­Mardi 5­ septembre 2023
­
79e année – No 24469
3,40 € – France métropolitaine
www.lemonde.fr –
Fondateur : Hubert Beuve-Méry
Directeur : Jérôme Fenoglio
Festival du Monde – Supplément
L’école face à la baisse du nombre des élèves
▶ L’évolution démogra-
phique du pays est telle,
depuis 2010, que le
système scolaire français
devrait perdre environ
400 000 élèves d’ici à 2027
« La “Françafrique”
est morte
depuis longtemps »
▶ Dans un entretien au Monde,
la ministre des affaires étrangères,
Catherine Colonna, évoque
la situation des pays africains
récemment secoués par
des coups d’Etat
Page 4
Catherine Colonna,
à Paris, le 1er septembre.
léa crespi pour « le monde »
Cinéma
La Mostra
de Venise sous
l’influence
des plates-formes
page 21
Vu par Urbs (FRANCE)
Trois jours de rencontres et de spectacles du 15 au 17 septembre
▶ Alors que les cours ont ▶ L’exécutif va devoir faire ▶ Les acteurs de l’éducation ▶ La France est le pays qui
repris lundi 4 septembre, des choix stratégiques estiment qu’il faut en a les classes les plus char-
bien des établissements cruciaux, entre la suppres- profiter pour mieux pren- gées en Europe, avec 22 élè-
pâtissent déjà de ce phé- sion de postes d’ensei- dre en charge les enfants ves contre 19 en moyenne
nomène, variable selon gnant et la réduction du et non diminuer les au sein de l’Union
les territoires mais massif nombre d’élèves par classe effectifs d’encadrement Page s 8- 9 e t Idées page 28
Enquête A Nîmes, un quartier
prisonnier du trafic de drogue
Le quartier nîmois de Pisse- cuser la police et la justice de ne
vin (14 000 habitants), où un en-
fant de 10 ans est mort le 21 août
lors d’une fusillade qui ne le
pas agir : ces dernières années,
les enquêtes et les coups de filet
ont été nombreux. Mais rien
concernait en rien, vit au
rythme des conflits entre trafi-
quants de drogue. Les bandes se
n’arrête les violences, dans un
contexte social de plus en plus
dégradé. « C’est une hydre : si l’on
disputent ce point de vente con- coupe une tête, une autre re-
sidéré comme l’un des plus ren- pousse », résume un avocat,
tables de la ville gardoise, avec Me Fahd Mihih. Depuis 2017, au
plus de 25 000 euros de bénéfi- moins trois réseaux importants
ces par jour. « Une gangrène, un ont été démantelés. Les dossiers
cancer, qui est là et qui pourrit de ces affaires, dont Le Monde a
tout », peste Raouf Azzouz, pré- eu connaissance, aident à dé-
sident des Mille Couleurs, une crypter les coulisses du trafic.
association locale. Difficile d’ac- PAG E 12
Politique Canada
Borne prête à Au Québec,
recourir au 49.3 les ravages
sur le budget du feu « 344 »
La première ministre a Plus de 6 000 feux ont
prévenu, dimanche, qu’elle éclaté au Canada ces neuf
aurait « certainement » derniers mois ; 1 063 res-
recours à cet article de la tent actifs, dont 686 jugés
Constitution pour le vote hors de contrôle. La forêt
de la loi de finances 2024 boréale est en souffrance
Page 13 Page s 14- 15
Audiovisuel Colombie
La difficile
Economie
La stratégie de
Delphine Ernotte reconversion L’humanité mercredi 6 septembre
Cunci, présidente de des producteurs
de coca
dans l’impasse
France Télévisions
pag e 1 6 pag e 2 du plastique
Rien ne semble pouvoir
ralentir la croissance
Cartooning for Peace du marché des matériaux
plastiques, dont le volume
est appelé à tripler d’ici
à 2060. Le recyclage
est à la peine et aucun
produit de substitution
n’est encore à la hauteur
des enjeux écologiques
pag es 1 8 -19
éditoria l
1
Le blocus
du Haut-Karabakh
doit cesser
P ag e 30 L’ABUS D’ALCOOL EST DANGEREUX POUR LA SANTÉ, À CONSOMMER AVEC MODÉRATION
Algérie 220 DA, Allemagne 4,50 €, Andorre 3,90 €, Autriche 4,20 €, Belgique 3,70 €, Espagne 3,90 €, Grèce 3,90 €, Guadeloupe-Martinique 3,70 €,
Hongrie 1 790 HUF, Italie 3,90 €, Luxembourg 3,80 €, Maroc 28 DH, Pays-Bas 4,30 €, Portugal cont. 3,90 €, La Réunion 3,70 €, Sénégal 2 500 F CFA, Suisse 4,80 CHF, Tunisie 5,50 DT, Afrique CFA autres 2 600 F CFA
 International
2|
Un paysan
dans une
plantation
de coca, dans
le Guaviare
(Colombie),
le 2 juin.
NADÈGE MAZARS
POUR « LE MONDE »
Reportage
Département du Guaviare
(Colombie) - envoyée spéciale
L
a peau tannée par le soleil
brûlant, Wilmer Alberto
Mena contemple les
quelques cocaïers encore
debout. Sa parcelle se trouve en
lisière de la forêt amazonienne,
dans le département colombien
du Guaviare. « Les gouverne-
ments précédents nous ont bien
bernés, enrage-t-il. La coca per-
mettait, au moins, de manger. »
Comme tous les paysans de la ré-
gion, Wilmer Alberto a arraché
ses cocaïers – l’arbuste dont on
tire la cocaïne – après l’accord de
paix signé en 2016 avec la guérilla
des Forces armées révolutionnai-
res de Colombie (FARC).
Le texte prévoyait une ambi-
tieuse politique de substitution
des cultures illicites. « L’aide qu’on
nous a promise pour mettre en
place un nouveau projet productif
n’est jamais arrivée, fustige le pay-
san. Petro a dit que les choses al-
laient changer. C’est bien. Mais
nous, on attend de voir pour
croire. » Premier président de gau-
che élu en Colombie, Gustavo
Petro a promis une nouvelle politi-
que de lutte contre le trafic de dro-
gue. Elle devrait être annoncée à
l’occasion d’une conférence inter-
nationale qui se tiendra, jeudi 7 et
vendredi 8 septembre, dans la ville
de Cali, en présence de son homo-
logue mexicain, Andrés Manuel
Lopez Obrador.
« La volonté politique est là »
Au pouvoir depuis déjà un an,
Gustavo Petro l’a dit en campagne
et le répète depuis son entrée en
fonction, le 7 août 2022 : la guerre
contre la drogue, imposée et fi-
nancée par Washington, est un
échec. En septembre 2022, le chef
de l’Etat interrogeait à la tribune
de l’ONU : « Qu’est-ce qui est plus
dangereux pour l’humanité : la co-
caïne ou le pétrole et le charbon ? »
Sa grande ambition, la « paix to-
tale » pour son pays, passe notam-
ment par une politique de négo-
ciation avec les groupes armés
qui vivent des trafics illicites.
« Petro n’est pas le premier chef
d’Etat ni le seul à constater que la
guerre contre les drogues est un
échec et à promouvoir une politi-
que intégrale, rappelle Estefania
Colombie : la difficile
reconversion des
producteurs de coca
Les paysans n’ont jamais vu arriver les aides
promises depuis 2016. Le président Petro a annoncé
un sommet sur la drogue les 7 et 8 septembre
Le pays andin
produit de la
cocaïne comme
jamais – plus
de 1 400 tonnes
en 2022, soit
le double des
chiffres de 2014
Ciro, directrice de la fondation A la
orilla del rio (Sur les rives du
fleuve). Même les démocrates amé-
ricains sont aujourd’hui favorables
à une inflexion de la politique anti-
drogue. » Le prédécesseur de Gus-
tavo Petro, Ivan Duque (2018-2022,
droite), avait, lui, opté pour une po-
litique très répressive, en tentant,
sans succès, de reprendre les épan-
