduit à des délais très longs. Cette
étude montre que les clients se sentent souvent mal à l’aise, voire soupçonnés
de mauvaises intentions, lorsqu’ils doivent répondre à toutes les questions
posées par le personnel.
– Un personnel qui sache répondre avec expertise aux attentes des clients.
Comment bien servir le client est le point essentiel  : être appelé chez soi
lorsqu’un produit commandé est arrivé, ou peut-être un mot pour un
anniversaire, est des éléments attendus par les clients du luxe.
– Un personnel qui traite les clients comme des gens à qui l’on tient.
– Un personnel qui sache emballer correctement et facilement les achats.
– Une attente minimale pour les achats. Les clients du luxe veulent pouvoir faire
leurs achats rapidement et aisément  ; ils n’attendront pas plus de quelques
minutes.
– Un personnel qui soit bien mis.
– Un magasin visuellement plaisant.
– Une tenue pour les vendeurs qui soit en accord avec le magasin.
– Un accès facile, par téléphone, aux informations. Ceci met l’accent sur le contact
humain par téléphone.
Une étude (2010) du Luxury Institute, « Leading Edge Insights into the World of the
Wealthy  » conclut  : «  Une autre découverte de cette étude est que les clients
mystères ont préféré le service et l’esthétique des magasins des marques plutôt que
les expériences vécues dans les grands magasins vendant ces mêmes marques. Ils
ont trouvé les magasins de marques mieux tenus, avec un environnement plus
accueillant, que la zone dédiée à la marque dans un grand magasin. »

■ Nos commentaires et recommandations


Les marques de luxe organisent et contrôlent à la fois leurs propres magasins et
leurs shops in shop dans les grands magasins. Il semble donc qu’elles accordent
beaucoup plus d’importance à ce qui se passe dans leurs propres magasins, ce qui
est un peu une erreur : les clients passent d’un point de contact avec la marque à un
autre, et attendent des expériences proches dans tous les points de contact. La
question que devraient se poser les marques de luxe est  : qu’est-ce qui attire un
client à un comptoir de grand magasin et qu’est-ce qui l’amène dans le magasin de la
marque  ? Les différences devraient les amener à mieux servir ces clients en
répondant ainsi aux différentes attentes dans les différents points de contact. Un
exemple est à cet égard révélateur : les clientes très souvent vont aller chez Sephora
pour y repérer les nouveautés mais vont les acheter au comptoir de la marque dans
un grand magasin –  parce qu’elles savent qu’elles y seront mieux servies. Les
vendeuses des comptoirs sont-elles formées à cela ?

 Cas d’entreprise
Weston – Un service magnifique
Attiré par un des articles en vitrine, je poussai la porte de la boutique J.M.  Weston
boulevard  des  Capucines à Paris. Dès mon entrée, je sus que c’était une bonne
idée : j’y fis l’expérience d’une démonstration rare de qualité de service – une demi-
heure de pur plaisir.
C’était un samedi matin et la (petite) boutique était pleine  : une douzaine de
personnes, des hommes d’une quarantaine d’années, bien habillés mais avec un
éventail de styles (allant du jeans au chic casual). Je déambulais de manière
nonchalante, regardant les modèles. Un homme vint à ma rencontre et je lui dis
qu’un modèle en vitrine avait attiré mon attention ; il m’accompagna à l’extérieur pour
identifier le modèle en question puis me conduisit à un siège libre. Peu après, une
vendeuse s’approcha et ce fut ma première surprise  : elle savait déjà quel modèle
m’intéressait –  l’information avait été correctement transmise. Deuxième surprise  :
elle proposa de mesurer la pointure de chacun de mes pieds car, m’expliqua-t-elle,
nos deux pieds sont rarement de la même taille et cette mesure est nécessaire pour
choisir la meilleure pointure. Elle revint ensuite avec deux pointures, me disant que je
pourrai choisir l’une ou l’autre selon le confort que je recherchais. Elle m’expliqua
ensuite que la largeur qu’elle me montrait était adaptée à la morphologie de mon
pied et que la structure de la chaussure était la contribution de Michel Perry, le
designer de la marque. Troisième surprise : tandis qu’elle enlevait mes chaussures,
elle me proposa de les faire cirer par le cireur installé à l’entrée du magasin.
Formidable ! Je repartirais avec des chaussures brillantes même sans rien acheter.
Elle me parla ensuite de la marque de mes chaussures (Paul Smith), me disant qu’ils
avaient de très beaux modèles, de bonne qualité, et qu’elle suivait ce qu’ils faisaient.
(Même si ce n’était pas vrai, cela me fit me sentir bien ; quelques mots me confortant
dans la sagesse de mes choix.) Elle me guida ensuite jusqu’à un miroir en pied
(beaucoup de marques de luxe vendant des chaussures n’ont pas de tels miroirs). Je
fis mon choix puis demandai à essayer un autre modèle, qui arriva directement dans
la bonne pointure et la bonne largeur. Je décidai d’acheter les deux. Après m’avoir
demandé si je souhaitais ajouter mes informations personnelles à leur base de
données, elle m’apporta un  formulaire à remplir et un stylo sur un plateau en bois.
Elle me proposa une boisson, me demanda de bien vouloir attendre un moment et
revint –  quatrième surprise  – avec la facture (à mon nom) et la machine à carte
bancaire sur un plateau. Pourquoi faire la queue pour payer alors que vous pourriez
tout aussi bien payer ici, assis confortablement ? Je quittais la boutique, absolument
ravi.

■ Que pouvons-nous apprendre de cette expérience ?


L’attention était totalement fluide, chaque moment était pensé et préparé, mes
attentes en tant que client masculin étaient anticipées.
L’expérience était totalement différente d’une vente «  classique  », avec un aspect
non-commercial (le cirage) et la « disparition » de la caisse (n’avons-nous pas déjà
vu cela dans le magasin Apple ?).
Un désir de revenir. Un jalon posé pour mes futures expériences.

 Cas d’entreprise
Oprah Winfrey
En 1999 un jeune homme mal rasé, en tee-shirt, jean et baskets rentre dans la
boutique amirale d’une célèbre marque de joaillerie française à Paris. Les vendeuses
ne lui accordent pas un regard et ne cherchent même pas à l’aborder. Il fait un tour
puis ressort. Un des cadres dirigeants de la marque (qui a raconté cette histoire à un
des auteurs) rentre à ce moment dans la boutique et demande : « Merveilleux ! Vous
avez vendu quelque chose à André Agassi  ?  ». Les vendeurs se sont alors rués à
l’extérieur pour essayer de rattraper le futur vainqueur de Roland Garros et numéro 1
mondial.
André Agassi n’avait aucun des codes vestimentaires du client du luxe de l’époque et
toutes les marques aujourd’hui assurent que le vêtement n’est plus un critère selon
lequel on évalue un client qui entre dans une boutique. Les vêtements effectivement,
mais comment interpréter la mésaventure arrivée à Oprah Winfrey en Suisse en
août 2013 ?
Venue participer au mariage de Tina Turner elle rentre dans une célèbre boutique de
luxe de Zurich où elle demande à voir un sac Tom Ford en crocodile coûtant
35 000 francs suisses. La vendeuse ne le lui montre pas préférant lui en montrer de
moins onéreux. Oprah Winfrey raconte l’histoire elle-même sur Entertainment Today13
en expliquant qu’elle était vêtue en Oprah Winfrey mais sans les diamants14 et qu’elle
a insisté pour voir le sac. La vendeuse lui explique que le sac Tom Ford est trop cher
et qu’elle ne pourra pas l’acheter !
Une fois de plus le profilage (visuel) des clients du luxe pose problème  : n’importe
qui, entrant dans une boutique, peut s’avérer être un excellent client potentiel. Les
codes anciens de la bourgeoisie européenne ne sont plus de mises à l’époque où le
directeur artistique Homme de Louis Vuitton est Virgil Abloh !

Étape 4 : Définir le contrat entre la marque et ses clients


et adopter quatre outils pour l’optimisation commerciale
« Il y a deux tragédies dans la vie : l’une est de ne pas satisfaire son désir et l’autre
est de le satisfaire. Cette dernière est de loin la pire. »
Oscar Wilde

En se fondant sur notre expérience dans différents secteurs, nous


suggérons que la distribution du luxe se concentre sur quatre outils
principaux :
• Définir un contrat de marque  : comme Hugues Cailleux et Charles
Mignot le disent15  : «  La première étape d’un bon CRM consiste à
définir le «  contrat élémentaire  » de la marque. Les marques de luxe
doivent préciser leur propre vision, non négociable, de la qualité, de
l’innovation, du service et de l’attention. Tout client (actuel ou
potentiel) doit pouvoir bénéficier de ce contrat de base dès qu’il ou elle
entre dans la boutique. Pourquoi  ? D’abord, par principe élémentaire
de l’étiquette. Deuxièmement, personne ne peut prédire le profil d’un
client, ni ce que seront, dans la durée, ses désirs et sa valeur. Le
« contrat élémentaire » montrera aux clients qu’ils font déjà partie de
la famille –  avant même d’acheter.  » Une marque chez laquelle une
telle vision est clairement définie est Hermès : répondant à l’idée que
Hermès était une marque, son ancien PDG Jean-Louis Dumas-Hermès
a déclaré à l’un des auteurs : « Nous ne sommes pas une marque, nous
sommes une signature […] vous voyez mon nom sur chaque produit
que nous vendons. C’est donc comme si, à chaque fois que nous
vendons un produit, nous signions un contrat avec le client qui
l’achète. »
• Segmenter la clientèle : Tous les clients ne sont pas identiques et plus
précisément leurs besoins ne sont pas les mêmes. C’est pourquoi il
nous semble essentiel qu’une marque de luxe dispose d’une véritable
segmentation de sa base clients – lui permettant d’identifier des profils
de clients correspondant à des besoins différents16. Malheureusement le
plus souvent les profils clients se limitent à des données
démographiques (âge, sexe, nationalité…). Une véritable segmentation
va identifier des profils psychographiques ou des communautés de
clients ayant des objectifs communs. La  méthode la plus appropriée
pour cela est celle des buyer persona17 – permettant de construire une
véritable histoire humaine autour de ces données démographiques, de
comprendre les motivations d’achat, d’identifier les moyens de
communication appropriés, etc. On y trouvera  pour chaque profil ou
segment  : une biographie du profil client, une description de ses
motivations, ses canaux préférés, le contenu préféré, les points de
contacts essentiels où se construit la confiance dans la marque, les
points négatifs (pain touchpoints) vis-à-vis de la marque, les
influenceurs suivis par le client ainsi que des mots-clés résumant ce
profil.
Nous sommes loin des approches strictement quantitatives comme
celle adoptée par les grands magasins américains, lesquels utilisent un
critère simple pour segmenter leur clientèle : le niveau des ventes.
Une segmentation de la clientèle qui soit taillée sur mesure pour la
marque est le meilleur point de départ qui soit  : il ne peut y avoir
aucune réponse toute faite, chaque marque doit développer la sienne
propre. Nous recommandons vivement que celle-ci se fonde sur des
entretiens détaillés avec des clients, de façon à obtenir une
compréhension profonde de leur rapport à la marque.

 Cas d’entreprise
Une segmentation clientes dans la beauté
L’un des auteurs a ainsi, dans un travail pour une marque de beauté de luxe, utilisé
une méthode exclusivement qualitative d’entretiens non directifs pour identifier les
différents segments au sein des clientes de la marque. 12 entretiens ont été réalisés
en France autour de 6 thèmes  : le style de vie, la relation à la beauté, les
expériences dans le soin, la marque, le luxe.
Ils ont permis de faire apparaître des pratiques de la beauté très différentes et
d’identifier trois profils de clientes :
– La lutte contre le vieillissement et une pratique centrée sur le soin lui-même et la
recherche scientifique – le soin n’est pas un luxe
– Le plaisir pour soi où le soin est une hygiène de vie et un moment de plaisir
– La marque est un marqueur du niveau social et de la réussite et le soin est un
accès à la marque
Cette étude a par ailleurs permis d’identifier une distinction déterminante pour les
clientes de la beauté entre :
– le « vendeur », centré sur la vente, le profit
– et le «  conseiller  » (souvent qualifié d’esthéticienne), centré, lui, aussi, bien
entendu, sur la vente, mais adaptée au client (centré sur la relation Produit et la
spécificité individuelle du client).
Le vrai conseiller c’est celui qui dit franchement (et indépendamment du prix) :
« cette crème n’est pas pour vous ».

• Gérer la base de données clients : Il est crucial de bâtir une base de


données complète et détaillée. Prenez l’exemple de Clarins  : il  s’agit
de l’une des rares marques de produits de beauté de luxe à avoir mis
sur pied une stratégie CRM sophistiquée. «  Nous recueillons tout le
feedback de nos clients sur tous nos produits par courrier postal ou
électronique, téléphone, fax… Nous centralisons les données dans un
système marketing unique, pour analyser l’impact d’un même produit
dans différents pays européens et réaliser une segmentation plus
efficace de notre clientèle  » confiait le directeur de l’organisation et
des systèmes chez Clarins. Cette base de données unique (portant sur
des clientes) a ensuite été utilisée au moment du lancement de la ligne
pour homme : en juin 2002, un premier envoi a été fait en France aux
clientes de la marque, leur demandant d’envoyer des informations
relatives aux «  hommes dans leur vie  » et de remplir un petit
questionnaire. Le résultat  ? 17  000 coordonnées recueillies. Cette
stratégie a permis à Clarins d’établir en 7 mois une base de données de
24  000  clients masculins et de devenir le numéro 2 du marché en un
an !
La constitution d’une base de données client unique est un des enjeux
essentiels pour les marques de luxe aujourd’hui comme nous l’avons
indiqué dans la deuxième partie – MAIS il semble que de nombreuses
marques n’aient pas encore investi suffisamment dans la rénovation de
leurs systèmes d’information. Pourtant l’enjeu est de taille : identifier
une cliente ou un client qui voyage et achète dans plusieurs pays est le
fondement d’une véritable stratégie de personnalisation de la relation
client18.
• Mesurer, mesurer : le cas Lego19 nous apprend aussi l’importance de
la mesure. Ils calculent des indicateurs de fidélité et de
recommandation, évaluent leurs taux de promoteurs et de détracteurs,
et se concentrent sur 4  facteurs principaux  : l’expérience produit
(immédiatement après achat), l’expérience en ligne, l’expérience en
magasin et l’expérience du service client. Mesure, mesure, mesure.
Malheureusement, la plupart des marques de luxe n’ont recours qu’à
des clients mystères comme unique indicateur. Or ce n’est que la
première étape  : l’expérience client, l’engagement, l’interaction, la
réaction à la communication, tout devrait être mesuré régulièrement,
selon une technique multidimensionnelle, comme le démontre Lego.

Étape 5 : définir les parcours clients et identifier les points


de contact cruciaux

Pour y parvenir, il faut mettre au point une approche entièrement centrée sur
le client, qui englobe l’avant et l’après de l’expérience vécue en magasin,
qui est le point d’ancrage traditionnel pour les marques de luxe.
Les marques de luxe devraient s’efforcer de comprendre les itinéraires
suivis par les clients  : ceux-ci se mettent en quête d’un produit ou d’une
marque, et s’embarquent pour une odyssée à travers différents médias et
différents lieux avant d’acheter (ou non). Ceci les conduit à connaître une
série de points de contact avec la marque, certains se révélant plus que
défavorables. Les marques de luxe devraient être conscientes du fait que
leur client peut connaître des expériences négatives sur leur itinéraire avant
ou après achat. En guise d’illustration :

Exemple
Un client dans une bijouterie se montre hésitant et le vendeur ne parvient pas à
conclure la vente. Le client rentre le lendemain dans sa ville d’origine dans un autre
pays. La plupart du temps, le vendeur ne lui aura pas donné le nom et les
coordonnées de son homologue dans cette ville, parce que «  Je n’aurai pas la
commission  !  ». Cela fait une vente perdue et une expérience négative pour le
client.

Le service après-vente peut être éprouvant. Le PDG d’une très grande


marque de luxe de joaillerie a confié à un des auteurs :

« Il n’est pas normal que lorsque vous amenez une montre à réparer, il vous faille attendre un
mois pour la revoir. »

Tiffany, pour pallier ce problème, a mis sur pied un atelier de réparation


près de l’aéroport de La Guardia aux États-Unis – le produit y est acheminé
par UPS et retourné au client en moins de 48 heures.
Nous savons par expérience que les parcours clients dépendent des
segments de clientèle.
L’expérience vécue par le client doit être conçue et renforcée à chaque
point de contact  : en magasin, en ligne lorsque le client cherche quelque
chose, en ligne lorsque le client rencontre la marque sur son site internet, à
travers toutes les campagnes de communication, au cours des événements
clients, à chaque occasion d’interaction et lors de toutes les relations de
service (garantie, nettoyage, réparation, etc.).

Étape 6 : Design de l’expérience vécue par le client chez


les marques de luxe

Il est crucial pour les marques de luxe de renouer avec leurs clients en
redesignant des parcours clients intégrés, qui englobent tous les canaux de
distribution et tous les points de contact entre les marques et leurs clients.
Nous avons mis au point à cette fin une méthode originale que nous
décrivons ci-dessous.
Une méthode en 5 phases

• Connaître ses clients : Une compréhension fine de sa clientèle est une


condition sine qua non pour une marque désirant améliorer
l’expérience que ses clients font d’elle. Des entretiens qualitatifs
doivent être menés auprès des clients par un psychosociologue
spécialisé, de manière à rassembler des connaissances précises et des
éléments de compréhension détaillés des motivations, des attentes et
des comportements des consommateurs. Les résultats pourront être
consolidés sous la forme de personas qui réuniront et représenteront
différents segments de la clientèle. Ils seront au fondement du nouveau
design des itinéraires client.
• Développer la coopération interne et partager les connaissances : Il
faut organiser de nombreux ateliers transversaux réunissant des
participants des divisions commerciale, marketing, CRM, produits et
pays. Ceci permet les discussions et les échanges de connaissances
entre managers et employés des différentes divisions de
l’organigramme, qui n’ont souvent que peu d’occasions de
communication directe. Ceci sera la base pour bâtir une équipe dédiée
au Projet d’Expérience Client.
• Concevoir des parcours clients idéaux  : L’Équipe Projet devrait
ensuite concevoir des parcours pour les différents segments de la
clientèle, grâce à des expériences prototypiques  : on transforme les
idées abstraites en prototypes low-fi qui peuvent être expérimentés et
évalués par des clients potentiels, et les résultats sont transmis à la
direction.
• Bâtir des scénarios : Outre les améliorations concrètes apportées à des
points de contact existants, l’équipe projet devrait également
développer des scénarios différents pour la vision à long terme des
produits et de la marque, afin d’élaborer des expériences client
originales et radicalement améliorées. Ces scénarios de haute volée
sont ensuite décomposés en actions concrètes et en projets individuels
pouvant être menés immédiatement.
• Préparer un plan d’action : Tous les résultats, discussions, prototypes
et scénarios doivent ensuite être fondus en un plan réalisable, avec une
feuille de route et des activités pouvant immédiatement être lancées.
Figure 11.2 – Méthodologie pour designer l’expérience vécue par le client

Les avantages de cette méthode

Cette méthodologie unique permet à une marque de produire des idées


concrètes et des prototypes pour la résolution de problèmes sous-jacents
grâce aux réflexions et perceptions des clients et aux analyses des experts
(cf. figure 11.2). Cette méthode20 présente les deux avantages suivants :

■ Une focalisation sur l’expérience faite par le client

• Connaissance approfondie de la clientèle  : les interviews qualitatives


menées par un psychologue permettent de dégager des segments de
clientèle très distincts, selon les motivations et le comportement des
clients.
• Intégration globale des itinéraires client  : l’intégration des différents
canaux de vente en un seul itinéraire global permet d’identifier de
réelles occasions de coopération entre différents canaux et de renforcer
la relation entre les consommateurs et la marque.
• Recadrage créatif et vision de la marque : remettre en question et en
perspective les hypothèses existantes bouscule le statu quo de la
routine quotidienne et conduit à des idées et des visions complètement
nouvelles de la marque.

■ Une méthode pour le design d’expérience, laquelle est :

• Inclusive  : l’intégration de différentes divisions dans des processus


interactifs de génération d’idées et des ateliers de mise au point de
prototypes permet aux participants de mettre leurs idées en commun, et
stimule les échanges entre les différentes divisions, ce qui n’est pas
possible dans le travail quotidien.
• Concrète : plutôt que de commenter des chiffres de parts de marchés,
les grandes tendances chez les consommateurs ou des idées abstraites,
les ateliers aboutissent à des prototypes tangibles visant à résoudre des
problèmes réels dans différents canaux de ventes. Ces prototypes
rendent possible la mise en commun, l’expérience, l’évaluation et la
communication d’idées et de solutions.
Pourquoi se soucier de tout cela  ? Un des auteurs, assistant à une
conférence Walpole à Londres il y a quelques années, y a surpris une
conversation fascinante :
un cadre dirigeant de Coach :
« Nous avons une base de données de plus d’un million de clients et nous
développons de nouveaux produits grâce à des techniques de datamining. »
un cadre dirigeant d’une marque de luxe britannique :
« Si j’étais vous, je ne me vanterais pas d’avoir un million de clients dans
cette base de données. Je serais fier d’en avoir dix mille. »
Deux mondes se faisant face. Auquel appartenez-vous ?

L’essentiel
►► Il faut offrir une expérience client unique – tout en sachant que les clients
ont en tête les expériences vécues dans des secteurs très différents (hôtellerie,
marques de masse, marques de communication…)
►► Les parcours clients devenant de plus en plus complexes, les marques
doivent se doter d’outils d’analyse de ces parcours.
►► Les marques doivent segmenter leur clientèle et construire des relations
clients adaptées à chaque segment de clientèle
►► La clientèle du futur est celle des millenials et de la génération Z: il faut
les connaître et s’adapter à leurs attentes et à leurs conceptions de
l’expérience.
Chapitre 12

Comment internet a pulvérisé le modèle


traditionnel de la vente
« Ainsi, les troupes victorieuses commencent par vaincre et cherchent ensuite à engager
le combat, tandis que les troupes vaincues commencent à engager le combat et cherchent
ensuite à vaincre. »
Sun Tzu

Pulvériser ce n’est sans doute pas le terme que nous aurions dû utiliser car
cela signifie « détruire ou anéantir », ce qui n’est bien sûr pas le cas, mais
cela veut aussi dire : « battre un record », et là nous sommes peut-être en
train de dire ce que nous voulons dire. Avec les ventes en ligne, le modèle
traditionnel de la vente avec des magasins, se trouve dépassé. Il était unique
et doit maintenant cohabiter avec un autre système, qui lui aussi, comporte
des avantages et des particularités, surtout dans la façon de communiquer
avec les clients, de leur apporter un service et de réaliser des ventes. Il ne
faut plus parler d’un modèle unique de distribution pour les produits de
luxe, mais d’un portefeuille de modes de distribution complémentaires qui
évoluent avec le temps et surtout se renforcent et se complexifient.
Dans ce chapitre, nous allons décrire comment les ventes online sont une
partie de l’ensemble, et pourquoi les marques n’utilisent pas un seul
système de distribution ou un seul opérateur. Enfin pourquoi tous les
opérateurs ne se limitent pas à un seul mode de fonctionnement ou à un seul
intermédiaire mais multiplient les interventions ou les intervenants pour
maintenir, à long terme, autant d’options ouvertes que possible.

La vente en ligne se suffit-elle à elle-même ?

En 2006, le groupe PPR-Kering vend les grands magasins le Printemps. Il


se concentre alors presque exclusivement sur le secteur du luxe. En 2014, il
vend le groupe Redcats (la Redoute) spécialisé dans la vente à distance.
Cette entreprise spécialisée dans la sélection d’articles, la logistique de la
vente par courrier mais surtout par internet, leur semble non stratégique
pour un groupe de luxe.
En 2017, le groupe Galeries Lafayette prend la majorité dans la société la
Redoute, qui est présentée comme le leader français du commerce en ligne.
Il s’agit pour les Galeries Lafayette de se développer dans cette fameuse
vente digitale qui intéresse tant d’intervenants. L’entreprise parle de
complémentarité…
La vente en ligne n’a donc pas toujours été considérée comme un secteur
aussi porteur. En 2010, le groupe Quelle la Source, avec deux centres en
France, l’un à Tourcoing (Nord) et l’autre à Saran (Loiret), est en règlement
judiciaire. Ils est racheté par la Société des Trois Suisses. Cette dernière
parle de l’intérêt du fichier de 2,5 millions de clients, mais les Trois Suisses
connaissent à leur tour des difficultés et en 2017, ils sont rachetés par un
petit groupe, le groupe Domoti, puis revendus en 2018 à la société Shop
Invest.
On pourrait en conclure (sur la seule base de ces exemples français) que
le commerce en ligne, tout seul n’est pas vraiment un secteur d’avenir. Il
suffit d’observer ce qu’il se passe en Chine et aux États-Unis pour avoir un
avis très différent.
En octobre  2016, Jack Ma, fondateur et président du Groupe Alibaba,
annonce que l’avenir sera au new retail, c’est-à-dire à un modèle de vente
associant e-commerce et commerce physique. Déclaration coup de tonnerre
dans un monde du commerce largement restructuré par son groupe internet.
Dans la foulée on constate qu’Alibaba et Tencent, les deux géants du web
chinois, ont commencé à investir massivement dans les magasins
physiques. Voici une liste de leurs acquisitions et investissements :
• Investissements et acquisitions faites par Alibaba :
– Juin  2016  : 20  % de Suning Commerce (chaîne de produits
électroniques)
– Novembre  2016  : 32  % de Sanjiang Shopping Club
(supermarchés)
– Janvier 2017 : 73,7 % de Intime Retail Group (grands magasins et
shoppings malls)
– Février 2017 : partenariat stratégique avec Bailian Group (grands
magasins, shoppings malls)
– Mai  2017 : 18 % de Lianhua Supermarket (hyper, supermarchés
et magasins de proximité)
– Novembre 2017 : 36 % de Sun Art Retail (idem)
• Investissements faits par Tencent
– Mars 2014 : 15 % de JD.com
– Août  2015  : JD.com acquiert 10  % de Yonghui Supermarkets
(supermarchés)
– Juin 2016 : accord stratégique entre JD.com et Walmart
– Décembre 2017 : 5 % de Yonghui Superstores (supermarchés)
– Janvier 2018 : investissement dans Carrefour Chine
Au même moment aux États-Unis Amazon, après avoir ouvert des
librairies où l’offre est en permanence optimisée grâce aux données
collectées sur le site internet –  rachète Whole Foods. L’enjeu est bien
d’inventer le retail du futur – et celui-ci se prépare essentiellement dans le
mass-market.
Ce n’est pas bien sûr, parce que la vente en ligne se suffit difficilement à
elle-même, qu’elle n’en demeure pas un outil absolument exceptionnel.
Mais ce n’est qu’un aspect d’un tout qui est la parfaite continuité
online  /  offline et qui offre au consommateur un service complètement
adapté à la complexité de ses attentes et de ses besoins.

La vente en boutique (offline) se suffit-elle à elle-même ?

Si la vente online ne se suffit pas à elle-même, peut-on dire que la vente en


boutique se suffit à elle-même ? Bien sûr que non car dans la recherche de
continuité online, offline, ce qu’il faut c’est un système global où à tout
moment, le client peut intervenir sur internet ou en visitant une boutique, et
dans tous les cas, initie une action (achat, service après-vente, produit
retourné, échange) qui pourra se concrétiser dans un point de vente ou au
contraire par livraison ou réception d’un produit de la marque à son
domicile. Zara vient ainsi d’ouvrir sa première boutique click and collect  à
Londres en janvier 2018 : les vendeurs sont équipés de tablettes permettant
d’aider les clients à passer commande de produits qu’ils peuvent recevoir le
jour même (si la commande est faite le matin) ou le lendemain (si la
commande est faite dans l’après-midi).
De même, on a parfois l’impression que des spécialistes de vente offline
(les détaillants traditionnels) veulent tellement montrer leurs prouesses
digitales qu’ils en arrivent à minimiser la présence physique des objets
qu’ils vendent pour apparaître « 100 % digital ». On pense à Tesla qui crée
de nouvelles boutiques de vente automobiles avec une présence physique
réduite à une ou deux voitures. Le client effectue un parcours1 au sein de
l’espace de vente lui permettant de découvrir la marque, la gamme, de
configurer lui-même une voiture et enfin de l’acheter  : il dispose de
tablettes tactiles et d’écrans qui lui permettent de choisir et de personnaliser
son véhicule : couleur, moteur, accessoires, types de roues, de calandre etc.
Comme nous l’avons vu précédemment depuis le tournant du siècle,
toutes les marques de luxe essayent d’œuvrer à la « digitalisation » de leurs
activités, mais elles s’y prennent de façon progressive et souvent partielle.
Nous allons illustrer cela avec les deux cas très différents de Gucci et de
Chanel.

L’évolution de la digitalisation chez Gucci

■ 2002

En 2002, Gucci est très fier d’avoir apporté de la flexibilité et du


modernisme à son site internet. En premier lieu, le client entre sur le site de
la marque en fournissant un code confidentiel, mais ce code est mémorisé,
de façon à ce que lors d’une prochaine visite, en entrant sur le site de Gucci,
le visiteur puisse assister directement à la présentation du dernier défilé de
mode pour le familiariser avec les dernières créations et les tendances de la
mode. Compte tenu des pages internet où il s’est arrêté lors de ses dernières
visites, les modèles correspondant à celles-ci lui seront présentés en
priorité. Ensuite le système s’arrêtera de préférence sur les couleurs et les
formats qui semblent le plus intéresser ce visiteur.
Enfin les photos de produits permettent une vision à très haute résolution
et les zooms sont disponibles pour regarder ces modèles sous tous les
angles possibles ou imaginables. Enfin le site Gucci se décline en 7 langues
et est adapté pour 27 pays différents.
Ce qui est impressionnant c’est que cette description de la
«  digitalisation  » de Gucci fournit des exemples de mémorisation de
comportement de lecture du site et jamais de comportement d’achat.
On peut noter comment le concept de « digitalisation » a évolué dans ces 20
dernières années et comment la notion de passage systématique de l’offline
au online et vice versa n’était pas alors du tout un sujet prioritaire.

■ 2016

14 ans plus tard, la même marque Gucci décrit l’évolution et les points forts
de son développement digital. Il y est toujours question de la qualité des
photos disponibles sur le site de la marque, et de l’attention aux détails. Et
on insiste, sur les vêtements ou les accessoires de la marque que les gens
célèbres ou les vedettes portent spontanément. Mais c’est pour passer très
vite au stade suivant : la qualité de l’expérience de présentation des produits
en ligne, la facilité d’y acheter, la qualité de l’accueil du site de vente
internent et sa facilité d’utilisation. Gucci parle en particulier de la notoriété
de son site, ce qui est un concept nouveau et intéressant.
Mais la préoccupation essentielle à l’époque, c’est de s’assurer que
l’expérience d’achat « digital » reprend et magnifie ce qui peut être vécu en
magasin. Par exemple :
• Est-ce que les modèles de la dernière collection apparaissent aussi
valorisés, en magasin et sur internet, qu’ils l’ont été lors du dernier
défilé ?
• Est-ce que ces modèles représentent bien la vie d’une vraie cliente
Gucci et la façon dont elle veut mener cette vie dans le monde ?
• Est-ce que tous les sites, soit dans un magasin soit sur la toile, offrent
facilement et à tout moment la possibilité de retourner un achat et de se
le faire rembourser, de disposer dans tous les cas de toutes les options
existantes, et de pouvoir obtenir un paquet cadeau luxueux et élégant ?
Enfin l’interrogation ne s’arrête pas là  ! Il s’agit aussi de savoir si les
messages Instagram des « célébrités » sont disponibles pour tout le monde
et si la créativité de la marque est associée à la culture visuelle disponible.
On est bien loin ici de s’interroger sur la qualité des photos du site de
Gucci. La préoccupation de la marque semblait alors de s’assurer de la
qualité de l’expérience en magasin ou sur la toile et de sa richesse et de sa
diversité.

■ 2018

Mais l’histoire ne s’arrête pas là  ! En 2018, les attentes de la direction de


Gucci sont encore plus ambitieuses :
• Il s’agit d’établir une expérience complètement fluide et sans friction
pour le consommateur entre online et offline,
• Il faut créer le mouvement et faciliter l’expérience d’achat,
• Il ne doit plus y avoir qu’une seule base de données de consommateurs,
• À tout moment, le client peut réserver un produit sur le site de la
marque et aller le récupérer dans le magasin le plus proche  :
l’expérience d’achat doit être globale et toujours facile,
• Enfin la marque s’enorgueillit d’avoir  8,3  millions de followers sur
Snapchat.
La recherche d’une fluidité parfaite entre les différents points de contact
avec la marque apparaît ici très clairement. Gucci par ailleurs souhaite
obtenir l’implication totale des consommateurs dans la marque et dans son
environnement.

Chanel bouleverse le business model


des grands magasins en 2018

Début novembre 2018 un long article dans Women’s Wear Daily décrit un


changement majeur chez Chanel aux États-Unis. La marque a décidé de ne
plus intervenir dans ce pays comme un grossiste vendant ses collections de
mode à des grands magasins indépendants mais de changer son mode de
fonctionnement pour ne plus intervenir que comme un détaillant.
Comme cela a été dit par ailleurs, Chanel dispose de 23 magasins
autonomes et de 55 shop in shop dans les grands magasins américains pour
vendre son prêt-à-porter et ses accessoires. Ces shop in shop sont surtout
concentrés chez de grandes enseignes comme Nieman Marcus, Bergdorf
Goodman, Saks Fifth avenue, Nordstrom et Bloomingdales’s. C’est le statut
de ces shop in shop qui est remis en cause.
Le président de Chanel Inc pour les États-Unis, John Galantic, explique
la difficulté qu’il rencontre :

« Dans ces shop in shop, il n’a pas la “visibilité totale” sur ses clients et ne peut pas toujours
leur offrir un service total, complet et d’une continuité parfaite (online, offline) ».
«  On ne contrôle pas toujours la qualité et la quantité du stock de marchandises dont on
dispose ».
« On ne peut pas intégrer ces clients dans un service online, offline complètement continu (et
sans interruption) ».

En fait, le client d’un grand magasin qui vient d’acheter une veste Chanel
doit pouvoir être intégré à 100 % dans la base de données clients de Chanel.
Dans le système traditionnel de shop in shop, le grand magasin est
rémunéré par une marge de détaillant. C’est-à-dire que si un client achète
un sac Chanel sur internet et veut le rendre dans un shop in shop, comment
ce produit peut-il intégrer alors le stock du grand magasin et quelle marge
doit percevoir ce magasin pour le service rendu à la marque Chanel  ? La
fameuse continuité n’est plus alors assurée.
John Galantic l’expose clairement :

« Quand un client entre en relation avec Chanel, que ce soit par l’intermédiaire de Chanel.com
ou dans une application ou encore par contact avec un centre d’appel, il est entré dans la
maison Chanel et il fait partie de Chanel. »

Tout contact avec la marque est un contact avec l’ensemble de Chanel. Il


ne peut être question de marge de détail à payer ou à recevoir d’un grand
magasin.
Chanel ne parle donc plus de shop in shop mais utilise le terme anglais de
concession. Ils veulent renégocier avec les grands magasins. Ils ne
souhaitent plus payer de marges sur le chiffre d’affaires (qui peuvent
entraîner des discussions lors de retour de produits ou de vente dans le shop
in shop  d’un produit qui sera livré le jour suivant par le site internet sans
jamais intégrer le stock du magasin). Il s’agit donc de modifier la relation
avec le grand magasin : il suffit de lui payer un loyer, sans partie variable
calculée sur le chiffre d’affaires, et rien d’autre.
Chanel a décidé de mener à bien et de terminer ces nouvelles discussions
avec les grands magasins américains avant la fin de l’année 2019. On
constate ainsi que le modèle initié par des marques comme Louis Vuitton
(selon la marque tous leurs shop in shop dans le monde entier paient des
loyers et non des marges) va devenir la norme. Cela va bouleverser le
modèle d’affaires des grands magasins –  qui de fait vont de plus en plus
devenir des gestionnaires d’espaces de vente à l’image des shopping malls.
Mais le point fondamental à retenir est que – vu de la marque – cela permet
d’assurer une continuité parfaite online/offline. Nous avons donc affaire à
une décision stratégique faite au nom de la digitalisation.

Quel impact sur le commerce de gros ?

