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Comprendre Et Aider Les Enfants en Difficulté Scolaire
Comprendre Et Aider Les Enfants en Difficulté Scolaire
Comprendre et aider
les enfants
en difficulté scolaire
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Sous la direction de
Gérard TOUPIOL, président de la FNAME,
et de Louis PASTOR, membre du bureau national de la FNAME
Comprendre et aider
les enfants
en difficulté scolaire
Mireille Brigaudiot, Alain Brun, Philippe Cormier,
Monique Croizier-Pré, Guy Hervé, Yves de La Monneraye,
Jacques Lévine, André Ouzoulias
FNAME RETZ
http://federationame.multimania.com www.editions-retz.com
22, rue Saint-Michel 1, rue du Départ
66490 Saint-Jean-Pla-de-Corts 75014 Paris
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Sommaire
Introduction 9
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Introduction
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Introduction
Toute forme d’aide spécialisée revêt une signification aux yeux des élèves et
suscite en même temps une inquiétude face aux difficultés reconnues. Il est
donc essentiel que l’élève soit associé à la démarche et en perçoive clairement
le sens et l’utilité.
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Il est ainsi nécessaire d’engager une réflexion sur les conditions de mise
en œuvre d’une aide spécialisée à dominante pédagogique, mission essen-
tielle du système scolaire, afin de la caractériser, dans toute la complexité
de ses références théoriques et de ses applications didactiques.
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PREMIÈRE
PARTIE
La relation du maître
avec l’enfant
en difficulté scolaire
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Yves de La Monneraye
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certains, à donner tout court – la parole aux élèves dans une rencontre
singulière. Même si l’on travaille en petit groupe, il s’agit toujours de
construire un dispositif permettant un dialogue singulier. C’est dans ce
dialogue que l’enseignant suivra pas à pas dans sa démarche l’élève tel
qu’il est avec ses difficultés, sans lui imposer, une nouvelle fois, une
démarche de l’extérieur. On peut considérer qu’il s’agit là d’une approche
clinique, au sens où le maître E est prêt à apprendre de cet élève comme
le clinicien apprend de son malade en se mettant à son chevet. Pour le
maître E, il ne s’agit donc pas d’appliquer une méthode ou une théorie,
mais d’apprendre à entendre ce que lui dit ou lui exprime l’élève. S’il est
question d’écoute, il n’est pas pour autant question de passivité : le
maître E est l’interlocuteur actif de l’élève ; il répond à ses questions et
lui fait même certaines propositions. Il soutient, à sa manière, le dialogue
pédagogique dont il laisse l’initiative à l’élève.
Au départ donc, un élève est désigné par l’enseignant pour l’« aide
spécialisée » dont il aurait besoin. C’est ainsi que cela se passe la plupart
du temps. On ne dit pas que l’élève désire ou ne désire pas lire mais qu’il
a besoin qu’on lui apprenne à lire. Tout le travail préalable du maître E
consiste, au contraire, à introduire, lors de la première rencontre avec
lui, quelque chose de l’ordre du désir, de son désir d’élève. C’est pour-
quoi, il est indispensable que l’on se soit préalablement mis d’accord avec
le professeur : il n’y aura d’aide que pour les élèves qui, désireux d’entre-
prendre un tel travail, sont volontaires. L’objet de cette première ren-
contre est de permettre que l’élève, objet d’une demande, puisse deve-
nir le sujet d’un travail. Pour cela, il faut bien qu’il ait la possibilité de
refuser ce qu’il n’a pas demandé. Cette manière de s’intéresser à son désir
est si inattendue pour lui qu’elle crée une rupture dans ses habitudes.
Cette rupture va permettre que s’instaure une relation de confiance
nouvelle à la fois en l’autre et en soi.
L’important est que l’élève se rende compte qu’on l’accueille avec sa dif-
ficulté et non malgré elle. De fait, il y a derrière toute difficulté scolaire
et, a fortiori, tout échec scolaire, un trésor qu’il s’agit de faire fructifier.
Encore faut-il chercher à le découvrir et, pour ce faire, être persuadé de
son existence. En ce sens, on peut considérer la difficulté ou l’échec sco-
laire comme un symptôme, c’est-à-dire quelque chose qui « tombe avec »
autre chose que l’on ne perçoit pas. Le sens de ce qui se passe est ailleurs
que dans ce qui est présenté. Plus simplement, il s’agit d’un appel, qui
essaie de s’exprimer et de dire à peu près : « Je suis là où vous m’avez mis,
mais j’y suis mal. » Ces mots ne sont jamais prononcés ; ils sont pris en
charge par la difficulté scolaire, qui manifeste ce mal-être et nous dérange.
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Mais, comment entendre ce qui nous gêne comme un appel à une ren-
contre ? L’énorme difficulté présentée par ces symptômes que sont les
échecs scolaires est la suivante : non seulement le sujet lui-même est en
difficulté, mais encore – et c’est ce qui est le plus difficile à entendre –, s’il
est comme cela, c’est pour nous déranger. Évidemment le réflexe premier
consiste à le rejeter et à dire que, puisqu’il nous gêne, il ne relève pas de
nos services. L’autre tentation consiste à le choyer et à le materner.
Autrement dit, on se trouve confronté aux phases typiques d’une relation
duelle, d’une relation qui ne peut pas sortir du duel. La première phase
consiste généralement à essayer de l’envelopper, de l’englober totalement.
C’est ce que l’on commence par faire spontanément ; sinon, on se sent tout
de suite coupable. Puis, dès le moment où l’on constate que cela ne génère
aucun effet positif et que la situation se dégrade, on se résigne, comme on
dit, à « l’éjecter ». Si l’on en arrive là, c’est que, en général, l’on n’a pas
réussi à analyser la situation : ce sujet, qui est en difficulté, nous a pris
dans sa difficulté, c’est-à-dire nous a fait entrer dans sa structure.
S’il nous y a mis si facilement, c’est qu’il a repéré, soit dans notre fonc-
tionnement personnel, soit dans le fonctionnement institutionnel de la
classe, de l’école ou du réseau – ou, plus fréquemment encore, dans les
deux à la fois – ce qui correspondait à sa problématique personnelle. Il y
a une sensibilité intuitive – inconsciente – très forte au dysfonctionnement
de leurs interlocuteurs chez les sujets qui sont en difficulté. Les élèves
connaissent nos fragilités et c’est là qu’ils nous attaquent. Il nous revient
de travailler sur nous-mêmes et de façon institutionnelle si nous voulons
faire autre chose qu’entrer dans un système de répétition de l’échec.
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possible que si son ancien savoir est reçu, accueilli par la personne même
qui va lui donner le savoir nouveau. Il faut qu’il puisse dire ce qu’il sait
alors même que nous pensons qu’il ne s’agit pas d’un savoir. Si nous ne
lui permettons pas d’exprimer tout cela, il se trouve avec un problème
psychologique énorme à résoudre, qui consiste à assumer lui-même la
contradiction entre ces deux savoirs. Cette situation étant peu ou prou
invivable, il en reste donc à son savoir ancien.
Cela est d’autant plus difficile à vivre pour lui, que nous lui imposons
une deuxième séparation. En effet, l’enfant n’est pas autodidacte. Ce
fameux savoir, qui, pour nous, n’est pas considéré comme un savoir mais
comme une croyance, il l’a appris d’une personne à qui il tient au moins
autant qu’à son savoir. Nous-mêmes avons des savoirs constitués (qui ne
sont probablement plus toujours très adéquats aujourd’hui) ; nous
sommes souvent très marqués par l’image, par le souvenir de ceux qui
nous l’ont appris : tel professeur ou telle personne que l’on a rencon-
trée un jour et qui a transformé notre vie, etc. L’enfant est aussi comme
cela : si l’on jette son savoir antérieur à la poubelle, on jette à ses yeux
tous les êtres chers qui le lui ont donné. En ce sens, il s’agit bien, pour
devenir disponible à l’abstraction intellectuelle, de pouvoir s’abstraire
des situations antérieures.
Pour accueillir et écouter le sujet tel qu’il est, il convient d’abord de
le rencontrer personnellement (individuellement ou en tout petit groupe)
et d’axer la discussion sur sa difficulté, ce qui le met immédiatement en
position de sujet. Immédiatement, car on le considère a priori comme
quelqu’un de sensé. Il a construit son échec selon une logique qui lui est
personnelle et qui est intransmissible, voilà ce qui nous pose problème.
Il s’agit alors de l’inviter à nous transmettre cette logique. Pour ce faire,
il convient de devenir son accompagnateur ou, mieux, son élève. Nous
qui sommes supposés savoir, nous devons commencer par apprendre de
lui ce que lui-même pense ne pas savoir. De fait, lorsque l’on commence
à aider les élèves, ils commencent par dire : « Je ne comprends rien ; de
toutes façons, je suis nul ! » Notons au passage le drame du sujet qui dit
« Je suis nul ». Est-il véritablement sujet de sa phrase ? Est-ce une parole
personnelle ou la répétition d’un discours qu’il tient à son interlocuteur
pour se protéger de façon à ce qu’on le laisse tranquille ? Car il convient
de garder en mémoire que le symptôme, s’il est le signe d’une souffrance,
est aussi une sécurité pour le sujet. Mieux vaut vivre avec son symptôme
que pas du tout. Paradoxalement, si l’on est mal avec son symptôme, on
le connaît bien malgré tout car on est habitué à vivre avec et il évite
d’avoir à se confronter à des situations angoissantes
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1. Henri Maldiney, Regard Parole Espace, Éditions de L’Âge d’Homme, 1973, p. 49.
2. Id., p. 17.
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Guy Hervé
T oute action centrée sur l’aide aux élèves en difficulté s’inscrit dans une
complexité professionnelle. Elle concerne de fait un professionnel distinct
dont l’intervention entre en résonance avec diverses conduites de
l’ensemble du milieu éducatif de l’élève. Certaines de ces conduites, gérées
à l’école par l’équipe des enseignants, sont volontaires, techniques, a priori
convergentes. D’autres sont plus spontanées, parfois divergentes, plus ou
moins ciblées sur les contenus culturels véhiculés par l’école : il s’agit des
actions parentales. Toutes ces conduites interagissent et constituent le
milieu éducatif de l’enfant. La difficulté scolaire est le signe d’un dys-
fonctionnement dans la manière dont l’enfant a, pour sa part et toujours
activement, mis ou non en cohérence les divers pôles de son milieu édu-
catif. Lorsqu’un nouvel acteur, le maître E par exemple, intervient dans
cette économie, il doit avant tout prendre du recul, essayer de voir la
situation dans son ensemble, ne pas se précipiter dans l’action stérile. Il
s’agit en conséquence de créer les conditions qui vont permettre à l’élève
de dire ou de montrer (à sa manière, autrement qu’en échouant) une
part de l’inadéquation qu’il a construite dans ses représentations. Cette
relation à établir avec l’élève en difficulté dépasse le bon sens commun.
Puisqu’il est avant tout question d’identité d’élève, il convient, en écho,
de s’interroger sur l’identité du professionnel qu’est le maître E.
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1. Voir Charlotte Herfray, La psychanalyse hors les murs, Paris, Desclée de Brouwer, 1993,
et, plus particulièrement, le chapitre 3 : « Pour une théorie de l’acte ».
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2. La deuxième phase est la mise en forme, par les enfants, d’un projet
contractualisé qui, la plupart du temps, consiste à fabriquer un matériel
ou à préparer une situation semblable à celle qui a été vécue afin de la
transposer en classe d’origine. Les enfants sont ainsi conduits à s’organi-
ser, à prévoir, à concevoir une activité dans laquelle les interrelations entre
enfants et adulte resteront médiatisées par ce contrat, objectivées par la
qualité de communication différée qu’il recèle. Les élèves, guidés, ou, plus
souvent, accompagnés par l’adulte, imaginent les différentes étapes à
franchir pour voir aboutir cette production. Cette étape donne lieu à la
rédaction d’un projet clair, en cinq ou six points, signé par tous (aspect
contractuel). Dès lors, les élèves travaillent et mettent en fonctionnement
diverses compétences d’anticipation, de structuration temporelle, d’élabo-
3. Guy Hervé, Intervenir en RASED, histoire d’Hugo, Paul et Pierre, séquences de suivi
d’un groupe, propositions d’activités dans le cadre d’une démarche de projet, synthèse théo-
rique, Paris, Armand Colin, 1997.
4. Voir Lire pour jouer, Paris, MDI, 1986.
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Conclusion
Il est ainsi certain qu’un outil, une stratégie d’évaluation peuvent
concourir à étayer les pratiques de RASED, pour peu que cet outil, cette
stratégie restent en cohérence avec les principes qui ont initié ce dispo-
sitif. J’ai insisté sur la conception de la difficulté scolaire, les liens à inter-
roger entre options théoriques inhérentes à toute pratique, à tout objet
remédiateur et cette conception de la difficulté scolaire, ancrée dans une
approche globale du développement de l’enfant.
Il est de coutume dans l’AIS de fantasmer sur les textes officiels à venir,
ceux qui vont bouleverser ou annihiler nos professions. Chacun d’entre
nous doit effectivement rester très attentif : il est en particulier vrai-
semblable que le concept révolutionnaire d’enfant au centre du système
scolaire soit, à terme, remis en question ; les attaques contre la forma-
tion n’en sont sans doute, en effet, qu’un préalable. Pourtant, à ce jour,
et depuis une dizaine d’années, les RASED existent, et des actions par-
tenariales, tissées au cœur du dispositif, peuvent permettre à de nom-
breux élèves de progresser. N’est-il pas envisageable qu’un grand nombre
des potentialités des circulaires actuelles restent sous-exploitées ? Par
6. Voir Guy Hervé, fichiers « Conceptualiser l’écrit », « Les bonnes idées d’Alex »,
« Six contes de tous les jours », Paris, Hatier, 1999.
7. Guy Hervé et A. Beaumet, « La conceptualisation de l’écrit pour un réel accès au
savoir lire », Nouvelle Revue de l’AIS, « L’intelligence en débat », n° 6, 1999.
