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Méthodes et problèmes

L'œuvre dramatique
Danielle Chaperon, © 2003-2004
Dpt de Français moderne – Université de Lausanne

Sommaire
I. La dramaturgie
1. Définitions
2. Double origine des instruments d'analyse
3. Utilité de la référence classique
4. Dramaturgie et narratologie
II. L'Action
1. La construction de l'action
1. L'inventio
2. Renversement ou conflit
2. Les moteurs de l'action
1. Les six fonctions de la structure actantielle
2. Exposition, nœud, dénouement
3. Le fil principal et les fils secondaires
4. L'intrigue
5. Les caractères
6. Les rôles: les personnages dans l'action
7. Utilité générale des structures actantielles
III. Le Drame
1. La dispositio
2. Montré et raconté
3. Le Mode
1. Showing et telling
2. Le point de vue
4. Le Temps:
1. La durée
2. L'ordre
3. La fréquence
5. L'Espace
1. Les omissions latérales
2. Le choix du lieu
3. La visibilité
4. L'étendue
5. La mobilité
6. Les personnages et le lieu
6. Le tableau de présence
1. Continuité dramatique et discontinuité scénique
2. Présences et absences
3. Distribution des scènes
4. Le tableau de présence et les structures
actantielles
7. Espace/temps diégétique
IV. L'acte de Présentation
1. L'elocutio
2. La voix des personnages
3. La voix du présentateur
4. Le lecteur réel et le spectateur fictif
V. 5. Esthétique et évolution des formes
1. Mode dramatique et genre théâtral
2. Histoire du genre

 Bibliographie

I. La dramaturgie

I.1. Définitions
Le mot dramaturgie est un terme dont l'extension est plurielle. Les
dictionnaires autorisés distinguent le plus souvent deux définitions
concentriques et en quelque sorte emboîtées. Le mot dramaturgie peut
s'appliquer en effet: 1° à l'étude de la construction du texte de théâtre, de
son écriture et de sa poétique et 2° à l'étude du texte et de sa ou ses
mise(s) en scène tels qu'ils sont liés par le processus de la représentation.

Le présent cours (ainsi que celui qui est consacré parallèlement au mode
dramatique [Le mode dramatique]) s'intéressera exclusivement au premier
de ces deux domaines d'étude. Nous renvoyons pour ce qui concerne la
dramaturgie articulant le texte et la mise en scène à un cours spécifique [La
mise en scène].

Ce premier domaine correspond à la définition classique. Patrice Pavis


rappelle dans son Dictionnaire du théâtre que l'étymologie grecque renvoie
à l'acte de composer un drame. Conformément à cette origine antique, le
Littré affecte au mot dramaturgie le sens d'art de la composition des pièces
de théâtre. Longtemps le terme a ainsi désigné l'ensemble des techniques
concrètes que les auteurs mettaient en œuvre dans leur création, mais
aussi le système de principes abstraits – la poétique – qu'il était possible
d'induire à partir de ces recettes. Dans le contexte des études littéraires, on
continuera de se servir du terme dramaturgie pour désigner l'art de la
composition dramatique tel qu'il se manifeste dans les textes. On distinguera
de plus l'analyse dramaturgique, c'est-à-dire la pratique critique qui consiste à
décrire et à évaluer les effets de cet art, de la théorie dramaturgique qui
élabore les instruments nécessaires à cette pratique.

I.2. Double origine des instruments d'analyse


Les instruments d'analyse dont nous disposons aujourd'hui sont issus de
deux sources principales. D'abord de la dramaturgie des auteurs et des
philosophes telle que l'histoire nous l'a transmise, depuis Aristote jusqu'à
Vinaver par exemple, en passant par Corneille, Voltaire, Diderot, Hegel,
Lessing, Hugo, Zola, Maeterlinck, Brecht, Sartre, Sarraute... Le lexique
descriptif que l'on peut extraire de cette histoire de la dramaturgie, malgré
les tempêtes esthétiques qu'elle a traversées, reste remarquablement
stable. Pour utiliser une expression de Gérard Genette, la théorie indigène
semble en la matière plus constante, plus unifiée et plus exploitable que
dans le cas du roman. La Pratique du théâtre de l'abbé d'Aubignac, éditée
en 1659, est par exemple une ressource infinie pour décrire tous les
aspects de la dramaturgie puisque l'ouvrage s'adresse explicitement à la
fois aux auteurs, aux comédiens et aux spectateurs. L'Encyclopédie de
Diderot et d'Alembert reste aussi une mine en matière de définitions
scrupuleuses. Dans la littérature secondaire, l'ouvrage de Jacques Scherer
consacré à la Dramaturgie classique en France demeure une référence. Il
en est de même des recherches de Georges Forestier consacrées, entre
autres, à l'aspect génétique des dramaturgies cornélienne et racinienne, et
des travaux de Jean-Pierre Sarrazac consacrés à l'esthétique du drame
moderne et contemporain.

À cette constellation historique et historiographique, il faut ajouter l'apport


des recherches menées dans l'orbite du brechtisme français (la revue
Théâtre Populaire et Roland Barthes) puis surtout du structuralisme. Les
travaux d'Anne Ubersfeld, de Patrice Pavis et de Tadeusz Kowzan – pour
ne retenir que les auteurs les plus utilisés – se situent dans la suite
immédiate de cet héritage. Ils bénéficièrent des propositions théoriques de
l'analyse structurale du récit, de la sémiologie, de la narratologie, de la
linguistique de l'énonciation (la pragmatique). Cette double origine de la
terminologie et de la méthodologie est une richesse, mais elle exige une
rigueur particulière. En effet, il est indispensable d'articuler la dramaturgie
historique et la dramaturgie formaliste, c'est-à-dire de mettre au point une
véritable stratégie de transposition. C'est une telle conjonction que nous
tenterons de suggérer dans ce qui suit.
I.3. Utilité de la référence classique
D'après Aristote la forme dramatique (comme la forme épique qui est
l'ancêtre lointain de notre roman [Les genres littéraires]) est un instrument
permettant de représenter les actions humaines, de les mettre à distance et
d'en avoir une expérience fictive et épurée (c'est l'un des sens de la
fameuse catharsis [La fiction]). L'œuvre dramatique (comme l'œuvre
épique) fournit un modèle d'intelligibilité de ce qui, dans la vie de chacun,
échappe à la maîtrise et au sens, parce que les événements réels suscitent
des affects trop puissants – la pitié et la crainte, par exemple – et exigent
des réactions trop immédiates. Pour Aristote toujours, elle a sur l'épopée
les avantages de la densité et de la concision, et elle fait saisir d'un seul
coup d'oeil la totalité et la cohérence d'une aventure humaine. La forme
dramatique, telle que le philosophe la préconise, propose donc des actions
complètes et compréhensibles. L'auteur dramatique agence les faits de
telle manière qu'ils semblent logiquement liés entre eux (la nécessité) et
qu'ils paraissent obéir aux lois régissant ordinairement la réalité (la
vraisemblance).

Au cours de l'histoire du genre, ce bel instrument de rationalité et de


maîtrise a subi toutes sortes de métamorphoses. Car la forme dramatique
peut aussi être un instrument de déstabilisation. Elle a pu renverser les
valeurs, bouleverser les certitudes, semer le trouble – et pour cela, elle a
souvent inversé, dépassé ou perverti les normes imposées par la poétique
aristotélicienne et par la doctrine classique qui s'en réclamait.

Si la modernité a progressivement renoncé aux formes de l'intelligibilité


classique (l'unité, la logique, la vraisemblance...), on pourrait croire que la
référence à Aristote et au XVIIe siècle français est devenue facultative
sinon inutile. Il n'en est rien. D'abord parce que les formes classiques
continuent de nous séduire (elles n'ont donc rien perdu de leur efficacité
première). Ensuite parce que la doctrine classique, à force de prévoir les
infractions aux normes esthétiques qu'elle voulait imposer, a dessiné la
carte de (presque) tous les possibles dramatiques . (Il faut avouer que le théâtre
baroque, le théâtre espagnol, le théâtre italien et le théâtre anglais sont
pour beaucoup dans le développement quasi paranoïaque de cette
casuistique dont l'ouvrage de D'Aubignac est un bel exemple.) Bref, la
dramaturgie classique est une très utile nomenclature des phénomènes
dramatiques en général. Cette pensée obsédée par l'unité imagine et décrit
sans peine l'embarras et la confusion; obnubilée par la continuité, elle
distingue la bizarrerie et la rupture; économe elle nomme l'excès;
rationnelle elle énumère les formes de l'obscurité...

I.4. Dramaturgie et narratologie


Fig.2 - Dramaturgie et narratologie.

Les emprunts que la dramaturgie peut se permettre envers la narratologie


ont un double profit. D'abord celui, économique, de ne pas augmenter sans
nécessité la terminologie. Ensuite de faire ressortir les ressemblances mais
aussi les différences qui règnent entre les deux modes de représentation,
narratif et dramatique. Nul doute en effet que le système général des
possibles dramatiques recoupe en partie le système général des possibles
narratifs. Ne serait-ce que parce que les deux modes de représentation
prennent en charge le même type de contenus: des histoires.

Parmi les différentes approches possibles de l'art romanesque, la


narratologie de G. Genette est l'étude de l'articulation entre une Histoire
(l'histoire que l'on veut raconter), une Narration (l'acte de narrer) et un Récit
(le discours, le texte) [La perspective narrative]. Nous pouvons dire par
analogie que la dramaturgie est l'étude de l'articulation entre une Action
(l'histoire que l'on veut montrer), une Présentation (l'acte de présenter, ou de
montrer) et ce que nous appellerons faute de mieux – et faute d'accord, en
nous autorisant de l'usage que font du terme P. Szondi, P. Pavis et J.-P.
Sarrazac – un Drame. Certaines approches critiques seront forcément
similaires dans les deux domaines de la narratologie et de la dramaturgie,
mais elles divergeront néanmoins en raison du fait que dans le mode
dramatique (c'est à nouveau Aristote que l'on paraphrase) l'Histoire (l'Action)
n'est pas représentée par le biais d'une voix étrangère à l'action, mais par
le truchement des personnages en action, en tant qu'ils agissent
effectivement – c'est-à-dire surtout en tant qu'ils (se) parlent. Elle se donne
à voir essentiellement – si ce n'est uniquement – par la représentation des
relations interhumaines manifestées par le dialogue (selon les termes de
Peter Szondi).

Le narrateur est donc absent du texte dramatique ou, plutôt, est si


impersonnel et si discret qu'il fait croire à son absence [Le mode
dramatique]. Au premier abord, le texte théâtral peut en paraître simplifié:
sans narrateur, il n'y aurait ni narration ni description; sans narrateur, il n'y
aurait aucun discours indirect et seulement le discours direct des
personnages; sans narrateur, il n'y aurait pas non plus de variations de
point de vue [Le point de vue]. On devine cependant que cette simplicité
apparente doit avoir sa contrepartie. D'abord, la plupart des phénomènes
susmentionnés sont tout simplement transposés dans le discours des
personnages eux-mêmes, à qui rien n'interdit de raconter, de décrire, de
résumer ou de citer le discours des autres. Ensuite, les contraintes et les
ressources propres de la composition dramatique nécessitent pour être
décrites l'invention de nouveaux instruments d'analyse, l'adaptation ou
l'élimination de certains autres. Surtout, on l'a déjà dit, le narrateur ne
disparaît pas totalement.

Le présent cours s'attachera successivement à la description de l' Action,


puis à celle de la relation entre l'Action et le Drame. Il envisagera ensuite les
rapports qu'entretiennent cette Action et ce Drame avec l'acte de Présentation.
Cette dernière question qui s'assimile à celle de la Voix (pour nous inspirer
toujours de Genette) appartient de droit au système général que nous
esquissons ici, mais elle est aussi très directement liée à la définition même
du mode dramatique traité dans un cours spécifique [Le mode dramatique].
Cette question s'ouvre aussi naturellement sur la dramaturgie au sens large
[La mise en scène]. L'acte de narration, somme toute assez simple à décrire
dans le cas du texte narratif, est remplacé dans le domaine qui nous
occupe, par le relais de deux actes différents: l'acte de présentation et l'acte
de représentation (pris en charge par le metteur en scène, les comédiens et
l'équipe de réalisation d'un spectacle) qui engagent le texte dramatique et
la visée spectaculaire qui lui est propre. Cette visée prédétermine en effet
fortement certains caractères du texte, que ce soit au niveau de l'Action, du
Drame ou de l'acte de Présentation.