On peut considérer que les autres marques de luxe vont également se poser
la même question et améliorer la continuité de leur service et les grands
magasins américains devraient pouvoir se trouver confrontés à une large
remise en question de leur modèle. Mais le sujet ne s’arrête pas là. Le
même constat peut être fait dans les grands magasins d’autre pays, et en
particulier ceux du Japon, du Canada, de la Corée du Sud, du Mexique ou
de l’Australie. Il va leur falloir modifier également leur modèle et le
rapprocher encore plus de celui d’un shopping mall, d’une agence
immobilière ou d’un propriétaire qui loue un magasin autonome.
De la même manière, les magasins en franchise, qui sont nombreux pour
les marques de mode premium et qui existent un peu pour les marques de
luxe aux volumes relativement faibles n’apportent pas non plus une
continuité parfaite online, offline. Ils devront très vite modifier leur mode de
fonctionnement, ou offrir une plus grande diversité de systèmes opératoires.
Et la liste n’est pas tout à fait close. Les importateurs distributeurs
doivent eux aussi réfléchir et tenter de supprimer dans leur mode de
fonctionnement, tout ce qui pourrait freiner, ou apparaître comme un frein à
cette fameuse continuité parfaite.
Les bouleversements en matière de communication

Source : McKinsey & Company, « The age of digital Darwinism » (janvier 2018).

Figure 12.1 – Répartition des dépenses de publicité entre événements de relations


politiques, publicités média et publicités digitales

L’étude de McKinsey déjà citée2 présente un graphique saisissant. Les


budgets de communication des marques de luxe sont en pleine évolution –
  mais toutes les marques n’en sont pas au même stade. Si on observe les
trois marques les plus en avance en matière de O2O –  Burberry, Louis
Vuitton, Gucci  – on constate que leurs budgets sont aujourd’hui répartis
sensiblement entre 30 % en évènementiel, 40 % en print et 30 % en digital.
Par contre de nombreuses autres marques ont encore des structures
budgétaires « anciennes » où le print domine : à l’évidence c’est le cas des
marques d’horlogerie et de joaillerie mais aussi de marques comme Fendi,
Prada, Miu Miu.

Les bouleversements initiés en Chine

Les attentes consommateurs (importance croissante du social commerce et


de l’utilisation du mobile comme moyen unique de communication,
d’achats et de paiement) et les évolutions du paysage commercial (création
d’un portail «  luxe  » sur Tmall –  Luxury Pavilion  – et sur JD.com  –
Toplife) en Chine ont amené les marques de luxe à modifier complètement
leur approche. On constate par exemple que des lancements de produits –
 chose impensable il y a encore 5 ans ou dans toute autre région du monde –
se font maintenant sur internet : en août 2018 Tiffany ouvre un pop-up sur
Luxury Pavilion pour y lancer sa nouvelle collection «  Tiffany Flower
Papers  », celle-ci n’étant disponible en magasin que deux semaines plus
tard. Balenciaga pour sa part coopère avec Toplife pour offrir un service de
livraison à domicile des produits de la marque achetés sur le site – le livreur
se présentant en costume et gants blancs. MCM propose une offre
exclusivement pour internet – 50 sacs en série limitée disponibles sur
Luxury Pavilion à l’occasion du Qixi Festival en juillet 2018.
Toutes les marques de luxe par ailleurs ont lourdement investi dans des
WeChat MiniApps –  véritables boutiques online au sein de WeChat  –
devenus les véritables lieux d’animation de la marque.
La Chine est véritablement aujourd’hui le laboratoire du futur pour toutes
les marques de luxe.

Marque Campagne

La plus interactive
Pour sa plus récente exposition, la marque a installé un audio-tour et
Louis Vuitton une carte virtuelle. En plus, elle a proposé à ses clients de jouer à un
jeu virtuel, permettant de personnaliser des malles Vuitton et de se
prendre en selfie en utilisant des stickers de la marque.

La plus démocratique
Sergio Rossi Un WeChat mini-programme (une app à l’intérieur de WeChat). Les
clients peuvent créer leurs propres chaussures Sergio Rossi.

La plus excitante
La marque organise une vente flash de 24 heures sur WeChat.
Burberry
Des produits issus de la collection Printemps/Été 2019 présentée en
défilé ne sont disponibles à la vente que pendant un jour.

La plus ludique
Farfetch Farfetch a créé un jeu mobile pour tester les connaissances de
ses clients en matière de luxe (avec des cadeaux).

La plus focalisée
À l’aide de publicités dans les WeChat Moments, la marque a réussi à
se focaliser sur une cible très recherchée : les Chinois présents à New
Michael Kors
York. Les fans pouvaient rencontrer l’égérie de la marque Yang Mi au
flagship new-yorkais de la marque. Résultat : une augmentation de
330 % de l’engagement des Chinois à New York.

La plus immersive
3 millions de fans ont suivi online un événement beauté de la marque à
Dior
Chengdu. La marque était ainsi la première à tester la nouvelle
fonctionnalité livestream « See Now, Buy Now » de WeChat.

Bottega La plus pensée


Veneta La marque a permis à ses fans de célébrer la Saint-Valentin chinoise
en leur permettant de créer des cartes virtuelles personnalisées
comprenant une piste audio.

La plus exclusive
MCM Les clients VIP de la marque pouvaient participer à un événement
privilège où ils apprenaient à faire du café.

Source : https://jingdaily.com/8-wechat-campaigns-luxury-brands-2018/

Tableau 12.1 – Les huit meilleures campagnes WeChat 2018 des marques de luxe
selon JingDaily

La course à la mise en place d’une continuité parfaite

Si Chanel a démarré la modification de ses accords avec les grands


magasins américains, c’est parce que cette entreprise a bien perçu les
enjeux de la continuité offline-online et veut y apporter dès que possible une
solution durable. Mais beaucoup d’autres marques vont devoir elles aussi
évoluer. Le système du futur n’est pas encore aussi bien défini qu’il pourrait
sembler et va se mettre en place progressivement.

Le système idéal

Le système idéal devrait complètement intégrer le modèle offline et le


modèle online. C’est-à-dire qu’à tout moment, un client doit pouvoir
intervenir et acheter en boutique à Tokyo un produit qu’il pourra rendre sur
internet trois jours plus tard, une fois rentré chez lui à Paris et récupérer la
somme qu’il a payée à Tokyo.
Pour ce que ce système fonctionne, il faut que les activités des boutiques
physiques et de la toile soient organisées et contrôlées par les mêmes
personnes. Il faudrait aussi que les produits n’acquittent nulle part de droits
de douane ni de taxes locales. Dans notre cas plus haut, le produit acheté à
Tokyo et retourné à Paris devra pouvoir être remboursé à Paris avec le prix
de Tokyo et sans que le remboursement des droits de douane Japonais
présente le moindre problème. On en est aujourd’hui très loin et d’une
certaine façon, le système idéal ne peut pas vraiment intégrer complètement
les droits de douane.
Régulièrement, certaines marques s’engagent à avoir «  un prix
mondial ». Mais qui va payer les droits de douane de 100 % pour l’entrée
de certains produits au Brésil ? En fait après beaucoup d’efforts et comme
nous le disons dans le chapitre 16, il est très difficile de ne pas avoir dans le
monde des différences de prix qui vont de 100 à 140 pour les prix de détail
dans la mode.
On peut bien sûr se simplifier la tâche et dire que l’on peut assurer une
continuité parfaite pour tous les magasins physiques de la marque
(comprenant déjà les magasins en propre et les shops in shop de grands
magasins ayant reçu un nouveau traitement façon Chanel3 et en excluant les
boutiques de travel retail). Pour les activités online, il est possible de signer
un accord mondial exclusif avec Farfetch en leur demandant de garantir une
couverture mondiale d’une continuité parfaite (ce n’est pas un hasard si la
société JD.com, le deuxième opérateur de commerce digital en Chine
derrière Alibaba a fait un investissement en capital de 397  millions de
dollars américains dans Farfetch en mai 2016 : le système digital s’organise
et se renforce…)
On peut aussi envisager le contraire et partir d’une structure digitale
complète, disons par exemple YNAP, obtenir la continuité en associant pour
chaque pays les magasins physiques de la marque, et en intégrant petit à
petit à ce système d’abord l’ensemble des magasins physiques des pays sans
droits de douane, puis petit à petit les magasins de pays à droits de douane
très faibles et ainsi de suite. Mais nous voilà quand même assez loin de
l’idéal de la continuité parfaite.

Un portail multimarque sur un portail monomarque ?

En fait, il existe encore une autre différence. On peut choisir un portail


digital exclusif à une seule marque, comme c’est par exemple le cas pour
Hermès. On peut aussi rejoindre un portail multimarque comme par
exemple celui de YNAP. Chez YNAP on trouve la mode de Balenciaga,
Balmain, Bottega Veneta, Bruno Cuccinelli et Burberry, sans parler des
joailliers Boucheron, Buccelati et Bulgari. YNAP c’est en quelque sorte un
« grand magasin digital ». Il dispose d’un très grand nombre de marques et
peut sous-traiter la gestion complète des ventes et des livraisons en ligne,
comme le ferait un grand magasin. Et pour remplir cette fonction pour
chaque marque, YNAP prend une marge de 35  % sur des produits en
consignation, ce qui n’est pas très éloigné d’une marge de détaillant. En fait
YNAP assume la fonction de distributeur comme un grand magasin mais de
façon digitale et de façon internationale.
En 2012 par exemple, le groupe Kering passait un accord de coopération
digitale mondial pour ses marques Saint-Laurent, Bottega Veneta,
Balenciaga, Alexander McQueen et Sergio Rossi avec Yoox (devenu
aujourd’hui YNAP). Kering possède 51 % et Yoox 49 % de cette nouvelle
société chargée d’assurer les ventes digitales de ces marques. De plus, des
boutiques en ligne ont été lancées pour Bottega Veneta et Sergio Rossi
gérées par cette entité.
L’absence de Gucci dans cet accord est frappante. En quelque sorte,
Kering a décidé d’avoir deux fers au feu :
• Un fer pour ses marques « secondaires » dont le développement digital
sera assuré par la co-entreprise avec YNAP qui va permettre
d’accélérer le développement digital de ces marques.
• Un second fer au feu  : celui de Gucci, qui développe son propre
système digital.
En 2020 ou 2025, il sera bien temps de comparer les résultats, les
avantages et les inconvénients des deux systèmes, de généraliser
éventuellement l’un ou l’autre système ou de négocier des extensions ou
des réductions de territoire pour une marque ou une autre. Les options vont
encore rester ouvertes pour un certain temps.
Chanel, qui ne dispose pour ainsi dire que d’une seule marque, a pris un
autre chemin : ils ont passé un accord avec Farfetch pour certaines de leurs
activités digitales, mais ils ont également pris «  une participation
minoritaire » dans le capital de Farfetch en février 2018. À ce stade, Chanel
ne souhaite pas développer ses ventes digitales, mais se propose d’apporter
à ses clients un service amélioré et plus complet.
D’une certaine façon, il semble que chacun se prépare aux modifications
à venir et s’assure de tous les soutiens possibles et imaginables pour assurer
l’avenir.
Il semble qu’à terme, deux modèles devront cohabiter :
• Les marques très puissantes devront organiser un système ad hoc, aussi
continu et complet que possible et elles le feront sur la base de la
puissance d’évocation et d’attraction de leurs marques.
• Les marques moins puissantes choisiront souvent de s’appuyer sur des
portails multimarques et pourront évoluer au fur et à mesure de leur
développement.
Pour les marques très puissantes, il semble que le système interne apporte
certains avantages (y compris en termes de marge brute). Pour les marques
moyennes, les jeux devraient encore rester assez ouverts.

Les pièces du puzzle

Toute entreprise qui cherche à établir un système de distribution continu,


aussi bien dans ses propres magasins qu’avec des sites internent doit
déterminer l’ensemble des activités nécessaires.
Tout d’abord, il faut assurer une couverture de points de vente physiques
dans un certain nombre de pays et de villes du monde. Ces magasins
doivent proposer des gammes de produits homogènes ou complémentaires,
avec une politique de prix de détail logique et harmonisée. Dans chaque
ville, ou chaque pays, un magasin doit être géré, staffé, approvisionné et
contrôlé. Dans le cas où la société a créé une filiale de distribution, cette
dernière peut assurer régulièrement cette gestion. Sinon, elle peut utiliser un
gestionnaire qui prend le magasin sous sa propre responsabilité ou qui
assure chacune des tâches définies plus haut et qui peuvent donner lieu à
des facturations forfaitaires.
De la même façon, la fonction logistique peut-être assurée en propre,
mais elle est souvent sous-traitée.
La grande difficulté a trait à la livraison au dernier kilomètre.
Aujourd’hui celle-ci peut être facilement assurée, mais il n’est pas sûr que
l’atmosphère de cette livraison et que le déroulement de la remise de l’objet
ou des objets corresponde à l’équivalent d’une cérémonie d’achat digne de
ce nom. Enfin, de plus en plus de logisticiens sont disposés à retourner
chercher l’objet qui ne convient pas pour éviter au client de trouver lui-
même un centre de réception des colis retournés. C’est ce qu’Amazon
réalise aujourd’hui parfaitement dans les grandes villes avec Amazon
Prime.

Qui va gagner la course ?

Il semble que chacun est prêt à la mise en place d’un système continu
complet et convaincant. Les grandes marques s’organisent, les petites
marques sous-traitent et s’allient, les franchisés de points de vente
s’interrogent sur la façon de faire évoluer leurs relations avec les marques,
les grands sites de gestion digitale s’installent et attendent. Pour beaucoup
d’observateurs les jeux sont faits et les sociétés comme Farfetch ou YNAP
dans un premier temps, et peut-être Amazon, Alibaba et JD.com un peu
plus tard pensent que l’avenir leur appartient.
Ce qui est sûr, c’est qu’internet et les applications digitales ont
révolutionné la distribution des produits de luxe et que chacun travaille à la
préparation d’un nouveau système et de nouvelles règles du jeu.

L’essentiel
►► Il est clair que la complémentarité des activités offline et online sera de
plus en plus assurée dans les années à venir. Mais ce résultat devra être
obtenu de manière différente selon la puissance et la flexibilité du système de
distribution mis en place aujourd’hui.
►► Plusieurs modèles digitaux se développent et seront en concurrence : un
système monomarque intégré, avec un portail réservé à une marque unique,
et un système au portail multimarque et qui agira un peu pour une marque
donnée comme l’équivalent d’un « grand magasin » pour le digital. Ces
nouveaux opérateurs essayent également de satisfaire le défi
de l’internationalisation.
►► Le développement à marche forcée d’un système continu va devoir
modifier les modes de fonctionnement actuels. Les magasins monomarques
n’appartenant pas aujourd’hui aux marques (les franchisés, les co-entreprises
ou les shops in shop ancienne formule) devront trouver des moyens simples
pour ne plus être un frein au développement du futur système de continuité
parfaite entre les activités offline et les activités online. Une réflexion devra
aussi être menée sur les droits de douane et sur les coûts logistiques.
►► Enfin, il ne faut pas s’attendre à un seul système de continuité
offline ∕ online. Chacun met en place des systèmes différents et on peut
s’attendre à une diversité d’innovations et de solutions à long terme. À ce titre,
c’est en Chine que se prépare le futur du retail en général et des marques de
luxe en particulier.
Partie 4

Les méthodes de gestion
des points de vente de luxe
Chapitre 13

La localisation des points de vente


« Dans un contexte immobilier où chaque mètre carré compte,
le luxe ultime, c’est l’espace perdu. L’espace qui n’est pas “productif” – qui n’est
pas commercial – offre la contemplation, l’intimité,
la mobilité et le luxe. »
Rem Koolhaas

Par le passé, la question de la localisation des points de vente pour les


marques de luxe pouvait paraître très simple  : Il suffisait de se placer à
proximité immédiate des principaux concurrents. Cette industrie semblait
donc avoir perpétué l’ancien système médiéval, lorsque chaque membre
d’une corporation cherchait à se trouver dans la même rue que ses
principaux concurrents.
Mais il fallait se placer à côté de ses concurrents avec quel type de point
de vente ? De quelle taille ? Et pour faire quoi ? Une analyse approfondie
de chaque zone de chalandise, si elle est bien sûr plus utile pour les
dirigeants de groupe de supermarchés ou de chaînes de magasins
spécialisés, n’est tout de même pas inutile pour une marque de luxe. Enfin,
il faut aussi parler des coûts des loyers d’un magasin dans différents pays,
ce qui peut expliquer en partie les stratégies d’implantation à un endroit
plutôt qu’à un autre.

La classification des magasins dans le commerce


des produits de masse

Pour ce qui est des produits de masse, on distingue trois types de situations
commerciales  : les points de vente de destination, les points de vente de
commodité et les points de vente d’interception.
• Le commerce de destination correspond aux situations où les
consommateurs achètent en fonction d’un processus de planification
complexe, et pour lesquels ils sont prêts à s’éloigner de leurs trajets
habituels. L’achat d’une automobile est l’exemple parfait de cette
situation, ou encore l’achat d’un berceau : Les futurs parents sont prêts
à parcourir plusieurs kilomètres avant la naissance de leur bébé pour
trouver le berceau qui leur convient  : Il n’est pas nécessaire d’ouvrir
des magasins à tous les coins de rue pour ce type d’achat de
destination. Les clients sont disposés à se déplacer et à prendre le
temps qu’il faut pour l’occasion.
• Le commerce de proximité correspond à des produits dont on peut
avoir besoin à la dernière minute et que l’on veut pouvoir trouver aussi
près que possible de chez soi, ou sur son chemin entre le travail et chez
soi. Des exemples types de cette situation peuvent être du sel ou le
beurre, c’est-à-dire des produits qui peuvent manquer au dernier
moment. Pour ce type d’achat, les consommateurs ne sont pas très
attentifs au prix demandé. Ils veulent être dépannés le plus vite
possible et consacrer le moins de temps possible à l’achat. Au
contraire, pour le commerce de destination, les clients font très
attention au prix  : ils prévoient leur achat à l’avance et sont prêts à
faire 10 ou 20 kilomètres s’ils sont sûrs de trouver le même produit,
dans un environnement commercial similaire mais à un prix
sensiblement inférieur.
• Le commerce d’interception correspond à des produits dont on n’a
pas forcément un besoin urgent mais pour lesquels on ne serait pas
disposé à passer beaucoup de temps pour trouver un point de vente
correspondant. Ce peut être le cas, par exemple, d’un double de clé, de
nouvelles semelles pour une paire de chaussures ou d’une boîte de
cigares. Il s’agit bien sûr d’objets utiles, mais personne ne serait prêt à
sortir au milieu de la nuit pour aller les chercher. On garde dans un
coin de son esprit l’idée que, la prochaine fois que l’on ira ici ou là, et
comme on sait qu’il se trouve un cordonnier ou un serrurier, on en
profitera pour laisser ses chaussures ou faire dupliquer sa clef. Ces
magasins ne sont pas des destinations par eux-mêmes, mais ils doivent
être sur le chemin ou à l’intérieur d’un centre commercial important,
ou à proximité d’une gare ou d’autres lieux du même genre.
En fait ces trois types de situations commerciales finissent par se trouver
dans deux types de situations d’achat différentes :
Les achats qui font partie d’une routine

C’est un cas particulier de shopping de destination pour lesquels les clients


s’organisent de telle manière qu’ils concentrent par exemple leurs courses
d’épicerie à un moment de la semaine, ou leurs grosses courses alimentaires
à un moment du mois. Une fois une procédure mise en place pour ces
achats, le client cesse d’être extrêmement sensible aux différences de prix,
du moins sur le court terme, bien qu’il s’attende à un niveau de prix
acceptable pour lui et s’attend à le trouver. Pour les achats de base
hebdomadaires, comme l’épicerie sèche, les gens sont prêts à faire
quelquefois jusqu’à 50  kilomètres en voiture. Dans certaines situations
spéciales, par exemple les courses de rentrée, ils sont même prêts à faire
100 kilomètres, ou même encore plus.

Les achats de commodités

Ils peuvent être effectués en dessous de chez soi, mais certains d’entre eux
peuvent aussi être réalisés en complément d’une routine associée à un achat
de destination.
Dans le commerce de proximité ou de destination, l’endroit choisi et
l’atmosphère doivent être différents. Dans le cas de la proximité, ce qui
compte, c’est presqu’exclusivement la facilité d’accès  : la zone de
chalandise est assez réduite et le luxe ou l’originalité de la décoration ne
sont pas déterminants. On ne peut pas parler ici d’une «  Cérémonie
d’achat  » et la seule chose qui compte, c’est que les vendeurs soient
efficaces, discrets et non conflictuels. Dans le cas de magasins de
destination, il faut que le client soit récompensé de son effort, soit par des
prix exceptionnels, soit par un service mémorable : Il faut par exemple que
l’effort de prendre sa voiture et de faire quelques kilomètres en vaille la
peine.
Aux États-Unis, c’est la raison pour laquelle les principaux centres
commerciaux tentent de s’ancrer autour d’un ou plusieurs grands
magasins  : l’objectif est simplement d’amener des clients dans le centre.
Une fois leur shopping de destination effectué, ils peuvent faire un tour et
entrer dans d’autres magasins. Ils finiront probablement par acheter des
choses qu’ils n’avaient pas prévu d’acheter et en profiteront également pour
faire un brin de shopping intermédiaire.
Pour les marques de luxe, les mêmes concepts s’appliquent, mais en
fonction de l’attractivité de chaque marque. Plus celle-ci est forte, plus la
situation devient celle d’un shopping d’excursion. Si la marque est
relativement faible, elle devrait prévoir de rendre possible des achats dits
«  d’interception  » ou même des achats de «  commodité  » qui s’intègrent
ainsi dans la routine du commerce de destination.
Pour les marques de luxe, comme on le verra plus loin, cette notion de
destination est fondamentale. Plus une marque est puissante et attractive,
plus elle bénéficie d’une clientèle de « destination » et plus elle attire à ses
côtés des marques plus faibles qui vont profiter de sa dynamique.
En Chine par exemple, les promoteurs immobiliers qui projettent
d’ouvrir de nouveaux centres commerciaux tendent à démarcher d’abord les
directeurs généraux des marques les plus solides pour leur proposer une
boutique avec un loyer très modéré, voire nul. Ils savent que s’ils peuvent
attirer trois ou quatre grandes marques ayant un très fort pouvoir
d’attraction, ils n’auront ensuite aucun mal à louer le reste de l’espace à
d’autres marques, cette fois-ci avec un loyer beaucoup plus élevé, en leur
promettant une clientèle, en quelque sorte captive. Ce système est très
pertinent sur le plan économique, mais il n’en est pas moins injuste
puisqu’in fine ce sont les marques les plus faibles qui paient le loyer des
marques les plus fortes.

Le cas du luxe : différents types de points de vente

Comme nous venons de le dire, le critère principal dans le luxe est le


pouvoir d’attraction dont chaque marque bénéficie. Mais différents types de
points de vente peuvent correspondre à différents objectifs marketing.

Les magasins navire amiral (flagship stores)

Leur nom est facile à comprendre. Ils n’ont pas pour seul objectif de gagner
de l’argent, mais pour communiquer la force et la santé de la marque et
développer sa notoriété et son image.
En plus d’être des magasins dans lesquels on vend des produits, ce sont
aussi des showrooms où les journalistes, les distributeurs étrangers ou les
licenciés peuvent voir l’ensemble de la collection et se faire une idée de la
manière dont elle devrait être mise en avant et vendue.
Les flagship stores auront d’abord vu le jour dans la ville d’origine de la
marque. Le grand magasin Hermès de la rue du Faubourg Saint-Honoré à
Paris en est un bon exemple. À Paris, ces magasins sont traditionnellement
les plus anciennes boutiques de la marque, sinon la boutique originelle, et
ils présentent un assortiment complet de la marque. Ce sont des boutiques
réalisant un chiffre d’affaires important, mais ce sont surtout de vraies
institutions. Chanel rue Cambon à Paris est par exemple un magasin de ce
type  ; il s’agit en fait du magasin d’origine (agrandi bien sûr au fil du
temps), dans lequel l’ensemble du concept et des produits Chanel peut se
déployer. Dior avenue Montaigne, à Paris aussi, est aussi un magasin de ce
type situé sur les lieux d’origine de la marque.
Cependant, au cours des dix dernières années, les marques se sont
mondialisées et leurs dirigeants ont élargi le concept de magasins « navire
amiral  ». Les plus grandes marques ont décidé d’ouvrir de tels magasins
non seulement dans leur ville d’origine mais aussi dans toutes les capitales
des pays prioritaires pour la marque  : Tokyo, Hong Kong, New York et
Shanghai, par exemple. Pour chaque aire géographique, cette extension du
concept de «  navire amiral  » correspond à la nécessité de faire vivre la
marque, de développer son concept et de présenter son offre de produits
dans des conditions optimales qui permettent une amplification des
événements de relations publiques et de merchandising.
Enfin un commentaire qui ne doit échapper à personne : un vrai magasin
flagship ne doit pas apparaître comme une simple opération de relations
publiques. Il doit être plein de clients et apparaître rentable, vivant et
débordant d’activités.

Les mégastores

C’est un autre concept, qui s’est développé depuis 1995 dans le secteur du
luxe. Il s’agit d’immenses magasins d’au moins 1 000 mètres carrés.
La définition des mégastores recoupe en partie celle des magasins
flagships : beaucoup parmi ces derniers sont des mégastores, mais d’autres
mégastores peuvent être créés avec des objectifs différents. Ouvrir un
mégastore n’a pas toujours pour objectif de valoriser l’origine de la marque
ou de créer une institution. Il peut s’agir aussi d’une démonstration de
force  : telle marque veut montrer à tout le monde, concurrents et
journalistes compris, qu’elle a la capacité d’ouvrir un immense magasin
dans telle ville et d’y gagner de l’argent. C’est une démonstration de force
et d’ambition. L’idée n’est pas tant d’avoir un magasin vaste, mais d’en
avoir un plus grand que les autres.
Dans les 18 magasins qui apparaissent dans le tableau 13.1, 7 sont situés
en Asie, où il est important de montrer sa force. Seuls Armani à Milan et
Louis Vuitton à Paris peuvent être considérés également comme des
magasins navire amiral d’envergure mondiale. Beaucoup d’autres jouent le
rôle de démonstration de force régionale, ayant pour vocation de
personnifier la priorité accordée à un territoire donné. Il n’est d’ailleurs pas
étonnant de découvrir pour la première fois Valentino sur cette liste. C’est
une consécration, et une indication que cette marque veut maintenant jouer
dans la cour des grands…
Il est clair que le développement des mégastores ressemble un peu à une
bataille de titans dans laquelle seuls les très grands peuvent concourir et
gagner de l’argent. Les petites marques, ou même les marques
intermédiaires, ne peuvent participer à ce jeu – elles restent sur la touche.
Autre conséquence de cette bataille de titans  : il y a une très forte
incitation au développement de toutes les catégories de produits. Il serait
pour le moins lassant, sinon ridicule, de ne vendre rien d’autre que des sacs
à main dans un magasin de 2000 mètres carrés. Pour rester dans le jeu des
mégastores, il est nécessaire de présenter une collection de produits
complète, avec bien entendu une collection de prêt-à-porter de luxe. Les
mégastores constituent donc pour les grandes marques une incitation très
forte à développer un assortiment complet.
On pourrait penser qu’en développant ces magasins immenses, les
marques ont l’air de se battre entre elles en oubliant les clients, de la même
manière que les grands magasins dans les années 1880, qui développaient
une offre produits toujours plus étendue avec toujours la même enseigne.
Les mégastores continueront-ils à se développer ? Probablement, tant qu’ils
pourront être rentables et que les marques voudront, sur les marchés qui
sont pour elles prioritaires, montrer leur force. Nous devons aussi nous
souvenir qu’ils sont bien plus que des magasins  : ils tendent à devenir de
véritables institutions dans les villes où ils sont situés.
Tableau 13.1 – Exemples de mégastores (et leurs espaces de vente en mètres carrés)
en 2018

Marque Ville Surface en m2

Spazio Armani Milan 6 500

Chanel Ginza building, Tokyo 6 100

Hermès Séoul 6 000

Gucci New York, 5th avenue 4 300

Prada San Francisco 4 300

Dior Séoul 4 200

Chanel Soho, New York 4 150

Louis Vuitton Champs Elysées, Paris 3 600

Louis Vuitton Place Vendôme, Paris 3 500

Louis Vuitton Omotesando, Tokyo 3 100

Prada Aoyama, Tokyo 2 800

Tod’s Omotesando, Tokyo 2 550

Prada New York 2 300

Ralph Lauren New York 2 000

Louis Vuitton 1 East 57, New York 1 900

Valentino New York 1 850

Dior Omotesando, Tokyo 1 550

Source : Articles de presse.

Les magasins institutionnels
D’une certaine manière, ceux-ci sont le contraire des mégastores. Lorsque
des marques réalisent une large part de leurs ventes en distribution indirecte
par l’intermédiaire de magasins multimarques, elles doivent renforcer leur
image grâce à de petits magasins qui agissent un peu comme des
showrooms ouverts au public, qui formulent un message, et qui montrent
aux consommateurs et aux détaillants multimarques que cette marque est
aussi une véritable institution, comme les grandes. Ces magasins
institutionnels n’ont pas besoin d’être immenses  : 60 à 200 mètres carrés
suffisent, mais ils doivent être situés dans des endroits prestigieux.
Beaucoup de fabricants d’horlogerie ont ouvert ce type de point de vente.
Ils présentent tout l’environnement de la marque, contrairement aux
bijoutiers indépendants qui ne peuvent en montrer qu’une partie puisqu’ils
vendent une gamme de produits très étendue et correspondant à différentes
marques. Le fait d’avoir une adresse prestigieuse dans une ville donnée
renforce aussi l’image de marque et offre une garantie d’un service après-
vente de plus grande qualité.
Mais de tels magasins nécessitent des endroits quasiment exceptionnels.
Lorsque certains fabricants de montres ouvrent ce type de magasins
institutionnels à Shanghai, par exemple, mais du mauvais côté de la rue
Huai  Hai  Zhong  Lu ou au sous-sol de Plaza  66, ils passent à côté de
l’objectif.

Les boutiques éphémères

Il s’agit d’un développement récent, dont l’invention est attribuée à Comme


des Garçons, et qui a été copiée par beaucoup d’autres. L’idée originelle
était de louer un espace commercial, un peu à l’écart des sentiers battus (un
lieu de destination, par exemple) avec un loyer aussi bas que possible, et
d’y vendre des produits dans un environnement de type entrepôt, tout en y
organisant toute une série d’événements de relations publiques, comme par
exemple une présentation d’articles très anciens de la marque, pour que le
client ne soit pas seulement venu pour acheter quelque chose, mais pour
participer à une expérience différente et originale.
Bien sûr, en principe, un tel magasin éphémère doit aussi gagner de
l’argent, surtout si le loyer est très bas et si les pièces de collection et le
thème choisis sont suffisamment forts pour attirer une clientèle diversifiée.
Il peut aussi être un outil de relations publiques très efficace. Par exemple,
un magasin éphémère peut voir le jour un peu avant Noël et donner aux
journalistes l’occasion de parler de la marque d’une façon différente et
convaincante.
C’est en février  2004 que Comme les Garçons a ouvert la première
boutique éphémère à Berlin, appelée «  boutique guérilla  » ou «  boutique
propagande  ». Elle fut suivie de beaucoup d’autres à Barcelone, Helsinki,
Singapour, Stockholm, Ljubljana et Varsovie. Il s’agissait de boutiques
éphémères dans lesquels les produits étaient présentés dans des vestiaires
ou sur des tables, sans beaucoup de raffinement apparent, souvent situées
dans des zones non commerçantes, en réaction à l’hyper-commercialisation
croissantes des centres-villes  : «  Le lieu sera choisi en fonction de son
atmosphère, de ses liens avec l’histoire, de sa situation géographique à
l’écart des quartiers commerçants établis, ou d’autres caractéristiques
intéressantes, » disait le manifeste de la marque.
La boutique berlinoise avait tous les signes d’un magasin discount.
L’idée a clairement évolué vers celui d’une véritable boutique concept, avec
ses codes de merchandising et son « architecture ». Seuls ont été retenus le
caractère éphémère et le choix de localisation du premier magasin guérilla.
Beaucoup d’autres marques (Evian, Wrangler, Gap, Nokia, Levi’s, Louis
Vuitton, Chanel et Target, pour n’en nommer que quelques-unes) ont depuis
repris l’idée de boutiques éphémères, souvent sans la considération
nécessaire, préférant créer un événement plutôt qu’un moyen de renforcer la
valeur de la marque. Nous pouvons proposer une typologie des magasins
éphémères, montrant comment une marque peut avoir recours à cet outil
puissant de développement.
• Une méthode pour renforcer la rareté  : c’est l’option privilégiée par
beaucoup de marques de luxe. Depuis 10  ans, elles perdent quelques
fois de leur lustre en multipliant les boutiques et en élargissant leur
clientèle. Elles peuvent avoir perdu ainsi le sens de la rareté – qui est
un des fondamentaux du luxe – et ont pu croire que leurs politiques de
prix et le renforcement de leur image suffiraient à justifier leur statut
de marque de luxe. Les boutiques éphémères sont une manière de
recréer de la rareté  : un point de vente temporaire qui propose une
collection éphémère et exclusive. Louis Vuitton est la marque qui a le
mieux compris cet aspect  : la boutique éphémère commune avec
Comme des Garçons est un exemple parfait de cette stratégie – ouverte
à Tokyo du 4  septembre 2008 à la mi-décembre, elle proposait une
série de 6 sacs en édition limitée.
• Un moyen pour la marque de se faire désirer là où elle était jusqu’à
présent totalement absente : c’était le cas avec les guerrilla stores de
Comme des Garçons et c’est toujours le cas aujourd’hui avec les
boutiques éphémères de Target, appelées Bulls Eye Bazaars. Absent
d’un certain nombre de grandes villes comme New York ou Chicago,
et fondé sur un concept de chic & cheap, ils empruntent au luxe l’idée
de rareté avec des produits créés par des designers célèbres,
disponibles en édition limitée et à prix réduits.
• Une manière de tester un nouveau concept commercial  : c’est ce que
Procter & Gamble essaie de faire avec le Look Fab Studio, une
boutique éphémère itinérante au Canada. Tous les produits de beauté
de Procter & Gamble sont regroupés (Pantene, Cover Girl, Olaz,
Nice’n Easy, Crest et Venus par exemple) dans un lieu où des stylistes
professionnels dispensent des conseils en matière de soins
dermatologiques et de coloration des cheveux, et offrent des mini-
séances de soins. Tous les services sont offerts, et il n’y a aucun
produit en vente. Mais pour la première fois une offre beauté globale
de P&G est présentée sous un même toit –  un avant-goût de futures
boutiques, peut-être ?
• Un moyen de lancer un nouveau produit : c’est le cas le plus courant et,
d’après nous, le moins intéressant. Une marque organise un
événement, et au lieu qu’il s’agisse d’une conférence de presse ou d’un
événement mondain, il s’agit d’une boutique éphémère où les
consommateurs peuvent découvrir la nouvelle gamme. C’est ce qu’a
fait Gap à San Francisco en avril  2009 pour lancer sa gamme 1969
Premium Denim Jeans – une boutique éphémère ouverte pendant cinq
mois. Glaceau a fait la même chose pendant 10 jours à New York pour
lancer VitaminWater10.
Pourquoi les gens visitent-ils ces magasins éphémères ? Le tableau 13.2
indique que, dans le cas de la Chine, un moteur important poussant les gens
à entrer dans un magasin est l’idée d’y prendre du plaisir. Les visites dans
les magasins sont probablement perçues comme des divertissements. On
voit dans le tableau qu’une femme chinoise passe en moyenne 9,3  heures
par semaine à se promener dans les magasins…
En Chine, il est courant pour des ami(e)s de s’appeler et de se dire  :
« Allons faire un tour dans les boutiques (de mode) ! » Dans une moindre
mesure, cet aspect « divertissement » du shopping existe dans d’autres pays
et, de ce point de vue, l’idée de boutique éphémère paraît très bonne.
Il faut également mentionner Hermès, qui a ouvert une boutique
éphémère à Paris, de mai à décembre  2010, avec un artisan spécialiste du
cuir travaillant à une table située dans la vitrine de la boutique.
Tableau 13.2 – Shopping et divertissement

Heures hebdomadaires Nombre de boutiques visitées


 
passées en shopping par semaine

Chine 9,3 4,6

États-Unis 3,6 3,1

France 3,0 2,5

Source : Shanghai Daily, repris dans M. Chevalier et P. Lu, Luxury China : Market


Opportunities and Potential (Hoboken, NJ : John Wiley & Sons, 2009).

Quand elles peuvent apporter un divertissement de qualité, une histoire


forte en termes de relations publiques, découlant sur de nombreux articles
de presse et un chiffre d’affaires élevé, les boutiques éphémères semblent
être une innovation intéressante.

