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LES BANQUES

L’externalisation du patrimoine
immobilier d’entreprise : mode
ou mouvement irréversible ?
Didier Boissière (78),
directeur associé chez Auxiliaire de Finance

À l’heure où les marchés financiers exigent plus de transparence se portent aujourd’hui acquéreur de
et de véracité des comptes, nos sociétés cotées ont bien du mal à définir larges patrimoines d’activités. Mais
une communication claire qui ne mette en péril, au moindre faux pas, le vrai déclencheur de l’externalisa-
la valeur de leurs titres. tion reste le besoin pour l’entreprise
Une des composantes sûres de cette communication est la mise de dégager des liquidités à un moment
en lumière de tout ce qui touche à la consolidation des compétences
où l’accès à la dette devient plus dif-
ficile, que ce soit par des difficultés
de la société autour de son ou ses cœurs de métier. temporaires ou un endettement attei-
C’est effectivement ce ou ces cœurs de métiers qui, en temps gnant des limites risquant de dégra-
de croissance ou en temps de crise, ont toujours été la matrice der son rating.

S
de la valeur ajoutée de l’entreprise. Plusieurs solutions s’offrent à l’en-
treprise désireuse d’extraire la valeur
I L’ON ADMET aujourd’hui aisé- de son immobilier sans interrompre
ment que la détention d’actifs son exploitation : le refinancement
immobiliers n’est pas “ cœur hypothécaire (le banquier prend une
de métier” pour nos sociétés de ser- hypothèque sur les biens), le refi-
vices, cette reconnaissance est encore nancement en crédit-bail (les biens
timide pour nos sociétés industrielles sont achetés par un crédit-bailleur
européennes. Affectivité ou retard qui les loue immédiatement au ven-
structurel ? Le fait que seulement deur avec une clause de rachat à une
quelque 30 % des sociétés outre- valeur souvent symbolique), la titri-
Atlantique détiennent leur immobi- sation (les biens sont logés dans une
lier d’exploitation contre 80 % en structure ad hoc dont les revenus
Europe nous amène à nous interro- sont les loyers payés par le vendeur
ger sur les fondamentaux de cette et dont les titres sont vendus à des
tendance à l’externalisation du patri- investisseurs), la cession-bail (les
moine immobilier d’entreprise. biens et les droits au bail attachés
Certes le diktat des marchés finan- sont acquis par un investisseur).
ciers demandant plus de transpa- Les deux premières solutions ne
rence des comptes joue son rôle. sont pas déconsolidantes au sens
Certes, et contrairement à hier, les comptable du terme (cf. ci-dessous)
investisseurs et foncières spécialisées et n’ont pas la faveur des entreprises