dages aériens de glyphosate, sus-
pendus depuis 2015 par une déci-
sion de la Cour constitutionnelle,
et en déployant l’armée dans le
Guaviare, sous couvert de lutte
contre la déforestation. « Petro ne
nous envoie pas les militaires pour
nous bombarder, c’est déjà ça », ad-
met Wilmer Alberto Mena.
Un demi-siècle de coopération
militaire avec Washington et des
tonnes de glyphosate déversées
sur les cultures illicites n’ont pas
changé l’équation : les Etats-Unis
restent le premier consommateur
de cocaïne au monde et la Colom-
bie le premier producteur. Le pays
andin en produit même plus que
jamais – plus de 1 400 tonnes de
cocaïne en 2022, soit le double de
ce qu’il produisait en 2014, selon
les derniers chiffres disponibles.
Les surfaces cultivées ont, elles, at-
teint 204 000 hectares en 2021, un
record absolu. Les experts consi-
dèrent que la Colombie fournit en-
viron 70 % du marché mondial.
« Mais quand il s’agit d’économie il-
licite, tous les chiffres doivent être
pris avec prudence », note Mme Ciro.
La Colombie est l’un des rares
pays à avoir accepté un temps les
épandages aériens de glyphosate,
interdits même aux Etats-Unis.
Ils ont été particulièrement in-
tensifs dans le Guaviare, épicen-
tre de la production de cocaïne il
y a vingt ans. Le gros des cultures
de coca s’est depuis lors déplacé
vers le Cauca et le Nariño, dans le
sud-ouest du pays, et vers le Cata-
tumbo, à la frontière avec le Ve-
nezuela. Pour Mme Ciro, « la gau-
che au pouvoir a une vision très
­urbaine du problème de la drogue
et le pouvoir central peine encore à
prendre en compte les dynami-
ques régionales ».
« L’Etat a d’abord balancé du gly-
phosate. Ensuite, il n’a pas tenu ses
promesses. Comment voulez-vous
que les paysans nous croient
aujourd’hui ? », résume Luis Fer-
nando Arenas, responsable du
programme de substitution des
cultures dans le Guaviare. A la dif-
férence de son prédécesseur, le
gouvernement de Gustavo Petro
entend respecter l’accord de paix
de 2016. « La volonté politique est
là », se réjouit M. Arenas. Mais
lourdeurs bureaucratiques et
manque de moyens continuent
de grever l’action de l’Etat.
En décembre 2022, le chef de
l’Etat assistait à une réunion de
cultivateurs de coca dans le vil-
lage d’El Tarra, à la frontière avec
le Venezuela. Devant quelque
2 000 paysans, il se disait favora-
ble à une politique de substitu-
tion « graduelle » qui autorise les
paysans à vendre leur production
de coca le temps que leurs nouvel-
les cultures – de café, de cacao,
Mer
des Antilles
PANAMA El Tarra
VENEZUELA
COLOMBIE
Océan Cali Bogota
Pacifique
CAUCA
NARIÑO
GUAVIARE
ÉQUATEUR
PÉROU BRÉSIL
500 km
d’açaï (une variété de palmier
dont les fruits sont prisés) – ou
leur bétail leur permettent de vi-
vre. « Ça, c’est une bonne idée »,
considère M. Mena, qui avoue
avoir replanté de la coca plus loin
dans la jungle. « Je ne suis pas le
seul », précise-t-il, en expliquant
qu’une nouvelle variété de co-
caïer arrive à pousser à l’ombre.
Les paysans défrichent la forêt en
laissant quelques grands arbres. A
l’abri des cimes, les cultures de
coca ne sont plus repérables par
avion ni par satellite.
Martin F., 57 ans, qui requiert
l’anonymat, a lui aussi arraché ses
plants de coca contre la promesse
d’une aide publique qui n’est ja-
mais venue. Il rêve aujourd’hui de
recevoir des touristes dans sa très
modeste demeure, au bord d’un
lac où nagent des dauphins. Mais
son jeune voisin de 23 ans vient,
lui, de planter son premier hec-
tare de coca. « Il sait faire, résume
Martin F., Les enfants, ici, ont tous
grandi en cueillant de la feuille de
coca depuis l’âge de 8 ans. »
Coup de balai dans l’armée
Pourquoi planter encore des co-
caïers si, partout dans le pays, les
prix de la pâte base de coca – la
première étape du processus de
transformation de la feuille de
coca en cocaïne – sont au plus
bas ? Dans certaines régions, les
acheteurs ont même dis-
paru. Analystes et décideurs ten-
tent de comprendre pourquoi. Les
uns affirment que le coup de balai
à la tête de l’armée décidé par Gus-
tavo Petro – en août 2022, il a li-
mogé une cinquantaine de géné-
raux – a désorganisé les circuits
de corruption. « La lutte acharnée
entre les groupes armés qui, depuis
la démobilisation des FARC, ten-
tent de contrôler le territoire con-
tribue, elle aussi, à déstabiliser le
marché de la coca », ajoute Ri-
cardo Vargas, sociologue. Dans le
Guaviare, le groupe dissident dit
« de l’état-major central » – qui se
pose en héritier de l’ancienne
guérilla des FARC – s’est lui-même
scindé en deux groupes rivaux
qui s’affrontent aujourd’hui.
D’autres observateurs pointent
la concurrence, aux Etats-Unis, du
fentanyl, un produit de synthèse
peu onéreux. D’autres encore, les
plus nombreux, considèrent que
la surproduction de cocaïne, qui
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­Mardi 5­ septembre 2023
« La coca n’est
pas périssable,
la pâte base peut
se conserver
des mois »
Sandra Bermudez
chercheuse
résulte de l’augmentation des sur-
faces et des rendements en Co-
lombie, en Bolivie et surtout au
Pérou, joue contre son prix. Ce-
pendant, « ce n’est pas la première
fois que les prix s’effondrent, rap-
pelle Sandra Bermudez, cher-
cheuse. Les paysans le savent ».
Dans ces régions d’accès difficile,
la coca reste un produit sans pa-
reil : « Elle n’est pas périssable, les
feuilles peuvent attendre pour être
récoltées à tout moment, la pâte
base peut se conserver des mois »,
poursuit Mme Bermudez. « Com-
ment voulez-vous qu’on vende du
lait ou des ananas si les camions ne
viennent pas ? », soupire Martin F.
en montrant la piste défoncée qui
permet, par beau temps, d’accéder
à son lopin de terre.
Abandon définitif du glypho-
sate, dialogue avec les commu-
nautés paysannes, mise en œuvre
de l’accord de paix de 2016, déve-
loppement rural et santé publi-
que : la politique annoncée par le
gouvernement entend mettre fin
à la criminalisation des cultiva-
teurs de coca – et des consomma-
teurs. « Notre objectif ? Oxygéner le
monde paysan, asphyxier les trafi-
quants », résume le ministre de la
justice, Nestor Osuna. Priorité est
donc donnée aux saisies de co-
caïne plutôt qu’à l’éradication for-
cée des cultures de cocaïers. La lé-
galisation de la drogue n’est pas à
l’ordre du jour. « Mais sa régula-
tion doit être mise à l’étude »,
ajoute le ministre, tout en préci-
sant que « le changement de politi-
que ne se fera que lentement ».
Comme les paysans du Gua-
viare, Mme Bermudez se réjouit de
voir que « le discours a changé et la
confrontation entre l’armée et les
cultivateurs a diminué ». Mais les
défis du développement rural res-
tent entiers. Et les modalités de
la nouvelle politique de drogue
très attendues. p
Marie Delcas
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4 | International ­
­Mardi 5­ septembre 2023

