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Philip Mirowski
Dans Rue Descartes 2012/2 (n° 74), pages 117 à 133
Éditions Collège international de Philosophie
ISSN 1144-0821
DOI 10.3917/rdes.074.0117
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PHILIP MIROWSKI
L’irraisonnable efficacité
des mathématiques
en économie moderne 1
« J’en suis venu à penser que l’analyse mathématique n’est pas une
manière parmi d’autres de pratiquer la théorie économique ;
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(a) les économistes avaient adopté une forme de vulgate selon laquelle la théorie économique
est équivalente à un secteur des mathématiques ; au point que certains économistes, au
demeurant fort distingués, commencèrent à répandre l’idée que les « outils » mathématiques
avaient été le véritable moteur du développement de la théorie économique moderne ;
(b) les économistes avaient été soumis à partir du début des années quarante, à un flot de
critiques venant des mathématiciens ; ce flot devait tarir dans les années quatre-vingt ;
(c) après la chute du mur de Berlin, l’économie néoclassique américaine ayant acquis une
prédominance mondiale, la question du rôle des mathématiques et de leurs implications a
cessé d’intéresser les économistes. Le silence ainsi imposé à l’expression de préoccupations
d’ordre méthodologique a coïncidé avec un relatif ralentissement de la course à qui atteindrait
le niveau mathématique le plus élevé, consciemment organisée par les éditeurs des journaux
les plus « top ».
Cette trajectoire curieuse explique que depuis maintenant plusieurs dizaines d’années, la
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Les mathématiciens qui se sont intéressés à l’économie ont adopté une tout autre position,
manifestant à l’endroit des pratiques en cours chez les économistes de sérieuses réserves :
manque de rigueur dans l’utilisation de la théorie des ensembles, absence de prise en compte
de la théorie des feuilletages, mauvaise interprétation du concept mathématique de
« complexité 7 ». Ces mathématiciens notent également, sur un plan moins technique, une
tendance à « masquer sous les mêmes oripeaux, à coups de formules et de théorèmes destinés
à impressionner le lecteur, aussi bien des idées scientifiquement brillantes que de pures et
simples âneries 8 ». Pour eux, il est clair que les mathématiques n’ont pas été, et ne sont pas,
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le moteur de l’économie ; mais, en tant que mathématiciens, ils ne se sentent pas tenus de
rechercher les raisons des pratiques qu’ils réprouvent.
Rien d’étonnant, dans ces conditions, à ce que lorsqu’un économiste entreprend de discuter
sérieusement les effets produits par les mathématiques dans le champ de l’économie contem-
poraine, ses remarques soient tournées en dérision, voire même traitées de « débordement
émotionnel relevant du divan d’un psychanalyste 9 ». La réussite professionnelle de
l’économie moderne s’est accomplie en éliminant, ou plutôt en tournant en ridicule, toute
approche méthodologique de la question des rapports avec les mathématiques 10.
Dans ce qui suit, je me tiendrai à bonne distance de l’idée, communément répandue, que les
mathématiques jouent dans tout travail scientifique soit le rôle de substitut, incontesté et
incontestable, de la logique et de la rationalité, soit celui, prophylactique, de contrepoison
souverain et universel immunisant contre tout risque d’erreur. Je me tiendrai également
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autres, l’argument est d’ordre linguistique : « Les mathématiques sont un langage 12 », écrit
de façon définitive Paul Samuelson. Les mathématiques sont un langage, mais pas n’importe
quel langage, un langage d’un genre supérieur, supposé produire des effets bénéfiques. Cette
position n’est pas très éloignée de celle à laquelle en philosophie des mathématiques on donne
le nom de « formalisme » – comme il est apparu lors de la brève liaison qu’ont entretenue
après la guerre une partie des économistes et certains mathématiciens de l’école de Bourbaki
(j’y reviendrai). Il n’est pas rare de voir les deux types d’arguments, ontologique et
linguistique, énoncés à quelques lignes d’intervalle par un même auteur ; ainsi de William
Stanley Jevons, l’un des pères de l’économie néoclassique, qui écrit : « Il est clair que si
l’économie doit être une science, ce ne peut être qu’une science mathématique […] ne serait-
ce que parce qu’elle [l’économie] traite de quantités […] Par nature, les symboles utilisés
dans les livres de mathématiques ne diffèrent pas du langage […] [Les symboles mathéma-
tiques] ne constituent pas le mode de raisonnement qu’ils incarnent ; ils ne font qu’en faciliter
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Mais, dira-t-on, « les prix et les quantités sont des nombres, la monnaie aussi » et cela suffit à
régler la question du caractère manifestement mathématique de l’économie. Or, comme
l’ont montré certains historiens de l’économie 16, jusqu’à la Renaissance, la plupart des
entités économiques ne présentaient pas la structure algébrique et la propriété d’invariance
requises pour pouvoir leur appliquer un traitement mathématique, même rudimentaire. De
fait, si l’on en croit certains historiens 17, les pratiques quantitatives que nous associons à la
fois aux sciences de la nature et à l’économie ont été introduites en Europe au même
moment, au début de l’époque moderne, par le truchement de croyances et d’activités qui
ont imposé aux phénomènes un caractère mathématique. Une chose est sûre en tout cas : rien
ne prouve que les prix, les unités de commodité et la monnaie aient toujours été conçus
comme des nombres, en un sens purement ontologique : ils dépendaient, et dépendent
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encore, d’un trop grand nombre d’autres pratiques sociales et peuvent être réarrangés de
mille et une manières ; leur caractère mathématique n’a rien de « naturel », ni de stable.