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désireuses aujourd’hui de sortir les • Thalès cédant 23 actifs d’exploita- Les opérations de cession-bail s’ap-
actifs de leur bilan. La titrisation vise tion en France métropolitaine à pliquent en général à des sociétés
en général de larges patrimoines sur Deutsche Bank fin 2001 pour 500 M €. cotées dont le rating est au minimum
lesquels le vendeur est capable de À fin 2001, cette vague d’exter- de catégorie B. En effet, la garantie de
prendre des engagements locatifs nalisation à travers l’Europe avait paiement des loyers sur des périodes
fermes à long terme et a donc un drainé plus de 21 Mds €, dont envi- allant de trois à quinze ou vingt ans
domaine d’application réduit. Son ron 8 Mds en France. selon les cas, et les autres garanties
traitement comptable est encore incer- Ces montants ont été apportés par que doit avancer le vendeur, notam-
tain vu le peu de références en Europe. des foncières cotées ou, et surtout, ment en termes de remise en état envi-
Nous nous concentrerons donc sur par des fonds dits “ opportunistes ” ronnemental des sites rendus libres
la cession-bail. dont l’objectif, il faut le reconnaître, à terme, impliquent que la signature
est avant tout un refinancement à soit non contestable.
Les opérations de cession-bail terme par titrisation (quand elle est Quels sont les inconvénients d’une
possible) ou une revente pure et simple, opération de cession-bail? La réponse
Celles-ci, bien connues dans le actif par actif ou par blocs d’actifs, peut être liée :
monde anglo-saxon, ont fait leur afin de remplir leur objectif de taux • au risque de perte temporaire de
chemin en Europe continentale en de rendement interne. compétitivité dans le cas où les loyers
provoquant, du fait de leur taille En 2002, la liste ne cesse de s’al- garantis au nouveau propriétaire peu-
vertigineuse, l’étonnement des acteurs longer par les suites d’opérations tiroirs vent être supérieurs aux amortisse-
traditionnels du secteur de l’immobilier : lancées dernièrement (France Télécom II ments des actifs immobiliers (aug-
• Telecom Italia cédant 60% de son pour 1 Md €, Thalès II pour 250 M €), mentés d’un intérêt notionnel) du fait
patrimoine immobilier à un groupe- par de nouvelles opérations à l’ini- que les actifs sont souvent très large-
ment formé par Lehman Brothers tiative de grandes sociétés cotées en ment amortis dans les comptes de
(45 %) et Beni Stabili (15 %) pour mal de cash (ABB, Alstom…) et par l’entreprise. La contrepartie est pour-
2,7 Mds € ; des sociétés plus modestes cherchant tant une plus-value générée et dont
• Deutsche Telekom se désengageant à la fois cash mais surtout rationali- le réinvestissement dans le dévelop-
de son patrimoine immobilier (valeur sation de leur politique immobilière pement de l’entreprise ou dont l’uti-
estimée 17,4 Mds €) en le regrou- (Carrefour, PPR, Accor…). lisation au remboursement de la dette
pant au sein d’une même société dont Ces opérations ont en effet un entraînent une réduction durable des
Morgan Stanley Dean Witter détient dénominateur commun : celui de per- coûts opérationnels et financiers de
aujourd’hui 24,5%; mettre, outre de créer des liquidités, l’entreprise;
• France Télécom cédant une pre- de contraindre l’entreprise à changer • au risque d’une certaine sous-opti-
mière tranche de 473 immeubles de radicalement de comportement vis- misation de la valeur à partir du
son patrimoine immobilier pour à-vis de son immobilier. moment où l’opération est souvent
3 Mds € fin 2001 à un consortium De propriétaire-exploitant, celle- traitée sous la forme de “ vente en
constitué de Whitehall, CDC Ixis et GE ci devient locataire-exploitant et les bloc” (plusieurs dizaines, centaines
Capital; implications sont multiples : voire milliers d’actifs vendus simul-
• British Telecom cédant une large • l’entreprise transfère son risque tanément) dans le sens où une vente
partie de son patrimoine (six millions immobilier vers une entité spéciali- par actif ou groupe d’actifs serait plus
de mètres carrés) à Telereal, groupe- sée dans ce type de risque; valorisante pour le vendeur : les actifs
ment détenu par les groupes Land • elle inculque à ses entités et filiales seraient mieux appréciés (au sens
Securities Trillium et William Pears, opérationnelles la notion de coût du propre du terme) par les candidats
pour 3,8 Mds € fin 2001; mètre carré utilisé et les oblige indi- acquéreurs ; mais c’est cette même
• ENI (pétrole italien) cédant son rectement à rationaliser leur politique faculté ultérieure – que les nouveaux
patrimoine immobilier à Goldman budgétaire de travaux et d’entretien; acquéreurs s’octroient de revendre
Sachs pour 1,1 Md € ; • elle les contraint à définir au mieux des parties du patrimoine une fois la
• Abbey National cédant à Mapeley leur occupation future des locaux et transaction consommée – qui rend
Colombus Ltd. son immobilier d’ex- à apprécier le coût de la flexibilité évidemment la transaction attrayante
ploitation pour 700 M € fin 2000; souhaitée en termes d’occupation aux yeux des candidats investisseurs.
• EDF vendant une partie de son patri- d’espaces;
moine de bureaux et logements pour • elle s’autodétermine en termes de Le traitement des opérations
plus de 2,7 Mds € dont 773 M € contractualisation de ses relations de cession-bail par les
correspondant à 12 784 logements envers le nouveau propriétaire. commissaires aux comptes
vendus à Deutsche Bank fin 2000 ; À court terme, et si l’opération est
puis, 60 immeubles pour 533 M € à correctement structurée notamment Un certain nombre de règles comp-
Morgan Stanley associé à Batipart et en termes de flexibilité, l’effet induit tables (en particulier la norme inter-
son siège parisien pour 183 M € à est une réduction du coût de l’im- nationale IAS 17) permettent de qua-
Unibail courant 2001; mobilier. lifier ou non l’opération de cession-bail