« La “Françafrique” est morte depuis longtemps »

Catherine Colonna, ministre des affaires étrangères, revient sur les relations qui lient Paris et les Etats africains

Entretien « Je ne suis pas « [Sur l’Ukraine,]

C
atherine Colonna est
ministre de l’Europe et
des affaires étrangères
depuis mai 2022. Elle dé-
fend les positions de Paris face
aux coups d’Etat survenus au
­Niger et au Gabon cet été, souvent
au détriment des intérêts fran-
çais, et invite à la patience au su-
jet de la contre-offensive ukrai-
nienne contre la Russie.
La France n’est-elle pas dans
une impasse au Niger ?
La politique de la France est sim-
ple. D’une part, nous condam-
nons toute prise de pouvoir par
des putschistes, qui plus est dans
un pays comme le Niger, où les
institutions démocratiques fonc-
tionnaient. D’autre part, nous ap-
puyons les efforts des pays de la
région pour parvenir à un retour à
l’ordre constitutionnel. Les chefs
d’Etat de la Communauté écono-
mique des Etats de l’Afrique de
l’Ouest ont formulé un certain
nombre de demandes et décidé
de sanctions économiques, finan-
cières, de la fermeture des frontiè-
res, et d’un recours éventuel à une
force régionale si les efforts diplo-
matiques en cours n’étaient pas
couronnés de succès. Les seules
autorités du Niger que nous re-
connaissons, comme l’ensemble
de la communauté internatio-
nale, sont le président Mohamed
Bazoum et son gouvernement.
Notre position n’a rien de singu-
lier de ce point de vue.
N’est-il pas risqué de maintenir
coûte que coûte l’ambassadeur
français à Niamey ?
Il est notre représentant auprès
des autorités légitimes du Niger,
accrédité comme tel, et nous
n’avons pas à nous ranger aux in-
jonctions d’un ministre qui n’a
aucune légitimité, ni pour les
pays de la sous-région, ni pour
l’Union africaine, ni pour les
­Nations unies, ni pour la France.
Dans un climat de défiance
aussi fort, est-il possible
de maintenir les troupes
françaises, dont la junte
réclame le départ ?
Il est important de rappeler que
ces troupes sont là à la demande
des autorités du Niger, pour les ap-
puyer dans la lutte contre les grou-
pes armés terroristes, et pour me-
ner des actions de formation.
Aujourd’hui, cette mission ne peut
plus être assurée, puisque nous
n’avons plus, de facto, d’opéra-
tions menées conjointement avec
les forces armées nigériennes.
Après le Mali, redoutez-vous
l’intrusion au Niger des mer­-
cenaires russes de Wagner ?
L’auteur principal du coup
d’Etat [le général Tiani] semble
d’abord avoir agi pour lui-même,
et non à l’instigation de Wagner
ou de la Russie. Mais que la Rus-
sie, là comme ailleurs, y ait vu un
gain d’opportunité possible, je
crois que c’est assez clair. Je ne
suis pas convaincue que tout le
monde, dans le pays, dorme avec
un drapeau russe flambant neuf
sous son oreiller et le sorte à la
première occasion. Il y a une ten-
tation populiste de s’en prendre à
la France et de vouloir rallier
­contre elle. C’est le propre du po-
pulisme de trouver un bouc émis-
saire et d’aller agiter ce genre de
prêt-à-porter idéologique.
convaincue que
tout le monde au
Niger dorme avec
un drapeau russe
flambant neuf
sous son oreiller »
aujourd’hui, sur son rôle au sein
du système russe – il y a quand
même des fragilités dans ce sys-
tème, c’est le moins qu’on puisse
dire – et sur le bilan de Wagner. Ce
groupe est d’une inefficacité totale
dans la lutte contre le terrorisme
et le djihadisme, doublé d’exac-
tions graves, et documentées. Il
faut s’attendre à d’autres tentati-
ves de pillage des ressources et de
basses œuvres faites pour la Rus-
sie, si ce n’est au nom de la Russie.
Il est souvent reproché à
la France de tenir un double
discours, en condamnant
d’un côté les militaires prenant
le pouvoir au Mali, au Burkina
Faso et au Niger, tout en
s’accommodant du pouvoir
militaire au Tchad…
Ce n’est pas la France qui fait ou
défait les élections, choisit les
chefs d’Etat africains ou, a fortiori,
mène les coups d’Etat. Au Tchad,
nous avons pris acte d’une pé-
riode de transition, et il faudra
évidemment que le processus en
cours soit respecté intégrale-
ment. Au Niger, des militaires s’en
sont pris à celui qu’ils étaient cen-
sés protéger, un président dont
nul ne conteste qu’il a été élu dé-
mocratiquement, et s’employait à
moderniser son pays sur les plans
économique, social et sécuritaire.
La condamnation par la France
du coup d’Etat contre Ali
Bongo au Gabon semble moins
ferme. Vos réactions ne sont-
elles pas à géométrie variable ?
Au Gabon, le processus électo-
ral suscitait, comme en 2016, un
­certain nombre de questions.
Dans un cas comme dans l’autre,
nous agissons avec des principes
simples. Le premier est de
­condamner les coups d’Etat et de
trouver une solution démocrati-
que à la crise. Le second, c’est que
nous n’avons pas à nous substi-
tuer aux organisations régiona-
les, en l’occurrence l’Union afri-
caine et la Ceeac [Communauté
économique des Etats de l’Afrique
centrale]. La ligne de la France,
c’est d’être à l’écoute des Afri-
cains, pas de décider à leur place.
La « Françafrique » est morte
­depuis longtemps.
Faut-il de nouvelles élections,
ou simplement recompter les
votes du scrutin présidentiel,
dans la mesure où le candidat
de l’opposition, Albert Ondo
Ossa, revendique la victoire ?
Ce n’est pas à nous d’être pres-
criptifs, ni dans ce cas ni dans
d’autres. Le processus électoral
était imparfait, il n’est pas allé à
son terme. Je ne suis pas sûre
qu’on sache aujourd’hui quel eût
été le bon comptage des voix.
Et, malgré tout, on observe une
perte d’influence de la France
en Afrique. La coopération
n’a-t-elle pas été trop réduite
au volet sécuritaire ?
Non, nous sommes intervenus
Catherine Colonna, au ministère des affaires étrangères, à Paris, le 1er septembre. Léa Crespi pour « Le Monde »
600 % en un mois. Forcément, ces
groupes profitent du désordre.
Ces crises sont troublantes, pré-
occupantes, parce que cela donne
parfois l’impression d’un retour
cinquante ans en arrière. Mais il
ne faut pas voir nos relations avec
le continent africain sous ce seul
prisme. Méfions-nous de l’effet
loupe : ce n’est pas parce qu’il y a
3 000 ou 5 000 personnes qui
­manifestent dans un stade à
­Niamey, dont une partie est
payée, que cela résume nos rela-
tions avec 1,5 milliard d’Africains.
L’Afrique n’est pas que le Sahel.
Nos relations se développent avec
des Etats dans lesquels nous
étions moins présents, comme le
Kenya, l’Afrique du Sud, où je
suis allée récemment, l’Ethiopie,
où je suis allée aussi.
La refondation de nos liens s’est
accélérée depuis six ans, et le che-
min a été tracé par le président de
la République à Ouagadougou. Il
faut veiller à nouer des liens avec
l’ensemble des sociétés, les oppo-
sitions, la jeunesse, les intellec-
tuels, les sportifs, les artistes, au-
delà des gouvernants. En six ans,
les partenariats ont été dévelop-
pés, on a augmenté de 50 % notre
investissement solidaire. Nous
sommes aussi disposés à faire,
avec les pays avec lesquels nous
avons un passé commun, le tra-
vail nécessaire, et qui n’était pas
venu assez tôt, sur la mémoire,
l’histoire commune, ou des resti-
tutions d’œuvres d’art – à com-
mencer par le Rwanda, l’Algérie, le
Cameroun et le Bénin.
Il y a une revendication de sou-
veraineté portée par les puts-
chistes qui fait écho à des frus-
trations profondes exprimées
par les populations…
La souveraineté, ceux qui l’ont
mise sous le boisseau récemment
l’ont plutôt fait au profit de la
Chine ou de la Russie. Quand on
voit, sur certains panneaux bran-
dis dans des manifestations au
­Niger, « vive l’indépendance, vive
la Russie », il y a une contradiction
évidente. La dette chinoise, l’ar-
mement russe, pour ne pas dire
­soviétique dans le cas de quel-
ques pays, voilà les instruments
de la dépendance.
Sur l’Ukraine, que pensez-vous
des propos de Nicolas Sarkozy,
qui met en avant sa médiation
de 2008 en Géorgie pour appe-
ler Kiev à trouver un compro-
mis avec Moscou, considérant
que « tout retour en arrière
est illusoire » pour la Crimée,
annexée par la Russie ?
Je n’ai pas à commenter, dans
ma position, les propos d’un an-
cien président de la République.
D’autres l’ont fait. La Crimée est
ukrainienne. On ne peut pas ima-
giner que la France s’écarte du
principe d’intangibilité des fron-
tières. Que la Crimée soit occupée
par la Russie ne change pas cette
réalité. Sur le plan des faits, ce qui
s’est passé en 2008 en Géorgie n’a
pas empêché la Russie de poursui-
vre son œuvre impérialiste.
N’est-il pas irréaliste de plaider
pour une négociation, en pleine
contre-offensive ukrainienne ?
Manifestement, le moment
n’est pas venu où des négocia-
tions de bonne foi pour une paix
juste pourraient s’engager. Le
seul pays à en parler, c’est
l’Ukraine. Il est remarquable
qu’elle continue de le faire alors
manifestement,
le moment où
des négociations
de bonne foi
pourraient
s’engager n’est
pas venu »
moment de négocier, cela va de
soi. Du côté russe, nous ne
voyons aucun signal d’aucune
sorte d’une quelconque volonté
d’engager des négociations.
Que pensez-vous des réserves
dont il est question aux
Etats-Unis sur la conduite
de la contre-offensive ?
Les Ukrainiens ont toujours dit
qu’ils mèneraient leur contre-of-
fensive sur plusieurs mois, et non
en quelques jours ou semaines. Ils
disent eux-mêmes que les opéra-
tions sont difficiles, car les Russes
ont mis en place plusieurs lignes
de défense, des mines, et contrô-
lent le ciel. Néanmoins, les Ukrai-
niens progressent et ont percé à
certains endroits. Avant de porter
des jugements, il faut se souvenir
que ce sont eux qui se battent, et
font le sacrifice de leurs vies.
Dmytro Kuleba, votre homolo-
gue ukrainien, considère
que son pays doit être
au cœur de l’ordre de sécurité
européen, après le conflit
et son entrée dans l’OTAN,
plutôt que de rechercher un
­arrangement avec la Russie.
Partagez-vous son avis ?
Je comprends que la situation
dans laquelle se trouve l’Ukraine
la ­conduise à avoir une vision ex-
trêmement négative de la Russie.
Nous, nous avons une vision né-
gative, non pas de la Russie, mais
du comportement de la Russie, de
l’agression russe, qui doit être dé-
faite, pour l’Ukraine et pour la
paix et la sécurité dans le monde.
Si cette agression réussit, une
autre se produira ailleurs.
Cependant, la Russie existe et
continuera d’exister. La réalité,
l’histoire, la géographie font que
ce pays se trouve en grande partie
sur le conti­nent européen. Il fau-
dra bien trouver avec elle le moyen
de rebâtir une architecture de sé-
curité solide prenant en compte
les intérêts de stabilité de tous. Ce
qui ne veut pas dire faire passer
l’Ukraine par pertes et profits ou
qu’elle n’entre pas dans l’OTAN. La
Russie a rompu ces équilibres. Elle
a choisi la guerre alors même
qu’un processus diplomatique
était en cours. L’Ukraine ne mena-
çait pas la Russie. Et les nazis
n’étaient pas au pouvoir à Kiev.
Où en sont les réflexions
françaises au sujet des garan-
ties de sécurité promises
à Kiev par les pays du G7 lors
du ­sommet de l’OTAN ? Elles
­paraissent encore très floues…
Pas du tout. Le G7 a été rejoint
par vingt pays à ce jour, pour l’es-
sentiel des européens, mais pas
seulement. Ce travail est en cours
en ce qui nous concerne, avec un
premier avant-projet et de pre-
miers échanges. Il est envisagé de
proroger à moyen terme l’aide
que nous apportons à l’Ukraine,
dans les domaines militaire, mais
aussi civil et humanitaire. Il s’agit