Justifier l’économie mathématique, par le fait que les nombres s’introduisent de façon
naturelle, c’est mettre la charrue devant les bœufs.
On pourrait penser que tout cela c’est de la vieille histoire et ne concerne en rien la situation
« moderne » – n’était cette déclaration d’un titulaire « moderne » (1983) du prix Nobel
d’économie, Gérard Debreu :« Après avoir choisi une unité de mesure pour chacune des
commodités et établi une convention de signe permettant de distinguer les entrées des
sorties, on peut décrire l’action d’un agent économique par un vecteur de l’espace des
commodités Rl. Le fait que l’espace des commodités ait une structure d’espace vectoriel sur
le corps des réels est la raison fondamentale pour laquelle la mathématisation de l’économie a
réussi 18. »
Cette version moderne de l’argument ontologique repose sur une prémisse qui est fausse.
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Il est généralement admis aujourd’hui que la théorie économique néoclassique est née de la
Le modèle de la physique
volonté d’imiter les nouveaux formalismes introduits en physique à partir du milieu du XIXe
siècle, à la suite de l’« invention » du concept d’énergie par Helmholtz 20. De fait, les
principaux protagonistes de cette nouvelle économie, Léon Walras, William Stanley Jevons
ou Francis Edgeworth ont reconnu avoir cherché à « copier » la physique, afin de hâter l’accès
de l’économie au statut de science mathématique. Tout d’abord en établissant des analogies
entre concepts, faisant ainsi correspondre l’utilité en économie à l’énergie potentielle de la
physique, l’espace des commodités à des espaces euclidiens à n dimensions, le système des
prix à une force et le commerce à des mouvements dans l’espace. Plus tard, la notion
d’« équilibre », qui jusqu’alors avait tenu une place modeste dans les préoccupations des
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Même si les premiers économistes néoclassiques ont eu à cœur de faire valoir leurs
La tentation du bourbakisme
compétences, réelles, dans le domaine des mathématiques, ce n’est qu’au bout de quatre-
vingts ans que s’est fait sentir l’influence « philosophique » des mathématiciens de métier sur
l’économie. Le contact avec la profession des mathématiciens fut établi à l’occasion de deux
événements pas totalement indépendants : l’entrée à la Commission Cowles 22, dans les
années cinquante, de cadres d’orientation bourbakiste d’une part ; et d’autre part, la
diffusion, lente mais continue à partir des années quarante, de thèmes inspirés par von
Neumann. Comme le fait remarquer Amy Dahan-Dalmedico 23, ces deux orientations sont le
reflet, au sein de l’économie, des deux principaux courants qui ont dominé l’histoire des
mathématiques dans la période qui va de la fin de la Deuxième Guerre mondiale aux années
soixante.
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Il peut paraître curieux de voir l’austère doctrine « philosophique » de Bourbaki, célèbre pour
avoir défendu la « pureté » des mathématiques, loin de toute idée d’application, s’introduire
dans un contexte aussi inévitablement « appliqué » que celui de l’économie néoclassique
– américaine qui plus est. L’histoire du bourbakisme aux États-Unis dans les années quarante,
particulièrement à l’Université de Chicago, est bien documentée ; on sait moins que la
Commission Cowles, qui s’est réunie à Chicago de 1938 à 1954, a servi de rampe de
lancement au bourbakisme à l’intérieur de la profession des économistes 24.
