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ISBN : 978-2-10-079539-0
Sommaire
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Préface
Introduction
Partie 1
Les grands choix de la distribution de luxe
Partie 2
Connaître et comprendre le client
Partie 3
Approfondir la relation client
Partie 4
Les méthodes de gestion des points de vente de luxe
Conclusion
Index
Préface
Bain montre dans son étude annuelle 20172 sur le luxe que toutes les
tendances structurantes pour l’industrie sont liées à la montée en puissance
des millenials (ou génération Y, c’est-à-dire les personnes nées entre 1980
et 2000)3. Deux chiffres montrent l’impact de cette génération sur
l’industrie du luxe :
►► Ils représentent actuellement 38 % des acheteurs du luxe et 30 % du
marché (en valeur).
►► 85 % de la croissance du marché du luxe en 2017 leur est due.
Leurs goûts, leurs comportements et leurs attentes sont donc en train de
structurer le marché et influencent les autres générations. Nous avons retenu
3 comportements qui nous semblent essentiels :
►► La recherche d’expériences : on ne consomme plus des produits mais
on vit des expériences. Donner du sens à la vie est un objectif essentiel
et les clients vont rechercher des marques qui savent leur apporter ces
éléments de sens. Par exemple, les clients ont des passions et ils
recherchent des marques qui savent nouer une relation autour de ces
passions.
►► L’engagement : plus une marque se montrera proche de ses clients,
plus ceux-ci auront envie d’en devenir les ambassadeurs. Ils souhaitent
« vivre l’histoire » de la marque et non plus la consommer, ce qui leur
permet ensuite de la partager… sur Internet.
►► L’affirmation individuelle : le luxe – par le choix d’un style
personnel – est un moyen d’expression.
Dès lors, le couple boutique physique-Internet peut être considéré comme le
seul épicentre de la marque, là où le client va en vivre l’histoire : tout l’art
de la marque est de relier l’expérience de vie du client (ses passions, ses
communautés, son style personnel) à l’expérience de la marque (les
services, les transactions, les valeurs, la communauté autour de la marque).
Pour cela, Bain suggère aux dirigeants des marques de luxe de devenir
« obsédés par le client » et de se couler dans l’esprit des millenials en six
points qui devraient être dans l’ordre du jour de tous les responsables de
l’industrie :
1. Faire vivre l’histoire de la marque au travers de conversations et
d’expériences inspirantes.
2. Développer des relations individualisées avec les clients.
3. Repenser le parcours client en adoptant une vision holistique de la
distribution – ce que nous appellerons plus loin l’omnicanal.
4. Comprendre (et interpréter) les aspirations des clients pour devenir
pertinent auprès d’eux – ce qui, à l’inverse, tendrait à dire que toute
marque s’éloignant des aspirations des clients (et des millenials en
particulier) deviendrait obsolète.
5. Développer la personnalisation du produit, des services et des
messages tout au long de la vie du client.
6. Investir dans les talents et les compétences pour réaliser tout cela4 et
maintenir une orientation marketing produit.
En résumé, les marques de luxe – qui se sont construites depuis vingt ans,
en partie sur le développement des boutiques (ce qui requiert des
investissements lourds et se concrétise par une augmentation du chiffre
d’affaires) – se voient proposer de changer de modèle et de se reconstruire
sur le marketing et la relation client. Cela va les amener à accroître leurs
dépenses opérationnelles annuelles en matière de relations publiques et de
promotion, et cela va donc alourdir leur compte d’exploitation. Les marques
de luxe sont donc à un tournant historique : elles doivent se réinventer. Les
chiffres avancés par Bain en 2017 sont à cet égard stupéfiants : là où dans
les belles années du développement du luxe (que ce soit à la période de la
démocratisation – 1994-2007 – ou à celle de la boulimie chinoise – 2010-
2014), 85 à 95 % des marques présentaient des résultats positifs, depuis
2016 elles ne sont plus que 65 % à être profitables (et seulement 35 % ont
réussi à augmenter leur rentabilité !). La période actuelle, que l’on peut
considérer comme celle du « nouveau normal », va faire des gagnants et des
perdants…
Ce livre est donc notre contribution à ces nouveaux défis auxquels les
marques de luxe doivent faire face.
Cas d’entreprise
Un exemple significatif :
« See now/buy now »
Le 4 février 2016, Burberry annonçait qu’il mettait en place ce qui s’avère être une
véritable révolution dans le monde de la mode5: l’alignement des dates des défilés
et de la disponibilité en boutique de toute nouvelle collection. Dès
septembre 2016, les collections étaient réduites à deux par an, les défilés femme et
homme étaient fusionnés et les produits disponibles au même moment en boutique.
Dans la foulée, d’autres marques annonçaient leur désir de s’aligner sur Burberry :
Tommy Hilfiger, Tom Ford, Rebecca Minkoff, Vetements, Mulberry… Le 24 février
2017, Ralph Toledano, président de la Fédération française de la couture, du prêt-à-
porter, des couturiers et des créateurs de mode, annonçait qu’ils ne changeraient
rien au calendrier actuel ; il fut suivi très rapidement par Gucci et toutes les marques
de Kering.
Christopher Bailey, alors CEO et directeur de création de Burberry, légitimait ce choix
par la volonté d’être au plus près de ses clients : il ne voyait pas pourquoi les
produits ne seraient pas immédiatement disponibles ni pourquoi la mode devait
continuer à distinguer automne/hiver et printemps/été alors que la diffusion de la
mode est mondiale (et concerne les deux hémisphères). Au bout du compte, pour lui,
tout ceci ne lui demandait qu’une optimisation des méthodes d’approvisionnement et
de production : « Quand vous regardez cela en détail, il s’agit tout simplement de
faire varier votre système de production – et rien de plus. » Il aurait pu aussi évoquer
la baisse des coûts qu’une telle décision implique, surtout à un moment où les
résultats de Burberry étaient médiocres (sur les 6 premiers mois de 2015 : ventes et
bénéfice stables ; baisse des revenus des licences de 13 %).
Bien entendu, il s’agissait de tout autre chose : le grand retour du luxe ET une
nouvelle phase dans l’opposition entre la France et l’Italie d’un côté, et les Anglais et
les Américains de l’autre…
« De nombreuses personnes, dont les designers et les retailers, se plaignent des
défilés. Quelque chose ne fonctionne plus à cause des médias sociaux, les gens
sont perdus », disait Diane de Furstenberg, présidente du CFDA (Council of Fashion
Designers of America), annonçant qu’ils examinaient la possibilité d’une Fashion
Week « See now, buy now ». Il s’agissait bien d’une initiative américaine, présentée
comme se faisant sous la pression des médias sociaux et des consommateurs. Ce
point est essentiel, il suffit de se rappeler par exemple que Tommy Hilfiger avait
installé lors de son dernier défilé un espace dédié aux « instagrammers », « pour leur
permettre de shooter de manière optimale le show et [de] publier en “live” leurs
clichés sur Instagram »6 et que les défilés américains sont maintenant accessibles au
public (moyennant un droit d’entrée). Les défilés de mode américains deviennent
ainsi un « entertainment » démocratisé.
La réaction des marques de luxe défilant à Paris et Milan a été immédiate : elles ont
réaffirmé leur statut de marques de luxe, mettant en œuvre une véritable gestion de
la rareté. Elles se sont présentées comme creation driven – et renvoyaient ainsi les
marques américaines à leur image marketing driven. De ce fait, elles se distinguaient
définitivement des marques américaines (et de Burberry), souvent présentées
comme étant le luxe accessible. Nous avons ainsi assisté à cette occasion à un
repositionnement général des marques au sein de l’industrie du luxe.
Mais il ne s’agissait pas de la part des Français et des Italiens d’une position figée
sur un modèle inamovible. Prada a mis immédiatement à la disposition de ses
clients, dans ses boutiques, deux modèles de sacs présentés lors de son défilé. Et
Karl Lagerfeld avouait7 au même moment que l’organisation de Chanel était bien plus
subtile qu’on ne le pensait : « Chanel réalise six collections par an, mais je viens d’en
réaliser une de plus – la collection Capsule – que nous ne présentons ni à la presse,
ni à personne. Elle n’apparaît que lorsque nos magasins reçoivent le document de
présentation. Mais je voudrais faire quelque chose d’autre – il est peut-être d’ailleurs
trop tôt pour en parler – une collection spéciale Internet : 15 modèles qui
apparaissent sur la toile : vous la regardez, vous commandez un modèle et vous le
recevez immédiatement. » Vision bien plus sophistiquée que le « see now, buy
now ».
La définition du luxe
Plutôt que de nous lancer dans une longue discussion sur une seule et
unique conception du luxe, il est peut-être plus efficace de distinguer les
différents types de luxe :
►► Le luxe authentique renvoie aux objets qui sont clairement différents
des produits du marché de masse par le fait qu’ils sont le fruit d’un
savoir-faire artisanal : ils ont peut-être une meilleure longévité, ils sont
peut-être plus faciles à utiliser et ils ont aussi une identité de marque
qui est gratifiante. Un vrai produit de luxe sera quelque peu intemporel
et agréable à manipuler ou utiliser pour son propriétaire, grâce à une
infinité de détails raffinés et soigneusement ouvragés. Il ne sera sans
doute pas bon marché et son identité procurera bien plus que la valeur
économique qu’il peut avoir : ce ne sera pas tant une proposition
économique qu’un objet doté de composantes esthétiques qui
apporteront un surcroît de valeur émotionnelle à son propriétaire.
►► Le luxe intermédiaire (un des auteurs de ce livre a forgé l’expression
« luxe populi » dans un ouvrage à paraître) correspond à des produits
qui revêtent les attributs traditionnels du luxe en termes de créativité,
de communication et de cohérence au niveau de l’identité de la
marque, mais qui sont en fait une version améliorée de biens de
consommation classiques. Ils ne sont pas le fruit d’un savoir-faire
individuel. Ils se positionnent dans les échelons hauts du milieu de
l’échelle des prix et sont produits en quantités relativement grandes
dans des usines automatisées, mais leur image de marque est
soigneusement développée et contrôlée.
►► Le luxe excentrique renvoie à des produits qui sont pratiquement des
créations exclusives et qui se distinguent très nettement du standard.
Ferrari en est un bon exemple : une Porsche serait un produit de luxe
authentique ; une Ferrari apporte une dimension autre, plus
excentrique. Les Ferrari sont produites en très petites quantités et
semblent affirmer le droit à la liberté et à la créativité de l’entreprise
Ferrari. Cette société ne fabrique pas des automobiles mais des objets
de collection uniques, dont certains ne verront jamais une route de
campagne normale. Comme l’a dit un jour Jean-Louis Dumas, l’ancien
président d’Hermès : « Une marque de luxe doit respecter trois
conditions : produire de beaux objets ; sélectionner ses clients pour en
faire des agents individuels de sa propre promotion ; et décider
librement et sans aucune contrainte de ce qu’elle veut faire. » Il
n’existe peut-être pas de meilleure définition du luxe.
►► Le luxe raisonnable n’est peut-être pas du luxe du tout, ou peut-être
n’est-ce qu’un cas particulier de luxe intermédiaire. Zara représente ce
segment : des produits créatifs qui changent très rapidement, et des
consommateurs qui trouvent une satisfaction psychologique à acheter
et utiliser ces produits en mouvement. Les prix sont très raisonnables
et l’image de marque est soigneusement gérée et promue, avec une
vision à long terme claire. Comme nous le verrons, le business model
de Zara est très efficace. Mais si, du point de vue du fabricant,
beaucoup d’outils empruntés au luxe sont mobilisés, il ne s’agit peut-
être que d’une forme de luxe intermédiaire, voire simplement d’une
marque de masse sophistiquée et efficace. Zara est peut-être un
mauvais exemple parce que la plupart des lecteurs diront que cette
marque n’a rien à voir avec le secteur du luxe. Nous acceptons ce point
de vue, mais dans notre esprit, beaucoup d’outils du luxe peuvent être
utiles à des marques de masse. Et puis il s’agit sans doute d’un
continuum, avec Zara à un bout de ce continuum et Gucci ou Chanel à
l’autre bout.
Le contenu de cette nouvelle édition
Par rapport à la première édition, avec ses 13 chapitres descriptifs, dans
celle-ci, nous avons souhaité insister sur 4 éléments essentiels de la gestion
des points de vente. Nous aurions pu parler d’ailleurs non pas du luxe mais
de tous les secteurs marchands pour lesquels les magasins constituent
souvent la première source de revenus.
Il se trouve que par rapport à des secteurs plus traditionnels, l’industrie du
luxe comporte des particularités intéressantes : il est possible d’identifier les
clients dont on peut relativement facilement obtenir les coordonnées et de
suivre leurs achats sur plusieurs années. Le même client peut d’ailleurs
acheter des produits, tantôt près de son lieu de résidence ou de travail, tantôt
à l’autre bout du monde au cours de voyages touristiques ou professionnels.
Dans la première partie, nous présenterons les choix essentiels qui se
présentent aux marques de luxe en matière de distribution.
Dans la deuxième partie, nous mettrons le client au centre. Les clients du
luxe s’attendent à un service continu (seamless). Ils souhaitent pouvoir
passer à tout moment d’une démarche online à une démarche offline et
s’attendent à ce que la marque soit organisée pour leur permettre à tout
moment de passer d’un système à l’autre sans aucun à-coup. Il n’y a pas
aujourd’hui de terme universellement accepté pour désigner ceci : nous
trouvons le plus souvent en France le terme « omnicanal », aux États-Unis
le terme « ROPO » (« Research Online, Purchase Offline », soit recherche
d’informations Online [sur Internet] Purchase [achat] Offline [dans un
magasin], ou également : recherche d’informations offline [dans un
magasin], achat online [sur Internet]) et en Chine le O2O (« Offline to
Online »). Nous adopterons dans ce livre le terme « O2O », lequel est
déclinable (offline to online/online to offline/offline to online to offline,
etc.). Mais le O2O, qui doit toujours s’adapter aux passages continus des
clients d’un système à l’autre, nécessite des systèmes de gestion, de
logistique ou de contrôle très subtils.
Dans la troisième partie, nous approfondirons le type de service qu’il faut
donner aux clients, nous montrerons comment construire sa fidélité et
comment assurer la qualité et la précision du service.
Dans la quatrième partie, nous présenterons les éléments plus classiques et
plus habituels de la gestion d’un point de vente.
Nous avons cherché dans cet ouvrage à répondre à toutes les questions qui
se posent aujourd’hui aux marques de luxe en matière de distribution
physique et à fournir des pistes de réflexion et des schémas de ce qui
devrait se passer dans les toutes prochaines années.
Partie 1
Les grands choix
de la distribution de luxe
Chapitre 1
De l’extérieur, les observateurs peuvent penser que toutes les marques de luxe sont
distribuées de la même façon, dans des magasins exclusifs leur appartenant, et
qu’elles sont capables de diriger depuis leur siège social. En fait, la réalité est
beaucoup plus complexe.
Certains produits de luxe, comme les parfums ou les montres, sont vendus en
majorité dans des magasins multimarques ne leur appartenant pas. Ces magasins font
en général ce qu’ils pensent le plus efficace pour leur activité multimarque et ils ne
sont jamais faciles à motiver ou à mobiliser…
Dans certains pays (comme par exemple l’Arabie saoudite, la Thaïlande ou le
Viêtnam), une société étrangère d’importation et de distribution de produits fabriqués
à l’étranger ne peut pas posséder la majorité de sa filiale locale. Elle doit s’associer
avec un partenaire majoritaire de la nationalité du pays. Aucun groupe de luxe ne
peut donc, même s’il le souhaitait à l’origine, être propriétaire de tous ses points de
vente.
La construction d’un réseau mondial de points de vente nécessite beaucoup de
temps et d’argent. C’est formidable pour une grande marque de luxe d’avoir son
propre magasin à Oulan-Bator, mais comment peut-elle s’assurer que les clients
peuvent y trouver un service (accueil, conseil, prix et service après-vente par
exemple) identique à celui qu’ils obtiennent à Paris ou à Milan ?
Enfin s’il est possible pour Gucci ou Chanel d’investir pour ouvrir un magasin à
New York, cela est beaucoup plus difficile pour une petite marque qui a déjà du mal à
rentabiliser son magasin parisien.
Parler des points de vente des marques de luxe dans le monde oblige donc à décrire
tous les modèles, physiques ou digitaux, qui peuvent ou doivent être utilisés pour
présenter les produits à l’ensemble des clients mondiaux.
La perspective historique
Le commerce de détail est sans doute un des plus vieux métiers du monde. Dès que
les gens ont réalisé qu’ils ne pouvaient se procurer personnellement tous les objets
dont ils avaient besoin pour leur propre survie, ils ont cherché à identifier d’autres
individus capables de rassembler une sélection d’articles demandés, qu’ils
revendaient ensuite à leur profit. Ce processus consistant à rechercher et sélectionner
différents objets pour présenter une gamme de produits dont l’acquisition serait
ensuite facilitée aux autres individus semble aussi vieux que le monde lui-même. Plus
tard, au Moyen Âge, à mesure que le commerce se développait, les commerçants d’un
même domaine ont souvent eu tendance à se regrouper dans une même rue. Il leur
semblait qu’ils étaient mieux installés près de leurs concurrents, considérant que les
clients viendraient chez eux d’autant plus facilement et aussi bien que chez leurs
concurrents, en faisant le tour de tous les magasins situés dans la rue. Ceux qui
avaient installé un magasin ailleurs, résolument isolés de leurs confrères, étaient alors
simplement à l’écart des itinéraires d’achats et rataient ainsi des occasions de vente.
Être situé loin des autres commerçants mais près des quartiers d’habitation constituait
néanmoins un avantage pour les services quotidiens comme les produits alimentaires
– en d’autres termes le commerce de proximité.
Cette distinction entre les achats de proximité et les autres a toujours existé et
explique les différences de stratégies de localisation. Le fait que des commerçants
d’un même secteur aient voulu se rassembler et concentrer leur pouvoir d’attraction
n’est pas très différent de ce que nous observons aujourd’hui avec la concentration
des magasins de luxe dans les mêmes quartiers des grandes villes.
L’événement fondateur qui mérite d’être mentionné ici est la création en 1851 du
premier grand magasin au monde, Le Bon Marché, à Paris. L’idée était que, pour la
première fois, un même magasin vendrait du prêt-à-porter pour hommes et pour
femmes, ainsi que des chaussures et des ustensiles de cuisine : tout ceci à la fois, dans
la même boutique. Comme toujours, lorsqu’une idée est bonne, elle est rapidement
copiée et, en 1856, le premier grand magasin américain ouvrait à New York : Macy’s,
à son emplacement actuel.
Au fil du temps, l’apparence et le système de présentation des produits dans les
grands magasins ont été très marqués par les innovations techniques. En 1869, le
premier ascenseur était installé à Paris dans un magasin, facilitant le passage des
clients d’un étage à l’autre et rendant possible la présentation des produits sur quatre
ou cinq niveaux différents.
Une autre innovation, datant de 1892, a marqué l’allure de tous les grands
magasins du monde : l’escalator. Celui-ci a permis aux clients de passer d’un étage à
l’autre à leur propre rythme, sans devoir attendre un ascenseur. Les escaliers
mécaniques ont ainsi dessiné l’espace de presque tous les grands magasins
d’aujourd’hui : un puits central au milieu d’un hall aussi vaste et impressionnant que
possible, et parfois couronné d’une coupole, et des escaliers traversant ce puits,
permettant aux clients de passer d’un étage à l’autre comme ils le souhaitent.
En 1895, les premiers escalators étaient installés chez Harrods à Londres.
En 1915, le premier grand magasin japonais était créé à Tokyo : Mitsukoshi
Nihonbashi.
1919 constitue une autre date très importante : le premier système de climatisation
était installé chez Abraham & Strauss à New York. Dès lors, les grands magasins
n’ont plus besoin de fenêtres. La climatisation, qui assure la ventilation, leur permet
de se passer de fenêtres et même, dans certains cas, des portes ouvrant sur la rue : les
magasins peuvent être intégrés à une galerie ou à un centre commercial. Les
boutiques n’ont donc non plus besoin de fenêtres, sauf bien sûr comme vitrines, à des
fins de présentation des produits. L’apparence des bâtiments des grands magasins
s’est ensuite à peu près stabilisée telle que nous la connaissons aujourd’hui.
En 1922, le premier centre commercial au monde, le Country Club Plaza, était créé
à Kansas City. L’apparence de ces centres est demeurée quasi inchangée depuis
95 ans, avec très peu d’innovations, à l’exception du premier magasin « hors taxes »
qui a ouvert en 1957 à l’aéroport de Shannon, en Irlande.
Sur un autre plan, il nous faut relever l’apparition de la première caisse
électronique en 1970 et du premier appareil de lecture optique en 1975. Avant ces
dates, il était difficile d’imaginer que chaque produit vendu dans le monde aurait un
jour son propre code facilement lisible par une machine.
Les grands magasins d’aujourd’hui, les centres commerciaux, les galeries
commerciales ou les points de vente « hors taxes » sont en fait le produit de 150 ans
d’innovation et de développement dans la distribution.
Les boutiques en propre ou autonomes (en anglais : DOS – Directly Operated Stores)
semblent avoir la priorité de beaucoup de gestionnaires de marques.
Bien sûr, dès qu’une marque bénéficie d’un fort pouvoir d’attraction et qu’elle
dispose de moyens financiers suffisants, elle peut être tentée par ce système qui lui
permet de connaître très tôt la réaction des consommateurs à une nouvelle collection
ou à un nouveau produit. Mais le développement d’un large réseau de boutiques « en
propre » modifie sensiblement l’organisation d’une marque de créateur de produits
exceptionnels : elle doit devenir gestionnaire de points de vente et les priorités de la
marque, de son organisation et de l’utilisation de ses moyens financiers en sont
affectés. Vendre, comme nous le verrons plus tard, est un véritable métier : la plupart
des marques de luxe – structurées autour de la création – ne possédaient pas les
compétences « retail » et les ont acquises au fil du temps.
Traditionnellement, les grands magasins ont été créés pour s’approvisionner en toutes
sortes de produits, pour les acheter et disposer du personnel spécialisé pour les
présenter à la clientèle dans des comptoirs adaptés. Le grand magasin assurait alors
toutes une série d’activités :
• La recherche et la sélection des produits.
• L’achat, la réception et l’entreposage de ces produits.
• Le paiement des produits, quelquefois avant leur réception.
• La présence dans un comptoir.
• La présentation du produit à la clientèle.
• La vente et l’activité des vendeurs.
• L’encaissement du prix de vente.
Il s’agit ainsi d’un service financier, logistique, merchandising et commercial.
Aujourd’hui, les principales marques de luxe sont vendues dans des shop in shop
(des magasins dans un magasin) : le grand magasin fournit un espace (quasiment
comme le ferait un agent immobilier), la marque de luxe réalise la décoration à ses
frais dans cet espace, embauche les vendeuses, les forme, leur fournit un uniforme et
les rémunère. Elle sélectionne les produits les plus adaptés à ce point de vente et,
dans un certain nombre de cas, en garde la propriété jusqu’au jour de la vente. Le
grand magasin se contente d’encaisser le prix de vente, de prendre la marge de détail
et de transférer un prix de gros à son « fournisseur ». Sa tâche consiste alors
simplement à :
– la mise à disposition d’un espace ;
– l’encaissement du prix de vente.
Son rôle est en fait relativement simple par rapport au rôle initial des grands
magasins – et se rapproche de celui d’un loueur d’espace immobilier.
Entre ces deux façons de travailler avec un grand magasin (la nouvelle et la
traditionnelle), il en existe une troisième : l’obtention par la marque d’un contrat de
« corner ». Dans ce cas, la marque dispose d’un espace limité, ouvert sur les autres
rayons mais quand même identifié et aménageable, avec des vendeurs payés par la
marque et une marchandise appartenant au grand magasin.
Bulgari (CA)
Chiffre d’affaires 376 759 1 091 1 100 2 800 (E)
Nombre de magasins 126 182 207 267 300
Gucci (CA)
Chiffre d’affaires 1 200 1 800 2 300 3 639 6 211
Nombre de magasins 143 174 233 429 529
Louis Vuitton
Chiffre d’affaires 1 500 (E) 2 200 (E) 3 700 (E) 7 000 (E) 10 500 (E)
Nombre de magasins 284 317 390 500 450
Tiffany
Chiffre d’affaires 1 334 1 600 2 342 3 035 3 682
Nombre de magasins 119 141 184 275 315
Comme expliqué ci-dessus, il n’y a pas un seul système adapté à la distribution des
produits de luxe mais des possibilités résultant du niveau d’attractivité d’une marque
et de son volume de ventes.
Les professionnels comparent facilement les marques par le chiffre d’affaires au
mètre carré réalisé dans leurs points de vente. Lorsque ce chiffre est très élevé (par
exemple 50 000 € ou 100 000 € par mètre carré et par an), il est facile d’ouvrir de
nouveaux magasins et de payer le loyer. Quand ce chiffre est de dix ou vingt fois plus
faible, il vaut mieux travailler avec des points de vente multimarques.
C’est pour cela qu’il n’y a pas qu’un seul optimum de distribution des produits de
luxe. Cela dépend du volume qui peut être réalisé dans un point de vente :
• Pour une marque faible, il est possible d’avoir un seul point de vente, en propre,
dans le pays d’origine. Pour le reste, il est prudent de privilégier l’accès aux
magasins multimarques. Dans ce cadre, les grands magasins aussi offrent une
solution idéale. Ils disposent du trafic : les clients passent dans les allées du
magasin et sont prêts à acheter. La marque sera présentée au milieu d’autres
marques plus ou moins attirantes ou reconnues ; cela crée un environnement
favorable et prestigieux. Enfin, lorsque l’on se trouve tout simplement dans un
rayon, les vendeurs sont rémunérés par le grand magasin… Bien sûr, si le chiffre
d’affaires réalisé en comptoir se trouve trop faible, le grand magasin ne
renouvellera pas l’expérience et il faudra trouver un autre système de
distribution…
• Pour une marque très très faible, les grands magasins exigeant peu ou prou un
chiffre d’affaires minimum, ils ne fournissent pas la solution idéale. Dans ce cas,
le petit point de vente unique où la vente peut s’organiser, mais où le magasin
sert aussi d’adresse officielle et de centre d’opérations de relations publiques
peut correspondre au système le plus adapté.
Si les caractéristiques du produit ont une influence sur le type de distribution idéal, à
l’inverse la distribution choisie impose une politique produit adaptée.
Les circuits de distribution, indirects ou directs, requièrent des stratégies marketing
très différentes, comme nous le décrivons dans le tableau 1.2.
Pour la distribution indirecte, il n’est pas utile de disposer d’une gamme trop
étendue. Il vaut mieux lancer un seul produit qui aura suffisamment de force pour
s’imposer. Au contraire, lorsqu’une marque dispose de magasins monomarques, elle
doit proposer une gamme assez large, de sorte que chaque client entrant dans le
magasin puisse trouver le produit qui lui convienne.
Tableau 1.2 – Différence entre modèles de distribution direct et indirect
La clé, dans un magasin multimarque de parfums, est, pour une marque donnée,
d’avoir un seul produit star que les clients peuvent facilement identifier et rechercher.
Au contraire, dans une boutique monomarque, le même produit star n’arrivera pas
nécessairement à satisfaire tous les clients : il risque de faire écran à chacun des
autres produits qui s’adresse à un segment spécifique du marché.
Les circuits de distribution, directs ou indirects, nécessitent un appui publicitaire et
promotionnel différent. Dans le circuit indirect, la publicité dans les grands médias
est une priorité pour convaincre le consommateur – qui est confronté à un large choix
de produits dans chaque magasin – que la marque X est plus désirable, plus moderne,
plus prestigieuse ou simplement plus adaptée que les autres. Dans le circuit direct, la
publicité dans les grands médias peut être nécessaire pour amener les clients dans la
boutique, mais la différence résulte des efforts des vendeurs qui doivent user de leur
force de conviction et de leurs propres arguments de vente.
Dans le circuit indirect, le client, face à une offre multimarque, se sert du prix
comme d’un critère de sélection. Dans le circuit direct, le client n’achètera certes pas
le produit s’il trouve son prix excessif, mais ce ne sera pas un critère de sélection
entre différents produits, dans une gamme de prix qu’il juge raisonnables.
Dans le circuit direct, un lien individuel fort entre le consommateur et la marque
devra être créé au fil du temps via le management de la relation client (MRC ou
CRM) : les clients seront identifiés, leurs noms et adresses enregistrées, ainsi que
leurs préférences et leurs schémas d’achats. Il est ensuite possible de développer une
relation forte et d’organiser des programmes promotionnels conçus spécifiquement
pour eux. Dans un circuit indirect, la plupart des clients demeurent inconnus et non
identifiés, ce qui rend difficile d’établir des liens particuliers entre eux et une marque
donnée, celle-ci n’étant qu’une parmi d’autres dans l’offre qui leur est présentée.
Les exigences en termes de logistique sont aussi assez différentes d’un système à
l’autre. Dans le circuit indirect, une partie de la logistique, comme le stockage et la
livraison à chaque point de vente, est souvent assurée par l’intermédiaire. Dans le
circuit direct, ces tâches incombent exclusivement au propriétaire de la marque.
On a un peu tendance à considérer le système direct comme plus efficace que le
système indirect.
Cas d’entreprise
Le cas de Ralph Lauren
Ralph Lauren fait figure de contre-exemple. Ses résultats montrent la puissance du système
indirect.
Les dirigeants de l’entreprise parlent d’un « modèle intégré flexible » qui comprend la distribution
directe, la distribution indirecte et les franchises. Avec des ventes annuelles proches de
5,3 milliards d’euros et un bénéfice net de 140 millions d’euros en 2018, Ralph Lauren obtient
une rentabilité comparable à celle de très grandes marques, ce qui n’est pas une mauvaise
performance pour une marque de première génération, toujours dirigée par son fondateur. Ce
modèle de fonctionnement s’appuie sur une approche intégrée pour la publicité et le marketing,
mais en matière commerciale, chaque région dispose d’un mélange entre des points de vente en
propre et des magasins franchisés, supervisés quelquefois par des distributeurs locaux ou
directement. Le chiffre d’affaires se répartit entre 55 % pour les ventes du circuit indirect, 40 %
pour les ventes du circuit direct et 5 % en royalties de licences. Toutefois, et cela n’est pas
anodin, seulement 23 % du bénéfice opérationnel total provient des points de vente contrôlés
directement.
Ralph Lauren affiche 8 611 points de vente indirects aux États-Unis et au Canada. Il n’en a
néanmoins que 120 au Japon. En fait, pour Ralph Lauren, le segment indirect comprend
11 000 points de vente. Dans le segment de distribution directe, Ralph Lauren gère
153 magasins (134 en Amérique du Nord et 19 en Europe) et 158 magasins d’usine.
Ralph Lauren a recours aux licences pour les parfums (L’Oréal), l’optique (Luxottica) et les
montres (Richemont) ainsi que pour le sur-mesure hommes (Dealers), les sous-vêtements et
pyjamas hommes (via Hanes et Chaps Sportswear du Groupe PHV).
Les dirigeants de Ralph Lauren font également appel à des distributeurs exclusifs pour gérer leur
distribution indirecte dans de nombreux pays comme le Japon, la Corée du Sud, Hong Kong, la
Chine et Singapour, de même que la Colombie, l’Équateur, le Pérou, la Bolivie et d’autres pays
en Amérique centrale ou dans les Caraïbes.
Le système de Ralph Lauren propose une approche diversifiée du luxe. Bien sûr, tous les
produits finissent par se trouver dans des magasins, mais pas nécessairement dans des points
de vente directement gérés par la marque : les dirigeants ont recours au circuit de distribution
indirecte, mais aussi à des contrats de distribution avec des associés locaux, ainsi qu’à des
opérateurs de licences pour améliorer continuellement la qualité de leur présentation produit et la
viabilité de leur modèle de croissance globale.
Si les marques les plus puissantes se renforcent avec une distribution directe intégrée,
il ne faut surtout pas faire de ce système la seule variable dans l’industrie du luxe.
Tout dépend de la taille de l’entreprise, de ses moyens financiers et de ses
perspectives. Une grande différence dans les systèmes de distribution tient à leurs
aspects financiers.
La grande différence entre ces systèmes, c’est que dans le cas d’une distribution
intégrée, la marque vend au prix de détail et bénéficie d’une marge pleine. Au
contraire, lorsqu’elle vend de façon indirecte, par exemple par l’intermédiaire d’un
détaillant multimarque ou d’un grand magasin, elle doit leur réserver une marge de
détail qui atteint généralement 40 % à 60 % du prix de vente. Par exemple,
lorsqu’une boutique appartient à la marque, si elle vend pour 500 000 € hors taxes par
an à ses clients, elle dispose de la totalité de cette somme. Si au contraire, elle réalise
ce chiffre d’affaires par l’intermédiaire d’un grand magasin, elle devra réserver une
marge de 200 000 ou 300 000 € hors taxes à ce grand magasin et son chiffre
d’affaires sera réduit d’autant.
Tableau 1.3 – Avantages et inconvénients relatifs des différents circuits de distribution
Avantages Inconvénients
Développement de l’image de
marque
Shop in shop
Développement de la connaissance
en grand magasin
de la marque
Présentation de toute la gamme
Magasin Magasin
Magasin visité par un distributeur
en appartenant
autonome
propre à un tiers
Marge
20 €
du distributeur exclusif
La grande différence, lorsqu’on dispose de son propre réseau de boutiques, c’est que
l’on doit payer des frais fixes (loyer et salaires), alors que lorsqu’on travaille avec des
franchisés, on se contente de leur réserver une marge.