Pour des raisons pédagogiques, l'analyse des aspects du texte dramatique


adopte dans ce qui suit un ordre qui est emprunté à la rhétorique classique:
l'ordre des étapes d'écriture propre au XVIIe siècle. L' Action, le Drame et
l'acte de Présentation seront associés respectivement aux résultats de
l'inventio, de la dispositio et de l'elocutio. Lier ainsi les concepts anciens et
les instruments d'analyse moderne est, on le verra, très éclairant pour
autant que l'on n'oublie pas que si les trois étapes de l'écriture classique
s'enchaînent naturellement sur un axe chronologique, il n'en est pas de
même des aspects du texte dramatique: ces derniers forment un système
et non un processus.

II. L'Action

II.1. La construction de l'action

II.1.1. L'inventio
Dans Discours du récit (Figures III) G. Genette ne développe guère
l'analyse de l'Histoire (c'est-à-dire celle des contenus narratifs), invitant le
lecteur à se reporter aux grammaires du récit de Propp, Brémond et
Greimas. Il est utile pourtant de rappeler de quelle manière les instruments
de la sémiotique narrative ou de l'analyse du récit ont été adaptés aux
contenus dramatiques, et surtout comment ils peuvent être traduits dans la
terminologie indigène.

Tout commence dans la dramaturgie classique par ce que la rhétorique


appelle l'inventio, c'est-à-dire le choix d'un sujet. Le sujet du poème
[dramatique] est l'idée substantielle de l'action: l'action par conséquent est le
développement du sujet, l'intrigue est cette même disposition considérée du
côté des incidents qui nouent et dénouent l'action (Marmontel, Article Fable
de l'Encyclopédie de Diderot et d'Alembert). Le sujet est soit inventé, soit
emprunté à l'histoire ou à la légende.

II.1.2. Renversement ou conflit


Pour Aristote, l'agencement des faits (l'intrigue formant un tout et
comportant un commencement, un milieu et une fin) s'organisait autour
d'un élément indispensable à toute tragédie: le renversement – du bonheur
au malheur de préférence. C'est ce renversement qui, bouleversant le
destin des personnages, suscitera chez le spectateur, la terreur et la pitié.
On constate donc que, dans La Poétique, la notion de conflit est absente.
C'est à Hegel et à son Esthétique que nous devons une autre conception
du drame clairement fondée sur le choc des valeurs, l'opposition des
caractères et la violence des dialogues. Cette vision est pourtant en germe
dans la dramaturgie classique française (particulièrement dans la comédie)
mais elle se fortifiera surtout au long du XVIIIe siècle. Le Père Le Bossu,
glosant hardiment Aristote, pouvait déjà écrire dans son Traité du poème
épique (1707):

Dans les causes d'une action, on remarque deux plans opposés: le premier et
principal est celui du héros, le second comprend les desseins qui nuisent au projet
du héros. Ces causes opposées produisent aussi des effets contraires, savoir des
efforts de la part du héros pour exécuter son plan, et des efforts contraires de la part
de ceux qui le traversent. Comme les causes et les desseins, tant du héros que des
autres personnages du poème, forment le commencement de l'action, les efforts
contraires en forment le milieu. C'est là que se forme le nœud ou l'intrigue, en quoi
consiste la plus grande partie du poème.

L'article Action de l'Encyclopédie, rédigé par l'abbé Mallet, adoptera et


citera cette définition. L'abbé Batteux, dans Les Beaux-Arts réduits à un
même principe (1746), distinguait quant à lui plus simplement: 1° une
entreprise (le commencement), 2° des obstacles (le milieu), 3° le succès ou
l'échec (la fin).

Aux XIXe siècle, le théâtre explorera un nouveau type de conflit, non plus
intersubjectif mais intrasubjectif: les conflits intérieurs. Freud distingue ce qu'il
appelle le drame psychologique (qui oppose deux mouvements intérieurs
conscients) et le drame psychopathologique (où s'affrontent un mouvement
conscient et une pulsion inconsciente). Dans la seconde moitié du XXe
siècle, le conflit disparaît à mesure que seront déconstruites
successivement les notions d'intrigue, de personnage et de dialogue.

II.2. Les moteurs de l'action

II.2.1. Les six fonctions de la structure actantielle


Fig.3 - Structure actantielle.

La grammaire du récit valorise, elle aussi le conflit – et la validité de


certains de ses outils d'analyse est donc limitée. La grammaire du récit
permet d'analyser l'action en privilégiant, non seulement les étapes de son
évolution (situation initiale, transformation, situation finale), mais son
moteur: un système de tensions entre des fonctions remplies par des actants.
Ce système de tensions est représenté par la structure actantielle de Propp
et Greimas qu'Anne Ubersfeld adapta aux exigences de l'analyse
dramaturgique. Cette structure, ou ce modèle, relie six fonctions.

Il s'agit, lors de l'analyse d'une œuvre dramatique (sur le plan de l' Action),
d'identifier les actants qui occupent ces six fonctions, actants qui peuvent être
des individus, des collectivités ou des entités abstraites. Un Sujet désire un
Objet, ce désir est conditionné par un Destinateur et entretenu pour le
bénéfice d'un Destinataire. La relation entre le Sujet, l'Objet, le Destinateur et
le Destinataire correspond à ce qu'Anne Ubersfeld appelle le triangle des
motivations. La partie inférieure du modèle, le triangle du conflit, identifie
les difficultés ou les obstacles qui empêchent la réalisation du désir. C'est à
ce niveau que s'affrontent, autour de l'entreprise du Sujet, des Opposants et
des Adjuvants.

II.2.2. Exposition, nœud, dénouement


Le modèle actantiel peut être transcrit sans peine dans les termes
classiques de la dynamique de l'action tels qu'ils sont posés, entre autres,
par le Père Le Bossu. En effet on voit que l'ensemble de la structure figure
à la fois les desseins opposés et les efforts contraires. La structure, en tant
qu'elle présente les desseins, sera décrite dans l'exposition, elle sera ensuite
mise en mouvement par les efforts contraires pour former le nœud. En
revanche, le dénouement nécessite que la structure actantielle se transforme
voire disparaisse – faute de combattants ou d'enjeux. Il advient que le Sujet
meurt, que l'Objet soit conquis, anéanti ou modifié, que les Adjuvants ou les
Opposants soient éliminés, etc.

L'établissement d'une structure actantielle unique, qui schématiserait l'action


de la pièce, n'est en aucun cas le but de l'analyse. D'abord, on l'a vu, la
structure qui représente l'action évolue nécessairement, car le dénouement
serait impossible si elle se figeait. (À moins que l'auteur renonce au
dénouement et veuille justement représenter une situation bloquée – c'est
le cas de Beckett dans Fin de partie, dont le titre est évidemment
fallacieux.) Il convient donc d'établir plusieurs structures qui représentent
toutes les phases consécutives à celle que l'on a dessinée à partir de la
situation initiale.

II.2.3. Le fil principal et les fils secondaires


Ensuite, une pièce de théâtre n'est basée que très rarement sur une seule
action. L'unité d'action classique est en cela trompeuse car elle désigne en
réalité l'unification logique d'une action principale avec des actions secondaires.
Certes, le premier modèle actantiel qu'il faut établir est bien celui qui paraît
le mieux expliciter les enjeux de l'action principale (le fil principal). Il doit être
construit autour du héros (il faudrait dire plutôt que Héros est le nom que
l'on attribue au Sujet de la structure actantielle qui représente l'action
principale). Puis, doivent être dessinés les modèles qui peuvent figurer les
actions secondaires. Un Opposant ou un Adjuvant au dessein du héros peut
par exemple être le Sujet d'une autre structure (et c'est même ce qui
motivera souvent son opposition ou sa collaboration).

Corneille présente l'action de Cinna comme suit: Cinna conspire contre


Auguste et rend compte de sa conjuration à Emilie, voilà le
commencement; Maxime en avertit Auguste, voilà le milieu; Auguste lui
pardonne, voilà la fin. Cinna est le Sujet, et son Objet est la mort d'Auguste
(le Destinateur officiel est la Liberté ou la Justice, le Destinataire, Rome).
Maxime est un Adjuvant qui devient un Opposant. Le dénouement sera
marqué par le renoncement total de Cinna à son projet, car peut-on
assassiner un Empereur généreux et repentant? Reste à savoir pourquoi
Cinna conspire, pourquoi Maxime trahit et pourquoi Auguste pardonne.
Toutes ces causes proviennent d'actions secondaires centrées sur d'autres
personnages que le héros éponyme: Emilie voulant venger son père
pousse Cinna au crime, Maxime amoureux d'Emilie trahit son ami par
jalousie, et Auguste tourmenté par son passé suit les sages conseils de sa
femme Livie.
II.2.4. L'intrigue
Sans les personnages secondaires (ou épisodiques), leurs desseins et leurs
motivations propres, l'Action ne serait pas à la fois multiple et logique, elle
ne formerait pas un réseau de structures actantielles si solidaires qu'une
modification touchant l'une aura des répercussions sur toutes les autres
(c'est là une bonne définition de l'unité d'action). L'agencement de ces
répercussions sous la forme chronologique d'une suite logique d'incidents
résulte de cette intrication de fils. Parmi les nombreux incidents, se
remarqueront les péripéties qui sont à l'origine des changements de situation
comme les reconnaissances ou les actions violentes chères à la dramaturgie
antique. Cet agencement d'incidents, que les auteurs appellent tantôt
texture, système, chaîne ou acheminement des faits, forme, au sens propre,
une intrigue.

II.2.5. Les caractères


Le modèle actantiel permet d'appréhender un autre aspect de la
construction de l'Action. Il s'agit de ce que la critique ordinaire appelle
dangereusement la psychologie du personnage et que la dramaturgie
classique et néo-classique appelle le caractère. Dans la dramaturgie
aristotélicienne, les caractères découlent (dans l'ordre de la démarche
créatrice) de l'action et de l'intrigue — et n'en sont pas la source. Le plus
important [...] est l'agencement des faits en système. En effet la tragédie est
représentation non d'hommes mais d'action. (Poétique, 50a 15) dit Aristote
très clairement, à quoi il ajoute sans action il ne saurait y avoir tragédie,
tandis qu'il pourrait y en avoir sans caractères. On devine cependant (car
Aristote épingle déjà des auteurs qui lui sont contemporains) que certaines
esthétiques privilégient ceux-ci (les caractères) et d'autres celles-là (les
actions), et donnent donc préséance, lors du processus d'écriture, aux uns
ou aux autres.

C'est pourquoi il faut être prudent dans l'interprétation des structures


actantielles, dont le qualificatif met assez en évidence qu'elles valorisent les
actants et leurs motivations plus que les actions. Quoi qu'il en soit, définir
des caractères c'est attribuer des causes morales (les mœurs, selon le
vocabulaire classique) et passionnelles (les passions) au nœud de l'Action: ce
que nous appellerions aujourd'hui des motifs idéologiques et
psychologiques. Toutes ces causes ou motifs, affichés ou dissimulés par
les personnages, figurent dans le triangle des motivations pour autant qu'ils
soient mentionnés dans les répliques.

II.2.6. Les rôles: les personnages dans l'action


Les structures actantielles sont donc établies à partir des renseignements
qui sont fournis (principalement) par le discours des personnages. On peut
cependant s'interroger sur le degré de franchise et de lucidité dont ceux-ci
font preuve au sujet de l'Action. Britannicus ne saura jamais, par exemple,
que Narcisse est son Opposant, et il ignorera longtemps que Néron désire
la même femme (le même Objet) que lui. C'est dire que ce héros maîtrise
peu son destin. Après avoir établi le réseau de structures actantielles d'une
œuvre, il est donc toujours intéressant de représenter les moteurs de
l'action tels que chaque personnage les perçoit.

L'ensemble de ce travail permet de définir un personnage selon plusieurs


critères: 1° ce que la dramaturgie classique appelle son caractère (ses
motivations, son désir et sa fonction); 2° ce qu'on peut appeler sa liberté
d'action (c'est-à-dire sa capacité d'agir et de faire évoluer la situation) et 3°
sa maîtrise (c'est-à-dire sa connaissance des données de l'action et en
particulier de la fonction des autres personnages). Voilà qui permet de
donner une description dramaturgique du personnage par rapport à l'Action.