Debreu était élève de Henri Cartan, l’un des membres fondateurs de Bourbaki ; il était acquis
à l’idée d’une approche rigoureuse, sans compromis ni concessions heuristiques ou
didactiques 26. Comme l’écrit André Weil, autre fondateur de Bourbaki, « La métaphysique
qui était devenue la mathématique pouvait maintenant faire l’objet d’un traité dont la beauté
froide ne pourrait nous émouvoir 27 ». La méthode axiomatique était liée à une idéologie
cherchant à libérer les mathématiques de toute dépendance à l’égard de la nécessité physique,
et l’axiomatique était le moyen de révéler les structures fondamentales à partir desquelles il
serait possible de déduire l’ensemble des mathématiques. Le groupe Bourbaki se voyait
comme le continuateur du programme « formaliste », mais un continuateur qui aurait poussé
beaucoup plus loin que n’avait imaginé Hilbert, pourtant à l’origine du programme
bourbakiste, la recherche d’un principe unitaire d’où découleraient toutes les mathématiques.
La tâche audacieuse consistant à réécrire collectivement toutes les mathématiques fut
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Comme il fallait s’y attendre, Debreu produisit sa propre version du bourbakisme à destination
des économistes sous la forme d’un volume intitulé The Theory of Value (1959) ; on y retrouve
tout ce qui caractérise le style de Bourbaki : mépris affiché à l’encontre de l’analyse et du calcul,
fascination pour la topologie, élitisme revendiqué, affirmation, sans autre forme de procès, que le
modèle de l’équilibre général de Walras est la structure engendrant toute l’économie, usage
horripilant de l’abstraction, allégeance dévote à la méthode axiomatique. De plus, le livre ne
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Au delà des prix Nobel d’économie décernés à Debreu et à certains de ses collègues de la
Commission Cowles, on peut se demander si l’intermède bourbakiste a vraiment été une telle
réussite. Selon Leo Corry 29, le programme bourbakiste en économie a été, pour l’école
Bourbaki elle-même, un échec : les structures dont les prouesses avaient été annoncées à coup
de trompe se sont finalement révélées inopérantes. Ce que Corry résume ainsi : « Le travail
de Bourbaki est à l’origine de bien des contributions importantes en mathématiques ; une
chose est sûre : le concept de structure n’en fait pas partie ».
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L’interprétation de l’histoire des mathématiques telle qu’elle a été revue par Bourbaki a été
démentie par les événements et l’épisode bourbakiste est régulièrement présenté comme
ayant été désastreux pour la profession des mathématiciens. Ce n’est pas le lieu de discuter ici
la justesse de cette opinion. Nous devons en revanche nous poser la question de savoir ce qu’il
en a été s’agissant de l’économie néoclassique. Parmi les arguments à charge, l’un des
premiers qui vient à l’esprit s’énonce ainsi : la Commission Cowles est plus célèbre pour avoir
fourni la démonstration de ce qu’elle ne pouvait faire que pour avoir promu de nouvelles
pistes de recherche au sein même de l’économie. En effet, si c’est à juste titre que l’on
considère comme un exploit la démonstration donnée par Arrow et Debreu, en se fondant
sur des hypothèses relativement faibles, de l’existence d’un équilibre général, il n’en reste pas
moins que l’unicité et la stabilité de cet équilibre (dans les mêmes conditions peu restrictives)
n’ont pu être établies. La littérature sur la question fait apparaître une suite de culs-de-sac
d’où n’émerge aucun consensus. Plus inquiétant aux yeux de certains commentateurs est le
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Rares sont les mathématiciens de premier rang qui ont manifesté un intérêt constant et
John von Neumann et le tournant computationnel
soutenu pour l’économie. John von Neumann, au XXe siècle, a été le premier d’entre eux.
Raison, peut-être, pour laquelle la véritable nature de son héritage fait l’objet d’âpres
discussions, encore aujourd’hui, un demi-siècle après sa mort 32. On pourrait penser que
l’inventeur de la théorie des jeux (en 1928), l’homme qui a légué à l’économie tant de
critères et de démonstrations, occupe au Panthéon des économistes une position incontestée.