On pourrait d’ailleurs encore affiner cette démonstration : pour un chiffre d’affaires
vraiment très faible, le système des grands magasins, où il est nécessaire de
rémunérer un vendeur, peut devenir plus coûteux que la location d’une petite
boutique, mal placée et au loyer très faible, où le vendeur peut être occupé à d’autres
tâches (les opérations, la comptabilité par exemple) et moins peser sur les comptes…
Le message de ce chapitre est simple. Il n’y a pas de structure de distribution plus
performante qu’une autre. Tout dépend de la taille de la marque et de ses
perspectives. Tout dépend aussi des produits. Si l’analyse est plus facile pour la mode
ou les accessoires, elle est plus compliquée par exemple pour les montres ou les
parfums car, dans ce cas, les clients privilégient souvent les points de vente où ils
peuvent comparer des produits de plusieurs marques différentes avant de faire leur
choix.
Tableau 1.5 – Impact des frais fixes et des frais variables sur la rentabilité
Marge de 2 500 000
2 500 000 € 500 000 € 500 000 € 500 000 €
détail €
Chiffre de 2 500 000
2 500 000 € 500 000 € 500 000 €
gros €
– –
Loyer 1 000 000 1 000 000
€ €
– –
Salaires – 200 000 € – 100 000 €
200 000 € 100 000 €
Marge
avant 2 300 000
3 800 000 € 2 500 000 € – 600 000 € 400 000 € 500 000 €
coûts de €
production
Dans ce premier chapitre, nous avons peu parlé des ventes digitales. Ce n’est pas
un oubli. Nous avons surtout voulu montrer la diversité et la complexité des enjeux et
persuader le lecteur qu’il existe plusieurs chemins pour organiser la distribution des
produits de luxe. Par la suite, nous allons montrer que même des marques très
puissantes ne se limitent pas à un seul type de points de vente mais savent s’adapter
suivant les pays, suivant les législations locales, suivant la tradition, à tous les
systèmes. À cet égard, la distribution digitale ou la recherche d’un continuum parfait
entre une distribution digitale et une distribution physique ne fait que compliquer les
enjeux.
L’essentiel
►► La gestion des produits de luxe est passée d’une phase où l’essentiel des efforts était
concentré sur la création, l’artisanat et la fabrication à une phase où la distribution
physique et digitale et la gestion des points de vente sont une préoccupation de tous les
jours.
►► Les activités de présentation des produits aux clients finaux sont organisées de
façon à la fois directe et indirecte et chacune de ces deux activités contribue à la vitalité et
au développement de la marque.
►► Les grands magasins, comme les magasins multimarques, peuvent constituer dans
certains cas et à certaines phases du développement de la marque, des alliés fidèles et
essentiels.
►► L’analyse économique des points de vente, qui sera présentée dans le chapitre 16,
est nécessaire à tout moment pour évaluer les avantages et les inconvénients de chacun
des chemins disponibles.
Chapitre 2
Jusque dans les années 1950 ou 1960, une marque de mode ne disposait
généralement que d’un seul point de vente au détail au monde : le magasin
d’origine, que l’on n’appelait pas encore un flagship. Dior ne disposait que
d’un point de vente, celui de l’avenue Montaigne, et Chanel avait son
magasin de la rue Cambon. Bulgari, de son côté, avait son magasin
traditionnel de Rome. À l’époque, pour acheter un bijou Bulgari, il suffisait
de faire un voyage à Rome pour visiter la boutique. Enfin, surtout pour la
mode, la distribution internationale s’était organisée. Dior vendait ses
vêtements dans quelques grands magasins de New York ; il vendait surtout
des « patrons » en papier que les Américaines venaient acheter pour faire
ensuite réaliser un modèle par leur couturière habituelle.
Dès cette époque, Dior a souhaité établir une présence commerciale plus
forte à l’étranger et a développé des licences, avec des structures de
« master-licence » et de « sous-licences » aux États-Unis et au Japon. À
l’inverse, Chanel n’a jamais souhaité développer cette activité.
Les activités commerciales se concentraient alors sur la gestion du point
de vente parisien et sur le développement d’un réseau de partenaires
internationaux, constitué de grands magasins étrangers ou de boutiques
multimarques ayant une vision très pointue de la mode. Le travail consistait
surtout à animer ce réseau de distributeurs étrangers et, dans le cas où il y
avait également des licences, à leur fournir des dessins et des modèles, à
contrôler les prototypes et la fabrication et à surveiller les résultats des
activités commerciales.
Pour les entreprises de mode, l’activité était déjà tournée autour du
directeur artistique, qui parlait aux journalistes et qui organisait des défilés
de mode dans un certain nombre de grandes villes de la planète.
La sélectivité des interlocuteurs
À partir des années 2000, les grands magasins n’ont pas su rester moteurs
dans le développement des marques de luxe, probablement car celles-ci ont
souhaité développer un nombre de points de vente plus élevés que ce qu’ils
pouvaient leur offrir. De plus, la croissance des marques de luxe (de 8 à
10 %) par an, est beaucoup plus rapide que celle des grands magasins (1 à
2 %) et celles-là devaient les contourner pour maintenir leur rythme de
développement.
Cette accélération du développement sera en partie obtenue par la
création de filiales à 100 % dans les principaux pays prioritaires ou par la
mise en place de joint-ventures avec les meilleurs distributeurs.
Petit à petit, comme nous l’expliquions précédemment, la tendance a été
au renforcement de la vente dans des points de vente contrôlés ou
appartenant à la marque (les fameux Directly Operated Stores). Par
exemple, une marque de joaillerie comme Cartier qui avait revendiqué, il y
a quelques années, un chiffre d’affaires de 50 % en retail (les points de
vente directement contrôlés) et 50 % en wholesale (la vente à des détaillants
multimarques), basculait vers un chiffre d’affaires réalisé en très grande
partie dans ses propres magasins (Richemont annonce que 63 % de ses
ventes se firent en retail en 2009 contre 50 % en 2011).
Dès l’année 2000, les marques de luxe se sont demandé quel devait être le
meilleur système de développement online.
Une première hésitation a tenu au système à mettre en place : fallait-il
implanter un site multimarque (une forme de grand magasin du luxe, qui
aurait pu alors être développé en France par le Printemps ou les Galeries
Lafayette), ou au contraire développer un site propre à chaque marque ?
Vers l’an 2000, il n’était pas facile de comprendre que la création d’un
site marchand individuel propre à chaque marque n’entraînait pas de
dépenses excessives et que des « hébergeurs » inconnus du consommateur
final pouvaient très bien assurer la gestion informatique et logistique des
ventes.
D’où, dans une première phase, le développement de plusieurs groupes
comme Yoox ou Net-A-Porter.com qui accélèrent la mise en place
d’activités online. Mais, à terme, il faut se poser une autre question : si la
logistique est si simple, qu’est-ce qu’un site multimarque apporte de plus,
en termes de satisfaction, de commodité ou de facilité que le propre site de
Chanel ou de Cartier ?
En fait, la valeur ajoutée d’un site multimarques peut-être, par exemple :
– des prix plus bas ;
– des produits soldés ou d’anciennes collections ;
– des modèles exclusifs.
Mais cette valeur ajoutée comprend aussi des inconvénients et, s’il faut
absolument baisser les prix pour se débarrasser d’un stock trop élevé pour
un produit, pourquoi ne pas le faire sur son propre site ?
Petit à petit, les grandes marques ont décidé par exemple de lancer Louis
Vuitton online ou Hermès online. Elles l’ont fait d’abord indépendamment
et sans lien avec leurs points de vente traditionnels, mais avec des prix
adaptés à l’adresse de chaque client, suivant son pays de résidence et les
droits de douane correspondants. Et leurs ventes se sont développées.
On estime qu’aujourd’hui, les principales marques de luxe réalisent entre
5 % et 10 % de leur chiffre d’affaires sur leur site, ce qui n’est pas si mal
(l’équivalent d’un gros flagship, disaient-elles, mais c’est déjà beaucoup
plus aujourd’hui…). Pour Gucci par exemple, l’activité digitale a atteint
270 millions d’euros en 2017.
D’autres marques comme Hermès ont été pendant longtemps moins
ambitieuses. Elles spécialisaient leur catalogue online dans les cadeaux
d’achat plutôt facile (cravates, foulards, petits bracelets par exemple).
Ce qu’on peut dire aujourd’hui, c’est qu’à quelques exceptions près, la
structure online est toujours séparée des activités commerciales en points de
vente et qu’elle y apporte seulement un complément.
Comme nous le monterons dans cet ouvrage, il reste à nouveau à faire un
pas en avant : que cette activité digitale devienne une part entière de
chacune de ces marques et que toutes les barrières pour que le client puisse
passer indifféremment dans sa recherche d’informations, dans ses
essayages, dans son achat et dans son service après-vente du site Internet à
n’importe quelle boutique ou point de vente de la marque soient supprimées
et que celui-ci le fasse dans une continuité parfaite.
Le point de départ
Jusque dans les années 1990, on peut dire que suivant les secteurs,
l’utilisation de magasins monomarques gérés en propre était plus ou moins
systématique.
Pour la parfumerie et les cosmétiques, il semblait qu’il ne pouvait y avoir
qu’un seul schéma : la vente en gros à de nombreux parfumeurs
multimarques. Dans certains pays, ces multimarques étaient essentiellement
des grands magasins et réalisaient plus de 50 % du chiffre d’affaires. C’était
le cas bien sûr des États-Unis mais aussi du Japon, de la Grande-Bretagne,
du Mexique, du Canada, de l’Australie et de quelques autres pays. Dans ces
pays, le parfum se vend au rez-de-chaussée des grands magasins et les
ventes s’effectuent dans des « bergeries » au nom et à l’enseigne des
marques (c’est le cas de Dior, Chanel, Estée Lauder, Saint Laurent, Armani,
Ralph Lauren, Gucci et de quelques autres, dont les marques de parfums de
niche rachetées par les grands groupes – comme Atelier Cologne ou
Éditions Frédéric Malle). Pour qu’une marque puisse disposer d’une
bergerie à son nom, il faut qu’elle réalise un chiffre d’affaires important ;
c’est surtout possible pour celles qui ont développé à la fois de la
parfumerie alcoolique, mais aussi du maquillage et des produits de soin.
Pour visiter et servir ces points de vente très nombreux, il faut disposer
dans chaque pays d’une force de vente qui visite et anime ces magasins. On
pourrait dire la même chose des vins et des spiritueux qui sont aussi vendus
exclusivement chez des multimarques, sans parler d’un second réseau de
vente : celui des restaurants, des cafés et des boîtes de nuit.
Enfin, à cette époque, les montres étaient toujours vendues chez des
détaillants ou de grands magasins multimarques : il ne serait pas paru très
logique pour les marques de montres d’ouvrir des magasins monomarques.
On pouvait alors observer que les marques de joaillerie et de montres
avaient un système de distribution adapté aux montres. Pour les marques
comme Cartier, dont le chiffre d’affaires d’horlogerie était très important,
les ventes se réalisaient à la fois dans des magasins exclusifs à la marque et
chez de très nombreux bijoutiers indépendants. Pour les marques peu
implantées en horlogerie, comme Tiffany ou Van Cleef & Arpels, elles
étaient presqu’exclusivement présentées dans des magasins monomarques
ou dans des shops in shops de grands magasins.
Et les stylos et autres instruments d’écriture ? Ils étaient vendus
exclusivement dans les grands magasins et les papeteries. Quatre grandes
marques se partageaient alors le marché « premium » : Montblanc, Parker,
Schaeffer et Waterman et elles étaient toutes vendues exclusivement chez
les multimarques. En 1991, Montblanc a décidé de développer des
magasins monomarques, dont le premier a été créé à Hong Kong. Ceci a
donné à cette marque à la fois la possibilité et l’obligation de diversifier son
offre de produits avec les montres, puis la maroquinerie masculine, puis les
bijoux et la maroquinerie féminine. Aujourd’hui, les trois autres marques de
stylos ne vont pas extrêmement bien. De son côté, Montblanc réalise un
chiffre d’affaires de 760 millions d’euros et un bénéfice opérationnel
imposant. La conversion à une distribution constituée de nombreux
magasins monomarques, alliée à une diversification de l’offre, semble lui
avoir réussi.
Le cas des alcools et des spiritueux
Pour les alcools, la nécessité de distribuer sous deux canaux distincts
(supermarchés, cafés et restaurants, sans oublier les boutiques de
spécialistes) complique la donne.
Les spécialistes du secteur divisent ce marché en deux segments :
le segment on-premise pour les alcools consommés sur place, c’est-à-dire
dans les restaurants, les bars ou les clubs, et le segment off-premise pour les
alcools consommés hors du point de vente, donc à la maison. Ces points de
vente sont généralement des supermarchés, des épiceries ou des marchands
de vins de proximité.
À quelques exceptions près, l’activité commerciale des vins et des
spiritueux se maintiendra dans des points de vente multimarques. C’est le
seul secteur du luxe dont la distribution est assurée dans les grands points
de vente alimentaires et les discounteurs. Quand Carrefour organise une
« foire aux vins », cette entreprise est capable d’écouler un nombre de
bouteilles impressionnant. Elle a la clientèle : les acheteurs en hypermarché.
Elle a la logistique : les parkings et les caddies. Elle a la puissance de vente
et d’achat pour obtenir de bons prix d’achat, et il est difficile de faire aussi
bien.
Depuis notre première édition, la situation des grands magasins ne s’est pas
beaucoup améliorée. Dans leur nouveau métier de gestionnaire d’espaces
commerciaux, ils sont concurrencés par le développement des centres
commerciaux consacrés exclusivement aux marques de luxe, comme il en
existe un grand nombre en Chine. Disposant d’emplacements prestigieux
mais souvent coûteux, ils ont des difficultés à suivre les déplacements de
population en dehors des centres-villes et à ouvrir des magasins à la fois
rentables et prestigieux en périphérie.
Le tableau 2.2 donne l’évolution du chiffre d’affaires de différents grands
magasins entre 2010 et 2017.
Tableau 2.2 – Performances de différentes chaînes de grands magasins (chiffres
d’affaires en milliards d’euros)
2010 2017
Macy’s 19 21,6
Nordstrom 6,1 13
Certains de ces magasins de mode multimarques ont été très célèbres à une
certaine période, comme par exemple Victoire ou Colette à Paris et Corso
Como à Milan. Colette disposait d’un seul point de vente à Paris, d’environ
400 ou 500 mètres carrés. Elle présentait souvent des produits de mode
exclusifs. Le magasin était toujours bondé et les clients y venaient
régulièrement, sans avoir toujours une intention d’achat très précise. La
boutique Colette, entre la place Vendôme et le palais Royal, était devenue
un but de promenade. Les gens y cherchaient des polos Lacoste
spécialement tissés avec un crocodile rouge, ou des chemises Ralph Lauren
avec un joueur de polo deux fois plus grand que d’habitude. En fait, le
client y venait pour trouver un article de mode, cher, mais introuvable
partout ailleurs. Le magasin a fermé le 1er janvier 2018, la propriétaire de
Colette, Madame Colette Rousseaux ayant pris sa retraite et n’ayant pas
trouvé de successeur. Elle avait ouvert ce magasin en 1997 et pendant vingt
ans, Colette était le magasin préféré des « fashion victims ».
La formule gagnante pour un magasin de ce type semble être : un lieu de
visite, avec sans arrêt des nouveautés ou des produits exclusifs, ou le petit
souvenir qui pourrait faire un cadeau original. On cite toujours la vente
exclusive de chaussures de basket Louis Vuitton comme un des événements
exceptionnels qui ont été organisés dans ce magasin.
Il faut aussi mentionner les boutiques Joyce à Hong Kong. Il s’agit d’une
chaîne de magasins de mode créée par Mme Joyce Ma et qui apporte chaque
année à ses clients les nouvelles marques de mode qui devraient se
développer rapidement, car elles apportent quelque chose de nouveau ou
d’original. Les boutiques Joyce ont connu des difficultés en 2008, mais
l’entreprise a été rachetée par la chaîne de grands magasins Lane Crawford
qui a profité de cette acquisition pour se donner une image de spécialiste
d’une mode très pointue.
La leçon à tirer des exemples comme Colette et Joyce, c’est qu’il y a une
place pour des magasins capables d’identifier les nouvelles tendances de la
mode et d’apporter une grande variété de produits, souvent originaux ou
exclusifs. On peut toutefois se poser la question de leur pérennité et de leur
développement : la fermeture de Colette, comme le relatif échec des
franchises Corso Como en Chine, montre bien que ces concepts sont
intimement liés à leur créateur.
L’essentiel
►► Le rôle des points de vente pour l’industrie du luxe a changé du tout au
tout et même plusieurs fois depuis cinquante ou soixante ans. Avec l’arrivée du
monde digital, une nouvelle révolution s’est produite et va entraîner un nouveau
changement.
►► Aujourd’hui, ce n’est pas l’avenir des points de vente qui est en cause,
mais la façon dont ils vont s’intégrer dans un système omnicanal plus large,
que certains appellent ROPO, pour « Research Online, Purchase Offline,
Research Offline, Purchase Online » ou O2O.
►► Si aujourd’hui les ventes digitales sont encore faibles (10 %), nous
pensons qu’elles devraient atteindre 25 % en 2025. Lorsque ces ventes
digitales atteindront 25 %, cela ne voudra pas dire pour autant que les
magasins physiques seront devenus inutiles. Ils devront être organisés pour
que les consommateurs bénéficient à tout moment d’un service complet
omnicanal avec une continuité parfaite d’un système à l’autre et qu’ils n’aient
jamais l’impression qu’un de leurs interlocuteurs semble privilégier un système
par rapport à un autre. Pour que cela soit bien le cas, il faut que les employés,
les collaborateurs ou les intermédiaires extérieurs à l’entreprise n’aient jamais
intérêt à leur proposer un système plutôt qu’un autre.
►► Il y a aujourd’hui des interlocuteurs extérieurs dans les activités
commerciales physiques. Il y en a d’autres pour les activités digitales. À terme,
la répartition des activités commerciales directes et des activités commerciales
indirectes peut évoluer, mais aucune entreprise du secteur du luxe ne pourra
jamais intégrer la totalité des activités commerciales internationales.
►► Chacun des intermédiaires actuels de la chaîne de distribution des
produits de luxe, des grands magasins, indépendants franchisés et distributeurs
exclusifs sur un territoire aux spécialistes du commerce digital, verront leurs
activités évoluer, mais ils devront tous définir une nouvelle raison d’être et faire
évoluer la valeur ajoutée qu’ils offrent aujourd’hui aux clients et aux
gestionnaires de marque.
Chapitre 3
Relancer une marque :
l’urgence d’un nouveau concept de boutiques
Cas d’entreprise
Comment la « vision du monde » de Giorgio Armani nourrit
la conception de ses magasins
« Ma mode est en phase avec notre monde. Je vois mon métier comme une
mission : je ne dois rien produire de superflu, je dois montrer la voie, créer des
différences4. »
« Pour moi, il est essentiel d’éliminer l’inutilité, au travail, à la maison, même dans ma
vie sociale. Tout doit avoir un sens et être en harmonie avec son environnement. La
femme qui porte du Armani est une individualité subtile dont l’élégance vient de
l’intérieur plutôt que du fait de dévoiler sa poitrine ; elle se meut avec grâce dans une
veste pour homme5. »
Il y a trois éléments fondamentaux dans la vision du monde de Giorgio Armani :
1. Mélange : mêler les réalités : « La mode d’aujourd’hui joue sur plusieurs
niveaux de réalités – les femmes s’habillent de tant de manières différentes.
Donc il ne peut pas y avoir qu’une seule tendance, il faut les mêler6. » Mêler les
modes : « Il n’y a plus une seule tendance mais un mélange de tendances7. »
2. Contraste : contraste des sensibilités à l’intérieur d’une même personne : « Je
pense qu’aujourd’hui, l’homme le plus séduisant est celui qui accepte avec
ironie un certain sentiment d’insécurité et n’a pas peur de le montrer… Je
l’imagine aussi tendre, libre d’exprimer ses sentiments, ses émotions, d’être
timide, et tout ceci constitue une part vitale et précieuse de sa personnalité8. »
Contrastes entre les sexes dans la mode : « Elle voulait une veste homme avec
un tee-shirt en satin de soie en dessous – un mélange très étrange à
l’époque9. » « Une femme élégante sait jouer des contraires, associer les
contrastes… »
3. Harmonie : « Le luxe, aujourd’hui, ce n’est plus une question de montrer sa
puissance aux autres. Il s’agit plus d’une vie en harmonie. D’être en harmonie
avec soi-même, avec sa garde-robe ; l’harmonie doit exister chez soi et dans
les endroits où l’on prend plaisir à être. Oui, l’harmonie doit faire le lien entre
toute chose, c’est ma philosophie10. »
Giorgio Armani oppose la femme-qui-est-elle-même à la femme-qui-se-montre. Ayant
une préférence pour la première, il considère que les vêtements qu’il dessine doivent
mettre en valeur sa personnalité, l’aider à être en harmonie. Ses couleurs devraient
exprimer de la sérénité ; son corps étant en mouvement, ses vêtements devraient
être conçus pour se mouvoir avec elle. Georgio Armani veut habiller des gens qui
sont acteurs de leur propre vie et se considèrent comme libres et autonomes.
Comme il le dit lui-même dans l’un des articles précités : « Imposer une mode, quelle
qu’elle soit, signifie n’avoir aucun respect pour la personne qui porte vos créations.
Personnellement, je fais tout le contraire. Mon but est simple : aider les gens à
distiller, à raffiner leur propre style à travers mes vêtements et éviter d’en faire des
fashion victims. »
Il applique cette philosophie en mélangeant les matières (« Je n’ai inventé aucune
forme, seulement la manière de mêler tissus et forme dans des combinaisons très
originales : cuir et georgette, soie blanche et tweed grossier11 ») ; en utilisant des
couleurs neutres (« Marier deux beiges est quelque chose qui me paraît subtil12 ») ;
en éliminant tout ce qui est superflu (« Moins, c’est plus. ») ; en mélangeant les
centres d’intérêt dans ses magasins (« Je voulais un coin pour la musique, les
journaux et un petit restaurant. J’aurais aussi aimé avoir une galerie d’art. Il faut que
ce soit un lieu de rendez-vous13 ») ; en ayant une conception de l’espace (« Un
quartier de la ville dédié exclusivement à la mode est la pire des choses.14 »).
Ceci explique pourquoi les magasins Armani sont un mélange de tons beiges et gris,
pourquoi les magasins Armani Casa sont des harmonies de brun et de beige et
pourquoi le magasin Emporio Armani à Paris a été le premier à avoir un restaurant,
le Armani Café, qui depuis 2016 s’est « autonomisé » et existe indépendamment de
la boutique avec sa propre ouverture sur le boulevard Saint-Germain. Tous les
concepts des magasins de la marque sont en cohérence avec la vision de la marque.
Le principal problème des marques de luxe est de s’assurer que leur vision
est bien mise en œuvre partout – et de manière cohérente (cf. figure 3.1).
Pour comprendre quel impact ceci a sur la stratégie de merchandising visuel
de la marque, nous suggérons de décomposer les activités d’une marque de
luxe en quatre composantes principales :
• Production de la vision de la marque : ce sont les endroits où le flux
continu d’idées et d’images qui incarnent la vision de la marque (ou la
vision du créateur, s’il est toujours aux commandes) est généré. Des
exemples importants en sont les défilés, les produits eux-mêmes, le
concept de boutique et, bien sûr, le code et l’iconographie de la marque
(son logo, ses produits iconiques, ses couleurs institutionnelles). Ceci
explique l’importance cruciale de la conception des magasins en elle-
même, parce que c’est là (avec le site Web d’e-commerce) que se fait
la rencontre quotidienne entre la marque et le client.
• Circulation de la vision de la marque : une fois créée, la vision de la
marque doit être véhiculée, transmise, mise en circulation. Une clé de
cette circulation est bien sûr la publicité, mais aussi le packaging, les
sacs, l’utilisation d’un « visage » (quelqu’un qui soit en cohérence
avec la marque, pas quelqu’un que l’on choisit parce que c’est la
personne du moment !), les principaux événements organisés par la
marque – un anniversaire, un lancement, une exposition. Nous
songeons par exemple aux diverses stratégies mises en œuvre par des
marques de luxe pour éduquer les clients chinois concernant l’histoire
et l’héritage de la marque, comme l’exposition rétrospective de Louis
Vuitton à Shanghai en 2010 ou les mises en scène de ses artisans faites
par Hermès dans le monde entier mettant en avant le savoir-faire et la
qualité des produits de la marque : « Hermès hors les murs »16.
La production comme la circulation de la vision relève de la
responsabilité directe du directeur de création de la marque et est
mise en œuvre au niveau des magasins par les merchandisers visuels
qui travaillent à la direction de l’image retail (cf. l’étude de cas
présentant l’organigramme de Bally page 79). Le contrôle artistique est
exercé par cette équipe au siège de la marque, où est ainsi développé
un standard de présentation des marchandises et où sont conçus les
visuels des vitrines. Elle peut même composer une musique originale
pour la diffusion en magasin17.
• La chaîne d’approvisionnement : une fois que la vision de la marque
existe et a été mise en circulation, l’ensemble de la chaîne
d’approvisionnement doit être organisé de manière cohérente et en
phase avec cette vision. Ceci signifie par exemple que les nouveaux
produits dont la publicité est faite doivent être livrés aux magasins
avant que le message publicitaire ne parvienne au public, et non pas
après, auquel cas on perd des ventes et l’image de la marque est
affectée négativement.
Exemple
Un des auteurs de cet ouvrage a été témoin de ce type de dommages causés à une
marque lorsqu’il était DRH chez Bally. Lors d’une réunion du comité de direction, le
directeur artistique s’est emporté : « Où sont les nouveaux sacs ? Nous avons
redessiné toute l’identité de la marque. Nous avons un nouveau concept pour les
magasins. Nous avons un nouveau packaging mais les nouveaux sacs ne sont pas
dans les magasins. Où sont-ils ? »
Personne ne le savait.
Quelques jours plus tard, en visitant un entrepôt, il voit au sol d’immenses paquets.
« Qu’est-ce que c’est ? » demande-t-il au responsable logistique. « Les sacs. »
« Mais on les cherche partout ! Pourquoi ne sont-ils pas en magasin ? » « Parce
que je n’ai pas leur code – vous savez que je ne peux rien expédier sans code ! Et
la direction informatique me dit qu’ils ont tellement de travail en retard qu’ils n’ont
pas le temps de générer un code pour des articles gratuits ! » (Bienvenue dans
l’univers des problèmes de gestion quotidienne qui viennent perturber la cohérence
d’une marque.). Aujourd’hui un tel problème pourrait être résolu par une société
comme Infinity Global, laquelle se charge de faire fabriquer et de distribuer à tous
les magasins d’une grande marque tout le matériel de merchandising : la raison
d’être de ces sociétés est de livrer en temps et en heure mondialement
les magasins d’une marque.
Cas d’entreprise
Luxe et savoir-faire exposés dans les boutiques en Chine
En partenariat avec la chambre française de commerce, Hong Kong a accueilli en
2010 « Boutique Boulevard : So Lush, So Central » – le rendez-vous des marques de
luxe à Hong Kong.
Du 14 au 23 mai, les marques les plus célèbres ont organisé une série de rencontres
avec des professionnels du luxe qui ont pu exposer leur savoir-faire aux yeux de
leurs nombreux fans à Hong Kong, et partager avec eux leur univers d’exception.
L’événement a commencé avec une soirée réservée aux happy few qui avait lieu
dans le secteur le plus dynamique de Hong Kong, le Central District. L’itinéraire
conduisait les invités à travers le quartier, reliant les divers centres commerciaux
dédiés au luxe et laissant chacun flâner d’une boutique à l’autre en découvrant :
– un atelier (« Scent & Sensibility ») proposé par Guerlain et animé par un des
créateurs de L’Instant by Guerlain, Mme Sylvaine Delacourte, qui montrait
pourquoi et comment porter un parfum ;
– un atelier dédié à l’art du (double) rasage, présenté par le barbier du prestigieux
Mandarin oriental, Angel Gonzales ;
– les conseils du très estimé sommelier français Pierre Legrandois ;
– des ateliers de confection et de présentation avec des conseils sur la mode et
l’étiquette, proposés par un certain nombre de marques, de Dunhill et Tiffany à
Armani, Cartier et Gucci en passant par Louis Vuitton.
L’événement faisait également écho à l’exposition Savoir faire organisée du 30 avril
au 2 mai par Dior à Hong Kong pour sa nouvelle collection de bijoux Rosewood.
Organisée pour la première fois à Paris l’année précédente, cette exposition avait
contribué à asseoir ces pièces uniques de joaillerie en tant qu’expression de
l’expertise et de la passion créatrice de Dior.
Encouragée par le succès de l’événement parisien, la marque a envoyé trois
artisans-joailliers à Hong Kong pour y faire la démonstration de leur expertise et y
présenter la nouvelle collection Rosewood, conçue par Victoire de Castellane, et
comprenant 13 pièces qui rendaient hommage aux fleurs préférées de Christian
Dior : les roses de son jardin à Milly-la-Forêt.
De la même manière, Montblanc organisa une exposition présentant la dimension
historique et artisanale de la marque à Shanghai en avril 2014 et Hermès mit en
scène ses artisans dans une exposition itinérante mondiale, le Festival des métiers,
devenue « Hermès hors les Murs ».
D’où vient l’obsession que semblent avoir les marques de luxe pour ce
genre d’événements ? Quels avantages en retirent-elles ?
Ce type d’« opération séduction » qui présente le savoir-faire des
marques les plus prestigieuses est très apprécié en Asie. En effet, avec le
nombre croissant de nouveaux riches chinois, les marques de luxe tentent
d’enseigner à leurs clients actuels et à venir les valeurs sur lesquelles leur
réputation en Europe est fondée. Ces valeurs, ce savoir-faire, cette expertise
et la démonstration des gestes méticuleux de leurs artisans les plus qualifiés
assoient leur légitimité – et celle des prix pratiqués par les grandes maisons.
L’exposition des procédés de fabrication, l’immersion dans l’histoire et la
découverte de l’univers de la marque sont complètement liées. Une fois le
client convaincu que le produit est bien fait et de qualité, il faut le
convaincre d’adhérer à l’image de la marque et à ce qu’elle renvoie. Ce
processus prend plus de temps qu’un simple acte de séduction, mais s’il
réussit, la fidélité du client en découlera et il sera convaincu d’avoir placé
sa confiance dans une marque de qualité qui reflète étroitement ses propres
valeurs.
En outre, organiser des opérations commerciales de cette envergure peut
également attirer une couverture médiatique considérable et faire de villes
comme Hong Kong, Shanghai ou Seoul des points de rendez-vous pour le
luxe en Asie. En fait, la Chine et Hong Kong sont en général assez friands
d’événements promotionnels spectaculaires qui créent un buzz. Dans un
environnement où il s’agit toujours de montrer le meilleur, les marques de
luxe essaient généralement, en Asie, de faire preuve de plus d’imagination
que leurs voisines et s’efforcent sans cesse de placer la barre toujours plus
haut pour ces événements – Chanel (Croisière Automne 2010), Dior
(Printemps-Été 2013) et Louis Vuitton (Automne-Hiver 2012-2013) ont par
exemple présenté leurs collections à Shanghai sur le Bund.
Bien que les marques de luxe n’attirent pas toujours de clients dans le
sillage immédiat de ces événements, elles auront tout de même initié le
processus chez quelques-uns d’entre eux. Les visiteurs qui viennent par
curiosité et qui ne correspondent peut-être pas au cœur de la clientèle ciblée
par les marques, n’en sont pas moins susceptibles d’être fascinés par
l’univers d’une marque et d’en devenir clients dès qu’ils le pourront. Cette
approche préliminaire à une clientèle moins familière du luxe contribue
aussi à démystifier l’accès à certaines de ces marques célèbres, qui peuvent
souvent être perçues comme intimidantes.
© Michel Gutsatz
© Michel Gutsatz
Exemple
En 2012 : les deux devantures occupent environ la même largeur mais franchir le
seuil de la boutique Guerlain peut être intimidant : il y a d’abord une lourde porte
derrière laquelle se tient un gardien ; l’entrée est flanquée de deux vitrines
traditionnelles à travers lesquelles le client peut voir qu’il s’agit d’un magasin plutôt
petit dans lequel peuvent se trouver quatre vendeurs (cf. figure 3.2). L’effet global
est très intimidant.
Sephora, au contraire, est un véritable portail ouvert sur l’avenue, avec une pente
douce qui vous entraîne vers l’intérieur de la boutique. Le gardien est positionné de
façon très discrète et il y a un flux constant de visiteurs qui entrent et sortent : il n’y
a aucune barrière à l’entrée (cf. figure 3.3). Par conséquent, on retrouve à l’intérieur
des clients qui n’entreraient jamais chez Guerlain à côté. Et ils achèteront
probablement leurs parfums et leurs cosmétiques Guerlain chez Sephora !
© Michel Gutsatz
« C’est un projet exceptionnel, confiait Muccia Prada dans une interview à WWD. Nous
pensons que beaucoup de marques aujourd’hui ont des magasins qui sont tous identiques – et
c’est simplement ennuyeux. Nous avons souhaité développer un magasin expérimental et poser
la question : “Qu’est-ce que le shopping ?” Nous savons qu’aujourd’hui, les clients aiment
faire du shopping, que c’est devenu une forme de socialisation et de communication. »
« Le risque du nombre, c’est la répétition. Chaque nouveau magasin diminue l’aura globale et
contribue à créer un sentiment de familiarité. Le risque associé à l’échelle, c’est le syndrome du
porte-étendard : une accumulation mégalomaniaque des évidences, qui tend à éliminer ce qui
peut rester d’éléments de surprise et de mystère liés à la marque, et à l’emprisonner dans une
identité “définitive”. Mais la croissance peut aussi être l’occasion de redéfinir la marque, en
introduisant deux types de magasins – le typique et l’unique – le magasin épicentre devient un
mécanisme de renouvellement de la marque en agissant à contre-courant et en déstabilisant
toute notion préconçue de ce que Prada est, fait ou sera. Le magasin épicentre fonctionne
comme une vitrine conceptuelle : un moyen de diffuser les orientations futures, qui rayonne
positivement sur la masse plus grande des magasins standard18. »
Typiquement, les magasins amiraux peuvent être cinq à huit fois plus
grands que les magasins standard, s’étendre sur beaucoup plus que le
traditionnel rez-de-chaussée et comprendre autre chose qu’un simple
magasin. Le porte-étendard de Chanel à Tokyo Ginza, qui a ouvert en 2005,
possède 10 niveaux. Comme le rapporte Architectural Record :
« Fonctionnant comme une enseigne du XXIe siècle, l’immeuble est un rendu conceptuel du
tweed classique de Chanel, d’après l’architecte en chef Peter Marino. L’objectif premier de
l’équipe était de créer une icône architecturale contemporaine exprimant l’ethos de Chanel.