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Ces deux formes d’aides (E et G) ne doivent pas être considérées comme des
spécialisations cloisonnées. Ainsi, le maître chargé des aides à dominante péda-
gogique doit prendre en considération le découragement induit par des diffi-
cultés persistantes, voire les moments de désaffection ou de rejet de l’école.
Le maître chargé des aides à dominante rééducative ne peut refuser de prendre
en compte les demandes scolaires des enfants. Les médiations utilisées dans
l’un et l’autre cas peuvent être partiellement identiques mais prennent un sens
différent en fonction du projet propre à chaque enfant.
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« Il y a toujours un métro
sous le boulevard »
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puis en hordes. Nous sommes engagés dans un long voyage qui nous a
menés à l’humanité via l’hominisation. Il a déposé en nous des traces
impérissables, notamment la curieuse double structure de notre psychisme
qui explique que, si souvent, Mister Hyde coexiste avec le Docteur Jekyll.
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de son identité. Il faut noter toutefois que certains enfants, qui semblent
prisonniers d’enracinements premiers qui se sont mal déroulés, peuvent
être cependant des bénéficiaires d’une action de type E dans la mesure
où ils pratiquent une forme rapide et efficace de résilience. Celle-ci leur
permet en effet de neutraliser des problèmes qui, au premier abord,
pourraient être considérés comme suffisamment importants pour contre-
indiquer une prise en charge à dominante psychopédagogique. Ainsi
s’expliquent la difficulté de certains diagnostics et la nécessité de donner
toutes leurs chances à des relations fondées sur la confiance dans les
capacités évolutives de l’enfant. L’un des critères est la façon dont l’enfant
envisage d’assumer son passage de l’endogamie à l’exogamie. L’enfant
qui semble dominé par l’attachement endogamique avec un passé fami-
lial difficile a besoin d’une relation qui lui permette de faire un travail
de désencombrement et de se sentir accompagné pour retrouver une
dynamique de croissance. Mais il n’est pas dit que le maître E soit le
plus qualifié pour un tel travail. Pour élaborer les lignes de conduite en
matière de partage des tâches, un travail de co-réflexion entre maître E
et maître G, et d’une façon plus générale, à l’intérieur du Réseau d’Aides,
est nécessaire.
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Certes, il n’est pas juste de dire que l’institution, dans son intention-
nalité, notamment dans ses discours, est indifférente aux différences. Mais,
dans les faits, objectivement, elle l’est encore trop. Et l’une des raisons
de cette attitude qui consiste à continuer de « mal faire » alors qu’elle
voudrait « bien faire » vient de la méconnaissance de ce qui se joue
notamment au niveau du CP. Faut-il détruire le CP pour protéger le CP ?
Le paradoxe du CP est que, en apparence, toutes les conditions se trou-
vent réunies pour un fonctionnement optimal. L’apprentissage qui s’y
effectue est considéré comme quasi tabou, destiné à être intangible pour
l’éternité. Or, lorsqu’on y regarde de près, on repère cinq non-dits qui
expliquent les échecs ultérieurs :
– Il faut avoir 7 ans d’âge mental et non 6, et être sans troubles affec-
tifs autant que possible, pour devenir rapidement un « lecteur vrai »,
c’est-à-dire quelqu’un qui trouve plaisir à maîtriser « en profondeur » les
secrets du langage écrit.
– L’évaluation de la lecture en fin d’année crée le poncif que 80 % des
enfants du CP lisent valablement. Or, chez 30 à 40 % d’entre eux, la lec-
ture a été acquise trop superficiellement, souvent avec trop d’émotivité.
L’aspect laborieux des travaux de déchiffrement laisse le sentiment que
l’espace de l’écrit est celui du piège ou du « trop peu vivant ». Quant
aux 20 % de mauvais ou non-lecteurs, le problème se transforme en sen-
timent que l’école n’est pas faite pour eux.
– Nous méconnaissons trop le fait que l’un des secrets de la lecture
vraie tient à la qualité des dialogues imaginaires que l’enfant engage avec
la lecture. Pour lire intelligemment, il faut imaginer que, derrière les
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– le plaisir de penser ;
– le plaisir d’exprimer sa pensée ;
– le plaisir de lire la pensée des autres au travers du langage parlé et
des textes ;
– le plaisir d’écrire ou de figurer, par des moyens divers, ce que l’on
pense.
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Cette évolution montre que pour comprendre de quoi sont faites les
phases successives du plaisir de penser, il faut admettre que toute fonc-
tion, qu’il s’agisse de la parole, de la pensée, de la lecture, de l’écri-
ture, du calcul, suppose un pilote de cette fonction : c’est ce pilote qui
prend plaisir à faire fonctionner son appareil à penser. Il y a donc lieu
de le reconnaître en tant qu’interlocuteur valable. Il a besoin du MRM
(minimum de reconnaissance du Moi). L’alliance cognitive implique
qu’il intéresse l’adulte qu’il a en face de lui par ses savoir-faire, ses
curiosités et même par la qualité de sa collaboration à la réparation
des lacunes scolaires. Il a besoin que l’adulte ait pour lui un désir de
croissance et qu’il manifeste sa compréhension, non sa compassion, en
tenant également compte des forces anti-croissance dont il a été l’objet.
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pour qui les problèmes de liens, y compris les liens de filiation, sont pré-
dominants, ces histoires de liaison entre les lettres et à l’intérieur des
mots, au lieu d’être perturbantes, sont, au contraire, rassurantes. L’écri-
vain Erik Orsenna fait allusion, dans La Grammaire est une chanson douce,
à des procédés de ce type. Un enseignant de cycle 3, qui voulait récon-
cilier ses élèves avec la grammaire, a inventé un conte où il est question
d’une révolte des verbes, du compagnonnage entre verbes, sujets et adjec-
tifs : on y passe des nuits de cauchemar avec les verbes irréguliers ; on
est obligé de consulter un psychologue à suite de la naissance d’un néo-
logisme ; on fait le plan de la maison « grammaire » ; on demande s’il
y a un avenir pour le verbe « aimer » et l’accord parfait, etc.
Alors que le maître G utilise le dessin et les jeux comme médiateurs
pour aider les enfants à se désencombrer de problématiques identitaires
lourdes à porter, le maître E procède à une alliance relationnelle qui
permet de pénétrer dans les mots par un « donner à voir » intermédiaire
entre la structure lexique et les réalités auxquelles ils se réfèrent.
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Bibliographie
Lévine, Jacques et Guy Vermeil, Les Difficultés scolaires, Paris, Doin, 1982.
Lévine, Jacques et Marie-Jo Rançon, « La loi des 4 affiliations comme fondement
des Apprentissages » in Je est un Autre, n° 4, janvier 1996.
Lévine, Jacques et Jeanne Moll, Je est un Autre. Pour un dialogue pédagogie – psy-
chanalyse, Paris, E.S.F., 2001.
Lévine, Jacques et Michel Develay, Pour une anthropologie des savoirs scolaires. De
la désappartenance à la réappartenance, Paris, E.S.F., 2003.
Lévine, Jacques, Intervention au Congrès de la FNAREN, Orléans 2004, à paraître.
Rançon, Marie-Jo, « Les mots ont-ils un corps ? » in « Je est un Autre », n° 11,
janvier 2001.
Wallon, Henri, Les Origines de la pensée, Paris, PUP, 1946.
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DEUXIÈME
PARTIE
Des dispositifs
spécifiques
pour les élèves
en difficulté scolaire
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La dimension relationnelle
dans l’aide spécialisée
1
à dominante pédagogique
Alain Brun
1. Les pistes de réflexion que je vais développer se sont enrichies des apports fournis par
le travail mené en commun avec des professionnels aussi bien dans le cadre du CNEFEI
(Centre National d’Études et de Formation pour l’Enfance Inadaptée) que dans celui des
formations organisées par L’ARECE (Association de Recherche et d’Études sur la
Communication à l’École).
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les maîtres E n’ont pas reçu la même formation, chacun a mis en place
ses propres cadres de travail, en fonction de sa personnalité, de réfé-
rences théoriques qui lui sont propres, de la spécificité de son contexte
de travail, etc. Chacun pourra donc retenir dans les pistes de travail
que je vais exposer, celles qu’il juge les plus pertinentes pour sa propre
pratique. Enfin, compte tenu des limites imparties, j’ai choisi de ne pas
développer la dimension institutionnelle, en particulier les préalables
institutionnels qui garantissent la fiabilité du fonctionnement du RASED
à l’école2. De même, étant plus particulièrement centré sur la dimen-
sion relationnelle, je ne développerai pas les aspects spécifiquement
cognitifs ou métacognitifs.
2. Sur l’organisation fonctionnelle des RASED, voir Élève en difficulté : les aides spécia-
lisées à dominante pédagogique, Collection « AIS – Adapter les pratiques, intégrer les élèves »,
SCEREN, CRDP Nord-Pas-De-Calais, 2003.
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LA FAMILLE
Le système relationnel
de l’élève
en milieu scolaire
Les Parents
ÉLÈVE
CLASSE
Maître E
Enseignant
ÉCOLE ÉCOLE
RASED
Élèves
Élèves du groupe de la classe
REGROUPEMENT
D’ADAPTATION
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LA FAMILLE
Le système
d’interventions
du maître E
Les Parents
ÉLÈVE
CLASSE
ÉCOLE Maître E
Enseignant
ÉCOLE
RASED
Élèves
Élèves du groupe de la classe
REGROUPEMENT
D’ADAPTATION
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Définition
du champ professionnel
Tâche
à effectuer
CONTEXTE
Objectifs et sous-objectifs de la tâche
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4. Voir J. Bruner, Le Développement de l’enfant : savoir faire, savoir dire, Paris, PUF, 1991
et D. W. Winnicott, Processus de maturation chez l’enfant, Paris, Payot, 1970.
5. D. W. Winnnicott utilise le terme de « suffisamment bonne » pour faire référence à
l’adaptation de la mère aux besoins de son nouveau-né.
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projets, dont la finalité est une production, peuvent être vecteur de recon-
naissance sociale. Le besoin de se faire valoir, de se faire aimer et recon-
naître est constitutif de la représentation de soi. Il est possible d’imagi-
ner que s’établissent entre l’enseignant et l’ensemble des élèves des règles
de coopération interne et que le groupe parvienne à trouver des objec-
tifs qui donnent un sens à la participation de tous les élèves à la classe.
Une réflexion commune peut également être menée autour des jeux rela-
tionnels qui se mettent en place entre l’enseignant et l’élève. Il arrive
parfois que l’intervention répétitive de l’enseignant auprès de l’élève
vienne dans un jeu circulaire amplifier le comportement que l’enseignant
cherche à modifier. S’installe alors une situation où le comportement
difficile « appelle » le contrôle, le contrôle « appelle » le mauvais
comportement et ainsi de suite, dans une interdépendance qui ne favo-
rise pas l’autonomie. Il importe d’analyser à plusieurs et dans différents
contextes si les messages adressés à l’élève permettent de maintenir une
relation de dépendance, favorisent une relation d’indépendance, déve-
loppent une autonomie opératoire, par exemple sous la forme d’un contrat
entre adulte et enfant, qui stipule les buts à atteindre. C’est l’enfant qui
a ici la responsabilité de choisir les méthodes permettant d’y parvenir.
– La famille
Même si la réponse à la « situation problème » est à rechercher dans
le contexte où elle se produit, le projet d’aide dans la classe et le projet
d’aide spécialisée peuvent profiter des informations apportées par la
famille. L’enseignant et le maître E peuvent établir une relation de
collaboration avec les parents afin de résoudre le problème de l’enfant.
Il est alors essentiel que chacun, parents et professionnels, garde l’entière
responsabilité de sa fonction par rapport à l’enfant : fonction parentale /
fonction pédagogique. La reconnaissance de ces compétences spécifiques
garantit en effet l’efficacité d’un travail en partenariat.
Conclusion
Face à une situation problème, une demande, un changement à
mettre en place, un conflit à gérer, etc., il semble important de prendre
en compte le ou les contextes dans lesquels le problème est signalé. Il
est nécessaire d’identifier les systèmes inclus dans cette problématique.
L’analyse de la situation permet de faire le choix d’une intervention sur
le ou les systèmes les plus pertinents en relation avec cette situation sin-
gulière. La mise en place d’une aide spécialisée n’est pas automatique-
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Bibliographie
Augras N. et A. Brun, « Les effets pragmatiques de la pensée systémique dans
nos pratiques professionnelles », Changement 2, no 3, 1995, pp. 47-52.
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scolaire ? », La Nouvelle Revue de l’AIS, no 22, 2003, pp. 81-88.
Brun A., « L’apport de la psychologie dans la pratique du maître E », Élève en
difficulté : les aides spécialisées à dominante pédagogique, Collection AIS
« Adapter les pratiques, intégrer les élèves », SCEREN CRDP Nord Pas-de-
Calais, 2003, pp. 33-60.
Brun A., « De l’individu au système, du système à l’individu », Singulier Pluriel –
L’individu et / ou le groupe dans la relation d’aide, Actes du XIIe Congrès de la
FNAREN, Auxerre, 1996, pp. 67-77.
Bruner J., Le Développement de l’enfant – Savoir faire, savoir dire, Paris, PUF, 1991.
Cosnefroy L., Méthodes de travail et démarches de pensée, Bruxelles, De Boeck,
1996.
Evequoz G., « L’approche systémique des troubles de l’apprentissage », Psychologie
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Les Cahiers de Beaumont, Dysfonctionnement cognitif et apprentissages, no 74/75,
1997, pp. 11-15.
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Winnicott D. W., De la pédiatrie à la psychanalyse, Paris, Payot, 1992.
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La pédagogie spécialisée
On va parler de pédagogie spécialisée dans un sens large pour dési-
gner le mode d’approche de tout enseignant spécialisé adoptant une
approche « clinique », son point de départ n’étant pas autre chose que
le cas de l’enfant, de tel enfant. Dans un sens plus étroit, la pédagogie
spécialisée pourra définir l’approche psychopédagogique du maître
spécialisé qui aide un ou des élèves à réussir des apprentissages, en
surmontant les obstacles cognitifs et émotionnels qui les empêchent.