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comme “déconsolidante”, c’est-à-dire obligations. Une réflexion est en cours On peut donc considérer que l’ap-
que les actifs immobiliers détenus au au niveau des instances de normali- préciation que font les analystes finan-
préalable par l’entreprise sont ou non sation comptable internationale. ciers est systématiquement positive
extraits de son bilan consolidé au pour les raisons simples que sont :
moment où les plus/moins-values L’appréciation des opérations • une meilleure lisibilité des comptes :
générées par la vente des actifs sont de cession-bail par les actifs sont réduits aux seuls actifs
inscrites au passif du bilan. la communauté financière opérationnels hors effet d’amortisse-
Le principe fondamental guidant ment ou de méthodes de financement
cette qualification est que cette opé- Le chef d’entreprise doit allouer des actifs immobiliers, la rentabilité
ration de cession-bail ne soit pas le ses ressources en fonction des objec- des fonds investis est plus “ pure ”
“faux nez” d’un simple refinancement tifs stratégiques qui, on ne le sait que puisque nette de la rentabilité de la
des actifs immobiliers et que le trans- trop, sont aujourd’hui définis dans le détention de l’immobilier;
fert effectif et définitif d’un réel risque sens d’une création de valeur pour • les perspectives que donne l’utili-
immobilier – lié à la détention de l’ac- l’actionnaire, donc d’une rentabilité sation du produit de la vente au rem-
tif – ait effectivement lieu. sur les capitaux propres à la fois boursement de la dette ont des effets
Les critères ont donc trait à la lon- pérenne et en croissance (la fameuse vertueux : accès à un financement
gueur de la prise à bail des actifs au “sustainable growth ” des Anglo-Saxons). meilleur marché, potentiel de levier plus
regard de leur durée économique, à Dans cette logique, l’entreprise important, augmentation de la confiance
la propension qu’ont les revenus loca- maximise la rentabilité de ses capi- des investisseurs entraînant un accès
tifs futurs garantis à couvrir la valeur taux propres en allouant ses ressources à du capital meilleur marché.
estimée des actifs vendus, à la faculté aux activités les plus rentables, sauf si En revanche, l’impact sur le rating
qu’a le vendeur de se voir réinstau- une logique stratégique indus- de l’entreprise n’est généralement pas
rer dans ses droits sur ses propres trielle/commerciale justifie une pré- significatif car les agences de notation
actifs immobiliers, etc. sence sur plusieurs secteurs de mar- retraitent systématiquement les enga-
D’autres contraintes résident dans ché estimés moins rentables. gements locatifs comme de la dette à
le caractère même des actifs immo- En tout état de cause, il est pro- moyen et à long terme (en général,
biliers. Le risque immobilier n’est réel- bable – mais des exceptions existent huit fois l’engagement locatif annuel).
lement transmis au nouveau pro- – que la rentabilité de la détention
priétaire que si la valeur résiduelle du d’actifs immobiliers d’exploitation soit Le cas du patrimoine
bien à l’expiration du terme du bail pris inférieure à celle du secteur d’activité immobilier de structures
par le vendeur est bien réelle, c’est- de l’entreprise. Les actionnaires (et étatiques ou para-étatiques
à-dire que l’actif est à terme bien les analystes financiers) souhaiteraient
liquide sur le marché. Cette contrainte donc voir l’entreprise “déverrouiller” À l’instar des entreprises du secteur
vise à exclure les actifs trop spéci- les fonds propres immobilisés dans des télécoms fortement endettées,
fiques à l’exploitation d’une entre- l’immobilier et en extraire la valeur EDF et la SNCF se sont déjà engagées
prise et pour lesquels l’investissement de marché par la vente des murs des dans des opérations d’externalisation.
nécessaire à leur banalisation rendrait actifs d’exploitation – sans mettre en La Poste y réfléchit aujourd’hui acti-
la valeur nette des biens trop margi- péril la pérennité de l’entreprise – et vement: son patrimoine immobilier
nale, donc le risque du propriétaire réallouer ces liquidités à des inves- représente environ 5000 immeubles
trop “minimal”. tissements de nature plus rentables (huit millions de mètres carrés) éva-
De ce point de vue, même si des pour l’entreprise. lués à quelque 3,5 Mds €. Pourtant,
aménagements aux normes IAS sont La cession-bail des actifs immo- sur le thème de la vente du patrimoine
à prévoir à court terme et à moyen biliers permet à l’entreprise de déga- immobilier de l’État, la France est sen-
terme, on peut être confiant sur le fait ger des liquidités et de les affecter au siblement en retard par rapport aux
que l’opération sera toujours décon- remboursement de la dette. États-Unis, au Royaume-Uni ou même
solidante dès lors que le transfert de Ce n’est pas alors tant cette réduc- l’Italie. Ce retard devrait être comblé
risque aura été effectif selon les normes tion de la dette, en général mineure par l’adoption de la loi Murcef du
les plus strictes en la matière, à savoir par rapport à l’endettement de la 11 décembre 2001 et de son récent
les normes de l’US GAAP. société, que le message de recentrage décret d’application, portant “mesures
Enfin, qu’en est-il du traitement ainsi passé aux analystes financiers urgentes de réformes à caractère éco-
de l’engagement locatif à long terme qui aura un impact positif sur la valeur nomique et financier ”, qui autorise
pris par le vendeur? Il est aujourd’hui des titres. au cas par cas la cession des biens
considéré par les commissaires aux Ceci ne sous-estime pas pour autant d’État.
comptes comme un engagement hors le fait que le coût de la dette et le coût À titre d’exemple, le nouveau défi
bilan. Cette situation pourra changer moyen pondéré du capital diminuent de la Poste est en effet, depuis peu,
sous la pression des analystes finan- par la même occasion, conférant ainsi de faire face à la compétition sur un
ciers tentant de rétablir le vrai visage un avantage financier non négligeable marché de plus en plus ouvert aux
de l’entreprise quant à ses véritables à terme. acteurs internationaux.