Avec ses 65 mètres de haut, le bâtiment est le plus haut du quartier commercial de Ginza. Parmi
les dix niveaux, on trouve une boutique Chanel sur 3 niveaux, un espace d’exposition et de
concert au 4e niveau, des bureaux à louer aux étages supérieurs, un restaurant gastronomique à
l’étage noble et un toit-terrasse paysagé et multifonctions19. »
« Les règles du luxe sont claires. L’espace et ce qu’on désigne comme “une utilisation
extravagante de l’espace libre” définissent une expérience de luxe. En disposant d’espaces
commercialement inactifs, nous envoyons un signal d’exclusivité, de luxe et d’extravagance qui
est au cœur du luxe20. »
« La presse a besoin d’un lieu pour se lier à une marque. Quand nous avons fermé notre
magasin, ça a été comme si nous avions été effacés des mémoires des journalistes. C’était
incroyable : peu importait ce que nous faisions, nous n’avions tout simplement plus
d’importance pour eux. Il nous a fallu rapidement renverser notre décision parce que l’impact
d’une non-couverture médiatique est purement et simplement terrible pour le chiffre d’affaires
d’une marque de luxe22. »
« Il est très clair pour nous que le magasin amiral a un rôle important à jouer dans le
développement des ventes en gros. Quand nous avons ouvert un flagship à Shanghai, l’impact
sur nos ventes en gros a été incroyable. Si nous rénovons nos flagships, nous savons également
que nous attirerons plus de cent nouveaux intermédiaires grâce à cela23. »
« Pourquoi d’après vous est-ce que je choisis de mettre dans la vitrine homme des chaussures
rouges ou bleues ? Parce que ceci attirera des clients dans le magasin, qui repartiront avec une
paire de chaussures noires ou marron ! »
Dans l’art de bien vendre, les vitrines jouent un rôle très important : c’est
le premier contact visuel entre le client d’un côté et la marque et ses
produits de l’autre. Les vitrines peuvent arrêter les passants dans leur course
et les attirer à l’intérieur du magasin.
Exemple
Un jour, l’un des auteurs marchait dans le quartier de Soho à New York quand ses
yeux furent attirés par… une vitrine vide. De l’autre côté de la rue, en face de lui, se
trouvait en effet une boutique avec une vitrine vide. C’était le contraire de tout ce
qu’il avait en tête en termes de merchandising visuel, aussi décida-t-il de traverser
la rue. En s’approchant, il commença peu à peu à voir ce qu’il y avait à l’intérieur,
puis une fois devant la vitrine, il eut une vision complète de ce qui se passait dans
le magasin ! Voilà un exemple fascinant de la manière dont une marque, au début
des années 2000, est passée maître dans l’art de nouer les mille liens qu’une vitrine
peut tisser avec un passant : le Pleats Please de Issey Miyake faisait appel à un
verre issu d’une nouvelle technologie pour étonner et attirer l’attention sur la
marque et ses produits.
Cas d’entreprise
Organigramme de la direction de l’image retail chez Bally
L’équipe de direction de l’image retail comprenait à la fois une équipe mondiale et
des équipes régionales, chargées de mettre en œuvre dans chaque magasin les
orientations décidées au niveau global de l’entreprise.
■ Commentaires du MV
– « Le magasin présente bien. »
– « Les blocs commandés lors de notre précédente visite ont été livrés. »
– « Nous avons revu la disposition, ce qui améliore le nombre d’options de
présentations. »
– « X a été d’un secours précieux et nous aimerions qu’elle soit la
merchandiseuse visuelle pour ce magasin. »
Les magasins-épicentres de Prada et tous les magasins amiraux des marques
sont des exemples de magasins « waouh ». Mais sont-ils autre chose que
l’incarnation de tentatives par une marque d’impressionner d’autres marques ? Ne
peuvent-ils être vus comme une nouvelle étape dans une escalade d’assauts
visant à reconquérir l’attention déclinante des clients ? Koolhaas contre Gehry (qui
réalise la Fondation Louis Vuitton ouverte à Paris en 2014), ou Marino contre
Future Systems, ne sont peut-être qu’un avatar, coûteux, de la guerre des
marques. Le client n’est-il qu’un otage d’une « spirale ascendante dont le
mouvement tend à éliminer le client lui-même de l’équation – pour finir par n’être
plus que directeurs artistiques parlant aux autres directeurs artistiques et designers
aux designers. Le client est devenu de plus en plus un spectateur de ces jeux du
cirque plutôt que leur point focal25. » ? Notre position ici est que l’attention
consacrée sans compter par les marques de luxe aux concepts et au
merchandising visuel dans leurs magasins – si important que cela puisse être,
comme nous l’avons vu – ne doit pas être l’alpha et l’oméga. Si la qualité de
service n’est plus au centre des préoccupations, le client sera hors-champ, sauf
pour dire à quel point il est impressionné par un magasin qui, in fine, n’est rien
d’autre que décorum.
L’essentiel
►► Les marques de luxe sont devenues depuis trente ans des retailers et le
choix d’un concept architectural est un geste important de l’identité de marque.
►► Les formats de boutiques évoluent vers des espaces de plus en plus
grands et de plus en plus ouverts, de manière à ne pas créer de barrière à
l’entrée.
►► La vitrine est un lieu privilégié d’expression de la marque – où l’émotion doit
être créée avec un très fort impact sur le client/prospect.
Chapitre 4
« Les pages produits des marques de montres et de joaillerie sont très décevantes. Bien que la
moitié présente des images en gros plan, seulement un tiers présente des angles de vue
différents, un quart du contenu interactif et moins d’un cinquième ont des outils permettant de
comparer plusieurs options. »1
Cas d’entreprise
Le cas Farfetch
Connaissez-vous Lauren Santo Domingo ? Ancienne rédactrice en chef de Vogue,
elle a fondé en 2011 le site Modus Operandi, lequel se présente comme le premier
« pre-tailer » – un lieu où les consommateurs peuvent précommander tous les styles
repérés lors des défilés de mode. Modus Operandi a levé $165 millions de
financement fin 2017.
Connaissez-vous « The Real Real » ? Il s’agit d’une place de marché internet qui
vend des objets de luxe (authentifiés) de seconde main. Fondée en 2011, elle a levé
un financement de $173 millions en 2017 et vient d’ouvrir sa première boutique à
New York.
Les nouvelles plateformes du luxe se développent rapidement sur internet – et les
investisseurs abondent. Mais la plus intéressante et la plus développée actuellement
est à l’évidence Farfetch. L’idée de départ de José Neves (2008) est très simple : il
existe de nombreuses boutiques multimarques de luxe dans le monde qui
souhaiteraient élargir leur clientèle et disposer d’outils de vente online beaucoup plus
sophistiqués que ceux qu’ils auraient (éventuellement). Farfetch leur apporte une
réponse : c’est une plateforme de mise en relation entre ces boutiques multimarques
(qui y présentent leur offre) et des clients mondiaux à la recherche de produits
d’exception. La boutique dispose ainsi à la fois d’outils sophistiqués de vente
(comme une app et une sécurisation des échanges) et d’un accès à une base de
données clients. Farfetch prélève une commission sur chaque vente (environ 25 %),
la boutique se chargeant des expéditions (et des retours). Le stock reste donc dans
la boutique, laquelle ne se contente plus de mettre son offre en ligne : les plus
avancées achètent en fonction de la nouvelle clientèle qu’ils atteignent ainsi (et
Farfetch peut représenter jusqu’à 45 % de ses ventes). Le site regroupe maintenant
524 boutiques (décembre 2018) dans plus de 40 pays et propose plus de 200
marques différentes. Farfetch assure la partie merchandising afin d’avoir un « look »
unique et homogène. De fait les clients accèdent aux produits – sans que ceux-ci ne
soient liés à une boutique spécifique. Le lien ne se fait qu’au moment de l’achat.
Toutefois la plateforme permet du « click and collect », offre des livraisons le même
jour dans plus de dix villes et permet à un client de retourner un produit dans un
autre point de vente que celui où les clients ont acheté. Le modèle a sensiblement
évolué, les marques elles-mêmes intégrant la plateforme en 2015 (plus de 75
marques de luxe étaient présentes sur Farfetch fin 2016 et Burberry y est entré en
2018). Farfetch est maintenant, avec un chiffre d’affaires de plus de 700 millions
d’euros, un acteur incontournable de la vente de luxe sur internet – associant
l’ensemble des canaux de vente monomarques et multimarques sur une même plate-
forme.
L’actionnariat de Farfetch s’est aussi élargi : au-delà des fonds d’investissement, on
trouve Conde Nast, JD.com (depuis 2017 – qui lui ouvre le marché chinois et lui
permet de bénéficier de l’expertise logistique de JD) et Chanel depuis 2018 (sans
vendre ses collections directement sur Farfetch). Le partenariat entre Chanel (qui n’a
toujours pas de vente en ligne) et Farfetch permet à la marque de proposer à ses
clientes ayant téléchargé l’app Farfetch d’être identifiées dès leur entrée en boutique
et de bénéficier d’un service sur-mesure en fonction de leur historique d’achat. Ainsi
Farfetch va permettre à Chanel de bénéficier de son savoir-faire technologique pour
répondre aux attentes de ses clientes connectées.
Le dernier acte en date est l’annonce de l’ouverture de boutiques physiques
Farfetch : Store of the Future. Les outils technologiques qui y sont mis en place sont
au service du client ET de la collecte de données : une identification de la cliente (via
un identifiant universel), des miroirs digitaux permettant de mettre à disposition tous
les produits recherchés par la cliente, un système de paiement mobile (comme chez
Apple), un système de puces RFID permettant d’identifier les produits que la cliente
regarde sur les portants. Un des objectifs est de libérer les vendeurs et vendeuses
de la gestion de l’inventaire et des tâches administratives pour les concentrer sur le
service. Farfetch prévoit ainsi un réseau de 1 000 Stores of the Future – ouverts par
des partenaires (les boutiques partenaires actuelles ou d’autres) auxquels Farfetch
offre sa technologie (pour en faire un lieu de service de luxe) en échange de la
collecte des données (ces partenaires pourront aussi compléter l’offre technologique
avec de nouvelles apps). Un véritable écosystème de partenaires. Comme le dit José
Neves : « Les données clients, c’est de l’argent et j’en attends un retour… Quand
vous obtenez d’une cliente qu’elle partage ses données avec vous, vous avez acquis
de la poudre d’or. »
À partir de 2005, les marques traversent alors les trois autres phases,
lesquelles sont toutes marquées par une vision organisationnelle où l’e-
commerce est soit externalisé (comme chez Yoox par la plupart des
marques italiennes), soit développé en interne et intégré à la direction
commerciale. Dans le premier cas, le marketing digital est confié au
partenaire, la marque conservant le marketing « boutiques » et les deux
étant alors disjoints. Dans le second cas, la communication digitale (et les
médias sociaux) est rattachée au département communication et la vente à
la direction commerciale – et se déploie en parallèle. On constate ainsi que
se met en place une organisation en silos à laquelle le client n’est pas
intégré.
C’est à cette période qu’apparaissent et se succèdent trois nouveaux rôles
donnés au site Internet :
• Rôle 2 : un site institutionnel. Il s’agit du type de site où une marque
peut présenter son essence, son histoire, ses événements et ses
collections sans jamais entrer en contact avec ses clients. En ligne,
ceux-ci sont maintenus à distance par les marques de luxe dont la
relation avec le Web est de nature « aristocratique » – du haut vers le
bas : « Révérez notre marque. » L2 montre qu’en 2010, seules 39 des
72 marques étudiées avaient un site d’e-commerce (contre 32 en
2009) : près de la moitié des marques de luxe en étaient toujours à ce
stade de leur développement en ligne… alors qu’elles sont présentes
sur les réseaux sociaux.
• Rôle 3 : un site d’e-commerce. Une fois Internet reconnu comme
canal de distribution à part entière, les marques incluent dans leur site
institutionnel un site de commerce en ligne (c’est là que les yoox.com
du monde entrent en jeu). Plus de la moitié des marques de luxe en
sont aujourd’hui à cette étape de leur développement en ligne (cf.
l’étude du cas Hermès plus bas). Les marques qui vendent en ligne ont
alors plus de chances d’être présentes sur de multiples plateformes, de
revendiquer une communauté plus vaste et d’interagir plus
fréquemment avec leurs fans et autres followers. Les marques
présentes dans le commerce en ligne sont également de meilleurs
marketeurs numériques et ont plus facilement recours au courrier
électronique et au sponsoring de résultats de recherche pour générer du
trafic vers leur site et leurs boutiques3. Cela les mène directement à
donner à Internet le 4e rôle.
• Rôle 4 : Internet est un réseau où commerce, communication et
présence sur les réseaux sociaux doivent être combinés. Toutes les
marques de luxe rompues à l’utilisation d’Internet ont évidemment pris
le train des réseaux sociaux. Elles ont toutes des pages Facebook, des
comptes Twitter, des applications sur iPhone et iPad : 90 % des
marques étudiées par L2 étaient sur Facebook en 2010 (contre 79 % en
2009), 48 % étaient sur Twitter, 55 % sur YouTube et 39 %
proposaient des applications pour smartphones. Si elles multiplient les
points de contact, les marques ne font pas connaissance avec leurs
clients, elles n’échangent pas avec eux. Elles contrôlent toujours la
relation et le message – et bien souvent, leur présence dans les médias
sociaux laisse à désirer, comme nous le verrons plus loin.
Cas d’entreprise
L’évolution de la conception des sites Web dans le luxe :
l’exemple de Hermès
L’évolution récente du site hermes.com est un parfait exemple des évolutions que
nous venons de décrire : il est en effet passé en 2018 d’une conception centrée sur
l’image de la marque à une conception centrée sur la vente.
■ Créer un site Web en cohérence avec l’image de la marque
Les marques de luxe sont confrontées à une question majeure lorsqu’elles atteignent
la phase du e-commerce : créer un site Internet qui soit totalement en cohérence
avec les valeurs de la marque et l’image de la marque. Le « meilleur de la classe »
est ici incontestablement Hermès.
Hermès est une marque qui sait prendre son temps : son site de commerce en ligne
n’a ouvert qu’en 2008. Le site est un reflet merveilleux de l’intelligence de la marque.
Dès l’abord, la page d’accueil pose les éléments fondamentaux de l’esthétique de la
marque, qui sont chacun des références à la « vision globale » (l’éthique) de la
marque :
– Un logo décentré, légèrement incliné. Là où tant de marques affichent leur logo
en grand, de manière presque agressive, Hermès n’a pas besoin d’affirmer sa
présence.
– L’utilisation du dessin et de l’écriture : Hermès est une marque qui attache de
l’importance au fait-main, au geste – celui de l’artisan comme celui du designer.
– Une atmosphère à la fois romantique et non conventionnelle : Hermès caresse
l’imagination de ses clients.
– L’utilisation de la couleur orange et de la boîte orange, emblématiques de la
marque.
– Les pointillés discrets que l’on voit sur toutes les pages (utilisés pour séparer les
zones des pages Web) – le point sellier – symbole de son cœur de métier.
La page suivante montre le cocher, descendu de voiture. Il vient livrer nos achats et,
ce faisant, nous conduit dans le monde d’Hermès. Vous découvrirez le sens du mot
« sabrer » (couper/trancher avec une épée), et le travail de la « sabreuse » ; la
symphonie des outils ; vous êtes invités à vibrer à la vue des carnets Hermès de la
baronne Nica de Koenigswarter, à découvrir le petit tricycle de Napoléon III, pièce de
la collection Émile Hermès, et bien, bien plus… Le site offre une déambulation
poignante et exceptionnelle à travers le monde des artisans, des matériaux et des
anecdotes de la marque.
En avançant vers la boutique, escortés par une forêt de liens qui se délient au fil des
mouvements de la souris, nous découvrons des dessins, des inscriptions et les
produits présentés dans un arrangement en quinconce.
Ce site est une véritable fête des sens. L’œil aussi bien que l’oreille sont captivés : la
marque y exprime sa vision du monde, son éthique tout comme son esthétique. Ses
produits sont bien présentés ; l’acte d’achat émane directement de l’émotion
ressentie lorsqu’on parcourt le site – même si la gamme de produits vendus en ligne
est très limitée (et d’aucuns pourraient trouver ceci frustrant).
■ 2017-2018 : créer un nouveau site dédié à la vente
En 2017, lors de la présentation des comptes 2016, le PDG d’Hermès Axel Dumas
annonce la création d’un nouveau site Web et déclare qu’il préfère « miser sur la
vente en ligne plutôt que sur un nouveau site institutionnel ». Il ajoute vouloir
l’optimiser afin d’offrir à ses clients une expérience unique : « Pour mieux restituer la
magie d’Hermès, nous avions décidé de faire un site où les gens se perdent.
Résultat : les personnes s’y sont vraiment perdues.6 »
Le nouveau site hermes.com, testé aux États-Unis, est étendu début 2018 à
l’ensemble de l’Europe. La différence est frappante : c’est devenu un site de ventes
en ligne (comme il en existe de nombreux) où les codes de la marque sont à peine
perceptibles, mais où la navigation client est optimisée (avec la colonne gauche
permettant de sélectionner les prix, catégories, produits recherchés – à la Sephora).
Les clins d’œil à la marque subsistent mais sont bien moins nombreux : le client ne
doit pas « se perdre » en dehors de l’objectif premier : vendre. La marque va
maintenant raconter son histoire et établir une conversation avec ses clients ailleurs
– via les apps ou sur les médias sociaux.
Le cas Hermès illustre bien notre propos : les marques de luxe ont très
fortement évolué ces dix dernières années et elles ont aujourd’hui intégré
internet dans leurs stratégies. Toutefois la pression des grandes plateformes
multimarques va se faire sentir de plus en plus et les enjeux vont maintenant
tourner autour de l’expérience client et du contrôle de la donnée client.
L’essentiel
►► Les marques de luxe, après avoir négligé le rôle d’Internet, en font
maintenant un élément essentiel de leur stratégie de distribution et de
communication.
►► Les grands groupes de luxe se positionnent sur les plateformes de vente
Internet et en font un élément stratégique essentiel.
►► L’enjeu des années à venir va être de mettre le client au centre – et donc
de concevoir une nouvelle expérience client : le client doit pouvoir passer d’un
point de contact avec la marque à un autre sans rupture (seamless).
Partie 2
Connaître et comprendre
le client
Chapitre 5
Toutes les études récentes sur les schémas suivis par les internautes (le
parcours client ou customer journey) montrent qu’ils :
– vont sur Internet chercher des informations ;
– puis se déplacent vers des forums, en se concentrant sur leurs sujets
d’intérêt ;
– et finissent par aborder des gens avec qui ils partagent des centres
d’intérêt et des passions.
Conclusion : les gens ont des passions dont ils suivent le fil sur le net, où
ils finissent par les partager avec d’autres internautes – le Web est un
monde de communautés (et en Chine encore plus qu’ailleurs !). Il y a ainsi
des groupes Facebook d’amateurs de vin, de passionnés de parfums,
d’aficionados des montres…
L’investissement d’un membre dans une communauté dépendra de deux
facteurs :
• La relation que la personne noue avec le cœur de l’activité en ligne de
la communauté : plus cette activité est centrale dans l’image que
l’individu a de lui-même, plus il a de chances de rechercher et de
chérir l’appartenance à cette communauté.
• L’intensité des relations sociales que l’individu entretient avec les
autres membres de la communauté.
Quatre types de membres de communauté peuvent être définis1, comme
on le voit sur la figure 5.4.
Cas d’entreprise
L’exemple de Krug et Sephora
Ces histoires sont anciennes, à l’échelle d’Internet ou même du temps des marques,
mais elles sont toujours formidablement édifiantes : chaque marque de luxe doit les
méditer pour comprendre le potentiel que représente le Web pour la construction
d’une relation client.
■ Voici les « krugistes »
Vers la fin de 1998, Remy Krug, PDG de Champagne Krug, était invité à une cyber-
dégustation de champagne par Wine Spectator. Il dit à un des auteurs : « C’est une
idée de ma fille. Mais je ne la trouve pas très bonne. Le champagne est fait pour être
partagé ! »
À sa grande surprise, des centaines d’amateurs de Krug étaient connectés – avec
une bouteille de Krug, parfois seuls, parfois en groupes – prêts à l’accueillir, prêts à
partager avec lui leur connaissance et leur passion de la marque et de ses produits.
« Ce fut une expérience unique », déclara-t-il.
Le Web déborde d’émotions.
■ Voici les « Sephora-cooliques »
Sephora a ouvert sa première boutique américaine à Soho en juillet 1998.
En décembre 1998, sur le site d’Alt fashion, les gens écrivaient : « À quand un
Sephora à Minneapolis ? Je suis Sephora-coolique ! »
C’est pour désigner des choses importantes que l’on invente des mots : avoir forgé
un mot montre quelle relation les gens peuvent nouer avec une marque ou un
commerçant.
Le Web regorge d’émotions.
Il faut être deux pour dialoguer. Le Web devrait être utilisé pour créer une
conversation non commerciale avec les clients, sur des sujets tels que des
conseils pratiques, à travers des forums et d’autres services en ligne. C’est
une des meilleures manières de susciter un sentiment d’appartenance.
Exemple
Exemple
Lorsqu’ils ont entrepris de rénover leur image sur Internet, les dirigeants du Forum
économique mondial de Davos ont publié des photos et des vidéos, tirées de leur
immense base, sur Flickr et YouTube. Certaines ont été immédiatement détournées
– en particulier par les opposants politiques de certains leaders représentés. Mais
ceci a contribué à accroître la crédibilité du forum.
Il s’agit d’un point clé : la plupart des marques ont développé des
segmentations de leur clientèle fondées trop souvent sur des indicateurs
démographiques ou de vente… mais il existe encore des marques
prestigieuses qui considèrent la segmentation client comme un outil réservé
aux marques de masse ! Les pratiques les meilleures suggèrent néanmoins
de faire des segmentations complexifiées qui tiennent compte des niveaux
d’engagement ou d’investissement des clients vis-à-vis de la marque ainsi
que de leurs besoins.
Exemple
Ceci montre que les dépenses augmentent au fur et à mesure que les
consommateurs montent dans la pyramide – et la marque s’implique de
manière différente selon les segments.
Ces segmentations sont encore plus riches quand on les aborde sous
l’angle des buyer personas : la marque construit les profils types de ses
clients en identifiant chacun à l’aide d’informations comportementales. On
y trouve ainsi, outre le profil démographique type : ce qu’ils disent de la
marque et de sa catégorie ; ce qu’ils ressentent ; ce qu’ils font ; leurs
attentes et leurs désirs ; leur profil de consommation ; leurs frustations ; des
mots-clés leur correspondant2.
Les pure players sur Internet ont mis au point cette règle qui, étonnamment,
est nouvelle dans l’industrie : toujours mesurer les résultats d’une action,
quelle qu’elle soit. On lance un projet (un jeu, un emailing…) et on constate
rapidement s’il fonctionne ; on en mesure les résultats (Google Analytics et
Facebook Ads Manager fournissent des outils en ce sens). Si le projet
n’atteint pas les objectifs espérés, on l’arrête ou on en modifie les éléments
(ce que les marketers digitaux appellent A/B Testing) : on modifie l’intitulé
d’un mail, on déplace un bouton d’action, etc.3
La plupart des marques ayant une activité en ligne utilisent par exemple
les Net Promoter Scores (NPS) qui permettent de compter les promoteurs
(des avocats de la marque par exemple) et de comparer leur nombre avec
les détracteurs (ceux qui se plaignent de la marque). Ceci est assez
important : la plupart des marques ne font que mesurer un taux de
satisfaction globale et se satisfont de taux supérieurs à 85 %. Or, toutes les
études montrent qu’un bon indicateur doit mesurer à la fois le taux
d’approbation et le taux de réprobation de la marque, et conduit à la fois à
une mesure du niveau de fidélité ainsi qu’à une économie de la
recommandation : quel est le niveau de fidélité d’un client et recommande-
t-il (ou décrédibilise-t-il) la marque à d’autres clients ?
Exemple
Lego utilise les NPS pour mesurer la capacité de la marque à promouvoir des taux
de recommandation différenciés. Quatre dimensions sont prises en compte :
expérience produit (achat immédiat), expérience en ligne, expérience en magasin et
expérience du service clients.
Méthode : la marque doit mettre sur pied en interne une solide équipe ayant
les capacités de créer et maintenir un lien transversal entre les services et les
silos organisationnels. On peut même imaginer que l’ensemble des
fonctions digitales (e-commerce, bases de données digitales et marketing
digital) soient regroupées au lieu d’être dispersées entre commercial et
communication (comme chez YNAP). Il faut savoir aussi :
– identifier des segments de clientèle et en déduire des personas
(règle 3) ;
– gérer des Facebook ads (et construire le site d’e-commerce en
conséquence) ;
– gérer des e-mailings par segments de clientèle ;
– faire du A/B testing ;
– analyser et mesurer toutes les actions menées (règle 4) ;
– entretenir la conversation avec les clients.
Quand il est question de tout ce qui touche à Internet, quelques règles
élémentaires doivent être observées :
• Agir rapidement.
• Entrer dans la conversation.
• Entretenir le dynamisme et l’intérêt des canaux.
• Développer son empreinte numérique.
• Créer des canaux de communication anticipant ainsi une crise (qui
arrivera).
Ceci nécessite un réel investissement en interne : il faut que des
employés s’impliquent sur les réseaux sociaux et il faut embaucher un
community manager professionnel. Il ou elle est un ambassadeur de la
marque, clairement en charge de son image – particulièrement dans les
périodes de crise.
Exemple
Sur le compte Twitter de Kenneth Cole, un tweet signé par le créateur lui-même (ou,
du moins, « une personne autorisée ») le 3 février 2011 disait : « Des millions de
manifestants au #Caire. La rumeur dit qu’ils ont appris que notre nouvelle collection
printemps était disponible sur http://bit.ly/KCairo-KC. »
C’était en plein milieu de la révolution égyptienne. Des dizaines de milliers de
manifestants se rassemblaient chaque jour place Tahrir pour exiger une vraie
démocratie ; et voilà qu’en plein dans ces événements, cette marque de mode
américaine tente de récupérer le mouvement au profit de sa propre communication.
Ce tweet a fait le tour d’Internet, déclenchant de vives critiques autant que des
messages d’approbation. Soudain, le monde virtuel était partagé : d’un côté, ceux
qui trouvaient le tweet du plus mauvais goût, critiquant l’irresponsabilité de la
marque ; de l’autre, des fans (surtout américains), qui trouvaient le message
amusant et réaffirmaient leur fidélité à la marque.
Kenneth Cole, après avoir admis (à demi-mot) qu’il ne souhaitait pas offenser les
Égyptiens, publia finalement des excuses (tout aussi discrètes) sur Facebook.
Règle 6 : les réseaux sociaux par eux-mêmes ne font
pas vendre
Les médias sociaux doivent faire partie intégrante d’une stratégie globale
visant à développer la conscience de la marque, l’image de la marque, la
relation-client – et in fine à VENDRE.
Internet, ce n’est pas seulement avoir un site institutionnel, une boutique
en ligne, un blog, un compte Twitter, une page Facebook, un compte
YouTube, d’envoyer des courriers ou autres messages électroniques : il
s’agit d’utiliser tout ceci de manière intégrée. Toutes les initiatives de la
marque doivent être intégrées, frappées du sceau de la marque et
cohérentes.
Les marques de luxe doivent prendre conscience que leur « terrain de jeu
digital » (pour reprendre l’expression d’Exane BNP Paribas) va ne faire que
s’étendre et doit être perçu comme un tout.
Figure 5.5 – Le terrain de jeu digital
Cas d’entreprise
Quand les marques (se) saisiront-elles (de) l’aspect
« social » des réseaux sociaux ?
Même si elle est ancienne, cette étude s’avère révélatrice de l’attitude que les
marques ont souvent vis-à-vis des médias sociaux.
Dans une étude menée par A.T. Kearney en 20116 sur les cinquante premières
marques mondiales tous secteurs confondus (selon Interbrand), 1 115 messages
publiés par les clients sur Facebook ont été analysés, avec 60 750 réponses
analysées parmi les 45 premières marques, représentant un total de 70 016 541 fans
pour les cinquante marques. Les résultats sont fascinants :
– Cinq de ces marques ne sont pas présentes sur Facebook.
– Sept – dont Gucci et Louis Vuitton – n’autorisent que les conversations initiées
par la marque.
– Une seulement offre aux fans un mur Facebook ouvert – les 45 autres
choisissent d’abord de restreindre clients et fans à une sélection (filtrée) de
publications institutionnelles !
Ceci signifie que ces marques (parmi lesquelles des marques de luxe) utilisent les
médias sociaux comme une variante du marketing traditionnel, un canal de
communication unidirectionnel – ce qui est parfaitement non pertinent dans le monde
numérique.
Mais ce n’est pas tout.
89 % des messages de clients sur Facebook restent sans réponse – « Gucci, par
exemple, n’a pas donné la moindre réponse durant les trois derniers mois » – et
seulement 11 marques ont répondu à plus d’un message !
Lorsque les marques répondent, 15 % seulement de leurs réponses invitent à
poursuivre la conversation. Ce qu’on peut traduire par : « Nous reconnaissons votre
présence mais, s’il vous plaît, cessez de nous importuner ! ». Ceci n’est clairement
pas une conversation et n’a rien à voir avec un échange enrichissant. Ceci signifie
que la plupart des marques ne veulent pas réellement se lier avec leurs clients, ni
apprendre d’eux. Nous sommes donc très loin des cinq phases décrites ci-dessus, et
il reste une belle marge de progression.
Une fois encore, nous rencontrons non seulement la crainte d’une perte de contrôle,
mais aussi quelque chose que nous pourrions appeler « une paresse marketing » :
71 % des messages publiés par les sociétés sont promotionnels, offrant des tickets
de réduction, des cadeaux et d’autres avantages.
D’un autre côté, les 5 % de messages engageant une vraie conversation entre la
société et des consommateurs sont extrêmement instructifs. Ils montrent qu’il existe
trois techniques principales – faisant toutes intervenir des liens émotionnels – qui
fonctionnent :
– Invoquer la nostalgie – via les produits disparus et l’histoire de la marque.
– S’engager dans la discussion des produits, solliciter l’évaluation et l’avis des
consommateurs sur de nouvelles couleurs, de nouveaux parfums, de nouveaux
produits.
– Se rassembler autour de causes communes.
Au chapitre 3, nous avons détaillé les cinq phases que les marques de luxe
ont traversées au cours du développement de leurs stratégies Internet. Une
étude7 suggère de distinguer quatre stratégies, selon la relation client (top-
down ou conversation) et la stratégie de canal choisie par la marque
(monocanal ou multicanal), tel qu’illustré sur la figure 5.7. Deux axes
structurent donc ces stratégies : le type de relation client que la société
souhaite construire (top-down ? conversation ?) et le choix d’une stratégie
de canal (monocanal ? multicanal ?).
Aujourd’hui, la plupart des marques de luxe mettent toujours en place
des stratégies multicanales et top-down. Ce que l’étude montre, c’est que la
stratégie « nord est » (multicanal plus conversation – ce qu’aujourd’hui,
nous appellerions omnicanal et expérience client), qui relève d’un profil à
fort niveau d’implication, génère une croissance des revenus plus forte (plus
18 % contre à peine 10 % pour les autres), des marges brutes plus élevées
(15 % contre à peine 3 %) et des marges nettes plus élevées (4 % contre des
marges négatives) que toutes les autres stratégies. Tout ceci plaide donc
pour la mise en place d’une véritable stratégie omnicanale centrée sur
l’expérience client.
Figure 5.7 – Matrice de stratégie clients
Les travaux d’Exane BNP Paribas plaident en ce sens. Ils constatent que,
en moyenne :
– en 2014, les clients du luxe « digitalement contactables » ont dépensé
16 % de plus en boutique que les clients « enregistrés en boutique » ;
– les clients omnicanaux dépensent sur l’année 50 % de plus que les
clients exclusifs « boutiques ».
Ce qui nous amène à notre deuxième grande conclusion : les marques de
luxe doivent en premier lieu définir et structurer leur stratégie de relation
client, car il s’agit de la pierre angulaire de toutes les stratégies Internet.
Comme l’avance l’équipe d’Exane BNP Paribas dans leurs perspectives
pour 20208 :
« Nous nous attendons à ce que le luxe soit très différent en 2020. Nous prévoyons que :
– les marques de luxe connaîtront par leur nom la quasi-totalité de leurs clients – 45 % seront
enregistrés dans leurs bases de données et 41 % seront contactables par e-mail. Ceci
représentera donc presque 90 % des clients ;
– séparer le digital du physique n’aura aucun sens ; l’omnicanal représentera 80 % des ventes ;
– L’exécution digitale sera la marque du succès ou de l’échec des marques de luxe – le « terrain
de jeu digital des ventes9 » (les ventes faites à des clients O2O – offline to online/online to
offline) représentera 50 % des ventes, les ventes purement digitales (les clients qui n’achètent
qu’en e-commerce) vont doubler voire tripler, montant à 12-18 % des ventes »10.