Les magasins dont l’objectif premier est de réaliser


du volume

En passant d’un type de boutique à l’autre, il ne faut pas oublier que la


raison d’être d’un magasin est de gagner de l’argent. Les dirigeants doivent
donc soigneusement mettre au point le magasin idéal avec une taille adaptée
à la force de la marque et une approche de merchandising élaborée et
confirmée : les accessoires doivent-ils être séparés ou mélangés au prêt-à-
porter ? Les cravates se vendent-elles mieux près des costumes pour homme
ou près des chemises ? Les chaussures devraient-elles être vendues dans un
endroit spécifique ?
Du fait qu’un magasin dans une ville secondaire aura peut-être une
apparence différente du magasin flagship à Paris ou à Milan, les gens
tendent à oublier que chaque marque possède, en termes de vente, un
ensemble de bonnes pratiques qui peuvent être mises en place partout.
Coach, par exemple, a recours à des magasins d’usine pour mesurer
rapidement les performances de ses nouveaux modèles dans telle et telle
taille et telle et telle couleur, avant de vendre ce même article finalisé dans
ses boutiques prestigieuses. L’idée est intéressante  : utiliser des magasins
tests dans les centres de discount pour mesurer l’impact de différents outils
de merchandising et pour définir la présentation idéale de manière à
accroître les volumes et la satisfaction du consommateur dans les points de
vente traditionnels.

Combien de points de vente dans une ville donnée ?

Étant donné l’équilibre existant pour chaque marque entre les implantations
de proximité et les implantations de destination, il devrait être possible de
déterminer un nombre idéal de points de vente dans une ville donnée.
D’un point de vue extérieur, nous pouvons observer que lorsqu’une
marque dispose d’un magasin flagship ou d’un mégastore dans une ville
donnée, elle se montre souvent réticente à en ouvrir un autre : les équipes
commerciales veulent probablement s’assurer que le flagship fonctionne au
mieux, et ne veulent pas prendre le risque d’une deuxième ouverture avant
plusieurs années. Hermès n’a eu, pendant très longtemps, qu’un seul
magasin à Paris (leur flagship) et un petit point de vente dans l’hôtel Hilton
sur la Rive gauche (et un demi-magasin sur l’avenue  Georges  V, qu’ils
partageaient avec la marque de chapeaux Motsch), tandis que Salvatore
Ferragamo avait plus de 10 magasins dans cette même ville. Hermès a
probablement sous-optimisé son chiffre d’affaires parisien. Aujourd’hui,
Hermès a ouvert un deuxième magasin rue de Sèvres et un troisième avenue
Georges V. Pendant de nombreuses années, Louis Vuitton n’avait de même
qu’un mégastore à Shanghaï, et 3 magasins à Pékin, avant qu’ils n’ouvrent
2 magasins supplémentaires à Shanghai et à nouveau 3 à Pékin, ce qui lui
fait un total de 3 à Shanghai plus 6 à Pékin en 2018. Il se peut qu’un
magasin flagship, avec son fort pouvoir d’attraction, réduise l’intérêt d’un
deuxième point de vente (de volume ou de proximité). Mais la plupart des
grandes villes possèdent zones de commerce prestigieux et plusieurs
quartiers où il est de bon ton d’être présent.
Puisque nous passons de l’idée d’un seul magasin (situé dans le meilleur
endroit possible ou dans un lieu d’exception) à celle de plusieurs, il nous
faut analyser de manière plus systématique le potentiel de différentes
localisations dans une ville.

« Un magasin devrait être un lieu de dévotion »


ou une « institution »

Les mots de Donna Karan disent tout. Elle parle de «  modernité  », de


« sensualité », de « théâtralité ». Il est vrai qu’un magasin de luxe devrait
être bien plus qu’un simple lieu où l’on expose et vend les produits.
En fait, un point de vente de luxe bien géré organise des présentations de
produits et des événements spéciaux. Sur les murs, on doit voir toute une
iconographie sous la forme de publicités ou de photographies représentant
des artistes connus s’affichant avec les produits de la marque. La musique
diffusée dans le magasin doit véhiculer l’histoire des origines de la marque.
Parfois une odeur particulière émane du cuir utilisé dans les produits et la
marque présente en quelque sorte une forme de «  sainteté  », de «  sacré  »
dans la manière dont elle promeut l’image du styliste ou de la star, ou des
deux, qui l’ont fondée.
Pour conclure cette section consacrée aux points de vente d’une manière
qui puisse s’appliquer à la fois aux boutiques exceptionnelles et aux
magasins plus traditionnels, regardons l’exemple du magasin Sephora sur
les Champs-Élysées à Paris. C’est un magasin immense avec des ventes
atteignant, en 2018, les 150  millions d’euros. Mais c’est bien plus qu’un
magasin : c’est aussi un point de rencontre. En moyenne, le samedi, 20 000
personnes franchissent le seuil de ce magasin, contre 9  000 un lundi  :
lorsque des jeunes ont convenu d’aller voir un film ensemble au cinéma d’à
côté, ils se donnent généralement rendez-vous chez Sephora. Le ticket
moyen du magasin est très élevé : 100 euros. Du fait de ce rôle de point de
rendez-vous, le pourcentage de gens quittant le magasin avec un achat est
très faible les samedis et dimanches (le  taux de conversion est alors de
23  %, ce qui correspond à 4  600 tickets, alors qu’il est bien plus élevé le
lundi, environ 33  % des visiteurs y réalisant un achat, soit quelque 3  000
personnes). Gérer un tel magasin ne consiste pas seulement à vendre des
produits et à tenir la caisse  ; il s’agit de faire en sorte que le magasin
demeure une institution et reste le meilleur point de rendez-vous sur
l’avenue des Champs-Élysées. Pour ceci, il  est nécessaire d’organiser des
événements spéciaux qui positionnent le magasin comme un lieu
d’exception aux yeux du client.

Dans quelles villes du monde doit-on ouvrir


des magasins ?

Ce qui est spécifique au luxe, c’est que les consommateurs achètent dans
leur propre pays mais aussi à l’étranger. Un client japonais peut très bien
acheter une cravate Hermès à New York, un citoyen français peut acheter
un parfum italien en Allemagne, et un Suédois peut acheter un parfum
français pendant ses vacances aux Îles Canaries, qui font partie de
l’Espagne. Le résultat net de ces attitudes individuelles est que, si une
marque de luxe veut exister et être crédible, elle doit être disponible dans
presque tous les pays du monde.
Lorsqu’une marque de luxe n’est pas disponible aux États-Unis, au Japon
ou en France, elle perd une partie de sa force et de son pouvoir d’attraction.
Des Espagnols préféreront acheter un bijou Cartier ou Bulgari plutôt que
Suarez car ils savent que même si Suarez est très connue en Espagne, elle
est inconnue à New York ou en Allemagne et ne pourra donc pas
impressionner leurs amis étrangers. Donc, d’une certaine manière, aucune
grande marque de luxe ne peut rester locale : elle doit se développer sur la
scène mondiale. Des marques qui démarrent peuvent être d’abord locales,
mais seulement si elles donnent les signes clairs d’une volonté de se
développer à l’international par la suite.
Où les marques sont-elles situées dans le monde  ? Richard Ellis a
examiné cette question dans une étude menée par CBRE sur la présence des
marques de luxe dans différentes capitales. Le résultat figure dans le
tableau 13.3.
Ce tableau réserve plusieurs surprises : d’abord, le fait que 11 villes aux
implantations habituelles sur 18 sont situées en Asie (avec seulement 2 en
Amérique, dont curieusement Las Vegas). Deuxièmement, le fait que, dans
les 11 villes asiatiques, seulement 3 sont situées en Chine continentale,
(avec Chengdu qui est presque aussi bien lotie que Pékin) contre 3
également au Japon (avec Nagoya et Kobe qui compensent l’absence
d’Osaka…) et 2 dans la petite île de Taïwan.
Tableau 13.3 – Présence (en pourcentage) d’un panel de marques de luxe dans
différentes villes mondiales

1 Shanghai 87 %

2 Dubaï 83 %

3 Londres 83 %

4 Hong Kong 81 %

5 Tokyo 79 %

6 Singapour 75 %

7 New York 73 %

8 Taipei 73 %

9 Moscou 73 %

10 Pékin 71 %

11 Paris 71 %

12 Séoul 69 %

13 Las Vegas 67 %

14 Chengdu 67 %

15 Taichung 67 %

16 Milan 67 %

17 Nagoya 67 %

18 Kobe 65 %
Source : CBRE, Richard Ellis, Global Retailing, 2018.

Si ces pourcentages étonnent, ils représentent néanmoins une indication


claire de la situation actuelle. Il serait d’ailleurs intéressant pour les
gestionnaires de marque, qui ont sans doute des magasins dans beaucoup de
ces 18 villes, de connaître les 18 villes qui disposent aujourd’hui des
pourcentages les plus élevés qui suivent. Pour relativiser encore plus ces
résultats, il faut étudier également le tableau  13.4 qui classe les villes
mondiales les plus « attirantes » pour les dirigeants.
Tableau 13.4 – Les destinations les plus « attirantes » pour ouvrir un magasin

1 Londres

2 Hong Kong

3 Paris

4 Tokyo

5 New York

6 Shanghai

7 Singapour

8 Dubaï

9 Pékin

10 Osaka

11 Taipei

Source : Jones Lang Lassale, 2016.

Mais comment les vendeurs décident-ils d’aller dans telle ville plutôt que
telle autre, et sur quels critères se fondent-ils  ? Cela va dépendre de
l’origine nationale des marques. La société CBRE a ainsi regardé l’origine
des marques dans 3 des plus grandes rues du commerce de luxe (sans
d’ailleurs avoir étendu leur analyse ni à Paris ni à Milan…). Le résultat
apparaît dans le tableau 13.5.
Tableau 13.5 – Pourcentage d’origine des marques installées dans trois grandes rues
commerciales
  Bond Street Madison Avenue Canton Street
Londres New York Hong Kong

Italie 19 % 27 % 15 %

France 14 % 20 % 17 %

Royaume Uni 30 % 12 % 7 %

États-Unis 6 % 28 % – 

Suisse 16 % 4 % 13 %

Chine –  –  27 %

Autres origines 5 % 9 % 21 %

  100 % 100 % 100 %

Source : CBRE 2018.

On remarque dans ce tableau le poids très fort des marques italiennes et


françaises, mais la différence de situation suivant les capitales. À New York
et à Londres, les marques italiennes sont un peu plus présentes que les
Parisiennes, alors qu’elles font la part égale à Hong Kong. Dans cette
dernière ville, on remarque bien sûr la présence des marques chinoises. Une
autre étude de Jones Lang Lasalle recense le nombre de touristes dans
certaines villes d’Asie. C’est ce qui est présenté dans le tableau 13.6.
Alors, le commerce du luxe doit-il être mondial  ? Sans conteste, oui.
Mais, comme sur bien d’autres sujets, un mot de prudence semble
nécessaire et bienvenu.
Tableau 13.6 – Nombre de touristes ayant visité différentes villes d’Asie en 2017 (en
millions)

Touristes étrangers Touristes domestiques

Bombai 4,4  

Hong Kong 56,7  

Macao 30,9  

Melbourne 2,6 8,8

New Delhi 2,4  

Osaka 9,4  
Pékin 4,2 171,1

Séoul 13,5  

Shanghai 8,0 139,2

Singapour 16,4  

Sydney 3,6 9,2

Taipei 10,6  

Tokyo 13,1  

Source : Jones Lang Lasalle, Asian Research, 2018.

Dans ce tableau, on note l’incroyable nombre de Chinois visitant Pékin


(171  millions) ou Shanghai (139  millions), sans parler de ceux qui vont à
Hong Kong (une grande partie des 57  millions) ou à Macao (une grande
partie des 31 millions). On peut aussi remarquer le pouvoir d’attraction de
Singapour (16 millions, soit davantage que les 13 millions de Tokyo et de
Séoul).
Parmi ces visiteurs chinois qui entrent tous les jours à Pékin, à Shanghai
ou à Hong Kong, il y a sûrement des gens qui vont à une réunion de travail ;
il y a aussi de vrais touristes qui viennent pour visiter et pour faire des
courses. Il est essentiel que les magasins qui leur sont proposés soient
conformes à leurs attentes.

Le cas de la Chine continentale

La Chine continentale joue un rôle à part dans l’industrie du luxe. C’est le


marché prioritaire, et à ce titre, il mérite une attention spéciale. C’est
pourquoi nous avons reproduit un tableau élaboré par Luca Solca qui
retrace l’implantation de différentes marques de luxe dans les principales
villes chinoises au début de 2018.
Tableau 13.7 – Localisation des principaux points de vente en Chine

Pékin Shanghai Hangzhou Shenyang autres Total

Versace 9 7 1 2 32 51
Moncler 5 4 1 2 15 27

Dolce & G 8 7 3 3 26 47

Zegna 13 9 3 3 53 80

Givenchy 4 4 2 2 7 19

Tod’s 3 5 3 3 23 37

Ferragamo 8 8 5 4 50 75

Bulgari 6 5 1 2 20 32

Alex McQ 2 2 1 - 3 8

G. Armani 4 2 2 2 14 24

Miu Miu 5 4 1 1 14 25

Burberry 6 7 2 3 39 57

Bott. Ven 9 4 2 3 21 39

Loro Pian 5 3 1 1 7 17

Valentino 7 4 2 1 9 23

Gucci 6 7 2 2 40 57

Saint Laur 7 3 2 - 9 21

Prada 4 6 2 2 23 37

Louboutin 4 3 1 1 1 10

L. Vuitton 6 3 4 3 25 41

Hermès 5 4 2 1 13 25

Total 128 88 47 40 449 752

Source : Luca Solca : Retail Network Monitor, janvier 2018.

Ce qu’on peut remarquer, c’est que Pékin est de loin la première ville qui
récupère 17 % des implantations, loin devant Shanghai avec 12 %… et les
troisième et quatrième villes sont beaucoup moins connues que par exemple
Shenzhen ou Guangzhou. Ces deux dernières pâtissent bien évidemment de
la proximité de Hong Kong, une ville sans droits de douane alors que ceux-
ci (ainsi qu’une taxe spéciale de luxe) sont élevés en Chine continentale. Ce
qui est certain, c’est qu’une présence en Chine doit correspondre à un plan
complet, élaboré et coûteux de développement qui passe par une
communication forte pour développer la notoriété de la marque au niveau
national, alors les consommateurs de luxe sont répartis dans une bonne
douzaine de villes.

Pourquoi telle ville plutôt que telle autre ?

Enfin, pour analyser les implantations les plus logiques, Jones Lang Lasalle
a mis au point un indice de transparence pour évaluer le niveau de sécurité
dans différents pays, selon qu’il est plus ou moins dangereux d’y investir
dans l’ouverture d’un point de vente. Jones Lang Lasalle essaie à cette fin
de définir les différents niveaux de risques pour les opérateurs et le niveau
de sécurité financière de l’investissement.
Leur indice de transparence se fonde sur cinq critères :
• La disponibilité d’un indice de performance des investissements
• La disponibilité des données fondamentales du marché
• Les réglementations et les obligations en matière de gouvernance et de
communication financière
• Les facteurs réglementaires et légaux
• Les standards professionnels et éthiques
L’idée est que lorsqu’un acteur mondial investit dans un point de vente à
l’étranger, il doit pouvoir se fier à sa valeur, il doit pouvoir le revendre
ultérieurement à un prix acceptable, il doit pouvoir trouver localement des
propositions de financement stables et il doit pouvoir être sûr que les
éléments légaux et réglementaires de l’opération sont clairs pour tout le
monde et qu’il n’y aura pas, plus tard, de mauvaises surprises.
Le tableau  13.8 dresse une liste d’une sélection de pays, où l’on peut
voir, dans la première colonne, les neuf pays correspondant à l’indice de
transparence le plus élevé. Il est intéressant de remarquer, bien sûr, que des
pays comme l’Allemagne, l’Italie, la Suisse ou le Japon n’atteignent que le
deuxième niveau de transparence parce que l’environnement qu’ils
présentent pour l’immobilier commercial n’est pas toujours aussi simple
qu’on pourrait l’espérer.
Tableau 13.8 – Situations géographiques des activités commerciales (indice de
transparence)

Haute Faible
Transparence Semi-transparence
transparence ou Opaque

29. Russie villes de rang


1. Canada 10. Irlande 65. Chine (rang 2)
1

34. Russie villes de rang


2. Australie 11. Hong Kong 77. Vietnam
1

3. États-Unis 12. Singapour 44. Corée du Sud 79. Cambodge

4. Nouvelle-
13. Finlande 49. Chine villes de rang 1 81. Algérie
Zélande

5. Royaume Uni 14. Allemagne 50. Inde villes de rang 1 81. Syrie

6. Pays-Bas 15. Danemark    

7. France 16. Espagne    

8. Suède 17. Autriche    

9. Belgique 18. Norvège    

  19. Italie    

  20. Suisse    

21. Afrique du
   
Sud

  22. Portugal    

  23. Malaisie    

24. République
     
Tchèque

  25. Pologne    

  26. Japon    

Source : Jones Lang Lasalle, Real Estate Transparency Index, 2009.

Dans les niveaux « faible » ou « opaque » de l’indice de transparence, on


peut remarquer le deuxième groupe des villes chinoises ainsi que l’Algérie
et la Syrie.
Mais Jones Lang Lasalle va plus loin. Au lieu d’accuser tel ou tel pays, il
montre que l’indice de transparence est corrélé au PIB par habitant, aux
niveaux de corruption à un moment donné et aux perspectives générales de
l’environnement économique. Le point ici est que, à mesure que les pays se
développent et améliorent leur niveau de démocratie et de stabilité
politique, ils deviennent plus transparents, rendant ainsi la tâche plus aisée
aux étrangers souhaitant investir de manière sûre dans l’immobilier
commercial local. Mais le point le plus intéressant est qu’il démontre
comment, à des niveaux de développement économique et démocratique
comparables, certains pays sont simplement moins sûrs et moins
transparents que d’autres pour des étrangers qui souhaitent investir.
Alors, le commerce du luxe doit-il être mondial  ? Sans conteste, oui.
Mais, comme sur bien d’autres sujets, un mot de prudence semble
nécessaire et bienvenu.

Analyse des zones de chalandise

Commençons par une analyse économique, avant une analyse géographique


et nous finirons avec les applications potentielles de ces outils aux magasins
de luxe.

Analyse économique

De nos jours, avant de choisir l’emplacement d’un supermarché, les


responsables examinent soigneusement des critères tels que pouvoir
d’achat, adéquation de la zone commerciale et potentiel de croissance
commerciale. S’ils peuvent survoler la zone en hélicoptère, ils examineront
également la circulation automobile, les feux de signalisation, les goulots
d’étranglement et les schémas d’accès et de sortie d’un terrain ou d’un
centre commercial donné  : les enjeux financiers justifient ce niveau de
détails. Ils demandent ensuite à des consultants spécialisés d’effectuer des
analyses économiques pour leur compte. Les données disponibles
aujourd’hui sont si précises que le manager général d’une marque nous a
confié qu’il dirigeait 80 magasins à Séoul et que le quartier général du
groupe, basé en Europe, lui désignait l’emplacement qui devrait selon les
consultants être celui du 81e, sans que les équipes européennes ne se soient
jamais rendues dans cette ville.
Le pouvoir d’achat moyen est connu aujourd’hui pour presque tous les
quartiers du monde :
• Revenu par îlot.
• Nombre de téléphones portables par îlot.
• Nombre de cartes de crédit et pourcentage de cartes débitrices.
• Nombre de vols et de cambriolages dans l’îlot.
Les gens peuvent ensuite définir une adéquation de la zone commerciale
en fonction de l’indice de pouvoir d’achat et des ventes de détail réalisées
dans la zone. Avec cette approche, il est possible de définir :
– une adéquation commerciale nette, prenant en compte les zones sous
équipées en magasins ;
– une mesure de saturation commerciale, utilisant un indice de saturation
égal au rapport du nombre de consommateurs dans la zone
commerciale multiplié par la dépense moyenne dans la catégorie sur le
nombre de mètres carrés commerciaux : ceci donne, pour chaque zone
commerciale du monde, une estimation des ventes par mètre carré dans
la zone.
Ces indicateurs seront mis en regard avec le potentiel de croissance
commerciale qui prend en compte la tendance économique dans la zone, les
prévisions de revenus et une sensibilité déjà établie des revenus à la hausse
des ventes dans la catégorie en question.

Analyse géographique

Les données économiques doivent ensuite être équilibrées par une analyse
géographique élémentaire. Chaque zone commerciale est singulière à sa
manière, et sa structure propre peut avoir des impacts très différents, par
exemple, pour un grand magasin d’ameublement, un supermarché isolé ou
encore un grand centre commercial avec une vaste sélection de
marchandises. Il faut aussi avoir en tête la manière dont les gens se
comportent quand ils se déplacent dans une ville donnée.
D’abord, il y a des obstacles, tels que rivières ou autoroutes, que les gens
ont tendance à ne pas vouloir franchir pour aller faire leurs courses même si
le magasin ou le centre commercial en question se trouve en fait d’accès
plus rapide que celui qui est situé du même côté qu’eux… À Hong Kong,
par exemple, un résident de l’île aura du mal à organiser une visite à des
points de vente qui se trouvent sur la péninsule, c’est-à-dire du côté de
Kowloon, bien qu’il puisse prendre le métro pour traverser le chenal. À
Paris, les gens qui vivent Rive gauche ont tendance à faire leurs achats sur
cette rive, et ceux qui vivent Rive droite ne sont pas plus enclins à traverser
la Seine. Ils le feraient bien sûr pour aller au travail ou à l’université, mais
ils sont moins disposés à le faire pour leurs courses. Pourquoi ? Il n’existe
pas de raison simple à ceci.
Les voies de chemin de fer constituent également un obstacle
psychologique, particulièrement si elles ne sont pas souterraines. Mais les
gares, comme nous l’avons vu dans le cas du Japon, fonctionnent comme
des aimants, non seulement sur les voyageurs mais aussi sur les gens qui ne
prennent jamais le train.
Quelles sont les meilleures parties d’une rue ? Dans l’hémisphère nord,
pour une rue allant d’est en ouest, le côté nord est toujours le premier choix,
car il est plus ensoleillé alors que le côté sud est à l’ombre. Bien sûr, si la
rue est très étroite et les immeubles très hauts, la différence s’amenuise ou
même disparaît. Mais à Paris, sur les Champs-Élysées, il y a trois fois plus
de passants sur le trottoir nord que sur le trottoir sud. Le loyer est-il trois
fois moins cher sur le côté sud ? Pas vraiment, mais les agents immobiliers
disent que les loyers y sont en moyenne 30  % moins cher sur le côté sud
que sur le côté nord. Le côté sud offre donc une alternative intéressante
pour les magasins des marques « de destination », mais il ne serait pas un
choix très pertinent, en termes d’équilibre financier, pour des marques de
commodité comme des fast-foods ou des vendeurs de glaces qui doivent
pouvoir profiter du nombre de clients potentiels passant devant leur
magasin. Dans les rues orientées sud-nord, le côté est est préféré car il est
plus lumineux l’après-midi, à l’heure où les gens font l’essentiel de leurs
courses.
Quid de villes comme Madrid ou Singapour, où le climat est très chaud ?
Dans ce cas, les gens préféreront marcher à l’ombre, mais seulement dans
une certaine mesure, car le soleil illumine les boutiques du côté nord, les
rendant plus attractives, tout comme à Londres ou Tokyo.
Est-ce que ceci fait une différence  ? Clairement oui sur les Champs-
Élysées à Paris, puisqu’il y a trois fois plus de passants sur le trottoir nord
que sur le trottoir sud ; un magasin situé côté sud et qui n’aurait pas un fort
pouvoir d’attraction risquerait de voir trois fois moins de clients entrer dans
sa boutique que s’il avait été du côté nord. Et ce point n’a rien d’insignifiant
bien sûr, car, comme nous venons de le signaler, le loyer sur le côté sud des
Champs-Élysées n’est pas trois fois moins cher que sur le côté nord.

Regroupements

Dans une ville donnée, les zones commerciales peuvent être vues comme le
résultat d’une somme de regroupements obtenus en fonction d’éléments
économiques et commerciaux. Pour une petite ville, les zones commerciales
de deux supermarchés se superposent, mais s’il n’y a qu’un seul bijoutier, il
pourra bénéficier de la clientèle des deux supermarchés.
À chaque fois qu’un client fait un achat, il est intéressant de savoir où il
habite. S’il paie par chèque, il est très simple de relever son adresse. S’il
paie par carte bancaire et qu’aucune pièce d’identité n’est nécessaire,
l’information est un petit peu plus difficile à obtenir. Une alternative est de
réaliser un sondage auprès d’un échantillon des clients quittant le magasin.
Quelle que soit la manière dont cette information est obtenue, il est
intéressant pour une marque de connaître le pourcentage de volume réalisé
auprès de clients vivant à 5, 10, 20 30 minutes ou plus du magasin  : ceci
peut fournir des indications très précieuses sur la manière d’assurer la
promotion du magasin (et sur quel territoire le faire), et ceci peut aussi être
très utile en cas de réflexion sur l’ouverture d’un second magasin dans la
même ville.

Les lois de Reilly

Les lois de William J. Reilly datent de 1929 mais sont toujours considérées
comme la seule manière d’évaluer le pouvoir d’attraction de deux magasins
similaires dans deux villes, ou l’impact de plusieurs magasins concurrents
dans une même zone commerciale.

■ La première loi de Reilly

Elle définit le point, entre deux villes A et B, où les gens préféreront se


rendre, et s’énonce ainsi :

Reilly mesurait en fait l’attractivité de chaque ville en fonction de son


nombre d’habitants.
Si nous supposons que la distance entre A et B est de 100 kilomètres et
que la ville A compte 40 000 habitants contre 10 000 pour B, alors :
Point d’égale probabilité = 33,3 kilomètres
Ceci signifie que quelqu’un qui habite à 65 kilomètres de A, qui est 4 fois
plus grande que B, préférera aller faire ses courses dans la ville A. Seuls les
gens vivant à moins de 33,3 kilomètres de B iront faire leurs courses dans
celle-ci.
Cette loi demeure valide de nos jours. Elle a été légèrement modifiée
pour prendre en compte non pas la distance mais le temps de trajet ainsi que
les différents obstacles tels que définis plus haut. Elle a aussi été adaptée de
sorte que, dans certains cas, ce n’est pas le rapport entre les nombres
d’habitants des villes qui entre en jeu mais celui entre les volumes des
ventes de détail.
Les ventes au détail sont un très bon indice de l’attractivité des villes,
mais très souvent les gens préfèrent prendre comme critère les mètres carrés
dédiés à la mode ou à tel type de biens.

■ La deuxième loi de Reilly

La deuxième loi de Reilly porte sur la présence de magasins similaires dans


le même endroit, comme ceci est souvent le cas pour les biens de luxe. Les
marques s’aident-elles ou se handicapent-elles les unes les autres  ? Nous
avons parlé plus haut du cas de promoteurs immobiliers chinois prêts à
diminuer leurs loyers pour les très grandes marques. Ceci indique que le
marché croit au fait que la présence de marques fortes peut attirer des
clients qui finiront aussi par acheter d’autres marques moins connues.
Il est évident que certaines activités commerciales sont antithétiques, par
exemple, un magasin de robes de mariage ne peut se trouver bien situé à
proximité d’une station-service ou d’un night-club douteux. Le problème ne
tient pas uniquement à la différence de prestige ou de positionnement, mais
aussi à l’humeur du consommateur lorsqu’il décide d’entrer dans une
boutique ou de chercher une autre boutique. De la même manière, un
restaurant d’une chaîne de fast-food placé à côté d’une boutique Gucci aura
un impact négatif sur l’humeur du consommateur au moment d’entrer dans
la boutique Gucci. Est-elle vraiment située dans l’endroit le plus prestigieux
de la ville ?
William Reilly propose d’assigner à la présence de deux magasins dans
un même quartier un impact positif ou négatif selon trois critères :
• Les volumes des magasins A et B  : ceci rappelle un peu la taille des
deux villes dans la première loi de Reilly. Clairement, plus le volume
du magasin est élevé, plus il est attractif. En fait, plutôt que son
volume, il serait plus intéressant de regarder le nombre de tickets
générés par chacun des deux magasins. Un bijoutier, avec un chiffre
d’affaires très élevé mais très peu de clients par jour, n’attirera pas le
nombre de clients dont un vendeur de cravates ou de gants aura besoin
pour réaliser son volume quotidien. Mais l’idée de comparer les
volumes est pertinente pour deux magasins vendant les mêmes types
de produits.
• Un concept d’achat intentionnel, qui revient à l’idée du pouvoir
d’attraction de chaque marque. Pour chacune des marques A et B, on
retiendra le rapport entre le nombre de clients faisant un achat et le
nombre de clients ayant prévu de faire un achat. Si la part d’achats
intentionnels est élevée, ceci signifie clairement que la marque est une
marque « de destination », et qu’elle génère beaucoup d’activités pour
les autres. Si cette part est faible, on a clairement à faire à une marque
générant peu de volume par elle-même, et dépendant beaucoup des
autres pour atteindre son chiffre d’affaires, en profitant, pour ainsi dire,
des clients attirés par d’autres marques.
• Dans le cas du promoteur chinois de centres commerciaux de luxe,
nous pourrions lui conseiller de calculer le rapport d’achats
intentionnels pour chacune des marques de luxe avec lesquelles il veut
traiter, et d’ajuster ses loyers en fonction de ces chiffres. Ceci
donnerait toujours un avantage conséquent aux marques générant un
volume substantiel, mais ce serait assez équitable.
• Un taux de compatibilité clients donnant un coefficient positif si les
deux marques sont très compatibles (10 à 20 % de clients communs),
modérément compatibles (5 à 10  %) ou légèrement compatible (1 à
5  %). Le coefficient est négatif si les magasins ne sont pas
compatibles, voire s’ils se nuisent l’un à l’autre.
L’idée de William J. Reilly était de dire que la hausse de chiffre d’affaires
due à la proximité de deux magasins concurrents est :
– directement proportionnelle au taux de clients communs ;
– inversement proportionnelle au rapport de leurs volumes ;
– proportionnelle à la somme de leur taux d’achats intentionnels.
Nous pouvons l’écrire :

ou VL et VS sont les volumes des magasins (L pour le plus grand, S pour


le plus petit), I le taux de compatibilité clients, et PL et PS les taux d’achats
intentionnels de chacun des magasins.
Pour prendre un exemple, avec :
VL = 5 000 000 d’euros
PL = 90 %
VS = 3 000 000 d’euros
PS = 30 %
I = 25 %
nous obtenons :
I(VL+VS) = 0,25 (5 000 000 + 3 000 000) = 2 000 000 €.
Ceci doit être multiplié par l’inverse du rapport des volumes :
et :

Ce supplément d’activité (18  % du total) est à répartir entre les deux


marques, en raison inverse de leurs taux d’achats intentionnels.

Application au luxe

Les concepts de pouvoir d’attraction, de génération de clientèle et de


supplément d’activité pour des marques se renforçant les unes les autres
dans une même zone, rappellent certainement quelque chose dans le secteur
du luxe, où des marques comme Loewe et Bottega Veneta ont su profiter du
très fort soutien qu’elles pouvaient tirer en Asie de leur situation à
proximité de Louis Vuitton et Gucci. Le regroupement de nombreuses
marques concurrentes dans un même endroit procure un autre avantage – il
fait de la visite des points de vente une expérience plaisante et variée.

Gérer la diversité des clients

Deux types de clients entrent dans les magasins :


• Les acheteurs  : ils s’intéressent à une marque ou un produit et
recherchent un service efficace et de qualité.
• Les flâneurs : ils entrent dans une boutique pour le divertissement et la
découverte. Ils n’ont pas l’intention d’acheter quelque chose et
repartiront probablement les mains vides, mais ils reviendront peut-
être ultérieurement pour un achat. Ils recherchent une expérience des
sens et, même s’ils n’achètent jamais rien, peuvent jouer un rôle de
leaders d’opinion et véhiculer des messages positifs ou négatifs au
sujet des marques.
L’idée est qu’acheteurs et flâneurs escomptent, les uns comme les autres,
bien plus d’une visite en magasin que le simple fait de trouver une cravate
ou une écharpe en soie. Ils veulent participer à une expérience forte, veulent
être surpris et divertis. Ce divertissement peut être assuré de diverses
manières :
• Les grands magasins japonais ont généralement un étage ou une partie
d’un étage dédié à des restaurants : un français, un italien, un chinois et
bien sûr un japonais. Parfois, ils organisent aussi des expositions d’art
dans leurs murs. Ils souhaitent être plus qu’un simple grand magasin et
jouer véritablement un rôle de pôle culturel dans leur ville. Il arrive
qu’une marque de luxe présente son propre musée dans certains de ses
magasins les plus grands. Le magasin Louis Vuitton sur les Champs-
Élysées à Paris dispose de sa propre galerie d’art contemporain au
dernier étage (malheureusement avec une entrée à part et peu
médiatisée) dans laquelle plusieurs expositions sont organisées chaque
année. Quant au magasin flagship d’Hermès à Séoul, son sous-sol
fonctionne comme un musée extrêmement bien décoré, avec des
pièces historiques et traditionnelles de la collection Hermès.
• Chaque magasin de luxe, à travers son propre design devrait proposer
une valeur esthétique ajoutée et des éléments fortement intéressants
pour le flâneur moyen.
• Les points de vente temporaires et autres boutiques éphémères
constituent un bon outil pour offrir aux flâneurs aussi bien qu’aux
acheteurs cette dimension de divertissement.
Certains centres commerciaux américains ont bien saisi le concept
d’atmosphère et de divertissement. Dans le Mall of America, le côté West
Market a été conçu pour dégager une atmosphère européenne tandis que
South Avenue tente de reproduire Rodeo Drive et East Broadway a une
forme de lotus. Bien sûr, à première vue, ceci peut paraître très banal et
artificiel, mais l’objectif est de surprendre les gens et de leur proposer
quelque chose de nouveau et de différent.
Au moment du développement d’une nouvelle zone commerciale à
Singapour  Inc., Lee Moch Suan, ministre de l’industrie, expliquait les
choses en ces termes :

« L’essence de notre démarche est de marquer le « produit » de manière à répondre aux attentes
des gens, à leur permettre de faire l’expérience de cette identité de marque. Il nous faut créer
une image ici qui donne un sentiment d’unité. »
Acheteurs et flâneurs diraient probablement les uns comme les autres que
c’est en effet ce qu’ils attendent d’un nouvel espace de magasins.

Ajuster la localisation aux caractéristiques du luxe

Au moment de fixer le cahier des charges pour la définition d’un nouveau


concept de magasin, les responsables commerciaux devraient répondre aux
questions suivantes :
• L’atmosphère escomptée est-elle la bonne ?
• L’image globale du magasin est-elle en phase avec le positionnement
en termes de prix ?
• Le magasin attirera-t-il des gens qui sont déjà sur place ou bien la
marque elle-même est-elle suffisamment forte pour susciter des visites
de destination ? Dans chacun des cas, l’atmosphère du magasin doit en
tenir compte.
• Quelle est la largeur de l’assortiment et qu’est-ce que cela entraîne en
termes de présentation des produits ?
• Combien de clients peuvent se trouver dans le magasin en même
temps ?
• Comment peut-on faciliter les échanges entre personnel de vente et
consommateurs à l’intérieur du magasin ?
• Quels sont les services supplémentaires à proposer (retouches, après-
vente) ?
Les réponses dépendront beaucoup de la localisation prévue pour le
magasin, de son environnement et de du cœur de cible de sa clientèle.

Exemple

L’exemple de Londres

Dans son livre sur la vente au détail, Emanuele Sacerdote1 donne l’exemple d’une
étude menée par Management Horizons Europe sur le positionnement de
différentes rues londoniennes pour l’implantation d’un magasin de luxe. Le
tableau 13.9 donne un extrait de cette analyse.
Tableau 13.9 – Positionnement de différentes rues londoniennes en termes
d’image de marque

Classique/
  Classique Contemporain Tendance
Contemporain

Covent Garden   x x  

King’s Road   x x  

Brick Lane       x

Regent Street x      

Bond Street x x    

Carnaby Street     x x

Sloane Street x x    

Knightsbridge x x    

Source : « Management Horizons Europe Project 2006 », dans Emanuele Sacerdote, La strategia retail
nella mode e nel lusso (Milan : Franco Angeli, 2007).

L’idée est qu’en plus de son efficacité à générer du chiffre d’affaires pour une
marque donnée, la localisation d’un magasin dit aussi quelque chose des valeurs
de la marque et de ce qu’elle est : la localisation d’un magasin est un puissant outil
de communication. C’est un investissement en termes d’image, et les
caractéristiques qu’il véhicule doivent être comprises dès le début du processus de
recherche et d’analyse.

