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LE SEXUEL MONOTHÉISTE ET SA TRADUCTION SCIENTIFIQUE

Fethi Benslama

Érès | « Cliniques méditerranéennes »

2006/1 no 73 | pages 89 à 95
ISSN 0762-7491
ISBN 2-7492-0591-3
DOI 10.3917/cm.073.0089
Article disponible en ligne à l'adresse :
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https://www.cairn.info/revue-cliniques-mediterraneennes-2006-1-page-89.htm
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Cliniques méditerranéennes, 73-2006

Fethi Benslama

Le sexuel monothéiste
et sa traduction scientifique

Dans L’épreuve de l’étranger 1, le très beau livre d’Antoine Berman sur la


théorie de la traduction, l’auteur distingue deux visées de la traduction :
l’une est métaphysique, l’autre éthique. Reprenant le fameux texte de W. Ben-
jamin sur La tâche du traducteur 2, A. Berman définit la visée métaphysique de
la traduction comme étant celle qui postule au-delà du foisonnement empi-
rique des langues, un pur langage que toute langue porterait en elle, et qui
chercherait platoniquement un au-delà vrai des langues naturelles, en
quelque sorte un monolinguisme de Dieu, avant Babel.
Il oppose à cette visée métaphysique, une visée éthique de la traduction
qui ne se fonde pas sur le postulat d’une langue unique derrière les langues,
mais qui reconnaît dit-il, le désir de traduction comme pulsion de traduire, et
insiste pour souligner que le terme de pulsion, il en use au sens de Freud, à
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savoir que la pulsion de traduire a une portée sexuelle. Ce sexuel, il le rap-
porte directement au maternel de la langue, à l’amour et à la haine de la
langue maternelle qui seraient le moteur de la pulsion de traduire, en tant
qu’il nous porte vers l’autre langue, ce qui implique l’en allée au-delà de la
langue maternelle et sa transfiguration dans la langue étrangère. C’est ce rap-
port de transfiguration par l’autre langue qui constitue la visée éthique de la
traduction.
Se situer dans la visée éthique de la traduction, ou sortir de la métaphy-
sique de la traduction, c’est reconnaître un rapport dialogique entre les
langues qui porte en lui des enjeux historiques considérables relatifs au

Fethi Benslama, psychanalyste, professeur de psychopathologie à l’Université Paris 7 ; 26 rue de Paradis,


75011 Paris ; 7 rue Pinel, 93200 Saint-Denis.
1. Antoine Berman, 1984.
2. Walter Benjamin, 1974.
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conflit, à l’emprunt, à la translittération, à la fondation dont l’un des ressorts