II.2.7. Utilité générale des structures actantielles


L'application des modèles actantiels au corpus classique est loin d'être
mécanique et réserve souvent des surprises car chaque auteur a sa
manière, sobre ou virtuose, d'inventer une Action et une Intrigue (il est aussi
des époques où cet aspect de l'écriture est dévalorisé, les fils dégénèrent
en ficelles et le plan en carcasse déléguée à des carcassiers à la fin du XIXe
siècle). Cette technique d'analyse n'est pas limitée à la décortication des
actions hiérarchisées de type classique. Dans le cas du théâtre baroque,
par exemple, de nombreuses structures peuvent être établies sans que
celles-ci paraissent unifiées à proprement parler; mais le baroque crée
souvent entre les fils des liens d'analogie et de contraste qui ne sont pas
moins intéressants que les liens logiques du théâtre classique.

En ce qui concerne le corpus moderne et contemporain, l'exercice est


souvent éclairant par sa difficulté et son inachèvement même. On
remarquera par exemple les innombrables actions secondaires qui
parasitent et paralysent l'action principale d'En attendant Godot, ou les
desseins si évanescents et pourtant si âpres des personnages de Quai
Ouest de Koltès. C'est que les structures actantielles peuvent aussi bien
mettre en évidence la multiplication des objets du désir que le renoncement
à tout projet, la fatalité des dénouements que le blocage des situations, la
toute puissance de l'idéologie que la disparition des idéaux. L'exercice
permet même de décrire la manière dont un auteur s'y prend pour
déconstruire la notion d'intrigue ou de personnage.
III. Le Drame

III.1. La dispositio
Le Sujet, l'Action et l'Intrigue tels qu'ils ont été présentés ci-dessus
correspondent – en narratologie – au niveau de l' Histoire. La rhétorique
classique identifierait cette étape – le choix de ce que l'on veut montrer ou
dire – à l'inventio. La composition, dont le Drame est le résultat, serait alors
l'équivalent de la dispositio. Car des fils, des caractères, des incidents, voilà
qui ne fait pas encore un Drame – et qui pourrait tout aussi bien aboutir à
un Récit de type romanesque (ou épique). Pourtant, la contrainte
chronologique étant au théâtre très forte (quoique non absolue, voir III.4.),
l'invention de l'enchaînement logique des causes et des effets (l'intrigue) est
d'une certaine manière une première phase de la dispositio puisque l'ordre
de présentation des étapes de l'action est déjà en place. Rappelons qu'il
n'en est pas de même dans le roman, car rien n'empêche un narrateur de
revenir en arrière ou d'anticiper, et de disposer les faits dans l' ordre qui lui
plaît.

Cette contrainte chronologique qui pèse sur le mode dramatique, et qui lui
interdit en principe de représenter deux événements simultanés, avait été
remarquée par Aristote qui la mettait en contraste avec la liberté de
l'épopée: L'épopée a une caractéristique importante qui lui permet de
développer son étendue: s'il n'est pas possible d'imiter dans la tragédie
plusieurs parties de l'action qui se déroulent en même temps, mais
seulement celle que jouent les acteurs sur la scène, comme l'épopée est un
récit, on peut au contraire y traiter plusieurs parties de l'action simultanées,
et si ces parties sont appropriées au sujet, elles ajoutent à l'ampleur du
poème (Poétique, 59b 22). Pour Aristote ce renoncement aux prestiges de
l'ampleur contribue précisément à la beauté spéciale du mode dramatique
qui réside dans son extrême densité.

III.2. Montré et raconté


L'intrigue étant inventée, la chaîne des incidents étant établie, il s'agit pour
l'auteur classique de sélectionner ce qui sera représenté sur la scène –
puisque aussi bien on ne saurait tout montrer d'une Action. L'analyse de la
composition dramatique peut donc s'intéresser utilement à la répartition des
faits de l'action entre ceux qui sont montrés (sur scène) et ceux qui sont
racontés. Tous les auteurs classiques insistent sur l'importance primordiale
de cette étape, en soulignant que le choix est aussi bien motivé par des
raisons esthétiques (il faut montrer ce qui est beau) et morales (il faut cacher
ce qui est ignoble ou horrible, c'est la question des bienséances) que
pratiques (on doit renoncer à montrer ce qu'il est difficile de réaliser
scéniquement – comme la bataille contre les Maures dans Le Cid).

Le poète examine tout ce qu'il veut, et doit faire connaître aux spectateurs
par l'oreille et par les yeux, et se résout de le leur faire réciter, ou de le leur
faire voir dit l'Abbé d'Aubignac (La Pratique du théâtre). Le poète n'est pas
tenu d'exposer à la vue toutes les actions particulières qui amènent à la
principale: il doit choisir celles qui lui sont les plus avantageuses à faire
voir, soit par la beauté du spectacle, soit par l'éclat et la véhémence des
passions qu'elles produisent, soit par quelque autre agrément qui leur sont
attachés, et cacher les autres derrière la scène, pour les faire connaître au
spectateur par une narration, renchérit Corneille (Discours sur les trois
unités).

L'analyse de cet aspect du Drame reste intéressante dans le cas des


pièces non classiques, mais elle ne pourra pas se fonder pareillement sur
l'existence préalable d'une intrigue et d'une action. En effet, les auteurs
modernes ou contemporains (comme Michel Vinaver dans certaines de ses
pièces) peuvent très bien monter des scènes et des répliques en
considérant la question de l'action comme étant très secondaire.

III.3. Le Mode

III.3.1. Showing et telling


Faire voir, faire connaître par une narration ou faire réciter... voilà un
vocabulaire qui pourrait porter à confusion. Car si des scènes montrées
(c'est-à-dire de dialogues rapportés) alternaient réellement avec des
scènes racontées, le mode dramatique ne se distinguerait en rien du mode
narratif (tel qu'il est décrit par Genette comme alternant des récits de
paroles [showing] et des récits d'événements [telling]). Transposons donc
les termes en les précisant. Certains faits sont directement montrés aux
lecteurs, mais les autres seront racontés par des personnages, s'adressant
à d'autres personnages: ces narrations sont donc intradiégétiques. La
répartition des faits s'opère entre des faits montrés et des faits pris en charge
par des actes narratifs eux-mêmes montrés.

III.3.2. Le point de vue


Il n'y a donc pas de narration extradiégétique dans le mode dramatique,
c'est pourquoi il ne saurait y avoir à proprement parler de narrateur. Il faut
pourtant attribuer les didascalies [Le Mode dramatique] à une instance
fictive – car il n'est pas question de convoquer ici l'auteur – à celle-là même
qui montre, fait voir et entendre, rapporte les dialogues. Anne Ubersfeld
propose d'appeler cette instance le scripteur, mais nous préférerons le
terme de présentateur. Si cette nouveauté terminologique est utile, c'est que
le présentateur est un narrateur "simultané" (au présent) dont les capacités
sont par définition réduites. La perspective du présentateur semble assignée
le plus souvent à une vision (ou une focalisation) externe. Le plus souvent
seulement car la didascalie peut parfois concerner l'intériorité du
personnage. En outre les monologues et les apartés, véritables incursions
dans la conscience d'un personnage (conscience opaque pour une vision
externe), sont comparables à des moments sporadiques d'omniscience,
c'est-à-dire qu'ils enfreignent la règle de la perspective de base (ces
altérations seraient pour Genette des paralepses). À l'exception de ces rares
moments, le présentateur n'est pas omniscient, et il est encore moins
omnivoyant ou ubiquiste. L'accès du présentateur aux éléments de l'Action
est en effet très restreint: la vision externe n'est pas seulement limitée en
matière de profondeur psychologique, comme nous allons le voir.

III.4. Le Temps

III.4.1. La durée
Le présentateur décrit des actions et rapporte des paroles en discours
direct. Conséquence de l'imitation par le moyen de personnages en action
et en paroles, la seule mesure du temps est au théâtre la vitesse de
prononciation des mots du discours. On ne peut que supposer que celle-ci
est la même dans le monde de la diégèse (dans lequel l'Action se déroule)
et dans le monde dramatique (du Drame). Le temps du drame n'est donc
pas – ou beaucoup moins – un pseudo-temps comme celui du récit
romanesque. Pour reprendre les termes de Genette, il n'y a formellement
dans le texte théâtral ni pause, ni sommaire: il n'y a que des scènes (le mot
utilisé en narratologie n'est évidemment pas choisi au hasard).

Cette homologie entre les deux déroulements temporels n'est cependant


pas tenue pendant toute la durée de la pièce et elle est régulièrement ou
sporadiquement interrompue par des ellipses. La répartition entre les scènes
(plages d'homologie) et les ellipses, est un des résultats du travail de la
dispositio. Dans la dramaturgie classique, l'homologie règne en principe à
l'échelle de l'Acte entier: la continuité étant assurée par la liaison des scènes
(dès que la scène se vide, une ellipse est possible qui troublerait le
spectateur). La répartition des faits de l'Action, en ce qui concerne la
dimension temporelle, se fait entre des Actes et des entractes. Mais quelle
que soit l'esthétique, le Drame est toujours un ensemble composé de scènes
(liées ou non) et d'ellipses (plus ou moins nombreuses).

Que la portion de l'Histoire représentée, entre le début du premier acte et la


fin du dernier, soit limitée à douze ou vingt-quatre heures (comme le
conseillait Aristote et comme l'imposa sous le nom d'unité de temps la
doctrine classique) ou s'étende sur vingt ans, importe peu. Dans les deux
cas il faut découper les séquences que l'on veut retenir et les disposer dans
une durée qui sera prise en charge par celle du spectacle mais qui est
d'abord une durée de lecture. Pour combler la différence entre les
événements représentés par les scènes et la totalité de l'Action que l'on veut
raconter, on se servira des intervalles entre les actes (entractes), ou entre
les scènes (en régime non classique). On se souviendra que c'est pendant
un intervalle que Rodrigue bataille contre les Maures. Comme les
événements qui adviennent hors-scène, les événements qui se déroulent
pendant les ellipses devront être racontés par un personnage ou seront
inférés par le lecteur.

Les ellipses inaugurales et finales sont très importantes pour le théâtre


classique: l'instant où commence la première scène est en effet la
conséquence d'un choix dramaturgique important, puisque tout ce qui la
précède, pour autant que cela concerne l'Action, devra faire l'objet d'un récit.
Le début de la première scène ne coïncide pas nécessairement – et même
très rarement – avec le début de l'Action. Celui-ci fait généralement l'objet
d'une ellipse inaugurale que l'exposition prend en charge sous la forme d'un
récit. (Songeons par exemple au nombre extraordinaire d'événements qui
se sont déjà produits lorsque commence la première scène de La Fausse
Suivante de Marivaux.) Il en est de même de la fin, car la dramaturgie
classique exige que les dénouements soient complets et ne laissent rien en
suspens (le cas du mariage prévu et néanmoins différé de Chimène et de
Rodrigue est un cas à la fois atypique et exemplaire). Il convient donc de
faire raconter par les personnages ce qui va se passer après la fin de la
dernière scène.

III.4.2. L'ordre
La succession de deux séquences dans le Drame, on l'a déjà dit, est
immédiatement interprétée comme une succession dans l'ordre
chronologique de l'Action. Il est difficile de s'émanciper de cet ordre linéaire,
et de procéder autrement que ne le fit le théâtre classique. Le régime
temporel de la forme dramatique est par conséquent, en ce qui concerne
l'ordre, fort peu varié: les anachronies dramatiques sont peu courantes car
elles sont toujours susceptibles d'être mal interprétées par le lecteur (mais
leur nombre augmente toutefois depuis les années 1980, comme dans
l'extraordinaire Demande d'emploi de Michel Vinaver).

III.4.3. La fréquence
De même, la fréquence dramatique semble assignée au singulatif, comment
en effet signaler que la scène qui est montrée a un caractère itératif. On
peut certes ruser, introduire une voix off, une figure de narrateur ou de
Lecteur (comme dans L'Histoire du Soldat de Ramuz), des intertitres ou
toute autre manière de commentaire. Ainsi pourraient être signalés des
itérations, des retours en arrière, ou être énoncés, sous forme
extradiégétique, des sommaires. C'est ce qui se passe souvent dans le cas
d'adaptation à la scène de textes romanesques, par exemple dans Les
Papiers d'Aspern, nouvelle de Henry James dramatisée par Jacques
Lassale: une voix off désigne certaines scènes comme étant itératives.