L’essentiel
►► Le client anonyme est en train de disparaître. Il ne représente plus que
10 % du chiffre d’affaires dans les produits de luxe vendus en points de vente
monomarques. Une marque bien organisée connaît ses clients et dispose au
minimum de leurs coordonnées, mais très souvent aussi de leur adresse sur
internet. À celle-ci de définir comment elle peut optimiser cet outil.
►► Il faut arriver à fusionner les activités de vente (boutiques, shop in shop,
travel retail et ventes digitales) et les activités de communication (CRM, médias
sociaux) pour disposer d’une stratégie globale offline.
►► Le véritable levier de la relation clients, ce sont les messages internet
prévus pour eux, mais aussi ceux qui viennent de leurs amis ou qui se
développent sur les réseaux sociaux.
►► Laisser les clients se parler entre eux, les laisser s’exprimer et partager
leurs impressions, c’est accepter de perdre le contrôle. Mais la marque doit se
garder d’intervenir, sauf bien sûr si les commentaires deviennent excessifs ou
manquent d’éthique.
Chapitre 6
Plus on connaît les goûts des clients, plus il est facile de les convaincre. Il
est donc important de les connaître aussi personnellement que possible. Plus
on peut identifier globalement les caractéristiques des clients qui visitent tel
ou tel point de vente, plus on peut s’adapter à leurs besoins. Si un magasin
est visité très fréquemment par des Coréens mieux vaut, si c’est possible,
avoir un vendeur coréen. Si une boutique dispose d’une clientèle plus jeune
qu’une autre, autant qu’elle ait des vendeurs plutôt plus jeunes. Il faut donc
disposer d’une base de données clients la plus complète possible.
Cette base de données est élaborée en parallèle des KPI (Key
performance Indicators) que chaque magasin doit mettre en place pour
assurer le suivi des opérations :
• Taux d’attraction : nombre de passants entrant dans la boutique, par
rapport au nombre de passants sur le trottoir de la boutique. C’est un
indicateur essentiel dans les galeries commerciales où on peut
remarquer si la marque correspond plus ou moins bien avec la clientèle
de ce centre.
• Taux de conversion : nombre de clients achetant divisé par le nombre
de personnes entrant dans le magasin.
• Nombre de clients entrant dans la boutique par jour.
• Ticket moyen.
• Éventuellement : chiffre d’affaires réalisé par les produits de mode et
chiffre d’affaires réalisé dans les accessoires.
Dans une boutique bien gérée, le directeur de magasin peut inscrire sur
l’ordinateur le nombre de gens passant devant (ce qui peut être compté
physiquement ou obtenu par une caméra) et le nombre de personnes entrant
dans la boutique (lorsqu’il y a un garde de sécurité, c’est lui qui fournit ce
chiffre, sinon, une caméra intérieure peut l’enregistrer, ou bien encore, le
caissier peut se charger de l’inscrire…). Les autres données sont disponibles
sur l’ordinateur et les 5 KPI’s mentionnés ci-dessus peuvent être
systématiquement inscrites sur l’écran.
Mais il ne s’agit là que d’une première base. Que peut-on savoir de plus
de ces clients ? C’est ce qui nous occupe dans ce chapitre.
Nous essayons ici de voir comment organiser et utiliser une base de
données clients. Les marques de luxe, quand elles vendent une partie
importante de leur production dans leurs propres boutiques ou dans des
boutiques qu’elles contrôlent, ont un contact direct avec leurs clients. Elles
ont développé assez tôt des bases de données bien organisées et efficaces. Il
y a une dizaine d’années, elles ont recruté des spécialistes, venant souvent
de l’hôtellerie pour les constituer.
Part de la population % %
(en %) des tickets du chiffre
Clients fidèles
2 % 25 % 28 %
(2e groupe)
Non-clients 86 %
Les données marketing
Pour utiliser cette information, il suffit que le logiciel identifie les produits
les plus « pointus » et les plus classiques. La base de données peut alors
automatiquement attribuer à tel ou tel client un profil plutôt « classique » ou
plutôt « pointu ». On peut penser que lorsque la cliente entre dans un
magasin, le vendeur essaye de l’identifier immédiatement dans l’une ou
l’autre catégorie par la façon dont elle est habillée, mais une véritable
information statistique peut être utile pour les équipes marketing qui
peuvent réaliser alors des catalogues spécialement adaptés à ces différents
profils et envoyés à des destinataires ciblés.
Ce constat sur la base des achats semble recouper celui du genre du client.
Les femmes achètent généralement de la mode féminine pour elles et les
hommes auront un comportement symétrique.
Mais certaines femmes, surtout pour une marque essentiellement
masculine, peuvent acheter en majorité pour faire des cadeaux. Certains
hommes peuvent au contraire être presque exclusivement des clients pour
des achats de cadeaux. Cette distinction n’est pas neutre et peut donner lieu
à des actions promotionnelles ciblées.
Il peut être également important de savoir si la personne qui fait un
cadeau vient en boutique avec le récipiendaire de ce cadeau ou si elle achète
à sa seule initiative.
Le ticket moyen est un critère qui apparaît dès que l’on réalise un budget
prévisionnel pour une nouvelle boutique : on regarde le nombre de clients
espérés, compte tenu de la population dans la zone de chalandise et de son
niveau de revenu moyen. Le ticket moyen permet alors de prévoir un chiffre
d’affaires espéré et de le comparer aux coûts fixes de loyer et de salaire. Le
calcul du point mort devient facile : c’est la somme des frais fixes pour une
période, qui doit être égale à la marge brute réalisée par le chiffre d’affaires
correspondant. Il suffit de diviser ce chiffre d’affaires au point mort par le
ticket moyen pour avoir le nombre de clients nécessaires par mois.
Ce nombre de clients budgété par mois est-il réaliste, compte tenu de ce
que la marque connaît de ses dernières implantations et compte tenu de ce
qu’elle connaît de la zone de chalandise et de la localisation précise du
magasin ?
La première fois
Lorsqu’il entre pour la première fois dans le magasin, ou s’il n’est pas
reconnu, le client doit être observé très discrètement. Son âge d’abord et
une évaluation de son niveau de vie qui peut parfois être appréciée par les
vêtements, les bijoux ou la montre et éventuellement le sac porté par une
femme. Mais il faut bien sûr prendre beaucoup de distance par rapport à ce
regard, car les apparences sont souvent trompeuses. On se souvient par
exemple de Madame Oprah Winfrey, la très grande journaliste américaine
qui avait été interdite d’entrée chez Hermès un samedi soir à une heure
proche de la fermeture parce que les agents de sécurité qui ne la
connaissaient pas, l’avaient jugée sur la base de son jean troué et de son
look un peu « grunge ».
Il n’empêche que des bijoux ne sont pas toujours neutres. Une très vieille
montre de prix n’est pas la même chose qu’une Rolex toute neuve ou, dans
une autre situation, qu’une Swatch. Une femme qui porte un sac Hermès a
sans doute aussi un sac Longchamp ou un autre sac de marque mais le fait
qu’elle porte tantôt l’un et tantôt l’autre n’est pas neutre non plus.
De même, un homme peut souvent être identifié par sa cravate, s’il en
porte une. Les couleurs préférées par les porteurs de cravates peuvent
différer selon les nationalités. Les Américains du Nord aiment souvent les
couleurs acidulées quand les Européens sont plus classiques.
Rien n’est neutre bien sûr, et sans aller à des conclusions trop rapides, les
vendeurs doivent être formés à l’observation et au sens du détail.
Aujourd’hui, surtout, l’observation peut être renforcée par différents
logiciels. Par exemple, lorsque les clients viennent dans un magasin à
plusieurs, un logiciel peut écouter la langue qu’ils parlent entre eux et en
regrouper le détail ou définir la nationalité avec des clients venus par
exemple la semaine dernière. Si le magasin compte un nombre de visiteurs
chinois, ou ukrainiens, il peut être utile de s’assurer qu’un membre de
l’équipe peut parler les langues correspondantes. De même, lorsqu’une
marque dispose de plusieurs magasins à Paris ou à Hong Kong, savoir les
langues parlées ici ou là peut modifier l’allocation des employés de vente
en fonction de leurs compétences linguistiques.
Cette écoute peut aussi avoir un autre usage : les commentaires positifs
ou négatifs sur les produits, sur les couleurs préférées et sur les couleurs
achetées ou des appréciations sur les niveaux de prix peuvent être
enregistrés, bien sûr anonymement, et ensuite synthétisés ou encore
comparés aux commentaires de l’année précédente.
Et puis, quand il décide d’acheter, le client s’approche de la caisse. S’il
ne paye pas en argent liquide (donc avec un chèque ou une carte de crédit)
son nom va apparaître. Il ne reste plus qu’à lui demander gentiment ses
coordonnées et dans presque tous les cas il les donnera volontiers.
Certains magasins disposent de jolies cartes et les employées demandent
à leurs clients de remplir les cases ou ils les remplissent eux-mêmes.
D’autres préfèrent que la question soit posée par le caissier qui enregistre
directement la réponse sur son ordinateur. C’est bien sûr le moment
d’obtenir aussi un numéro de téléphone et une adresse e-mail. Ils sont
souvent donnés.
Dans les critères d’évaluation des employés d’un magasin, certaines
marques utilisent un « taux de capture » ou un taux de « précision
digitale ». Il s’agit du pourcentage de clients d’un magasin dont on dispose
de l’adresse complète. Les choses sont donc organisées de plus en plus
formellement.
À son retour en magasin
Ce qui change tout dans l’atmosphère de la relation, entre une marque et ses
clients, c’est lorsqu’ils sont reconnus et si possible par leurs noms, à leur
seconde visite.
Depuis toujours les vendeurs font beaucoup d’efforts pour se rappeler le
nom de leurs clients. Ils ont l’habitude d’avoir de petits cahiers2 où ils les
marquent, si possible avec une description d’un élément (non négatif) de
leur physique qui leur sert d’outil mémo technique. Sur ces cahiers ils
indiquent aussi des anecdotes les concernant qui peuvent animer une future
conversation. L’idée est bien sûr de montrer au client qu’il est apprécié et
que l’on s’intéresse sincèrement à lui.
Aujourd’hui il est possible d’utiliser des logiciels de reconnaissance
faciale dans les pays où ils sont autorisés. Cela permet d’accroître le
nombre de cas ou le client pourra être reçu et reconnu comme quelqu’un
d’important. Utilisé avec tact et finesse, ce système améliore du tout au tout
la qualité de l’accueil d’un point de vente.
En fait, si on pouvait identifier le client au moment où il entre dans la
boutique par la localisation de son téléphone portable, tout serait plus
simple. On disposerait de ses coordonnées et si possible de son historique
d’achat pour la marque. Dès aujourd’hui cette information est
techniquement disponible et lorsque les lunettes « Google » étaient encore
dans le paysage, il était possible à un vendeur d’être informé, sur le petit
écran de ces lunettes, de l’historique d’achat de la personne entrant dans le
magasin. Cette information est donc techniquement disponible et la loi
devra dans chaque pays décider si ce système est conforme au respect de la
personne.
Il faut bien comprendre qu’il y a un grand intérêt à cette reconnaissance
du client lorsqu’il passe la porte d’un magasin. Il devient alors possible de
le conseiller en ayant à l’esprit ses achats passés et ce qu’ils révèlent de ses
goûts.
Si ces informations clients ne sont disponibles qu’au moment où le client
s’apprête à payer, et donne le plus souvent une carte de crédit ou un chèque,
cela ne permet pas au vendeur d’aider efficacement celui-ci dans ses achats
en ayant ces informations à l’esprit.
Ce qui est certain, c’est qu’entre les systèmes de reconnaissance faciale,
les modèles d’identification à l’entrée du magasin par géolocalisation du
téléphone mobile, et dans un dernier recours, l’identification à la caisse, il
sera de plus en plus courant d’avoir une information assez complète sur les
clients habituels.
Ce qui est certain aussi, c’est que l’expérience la plus gratifiante en
entrant dans un magasin ou un restaurant, c’est d’être salué par son nom :
« Bonjour, Madame Unetelle ». Pour les restaurants (et pour l’hôtellerie),
c’est plus facile, puisque les gens donnent leur nom pour réserver. Avant le
dîner, le chef de salle peut relire les noms de ceux qui ont réservé, et vérifier
leurs préférences et leurs spécificités. L’accueil en sera d’autant plus cordial
et personnalisé. C’est bien plus difficile pour un magasin : les bons
vendeurs doivent faire l’effort de connaître cent ou deux cents de leurs
meilleurs clients par leur nom. Pour les autres, dont le nom ne sera connu
qu’au moment du passage en caisse, une bonne base de données devrait
mettre en lumière quelques détails qui pourraient être évoqués lorsque le
personnel raccompagne le client à la porte du magasin. Ces mots d’au
revoir devraient être différents d’une visite à une autre, et serviront à dire au
consommateur qu’il est un client bienvenu et apprécié.
À l’évidence, toutes ces pratiques d’identification du client sont propres
aux boutiques physiques. Sur les sites d’e-commerce, le client est amené à
s’identifier a minima (adresse e-mail) et l’utilisation de logiciels externes
permet de qualifier encore mieux la base.
Une fois la base de données constituée, et il faut déjà plus de deux ans pour
avoir des données valides, il faut s’assurer qu’elle a été adoptée par tout le
monde dans l’entreprise. Sinon, les acteurs et les vendeurs vont s’en
désintéresser et ne vont pas la mettre à jour de façon rigoureuse. Et puis, il
faudra montrer à tout le monde qu’elle peut être leur utile.
La finalisation et la vérification
Une base de données ne fonctionne que si elle est exacte et si elle est
régulièrement mise à jour. On peut supposer que les vendeurs feront un
effort pour obtenir de bonnes adresses et des adresses complètes. En fait, ils
y sont souvent incités par l’objectif du « taux de capture » mentionné plus
haut. Mais ils peuvent être tentés de donner des numéros de téléphone
inexacts pour éviter que d’autres vendeurs ou des vendeurs d’autres
magasins de la même marque puissent contacter leurs meilleurs clients et
essayer de les convaincre de s’adresser plutôt à eux. Il faut donc mener des
tests aléatoires sur les données fournies pour mesurer la qualité des données
venant d’un magasin ou d’un autre.
Comme toujours, néanmoins, la grosse difficulté, c’est la mise à jour.
Pour que les vendeurs fassent l’effort de cette mise à jour il faut qu’ils se
rendent compte de l’utilité de cette base de données dans leurs activités
quotidiennes.
De leur côté, les 100 000 principaux clients pourraient être invités dans
leur boutique la plus proche à des cocktails de présentation d’une pré-
collection en magasin, ou s’ils ont un profil « soldes », à des ventes
spéciales avant les soldes.
Ce qui est essentiel, c’est qu’un programme global de suivi des
principaux clients soit organisé au niveau de la marque, puis dans chaque
pays, et que chaque point de vente organise des activités qui permettent de
créer une véritable proximité avec ses principaux clients. Quand le directeur
d’un magasin a bien organisé ces activités, il y a moins besoin de la
reconnaissance faciale à l’entrée de son magasin, car il connaît ses
principaux clients et n’utilise la reconnaissance faciale que comme une
forme de « session de rattrapage ».
Pour conclure, on pourrait décrire le « paradoxe de l’efficacité ». On
pourrait penser que les non-clients constituent la meilleure cible pour
augmenter les ventes. Il est vrai que si l’on pouvait convaincre la moitié
d’entre eux de venir et d’acheter quelque chose au magasin une fois par an,
on multiplierait par deux ou trois le chiffre d’affaires. On pourrait aussi
convaincre les clients occasionnels de venir plus souvent, mais ce qui est le
plus facile et le plus efficace à court terme, c’est de convaincre les clients
réguliers de venir une fois de plus l’an prochain. Toutefois comme nous le
disions en ouverture de ce chapitre et dans l’introduction à ce livre, les
comportements des consommateurs du luxe évoluent et la fidélité à une
marque est de moins en moins assurée : les marques sont donc confrontées
à la nécessité de renouveler leur base clientèle en permanence – et donc de
mettre en place des stratégies de communication faisant du drive to store un
objectif essentiel.
L’essentiel
►► On a pu remarquer que les clients sont en général plutôt disposés à
communiquer leurs coordonnées, s’ils ont le sentiment de faire ainsi partie d’un
groupe respecté et privilégié.
►► Ce qui est sûr, c’est que la qualité des données rassemblées dépend en
grande partie de la motivation des équipes de vente. Mais la disponibilité et
l’empathie de l’équipe chargée d’assurer la qualité de cette base de données et
de la « vendre » en interne sont capitales.
►► Une fois la base de données constituée, il faut qu’elle serve et qu’elle
démontre son efficacité. Sinon, petit à petit, les données vieillissent et ne sont
plus aussi fiables. Elles deviennent très vite inutiles. Le taux de « capture »
rappelle aux employés de vente qu’il est essentiel d’effectuer des mises à jour
très régulières. Ce taux de « capture », plus faible bien sûr dans les magasins
très touristiques, doit être régulièrement analysé et vérifié par les équipes.
►► Une fois le système en marche, il oblige les commerciaux comme les
responsables marketing à faire preuve de créativité dans les « cadeaux » qu’il
faut savoir offrir et dans les « personnalisations » qui peuvent être proposées.
Les clients auront alors l’impression qu’ils sont « importants » pour la marque et
qu’ils bénéficient de sa considération.
Chapitre 7
Source : McKinsey & Company: « The age of digital Darwinism » (Janvier 2018).
Enfin une étude récente McKinsey3 montre que lors du parcours client
menant à l’achat, la multiplication des points de contact se fait autant online
que offline : quel que soit le pays étudié on constate un équilibre entre
points de contact online et offline – ce qui infirme les prédictions
apocalyptiques sur la disparition du physique et montre bien que les deux
canaux se complètent. On constate également que les parcours ont tendance
à devenir plus longs : entre 2014 et 2016 ils augmentent de deux unités. La
décision finale d’achat en est d’autant plus reculée.
De même quand on s’intéresse aux consommateurs chinois dont on dit
trop souvent qu’ils ne font leurs achats que online, on constate non
seulement un parfait équilibre en nombre de points de contact entre offline
et online mais que leur parcours est à peu près deux fois plus long que celui
des clients occidentaux. Une autre étude4 montre que 64 % des 20/30 ans
chinois préfèrent acheter les produits de luxe en boutique.
Ces projections campent le futur paysage pour les marques de luxe mais
ont besoin d’être « opérationnalisées ». Nous voyons deux enjeux
opérationnels majeurs pour les marques :
• Enjeu no 1 : intégrer digital et physique. Les organisations sont
traditionnellement construites autour d’une séparation en trois entités :
le retail (les boutiques), l’e-commerce (tous deux intégrés au
département commercial), et les médias sociaux (intégrés au
département marketing). Il va falloir faire tomber au moins deux
murs : celui séparant ventes et marketing et celui séparant boutiques et
e-commerce.
• Enjeu no 2 : disposer de bases de données mondiales clients. En effet
identifier 90 % des clients ne dit rien quant à la capacité des marques à
les suivre et à disposer d’outils permettant d’analyser leurs ventes. Le
plus souvent les marques disposent de bases de données régionales non
interconnectées.
Pour mieux comprendre comment répondre à ces enjeux nous allons
aborder deux sujets clés : les critères d’intégration entre offline et online et
le suivi mondial des clients.
Cette conclusion repose sur une analyse qui est actuellement la plus
détaillée et la plus exhaustive disponible6 sur les pratiques digitales des
marques de luxe. Nous en reprenons les éléments essentiels ici.
85 critères regroupés en 7 catégories permettent de comprendre à la fois
la stratégie e-commerce et l’expérience digitale vécue par le client pour
34 marques de luxe7. Sur chacun des critères un potentiel de 100 % est
défini et les marques sont notées sur la base de leurs réalisations : elles
peuvent ainsi réaliser seulement 60 % ou 50 % du potentiel total réalisable.
Tableau 7.1 – Critères d’intégration O2O
Source : Exane BNP Paribas & Contactlab:
« The Online Purchase Experience Ranking » (septembre 2016).
Une marque ayant intégré cette dimension O2O est Audemars Piguet via
sa fonctionnalité « Click to Try » : lorsqu’un client est sur le site de la marque9 et
identifie un produit qui l’intéresse, il peut cliquer dessus et prendre directement
rendez-vous avec la boutique la plus proche pour essayer la montre.
Exemple
Les voyages géographiques
Les chiffres les plus récents indiquent que seulement 120 millions de
chinois ont un passeport – ce qui représente 8.7 % de la population totale –
mais selon la CEO de Ctrip ils devraient doubler et représenter 240 millions
en 202013.
Leur façon de voyager est en train de changer et ces évolutions vont
structurer leurs manières d’acheter du luxe dans les prochaines années. Le
premier phénomène est l’arrivée de voyageurs jeunes (moins de 35 ans),
plus éduqués, avec des moyens significatifs et voyageant individuellement.
Ces voyageurs font, à l’image des jeunes chinois, de leur téléphone mobile
le centre névralgique de leur vie : ils y communiquent avec leurs amis, ils y
achètent l’essentiel, ils y trouvent toutes les informations dont ils ont
besoin. Le rôle de leurs réseaux (amis et famille) ne doit pas être sous-
estimé : leurs choix sont dictés par les recommandations faites par leur
réseau, que ce soit sous la forme d’évaluations trouvées sur des sites comme
Ctrip ou Meituan-Dianping ou sous la forme de recommandations dans les
Moments de WeChat.
Ceci a une conséquence immédiate pour les marques de luxe : il est
essentiel de construire une relation de long terme avec ces nouveaux
voyageurs – puisqu’ils contrôlent des réseaux de recommandation
importants. Pour cela il est essentiel de disposer d’une base de données
globale permettant de les suivre dans leurs voyages et leurs achats
domestiques et internationaux.
Ces mêmes voyageurs recherchent avant tout des expériences : les achats
se sont déplacés des biens personnels (vêtements, joaillerie, horlogerie,
cosmétiques…) vers les resorts, les spas, les croisières, la gastronomie… Ils
rejoignent en cela l’ensemble des consommateurs du luxe qui déplacent leur
consommation vers les expériences et les biens expérientiels comme le
montre le graphique 114 : les voyages, la nourriture, les vins et spiritueux ou
les voitures.
Dès lors les marques doivent faire face à une équation insoluble :
comment « suivre » un client qui passe d’un point de vente contrôlé par la
marque à un point de vente d’un tiers partenaire à un point de vente « non
contrôlé » ? La solution est vraisemblablement de passer de véritables
partenariats avec les nouveaux acteurs géants du secteur : YNAP et Farfetch
en occident, Alibaba et JD en Chine. Pour ce qui concerne la Chine la
réticence des marques de luxe à aller sur Alibaba ou JD a été partiellement
levée par la mise en place de leur offre « haut de gamme/luxe » Tmall
Luxury Pavilion15 et JD Toplife16. Du coup Alibaba et JD, longtemps
ostracisés par le luxe (et tout particulièrement Alibaba pour ne pas avoir
voulu lutter significativement contre la contrefaçon), se confirment comme
étant incontournables sur le marché chinois.
La complexification du paysage commercial est donc évidente : aux
points de vente physiques traditionnels évoqués dans la Première Partie
(boutiques, grands magasins, travel retail…) s’ajoute maintenant la
multiplicité des points de ventes online. Dès lors il nous semble que les
marques de luxe vont devoir faire face à trois nouveaux challenges.
• Challenge 1 : Disposer d’un système d’information unique
permettant de suivre un client. Toutes les entreprises mondiales sont
actuellement confrontées à ce défi. Il est intéressant de constater
qu’Alibaba (pure player s’il en est) vient de le réaliser (en 2017) : ils
viennent de mettre en place UniID – une identification unique pour
l’ensemble de leurs clients, qu’ils proviennent de Tmall ou Taobao (e-
commerce), Alipay (paiement mobile), Didi (taxis) ou de toute autre
planète de la galaxie Alibaba (comme les assurances). L’ensemble des
données du comportement d’achat de tous leurs clients est donc
maintenant disponible… et analysé.
• Challenge 2 : passer d’une logique de CAPEX (« capital
expenditure ») à une logique d’OPEX (« operating expense »). Le
ralentissement dans l’ouverture de boutiques propres constaté pour
l’ensemble des marques17 – et donc la nécessité d’avoir un CAPEX
très important – laisse la place à des investissements (opérationnels)
nouveaux :
– il faut investir dans la rénovation du parc de boutiques existant (et
donc disposer de nouvelles approches de la maintenance des
boutiques). En effet les coûts de maintenance peuvent atteindre
5 % des ventes en temps normal et monter à 15 % des ventes pour
une boutique lors d’une rénovation.
– La mise en place de systèmes d’information mondialisés, le
nécessaire recrutement de talents en marketing digital et en
gestion de marques mondiales18, la construction d’expériences
clients, tout concourt à augmenter les frais opérationnels des
marques.
• Challenge 3 : faire face à des écarts de prix incompatibles avec le
positionnement de la marque Lorsqu’on analyse l’état des marques
de luxe selon deux dimensions – le discount moyen auquel sont vendus
les produits et le pourcentage de produits vendus sur Internet au sein
du canal « rabais systématiques » – on constate que de nombreuses
marques sont en mauvais état19 :
– Michael Kors, Stella McCartney, Christopher Kane, Marc Jacobs,
Hogan et Brunello Cuccinelli, Armani s’avèrent être disponibles à
des prix discount (selon les deux critères). Leur situation est donc
critique – au risque de la banalisation et de la perte de statut.
– De nombreuses marques arrivent à contrôler leurs ventes
discounts mais pas leur disponibilité sur les canaux « off price » :
Versace, Dolce & Gabbana, Emilio Pucci, Emporio Armani,
Valentino. On peut légitimement s’interroger sur le sourcing des
produits de ces marques que l’on retrouve ainsi largement sur le
marché parallèle.
– Ralph Lauren est quasiment la seule marque qui organise elle-
même son propre discount – mais cela fait partie de son business
model où les (nombreux) magasins d’usine font partie des canaux
contrôlés par la marque.
Le contrôle des prix sur un marché global et où les canaux de distribution
online se multiplient devient donc une preuve du savoir-faire d’une marque
de luxe.
L’essentiel
►► L’intégration omnicanal développe la satisfaction du client et accroît sa
fidélité à la marque, ce qui se constate aussi bien dans les magasins que sur le
site internet.
►► Il faut connecter les données des clients online et offline, mais il faut
aussi savoir connecter les données de toutes les filiales internationales de la
marque.
►► Le contrôle de la distribution devient de plus en plus difficile, car il faut à la
fois fédérer certains services de l’entreprise, des services extérieurs habituels
et des intervenants ou des intégrateurs inhabituels.
►► Cette nécessité de tout intégrer online et offline ne se limite pas aux
produits de luxe personnels. Il s’étend aussi bien sûr aux expériences et aux
produits-expérience.
Chapitre 8
Ce qui étonne le plus dans les innovations digitales, ce sont les services
nouveaux qui sont offerts aux clients. Quand Nordstrom a ouvert son
premier magasin sur la côte est, à New York, en septembre 2018, il a fourni
à ses clients deux nouveaux services :
• Si un client new-yorkais veut acheter une cravate ou une valise au
milieu de la nuit, par exemple à 3 heures du matin, il lui suffit de la
choisir et de la payer sur Internet. Il ne lui restera plus qu’à prendre sa
voiture ou un taxi jusqu’au nouveau grand magasin de la 57e rue où un
employé Nordstrom l’attendra devant la porte avec l’objet qu’il vient
d’acheter.
• Si un autre client a acheté la veille une paire de chaussures qui ne lui
convient pas, il peut aussi la rapporter à tout moment du jour ou de la
nuit et la scanner dans le kiosque digital, puis la déposer dans un casier
ou dans une trappe : le même jour, le produit lui sera remboursé sur
son compte bancaire.
Si l’on se place dans une perspective omnicanal, ces services ne sont que
des conséquences normales de la parfaite continuité entre le commerce
physique et le commerce digital : tout doit être possible à tout moment et
les services physiques et digitaux doivent se compléter pour offrir la
prestation le plus complète à la clientèle. Mais cette continuité parfaite
nécessite une flexibilité totale et positive de la part des employés et des
partenaires de la marque et une logistique parfaite et efficace.
Chacun devrait regarder sur YouTube un film sur les systèmes d’entrepôt
Amazon. Quand nous pensons au travail d’un employé aux expéditions,
nous l’imaginons se déplacer entre les étagères pour chercher les différents
produits apparaissant sur chaque commande. En fait ce sont les étagères qui
se déplacent lorsque l’ordinateur a lu une commande, pour que l’employé
chargé d’emballer cette commande dispose ainsi de tous les produits
nécessaires sans avoir à bouger. De petits moteurs positionnés sous ces
étagères peuvent soulever les colonnes et les « promener » pour qu’elles se
retrouvent, dans l’ordre de cette commande devant celui qui la remplit. Puis
chaque colonne retrouvera un nouvel emplacement choisi par l’ordinateur
en fonction de la probabilité d’une nouvelle commande des produits qu’elle
recèle.
On s’émerveille quelquefois devant la taille de ces entrepôts jusqu’à
l’équivalent de 59 terrains de football ou devant l’automatisation du
remplissage des paquets, mais c’est tout le système qui est impressionnant
et qui a été conçu pour apporter ainsi un service automatique, sans faute et
bon marché. Ce que l’on peut dire, c’est que dans un tel schéma, l’attention
doit être portée sur chaque activité, pour réduire au maximum les coûts,
mais surtout les erreurs.
Le système traditionnel
Dans une épicerie de quartier, tous les produits disponibles sont posés sur
les rayons. Par exemple, le sel, qui ne se vend pas très fréquemment, se
trouve à côté du lait qui, lui, se vend plusieurs fois par heure.
On s’aperçoit qu’il peut être logique de créer une arrière-boutique pour y
mettre à la fois une partie des stocks de produits à forte rotation, pour qu’ils
n’occupent pas trop de place dans le point de vente, et les produits très peu
vendus pour lesquels il suffit de mettre un seul produit visible dans le point
de vente. Dans un magasin de mode féminine, il peut être judicieux, par
exemple, de présenter en boutique toutes les tailles d’une robe « best-
seller » (du 36 ou 48) mais de ne mettre dans cette boutique que les tailles
38 et 40 d’un modèle qui se vend beaucoup moins et de ranger les autres
tailles en arrière-boutique : il serait en effet dommage d’utiliser trop
d’espace de vente pour des robes que le public ne s’arrache pas et qui
peuvent donner une impression triste et peu attirante à l’ensemble du
magasin.
Lorsque les boutiques de mode reçoivent la marchandise de chaque
saison en une seule fois (la collection printemps-été en mars et la collection
automne-hiver en septembre), la directrice peut être tentée de tout présenter
dès le 1er mars ou le 1er septembre. Mais les clients qui entrent 4 à 6 fois par
saison dans la boutique, et donc qui viennent par exemple plusieurs fois en
octobre et en novembre, peuvent avoir l’impression qu’il n’y a « rien de
nouveau ». C’est pourquoi il peut être judicieux de garder certains modèles
en arrière-boutique et de les dévoiler progressivement pour toujours
maintenir une impression de nouveauté. Pour cela aussi, l’arrière-boutique
peut être quelquefois bien utile…
Le stock-tampon ou le répartiteur
Approvisionnement
en matière Production Distribution Commentaires
première
Ferragamo Contrôle moyen à Contrôle faible Contrôle total Levier trop fort
élevé sur les
fournisseurs
Il nous a semblé que nous pouvions publier leur fiche d’évaluation car la
situation et donc les commentaires afférents ont dû évoluer du tout au tout
en quelques années. Mais le point est qu’une distribution fluide et efficace
n’est possible que si :
– Tous les acteurs impliqués, depuis les fournisseurs jusqu’aux sous-
traitants et aux usines internes, sont totalement coordonnés, travaillent
avec le même ensemble d’objectifs et utilisent les mêmes procédures.
– Le système est convivial pour ses utilisateurs et a été développé avec
une compréhension complète des exigences des points de vente et
l’approbation totale du personnel du back-office.
– Les procédures sont fluides, infaillibles et ont été testées et retestées au
fil du temps.
Ce n’est qu’alors que nous pouvons parler d’une organisation qui tire
pleinement parti du pouvoir de la marque et qui peut se concentrer sur sa
tâche principale : procurer au client une expérience mémorable.
Si l’on considère qu’une partie très importante des ventes doit être livrée, le
système logistique doit être complètement modifié.
La rapidité d’exécution
Mais les performances techniques des entrepôts ne sont pas les seuls
critères à prendre en compte. La solidité et la flexibilité du système
informatique doivent apporter un complément d’efficacité au système.
En France par exemple, le système de La Redoute permet d’obtenir un
temps moyen de 2 heures 15 entre le dernier clic du client digital et la
présence du colis dans un camion qui part vers le Hub du transporteur
affecté à ce client. Cela suppose un système informatique très efficace, une
localisation adéquate du produit dans l’entrepôt, un emballage adapté et
performant et bien sûr un transport final très rapide lors de la sortie de
l’entrepôt.
La « bataille » des plateformes
Les enjeux de la logistique
L’essentiel
►► La continuité totale et naturelle des moyens d’achat et de relations
avec la clientèle va entrer dans notre quotidien et alors qu’elle est aujourd’hui
si difficile à organiser, elle nous semblera bientôt aller complètement de soi.
►► Le dernier kilomètre doit devenir parfait pour la livraison d’un produit,
mais c’est toute la cérémonie d’achat qui doit être repensée et qui doit avoir
lieu, aussi bien dans un point de vente qu’au domicile du client.
►► Développer une plateforme logistique online oblige à repenser la totalité
du système de développement international offline et online.
►► Il semble que les jeux ne sont pas faits et que dans 10 ans, d’autres
interlocuteurs existeront sans doute, en matière digitale et logistique, et la
configuration actuelle aura bien sûr encore beaucoup évolué.
►► Le rôle des points de vente va changer et le concept de magasin amiral
donnant une expérience globale va se développer.