est la chute des signifiants (ou des anciens dieux, selon H. Heine) et leur
refoulement. C’est à l’intérieur de cette dimension que je souhaite reprendre
un problème qui m’occupe depuis des années, celui de la traduction des
langues européennes, langues porteuses du discours de la science, vers la
langue arabe d’une conception – je ne dirai pas de « la sexualité » pour des
raisons que l’on verra – mais de « l’affaire » du sexe au sens de la res et de la
chose. Cette traduction a eu un effet inaperçu, aux conséquences incalcu-
lables, celui de faire passer subrepticement l’univers langagier dans la langue
arabe d’une conception monothéiste du sexe, vers une conception scienti-
fique, sans que ce bouleversement donne matière à penser. En effet, au cours
des trente dernières années, les travaux sur « la sexualité en islam » – pour
reprendre le titre du livre inaugural de A. Bouhdiba 3 – se sont multipliés
dans toutes les disciplines, sans se demander si l’usage des mots tels que
« sexualité » et « sexuel » désignent la même « chose » entre des univers de
discours et de langages différents. Mon hypothèse ici est que cet usage, pour
savant et parfois érudit soit-il, participe d’une méconnaissance active qui
produit la culture du « comportement sexuel ». En ce sens, il est paradigma-
tique de ce qui a lieu sur le sol européen et s’étend aujourd’hui inexorable-
ment à l’ensemble de l’humanité. La psychanalyse en est probablement le
symptôme historique et la tentative de le penser.
Parler de « sexualité en islam », c’est déjà opérer une traduction d’une
langue à une autre, d’une civilisation l’autre, et plus encore d’un âge du
monde vers un autre, puisque la notion de « sexualité » date du milieu du
XIXe siècle en Europe et appartient à un ensemble discursif marqué par ce que
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Michel Foucault a appelé l’émergence de la scientia sexualis, « le savoir sur le
sexe 4 », qu’il oppose à des civilisations où le sexe n’est pas l’enjeu d’un
savoir, mais l’objet d’un ars erotica. On se souvient que Michel Foucault men-
tionne parmi les sociétés qui disposent d’un art érotique, la Chine, le Japon,
l’Inde, Rome et les sociétés arabo-islamiques. Il importe donc, s’agissant d’in-
terroger l’islam sur l’affaire du sexe, d’avoir en vue l’opération de traduction
que nous faisons, autrement dit de restituer l’emploi des notions et des
concepts à leur contexte, afin que le sexe soit rendu à l’univers du discours et
du langage qui le situent.
Pour commencer, disons que jusqu’au début du XXe siècle, il n’y a pas
dans la langue arabe et la conception islamique les notions de « sexualité »,
« d’instinct sexuel » et encore moins de « rapport sexuel ». Ce n’est donc qu’à

3. Abdelwahab Bouhdiba, La sexualité en islam, 1975.


4. Michel Foucault, La volonté de savoir, 1976.
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l’époque la plus contemporaine que l’on rencontre ces notions, sous l’effet de
la traduction et de la diffusion du discours scientifique et médical européen.
Pourtant la langue arabe est très riche en termes qui décrivent l’expérience
sexuelle. Récemment, j’ai trouvé dans une librairie populaire à Rabat, un
petit lexique concernant les mots pour dire les affaires du sexe, et qui ne com-
portait pas moins de 2 500 termes 5.
On ne peut donc interroger « le sexe » dans cet univers sans prendre acte
de ce double fait : le monde ancien pré-scientifique, pré-moderne ne connaît
pas la notion de « sexualité » et ne nomme pas quelque chose comme « rap-
port sexuel ». Par contre, il nomme, dénomme, renomme sans cesse les
affaires du sexe ; autrement dit, ce dont il s’agit va plus loin que ce que
Michel Foucault a appelé un ars erotica : l’articulation la plus étendue des
affaires du sexe avec l’univers du discours.
La langue arabe et le texte coranique usent du nom commun « sexe ». Il
s’agit du terme « farj » que L’Encyclopédie lexicale du Lisân (XIIIe) définit ainsi :
« C’est le défaut entre deux choses, ce qui est entre les deux jambes. On dit
que c’est le manque entre deux choses, l’interstice, le trou qui fait peur. On
appelle le farj ainsi parce qu’il n’est pas bouché. C’est la part aveugle. C’est
la chose de la femme et de l’homme 6. »
Cette étymologie rejoint d’une certaine manière le concept de sexe en
français qui désigne la section, soit le défaut, le manque, l’interstice, le trou,
l’écart. Si l’on considère avec Jacobson que la traduction consiste à trouver
l’équivalence dans la différence, le terme « farj » serait l’équivalent adéquat
du concept de sexe en français et dans toutes les langues européennes. Or le
terme de « farj » est un substantif et ne devient jamais adjectif dans la langue
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arabe pour dire « sexuel » ou bien pour créer le mot « sexualité ». Cette
impossibilité n’est pas d’ordre syntaxique, car rien n’interdit grammaticale-
ment de le faire, mais on ne le fait jamais. L’impossibilité relève donc de la
praxis langagière et de l’ordre du discours. C’est pourquoi, au moment où il
fallait traduire à partir du discours scientifique et médical européen, les
termes de sexualité, de sexuel et de rapport sexuel, on n’a pas pu le faire avec
l’étymon « farj », mais on a recouru à un autre terme, celui « jins ».
Le radical « jins » désigne « l’assonance » et « la ressemblance avec
l’autre », « le paraître du même genre et de la même espèce », « l’origine com-
mune », c’est-à-dire une orientation de la signification qui relève du registre
imaginaire. C’est par ce terme que l’on traduira partout la notion de « rap-
port sexuel ». On dira par exemple « relation jinsyya », littéralement « relation