III.5. L'Espace
Au contraire de celle du Temps, la catégorie de l'Espace n'est pas étudiée
pour elle-même par la narratologie genettienne. Il semble en effet que cela
soit impertinent, dans le cadre du roman, de se poser la question du rapport
entre l'espace de l'Histoire et l'espace du Récit. On ne saurait en revanche,
dans le cadre de la dramaturgie, se priver d'étudier cette dimension dans la
mesure où l'espace est l'un des matériaux fondamentaux de la composition
dramatique, et puisque c'est sur elle que repose la distinction importante
entre la scène et le hors-scène.

III.5.1. Les omissions latérales


La répartition montré/non montré et le choix du lieu (ou des lieux) scénique(s)
sont directement liés. Les faits pourront se dérouler en effet, conformément
à cette répartition, sur scène (montré) ou hors-scène (raconté ou inféré). On
sait que les normes de la doctrine classique imposent que le lieu défini
comme étant le lieu scénique à l'ouverture de la pièce devra le rester
jusqu'à la fin. Mais en cette matière, que l'unité de lieu soit de rigueur, que
l'on change de décor ou pas, importe peu: il y a toujours un hors-scène et
quelque chose se passera toujours à côté ou ailleurs. Si l'on voulait traduire
cette contrainte en termes narratologiques, il faudrait dire que les
événements extra-scéniques sont l'objet de paralipses automatiques,
paralipses que Genette appelait aussi et plus joliment des omissions
latérales. Montrer quelque chose dans le mode dramatique, c'est renoncer
automatiquement à montrer tout ce qui se passe simultanément ailleurs. Il y
a certes moyen de tenter de passer outre cette contrainte et de diviser la
scène en plusieurs zones représentant chacune un lieu de la diégèse. Mais
qu'il y ait sur scène plusieurs lieux représentés n'empêchera pas que tous
les autres espaces resteront dans l'ombre du hors-scène.

III.5.2. Le choix du lieu


La définition du lieu scénique est en rapport également avec la nature des
échanges et le type de rencontres entre les personnages ainsi que leurs
entrées et sorties. On ne fait pas de déclaration d'amour dans la rue, on
n'entre pas impunément dans un temple juif quand on est païenne
(Athalie).

Il faut donc avant toutes choses qu'il [l'auteur] considère exactement de quels
personnages il a besoin sur son théâtre, et qu'il choisisse un lieu où ceux dont il ne
saurait se passer, puissent vraisemblablement se trouver; car comme il y a des lieux
que certaines personnes ne peuvent quitter sans des motifs extraordinaires, aussi y
en a-t-il où d'autres ne se peuvent trouver sans une grande raison. [Le choix du lieu
étant fait, il faut] y accommoder le reste des événements [...], y ajuster le reste de
l'action.

Abbé d'Aubignac, La Pratique du théâtre

Le choix du lieu (ou des lieux) que représente la scène résulte donc d'un
faisceau de raisons pratiques et de motifs symboliques. L'auteur se
facilitera certes la tâche en élisant des lieux neutres (une place, un corridor,
le palais à volonté des classiques), conventionnels voire quasi abstraits,
mais il rendra les sorties et les rentrées plus dramatiques si le lieu est
marqué (identifié par exemple au territoire de l'un des personnages, comme
le palais de Néron, la jardin d'Armide, le salon de Célimène) ou chargé
symboliquement (le temple, la ville assiégée, la forêt, le sérail). Dans
Athalie, la scène est située très subtilement dans un lieu à la fois marqué et
neutralisé, dans le temple de Jérusalem, dans un vestibule de
l'appartement du grand prêtre; on sait qu'au milieu du cinquième acte le
fameux temple maintenu, jusque-là dans le hors-scène, change subitement
de statut: ici le fond du théâtre s'ouvre. On voit le dedans du temple,
annonce le présentateur dans une didascalie.

III.5.3. La visibilité
Par analogie avec les questions d'ordre, de fréquence et de durée que l'on
peut se poser à propos de la dimension temporelle d'un récit ou d'un
drame, il est possible d'interroger la dimension spatiale des textes
dramatiques.

Sous le nom de visibilité, nous pouvons mesurer l'importance respective des


éléments de l'Action qui se déroulent dans le lieu scénique et respectivement
hors-scène. Il s'agit donc de mesurer le rapport montré/non montré. Ce rapport
de proportion entre les deux types de lieux dramatiques évolue selon la
période historique et les auteurs. Certaines pièces de Voltaire, par
exemple, sont presque totalement dépourvues d'événements extra-
scéniques, et l'Action est donc intégralement visible dans le Drame (ce qui est
presque une anomalie du point de vue classique, mais qui est l'une des
tendances du XVIIIe siècle).

III.5.4. L'étendue
Sous le nom d'étendue nous pouvons décrire la taille ou l'envergure de
l'espace pris en charge par l'espace scénique – c'est-à-dire par le support
des actions qui peuvent être montrées. Il s'agit de rendre compte de
l'extension géographique de l'accès du présentateur à l'univers diégétique.
Cette étendue peut-être très restreinte comme dans le cas de l'unité de lieu
classique (unité générale de Corneille ou particulière de d'Aubignac); elle
peut être très vaste si les lieux, qui occupent alternativement l'espace
scénique accessible au point de vue du présentateur, sont très distants les
uns des autres (comme dans la dramaturgie baroque ou élisabéthaine).

III.5.5. La mobilité
La mobilité prend aussi en compte la géographie de l'Action et du Drame,
mais elle mesure spécifiquement non des distances (comme dans le cas de
la mesure de l'étendue) mais le nombre de changements de lieux qui
rythment la composition dramatique. Une pièce classique bornée à l'unité
de lieu particulier peut donc à bon droit être qualifiée d'immobile, alors que le
taux de changement (même s'il s'agit de changer d'appartement dans le
même palais, comme le Cinna de Corneille) en fera une œuvre
relativement mobile.

III.5.6. Les personnages et le lieu


Il est évident que l'étendue, la mobilité et le taux de visibilité peuvent
conjuguer leurs effets et contribuer, par exemple, à la désorientation du
lecteur. Toutes ces mesures doivent être faites, dans un premier temps,
sans tenir compte de la circulation des personnages. Mais la question de la
mobilité des personnages, de l'étendue de leur activité et de la visibilité de
celle-ci (suivant qu'elle est scénique ou extra-scénique) est très
intéressante. On peut songer ici à Livie dans Cinna, dont l'activité est à la
fois peu étendue, peu mobile (elle sort peu de son appartement) et
pratiquement invisible (son appartement est extra-scénique): pourtant
l'influence de ce personnage sur le déroulement de l'Action est capitale.

III.6. Le tableau de présence

III.6.1. Continuité dramatique et discontinuité


scénique
L'espace et la durée scénique ne sont qu'une partie de l'espace et de la durée
dramatique: tout ce qui se déroule pendant les ellipses ou qui se passe hors-
scène (et qui sera éventuellement raconté sur scène) entre dans la
composition dramatique. Tout cela influence la manière dont les
personnages apparaissent: évaluée par rapport à l'espace/temps scénique,
leur existence paraît discontinue, mais au niveau de l'Action, celle-ci est
bien sûr continue.

III.6.2. Présences et absences


En ce qui concerne les personnages, la pièce est composée – autre fait de
dispositio – d'une alternance de présences et d'absences scéniques. Les faits
de l'intrigue ayant été répartis entre la scène et le hors-scène, entre la durée
scénique et les ellipses, seront alors choisis les actants dont la présence sera
jugée nécessaire (ou agréable) à la présentation ou au récit de ces faits.

Aux contraintes et décisions dramaturgiques touchant au lieu et au temps


scéniques s'ajoute donc l'économie des présences et des absences des
personnages, c'est-à-dire aussi celle des entrées et des sorties. Pour
l'analyse dramaturgique, le tableau de présence est un magnifique outil de
visualisation et de récapitulation des éléments de la composition
dramatique. Il s'agit d'un tableau à double entrée comportant en abscisses
la liste des personnages, et en ordonnées la suite des scènes et des actes
(ou de toute autre unité de mesure définie par l'auteur). Chaque case
comporte un signe qui témoigne de la présence, de l'absence ou de la
présence muette d'un personnage. Les colonnes du tableau ne font en
somme que traduire visuellement la distribution de chaque scène (ou
séquence). Les lignes horizontales sont plus intéressantes puisqu'elles
permettent de lire le parcours, entre la scène et le hors-scène, de chaque
personnage (ces lignes invitent à restaurer la continuité de ce parcours: où
le personnage va-t-il? que fait-il?).

III.6.3. Distribution des scènes


On peut aussi observer dans le tableau de présence quels sont les
personnages rares et les personnages prodigués (pour reprendre les termes
classiques) et les combinaisons de personnages les moins ou les plus
fréquentes (par exemple, on remarquera dans Cinna qu'Auguste ne
rencontre jamais Emilie sur scène avant le dénouement). On peut apprécier
ainsi des effets de symétrie, de contraste, de répétition rythmique. Le
nombre de personnages présents sur scène est aussi digne d'être
commenté, bien qu'à l'époque classique les règles soient très précises à ce
propos: pas plus de trois ou quatre, exception faite du dénouement. Mais à
l'exemple de Shakespeare et de ceux qui voulurent s'en inspirer en France
(de Voltaire à Hugo), l'auteur peut jouer sur une composition de scènes
intimes et de scènes publiques très peuplées. La distribution de chaque
scène permet aussi de caractériser le type d'échange qui s'y produit:
confrontation entre le Sujet et l'Objet du désir, entre le Sujet et un Adjuvant,
entre un Adjuvant et un Opposant, entre un Sujet et son Destinateur (c'est
souvent le monologue). Chacun de ces types d'échange aura une tonalité
particulière.

III.6.4. Le tableau de présence et les structures


actantielles
On voit qu'au cours d'une analyse dramaturgique il ne faut pas oublier de
reporter ou de projeter dans le tableau de présence des informations qui
proviennent du travail sur l'inventio. Les structures actantielles permettent
de mettre à plat les mailles et le réseau d'une histoire, le tableau de
présence est l'outil le plus utile pour interpréter la composition dramatique.
Le premier instrument est donc plus adapté à l'analyse de l'Action, le second
à l'analyse du Drame: mais bien entendu, c'est l'articulation entre les deux
aspects qu'il importe de décrire. La lecture croisée des structures et du
tableau rend perceptible une architecture ou une partition d'ensemble – les
métaphores ne manquent pas – qui échappe à toute lecture linéaire du
texte.

III.7. Espace/temps diégétique


L'espace/temps scénique s'insère donc dans un espace/temps dramatique.
Ajoutons que ce dernier s'insère lui-même dans un espace/temps diégétique
plus large. Dans les dimensions du drame converge en effet tout un monde,
le monde fictif dans lequel évolue les personnages et auquel ceux-ci font
référence dans leur discours. Car les personnages, fictivement, ont eu et
auront une existence hors des bornes de l'Action. Ce monde de la diégèse
excède donc la portion limitée qui est prise en charge par le Drame.
Pensons aux récits prophétiques de Cinna ou Athalie, par exemple, qui
ouvrent une perspective qui dépasse de beaucoup la vie des personnages
qui figurent sur la scène. L'avenir et la géographie de l'Empire romain et le
destin de la postérité de David ne font pas vraiment partie du Drame (ou de
l'Action).

Les prophéties, comme certains grands panoramas rétrospectifs (dans


Athalie, encore), inscrivent le Drame dans un univers de référence qui est
nécessaire à la compréhension du lecteur (et du spectateur), mais qui
importe beaucoup aux personnages eux-mêmes. C'est pourquoi Anne
Ubersfeld a proposé les linéaments d'une sémiologie du temps et de l'espace,
suggérant d'interpréter des listes établies à partir de toutes les
manifestations, dans le texte, des champs lexicaux du temps et de l'espace.