►► Dans cinq ou dix ans, les magasins les mieux adaptés à une marque et les
plus rentables ne seront pas nécessairement les mêmes qu’aujourd’hui.
Partie 3
« La boutique de luxe doit se recentrer sur deux missions essentielles : le cérémonial et
l’expérience d’achat, ainsi que l’amorçage de l’expérience partagée, la phase amont se passant
désormais en ligne. »1
« Le client devra pouvoir choisir en ligne le produit qui l’intéresse, et le cas échéant, en
fonction de sa taille, voire des couleurs qu’il désire essayer, la boutique sera en mesure de lui
fixer un rendez-vous le jour où elle se sera procuré le produit en question ».
Le comportement en magasin
Un des pionniers en la matière d’analyse des comportements des clients en
magasin est sans doute, Paco Underhill2, qui a formalisé les premières
études de suivi des clients. Aujourd’hui des moyens plus systématiques se
sont développés.
Le tableau 9.2 résume ce que les gens attendent quand ils entrent dans un
magasin, et au contraire ce qu’ils n’aiment pas. Par exemple, les clients
veulent toucher les produits, mais certaines marques, comme Louis Vuitton
et Hermès, s’assurent que les clients n’ont pas de contact direct avec les
produits : c’est leur manière de créer un sens de la rareté ou, du moins, de
donner le sentiment que chaque produit est très spécial.
Tableau 9.2 – Attentes et perceptions des clients en magasin
Trouver les choses par eux-mêmes Être obligés de poser des questions bêtes
Les gens veulent aussi pouvoir se regarder dans un miroir, mais ils ne
veulent pas être entourés de miroirs comme ceux qu’on trouve dans les
supermarchés et les drugstores américains, qui sont suspendus et placés à
45 degrés, de sorte que la personne à la caisse puisse voir ce que font les
clients dans le magasin : ils ne veulent pas être espionnés, mais ils aiment se
voir ici ou là en déambulant dans le magasin.
Une situation similaire se produit pour ce qui est des interactions avec le
personnel de vente. Les gens disent qu’ils aiment bien parler mais qu’ils ne
veulent pas se sentir intimidés par les vendeurs. Ils recherchent un
environnement agréable et encourageant, dans lequel ils ne se sentiront pas
contraints de faire ceci ou cela.
À la dernière ligne du tableau 9.2, les clients disent qu’ils veulent faire
une bonne affaire. Ceci ne signifie pas forcément qu’ils sont uniquement en
quête de promotions ou d’une réduction substantielle. Ils veulent tout
simplement ne pas se laisser abuser, et avoir le sentiment qu’ils ont fait un
achat au prix juste, dans un environnement agréable et gratifiant.
Paco Underhill identifie beaucoup d’autres comportements particuliers. Il
mentionne par exemple le fait que, en entrant au supermarché, 90 % des
femmes ont une liste contre seulement 25 % des hommes. Et pourtant, dans
60 % des cas, les unes comme les autres achètent finalement des articles qui
n’étaient pas prévus.
Comment les consommateurs réagissent-ils au temps d’attente ? Pour
évaluer ceci, on peut mesurer de manière exacte le temps que les gens ont
effectivement passé à attendre puis leur demander combien de temps ils
pensent avoir attendu. Il est intéressant de remarquer qu’il n’y a pas de
différence entre temps réel et temps perçu pour une attente de 90 secondes.
En revanche, deux minutes sont perçues comme une durée bien trop longue.
C’est un problème parce que nous savons que le temps d’attente est le
critère numéro un dans l’évaluation de la qualité de service : toute personne
attendant plus de trois minutes dans un magasin risque d’être mécontente.
Comment résoudre ce problème ? En montrant aux clients que vous vous
souciez d’eux. Les clients se sentent bien mieux dès qu’ils ont la possibilité
d’interagir avec quelqu’un. Dans le magasin d’une des principales marques
de luxe à Hong Kong, la direction s’inquiétait des longues files de clients
chinois et japonais attendant d’entrer dans le magasin. Ils ont donc loué un
appartement dans l’immeuble à côté et demandé aux vigiles de distribuer à
tout le monde une carte disant : « Nous sommes désolés de l’attente à
l’entrée de notre magasin, celui-ci est trop petit pour accueillir autant de
clients simultanément. Pour nous assurer que vous puissiez être servis aussi
vite que possible, nous avons loué un appartement à côté, au 21e étage de la
tour voisine, où vous pouvez vous rendre dès à présent si vous le souhaitez
pour être immédiatement accueillis par un de nos vendeurs3 ». La plupart
des gens lisaient la carte, acquiesçaient et restaient dans la file d’attente. Ils
appréciaient l’attention, mais préféraient continuer à faire la queue pour être
accueilli dans le « vrai » magasin4.
En plus d’une interaction et d’une attention visant à réduire l’agacement
lié à l’attente, d’autres techniques peuvent être déployées pour rendre celle-
ci plus agréable. Dans une banque ou un bureau de poste, des files bien
organisées ou d’autres systèmes permettent de garantir le principe du
« premier arrivé, premier servi » et réconfortent les gens. À cette fin,
quelques queues distinctes regroupant quatre ou cinq guichets sont
bienvenues, alors qu’une seule file conduisant à 20 guichets (comme on en
voit dans les gares ou aujourd’hui à la FNAC et dans les magasins
d’alimentation) ne l’est pas : avec autant de monde dans la file d’attente, les
gens ont tendance à s’énerver, même si la file avance très vite. Il est bien
plus efficace de gérer trois files de six ou sept personnes chacune : les
clients auront le choix d’attendre ici ou là. Les files avanceront
probablement, à peu de chose près, aussi rapidement l’une que l’autre, et la
plupart des gens seront satisfaits de leur choix…
Une autre manière simple de relâcher la tension liée à l’attente consiste à
faire diversion : certaines banques ont recours à des télévisions branchées
sur des chaînes d’information en continu, pour s’assurer que les gens aient
quelque chose à faire pendant qu’ils attendent. Ceci semble être une
manière très efficace de résoudre le problème.
Augmentation Diminution
Indice
en montant en descendant
L’essentiel
►► Les outils d’analyse du comportement en magasin évoluent eux aussi, et
la géolocalisation ou la reconnaissance faciale peuvent renouveler une activité
très importante dans la compréhension des comportements d’achat en
magasin.
►► Le category management ne se limite pas à la politique de merchandising
en supermarché. Il est aussi utile pour la présentation des accessoires pour
une marque de mode ou des montres chez un joaillier.
►► Compte tenu du coût de location d’un mètre carré dans les endroits les
plus prestigieux du monde, tout ce qui peut améliorer la compréhension
des comportements individuels et de l’utilisation de l’espace fourni doit être mis
en œuvre.
Chapitre 10
Les marques de luxe doivent faire face à un problème majeur : retenir leur
clientèle, dans un contexte extrêmement concurrentiel. La plupart des
études disponibles montrent qu’environ 20 % des clients génèrent 65 % des
revenus de la marque1 : ceci signifie qu’une marque doit trouver les
manières et les moyens de se doter d’une clientèle fidèle. Fidéliser ses
clients et faire de ces nouveaux clients des clients fidèles, est crucial pour la
marque. Nous avons vu par ailleurs2 que les paniers clients sont plus
importants lorsque les clients online vont ensuite acheter offline. De ce fait,
c’est en magasin que tout se joue. C’est là que la marque rencontre ses
clients. C’est là que la relation se noue. C’est là que le parcours client, aussi
complexe soit-il, se concrétise.
Deux aspects sont essentiels ici, que nous analyserons tour à tour :
• Gérer un magasin est un domaine en soi, qui nécessite des compétences
et des outils spécifiques. Nous décrirons la plupart d’entre eux et
donnerons des outils détaillés pour les descriptions de fonctions, le
recrutement, les rémunérations et le déroulement de carrière.
• Les relations durables avec les clients doivent être nouées en se fondant
sur le développement de services personnalisés (un sujet que nous
détaillerons au chapitre 12).
C’était en septembre 2008, à la boutique Paul Smith de Paris. C’est un endroit
surprenant, reflet de la philosophie de son créateur : « Classic with a twist ». Les
murs sont couverts d’objets encadrés, de tableaux et de livres. C’est un lieu qui
frappe, dans l’univers très lisse des marques de luxe.
Un des auteurs y cherchait une bourse pour l’offrir à une amie. La vendeuse lui
montra plusieurs modèles et parmi tous ceux qui portaient les bandes multicolores
emblématiques de la marque, l’un d’eux retint son attention : sur l’un des côtés se
trouvait la reproduction d’une lettre adressée à M. Paul Smith, avec une écriture
féminine, peut-être celle d’une enfant. De l’autre côté du fermoir, cinq lettres
énigmatiques, de la même écriture : S.W.A.L.K.
Il demanda à la vendeuse pourquoi ce modèle était si différent des autres. Montrant
le mur à côté d’elle, elle répondit que Paul Smith collectionnait les lettres qu’on lui
envoyait et que les plus belles d’entre elles étaient exposées dans les magasins. Il
lui demanda ensuite ce que signifiaient les cinq lettres mystérieuses. Un silence.
Elle ne savait pas.
En rentrant chez lui, il essaya de résoudre cette énigme : ces lettres signifiaient
certainement quelque chose, elles n’étaient pas là par hasard ! Et bien entendu,
elles avaient en fait un sens, et même une histoire : durant la guerre, les soldats
britanniques et leurs femmes, ne pouvant écrire librement leurs sentiments et leurs
désirs dans la correspondance qu’ils échangeaient, avaient inventé des acronymes
pour contourner la censure :
• B.U.R.M.A. : Be Upstairs Ready My Angel
• M.A.L.A.Y.A. : My Ardent Lips Await Your Arrival
• B.O.L.T.O.P. : Better On Lips Than On Paper
• H.O.L.L.A.N.D. : Hope Our Love Lasts And Never Dies
Et S.W.A.L.K. ? Sealed With A Loving Kiss (scellé d’un baiser amoureux). Quel
symbole admirable et émouvant : sur cette bourse, objet d’intimité féminine, dans
lequel les femmes conservent d’innombrables choses précieuses et futiles, cet
acronyme, ce message d’amour, acquiert un sens authentique. Paul Smith, en
créant cet objet, l’a chargé de tout un monde d’émotions, renvoyant non seulement
à ses propres lettres (mais qui est la femme ou la fille qui lui écrit ainsi ?) mais aussi
à l’immortalité de toute correspondance amoureuse. Pour la femme qui achète cet
objet, il deviendra plus précieux que tous les autres.
« Tant de designers oublient que ce sont les clients, in fine, qui sont les VIPs. »
Il a parfaitement raison, mais l’expérience vécue par un des auteurs
montre que ce message n’est pas appliqué dans ses propres boutiques. Cet
exemple n’est qu’une illustration du fait que les marques de luxe sont
encore loin de réaliser l’importance de faire de leurs vendeurs les
dépositaires vivants de l’histoire de leurs marques et des histoires qu’elles
racontent. La relation très spéciale, très émotionnelle qui se noue entre un
consommateur et une marque doit être l’objet d’attentions constantes :
l’histoire et son récit y ont une part essentielle. Lorsqu’il était directeur des
ressources humaines chez Bally, un des auteurs a fait de la formation et de
la montée en qualification du personnel de vente une des principales
caractéristiques de son action : il ne faut jamais oublier qu’ils jouent un rôle
clé dans la relation qui existe entre la marque et ses clients. Les vendeurs
sont les vecteurs de l’unicité de la marque et de sa communication ; ils sont
ses premiers ambassadeurs – bien avant les « people »3. Ils devraient donc
être mieux payés, mieux formés et mieux dirigés : c’est un prix que les
marques de luxe devraient être prêtes à payer.
« Bien sûr que non. Ce monsieur que vous voyez là en train d’acheter une robe pour la femme
qui l’accompagne ? C’est peut-être sa maîtresse. Ce serait parfaitement inopportun de lui
demander qui il est, voire d’envoyer à son domicile des brochures qui pourraient lui causer des
ennuis. »
Les raisons de ne pas traiter les clients comme des individus sont
nombreuses. Des sociétés comme Tiffany (mais il s’agit d’une marque
américaine, pour lesquelles ces approches sont habituelles, alors que les
marques européennes de luxe ont des approches nettement plus « élitistes »)
ont développé des techniques informatiques de clienteling depuis plus de
40 ans, essentiellement dans l’idée de suivre les achats de chaque client5.
Ceci est une approche très imparfaite de la relation avec le client : ce
qu’une personne achète est le fruit d’interactions complexes entre ses
souhaits, l’attitude du personnel de vente, la situation actuelle du client et la
gamme de produits actuellement proposée par la marque. Tout ceci peut et
doit être enregistré.
Cas d’entreprise
Comparaison des salaires du personnel commercial
en Europe
Un des auteurs – alors DRH d’une marque de luxe – a commandé une étude à
l’échelle européenne pour comprendre les différences de rémunération du personnel
commercial entre les différentes marques de luxe. Deux catégories de personnel ont
été examinées : les directeurs de magasins et les vendeurs. Les résultats ont été
édifiants, et ont conduit l’auteur à redéfinir complètement le système de rémunération
du personnel commercial de la marque.
Les résultats de cette étude sont obsolètes, mais les principaux enseignements sont
toujours valides, en particulier les trois suivants :
1. Les niveaux de rémunération varient d’une ville à l’autre, à cause des
différences de pouvoir d’achat ; c’est le cas partout.
2. Les niveaux de rémunération varient beaucoup d’une marque à une autre. Par
exemple, au moment de l’enquête, dans une certaine ville, les vendeurs chez
Gucci ou Chanel pouvaient gagner environ 50 % de plus que ceux chez Bally
ou Hermès.
3. Les systèmes de rémunération varient beaucoup entre les marques et au sein
d’une même marque. Prenons l’exemple de la marque X. Les directeurs de
magasin étaient payés :
– à Paris/Milan/Londres/Munich : salaire fixe + part variable individualisée
– à Genève/Bruxelles/Madrid : salaire fixe + part variable collective
Pour la marque Y, c’était une autre histoire :
– à Londres/Genève/Bruxelles/Madrid/Milan : salaire fixe.
– à Munich : salaire fixe + part variable individualisée.
– à Paris : salaire fixe + part variable collective.
Ceci signifie que les structures de rémunération ne sont pas déterminées par la
culture locale (puisque dans une même ville, elles varient d’une marque à une autre)
mais par l’histoire locale de la marque, et le fait regrettable qu’aucune stratégie
européenne de rémunération n’ait été conçue à l’époque. Ce que confirme la
structure des rémunérations dans la société où travaillait l’auteur : comme nous le
savons, le système de rémunération à un impact significatif sur la manière dont se
noue la relation client. Ceci implique que les marques de luxe, si elles
considèrent cette relation comme stratégique, doivent d’abord et avant tout
revoir leurs systèmes de rémunération du personnel commercial.
Le défi qui se pose de plus en plus aux marques de luxe est celui du
développement de la fidélité des clients, qui ne peut être réalisé, au niveau
du magasin, que grâce à la qualité de service.
Les consommateurs du XXIe siècle veulent être perçus comme des
individus, pas comme des porteurs anonymes de cartes de crédit
susceptibles, dans le meilleur des cas, de recevoir une offre fondée sur leur
dernier achat à (par exemple) Carrefour, parce que Carrefour a mis en place
un système d’analyse des données d’achats. Ou de voir sur l’écran, en se
connectant à Amazon, « Bonjour M. X, Nous avons des recommandations
pour vous ». Ces entreprises possèdent une technologie qui vous
recommande des produits en fonction de vos derniers achats, et ils vous
demandent d’améliorer ces recommandations en leur donnant des
informations supplémentaires sur votre appréciation des produits achetés.
Carrefour et Amazon considèrent les gens qui achètent chez eux comme
des clients et non simplement comme des clients anonymes, ce qui au
moins constitue un pas dans la bonne direction.
Mais les clients du XXIe siècle veulent être considérés comme des clients
individuels : ils veulent être reconnus, considérés dans leur singularité,
choyés et rassurés. Et ils savent faire la différence entre une offre
automatique générée par ordinateur et une offre authentiquement
personnelle.
Le défi pour les marques de luxe est de s’appuyer sur un de leurs mythes
constitutifs : leurs clients leur importent. Elles doivent apprendre à
développer des relations individuelles avec tous leurs clients, pour les
satisfaire et leur donner envie de revenir dans n’importe lequel des
magasins de la marque. Elles doivent devenir des sociétés de services de
luxe.
À cette fin, cinq objectifs sont déterminants :
• Développer le clienteling : chaque client doit être reconnu comme tel
et il faut chérir ses informations personnelles. Le clienteling signifie
établir une relation interpersonnelle entre un vendeur et un client. Ceci
ne se peut qu’à travers des attitudes spécifiques et avec l’aide d’outils
dédiés.
• Les vendeurs doivent se concentrer sur les clients : chaque personne
entrant dans le magasin doit être considérée comme un futur client,
que ce soit aujourd’hui ou dans un an, que ce soit dans ce magasin ou
dans n’importe lequel des autres magasins de la marque. Chaque client
devrait être évalué et profilé, ses motivations et ses attentes devraient
être rapportées et chaque élément d’information conservé. Les clients
révèlent sans cesse des informations à leur sujet pour qui est attentif :
dans la conversation, en expédiant ou recevant des paquets (adresse
professionnelle, de villégiature ou autre), en choisissant des présents
(noms, goûts, adresses et événements significatifs dans la vie des
parents, amis, collaborateurs), dans les conversations entre clients, sur
leurs cartes de visite. L’objectif de chaque vendeur est que ses clients
aient confiance en lui ; ce n’est qu’alors qu’ils pourront le considérer
comme un conseiller compétent.
• Les outils peuvent aller du plus élémentaire au plus compliqué.
Le client book est un outil élémentaire que chaque vendeur devrait
avoir. Il leur permet de développer une connaissance intime de leurs
clients, de devenir leur conseiller et de préparer la saison8. Une
solution informatique avec un logiciel de CRM et une base de données
peut être une alternative, à condition d’inclure toutes les informations
qualitatives que les vendeurs recueillent au sujet des clients, et pas
seulement des chiffres, dans la mesure où le cadre légal dans lequel se
trouve le magasin autorise la collecte de ces informations.
• Faire de la qualité de service la pierre angulaire de la relation-
client : shopping sur rendez-vous, présentations privées, constitution
de garde-robe, livraisons des achats (ou centralisation dans un grand
magasin), notes manuscrites de remerciements, information aux
touristes sur le directeur du magasin le plus proche de chez eux dans
leur pays d’origine ; voici quelques-uns seulement des services qu’un
client peut se voir proposer dans le magasin d’une marque de luxe9. Il
est aussi possible de développer des récompenses financières, comme
le font avec succès Neiman Marcus (programme InCircle) et Saks
Fifth Avenue (Saks First) depuis les années 1980. Les niveaux de
services doivent être décidés au siège de la marque, et la mise en
œuvre au niveau des magasins est ensuite cruciale.
• Reconnaître le rôle central du personnel de vente : chaque vendeur
a un rôle essentiel à jouer pour identifier le client, se soucier de ses
besoins et lui fournir le meilleur des services. Comme le disait Russell
Reynolds Associates dans une de leurs brochures : « Ce n’est pas
l’information qui fait une société ; ce n’est pas la science ; ce n’est pas
l’intuition ; ce ne sont pas les promesses ; ce ne sont pas les volumes ;
ce ne sont pas les frontières ; ce sont les gens. » Ceci nous ramène au
recrutement, à la rémunération, à la formation et au déroulement de
carrière. Ceci nous rappelle aussi les rôles respectifs du personnel et
des clients dans leur relation. La plupart du temps, ces rôles sont
asymétriques : soit le vendeur considère le client comme un parasite
(attitude arrogante), soit il le considère comme une sorte d’être
supérieur qui peut dépenser en cinq minutes ce qu’il gagne en un mois
(attitude d’infériorité). Une relation symétrique devrait être construite
sur le fait que vendeur et client sont sur un pied d’égalité, et
s’engagent dans une transaction commerciale. Ritz-Carlton s’est ainsi
forgé une devise sur laquelle toutes les marques de luxe devraient
méditer : « We are Ladies and Gentlemen Serving Ladies and
Gentlemen. ». On peut aussi s’inspirer du modèle des Grands Vendeurs
développés par les marques de joaillerie10.
Cas d’entreprise
Les quatre profils de vendeurs11
Le rapport annuel Wharton sur le mécontentement des clients a établi que ce
mécontentement est causé essentiellement par des questions liées au personnel
plutôt qu’au magasin ou aux marques. Ceci a conduit les auteurs de l’étude à
identifier les principaux traits de caractère que devrait avoir un vendeur idéal. Ils sont
au nombre de quatre :
– Le plus important est de savoir faire le premier pas. Les vendeurs correspondant
à cette description sourient et savent interrompre leur activité, quelle qu’elle soit,
pour aider un client. C’est l’absence de ce trait qui est la plus frappante
globalement, et dans tous les types de magasins.
– Le deuxième trait le plus important chez un vendeur est d’être un « éducateur ».
Il est capable d’expliquer les produits, de donner des conseils et de dire aux
clients où l’on peut trouver les produits. Le vendeur vous aide-t-il à trouver ce
que vous cherchez, vous donne-t-il des informations, vous apprend-il quelque
chose ?
– Autre trait du vendeur idéal, une certaine diligence. Il est sensible au temps des
clients et les aide à ne pas le perdre dans les files d’attente. Il sait que, grâce à
son intervention, les choses avancent. Quelqu’un a remarqué le problème et
s’est dérouté pour y remédier.
– Enfin, l’étude montre que les clients veulent des vendeurs « sincères », qui les
laissent naviguer à leur gré, et se montre authentiquement intéressés par le fait
de les aider, qu’ils achètent ou non quelque chose.
Les bons vendeurs mêlent ces quatre traits de caractère.
L’essentiel
►► Quel que soit le parcours client (online et/ou offline), au bout du compte
c’est la qualité de la relation nouée en boutique qui fera la différence.
►► Les marques doivent reconnaître le rôle central du personnel de vente,
les seuls au contact direct des clients. De multiples formes de reconnaissance
et d’empowerment doivent être mises en place.
►► La performance des vendeurs et vendeuses est liée au modèle de
rémunération : les marques doivent le sophistiquer afin d’inclure des
dimensions variables individuelles et collectives.
►► Le service individualisé et personnalisé est le prochain défi pour les
marques de luxe.
Chapitre 11
« Aucun d’entre nous ne vend des produits de première nécessité ; le luxe est affaire de désirs
que l’on crée et que l’on satisfait. »
Belinda Earl, PDG de Jaeger3.
Voyons les choses en face : les marques de luxe courent le risque de la
trivialisation4. Avoir un trop grand nombre de magasins tue le sentiment
d’exclusivité nécessaire pour qu’une marque de luxe puisse asseoir son
image – il n’y avait qu’un magasin Hermès et demi, à Paris, jusqu’en 2010 ;
il y en a 3 aujourd’hui, mais il y en a 7 à Hong Kong ! Les marques de luxe
ne semblent pas conscientes de cela. De surcroît, elles doivent faire face à
un autre problème : le déclin du chiffre d’affaires par mètre carré dans les
magasins existants.
Quatre facteurs principaux ont contribué à ce déclin :
• La crise économique ;
• L’émergence d’Internet, qui contribue au transfert du pouvoir vers le
consommateur ;
• Les nouvelles mégatendances de consommation, parmi lesquelles
l’importance croissante de l’« éco- » attitude et du développement
durable ;
• La situation en Asie. Les marques de luxe ont commis récemment les
mêmes erreurs en Chine que quelques années auparavant au Japon.
Nous indiquions dans notre première édition que le Japon est un
marché très important pour le luxe, dans lequel, convaincues que
l’appétit des consommateurs pour leurs produits durerait toujours, les
marques ont ouvert magasin sur magasin (en 2012, lors de la rédaction
de la première édition de ce livre, Burberry avait 75 magasins au Japon
et seulement 32 aux États-Unis, Hermès 64 contre 30, Prada 35 contre
15 et Bulgari 31 contre 17 ; en d’autres termes, deux fois plus de
magasins au Japon qu’aux États-Unis, bien que les marchés soient de
tailles comparables), alors même que les ventes y baissaient depuis
2006. La situation en Chine est tout à fait identique – les marques de
luxe y sont surexposées :
– En 2009, les 18 marques les plus importantes ont ouvert
150 magasins, en 2010 160 magasins, 150 magasins en 2011, 160
en 2012, 100 en 2013.
– En 2015, les 20 marques les plus importantes totalisaient
1 125 boutiques. Elles en ont fermé 144 en 2016 et 2017 et en ont
ouvert 138. On assiste enfin à une stabilisation du nombre de
magasins (à un niveau très élevé)5.
Par conséquent, les marques de luxe réalisent (lentement) que les
marchés mûrissent plus vite qu’elles ne le pensaient. Se concentrer sur leurs
clients actuels est devenu une question clé et l’optimisation commerciale
figure désormais tout en haut de leur liste de priorités6. Elles s’efforcent de
devenir de meilleurs commerçants pour améliorer leurs chiffres d’affaires
au mètre carré et doivent donc recueillir des informations approfondies sur
leurs clients et leurs attentes.
Les sociétés doivent en permanence améliorer leurs résultats et sont
soumises à une pression toujours plus forte pour y parvenir (par exemple
sur leurs dépenses marketing et leur retour sur investissement). Cet accent
sur la collecte de données, les mesures et les résultats est présent depuis
maintenant très longtemps dans les secteurs des cosmétiques ou des vins et
spiritueux, où les marques de luxe se sont toujours affrontées à des marques
de masse dans les mêmes canaux de distribution. Mode, montres et
joaillerie, principalement distribués via des canaux très sélectifs, doivent
maintenant relever des défis similaires.
Les stratégies marketing traditionnelles des marques de luxe sont
inopérantes ici : above-the-line/sponsoring/endorsement par des
vedettes/placement de produit/publicité, tout ceci n’aide guère à nouer des
relations personnalisées avec les clients.
Cas d’entreprise
La question de la fréquentation
Tous les magasins de luxe n’ont pas à gérer le même niveau de fréquentation. Voici
quelques jalons :
– Magasin amiral d’une marque de mode française (à Paris) : 800 clients par jour
(3 000 pendant les soldes).
– Magasin amiral d’une marque de mode italienne (à Paris) : 600 clients par jour
(1 000 le samedi).
– Magasins d’une marque française de maroquinerie (à Paris) : magasin amiral,
4 000 clients par jour ; magasin secondaire, 500 clients par jour (1 000 un
samedi).
– Magasin amiral d’une marque de joaillerie française (à Paris) : 25 clients par
jour.
– Magasin amiral d’une marque européenne de biens durables de luxe (à Paris) :
100 clients par jour.
– Parfums et cosmétiques dans le magasin amiral d’un distributeur haut-de-
gamme (à Paris) : 9 000 clients par jour (20 000 le samedi).
Inutile de préciser qu’il y a une grosse différence entre le fait de gérer 25 clients par
jour et celui d’en gérer 30 000. Pour ce qui nous concerne dans ce chapitre, étant
donné que la distribution de parfums et cosmétiques en open-space appartient à une
catégorie très différente, concentrons-nous sur les points de vente plus traditionnels
des marques de luxe. Il nous semble que plusieurs modèles de luxe sont à l’œuvre
ici :
– Modèle 1 : Modèle de ventes privées. Dans des magasins avec moins de
100 clients par jour, le nombre de vendeurs est typiquement d’environ 7, ce qui
fait une dizaine de clients par vendeur par jour. La marque organisera ses
ventes sur la base d’un contact en tête à tête : chaque client recevra le temps et
l’attention nécessaires pour finaliser la vente.
– Modèle 2 : Modèle de ventes de luxe. Les magasins accueillant 500 à
800 clients par jour auront typiquement 35 à 50 vendeurs, soit environ 15 clients
par vendeur et par jour. La marque s’efforcera de maintenir toujours le bon
équilibre entre la perception du luxe et la pression du nombre de clients.
– Modèle 3 : Modèle de processus professionnel. Les magasins avec plus de
1 000 clients par jour auront quelque 200 vendeurs, soit jusqu’à 20 clients par
vendeur par jour. Le processus de vente est complètement professionnalisé,
mais la marque doit faire attention à ne pas obérer la perception du luxe.
Les marques de luxe, qui se sont toujours concentrées sur les techniques
traditionnelles du marketing, entrent désormais dans l’ère de la relation-
client.
Des repères permettent de mieux voir l’impact commercial positif des
stratégies marketing de fidélisation. Elles augmentent la dépense moyenne
par client de 7 % et la fréquence des visites en magasin de 10 %. De tels
points de référence montrent aussi l’importance du bouche-à-oreille :
• La probabilité d’un bouche-à-oreille positif de la part des membres du
programme de fidélité est 1,7 fois plus grande que par les non-
membres7 ;
• Le bouche-à-oreille est un driver des ventes ;
• « Sur une semaine typique, le consommateur américain moyen
participe à 121 conversations, dans lesquelles des noms de marques
sont mentionnés 92 fois. Pris sous un autre angle, les Américains
participent à 3,5 milliards de conversations chaque jour ! Les marques
sont évoquées 2,3 milliards de fois par jour. Les marques, on peut le
dire, sont un élément majeur des conversations américaines8. »
Mais les marques de luxe devraient avoir conscience de l’omniprésence
des termes « fidélité » et « satisfaction client ». Il est intéressant de revenir
à un article fondateur, paru dans la Harvard Business Review en 20039, qui
montrait que « une question peut à elle seule servir d’indicateur de
croissance future (…) la propension des clients à recommander un produit
ou un service de la marque à quelqu’un d’autre. » La formulation exacte de
la question était : « Recommanderiez-vous la marque X à un ami ou un
collègue ? » S’ensuit l’établissement d’une échelle séparant « les
promoteurs de la marque » – ceux des clients ayant les taux d’achats et de
recommandation les plus élevés, répondant à la question par une probabilité
de 9 ou 10 sur 10, et les « détracteurs de la marque », avec des réponses
entre 0 et 6, et les « satisfaits passifs » répondant 7 ou 8. En allant un pas
plus avant, l’article recommande de représenter graphiquement la
croissance des revenus de la marque en fonction de son taux de
« promoteurs » net, c’est-à-dire le pourcentage de promoteurs moins celui
de détracteurs. Cette étude passionnante (suivie de beaucoup d’autres)
montre que :
– le bouche-à-oreille est crucial pour une marque
– les détracteurs peuvent être dangereux
– les promoteurs sont de véritables avocats de la marque
– une marque devrait se soucier au plus haut point de transformer ses
clients en promoteurs.
D’autres études importantes ont confirmé que la promotion assurée par
les clients était un facteur de croissance dans toutes les catégories. Les
marques et les sociétés jouissant de taux de promoteurs net élevés et de taux
de bouche-à-oreille négatif faible connaissent une croissance quatre fois
plus forte que les sociétés ayant de faible taux de promoteurs et des taux
élevés de bouche-à-oreille négatif10.
La plupart des sociétés commerciales sont à la peine quand il s’agit de
nouer des relations solides avec leurs clients, comme le montre la
figure 11.1.
Cas d’entreprise
Weston – Un service magnifique
Attiré par un des articles en vitrine, je poussai la porte de la boutique J.M. Weston
boulevard des Capucines à Paris. Dès mon entrée, je sus que c’était une bonne
idée : j’y fis l’expérience d’une démonstration rare de qualité de service – une demi-
heure de pur plaisir.
C’était un samedi matin et la (petite) boutique était pleine : une douzaine de
personnes, des hommes d’une quarantaine d’années, bien habillés mais avec un
éventail de styles (allant du jeans au chic casual). Je déambulais de manière
nonchalante, regardant les modèles. Un homme vint à ma rencontre et je lui dis
qu’un modèle en vitrine avait attiré mon attention ; il m’accompagna à l’extérieur pour
identifier le modèle en question puis me conduisit à un siège libre. Peu après, une
vendeuse s’approcha et ce fut ma première surprise : elle savait déjà quel modèle
m’intéressait – l’information avait été correctement transmise. Deuxième surprise :
elle proposa de mesurer la pointure de chacun de mes pieds car, m’expliqua-t-elle,
nos deux pieds sont rarement de la même taille et cette mesure est nécessaire pour
choisir la meilleure pointure. Elle revint ensuite avec deux pointures, me disant que je
pourrai choisir l’une ou l’autre selon le confort que je recherchais. Elle m’expliqua
ensuite que la largeur qu’elle me montrait était adaptée à la morphologie de mon
pied et que la structure de la chaussure était la contribution de Michel Perry, le
designer de la marque. Troisième surprise : tandis qu’elle enlevait mes chaussures,
elle me proposa de les faire cirer par le cireur installé à l’entrée du magasin.
Formidable ! Je repartirais avec des chaussures brillantes même sans rien acheter.
Elle me parla ensuite de la marque de mes chaussures (Paul Smith), me disant qu’ils
avaient de très beaux modèles, de bonne qualité, et qu’elle suivait ce qu’ils faisaient.
(Même si ce n’était pas vrai, cela me fit me sentir bien ; quelques mots me confortant
dans la sagesse de mes choix.) Elle me guida ensuite jusqu’à un miroir en pied
(beaucoup de marques de luxe vendant des chaussures n’ont pas de tels miroirs). Je
fis mon choix puis demandai à essayer un autre modèle, qui arriva directement dans
la bonne pointure et la bonne largeur. Je décidai d’acheter les deux. Après m’avoir
demandé si je souhaitais ajouter mes informations personnelles à leur base de
données, elle m’apporta un formulaire à remplir et un stylo sur un plateau en bois.
Elle me proposa une boisson, me demanda de bien vouloir attendre un moment et
revint – quatrième surprise – avec la facture (à mon nom) et la machine à carte
bancaire sur un plateau. Pourquoi faire la queue pour payer alors que vous pourriez
tout aussi bien payer ici, assis confortablement ? Je quittais la boutique, absolument
ravi.