• Définition
Tout le développement qui suit part du principe que la relation d’aide,
en tant qu’elle prend en compte et s’efforce d’entendre et d’accueillir la
problématique à la fois globale et singulière de chaque élève en difficulté,
est ce qui caractérise la « pédagogie spécialisée » dans son ensemble.
Relation d’aide et pédagogie spécialisée n’existent que sur la base de pro-
jets individuels : il n’y a pas de pédagogie spécialisée en général. Entendons
ici par « pédagogie », dans un sens très général, l’action réfléchie d’un
enseignant visant à faire entrer des élèves dans les apprentissages sco-
laires : d’une part, accès aux premiers éléments d’une culture élaborée
(travaillée, objet d’étude, conduisant à l’élaboration de « savoirs ») ; d’autre
part, acquisition de compétences « instrumentales » (maîtrise de la langue
écrite et des éléments de base – usuels – des mathématiques) par le déploie-
ment d’une activité cognitive interactive, langagière et logico-conceptuelle,
mettant en jeu les éléments ou rudiments du savoir, celui-ci ressortissant
en fin de compte (même si c’est encore de manière éloignée) à la culture
« savante ». Quant à la « pédagogie spécialisée », elle doit être comprise,
en premier lieu, comme l’ensemble des actions d’un enseignant « spécia-
lisé », qui visent à aider, à rendre possible une telle entrée dans les appren-
tissages et, tout simplement, à rendre possible, pour chacun des élèves,
l’acte d’apprendre quelque chose de « scolaire » et de se mettre à étu-
dier. Elle définit ensuite naturellement l’action des enseignants spécialisés
avec des élèves qui éprouvent depuis longtemps de grandes difficultés à
apprendre : cette action n’est plus simplement construite à partir d’objec-
tifs d’apprentissage (objectifs didactiques), comme c’est le cas dans l’ensei-
gnement ordinaire, mais à partir des élèves eux-mêmes et de leurs diffi-
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Il est bien plutôt nécessaire que soit mise en œuvre une relation péda-
gogique :
– qui soit effectivement d’abord une relation (entre des sujets) avant
d’être une « action »1 ;
– qui se construise à partir du rapport que l’élève lui-même entretient
subjectivement avec ses propres difficultés pour apprendre, quelle que
soit leur nature, sachant que le rapport en question ne va pas ou plus
de soi, et cela, de manière durable et non accidentelle : ce rapport est à
considérer comme inscrit dans l’histoire du sujet. C’est bien pourquoi la
pédagogie spécialisée part de la singularité de chaque cas et s’achemine
ensuite, s’il le faut, vers un projet collectif, et non l’inverse.
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Travail avec l’enfant, mais horizon scolaire, tels sont en résumé les res-
sorts communs des démarches de suivi psychologique et d’aide rééducative.
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remédier. Qu’il faille « médier » les difficultés, c’est certain ; qu’il faille
entreprendre d’y remédier, cela demande une clarification des
conditions. Le paradoxe est ici que la pédagogie spécialisée repose sur
la possibilité, et donc sur le droit, qui doit être reconnu à l’enseignant
spécialisé, de suspendre les objectifs didactiques, de suspendre l’acte
d’enseigner ou même l’acte de mettre les élèves en situation d’ap-
prentissage (ce qui définit ordinairement la pédagogie). Suspendre ne
signifie ni supprimer ni abolir : l’acte pédagogique spécialisé doit se
suspendre lui-même (en cela il est « métapédagogique ») pour laisser
être l’élève tel qu’il est, pour le laisser se « déplier » alors qu’il est plié
sous la contrainte scolaire – contrainte qui demeure par ailleurs légi-
time parce que socialisante et humanisante. Les difficultés scolaires, on
le sait, ne sont pas que des difficultés pour apprendre et les difficultés
d’apprentissage ne sont pas que de nature cognitive. Si tel était le cas,
l’enseignement spécialisé n’aurait pas lieu d’être et les « solutions péda-
gogiques » (effectifs réduits, plus grande attention à chaque élève, res-
pect des rythmes d’apprentissage individuels, etc.) devraient suffire. Une
« bonne » pédagogie ordinaire devrait permettre de réaliser le mythe
de l’égalité des chances entre des enfants potentiellement égaux. Or,
l’égalité, si elle correspond à un concept valide en mathématiques, en
droit et en morale, ne correspond à aucune réalité de fait, ni naturelle
ni sociale. De ce point de vue, elle n’est qu’idéologique. Dans la réa-
lité, il n’y a que des différences et des inégalités. Des différences avan-
tageuses et d’autres désavantageuses, quelle qu’en soit par ailleurs l’ori-
gine. Il y aura toujours des enfants pour lesquels des facteurs
constitutionnels ou acquis induiront une inadaptation ou un désavan-
tage plus ou moins considérable eu égard aux impératifs socialement
(et non individuellement) déterminés de l’école. Il faudra donc toujours
de l’enseignement spécialisé, dès lors que la scolarisation est devenue
un impératif social majeur.
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logée dans la psyché de l’élève qui la vit (et qui n’en a pas pour autant
une conscience claire), c’est une approche plutôt « psychopédagogique »
qui est requise. Il s’agit dès lors de prendre en compte le « monde per-
sonnel » de l’élève : le considérer comme un sujet unique et singulier
qu’il faut rencontrer, écouter, afin de l’aider à instaurer ou à restaurer
le désir d’apprendre, la confiance en soi, l’efficience intellectuelle en lien
avec la découverte du sens des apprentissages. De tels objectifs et une
telle démarche s’inscrivent dans le cadre d’un projet d’aide individuel,
quelles que soient par ailleurs les modalités d’organisation de cette aide
et même dans le cas où la mise en œuvre de celle-ci s’effectue collecti-
vement (en petit groupe). Le premier problème à résoudre sera certai-
nement d’obtenir de l’élève l’acceptation et même le désir d’être aidé et
de s’en sortir : un individu en souffrance commence toujours par ne pas
vouloir qu’on l’approche…
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La mission de l’École
La question se pose ici de la légitimité d’une telle aide à l’école (et
non pas à l’extérieur), dès lors que cette aide implique l’histoire privée de
l’enfant (et non plus seulement son histoire, même personnelle et singu-
lière, d’élève). Remontons aux grands principes et rappelons la mission de
l’École : instruire, transmettre des connaissances, faire acquérir des savoirs
aux enfants, et plus particulièrement, les savoirs instrumentaux ou com-
pétences que sont les savoir-lire/écrire/calculer, etc. L’instruction des enfants
participe à et participe de l’éducation dans la mesure où elle s’inscrit dans
le projet éducatif global qui mobilise la famille, la société et l’État. En
arrière-plan, que ce soit de manière consciente et explicite ou non, l’édu-
cation renvoie à une conception du monde, de l’homme, de la société et
de l’État, donc de la Cité ou de la politique et du rapport entre l’homme
et la Cité. C’est ainsi que se pose la question de savoir si l’École (au-delà
de l’instruction privée et non collective) procède de la « société civile »
– et si elle relève donc plutôt des initiatives libres et spontanées des indi-
vidus, des familles, des communautés d’appartenance (locale, ethnique,
religieuse, etc.) – ou si l’École relève plutôt de l’État comme institution
unifiante et intégratrice (voire totalisante) dans une république / institu-
tion détentrice du pouvoir politique et de la force publique3.
est mis sur la singularité du sujet. « Symbolique » comporte une dénotation anthropolo-
gique (organisation signifiante du monde propre à un groupe humain. Voir C. Lévi-Strauss,
en particulier dans « Introduction à l’œuvre de Marcel Mauss », in Marcel Mauss, Sociologie
et anthropologie, Paris, PUF, 1950 ; mais comme le langage est un fait social et que l’ordre
symbolique est intériorisé de manière singulière par l’individu, on peut parler, comme le
fait Lacan, du « registre symbolique » comme registre psychique. On a donc affaire à deux
dimensions, psychologique et anthropologique (auxquelles se rajouterait la dimension lin-
guistique), de la même réalité.
3. Les théoriciens libéraux sont toujours méfiants à l’égard du caractère potentiellement
totalitaire de tout État, dès lors que ce dernier exerce son emprise ou son contrôle sur les
initiatives des citoyens, et en particulier sur l’École. Est-il légitime que l’ordre politique
représente l’instance suprême de l’existence humaine, comme c’est le cas à l’extrême de la
logique du « tout État » que représentent les régimes totalitaires et, potentiellement pour
n’importe quel État ? À l’inverse, les théoriciens « républicanistes » mettent en avant les
dérives individualistes et les facteurs de dissolution du corps politique (d’une cité compo-
sée de citoyens) et, partant, du corps social lui-même, qu’engendre le libéralisme démo-
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Dans les deux perspectives, l’École fait en tout état de cause institu-
tion (d’où le « é » majuscule) au sens où elle est instituée socialement,
voire politiquement, pour instituer précisément les enfants, les faire entrer
dans un ordre institué, impliquant la transmission et l’appropriation de
savoirs et de compétences reconnus comme socialement et civiquement
nécessaires. L’École est, de ce point de vue, l’institution qui, par excel-
lence, médiatise le rapport entre famille et société, voire entre famille et
Cité (au sens où elle éduque, entre autres, à la citoyenneté). C’est la
raison pour laquelle elle représente un enjeu politique et idéologique
majeur. Par sa nature même, l’École, en tant qu’institution sociale, dis-
pute l’éducation à la famille et à la sphère privée ou bien, si l’on veut
dire les choses autrement, l’éducation repose dialectiquement à la fois
sur l’appartenance immédiate (à la famille, à la sphère de la vie privée)
et sur l’arrachement et la séparation en vue de l’accession à la sphère
sociale, ce qui suppose que soit instituée la médiation, qui assure la sortie
de la vie « immédiate » (biologique et affective) : c’est cette médiation
institutionnalisée que, de manière privilégiée, représente l’École.
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4. Primat relatif, dans la mesure où la famille n’exerce jamais un pouvoir absolu sur
l’enfant.
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Le suivi psychologique
• Définition
Le suivi ne revêt pas de caractère formellement contractuel. Il signifie
en premier lieu que l’institution scolaire, en l’espèce le réseau chargé des
aides spécialisées, n’abandonne pas un cas difficile dès lors qu’il y a eu
signalement, autrement dit dès l’instant où la situation d’un élève en dif-
ficulté a été portée à sa connaissance : le cas est dès lors « suivi », et ce
suivi est de la responsabilité du réseau dans son entier.
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Les aides
Lorsque la situation déborde la capacité de réponse du réseau, le
suivi psychologique permet d’orienter les parents vers une aide extérieure
de nature thérapeutique. Ici, des enjeux non scolaires, essentiellement
familiaux (pour ne rien dire d’une pathologie avérée ou à vérifier), sont
reconnus trop importants et trop prégnants pour qu’une aide puisse être
sérieusement apportée dans et par l’École. Lorsqu’un réseau prétend
prendre en charge des problématiques dans lesquelles l’École n’a mani-
festement pas de place, il pervertit sa mission et succombe au fantasme
de l’intervention toute-puissante.
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d’aide et de progrès »), mais l’on ne parle pas ici d’aide ou d’interven-
tion spécialisée auprès d’un élève (laquelle suppose un mode d’interven-
tion d’un autre registre). C’est pourquoi les aides proprement spécialisées
vont devoir être organisées hors de la classe, sauf dans des cas vraiment
exceptionnels.
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5. Ouvrons ici une rapide parenthèse sur les usages de la métacognition, ses dérives et
ses illusions. Les processus cognitifs étant largement inconscients, faire appel prématuré-
ment à la conscience métacognitive (l’élucidation de ses propres opérations par le sujet)
comme à la solution peut mettre des élèves en difficulté encore plus en difficulté : tantôt
la métacognition va aider, tantôt non. Elle ne peut pas constituer la base du travail d’aide,
ni prendre la place d’un travail effectif sur les opérations, lequel s’accompagne d’ailleurs
généralement d’une activité métacognitive spontanée (mais toujours récursive), celle dont
précisément l’enfant a besoin pour construire ses procédures.
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supprimé les classes d’adaptation comme elles ont supprimé les classes
de perfectionnement, mais elles ont rattaché ces dernières aux réseaux
plutôt qu’aux écoles, et en ont fait une modalité de l’aide spécialisée à
dominante pédagogique. Mais si l’on distingue aides spécialisées (le maître
non spécialisé restant institutionnellement garant des apprentissages en
classe) et enseignement spécialisé (qui implique des apprentissages sco-
laires et ne constitue pas seulement un contrepoint à ces apprentissages),
il est clair que l’enseignement spécialisé ne peut pas véritablement se
définir comme une simple modalité de l’aide « à dominante pédago-
gique ». Pourtant, le maître E est supposé être un membre à part entière
du réseau ; il participe à ses réunions de synthèse, etc.
Sauf à entériner (de manière peut-être provisoirement réaliste ?) l’exis-
tence dans certaines écoles de classes spécialisées « fermées » dites d’adap-
tation et ressemblant fort à des classes de perfectionnement, on est
conduit à l’idée de classes d’adaptation « ouvertes », à temps partiel (sur
le temps des apprentissages fondamentaux). Un travail d’équipe et un
projet pédagogique conjoint s’imposent, afin de garantir la cohérence de
la double référence, pour les élèves, à la fois à leur classe d’origine et à
la classe spécialisée. Cette dernière constitue alors plutôt un groupe d’aide
quotidien aux apprentissages, et se différencie en cela des regroupements
hebdomadaires ou bihebdomadaires. On peut dès lors envisager le travail
du maître E dans un continuum entre la classe et les regroupements, et
non plus dans une opposition difficilement compatible avec la logique de
réseau. Cela suppose la référence constante à des projets individuels d’aide
ou d’enseignement adapté, et dans tous les cas, des partenariats avec les
enseignants des classes ordinaires.