Comment voyez-vous l’évolu-

tion de Wagner en Afrique
après la mort de son chef,
Evgueni Prigojine ?
Wagner vient de subir un choc
considérable avec la mort de ses
fondateurs et de certains de ses ca-
dres. Il est néanmoins trop tôt
pour savoir quelles en seront tou-
tes les conséquences. Il est proba-
ble que ceux qui avaient eu re-
cours à Wagner s’interrogent
chaque fois en appui des deman-
des de ces pays. La France est en
effet un partenaire de sécurité fia-
ble pour ses partenaires. Elle l’a
prouvé au Sahel. Quand nous
sommes moins présents, l’insé-
curité augmente : au Mali, les
groupes armés terroristes ont
doublé la superficie des territoi-
res qu’ils contrôlent. Au Niger, où
nous sommes de facto dans l’im-
possibilité de mener des actions,
les attaques ont augmenté de
Nouvelles manifestations à Niamey qu’elle est attaquée, envahie,
meurtrie, bombardée jour après
Pour le troisième jour consécutif, des milliers de manifestants jour, y compris sur des objectifs
se sont rassemblés, dimanche 3 septembre, aux abords d’une civils, dans une guerre lâche. Le
base militaire abritant des soldats français à Niamey pour récla- président Zelensky a présenté au
mer leur départ. « A bas la France ! France dégage ! », ont scandé G20 de Bali, en novembre 2022,
les protestataires, des slogans régulièrement entendus depuis un plan en dix points qui fait l’ob-
le coup d’Etat du 26 juillet. Au total, depuis vendredi, des dizai- jet de leur part, avec notre accom-
nes de milliers de personnes se sont succédé au niveau du pagnement, d’un gros effort d’ex-
rond-point Escadrille, proche de la base où se trouvent quelque plication vis-à-vis des pays émer-
1 500 soldats français. Les militaires qui se sont emparés du pou- gents, qui ne pensent pas sponta-
voir ont par ailleurs retiré l’immunité et le visa diplomatiques de nément comme eux. C’est aux
l’ambassadeur de France, Sylvain Itté, et exigé son « expulsion ». Ukrainiens de décider quel sera le
d’aider l’Ukraine dans la durée.
C’est aussi un message adressé à
la Russie de notre détermination
de rester aux côtés de l’Ukraine,
pour qu’elle recouvre sa pleine
souveraineté, son indépendance
et son intégrité territoriale. p
Propos recueillis par Élise
Barthet et Philippe Ricard
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0123
­
­Mardi 5­ septembre 2023 International | 5

Mongolie: le pape s’adresse aux catholiques chinois

Depuis Oulan-Bator, François a demandé aux voisins des Mongols d’être « de bons citoyens »

Oulan-Bator - envoyée spéciale verain pontife pensait, dimanche, le gouvernement de Pékin. cemment élevé au rang de cardi- La Sud-Coréenne Hy Yun Kim,
plus qu’à toutes les autres nations En 2018, les deux parties ont con- nal, un pont entre Rome et Pékin.
Depuis qu’il a été jeune neurologue d’un hôpital ca-