Les différents types de baux commerciaux

Nous allons maintenant présenter les différents systèmes de location des


magasins (baux commerciaux) qui existent dans le monde, avec bien sûr
leurs implications économiques. Nous donnerons ensuite quelques
exemples de coûts des loyers dans différents lieux.
Pour s’assurer une localisation parmi les meilleures dans une ville
constituant une cible majeure pour le luxe, il est généralement nécessaire de
payer une forme de «  droit d’entrée  » en plus du loyer. Trois systèmes
différents existent.

Le système japonais
Au Japon, les baux sont généralement signés pour une durée de neuf ans,
mais avec la possibilité pour le locataire de résilier le bail tous les trois ans.
Le montant du loyer est clairement spécifié dans le contrat de location, y
compris les clauses de hausse éventuelle, qui sont mentionnées.
À la signature, le locataire doit donner au bailleur une somme égale au
loyer pour toute la durée du bail. Ainsi, pour un bail de neuf ans, il devra
faire un chèque d’un montant égal aux neuf ans de loyer. Le bailleur peut
encaisser le chèque et rendre la somme au locataire à l’issue de la période
de location. Si après neuf ans, les deux parties décident de signer un
nouveau bail de neuf ans à un loyer supérieur, le locataire devra faire un
chèque couvrant la différence de loyer pour les neuf années suivantes.
À la fin du bail, si le locataire veut s’en aller, il recouvrera son dépôt de
garantie, sans aucun intérêt additionnel.
Ce système est très intéressant pour le bailleur puisque, d’une certaine
manière, pendant la durée du bail, il perçoit quasiment un double loyer. Dès
le premier jour de la location du magasin, il peut déposer à la banque
l’équivalent de neuf ans de loyer. En général, acheter ou faire construire un
magasin coûte environ l’équivalent de 10 à 15 ans de loyer : le bailleur peut
donc rembourser la majeure partie de son investissement dès qu’il met son
bien en location. Il peut dès lors acquérir un autre magasin et recommencer.
Pour le locataire, ce système est extrêmement coûteux et la location et
l’ouverture d’un nouveau magasin constitue un investissement très lourd.
Louer 10 à 20 magasins au Japon nécessiterait un investissement quasiment
impossible pour une marque de luxe, même pour une des plus grandes.
Elles ont donc eu tendance à louer seulement un ou deux magasins en
propre et à ouvrir des shops in shop dans les grands magasins  : c’est la
raison pour laquelle les marques de luxe au Japon sont principalement
présentes dans ces grands magasins.
Dans un deuxième temps, les marques de luxe qui se sont le mieux
développées au Japon ont décidé d’établir un magasin en partant du
« commencement ». Elles ont acquis un terrain, si possible dans un très bon
endroit, puis ont fait construire leur propre magasin, conforme à leurs
propres exigences. Souvent, il s’est agi de mégastores tout à fait
magnifiques ou en tout cas de flagships très impressionnants.
Le système japonais de dépôt de garantie fut probablement au départ un
système de protection contre un développement excessif des magasins de
marques étrangères. Au fil du temps, il a constitué une formidable prime
aux grands magasins puis dans un second temps une incitation très forte à
l’installation de magasins en gestion directe.

Le système américain

Dans le système américain, le bail est aussi signé pour une durée très
longue, 9 ou 10 ans. Il peut y avoir une sorte de droit d’entrée versée au
locataire précédent, officiellement pour couvrir les coûts de décoration,
mais les montants restent minimes.
Les hausses de loyer sont précisées au début du processus et portées au
contrat. Il n’y a aucune somme due de part et d’autre lors de la résiliation et
le contrat prend effet dès la signature.
Il est important de remarquer qu’il n’existe pas de clause de résiliation
dans les contrats américains ; ceci signifie que, si après trois ou quatre mois,
le locataire réalise que le lieu n’est pas si bien que prévu ou qu’il n’arrivera
jamais à l’équilibre avec sa marque et ses produits dans cet endroit, il doit
malgré tout continuer à payer le loyer pour toute la durée du bail sans
aucune possibilité de négociation du loyer ou de sortie. Il est par exemple
impossible de demander une réduction de loyer en cas de ventes inférieures
au budget prévu. Si locataire décide de fermer le magasin, il faut encore
qu’il continue à payer le loyer. La seule porte de sortie consiste à trouver
quelqu’un qui prendra le magasin en sous-location, généralement pour un
loyer inférieur, si  bien qu’il faudra tout de même continuer à payer la
différence.
Beaucoup de gens ont connu cette situation difficile et découvert au fil du
temps une protection possible contre ce système  : une société de luxe
étrangère peut créer une filiale unique pour gérer chacun de ses magasins.
Le jour où ce magasin connaît des problèmes, et doit être fermé, la solution
pour échapper à son engagement financier auprès du bailleur consiste à
déclarer la filiale en faillite et de sortir du jeu.
Les bailleurs ont bien sûr trouvé une riposte. Ils exigent parfois que le
siège milanais ou parisien se porte garant. Si l’emplacement se révèle très
bon et est très demandé, certains dirigeants pourront accepter de telles
clauses. Dans d’autres cas, ils refuseront probablement.
Le système américain est le standard en Chine, à Hong Kong et dans la
majeure partie de l’Asie du Sud-Est, mais avec des durées de bail bien plus
courtes (trois ans en général) de sorte que l’engagement financier (et le
risque) devient alors tout à fait raisonnable.

Le système français

Contrairement aux systèmes japonais ou américain qui fonctionnent en


faveur du bailleur, le système français, qui a également cours en Europe du
sud, penche fortement en faveur du locataire.
Dans le système français (dit du Fonds de Commerce), une fois que le
bailleur a signé un bail avec un locataire, il reçoit un loyer mensuel mais ne
perçoit aucun autre avantage. Tous les trois ans, le locataire peut partir, mais
le bailleur est tenu de louer son bien pour neuf ans. Les baux ne peuvent
fixer les hausses de loyer  : un indice national de la construction en fixe
l’accroissement annuel. À l’issue d’une période de neuf ans, le bailleur ne
peut toujours pas se séparer du locataire si celui-ci désire rester. Il doit lui
refaire un bail pour neuf ans supplémentaires, avec une hausse de loyer
minime.
Le locataire peut à tout moment trouver quelqu’un qui est intéressé par la
location et lui demander une somme substantielle (le montant du fonds de
commerce) pour lui céder le bail. Il adresse ensuite une lettre recommandée
au bailleur pour lui notifier le fait qu’il a cédé le bail du magasin à
quelqu’un d’autre. Le bailleur ne peut profiter de cette occasion pour
augmenter le loyer, il sait peut-être qu’une somme substantielle d’argent a
été négociée, mais sans qu’il y ait part.
Le seul cas dans lequel le bailleur peut avoir son mot à dire dans la
cession est si le locataire initial était tenu d’entrer dans un créneau
commercial spécifique, comme du prêt-à-porter ou de l’optique. Si le
deuxième locataire veut faire un commerce différent (par exemple un fast-
food ou de la téléphonie mobile), alors le bailleur a la possibilité de
négocier cette modification du bail original et d’augmenter le loyer.
L’idée de ce système du fonds de commerce est qu’un commerçant qui
cesse son activité et transmet son magasin, et souvent son installation, son
stock et sa clientèle, peut se retirer avec une somme raisonnable. Ceci était
très utile à l’époque où les petits commerçants n’avaient pas de retraite.
L’argent du fonds de commerce permettait alors de s’organiser une nouvelle
vie. Mais les temps changent et de nos jours, à Paris, on peut trouver
certains emplacements avec des baux « à l’américaine » d’une durée de 10
ans et sans droits d’entrée à verser sous forme de fonds de commerce.
En France, il peut donc se trouver que des loyers aient été fixés il y a très
longtemps et n’aient jamais été substantiellement augmentés. L’ajustement
au prix du marché se fait alors sur le montant du fonds de commerce versé
au locataire précédent. Un avantage pour le nouveau locataire est que le
fonds de commerce apparaît comme un actif dans ses comptes et peut être
financé par un emprunt auprès d’une banque, emprunt garanti par cet actif.
Quel que soit le système, pour les emplacements les meilleurs, ceux que
tout le monde voudrait avoir, la meilleure offre sera soit un loyer plus élevé,
soit un versement initial (dépôt de garantie, droit d’entrée ou fonds de
commerce) très substantiel – soit les deux.

Exemple

Loyers pour des emplacements de premier choix

Les spécialistes publient fréquemment des exemples de coûts de location dans


différentes villes du monde. Pour que les données soient comparables, ils devraient
les ajuster pour tenir compte des différents systèmes de droits d’entrée. Les chiffres
apparaissent dans le tableau 8.
On peut voir que New York et Hong Kong sont les lieux les plus chers du monde. À
New York, un magasin de 200 mètres carrés coûterait près de 5 millions d’euros par
an. À Tokyo, ce serait moitié moins, mais sans compter le financement du montant
du dépôt de garantie.
Quelques points intéressants  : les loyers à Munich ou Madrid sont grosso modo,
deux ou trois fois moins chers que ceux de Paris ou Milan. Ceci explique peut-être
pourquoi nous avons constaté plus haut que beaucoup de  marques étaient
implantées dans ces villes. Également, Shanghai est trois fois moins cher que
Tokyo : les spécialistes considèrent que le chiffre d’affaires par mètre carré dans les
magasins de luxe est trois fois moins élevé en Chine qu’à Tokyo, et il semble que
les loyers aient été ajustés en conséquence. En fait, au niveau mondial, toutes
choses étant égales par ailleurs, on pourrait penser que les coûts de location sont
grossièrement indexés sur le chiffre d’affaires moyen attendu par mètre carré. Les
rentabilités des magasins seraient aussi sensibles au coût moyen d’un personnel de
vente qualifié selon les pays.
Autre élément à considérer : le nombre d’heures d’ouverture qu’un magasin se doit
d’assurer dans divers endroits du monde. Au Japon ou en Chine, les magasins de
luxe sont généralement ouverts sept jours sur sept, de 10  heures du matin à
22 heures, soit 84 heures par semaine. En Europe, les magasins sont ouverts six
jours par semaine, de 10  heures à 20  heures, soit 60  heures par semaine. Cette
différence de 40  % doit être prise en compte dans le budget prévisionnel d’un
magasin.

Tableau 13.10 – Loyers des emplacements de premier choix en Europe (2017)

Ville Adresse €/m²/an

Londres New Bond street 16 200

Milan Via Monte Napoleone 13 500

Paris avenue des Champs-Élysées 13 255

Zurich Bahnnofstrasse 8 310

Vienne Kohlmarkt 4 620

Munich Kaufinger 4 440

Dublin Grafton street 3 653

Barcelone Portal de l’Angel 3 360

Amsterdam Kalverstraat 3 000

Oslo Karl Johan 2 831

Athens Ermou 2 640

Luxembourg Grande rue 2 580

Copenhague Stroget 2 555

Prague Na Pnkopé street 2 520

Istanbul Centre 2 520

Anvers Meir 1 950

Stockholm Bibliotksgatan 1 609

Helsinki City center 1 602

Budapest Vaci Utca 1 440

Lisbonne Chiado 1 380

Varsovie Nowy street 1 020


Tableau 13.11 – Loyers des emplacements de premier choix dans les Amériques
(2017)

Ville Adresse €/m²/an

New York Upper 5th avenue 28 262

Toronto Bloor street 2 180

Mexico ciudad Massaryk 998

Sao Paolo Oscar Freire Jardims 700

Buenos Aires Calle Florida 651

Lima Miraflores 288

Tableau 13.12 – Loyers des emplacements de premier choix en Asie (2017)

Ville Adresse €/m²/an

Hong Kong Causeway Bay 25 673

Tokyo Ginza 11 368

Séoul Myeongdong 8 598

Pékin Wangfujing 4 498

Singapour Orchard road 2 905

New Delhi Khan market 2 191

Saigon Best achieved mall 2 100

Kuala Lumpur Pavilion KL 2 084

Taipei Zhongkiao 1 830

Bankok Raprasong-Sukhumvit 1 214

Source : Cushman and Wakefield, 2018.

Les tableaux  13.10, 13.11 et 13.12 donnent des exemples des coûts de
location dans différents emplacements de premier choix à travers le monde.
Aussi, quand on examine les diverses alternatives, on est confronté à des
choix entre des magasins ayant 100 % de leur espace en rez-de-chaussée et
d’autres ayant une partie de leur espace en sous-sol ou en étage. Quelle est
l’efficacité de ces différentes configurations en matière de ventes ? Le fait
est qu’il est difficile, même avec un escalier mécanique, d’amener les
clients au deuxième ou au troisième étage d’un magasin.
Une étude ancienne, bien que dépassée, a l’avantage d’apporter quelques
éléments de réponse à la question de la fréquentation d’un magasin en
fonction des étages. William Davidson a pu mettre la main sur un document
interne d’un grand magasin américain pour analyser les différents niveaux
de coûts de location en fonction des étages. Les résultats sont présentés
dans le tableau 13.13.
Tableau 13.13 – Répartition des loyers par niveaux dans un grand magasin de l’Ohio

Indice de comparaison
Pourcentage du total  
avec le rez-de-chaussée

Sous-sol 5.1 14

Rez-de-chaussée 36.1 100

2 18.2 50

3 13.1 36

4 10.3 28

5 9.3 26

6 3.5 10

Bureaux 4.4  

  –  

  100 %  

Source : William Davidson, Retailing Management (New York : John Wiley & Sons, 1999).

On peut voir qu’entre le rez-de-chaussée et le premier étage, les


comptables de ce grand magasin situés dans l’Ohio établissaient une baisse
d’efficacité de l’ordre de 50 %. Au deuxième et troisième étage, les baisses
étaient de 64 et 72  % respectivement. Ces chiffres donnent probablement
une indication des pourcentages de gens qui, entrés dans le magasin, se
rendent aux premier, deuxième et troisième étage.
Pour le sous-sol, le chiffre est très faible : 14 %. En Europe, il semble que
les gens aient trouvé des manières de rendre le sous-sol et les marchandises
qui y sont vendues plus attractifs qu’aux États-Unis, où celui-ci est
traditionnellement perçu comme un lieu réservé au déstockage.
En fait, les objectifs qui peuvent être assignés aux différents niveaux d’un
magasin ont été clairement énoncés par Ellen Diamond2 :
• Le rez-de-chaussée est généralement dédié à des produits avec des
seuils de prix moins élevés que d’autres produits vendus dans le même
magasin, de manière à amener des clients dans le magasin et les
conduire à acheter un produit qui n’était pas sur leur liste de courses.
Parfums et cosmétiques sont un exemple parfait de cette catégorie. En
outre, l’espace étant cher en rez-de-chaussée, cet emplacement de
premier choix est particulièrement bien adapté aux produits à forte
marge.
• Le premier étage devrait présenter les produits les plus rentables, et en
général donc les accessoires et la mode féminine.
• Le deuxième étage pourrait être dédié aux lignes les plus pointues de la
mode féminine. Ces articles ont un prix plus élevé, il vaut donc mieux
les vendre dans une partie plus confidentielle du magasin, où il y a
moins de monde. C’est aussi une bonne idée de présenter les produits
les plus chers dans un endroit plus intime et exclusif.

Exemple

Un exemple intéressant peut être analysé ici – celui du nouvel espace Beauté du
Printemps à Paris. 3  000  m2 ont été installés en juillet  2017 sur trois étages dans
l’ancien magasin Printemps de l’Homme. On y trouve ainsi au  premier étage
l’ensemble de l’offre Parfums avec une mise en avant des  nouvelles marques de
niche  : Acqua di Parma, Éditions Frédéric Malle, Atelier Cologne, by Kilian, Jo
Malone ainsi que des dizaines d’autres. Cet espace est le rêve pour une marque de
parfumerie de niche (et a fortiori pour un client de ces marques) : elles occupent un
étage entier de shop in shops, les marques de luxe étant reléguées en fond d’étage
sur des étagères de type « supermarché ». Elles sont ainsi merveilleusement mises
en avant. Mais cet étage reste désespérément vide de clients ! Pourquoi ?
Notre analyse est que cet espace n’est en rien conforme aux règles élémentaires
que nous rappelons dans ce livre  : les clientes de la beauté sont essentiellement
des femmes – qui ont pour habitude d’aller acheter leurs parfums au rez-de-
chaussée du magasin principal (comme aux Galeries Lafayette voisins). On leur
propose tout d’un coup deux ruptures :
• On déplace le Printemps de la Beauté du magasin principal au magasin
secondaire situé dans une rue derrière le boulevard Haussmann. Les clients
masculins, lesquels ont des pratiques d’achat sensiblement différentes, ne
voyaient aucun inconvénient à aller dans ce magasin secondaire qui leur était
tout entier dédié. Les femmes n’y vont pas.
• On déplace le parfum au premier étage de ce magasin secondaire – perdant
par là même une partie importante de la clientèle.
L’échec était prévisible. Toute la question est maintenant de savoir comment cette
erreur sera rattrapée.

En conclusion, nous avons clairement observé que les emplacements de


premier choix sont chers et que pour une marque mondiale, le coût fixe
global des loyers de 50 ou 100 magasins peut avoir un impact énorme sur
les résultats annuels. C’est pourquoi, dans certains cas, les franchises
peuvent constituer une alternative intéressante.
En première approximation, un indicateur grossier qui peut aider une
marque moyenne à déterminer un niveau raisonnable pour un loyer
s’exprimerait en pourcentage du chiffre d’affaires prévisionnel : en Europe,
il serait de l’ordre de 10 à 20 %, en Asie il serait nettement plus élevé, entre
20 et 30 %.
On dit souvent que, dans la vente, le facteur décisif pour la réussite, c’est
l’emplacement, l’emplacement et l’emplacement. Mais ouvrir trop de
magasins en même temps peut mettre en péril l’équilibre financier d’une
société. En outre, le chiffre d’affaires d’un nouveau magasin peut mettre
plus de deux ans à atteindre le premier seuil prévisionnel  : pendant cette
période et avant que l’équilibre soit atteint, il faudra fournir trésorerie et
soutien financier. La stratégie des «  magasins en gestion directe  » n’est
donc valide que lorsque les produits présentés dans les magasins sont
extrêmement attractifs et peuvent faire venir aisément la clientèle locale.
Parfois, lorsqu’une marque de luxe travaille à se relancer, il peut y avoir
une tendance à ouvrir de nouveaux magasins avant que la nouvelle
génération de produits ait été complètement finalisée. Il ne faut pourtant pas
oublier que le but du jeu, c’est de vendre des produits. Quel est le niveau
d’attractivité des produits actuels  ? Est-il adapté par exemple au marché
asiatique ou au marché américain  ? Nous pourrions évoquer beaucoup de
marques qui avaient ouvert de beaux magasins à Hong Kong, pour les
fermer 18  mois ou deux ans plus tard à grands frais, car le bail courait
toujours et seule une partie des frais d’aménagement avait été amortie. La
même chose s’est produite aux États-Unis  ; après des ouvertures à New
York et Los Angeles, les directions américaines de nombreuses marques
européennes ont pu pousser à des ouvertures à Chicago, Miami, Boston et
San Francisco avant que les produits aient pu être adaptés au goût du
consommateur américain.
Il ne fait aucun doute que l’emplacement est très important. Mais il faut
que le bon produit soit disponible dans cet emplacement. Quand c’est le
cas, l’affaire est bien engagée.

L’essentiel
►► Nous savions déjà qu’une marque de luxe devait être présente partout
dans le monde et que si elle pouvait privilégier son pays d’origine, elle devait
obtenir une présence aussi internationale que possible.
►► Très longtemps, les spécialistes de l’industrie se sont contentés de là où
se trouvaient les principaux concurrents. Aujourd’hui les outils d’optimisation
existent et les réflexes s’acquièrent par expérience.
►► Ce qui est certain, c’est que dans un même quartier, pour ne pas dire dans
la même rue, le nombre de consommateurs passant la porte du même magasin
peut varier du simple au double. Cela nécessite de bien étudier la localisation
d’un nouveau point de vente et de rassembler les données de passage et
comportement des clients potentiels. Ce qui est certain, c’est qu’aujourd’hui ces
données existent et peuvent être facilement disponibles.
►► Heureusement, pour chaque produit et chaque situation
concurrentielle, il existe des magasins adaptés, soit à différents niveaux de
budget ou de notoriété, soit à des objectifs commerciaux différents.
►► Enfin, à l’ère digitale, le magasin idéal peut jouer différent rôle. Ce peut
être un navire amiral destiné à présenter la richesse et la diversité de la marque
et de ses produits, cela peut être un petit magasin accessoire des activités
online des consommateurs ou ce peut être un magasin traditionnel cherchant à
offrir un service impeccable et offrir une continuité O2O parfaite
à des consommateurs de proximité.
Chapitre 14

La gestion du personnel d’un magasin :


une boîte à outils
« J’ai cherché à créer une manière complètement nouvelle d’organiser mes points
de vente. »
Tory Burch

Dans l’industrie du luxe, qui repose sur la création, les clients arrivent
généralement en deuxième position. La culture de l’expérience client n’est
pas essentielle à cette industrie. En un sens, le commerce de détail est une
compétence nouvellement acquise : le processus de création, le produit, le
concept de magasin, le merchandising visuel ont toujours été plus
importants que l’expérience de vente elle-même.
Comme nous l’avons vu dans les chapitres précédents, le nouveau défi
que doivent relever les marques de luxe consiste à améliorer la fidélité de
leurs clients. Cela ne peut se faire qu’au niveau des magasins, en
développant le service et la relation client. En d’autres termes, les marques
de luxe doivent devenir des sociétés de services de luxe. Trois objectifs sont
essentiels ici :
• Développer le clienteling : chaque client doit être reconnu en tant que
tel et toutes ses informations personnelles doivent être conservées. Le
clienteling signifie établir une relation personnelle entre un vendeur et
un client. Cela ne peut être réalisé que par des attitudes spécifiques et
avec le soutien de la technologie (CRM).
• Faire du service la pierre angulaire de la relation client : shopping sur
rendez-vous, disponibilité d’un vendeur personnel, livraison des
achats, envoi de notes de remerciement manuscrites… Ce ne sont là
que quelques exemples des services qu’un client devrait obtenir dans
un magasin de luxe. Les marques de luxe doivent travailler à
l’identification des parcours clients – et doivent considérer leurs
boutiques comme étant une partie (importante) d’un parcours qui
commence souvent sur le Web.
• Reconnaître le rôle central du personnel de vente : les vendeurs ont un
rôle essentiel à jouer dans l’identification du client, la prise en charge
de ses besoins et la fourniture du meilleur service possible. Des
parcours de carrière dans le commerce de détail doivent être construits,
des systèmes de rémunération innovants doivent être imaginés (en
mélangeant – tous les pays sont concernés – salaires fixes, éléments
individuels variables et collectifs), programmes de formation in situ.
Innover dans le développement du marketing de luxe signifie répondre à
de nouveaux besoins, en introduisant de nouvelles lignes d’entrée de
gamme plutôt que de réduire les prix, en fournissant un niveau de service
vraiment exceptionnel, en promouvant et en vendant des produits de luxe en
utilisant des canaux de distribution alternatifs, y compris le commerce
électronique, en co-créant des produits avec les clients et en s’adressant aux
jeunes consommateurs qui semblent prêts à acheter en ligne des produits de
luxe coûteux.
Les marques de luxe qui disposeront des talents nécessaires pour
repenser leurs opérations de vente au détail et de services et améliorer leur
approche marketing afin de mieux comprendre et servir le client
bénéficieront d’un avantage concurrentiel important.
Notre objectif dans ce chapitre est de fournir des outils au service de
l’idée que le personnel de vente est une population clé dans l’industrie du
luxe, qui devrait désormais être traitée avec une plus grande attention. Les
marques de luxe doivent désormais avoir le même niveau d’exigence en
matière de gestion des ventes que celui qu’elles ont en ce qui concerne la
conception, le marketing produit ou la stratégie de communication.

Outil no 1 : une organisation commerciale standard

Chaque société, chaque marque a sa propre organisation – qui très souvent


dépend du volume de son activité. Dès qu’un nombre significatif de
magasins doivent être gérés dans une même région, il faut établir au moins
trois niveaux de responsabilités (cf. figure 14.1) :
• Au siège : un directeur des opérations commerciales
• Si la société est organisée par pays : un directeur pays
• Si la société est organisée par pôle de magasins : un directeur de pôle
(le pôle comportant un certain nombre de points de vente placés sous
sa responsabilité)

Figure 14.1 – L’organisation retail tri-niveaux

Puis, au sein d’un magasin, l’organisation dépendra de la taille du


magasin (cf. figure 14.2) :
• Pour un petit magasin (moins de 10 à 15  employés)  : trois types de
poste sont la norme –  directeur de magasin, directeur adjoint,
conseiller de vente (éventuellement senior/junior).
• Pour un magasin assez grand (30 employés ou plus)  : le directeur du
magasin sera secondé par un certain nombre d’adjoints désignés par
fonction (commandes spéciales, inventaire, administration, service,
caisse, merchandising) ou par ligne de produits (vêtements
homme/femme, accessoires). Plus le magasin sera grand, plus il y aura
de lignes de produits et de directeurs adjoints associés à celles-ci.
Figure 14.2 – L’organisation quadri-niveaux d’un magasin

Outil no 2 : Gérer le recrutement des équipes


commerciales1

Il nous semble important de ne pas tomber dans le piège classique selon


lequel un(e) bon(ne) vendeur(euse) va pouvoir se trouver dans une autre
boutique d’une marque de luxe et que son expérience est la seule marque de
sa valeur. Nous pensons que cette nécessaire expérience doit se doubler
d’une évaluation des comportements des candidats – afin de mieux
comprendre leur valeur ajoutée en situation de vente et de construction de la
relation client.

L’approche comportementale

Il est difficile de sélectionner des gens qui, au quotidien, doivent développer


un vaste éventail d’attributs professionnels tels que :
• Accueillir et apprécier les besoins et désirs de la clientèle
• Expliquer le savoir-faire artisanal à la clientèle
• Gérer les doléances des clients et le service après-vente
• Négocier prix et services, si nécessaire
Tous ces traits relèvent d’une éducation, d’un comportement adapté et de
compétences personnelles  ; ils peuvent être évalués lors d’entretiens
comprenant une approche comportementale. Ceci implique des questions
visant par exemple à comprendre comment le candidat s’est conduit dans
une situation réelle, ce qui pourra donner une idée de son adéquation avec
les compétences nécessaires pour le métier commercial.
L’approche comportementale nécessite une préparation rigoureuse, en
particulier :
• Un plan précis pour chaque entretien, stipulant la compétence à
rechercher et les questions permettant d’y parvenir.
• Des questions focalisées sur le comportement, qui devraient être
suivies d’un examen approfondi permettant de comprendre le rôle
exact du candidat et les conséquences de ses actions

Exemple de questions comportementales à poser

Nous avons relevé des questions clés qui sont pertinentes pour un grand
nombre de postes commerciaux et une série de qualifications techniques. Le
tableau  14.3 montre des exemples de telles questions –  centrées sur le
comportement - plutôt que sur des opinions ou des généralités.
Tableau 14.3 – Exemples de questions comportementales

 Cas d’entreprise
Recrutement d’un/e directeur/trice de magasin
Éléments fournis  : le cahier des charges et les candidats sélectionnés
(cf. figure 14.4).
Éléments retournés par le chasseur de têtes  : Évaluation et recommandations (cf.
figure 14.5).
Figure 14.4 – Le cahier des charges et les candidats sélectionnés

Figure 14.5 – Évaluation et recommandations

■ Analyse et remarques
Le point clé pour le recrutement sur ce poste concerne le comportement, dont
l’adéquation devrait être vérifiée selon deux critères principaux :
– Performance à court terme du candidat  : apporter une valeur ajoutée
significative pour les résultats commerciaux, la direction d’équipe et les
opérations quotidiennes.
– La capacité potentielle du candidat, sur le long terme, à s’adapter au
fonctionnement et aux procédures, à la culture d’entreprise et aux systèmes de
management informel de cette société italienne.
Dans cette étude de cas, les éléments apportés par le chasseur de têtes nous
amènent aux remarques suivantes :
– Candidate interne  : en dépit de sa moindre expérience, son statut à «  fort
potentiel  » au sein de cette société italienne et une évaluation positive sur les
critères clés du poste en font une candidate sérieuse.
– Candidate 1 : ses performances et ses compétences personnelles semblent plus
faibles que celles des autres candidates ; ces facteurs pourraient constituer un
risque pour son intégration dans une société italienne.
– Candidate 2 : son expérience en matière de commerce et de management est
un atout pour diriger le flagship  ; son poste actuel chez un concurrent italien
direct lui donne un avantage décisif.

Outil no 3 : Définir les responsabilités du personnel


en magasin

Pour assurer une efficacité et une productivité maximales dans les


magasins, toutes les responsabilités internes doivent être confiées à des
membres du personnel bien identifiés. Lors de l’assignation de ces
responsabilités, il est important de respecter les étapes suivantes :
• Introduire l’idée de répartir les tâches entre les employés au cours
d’une réunion de magasin, si possible, pour développer la conscience
de l’agrégation des contributions individuelles dans un effort d’équipe.
Tableau 14.1 – Responsabilité du personnel

Département Nom Définition des responsabilités

Classer/organiser les produits


Effectuer les contrôles qualités
Préparer les produits pour l’espace de vente
Catégorie A
Vérifier l’étiquetage
S’assurer que tous les produits sont présentés dans le
magasin

Catégorie B Connaître la situation du stock (best sellers, etc.)


Préparer les retours et transferts
Préparer les soldes et les événements
Suivre les consignes en termes de merchandising
visuel/vente/vitrines
Vérifier le stock régulièrement
Gestion du stock Passer les commandes
Organiser le stock

Après-vente Envoyer le produit au réparateur


& réparations Réceptionner le produit/Appeler le client

Suivre les consignes


Merchandising Se sentir responsable de l’aspect du magasin
visuel Implémenter les changements de vitrines
Former l’équipe

Vérifier et enregistrer les mouvements de marchandise


Mouvements Préparer les inventaires
du stock S’assurer de l’application des procédures de rangement
du stock

Vérifier les opérations bancaires


Caisse
Envoyer les documents au service comptabilité

• Impliquer les membres du personnel dans le processus de prise de


décision. Ils s’investiront dans une tâche qu’ils auront choisie.
• Déléguer les tâches judicieusement, selon les capacités et les
connaissances de chaque membre du personnel, et s’adapter aux
besoins de chacun en passant plus ou moins de temps avec eux pour
leur montrer et leur expliquer la tâche.
• Utiliser le tableau ci-dessous pour tenir à jour les responsabilités du
personnel.
• Assurer un suivi régulier pour vérifier la réalisation et donner un retour.
• Faire tourner les responsabilités régulièrement pour maintenir le niveau
d’investissement individuel.

Outil no 4 : Fiches de postes

Il est crucial pour une marque d’avoir une fiche très précise et détaillée pour
chaque poste.
Une fiche de poste se base sur six éléments fondamentaux :
• Rôle du poste
• Charges et responsabilités
• Critères d’évaluation des performances
• Profil requis en matière d’expérience et de compétences
• Liens avec les autres postes et positionnement dans l’organigramme
• Perspectives de déroulement de carrière
Une fiche de poste devrait toujours s’accompagner de :
– Une liste des compétences nécessaires pour avoir le poste
– Une grille d’évaluation des candidats, à utiliser pendant le processus
de recrutement
– Une grille d’évaluation à utiliser pendant le processus d’évaluation
annuelle.
Nous présentons ici quatre fiches pour des postes commerciaux
importants, dont deux de manière assez détaillée :
• Directeur de pôle
• Directeur de magasin (détaillé)
• Directeur adjoint de magasin
• Conseiller de vente (détaillé)
Nous donnons également de plus amples informations concernant les
deux fiches de postes plus détaillées : celle de directeur de magasin et celle
de conseiller de vente. Une des responsabilités du directeur de magasin est
celle de coach : nous montrerons comment il ou elle peut exceller dans l’art
d’encadrer et d’entraîner son équipe. Pour le conseiller de vente, nous
détaillons une grille d’évaluation, qui devrait être utilisée par le directeur de
magasin durant le processus d’évaluation annuelle.

Directeur de pôle

Rend compte à : Directeur des opérations commerciales

■ Rôle du poste

Assurer l’implémentation de la stratégie de vente et de la politique de


merchandising dans tous les magasins de son pôle géographique. Être un
ambassadeur de la marque.

■ Charges et responsabilités

• Suivi des activités commerciales et direction opérationnelle des


magasins de son pôle (5 au maximum)
• Relais bidirectionnel pour la communication interne
• Supervision et gestion des équipes au sein de son pôle
• Veille à la bonne application de la stratégie commerciale
• Assure une délégation d’autorité pour la direction commerciale
• Soutien administratif et pour les ventes exceptionnelles

■ Critères d’évaluation

• Résultats commerciaux
• Dynamique des résultats
• Comportement et qualité du management
• Encadrement d’équipe (turnover, motivation, formation, etc.)
• Respect de la stratégie et des orientations de la marque

Directeur de magasin

Rend compte à : Directeur de pôle

■ Rôle du poste

Assurer une satisfaction totale de la clientèle et une rentabilité optimale


pour son magasin en implémentant la stratégie de la marque.

■ Charges et responsabilités
• Améliorer le niveau de satisfaction de la clientèle et la représentation
de la marque à l’intérieur comme à l’extérieur du magasin.
• Responsable de la qualité du service à la clientèle (en magasin, au
téléphone, par courrier)
• Responsable de la bonne tenue et de la maintenance du magasin
• Ambassadeur de la marque dans son environnement proche,
responsable des relations publiques du magasin :
– dans son environnement concurrentiel
– auprès des partenaires traditionnels (hôtels, restaurants, etc.)
– auprès des officiels locaux (autorités locales, journalistes)
• Responsable du développement de la clientèle locale et de la
prospective locale

Développement de la rotation du magasin dans le respect de la stratégie retail


• Implication dans la conception de plans d’actions pour son magasin
avec le directeur de pôle
– Rapports sur les forces/faiblesses, risques/opportunités
• Mise en œuvre du plan d’action du magasin : direction et supervision
des résultats
– précision des objectifs du magasin (quantitatifs et qualitatifs)
– division en actions à court, moyen et long terme (3, 6 et 12 mois)
– suivi des indicateurs de performance (indicateurs clés tels que
ticket moyen, taux de conversion, nombre d’articles vendus,
nombre de tickets, nombre d’interventions du service après-vente,
pourcentage de nouveaux clients, taux de fidélité)
– rapport hebdomadaire/mensuel sur l’activité durant la période et
la concurrence, accompagné de commentaires et d’analyses
– campagnes auprès de la clientèle : cibles et ressources (catalogue,
événements, cadeaux, services, etc.)
– actions au niveau du personnel : formation, motivation, incitation,
défi, objectifs personnalisés et ainsi de suite
– actions au niveau du magasin  : rénovation, maintenance,
équipement, signalétique, vitrines et ainsi de suite
Management de l’équipe du magasin
• engagement dans le recrutement du personnel de vente
• intégration et formation sur site du nouveau personnel de vente
• maintien en conformité avec le code vestimentaire de la marque (port
de l’uniforme, maquillage, coiffure et accessoires, etc.)
• objectifs individuels
– fixer des objectifs individuels, annuels et mensuels, de rotation en
lien avec les KPI2
– fixer des objectifs individuels qualitatifs
– réaliser des évaluations individuelles régulièrement (tous les 4
à 6 mois)
– proposer les montants des bonus de fin de saison
• management et motivation
– réunions hebdomadaires, mensuelles et annuelles de l’équipe
– leadership et formation en direct
– évaluation des besoins de formation (langues, technologies de
vente, produits, services, etc.)
– registre des attentes individuelles en termes de mobilité ou
d’avancement professionnel
– résolution de conflits
• administration
– délégation de charges en s’assurant d’une diversité des
compétences chez le personnel de vente
– autorisation pour les cadeaux et autres gestes commerciaux, dans
le cadre de la politique définie par la direction
– planning des services hebdomadaires
– engagements budgétaires
Tableau 14.2 – Les compétences d’un directeur de magasin

  Expérience Capacités

Indispensable • Ventes ou Management • Charisme/leadership


• Capacités de formation
• Capacités d’enseignement
• Capacités de précision et d’organisation
• Attention aux détails
• Maîtrise des capacités de service
• Disponible au besoin, prêt à aider
• Écoute
• Intégrité
• Confidentialité
• Qualité de présentation et d’image
représentative du luxe
• Vocabulaire et élocution
• Anglais parlé couramment

• Luxe • Capacités avancées de communication


• Direction de magasin • Versatilité ventes/administration
• Loyauté envers sa hiérarchie
• Résistance au stress
• Dynamisme
• Initiatives au-delà des attentes
Souhaitable
• Connaissance du marché et du monde
du luxe
• Capacités commerciales
• Don pour le marketing
• Capacités de management
• Connaissances de base en informatique

  • Fort individualisme
Inacceptable • Absence de capacité d’encadrement
• Impatience d’obtenir de l’avancement

Tableau 14.3 – Exemple de grille d’évaluation pour un candidat au poste de directeur


de magasin

Compétence Note

Offre un service au client en phase avec celui attendu  


d’une marque de luxe

Établit des relations clients  

Connaissance des produits  

Attention portée aux détails  

Interagit en anglais  

Interagit dans une autre langue étrangère  

Dirige le magasin comme une « business unit »  

Développe la marque localement  


Est organisé et sait coordonner  

Écoute activement  

Est dynamique et prend des initiatives  

Dirige les gens  

Entraîne et forme les gens  

Connaît intimement la mode et les tendances  

Présentation globale  

Management des opérations du magasin


• Stock
– reconstitution
– comparaison avec le stock théorique (inventaires réguliers et
annuels)
– suivi des articles les plus prisés  : demander plus de stock si
nécessaire
– fins de séries
• Comptabilité
– conformité aux règlements et procédures légales, fiscales et
douanières
– reçus de caisse
– virements bancaires lorsque nécessaires
• Règles d’hygiène, santé et sécurité
– conformité aux procédures
– supervision permanente
• Rentabilité (dans les secteurs de responsabilité dans lesquels il ou elle
peut exercer un contrôle) : gestions des créances, dépenses générales,
commissions à des tiers, cadeaux, bonus et délais de paiement.