6. On peut aussi avoir affaire à une absence d’activité d’apprentissage (ou à une acti-
vité défaillante) plutôt qu’à des difficultés cognitives à proprement parler.
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Le cognitif et le symbolique
On voit qu’il n’y a pas de solution de continuité entre le champ
rééducatif et le champ que nous avons appelé métapédagogique, mais
plutôt un basculement de perspective qui laisse envisager la base concep-
tuelle double (cognitif-symbolique) sur laquelle va s’effectuer l’analyse de
la demande d’aide et des difficultés de l’élève, l’indication ou le choix de
l’aide et, enfin, sa mise en œuvre.
L’enfant ne « fonctionne » évidemment pas de façon séparée sur les
plans cognitif et symbolique. Au cours des séances, il y aura, dans un cas
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L’évaluation de l’aide
Au terme du processus d’aide, évaluer consiste à se demander si
les objectifs ont été atteints ou non. De même que ces objectifs ont fait
l’objet d’un accord contractuel entre plusieurs protagonistes, de même
c’est ensemble – principalement avec l’auteur de la demande d’aide ini-
tiale (l’enseignant), mais également avec l’enfant – que le jugement éva-
luatif peut être posé : qu’est ce que chacun en pense aujourd’hui, au bout
du chemin parcouru ? Dans le même esprit, on peut également faire le
point périodiquement, en se donnant des rendez-vous d’étape.
Via ce dernier point peut être l’un des objectifs non écrits de l’aide :
la reconnaissance de l’enfant en tant qu’élève par ses deux parents, lorsque
cette reconnaissance n’a pas été possible dès le début. De fait, un enfant
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ne saurait vraiment devenir un élève que s’il a perçu chez ses parents le
désir qu’il grandisse, qu’il leur échappe sans pour autant se sentir aban-
donné. C’est pourquoi obtenir patiemment la venue du père à l’école
représente parfois l’objectif fondamental : c’est cette présence qui per-
mettra à l’enfant de se sentir autorisé à apprendre et à accéder à l’écrit
(la langue de la séparation ou langue « paternelle »).
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entrée dans la vie scolaire et les apprentissages), le mieux que l’on puisse
faire alors est d’agir avec prudence et en plein accord avec les enfants et
leurs parents, en faisant clairement référence dans le projet à cette situa-
tion de « pas encore ». Dans cet esprit, on s’interrogera sur l’opportu-
nité d’une aide en petit groupe (dans le cadre d’un projet de prévention
primaire ou secondaire) ou d’une aide individuelle impliquant relation
duelle et face-à-face avec un adulte. Disons que l’on aura affaire dans ce
cas à une « aide préventive » d’inspiration pédagogique ou rééducative
(mobilisant des compétences spécialisées) plutôt qu’à une aide spéciali-
sée stricto sensu. On évitera ainsi en particulier de « rééduquer » de jeunes
enfants qui commencent à peine à être « éduqués ».
On voit que si les mots et les distinctions terminologiques ont leur
importance, il s’agit surtout de se mettre d’accord, par la discussion, sur
le sens qu’on leur donne, plutôt que de s’enfermer dans des significations
supposées intangibles : les mots ne seront jamais que des points de vue
relatifs sur les choses…
• La prévention tertiaire
Pour finir, notons que certains vont jusqu’à parler de prévention ter-
tiaire lorsqu’il s’agit de combattre l’aggravation majeure, voire critique,
de difficultés avérées. Bien entendu, il faut toujours s’efforcer de pré-
venir le pire. Il faut cependant bien admettre, une fois encore, qu’au
moment où des difficultés considérées comme suffisamment importantes
ont pu être reconnues chez tel ou tel élève (ou même chez tel ou tel
groupe d’élèves), nous entrons indiscutablement dans le domaine de la
remédiation, autrement dit de la démarche d’aide reposant sur un projet
individualisé : la vocation du réseau d’aides spécialisées reste bien avant
tout d’intervenir de manière personnalisée et individualisée (même dans un
petit groupe) auprès d’élèves qui rencontrent des difficultés actuelles – et
non pas qui risquent d’en rencontrer –, même si de telles interventions s’ins-
crivent toujours dans une perspective de prévention, en référence à l’avenir
de chaque enfant.
C’est pourquoi le réseau, en référence à sa mission de prévention, se
doit de collaborer activement avec les écoles, dans le cadre de leur projet
et après concertation, pour autant que les objectifs inscrits dans ces pro-
jets justifient le recours aux compétences spécialisées de ses membres.
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Conclusion
La réussite du travail en RASED est un défi qui requiert un projet
de réseau régulièrement revu (en particulier chaque fois qu’un nouveau
collègue entre dans l’équipe). Elle nécessite en outre une bonne com-
munication avec les écoles du secteur d’intervention et passe également
par la mise en lien et en harmonie du projet du réseau avec les diffé-
rents projets d’école. C’est d’autant plus un défi que les conditions maté-
rielles permettant de mettre en œuvre les missions du RASED ne sont
pas toujours satisfaisantes. Il reste que les équipes de réseaux peuvent
accomplir un travail d’une grande utilité en aidant des élèves à
reprendre pied dans leur scolarité, ce qui représente une approche par-
ticulièrement pertinente de la prise en compte de leurs « besoins édu-
catifs particuliers » : au lieu d’intervenir d’emblée et de manière naïve
dans le but de combler des manques ou de redresser des comporte-
ments, il s’agit d’abord d’accueillir un sujet tel qu’il est et là où il en
est, et de lui offrir (proposer) un espace et un temps lui permettant de
s’ouvrir, de se « déplier » intellectuellement et affectivement ou émo-
tionnellement au lieu de se replier sur lui-même ; le but étant qu’il
reconquière, par un travail intérieur, disponibilité et efficience face aux
contenus des apprentissages, mais aussi face à l’acte même d’apprendre
et aux enjeux personnels de cet « acte ».
Prendre en compte sérieusement et dans sa complexité la probléma-
tique du sujet requiert des approches complémentaires, qui ne doivent
pas seulement être juxtaposées et extrinsèques chacune aux autres, mais
qui doivent s’opposer ou se distinguer seulement comme des « domi-
nantes ». De ce point de vue, les trois types d’approches que l’on doit
normalement rencontrer dans tout réseau constituent une bonne com-
plémentarité, bien « triangulante ».
Prendre en compte la dimension du sujet chez l’élève nécessite et jus-
tifie en outre les démarches de détours. Ces dernières mettent momen-
tanément à distance les contenus scolaires immédiats, et permettent d’y
revenir autrement que de la manière qui n’a pas réussi, essentiellement
en permettant de la part du sujet un changement de rapport au « sco-
laire ». Si une telle prise en compte du sujet est ainsi indispensable toutes
les fois que celui-ci se trouve traversé intérieurement par tout ce qui rend
difficile sa scolarité, c’est précisément parce que ce que donne à voir et
en même temps masque ou occulte cette scolarité, c’est le rapport sub-
jectif et par conséquent « invisible » de l’élève à l’école et aux appren-
tissages. Ce rapport ne saurait être isolé artificiellement du rapport plus
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Le questionnement
d’explicitation : un outil
pour accompagner l’enfant
dans l’accès aux savoirs
Monique Croizier-Pré
L’ école primaire est une période décisive. Elle est responsable du chemin
qui permettra à chacun d’arriver à son niveau d’excellence et doit donc
agir avec précaution et souci, au sens philosophique du terme, c’est-à-dire
avec une préoccupation inconditionnelle et permanente pour ses élèves.
Je souhaite ainsi avant tout resituer l’usage de l’entretien d’explicitation
dans une problématique éthique et pédagogique, avec la proposition sui-
vante : si nous ne voulons plus réserver aux bons élèves les bénéfices de
la scolarité mais faire partager ces derniers au plus grand nombre, si nous
voulons conduire chacun à son niveau d’excellence, alors nous devons de
toute évidence repenser l’accompagnement des enfants dans l’accès aux
savoirs. Dans une première partie, je reviendrai sur l’un des éléments qui
déterminent, d’un point de vue cognitif, la réussite scolaire ; dans une
seconde partie, je présenterai le questionnement d’explicitation comme
moyen privilégié pour accompagner les enfants dans l’accès aux savoirs.
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Le questionnement d’explicitation : un outil pour accompagner l’enfant dans l’accès aux savoirs
construit donc au gré des vécus personnels, des rencontres avec des adultes,
conduisant l’enfant à être sujet de son désir plutôt qu’objet de désir.
L’une des réponses possibles et peu exploitée aujourd’hui est d’offrir à
l’élève un espace de réflexion sur son action, ses difficultés, ses ressources.
Il doit apprendre à mettre en perspective ce qu’il a déjà fait, à prendre le
temps de le verbaliser face à un adulte médiateur qui l’écoutera sans inter-
prétation mais qui organisera ainsi sa rencontre avec lui-même.
Nous disposons pour cela d’un outil d’accompagnement naturel que
nous savons pourtant bien peu utiliser, à savoir le questionnement. Si
l’on regarde, en effet, la place accordée au questionnement de l’élève à
l’école, on réalise qu’il se réduit souvent à la mise en œuvre de procé-
dures de contrôle et d’évaluation normative – « Dis-moi ce que tu sais
pour que je puisse t’évaluer » –, ou à des échanges à caractère social. Or,
si le langage est la manifestation de l’intelligence de l’enfant, la moda-
lité la plus pertinente pour donner à la parole l’occasion de développer
son pouvoir structurant, me semble être aujourd’hui l’explicitation2.
L’entretien d’explicitation
Quand la classe n’offre pas, ou pas suffisamment, à l’élève la pos-
sibilité d’apprendre la capacité à se conduire soi-même, c’est là que se
trouve l’enjeu de l’aide spécialisée à dominante pédagogique.
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3. Piaget le souligne dans sa théorie de la prise de conscience quand il dit que cette der-
nière répond à un problème d’adaptation au réel, à un manque, à une lacune, à un obs-
tacle.
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Le questionnement d’explicitation : un outil pour accompagner l’enfant dans l’accès aux savoirs
Vers l’autonomie
L’hypothèse théorique sous-jacente est que lorsque l’élève maîtrise
les règles de l’usage de la médiation proposée (l’entretien d’explicitation),
il doit devenir capable d’appliquer celles-ci de manière autonome. Il
pourra alors prendre en charge – phénomène nouveau – la régulation
consciente de sa conduite. Il se constituera comme sujet et objet de sa
propre activité régulatrice. Si l’on modélise l’accès à cette autonomie
métacognitive comme dans le cadre de la théorie vygotskienne, on peut
supposer que les régulations internes seront l’application à soi-même des
contrôles initialement exercés par autrui. Je m’inscris ainsi à l’intérieur
de cette théorie du développement qui va de l’interpsychique à l’intra-
psychique donc d’une conduite réflexive consciente médiatisée, par le
questionnement d’explicitation, à une conduite réflexive autonome. À
long terme, il doit y avoir intériorisation par l’enfant de la médiation uti-
lisée par l’enseignant.
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Conclusion
Pour conclure, je rappellerai que l’enfant, pour réussir à l’école,
doit se libérer des conditionnements passés et présents qui l’entravent,
en identifiant ce qui le constitue comme sujet agissant. La personnalité
humaine ne perçoit pas et ne connaît pas seulement les objets du monde
dans lequel elle vit : elle peut également se prendre comme objet de sa
propre connaissance afin de découvrir ce qu’elle ignore d’elle-même. Il
est bon de créer, pour cela, un cadre contenant qui permette à l’appre-
nant de se risquer à se découvrir sans craindre de se perdre, de trouver
la place où il cesse de nous intéresser comme objet de nos classifications.
En d’autres termes, il convient d’organiser la rencontre particulière entre
l’enfant et lui-même. Le cadre du regroupement et l’usage de l’explicita-
tion permettent, me semble-t-il, cette rencontre.
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TROISIÈME
PARTIE
Des approches
spécifiques
et préventives
dans le cadre
des apprentissages
fondamentaux
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Mireille Brigaudiot
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1. Pour être intéressante, une histoire doit être découverte par les
enfants.
2. Pour qu’ils soient actifs, les enfants doivent deviner l’histoire avant
qu’on ne leur la lise.
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3. Après la lecture, et afin que l’on soit sûr qu’ils ont bien compris, les
enfants doivent répondre à des questions, au fur et à mesure que l’on tourne
les pages du livre, et remettre dans l’ordre les illustrations de l’histoire.
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que je pense que c’est une histoire qui peut vous intéresser. Voilà la cou-
verture et voilà son titre, c’est écrit Marlaguette6, c’est le nom de la petite
fille qui est dessinée là. Et vous allez connaître son aventure. » Il peut aussi
ajouter : « On voit aussi un loup sur cette couverture et dans les histoires
pour les enfants, le loup est souvent celui qui fait peur, mais vous allez voir
que ce n’est pas si simple ! » Cette remarque vise deux effets :
6. Marlaguette, ainsi que tous les autres albums cités dans cet article, sont des albums
du Père Castor, Éditions Flammarion.
7. Nous parlons alors de « lecture-cadeau ». Voir Mireille Brigaudiot, Première maîtrise
de l’écrit, CP, CE1 et secteur spécialisé, Paris, Hachette, 2004.
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8. Le terme acquisition renvoie ici au fait qu’il s’agit d’une capacité cognitive s’installant
lentement chez l’enfant, de la naissance à 7-8 ans, et qui passe par des étapes « dévelop-
pementales » à condition de vivre dans un milieu efficient.
9. J. W. Astington, Comment les enfants découvrent la pensée – La « théorie de l’esprit »
chez l’enfant, Paris, Retz, 1993.
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elle lui donne ainsi envie de la croquer ; mais elle ne prend ce risque
que dans le but de l’éloigner de Poule Rousse) que Roule Galette (le renard
simule la surdité pour que la galette s’approche et se fasse croquer).