S
ur la scène rouge installée
pour l’occasion sur la piste
de hockey sur glace de la
Steppe Arena d’Oulan-Ba-
tor trône une impressionnante
croix en bois. Des fleurs stylisées à
la mode mongole ornent la sculp-
ture. Avec leurs tenues mauves et
leurs chapeaux en paille, des jeu-
nes filles venues exprès du Viet-
nam attendent l’arrivée du pape
François sur la scène. Dans les
­gradins bleu et jaune, des fidèles
en provenance de plusieurs pays
d’Asie ont assisté, dimanche 3 sep-
tembre, à la messe célébrée par
le chef de l’Eglise catholique dans
le cadre de sa visite apostolique
en Mongolie, un pays dont les
1 400 catholiques sont en nombre
insuffisant pour remplir à eux
seuls les 2 000 places aménagées
dans le stade.
C’est visiblement à la Chine, qui
partage 4 677 kilomètres de fron-
tière avec la Mongolie, que le sou-
d’Asie représentées dans l’assis-
tance. Lors de son tour en papa-
mobile, avant la messe, le pape ar-
gentin a marqué un arrêt devant
un large drapeau chinois tenu par
des fidèles venus à sa rencontre.
Une heure et demie plus tard, à la
fin de l’office, le pape a donné une
main au cardinal Stephen Chow,
l’évêque de Hongkong, et l’autre à
John Tong Hon, son prédécesseur.
Avec les deux prélats à ses côtés, le
pontife s’est adressé aux fidèles
chinois mais aussi sans doute aux
autorités du pays : « Je voudrais
profiter de leur présence pour en-
voyer un chaleureux salut au noble
peuple chinois. Aux catholiques
chinois, je demande d’être de bons
chrétiens et de bons citoyens. »
En Chine, les catholiques sont
étroitement contrôlés, voire ré-
primés, par le pouvoir. Pour tenter
d’améliorer leur sort, le Vatican,
sous François, s’est efforcé de
trouver un terrain d’entente avec
clu un accord – renouvelé deux
fois depuis – dont la lettre de-
meure secrète, mais qui institue
une procédure partagée de nomi-
nation des évêques. Son but est de
rapprocher l’Eglise officielle, dont
les hiérarques étaient nommés
par Pékin, et l’Eglise clandestine,
dont Rome choisissait les prélats.
Peur d’être identifiés
Depuis son élection, François ré-
pète son désir de pouvoir un jour
se rendre en Chine et offre aux
autorités de Pékin des signes de sa
bonne disposition. Sa recomman-
dation aux fidèles du pays d’être
de « bons citoyens » semble s’ins-
crire dans ce cadre. « L’idée est de
rassurer le gouvernement chinois :
les catholiques n’ont pas vocation
à devenir des dissidents », analyse
Michel Chambon, chercheur à
l’Asia Research Institute, à l’uni-
versité nationale de Singapour. Le
Vatican voit en Stephen Chow, ré-
Le prélat s’est rendu en avril dans
la capitale chinoise et devrait
bientôt y retourner. Mais faute
d’autorisation de Pékin, aucun
hiérarque de l’Eglise catholique
chinoise n’a pu se rendre en Mon-
golie pour la visite de François.
Sur le carré central face à la
scène, un groupe d’une quaran-
taine de personnes de tous âges,
venues d’Hongkong, ont attendu
sagement l’arrivée du pape. Quel-
ques rangs au-dessus, les sièges
étaient occupés par des fidèles
originaires de Wenzhou. Casquet-
tes sur la tête et masque sur le nez,
ils refusent de se laisser appro-
cher et plus encore de se laisser
questionner, par peur d’être iden-
tifiés. Wang, une Hongkongaise
de 40 ans, a pu discuter avec cer-
tains. « C’est difficile pour eux. Le
pape n’est pas uniquement impor-
tant pour les Mongols qu’il est
venu voir, mais aussi pour nous
tous », veut-elle croire.
élu, le pontife
répète son désir
de se rendre
en Chine
De l’autre côté du stade, d’autres
Chinois sont venus en famille ou
seuls, du Jiangxi ou encore du He-
bei. « Chez moi, personne ne sait
que je suis catholique », explique
un jeune homme désireux de se
« faire bénir » par le pape. « C’est
normal, explique une femme
d’une cinquantaine d’années,
chez nous ce n’est pas très bien vu.
Nous évitons de le dire autour de
nous. » Comme les autres, elle a
prétexté des vacances pour se
rendre en Mongolie. « Je ne com-
prends pas pourquoi c’est problé-
matique, mais ça l’est. Moi-même,
je ne suis pas allée à la messe de-
puis vingt jours », explique-t-elle.
tholique, qui peut pratiquer sa re-
ligion comme elle le souhaite, est
venue de Séoul avec un groupe de
jeunes médecins et d’infirmiers
participer à un programme de
santé mongolo-sud-coréen. Elle
aussi a remarqué la présence des
Chinois dans la salle : « Le message
de paix porté par le pape est impor-
tant pour nous tous en Asie. Il sera
peut-être entendu par les Nord-Co-
réens, avec lesquels nous avons des
problèmes, mais peut-être sera-t-il
aussi diffusé en Chine », espère-t-
elle. « J’ai vu les Chinois à l’église il y
a quelques jours, rapporte Gaby
Tchimeddorj, Mongol de 35 ans
converti au catholicisme à l’ado-
lescence. Ils ont fait beaucoup de
sacrifices pour venir ici. Ils sont très
fervents. » En Mongolie, insiste-
t-il, « la culture de la liberté reli-
gieuse est authentique ». Si loin du
sort des voisins du Sud, auxquels
le pape est aussi venu parler. p
Sarah Belouezzane

En Italie , la France
de nouveau visée dans
l’affaire du crash d’Ustica À L’HÔPITAL,
ON PREND SOIN
L’ancien président du conseil Giuliano
Amato en appelle à Emmanuel Macron

Rome - correspondant d’Ustica, Mouammar Kadhafi,

bien que proche de l’Italie, était à
DE TOUS, MÊME
L a catastrophe aérienne sur- la tête d’un régime anti-occidental