5. Al-ma‘ajim al-jinsy (lexique sexuel), Beyrouth, 1991.


6. Lisân, op. cit., t. 2, p. 1065-1067.
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générique », modalité qui n’existait pas dans la langue, les textes et les dis-
cours arabes, jusqu’au XXe siècle.
Alors que dans le discours traditionnel ancien, on ne trouve pas la
notion d’« instinct génital », au sens biologique de la reproduction telle
qu’elle va apparaître au XIXe siècle en Europe, le terme « jins » va permettre à
l’époque moderne de dire et d’opérer le transfert des affaires du sexe dans le
registre génital et comportemental.
Chose curieuse, « jins » ressemble au genus latin d’où est tiré genre et
gender. En fait, sous l’effet de la traduction, on assiste à la naissance de ce
qu’on appelle le gender, avant sa théorisation proprement dite. Je rappelle
que le terme de gender a été utilisé comme concept pour la première fois en
1964 par Stoller pour distinguer l’identité sexuelle au sens de social.
Bref, le genre ou le gender prend le dessus à travers la langue et les dis-
cours arabes actuels, dans l’exacte mesure où il rend possible la traduction de
sexualité et sexuel, de rapport et d’instinct sexuels. Il va de ce fait écraser
d’autres mots, dont celui de sexe (farj), par sa capacité normative et scienti-
fique visant la génitalité et la reproduction comme comportement.
Dans le foisonnant lexical des affaires du sexe en langue arabe, un
concept a prévalu de tous temps pour indiquer l’univers de l’échange autour
du sexe, c’est celui de « nikâh » qui signifie bien cet échange, sans désigner
pour autant la relation ou le rapport sexuel. Il dénote spécifiquement la
dimension de la jouissance, et particulièrement la jouissance théo-légale.
C’est ce mot qui est utilisé dans le lexique juridique. Autrement dit, nous
avons affaire ici au concept même de jouissance, en tant que jouissance limi-
tée de l’un et de l’autre sexe.
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Notons que ce terme (nikâh) désigne en même temps les paroles qui
disent l’expérience de l’échange autour du sexe, y compris la demande de
mariage, comme l’indique l’Encyclopédie du Lisân. Ainsi, acte et parole sont
désignés par le même mot lorsqu’il s’agit de jouissance. L’on voit donc,
preuve à l’appui, que l’affaire du sexe avant sa réduction scientifique com-
portementale, ne sépare pas le sexe et le langage.
Mais le fait le plus important dans cette conjoncture est le suivant : en
même temps que s’opèrent la traduction, et l’apparition du gender (donc du
rapport sexuel), le concept de sexe dans la langue arabe, disparaît. En effet,
je me suis aperçu que le mot « farj » ne désigne plus dans le monde arabe le
sexe de l’homme ou de la femme, mais uniquement l’organe sexuel de la
femme. En disant « je me suis aperçu », je voulais marquer le fait que moi-
même je ne le savais pas, et que c’est seulement lors de la traduction d’un
délire, que je constate incidemment ce qui est arrivé. En effet, alors que le
concept de sexe comme chose commune à l’homme et à la femme existe bien
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dans le texte coranique 7, si l’on consulte aujourd’hui n’importe quel diction-