Voici les comportements de quelques enfants de moyenne section qui
ont travaillé sur Roule Galette en petite et en moyenne sections. On est
ici en passations individuelles. Après avoir expliqué aux enfants que ce
qui nous intéresse est ce qu’ils ont compris de l’histoire de Roule Galette,
nous leur posons d’abord quelques questions relatives aux personnages,
c’est-à-dire aux éléments de l’histoire auxquels ils attribuent sentiments
et pensée : « Tu te souviens QUI il y a dans cette histoire ? » (Q1) ; « Est-
ce qu’il y a quelqu’un qui chante dans cette histoire ? » (Q2) ; « Est-ce qu’il
y a quelqu’un qui parle dans cette histoire ? » (Q3). Puis, nous leur posons
une question plus abstraite : « Dans cette histoire, le lapin n’arrive pas à
manger la galette, le loup et l’ours non plus. À ton avis, comment ça se fait
que le renard arrive, lui, à manger la galette ? » (Q4).
Cohorte PS/MS avec des maîtres ayant Cohorte PS/MS avec des maîtres
lu le texte, commenté les images, ayant expliqué, montré, fait mimer le
travaillé en images séquentielles. fait qu’il s’agit d’une galette maligne
qui tente des animaux et qui
s’échappe, mais qui trouve plus malin
qu’elle, en la personne du renard.
Q2 Tous les enfants, sauf un, répon- Tous les enfants, sauf un, répondent :
dent : « la galette ». « la galette ».
Q4 La réponse est unique : « Eh ben, La réponse est la même pour tous, mais
elle s’approche et il peut la trois enfants apportent une précision :
manger. » « Parce qu’il dit “je suis vieux, je suis suis
saure” », « parce qu’il fait semblant d’être
vieux », « ben, il l’a fait s’approcher ».
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Les enfants qui ont le plus de mal à s’intéresser à ces subtilités d’his-
toires écrites illustrées le montrent : ils se retirent des regroupements
consacrés aux histoires, en jouant à autre chose à ce moment-là, en évi-
tant le coin-bibliothèque ou en ne regardant que les images. Le meilleur
moyen de les apprivoiser et de les habituer à la fréquentation de ces
écrits est de leur montrer tout ce qu’ils peuvent faire, eux, avec leur
intelligence.
10. J. D. Bruner, Le Développement de l’enfant, Savoir-faire savoir dire, Paris, PUF, 1991.
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M SF SF E SF
M + E
E M
Dans cet article, nous avons souhaité mettre l’accent sur le dispositif 1.
Les enfants les plus fragiles en ont en effet grand besoin : le plus sou-
vent, ils sont dans un milieu familial qui n’a pas la « culture intellec-
tuelle » qu’ont d’autres enfants. Les enfants dits de milieux favorisés sont
en effet sollicités en permanence à la maison : « Tu te souviens, la voi-
sine de Papi elle avait des poules, elle disait mes cocottes » ; « alors, je vais
penser à un animal et tu dois le trouver, par exemple je te dis elle a des
plumes et une crête, c’est une ? » ; « là elle dit “attrape-moi si tu peux”, ça
veut dire qu’elle est coquine, elle fait semblant de se faire attraper », etc.
Et l’on sait que, souvent, les parents n’expliquent et ne montrent, ne
posent des questions que lorsqu’ils savent que les enfants possèdent la
réponse à coup sûr.
Lorsque, par le langage, les adultes font des liens entre éléments réfé-
rentiels du monde (le perçu partagé, comme les poules dans les exemples
précédents) et activités mentales au sujet de ces éléments (comme se sou-
11. Id. Le sigle PROG de l’équipe correspond aux premières lettres de Progressivité des
apprentissages.
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On peut faire le pari, même avec des enfants qui ont du mal à se fixer
sur des activités intellectuelles, que la construction de « la pensée sur la
pensée » est le résultat sans doute le plus intéressant des activités sur les
albums de littérature de jeunesse. Les maîtres E ont là toute une palette
d’interventions possibles.
Nous allons évoquer un autre domaine dans lequel les activités men-
tales des enfants sont essentielles à la préparation au CP : la découverte
du principe alphabétique.
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– l’enfant voit un adulte qui a les yeux sur un support et une bouche
qui raconte ;
– en écoutant l’histoire, l’enfant se construit des images mentales, une
sorte de film montrant l’aventure de ce perroquet ;
– lorsqu’il est face à différents supports, il ne peut pas attribuer à
l’adulte une autre activité intellectuelle que la sienne – voir des images –
tant qu’il ne sait pas que la lecture est décodage de signes écrits. C’est
seulement lorsque la lecture est totalement acquise et que les enfants
renvoient au célèbre « faire le bruit des lettres pour lire » comme repré-
sentation de la lecture en tant qu’activité cognitive particulière qu’ils peu-
vent montrer une feuille uniquement écrite comme support lu.
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Cet exemple montre que Sonia est au clair avec l’acte de lire : il en
existe deux types, celui des non-lecteurs (qu’elle appelle « lire », mais qui
recouvre une quête de sens) et celui des lecteurs (qui se fait sur de l’écrit
non illustré). C’est seulement après de nombreuses « démonstrations »
que Sonia a pu en arriver là. Une autre expérience indispensable à la
construction de cette représentation est le fait que Sonia a assisté maintes
fois à la lecture à voix haute, par un adulte lecteur, de textes qu’elle avait
elle-même dictés. La reconnaissance phonique (sonore) de leur propre
discours met les enfants sur la voie de la nature symbolique de l’écrit.
Cette représentation une fois acquise, il leur reste à comprendre par quel
mystère du langage peut être transporté à l’aide d’une feuille de papier
sur laquelle figurent des signes. C’est la valeur des lettres qu’ils doivent
découvrir.
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14. Apprendre à lire, Observatoire National de la Lecture, Paris, CNDP / Odile Jacob, 1998.
15. La procédure est dite logographique lorsque le sujet traite les mots comme des images.
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peut croire alors qu’en réalité, il ne fait que le dessiner. Voici une façon
de le montrer, en discutant avec Redan :
– Qu’est-ce que tu as fait là ?
– Mon prénom (on remarque qu’il ne dit pas « j’ai écrit »).
– Bien ! Et est-ce que tu peux me dire s’il y a des lettres dans ton prénom ?
Redan, très perplexe, ne répond pas et semble perdu.
– Est-ce que tu pourrais écrire des lettres ?
Redan réfléchit un moment, puis se met à tracer des lettres et des
pseudo-lettres16.
– Bien ! Je vois des lettres. Et il faut que je te dise quelque chose : tu
t’appelles Redan et moi, dans une autre école, je connais un enfant qui
s’appelle Dan. Tu pourrais essayer d’écrire son nom ?
Redan réfléchit à nouveau. Puis, il se met à tracer d’autres lettres (B,
F, P, A.) et des pseudo-lettres, sans s’arrêter.
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Tableau 1
A 7/33 → 21 % 1/33 → 3 %
B 6/28 → 21 % 6/28 → 21 %
C 15/29 → 52 % 10/29 → 34 %
D 27/38 → 71 % 13/38 → 34 %
Dans ce premier tableau, nous avons compté tous les tracés dans les-
quels nous considérions que des lettres avaient valeur sonore : Lola est
écrit « Lol », « LAL », « Lula », « Lel » (première colonne) et Tom est
écrit « Tem », « Tol », « Toel », « Tom », etc.
On remarque que le mot de type CVCV est plus facile à écrire que le
mot en CVC où la voyelle est « étouffée » par la consonne finale. C’est
l’une des hypothèses que nous voulions vérifier. D’ailleurs, tous les enfants
ayant réussi l’encodage de Tom (ils sont 30, soit 23 %) ont également
réussi l’encodage de Lola alors que l’inverse n’est pas vrai.
Au-delà de ce résultat global, la disparité entre les écoles est énorme :
les écoles A et B comptent moins d’un tiers d’enfants performants alors
qu’on atteint plus de 70 % de réussite dans l’école D17.
17. Nous ne connaissons pas ces écoles : elles ont été choisies par des collègues conseillers
pédagogiques, auxquels nous avions fait une demande par courrier. Cependant, nous savons
que l’école A est en ZEP (21 % de réussite pour Lola). Or nous venons de terminer une for-
mation PROG de 3 ans avec des maîtres de deux écoles ZEP de Gennevilliers et bien que
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Nous allons maintenant regarder tous les tracés obtenus avec la seule
commande d’écriture de Lola.
Tableau 2
nous n’ayons pas terminé les bilans, nous avons autour de 80 % de réussite à cette épreuve
en fin de grande section. Il n’y a donc pas de fatalité du milieu socio-culturel : l’attitude
des maîtres est bien déterminante. À suivre sur le site : http ://www.mireillebrigaudiot.com
18. Jacques Fijalkow, Entrer dans l’écrit, Paris, Magnard, 1993.
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On le voit, les activités intellectuelles des uns et des autres sont tou-
jours sous le projecteur : c’est ce qui caractérise l’école.
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des mots. L’écrit est sans doute le domaine où elles égarent les enfants
les plus fragiles. Ni le fait de nommer des objets dessinés, ni celui de
reconnaître des mots, ni celui de dire le nom des lettres ne donne la clé
du mystère de notre code21. Et avant le CP, c’est bien de ça dont il s’agit.
Les maîtres E sont les mieux placés pour faire ce travail, complexe mais
passionnant.
21. Un bel exemple est donné dans la recherche : C. Préneron, C. Meljac, S. Netchine,
dir., Des enfants hors du lire, Bayard-INSERM-CTNERHI, 1994. Parmi les croyances des
enfants de 9-10 ans toujours non-lecteurs, « lire, c’est nommer des lettres. En conséquence,
le recours exclusif à l’épellation remplace la mise en correspondance phonie-graphie. Dans toutes
les méthodes, on parle des lettres en les nommant, mais les sujets que nous avons observés en
restent à cette nomenclature sans la transformer en un système dynamique… La lettre fonc-
tionne comme un substantif aussi peu susceptible de transformation qu’une table ou une chaise :
c’est une table, c’est un b, c’est un a », pp. 177 et suiv.
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André Ouzoulias
I l est évident que l’écriture d’un texte est plus difficile que sa lecture.
Cette plus grande difficulté tient au fait que l’auteur doit prendre expli-
citement en charge diverses caractéristiques du texte (son organisation et
sa cohérence, sa mise en mots et sa cohésion, son orthographe, etc.) qui
peuvent rester implicites pour celui qui le lit. J’ai donc pleinement
conscience du paradoxe qu’il y a à défendre le point de vue selon lequel,
chez le grand débutant, sous certaines conditions pédagogiques, l’écriture
de textes est plus facile que la lecture, à considérer que l’écriture peut
précéder la lecture et qu’elle est même le meilleur moyen de prévenir
les difficultés dans l’apprentissage de la lecture ou d’y remédier.
J’essaierai tout d’abord d’expliciter en quoi l’écriture de textes, si courts
soient-ils, dès la GS et de plus en plus fréquemment tout au long du
cycle 2, peut constituer, pour les élèves les moins expérimentés en lecture,
une appropriation accélérée de notre système d’écriture. Ces moments où
les élèves écrivent avec l’aide de l’adulte leur permettent en effet de se
doter de toutes sortes de connaissances cruciales dans l’apprentissage de
la lecture. Je serai alors amené à rappeler diverses recherches qui éclai-
rent à la fois la difficulté d’apprendre à lire et le rôle des situations d’écri-
ture dans cet apprentissage.
Je présenterai ensuite une démarche et des techniques qui permettent
aux enfants non lecteurs de prendre en charge une grande part des textes
qu’ils écrivent et d’aller plus loin que dans la dictée à l’adulte. Les par-
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ticipants1 seront mis en situation d’utiliser ces techniques dans une écri-
ture exotique dans laquelle ils ne sont pas lecteurs. Ils verront alors, je
l’espère, en quoi, dans ces conditions pédagogiques particulières, l’écri-
ture est plus facile que la lecture.
Puis, j’en viendrai à la question des situations d’écriture. Au-delà de l’incon-
tournable récit de vie, on peut proposer aux élèves d’écrire de nouveaux
textes en transformant localement un texte-matrice, qui sert de point de
départ. J’appelle ce second type de situation des « situations génératives ».
J’évoquerai enfin la question de l’exécution matérielle de l’écriture des
textes et, plus précisément, les problèmes pédagogiques posés par l’appren-
tissage de la cursive.
D’où, les quatre parties de cette contribution :
1. De fortes raisons de faire écrire pour enseigner la lecture
2. Comment faire écrire des enfants non lecteurs ?
Un procédé pédagogique pour « dépasser » la dictée à l’adulte
3. Privilégier deux sortes de situation d’écriture :
le récit de vie et les « situations génératives »
4. Le problème de l’exécution matérielle des textes (la cursive)
Toutefois, il me faut indiquer d’emblée de quelle façon le maître E
peut s’inspirer de cette approche dans l’aide aux élèves en grande diffi-
culté face à l’écrit. Si cette approche lui apparaît, comme je vais essayer
de le montrer, à la fois adaptée aux possibilités de ces élèves et efficace
pour les aider à réussir, le maître E peut la mettre en œuvre de deux
façons, non exclusives l’une de l’autre :
a) Il peut favoriser l’usage de cette méthodologie dans les classes elles-
mêmes, en fin de GS et au CP. Cette pratique peut en effet « s’accli-
mater » à des démarches très différentes en lecture ; le maître E inter-
vient alors « en second » au sein même de la classe, par exemple pour
aider les élèves les moins expérimentés à utiliser les outils d’autonomie.
b) Il peut s’appuyer sur cette démarche en regroupement d’adaptation.
Cela signifie que les enfants pris en charge sont alors mis dans un « micro-
monde », avec ses propres règles de fonctionnement, ses outils d’autono-
mie et ses références, sa mémoire, etc. Comme le montre l’expérience, le
transfert se fait forcément en classe ordinaire, quelles que soient la méthode
de lecture et la démarche en production de textes utilisées par l’enseignant.