venue près de l’île d’Ustica,
le 27 juin 1980, fait partie
des événements meurtriers par-
tiellement inexpliqués qui conti-
nuent de hanter la mémoire de
l’Italie républicaine. Samedi 2 sep-
tembre, l’idée d’une implica-
tion de la France dans le drame
sur fonds de tensions alors fortes
entre Paris et la Libye a été relan-
cée par un ancien président du
conseil italien, Giuliano Amato.
Dans un entretien au quotidien
La Repubblica, il reprend la thèse
défendue par les familles des vic-
times selon laquelle un avion
français aurait été à l’origine d’un
tir de missile dont l’explosion
aurait touché le DC-9, qui assurait
une liaison entre Bologne et Pa-
lerme, entraînant la mort de ses
quatre-vingt-un occupants.
« La version la plus crédible est
celle de la responsabilité de l’avia-
tion française avec la complicité
des Américains », déclare ainsi
M. Amato, 85 ans, chef de l’exécu-
tif italien de 1992 à 1993 puis de
2000 à 2001. L’ancien responsable
précise s’être intéressé au dossier
en 1986, alors qu’il était secrétaire
d’Etat auprès du président du
conseil Bettino Craxi. Le scénario
auquel il accorde le plus de crédit
dans son entretien voudrait
qu’un avion de chasse français ait
pris pour cible dans le ciel italien
un appareil libyen dans lequel
aurait dû se trouver Mouammar
Kadhafi (1942-2011), déclenchant
un tir dont les passagers du
DC-9 auraient été les victimes.
La tentative d’assassinat aurait
été planifiée, selon lui, sous
­couvert d’exercices militaires en
Méditerranée de l’OTAN. Giu-
liano Amato affirme que Kadhafi
avait été prévenu de la machina-
tion par M. Craxi, alors secrétaire
du Parti socialiste italien, mais que
des combats aériens impliquant
des appareils libyens ont tout de
même eu lieu autour de l’avion de
ligne en route pour la Sicile.
D’après lui, un ou deux chas-
seurs libyens s’étaient placés dans
son sillage pour se cacher des ra-
dars, et un tir les visant aurait dé-
truit le DC-9. ­A l’époque du drame
DES NÔTRES.
et se trouvait engagé dans un con-
flit au Tchad dans lequel la France
soutenait ses adversaires. La piste
d’un lien entre l’accident et les
tensions qui opposaient alors Pa-
ris et Tripoli s’est révélée délicate à
suivre pour les enquêteurs, mais a Les hospitaliers prennent
fait irruption dans le débat public.
L’enquête a en effet été freinée par soin de tous. Depuis plus
une myriade d’obstacles, émaillée de 60 ans la Mutuelle
de la mort jugée suspecte d’une
vingtaine de témoins, d’après le
Nationale des Hospitaliers
décompte du journaliste d’inves- prend soin d’eux.
tigation, spécialiste de l’affaire
d’Ustica, Andrea Purgatori.
« Déductions personnelles »
En 2007, Francesco Cossiga (1928-
2010), chef de l’exécutif italien au
moment de l’accident, avait déjà
attribué, dans les médias italiens,
la responsabilité du tir à la France,
déclenchant la réouverture de
l’enquête. En 2011, le juge Rosario
Priore, chargé du dossier pendant
dix ans, a dénoncé des obstruc-
tions françaises. Mais, en 2013,
la Cour de cassation italienne a
fini par attribuer l’explosion
meurtrière à un missile air-air,
sans établir pour autant la natio-
nalité de l’appareil depuis lequel
il avait été tiré.
Les déclarations de Giuliano
Amato relancent donc une hypo-
thèse largement partagée dans
les milieux concernés par l’affaire
en Italie, mais qui n’a jamais été
établie par la justice. A la fin de
son entretien, Giuliano Amato a
lancé un appel : « Je me demande
pourquoi un jeune président
comme Macron (…) ne veut pas le-
ver la honte qui pèse sur la France.
Il peut [le faire] de deux manières :
en démontrant que cette thèse est
infondée ou (…) en adressant les
excuses les plus vives à l’Italie et Mutuelle Nationale des Hospitaliers
aux familles des victimes au nom
de son gouvernement. » CRÉÉE PAR ET POUR Plus d’infos sur mnh.fr
La présidente du conseil, Giorgia LES HOSPITALIERS
Meloni, a déclaré que les paroles
« importantes et méritant l’atten-
tion » de M. Amato étaient « le fruit
de déductions personnelles ». Elle
l’invitait toutefois à faire savoir s’il
détenait des éléments précis per- MUTUELLE NATIONALE DES HOSPITALIERS ET DES PROFESSIONNELS DE LA SANTÉ ET DU SOCIAL - 331, AVENUE D’ANTIBES - 45213 MONTARGIS CEDEX. LA MNH ET MNH PRÉVOYANCE SONT DEUX MUTUELLES RÉGIES PAR LES DISPOSITIONS
DU LIVRE II DU CODE DE LA MUTUALITÉ, IMMATRICULÉES AU RÉPERTOIRE SIRENE SOUS LES NUMÉROS SIREN 775 606 361 POUR LA MNH ET 484 436 811 POUR MNH PRÉVOYANCE. CRÉDIT PHOTO : JH ENGSTRÖM. AGENCE :
mettant de rouvrir l’enquête. p
Allan Kaval