Cas d’entreprise
Oprah Winfrey
En 1999 un jeune homme mal rasé, en tee-shirt, jean et baskets rentre dans la
boutique amirale d’une célèbre marque de joaillerie française à Paris. Les vendeuses
ne lui accordent pas un regard et ne cherchent même pas à l’aborder. Il fait un tour
puis ressort. Un des cadres dirigeants de la marque (qui a raconté cette histoire à un
des auteurs) rentre à ce moment dans la boutique et demande : « Merveilleux ! Vous
avez vendu quelque chose à André Agassi ? ». Les vendeurs se sont alors rués à
l’extérieur pour essayer de rattraper le futur vainqueur de Roland Garros et numéro 1
mondial.
André Agassi n’avait aucun des codes vestimentaires du client du luxe de l’époque et
toutes les marques aujourd’hui assurent que le vêtement n’est plus un critère selon
lequel on évalue un client qui entre dans une boutique. Les vêtements effectivement,
mais comment interpréter la mésaventure arrivée à Oprah Winfrey en Suisse en
août 2013 ?
Venue participer au mariage de Tina Turner elle rentre dans une célèbre boutique de
luxe de Zurich où elle demande à voir un sac Tom Ford en crocodile coûtant
35 000 francs suisses. La vendeuse ne le lui montre pas préférant lui en montrer de
moins onéreux. Oprah Winfrey raconte l’histoire elle-même sur Entertainment Today13
en expliquant qu’elle était vêtue en Oprah Winfrey mais sans les diamants14 et qu’elle
a insisté pour voir le sac. La vendeuse lui explique que le sac Tom Ford est trop cher
et qu’elle ne pourra pas l’acheter !
Une fois de plus le profilage (visuel) des clients du luxe pose problème : n’importe
qui, entrant dans une boutique, peut s’avérer être un excellent client potentiel. Les
codes anciens de la bourgeoisie européenne ne sont plus de mises à l’époque où le
directeur artistique Homme de Louis Vuitton est Virgil Abloh !
Cas d’entreprise
Une segmentation clientes dans la beauté
L’un des auteurs a ainsi, dans un travail pour une marque de beauté de luxe, utilisé
une méthode exclusivement qualitative d’entretiens non directifs pour identifier les
différents segments au sein des clientes de la marque. 12 entretiens ont été réalisés
en France autour de 6 thèmes : le style de vie, la relation à la beauté, les
expériences dans le soin, la marque, le luxe.
Ils ont permis de faire apparaître des pratiques de la beauté très différentes et
d’identifier trois profils de clientes :
– La lutte contre le vieillissement et une pratique centrée sur le soin lui-même et la
recherche scientifique – le soin n’est pas un luxe
– Le plaisir pour soi où le soin est une hygiène de vie et un moment de plaisir
– La marque est un marqueur du niveau social et de la réussite et le soin est un
accès à la marque
Cette étude a par ailleurs permis d’identifier une distinction déterminante pour les
clientes de la beauté entre :
– le « vendeur », centré sur la vente, le profit
– et le « conseiller » (souvent qualifié d’esthéticienne), centré, lui, aussi, bien
entendu, sur la vente, mais adaptée au client (centré sur la relation Produit et la
spécificité individuelle du client).
Le vrai conseiller c’est celui qui dit franchement (et indépendamment du prix) :
« cette crème n’est pas pour vous ».
Pour y parvenir, il faut mettre au point une approche entièrement centrée sur
le client, qui englobe l’avant et l’après de l’expérience vécue en magasin,
qui est le point d’ancrage traditionnel pour les marques de luxe.
Les marques de luxe devraient s’efforcer de comprendre les itinéraires
suivis par les clients : ceux-ci se mettent en quête d’un produit ou d’une
marque, et s’embarquent pour une odyssée à travers différents médias et
différents lieux avant d’acheter (ou non). Ceci les conduit à connaître une
série de points de contact avec la marque, certains se révélant plus que
défavorables. Les marques de luxe devraient être conscientes du fait que
leur client peut connaître des expériences négatives sur leur itinéraire avant
ou après achat. En guise d’illustration :
Exemple
Un client dans une bijouterie se montre hésitant et le vendeur ne parvient pas à
conclure la vente. Le client rentre le lendemain dans sa ville d’origine dans un autre
pays. La plupart du temps, le vendeur ne lui aura pas donné le nom et les
coordonnées de son homologue dans cette ville, parce que « Je n’aurai pas la
commission ! ». Cela fait une vente perdue et une expérience négative pour le
client.
« Il n’est pas normal que lorsque vous amenez une montre à réparer, il vous faille attendre un
mois pour la revoir. »
Il est crucial pour les marques de luxe de renouer avec leurs clients en
redesignant des parcours clients intégrés, qui englobent tous les canaux de
distribution et tous les points de contact entre les marques et leurs clients.
Nous avons mis au point à cette fin une méthode originale que nous
décrivons ci-dessous.
Une méthode en 5 phases
L’essentiel
►► Il faut offrir une expérience client unique – tout en sachant que les clients
ont en tête les expériences vécues dans des secteurs très différents (hôtellerie,
marques de masse, marques de communication…)
►► Les parcours clients devenant de plus en plus complexes, les marques
doivent se doter d’outils d’analyse de ces parcours.
►► Les marques doivent segmenter leur clientèle et construire des relations
clients adaptées à chaque segment de clientèle
►► La clientèle du futur est celle des millenials et de la génération Z: il faut
les connaître et s’adapter à leurs attentes et à leurs conceptions de
l’expérience.
Chapitre 12
Pulvériser ce n’est sans doute pas le terme que nous aurions dû utiliser car
cela signifie « détruire ou anéantir », ce qui n’est bien sûr pas le cas, mais
cela veut aussi dire : « battre un record », et là nous sommes peut-être en
train de dire ce que nous voulons dire. Avec les ventes en ligne, le modèle
traditionnel de la vente avec des magasins, se trouve dépassé. Il était unique
et doit maintenant cohabiter avec un autre système, qui lui aussi, comporte
des avantages et des particularités, surtout dans la façon de communiquer
avec les clients, de leur apporter un service et de réaliser des ventes. Il ne
faut plus parler d’un modèle unique de distribution pour les produits de
luxe, mais d’un portefeuille de modes de distribution complémentaires qui
évoluent avec le temps et surtout se renforcent et se complexifient.
Dans ce chapitre, nous allons décrire comment les ventes online sont une
partie de l’ensemble, et pourquoi les marques n’utilisent pas un seul
système de distribution ou un seul opérateur. Enfin pourquoi tous les
opérateurs ne se limitent pas à un seul mode de fonctionnement ou à un seul
intermédiaire mais multiplient les interventions ou les intervenants pour
maintenir, à long terme, autant d’options ouvertes que possible.
■ 2002
■ 2016
14 ans plus tard, la même marque Gucci décrit l’évolution et les points forts
de son développement digital. Il y est toujours question de la qualité des
photos disponibles sur le site de la marque, et de l’attention aux détails. Et
on insiste, sur les vêtements ou les accessoires de la marque que les gens
célèbres ou les vedettes portent spontanément. Mais c’est pour passer très
vite au stade suivant : la qualité de l’expérience de présentation des produits
en ligne, la facilité d’y acheter, la qualité de l’accueil du site de vente
internent et sa facilité d’utilisation. Gucci parle en particulier de la notoriété
de son site, ce qui est un concept nouveau et intéressant.
Mais la préoccupation essentielle à l’époque, c’est de s’assurer que
l’expérience d’achat « digital » reprend et magnifie ce qui peut être vécu en
magasin. Par exemple :
• Est-ce que les modèles de la dernière collection apparaissent aussi
valorisés, en magasin et sur internet, qu’ils l’ont été lors du dernier
défilé ?
• Est-ce que ces modèles représentent bien la vie d’une vraie cliente
Gucci et la façon dont elle veut mener cette vie dans le monde ?
• Est-ce que tous les sites, soit dans un magasin soit sur la toile, offrent
facilement et à tout moment la possibilité de retourner un achat et de se
le faire rembourser, de disposer dans tous les cas de toutes les options
existantes, et de pouvoir obtenir un paquet cadeau luxueux et élégant ?
Enfin l’interrogation ne s’arrête pas là ! Il s’agit aussi de savoir si les
messages Instagram des « célébrités » sont disponibles pour tout le monde
et si la créativité de la marque est associée à la culture visuelle disponible.
On est bien loin ici de s’interroger sur la qualité des photos du site de
Gucci. La préoccupation de la marque semblait alors de s’assurer de la
qualité de l’expérience en magasin ou sur la toile et de sa richesse et de sa
diversité.
■ 2018
« Dans ces shop in shop, il n’a pas la “visibilité totale” sur ses clients et ne peut pas toujours
leur offrir un service total, complet et d’une continuité parfaite (online, offline) ».
« On ne contrôle pas toujours la qualité et la quantité du stock de marchandises dont on
dispose ».
« On ne peut pas intégrer ces clients dans un service online, offline complètement continu (et
sans interruption) ».
En fait, le client d’un grand magasin qui vient d’acheter une veste Chanel
doit pouvoir être intégré à 100 % dans la base de données clients de Chanel.
Dans le système traditionnel de shop in shop, le grand magasin est
rémunéré par une marge de détaillant. C’est-à-dire que si un client achète
un sac Chanel sur internet et veut le rendre dans un shop in shop, comment
ce produit peut-il intégrer alors le stock du grand magasin et quelle marge
doit percevoir ce magasin pour le service rendu à la marque Chanel ? La
fameuse continuité n’est plus alors assurée.
John Galantic l’expose clairement :
« Quand un client entre en relation avec Chanel, que ce soit par l’intermédiaire de Chanel.com
ou dans une application ou encore par contact avec un centre d’appel, il est entré dans la
maison Chanel et il fait partie de Chanel. »
On peut considérer que les autres marques de luxe vont également se poser
la même question et améliorer la continuité de leur service et les grands
magasins américains devraient pouvoir se trouver confrontés à une large
remise en question de leur modèle. Mais le sujet ne s’arrête pas là. Le
même constat peut être fait dans les grands magasins d’autre pays, et en
particulier ceux du Japon, du Canada, de la Corée du Sud, du Mexique ou
de l’Australie. Il va leur falloir modifier également leur modèle et le
rapprocher encore plus de celui d’un shopping mall, d’une agence
immobilière ou d’un propriétaire qui loue un magasin autonome.
De la même manière, les magasins en franchise, qui sont nombreux pour
les marques de mode premium et qui existent un peu pour les marques de
luxe aux volumes relativement faibles n’apportent pas non plus une
continuité parfaite online, offline. Ils devront très vite modifier leur mode de
fonctionnement, ou offrir une plus grande diversité de systèmes opératoires.
Et la liste n’est pas tout à fait close. Les importateurs distributeurs
doivent eux aussi réfléchir et tenter de supprimer dans leur mode de
fonctionnement, tout ce qui pourrait freiner, ou apparaître comme un frein à
cette fameuse continuité parfaite.
Les bouleversements en matière de communication
Marque Campagne
La plus interactive
Pour sa plus récente exposition, la marque a installé un audio-tour et
Louis Vuitton une carte virtuelle. En plus, elle a proposé à ses clients de jouer à un
jeu virtuel, permettant de personnaliser des malles Vuitton et de se
prendre en selfie en utilisant des stickers de la marque.
La plus démocratique
Sergio Rossi Un WeChat mini-programme (une app à l’intérieur de WeChat). Les
clients peuvent créer leurs propres chaussures Sergio Rossi.
La plus excitante
La marque organise une vente flash de 24 heures sur WeChat.
Burberry
Des produits issus de la collection Printemps/Été 2019 présentée en
défilé ne sont disponibles à la vente que pendant un jour.
La plus ludique
Farfetch Farfetch a créé un jeu mobile pour tester les connaissances de
ses clients en matière de luxe (avec des cadeaux).
La plus focalisée
À l’aide de publicités dans les WeChat Moments, la marque a réussi à
se focaliser sur une cible très recherchée : les Chinois présents à New
Michael Kors
York. Les fans pouvaient rencontrer l’égérie de la marque Yang Mi au
flagship new-yorkais de la marque. Résultat : une augmentation de
330 % de l’engagement des Chinois à New York.
La plus immersive
3 millions de fans ont suivi online un événement beauté de la marque à
Dior
Chengdu. La marque était ainsi la première à tester la nouvelle
fonctionnalité livestream « See Now, Buy Now » de WeChat.
La plus exclusive
MCM Les clients VIP de la marque pouvaient participer à un événement
privilège où ils apprenaient à faire du café.
Source : https://jingdaily.com/8-wechat-campaigns-luxury-brands-2018/
Tableau 12.1 – Les huit meilleures campagnes WeChat 2018 des marques de luxe
selon JingDaily
Le système idéal
Les pièces du puzzle
Qui va gagner la course ?
Il semble que chacun est prêt à la mise en place d’un système continu
complet et convaincant. Les grandes marques s’organisent, les petites
marques sous-traitent et s’allient, les franchisés de points de vente
s’interrogent sur la façon de faire évoluer leurs relations avec les marques,
les grands sites de gestion digitale s’installent et attendent. Pour beaucoup
d’observateurs les jeux sont faits et les sociétés comme Farfetch ou YNAP
dans un premier temps, et peut-être Amazon, Alibaba et JD.com un peu
plus tard pensent que l’avenir leur appartient.
Ce qui est sûr, c’est qu’internet et les applications digitales ont
révolutionné la distribution des produits de luxe et que chacun travaille à la
préparation d’un nouveau système et de nouvelles règles du jeu.
L’essentiel
►► Il est clair que la complémentarité des activités offline et online sera de
plus en plus assurée dans les années à venir. Mais ce résultat devra être
obtenu de manière différente selon la puissance et la flexibilité du système de
distribution mis en place aujourd’hui.
►► Plusieurs modèles digitaux se développent et seront en concurrence : un
système monomarque intégré, avec un portail réservé à une marque unique,
et un système au portail multimarque et qui agira un peu pour une marque
donnée comme l’équivalent d’un « grand magasin » pour le digital. Ces
nouveaux opérateurs essayent également de satisfaire le défi
de l’internationalisation.
►► Le développement à marche forcée d’un système continu va devoir
modifier les modes de fonctionnement actuels. Les magasins monomarques
n’appartenant pas aujourd’hui aux marques (les franchisés, les co-entreprises
ou les shops in shop ancienne formule) devront trouver des moyens simples
pour ne plus être un frein au développement du futur système de continuité
parfaite entre les activités offline et les activités online. Une réflexion devra
aussi être menée sur les droits de douane et sur les coûts logistiques.
►► Enfin, il ne faut pas s’attendre à un seul système de continuité
offline ∕ online. Chacun met en place des systèmes différents et on peut
s’attendre à une diversité d’innovations et de solutions à long terme. À ce titre,
c’est en Chine que se prépare le futur du retail en général et des marques de
luxe en particulier.
Partie 4
Les méthodes de gestion
des points de vente de luxe
Chapitre 13
Pour ce qui est des produits de masse, on distingue trois types de situations
commerciales : les points de vente de destination, les points de vente de
commodité et les points de vente d’interception.
• Le commerce de destination correspond aux situations où les
consommateurs achètent en fonction d’un processus de planification
complexe, et pour lesquels ils sont prêts à s’éloigner de leurs trajets
habituels. L’achat d’une automobile est l’exemple parfait de cette
situation, ou encore l’achat d’un berceau : Les futurs parents sont prêts
à parcourir plusieurs kilomètres avant la naissance de leur bébé pour
trouver le berceau qui leur convient : Il n’est pas nécessaire d’ouvrir
des magasins à tous les coins de rue pour ce type d’achat de
destination. Les clients sont disposés à se déplacer et à prendre le
temps qu’il faut pour l’occasion.
• Le commerce de proximité correspond à des produits dont on peut
avoir besoin à la dernière minute et que l’on veut pouvoir trouver aussi
près que possible de chez soi, ou sur son chemin entre le travail et chez
soi. Des exemples types de cette situation peuvent être du sel ou le
beurre, c’est-à-dire des produits qui peuvent manquer au dernier
moment. Pour ce type d’achat, les consommateurs ne sont pas très
attentifs au prix demandé. Ils veulent être dépannés le plus vite
possible et consacrer le moins de temps possible à l’achat. Au
contraire, pour le commerce de destination, les clients font très
attention au prix : ils prévoient leur achat à l’avance et sont prêts à
faire 10 ou 20 kilomètres s’ils sont sûrs de trouver le même produit,
dans un environnement commercial similaire mais à un prix
sensiblement inférieur.
• Le commerce d’interception correspond à des produits dont on n’a
pas forcément un besoin urgent mais pour lesquels on ne serait pas
disposé à passer beaucoup de temps pour trouver un point de vente
correspondant. Ce peut être le cas, par exemple, d’un double de clé, de
nouvelles semelles pour une paire de chaussures ou d’une boîte de
cigares. Il s’agit bien sûr d’objets utiles, mais personne ne serait prêt à
sortir au milieu de la nuit pour aller les chercher. On garde dans un
coin de son esprit l’idée que, la prochaine fois que l’on ira ici ou là, et
comme on sait qu’il se trouve un cordonnier ou un serrurier, on en
profitera pour laisser ses chaussures ou faire dupliquer sa clef. Ces
magasins ne sont pas des destinations par eux-mêmes, mais ils doivent
être sur le chemin ou à l’intérieur d’un centre commercial important,
ou à proximité d’une gare ou d’autres lieux du même genre.
En fait ces trois types de situations commerciales finissent par se trouver
dans deux types de situations d’achat différentes :
Les achats qui font partie d’une routine
Les achats de commodités
Ils peuvent être effectués en dessous de chez soi, mais certains d’entre eux
peuvent aussi être réalisés en complément d’une routine associée à un achat
de destination.
Dans le commerce de proximité ou de destination, l’endroit choisi et
l’atmosphère doivent être différents. Dans le cas de la proximité, ce qui
compte, c’est presqu’exclusivement la facilité d’accès : la zone de
chalandise est assez réduite et le luxe ou l’originalité de la décoration ne
sont pas déterminants. On ne peut pas parler ici d’une « Cérémonie
d’achat » et la seule chose qui compte, c’est que les vendeurs soient
efficaces, discrets et non conflictuels. Dans le cas de magasins de
destination, il faut que le client soit récompensé de son effort, soit par des
prix exceptionnels, soit par un service mémorable : Il faut par exemple que
l’effort de prendre sa voiture et de faire quelques kilomètres en vaille la
peine.
Aux États-Unis, c’est la raison pour laquelle les principaux centres
commerciaux tentent de s’ancrer autour d’un ou plusieurs grands
magasins : l’objectif est simplement d’amener des clients dans le centre.
Une fois leur shopping de destination effectué, ils peuvent faire un tour et
entrer dans d’autres magasins. Ils finiront probablement par acheter des
choses qu’ils n’avaient pas prévu d’acheter et en profiteront également pour
faire un brin de shopping intermédiaire.
Pour les marques de luxe, les mêmes concepts s’appliquent, mais en
fonction de l’attractivité de chaque marque. Plus celle-ci est forte, plus la
situation devient celle d’un shopping d’excursion. Si la marque est
relativement faible, elle devrait prévoir de rendre possible des achats dits
« d’interception » ou même des achats de « commodité » qui s’intègrent
ainsi dans la routine du commerce de destination.
Pour les marques de luxe, comme on le verra plus loin, cette notion de
destination est fondamentale. Plus une marque est puissante et attractive,
plus elle bénéficie d’une clientèle de « destination » et plus elle attire à ses
côtés des marques plus faibles qui vont profiter de sa dynamique.
En Chine par exemple, les promoteurs immobiliers qui projettent
d’ouvrir de nouveaux centres commerciaux tendent à démarcher d’abord les
directeurs généraux des marques les plus solides pour leur proposer une
boutique avec un loyer très modéré, voire nul. Ils savent que s’ils peuvent
attirer trois ou quatre grandes marques ayant un très fort pouvoir
d’attraction, ils n’auront ensuite aucun mal à louer le reste de l’espace à
d’autres marques, cette fois-ci avec un loyer beaucoup plus élevé, en leur
promettant une clientèle, en quelque sorte captive. Ce système est très
pertinent sur le plan économique, mais il n’en est pas moins injuste
puisqu’in fine ce sont les marques les plus faibles qui paient le loyer des
marques les plus fortes.
Leur nom est facile à comprendre. Ils n’ont pas pour seul objectif de gagner
de l’argent, mais pour communiquer la force et la santé de la marque et
développer sa notoriété et son image.
En plus d’être des magasins dans lesquels on vend des produits, ce sont
aussi des showrooms où les journalistes, les distributeurs étrangers ou les
licenciés peuvent voir l’ensemble de la collection et se faire une idée de la
manière dont elle devrait être mise en avant et vendue.
Les flagship stores auront d’abord vu le jour dans la ville d’origine de la
marque. Le grand magasin Hermès de la rue du Faubourg Saint-Honoré à
Paris en est un bon exemple. À Paris, ces magasins sont traditionnellement
les plus anciennes boutiques de la marque, sinon la boutique originelle, et
ils présentent un assortiment complet de la marque. Ce sont des boutiques
réalisant un chiffre d’affaires important, mais ce sont surtout de vraies
institutions. Chanel rue Cambon à Paris est par exemple un magasin de ce
type ; il s’agit en fait du magasin d’origine (agrandi bien sûr au fil du
temps), dans lequel l’ensemble du concept et des produits Chanel peut se
déployer. Dior avenue Montaigne, à Paris aussi, est aussi un magasin de ce
type situé sur les lieux d’origine de la marque.
Cependant, au cours des dix dernières années, les marques se sont
mondialisées et leurs dirigeants ont élargi le concept de magasins « navire
amiral ». Les plus grandes marques ont décidé d’ouvrir de tels magasins
non seulement dans leur ville d’origine mais aussi dans toutes les capitales
des pays prioritaires pour la marque : Tokyo, Hong Kong, New York et
Shanghai, par exemple. Pour chaque aire géographique, cette extension du
concept de « navire amiral » correspond à la nécessité de faire vivre la
marque, de développer son concept et de présenter son offre de produits
dans des conditions optimales qui permettent une amplification des
événements de relations publiques et de merchandising.
Enfin un commentaire qui ne doit échapper à personne : un vrai magasin
flagship ne doit pas apparaître comme une simple opération de relations
publiques. Il doit être plein de clients et apparaître rentable, vivant et
débordant d’activités.
Les mégastores
C’est un autre concept, qui s’est développé depuis 1995 dans le secteur du
luxe. Il s’agit d’immenses magasins d’au moins 1 000 mètres carrés.
La définition des mégastores recoupe en partie celle des magasins
flagships : beaucoup parmi ces derniers sont des mégastores, mais d’autres
mégastores peuvent être créés avec des objectifs différents. Ouvrir un
mégastore n’a pas toujours pour objectif de valoriser l’origine de la marque
ou de créer une institution. Il peut s’agir aussi d’une démonstration de
force : telle marque veut montrer à tout le monde, concurrents et
journalistes compris, qu’elle a la capacité d’ouvrir un immense magasin
dans telle ville et d’y gagner de l’argent. C’est une démonstration de force
et d’ambition. L’idée n’est pas tant d’avoir un magasin vaste, mais d’en
avoir un plus grand que les autres.
Dans les 18 magasins qui apparaissent dans le tableau 13.1, 7 sont situés
en Asie, où il est important de montrer sa force. Seuls Armani à Milan et
Louis Vuitton à Paris peuvent être considérés également comme des
magasins navire amiral d’envergure mondiale. Beaucoup d’autres jouent le
rôle de démonstration de force régionale, ayant pour vocation de
personnifier la priorité accordée à un territoire donné. Il n’est d’ailleurs pas
étonnant de découvrir pour la première fois Valentino sur cette liste. C’est
une consécration, et une indication que cette marque veut maintenant jouer
dans la cour des grands…
Il est clair que le développement des mégastores ressemble un peu à une
bataille de titans dans laquelle seuls les très grands peuvent concourir et
gagner de l’argent. Les petites marques, ou même les marques
intermédiaires, ne peuvent participer à ce jeu – elles restent sur la touche.
Autre conséquence de cette bataille de titans : il y a une très forte
incitation au développement de toutes les catégories de produits. Il serait
pour le moins lassant, sinon ridicule, de ne vendre rien d’autre que des sacs
à main dans un magasin de 2000 mètres carrés. Pour rester dans le jeu des
mégastores, il est nécessaire de présenter une collection de produits
complète, avec bien entendu une collection de prêt-à-porter de luxe. Les
mégastores constituent donc pour les grandes marques une incitation très
forte à développer un assortiment complet.
On pourrait penser qu’en développant ces magasins immenses, les
marques ont l’air de se battre entre elles en oubliant les clients, de la même
manière que les grands magasins dans les années 1880, qui développaient
une offre produits toujours plus étendue avec toujours la même enseigne.
Les mégastores continueront-ils à se développer ? Probablement, tant qu’ils
pourront être rentables et que les marques voudront, sur les marchés qui
sont pour elles prioritaires, montrer leur force. Nous devons aussi nous
souvenir qu’ils sont bien plus que des magasins : ils tendent à devenir de
véritables institutions dans les villes où ils sont situés.
Tableau 13.1 – Exemples de mégastores (et leurs espaces de vente en mètres carrés)
en 2018
Les magasins institutionnels
D’une certaine manière, ceux-ci sont le contraire des mégastores. Lorsque
des marques réalisent une large part de leurs ventes en distribution indirecte
par l’intermédiaire de magasins multimarques, elles doivent renforcer leur
image grâce à de petits magasins qui agissent un peu comme des
showrooms ouverts au public, qui formulent un message, et qui montrent
aux consommateurs et aux détaillants multimarques que cette marque est
aussi une véritable institution, comme les grandes. Ces magasins
institutionnels n’ont pas besoin d’être immenses : 60 à 200 mètres carrés
suffisent, mais ils doivent être situés dans des endroits prestigieux.
Beaucoup de fabricants d’horlogerie ont ouvert ce type de point de vente.
Ils présentent tout l’environnement de la marque, contrairement aux
bijoutiers indépendants qui ne peuvent en montrer qu’une partie puisqu’ils
vendent une gamme de produits très étendue et correspondant à différentes
marques. Le fait d’avoir une adresse prestigieuse dans une ville donnée
renforce aussi l’image de marque et offre une garantie d’un service après-
vente de plus grande qualité.
Mais de tels magasins nécessitent des endroits quasiment exceptionnels.
Lorsque certains fabricants de montres ouvrent ce type de magasins
institutionnels à Shanghai, par exemple, mais du mauvais côté de la rue
Huai Hai Zhong Lu ou au sous-sol de Plaza 66, ils passent à côté de
l’objectif.
Les boutiques éphémères
Étant donné l’équilibre existant pour chaque marque entre les implantations
de proximité et les implantations de destination, il devrait être possible de
déterminer un nombre idéal de points de vente dans une ville donnée.
D’un point de vue extérieur, nous pouvons observer que lorsqu’une
marque dispose d’un magasin flagship ou d’un mégastore dans une ville
donnée, elle se montre souvent réticente à en ouvrir un autre : les équipes
commerciales veulent probablement s’assurer que le flagship fonctionne au
mieux, et ne veulent pas prendre le risque d’une deuxième ouverture avant
plusieurs années. Hermès n’a eu, pendant très longtemps, qu’un seul
magasin à Paris (leur flagship) et un petit point de vente dans l’hôtel Hilton
sur la Rive gauche (et un demi-magasin sur l’avenue Georges V, qu’ils
partageaient avec la marque de chapeaux Motsch), tandis que Salvatore
Ferragamo avait plus de 10 magasins dans cette même ville. Hermès a
probablement sous-optimisé son chiffre d’affaires parisien. Aujourd’hui,
Hermès a ouvert un deuxième magasin rue de Sèvres et un troisième avenue
Georges V. Pendant de nombreuses années, Louis Vuitton n’avait de même
qu’un mégastore à Shanghaï, et 3 magasins à Pékin, avant qu’ils n’ouvrent
2 magasins supplémentaires à Shanghai et à nouveau 3 à Pékin, ce qui lui
fait un total de 3 à Shanghai plus 6 à Pékin en 2018. Il se peut qu’un
magasin flagship, avec son fort pouvoir d’attraction, réduise l’intérêt d’un
deuxième point de vente (de volume ou de proximité). Mais la plupart des
grandes villes possèdent zones de commerce prestigieux et plusieurs
quartiers où il est de bon ton d’être présent.
Puisque nous passons de l’idée d’un seul magasin (situé dans le meilleur
endroit possible ou dans un lieu d’exception) à celle de plusieurs, il nous
faut analyser de manière plus systématique le potentiel de différentes
localisations dans une ville.
Ce qui est spécifique au luxe, c’est que les consommateurs achètent dans
leur propre pays mais aussi à l’étranger. Un client japonais peut très bien
acheter une cravate Hermès à New York, un citoyen français peut acheter
un parfum italien en Allemagne, et un Suédois peut acheter un parfum
français pendant ses vacances aux Îles Canaries, qui font partie de
l’Espagne. Le résultat net de ces attitudes individuelles est que, si une
marque de luxe veut exister et être crédible, elle doit être disponible dans
presque tous les pays du monde.
Lorsqu’une marque de luxe n’est pas disponible aux États-Unis, au Japon
ou en France, elle perd une partie de sa force et de son pouvoir d’attraction.
Des Espagnols préféreront acheter un bijou Cartier ou Bulgari plutôt que
Suarez car ils savent que même si Suarez est très connue en Espagne, elle
est inconnue à New York ou en Allemagne et ne pourra donc pas
impressionner leurs amis étrangers. Donc, d’une certaine manière, aucune
grande marque de luxe ne peut rester locale : elle doit se développer sur la
scène mondiale. Des marques qui démarrent peuvent être d’abord locales,
mais seulement si elles donnent les signes clairs d’une volonté de se
développer à l’international par la suite.
Où les marques sont-elles situées dans le monde ? Richard Ellis a
examiné cette question dans une étude menée par CBRE sur la présence des
marques de luxe dans différentes capitales. Le résultat figure dans le
tableau 13.3.
Ce tableau réserve plusieurs surprises : d’abord, le fait que 11 villes aux
implantations habituelles sur 18 sont situées en Asie (avec seulement 2 en
Amérique, dont curieusement Las Vegas). Deuxièmement, le fait que, dans
les 11 villes asiatiques, seulement 3 sont situées en Chine continentale,
(avec Chengdu qui est presque aussi bien lotie que Pékin) contre 3
également au Japon (avec Nagoya et Kobe qui compensent l’absence
d’Osaka…) et 2 dans la petite île de Taïwan.
Tableau 13.3 – Présence (en pourcentage) d’un panel de marques de luxe dans
différentes villes mondiales
1 Shanghai 87 %
2 Dubaï 83 %
3 Londres 83 %
5 Tokyo 79 %
6 Singapour 75 %
8 Taipei 73 %
9 Moscou 73 %
10 Pékin 71 %
11 Paris 71 %
12 Séoul 69 %
14 Chengdu 67 %
15 Taichung 67 %
16 Milan 67 %
17 Nagoya 67 %
18 Kobe 65 %
Source : CBRE, Richard Ellis, Global Retailing, 2018.
1 Londres
2 Hong Kong
3 Paris
4 Tokyo
5 New York
6 Shanghai
7 Singapour
8 Dubaï
9 Pékin
10 Osaka
11 Taipei
Mais comment les vendeurs décident-ils d’aller dans telle ville plutôt que
telle autre, et sur quels critères se fondent-ils ? Cela va dépendre de
l’origine nationale des marques. La société CBRE a ainsi regardé l’origine
des marques dans 3 des plus grandes rues du commerce de luxe (sans
d’ailleurs avoir étendu leur analyse ni à Paris ni à Milan…). Le résultat
apparaît dans le tableau 13.5.
Tableau 13.5 – Pourcentage d’origine des marques installées dans trois grandes rues
commerciales
Bond Street Madison Avenue Canton Street
Londres New York Hong Kong
Chine – – 27 %
Bombai 4,4
Macao 30,9
Osaka 9,4
Pékin 4,2 171,1
Séoul 13,5
Singapour 16,4
Taipei 10,6
Tokyo 13,1
Le cas de la Chine continentale
Versace 9 7 1 2 32 51
Moncler 5 4 1 2 15 27
Dolce & G 8 7 3 3 26 47
Zegna 13 9 3 3 53 80
Givenchy 4 4 2 2 7 19
Tod’s 3 5 3 3 23 37
Ferragamo 8 8 5 4 50 75
Bulgari 6 5 1 2 20 32
Alex McQ 2 2 1 - 3 8
G. Armani 4 2 2 2 14 24
Miu Miu 5 4 1 1 14 25
Burberry 6 7 2 3 39 57
Bott. Ven 9 4 2 3 21 39
Loro Pian 5 3 1 1 7 17
Valentino 7 4 2 1 9 23
Gucci 6 7 2 2 40 57
Saint Laur 7 3 2 - 9 21
Prada 4 6 2 2 23 37
Louboutin 4 3 1 1 1 10
L. Vuitton 6 3 4 3 25 41
Hermès 5 4 2 1 13 25
Ce qu’on peut remarquer, c’est que Pékin est de loin la première ville qui
récupère 17 % des implantations, loin devant Shanghai avec 12 %… et les
troisième et quatrième villes sont beaucoup moins connues que par exemple
Shenzhen ou Guangzhou. Ces deux dernières pâtissent bien évidemment de
la proximité de Hong Kong, une ville sans droits de douane alors que ceux-
ci (ainsi qu’une taxe spéciale de luxe) sont élevés en Chine continentale. Ce
qui est certain, c’est qu’une présence en Chine doit correspondre à un plan
complet, élaboré et coûteux de développement qui passe par une
communication forte pour développer la notoriété de la marque au niveau
national, alors les consommateurs de luxe sont répartis dans une bonne
douzaine de villes.