1. Ce texte est le compte rendu d’un atelier animé par l’auteur lors de la Journée natio-
nale de la FNAME à l’IUFM d’Antony en novembre 2003.
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La production de textes courts pour prévenir les difficultés dans l’apprentissage de la lecture
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La production de textes courts pour prévenir les difficultés dans l’apprentissage de la lecture
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déjà lu qu’il faut récapituler… tout en se projetant déjà dans le mot sui-
vant et sa première syllabe…
On sait bien qu’en situation de lecture, le débutant peut se laisser aveu-
gler par le local (l’illustration, le mot, la syllabe, le graphème, la lettre,
la tache d’encre, etc.) et oublier le global (le sens du texte). On voit que
ce risque est fortement minimisé en situation d’écriture.
C’est ainsi également que, lorsqu’il redit son texte, l’enfant ne peut pas
l’ânonner, car il sait ce qu’il a écrit. Et, ce faisant, il se construit, avant
de savoir lire, le schème de la lecture orale, c’est-à-dire d’une lecture qui
ressuscite l’oralité vive. C’est à cette oralité que le pédagogue pourra faire
référence, en cas de problème, lors de situations de lecture à voix haute :
« Comment fais-tu quand tu dis les textes que tu as écrits ? » Car, alors,
par-delà la segmentation du texte en mots, des mots en syllabes et des
syllabes en lettres, et par-delà le langage même, c’est la représentation
mentale qui renaît à chaque nouvelle diction.
3. Voir, par exemple, Emilia Ferreiro, L’Écriture avant la lettre, Paris, Hachette, 2000 :
ce livre rassemble divers articles scientifiques traduits pour la première fois en français.
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La production de textes courts pour prévenir les difficultés dans l’apprentissage de la lecture
Précisons que les enfants qui réagissent comme Thomas ont générale-
ment une première conception graphique de ce que doit être le mot écrit :
il doit avoir trois lettres au moins et il faut un minimum de variété dans
les lettres employées dans une même graphie. Mais cette notion gra-
phique du mot ne signifie pas nécessairement que les mots écrits repré-
sentent, pour l’enfant, des unités du langage, avant même toute com-
préhension de la graphophonologie. Ce que l’enfant appelle « un mot »
à l’écrit peut, en fait, être confondu avec la notion de nom. Du reste,
cette confusion possible devrait nous amener à relativiser les effets du
travail sur la lecture des prénoms en maternelle. Ce travail ne peut suf-
fire à favoriser la compréhension du système écrit. Il se peut même que
cela renforce, chez les enfants les moins avancés, la conception picto-
graphique de l’écriture. Que se passe-t-il en effet dans la tête de Fatou,
qui, toute fière de reconnaître son prénom écrit sur une étiquette posée
au milieu d’autres, s’exclame : « C’est moi ! », comme si elle se désignait
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elle-même sur une photo ? A-t-elle compris que pour écrire « un gros
chat court après une petite souris », il ne suffira pas d’écrire « chat » et
« souris », c’est-à-dire le nom des deux entités sémantiques (le gros chat
et la petite souris) qu’elle se représente alors, mais d’autres choses encore ?
Malheureusement, l’enfant ne peut guère s’appuyer sur son expérience
de l’oral pour comprendre ce qu’est un mot. En effet, comme le mon-
trent divers travaux de ces vingt dernières années en psycholinguistique,
la notion de mot n’est pas naturelle, elle ne dérive pas des connaissances
lexicales manipulées implicitement dans la production de l’oral, mais pro-
vient d’une analyse intentionnelle de l’oral à partir du modèle qu’en
donne une écriture qui segmente les mots4. L’expérimentateur demande
par exemple à des personnes appartenant à des sociétés de tradition orale
de répéter « en petits morceaux » l’énoncé suivant : « Pierre a ramassé
trois gros champignons dans la forêt de St Martin. » Pour ce faire, il leur
donne l’exemple d’un énoncé similaire segmenté en mots : « Mes voisins
ont un gros chien noir qui aboie toute la journée », puis « Mes/voi-
sins/ont/un/gros/chien/noir/qui/aboie/toute/la/journée5 ». Il obtient cette
segmentation : « Pierre/a ramassé/trois gros champignons/dans la forêt
de St Martin », c’est-à-dire une segmentation en syntagmes. Parfois, le
sujet lie deux syntagmes (« Pierre a ramassé ») ou scinde le plus long
(dans la forêt/de St Martin). Les psycholinguistes parlent alors de clauses,
c’est-à-dire de segments qui sont isolés dans la prosodie (Freinet parlait
de « groupes de souffle »). Si l’expérimentateur insiste en répétant les
deux formes de l’énoncé qui sert d’exemple (« Mes voisins ont un gros
chien noir qui… », puis « Mes/voisins/ont/un/gros/chien/noir/qui… »), il
obtient souvent cette nouvelle segmentation : « Pierre/a/ra/ma/ssé/
trois/gros/cham/pi/gnons/dans/la/fo/rêt/de/St/Mar/tin », c’est-à-dire la seg-
mentation en syllabes. L’expérimentateur obtient plus que le mot (la
clause) ou moins que le mot (la syllabe), mais jamais le mot (ou alors
très localement).
Clause et syllabe sont les deux unités naturelles de l’oral, c’est-à-dire les
segments qu’il est possible d’isoler intentionnellement, avant tout appren-
tissage de la lecture. On peut même penser que ni les Grecs ni les Romains
n’auraient mieux réussi, car leur écriture ne segmentait pas les mots (le
« blanc » entre les mots n’a été introduit dans l’écriture du latin qu’aux
4. Voir par exemple David Olson, L’Univers de l’écrit. Comment la culture écrite donne
forme à la pensée, Paris, Retz, 1998.
5. Les barres obliques représentent des silences.
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La production de textes courts pour prévenir les difficultés dans l’apprentissage de la lecture
Ve et VIe siècles de notre ère). Notons en tout cas qu’on retrouve des résul-
tats convergents chez les enfants de 5 à 7 ans lorsqu’il s’agit de tâches
de comptage de mots6 et que la difficulté à produire intentionnellement
la segmentation de l’oral en mots persiste bien au-delà de cet âge chez
de nombreux enfants. Qu’on songe aussi au fait que cette notion ne cesse
de s’enrichir au cours du développement (cf. par exemple, le problème
de l’apostrophe qui sépare deux mots ou le problème plus savant des
mots composés de deux morphèmes tels que « porte-monnaie » ou
« portefeuille », ou encore celui des temps composés où il faut deux
unités pour un verbe).
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Figure 1
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La production de textes courts pour prévenir les difficultés dans l’apprentissage de la lecture
qu’on dit d’abord et que les lettres « man » représentent la syllabe [mã],
c’est-à-dire que le début d’un mot écrit correspond aussi à ce qu’on com-
mence par prononcer, que la fin du mot écrit note ce qu’on entend à la
fin du mot. Mais il est sur le chemin : les mots écrits lui apparaissent
déjà comme des stimuli visuels particuliers, des stimuli orientés, qu’il faut
traiter de gauche à droite.
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mémoire. Les élèves qui pensent que pour mémoriser un mot, il faut le
« photographier », mais qui ne disposent pas de l’épellation pour analy-
ser le mot écrit sont évidemment en difficulté dans des tâches comme la
copie différée (le mot est perçu, puis caché et l’élève doit le restituer).
On en vient souvent à incriminer une déficience de la mémoire visuelle,
alors que, très souvent, c’est précisément parce que les enfants doivent
recourir à une mémoire d’images qu’ils se trouvent en difficulté pour
mémoriser des mots.
c) Pour que l’enfant puisse s’interroger sur des régularités qui le met-
tront sur la voie de la compréhension du principe alphabétique, il lui faut
impérativement connaître le nom des lettres. Comment pourrait-il com-
prendre que, dans le « Ma » de « Maman », la lettre « a » représente
le [a] qu’on entend dans [ma], s’il ne sait pas que cette lettre s’appelle
« a » ? L’enfant qui sait que la lettre « m » s’appelle « êm », dispose en
outre d’un indice qui peut l’aider à comprendre les variations corrélatives
de ma –> [ma], pa –> [pa], ta –> [ta], la –> [la], etc., car le nom de la
lettre contient le phonème consonantique qu’il faut abstraire. Mais qu’en
est-il de celui qui décrit la lettre « m » comme « un grand pont » ?
d) D’une manière plus générale, ne pas savoir dire le nom des lettres
d’un mot donné, c’est se retrouver exclu de nombreux échanges en classe
sur la façon dont les mots s’écrivent, c’est se retrouver en grande diffi-
culté pour apprendre la cursive et pour concevoir cette écriture comme
une écriture en « lettres attachées ».
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La production de textes courts pour prévenir les difficultés dans l’apprentissage de la lecture
8. Voir, en annexe 1 (p. 199), les 70 mots qui constituent 50 % de tous les mots de
n’importe quel texte français.
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La production de textes courts pour prévenir les difficultés dans l’apprentissage de la lecture
10. Voir, par exemple, Anne-Marie Chartier, Christiane Clesse et Jean Hébrard, Lire
écrire 2 : Produire des textes, Paris, Hatier, 1998, pp. 81-120.
11. Danielle De Keyzer, Apprendre à lire et à écrire à l’âge adulte : la méthode naturelle
de lecture-écriture pour les apprenants illettrés débutants, Paris, Retz-PEMF, 1999.
12. Cette cassette est diffusée par le CDDP des Yvelines.
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• Exemple de support
Début novembre, dans une classe de GS de la banlieue de Paris, des
élèves élaborent le texte ci-dessous en situation de dictée à l’adulte.
L’enseignante remarque qu’ils aiment revenir à ce texte, imprimé et pré-
senté dans l’album collectif de la classe, dans une typographie conven-
tionnelle (on revient à la ligne juste avant d’atteindre l’extrémité droite
du support). Elle décide d’en faire un texte-référence pour les ateliers
d’écriture et en fait un affichage qui se présente à peu près comme ci-
dessous (il est segmenté en clauses) :
Au bois
Vendredi 5 novembre,
on est allé au bois
avec Martine et Sylvie.
On a ramassé
des feuilles marron,
des jaunes,
des rouges
et des vertes.
On les a collées
et ça a fait
un grand bonhomme d’automne.
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La production de textes courts pour prévenir les difficultés dans l’apprentissage de la lecture
l’écrit par trois mots. L’organisation en lignes-clauses donne ainsi aux non-
lecteurs un pouvoir de localisation des unités écrites qu’ils n’auraient pas
sur un texte écrit conventionnellement : cela nécessiterait qu’ils sachent
segmenter ce texte en mots, c’est-à-dire qu’ils sachent déjà un peu lire.
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dans le titre), « poule » (dans « Une poule sur un mur »), etc. Certes, il
manquera la lettre correspondant au pluriel de « plumes », mais tout le
reste pourra être copié sans erreur. Cette lacune serait, pour un débu-
tant, l’occasion d’un dialogue avec l’enseignant sur le « s » du pluriel
(que celui-ci pourrait demander d’ajouter).
Répétons que ces repérages sont facilités pour les grands débutants si
l’on utilise effectivement une segmentation en clauses. Par exemple, « il
y a longtemps » et « que je t’aime » sont alors écrits sur deux lignes. De
même, la relative « qui picorait du pain dur » est alors scindée en deux
lignes-clauses : « qui picorait / du pain dur ». L’apprenti peut alors retrou-
ver plus facilement le groupe de mots « du pain dur », qui est déjà isolé.
Et celui qui sait reconnaître « du » peut alors retrouver « du pain dur »
encore plus directement, si, par exemple, il a besoin du mot « pain ».
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• Dictée-recherche
C’est la tâche par laquelle nous avons commencé. Quand un élève est
capable de retrouver les divers éléments d’un texte qu’on lui dicte, il est
parfaitement capable de chercher tout seul divers éléments d’un texte
dont il a lui-même élaboré le projet, pour pouvoir les copier.
Et voici maintenant deux exemples avec des éléments pris dans la base
des cinq textes :
– « Πρετε−µοι δυ παιν ετ δε λ’ηυιλε », soit :
« Prête-moi du pain et de l’huile. »
– « Υν εσχαργοτ σ’εν ϖα δανσ λεσ βοισ », soit :
« Un escargot s’en va dans les bois. »
Cette même tâche peut ensuite être proposée sur des cartons collec-
tifs ou individuels que l’enseignant aura fabriqués, d’abord en respectant
la segmentation d’origine (un espace plus grand entre deux éléments
empruntés à des clauses différentes), puis en supprimant ces indices dès
que c’est possible. Au tout début, on peut faciliter cette tâche en utili-
sant des étiquettes de couleur différente : si l’affiche du texte « Au clair
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La production de textes courts pour prévenir les difficultés dans l’apprentissage de la lecture
de la Lune » est jaune, si celle du texte « Une poule sur un mur » est
rose, si celle de « La souris verte » est verte, etc., les étiquettes qui repren-
nent des éléments de ces textes seront respectivement jaunes, roses et
vertes : cela aide les participants à identifier le texte auquel renvoient les
différentes étiquettes utilisées pour composer cette phrase. Il en va de
même avec des enfants non lecteurs.
• Production de phrases avec des étiquettes où figurent
des éléments du (des) texte(s)
L’enseignant a préparé un jeu d’étiquettes collectives sur lesquelles
figurent des éléments du texte nouvellement travaillé (ou de plusieurs
textes). Ces étiquettes peuvent être assemblées dans un ordre tel qu’il
permet de former une phrase sensée (l’enseignant aura choisi les élé-
ments pour qu’ils permettent de produire facilement une phrase). Avec
les étiquettes suivantes, issues de nos cinq textes-références :
υνε πουλε εστ θυι ιλ ψ α ϖερτε. ∆ανσ λ’ηερβε,
on pourrait, par exemple, former la phrase :
∆ανσ λ’ηερβε ιλ ψ α υνε πουλε θυι εστ ϖερτε.
soit : « Dans l’herbe, il y a une poule qui est verte. »
En supprimant la majuscule, la virgule et le point, on peut aussi com-
poser alors :
ιλ ψ α υνε πουλε θυι εστ δανσ λ’ηερβε ϖερτε
ou ιλ ψ α υνε πουλε ϖερτε θυι εστ δανσ λ’ηερβε
soit : « il y a une poule qui est dans l’herbe verte »
ou « il y a une poule verte qui est dans l’herbe. »
Là encore, s’il s’agit d’éléments appartenant à plusieurs textes, on peut
adopter un code de couleur qui aide les élèves à déterminer le texte
auquel renvoie le groupe de mots (ou le mot) qui figure sur une éti-
quette : la couleur du papier de l’étiquette est la même que celle du texte
d’origine. On introduit progressivement de la complexité et des mots ou
groupes de mots inutilisables pour former une phrase. La même tâche
peut être ensuite proposée individuellement avec des étiquettes indivi-
duelles, puis avec des étiquettes sur fond blanc.