6 | International
En Ukraine, la chute d’un ministre et d’un oligarque
Le ministre de la défense Reznikov a été limogé, et l’homme d’affaires Kolomoïsky placé en détention
L
e ministre de la défense
ukrainien, Oleksii Rez-
nikov, a trébuché, diman-
che 3 septembre au soir,
sur une vieille mine ukrainienne :
la corruption. « Je crois que le mi-
nistère a besoin de nouvelles appro-
ches et de nouveaux modes d’inte-
raction avec l’armée autant qu’avec
la société civile au sens large », a
­pudiquement indiqué Volodymyr
Zelensky dans son allocution ves-
pérale. Un peu plus tôt, sur son
compte Telegram, le président
ukrainien avait annoncé le départ
d’Oleksii Reznikov, tout en rappe-
lant qu’il « a traversé plus de
550 jours de guerre ».
L’image du ministre a été défini-
tivement ternie, ces deux derniè-
res semaines, par un énième scan-
dale de corruption sur les tenues
hivernales fournies aux combat-
tants. D’autres se sont succédé au
ministère depuis un an : commis-
sions exagérées sur les impor­-
tations de munitions, sur les pro-
duits alimentaires, sur le matériel
médical. Oleksii Reznikov n’était
pas directement cité dans les
­prises illégales d’intérêt, mais ses
dénégations répétées visant à pro-
téger ses subordonnés passaient
de moins en moins bien dans
l’opinion publique.
Possible parachutage à Londres
Avocat de métier, de caractère dé-
bonnaire, Oleksii Reznikov avait
pour lui un entregent fort à propos
pour nouer des relations de
­confiance avec ses homologues
occidentaux, qui se montraient
parfois méfiants au départ. Sa ré-
putation d’habile négociateur
pourrait faciliter son parachutage
à Londres, où il se verrait confier le
poste d’ambassadeur, selon des
rumeurs insistantes.
Sur la sellette depuis des mois, le
ministre n’avait pu conserver son
poste que parce que son rempla-
çant désigné s’était désisté. « Ze-
lensky voulait remplacer Reznikov
par [le patron du renseignement
militaire, Kyrylo] Boudanov, glisse
un proche de ce dernier. Mais Bou-
danov, qui est jeune [37 ans] et am-
bitieux, ne veut pas plomber sa car-
rière à la tête d’un ministère aussi
embourbé dans la corruption. Il a
sèchement refusé en dépit des for-
Suède : un procès d’exception pour « complicité de crime de guerre »
Deux anciens dirigeants de la compagnie pétrolière Lundin Oil vont être jugés pour des exactions au Soudan du Sud en lien avec leur société
Malmö (Suède) -
correspondante régionale
E n Suède, certains le compa-
rent, même si les circons-
tances n’ont rien à voir,
au procès de Nuremberg, lorsque,
pour la première fois, des indus-
triels allemands, jugés aux côtés
de responsables de la Gestapo et
des SS, avaient dû répondre des ac-
cusations de crimes contre la paix,
crimes de guerre et crimes contre
l’humanité. Depuis, en 2007, un
homme d’affaires néerlandais,
qui avait livré des substances chi-
miques à Saddam Hussein dans
les années 1980, a été condamné
à dix-sept ans de prison pour
complicité de crimes de guerre.
« Ce genre de procès reste très rare
et unique en Suède », observe Mark
Klamberg, professeur de droit in-
ternational à l’université de Stoc-
kholm. Celui qui devait débuter,
mardi 5 septembre, devant le tri-
bunal de Stockholm est donc ex-
ceptionnel à plus d’un titre. Prévu
pour durer jusqu’en février 2026, il
sera le procès le plus long de l’his-
toire judiciaire suédoise. Le dos-
sier d’accusation fait 80 000 pa-
ges, et 90 témoins vont être appe-
lés à la barre. Sur le banc des accu-
sés, Ian ­Lundin et Alex Schneiter,
L’image d’Oleksii
Reznikov a été
définitivement
ternie par un
énième scandale
de corruption
sur les tenues
militaires
tes pressions présidentielles… car
Zelensky n’aime pas qu’on lui
­résiste. » Le politiste Volodymyr
­Fesenko souligne de son côté que
« l’Ukraine, par souci de conformité
et d’intégration euroatlantique, se
doit de nommer un civil au poste de
ministre de la défense. Or, Kyrylo
Boudanov tenait à terminer la
guerre dans un rôle militaire »,
ajoute-t-il.
Après avoir essuyé plusieurs
autres refus, l’administration pré-
sidentielle faisait circuler depuis la
fin du mois d’août le nom de Rous-
tem Oumerov, directeur du fonds
des biens d’Etat d’Ukraine. Un
nom « proposé » dimanche soir
par le président ukrainien et qui
doit être validé par le Parlement
d’ici à quelques jours. Tatar de Cri-
mée engagé pour son peuple, fi-
nancier de métier et ex-député
(2019-2022) du parti d’opposition
Holos (« voix »), M. Oumerov
s’était rapproché du président
après le début de l’invasion russe.
Il avait ainsi accompagné l’épouse
de ce dernier, Olena Zelenska, dans
une tournée à l’étranger, en mars.
Sa biographie n’indique aucune
proximité avec les affaires militai-
res, en dehors de sa participation,
depuis 2020, au groupe de travail
du Conseil national de sécurité et
de défense de l’Ukraine, chargé
d’élaborer une stratégie de recon-
quête de la Crimée, occupée par la
Russie depuis 2014.
La veille du limogeage attendu
d’Oleksii Reznikov, les Ukrainiens
apprenaient la chute d’un person-
nage nettement plus structurant
de la vie politique et économique
du pays. Samedi, le milliardaire
Ihor Kolomoïsky a été placé en dé-
tention pour deux mois après
avoir comparu devant un tribunal
deux anciens dirigeants de la com-
pagnie pétrolière suédoise Lundin
Oil (qui a changé plusieurs fois de
nom depuis) poursuivis pour
« complicité de crime de guerre »
dans le sud du Soudan, entre 1999
et 2003. La justice suédoise leur re-
proche leur implication dans les
exactions, commises par l’armée
et par des milices proches du ré-
gime, dans l’Etat d’Unité, qui ont
fait 12 000 morts et contraint au
moins 160 000 personnes à fuir.
Depuis le début de l’instruction,
la compagnie a multiplié les ­
recours. Le dernier portait sur le
principe de la compétence uni-
verselle de la justice suédoise,
contesté par Alex Schneiter, de
nationalité suisse et résidant
hors de Suède. Le 10 novem-
bre 2022, la Cour suprême l’a
­débouté, ouvrant ainsi la voie à
un procès dont l’ancien procu-
reur Magnus Elving se demandait
s’il aurait lieu un jour.
Aujourd’hui à la retraite, c’est lui
qui a ouvert une enquête prélimi-
naire contre Lundin Oil, en 2010.
Un avocat suédois lui avait fait
parvenir le livre de la journaliste
Kerstin Lundell Affärer i blod och
olja (« Des affaires dans le sang et
le pétrole », 2010, non traduit), ré-
compensé par le prix du journa-
Le ministre ukrainien de la défense, Oleksii Reznikov, lors d’une conférence de presse à Kiev, le 28 août. GLEB GARANICH/REUTERS
de Kiev l’accusant de fraude et de
blanchiment d’argent. Le juge a
fixé la caution à un demi-milliard
de hryvnias (12,5 millions d’euros),
somme que l’ancien oligarque a
refusé de payer, faisant savoir par
ses avocats qu’il ferait appel de
cette décision de justice.
Autrefois propriétaire d’un em-
pire composé d’actifs médiati-
ques, pétroliers et métallurgiques
bâti autour de la banque Privat,
Ihor Kolomoïsky avait une
énorme influence sur le monde
politique, finançant des partis et
contrôlant le vote de députés vé-
naux au sein de la Rada, le Parle-
ment ukrainien. L’homme d’affai-
res possédait en outre la chaîne
­télévisée 1+1, qui a joué un rôle cru-
cial dans l’immense popularité de
Volodymyr Zelensky, alors comé-
dien. Peu après sa victoire à l’élec-
lisme d’investigation Guldspaden.
Il avait lu aussi le rapport « Unpaid
Debt », publié au même moment
par la Coalition européenne sur
le pétrole au Soudan, créée à la de-
mande d’ONG soudanaises.
Les deux décrivaient les exac-
tions commises dans le sud du
Soudan, à la fin des années
1990 et au début des années
2000, et mettaient en cause la
responsabilité de Lundin Oil.
En 1997, la société, fondée par
l’homme d’affaires suédois Adolf
Lundin, avait obtenu une conces-
sion pour l’exploration et l’ex-
ploitation du pétrole dans le
« bloc 5A », une zone particulière-
ment fertile au centre de l’Etat
d’Unité, dans le sud du pays. Elle
y est restée jusqu’en 2003.
« Ils n’ont pas tenu l’arme »
Quelques années plus tard, Kers-
tin Lundell s’est rendue sur place
et a rencontré des témoins : « Ils
disaient tous la même chose : mal-
gré les années de guerre civile au
Soudan, la région avait été relati-
vement épargnée, et puis les com-
pagnies pétrolières sont arrivées,
et les violences ont commencé. »
Quand Lundin Oil a découvert
du pétrole dans le bloc 5A, en 1999,
Khartoum n’avait pas le contrôle
tion présidentielle en 2019, ce
­dernier avait nié toute influence
du sulfureux milliardaire sur son
administration. Un personnage
rendu encore plus encombrant
par la suite avec les sanctions im-
posées contre lui en 2021 par les
Etats-Unis, où la justice l’accuse
d’implication dans la corrup-
tion et le blanchiment d’argent.
Depuis la fin 2021, la majorité
présidentielle a pris une série de
mesures contraignant les oligar-
ques à rester en dehors de la politi-
que, notamment en renonçant à
toute influence médiatique. L’ar-
restation de Ihor Kolomoïsky in-
tervient alors que Kiev s’efforce de
démontrer à ses alliés occidentaux
les progrès accomplis en matière
de lutte contre la corruption. En
­remerciant les forces de sécu-
rité dans son allocution de samedi,
« Les faits
sont avérés,
de même que
le lien entre les
crimes commis
et le pétrole »
Johan Brosché
professeur associé
à l’université d’Uppsala
de la région. Or, selon l’acte d’accu-
sation, la société a demandé au
gouvernement soudanais d’assu-