Le directeur de magasin comme coach


Un des rôles cruciaux du directeur de magasin est celui de meneur
d’équipe : il ou elle est le coach de l’équipe du magasin. Ce rôle mobilise
des compétences et des talents spécifiques, que nous décrivons ici.

Étape 1 : Écouter et observer


Bien trop souvent, les directeurs de magasin sont incapables de donner un
feedback efficace à leurs employés faute de passer suffisamment de temps à
observer leurs performances. Prenez le temps de regarder et d’écouter vos
employés en situation de vente ! Ce sera un investissement utile. Notez vos
observations. Cela vous donnera des points précis sur lesquels coacher
chaque conseiller de vente sur ses besoins individuels.

Étape 2 : Donner un feedback équilibré et spécifique


Une fois la checklist remplie, vous êtes prêt à donner votre feedback. Soyez
précis en donnant des exemples spécifiques dans ce que vous avez pu
observer. Il est important de donner un feedback équilibré de manière à
préserver la motivation des employés et leur envie d’en apprendre plus et de
progresser :
• Stop  : ayez recours au feedback «  stop  » lorsqu’un employé se
comporte d’une manière qui n’est pas en phase avec les standards de la
marque (par ex., «  Merci de cesser vos conversations avec vos
collègues lorsqu’un client entre dans votre zone du magasin. »).
• Start : ayez recours au feedback de type « start » lorsqu’un employé ne
met pas en œuvre un comportement spécifiquement requis par les
standards de la marque (par ex., «  J’aimerais vraiment que vous
preniez l’habitude de donner votre carte à tous les clients dont vous
vous occupez dans le magasin. »).
• Continuez : ayez recours au feedback de type « continuez » lorsqu’un
employé fait preuve du comportement prescrit par les standards de la
marque (par ex., «  Je vous ai entendu utiliser des questions ouvertes
avec tel client pour mieux déterminer ses besoins. Grâce à cela, vous
avez pu aider promptement le client et lui vendre deux articles
supplémentaires bien qu’il était pressé ayant un avion à attraper.
Continuez ce bon travail ! ».
Il est important de reconnaître un travail bien fait. Si un employé ne se
sent pas reconnu, il ou elle ne sera pas incité à reproduire le
comportement désiré. En outre, tous les employés devraient recevoir trois
types de feedback régulièrement, quel que soit leur niveau de
performance : il est toujours possible de trouver au moins un point positif
et un point à améliorer chez chacun. Ceci permettra de préserver la
motivation d’un employé qui se voit dire qu’il ou elle a beaucoup de
choses à améliorer, de même que celle des employés qui se voient dire
qu’il ou elle a de bons résultats qui seront alors motivés à faire encore
mieux.
Retenez, donc, que le feedback doit être donné régulièrement sous
peine de perdre tout impact.

Étape 3 : Assurez-vous de voir vos employés s’exercer sous votre regard


Voilà l’étape la plus fréquemment omise par les directeurs. Donner un
feedback est essentiel mais ne suffit pas pour changer un comportement.
L’employé doit s’exercer, et le directeur doit le coacher durant l’exercice.
Ci-dessous, trois manières simples de coacher un employé pendant sa
pratique pour améliorer ses résultats :
• Situation réelle  : continuez à observer et donner du feedback à votre
employé au fil de ses interactions avec des clients pendant la journée.
• Travailler en tandem (dans une situation réelle)  : lorsque le temps le
permet, passez du temps à vendre vous-même avec vos conseillers de
vente. Montrez l’exemple. Montrez-leur comment réaliser les étapes
avec lesquelles ils ont des difficultés et demandez-leur de pratiquer
ensuite les mêmes points avec un autre client. Continuer d’observer et
de donner du feedback pendant tout le temps passé auprès de
l’employé. Le fait de travailler en tandem avec vos conseillers de vente
et de mener votre équipe en donnant l’exemple vous aidera à gagner le
respect de vos employés et ils seront par la suite plus ouverts à vos
remarques et votre feedback.
• Jeu de rôle : lorsque les clients se font rares, c’est un bon moment pour
s’entraîner. Les jeux de rôles peuvent être alors des plus efficaces.
Jouez le rôle du client pendant que votre employé tiendra le sien en
tant que conseiller de vente. Échangez vos rôles pour lui montrer le
comportement souhaité. Donnez du feedback tout au long du
processus.

Directeur adjoint de magasin

Rend compte à : Directeur du magasin

■ Rôle du poste

Assister le directeur du magasin dans la recherche d’une pleine et entière


satisfaction chez les clients et d’une rentabilité optimale pour le magasin.
À cette fin, sa présence est nécessaire en cas d’absence du directeur.

■ Charges et responsabilités

Assister le directeur en matière de :


– rotation
– formation
– gestion du magasin
– image
– direction, coaching
– réalisation de ses objectifs de chiffre d’affaires

■ Critères d’évaluation

Réalisation des objectifs du magasin en termes de KPI :


• Volume
• Marges
• Taux de conversion
• Budget (dans les dépenses sous contrôle local)
• Portefeuilles clients :
– Condition générale (taux d’information, taille, etc.)
– % de clients gagnés, % de fidélité, % d’attrition
– Stock, pertes de stock et ainsi de suite
• Réalisation des objectifs individuels pour chacun des conseillers de
vente du magasin
• Développement de l’équipe :
– turnover
– avancement et ainsi de suite
• Respect de l’image de la marque

Conseiller de vente

Rend compte à : Directeur ou directeur adjoint du magasin

■ Rôle du poste

Offrir à la clientèle une expérience unique et mémorable, en adéquation


avec la stratégie de la marque, dans le but de maximiser les ventes et
d’établir des relations client de long terme.

■ Charges et responsabilités

Réaliser ses objectifs individuels et contribuer à la réalisation de ceux du


magasin
• Indicateurs clés de performance (KPI)
• Portefeuille clients (si une base client existe)
– clients conquis, fidélité
– qualité et quantité de l’information recueillie
• Soutien apporté aux autres conseillers de vente
• Soutien apporté aux équipes administratives, s’il y en a (gestion des
stocks, etc.)
Se conformer en permanence aux standards de service fixés par la
marque
• consignes de vente et de service
• qualité de l’accueil et du service
• apparence personnelle
• aspect du magasin et des produits présentés (vitrines et présentoirs)
• connaissance de la marque, des produits et des pratiques :
– règles de sécurité
– procédures, règles administratives pour les autorisations
– systèmes d’information
Participer au fonctionnement quotidien du magasin
• nettoyage et entretien du magasin
– propreté du magasin
– qualité des vitrines, des présentoirs et du mobilier
– propreté des produits
– versatilité pour les tâches de caisse ou d’inventaire
• participation active :
– aux réunions d’équipes (suggestions, propositions, etc.)
– lors des événements, challenges et réunions périodiques
– lors des incidents clients (nouveaux produits, défauts constatés,
etc.)
– lors des inventaires réguliers et de fin d’année
• toute tâche confiée à un moment ou pour une période donnés par le
directeur du magasin, telle que :
– réalisation et entretien des vitrines et présentoirs
– réapprovisionnement et entretien des produits présentés
– se conformer au programme de formation
– se conformer au planning de présence
– information sur les nouveaux produits, et ainsi de suite
Tableau 14.4 – Compétences d’un conseiller de vente
Expérience Capacités

Vente • Capacités commerciales


Si débutant : niveau • Ouverture d’esprit et curiosité
d’études « moyen », • Attention portée au détail
minimum bac+2 • Résilience
• Présentation et d’expression
Indispensable • Relationnel et écoute
• Attention portée au service
• Patience/disponibilité au besoin
• Intégrité/confidentialité
• Versatilité
• Esprit et travail d’équipe

Souhaitable Expérience de vente • Anglais (couramment)


  dans le luxe/la mode • Flexibilité au-delà des attentes
    • Enthousiasme
    • Dynamisme
    • Intérêt pour les produits
    • Identification et loyauté à la marque
    • Maîtrise d’une ou plusieurs langues
    étrangères
  • Initiative au-delà des attentes
  • Connaissance du marché et du monde de
  la mode
  • Envie d’une carrière dans le réseau
+++ (géographique et organigramme)

  • Incapacité à communiquer ou difficultés


relationnelles
Inacceptable
• Résistant, rebelle ou individualiste
• Instabilité

Tableau 14.5 – Formulaire d’évaluation d’un conseiller de vente

Fonction Conseiller de vente  

1 = Extraordinaire
2 = Au-dessus
des attentes
Compétences
Explications 3 = Bien – conforme
professionnelles
4 = En dessous
des attentes
5 = Inacceptable

Offre un service au Applique avec succès les consignes 12345


client digne d’une de la marque en termes
marque de luxe d’expérience client

Établit des relations Développe une base clients – 12345


clients montre de l’intérêt pour et réussit à
développer des relations
commerciales répétées avec les
clients – transforme les acheteurs en
clients

Offre une À une connaissance approfondie de 12345


connaissance des la collection ; sait argumenter pour
produits vendre des produits dans toutes les
catégories

Attention portée au Fait attention aux détails qui 12345


détail contribuent à la sensation de luxe
dans le magasin et la relation avec
le client

Vend en anglais Pour les employés non anglophones 12345


de naissance

Vend dans une   12345


autre langue
étrangère

Tableau 14.6 – Compétences personnelles

Écoute activement   12345

Travaille de manière dynamique   12345


et prend des initiatives

Joue le jeu de l’équipe Soutien la réalisation des objectifs 12345


d’équipe

Connaît la mode S’intéresse à la mode, lit 12345


et les tendances des magazines de mode…

Présentation Incarne et applique 12345


les recommandations en matière
de tenue et d’apparence

Capacités de communication Expression, style en s’adressant 12345


aux clients

Confiance en soi Est convaincant dans son rapport 12345


aux autres

Outil no 5 : déroulement de carrière


Il est crucial pour assurer la réussite d’une bonne gestion du magasin
d’offrir des déroulements de carrière à l’intérieur de l’entité commerciale –
 et de minimiser le turnover. Les déroulements de carrière devraient couvrir
trois secteurs de l’organigramme pour permettre une flexibilité suffisante :
magasin, retail et merchandising (cf. figure 14.6).

Les déroulements de carrière dans le commerce

Il existe deux niveaux pour les conseillers de vente  : conseiller junior et


conseiller senior.
Les directeurs adjoints de magasin peuvent être :
– des conseillers de vente seniors ayant une grande expertise de vente de
même que des compétences en management et en merchandising
visuel ;
– des diplômés d’études commerciales faisant montre de bonnes
compétences en management et en merchandising visuel, et désireux
de faire carrière dans le commerce.
Après avoir fait la preuve de leur capacité à diriger une équipe et à
développer les performances d’un magasin, ils avanceront vers un poste de
directeur de magasin.
Les directeurs de magasin auront la possibilité de :
– gérer un magasin standard puis un flagship
– devenir directeur de pôle une fois établies leurs capacités en tant que
directeur de magasin
Les directeurs de pôle auront trois possibilités :
• directeur des opérations commerciales
• poursuite de carrière dans le merchandising
• poursuite de carrière dans la formation

Gérer une carrière dans le commerce


Pour faciliter les discussions relatives aux carrières, nous proposons un
modèle que nous avons développé à partir des travaux de Dave Ulrich et
Norm Smallwood (The Leadership Code, Harvard Business Press, 2008)
qui décrivent quatre étapes d’une progression professionnelle.
Ce modèle aide les départements ressources humaines à faciliter les
opportunités de progression des individus dans l’organigramme du groupe,
ainsi qu’à identifier les manques et les trous en termes d’avancement au
niveau du groupe (cf.  figure  14.7 pour une représentation graphique des
étapes).
Le modèle de déroulement de carrière permet au collaborateur de définir
ses aspirations professionnelles et de comprendre ce qui est nécessaire pour
atteindre de très bons résultats à son niveau actuel de poste. Il souligne les
différences entre les étapes et les trajectoires en termes du travail attendu
des collaborateurs, des types de relation qu’ils nouent et des dispositions
psychologiques dans lesquelles ils doivent se placer.
• Apprendre, auprès des autres, comment les choses fonctionnent dans la
boutique.
• Maîtriser, en contribuant de manière autonome, les compétences et
connaissances techniques du commerce.
• Diriger, en contribuant à travers d’autres, une équipe, une boutique ou
un portefeuille de clients.
• Mener, parmi les cadres dirigeants du groupe, les développements
commerciaux futurs.
Sur la base de ce modèle d’étapes professionnelles, nous élaborons un
cadre de déroulement de carrière spécifique au commerce en points de
vente :
• les catégories de postes commerciaux qui existent actuellement dans
les groupes du luxe ;
• les opportunités/scénarios possibles que les gens voulant entrer dans
une carrière commerciale peuvent envisager. (cf. figure 14.8 pour une
représentation graphique de ces étapes.)
En sus de ces modèles, et dans un souci d’exhaustivité, nous donnons des
exemples de déroulement de carrière commerciale qui mettent en avant les
différentes étapes et opportunités à franchir et saisir si l’on veut –  en
commençant comme conseiller de vente  - gravir les échelons au sein de
l’équipe du magasin. (Cf. les figures 14.9 et 14.10 pour une représentation
graphique de ces scénarios de carrière.)

Outil no 6 : fixer des objectifs de chiffre d’affaires

Afin d’orienter les performances en termes de chiffre d’affaires et de


s’assurer qu’elles sont en phase avec les budgets, il faut fixer des objectifs
de manière cohérente à tous les niveaux de l’organisation commerciale.
Ceci précise les standards de résultats et permet d’améliorer les
performances à tous les niveaux.
• Une fois fixés les budgets annuels, ils descendent en cascade pour être
communiqués au niveau des directions de magasin.
• Les objectifs de chiffre d’affaires sont fixés mensuellement pour les
directeurs de pôle et les directeurs de magasin, et doivent être revus
mensuellement (l’objectif de chiffre d’affaires du premier mois devrait
correspondre au budget de ventes du premier mois).
• Les objectifs chiffrés pour les conseillers sont fixés mensuellement,
hebdomadairement, et quotidiennement et doivent être examinés
chaque semaine. Les directeurs devraient utiliser les formulaires
suivants :
– Formulaires de résultats quotidiens/mensuels pour le personnel
– Formulaires d’objectifs quotidiens pour le magasin
• Les conseillers de vente peuvent aussi suivre leur propre chiffre
d’affaires et analyser leurs résultats dynamiques en utilisant les
formulaires de leur livret client :
– Feuille de suivi du chiffre d’affaires quotidien
– Feuille de suivi du chiffre d’affaires mensuel
• Les objectifs et les plans d’action doivent être examinés sur une base
mensuelle (hebdomadaire pour les conseillers de vente) et il convient
de donner du feedback.
• Les résultats doivent être suivis et les commentaires notés dans le
registre prévu à cet effet.
Outil no 7 : concevoir un système de rémunération juste

Il faut avoir à l’esprit trois principes clés :


• Redéfinir les gratifications globales. L’intention est que l’organisation
commerciale de la marque reconnaisse l’importance de programmes de
gratification pour la réalisation des objectifs économiques et qu’elle
comprenne que ces programmes couvrent une part significative de la
proposition globale offerte par l’employeur à l’employé. Ce paquet
global devrait comprendre :
– la rémunération, dont le salaire de base et les incentives à court et
long terme
– la couverture sociale, dont l’assurance santé et la retraite
– les déroulements de carrière, dont formation et progression,
changements de trajectoire, responsabilités valorisantes,
perspectives d’avancement ; en bref, la valeur ajoutée, à terme, du
fait de rester dans l’entreprise
• Le paquet global de gratification est un outil clé pour influer sur le
comportement et les attitudes des employés, en particulier lorsqu’un
changement de stratégie économique nécessite d’imposer un
changement de comportement.
• Équilibrer les trois perspectives. Cet équilibre nécessite de faire
attention à trois perspectives distinctes et pourtant liées  : celle de
l’employeur, celle de l’employé et celle du coût (cf. figure 14.11).
• Mesurer le retour sur investissement. Une organisation commerciale
devrait répondre à des questions cruciales et permettre ainsi d’orienter
les investissements en main-d’œuvre de manière à maximiser la valeur.
Tableau 14.7 – Les KPI pour évaluer la rémunération adaptée

Questions cruciales Suggestions de KPI

Quels caractéristiques, expériences, Capacités commerciales techniques :


comportements sont effectivement « comportements cruciaux » pour la
récompensés ? clientèle ; « utilisation de la base clients »,
performance de ventes : « tickets élevés »
capacités de négociation

Quels déroulements de carrière et quelles Étapes de progression – « rapide »,


tâches conduisent clairement à la réussite apprentissage
de l’employé ?

Quelles sont les conséquences pour Taux de départ des talents, climat
l’entreprise de ces gains de performance d’investissement des employés,
des employés ? perceptions des employés, satisfaction des
clients

Quelles composantes de la rémunération Importance de la connaissance


globale les employés apprécient-ils de la marque, expérience du savoir-faire
particulièrement, tel que reflété dans leurs ventes à de nouveaux clients, incitations
actes plutôt que leurs paroles ? aux résultats d’équipe

Quels segments du personnel contribuent Directeur de magasin, expert de vent,


le plus à la valeur économique, et de quelle etc.…
manière ?

Dans leur conception d’un système de gratification efficace pour les


activités commerciales, la direction des ressources humaines et le Comité
de Direction devraient se concentrer sur quatre principes clés.

Principe clé no 1

Aligner toutes les composantes du système de rémunération avec les


objectifs prioritaires du groupe (cf. figure 14.12).
• Augmenter le montant des salaires de base en mettant fin à
l’intéressement financier individuel (ce qu’on désigne parfois sous la
formule «  chacun mange ce qu’il tue  ») qui a tendance à pousser les
conseillers de vente à chercher à conclure les ventes à tout prix, en
traitant les autres membres de l’équipe et les clients occasionnels
d’une manière délétère (ceci est à adapter en fonction des pratiques
régionales).
• Traiter les incitations à court terme de manière différenciée en les
reliant aux moteurs principaux de l’activité commerciale : performance
des employés, comportement adéquat, recueil des données clients et
utilisation de ces données.
• Mettre en avant des mesures incitatives d’équipe, liées à l’activité du
magasin de manière à inciter chacun à coopérer plutôt qu’à entrer en
compétition avec les autres, et utiliser des indicateurs de performance
collective.
• Prévoir des solutions de reconnaissance et de gratification telles que la
participation à des projets à forte visibilité, des programmes de tutorat,
ou un événement prestigieux.

Principe clé no 2

Trouver un équilibre dans la manière de récompenser les performances


selon le timing du marché et celui des affaires (cf. figures 14.13 et 14.14).

Principe clé no 3

Réaliser de manière constructive des bilans trimestriels, semestriels et


annuels, pour maintenir chacun en phase avec l’activité. On le fait en
général dans toutes les entreprises, mais pas nécessairement auprès des
conseillers de vente. Nous soutenons qu’il faut le faire pour eux aussi (cf. le
formulaire d’évaluation des conseillers de vente dans l’Outil no 4).

Principe clé no 4

Comparer votre système de rémunération à celui des meilleures sociétés


s’adressant à la même clientèle (concurrents dans le secteur du luxe, ou
banques privées par exemple).

Exemple

Cet exemple d’ingénierie d’un paquet global en termes pour une carrière
commerciale illustre comment intégrer les quatre principes clés et comment trouver
le bon équilibre entre chacun de ces éléments :
• Le risque de discontinuité entre le candidat et la marque concernant
la rémunération et les incitations au fil de la carrière. Un malentendu sur cette
question pourrait poser un sérieux problème pour le groupe et entraîner une
perte financière significative.
• Les objectifs commerciaux sont ceux précisés dans les étapes du déroulement
de carrière. Il est important de vérifier et de valider chaque avancement par
l’intermédiaire d’un comité de carrière.
• Les perspectives de carrière concernent l’avancement, la formation spécifique,
et autres gratifications pertinentes pour entretenir la motivation des employés,
s’assurer qu’il reste en phase avec le groupe et les aider à préparer l’avenir de
manière dynamique.
• Les composantes du système de rémunération représentent le déroulement
des carrières, et réalisent un équilibre entre l’importance du salaire de base,
des performances individuelles et collectives et la contribution du rôle
de management.

Outil no 8 : code vestimentaire pour les femmes

L’apparence et la tenue de chaque employé contribuent à distinguer le style


de la marque. Les codes et règles afférents, ainsi que les uniformes, sont
conçus pour que les clients puissent percevoir ce style.
Chaque marque devra avoir ses propres règles  : elles sont définies en
cohérence avec les valeurs de la marque. L’adhésion du personnel de vente
à ces règles et standards reflète son attitude vis-à-vis à la fois de la clientèle
et de la marchandise.

Exemple

Voici un exemple possible de règles d’apparence :

Cheveux
coupe classique et propre
pas d’extension ni de perruque
accessoires limités à des barrettes ou des élastiques neutres
pas de barrettes ni élastiques de couleurs claires, pas de scrunchies, de banana
clips ni de bandeau
teintes naturelles seulement

Maquillage
Fond de teint : minimal, ton naturel
Yeux :
• fard à paupières de teintes neutres et discrètes
• crayon et mascara minimaux
• pas de sourcils exagérément marqués au crayon
Lèvres :
• rouge à lèvres discret
• pas de crayon à lèvres en contraste
Ongles :
• vernis clair ou couleur peau, d’une seule teinte
• pas plus de 5 mm de long
• pas de faux ongles ni de bijou

Accessoires
Boucles d’oreille :
• petites et simples
• pas de pendants ni d’anneaux
Collier
• pendentifs simples et uniques sur une chaîne fine et mono-brin
• un rang de perles
• pas de médaillon ni de formes ostentatoires
• un seul piercing par lobe
• pas de broche ni de pin’s
• bagues et bracelets ne devraient pas distraire le regard de la marchandise
présentée
• éviter les tatouages
• les piercings ailleurs qu’aux lobes des oreilles ne devraient pas être visibles

Note :
• tout employé doit pratiquer une hygiène personnelle quotidienne
• les commentaires sur l’apparence, la tenue ou l’hygiène d’un employé sont à
éviter en dehors d’entretiens privés et appropriés avec un supérieur
• il est rappelé aux employés que les directives en matière d’apparence et de
tenue ne sont pas spécifiques à des personnes mais visent à maintenir la
qualité des standards visuels de la société.

Outil no 9 : valeurs éthiques globales


Pertinence d’une éthique professionnelle globale

Le développement actuel des standards de responsabilité sociale des


entreprises avait été anticipé par nombre de marques de luxe : elles ont mis
au point des règlements d’éthique professionnelle pour s’assurer que tous
les employés de la société se conforment aux standards les plus élevés en
matière éthique et légale, partout où elles sont présentes. Ceci s’applique à
tous les employés d’une marque de luxe ; y compris le personnel de vente.
Ces procédures sont conçues de manière à écarter les risques encourus
par l’entreprise qui résulteraient d’un comportement non éthique. Souvent,
un comité central d’éthique est chargé de s’assurer de la bonne application
des règles.

Exemple

Il relève du rôle de tous les employés à tous les niveaux de s’assurer que les
affaires sont menées de manière éthique, et de rapporter à leur supérieur ou au
comité central d’éthique professionnelle (GBEC pour Global Business Ethics
Committee) les manquements aux règles d’éthique.
Champ de la procédure Les problèmes suivants relèveront de cette procédure :
• Achats de biens ou services
• Gestion de « conflits d’intérêt »
• Gestion des dons, cadeaux ou autres contreparties offerts par des concurrents
ou des fournisseurs (actuels ou potentiels).
• Gestion des relations avec des membres des autorités gouvernementales
demandant des dons/cadeaux/sommes d’argent à la société.
• Connaissance de conditions de travail illégales
• Connaissance de transactions financières douteuses
• Gestion de tentatives hostiles de la part de concurrents pour obtenir des
informations sur la société
• Marche à suivre par un(e) employé(e) qui détecte ce type de comportement non
éthique chez un collègue ou un supérieur.

Procédure
■ Achat de biens et services

Lors de l’achat de biens ou de services auprès de fournisseurs potentiels,


tout employé autorisé à conclure des accords avec des fournisseurs
(cf.  autorisations légales), s’assurera d’effectuer son travail dans une
position d’indépendance et de neutralité par rapport aux fournisseurs.
Il ou elle examinera toujours au moins deux offres de fournisseurs
potentiels avant de prendre une décision sur un achat. Les deux offres
devraient être consignées dans un Dossier Achats.
Dans le cas où un seul fournisseur est disponible, l’employé contactera
un membre du comité d’éthique. Le GBEC prendra la décision et signera la
commande de biens ou services faite à ce fournisseur unique.

■ Gérer les « conflits d’intérêt »

Si un employé (ou un membre de sa famille ou un de ses amis proches) a un


intérêt substantiel (c’est-à-dire plus de 5  % des actifs de la société en
question), directement ou indirectement, dans une société faisant (ou
cherchant à faire) affaire avec la société, ceci doit être rapporté
immédiatement au GBEC.

■ Gestion des dons, cadeaux ou autres contreparties offerts


par des concurrents ou des fournisseurs (actuels ou potentiels)

Si un employé, ou un parent ou un ami proche, se voit offrir des dons,


cadeaux ou contreparties par toute société ou personne faisant ou cherchant
à faire affaire avec la marque, ceci doit être immédiatement à la direction
concernée ou au PDG régional et au GBEC.
Tout employé recevant des cadeaux ou des avantages d’une valeur
supérieure à (à définir par l’entreprise) de toute personne ou entreprise
faisant ou cherchant à faire affaire avec la société, ou qui est en concurrence
avec la société, devrait immédiatement en référer à la direction concernée
ou au PDG régional et au GBEC.
La définition d’un «  cadeau  » dépendra des pratiques habituelles dans
chaque région (par exemple, actuellement les standards sont différents au
Japon et aux États-Unis). En cas de doute, les membres du comité d’éthique
trancheront ensemble.
Les employés invités pour raisons professionnelles par des
fournisseurs/des clients ou des actionnaires de la société peuvent accepter
d’être logés dans un hôtel à tarifs «  raisonnables  » de manière à garantir
leur « attitude neutre ».
Les avantages en nature d’une valeur supérieure à (à définir par
l’entreprise) ne sont pas acceptables.

Exemples :

• Présentations de produits par des fournisseurs, pendant une semaine,


partenaire invité(e), dans un hôtel de luxe
• Vacances, longs week-ends offerts par les fournisseurs.
• Argent liquide caché dans un cadeau.
• Carte offerte au/à la partenaire de l’employé pour un usage privé.
• Cartes de crédit/cartes de carburant offertes.
• Frais d’études des enfants payés
• Adhésion annuelle à un club payée par un fournisseur, etc.

■ Gestion des relations avec des membres des autorités


gouvernementales demandant des dons/cadeaux/sommes d’argent
à la société

Toute demande formulée par un membre d’une autorité gouvernementale à


un employé devrait être portée à la connaissance du GBEC. En conformité
avec les standards de la marque ainsi qu’avec les standards régionaux, le
GBEC prendra la décision adéquate.

■ Connaissance de conditions de travail illégales

Tout employé découvrant des situations dans lesquelles les conditions


légales de travail ne sont pas respectées, ou qui peuvent être considérées
comme non éthique ou comme quelque forme que ce soit de harcèlement,
doit en informer tous les membres du GBEC.
Le GBEC mènera les actions adéquates pour éliminer ces situations.

■ Connaissance de transactions financières douteuses

Toute connaissance d’une transaction financière douteuse réalisée en interne


par un employé de la société, susceptible de porter atteinte aux intérêts de la
société, doit être immédiatement signalée au GBEC.

■ Gestion de tentatives hostiles de la part de concurrents pour


obtenir des informations sur la société

Si un tiers (fournisseur/concurrent, etc.) tente d’obtenir des informations


confidentielles de manière non éthique auprès d’un employé à quelque
niveau que ce soit, le GBEC doit en être informé immédiatement de façon à
pouvoir mener les actions adéquates pour empêcher ces informations de
sortir.

■ Que faire si un employé découvre ce type de comportement


non éthique chez un collègue ou un supérieur ?

Si un employé, à quelque niveau que ce soit dans la société, a les preuves


d’un comportement non éthique de la part d’un collègue ou d’un supérieur,
il doit en informer tous les membres du GBEC, pour s’assurer de la
confidentialité.
Le GBEC protégera l’identité de l’employé informateur pendant son
investigation et décidera des mesures correctives adéquates.

L’essentiel
►► Quand le comportement des vendeurs dans un magasin ne correspond
pas à l’attente des clients ni à l’atmosphère attendue à l’adresse d’une marque
prestigieuse, avant de mettre en cause leur comportement ou leur
professionnalisme, il faut regarder si le système de recrutement, de contrôle ou
de rémunération n’est pas à l’origine de ces dysfonctionnements. Avant
d’accuser les employés, il faut surtout analyser les conséquences du système
mis en place.
►► L’atmosphère d’un point de vente peut dépendre de la diversité des
employés qui y travaillent et de leurs espérances de développement
professionnel. Plus les promotions hors des points de vente ou au sommet d’un
point de vente sont nombreuses, plus les vendeurs peuvent envisager de faire
carrière dans l’entreprise et de raisonner à long terme.
►► Ce qui crée un sentiment de chaleur et de reconnaissance chez les
clients, c’est la somme de toute une série de preuves d’intérêt et de sollicitude
de la part des vendeurs. Cela peut être le fait qu’un vendeur se rappelle leur
nom quand ils entrent dans le magasin ou qu’il se souvient de ce qu’ils ont
acheté la fois précédente ou de la façon dont ils s’expriment ou comment ils
montrent leur préoccupation pour chacun des clients, considérés
individuellement, ou même pour les visiteurs.
►► Le système de gestion du personnel doit tenir compte des cultures
locales. La marque doit bien sûr imposer son mode de fonctionnement et ses
règles du jeu, mais chaque pays doit tenir compte des habitudes et
des attentes de la population locale.
Chapitre 15

À quel prix faut-il vendre ?


« Beaucoup de spécialistes du marketing négligent leurs stratégies de prix et sous-
estiment l’effet qu’elles peuvent avoir sur le marché. »
Philip Kotler

Il a été dit plus haut que la politique de prix n’avait pas sa place dans la
définition du mix au point de vente parce qu’il faisait partie intégrante de
l’offre produit. Dans le commerce de détail de luxe, les décisions en matière
de prix sont généralement prises au niveau central et ne relèvent pas de la
responsabilité du directeur de magasin ni même de celle du directeur des
ventes. La politique de prix est donc perçue comme secondaire dans le
contexte des points de vente. Pourtant il demeure un élément important de
la gestion d’un magasin : même pour les produits de luxe, les comparaisons
de prix avec la concurrence, les décisions en matière de réductions de prix
et l’évaluation du niveau des réductions consenties pour accroître les
volumes de ventes ne doivent pas être prises à la légère.
Dans un système offline parfait, il n’y a qu’un système de prix possible :
le même produit doit avoir le même prix partout dans le monde de façon à
ce que le O2O parfait puisse fonctionner dans tous les sens : je regarde le
prix d’un article sur le site internet de la marque au Brésil. Je vais à la
boutique de Sao Paulo pour le prendre dans mes mains, puis je suis à New
York et je l’achète dans le magasin de la marque sur Madison Avenue : je
devrais le retrouver au même prix. En fait, il est beaucoup moins cher parce
que les droits de douane pour ce type de produits sont très élevés au Brésil
alors que les prix nord-américains sont presque identiques aux prix
européens. Le système n’est pas dans une continuité parfaite. Pour qu’il le
soit, il faudrait supprimer les droits de douane et que toutes les marques
fassent l’effort de vendre partout dans des conditions identiques. Les impôts
locaux sur les ventes (qui existent dans beaucoup d’États aux États-Unis) ne
devraient pas exister non plus. La continuité parfaite suppose que les droits
de douane et les impôts locaux de vente (sans parler des impôts de luxe sur
les prix de détails, tels qu’ils existent en Chine continentale) soient
supprimés. On en est très loin, bien sûr, mais la tendance doit fortement
aller dans ce sens, comme nous l’expliquerons dans ce chapitre. Enfin, il ne
faut pas oublier que tous les magasins, même monomarque exclusifs,
appartiennent quelquefois à des opérateurs individuels, à des importateurs
exclusifs ou à des franchisés, qui doivent gérer la marque au mieux de leurs
intérêts à long terme.
Car même si les décisions de prix sont centralisées pour les magasins
gérés directement par la marque, il se peut que les franchisés aient une
certaine autonomie en cette matière. La direction de l’entreprise ou de la
division leur dira quel doit être le prix de vente de détail conseillé, mais elle
ne pourra pas légalement le leur imposer car, dans la plupart des pays, il est
interdit à un fabricant de fixer les prix. De même, les grands magasins ne
peuvent décider des prix pour les shops in shop ou pour les corners, mais ils
ont un contrôle total sur leurs propres rayons. La question du prix reste
donc ouverte et mérite que l’on s’y intéresse ici. Dans la première section,
nous discutons des politiques de prix. Puis dans un second temps nous nous
intéresserons aux réductions tactiques de prix destinées à accroître les
ventes.

Politique de prix en temps normal

Premièrement, examinons le système de prix mondial afin d’identifier les


différents éléments qui conditionnent la vente. Nous étudierons ensuite les
marges.