C'est par rapport à cet ensemble (diégétique mais aussi symbolique) que
les lieux et les moments du Drame vont prendre sens. On peut aussi se
demander quel est le poids symbolique accordé par chaque personnage à
ce moment-ci qu'il vit et à ce lieu-ci qu'il occupe. La scène thématise peut-
être pour lui des enjeux liés au temps (postérité, gloire, souvenir, regret,
attente, espérance, crainte de l'avenir, hantise du temps qui passe:
pensons à Andromaque) et spatiaux (conquête, fuite, emprisonnement,
pouvoir: pensons à Bajazet).

Le lieu et le moment sont aussi des éléments importants de la situation


d'énonciation dans laquelle un énoncé (une réplique) est prononcé. La
structure spatio-temporelle du drame – définissant les circonstances de
l'énonciation – détermine en effet fortement l'interprétation des énoncés.
[Le mode dramatique]

IV. L'acte de Présentation

IV.1. L'elocutio
Les deux étapes de l'inventio (l'Action) et de la dispositio (le Drame)
forment ce que Diderot a judicieusement nommé le plan (c'est ce plan que
le tableau de présence enrichi, tel que nous l'avons décrit, présente de
manière synthétique). Reste à écrire les répliques, reste à faire parler les
personnages, en un mot, reste l'elocutio. Pour Diderot, fort classique pour
l'occasion, le plan et le dialogue sont deux étapes très distinctes de l'écriture
dramatique, qui exigent de l'auteur des compétences différentes – si
différentes qu'on s'explique aisément que maintes œuvres dramatiques
aient deux auteurs:

Est-il plus difficile d'établir le plan que de dialoguer? C'est une question que j'ai
souvent entendu agiter; et il m'a toujours semblé que chacun répondait plutôt selon
son talent que selon la vérité de la chose.
Un homme à qui le commerce du monde est familier, qui parle avec aisance, qui
connaît les hommes, qui les étudiés, écoutés, et qui sait écrire, trouve le plan difficile.

Un autre qui a de l'étendue dans l'esprit, qui a médité l'art poétique, qui connaît le
théâtre, à qui l'expérience et le goût ont indiqué les situations qui intéressent, qui sait
combiner des événements, formera son plan avec assez de facilité; mais les scènes
lui donneront de la peine. [....] J'observerai pourtant qu'en général il y a plus de
pièces bien dialoguées que de pièces bien conduites. Le génie qui dispose les
incidents paraît plus rare que celui qui trouve les vrais discours. Combien de belles
scènes dans Molière! On compte ses dénouements heureux [= bien faits].

Discours sur la poésie dramatique, p. 174-6

Pour Diderot l'écriture du dialogue est plus facile car les caractères étant
donnés, la manière de faire parler est une. Pourtant l'exercice est soumis à
d'autres contraintes qu'à celle du caractère.

IV.2. La voix des personnages


Bien sûr, la parole d'un personnage doit d'abord entrer en cohérence avec
la place que celui-ci occupe dans le monde de la Diégèse et le rôle qu'il
joue dans l'Action. Il s'agit là d'une cohérence intradiégétique que les
théoriciens classiques rangent dans la catégorie de la vraisemblance:
vraisemblance générale pour le monde de la Diégèse: un empereur romain
doit agir et parler en empereur romain, une femme vertueuse en femme
vertueuse; vraisemblance particulière pour l'Action: Auguste doit agir et parler
conformément à son rôle dans Cinna.

Mais la spécificité du mode dramatique fait de la parole des personnages


pratiquement le seul truchement entre l'Action et le lecteur, cette parole est
donc entièrement élaborée en vue de la perception (intelligible et plaisante,
pour l'esthétique classique) qu'on souhaite donner de l'Action à ce dernier. Il
s'agit là d'une cohérence extradiégétique. Le souci de cette double cohérence
(intradiégétique et extradiégétique) s'inscrit naturellement dans le cadre de
la double énonciation qui est au cœur de la définition du mode dramatique [Le
mode dramatique].

IV.3. La voix du présentateur


Le mode dramatique se caractérise par le fait que les répliques peuvent
passer pour des prélèvements directs sur le monde de la diégèse
(mimesis). Reste cependant que le présentateur manifeste clairement sa
présence (sa voix) dans le texte dramatique. C'est lui qui signale les
présences, annonce les entrées et les sorties, décrit les gestes, les décors,
les costumes, les physionomies, attribue les répliques à leur locuteur...

Cette voix est ordinairement hétérodiégétique. Difficile d'imaginer en effet que


l'auteur des didascalies soit engagé dans l'histoire et appartienne au même
univers que les personnages. Pas de présentateur homodiégétique donc,
bien que les expérimentations restent toujours possibles (voir certaines
pièces autobiographiques de Jean-Luc Lagarce). Le présentateur est
extradiégétique quand il se distingue d'éventuels présentateurs
intradiégétiques car la présentation enchâssée existe, on le devine, dans tous
les ouvrages représentant du théâtre dans le théâtre. Les personnages de
magiciens ou de metteur en scène (comme dans Six personnages en
quête d'auteur de Pirandello, La Mouette de Tchekhov ou L'Illusion
comique de Corneille) sont par exemple des présentateurs intradiégétiques.

IV.4. Le lecteur réel et le spectateur fictif


La spécificité du présentateur, cette instance intermédiaire qui s'intercale
entre l'auteur dramatique et son lectorat, est qu'il montre deux choses
alternativement ou simultanément. Et il les montre à l'instance symétrique,
le narrataire, que nous appellerons le spectateur fictif. À ce spectateur fictif le
présentateur en effet donne à voir, à entendre, à percevoir, à la fois un monde
imaginaire (où Néron espionne Junie dans un Palais à Rome) et un spectacle
imaginaire (où des comédiens costumés en Romains circulent sur une scène
ponctuée de colonnes en polystyrène). Le lecteur d'une œuvre dramatique
semble pourtant ordinairement avoir le choix du type de lecture qu'il veut
embrayer, c'est-à-dire le choix de la nature de ce qui va lui être présenté (selon
son humeur, ses goûts, ses habitudes, sa profession). Il choisira donc
d'actualiser, pour s'identifier à lui, le spectateur fictif du premier ou du second
type. Le présentateur peut prédéterminer ou orienter ce choix. Selon le type
de didascalies qu'il prendra en charge, il montrera un univers plus scénique
ou plus diégétique [Le mode dramatique]. Mais qu'il soit scénique ou
diégétique, on continuera à user pour le désigner du terme de présentateur,
afin de réserver le terme de narrateur, comme on va le voir, pour rendre
compte des cas d'hybridation du mode dramatique et du mode narratif.

V. Esthétique et évolution des formes

V.1. Mode dramatique et genre théâtral


Dans ce qui précède, le présentateur est souvent apparu plus contraint et
moins mobile que son concurrent le narrateur. Mais n'oublions pas que pour
Aristote et ses héritiers, le mode dramatique puise précisément son énergie
dans ce qui semble d'abord être des handicaps. L'Abbé d'Aubignac insiste
par exemple sur le statut synecdochique de l'œuvre dramatique qui par la
représentation d'une seule partie faire tout repasser adroitement devant les
yeux des spectateurs (Abbé d'Aubignac, La Pratique du théâtre). Ce
discours se retrouve aujourd'hui dans la bouche de Peter Brook:

On va au théâtre pour retrouver la vie mais s'il n'y a aucune différence entre la vie en
dehors du théâtre et la vie à l'intérieur, alors le théâtre n'a aucun sens. Ce n'est pas
la peine d'en faire. Mais si l'on accepte que la vie dans le théâtre est plus visible, plus
lisible qu'à l'extérieur, on voit que c'est à la fois la même chose et un peu autrement.
À partir de cela on peut donner diverses précisions. La première est que cette vie-là
est plus lisible et plus intense parce qu'elle est plus concentrée. Le fait même de
réduire l'espace, et de ramasser le temps, crée une concentration.

Brook 1991, 20, je souligne.

Cette forme concentrée, parce qu'elle se tient au plus prêt des exigences
du mode, c'est ce que Peter Szondi appelle le drame absolu et qui ne se
réalise pleinement qu'à l'époque classique. Dans le même esprit François
Regnault ajoute:

Nous devons le théâtre de tous les temps à cette extraordinaire invention de faire
parler des personnages sur une scène dans des situations données. Le moment où
cette forme a triomphé le plus est le moment où l'on a décidé que les personnages
qui étaient là disaient cela en temps réel, sur le lieu théâtral: cela donne la règle des
trois unités qui est une invention géniale et qui n'a rien à voir avec ce que l'on en
raconte dans les classes concernant le Cardinal de Richelieu et des difficultés de
Corneille avec Le Cid. L'invention du théâtre classique français, qui a défrayé la
chronique dans toute l'Europe Occidentale pendant deux cents ans, est un théâtre
qui vous dit que l'espace et le temps sont infinis et que vous les avez, réduits sur la
scène, devant vous, pendant les deux heures de la représentation.

F. Regnault 2001, 162, je souligne.


Tout cela ne veut pas dire que la soumission aux exigences du mode
dramatique soit le destin du genre théâtral. Pour Peter Szondi, l'hybridation
est un trait caractéristique du Drame moderne (depuis la fin du XIXe siècle)
qui s'enrichit d'emprunts au mode épique. Mais cette tentation de l'épique
semble à d'autres constitutive: l'histoire du théâtre [est] constamment
retravaillée par le retour de l'épique, dira Regnault, c'est quelque chose qui
est congénital à l'essence du théâtre. Le retour de l'épique signifie que le
poète parle en son nom propre. [...] Ces formes épiques ont existé dans
tout le théâtre grec, même après l'invention de la tragédie (Regnault, 2001,
162). En effet, le mode épique – et la présence d'un auteur ou d'un
narrateur – persiste dans l'usage du monologue, de l'aparté et de toutes les
formes d'adresse au public. Brecht ne ferait, en somme, qu'accentuer ce
caractère.

V.2. Histoire du genre


L'histoire du théâtre pourrait être lue comme une succession de
préférences esthétiques qui tantôt s'approchent, tantôt s'éloignent du
drame absolu, tantôt acceptent, tantôt refusent ses contraintes, tantôt
perfectionnent les procédures spécifiques, tantôt expérimentent de
nouvelles hybridations. Cette histoire des préférences dramaturgiques n'est
évidemment pas autotélique, et ses tournants ou ruptures sont souvent
encouragés ou inspirés par d'autres pans de l'histoire culturelle et
artistique. Les séductions contraires du continu et du discontinu, de la
maîtrise et de la surprise, de la concentration et de la dissémination, sont
en effet déterminées par des conditions esthétiques générales. Le théâtre
(texte et spectacle) est un art du temps et de l'espace, rien de ce qui se
produit dans l'ordre de ces dimensions (en musique, en peinture, en
architecture, en physique, etc.) ne saurait lui être étranger, comme rien ne
saurait lui être indifférent qui concerne la relation des hommes entre eux ou
avec eux-mêmes (en psychanalyse, en sociologie, etc.).

Reste que pour entériner ces changements, le genre théâtral peut soit se
rapprocher soit se libérer des contraintes spécifiques au mode dramatique.
Ces deux mouvements sont comme la diastole et la systole de la vie du
genre. Il est important de voir qu'ils ont tous deux leur limite (ou leur
danger): la sclérose pour l'une, la dissolution pour l'autre. Deux façons pour
le théâtre de mourir... et de renaître toujours.

Le Théâtre et ses « genres »


Les origines du théâtre : le Théâtre antique
Le Théâtre antique nous vient de Grèce, berceau de tout le théâtre occidental. Il est né à
l’époque archaïque, aux VIème et Vème siècle avant J-C, lors des célébrations consacrées à
Dionysos, Dieu du vin, des arts et de la fête. Il provient donc, à l’origine, des dithyrambes, ces
hymnes religieux dédiés aux Dieux ou aux héros, faits de processions, de chants et de danses.
Ces cérémonies sacrées prennent place à la base aux alentours des temples puis dans des
édifices en plein air où les spectateurs se pressent sur des gradins de pierre pour assister à
des représentations interprétées uniquement par des hommes portant masques et costumes.
Ainsi, le mot « théâtre » vient du grec « theatron » qui signifie « le lieu où l’on regarde ». Il
qualifie donc, avant de devenir un art à part entière ainsi qu’un genre littéraire, l’espace de la
scène.