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Sur le plancher…
Sur le plancher,
une araignée
se tricotait des bottes.
Dans un flacon,
un limaçon
enfilait sa culotte.
J’ai vu dans le ciel
une mouche à miel
pincer sa guitare.
Les rats tout confus
sonnaient l’angélus
au son de la fanfare.
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La production de textes courts pour prévenir les difficultés dans l’apprentissage de la lecture
Cette comptine contient en effet quelques mots très fréquents (sur, le,
une, se, des, dans, un, sa, tout, au, de) et l’expression « j’ai vu », courante
dans les textes des élèves.
On intègre ensuite progressivement à la base collective de textes-réfé-
rences tel ou tel texte produit par tel ou tel élève, précisément parce qu’il
répond aux deux critères énoncés ci-dessus (intérêt sémantique et contenu
linguistique).
13. Des exemples de tels textes, rédigés par des enfants de GS, ont été donnés plus haut.
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La production de textes courts pour prévenir les difficultés dans l’apprentissage de la lecture
La souris verte
Une souris verte
Qui courait dans l’herbe,
Je l’attrape par la queue,
Je la montre à ces messieurs.
Ces messieurs me disent :
« Trempez-la dans l’huile
Trempez-la dans l’eau,
Ça fera un escargot tout chaud ! »
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La vache bleue
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La production de textes courts pour prévenir les difficultés dans l’apprentissage de la lecture
Figure 2
• Autoportrait
On propose le « formulaire » suivant :
Je m’appelle ……… .
Je suis une fille /un garçon.
J’ai les cheveux ……
et les yeux …… .
Je suis né(e) le…… .
Je mesure ……
et je pèse …… .
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La production de textes courts pour prévenir les difficultés dans l’apprentissage de la lecture
• Voici ma famille
Ma maman s’appelle …… .
Elle est brune (blonde, châtain)
et elle a les yeux …… .
Mon papa s’appelle …… .
Il est brun (blond, châtain)
et il a les yeux …… .
J’ai … frère(s)
qui s’appelle(nt) ………
et … sœur(s)
qui s’appelle(nt) ……… .
Cette présentation écrite est accompagnée d’une illustration légendée
où figurent les membres de la famille (père, mère, frères et sœurs). Les
mots-nombres peuvent être écrits en lettres. On pourra ensuite augmen-
ter ce portrait de famille avec les rubriques suivantes :
J’ai … grands parents,
… grand-mère(s) et … grand-père(s).
J’ai … oncles … et … tantes.
• Nicolas aime le chocolat
C’est la classique construction poétique où l’on cherche à faire rimer
le prénom des élèves de la classe avec un mot (nom ou adjectif), et à
trouver le verbe ou le groupe verbal qui permet de relier ces deux élé-
ments (Fabien, chien –> Fabien voudrait bien un chien).
Cette activité peut être menée en deux temps : on construit collecti-
vement la comptine rimée, puis chaque enfant écrit son vers. Si cette
comptine contient une certaine diversité de verbes, de noms et d’adjec-
tifs, elle devient un excellent texte-référence.
• Si j’étais…
Si j’étais un animal,
je serais un(e) ……… .
Si j’étais une plante,
je serais un(e) ……… .
Si j’étais un personnage d’histoire,
je serais ……… .
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La production de textes courts pour prévenir les difficultés dans l’apprentissage de la lecture
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• Les crêpes
On part de la lecture par l’adulte de l’album Les Crêpes de la collec-
tion « Histoire de mots14 », chez PEMF (2000), dont voici le début :
C’est mardi gras. Le lapin a fait une crêpe au sucre. « Qui veut ma
crêpe au sucre ? » demande le lapin. « Moi, je veux une crêpe à la
mouche » dit la grenouille. « Moi, je veux une crêpe à la souris » dit le
chat. « Moi, je veux une crêpe à l’herbe » dit le mouton. Etc. Cela se
termine par : « Moi, je veux une crêpe au lapin » dit le renard.
Il est possible d’augmenter cet album (conçu sur le modèle de Bon appé-
tit ! Monsieur Lapin15) de plusieurs autres répliques intermédiaires à partir
d’une liste d’animaux et de proies ou d’aliments : crocodile-grenouille, girafe-
feuilles d’arbres, lion-antilope, baleine-crevettes, crapaud-moustiques, loup-
agneau, ours-miel, cochon d’Inde-pomme, canard-graines, etc.
14. Dans la même collection, chez PEMF, il y a également Les Ciseaux, qui se prête au
même genre d’expansion.
15. Claude Boujon, Bon appétit ! Monsieur Lapin, Paris, École des Loisirs, 1985.
16. Élizabeth Brami, Les Petits Riens qui font du bien et qui ne coûtent rien, Paris, Seuil
Jeunesse, 1997.
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La production de textes courts pour prévenir les difficultés dans l’apprentissage de la lecture
Après une lecture orale faite par l’adulte, on peut proposer aux élèves
d’écrire à leur tour « leurs petits riens ». Voici un exemple de produc-
tion dans un CP : « Faire un bouquet d’herbe et le sentir. Se coucher sur
l’herbe et regarder les étoiles. Cueillir des fleurs pour sa maman. Inventer
des choses. Boire du chocolat chaud le matin. Rester dans son lit pour
dormir. Jouer. Aller au restaurant. Bien manger. S’amuser sur son lit. Voir
bouger son ombre. […] Aller à La Villette. Écrire dans la boue. Aller à
la piscine. Faire des pliages. […] Jouer avec un chapeau. Rêver. » Chaque
phrase est produite et illustrée par un enfant ; l’ensemble peut ensuite
être rassemblé dans un nouvel album.
Divers autres ouvrages d’Élizabeth Brami se prêtent à des prolonge-
ments ou à des transformations. Citons, par exemple, Moi je déteste,
maman adore ; Moi j’adore, la maîtresse déteste ; Drôle de maman. Les
deux premiers livres peuvent donner lieu à des prolongements. Le troi-
sième peut également donner lieu à une transformation (on pourra ainsi
faire écrire un « Drôle de maîtresse ! »).
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Des yeux pour regarder Un nez pour sentir La bouche pour chanter,
mon petit chat qui dort, les fleurs, crier,
le soleil qui se couche, la fumée, sourire,
mon petit frère qui joue, le poulet rôti, dire des bêtises,
les étoiles qui brillent la nuit, le parfum, faire des bulles,
maman qui sourit, la confiture de framboises, manger,
l’arc-en ciel après la pluie. du gâteau au chocolat. dire non,
faire des bisous.
Des oreilles pour écouter La tête pour rêver,
le miaulement du chat, réfléchir, Le cœur pour vivre,
la maîtresse, garder des secrets, aimer sa famille,
papa et maman, penser à son ami, avoir confiance,
de la musique, dire non. être heureux,
le chant des oiseaux, être triste.
une chanson à la télévision, Des mains pour caresser maman,
l’aboiement du chien. un bébé, Des pieds pour marcher
ma sœur, dans la rue,
Des mains pour écrire le chat, dans la cour,
des mots doux, une fourrure, sur le gazon,
les chiffres, mon papa, sur le matelas,
une lettre à mamie, mon frère. à l’école,
un poème, sur le sable.
les jours de la semaine,
une dictée,
l’écriture.
Le ventre pour dormir à plat ventre,
faire un bébé,
mettre une ceinture,
faire la danse du ventre,
digérer la nourriture.
• Portraits d’animaux
On part de l’album de Lynda Corazza, Chaussettes (1996). Chaque
double page est construite sur le même modèle :
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ficulté dans ce domaine ne freinait pas l’ensemble des activités dans les-
quelles les enfants sont sollicités pour écrire ! L’apprentissage de la cal-
ligraphie devrait pourtant apparaître comme un problème sérieux pour
les écoles françaises, si l’on tient compte du fait que la France est l’un
des très rares pays dans lesquels les enfants écrivent en cursive dès le début
de l’école élémentaire. En effet, dans la plupart des autres pays compa-
rables sur le plan de l’éducation (USA, Grande-Bretagne, Allemagne,
Canada, y compris le Québec, pays scandinaves, etc.), la cursive n’est
enseignée qu’en 3e ou en 4e année d’école élémentaire. Les pédagogues
de ces pays pensent que la cursive est difficile à exécuter, qu’elle
« mange » beaucoup de temps en apprentissages gestuels, qu’elle fait
obstacle à une écriture abondante et qu’elle ajoute un troisième alpha-
bet qui complique la compréhension du système de l’écrit pour les débu-
tants. Ces pédagogues privilégient l’écriture en lettres détachées, qu’on
appelle « script ». Ils y voient aussi un moyen de renforcer l’apprentis-
sage de la lecture, car les lettres scriptes ont des formes plus voisines
des lettres imprimées que les lettres cursives.
Pourquoi ce choix, qui paraît de bon sens, n’est-il pas aussi celui des
écoles françaises ? Y a-t-il des raisons qui justifieraient le choix de l’ensei-
gnement de la cursive dès le début du CP ? Ces questions conduisent à
analyser à la racine celle du choix de l’écriture initialement enseignée :
avant de répondre au « comment », il convient de répondre au « pour-
quoi ». Nous commencerons par comparer les deux sortes d’écriture. La
conclusion à laquelle nous aboutirons est la suivante : il vaut mieux ensei-
gner la cursive le plus tôt possible, sans passer par la scripte. Puis, nous
analyserons ce que veut dire « le plus tôt possible » et nous dégagerons
trois conditions (neurologique, cognitive et pédagogique), qui doivent être
réunies lorsque l’on enseigne la cursive. Nous présenterons et justifierons
enfin les choix qui nous paraissent les plus appropriés :
– faire écrire en capitales jusqu’au mois de mars en GS, ce qui permet
aux enfants d’écrire abondamment et d’économiser, en grande partie, le
temps consacré en maternelle à ce qu’on appelle le « graphisme » (l’écri-
ture en capitales remplit alors le même rôle de préparation motrice à
l’écriture cursive) ;
– enseigner la cursive de façon rigoureuse et systématique à ce moment
(± mars en GS) et entraîner quotidiennement les enfants jusqu’à ce qu’ils
puissent écrire directement leurs textes en cursive (cette substitution d’une
graphie à l’autre se réalisant à des rythmes différents d’un enfant à l’autre) ;
– avoir le souci constant de favoriser la construction progressive par
les enfants des correspondances entre les principaux alphabets (capitales
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La production de textes courts pour prévenir les difficultés dans l’apprentissage de la lecture
• La rapidité d’exécution
Au terme de l’apprentissage des calligraphies, la cursive est bien plus
rapide à exécuter que la scripte. Cela se comprend aisément : pour
passer d’une lettre à l’autre, voire pour passer d’un trait à l’autre dans
une même lettre, la scripte nécessite de lever et de déplacer l’outil scrip-
teur. Pour écrire le mot « tomber » en script, il faut réaliser 11 traits
(2 pour le t, 1 pour le o, 3 pour le m, 2 pour le b, 1 pour le e, 2 pour
le r) et déplacer 10 fois son outil, alors qu’en cursive, « *tOmber » s’écrit
en 3 traits seulement (deux traits pour le *t, un pour tracer les autres
lettres) et on déplace l’outil 2 fois (pour tracer la barre du t, qu’il vaut
d’ailleurs mieux tracer à la fin, et pour l’attaque du o). En fait, les per-
sonnes qui écrivent couramment en script ont tendance à lier les traits
et les lettres. Par exemple, elles réalisent le m en un seul geste (en
repassant deux fois sur les jambages du m) et lieront le o et le m ainsi
que le e et le r. Mais cela n’équivaut jamais à l’économie procurée par
la cursive. Car tous les parcours inutiles de l’outil (pour repasser sur
187
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des traits ou pour déplacer l’outil sans laisser de trace) sont des temps
morts pour l’écriture elle-même. On a pu mesurer ainsi qu’entre deux
adultes qui écrivent habituellement – l’un en cursive, l’autre en script –,
le premier réalise dans le même temps, entre 1,3 fois et 1,5 fois plus de
lettres ! Si l’on extrapole la quantité d’écriture que rend possible chaque
type d’écriture sur une scolarité, il est évident que la cursive, par sa
bien plus grande rapidité d’exécution, optimise le temps scolaire. Utiliser
la cursive plutôt que la scripte, cela revient en effet à augmenter de 30
à 50 % le temps consacré à écrire, sans modifier le calendrier scolaire
ni les horaires d’école !
On pourrait objecter à cette analyse que l’apprentissage de la cursive peut
se réaliser après celui de la scripte et que l’on conjuguerait alors tous les
avantages : ceux d’un apprentissage initial de la scripte (plus facile et plus
cohérent avec la lecture d’imprimés) et celui d’une écriture rapide que
l’enfant apprend d’autant plus aisément qu’il sait déjà lire et écrire, est même
capable de lire la cursive et a des connaissances orthographiques étendues.