Politique de prix au niveau mondial

La vision traditionnelle de l’industrie du luxe est qu’on ne peut fixer le


même prix de détail partout dans le monde. Dans de nombreux pays, les
produits importés sont soumis à des droits de douane qui peuvent atteindre
jusqu’à 100  % du prix d’exportation. Dans certains cas, il y a aussi une
TVA (à intégrer au prix de vente) ou des taxes locales (généralement non
comprises dans le prix de détail qui figure sur l’étiquette et simplement
ajoutées à la caisse du magasin). Les coûts de gestion d’un magasin sont
aussi très différents. Ouvrir un magasin à Tokyo et payer le personnel de
vente peut y être deux à trois fois plus cher qu’à Madrid et les loyers y sont
très différents : tout ceci devrait se retrouver d’une manière ou d’une autre
dans les prix de vente de détail.
Traditionnellement, les marques de luxe, ne fixent pas un prix unique
pour le monde entier, mais travaillent sur la base de trois zones, telles que
décrites dans le tableau 15.1.
Tableau 15.1 – Zone de prix pour la mode et les accessoires de luxe

  Paris/Milan Tokyo/Shanghai New York

Marché local 100 135/145 105/110

Travel Retail 80 104/96 84/76

Pour l’Europe et ce qui constitue souvent la ville d’origine de la marque,


le prix de détail est fixé à un indice 100. Pour New York, on essaie
généralement d’avoir un prix de détail légèrement supérieur à ce qu’il est en
Europe, comme montré dans le tableau, à 105 ou 110.
Mais si le dollar faiblit par rapport à l’euro, les prix new-yorkais peuvent
alors descendre à 90 ou 95 et être moins élevés qu’à Paris. Le réflexe
pourrait être alors d’augmenter les prix américains, mais d’abord, ceci ne
peut être fait que deux ou trois fois par an (par exemple lors de l’impression
d’un nouveau catalogue). Et puis, dans notre exemple, si les marques
américaines n’ont pas besoin d’augmenter leurs prix de détail, les marques
européennes feront attention à ne pas augmenter les leurs trop rapidement,
afin de rester compétitives. Ensuite, le prix new-yorkais sera utilisé aux
États-Unis et servira de référence pour la zone américaine. Par exemple, si
l’Argentine a des droits de douane de 30 %, le prix de vente en Argentine
devrait en théorie se trouver à 105 × 1,3 =  136,5 ou 110 × 1,3 =  143  ; il
pourra être fixé à 130. Au Mexique, avec des droits de douane de 10 %, le
prix de vente pourrait être de 120.
En Asie, le prix de référence était censé être fondé sur un prix de 145 à
Tokyo et de 135 à Shanghai. Les niveaux plus élevés sont dus aux droits de
douane (japonais ou chinois) et aux coûts d’exploitation élevés dans un
grand nombre des pays de cette région.
Nous venons de dire que lorsque le dollar baisse par rapport à l’euro, il
n’est pas facile d’augmenter les prix de détail car ceci ne peut être fait qu’à
certains moments et lorsqu’aucune activité promotionnelle spéciale n’est ni
en cours ni prévue et annoncée (avec par exemple des documents
promotionnels déjà imprimés) mentionnant un prix de détail. Ainsi, le
temps de latence avant que l’on puisse agir est généralement de quelques
mois voire de quelques trimestres.
Baisser les prix de vente n’est pas aisé. Une marque qui possède
directement 100  % de son appareil de distribution peut le faire assez
facilement, en tenant compte du temps de latence mentionné plus haut.
Mais les choses se compliquent dès qu’une partie de la marchandise est
vendue par l’intermédiaire de magasins multimarques indépendants, de
franchisés ou de grands magasins. Si on leur demande de réduire les prix de
détail sur des produits qu’ils ont déjà en stock, ces détaillants exigeront de
conserver la totalité de leur marge sur le prix réduit. Ainsi, si un détaillant a
acheté le produit à 50 pour le vendre à 100 mais que la décision est prise de
le vendre à 90, l’intermédiaire demandera que le coût d’achat pour lui soit
réduit à 45 de sorte que sa marge demeure à 50 %. Étant donné qu’il aura
déjà payé ses produits en stock, il voudra soit un remboursement, soit un
avoir. Donc si une marque veut organiser une réduction de prix, elle devra
envoyer des représentants dans chaque point de vente pour compter
physiquement le nombre de produits en stock de manière à donner à chaque
détaillant l’avoir correspondant pour chacun des produits qu’il a en stock.
Ceci est parfois fait, mais c’est bien sûr compliqué et cher, ce qui explique
pourquoi lorsqu’une réduction de prix est nécessaire du fait d’une variation
des taux de change, la tendance est d’attendre et de renoncer aux hausses de
prix futures, de sorte que la réduction de prix nécessaire ne se matérialisera
qu’au bout de quelque temps.
Dans les trois zones de prix, les prix détaxés seront généralement fixés à
20 % en dessous des prix locaux. On peut voir dans le tableau 8.1 que les
prix deviennent alors 80, 84-88 et 116, et qu’il est généralement plus cher
d’acheter des articles de mode, des accessoires ou des parfums détaxés à
l’aéroport de Tokyo Narita ou à celui de Shanghai Pudong que dans les
boutiques parisiennes. Ainsi, même si le marché est mondialisé, il demeure
des différences de prix de détail.
Au fil du temps, ces différences peuvent s’amenuiser. Au Japon, par
exemple, le MITI (Ministère de l’Économie) tente de forcer les marques de
luxe à réduire cet écart de prix en publiant régulièrement les prix milanais,
new-yorkais et tokyoïtes de certains articles emblématiques du luxe. Mais
en s’appuyant sur ces différences dans le montant des droits de douane et
dans les coûts d’exploitation, les marques peuvent justifier une partie de
l’écart de prix.
Le tableau 15.2 confirme cette situation – en donnant des écarts de prix
sur la base de relevés magasins – où les marques de luxe appliquent des
prix différentiels selon les marchés. Mais il ne s’agit que de moyennes – qui
cachent en fait de très fortes disparités entre marques et entre produits.
Tableau 15.2 – Prix de vente détail de produits de mode suivant la localisation du
point de vente

Corée du
Europe États-Unis Hong Kong Japon Chine
Sud

100 115 116 125 127 132

Source : Financial Times, 21 octobre 2018.

Ce merveilleux schéma est en train d’exploser avec le développement


d’internet et sous la pression des clients chinois – lesquels rappelons-le sont
les premiers clients du luxe au monde (35 % des clients).
On constate d’abord que les marques de luxe ont été beaucoup plus
gourmandes que les chiffres que nous venons de donner le disent. Il y a 20
ans une étude systématique faite par l’un des auteurs dans la maroquinerie
montrait des écarts de prix entre l’Europe et le Japon de… 70 % (soit bien
au-delà des justifications liées aux droits de douane, au transport et aux
coûts d’exploitation) !
Une étude analysant le différentiel de prix entre la Chine et les États-Unis
en 2016 pour les chaussures de luxe par le Think Tank L2 montre les écarts
suivants (alors que selon les chiffres que nous venons de donner l’écart
devrait être d’environ 25 %)1:
• 29 % des marques appliquent un différentiel de 15 %
• 29 % des marques appliquent un différentiel de 16 à 25 %
• 12 % des marques appliquent un différentiel de 26 % à 35 %
• 17 % des marques appliquent un différentiel de 36 % à 45 %
• 3 % des marques appliquent un différentiel de 46 % à 55 %
• 3 % des marques appliquent un différentiel de 56 % à 65%
• 9% des marques appliquent un différentiel de plus de 66 %
Ce qui mène à un différentiel moyen de 32  % avec de très fortes
variabilités : la perception par les clients reste que les marques de luxe ont
des prix beaucoup plus élevés en Chine et par conséquent pendant de
nombreuses années cela les a amenés à aller faire leurs achats à Hong Kong
ou Macao où les prix étaient inférieurs d’environ 25 à 30 % par rapport à la
Chine continentale.
Cela a trouvé une réalisation assez extraordinaire en décembre  2015
après la chute du rouble. Pendant plusieurs jours les marques de luxe n’ont
pas modifié leurs prix. Comme expliqué chapitre  7, des avions entiers de
clients chinois sont alors venus en Russie pour dévaliser les magasins de
luxe, afin de profiter des écarts de prix importants ainsi générés. Il faut donc
savoir que les chinois sont non seulement les clients les plus nombreux du
luxe mais aussi les plus avisés : ils connaissent tous les prix mondiaux.
De ce fait, avec la croissance des ventes en ligne et le poids grandissant
des clients chinois, les marques cherchent maintenant à modifier leur
politique de prix mondial. Salvatore Ferragamo a été un des premiers en
2014 à augmenter les prix de détail européens de 10 % et à maintenir ses
prix asiatiques pour réduire l’écart entre la Chine et l’Italie  : les prix sont
devenus, en indice : 100 à Milan et 125 à Shanghai, alors que Hong Kong et
le travel retail étaient à 90…
Chanel de la même manière a annoncé en avril 2015 qu’elle cherchait à
harmoniser ses prix pour certains de ses sacs en augmentant les prix
européens de 20  % et en les diminuant en Asie (sauf au Japon). Leur
objectif était d’assurer une harmonisation à l’intérieur d’une bande de
fluctuation de 10 % autour du prix européen. Cette politique a ensuite été
étendue à l’ensemble de la gamme de la marque.
Un dernier phénomène est en train de modifier les positions des patrons
de marques. L’activité des sociétés online qui vendent depuis des
plateformes dans des zones hors taxe et envoient des colis individuels en
très grand nombre dans les différents pays du monde. Comment chaque
pays peut-il collecter les droits de douane ? Dans certains pays, cela n’est
pas organisé ou pas possible, et dans ce cas le même produit, acheté sur
place, et qui est entré dans un container officiel coûtera plus cher que le
produit expédié en colis individuel… De plus de nombreuses marques elles-
mêmes développent des systèmes de vente en e-commerce cross-border en
ne déclarant pas les produits comme devant être soumis à telle ou telle taxe.
Cela risque de remettre en cause le système des droits de douane, ou en tout
cas, d’en réduire les montants. Il faut sans doute s’attendre à des
changements radicaux en la matière.
Enfin certains sites internet, nommés les «  comparateurs de prix  »,
comme par exemple MrIndex pour les montres, peuvent fournir à chaque
consommateur le prix de détail dans les magasins Rolex, par exemple ou
chez des bijoutiers-horlogers multimarques, de chaque référence de montre
dans chaque ville du monde. Il suffit de cliquer le nom de la ville et la
référence du modèle envisagé  : cela ne favorise pas, bien sûr les
comportements trop indépendants des gérants de boutiques. Tout le monde
a intérêt à ce que les prix mondiaux soient clairement indiqués et expliqués
et toutes les variations expliquées et justifiées… ce qui crée une forte
incitation pour les marques à évoluer vers des prix mondiaux harmonisés (à
l’intérieur d’une bande de 10 à 15 % tout à fait acceptable par les clients).

Sell-in, sell-out et sell-through

Puisque nous parlons de politiques de prix et observons l’impact qu’un prix


peut avoir sur un article dans un pays donné (en regard des prix de la
concurrence, bien sûr), nous devrions aussi nous intéresser au concept de
sell through (analyse du pourcentage de sortie de magasin des produits que
l’on a réussi à vendre divisé par le nombre de produits achetés, pour une
période de temps limitée), qui est un indicateur pratique de la validité d’un
prix.
Commençons par supposer qu’une marque ne travaille pas exclusivement
avec des magasins en gestion directe, mais aussi avec des franchisés, des
grands magasins et des détaillants multimarques.
Le sell in représente le nombre d’unités qu’une marque a vendu à un
partenaire, par exemple un franchisé. Supposons que la marque ait vendu
100 unités d’un article donné à un magasin franchisé de Moscou.
Le sell out est le nombre d’unités que le partenaire russe (le magasin
franchisé) a vendu au cours d’une période donnée  : c’est le nombre exact
d’articles achetés par des clients de détail au bout du système de
distribution. Disons par exemple que le sell out à Moscou, après quatre
mois de vente au prix fort est de 60. Ceci veut dire qu’il reste 40 produits en
stock au terme de la période de vente au prix fort.
Le sell through est le pourcentage d’unités vendues par le commerçant au
cours d’une période donnée. Pour continuer avec notre exemple moscovite,
disons que le sell through était de 40  % durant les deux premiers mois,
52  % après trois mois et (comme vous l’aurez deviné) 60  % après quatre
mois.
Dans la mode, un produit commercial devrait avoir un sell through de 65
à 85 % durant la période de vente au prix fort, et avant le début des soldes.
Le sell through peut – et devrait – être suivi chaque mois. Dans le même
exemple, il était peut-être de 25  % le premier mois et 60  % à la fin de la
période de quatre mois.
Pour des produits spécifiques, si un nouveau sac à main en cuir a un sell
through de 10 % durant le premier mois de vente (par exemple au mois de
septembre pour un article de la collection hiver), on sait qu’il y a un
problème. Soit le produit n’est pas très attractif pour le consommateur, soit
son prix est trop élevé. Au 15  octobre, il pourrait être raisonnable de
diminuer son prix de 20 % et de donner au franchisé un avoir sur le prix de
gros de sorte qu’il ou elle puisse conserver toute la marge sur ce prix réduit.

Regardons à nouveau les marges

Comme expliqué précédemment, la marge est le pourcentage du bénéfice


(prix de vente moins coût du produit) divisé par le prix de vente. Parfois les
marges sont seulement de 4  %, mais elles peuvent aussi être de 50  %, et
dans ce cas les journalistes risquent d’écrire des articles où ils expliquent
que les vendeurs gagnent plus d’argent que le fabricant.
Ce pourcentage de marge brute est en fait assez trompeur. Par définition,
c’est une marge «  brute  » et elle ne prend donc pas en compte les coûts
d’exploitation du magasin, qui peuvent être très élevés. Outre la marge
brute, il est parfois intéressant de regarder la marge d’exploitation, qui
inclut un ratio approximatif des coûts fixes du magasin. Si le loyer et les
coûts salariaux représentent 30 % du chiffre d’affaires prévu, et si la marge
brute est de 50 %, cette marge d’exploitation tombera à 20 %, ce qui n’est
pas la même chose.
Tous les produits d’un magasin monomarque devraient-ils utiliser le
même pourcentage de marge brute ? Ce serait le plus simple : pour calculer
le prix de vente, le gérant du magasin n’aurait qu’à prendre les prix d’achat
et les multiplier par le même coefficient. Mais ce n’est pas toujours le cas.
Si une marque essaie d’utiliser le même coefficient pour ses produits phares
(par exemple le prêt-à-porter), elle devra peut-être fonctionner avec un
coefficient plus faible (et donc une marge plus faible) pour les nouvelles
catégories de produits qui ne sont pas produits dans les mêmes volumes (et
les mêmes économies d’échelle) que leurs lignes standard. Il est donc
probable qu’il y aura deux ou trois marges différentes dans un magasin
monomarque.
En fait, pour différentes catégories de produits et différents types de
magasins, la structure globale de prix et de coûts peut être très différente,
comme l’a expliqué William Davidson dans son livre sur la gestion des
points de vente. Il distinguait les magasins de mode chic, les grands
magasins standards et les supermarchés. La figure 15.1 reprend une de ses
illustrations.

Figure 15.1 – Prix, coûts et marges pour différents secteurs commerciaux


Ce tableau montre que les marques de mode nécessitent une marge plus
élevée pour faire face à l’impact des soldes que nous aborderons dans la
section suivante. Même avec une marge moyenne de 60 %, les magasins de
mode finissent généralement avec une marge brute réelle de 50  % et un
bénéfice net de 7 %. Les grands magasins essayent de faire moins de soldes
et les supermarchés travaillent avec une marge brute de 20  % pour finir
avec un bénéfice net de 2  %. Mais même dans un grand magasin, les
marges varient d’une catégorie de produits à une autre. C’est ce qui apparaît
sur le tableau 15.1.
Tableau 15.1 – Marges par catégories de produit, en grand magasin

Le cas particulier de la mode

Quelle est la marge brute acceptable pour qu’un magasin de mode gagne de
l’argent  ? Tout dépend de son sell through. S’il est bon et que seuls 10 à
20  % de la marchandise doit être vendue en soldes, alors la vie est belle.
Mais si une ligne ne se vend pas, alors 40 ou 50 % du stock acheté (ou du
sell in) devront être vendu à prix réduit –  et plus le volume à solder est
grand, plus il faudra réduire le prix pour tout écouler. Dans l’exemple du
tableau  15.2, nous avons pris 30, 40 et 50  % comme taux de réduction
nécessaire les plus probables. Mais avec une marge à 40 %, baisser les prix
de 50 % signifie vendre à perte (ce qui est autorisé en période de soldes). La
marge brute pour la saison complète ne sera donc pas de 40 %, mais plutôt
autour de 20 ou 25 % : pas facile de gagner de l’argent dans ces conditions.
Tableau 15.2 – Impact du pourcentage de ventes à prix réduits et du niveau
de réduction des prix sur la marge totale (dans l’hypothèse d’une marge brute
de 40 %

La leçon à tirer de ce tableau est claire  : dans la mode, la marge brute


théorique au prix fort est une chose. La marge brute moyenne, une fois
toute la marchandise écoulée d’une manière ou d’une autre, en est une
autre. Dans la mode, on ne peut parler de bénéfice que lorsque toute la
marchandise achetée a été vendue.
Dans le tableau 15.3, nous comparons trois marques ayant un taux de sell
through différent. La marque  A vend 90  % à prix maximum et doit se
débarrasser de seulement 10 % de son volume en soldes. La marque B vend
70  % au prix fort et doit écouler 30  % en soldes. La marque  C a un sell
through faible (40 %) et doit écouler 60 % en soldes. Nous avons supposé
que la marge brute initiale était de 60 % et que les soldes sont à 40 % de
réduction, ce qui ramène la marge brute à 33 %.
Tableau 15.3 – Marges de trois marques ayant des niveaux différents de ventes à prix
réduits

Dans chacun des trois cas, les résultats financiers de la marque sont assez
différents. Dans le premier cas, pour la marque A, la marge brute globale est
proche de la marge théorique : 57,3 %. Pour la marque C, elle n’est que de
43,8  %. C’est une différence de 13  %. Pour un gérant de magasin, la
différence économique entre une marque ayant un sell through élevé et une
marque ayant un sell through faible est immense.
La démarque inconnue a aussi un impact sur la marge brute. La
marchandise peut être volée par des clients ou par le personnel de vente. En
fait, il est communément admis qu’un tiers des vols seraient le fait des
clients, et deux tiers le fait du personnel. Les méthodes peuvent varier. La
plus évidente est de prendre un produit et de s’enfuir du magasin sans
passer par la caisse, mais ce n’est pas toujours facile  : la plupart des
produits, surtout dans le prêt-à-porter sont dotés d’un système de protection
qu’on enlève à la caisse. Et puis beaucoup de magasins ont des vigiles à
l’entrée.
D’autres systèmes sont plus discrets et peut-être plus efficaces. Un
membre du personnel de vente, par exemple, peut vendre une robe chère à
un ami mais taper à la caisse le code d’un article moins cher. Ou bien, si un
client oublie de prendre son ticket de caisse, un membre du personnel peut
le garder quelques jours puis le placer dans la caisse comme un retour, et
prendre le montant correspondant en prétendant que le produit a été remis
en stock. Lorsqu’on découvrira que le produit manque, au cours d’un
inventaire physique à la fin de la saison, personne ne songera, peut-être, au
fait que certains de ces articles manquants peuvent correspondre à ces
retours…
Le vol à l’étalage est un autre problème lié à la politique de prix, puisque
cela a un impact sur la marge brute du magasin. Il peut être constaté au
moment d’un inventaire physique en croisant le stock théorique et le stock
physiquement présent en magasin.
Pour éviter les vols par la clientèle. Le système le plus efficace est le
système EAS (Electronic Article Surveillance). Il s’agit en fait d’une
étiquette et d’un système d’alarme. L’étiquette contient un dispositif qui
doit être désactivé en caisse. S’il n’est pas passé en caisse, un capteur situé
près de la sortie fera retentir une alarme au moment du passage de l’article,
ce qui alertera le personnel.
Un autre système, très utilisé en Europe, est le système
électromagnétique (EM) qui peut aussi être désactivé, ou réactivé si la
marchandise est retournée.
Mais dans un environnement de luxe, il n’est pas aisé d’insérer des
étiquettes ayant une allure étrange ou de placer des portiques électroniques
près de la sortie. Des circuits de vidéosurveillance et des vigiles sembleront
sans doute moins intrusifs et seront peut-être tout aussi efficaces.
Quant au vol par les employés, les choses sont un peu plus compliquées,
puisqu’ils n’ont pas nécessairement besoin de sortir du magasin avec un
article  : la méthode décrite plus haut, du «  faux retour  », garantit que le
produit ne sera jamais trouvé au moment d’un inventaire et les responsables
du magasin seront peut-être dans l’incapacité de faire le lien entre un article
manquant et un retour « théorique ».
Le meilleur système pour réduire le vol par les employés semble être un
processus de sélection très soigneux des candidats aux postes de vendeur.

Réductions de prix et soldes

Quelle est la meilleure manière de se débarrasser de la marchandise non


vendue  ? Examinons les réductions classiques et les événements
promotionnels spéciaux, avant de nous concentrer sur les soldes.

Réductions classiques

Dans un magasin, la marge brute théorique se réalise très rarement. Même


pour des marques très fortes et pour une collection de saison très vendable,
les choses ne sont jamais aussi simples.
Dans certains cas, le personnel de vente a le pouvoir d’accorder des
réductions aux meilleurs clients ou à ceux qui achètent deux ou trois
produits simultanément. C’est absolument interdit pour les marques les plus
sélectives, mais pour les autres, une réduction de 5  % est possible, le
personnel de vente recevant des consignes très strictes quant à ce qu’ils
peuvent et ne peuvent pas faire.
La seule exception que les marques les plus fortes font à cette politique
rigoureuse d’absence de réduction, c’est pour les journalistes et le
personnel. Ceci peut bien sûr avoir un impact sur la marge brute.
Devrait-il y avoir une carte de fidélité ? Cette idée peut paraître trop peu
prestigieuse pour une marque de luxe. Et en vérité, de telles cartes ne sont
pas vraiment nécessaires  : pourquoi donner une carte Chanel VIP à
quelqu’un qui a déjà plusieurs cartes de crédit privilèges dans son
portefeuille  ? Par contre, il est bien plus raffiné et sélectif de dire à une
cliente fidèle qu’en achetant dans tel magasin, elle bénéficiera d’une
réduction de 10 %. Ce sera dit et entré dans le CRM en caisse. Chanel avait
l’habitude d’accorder des réductions de 10 % aux meilleures clientes de son
magasin de Hong Kong pour les achats effectués là-bas. Dire à une cliente
qu’elle bénéficiera d’une réduction est bien plus impressionnant que de lui
donner une carte en plastique.
Une autre belle manière d’accorder un traitement de faveur à une cliente
très fidèle consiste à lui dire qu’elle bénéficiera désormais «  des mêmes
avantages que le journaliste », donc des réductions de 10 à 20 %.
Ceci est une possibilité pour les clients d’exception, mais un traitement
privilégié d’une base plus large de clients fidèles est bien plus difficile à
mettre en place. Dès qu’un mécanisme est organisé, il peut apparaître
systématique et moins raffiné, ce qui peut diminuer le prestige de la
marque. Une pratique courante consiste à inviter une sélection de clientes à
des ventes privées une ou deux semaines avant la date officielle des soldes.
Les termes exacts de l’invitation doivent être choisis avec soin car dans de
nombreux pays, les soldes sont limitées à des périodes officielles et toute
vente exceptionnelle ayant lieu avant doit recevoir un nom complètement
différent.
Dernier cas de figure, celui des touristes dans les grandes villes
touristiques. À Paris, Hong Kong et ailleurs, il y a une règle qui veut que les
guides amenant des groupes de touristes dans certains magasins détaxés, en
ville, reçoivent un ou deux euros par personne plus une commission sur les
ventes réalisées par les touristes qu’ils ont amenés. Ceci est bien sûr
inacceptable pour des magasins institutionnels ou des mégastores, les cars
de touristes n’ayant rien de très prestigieux. Mais ils peuvent apporter un
très gros volume et les bus chinois qui stationnent devant les Galeries
Lafayette à Paris et dont les guides disent parfois qu’ils bénéficient d’une
commission de 10  % sur les achats achetés par les touristes chinois qui
sortent de leurs autobus n’ont pas l’air de se plaindre…
Cela signifie-t-il que les magasins très luxueux ne peuvent accorder une
commission aux guides touristiques  ? En vérité, ils le font toujours, mais
d’une manière plus subtile. Les joailliers, par exemple, peuvent recevoir la
visite d’une guide leur disant qu’elle pourrait revenir le lendemain avec une
princesse du Moyen-Orient et lui recommander un achat d’au moins
20 000 euros. La guide demandera peut-être une commission de 5 %. Si la
réponse est non, elle ne reviendra pas. Si la réponse est oui et si la guide est
sérieuse, elle reviendra probablement avec la princesse et lui recommandera
l’achat de pièces chères. Le surlendemain, la guide reviendra chercher sa
commission.

Événements exceptionnels

Dans certains cas, il est conseillé d’organiser un événement exceptionnel


avec des prix réduits, avant le début des soldes. Ce type d’événements peut
viser plusieurs sortes d’objectifs :
• Stimuler les ventes d’une marchandise habituelle et donner l’occasion
aux clients d’une visite supplémentaire en magasin ;
• Offrir l’occasion de vendre des articles conçus spécialement pour cet
événement et qui produiront une marge complète tout en donnant au
client l’impression de faire une bonne affaire ;
• Donner un coup de pouce à des produits ayant eu un sell-through faible
en début de saison et qui pourraient se retrouver au surplus dans
quelques mois ;
• Attirer de nouveaux clients en magasin.
Tout ceci peut être fait, mais il faut le planifier et l’organiser
soigneusement. Par exemple, la sélection de produits pour cet événement
doit être très subtile  : ils doivent avoir un fort potentiel de vente (ce qui
entre en conflit avec l’idée de vendre des articles qui ont eu un démarrage
lent) et pouvoir constituer un achat impulsif.
Ce n’est pas un problème simple. Les spécialistes pensent toujours que
les promotions en dehors des périodes traditionnelles ne fonctionnent pas, à
moins qu’il s’agisse de réductions colossales.
La mise en scène doit donc être particulièrement bien pensée. Ce peut
être :
– Un déballage, avec une quantité exceptionnelle de marchandise ;
– Une vente d’usine exceptionnelle, mais à prix extrêmement réduit
(bien plus que lors des soldes traditionnels) ;
– Une collection d’articles qui n’est pas vendue habituellement dans les
magasins de la marque mais existe dans d’autres magasins (pas dans la
même ville) ou dans d’autres pays ;
– Une nouvelle ligne, qui n’est pas encore disponible en ville, et vis-à-
vis de laquelle la marque voudrait tester la réaction de sa clientèle.
Même si l’idée de faire une bonne affaire est toujours présente, ce ne doit
jamais être la motivation de l’événement et encore moins sa raison
officielle.
Qui faut-il inviter ? Si l’événement est à grande échelle, presque tous les
abonnés à la liste de diffusion peuvent être conviés. S’il s’agit d’une vente
plus privée, les invitations ne devraient être adressées qu’aux gens
sélectionnés à l’issue d’un processus long et soigné.

Les soldes

Dans la mode, il est nécessaire de se défaire de la collection de la saison


précédente afin de libérer de la place et de générer de la trésorerie pour faire
rentrer la nouvelle collection. Ce peut être fait à l’intérieur ou à l’extérieur
du magasin, avec des réductions substantielles ou non, avec ou sans
publicité, et pour des durées variables.

■ Soldes sur place ou non ?

Les soldes peuvent avoir lieu dans le magasin lui-même ou ailleurs. Chaque
système a ses avantages.
L’avantage de faire les soldes en magasin est qu’il n’y a pas de loyer
supplémentaire à payer et que les choses sont plus faciles à organiser. Il n’y
a pas de publicité à faire, puisque les gens savent quand les soldes
commencent et se promèneront de boutique en boutique à la recherche des
bonnes affaires.
L’inconvénient de les faire en magasin est que ceci désorganise l’espace
de vente et que, pendant la période des soldes, presque aucune vente au prix
fort n’est enregistrée. C’est peut-être acceptable pour les marques standards,
mais c’est fort dommage pour les marques dont l’activité se fait en grande
partie avec les touristes, car ceux-ci viendraient de toute façon au magasin
et sont prêts à acheter au prix fort les produits figurant sur leur liste. Si le
produit est en solde, ils l’achèteront mais ne profiteront sans doute pas de la
possibilité d’acheter un deuxième article, ce qui signifie que le magasin
n’optimisera pas sa marge brute.
À Paris, par exemple, toutes les grandes marques, comme Hermès, Louis
Vuitton et Yves Saint Laurent, organisent leurs soldes à l’extérieur  : elles
louent un espace pour trois ou quatre jours et y tiennent leurs soldes.
L’avantage de ce système est que les soldes peuvent être concentrés sur
quelques jours seulement, durant lesquels les magasins peuvent continuer
leurs activités commerciales normales et fournir le service escompté par les
touristes. En outre, il est plus aisé de donner ainsi à ces soldes une allure
exceptionnelle et d’attirer plus de gens que dans les magasins.
L’inconvénient des soldes délocalisés, c’est que ceci ne peut fonctionner
que pour une marque très forte ayant la capacité d’attirer un très grand
nombre de visiteurs. Si Courrèges organisait des soldes à 20 km de Paris, il
n’est pas garanti que les clients soient très nombreux à faire le déplacement.
Cependant, pour des marques de premier plan, qui ont la force nécessaire
pour attirer les passionnés de bonnes affaires dans les lieux les plus
excentrés, les soldes ex-situ permettent de débarrasser les magasins de leur
vieux stock en quelques jours à peine, et donc d’avoir une activité
commerciale normale en janvier et juillet.
Lorsque les soldes ont lieu ex-situ, il faut bien sûr faire un peu de
publicité (souvent dans les journaux) ou de publipostage, mais les coûts
doivent demeurer limités en regard du volume de marchandise à écouler.

■ Quel niveau de prix ?

La réponse à cette question est assez simple. Si l’objectif est d’écouler la


marchandise en surplus et d’améliorer la trésorerie, la démarque devrait être
substantielle et attractive.
Les directeurs commerciaux sont souvent tentés d’essayer de vendre à
moins 20 ou 30 % la première semaine, puis moins 40 ou 50 % la deuxième
pour finalement atteindre 70  % la troisième semaine. Toutefois, les plus
expérimentés parmi ceux qui ont dirigé des opérations de soldes disent que
la première démarque est la moins coûteuse : il vaut mieux prendre un bon
démarrage avec une réduction à moins 45  % que de se retrouver avec
énormément de stock à écouler à moins 70 % au bout de trois semaines.
Certains pensent que commencer avec une petite démarque à moins 20 %
contribue à maintenir une identité forte pour la marque en communiquant
l’idée que ses produits sont difficiles à acquérir. Mais un client pourra
raisonner différemment  ; il pourra trouver l’offre peu intéressante, voire
trompeuse, et ne reviendra probablement pas en deuxième ou troisième
semaine.

■ Qui faut-il inviter ?

Pour que des soldes soient efficaces, presque tout le monde doit être invité.
Lorsqu’ils ont lieu en magasin, c’est clairement le cas. Dans un autre lieu,
ils sont d’abord limités au personnel et aux journalistes pour quelques
heures, puis ouverts aux meilleurs clients et enfin au grand public le
deuxième jour.
Lorsque les soldes ont lieu en magasin, les plus fidèles des clients
devraient être conviés à une avant-première quelques jours auparavant, avec
la possibilité d’acheter leurs produits préférés.
Les invitations peuvent être envoyées par courrier (électronique ou
postal) et pour certains types de soldes ex-situ, une publicité dans les
journaux est nécessaire.

■ Combien de temps doivent durer les soldes ?

Plus ils se terminent vite, plus le magasin peut reprendre ses activités
normales. Ex-situ, les soldes durent trois ou quatre jours. En magasin, ils
durent en général trois semaines. Si l’essentiel du surplus est vendu en une
semaine et demie, tant mieux ; ce qui reste de marchandise peut alors être
écoulé d’une autre manière.

Les produits dégriffés
Si la marque possède ses propres magasins d’usine, elle peut y expédier la
marchandise restante. Elle peut aussi la céder à un spécialiste des surplus,
en retirant les étiquettes, mais c’est rarement une solution efficace car les
produits finissent dans des points de vente douteux sous de grands
panneaux clamant : « Authentique Marque X, dégriffée ». Les marques les
plus prestigieuses en viennent parfois à brûler leurs surplus (bien qu’il
pourrait être plus judicieux de les vendre à moins  80  % et ainsi au moins
faire très plaisir à certains clients).
Tout au long de cette discussion sur les politiques de prix, nous avons
décrit ce qui doit être fait en termes de prix dans un environnement
commercial, nonobstant le fait que le prix de vente normal était un élément
donné –  non négociable. Le travail d’un directeur de magasin est donc de
gérer les diverses réductions de prix pour les événements promotionnels
Dans ce cas, il faut toujours chercher un seuil différentiel pertinent, ou, pour
le dire autrement, trouver la différence de prix, le rabais ou le niveau de
solde qui semblera pertinent au client et déclenchera un achat. Ce seuil
diffère d’une marque à l’autre, mais le principe général est qu’il ne sert à
rien de raboter les prix  : les soldes et les rabais doivent être clairs et
généreux. Ils doivent être perçus par le client comme offrant une excellente
opportunité d’achat. C’est de cette manière que la marque conservera son
statut, son prestige et son attractivité.

L’essentiel
►► Les prix et les marges doivent être décidés, analysées et contrôlées
presque tous les jours. C’est le moteur de la distribution et le gage de son
efficacité.
►► Les prix mondiaux doivent être harmonisés et tenir compte des droits de
douane et autres frais d’approche.
►► Les soldes peuvent être une bonne occasion de se débarrasser de
marchandises difficilement vendables. Elles peuvent être une occasion de
réaliser des ventes et des marges additionnelles.
►► Pour la mode, les activités de soldes qui permettent de vendre des produits
trop saisonniers pour rester indéfiniment en magasin font une partie intégrante
de la gestion habituelle.
Chapitre 16

Analyse économique des points de vente


« Les directeurs marketing doivent de plus en plus rendre compte de leurs
investissements. »
Philip Kotler

Comme n’importe quelle société, un magasin de luxe doit bénéficier d’une


organisation, d’un budget, d’une gestion et de systèmes de contrôle. Nous
avons expliqué par ailleurs que, pour une bonne raison, de nombreux
magasins aux États-Unis sont gérés par une filiale distincte du groupe
étranger, créée uniquement pour gérer un point de vente de manière
indépendante. Il se peut que les gens envisagent de cette manière leurs
magasins en général : comme des entités indépendantes, avec leurs propres
investissements, leur stock, leurs employés et leurs opérations quotidiennes.
C’est pourquoi il est si important d’établir un budget  : il est fondamental
d’analyser dès le début la viabilité d’un projet et d’en suivre régulièrement
l’évolution.
L’aspect de contrôle est aussi très important. Lorsqu’une marque possède
et gère 100 à 500 points de vente dans le monde, elle doit s’assurer qu’elle
sait où est l’argent, où sont les stocks et comment les ventes sont
enregistrées, si possible directement avec la bonne marge.
Pour gérer un groupe de points de vente, il faut examiner les principaux
critères de gestion.
Dans une enquête menée en 2010 par le groupe de conseil A. T. Kearney,
les dirigeants de 53 distributeurs américains ont été interrogés sur
l’information qu’ils cherchaient à recueillir auprès des clients et qu’ils
analysaient pour assurer la gestion quotidienne de leurs magasins.
La figure 16.1 représente les principaux résultats de l’étude. On ne sera
pas surpris de voir que le nombre de transactions par magasin (ou nombre
de tickets) est l’indice d’opérations le plus courant, suivi de la valeur
moyenne des transactions (ou ticket moyen, ou encore panier moyen).
Après le chiffre d’affaires global, il s’agit d’un indice évident de l’activité
d’un magasin : combien de personnes ont fait un achat hier ?

Source : A. T. Kearney, « Achieving excellence in Retail Operations », 2010.

Figure 16.1 – Informations commerciales considérées comme très importantes

Le troisième critère est le nombre de visites dans le magasin : combien de


personnes sont entrées dans le magasin  ? À quel point est-il attractif pour
les passants  ? Cela donne un indice permettant d’apprécier la force
d’attraction du magasin et la valeur de son emplacement. Ces trois critères
sont clairement pris en compte par tous les responsables, ce qui n’a rien de
surprenant.
Le quatrième critère, également suivi par presque tout le monde est le
nombre d’articles achetés. Cet indicateur est lié à l’efficacité du personnel
de vente (sont-ils capables de vendre un article complémentaire en plus de
l’article spontanément choisi  ?) et des choix de merchandising visuel
(chaussettes et cirage sont-ils suffisamment attractifs pour que quiconque
achetant une paire de chaussure soit aussi tenté d’acheter ces articles ?).
Aucun de ces critères n’est surprenant en soi, et nous allons les examiner
en détail dans ce chapitre : ce sont les principales variables dans la gestion
d’un point de vente et le contrôle de son agencement. Par contre les critères
qui suivent sont un peu plus surprenants.
63 % des directeurs des ventes prêtent une grande attention au nombre de
clients inscrits dans les programmes de fidélité. Ceci signifie que la plupart
de ces dirigeants ont mis en place de tels programmes dans leurs magasins
et qu’ils les considèrent comme importants pour leur activité. La leçon à en
tirer pour ceux qui n’ont pas de programme de fidélité est peut-être de voir
comment on peut en mettre un en place, y compris dans le secteur du luxe
où les produits sont censés être d’accès rare et sélectif.
Les deux derniers critères, perçus comme les moins importants par les
dirigeants américains interrogés, sont liés au comportement du
consommateur. Le premier a trait au laps de temps entre deux visites en
magasin, et est considéré comme un indicateur « très important » par 57 %
de ces dirigeants : ils veulent connaître la fréquence des visites dans leurs
magasins (et qui fait ces visites  ? Des clients réguliers, intermittents ou
exceptionnels, par exemple  ?)  : Cela peut les aider à définir l’échelle de
temps la plus pertinente pour les programmes promotionnels. Le magasin
devrait-il avoir de nouveaux produits, de nouvelles présentations, de
nouvelles vitrines toutes les semaines, tous les mois ou six à huit fois par
an ? La fréquence des visites de la clientèle permettra de choisir la durée la
plus adéquate.
Le dernier critère tient au comportement du client dans le magasin  :
combien de temps reste-t-il  ? S’y sent-il bien  ? Est-il content d’être là  ?
Combien de temps peut-il faire la queue en caisse sans commencer à
s’impatienter ? Toutes ces questions seront abordées dans ce chapitre.