naire contemporain, si l’on interroge ceux qui parlent la langue arabe litté-
raire ou l’un de ses idiomes locaux – et ce, quelque soit leur degré
d’instruction – le terme « farj » désigne pour eux sans exception, l’organe
sexuel féminin, exclusivement.
Il se produit donc une chute à l’intérieur du discours, « une lésion sym-
bolique du mot », pour reprendre l’expression de J. Lacan, par laquelle le
concept de sexe disparaît, et d’une manière particulière puisque seule la
femme l’a, au titre de l’organe. Cette chute est contemporaine de l’entrée
dans la logique du discours scientifique.
Pour mieux comprendre la portée de cette chute, il convient d’interroger
la version islamique du mythe monothéiste du sexe. C’est à partir d’un frag-
ment mythique lié au texte coranique que nous pouvons l’aborder, sous la
plume d’Al-Qortobî, un théologien du VIIe siècle qui écrit ceci : « Ce que Dieu
a créé de premier en l’homme, c’est son sexe (farj) (l’homme ici c’est insân,
c’est-à-dire l’homme et la femme). Et il dit : “Ceci est mon dépôt, je vous le
confie”, car le sexe est un dépôt. » Dans un autre fragment, le même auteur
écrit : « Lorsque Dieu créa le sexe d’Adam (farj) il lui dit : « Ceci est mon
dépôt chez toi, n’en use que selon sa vérité 8. »
D’après ce mythe, l’homme serait façonné à partir du « farj » qui est,
comme on l’a vu, trou, écart, ouverture. Le premier matériau de l’homme
n’est pas la terre, mais le vide, ou si l’on veut, avant la substance, il y a la
béance. Le noyau de l’humain serait le sexe en tant que l’ouvert. Or, cette
composition humaine est en opposition radicale avec l’essence de Dieu dont
l’un des noms est « samad », terme qui désigne le plein, le compact, le mas-
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sif. Autrement dit, si l’homme est ouvert, Dieu est impénétrable. Une pre-
mière conclusion s’impose : Dieu fait don à l’homme de ce qu’il n’est pas, en
tant que la « choseité » du sexe est le vide. Il est clair alors, que la chute
du concept de sexe par sa traduction dans le discours médical, détruit le
vide originaire qui donne forme à l’humain, selon le mythe monothéiste de
l’islam.
Un second commentaire s’impose. Le sexe est qualifié ici de « dépôt »
(amâna). Le terme français de dépôt ne rend pas suffisamment toute la charge
éthique de ce mot qui désigne dans la langue arabe « l’objet inestimable » que
l’on confie et qui implique un pacte, le pacte de sa garde et de sa préserva-