Les pièces de l’époque sont toutes construites sur un même modèle, un canevas identique
constitutif de son identité. Elles démarrent sur un Prologue, puis vient l’entrée du Chœur («
parodos »), caution lyrique du spectacle, qui prend place dans l’orchestre. Ensuite,
s’enchaînent les actes ponctués par les interventions chantées du chœur. Enfin, le chœur fait
sa sortie et clôt la pièce (« exodos »). Il est d’ailleurs intéressant de remarquer qu’à ses
débuts, le théâtre incorpore déjà la danse et la musique dans sa matrice, sans cloisonner les
genres. De plus, le travestissement y est de mise puisque l’art de l’acteur était à cette époque
exclusivement masculin, ce qui impliquait que les rôles de femmes étaient tenus par des
hommes.

Ce type de structure archaïque n’existe plus aujourd’hui bien entendu quand bien même les
metteurs en scène continuent de monter des pièces de l’époque, que ce soit les tragédies de
Sophocle (Antigone, Œdipe Roi, Electre, Ajax…), d’Euripide (Les Bachantes, Les Troyennes,
Iphigénie en Tauride…), d’Eschyle (L’Orestie, Les Suppliantes, Les Perses…) ou les comédies
d’Aristophane (Lysistrata, L’Assemblée des Femmes, les Grenouilles, Les Oiseaux…). Un
autre phénomène, apparu au XXème siècle, continue de se propager : nombre d’auteurs
dramatique s’approprient certains mythes antiques pour en proposer de nouvelles versions,
travaillant sur l’idée de palimpseste : Brecht et Anouilh sur Antigone, Giraudoux sur Electre,
Heiner Muller avec Médée-Matériau par exemple.
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toute neuve : le...

Dans ce dossier
Les origines du théâtre : le Théâtre antique
Le Théâtre antique nous vient de Grèce, berceau de tout le théâtre occidental. Il est né
à l’époque archaïque, aux VIème et Vème siècle avant J-C, lors des célébrations
consacrées à Dionysos, Dieu du vin, des arts et de la fête. Il provient donc, à l’origine,
des dithyrambes, ces...

Une notion toute neuve : le collectif On voit depuis


quelques années se répandre comme une trainée de poudre la notion de collectif de
théâtre qui vient remplacer celle de compagnie, la différence étant que la mise en
scène est  souvent signée à plusieurs, les acteurs se répartissant les tâches,
polyvalents et...

Performance et théâtre transdisciplinaire Le


Jeu actuel des mélanges et des marges, nouvelles théâtralités
Théâtre de Rue / de tréteaux Spectacles déambulatoires et
Commedia dell’Arte

Comédies versus Tragédies Depuis l’antiquité, le théâtre se


divise en deux genres opposés ayant chacun son lot de lois internes, la tragédie d’une
part, la comédie d’autre part. Contrairement à la comédie, la tragédie met en scène
des personnages nobles ou de rang élevé dans une histoire qui se termine mal,...

Théâtre classique / Théâtre contemporain Si


sa définition a bougé depuis le XVIIème siècle, le théâtre dit classique nous provient
de cette époque où les tragédies étaient régies par la fameuse règle des trois unités :
en un jour (unité de temps), en un lieu (unité de lieu), un seul fait (unité d’action).
Concernant l’unité...

 
Le théâtre
l'art dramatique
Les oeuvres destinées à être représentées sur la scène des théâtres et dans lesquelles on
a voulu représenter une action (en grec drama, du verbe draô = j'agis) imaginaire ou
historique, définissent un genre de littérature nommé le genre dramatique. On parle d'art
dramatique pour désigner l'art du comédien, ou art de représenter sur la scène les ouvrages
dramatiques. 

L'action représentée par les comédiens dans une pièce de théâtre, avec ses causes, ses
développements et ses conséquences, sert à mettre en relief les passions des personnages,
en excitant chez les spectateurs, soit la pitié, la terreur, l'indignation, soit la gaieté et le rire. De
cette diversité d'impressions, et de la différence qui peut exister entre les actions scéniques,
dont les unes sont héroïques et sérieuses, les autres communes et enjouées, résulte la
distinction des deux grands caractères que peuvent présenter les compositions dramatiques, le
tragique et le comique. Tragédie et la comédie classiques sont les types de ces compositions.
Au genre dramatique se rapportent également : 

1° les pièces dans lesquelles le tragique et le comique ont été mélangés avec plus ou moins
d'habileté, et dans des proportions très variables, telles que l'hilarodie et le drame satyrique
des Anciens, la tragi-comédie et le drame des modernes;

2° celles qui, loin d'atteindre à la perfection de la tragédie et de la comédie, n'en ont été que
des ébauches ou des dégénérescences, d'une part les mystères du Moyen âge , de l'autre
les dicélies grecques, les atellanes romaines, les mimes, les sotties, moralités et farces, la
parodie, etc.; 

3° celles où la musique a été associée aux paroles, par exemple, le drame (ou la tragédie)
lyrique ou opéra, l'opéra-comique, le mélodrame, le vaudeville. 

4° celles des représentations scéniques qui représentent une action par des gestes (et des
mimiques) ou la danse, sans le secours de la parole : la pantomime et le ballet.

Les dénominations de drame religieux, drame historique, drame fantastique, drame pastoral,
etc., ne désignent pas des espèces particulières de compositions dramatiques, mais sont
relatives à la nature des sujets ou des personnages mis sur la scène. On a appelé drames
liturgiques les plus anciens drames religieux médiévaux, les Mystères.

A la différence de l'épopée, qui procède par voie de description et de récit, l'oeuvre dramatique
fait agir et parler sous nos yeux les personnages eux-mêmes, conformément à leur caractère.
L'action renferme une exposition, une intrigue, un noeud, et un dénouement, qui se fait par
reconnaissance ou par péripétie, et qui, s'il est malheureux, prend le nom de catastrophe. Elle
est soumise aux règles générales de la vraisemblance, de l'intérêt et de l'unité. 

Quant à la forme, le drame de quelque étendue se divise en actes, séparés les uns des autres
par des entractes, et les actes comprennent un certain nombre de scènes. Il y a dialogue,
quand plusieurs personnages parlent entre eux; monologue, lorsqu'un seul personnage occupe
la scène, et y exprime ses pensées et ses sentiments. 

L'histoire du théâtre
Le théâtre antique.
La plus ancienne forme connue de théâtre fut le dithyrambe, hymne chanté en l'honneur de
Dionysos par un chant accompagné de musique, de gestes et de danses. En 535 av. J.-C.,
Thespis récitait une ode avec des répons par un choeur dithyrambique; telle est la première
origine du dialogue. De ces éléments grossiers, Eschyle tira vers l'an 500 le drame tel que
nous le concevons encore aujourd'hui. Il employa le choeur simplement comme auxiliaire et le
tint à l'arrière-plan; il admit un second acteur sur la scène et introduisit le dialogue. On lui doit
l'invention des décors, des costumes et du machinisme. Trente ans plus tard, Sophocle
introduisit un troisième acteur et donna ainsi plus d'étendue au dialogue et plus de vivacité à
l'action. Vers l'an 440 av. J.-C., Euripide porta le théâtre tragique grec à son plus haut point de
pureté. Ses tragédies se composent d'une fable ou d'une série d'événements rattachés les uns
aux autres par des transitions naturelles. L'unité d'action, de lieu et de temps, n'était pas
toujours strictement observée, mais elle devint ensuite la règle principale admise par les
poètes classiques français. La tragédie grecque se composait souvent de trilogies ou 3 pièces
distinctes formant une action complète. 

L'histoire primitive de la comédie est encore plus obscure que celle de la tragédie; on la divise
en trois périodes : celle de l'ancienne comédie; celle de la comédie moyenne et celle de la
nouvelle comédie. Dans la première, on ridiculisait, sous leurs vrais noms, des personnages
contemporains; le plus célèbre et le dernier représentant de ce genre fut Aristophane. Dans la
comédie moyenne, on ridiculisa, sous des noms fictifs, ces personnages réels, dont on
représentait les traits au moyen d'un masque, de vêtements, etc., ou par tout autre moyen sur
lequel le public ne pouvait se tromper. Dans la nouvelle comédie, que Ménandre porta à son
apogée, le personnage et le sujet étaient, I'un et l'autre, fictifs, la satire n'ayant plus d'autre
prétention que de châtier les vices en général.

Le théâtre romain dérive de celui des Grecs ; on y introduisit la farce, invention des
Toscans. Les seuls tragiques romains dignes de mention sont : Térence, Plaute et Sénèque.
Avec eux se termine le premier âge du drame ou âge classique.

L'art dramatique dans l'Antiquité.


Des théâtres immenses, tels que, par exemple, ceux de Dionysos , à Athènes, de Pompée
et de Marcellus à Rome, théâtres à ciel ouvert, et qui tenaient jusqu'à 25.000 ou 30.000
spectateurs placés, la plupart, à 60 ou 70 mètres de la scène, rendirent cet art très différent de
ce qu'il est chez les modernes. Les acteurs durent se grandir et se grossir, pour ne pas
paraître des pygmées : ils avaient des cothurnes qui les élevaient, des vêtements amples et
rembourrés, un masque, ou plutôt un casque à masque, qui leur grossissait la tête, et leur
faisait un visage en harmonie avec leur taille et leur embonpoint d'emprunt. L'art de la
pantomime n'était pas facile avec un pareil costume; cependant les acteurs savaient si bien se
rompre à cet attirail, qu'ils le portaient avec aisance, noblesse et dignité. Leur masque
représentait la passion qu'ils devaient exprimer, et les spectateurs qui, de la distance où ils
siégeaient, en distinguaient à peine les traits, se contentaient de cette imparfaite imitation de la
physionomie. Toute la puissance des acteurs résidait dans le débit, dans les tons de la voix,
qui est toujours l'expression la plus vive et la plus exacte des émotions et des passions. Les
effets de l'art dramatique ne peuvent se représenter d'une manière sensible, hors de leur
exécution : ils s'évanouissent comme un son, et ne laissent plus qu'un souvenir de relation. On
sait, d'une manière certaine, que les Anciens eurent des acteurs tragiques ou comiques, qui
produisirent les plus grands effets, arrachèrént des cris de terreur, ou firent éclater les
expansions de la joie la plus vive d'un peuple entier de spectateurs.
-

Le Théâtre antique. Miniature du Térence


de Charles VI (début du XVe s.).

Le théâtre médiéval et moderne.


Le second âge, dit romanique ou romantique, apparaît au XIIe siècle, lorsque l'on commença à
représenter des pièces nommées entremets entre les services des banquets royaux et des
carrousels. Ces entremets ne tardèrent pas à dégénérer en mascarades; mais déjà se
développait la composition mystique nommée mystère, pièce religieuse basée sur des
passages de la Bible et dont la représentation devint extrêmement populaire, les jours de
fête. La forme suivante du drame fut la moralité, ayant avec le mystère une similitude
comparable à celle de la nouvelle comédie à l'ancienne comédie des Grecs. 

Au XVe siècle, en commença à rire des histoires, germe du drame romantique qui devait
atteindre à une si merveilleuse perfection dans les mains de Shakespeare et de ses rivaux.
Pendant cette période, les Italiens et les Espagnols imaginèrent un genre qui participait de la
pantomime, de la farce et de la comédie d'intrigue, et qui avait pour canevas des anecdotes
courtes et simples. Ce genre fut imité et perfectionné par les Français, qui lui donnèrent plus
de variété et plus d'étendue. 

Avec le XVIIIe siècle, naquit le drame sentimental, alliance de la comédie et de la tragédie; le


même siècle vit se développer l'opéra, drame mis en musique et dans lequel le chant remplace
la déclamation; en l'accompagnant de splendides décors, de ballets, de magnifiques effets
d'illumination et d'optique, on lui donna le caractère particulier qui le place au premier rang.
Parmi les autres formes dramatiques qui suivirent l'introduction de l'opéra, nous devons citer le
mélodrame, le vaudeville et la pantomime. 

Le nouvel âge des comédiens.