En réalité, les choses sont plus compliquées. Les économistes modernes orthodoxes lui
reprochent (sans que cela soit jamais vraiment dit) d’avoir explicitement détruit ce qu’ils
considèrent comme les deux piliers de l’économie néoclassique de l’après-guerre, à savoir
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l’équilibre général de Walras et la solution de Nash en théorie des jeux. Dans son ouvrage
devenu classique, The Theory of Games and Economic Behavior, von Neumann appelait de ses
vœux de nouvelles mathématiques destinées à remplacer en économie le calcul newtonien,
parce que, disait-il, « il est peu probable que les astuces qui ont si bien marché en physique
réussissent dans le cas des phénomènes sociaux 33 ». À peu de temps de là, ayant abandonné
les « nouvelles mathématiques » qu’il avait introduites mais dont il n’était plus satisfait, von
Neumann se consacra, pour le reste de ses jours, à la construction de ce que l’on appelle
l’architecture de Neumann utilisée dans les ordinateurs modernes, ainsi qu’à l’élaboration de
ce que, pour faire vite, on peut désigner du nom d’approche computationnelle des mathéma-
tiques. Bien qu’il ait, dans sa correspondance et dans certains textes non publiés, suggéré
quelques applications de cette approche computationnelle au cas de l’économie, il ne publia
désormais plus rien qui puisse se comparer en la matière à The Theory of Games, laissant ainsi
ses successeurs dans un état d’incertitude qui n’est pas étranger au caractère ambigu de sa
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Après la guerre, von Neumann fut l’un des chefs de file de la réaction anti-bourbakiste 34.
Ayant perdu confiance dans le programme formaliste de Hilbert après la publication des
théorèmes de Gödel, il abandonna complètement le filon axiomatique et rejoignit le camp de
ceux qui pensaient que la nouveauté en mathématiques ne pouvait venir que de l’immersion
dans les problèmes posés par les sciences appliquées (avec une préférence marquée pour
celles de ces sciences appliquées que souhaitait voir se développer le Pentagone, importante
source de crédits : dynamique non linéaire, étude du cerveau, évolution biologique et
surtout, calcul digital). S’il est vrai que l’ordinateur n’a été « inventé » par personne en
particulier, il n’en reste pas moins que c’est grâce à von Neumann que nous sommes entrés
dans l’Âge de la Cybernétique.
Von Neumann a posé les bases d’une théorie logique des automates (qu’il n’a pas eu le temps
de développer complètement) dans laquelle les automates sont considérés comme des entités
de traitement de l’information capables d’auto-régulation lors de leur interaction avec l’envi-
ronnement. Deux écoles se réclament aujourd’hui de von Neumann en économie
mathématique : ceux pour qui la tâche essentielle consiste à rendre « calculables » les modèles
néoclassiques, oubliant que von Neumann lui-même était opposé au modèle walrasien
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d’équilibre général et même à la théorie de l’utilité ; et ceux qui entendent trancher le nœud
gordien, c’est-à-dire utiliser la théorie des automates de von Neumann pour totalement
renouveler la manière de concevoir la formalisation de l’économie.
L’un des éléments majeurs du changement porté par cette deuxième vague d’héritiers de von
Neumann a trait à la représentation des marchés : la microéconomique attache de moins en
moins d’importance à la caractérisation « correcte » des agents économiques et de leurs
capacités cognitives et se préoccupe de plus en plus de la caractérisation des marchés en tant
qu’algorithmes de calcul en perpétuelle évolution 35. De fait, l’économie s’était jusque là
intéressée plus aux agents, à leur nature et leur statut, qu’à la structure et à la composition des
marchés ; le mot « marché » désignait le phénomène d’échange lui-même, ce qui le rendait
effectivement redondant. Même lorsque certains des grands noms de l’économie
traditionnelle se sont sentis dans l’obligation de discuter le détail de l’offre et de la demande
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premier ordre (par exemple, la compétition parfaite traitée comme un effet du second ordre
par rapport au premier ordre représenté par le monopole). C’est ainsi que Le Marché en est
venu à être modélisé par une entité relativement indifférenciée et homogène, abolissant la
diversité des marchés.
En conclusion
L’économie orthodoxe qui avait donc abordé le XXe siècle sur les traces de la physique, et
plus précisément de la mécanique classique, s’est ensuite (avec la Deuxième Guerre
mondiale) écartée de cette voie, et a procédé à une refondation complète de sa doctrine où,
pour dire les choses rapidement, l’agent économique a été reconceptualisé en processeur de
l’information, (c’est particulièrement vrai dans le cas de la théorie des jeux). Il est clair que ce
que l’on peut considérer comme le remaniement le plus important de l’économie dans les
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Philip Mirowski, professeur d'histoire de la pense e e conomique et de philosophie des sciences a l'Universite Notre Dame.