7. Tel que dans cet exemple : « Dis aux croyants de baisser leur vue (absârihim) et de préserver
(yahfadû) leur sexe (furûjahum = farj au pluriel). Dis aux croyantes de baisser leur vue (absâri-
hinna) et de préserver leurs sexes (furûjahunna) », Coran XXI, 91.
8. Al-Qortubî Abî Abdallah, Al-jâma‘ li ‘ahkâm al-qur’ân, Dar Al-Kutub Al-masryya, Le Caire,
1954, t. XVI, p. 254.
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tion, en tant qu’il confère une dignité à celui qui le reçoit. Or, le mot
« amâna » correspond à l’« amen », c’est-à-dire à l’« ainsi soit-il » de la litur-
gie chrétienne ou islamique (âmîn). L’arabe et l’hébreux (âmên) le partagent à
partir de son origine sémitique qui donne lieu aux directions de sens sui-
vantes : le vrai, la foi, la sauvegarde, l’immunité. Sans entrer davantage dans
les détails, de toute évidence le régime de « la choseité » du sexe en tant que
vide, relève de la dignité, où il est aisé de reconnaître le « Das ding » freudien
repris par J. Lacan.
S’éclaire du même coup l’expression « et d’en user selon sa vérité ».
Quelle est donc cette vérité ? Elle est en tout premier lieu, la vérité d’un vide
dans l’humain, qui n’est pas la propriété de l’homme, mais de Dieu.
L’homme n’en serait que le dépositaire, n’en aurait en quelque sorte que
l’usufruit, d’où la notion de jouissance (nikâh) comme usufruit du sexe, en
tant qu’il incarne, si je puis dire, le défaut et le manque absolus de l’Autre. La
jouissance serait en somme de Rien, ou de Dieu. Si l’on se rappelle la
remarque de Freud dans Un souvenir d’enfance de Léonard de Vinci, selon
laquelle les dieux sont originairement des organes sexuels 9, le monothéisme
n’y échappe pas. Sauf, qu’il vide la chose de sa substance, pour ériger à tra-
vers le langage, la fonction phallique comme le Dieu Un, même.
Compte tenu de ces éléments, on comprend que dans cette conception,
il ne peut y avoir de rapport sexuel, au sens d’une conjonction, établissant
une adéquation et une complétude, une complémentarité entre homme et
femme, entre deux personnes, puisqu’il s’agit là d’une rencontre entre deux
manques. Il ne peut y avoir de rapport là où ça interrompt précisément tout
rapport.
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L’un des effets de la traduction du discours de la science sur la sexualité
est la chute du signifiant du sexe « farj », avons-nous souligné plus avant. De
toute évidence, elle entraîne avec elle le refoulement de la conception théolo-
gique du sexuel monothéiste, au profit de la théorie bio-médicale, appuyée
sur le social comme rapport de genre (gender). Un tel événement, qui a déjà
eu lieu dans le monde moderne européen, se produit sous nos yeux aujour-
d’hui dans le monde musulman, mais sans le travail d’éclairement de la cul-
ture qui lui a été concomitant dans le premier cas. La modernité dans l’islam
s’effectue sans Lumières, sans représentation de ce qui s’agit au plus vif de la
subjectivité. La conséquence en est que la chute du signifiant du sexuel divin
se trame en toute méconnaissance, dans une sorte de sauvagerie mutative
obscure. Elle produit de l’incroyance insue, source de l’accroissement du sen-

9. Sigmund Freud, Un souvenir d’enfance de Léonard de Vinci, 1910, p. 122-123.


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timent de culpabilité et de ses ravages, tels que nous en constatons la pré-


sence intense dans l’idéologie islamiste.
Un mot pour conclure : la formule de J. Lacan selon laquelle « Dieu est
inconscient » dans le monde moderne, vaut ici pour autant que l’on consi-
dère qu’un tel destin n’est possible que s’il y a chute des signifiants du sexe
divin, entraînant le refoulement de Dieu.

BIBLIOGRAPHIE

ANONYME. 1991. Al-ma‘ajim al-jinsy (lexique sexuel), Beyrouth, Éditions J.P.


BERMAN, A. 1984. L’épreuve de l’étranger, Paris, Gallimard.
BENJAMIN, W. 1974. « La tâche du traducteur », dans Mythe et de violence, Paris, Denoël.
BOUHDIBA, A. 1975. La sexualité en islam, Paris, PUF.
FOUCAULT, M. 1976. La volonté de savoir, Paris, Gallimard.
FREUD, S. 1910. Un souvenirs d’enfance de Léonard de Vinci, Paris, Gallimard.
LEXIQUE SEXUEL. 1992. Beyrouth, Editions JP.
AL-QORTUBÎ, A. 1954. Al-jâma‘ li ‘ahkâm al-qur’ân, Le Caire, Dar Al-Kutub Al-masryya.

Résumé
Cet article expose la conjoncture par laquelle la conception scientifique de la sexualité
fait son entrée par la traduction dans le monde arabe et musulman, et ses consé-
quences sur le langage.

Mots clés
Sexe, gender, science, Dieu, refoulement, théologie, chose, vide.
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MONOTHEISTIC SEXUALITY AND ITS SCIENTIFIC TRANSLATION

Summary
This article exposes the circumstances that surround the way the scientific idea of
sexuality makes its entry through translation into the Arabic and Muslim world and
its consequences for language.

Keywords
Sex, gender, science, God, repression, theology, thing, void.

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