L'art dramatique avait été entraîné tout entier dans le naufrage des lettres au Ve siècle; on le vit
revivre au Moyen âge , mais en repassant par les langes de l'enfance. Ceux qui jouèrent les
Mystères furent les premiers acteurs modernes, et leur art était aussi grossièrement naïf que
les drames tout primitifs qu'ils représentaient. Au XVIe siècle, les Enfants sans souci étaient
des acteurs profanes, pour ainsi dire, mais leur art avait fait quelques progrès. Vers ce temps,
les comédiens cherchaient l'art sans le trouver, et, dans Ie but de se distinguer, tenaient à leurs
gages des poètes auxquels ils commandaient des pièces, où le talent de tel ou tel acteur
devait être mis en évidence. Ces pièces, empruntées aux théâtres étrangers, faites sans art et
composées de caractères de fantaisie, ne prêtaient guère à l'observation de la nature, et ne
pouvaient donner au talent du comédien que de mauvais développements. 

Mairet, Rotrou, Corneille, et surtout Molière et Racine, créèrent de nouveau l'art dramatique au
point de vue de l'exécution comme à celui de la composition. Mais une disposition toute
matérielle de la scène nuisit à l'art et à ses effets d'ensemble. Par un usage né de l'amour du
lucre, les côtés de l'avant-scène étaient embarrassés de banquettes pour des spectateurs de
choix, c.-à-d. qui payaient cher; ces banquettes la rétrécissaient au point de laisser à peine aux
acteurs la place nécessaire pour se mouvoir. Quand ils étaient plu sieurs en scène, ceux qui
ne parlaient pas étaient obligés de se tenir au fond, et chacun s'avançait tour à tour pour dire
son rôle. De là l'usage chez les poètes de composer de longues tirades, afin que chaque
acteur pût se faire voir à son tour du public. Le théâtre n'était guère ainsi qu'une école de
déclamation; nous croyons reconnaître des traces de cette coutume jusque dans les meilleures
tragédies de Corneille et de Racine. Une autre conséquence fut que les acteurs prirent une
diction ampoulée, déclamatoire et guindée, malgré les conseils de Molière et de Racine.

Baron vint enfin : élève et ami de Molière, et par là plus digne encore de comprendre Racine, il
fit une révolution dans son art, en abandonnant la déclamation ampoulée et monotone, les cris
forcenés, la gesticulation désordonnée, pour le naturel et la simplicité, enfin en cherchant à
paraître le personnage qu'il représentait. Mais ses camarades, à l'exception de Mlle
Champmeslé, élève de Racine, ne voulant pas changer leur manière, l'ensemble nécessaire à
l'illusion dramatique ne fut pas obtenu de longtemps. Sur la fin de sa carrière, il fut secondé par
une autre actrice, Adrienne Lecouvreur, qui, comme lui, parla la tragédie, et fut énergique en
restant simple et naturelle; d'autres acteurs d'un heureux génie parurent successivement; la
critique se forma; les principes nouveaux de l'art dramatique furent posés, développés,
appliqués.

 Le XVIIIe siècle produisit plusieurs grands acteurs, non seulement en France , mais en
Angleterre , où parurent les Garrick et les Macklin. Alors aussi on débarrassa la scène des
spectateurs qui l'encombraient; la décoration, longtemps insignifiante, devint magnifique dans
certaines pièces; les costumes, auparavant semblables à ceux de ville, sauf quelques
modifications du goût le plus hétéroclite, se rapprochèrent de la vérité historique, de manière à
faire concourir la satisfaction des yeux à l'illusion dramatique. La plupart de ces réformes
vinrent de Lekain, soutenu par Mlle Dumesnil et Clairon. Vers la fin du siècle on comptait
beaucoup d'acteurs capables d'animer des pièces froides et d'en dissimuler la médiocrité. 
Au commencement du XIXe siècle, parut le plus parfait interprète qu'ait eu la tragédie en
France , Talma, qui, au rapport de ceux qui l'ont vu, ne semble pas pouvoir être surpassé.
Talma eut encore le bonheur d'être secondé par une grande tragédienne, Mlle Duchesnois.
Talma se fit admirer dans quelques rôles de l'ancienne tragédie française, et montra, en outre,
la puissante originalité de son génie dans quelques tragédies nouvelles, imitées de
Shakespeare, et où il rivalisa d'énergie et de science avec les grands acteurs anglais. A la fin
du XIXe siècle encore, la tragédie, surtout celle de Racine et de Corneille, a trouvé une
admirable interprète dans Mlle Rachel.

Principes généraux d'application de l'art dramatique. 


Les règles de l'art dramatique, tel qu'il a été défini par la tradition classique, sont simples,
autant que la pratique en est difficile. Les moyens d'interprétation de l'acteur sont : 

1° l'imitation du personnage, ou le fond du rôle; 

2° l'expression des sentiments, qui en est le mouvement et la vie; 

3° la déclamation.

La première loi de la représentation théâtrale étant de produire l'illusion, l'acteur doit paraître
dans un costume qui convienne au personnage dont il prend le nom. Cette partie de l'art est
très soignée depuis un 150 ans. Il est encore à désirer que la personne de l'acteur offre une
ressemblance de convenance avec le personnage, qu'il ait ce qu'on appelle le physique de
l'emploi. Ainsi, il sera toujours fâcheux qu'un héros soit petit et laid, qu'un vieil acteur joue un
personnage jeune, etc. Le comédien Larive disait que la beauté tragique est indispensable aux
héroïnes de théâtre : 
"Si Didon, si Ariane sont laides, les spectateurs sont de l'avis d'Énée et de Thésée, et
l'on plaint moins l'amante abandonnée. " 
Cependant la force et l'éclat du talent ont fait oublier un défaut de physique; Lekain, qui jouait
les premiers rôles tragiques, était petit et fort laid; mais il lui fut très difficile de faire oublier ces
désavantages naturels. En étudiant avec soin les portraits, le caractère, la démarche, les
habitudes de son modèle, on arrive à produire des illusions surprenantes : c'est ce que fit
Fleury, chargé du rôle de Frédéric II, dans une petite comédie, aujourd'hui à peu près oubliée,
Auguste et Théodore, ou les deux pages, jouée au Théâtre-Français en 1780. Pendant trois
mois il travailla, jusque dans les plus minces détails de la vie, à se transformer en son
personnage, vivant dans le costume et affectant toutes les habitudes du roi de Prusse ; le
succès qu'il obtint fut merveilleux. Mais au-dessus de cette imitation tout extérieure est l'effort
que fait un homme de génie pour créer en lui-même, par une forte méditation, la personne du
héros qu'il représente. Ainsi Talma, lorsqu'il étudiait un rôle, se pénétrait si profondément des
idées et des sentiments qui devaient en composer le caractère, qu'il ne pouvait plus, sans
effort, déposer ce rôle pour en prendre un autre : le personnage de théâtre était devenu en lui
presque au personnage réel.
"Le théâtre, disait-il, doit offrir à la jeunesse un cours d'histoire vivante."
La fidélité du costume n'est qu'un accessoire sans intérêt, si la partie vivante du rôle n'est pas
traitée avec vérité et avec harmonie : là est l'essence de l'art. Le visage de l'acteur, son attitude
et ses gestes doivent peindre trois choses : le caractère du personnage, qui ne change pas;
son état d'esprit  actuel, provoqué par la situation dramatique combinée avec le caractère,
enfin les sentiments divers qu'une même situation éveille par la multitude des idées qui s'y
rattachent. Il ne faut pas néanmoins, comme l'a souligné Diderot, que l'acteur s'identifie avec
son rôle au point d'en être, pour ainsi dire, dupe; ce ne sont ni ses pensées propres, ni sa
conception qu'il exécute-: il joue, comme on dit, avec tant de justesse; tout doit donc être calcul
en lui; s'il oublie cela, il court risque de se compromettre; le fin de son art consiste à paraître
naturel sans cesser un instant d'être préoccupé de l'étude qu'il a faite du rôle, exactement
comme un chanteur de la musique que le compositeur lui a notée. Les prédicateurs, qui sont
des acteurs à leur façon, disent leurs sermons tels qu'ils les ont composés et appris; ils n'y
changent rien, bien que ce soit le fruit de leur génie, crainte de compromettre l'effet qu'ils se
proposent, et qui est de porter la conviction dans les cours. A plus forte raison ce principe est-il
de rigueur pour les comédiens : l'excellent acteur n'oublie pas qu'il joue un rôle, dans le
moment même où les spectateurs l'ont oublié.
"Un grand acteur est une seconde fois l'auteur de ses rôles par ses accents et sa
physionomie", dit Mme de Staël.
Nous appliquons la dernière expression à ce que l'on nomme le jeu muet, c.-à-d. les signes
d'intérêt qu'il doit donner à l'action quand il ne parle ou n'agit pas lui-même. La tragédie, pour
développer des sentiments et interpréter des situations, a besoin, par moments, de longues
tirades, qui sont des sortes de monologues en présence d'un ou de plusieurs interlocuteurs.
Savoir, dans ces passages, dialoguer avec les yeux, le visage, les gestes, c'est réellement la
marque d'un génie créateur. Remplir par une action naturelle et intéressante les instants de
silence, est une grande part de ce qu'on appelle une création de rôle. Talma excellait dans ce
genre, et l'on cita longtemps la manière dont il écoutait le long discours d'Agrippine (discours
de plus de 100 vers), au début de la 2e scène du 4e acte de Britannicus :
Approchez-vous, Néron, et prenez votre pince, etc.
Le respect, l'ennui, puis la lassitude se peignaient tour à tour sur son visage, dans sa
contenance, dans ses demi-gestes, dans ses mains, dans ses doigts, qu'il occupait par
instants à froisser ou arranger les pans ou les plis de sa toge.

C'est surtout par le geste que l'acteur crée, parce que l'auteur, d'ordinaire, le lui abandonne
entièrement; mais cependant il a encore une grande part de liberté dans le récit des paroles,
quoiqu'il n'ait rien à inventer dans le style. Le débit, qu'on appelle d'ordinaire déclamation, peut
changer entièrement le caractère de l'expression. Que les vers de Corneille soient lus d'une
voix un peu emphatique, ce style héroïque paraîtra hors nature; en les lisant avec simplicité, en
les abaissant, pour ainsi dire, d'un ton, on rencontre la combinaison du sublime avec le naturel.
Combien de pièces mal écrites, qui ne peuvent se soutenir à la lecture, ont fait illusion au
théâtre, grâce à l'habileté de l'acteur pour faire valoir, par son accent et son jeu, ce que l'auteur
avait indiqué sans savoir le développer! Si l'ouvrage est bien écrit, un comédien de talent
révèle des beautés auxquelles on aurait à peine songé. 

L'art de réciter, ou la déclamation, comprend deux parties : l'usage habile de l'organe de la


voix, et l'intelligence des pensées. Il est nécessaire de posséder une voix nette et forte, que la
nature donne, mais que l'art perfectionne. Les acteurs de l'Antiquité , dont la déclamation
était peut-être une sorte de mélopée, se faisaient accompagner par une flûte, qui les soutenait
dans le ton voulu. Chez les Modernes, il faut une voix qui, sans être celle d'un chanteur, plaise
à l'oreille, et se prête à l'expression énergique de tous les sentiments. C'est à l'acteur qu'il
appartient de trouver le ton qui convient à chaque sentiment, et les acteurs d'un génie riche
donnent au même passage, suivant leur inspiration du moment, des intonations diverses. 

L'inspiration naturelle peut produire de beaux mouvements; mais elle est inégale, et, pour
soutenir un grand rôle, l'acteur doit suivre une méthode qui supplée aux défaillances de
l'inspiration. La méthode a d'ailleurs cet avantage, que, si elle plaît moins au premier abord que
la spontanéité, elle va toujours en se perfectionnant, tandis que les bonnes fortunes de
l'inspiration vont en baissant, à mesure que l'âge et la pratique éteignent le feu des débuts. En
général, les acteurs d'un mérite tout spontané ont eu une décadence plus ou moins rapide; au
contraire, les acteurs qui ont eu de la méthode ont gagné de plus en plus les suffrages des
connaisseurs, et quelques-uns ont su plaire même après la perte de leurs facultés physiques. 