NOTES
1. [NdT] : Ce texte est la traduction partielle d’un travail de Philip Mirowski publié dans le vol. 13 du
Handbook of the Philosophy of Science : Philosophy of Economics, U. Mäki, ed, Elsevier BV, 2010. Nous
remeercioons Philip Mirowski de nous avoir autorisés à publier une traduction partielle de son texte. Le
titre de cet article est démarqué de celui choisi par Eugene Wigner (voir plus haut), à ceci près que le
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mot « effectiveness » utilisé par Wigner a été remplacé par « efficacy » dans le titre de Mirowski ;
« efficacy » est le terme couramment employé pour parler de l’action d’un médicament ; « effectiveness »
est plus général et plus abstrait aussi ; la langue française ne permet pas de rendre la nuance autrement
que par des périphrases, inappropriées dans un titre.
2. Robert Lucas, in D. Warsh, Knowledge and the Wealth of Nations, New York, Norton, 2006.
3. [NdT] : Soit une pratique discursive comme une autre.
4. P. Mirowski, « The How, the When and the Why of Mathematics in Economics », Journal of Economic
Perspectives, (5), 1991, p. 145-158.
5. [NdT] : L’école néoclassique (on parle aussi de théorie néoclassique) est apparue à la fin du XIXe
siècle ; elle est devenue dominante, en Europe et aux États-Unis, dans les années 1950. Trois écoles sont
généralement considérées comme principales : l’école de Léon Walras (à Lausanne), celle de Carl Menger (à
Vienne en Autriche) et celle de William Stanley Jevons (à Cambridge en Angleterre). Même si leurs doctrines
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14. Voir P. Mirowski, Machine Dreams, New York, Cambridge University Press, 2002.
15. Voir D. Krantz, R. Lutz, P. Suppes, A. Tversky, Foundations of Measurement, San Francisco Academic
Press, 1986.
16. Voir, par exemple, W. Kua, Measures and Men, Princeton Uiversity Press, 1986.
17. Voir R. Hadden, On the Shoulders of Merchants : Exchange and the Mathematical Conception of Nature,
Albany, SUNY Press, 1993.
18. G. Debreu, « Economic Theory in the Mathematical Mode », American Economic Review, (74), 1984, p. 267-278.
[NdT] : De Debreu, on peut lire en français, G. Debreu, Théorie de la valeur. Une analyse axiomatique de
l’équilibre économique, Paris, Dunod, 1984 — traduction de Theory of Value. An Axiomatic Analysis of
Economic Equilibrium, New York, Wiley, 1959.
19. [NdT] : Cela résulte de la définition même du concept de « commodité ». Voir P.-N. Giraud, Cours
d’économie professé à l’Université Paris-Dauphine (2003) : « Une commodité est une marchandise dont les
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25. [NdT] : Voir P. Mirowski, Machine Dreams, op. cit., chap. 5, où est relatée l’histoire, éminemment
politique, de la Commission Cowles. L’objectif de la Commission était explicitement d’établir un lien entre
l’économie et les mathématiques. La Commission Cowles a grandement bénéficié de l’afflux d’intellectuels
fuyant le nazisme, arrivés aux États-Unis entre 1930 et 1940. Ce qui lui valut par la suite de multiples
ennuis avec la Commission des activités anti-américaines durant la période maccarthyste. Sur Debreu, voir
particulièrement les pages 247 et 394.
26. [NdT] : « Nous étions tous préoccupés de ce que rien de ce que nous écrivions ne pouvait être utile à
l’enseignement » dira plus tard, Claude Chevalley, co-fondateur du groupe Bourbaki interrogé par D. Guedj
dans Mathematical Intelligncer, (7), 2, 1985, p. 18-22.
27. Cité par A. Dalmedico, « An Image Conflict… » in A. Dalmedico, U. Bottazzini, op. cit., p. 236.
28. Voir B. Ingrao, G. Israel, The Invisible Hand. Economic Equilibrium in the History of Science,
Cambridge, MIT Press, 1990 ; trad. ital. La Mano invisibile. L’equilibrio economico nella storia della
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