Cette objection a pourtant une faiblesse de taille : les sujets qui automati-
sent l’écriture scripte dans les premières années d’apprentissage ne par-
viennent pas à écrire couramment en cursive. En fait, dans les premiers
temps, ils ont le sentiment d’être ralentis et reviennent dès que possible à
la scripte. Quand on commence par apprendre à écrire en script, l’appren-
tissage ultérieur de la cursive apparaît comme une rééducation et le par-
cours le plus naturel consiste plutôt à optimiser la scripte qu’on maîtrise déjà
(en liant de plus en plus les traits et les lettres). C’est ainsi que les adultes
anglais, allemands ou américains utilisent généralement une « scripte liée » :
le fait de retarder l’apprentissage de la cursive les a installés dans la scripte.
Autrement dit, si l’on n’apprend pas d’emblée à écrire en cursive, on ne
s’approprie pas vraiment cette écriture comme écriture courante.
En résumé, la cursive a certes un coût à l’apprentissage bien plus élevé
que la scripte, mais le bénéfice est considérable pour la suite, dans la sco-
larité comme dans la vie. Et ce bénéfice constitue, à lui seul, un argument
tout à fait décisif pour choisir d’enseigner la cursive le plus tôt possible.
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ne suffit donc pas de bien connaître les minuscules d’imprimerie pour pou-
voir se repérer facilement en cursive ; il faut également s’approprier de
nouvelles formes et la logique de leurs liaisons.
Les résultats d’une recherche que j’ai conduite en 1995 (travail inédit)
montrent que cette difficulté est bien réelle et que, pour certains enfants,
elle dure au moins jusqu’au milieu du CP. Soixante-huit élèves ont été
confrontés, en décembre, à une tâche de copie différée (un mot est pro-
posé au tableau pendant 30 secondes, puis effacé et les enfants doivent le
restituer aussitôt). Les élèves connaissent bien cette tâche car, dans ces
classes, elle est quasi quotidienne depuis le mois de septembre. Il s’agit ini-
tialement de savoir si la taille du modèle (plutôt 7 ou plutôt 15 cm pour
les petites lettres ?) a une influence sur les performances des enfants. Les
élèves sont répartis en deux groupes homogènes A et B par tirage au sort.
Aux uns (groupe A), on demande de restituer les mots « sorcière » et
« dinosaure » (qui n’ont pas été préalablement étudiés en classe) ; « sor-
cière » est écrit en cursive en petite taille au tableau et « dinosaure » est
écrit en cursive en grande taille. Aux autres (groupe B), on demande de
restituer les mêmes mots, mais inversement : « sorcière » est écrit en cur-
sive en grande taille et « dinosaure » est écrit en cursive en petite taille.
A priori, si la taille du modèle au tableau n’a pas d’influence sur la
performance, les groupes A et B, qui sont homogènes, devraient obtenir,
pour chaque mot, un score très voisin. Ce n’est pas ce qu’on observe :
dans les deux groupes, le mot écrit en grande taille est mieux restitué
que le mot écrit en petite taille (voir le tableau page suivante).
Toutefois, l’équipe de recherche est intriguée par le fait que le mot
« dinosaure » est nettement mieux restitué que le mot « sorcière », bien
qu’il comporte une lettre de plus. Une première analyse conduit à penser
que cela tient à la graphophonologie de « sorcière », qui est plus com-
plexe que celle de « dinosaure » : pour des débutants, il est assez facile
de repérer les deux syllabogrammes « di » et « no » dans « dinosaure »,
tandis que l’analyse des syllabogrammes « sor » et « cière » n’est guère
évidente. Mais l’examen des traces écrites des enfants laisse penser éga-
lement qu’ils ont eu plus de difficultés à épeler le mot sorcière du fait du
nombre de boucles. Pour contrôler l’impact éventuel de cette caractéris-
tique, on propose, la semaine suivante, aux deux mêmes groupes de res-
tituer le mot « baleine », à partir d’un modèle écrit en grande taille (on
neutralise donc cette variable) ; mais le modèle donné au groupe A est
en cursive tandis que le modèle donné au groupe B est en script. Dans les
deux groupes, les enfants doivent restituer le mot en cursive. On constate que
la performance est meilleure quand le modèle est donné en script
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A
Cursive petite taille $une *sOrcière 51
(épellation difficile)
B
Cursive grande taille $une *sOrcière 61
(épellation difficile)
B
Cursive petite taille $un $dinoSaure 67
(épellation facile)
A
Cursive grande taille $un $dinoSaure 73
(épellation facile)
A
*une $baleine 74
Cursive grande taille
B
Script grande taille
une baleine 85
Le score global est obtenu ainsi : on note chaque production d’élève sur 8 pour « sor-
cière », sur 9 pour « dinosaure », et sur 7 pour « baleine », car ces mots ont respective-
ment 8, 9 et 7 lettres. Chaque erreur constatée conduit à ôter 1 point (il y a quatre sortes
d’erreurs possibles : l’omission d’une lettre, le remplacement d’une lettre par une autre ou
par un signe illisible, le déplacement d’une lettre, l’ajout d’une lettre). On calcule ensuite la
moyenne du groupe (sur 8, 9 ou 7), que l’on ramène enfin systématiquement à une note
moyenne sur 100. Un score de 51 % pour le mot « sorcière », par exemple, signifie donc
qu’en moyenne les élèves du groupe A ont fait un tout petit peu plus de 4 erreurs sur ce
mot de 8 lettres. Un score de 85 % pour le mot « baleine » signifie qu’en moyenne les élèves
du groupe B ont fait un petit peu plus d’une erreur sur ce mot de 7 lettres.
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ront des parcours qui ne sont pas économiques (par exemple « tourner »
les ronds des *o, *d et *q dans le sens des aiguilles d’une montre, former
des boucles qui ne se croisent pas pour *b, *f, *g, j* , *l, et *y, etc.). Ce ne serait
pas très grave s’il était possible de corriger aisément un geste mal
construit. Hélas, si l’enfant s’habitue quelque temps à écrire ainsi, il prend
un « tour de main » dont il aura du mal à se départir ensuite.
Dans la pédagogie de la cursive, il faut éduquer le geste dès le départ,
sous peine de devoir le rééduquer ensuite, sans garantie de succès au
demeurant. On évite ainsi des désagréments à l’enfant et on lui fait gagner,
ainsi qu’à son maître, un temps précieux. De plus, ce guidage est d’autant
plus efficient que l’enfant aura des connaissances étendues sur l’écriture
des mots en lettres détachées. Là encore, ce n’est pas en précipitant
l’apprentissage qu’on va le plus vite.
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enfants apprennent à gérer ces espaces de façon plus adaptée. C’est cer-
tainement le reflet de progrès conceptuels. Ainsi, dans un premier temps,
à la suite de l’intervention de l’adulte, un mot apparaît aux enfants comme
un groupe de lettres entouré par deux grands espaces. Puis, avec le déve-
loppement de leurs capacités de reconnaissance des mots écrits, les enfants
accèdent à une notion de mot plus sémantique. Progressivement, ils appro-
chent de la notion syntaxique savante.
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les lettres qui ont été ainsi successivement abordées dans les classes expé-
rimentales (rappelons que, dans cette progression, les majuscules cursives
ne sont découvertes qu’en toute fin de CE1).
Remarques diverses
1) Dans chacune des 4 phases de la progression présentée dans le
tableau en annexe 3, les lettres abordées dans la phase précédente sont
consolidées en mémoire visuelle et gestuelle.
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ANNEXE 1
Le vocabulaire fondamental
L iste des « 70 mots essentiels » recensés par V.A.C. Henmon19 dans tous
les textes d’une certaine importance (textes de 2 000 mots au minimum)
et classés par ordre alphabétique.
Ces 70 mots constituent à eux seuls 50 % des mots de tout texte fran-
çais, quel qu’en soit le type ou le thème. Autrement dit, si l’on sait lire
ces mots, on sait lire la moitié des mots d’un texte français.
NB : Les mots soulignés sont des verbes à l’infinitif. En fait, ce sont leurs
flexions (« va », « ira », etc. pour aller ; « était », « sont », etc. pour être, etc.)
qui sont plus souvent rencontrées. Pour connaître les fréquences de ces flexions,
voir Nina Catach, Les Listes orthographiques de base, Paris, Nathan, 1984.
19. Cité par J.-D. Haygood, Le vocabulaire fondamental du français, Droz, Paris, 1937, et
par François Ters et al., Vocabulaire orthographique de base, OCDL, Paris, 1977.
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ANNEXE 2
Présentation d’un
texte-référence avant
l’introduction de la cursive
AU BOIS
VENDREDI 5 NOVEMBRE,
ON EST ALLÉ AU BOIS
AVEC MARTINE ET SYLVIE.
ON A RAMASSÉ
DES FEUILLES
DE TOUTES LES COULEURS.
ON A RAMASSÉ
DES FEUILLES MARRON,
DES JAUNES,
DES ROUGES
ET DES VERTES.
ON LES A COLLÉES
ET ÇA A FAIT
UN GRAND BONHOMME D’AUTOMNE.
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ANNEXE 3
4e phase (CP) : $k $w $œ $ç
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Bibliographie
(Références des ouvrages pédagogiques et des albums cités dans la
3e partie. Les références des autres textes, en particulier les textes scien-
tifiques, sont données en notes en bas de page.)
Boujon, Claude, Bon appétit ! Monsieur Lapin, Paris, L’École des Loisirs, 1985.
Brami, Élizabeth, Les Petits Riens…, Les Petits Délices, illustrations de Philippe
Bertrand, Paris, Seuil Jeunesse, 1997.
Brami, Élizabeth, Moi j’adore, la maîtresse déteste…, illustrations de Lionel
Le Néouanic, Paris, Seuil Jeunesse, 1997.
Brami, Élizabeth, Moi je déteste, maman adore…, illustrations de Lionel
Le Néouanic, Paris, Seuil Jeunesse, 1999.
Brami, Élizabeth, Drôle de maman !, illustrations d’Anne-Sophie Tschiegg, Paris,
Seuil Jeunesse, 2000.
Collectif, Les Crêpes, illustrations de Sophie Ledesma, collection Histoire de mots,
Mouans-Sartoux, PEMF, 2000.
Collectif, Les Ciseaux, illustrations de Cécile Gambini, collection Histoire de mots,
Mouans-Sartoux, PEMF, 2000.
Corazza, Lynda, Chaussettes, illustration d’Alain Kaiser, Rodez, Éditions du
Rouergue, 1996.
Daumas, Micheline et Bordet, Françoise, L’Apprentissage de l’écrit au cycle 2 :
écrire pour lire, Paris, Nathan, 1990.
De Keyzer, Danielle, Apprendre à lire et à écrire à l’âge adulte : la méthode natu-
relle de lecture-écriture pour les apprenants illettrés débutants, Paris, Retz-PEMF,
1999.
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Conclusion
A pprendre, nous l’avons vu, est un processus complexe qui engage l’enfant
au-delà d’une simple transmission du savoir. C’est, pour ce dernier, accep-
ter de se confronter à ses insuffisances et à ses manques, risquer des hypo-
thèses incertaines, accepter de remettre en cause ses représentations… Cette
confrontation, ce long chemin, n’est pas facilement acceptable, surtout pour
ceux qui se sont construits sur l’absence de repères, l’exclusivité de la rela-
tion affective, le refus de la frustration, pour ceux aussi qui s’imaginent que
l’école impose des buts évaluatifs et non pas des buts d’apprentissage.
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Bibliographie complémentaire
Mireille Brigaudiot :
Première maîtrise de l’écrit (CP, CE1 et secteur spécialisé), Paris, Hachette
Éducation, 2004.
Apprentissages progressifs de l’écriture à l’école maternelle, Paris, INRP,
Hachette Éducation, 2000.
La Naissance du langage dans les deux premières années, Paris, PUF, 2002.
Alain Brun :
Articles dans la revue Pratiques psychologiques.
Articles dans la revue Changement 2.
« L’Apport de la psychologie dans la pratique du maître et l’organisation
fonctionnelle des RASED », Élèves en difficulté : les aides spécialisées à
dominante pédagogique, Lille, CRDP Nord-Pas-de-Calais, 2003.
Monique Croizier-Pré :
Motivation, projet personnel, apprentissages, Issy-les-Moulineaux, ESF, 1993.
Guy Hervé :
Intervenir en réseau d’aides spécialisées aux enfants en difficulté : histoires
de Paul, Hugo et Pierre, Paris, Armand Colin, 1997.
Conceptualiser l’écrit, Paris, Hatier, 1999.
« La Littérature de jeunesse face à la mort », Revue Textes et documents
pour la classe (TDC), n° 843, 2002.
Abus sexuel et maltraitance, Paris, Syros, 2003.
Travail de deuil, Paris, Syros, 2001.
Droits de l’enfant, Paris, Syros, 1999.
Je viens de Tahiti, Paris, Syros, 1999.
Les Guerres, la paix, Paris, Syros, 1998.
La Drogue en questions, Paris, Syros, 1998.
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Yves de La Monneraye :
La Parole rééducatrice : la relation d’aide à l’enfant en difficulté scolaire,
Paris, Dunod, 2005.
Jacques Lévine :
Je est un autre : pour un dialogue pédagogie-psychanalyse, Issy-les-
Moulineaux, ESF, 2001.
Pour une anthropologie des savoirs scolaires, Issy-les-Moulineaux, ESF, 2003.
André Ouzoulias :
J’apprends les maths – GS, Paris, Retz, 2002.
J’apprends les maths – CP, Paris, Retz, 2002.
J’apprends les maths – CE1, Paris, Retz, 2002.
J’apprends les maths – CE2, Paris, Retz, 2003.
J’apprends les maths – CM1, Paris, Retz, 2003.
J’apprends les maths – CM2, Paris, Retz, 2003.
MÉDIAL : Moniteur pour l’évaluation des difficultés de l’apprenti lecteur (CP,
CE1), Paris, Retz, 1996.
L’Apprenti lecteur en difficulté : Évaluer. Comprendre. Aider (CP, CE1), Paris,
Retz, 1996.
Favoriser la réussite en lecture : les MACLÉ (Modules d’Approfondissement
des Compétences en Lecture-Écriture), Paris, Retz, 2004.
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MÉDIAL
Comment faire ?
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