Un acteur intelligent se fait à soi-même sa méthode, en profitant avec sagacité de l'expérience


de ses devanciers, car les méthodes transmises, tout au plus bonnes dans les professions de
pure utilité, ne produisent que des artistes médiocres. De même qu'il y a pour la décoration
une perspective à observer, il y aussi une sorte de diapason pour la déclamation : l'art en
général, grandit ses personnages, et la poésie drama tique met les caractères en saillie en
forçant un peu leurs traits et le ton du style; l'interprète de la pensée de l'auteur doit donc se
hausser un peu, s'il ne veut pas paraître en disproportion avec l'intention de son rôle. En
second lieu, pour que la voix arrive dans la salle avec sa juste intensité, il faut la forcer un peu,
comme on force les proportions des figures dans une fresque qui doit être vue à distance. Les
acteurs qui parlent à la scène comme chez eux paraissent négligés ou brouillons; ceux qui
forcent  trop paraissent déclamateurs. (B. / T. / C. et C. D-v.).
Le théâtre est à la fois l'art de la représentation.

Aujourd'hui, à l'heure des arts dits pluridisciplinaires, la définition de l'art du théâtre est de plus en
plus large (jusqu'à se confondre avec l'expression spectacle vivant). Mise dans les circonstances et les
situations créées ! Mais il peut y avoir également du théâtre sans texte écrit ou même sans aucune
parole. Le théâtre est donc joué  pour faire face  aux  mystères  et conflits qui inquiètent ; les
humains se sont-ils mis à jouer du théâtre.

Les gens de théâtre cherchent ainsi à créer un miroir social, un reflet plus ou moins caricatural de la
société, qui permet de mieux la comprendre, et de mieux dénoncer ses failles : Le théâtre est aussi
un miroir tendu à la nature : le spectateur, comme l'acteur, vient chercher une réponse, se construire
une identité.

Le théâtre peut aussi être un divertissement, sans autre objectif que de changer les idées à ses
spectateurs, par l'utilisation du comique notamment. Augusto Boal, qui aborda une manière de faire
du théâtre résolument politique, c'est-à-dire qu'il faisait jouer à des gens des situations conflictuelles
en changeant la position des personnages : par exemple, le directeur qui avait licencié tel salarié
jouait le rôle du salarié. Cela permettait selon lui de régler certains conflits.

 La comédie se propose de « corriger les vices des hommes en les divertissant », dit Molière. Cet
auteur français célèbre, tout en faisant rire les spectateurs, tournait en ridicule les travers humains. Il
le dit lui-même  : « On veut bien être méchant, mais on ne veut pas être ridicule ».

La tragédie tente, elle aussi, de corriger les vices des hommes, ou plutôt leurs passions, de deux
manières : d'abord en montrant les dégâts que peuvent provoquer les passions : dans les tragédies,
les passionnés se font tuer, tuent ou se suicident (comme dans Phèdre où cette dernière
s'empoisonne à cause d'un amour illégitime), deviennent fous, tel Oreste à la fin d'Andromaque de
Racine (hors de la scène, par respect de la règle de bienséance).

Ensuite, les dramaturges comptent sur la « catharsis » (du grec purification), ou purgation des
passions : les spectateurs d'une tragédie sont ainsi censés se purger, se purifier des passions en les
vivant par procuration, en éprouvant terreur et pitié, comme l'écrit Aristote dans sa Poétique.

Le rôle du théâtre : est-il simplement de raconter une histoire ou doit-il faire réfléchir le spectateur ?

Le théâtre est né en Grèce, où des concours tragiques existent depuis le VIe siècle av. J.-C. Il est
apparu à Rome à la fin du IIIe siècle av. J.-C. Les représentations font partie des « jeux », fêtes
officielles de la cité. Au Moyen Âge, des troupes itinérantes jouent des pièces de genre dit des «
Miracles » et des « drames liturgiques », d'abord dans les églises puis dans leurs porches, sur leurs
parvis et sur les places publiques. A l'aide de personnages caricaturaux, le théâtre peut critiquer les
mœurs : certaines personnes ont des traits de caractère particuliers, encore accentués. Molière a
dit : « Je ne sais s'il n'est pas mieux de travailler à rectifier et à adoucir les passions des hommes que
de vouloir les retrancher entièrement » La devise de la comédie apparaît dès les années 1620 en
France :

Cela change-t-il selon les époques et les genres ? La critique explicite ou implicite a-t-elle sa place aux
côtés de la catharsis ?

MOLIERE: dit "Rendre agréablement sur le théâtre les défauts de tout le monde." "C'est une étrange
entreprise  de faire rire les honnêtes gens."

Le théâtre, un divertissement mais aussi un moyen d'éducation morale. Le théâtre a pour but
principal de divertir le public, de le détourner momentanément de ce qui l'occupe. Il arrive à cela
tout d'abord en suscitant des sentiments de joie ou de peine chez le spectateur. En effet, dans les
comédies ou dans les farces, on peint souvent la folie des hommes, de la société et leurs défauts avec
beaucoup d'humour et d'ironie. J’ai toujours dit  que  le théâtre  c’est le père des arts et c’est le
véhicule de la culture de son peuple.

L'acteur de théâtre est difficile à définir car dans la vie quotidienne, tous sont acteurs à des degrés
divers. Les humains, vivant en société, deviennent nécessairement des acteurs sociaux, qui changent
de rôle constamment (au travail, en famille, entre amis, etc.). Ces rôles sont constituants, puisqu'ils
font partie de l'identité; et indispensables, puisqu'ils donnent de la cohérence à la société et une
place à chacun.

Par: Mokrane NEDDAF

 
CHRISTIAN BIET , CHRISTOPHE TRIAU

Qu'est-ce que le théâtre ?


Postface d'Emmanuel Wallon

Le théâtre est d'abord un spectacle et un genre oral, une performance éphémère, la


prestation d'un comédien devant des spectateurs qui regardent, un travail corporel, un
exercice vocal et gestuel, le plus souvent dans un lieu particulier et dans un décor particulier.
Il n'est pas nécessairement lié à un texte préalablement écrit ni publié.
Pour comprendre ce qu'est le théâtre, et particulièrement pour saisir ses évolutions les plus
récentes, il convient donc de toujours mêler les points de vue qui le constituent – les
spectateurs, les metteurs en scène, les dramaturges, les scénographes, les régisseurs, les
acteurs, les auteurs, les lecteurs enfin. Car le jeu du théâtre n'a cessé, depuis les origines, de
mobiliser des individus historiquement, socialement, hiérarchiquement, topologiquement
hétérogènes.
L'histoire longue révèle que les choix des lecteurs, des auteurs, des acteurs et des
spectateurs ont considérablement varié et se sont, dans une même période, généralement…
ART DU THÉÂTRE ART DRAMATIQUE OU EXPRESSION
DRAMATIQUE
Il semble que, pour de nombreuses personnes, le doute règne quant à la distinction entre
ces activités. Afin de clarifier un tant soit peu la situation au niveau des idées, nous avons
mis sur papier quelques réflexions qui constitueront, du moins, nous l'espérons, une mise au
point. Entre le "théâtral" et le dramatique, la différence est énorme. Le "théâtral" fait penser
immédiatement à la scène, à un public au profit duquel se donne le spectacle, tandis que le
dramatique (en grec: action) se fait uniquement pour l'interprète auquel on va donner
l'occasion et les moyens de s'exprimer, de s'extérioriser par l'action, par son désir, pour son
plaisir et son développement personnels. C'est pourquoi les écoles élémentaires et
secondaires vont s'occuper presque exclusivement du "dramatique" et jouer par là leur rôle
d'éducation. On laissera l'enseignement du théâtre et de son cortège de techniques aux
écoles professionnelles post-secondaires; collèges, universités ou établissements spécialisés.
D'ailleurs, tout ce qui veut aborder valablement le théâtre, doit avoir l'apprentissage et
l'expérience du dramatique, ce que font la plupart des institutions spécialisées sous forme
d'ateliers. La démarche inverse, aller du théâtral au dramatique est beaucoup plus difficile,
sinon impossible. Combien de jeunes, de très jeunes même, ne se sont pas brûlé les ailes
parce que engagés trop tôt dans des séances, des spectacles de tous genres.
Outre cette différences essentielle entre le "théâtral" et le "dramatique", il en existe une
autre tout aussi profonde en art et expression (ou création). Le mot "art" comporte une
connotation esthétique, une recherche du beau. Evidemment, ce sera un des buts du
théâtre, de l'art dramatique. Ce goût du "beau" s'acquiert qu'on soit spectateur, lecteur ou
auditeur par le contact avec l'oeuvre d'art, dramatique dans le cas qui nous occupe. Dans
cette situation, le comédien n'est pas participant, aussi paradoxal que cela puisse paraître.
Tandis que l'expression dramatique consiste à doter l'individu, l'interprète des moyens
d'expressions et de création les plus complets possibles. De ce fait, cette discipline implique
la personne humaine dans sa totalité, en lui permettant d'extérioriser, par le mouvement et
par la voix, tous ses "affects" et tous ces "percepts" personnels ainsi que les désirs et les
idées des groupes auxquels il appartient. On sait que la fonction primordiale de tout
language est la communication, mais celle-ci se subdivise en plusieurs sous-fonction dont
l'une est l'expression (cf: Roman Jakobson). Cette fonction expressive met en valeur le
locuteur, c'est-à-dire le "moi", le "nous". Et le jeu dramatique est une activité où se mêlent
harmonieusement deux modes d'expressions fondamentaux: expression orale et expression
gestuelle et corporelle. Tout le monde, c'est vital, doit créer, doit s'exprimer, mais tout le
monde ne peut être artiste. L'expression intervient d'ailleurs dans tous les actes de notre vie
sociale. Et dans toutes ces situations courantes, quotidiennes, on ne fait pas de théâtre, on
joue. Il ne s'agit donc nullement d'une exhibition, mais d'une libération constante de la
fonction d'expression personnelle et collective. Cela se pratique entre soi pour le bien du
corps et de l'esprit, pour une connaissance plus grande de soi et du groupe.
Art dramatique – Histoire des arts

Le théâtre au Moyen-Âge

- Le théâtre est un art très populaire pendant tout le Moyen-Âge. - Malheureusement, peu
de traces nous en sont restées parce que… o les textes étaient peu écrits, car la population,
en général, ne savait ni lire ni écrire. L’histoire et les dialogues étaient donc transmis de
bouche à oreille; o les gens de théâtre, acteurs et dramaturges, n’étaient pas considérés
comme des artistes sérieux; o les équipements étaient très temporaires : on prenait ce qui
était à sa portée.

Les genres - Le théâtre est soit comique ou solennel. - Il pouvait être religieux ou profane
(qui n’est pas religieux). - On y retrouve plusieurs genres.

 Le mystère (ou mistère) - C’est une pièce de théâtre religieuse, remplie de réalité et de
surnaturel. - Au début, vers le Xe siècle, des saynètes font partie de la messe. On joue des
scènes de la naissance de Jésus, de l’ange qui s’adresse aux bergers et aux rois mages, de la
passion et de la résurrection du Christ. C’est très populaire à Pâques et à Noël. - Entre les XIe
et XVe siècles, l’Église offre à la population des fêtes-spectacles de plusieurs jours. Le public,
qui ne peut pas lire, s’instruit à l’Histoire sainte. - Les sujets sont tirés de la bible ou de la vie
des saints et des miracles accomplis. - Il y a de nombreux personnages : de 100 à 500 d’entre
eux, venant de la communauté environnante. Les rôles importants, comme celui du Christ
ou de Judas, sont transmis de père en fils.

 Le fabliau - Le fabliau est une fable ou un petit récit : de petites histoires simples et
amusantes, très populaires au MoyenÂge. - Le but du fabliau est de faire rire le public. - Il
peut offrir une leçon morale à la fin. - Ces courts récits sont parfois écrits en vers, comme un
poème. - Il se moque souvent d’une situation ou de groupes de personnes : les moines, les
vilains, les paysans et les femmes. Il s’inspire de la vie de tous les jours.

 La farce - Ce genre théâtral est né au Moyen-Âge. - Il a comme but de faire rire, il se


moque de tout et a souvent de l’humour grossier. - La farce présente des situations et des
personnages ridicules où règnent la tromperie, le malentendu et la ruse. Le thème du
trompeur qui est trompé revient souvent. Le renard, animal rusé, sournois et preste, est très
souvent l’acteur principal. - Comme l’imprimerie n’est pas inventée (ni le téléphone, la
télévision ou l’ordinateur), la plupart des informations et des nouvelles sont transmises
oralement, de bouche à oreille.

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