Enfin, pour analyser les implantations les plus logiques, Jones Lang Lasalle
a mis au point un indice de transparence pour évaluer le niveau de sécurité
dans différents pays, selon qu’il est plus ou moins dangereux d’y investir
dans l’ouverture d’un point de vente. Jones Lang Lasalle essaie à cette fin
de définir les différents niveaux de risques pour les opérateurs et le niveau
de sécurité financière de l’investissement.
Leur indice de transparence se fonde sur cinq critères :
• La disponibilité d’un indice de performance des investissements
• La disponibilité des données fondamentales du marché
• Les réglementations et les obligations en matière de gouvernance et de
communication financière
• Les facteurs réglementaires et légaux
• Les standards professionnels et éthiques
L’idée est que lorsqu’un acteur mondial investit dans un point de vente à
l’étranger, il doit pouvoir se fier à sa valeur, il doit pouvoir le revendre
ultérieurement à un prix acceptable, il doit pouvoir trouver localement des
propositions de financement stables et il doit pouvoir être sûr que les
éléments légaux et réglementaires de l’opération sont clairs pour tout le
monde et qu’il n’y aura pas, plus tard, de mauvaises surprises.
Le tableau 13.8 dresse une liste d’une sélection de pays, où l’on peut
voir, dans la première colonne, les neuf pays correspondant à l’indice de
transparence le plus élevé. Il est intéressant de remarquer, bien sûr, que des
pays comme l’Allemagne, l’Italie, la Suisse ou le Japon n’atteignent que le
deuxième niveau de transparence parce que l’environnement qu’ils
présentent pour l’immobilier commercial n’est pas toujours aussi simple
qu’on pourrait l’espérer.
Tableau 13.8 – Situations géographiques des activités commerciales (indice de
transparence)
Haute Faible
Transparence Semi-transparence
transparence ou Opaque
4. Nouvelle-
13. Finlande 49. Chine villes de rang 1 81. Algérie
Zélande
5. Royaume Uni 14. Allemagne 50. Inde villes de rang 1 81. Syrie
19. Italie
20. Suisse
21. Afrique du
Sud
22. Portugal
23. Malaisie
24. République
Tchèque
25. Pologne
26. Japon
Analyse économique
Analyse géographique
Les données économiques doivent ensuite être équilibrées par une analyse
géographique élémentaire. Chaque zone commerciale est singulière à sa
manière, et sa structure propre peut avoir des impacts très différents, par
exemple, pour un grand magasin d’ameublement, un supermarché isolé ou
encore un grand centre commercial avec une vaste sélection de
marchandises. Il faut aussi avoir en tête la manière dont les gens se
comportent quand ils se déplacent dans une ville donnée.
D’abord, il y a des obstacles, tels que rivières ou autoroutes, que les gens
ont tendance à ne pas vouloir franchir pour aller faire leurs courses même si
le magasin ou le centre commercial en question se trouve en fait d’accès
plus rapide que celui qui est situé du même côté qu’eux… À Hong Kong,
par exemple, un résident de l’île aura du mal à organiser une visite à des
points de vente qui se trouvent sur la péninsule, c’est-à-dire du côté de
Kowloon, bien qu’il puisse prendre le métro pour traverser le chenal. À
Paris, les gens qui vivent Rive gauche ont tendance à faire leurs achats sur
cette rive, et ceux qui vivent Rive droite ne sont pas plus enclins à traverser
la Seine. Ils le feraient bien sûr pour aller au travail ou à l’université, mais
ils sont moins disposés à le faire pour leurs courses. Pourquoi ? Il n’existe
pas de raison simple à ceci.
Les voies de chemin de fer constituent également un obstacle
psychologique, particulièrement si elles ne sont pas souterraines. Mais les
gares, comme nous l’avons vu dans le cas du Japon, fonctionnent comme
des aimants, non seulement sur les voyageurs mais aussi sur les gens qui ne
prennent jamais le train.
Quelles sont les meilleures parties d’une rue ? Dans l’hémisphère nord,
pour une rue allant d’est en ouest, le côté nord est toujours le premier choix,
car il est plus ensoleillé alors que le côté sud est à l’ombre. Bien sûr, si la
rue est très étroite et les immeubles très hauts, la différence s’amenuise ou
même disparaît. Mais à Paris, sur les Champs-Élysées, il y a trois fois plus
de passants sur le trottoir nord que sur le trottoir sud. Le loyer est-il trois
fois moins cher sur le côté sud ? Pas vraiment, mais les agents immobiliers
disent que les loyers y sont en moyenne 30 % moins cher sur le côté sud
que sur le côté nord. Le côté sud offre donc une alternative intéressante
pour les magasins des marques « de destination », mais il ne serait pas un
choix très pertinent, en termes d’équilibre financier, pour des marques de
commodité comme des fast-foods ou des vendeurs de glaces qui doivent
pouvoir profiter du nombre de clients potentiels passant devant leur
magasin. Dans les rues orientées sud-nord, le côté est est préféré car il est
plus lumineux l’après-midi, à l’heure où les gens font l’essentiel de leurs
courses.
Quid de villes comme Madrid ou Singapour, où le climat est très chaud ?
Dans ce cas, les gens préféreront marcher à l’ombre, mais seulement dans
une certaine mesure, car le soleil illumine les boutiques du côté nord, les
rendant plus attractives, tout comme à Londres ou Tokyo.
Est-ce que ceci fait une différence ? Clairement oui sur les Champs-
Élysées à Paris, puisqu’il y a trois fois plus de passants sur le trottoir nord
que sur le trottoir sud ; un magasin situé côté sud et qui n’aurait pas un fort
pouvoir d’attraction risquerait de voir trois fois moins de clients entrer dans
sa boutique que s’il avait été du côté nord. Et ce point n’a rien d’insignifiant
bien sûr, car, comme nous venons de le signaler, le loyer sur le côté sud des
Champs-Élysées n’est pas trois fois moins cher que sur le côté nord.
Regroupements
Dans une ville donnée, les zones commerciales peuvent être vues comme le
résultat d’une somme de regroupements obtenus en fonction d’éléments
économiques et commerciaux. Pour une petite ville, les zones commerciales
de deux supermarchés se superposent, mais s’il n’y a qu’un seul bijoutier, il
pourra bénéficier de la clientèle des deux supermarchés.
À chaque fois qu’un client fait un achat, il est intéressant de savoir où il
habite. S’il paie par chèque, il est très simple de relever son adresse. S’il
paie par carte bancaire et qu’aucune pièce d’identité n’est nécessaire,
l’information est un petit peu plus difficile à obtenir. Une alternative est de
réaliser un sondage auprès d’un échantillon des clients quittant le magasin.
Quelle que soit la manière dont cette information est obtenue, il est
intéressant pour une marque de connaître le pourcentage de volume réalisé
auprès de clients vivant à 5, 10, 20 30 minutes ou plus du magasin : ceci
peut fournir des indications très précieuses sur la manière d’assurer la
promotion du magasin (et sur quel territoire le faire), et ceci peut aussi être
très utile en cas de réflexion sur l’ouverture d’un second magasin dans la
même ville.
Les lois de Reilly
Les lois de William J. Reilly datent de 1929 mais sont toujours considérées
comme la seule manière d’évaluer le pouvoir d’attraction de deux magasins
similaires dans deux villes, ou l’impact de plusieurs magasins concurrents
dans une même zone commerciale.
Application au luxe
« L’essence de notre démarche est de marquer le « produit » de manière à répondre aux attentes
des gens, à leur permettre de faire l’expérience de cette identité de marque. Il nous faut créer
une image ici qui donne un sentiment d’unité. »
Acheteurs et flâneurs diraient probablement les uns comme les autres que
c’est en effet ce qu’ils attendent d’un nouvel espace de magasins.
Exemple
L’exemple de Londres
Dans son livre sur la vente au détail, Emanuele Sacerdote1 donne l’exemple d’une
étude menée par Management Horizons Europe sur le positionnement de
différentes rues londoniennes pour l’implantation d’un magasin de luxe. Le
tableau 13.9 donne un extrait de cette analyse.
Tableau 13.9 – Positionnement de différentes rues londoniennes en termes
d’image de marque
Classique/
Classique Contemporain Tendance
Contemporain
Covent Garden x x
King’s Road x x
Brick Lane x
Regent Street x
Bond Street x x
Carnaby Street x x
Sloane Street x x
Knightsbridge x x
Source : « Management Horizons Europe Project 2006 », dans Emanuele Sacerdote, La strategia retail
nella mode e nel lusso (Milan : Franco Angeli, 2007).
L’idée est qu’en plus de son efficacité à générer du chiffre d’affaires pour une
marque donnée, la localisation d’un magasin dit aussi quelque chose des valeurs
de la marque et de ce qu’elle est : la localisation d’un magasin est un puissant outil
de communication. C’est un investissement en termes d’image, et les
caractéristiques qu’il véhicule doivent être comprises dès le début du processus de
recherche et d’analyse.
Le système japonais
Au Japon, les baux sont généralement signés pour une durée de neuf ans,
mais avec la possibilité pour le locataire de résilier le bail tous les trois ans.
Le montant du loyer est clairement spécifié dans le contrat de location, y
compris les clauses de hausse éventuelle, qui sont mentionnées.
À la signature, le locataire doit donner au bailleur une somme égale au
loyer pour toute la durée du bail. Ainsi, pour un bail de neuf ans, il devra
faire un chèque d’un montant égal aux neuf ans de loyer. Le bailleur peut
encaisser le chèque et rendre la somme au locataire à l’issue de la période
de location. Si après neuf ans, les deux parties décident de signer un
nouveau bail de neuf ans à un loyer supérieur, le locataire devra faire un
chèque couvrant la différence de loyer pour les neuf années suivantes.
À la fin du bail, si le locataire veut s’en aller, il recouvrera son dépôt de
garantie, sans aucun intérêt additionnel.
Ce système est très intéressant pour le bailleur puisque, d’une certaine
manière, pendant la durée du bail, il perçoit quasiment un double loyer. Dès
le premier jour de la location du magasin, il peut déposer à la banque
l’équivalent de neuf ans de loyer. En général, acheter ou faire construire un
magasin coûte environ l’équivalent de 10 à 15 ans de loyer : le bailleur peut
donc rembourser la majeure partie de son investissement dès qu’il met son
bien en location. Il peut dès lors acquérir un autre magasin et recommencer.
Pour le locataire, ce système est extrêmement coûteux et la location et
l’ouverture d’un nouveau magasin constitue un investissement très lourd.
Louer 10 à 20 magasins au Japon nécessiterait un investissement quasiment
impossible pour une marque de luxe, même pour une des plus grandes.
Elles ont donc eu tendance à louer seulement un ou deux magasins en
propre et à ouvrir des shops in shop dans les grands magasins : c’est la
raison pour laquelle les marques de luxe au Japon sont principalement
présentes dans ces grands magasins.
Dans un deuxième temps, les marques de luxe qui se sont le mieux
développées au Japon ont décidé d’établir un magasin en partant du
« commencement ». Elles ont acquis un terrain, si possible dans un très bon
endroit, puis ont fait construire leur propre magasin, conforme à leurs
propres exigences. Souvent, il s’est agi de mégastores tout à fait
magnifiques ou en tout cas de flagships très impressionnants.
Le système japonais de dépôt de garantie fut probablement au départ un
système de protection contre un développement excessif des magasins de
marques étrangères. Au fil du temps, il a constitué une formidable prime
aux grands magasins puis dans un second temps une incitation très forte à
l’installation de magasins en gestion directe.
Le système américain
Dans le système américain, le bail est aussi signé pour une durée très
longue, 9 ou 10 ans. Il peut y avoir une sorte de droit d’entrée versée au
locataire précédent, officiellement pour couvrir les coûts de décoration,
mais les montants restent minimes.
Les hausses de loyer sont précisées au début du processus et portées au
contrat. Il n’y a aucune somme due de part et d’autre lors de la résiliation et
le contrat prend effet dès la signature.
Il est important de remarquer qu’il n’existe pas de clause de résiliation
dans les contrats américains ; ceci signifie que, si après trois ou quatre mois,
le locataire réalise que le lieu n’est pas si bien que prévu ou qu’il n’arrivera
jamais à l’équilibre avec sa marque et ses produits dans cet endroit, il doit
malgré tout continuer à payer le loyer pour toute la durée du bail sans
aucune possibilité de négociation du loyer ou de sortie. Il est par exemple
impossible de demander une réduction de loyer en cas de ventes inférieures
au budget prévu. Si locataire décide de fermer le magasin, il faut encore
qu’il continue à payer le loyer. La seule porte de sortie consiste à trouver
quelqu’un qui prendra le magasin en sous-location, généralement pour un
loyer inférieur, si bien qu’il faudra tout de même continuer à payer la
différence.
Beaucoup de gens ont connu cette situation difficile et découvert au fil du
temps une protection possible contre ce système : une société de luxe
étrangère peut créer une filiale unique pour gérer chacun de ses magasins.
Le jour où ce magasin connaît des problèmes, et doit être fermé, la solution
pour échapper à son engagement financier auprès du bailleur consiste à
déclarer la filiale en faillite et de sortir du jeu.
Les bailleurs ont bien sûr trouvé une riposte. Ils exigent parfois que le
siège milanais ou parisien se porte garant. Si l’emplacement se révèle très
bon et est très demandé, certains dirigeants pourront accepter de telles
clauses. Dans d’autres cas, ils refuseront probablement.
Le système américain est le standard en Chine, à Hong Kong et dans la
majeure partie de l’Asie du Sud-Est, mais avec des durées de bail bien plus
courtes (trois ans en général) de sorte que l’engagement financier (et le
risque) devient alors tout à fait raisonnable.
Le système français
Exemple
Les tableaux 13.10, 13.11 et 13.12 donnent des exemples des coûts de
location dans différents emplacements de premier choix à travers le monde.
Aussi, quand on examine les diverses alternatives, on est confronté à des
choix entre des magasins ayant 100 % de leur espace en rez-de-chaussée et
d’autres ayant une partie de leur espace en sous-sol ou en étage. Quelle est
l’efficacité de ces différentes configurations en matière de ventes ? Le fait
est qu’il est difficile, même avec un escalier mécanique, d’amener les
clients au deuxième ou au troisième étage d’un magasin.
Une étude ancienne, bien que dépassée, a l’avantage d’apporter quelques
éléments de réponse à la question de la fréquentation d’un magasin en
fonction des étages. William Davidson a pu mettre la main sur un document
interne d’un grand magasin américain pour analyser les différents niveaux
de coûts de location en fonction des étages. Les résultats sont présentés
dans le tableau 13.13.
Tableau 13.13 – Répartition des loyers par niveaux dans un grand magasin de l’Ohio
Indice de comparaison
Pourcentage du total
avec le rez-de-chaussée
Sous-sol 5.1 14
2 18.2 50
3 13.1 36
4 10.3 28
5 9.3 26
6 3.5 10
Bureaux 4.4
–
100 %
Source : William Davidson, Retailing Management (New York : John Wiley & Sons, 1999).
Exemple
Un exemple intéressant peut être analysé ici – celui du nouvel espace Beauté du
Printemps à Paris. 3 000 m2 ont été installés en juillet 2017 sur trois étages dans
l’ancien magasin Printemps de l’Homme. On y trouve ainsi au premier étage
l’ensemble de l’offre Parfums avec une mise en avant des nouvelles marques de
niche : Acqua di Parma, Éditions Frédéric Malle, Atelier Cologne, by Kilian, Jo
Malone ainsi que des dizaines d’autres. Cet espace est le rêve pour une marque de
parfumerie de niche (et a fortiori pour un client de ces marques) : elles occupent un
étage entier de shop in shops, les marques de luxe étant reléguées en fond d’étage
sur des étagères de type « supermarché ». Elles sont ainsi merveilleusement mises
en avant. Mais cet étage reste désespérément vide de clients ! Pourquoi ?
Notre analyse est que cet espace n’est en rien conforme aux règles élémentaires
que nous rappelons dans ce livre : les clientes de la beauté sont essentiellement
des femmes – qui ont pour habitude d’aller acheter leurs parfums au rez-de-
chaussée du magasin principal (comme aux Galeries Lafayette voisins). On leur
propose tout d’un coup deux ruptures :
• On déplace le Printemps de la Beauté du magasin principal au magasin
secondaire situé dans une rue derrière le boulevard Haussmann. Les clients
masculins, lesquels ont des pratiques d’achat sensiblement différentes, ne
voyaient aucun inconvénient à aller dans ce magasin secondaire qui leur était
tout entier dédié. Les femmes n’y vont pas.
• On déplace le parfum au premier étage de ce magasin secondaire – perdant
par là même une partie importante de la clientèle.
L’échec était prévisible. Toute la question est maintenant de savoir comment cette
erreur sera rattrapée.
L’essentiel
►► Nous savions déjà qu’une marque de luxe devait être présente partout
dans le monde et que si elle pouvait privilégier son pays d’origine, elle devait
obtenir une présence aussi internationale que possible.
►► Très longtemps, les spécialistes de l’industrie se sont contentés de là où
se trouvaient les principaux concurrents. Aujourd’hui les outils d’optimisation
existent et les réflexes s’acquièrent par expérience.
►► Ce qui est certain, c’est que dans un même quartier, pour ne pas dire dans
la même rue, le nombre de consommateurs passant la porte du même magasin
peut varier du simple au double. Cela nécessite de bien étudier la localisation
d’un nouveau point de vente et de rassembler les données de passage et
comportement des clients potentiels. Ce qui est certain, c’est qu’aujourd’hui ces
données existent et peuvent être facilement disponibles.
►► Heureusement, pour chaque produit et chaque situation
concurrentielle, il existe des magasins adaptés, soit à différents niveaux de
budget ou de notoriété, soit à des objectifs commerciaux différents.
►► Enfin, à l’ère digitale, le magasin idéal peut jouer différent rôle. Ce peut
être un navire amiral destiné à présenter la richesse et la diversité de la marque
et de ses produits, cela peut être un petit magasin accessoire des activités
online des consommateurs ou ce peut être un magasin traditionnel cherchant à
offrir un service impeccable et offrir une continuité O2O parfaite
à des consommateurs de proximité.
Chapitre 14
Dans l’industrie du luxe, qui repose sur la création, les clients arrivent
généralement en deuxième position. La culture de l’expérience client n’est
pas essentielle à cette industrie. En un sens, le commerce de détail est une
compétence nouvellement acquise : le processus de création, le produit, le
concept de magasin, le merchandising visuel ont toujours été plus
importants que l’expérience de vente elle-même.
Comme nous l’avons vu dans les chapitres précédents, le nouveau défi
que doivent relever les marques de luxe consiste à améliorer la fidélité de
leurs clients. Cela ne peut se faire qu’au niveau des magasins, en
développant le service et la relation client. En d’autres termes, les marques
de luxe doivent devenir des sociétés de services de luxe. Trois objectifs sont
essentiels ici :
• Développer le clienteling : chaque client doit être reconnu en tant que
tel et toutes ses informations personnelles doivent être conservées. Le
clienteling signifie établir une relation personnelle entre un vendeur et
un client. Cela ne peut être réalisé que par des attitudes spécifiques et
avec le soutien de la technologie (CRM).
• Faire du service la pierre angulaire de la relation client : shopping sur
rendez-vous, disponibilité d’un vendeur personnel, livraison des
achats, envoi de notes de remerciement manuscrites… Ce ne sont là
que quelques exemples des services qu’un client devrait obtenir dans
un magasin de luxe. Les marques de luxe doivent travailler à
l’identification des parcours clients – et doivent considérer leurs
boutiques comme étant une partie (importante) d’un parcours qui
commence souvent sur le Web.
• Reconnaître le rôle central du personnel de vente : les vendeurs ont un
rôle essentiel à jouer dans l’identification du client, la prise en charge
de ses besoins et la fourniture du meilleur service possible. Des
parcours de carrière dans le commerce de détail doivent être construits,
des systèmes de rémunération innovants doivent être imaginés (en
mélangeant – tous les pays sont concernés – salaires fixes, éléments
individuels variables et collectifs), programmes de formation in situ.
Innover dans le développement du marketing de luxe signifie répondre à
de nouveaux besoins, en introduisant de nouvelles lignes d’entrée de
gamme plutôt que de réduire les prix, en fournissant un niveau de service
vraiment exceptionnel, en promouvant et en vendant des produits de luxe en
utilisant des canaux de distribution alternatifs, y compris le commerce
électronique, en co-créant des produits avec les clients et en s’adressant aux
jeunes consommateurs qui semblent prêts à acheter en ligne des produits de
luxe coûteux.
Les marques de luxe qui disposeront des talents nécessaires pour
repenser leurs opérations de vente au détail et de services et améliorer leur
approche marketing afin de mieux comprendre et servir le client
bénéficieront d’un avantage concurrentiel important.
Notre objectif dans ce chapitre est de fournir des outils au service de
l’idée que le personnel de vente est une population clé dans l’industrie du
luxe, qui devrait désormais être traitée avec une plus grande attention. Les
marques de luxe doivent désormais avoir le même niveau d’exigence en
matière de gestion des ventes que celui qu’elles ont en ce qui concerne la
conception, le marketing produit ou la stratégie de communication.
L’approche comportementale
Nous avons relevé des questions clés qui sont pertinentes pour un grand
nombre de postes commerciaux et une série de qualifications techniques. Le
tableau 14.3 montre des exemples de telles questions – centrées sur le
comportement - plutôt que sur des opinions ou des généralités.
Tableau 14.3 – Exemples de questions comportementales
Cas d’entreprise
Recrutement d’un/e directeur/trice de magasin
Éléments fournis : le cahier des charges et les candidats sélectionnés
(cf. figure 14.4).
Éléments retournés par le chasseur de têtes : Évaluation et recommandations (cf.
figure 14.5).
Figure 14.4 – Le cahier des charges et les candidats sélectionnés
■ Analyse et remarques
Le point clé pour le recrutement sur ce poste concerne le comportement, dont
l’adéquation devrait être vérifiée selon deux critères principaux :
– Performance à court terme du candidat : apporter une valeur ajoutée
significative pour les résultats commerciaux, la direction d’équipe et les
opérations quotidiennes.
– La capacité potentielle du candidat, sur le long terme, à s’adapter au
fonctionnement et aux procédures, à la culture d’entreprise et aux systèmes de
management informel de cette société italienne.
Dans cette étude de cas, les éléments apportés par le chasseur de têtes nous
amènent aux remarques suivantes :
– Candidate interne : en dépit de sa moindre expérience, son statut à « fort
potentiel » au sein de cette société italienne et une évaluation positive sur les
critères clés du poste en font une candidate sérieuse.
– Candidate 1 : ses performances et ses compétences personnelles semblent plus
faibles que celles des autres candidates ; ces facteurs pourraient constituer un
risque pour son intégration dans une société italienne.
– Candidate 2 : son expérience en matière de commerce et de management est
un atout pour diriger le flagship ; son poste actuel chez un concurrent italien
direct lui donne un avantage décisif.
Il est crucial pour une marque d’avoir une fiche très précise et détaillée pour
chaque poste.
Une fiche de poste se base sur six éléments fondamentaux :
• Rôle du poste
• Charges et responsabilités
• Critères d’évaluation des performances
• Profil requis en matière d’expérience et de compétences
• Liens avec les autres postes et positionnement dans l’organigramme
• Perspectives de déroulement de carrière
Une fiche de poste devrait toujours s’accompagner de :
– Une liste des compétences nécessaires pour avoir le poste
– Une grille d’évaluation des candidats, à utiliser pendant le processus
de recrutement
– Une grille d’évaluation à utiliser pendant le processus d’évaluation
annuelle.
Nous présentons ici quatre fiches pour des postes commerciaux
importants, dont deux de manière assez détaillée :
• Directeur de pôle
• Directeur de magasin (détaillé)
• Directeur adjoint de magasin
• Conseiller de vente (détaillé)
Nous donnons également de plus amples informations concernant les
deux fiches de postes plus détaillées : celle de directeur de magasin et celle
de conseiller de vente. Une des responsabilités du directeur de magasin est
celle de coach : nous montrerons comment il ou elle peut exceller dans l’art
d’encadrer et d’entraîner son équipe. Pour le conseiller de vente, nous
détaillons une grille d’évaluation, qui devrait être utilisée par le directeur de
magasin durant le processus d’évaluation annuelle.
Directeur de pôle
■ Rôle du poste
■ Charges et responsabilités
■ Critères d’évaluation
• Résultats commerciaux
• Dynamique des résultats
• Comportement et qualité du management
• Encadrement d’équipe (turnover, motivation, formation, etc.)
• Respect de la stratégie et des orientations de la marque
Directeur de magasin
■ Rôle du poste
■ Charges et responsabilités
• Améliorer le niveau de satisfaction de la clientèle et la représentation
de la marque à l’intérieur comme à l’extérieur du magasin.
• Responsable de la qualité du service à la clientèle (en magasin, au
téléphone, par courrier)
• Responsable de la bonne tenue et de la maintenance du magasin
• Ambassadeur de la marque dans son environnement proche,
responsable des relations publiques du magasin :
– dans son environnement concurrentiel
– auprès des partenaires traditionnels (hôtels, restaurants, etc.)
– auprès des officiels locaux (autorités locales, journalistes)
• Responsable du développement de la clientèle locale et de la
prospective locale
Expérience Capacités
• Fort individualisme
Inacceptable • Absence de capacité d’encadrement
• Impatience d’obtenir de l’avancement
Compétence Note
Interagit en anglais
Écoute activement
Présentation globale
■ Rôle du poste
■ Charges et responsabilités
■ Critères d’évaluation
Conseiller de vente
■ Rôle du poste
■ Charges et responsabilités
1 = Extraordinaire
2 = Au-dessus
des attentes
Compétences
Explications 3 = Bien – conforme
professionnelles
4 = En dessous
des attentes
5 = Inacceptable
Quelles sont les conséquences pour Taux de départ des talents, climat
l’entreprise de ces gains de performance d’investissement des employés,
des employés ? perceptions des employés, satisfaction des
clients
Principe clé no 1
Principe clé no 2
Principe clé no 3
Principe clé no 4
Exemple
Cet exemple d’ingénierie d’un paquet global en termes pour une carrière
commerciale illustre comment intégrer les quatre principes clés et comment trouver
le bon équilibre entre chacun de ces éléments :
• Le risque de discontinuité entre le candidat et la marque concernant
la rémunération et les incitations au fil de la carrière. Un malentendu sur cette
question pourrait poser un sérieux problème pour le groupe et entraîner une
perte financière significative.
• Les objectifs commerciaux sont ceux précisés dans les étapes du déroulement
de carrière. Il est important de vérifier et de valider chaque avancement par
l’intermédiaire d’un comité de carrière.
• Les perspectives de carrière concernent l’avancement, la formation spécifique,
et autres gratifications pertinentes pour entretenir la motivation des employés,
s’assurer qu’il reste en phase avec le groupe et les aider à préparer l’avenir de
manière dynamique.
• Les composantes du système de rémunération représentent le déroulement
des carrières, et réalisent un équilibre entre l’importance du salaire de base,
des performances individuelles et collectives et la contribution du rôle
de management.
Exemple
Cheveux
coupe classique et propre
pas d’extension ni de perruque
accessoires limités à des barrettes ou des élastiques neutres
pas de barrettes ni élastiques de couleurs claires, pas de scrunchies, de banana
clips ni de bandeau
teintes naturelles seulement
Maquillage
Fond de teint : minimal, ton naturel
Yeux :
• fard à paupières de teintes neutres et discrètes
• crayon et mascara minimaux
• pas de sourcils exagérément marqués au crayon
Lèvres :
• rouge à lèvres discret
• pas de crayon à lèvres en contraste
Ongles :
• vernis clair ou couleur peau, d’une seule teinte
• pas plus de 5 mm de long
• pas de faux ongles ni de bijou
Accessoires
Boucles d’oreille :
• petites et simples
• pas de pendants ni d’anneaux
Collier
• pendentifs simples et uniques sur une chaîne fine et mono-brin
• un rang de perles
• pas de médaillon ni de formes ostentatoires
• un seul piercing par lobe
• pas de broche ni de pin’s
• bagues et bracelets ne devraient pas distraire le regard de la marchandise
présentée
• éviter les tatouages
• les piercings ailleurs qu’aux lobes des oreilles ne devraient pas être visibles
Note :
• tout employé doit pratiquer une hygiène personnelle quotidienne
• les commentaires sur l’apparence, la tenue ou l’hygiène d’un employé sont à
éviter en dehors d’entretiens privés et appropriés avec un supérieur
• il est rappelé aux employés que les directives en matière d’apparence et de
tenue ne sont pas spécifiques à des personnes mais visent à maintenir la
qualité des standards visuels de la société.
Exemple
Il relève du rôle de tous les employés à tous les niveaux de s’assurer que les
affaires sont menées de manière éthique, et de rapporter à leur supérieur ou au
comité central d’éthique professionnelle (GBEC pour Global Business Ethics
Committee) les manquements aux règles d’éthique.
Champ de la procédure Les problèmes suivants relèveront de cette procédure :
• Achats de biens ou services
• Gestion de « conflits d’intérêt »
• Gestion des dons, cadeaux ou autres contreparties offerts par des concurrents
ou des fournisseurs (actuels ou potentiels).
• Gestion des relations avec des membres des autorités gouvernementales
demandant des dons/cadeaux/sommes d’argent à la société.
• Connaissance de conditions de travail illégales
• Connaissance de transactions financières douteuses
• Gestion de tentatives hostiles de la part de concurrents pour obtenir des
informations sur la société
• Marche à suivre par un(e) employé(e) qui détecte ce type de comportement non
éthique chez un collègue ou un supérieur.
Procédure
■ Achat de biens et services
Exemples :
L’essentiel
►► Quand le comportement des vendeurs dans un magasin ne correspond
pas à l’attente des clients ni à l’atmosphère attendue à l’adresse d’une marque
prestigieuse, avant de mettre en cause leur comportement ou leur
professionnalisme, il faut regarder si le système de recrutement, de contrôle ou
de rémunération n’est pas à l’origine de ces dysfonctionnements. Avant
d’accuser les employés, il faut surtout analyser les conséquences du système
mis en place.
►► L’atmosphère d’un point de vente peut dépendre de la diversité des
employés qui y travaillent et de leurs espérances de développement
professionnel. Plus les promotions hors des points de vente ou au sommet d’un
point de vente sont nombreuses, plus les vendeurs peuvent envisager de faire
carrière dans l’entreprise et de raisonner à long terme.
►► Ce qui crée un sentiment de chaleur et de reconnaissance chez les
clients, c’est la somme de toute une série de preuves d’intérêt et de sollicitude
de la part des vendeurs. Cela peut être le fait qu’un vendeur se rappelle leur
nom quand ils entrent dans le magasin ou qu’il se souvient de ce qu’ils ont
acheté la fois précédente ou de la façon dont ils s’expriment ou comment ils
montrent leur préoccupation pour chacun des clients, considérés
individuellement, ou même pour les visiteurs.
►► Le système de gestion du personnel doit tenir compte des cultures
locales. La marque doit bien sûr imposer son mode de fonctionnement et ses
règles du jeu, mais chaque pays doit tenir compte des habitudes et
des attentes de la population locale.
Chapitre 15
Il a été dit plus haut que la politique de prix n’avait pas sa place dans la
définition du mix au point de vente parce qu’il faisait partie intégrante de
l’offre produit. Dans le commerce de détail de luxe, les décisions en matière
de prix sont généralement prises au niveau central et ne relèvent pas de la
responsabilité du directeur de magasin ni même de celle du directeur des
ventes. La politique de prix est donc perçue comme secondaire dans le
contexte des points de vente. Pourtant il demeure un élément important de
la gestion d’un magasin : même pour les produits de luxe, les comparaisons
de prix avec la concurrence, les décisions en matière de réductions de prix
et l’évaluation du niveau des réductions consenties pour accroître les
volumes de ventes ne doivent pas être prises à la légère.
Dans un système offline parfait, il n’y a qu’un système de prix possible :
le même produit doit avoir le même prix partout dans le monde de façon à
ce que le O2O parfait puisse fonctionner dans tous les sens : je regarde le
prix d’un article sur le site internet de la marque au Brésil. Je vais à la
boutique de Sao Paulo pour le prendre dans mes mains, puis je suis à New
York et je l’achète dans le magasin de la marque sur Madison Avenue : je
devrais le retrouver au même prix. En fait, il est beaucoup moins cher parce
que les droits de douane pour ce type de produits sont très élevés au Brésil
alors que les prix nord-américains sont presque identiques aux prix
européens. Le système n’est pas dans une continuité parfaite. Pour qu’il le
soit, il faudrait supprimer les droits de douane et que toutes les marques
fassent l’effort de vendre partout dans des conditions identiques. Les impôts
locaux sur les ventes (qui existent dans beaucoup d’États aux États-Unis) ne
devraient pas exister non plus. La continuité parfaite suppose que les droits
de douane et les impôts locaux de vente (sans parler des impôts de luxe sur
les prix de détails, tels qu’ils existent en Chine continentale) soient
supprimés. On en est très loin, bien sûr, mais la tendance doit fortement
aller dans ce sens, comme nous l’expliquerons dans ce chapitre. Enfin, il ne
faut pas oublier que tous les magasins, même monomarque exclusifs,
appartiennent quelquefois à des opérateurs individuels, à des importateurs
exclusifs ou à des franchisés, qui doivent gérer la marque au mieux de leurs
intérêts à long terme.
Car même si les décisions de prix sont centralisées pour les magasins
gérés directement par la marque, il se peut que les franchisés aient une
certaine autonomie en cette matière. La direction de l’entreprise ou de la
division leur dira quel doit être le prix de vente de détail conseillé, mais elle
ne pourra pas légalement le leur imposer car, dans la plupart des pays, il est
interdit à un fabricant de fixer les prix. De même, les grands magasins ne
peuvent décider des prix pour les shops in shop ou pour les corners, mais ils
ont un contrôle total sur leurs propres rayons. La question du prix reste
donc ouverte et mérite que l’on s’y intéresse ici. Dans la première section,
nous discutons des politiques de prix. Puis dans un second temps nous nous
intéresserons aux réductions tactiques de prix destinées à accroître les
ventes.