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D’où un besoin d’investissement luctablement, des cessions de patri- C’est la tendance à la spécialisa-
de plus de 1 Md € par an pour ces pro- moine foncier et immobilier auront tion des fonctions entre un proprié-
chaines années. Une vente par paquets lieu. Indépendamment, le ministère taire de patrimoine immobilier (le
de 1 Md € lui permettrait donc de de l’Équipement réfléchit à une ratio- bailleur) et l’exploitant d’activités
voir sereinement l’avenir. nalisation de ses implantations qui industrielles ou commerciales (le pre-
Le même besoin anime EDF pour pourrait passer par la cession-bail neur) qui nous semble être, de fait,
supporter son développement à l’in- d’une partie de son patrimoine. la vraie logique “ métier ” sous-ten-
ternational, contrepartie rendue néces- dant ces financements structurés de
saire par la perte de part de marché Conclusion plus en plus complexes.
sur le territoire dès lors que des concur- Que son activité soit d’ordre pri-
rents internationaux peuvent opérer Telles sont, entre autres, les vastes vée, semi-publique ou publique, l’en-
sur l’Hexagone. perspectives qui s’ouvrent, à notre sens treprise a et aura toujours une meilleure
La SNCF, quant à elle, doit finan- durablement, non seulement aux entre- utilisation de ses fonds propres que celle
cer les infrastructures nécessaires à prises pouvant ainsi délester leurs de la détention d’immobilier. Sauf
son maintien dans la compétition face comptes du poids de leur immobilier bien sûr à être elle-même un inves-
au transport aérien et les investissements mais aussi aux investisseurs dont l’ap- tisseur… immobilier. ■
de RFF et de la SNCF sont considé- pétit pour des patrimoines de plus en
rables. plus importants et diversifiés (bureaux,
Les pouvoirs publics français s’en- logements, activités, industriel pur ;
gagent de plus en plus dans le sens engagements locatifs à long terme, pos-
de la cession d’activités et de patri- sibilités de redéveloppement à court
moines jusqu’alors étatiques. terme; signatures privées et étatiques)
Le ministère de la Défense envi- ne cesse de grandir dans la perspec-
sage des rapprochements d’entre- tive de construction d’une part de mar-
prises étatiques avec des entreprises ché significative sur ce nouveau segment
privées au lendemain desquels, iné- du marché de l’investissement.

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