L’analyse économique d’un point de vente

Dans cette section, nous décrivons l’analyse de point mort, le concept de


marge et les besoins de trésorerie selon les différents systèmes de gestion.
Nous terminons par un exemple de point de vente performant.

Analyse de point mort

La figure 16.2 donne un exemple d’une analyse de point mort. On peut dire


que ce point mort est atteint lorsque la marge brute résultant du chiffre
d’affaires est égale à la somme des coûts fixes nécessaires pour réaliser ce
chiffre d’affaires.
Figure 16.2 – Analyse de point mort

Sur ce graphique, les coûts fixes (loyer du magasin, salaires du personnel


de vente et autres coûts fixes divers) sont représentés par une droite
horizontale  : ils ne varient pas avec le chiffre d’affaires. Une autre droite
indique le niveau de ce chiffre d’affaires et une troisième la marge brute.
Dans l’exemple choisi, nous avons supposé que la marge brute était de
55 % du chiffre d’affaires. En un certain point, S1, la droite correspondant à
la marge brute coupe la droite horizontale correspondant aux coûts fixes. En
ce point, la marge brute est égale aux coûts fixes ; avant ce point le magasin
perd de l’argent et le montant des pertes en fonction du chiffre d’affaires est
donné par l’écart entre la droite de la marge brute et celle, horizontale, des
coûts fixes. Au-delà de S1, l’argent gagné est donné par l’écart, positif cette
fois, entre la droite horizontale des coûts fixes et la droite de la marge brute.
Il existe donc une relation simple entre le chiffre d’affaires prévu pour un
emplacement commercial donné et les coûts fixes associés à cet
emplacement. Le scénario suivant illustre très bien ce point. Toute marque
aimerait avoir un très grand magasin sur un emplacement de premier choix
– par exemple 300 mètres carrés avenue Montaigne à Paris. Mais le loyer y
est probablement de 12 000 euros le mètre carré, ce qui correspond donc à
3,6  millions d’euros par an. Les coûts salariaux pour une équipe de huit
personnes s’élèveront par exemple à environ 500 000 euros par an, dont une
très grande part sous forme de coûts fixes. Ce magasin aura donc des coûts
fixes d’environ 4,1 millions d’euros par an. Avec une marge brute de 50 %,
il faudra à ce magasin un chiffre d’affaires de 8.2  millions d’euros pour
atteindre l’équilibre.
Une marque donnée peut-elle atteindre facilement ce niveau de chiffre
d’affaires  ? Sinon, peut-elle se permettre d’avoir un magasin déficitaire
dans cet emplacement  ? On pourrait certes arguer du fait que les
emplacements de premier choix fournissent un meilleur chiffre d’affaires
qu’un espace de vente situé dans une petite rue en banlieue de Paris, où le
loyer d’un magasin de la même taille sera probablement de 100 000 euros
par an. La meilleure solution sera peut-être de s’installer dans un magasin
plus petit, disons 80  mètres carrés, toujours avenue Montaigne  : le loyer
sera alors de 960 000 euros. Une autre option peut être d’utiliser ce magasin
avenue Montaigne comme une «  vitrine  » déficitaire et d’installer deux
shops in shop au Printemps Haussmann et au Bon Marché, où la marque
n’aura que des coûts variables et pourra gagner de l’argent, disons pour
l’exemple 500 000 euros par an. L’ensemble des trois points de ventes (une
« vitrine » sur l’avenue Montaigne et deux shops in shop) pourra atteindre
l’équilibre et la marque développera ainsi une présence forte et rentable à
Paris. Mais n’oublions pas, comme nous l’avons expliqué chapitre 1, qu’au
Bon Marché et au Printemps, la marque ne touchera pas l’intégralité de sa
marge. Elle devra la partager avec les grands magasins, de sorte que les
chiffres d’affaires dans ces deux endroits devront être relativement élevés
pour que l’ensemble soit globalement à l’équilibre.
Ouvrir des points de vente suppose donc d’arbitrer entre des coûts de
loyer connus et un chiffre d’affaires espéré. Très peu de marques ont les
moyens d’ouvrir de très grands magasins dans des emplacements de tout
premier choix. Toutes les marques doivent chercher ce qui est le plus
pertinent pour elles à un instant donné. Pour chaque magasin, outre
l’indispensable analyse de point mort, trois éléments peuvent être
considérés comme des indicateurs clés de performance :
• Le chiffre d’affaires par mètre carré ;
• Le nombre d’unités de produits présentés par mètre carré ;
• Le chiffre d’affaires par équivalent temps-plein pour le personnel de
vente.
Ces critères permettent à une marque de faire une première comparaison
entre l’un de leur point de vente et la moyenne des autres.
Analyse de marge

Les responsables de magasins parlent toujours de marge brute, qui est la


différence entre le prix de vente et le coût du produit. Mais ceci peut
s’exprimer sous différentes formes.
Tableau 16.1 – Analyse de marge

  Markdown Markup

Prix de vente 100 % 100 %

Coût 70 % 70 %

Marge 30 % 42,8 %

Ce peut être un markdown, c’est-à-dire un pourcentage du bénéfice divisé


par le prix de vente, comme dans le tableau 16.1 c’est-à-dire 30 %. Ce peut
aussi être un markup, un pourcentage du bénéfice divisé par le coût du
produit, soit 42,8 % dans le même tableau. Dans le commerce de détail, les
gens utilisent exclusivement le markdown car il est plus facile à calculer et
à comparer au chiffre d’affaires.

Le concept de coefficient

Parfois on ne parle pas de marges brutes, mais plutôt de coefficients. Le


coefficient de «  détail  » est égal au prix de vente divisé par le coût du
produit vendu. Dans la mode « haut de gamme », on travaille généralement
avec un coefficient de 2,4 ou 2,6. Le coefficient peut bien sûr être traduit
directement en pourcentage de marge brute, comme dans le tableau 16.2
Tableau 16.2 – Coefficients de détail et marges brutes

  Coefficients de

  2,4 2,6

Prix de vente 240 260

Prix d’achat 100 100

Marge absolue 140 160


Marge brute en % 58,3 % 61,5 %

En fait, les coefficients de 2,4 et 2,6 correspondent à des marges brutes


de 58,3  % et 61,5  %, assez proche des 60  % que nous avons utilisés
précédemment.

Rotation du stock

Dans notre description du coût direct de la gestion d’un magasin, nous


n’avons pas encore mentionné la dure réalité qui est que la marchandise que
l’on trouve dans un magasin doit être achetée et financé.
La rotation du stock est égale au rapport entre le chiffre d’affaires annuel
et la valeur moyenne du stock pendant l’année. Le tableau 16.3 donne des
exemples de rotation de stock pour différentes entreprises.
Tableau 16.3 – Exemples de rotation de stock

Boutique
  Supermarché Bijouterie
de mode

Chiffre d’affaires annuel 1 000 000 1 000 000 1 000 000

Stock moyen en valeur 83 000 250 000 1 000 000

Rotation de stock 12 4 1

Factures payables à 90 jours 90 jours 90 jours

Besoins de financement du stock (+ 333 000) (– 187 500) (– 750 000)

• Les supermarchés ont une marchandise qui quitte rapidement le


magasin, et certaines catégories de produits sont livrées le jour même.
Leur stock pour tourner 12 fois en un an, sinon davantage. De surcroît,
ils ont des échéances de paiement à 60 ou 90 jours, et donc à la fin de
l’année, il se peut qu’ils doivent encore à leurs fournisseurs la valeur
de trois mois de stock.
• Avec ce système, le stock du supermarché est payé plus qu’entièrement
par les fournisseurs, et le magasin dispose d’une trésorerie positive de
333 000 euros (cf. tableau 16.3).
• Au contraire, un joaillier doit avoir une année complète de stock à
chaque instant de manière à pouvoir offrir une gamme suffisamment
grande pour conclure une vente. Les fournisseurs, c’est-à-dire les
fabricants de bijoux les aident un peu, mais il leur faut tout de même
investir de manière permanente 750  000  euros pour un chiffre
d’affaires de 1 million d’euros.
• Un magasin de mode se trouve quelque part entre les deux. Avec un
stock tournant quatre fois dans l’année, il lui faut financer
187  500  euros de stock pour un chiffre d’affaires annuel d’1  million
d’euros.
• Ceci constitue clairement un coût additionnel pour la gestion directe de
magasin comparé au cas où la marchandise est vendue à des
intermédiaires ou à un grand magasin  : le stock est alors financé par
eux et non par la marque. Lorsque la marque travaille principalement
avec des points de vente en propre, elle doit prévoir de financer ce
coût. Cet investissement est particulièrement lourd pour les joailliers et
doit être pris en compte dans le développement de leur stratégie
commerciale.
Quel devrait être le dosage alors, entre magasins en gestion directe,
shops-in-shops, comptoirs ou ventes en gros  ? Il s’agit clairement d’une
décision stratégique cruciale, à laquelle les contraintes économiques ont une
part importante.
Quand nous parlons d’un dosage de systèmes, les gens ont parfois du mal
à comprendre ce que ceci signifie. La perception selon laquelle toutes les
marques de luxe sont vendues dans des magasins autonomes gérés
directement par la société est si forte que les gens ont tendance à oublier la
réalité : la plupart des produits de luxe se vendent ailleurs que dans ce type
de magasin. Dans le tableau  16.4, nous présentons la situation de trois
marques différentes, disposant d’une diversité de forces et de pouvoir
d’attraction : Chanel, Givenchy et Balmain.
Tableau 16.4 – Mélange des systèmes de distribution pour trois marques différentes
(en nombre de points de vente)

Boutiques Shops-in- Boutiques


  Total
monomarques shops multimarques

Chanel 240 (E) 180 (E) 0 400 (E)


Givenchy 65 68 120 (E) 253 (E)

Balmain 19 88 179 286

Sources : Sites internet 2018 et (E) estimations des auteurs.

À première vue, les trois marques ont un nombre relativement similaire


de points de vente, allant de 251 à 400, mais bien sûr les volumes et les
montages sont complètement différents.
Avec 240 magasins indépendants, pour la plupart en Europe, Chanel a
une forte présence. Dans deux pays, les États-Unis et le Japon, ils recourent
massivement aux shop-in-shops dans les grands magasins. Ils sont bien plus
forts dans le reste de l’Asie qu’en Chine (en Chine continentale, ils ont à la
fois la marque la plus attractive pour les clients et un petit nombre points de
vente : seulement 11 en 2018…).
Givenchy était traditionnellement une marque très forte en grands
magasins. Elle semble avoir obtenu de son groupe les capacités financières
nécessaires pour développer une politique de boutiques en propre. Il faut lui
souhaiter d’avoir la demande et l’attractivité suffisante pour que celles-ci
soient rentables. Elle conserve une présence forte en multimarques.
Balmain avait un seul magasin autonome, à Paris, jusqu’en 2014. Depuis
son rachat par des investisseurs Qataris, elle connaît un développement
accéléré et dispose déjà de 19 magasins en propre, essentiellement à Paris,
Milan et Londres pour l’Europe, puis aux États-Unis, en Chine, en Corée du
Sud et au Japon. Mais son chiffre d’affaires se réalise encore en très grande
partie chez les multimarques.
Dans chacun de ces cas, l’accent commercial est très différent :
• Pour Chanel, l’accent doit être mis sur le fait de garder l’équilibre entre
points de vente autonome et shops in shop, développer les chiffres
d’affaires dans les grands magasins et gérer l’attractivité de la marque.
• Pour Givenchy, l’accent est clairement sur le développement et
l’accélération de ses points de vente monomarques, bien que la
première source de revenu reste les boutiques indépendantes et les
grands magasins.
• Pour Balmain, c’est une autre histoire  ; Les boutiques de la marque
assurent une présence commerciale et de notoriété dans les très grands
centres de clients passionnés par la mode, mais le chiffre d’affaires
doit toujours être réalisé chez les multimarques.
La démonstration faite ici a pour but de montrer qu’il n’y a pas de
stratégie commerciale unique, mais un programme de développement
adapté à la force d’attraction et aux moyens financiers de chaque marque.

Comparer les performances de différents points


de vente

De nombreux facteurs peuvent expliquer que certains magasins sont


rentables tandis que d’autres perdent de l’argent. Changer deux ou trois
variables peut suffire pour passer d’un magasin rentable à un magasin qui
perd de l’argent – mais le résultat final est bien sûr très différent. Dans le
tableau 16.5, nous en donnons un exemple.
Tableau 16.5 – Bonnes performances/mauvaises performances

A B
 
Bon magasin Mauvais magasin

Taille du magasin 200 m2 200 m2

Chiffre d’affaires 1 600 000 € 800 000 €

Chiffre d’affaire par m2 8 000 € 4 000 €

Marge brute 50 % 40 %

Loyer annuel 300 000 € 400 000 €

Coût de personnel 300 000 € 350 000 €

Marge d’exploitation 200 000 € – 430 000 €

Le magasin B perd 53,75 % de son chiffre d’affaires, ce qui est vraiment


catastrophique. Quelles sont les raisons d’une aussi mauvaise
performance ?
• Le chiffre d’affaires par mètre carré est bien trop faible ; c’est la raison
principale du problème.
• La marge brute est 10  % plus faible que dans le magasin  A. En fait,
lorsque les ventes sont trop basses, le personnel est souvent frustré et
fait tout ce qu’il peut pour faire remplir le tiroir-caisse – y compris en
octroyant des réductions de prix. Aussi, si le magasin est mal situé, les
clients peuvent être un peu « regardants » et n’acheter que les produits
bon marché, aux marges faibles, et non les produits les plus rentables.
• Clairement, le loyer du magasin B est trop élevé par rapport à la
productivité commerciale de son emplacement.
• Dans ce même magasin, les coûts de personnel ne sont pas contrôlés et
ne sont pas en phase avec le chiffre d’affaires.
Cet exemple sert à illustrer à quel point il peut être difficile de gagner de
l’argent lorsque tout n’est pas bien optimisé. Le magasin  B est
probablement situé au mauvais endroit et il devrait être fermé. Mais le
Directeur de cette boutique a sûrement de bonnes excuses pour ces mauvais
résultats  : il y a eu de gros travaux devant le magasin, rendant l’accès
difficile pour les clients, et la marchandise n’était pas adaptée à la clientèle
locale. L’an prochain, les travaux seront finis, les erreurs d’assortiment
seront corrigées, et nous ferons beaucoup mieux : nous atteindrons le point
mort.
Faut-il le croire  ? Les décisions commerciales reviennent à ce genre de
question. Doit-on faire confiance à tout le monde ? Quand doit-on siffler la
fin de la partie ? Quand tout se passe bien, c’est facile d’ouvrir de nouveaux
points de vente et de bien gagner sa vie ; mais c’est une autre histoire quand
les choses commencent à se détériorer.

Les ratios fondamentaux

Examinons quelques concepts généraux puis les systèmes de prévisions en


matière de chiffre d’affaires.

Utilisation des concepts

En comptant le nombre de personnes qui entrent dans un magasin (ce que


l’on peut faire depuis une voiture garée de l’autre côté de la rue ou assis sur
un banc dans un centre commercial) et en le multipliant, d’abord par le taux
de conversion puis par le ticket moyen, on obtient un indicateur du chiffre
d’affaires qu’un magasin donné peut faire par jour ou par semaine. Est-il
aisé de mesurer le taux de conversion  ? Oui, si nous supposons que la
plupart des gens qui ont acheté quelque chose seront fiers de sortir avec un
sac de la marque. Évaluer le ticket moyen est un peu plus compliqué, mais
dans le cadre d’une étude il serait possible d’envoyer 10  enquêteurs
observer 10 montants distincts apparaissant sur la caisse à dix moments
différents de la journée sur des jours différents : ces 100 données pourront
être utilisées pour évaluer grossièrement le ticket moyen d’un concurrent
dans un emplacement donné et donc son niveau de chiffre d’affaires le plus
probable. Non seulement ces chiffres peuvent permettre à une marque de
comprendre le modèle économique d’un concurrent et de prédire le niveau
de chiffre d’affaires qu’elle peut attendre d’un emplacement donné, mais ils
peuvent aussi permettre de comparer les performances des différents
magasins d’une même marque de luxe.
La figure 16.3 montre la matrice de performance client que nous avons
mise au point pour recueillir les données de différents magasins. Elle est
centrée sur la dynamique du nombre de tickets et du ticket moyen.

Figure 16.3 – Matrice de performance client

Lorsqu’on compare les performances de différents magasins sur une base


annuelle, certains magasins verront peut-être leur nombre de tickets et leur
ticket moyen augmenter  : c’est une phase «  vertueuse  ». Mais si le ticket
moyen du magasin décroît, ce n’est pas forcément un indicateur de
mauvaise performance, si, dans le même temps, le nombre de tickets
augmente. Nous appelons cela une phase de «  recrutement  ». Enfin si le
ticket moyen augmente tandis que le nombre de tickets diminue, c’est la
phase de « fidélité ». La seule phase à éviter est, évidemment, la phase de
déclin. Un magasin dans l’une des trois premières phases peut être vu
comme en croissance, bien que ce soit pour des raisons différentes. Il est
utile de mentionner que chacune de ces phases appelle bien sûr différents
types de programmes promotionnels.
Dans le cas d’une nouvelle collection de prêt-à-porter féminin, suivre le
taux de conversion durant les deux premières semaines d’une nouvelle
collection printemps-été et le comparer avec les chiffres des deux ou trois
années précédentes permet immédiatement de voir si la collection est forte,
moyenne ou faible.

Les prévisions de chiffres d’affaires

Pour évaluer le chiffre d’affaires potentiel d’un nouvel emplacement, il est


nécessaire d’utiliser les valeurs moyennes de la marque pour le coefficient
d’attraction, le taux de conversion et le ticket moyen. À partir de cette
information disponible, ajustée pour prendre en compte les caractéristiques
spécifiques d’un emplacement donné – par exemple le niveau de revenu du
client moyen, ou le style des passants (font-ils des achats de destination ou
de commodité  ?)  – il est possible d’évaluer, simplement en comptant le
nombre de passants, le chiffre d’affaires attendu.
En général ce chiffre d’affaires (et dans le cas présent, à la fois le taux de
conversion et le ticket moyen) dépend aussi de la taille prévue du magasin.
En fait, souvent, pour regarder les chiffres de ventes et comparer les
différents magasins d’une même marque, les responsables divisent le chiffre
d’affaires global par la taille du magasin : c’est le traditionnel indicateur du
chiffre d’affaires par mètre carré.
Les groupes de grands magasins utilisent généralement cet indicateur
pour mesurer l’efficacité de leurs différents sites. Considérer les chiffres par
mètre carré est aussi une manière de prendre en compte l’investissement
initial ou les coûts de location des différents magasins qu’ils gèrent. En
outre, nous pouvons supposer que plus le magasin est grand, plus le stock
est important et plus grand sera aussi l’investissement (en  produits)
nécessaire pour atteindre un chiffre d’affaires donné.
Mais le même grand magasin utilisera aussi l’indicateur du chiffre
d’affaires par mètre carré pour comparer l’efficacité de différentes
catégories de produits  : le prêt-à-porter femme comparé au prêt-à-porter
homme, ou à la décoration intérieure, ou aux parfums et cosmétiques.
Cet indicateur a été adapté pour les magasins qui présentent leurs
produits sur des étagères et des rayonnages, comme les parfums et les
cosmétiques  : ils parlent alors de chiffre d’affaires par mètre linéaire, et
utilisent ce ratio pour comparer différents magasins d’une même chaîne.
Une chaîne de parfumerie peut par exemple l’utiliser pour mesure la
rentabilité obtenue avec différentes marques ou pour comparer l’efficacité
de leurs parfums par rapport à leur maquillage ou à leurs soins, ou de leur
répartition de ces trois grandes catégories de produits dans différents
emplacements commerciaux.
Mais toutes les catégories de produits ne donnent pas la même rentabilité.
C’est pourquoi un autre indicateur est aussi très largement utilisé : la marge
brute par mètre carré. Il s’agit d’un deuxième outil pour l’analyse de
l’efficacité commerciale.

Figure 16.4 – Matrice de performance client

La figure  16.4 montre un exemple de courbe du chiffre d’affaires en


fonction de la taille du magasin. Il n’y a pas de relation directe entre chiffre
d’affaires global et mètres carrés : les courbes montrent par exemple que la
marque A démarre doucement, (si le magasin est trop petit, ses produits ne
peuvent pas être attractifs pour le consommateur, mais ensuite à mesure que
la taille du magasin s’accroît, il se développe très vite), puis atteint un
plateau.
La marque B par contre a des produits qui ne se vendent pas bien tant que
le magasin n’est pas plus grand. Au début, son chiffre d’affaires par mètre
carré est presque moitié moindre que celui de la marque A ; mais avec un
magasin plus grand, sa performance globale devient quasiment similaire à
celle de la marque B.
La marque C s’en sort assez bien avec un petit magasin, et ses résultats
ne progressent pas significativement lorsque la taille de magasin augmente.
La forme de la courbe dépend du standing de la marque  : le chiffre
d’affaires par mètre carré chez Cartier a été longtemps plus élevé que celui
de Bulgari dans des emplacements similaires. Mais, clairement, plus
l’assortiment de produits est petit, moins un magasin de grande taille sera
efficace : avoir 500 mètres carrés pour présenter exclusivement des sacs à
main et de la bagagerie de très grande qualité n’est peut-être pas la manière
la plus rentable d’utiliser l’espace.
Il est difficile de donner des niveaux optimaux pour le chiffre d’affaires
par mètre carré tant ceci dépendra de l’environnement du magasin, de
l’attractivité de la marque et du type de marchandise qu’il propose. Mais, en
gros, en 2010, on pouvait dire que, mensuellement :
– pour un magasin multimarques en Asie du sud-est, l’objectif devait
être de 1 500 euros par mètre carré ;
– aux États-Unis, un centre commercial moyen devait atteindre les
2 500 euros par mètre carré. Le Mall of America faisait 4 100 euros par
mètre carré.
– Le Museum of Modern Art de New York, dans sa librairie, était censé
faire 18 000 euros par mètre carré par mois.
Ce rapport du chiffre d’affaires par mètre carré est un indicateur très
important d’efficacité commerciale. S’ils arrivent à recueillir cette
information, les directeurs commerciaux d’une marque de luxe peuvent
comparer leur niveau de chiffre d’affaires par mètre carré à ceux de leurs
concurrents : s’il est moins élevé, c’est que soit l’attractivité de la marque
est limitée, soit le produit n’est pas adapté à la taille de leurs magasins.
Examinons le cas d’une marque qui avait un chiffre d’affaires par mètre
carré constamment inférieur de 40  % à celui de son principal concurrent,
leader du secteur. L’objectif numéro un de cette société était de réduire cet
écart grâce à une campagne publicitaire plus efficace, conçue pour accroître
leur notoriété et leur attractivité.
Dans le tableau 16.6, nous présentons l’analyse des magasins Tiffany aux
États-Unis. Nous pouvons voir que le nombre de magasins américains est
passé de 70 en 2007 à 114 en 2011, pour redescendre à 94 en 2018. Durant
la même période, le chiffre d’affaires a diminué fortement, du fait de la
crise économique de 2008 qui a frappé le marché américain et en particulier
le secteur de la joaillerie, puis une absence de rebond fort de la part de
Tiffany. Mais ce n’est qu’en regardant le chiffre d’affaires par mètre carré
que l’on peut avoir une idée précise de la situation : une chute de 31 % sur
la période…
Tableau 16.6 – Analyse des magasins Tiffany aux États-Unis

  2018 2012 2007

Nombre de magasins 94 114 70

Surface (m²) 67 838 69 290 49 300

Taille moyenne (m²) 722 608 704

Chiffre d’affaires USA 1 688 000 € 1 840 137 € 1 759 868 €

Chiffre annuel par m² 24,9 € 26,50 € 35,50 €

Source : Rapports annuels.

Cette analyse au mètre carré n’est pas toujours possible, les données étant
rarement disponibles. Dans le tableau  16.7, nous avons par exemple, les
données relatives aux points de vente nord-américains de Coach, mais nous
n’avons pas trouvé dans leur rapport annuel d’indicateur relatif aux
variations de chiffre d’affaires liées à l’ouverture et à la fermeture d’un si
grand nombre de magasins.
Tableau 16.7 – Tendance des points de vente américains de Coach

  2017 2012 2007

Nombre de boutiques 221 354 259

Surface (m²) 67 838 95 910 62 774

Taille moyenne 306 270 260

Source : Rapports annuels.

Les tableaux 16.6 et 16.7 montrent des situations de réseaux de magasins


ou de performances de ces mêmes magasins. Les évolutions de chiffres
d’affaires par magasin ou par mètre carré doivent être suivies à la loupe et
expliqués :
– lorsqu’un nouveau magasin ouvre, il faut en général deux ans pour
qu’il atteigne son plein potentiel en termes de chiffre d’affaires ;
– lorsqu’une marque augmente le nombre de ses magasins, les nouveaux
magasins se trouvent logiquement dans des emplacements de second
choix, avec un potentiel moindre que les premiers magasins ;
– lorsque l’espace commercial d’une marque s’accroît, il est nécessaire
d’augmenter le nombre d’articles disponibles à la vente. Il faut parfois
du temps pour que les équipes marketing produits réalisent qu’ils
doivent aussi changer la sélection de produits.

Stock et contrôle de la marge

Nous abordons cette nouvelle section en examinant le budget achats, puis


l’inventaire et les contrôles de marge.

■ Le budget achats

Pour chaque saison, un point de vente ne devrait acheter que ce qu’il peut
vendre. L’exercice du budget achats commence donc par une prévision de
chiffre d’affaires, qui est ensuite réparti en mois et transformé en achats, qui
ont des coûts.
L’idée d’un open to buy (OTB) a été conçue par les grands magasins
américains. Chaque responsable de rayon dresse un budget par marque puis
un OTB : c’est le montant que le gérant peut acheter auprès de la marque X
pour l’année à venir.
Si le résultat de la marque X pour les deux ou trois années passées a été
bon, le budget prévisionnel pour l’an prochain sera sans doute en hausse de
sorte que l’OTB soit à la hauteur des attentes des commerciaux de la
marque. Si, au contraire, la marque  X n’a pas très bien marché, son OTB
pour l’an prochain sera plus faible que celui de cette année. Nombre de
dirigeants de marques de luxe ont dû batailler contre ce fait dans leurs
négociations avec les acheteurs de grands magasins dont les OTB pour leurs
marques étaient faibles.
Mais le système des OTB est maintenant utilisé (sous un nom ou sous un
autre) par presque tous les opérateurs de magasins de luxe. Le budget
d’achats (OTB) par marque et par saison est à la base de tous les systèmes
d’achats.
Les différentes marques utilisent différents systèmes, tels que :
– parfois, le directeur du magasin ou des ventes pour un pays donné peut
acheter ce qu’il pense être adéquat dans une vaste sélection de
produit ;
– parfois les gérants des magasins n’ont pas leur mot à dire et le siège
leur livre automatiquement la marchandise, sur la base d’un système
d’information centralisé fondé sur les ventes antérieures (coloris et
tailles par exemple) et les types de produits ;
– plus souvent, une partie de l’assortiment est livrée automatiquement à
un magasin et les gérants peuvent choisir les 40 ou 60 % restants selon
ce qui leur paraît le plus adapté à leur magasin ;
– parfois, le budget achats est divisé en trois parties  : une partie
centralisée au siège, une plus petite allouée à un pays donné, et une
troisième sous la seule responsabilité du directeur de magasin. Sur ce
plan, chaque marque doit définir sa propre politique et ses propres
procédures.
Prada, en 2005, avait une politique d’autonomie 0 pour les directeurs de
magasins ou les directeurs de pays dans le choix des marchandises en
magasins : les livraisons étaient automatiques, sans aucune flexibilité. Louis
Vuitton a une politique qui est aussi considérée comme relativement rigide,
mais avec des ajustements informatisés et, dans le processus, une bonne
dose d’autonomie spécifique et intelligente. Il pourrait donc paraître que
plus une marque est forte, moins elle laisse d’autonomie aux gérants de ses
magasins, mais ce n’est pas toujours le cas.
En effet, les choses ne sont pas si simples, et il est bien connu qu’un
magasin japonais et un magasin chinois distribuant la même marque,
vendent en fait des produits complètement différents et ont donc besoin
d’assortiments adaptés. Même en Chine, les gens du nord du pays achètent
des coloris et des formes différentes de ceux du sud. Si une marque est très
bien organisée et si elle peut se fier à des données soigneusement recueillies
au fil des ans, elle peut décider, depuis son siège à Paris ou Milan, du stock
idéal pour le magasin de Tianjin. Si ces données temporelles n’existent pas,
ou si elles ne sont pas intégrées dans un système sans faille, il n’y a pas
d’autre choix que de demander au personnel de ventes de faire sa propre
sélection, subjective.
Dans la phase d’achat, il y a des compromis qui ne sont pas toujours
simples à trouver. Pour les articles en cuir, par exemple, et comme expliqué
plus haut, les clients achètent généralement du noir, du marron ou du beige,
mais pour qu’une présentation soit vivante et attractive, il faut aussi avoir
du blanc, du jaune et du rouge sur les rayonnages. Le siège exigera peut-
être que les magasins proposent toute la gamme, mais un gérant raisonnant
un peu à court terme préférera peut-être oublier ces produits qui auront
toute chance de finir par être vendus en soldes.
Les montres sont un autre exemple du même genre : pour conclure une
vente, il est bien plus efficace de présenter une collection complète, mais en
général les montres en or les plus chères se vendent beaucoup moins que les
articles plus accessibles et relativement moins chers. Les directeurs de
magasins peuvent être tentés d’acheter les montres les moins chères, aux
dépens de la présentation complète d’une ligne entière, qui serait pourtant
nécessaire pour communiquer le raffinement de la marque. Le siège
insistera sans doute sur l’achat de la ligne entière, mais évaluera peut-être
plus tard les gérants de ses magasins sur leur rotation de stock.
Jusqu’ici, nous avons parlé presque exclusivement du système à deux
collections par an : printemps-été et automne-hiver. Ce système est en fait
en train de changer, avec l’introduction de lignes de « croisière » qui font
monter le nombre de livraisons à quatre par an.
Enfin, les vendeurs ont découvert que, s’ils font rentrer toute la
marchandise disons en septembre pour l’ensemble de la collection automne
hiver, certains clients fidèles reviendront fin octobre début novembre et
demanderont s’il y a quelques nouveautés. Ces vendeurs partagent donc
souvent la collection saisonnière en différents thèmes, gardant en réserve
une partie de la marchandise pour la mettre en magasin en partie en octobre
et le reste en novembre. De leur propre initiative, ils transforment le
système.
Et puis, tout le monde, dans le secteur, observe Zara et ses 26 collections
par an. Zara fonctionne sur un modèle différent, mais les sociétés de luxe
peuvent y trouver des enseignements. Certaines ont d’ailleurs déjà mis en
œuvre un système similaire  ; c’est le cas de Tous, la société espagnole de
joaillerie de luxe milieu de gamme, qui travaille aussi avec 26 collections
par an.

■ La rotation du stock

La rotation du stock est le rapport du nombre d’unités vendues sur la taille


moyenne du stock en magasin pour l’année considérée. En général, puisque
les unités de produit sont hétérogènes pour un magasin de luxe, on calculera
le rapport des ventes (au prix de revient) sur la valeur moyenne du stock.
Tableau 16.8 – Rotation du stock en fonction de la taille du point de vente

Le tableau 16.8 donne un exemple de chiffres standards pour la rotation


de stocks dans un grand magasin américain. On peut voir ici que, dans un
grand magasin, le prêt-à-porter femme tourne 4,3 à 5,4 fois par an, soit plus
du double que le taux de rotation du prêt-à-porter homme. Le cycle
saisonnier des soldes sur le prêt-à-porter femme a probablement un impact
positif sur le taux de rotation. Au contraire, les vêtements homme, perçus
comme moins sensibles aux cycles saisonniers, restent plus longtemps en
magasin.

■ Ruptures et transferts de stock

Rien n’irrite plus le client que les articles épuisés. Par exemple, si une
femme voit un produit, attend deux ou trois jours avant de décider de
l’acheter, et revient au magasin pour ce faire mais s’entend dire que le
produit a été vendu, elle sera frustrée. Alors imaginez l’absurdité d’un
scénario pas inhabituel, dans lequel une autre cliente voit et aime une robe
exposée en vitrine. Elle entre et ne peut trouver sa taille ou, pire encore,
constate que la robe est épuisée dans toutes les tailles, sauf celle en vitrine,
qui se trouve être une taille 38, et donc ne lui va pas. Elle se plaindra peut-
être au vendeur, en lui demandant pourquoi ils font la publicité, là dans leur
vitrine, d’un produit qu’ils sont dans l’incapacité de vendre ; tout cela pour
s’entendre dire que c’est la maison mère qui décide de ce qui doit être en
vitrine, quel que soit le stock du magasin.
Comment éviter les ruptures de stock  ? On pourrait tout simplement
acheter un surplus de marchandise et s’assurer ainsi que, jusqu’au dernier
jour de la période de vente au prix fort, toute la collection de la saison est
disponible en magasin, pour toutes les tailles et tous les coloris. Mais ceci
reviendrait trop cher. Quant au réapprovisionnement, très souvent les
articles de mode préparés pour une saison ont été fabriqués d’un coup, très
loin : cela peut prendre deux à trois mois de relancer une commande pour
remettre un article donné en magasin.
Une solution est d’organiser des transferts de stock entre magasins.
Beaucoup de sociétés ont deux ou trois livraisons par semaine à l’ensemble
de leurs magasins et peuvent donc organiser retours et approvisionnements
sur une échelle de deux jours. On peut ainsi dire à la cliente de revenir pour
avoir l’article qu’elle désire. Elle ne reviendra peut-être pas, mais au moins
le service lui aura-t-il été proposé. Nous avons vu dans la première partie de
cet ouvrage que des processus digitalisés peuvent automatiser
complètement cette activité.
Les sociétés disposant de plus de six magasins dans une même zone
commerciale ont généralement pris l’habitude de vérifier les stocks tous les
soirs afin de pouvoir organiser des livraisons supplémentaires et des
transferts pour le lendemain matin. Aujourd’hui, ceci peut se faire
automatiquement par ordinateur. Tous les magasins sont reliés à un système
d’information centralisé qui enregistre les ventes et peut organiser les
transferts nécessaires. Un de ces systèmes s’appelle «  Sterling Always in
Stock » et peut gérer efficacement ces questions. Mais des innovations dans
ce domaine seraient bienvenues. Par exemple, lorsqu’un article d’une taille
donnée a été localisé, il devrait être possible de l’expédier directement au
domicile du client le lendemain : il faudrait développer ce mélange de vente
en boutique et livraison à domicile.
Un autre inconvénient du fait d’avoir trop de stock en fin de saison est
que les clients peuvent souvent déceler cette situation en entrant dans le
magasin et décider en conséquence d’attendre les soldes. Il est évident
qu’une femme entrant dans une boutique un 12  décembre, y essayant une
robe qui lui plaît beaucoup et constatant qu’il en reste trois ou quatre en
rayon, peut décider d’attendre janvier pour l’acheter en solde. Par contre, si
on lui dit : « Vous avez de la chance, c’est la dernière dans votre taille ! »
elle l’achètera très probablement au prix fort.
Après la forte chute des ventes dans les grands magasins américains au
dernier trimestre 2008, les soldes de janvier 2009 ont été phénoménaux, à
des prix cassés. Et donc, afin de s’assurer que les clients allaient revenir en
octobre-novembre 2009 et acheter la collection automne-hiver au prix fort,
Saks Fifth Avenue, Neiman Marcus et Nordstrom ont tous eu pour politique
une baisse à deux chiffres de leurs achats sur ces collections, de manière à
convaincre les consommateurs qu’il fallait acheter au prix fort.

■ Contrôle de la marge

Comme expliqué précédemment, la marge est la différence entre le prix de


vente et le coût, exprimée en pourcentage du prix de vente. Les caisses étant
reliées à un système informatique centralisé, il est possible de suivre la
marge en direct pour chaque magasin et chaque transaction.
Ce n’est pas aussi simple qu’il y paraît, car les différentes catégories de
produits ont des coefficients différents. Mais l’information peut apparaître
chaque fois que la marge escomptée n’a pas été atteinte.
Selon la philosophie commerciale de chaque marque, différentes
politiques peuvent être choisies quant aux réductions dont le personnel de
vente peut user pour faire augmenter les ventes, et en particulier pour
accroître le pourcentage de clients achetant un deuxième article. La
politique de certaines marques est de donner au personnel de vente la liberté
d’accorder jusqu’à 5 % de réduction et de laisser la possibilité, dans certains
cas extrêmes d’aller jusqu’à 10  %, sous réserve de l’approbation du
directeur du magasin ou du directeur national des points de vente. Ces
données de marge doivent être collectées quotidiennement et faire
apparaître le détail par vendeur pour chaque magasin.
Les autres prix spéciaux comprennent les réductions consenties au
personnel (avec un montant maximum par mois ou par saison) ou les
réductions aux journalistes.
La démarque inconnue ne sera repérable que si les pièces manquantes
sont répertoriées après un inventaire physique du stock. Traditionnellement,
cet inventaire avait lieu trois fois dans l’année, à la fin de l’exercice
comptable (généralement le 1er  janvier) et à l’issue des deux périodes de
soldes (le 28  février et le 30  août). Il semble recommandable de le faire
également à la fin juin, avant le début des soldes d’été, ainsi qu’au milieu
de chaque saison, disons par exemple fin octobre et fin avril.
Des procédures exceptionnelles de vérification des chiffres d’affaires
doivent aussi être mises en œuvre afin que toute anomalie puisse être
facilement détectée.