Corée du
Europe États-Unis Hong Kong Japon Chine
Sud
Le cas particulier de la mode
Quelle est la marge brute acceptable pour qu’un magasin de mode gagne de
l’argent ? Tout dépend de son sell through. S’il est bon et que seuls 10 à
20 % de la marchandise doit être vendue en soldes, alors la vie est belle.
Mais si une ligne ne se vend pas, alors 40 ou 50 % du stock acheté (ou du
sell in) devront être vendu à prix réduit – et plus le volume à solder est
grand, plus il faudra réduire le prix pour tout écouler. Dans l’exemple du
tableau 15.2, nous avons pris 30, 40 et 50 % comme taux de réduction
nécessaire les plus probables. Mais avec une marge à 40 %, baisser les prix
de 50 % signifie vendre à perte (ce qui est autorisé en période de soldes). La
marge brute pour la saison complète ne sera donc pas de 40 %, mais plutôt
autour de 20 ou 25 % : pas facile de gagner de l’argent dans ces conditions.
Tableau 15.2 – Impact du pourcentage de ventes à prix réduits et du niveau
de réduction des prix sur la marge totale (dans l’hypothèse d’une marge brute
de 40 %
Dans chacun des trois cas, les résultats financiers de la marque sont assez
différents. Dans le premier cas, pour la marque A, la marge brute globale est
proche de la marge théorique : 57,3 %. Pour la marque C, elle n’est que de
43,8 %. C’est une différence de 13 %. Pour un gérant de magasin, la
différence économique entre une marque ayant un sell through élevé et une
marque ayant un sell through faible est immense.
La démarque inconnue a aussi un impact sur la marge brute. La
marchandise peut être volée par des clients ou par le personnel de vente. En
fait, il est communément admis qu’un tiers des vols seraient le fait des
clients, et deux tiers le fait du personnel. Les méthodes peuvent varier. La
plus évidente est de prendre un produit et de s’enfuir du magasin sans
passer par la caisse, mais ce n’est pas toujours facile : la plupart des
produits, surtout dans le prêt-à-porter sont dotés d’un système de protection
qu’on enlève à la caisse. Et puis beaucoup de magasins ont des vigiles à
l’entrée.
D’autres systèmes sont plus discrets et peut-être plus efficaces. Un
membre du personnel de vente, par exemple, peut vendre une robe chère à
un ami mais taper à la caisse le code d’un article moins cher. Ou bien, si un
client oublie de prendre son ticket de caisse, un membre du personnel peut
le garder quelques jours puis le placer dans la caisse comme un retour, et
prendre le montant correspondant en prétendant que le produit a été remis
en stock. Lorsqu’on découvrira que le produit manque, au cours d’un
inventaire physique à la fin de la saison, personne ne songera, peut-être, au
fait que certains de ces articles manquants peuvent correspondre à ces
retours…
Le vol à l’étalage est un autre problème lié à la politique de prix, puisque
cela a un impact sur la marge brute du magasin. Il peut être constaté au
moment d’un inventaire physique en croisant le stock théorique et le stock
physiquement présent en magasin.
Pour éviter les vols par la clientèle. Le système le plus efficace est le
système EAS (Electronic Article Surveillance). Il s’agit en fait d’une
étiquette et d’un système d’alarme. L’étiquette contient un dispositif qui
doit être désactivé en caisse. S’il n’est pas passé en caisse, un capteur situé
près de la sortie fera retentir une alarme au moment du passage de l’article,
ce qui alertera le personnel.
Un autre système, très utilisé en Europe, est le système
électromagnétique (EM) qui peut aussi être désactivé, ou réactivé si la
marchandise est retournée.
Mais dans un environnement de luxe, il n’est pas aisé d’insérer des
étiquettes ayant une allure étrange ou de placer des portiques électroniques
près de la sortie. Des circuits de vidéosurveillance et des vigiles sembleront
sans doute moins intrusifs et seront peut-être tout aussi efficaces.
Quant au vol par les employés, les choses sont un peu plus compliquées,
puisqu’ils n’ont pas nécessairement besoin de sortir du magasin avec un
article : la méthode décrite plus haut, du « faux retour », garantit que le
produit ne sera jamais trouvé au moment d’un inventaire et les responsables
du magasin seront peut-être dans l’incapacité de faire le lien entre un article
manquant et un retour « théorique ».
Le meilleur système pour réduire le vol par les employés semble être un
processus de sélection très soigneux des candidats aux postes de vendeur.
Réductions classiques
Événements exceptionnels
Les soldes
Les soldes peuvent avoir lieu dans le magasin lui-même ou ailleurs. Chaque
système a ses avantages.
L’avantage de faire les soldes en magasin est qu’il n’y a pas de loyer
supplémentaire à payer et que les choses sont plus faciles à organiser. Il n’y
a pas de publicité à faire, puisque les gens savent quand les soldes
commencent et se promèneront de boutique en boutique à la recherche des
bonnes affaires.
L’inconvénient de les faire en magasin est que ceci désorganise l’espace
de vente et que, pendant la période des soldes, presque aucune vente au prix
fort n’est enregistrée. C’est peut-être acceptable pour les marques standards,
mais c’est fort dommage pour les marques dont l’activité se fait en grande
partie avec les touristes, car ceux-ci viendraient de toute façon au magasin
et sont prêts à acheter au prix fort les produits figurant sur leur liste. Si le
produit est en solde, ils l’achèteront mais ne profiteront sans doute pas de la
possibilité d’acheter un deuxième article, ce qui signifie que le magasin
n’optimisera pas sa marge brute.
À Paris, par exemple, toutes les grandes marques, comme Hermès, Louis
Vuitton et Yves Saint Laurent, organisent leurs soldes à l’extérieur : elles
louent un espace pour trois ou quatre jours et y tiennent leurs soldes.
L’avantage de ce système est que les soldes peuvent être concentrés sur
quelques jours seulement, durant lesquels les magasins peuvent continuer
leurs activités commerciales normales et fournir le service escompté par les
touristes. En outre, il est plus aisé de donner ainsi à ces soldes une allure
exceptionnelle et d’attirer plus de gens que dans les magasins.
L’inconvénient des soldes délocalisés, c’est que ceci ne peut fonctionner
que pour une marque très forte ayant la capacité d’attirer un très grand
nombre de visiteurs. Si Courrèges organisait des soldes à 20 km de Paris, il
n’est pas garanti que les clients soient très nombreux à faire le déplacement.
Cependant, pour des marques de premier plan, qui ont la force nécessaire
pour attirer les passionnés de bonnes affaires dans les lieux les plus
excentrés, les soldes ex-situ permettent de débarrasser les magasins de leur
vieux stock en quelques jours à peine, et donc d’avoir une activité
commerciale normale en janvier et juillet.
Lorsque les soldes ont lieu ex-situ, il faut bien sûr faire un peu de
publicité (souvent dans les journaux) ou de publipostage, mais les coûts
doivent demeurer limités en regard du volume de marchandise à écouler.
Pour que des soldes soient efficaces, presque tout le monde doit être invité.
Lorsqu’ils ont lieu en magasin, c’est clairement le cas. Dans un autre lieu,
ils sont d’abord limités au personnel et aux journalistes pour quelques
heures, puis ouverts aux meilleurs clients et enfin au grand public le
deuxième jour.
Lorsque les soldes ont lieu en magasin, les plus fidèles des clients
devraient être conviés à une avant-première quelques jours auparavant, avec
la possibilité d’acheter leurs produits préférés.
Les invitations peuvent être envoyées par courrier (électronique ou
postal) et pour certains types de soldes ex-situ, une publicité dans les
journaux est nécessaire.
Plus ils se terminent vite, plus le magasin peut reprendre ses activités
normales. Ex-situ, les soldes durent trois ou quatre jours. En magasin, ils
durent en général trois semaines. Si l’essentiel du surplus est vendu en une
semaine et demie, tant mieux ; ce qui reste de marchandise peut alors être
écoulé d’une autre manière.
Les produits dégriffés
Si la marque possède ses propres magasins d’usine, elle peut y expédier la
marchandise restante. Elle peut aussi la céder à un spécialiste des surplus,
en retirant les étiquettes, mais c’est rarement une solution efficace car les
produits finissent dans des points de vente douteux sous de grands
panneaux clamant : « Authentique Marque X, dégriffée ». Les marques les
plus prestigieuses en viennent parfois à brûler leurs surplus (bien qu’il
pourrait être plus judicieux de les vendre à moins 80 % et ainsi au moins
faire très plaisir à certains clients).
Tout au long de cette discussion sur les politiques de prix, nous avons
décrit ce qui doit être fait en termes de prix dans un environnement
commercial, nonobstant le fait que le prix de vente normal était un élément
donné – non négociable. Le travail d’un directeur de magasin est donc de
gérer les diverses réductions de prix pour les événements promotionnels
Dans ce cas, il faut toujours chercher un seuil différentiel pertinent, ou, pour
le dire autrement, trouver la différence de prix, le rabais ou le niveau de
solde qui semblera pertinent au client et déclenchera un achat. Ce seuil
diffère d’une marque à l’autre, mais le principe général est qu’il ne sert à
rien de raboter les prix : les soldes et les rabais doivent être clairs et
généreux. Ils doivent être perçus par le client comme offrant une excellente
opportunité d’achat. C’est de cette manière que la marque conservera son
statut, son prestige et son attractivité.
L’essentiel
►► Les prix et les marges doivent être décidés, analysées et contrôlées
presque tous les jours. C’est le moteur de la distribution et le gage de son
efficacité.
►► Les prix mondiaux doivent être harmonisés et tenir compte des droits de
douane et autres frais d’approche.
►► Les soldes peuvent être une bonne occasion de se débarrasser de
marchandises difficilement vendables. Elles peuvent être une occasion de
réaliser des ventes et des marges additionnelles.
►► Pour la mode, les activités de soldes qui permettent de vendre des produits
trop saisonniers pour rester indéfiniment en magasin font une partie intégrante
de la gestion habituelle.
Chapitre 16
Markdown Markup
Le concept de coefficient
Coefficients de
2,4 2,6
Rotation du stock
Boutique
Supermarché Bijouterie
de mode
Rotation de stock 12 4 1
A B
Bon magasin Mauvais magasin
Les ratios fondamentaux
Utilisation des concepts
Cette analyse au mètre carré n’est pas toujours possible, les données étant
rarement disponibles. Dans le tableau 16.7, nous avons par exemple, les
données relatives aux points de vente nord-américains de Coach, mais nous
n’avons pas trouvé dans leur rapport annuel d’indicateur relatif aux
variations de chiffre d’affaires liées à l’ouverture et à la fermeture d’un si
grand nombre de magasins.
Tableau 16.7 – Tendance des points de vente américains de Coach
Pour chaque saison, un point de vente ne devrait acheter que ce qu’il peut
vendre. L’exercice du budget achats commence donc par une prévision de
chiffre d’affaires, qui est ensuite réparti en mois et transformé en achats, qui
ont des coûts.
L’idée d’un open to buy (OTB) a été conçue par les grands magasins
américains. Chaque responsable de rayon dresse un budget par marque puis
un OTB : c’est le montant que le gérant peut acheter auprès de la marque X
pour l’année à venir.
Si le résultat de la marque X pour les deux ou trois années passées a été
bon, le budget prévisionnel pour l’an prochain sera sans doute en hausse de
sorte que l’OTB soit à la hauteur des attentes des commerciaux de la
marque. Si, au contraire, la marque X n’a pas très bien marché, son OTB
pour l’an prochain sera plus faible que celui de cette année. Nombre de
dirigeants de marques de luxe ont dû batailler contre ce fait dans leurs
négociations avec les acheteurs de grands magasins dont les OTB pour leurs
marques étaient faibles.
Mais le système des OTB est maintenant utilisé (sous un nom ou sous un
autre) par presque tous les opérateurs de magasins de luxe. Le budget
d’achats (OTB) par marque et par saison est à la base de tous les systèmes
d’achats.
Les différentes marques utilisent différents systèmes, tels que :
– parfois, le directeur du magasin ou des ventes pour un pays donné peut
acheter ce qu’il pense être adéquat dans une vaste sélection de
produit ;
– parfois les gérants des magasins n’ont pas leur mot à dire et le siège
leur livre automatiquement la marchandise, sur la base d’un système
d’information centralisé fondé sur les ventes antérieures (coloris et
tailles par exemple) et les types de produits ;
– plus souvent, une partie de l’assortiment est livrée automatiquement à
un magasin et les gérants peuvent choisir les 40 ou 60 % restants selon
ce qui leur paraît le plus adapté à leur magasin ;
– parfois, le budget achats est divisé en trois parties : une partie
centralisée au siège, une plus petite allouée à un pays donné, et une
troisième sous la seule responsabilité du directeur de magasin. Sur ce
plan, chaque marque doit définir sa propre politique et ses propres
procédures.
Prada, en 2005, avait une politique d’autonomie 0 pour les directeurs de
magasins ou les directeurs de pays dans le choix des marchandises en
magasins : les livraisons étaient automatiques, sans aucune flexibilité. Louis
Vuitton a une politique qui est aussi considérée comme relativement rigide,
mais avec des ajustements informatisés et, dans le processus, une bonne
dose d’autonomie spécifique et intelligente. Il pourrait donc paraître que
plus une marque est forte, moins elle laisse d’autonomie aux gérants de ses
magasins, mais ce n’est pas toujours le cas.
En effet, les choses ne sont pas si simples, et il est bien connu qu’un
magasin japonais et un magasin chinois distribuant la même marque,
vendent en fait des produits complètement différents et ont donc besoin
d’assortiments adaptés. Même en Chine, les gens du nord du pays achètent
des coloris et des formes différentes de ceux du sud. Si une marque est très
bien organisée et si elle peut se fier à des données soigneusement recueillies
au fil des ans, elle peut décider, depuis son siège à Paris ou Milan, du stock
idéal pour le magasin de Tianjin. Si ces données temporelles n’existent pas,
ou si elles ne sont pas intégrées dans un système sans faille, il n’y a pas
d’autre choix que de demander au personnel de ventes de faire sa propre
sélection, subjective.
Dans la phase d’achat, il y a des compromis qui ne sont pas toujours
simples à trouver. Pour les articles en cuir, par exemple, et comme expliqué
plus haut, les clients achètent généralement du noir, du marron ou du beige,
mais pour qu’une présentation soit vivante et attractive, il faut aussi avoir
du blanc, du jaune et du rouge sur les rayonnages. Le siège exigera peut-
être que les magasins proposent toute la gamme, mais un gérant raisonnant
un peu à court terme préférera peut-être oublier ces produits qui auront
toute chance de finir par être vendus en soldes.
Les montres sont un autre exemple du même genre : pour conclure une
vente, il est bien plus efficace de présenter une collection complète, mais en
général les montres en or les plus chères se vendent beaucoup moins que les
articles plus accessibles et relativement moins chers. Les directeurs de
magasins peuvent être tentés d’acheter les montres les moins chères, aux
dépens de la présentation complète d’une ligne entière, qui serait pourtant
nécessaire pour communiquer le raffinement de la marque. Le siège
insistera sans doute sur l’achat de la ligne entière, mais évaluera peut-être
plus tard les gérants de ses magasins sur leur rotation de stock.
Jusqu’ici, nous avons parlé presque exclusivement du système à deux
collections par an : printemps-été et automne-hiver. Ce système est en fait
en train de changer, avec l’introduction de lignes de « croisière » qui font
monter le nombre de livraisons à quatre par an.
Enfin, les vendeurs ont découvert que, s’ils font rentrer toute la
marchandise disons en septembre pour l’ensemble de la collection automne
hiver, certains clients fidèles reviendront fin octobre début novembre et
demanderont s’il y a quelques nouveautés. Ces vendeurs partagent donc
souvent la collection saisonnière en différents thèmes, gardant en réserve
une partie de la marchandise pour la mettre en magasin en partie en octobre
et le reste en novembre. De leur propre initiative, ils transforment le
système.
Et puis, tout le monde, dans le secteur, observe Zara et ses 26 collections
par an. Zara fonctionne sur un modèle différent, mais les sociétés de luxe
peuvent y trouver des enseignements. Certaines ont d’ailleurs déjà mis en
œuvre un système similaire ; c’est le cas de Tous, la société espagnole de
joaillerie de luxe milieu de gamme, qui travaille aussi avec 26 collections
par an.
Rien n’irrite plus le client que les articles épuisés. Par exemple, si une
femme voit un produit, attend deux ou trois jours avant de décider de
l’acheter, et revient au magasin pour ce faire mais s’entend dire que le
produit a été vendu, elle sera frustrée. Alors imaginez l’absurdité d’un
scénario pas inhabituel, dans lequel une autre cliente voit et aime une robe
exposée en vitrine. Elle entre et ne peut trouver sa taille ou, pire encore,
constate que la robe est épuisée dans toutes les tailles, sauf celle en vitrine,
qui se trouve être une taille 38, et donc ne lui va pas. Elle se plaindra peut-
être au vendeur, en lui demandant pourquoi ils font la publicité, là dans leur
vitrine, d’un produit qu’ils sont dans l’incapacité de vendre ; tout cela pour
s’entendre dire que c’est la maison mère qui décide de ce qui doit être en
vitrine, quel que soit le stock du magasin.
Comment éviter les ruptures de stock ? On pourrait tout simplement
acheter un surplus de marchandise et s’assurer ainsi que, jusqu’au dernier
jour de la période de vente au prix fort, toute la collection de la saison est
disponible en magasin, pour toutes les tailles et tous les coloris. Mais ceci
reviendrait trop cher. Quant au réapprovisionnement, très souvent les
articles de mode préparés pour une saison ont été fabriqués d’un coup, très
loin : cela peut prendre deux à trois mois de relancer une commande pour
remettre un article donné en magasin.
Une solution est d’organiser des transferts de stock entre magasins.
Beaucoup de sociétés ont deux ou trois livraisons par semaine à l’ensemble
de leurs magasins et peuvent donc organiser retours et approvisionnements
sur une échelle de deux jours. On peut ainsi dire à la cliente de revenir pour
avoir l’article qu’elle désire. Elle ne reviendra peut-être pas, mais au moins
le service lui aura-t-il été proposé. Nous avons vu dans la première partie de
cet ouvrage que des processus digitalisés peuvent automatiser
complètement cette activité.
Les sociétés disposant de plus de six magasins dans une même zone
commerciale ont généralement pris l’habitude de vérifier les stocks tous les
soirs afin de pouvoir organiser des livraisons supplémentaires et des
transferts pour le lendemain matin. Aujourd’hui, ceci peut se faire
automatiquement par ordinateur. Tous les magasins sont reliés à un système
d’information centralisé qui enregistre les ventes et peut organiser les
transferts nécessaires. Un de ces systèmes s’appelle « Sterling Always in
Stock » et peut gérer efficacement ces questions. Mais des innovations dans
ce domaine seraient bienvenues. Par exemple, lorsqu’un article d’une taille
donnée a été localisé, il devrait être possible de l’expédier directement au
domicile du client le lendemain : il faudrait développer ce mélange de vente
en boutique et livraison à domicile.
Un autre inconvénient du fait d’avoir trop de stock en fin de saison est
que les clients peuvent souvent déceler cette situation en entrant dans le
magasin et décider en conséquence d’attendre les soldes. Il est évident
qu’une femme entrant dans une boutique un 12 décembre, y essayant une
robe qui lui plaît beaucoup et constatant qu’il en reste trois ou quatre en
rayon, peut décider d’attendre janvier pour l’acheter en solde. Par contre, si
on lui dit : « Vous avez de la chance, c’est la dernière dans votre taille ! »
elle l’achètera très probablement au prix fort.
Après la forte chute des ventes dans les grands magasins américains au
dernier trimestre 2008, les soldes de janvier 2009 ont été phénoménaux, à
des prix cassés. Et donc, afin de s’assurer que les clients allaient revenir en
octobre-novembre 2009 et acheter la collection automne-hiver au prix fort,
Saks Fifth Avenue, Neiman Marcus et Nordstrom ont tous eu pour politique
une baisse à deux chiffres de leurs achats sur ces collections, de manière à
convaincre les consommateurs qu’il fallait acheter au prix fort.
■ Contrôle de la marge
Dans chacun des trois cas, le retour sur investissement du stock est le
même et donc les performances financières sont identiques. Mais dans le
premier cas, on parvient à faire tourner le stock huit fois par an : Le
magasin vend donc l’équivalent de l’ensemble de ses produits sur une
période de six semaines. Il est possible dans ce cas de se contenter d’une
marge de 25 % tout en s’en sortant très bien. Dans le deuxième cas, la
priorité est donnée à la marge brute, cette fois-ci à 40 %, aux dépens de la
rotation du stock. Dans le troisième cas, il y a un certain équilibre entre ces
deux indicateurs.
La leçon à tirer ici est qu’il est possible de gagner de l’argent avec une
marge faible du moment que le stock tourne rapidement. Au chapitre 1,
nous avons décrit une telle situation, en comparant la structure financière
d’un supermarché, celle d’un magasin de mode et celle d’une bijouterie. Le
point est que si le stock tourne suffisamment vite, la marge peut être
sensiblement diminuée sans que le retour global sur investissement en soit
affecté.
Les systèmes d’information
Le point de départ du système d’information est le fait que toutes les caisses
soient reliées à un serveur central, de sorte que le chiffre d’affaires, le stock
et la marge puissent être contrôlés en direct pour chaque magasin, chaque
membre du personnel de vente et avec le détail des différents types de
produits.
Le commerce de détail est un domaine dans lequel il est nécessaire de
réagir immédiatement si les ventes augmentent plus vite que prévues (les
magasins ne tarderont pas à être en rupture de stock) ou moins vite que
prévues (les commandes doivent peut-être être suspendues sur le champ,
sous peine d’être à cours de trésorerie).
Suivre les ventes mensuelles n’est pas aussi simple qu’il y paraît car
certains mois ont cinq samedis (le plus gros jour de la semaine pour les
ventes) tandis que d’autres n’en ont que quatre, ce qui rend les
comparaisons difficiles. Certains systèmes d’information corrigent ceci
automatiquement via un indice. Beaucoup de sociétés commerciales aux
États-Unis n’ont pas du tout recours à des statistiques mensuelles mais
préfèrent travailler avec 13 périodes de quatre semaines chacune. Pour les
sociétés du luxe, c’est rarement le cas, car la vente ne représente qu’une
partie de leurs activités, toutes les autres fonctionnant sur une base
mensuelle.
Les systèmes informatiques peuvent analyser les ruptures de stocks
actuelles et attendues, et recommander des transferts. Ils peuvent calculer
les OTB théoriques et analyser les plannings de livraisons pour voir s’ils
sont en phase avec les ventes escomptées ou les ventes réelles.
Ils peuvent aussi traiter les marges théoriques, les stocks théoriques et les
prix théoriques pour analyser les variations observées par rapport à ces
données. Et ceci peut être fait par magasin ou même par vendeur.
En fait, dans la gestion de points de vente de luxe, l’unité fondamentale
d’observation est le magasin et, lorsqu’on parle au directeur général de
Salvatore Ferragamo ou à celui de Hugo Boss, il est toujours surprenant de
les entendre annoncer les tout derniers résultats de leur principal magasin à
Chicago ou de leur point de vente à Shanghai : ceci signifie simplement
qu’ils regardent ces chiffres tous les jours de manière à pouvoir réagir très
rapidement.
L’essentiel
►► La distribution est un secteur très précis et analytique. Tout se mesure
et tout se contrôle. Il n’est donc pas étonnant que les dirigeants observent
chaque jour les chiffres d’affaires réalisés, la marge obtenue, et au minimum le
taux de conversion (sans oublier les situations de rupture de stock) de tous les
magasins du monde. Les caisses enregistreuses reliées au système
informatique peuvent fournir cette information au moment même où elle est
obtenue, quelque part dans le monde.
►► Le premier réflexe, c’est de comparer les écarts de certains magasins, de
certains pays, ou encore de certaines catégories de produits par rapport
à la moyenne.
►► Il est aussi très utile de regarder les performances d’une année par rapport
à la précédente et d’une saison par rapport à l’autre.
►► De toute façon, cette activité de gestion quotidienne d’un point de vente ou
de nombreux points de vente est vraiment une activité précise et analytique.
Conclusion
Dans cet ouvrage, nous avons voulu fournir tous les outils nécessaires
pour les dirigeants d’une maison de luxe qui veulent organiser et optimiser
la distribution physique de leurs produits. C’est pourquoi nous avons insisté
sur le choix et l’organisation des points de vente physiques (localisation,
concept, logistique, identification et gestion des données clients…) ainsi
que sur la distribution digitale (offline, online, O2O, rôle d’internet dans la
distribution physique). Il reste que certains lecteurs pourraient arriver à ce
point en se disant que tout ceci ne les concerne que moyennement car les
spécificités de leur marque sont différentes – soit par la taille soit par le
secteur. Nous pensons toutefois que tout ce que nous avons décrit
s’applique à tous et nous voudrions aborder ce sujet dans cette conclusion.
Il faudrait faire une première distinction par secteur d’activité. Notre propos
a sans doute pu paraître ne concerner que les secteurs de la mode, des
accessoires, de la joaillerie et des arts de la table. En effet, pour ces secteurs
où depuis 30 ans, la tendance a été, comme nous l’avons montré, au
renforcement et au développement des magasins monomarque, la gestion
des points de vente et par extension, celle des alternatives digitales
constitue une préoccupation quotidienne et prioritaire de la direction. Les
responsables des marques que nous avons rencontrés nous ont tous rappelé
l’importance pour eux des relations suivies, confiantes et profitables avec
les clients, qui passent bien sûr soit par une visite d’un point de vente de la
marque, soit par un contact internet spécifique, complet et biunivoque.
À première vue, les secteurs de la beauté sembleraient moins susceptibles
d’utiliser le système de distribution exclusive et directe, et moins intéressés
par le développement de leur propre réseau de magasins. Or depuis
quelques années, les marques ont elles-mêmes développé des points de
vente exclusivement dédiés à la beauté (pour des marques aussi différentes
que Chanel, L’Oréal, Dior ou Armani). Par ailleurs, les stands en grands
magasins (points de vente importants pour la beauté) obéissent à des modes
de gestion quasiment identiques à ceux des points de vente gérés
directement. En particulier, dans ce secteur, la constitution d’une base de
données clients directs peut permettre des relations plus proches avec le
marché et des occasions de dialogues directs inestimables. Enfin, comme il
sera expliqué plus loin, le développement d’activités de parfums de niche
remet la construction de magasins exclusifs au centre de l’activité.
De même comme il a été dit plusieurs fois dans cet ouvrage, le secteur des
montres évolue lui aussi et les dirigeants de ce secteur semblent considérer
eux aussi les magasins exclusifs à la marque comme des outils efficaces de
développement.
De ce fait, pour la grande majorité des secteurs du luxe personnel, la gestion
des points de vente, dans son sens le plus large, et la gestion simultanée des
canaux de distribution online constitue un élément essentiel du
développement et de l’implantation mondiale.
Une autre distinction mérite d’être faite ici : la taille des entreprises. Pour
les grands groupes, ou plutôt pour les marques dont le chiffre d’affaires
atteint plus de 500 millions d’euros, la priorité dans l’élaboration d’une
structure mondiale de points de vente d’excellence, soit par des magasins en
propre, soit par des shops in shop ou des corners dans les grands magasins
est indispensable. Notre ouvrage en a détaillé les règles de fonctionnement,
les enjeux et les conditions de succès.
Pour les marques de luxe plus petites, dont le chiffre d’affaires avoisine
environ 30 à 100 millions d’euros, la priorité en matière de création et de
gestion des points de vente est très différente. Leur stratégie est très souvent
de disposer d’un point de vente navire amiral présentant toute la collection
de la marque avec un merchandising adapté. Une fois ce flagship installé, le
développement d’un réseau mondial de points de vente va souvent faire
appel à des solutions créatives. La moitié du chiffre d’affaires sera assuré
par des points de vente multimarques mais dans de nombreux pays, la
distribution physique sera assurée par des importateurs distributeurs qui
opéreront quelquefois auprès des détaillants multimarques, quelquefois
aussi en ouvrant eux-mêmes, avec la bénédiction de la marque, des
magasins exclusifs monomarques.
Dans ce cas de figure très classique, la gestion des points de vente, du point
de vue de la marque, n’est pas très différente de celle que nous avons
décrite et expliquée dans cet ouvrage, mais le système est seulement un peu
plus compliqué puisqu’il fait appel à plusieurs niveaux d’interlocuteurs
additionnels. La difficulté va résider dans la mise en œuvre du O2O :
comment construire une distribution online contrôlée par la marque alors
que la plus grande partie de la distribution offline est contrôlée par des
tiers ?
Un secteur encore tout à fait différent est celui des marques de niche qui
constituent une catégorie nouvelle et à part. Elles ont bien sûr un chiffre
d’affaires généralement inférieur à celui des deux autres catégories (souvent
inférieur à 15 millions d’euros), mais ce n’est pas leur seul point distinctif.
Ce qui caractérise ces marques dans l’univers des produits de luxe, c’est
d’abord la création de produits artisanaux pour lesquels la valorisation du
travail manuel, des petites séries, du respect de la création et des
performances constitue des raisons d’être.
Contrairement aux marques de luxe de taille moyenne, le secteur de la niche
privilégie les boutiques en propre : il s’agit le plus souvent de petites
boutiques, pas nécessairement situées à des endroits de grand passage, un
peu comme s’il fallait vraiment un effort pour les trouver ou plutôt les
découvrir. Pour ces marques de niche, ce qui compte surtout, c’est la valeur
ajoutée des produits exceptionnels, des positionnements précis et exclusifs
et des clientèles ciblées.
Ces marques de niche peuvent être souvent des parfums ou des
cosmétiques, mais ce secteur est sans doute amené à se développer
également dans la mode, dans les accessoires, comme par exemple
l’artisanat de cuir, la décoration, les montres ou certains vins et spiritueux.
Comment ces produits de niche se développent-ils pour devenir mondiaux ?
Là aussi, certains utilisent l’intermédiaire de distributeurs ou d’importateurs
nationaux, mais dès que possible, ils vont chercher à disposer, à l’étranger
comme dans leur pays d’origine, de magasins exclusifs. C’est dire combien
les réflexes et surtout l’expérience de la gestion des points de vente peuvent
être essentiels dans ce segment.
Ces marques de niche ont une autre particularité, que nous n’avons pas
traitée dans cet ouvrage : c’est l’utilisation très intensive des médias sociaux
comme Facebook ou Instagram pour organiser un dialogue constructif avec
ces clients très ciblés que nous avons mentionnés plus haut. Ce sujet,
essentiel au marketing des produits de niche, fait partie intégrante des
activités digitales, mais il sort du cadre de cet ouvrage consacré à la
distribution et à la gestion des points de vente offline et online. Il est quand
même utile de rappeler que la croissance des marques de luxe de niche tient
beaucoup au contact individualisé avec les consommateurs sur les médias
sociaux, et à l’appui des blogueurs et des influenceurs. De ce point de vue
les deux marques de parfums de niche développées indépendamment par les
deux auteurs (Dusita et Le Jardin Retrouvé) en sont des exemples
emblématiques.
Il est une troisième distinction que nous devons approfondir ici : celle
concernant les différents types de clients. Nous avons beaucoup insisté sur
les clients fidèles. Mais nous sommes passés un peu trop rapidement sur les
clients occasionnels. Nous avons indiqué que pour certaines marques de
luxe, ils peuvent représenter au moins 20 % du chiffre d’affaires… Dans cet
ouvrage, nous insistons beaucoup sur les clients fidèles que nous devons
identifier, répertorier et satisfaire par des actions digitales ciblées et
organisées.
Mais nous devons agir également sur les clients occasionnels. Il faut en
particulier les renouveler, les intéresser et les motiver (afin
d’éventuellement les transformer en clients fidèles). À cet égard,
l’utilisation des médias sociaux n’est pas très efficace, car beaucoup de ces
clients restent inconnus et non enregistrés, voire silencieux et juste
observateurs. Pour les motiver, il faut utiliser des outils à cible aussi large
que possible comme la « vieille » publicité : il faut en effet créer des signes
de reconnaissance, comme la boîte orange d’Hermès ou l’étiquette, elle
aussi orange, du champagne Veuve Clicquot que l’on repère facilement sur
un linéaire de supermarché. Il faut, à ce niveau, développer des signes
d’appartenance1 permettant à ces clients occasionnels d’identifier la
marque, et de l’inclure (éventuellement) dans leur short list de marques à
acheter. Il faut par ailleurs développer des alternatives à la publicité print
afin d’atteindre le maximum de clients potentiels et ainsi renouveler la base
d’acheteurs occasionnels : c’est clairement le rôle des influenceurs digitaux
aujourd’hui. Ceux-ci permettent aux marques de toute taille et de tous
secteurs de construire leur notoriété et (parfois) de vendre. Ce sujet à lui-
même mériterait un ouvrage entier !
Dans l’ouvrage Management et Marketing du Luxe2, il est écrit que
beaucoup de clients sont des excursionnistes qui n’achètent qu’une fois tous
les deux ans. Ce sont eux aussi qu’il faut convaincre et pour ce faire, les
meilleurs moyens sont sans doute les éléments classiques de
« communication » du marketing mix.
Dans cette dernière discussion, nous sommes sans doute très loin du sujet
de ce livre, « distribution » et « enjeux digitaux de la distribution », mais
nous ne voulons pas donner ici l’impression que nous avions oublié les
règles de base du marketing.
Ce qui importe ici, c’est de fournir tous les outils nécessaires à la
distribution directe et digitale des produits de luxe et de décrire les
scénarios et les enjeux qui vont être à l’ordre du jour dans les dix
prochaines années.
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