Analyse du retour sur investissement

Dans n’importe quel secteur, on parle de retour sur investissement. Dans le


domaine des points de vente de détail, si on oublie les coûts d’aménagement
d’un magasin et les sommes correspondantes à des «  droits d’entrée  », le
retour sur investissement dépendra de la taille moyenne du stock.
Nous pouvons donc parler d’un retour de marge brute sur
l’investissement en stock. La formule est la suivante :

Ce chiffre est en fait le produit de deux ratios bien connus :


Marge brute = (Marge brute en dollars/Chiffre d’affaires total)
Rotation du stock =  (Chiffre d’affaires total/Investissement moyen en
stock)
Le retour sur investissement est donc le produit de deux ratios de base
utilisés dans le commerce de détail  : le pourcentage de marge brute et le
taux de rotation du stock. Le tableau  16.9 montre différents montages
présentant le même retour sur investissement.
Tableau 16.9 – Stratégies commerciales

Marge brute Rotationi


  ROI
en % GMROI du stock

Priorité au chiffre d’affaires 25,0 % 8 200 %

Priorité aux marges 40,0 % 5 200 %

Priorité aux stratégies équilibrées 33,3 % 6 200 %

Dans chacun des trois cas, le retour sur investissement du stock est le
même et donc les performances financières sont identiques. Mais dans le
premier cas, on parvient à faire tourner le stock huit fois par an  : Le
magasin vend donc l’équivalent de l’ensemble de ses produits sur une
période de six semaines. Il est possible dans ce cas de se contenter d’une
marge de 25  % tout en s’en sortant très bien. Dans le deuxième cas, la
priorité est donnée à la marge brute, cette fois-ci à 40 %, aux dépens de la
rotation du stock. Dans le troisième cas, il y a un certain équilibre entre ces
deux indicateurs.
La leçon à tirer ici est qu’il est possible de gagner de l’argent avec une
marge faible du moment que le stock tourne rapidement. Au chapitre  1,
nous avons décrit une telle situation, en comparant la structure financière
d’un supermarché, celle d’un magasin de mode et celle d’une bijouterie. Le
point est que si le stock tourne suffisamment vite, la marge peut être
sensiblement diminuée sans que le retour global sur investissement en soit
affecté.

Les systèmes d’information

Le point de départ du système d’information est le fait que toutes les caisses
soient reliées à un serveur central, de sorte que le chiffre d’affaires, le stock
et la marge puissent être contrôlés en direct pour chaque magasin, chaque
membre du personnel de vente et avec le détail des différents types de
produits.
Le commerce de détail est un domaine dans lequel il est nécessaire de
réagir immédiatement si les ventes augmentent plus vite que prévues (les
magasins ne tarderont pas à être en rupture de stock) ou moins vite que
prévues (les commandes doivent peut-être être suspendues sur le champ,
sous peine d’être à cours de trésorerie).
Suivre les ventes mensuelles n’est pas aussi simple qu’il y paraît car
certains mois ont cinq samedis (le plus gros jour de la semaine pour les
ventes) tandis que d’autres n’en ont que quatre, ce qui rend les
comparaisons difficiles. Certains systèmes d’information corrigent ceci
automatiquement via un indice. Beaucoup de sociétés commerciales aux
États-Unis n’ont pas du tout recours à des statistiques mensuelles mais
préfèrent travailler avec 13 périodes de quatre semaines chacune. Pour les
sociétés du luxe, c’est rarement le cas, car la vente ne représente qu’une
partie de leurs activités, toutes les autres fonctionnant sur une base
mensuelle.
Les systèmes informatiques peuvent analyser les ruptures de stocks
actuelles et attendues, et recommander des transferts. Ils peuvent calculer
les OTB théoriques et analyser les plannings de livraisons pour voir s’ils
sont en phase avec les ventes escomptées ou les ventes réelles.
Ils peuvent aussi traiter les marges théoriques, les stocks théoriques et les
prix théoriques pour analyser les variations observées par rapport à ces
données. Et ceci peut être fait par magasin ou même par vendeur.
En fait, dans la gestion de points de vente de luxe, l’unité fondamentale
d’observation est le magasin et, lorsqu’on parle au directeur général de
Salvatore Ferragamo ou à celui de Hugo Boss, il est toujours surprenant de
les entendre annoncer les tout derniers résultats de leur principal magasin à
Chicago ou de leur point de vente à Shanghai  : ceci signifie simplement
qu’ils regardent ces chiffres tous les jours de manière à pouvoir réagir très
rapidement.

L’essentiel
►► La distribution est un secteur très précis et analytique. Tout se mesure
et tout se contrôle. Il n’est donc pas étonnant que les dirigeants observent
chaque jour les chiffres d’affaires réalisés, la marge obtenue, et au minimum le
taux de conversion (sans oublier les situations de rupture de stock) de tous les
magasins du monde. Les caisses enregistreuses reliées au système
informatique peuvent fournir cette information au moment même où elle est
obtenue, quelque part dans le monde.
►► Le premier réflexe, c’est de comparer les écarts de certains magasins, de
certains pays, ou encore de certaines catégories de produits par rapport
à la moyenne.
►► Il est aussi très utile de regarder les performances d’une année par rapport
à la précédente et d’une saison par rapport à l’autre.
►► De toute façon, cette activité de gestion quotidienne d’un point de vente ou
de nombreux points de vente est vraiment une activité précise et analytique.
Conclusion

Dans cet ouvrage, nous avons voulu fournir tous les outils nécessaires
pour les dirigeants d’une maison de luxe qui veulent organiser et optimiser
la distribution physique de leurs produits. C’est pourquoi nous avons insisté
sur le choix et l’organisation des points de vente physiques (localisation,
concept, logistique, identification et gestion des données clients…) ainsi
que sur la distribution digitale (offline, online, O2O, rôle d’internet dans la
distribution physique). Il reste que certains lecteurs pourraient arriver à ce
point en se disant que tout ceci ne les concerne que moyennement car les
spécificités de leur marque sont différentes – soit par la taille soit par le
secteur. Nous pensons toutefois que tout ce que nous avons décrit
s’applique à tous et nous voudrions aborder ce sujet dans cette conclusion.
Il faudrait faire une première distinction par secteur d’activité. Notre propos
a sans doute pu paraître ne concerner que les secteurs de la mode, des
accessoires, de la joaillerie et des arts de la table. En effet, pour ces secteurs
où depuis 30 ans, la tendance a été, comme nous l’avons montré, au
renforcement et au développement des magasins monomarque, la gestion
des points de vente et par extension, celle des alternatives digitales
constitue une préoccupation quotidienne et prioritaire de la direction. Les
responsables des marques que nous avons rencontrés nous ont tous rappelé
l’importance pour eux des relations suivies, confiantes et profitables avec
les clients, qui passent bien sûr soit par une visite d’un point de vente de la
marque, soit par un contact internet spécifique, complet et biunivoque.
À première vue, les secteurs de la beauté sembleraient moins susceptibles
d’utiliser le système de distribution exclusive et directe, et moins intéressés
par le développement de leur propre réseau de magasins. Or depuis
quelques années, les marques ont elles-mêmes développé des points de
vente exclusivement dédiés à la beauté (pour des marques aussi différentes
que Chanel, L’Oréal, Dior ou Armani). Par ailleurs, les stands en grands
magasins (points de vente importants pour la beauté) obéissent à des modes
de gestion quasiment identiques à ceux des points de vente gérés
directement. En particulier, dans ce secteur, la constitution d’une base de
données clients directs peut permettre des relations plus proches avec le
marché et des occasions de dialogues directs inestimables. Enfin, comme il
sera expliqué plus loin, le développement d’activités de parfums de niche
remet la construction de magasins exclusifs au centre de l’activité.
De même comme il a été dit plusieurs fois dans cet ouvrage, le secteur des
montres évolue lui aussi et les dirigeants de ce secteur semblent considérer
eux aussi les magasins exclusifs à la marque comme des outils efficaces de
développement.
De ce fait, pour la grande majorité des secteurs du luxe personnel, la gestion
des points de vente, dans son sens le plus large, et la gestion simultanée des
canaux de distribution online constitue un élément essentiel du
développement et de l’implantation mondiale.
Une autre distinction mérite d’être faite ici : la taille des entreprises. Pour
les grands groupes, ou plutôt pour les marques dont le chiffre d’affaires
atteint plus de 500  millions d’euros, la priorité dans l’élaboration d’une
structure mondiale de points de vente d’excellence, soit par des magasins en
propre, soit par des shops in shop ou des corners dans les grands magasins
est indispensable. Notre ouvrage en a détaillé les règles de fonctionnement,
les enjeux et les conditions de succès.
Pour les marques de luxe plus petites, dont le chiffre d’affaires avoisine
environ 30 à 100  millions d’euros, la priorité en matière de création et de
gestion des points de vente est très différente. Leur stratégie est très souvent
de disposer d’un point de vente navire amiral présentant toute la collection
de la marque avec un merchandising adapté. Une fois ce flagship installé, le
développement d’un réseau mondial de points de vente va souvent faire
appel à des solutions créatives. La moitié du chiffre d’affaires sera assuré
par des points de vente multimarques mais dans de nombreux pays, la
distribution physique sera assurée par des importateurs distributeurs qui
opéreront quelquefois auprès des détaillants multimarques, quelquefois
aussi en ouvrant eux-mêmes, avec la bénédiction de la marque, des
magasins exclusifs monomarques.
Dans ce cas de figure très classique, la gestion des points de vente, du point
de vue de la marque, n’est pas très différente de celle que nous avons
décrite et expliquée dans cet ouvrage, mais le système est seulement un peu
plus compliqué puisqu’il fait appel à plusieurs niveaux d’interlocuteurs
additionnels. La difficulté va résider dans la mise en œuvre du O2O  :
comment construire une distribution online contrôlée par la marque alors
que la plus grande partie de la distribution offline est contrôlée par des
tiers ?
Un secteur encore tout à fait différent est celui des marques de niche qui
constituent une catégorie nouvelle et à part. Elles ont bien sûr un chiffre
d’affaires généralement inférieur à celui des deux autres catégories (souvent
inférieur à 15 millions d’euros), mais ce n’est pas leur seul point distinctif.
Ce qui caractérise ces marques dans l’univers des produits de luxe, c’est
d’abord la création de produits artisanaux pour lesquels la valorisation du
travail manuel, des petites séries, du respect de la création et des
performances constitue des raisons d’être.
Contrairement aux marques de luxe de taille moyenne, le secteur de la niche
privilégie les boutiques en propre  : il s’agit le plus souvent de petites
boutiques, pas nécessairement situées à des endroits de grand passage, un
peu comme s’il fallait vraiment un effort pour les trouver ou plutôt les
découvrir. Pour ces marques de niche, ce qui compte surtout, c’est la valeur
ajoutée des produits exceptionnels, des positionnements précis et exclusifs
et des clientèles ciblées.
Ces marques de niche peuvent être souvent des parfums ou des
cosmétiques, mais ce secteur est sans doute amené à se développer
également dans la mode, dans les accessoires, comme par exemple
l’artisanat de cuir, la décoration, les montres ou certains vins et spiritueux.
Comment ces produits de niche se développent-ils pour devenir mondiaux ?
Là aussi, certains utilisent l’intermédiaire de distributeurs ou d’importateurs
nationaux, mais dès que possible, ils vont chercher à disposer, à l’étranger
comme dans leur pays d’origine, de magasins exclusifs. C’est dire combien
les réflexes et surtout l’expérience de la gestion des points de vente peuvent
être essentiels dans ce segment.
Ces marques de niche ont une autre particularité, que nous n’avons pas
traitée dans cet ouvrage : c’est l’utilisation très intensive des médias sociaux
comme Facebook ou Instagram pour organiser un dialogue constructif avec
ces clients très ciblés que nous avons mentionnés plus haut. Ce sujet,
essentiel au marketing des produits de niche, fait partie intégrante des
activités digitales, mais il sort du cadre de cet ouvrage consacré à la
distribution et à la gestion des points de vente offline et online. Il est quand
même utile de rappeler que la croissance des marques de luxe de niche tient
beaucoup au contact individualisé avec les consommateurs sur les médias
sociaux, et à l’appui des blogueurs et des influenceurs. De ce point de vue
les deux marques de parfums de niche développées indépendamment par les
deux auteurs (Dusita et Le Jardin Retrouvé) en sont des exemples
emblématiques.
Il est une troisième distinction que nous devons approfondir ici  : celle
concernant les différents types de clients. Nous avons beaucoup insisté sur
les clients fidèles. Mais nous sommes passés un peu trop rapidement sur les
clients occasionnels. Nous avons indiqué que pour certaines marques de
luxe, ils peuvent représenter au moins 20 % du chiffre d’affaires… Dans cet
ouvrage, nous insistons beaucoup sur les clients fidèles que nous devons
identifier, répertorier et satisfaire par des actions digitales ciblées et
organisées.
Mais nous devons agir également sur les clients occasionnels. Il faut en
particulier les renouveler, les intéresser et les motiver (afin
d’éventuellement les transformer en clients fidèles). À cet égard,
l’utilisation des médias sociaux n’est pas très efficace, car beaucoup de ces
clients restent inconnus et non enregistrés, voire silencieux et juste
observateurs. Pour les motiver, il faut utiliser des outils à cible aussi large
que possible comme la « vieille » publicité : il faut en effet créer des signes
de reconnaissance, comme la boîte orange d’Hermès ou l’étiquette, elle
aussi orange, du champagne Veuve Clicquot que l’on repère facilement sur
un linéaire de supermarché. Il faut, à ce niveau, développer des signes
d’appartenance1 permettant à ces clients occasionnels d’identifier la
marque, et de l’inclure (éventuellement) dans leur short list de marques à
acheter. Il faut par ailleurs développer des alternatives à la publicité print
afin d’atteindre le maximum de clients potentiels et ainsi renouveler la base
d’acheteurs occasionnels : c’est clairement le rôle des influenceurs digitaux
aujourd’hui. Ceux-ci permettent aux marques de toute taille et de tous
secteurs de construire leur notoriété et (parfois) de vendre. Ce sujet à lui-
même mériterait un ouvrage entier !
Dans l’ouvrage Management et Marketing du Luxe2, il est écrit que
beaucoup de clients sont des excursionnistes qui n’achètent qu’une fois tous
les deux ans. Ce sont eux aussi qu’il faut convaincre et pour ce faire, les
meilleurs moyens sont sans doute les éléments classiques de
« communication » du marketing mix.
Dans cette dernière discussion, nous sommes sans doute très loin du sujet
de ce livre, « distribution  » et « enjeux digitaux de la distribution  », mais
nous ne voulons pas donner ici l’impression que nous avions oublié les
règles de base du marketing.
Ce qui importe ici, c’est de fournir tous les outils nécessaires à la
distribution directe et digitale des produits de luxe et de décrire les
scénarios et les enjeux qui vont être à l’ordre du jour dans les dix
prochaines années.
Index

Abercrombie & Fitch 1


Alibaba 1, 2, 3
Amazon 1
Apple 1
Audemars Piguet 1
Balenciaga 1
Bally 1, 2
Benetton 1
Bluebell 1
Bon Marché 1
Bottega Veneta 1
Bréguet 1
Bulgari 1
Burberry 1
Carrefour 1
Cartier 1, 2
Céline 1
Chanel 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9
Clarins 1
Coach 1, 2
Colette 1
Comme des Garçons 1, 2
Dickson Poon 1
Dior 1, 2, 3, 4
Donna Karan 1
Ebel 1
Farfetch 1, 2
Four Seasons 1
Galeries Lafayette 1
Gap 1, 2
Giorgio Armani 1
Gucci 1, 2, 3, 4, 5, 6
Hermès 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10
JD.com 1
Joyce 1
Kenneth Cole 1
Kering 1, 2, 3
Krug 1
Lego 1, 2
les Trois Suisses 1
Look Fab Studio 1
Louis Vuitton 1, 2, 3, 4, 5
LVMH 1
Marionnaud 1
MCM 1
Modus Operandi 1
Montblanc 1
Net-A-Porter 1
Nordstrom 1, 2, 3
Oprah Winfrey 1
Paul Smith 1
Pavilion 1
PPR-Kering 1
Prada 1, 2
Printemps 1
Ralph Lauren 1, 2
Redcats 1
La Redoute 1, 2
Richemont 1
Ritz-Carlton 1, 2, 3
Saks 1
Sephora 1, 2, 3, 4, 5, 6
Store of the Future 1
Target 1
Tencent 1
Tesla 1
The Real Real 1
Tiffany 1, 2, 3
Tmall – Luxury 1
Tom Ford 1
Tommy Hilfiger 1
Ulta Beauty 1
Walmart 1
Weston 1
Wrangler 1
YNAP 1, 2, 3
Yves Saint Laurent 1
Zara 1, 2
Notes
1. Les deux auteurs sont – indépendamment l’un de l’autre – impliqués
dans l’industrie du parfum.
2. Bain & Company, « Millenial State of Mind: The Tailwind behind
Consumer Behaviors and Winning Strategies », Altagamma 2017, Worlwide
Luxury Market Monitor, 25 octobre 2017.
3. Strauss W. & Howe N., Millennials Rising: The Next Great Generation,
Vintage Books, 2000.
4. Gutsatz M. & Auguste G., Luxury Talent Management, Palgrave-
Macmillan, 2015.
5. https://www.businessoffashion.com/articles/news-analysis/burberry-
aligns-runway-and-retail-calendar-in-game-changing-shift
6. http://www.leluxeestvivant.com/leblog/2016/23/2/tommy-hilfiger-
repousse-les-frontieres-digitales-de-la-fashion-week
7. http://www.businessoffashion.com/articles/intelligence/karl-lagerfeld-
on-the-state-of-fashion-its-a-mess
8. L’exemple historique le plus marquant est celui de Christofle, qui rend
les arts de la table accessibles à la bourgeoisie au début du XIXe siècle en
remplaçant l’aristocratique argent massif par le plaqué.
Notes
1. Chiffres d’affaires en millions d’euros (rapports annuels ou
estimation/nombre de magasins affiché sur les sites Internet).
2. En 2011, plusieurs marques ont annoncé qu’elles allaient changer de
modèle économique et se développer en Russie par elles-mêmes : Prada
annonçait la fin de sa collaboration avec Mercury et Hermès mit fin à son
contrat avec JamilCo. Les marques de luxe opérant directement en Russie
sont Christian Dior, Louis Vuitton, Chanel, le groupe Swatch et Hugo Boss
(entre autres).
3. Christina Ong, la femme du magnat singapourien du pétrole Ong Beng
Seng, peut s’attribuer l’essentiel du crédit pour ce qui est d’avoir donné à
Londres un air de capitale de la mode dans les années 1990. Club 21, son
empire commercial, dispose des franchises de quelques-uns des noms les
plus convoités de la mode : Giorgio Armani, Emporio Armani, Prada,
Donna Karan, DKNY et Guess. Possédant non seulement des parts
substantielles de l’immobilier commercial londonien le plus prisé, Ong a su
intelligemment capturer par d’autres biais le visiteur londonien
contemporain, qui a faim de culture et de l’argent à dépenser. Elle possède
deux des hôtels les plus racés de la capitale – le Halkin ouvert à Belgravia
en 1991, au personnel habillé par Giorgio Armani, et le nouveau très
branché Metropolitan Hotel, sur Old Park Lane, dont le personnel au Met
Bar porte un uniforme DKNY marine (International Herald Tribune,
15 mars 1997).
4. Gucci a eu sur ce plan un programme d’envergure :
juillet 2001 : il rachète les 35 % restants de son joint-venture australien avec
FJ Benjamin Holdings Ltd.
Février 2001 : il rachète ses opérations en Espagne (3 magasins) à son
intermédiaire.
Mai 1998 : il rachète l’intermédiaire coréen Sung Joo International Limited
(9 magasins et 9 points de vente en détaxe).
Avril 1998 : il rachète 51 % de Shiatos Taiwan Co. Ltd, son intermédiaire à
Taiwan (9 magasins et 1 point de vente en détaxe).
Notes
1. Les évolutions sont sensiblement différentes dans la beauté ou
l’horlogerie par exemple.
Notes
1. Conférence Les Échos, 14 mars 2000.
2. Le CAPEX (Capital Expenditure) sont les dépenses d’investissement qui
valorisent directement l’entreprise.
3. Cela a été le cas de Bally lors de son rachat par Texas Pacific Group en
1999. Après avoir décidé d’en faire une marque de luxe, les propriétaires
n’ont pas ressenti l’urgence dont nous parlons ici. Après la fermeture de la
plupart des magasins secondaires (une bonne décision), le réseau a été
ramené à 179 magasins en juillet 2001. Deux seulement présentaient le
nouveau concept (à Berlin et Singapour) et seuls 15 avaient été rénovés,
suivant une ligne plus douce et nettement moins luxueuse !
4. Elle, 18 novembre 1991.
5. Ibid.
6. Harper’s Bazaar, septembre 1996.
7. Elle Décoration, 1989.
8. Lancement de Eau de Toilette, 1984.
9. Harper’s Bazaar, septembre 1996.
10. Elle Allemagne, septembre 1991.
11. Madame Figaro, 19 septembre 1992.
12. Elle, 24 avril 1995.
13. Marie Claire, février 1998.
14. Ibid.
15. M. Gutsatz & G. Auguste, Luxury Talent Management, Palgrave
Macmillan, 2012.
16. https://www.hermes.com/fr/fr/story/131226-hors-les-murs-lyon/
17. Comme le disait Domenico De Sole, PDG de Gucci à propos de Tom
Ford préparant l’ouverture de la boutique YSL de New York en
décembre 2000 : « Il déplaça un tabouret blanc, il était préoccupé par le fait
que des clients pourraient se blesser si la rampe d’escalier présentait des
aspérités et il dessina une petite marque sur le bouton du volume de la
stéréo afin que le niveau musical corresponde à l’ambiance qu’il
souhaitait. »
18. Projets pour Prada, partie 1.
19. 
Http://archrecord.construction.com/projects/lighting/archives/0511chanel.as
p.
20. C. Moore et al., « Flagship Stores as a Market Entry Method : The
Perspective of Luxury Fashion Retailing », European Journal of Marketing
44, ½, 139-161 (2010).
21. Responsable d’une marque de luxe cité par C. Moore, ibid.
22. Ibid.
23. Ibid.
24. Ce phénomène ne concerne pas que le luxe : lorsque Starbucks a ouvert
son nouveau magasin amiral The Roastery à Shanghai en 2017, la marque a
vu les ventes des magasins standard du quartier augmenter de 20 à 30 % !
25. Simon Doonan, ancien directeur artistique de Barneys, New York, sur
www.salon.com/life/style/2001/06/25/retail_redesign
Notes
1. “L2 Digital IQ Index : Watches & Jewelry”, octobre 2013.
2. Les marques de luxes ont tenu compte de ceci en proposant une qualité
photographique extraordinaire des photos sur le Web, des images à 360°,
des mannequins virtuels et ainsi de suite, transformant l’expérience Internet
en quelque chose d’unique – qui n’a parfois pas d’équivalent en magasin.
3. “Luxury Digital IQ Report”, L2, 2010.
4. « Digital and Physical Integration: Luxury Retail’s Holy Grail »,
mars 2016.
5. Gucci : « A Journey of Desire », Gucci Day, 3 juin 2016, obtenu sur
Internet le 20 avril 2018 :
http://www.kering.com/sites/default/files/document/gucci_day_presentation
_03062016.pdf
6. Le Journal du luxe, 24 mars 2017 – https://journalduluxe.fr/hermes-
strategie-Internet-2017/
Notes
1. R. Kozinets, « E-Tribalized Marketing ? The Strategic Implications of
Virtual Communities of Consumption », European Management Journal,
juin 1999. Cet article pionnier sur les communautés en ligne est toujours
une référence pour les études sur les habitudes des consommateurs.
2. Heinze, Fletcher, Rashid and Cruz, « Digital and Social Media
Marketing: A Results-Driven Approach », 2016, Routledge. Voir aussi
p. 209.
3. L’A/B testing est une procédure utilisée en marketing qui permet de
mesurer l’impact d’un changement de version d’une variable sur l’atteinte
d’un objectif (clic, validation, remplissage d’un formulaire, etc.). Au sens
strict, un test A/B permet de tester 2 versions de la variable, un test A/B/C
3 versions, etc. : https://www.definitions-marketing.com/definition/a-b-test/
4. How People Use Social Media
(www.knowledgenetworks.com/news/releases/2009/052009)
5. McKinsey, « The promise of Multi Channel Retailing », 2009.
6. A.T. Kearney, « Socially Awkward Media », Executive Agenda,
décembre 2010.
7. « The World’s Most Valuable Brands : Who’s Most Engaged ? » Wetpaint
& Altimeter, juillet 2009.
8. Exane BNP Paribas : « Digital Frontier : The New Luxury World of
2020 », 26 mai 2015.
9. Voir chapitre 7.
10. Ce qui laissera environ 32 % à 38 % des ventes faites à des clients qui
achètent exclusivement en boutique.
Notes
1. A.Wileman & M.Jary (1997): Retail Power Plays, NYU Press
2. Voir notre description du Clienteling au Chapitre 10.
Notes
1. « Digital Frontier : The New Luxury World of 2020 », 26 mai 2015.
2. Frasquet, M. et Miquel, M-J (2017) : « Do Channel integration efforts
pay-off in terms of online and offline customer loyalty ? », International
Journal of Retail & Distribution Management, vol. 45, no7/8, pp. 859-873
3. McKinsey: The Age of Digital Darwinism, janvier 2018
4. Walk the Chat : China Digital Luxury Report 2018
(https://medium.com/walkthechat/china-digital-luxury-report-2018-
a193d01314a9)
5. BNP Paribas Exane : « Luxuryland », 29 mars 2018 p.155
6. Comme l’ensemble remarquable d’études que cette équipe a réalisé sur
l’industrie du luxe depuis plusieurs années
7. Pour certains critères les analyses sont mondiales, pour d’autres elles
portent sur le seul marché US
8. Il faut toutefois noter que des progrès importants ont été réalisés depuis
2016, date de la première étude
9. Audemarspiguet.com
10. ExaneBNPParibas : The Dawn of Luxury CRM : E-mail dos and
dont’s, 7 avril 2016
11. Bain & C° : « Altagamma 2017 Worldwide Luxury Market Monitor »
12. Acheteurs du luxe organisés pour acheter les produits dans les pays où
la forte différence de prix leur permet ensuite de les revendre avec une
marge bénéficiaire importante sur le marché parallèle (dont Internet).
13. https://jingtravel.com/number-of-potential-chinese-outbound-tourists-
double-by-2020/
14. Bain & C° : « Altagamma 2017 » Worldwide Luxury Market Monitor
15. Où on trouve une cinquantaine de marques dont Burberry, Maserati,
Zenith, Guerlain, Hennessy, La Perla, La Mer, Rimowa, Tag Heuer…
16. Où on trouve Fendi, Rimowa, Saint Laurent, Emporio Armani, Tod’s,
Mulberry, Oscar de la Renta, Alexander McQueen…
17. “We have calculated that over 2015_17 the store network of the brands
we monitor expanded a mere 2%, with mega-brands (Gucci, LV, Burberry
and Prada) basically flat” in Exane BNP Paribas (2018) : Luxury Retail
Evolution 2018 – Discovery and Transparency
18. Sans compter tous les autres talents créatifs, en gestion de la supply
chain, en vente, etc… comme l’analyse la note de Exane BNP Paribas
(2017) : The War for Talent
19. Exane BNPParibas (Mars 2018) : What’s hot and what’s not
Notes
1. Source : document confidentiel
NB : la plupart des données sont probablement dépassées aujourd’hui, la
plupart des sociétés ayant mis l’accent sur l’amélioration de leurs systèmes
logistiques pour être en phase avec leurs objectifs d’excellence
commerciale.
Notes
1. Manuel Diaz (Emaking), « Experience », in Luxe et Digital,
Darkplanneur, Dunod, 2016.
2. Paco Underhill, La science du shopping, Village Mondial, 2000.
3. Tel que rapporté par un vendeur à l’un des auteurs.
4. La chaîne de restaurants chinoise Haidiloo est célèbre pour son espace
« Attente » où les clients peuvent jouer, se faire servir à boire, se faire faire
les ongles, etc.
Notes
1. Voir tableau 6.1 du chapitre 6.
2. Chapitre 5.
3. Nous ne pouvons que conseiller la lecture du livre écrit par le CEO de
Zappos, un site de vente de chaussures américain (maintenant racheté par
Amazon) où il décrit l’importance pour eux du centre d’appels – parce que
c’est le seul moment où ils « rencontrent » leurs clients : temps de
conversation non limité, absence de scripts, services allant bien au-delà du
seul produit – tout est conçu de manière à rendre le client heureux.
T.Hsieh (2011) : Delivering Happiness: A Path to Profits, Passion, and
Purpose, Grand Central Publishing
4. Étude réalisée en France, en Allemagne et en Italie. Les chiffres étaient
les mêmes que ceux de la précédente enquête, en 1997. Même ancienne
cette étude nous semble emblématique.
5. Avant que quiconque ait même inventé le terme CRM, des sociétés
américaines comme Tiffany & Co, avaient recueilli des données
individuelles sur les achats et effectuaient du marketing ciblé sur le segment
le plus élevé du marché. Cette technique s’appelle le clienteling et Tiffany
dispose même de données clients sur microfilm et microfiches remontant à
1956. En 2000, ils ont publié une application permettant de mettre en
correspondance magasins et schémas d’achats pour les clients. Mais il s’agit
d’une science inexacte, admet Bill Haines, directeur central du
développement des systèmes chez Tiffany, à Parsippany dans le New Jersey.
« C’est un défi, que de réussir à mettre en correspondance, de manière
précise et constante, des achats spécifiques avec des clients individuels, dit-
il, et même si vous y arrivez, ce que les gens achètent et ce qu’ils vous
disent aimer sont souvent deux choses différentes. » Clinton Wilder, « No
Time for Gloating, » Informationweek.com, 17 septembre 2001.
6. Le directeur marketing d’une marque de luxe italienne nous a
récemment dit, interrogé sur la façon dont il allait mettre en œuvre un
programme de réduction des coûts : « Bien sûr, nous l’avons fait sur le
personnel en magasin. Qui imaginerait réduire les coûts sur les produits ou
sur la publicité et la communication ? »
7. Chaque région adapterait ensuite le système aux coutumes et contraintes
locales, mais en restant dans les marges décidées par la marque.
8. Grâce à une connaissance intime de sa clientèle et une bonne vision de la
collection et du budget achats de son magasin, un vendeur dynamique peut
prévoir ses ventes pour la saison. En répertoriant quoi vendre à un groupe
spécifique de clients clés, il améliore la capacité du management à prévoir
les volumes et gérer les flux. Le vendeur identifie les clients importants,
analyse leurs précédents achats et les comparent à l’assortiment du magasin.
À partir des particularités de la collection, il prévoit quels articles vendre,
quand et comment les présenter au client. Ceci nécessite un dialogue
régulier et sincère avec les clients, et une compréhension authentique de
l’ensemble de la collection.
9. « Les Grands magasins Holt Renfrew, au Canada, ont lancé un service
gratuit de conciergerie pour ses clients. Les services proposés
comprennent : les réservations de restaurant, les places `inaccessibles’ au
spectacle et autres événements, l’envoi de présents et des solutions de
babysitting ou de garde d’animaux domestiques. Simultanément, le magasin
a lancé un service d’accompagnement individuel, spécialisé dans la
constitution de garde-robe, le conseil en esthétique et en tenues pour les
événements, en puisant dans tous les rayons du magasin. » (Luxury
Briefing, février 2002).
10. M.Gutsatz & G.Auguste (2013) : Luxury Talent Management, Palgrave
Macmillan, page 106.
11. « Are Your Customers Dissatisfied ? Try Checking Your Salespeople. »,
Knowledge@Wharton, 16 mai 2007.
Notes
1. « Retail Optimization is Luxury’s New Buzz », WWD, 25 mai 2010.
2. C. d’Arpizio (October 2017) : « Millenial State of Mind : the Tailwind
behind Consumer Behaviors and Winning Strategies”, Bain & Altagamma
3. « China Luxury Market Study », Bain, November 2012.
4. 2012 a vu ainsi un coup d’arrêt brutal au développement des marques de
luxe en Chine. Certaines (comme Louis Vuitton ou Gucci) ont été
confrontées à une banalisation voire un rejet de la part des consommateurs.
Elles ont donc décidé d’arrêter d’ouvrir de nouveaux magasins, prenant
ainsi conscience du risque qu’elles encourraient en étant surexposées. Elle
ont ensuite rebondi en 2016.
5. Voir chapitre 13.
6. « Retail Optimization is Luxury’s New Buzz », WWD, 25 mai 2010.
7. Colloquy.com, 2009.
8. Ed Keller, « Unleashing the Power of Word of Mouth : Creating Brand
Advocacy to Drive Growth », World of Mouth Marketing, ARF, Septembre
2007.
9. Frederick F. Reichheld, « The One Number You Need to Grow »,
Harvard Business Review, décembre 2003.
10. « Advocacy Drives Growth », Paul Marsden, Alain Samson et Neville
Upton, LSE, septembre 2005.
11. « We are Ladies and Gentlemen serving Ladies and Gentlemen – l’hôtel
Ritz-Carlton est un lieu où le confort et l’attention apportés à nos hôtes est
notre mission la plus précieuse. Nous nous engageons à offrir le service
individuel et les équipements les plus raffinés à nos hôtes, qui profiteront
toujours d’une ambiance chaleureuse et détendue autant que raffinée.
L’expérience Ritz–Carlton réveille le sens, instille le bien-être et répond aux
souhaits et besoins, mêmes inexprimés, de nos hôtes. »
12. Robert Spector et Patrick McCarthy, The Nordstrom Way to Customer
Service Excellence (Hoboken, NJ : John Wiley & Sons, 2005).
13. https://nationalpost.com/scene/oprah-cannibalized-me-shop-clerk-in-
zurich-handbag-scandal-says-tv-host-is-lying-about-racist-incident
14. “I didn’t have anything that said ‘I have money’: I wasn’t wearing a
diamond stud. I didn’t have a pocketbook. I didn’t wear Louboutin shoes. I
didn’t have anything”
15. « Is CRM for Luxury Brands ? », Journal of Brand Management, 2008.
16. Le Directeur Général d’une très belle marque de luxe française sur un
de ses marchés asiatiques a cru bon nous dire : « Une segmentation client ?
C’est bon pour les biens de grande consommation ! ».
17. A.Heinze, G.Fletcher, T.Rashid, A.Cruz (2017) : Digital and Social
Media Marketing : A Results-Driven Approach », Routledge
18. Bien sûr certaines marques disposent de CRM … mais une par pays et
elles s’avèrent souvent incompatibles : il est donc impératif de les unifier.
19. Voir Chapitre 5.
20. M. Gutsatz et B. Schindholzer, « Customer Experience Design for
Luxury Brands », The Scriptorium Company, Livre blanc, 2011.
Notes
1. https://www.nurun.com/fr/etudes-de-cas/tesla-motors-retail-kiosks/
2. McKinsey (2018): The Age of Digital darwinism
3. Chanel : voir la fin de ce chapitre.
Notes
1. Emanuele Sacerdote, La strategia retail nella mode e nel lusso (Milan :
Franco Angeli, 2007).
2. William Davidson, Retailing Management (New York: John Wiley &
Sons, 1999).
Notes
1. La meilleure manière de comprendre les outils présentés ici est de les
compléter par la lecture de l’ouvrage suivant dans lequel nombre des outils
présentés ici ont été développés: M.Gutsatz & G.Auguste (2013) : Luxury
Talent Management : Leading & Managing a Luxury Brand, Palgrave
2. Key Performance Indicators – indicateurs clés de la performance.
Notes
1. L2 Digital Index : Luxury China, mai 2016.
Notes
1. Nous renvoyons ici à l’excellent ouvrage : Jenni Romaniuk (2018) :
Building Distinctive Brand Assets, Oxford University Press
2. Management et Marketing du Luxe, Michel Chevalier et Gérald
Mazzalovo, Dunod, 2015

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