rer la sécurité dans la zone. « Ce qui
rend cette complicité criminelle,
c’est que ces demandes ont été fai-
tes alors que l’entreprise compre-
nait, ou en tout cas y était indiffé-
rente, que les militaires et les milices
menaient des combats en violation
des lois de la guerre », notait le pro-
cureur général Krister Petersson,
lors de l’inculpation des deux diri-
geants, le 11 novembre 2021.
La compagnie nie tout. Sur un
site Internet consacré exclusive-
ment à sa défense, elle clame
avoir été « une force de développe-
ment au Soudan et fait tout ce qui
était en [s]on pouvoir pour pro-
Ihor Kolomoïsky
possédait la
chaîne télévisée
1+1, qui a joué un
rôle crucial dans
la popularité
du président
Zelensky
M. Zelensky a fait une allusion
claire à l’arrestation : « Il n’y aura
sans aucun doute plus de statu quo
durant des décennies pour ceux qui
ont pillé l’Ukraine et se sont placés
au-dessus de la loi », a-t-il déclaré.
Pour Tymofiy Mylovanov, prési-
dent de l’Ecole d’économie de Kiev
et conseiller de l’administration
mouvoir la paix ». Lundin Oil a
commandé à un groupe de juris-
tes britanniques – dont Steven
Kay, l’avocat du Serbe Slobodan
Milosevic – un rapport, publié
en 2021, dans lequel elle attaque
l’ensemble des informations, col-
lectées sur le terrain par des ONG
telles que Amnesty International
ou Human Rights Watch, sur les-
quelles s’appuie l’accusation.
Professeur associé au départe-
ment de recherche sur la paix
et les conflits de l’université
d’Uppsala, Johan Brosché, qui
­témoignera au procès en
mars 2025, rappelle pourtant que
« les faits sont avérés, de même
que le lien entre les crimes commis
et le pétrole ». Il remarque aussi
qu’en 1997, quand Lundin Oil est
arrivé au Soudan, Omar Al-Bachir
– aujourd’hui sous le coup d’un
mandat d’arrêt international
pour crime de guerre au Darfour –
était président depuis quatre ans :
« On savait de quoi il était capable.
Il y avait déjà eu des massacres de
civils. Ce n’était pas difficile de
trouver ces informations. »
Mais Adolf Lundin – père de Ian
Lundin et fondateur de la compa-
gnie, décédé en 2006 – n’était pas
connu pour s’embarrasser de tel-
les considérations. Son slogan :
0123
­
­Mardi 5­ septembre 2023
Zelensky, l’arrestation de l’oligar-
que met fin à l’impunité dont il bé-
néficiait jusque-là, et constitue un
test pour le système judiciaire du
pays. « Il existe un risque que le mil-
liardaire dispose encore d’in-
fluence et de soutiens suffisants, au
sein de l’appareil judiciaire, pour
corrompre le ou les juges chargés
de l’affaire. Kolomoïsky demeure
très puissant. Je me souviens qu’un
ancien conseiller proche d’un ex-
premier ministre ukrainien m’a dit
qu’il y avait deux systèmes d’appli-
cation de la loi en Ukraine : l’un est
contrôlé par l’Etat, l’autre par
­Kolomoïsky », indique l’écono-
miste sur la plate-forme X (ancien-
nement Twitter). Quasi simulta-
nément, deux coups de bélier
viennent d’être assénés à l’ancien
système. p
Emmanuel Grynszpan
« No guts, no glory » (« pas de
­tripes, pas de gloire »). Dans une
interview en 1996, il expliquait :
« Si vous vous limitez aux pays
­politiquement sûrs, vous n’aurez
aucune chance. C’est comme
­commencer un marathon avec
une jambe cassée. »
Pour obtenir une condamna-
tion, cependant, « le procureur va
devoir convaincre les juges que les
prévenus ont fait quelque chose qui
a contribué au crime, car ils n’ont
pas tenu l’arme, constate Mark
Klamberg. Il faudra aussi détermi-
ner ce qu’ils savaient de la situation
et comment ils ont évalué les ris-
ques que leurs actions mènent aux
crimes commis », ajoute-t-il.
Le parquet réclame une inter-
diction d’exercer une activité
commerciale de dix ans pour
les deux accusés et le versement
de 2,4 milliards de couronnes
(201 millions d’euros), soit la va-
leur actuelle du bénéfice réalisé
par la vente de ses opérations au
Soudan en 2003. Auteur du rap-
port « Unpaid Debt », l’activiste
néerlandais Egbert Wesselink es-
père que le procès va « créer un
précédent et faire réfléchir les com-
pagnies qui veulent investir dans
des zones de conflits violents ». p
Anne-Françoise Hivert
0123
­
­Mardi 5­ septembre 2023
Au Royaume-Uni,
des dizaines d’écoles
menacent de s’effondrer
Le gouvernement Sunak est confronté à un nouveau
scandale sur la vétusté des bâtiments publics
Londres - correspondante
A près un été plutôt calme,
le gouvernement du
­conservateur Rishi Su-
nak aurait certainement rêvé
d’une meilleure rentrée. Lundi
4 septembre, pour le retour à
l’école des jeunes Britanniques, il
fait face à la colère des parents
alors que près de 150 établisse-
ments se sont vu notifier in extre-
mis – fin août – qu’ils devaient fer-
mer immédiatement tout ou par-
tie de leurs bâtiments qui ris-
quaient de s’effondrer. En cause,
un matériau de construction, le
béton autoclavé armé (Reinfor-
ced Autoclaved Aerated Concrete,
RAAC), poreux, donc bien plus lé-
ger que le béton classique, très
utilisé dans le Royaume-Uni de
l’après-guerre pour reconstruire
des bâtiments publics à moindre
coût. Mais sa durée de vie est limi-
tée : au-delà de trente ou qua-
rante ans, il perd de sa rigidité.
La perspective de semaines de
perturbations, voire du retour des
cours en ligne, inquiète des cen-
taines de parents et d’élèves dont
la scolarité a déjà été très pertur-
bée par la pandémie de Covid-19.
Et elle risque de rendre encore
plus impopulaire l’action de Rishi
Sunak, qui espère cet automne re-
mettre son cabinet en ordre de
marche en vue des élections gé-
nérales prévues en 2024. L’occa-
sion, en revanche, est trop belle
pour l’opposition travailliste, en
avance d’environ vingt points
dans les sondages, qui exploite
un sentiment de plus en plus ré-
pandu dans l’opinion publique,
celui d’une « Broken Britain » : un
pays « brisé ».
Plus grand-chose ne semble y
fonctionner correctement : les
grèves de train se poursuivent
­depuis plus d’un an, les rivières et
plages sont parmi les plus pol-
luées d’Europe, et il est devenu
presque impossible de décrocher
un rendez-vous avec des méde-
cins généralistes du NHS, le
­système de santé public, tant ils
manquent à l’appel…
« Je ne vois pas de meilleure illus-
tration de treize années de gouver-
nement conservateur que celle
d’écoliers obligés de faire cours
dans des salles aux plafonds
­consolidés par des échafaudages
pour éviter qu’ils ne s’effondrent, a
réagi Bridget Phillipson, la minis-
« Un programme
de rénovation
aurait dû être
planifié depuis
des années »
Rachel de Souza
commissaire pour les droits
de l’enfant en Angleterre
A fg ha n istan
Cinq femmes accueillies
en France
La France devait accueillir,
lundi 4 septembre, cinq
Afghanes menacées par les
talibans et réfugiées depuis
quelques mois au Pakistan.
Une opération d’évacuation
réclamée de longue date par
leurs soutiens, qui appellent
Paris à organiser un couloir
humanitaire pour les fem-
mes. Anciennes directrice de
l’université des sciences,
tre à l’éducation du cabinet fan-
tôme de Keir Starmer, chef de file
du Labour. Rishi Sunak porte une
responsabilité personnelle face à
cette situation, lui aussi, il a coupé
dans les budgets », a accusé la dé-
putée sur la BBC, dimanche.
Le budget alloué à l’éducation a
en effet beaucoup souffert des
politiques d’austérité décidées
par les tories à partir de 2010.
Le gouvernement de David Ca-
meron a notamment abandonné
un ambitieux programme de
­rénovations scolaires lancé
en 2004 par le travailliste Tony
Blair, « Building Schools for the
Future ». Selon une étude de la
Chambre des communes publiée
le 1er septembre, pour l’année fis-
cale 2021-2022, le budget dévolu
aux dépenses d’investissement
pour les écoles anglaises était de
4,9 milliards de livres sterling
(5,2 milliards d’euros), en baisse
de 50 % en tenant compte de l’in-
flation, par rapport à celui qui
était alloué en 2009-2010.
Pourtant, les faiblesses du RAAC
avaient été identifiées dès les an-
nées 1990. Un rapport publié
en 1996 par le Building Research
Establishment, un centre de re-
cherche sur le bâtiment, listait les
risques posés dans les écoles ou
les logements sociaux et recom-
mandait des inspections annuel-
les pour les structures fragilisées,
tous les cinq ans pour celles qui
étaient visiblement en bon état.
En 2002, un autre rapport du
même organisme soulignait que
le RAAC avait une durée de vie ex-
cédant rarement vingt ans.
Présence d’amiante
Les autorités n’ont commencé à
s’inquiéter qu’à partir de 2018,
après l’effondrement d’un toit
dans une école primaire de Grave-
send, dans le Kent (sud-est de l’An-
gleterre). La salle des professeurs,
des toilettes et des salles adminis-
tratives avaient été endomma-
gées, sans faire apparemment de
victimes. Mais, au lieu de mettre à
profit les longs mois de fermeture
des écoles durant la pandémie
pour procéder à des rénovations,
le ministère de l’éducation n’a dé-
cidé les travaux d’inspection qu’à
partir de 2021. Il faut dire que sept
ministres se sont succédé à ce ma-
roquin depuis 2018, rendant
toute continuité de l’action publi-
que compliquée. Et l’alarme n’a
vraiment été tirée que ces der-
niers jours, prenant de court les
chefs d’établissement concernés.
Sarah Skinner, chargée de plu-
sieurs établissements dans le Suf-
folk et l’Essex, racontait ainsi, sa-
medi, à la BBC Radio 4, avoir été
prévenue le 31 août qu’une de ses
écoles devait fermer dix classes, et
une autre seize, ainsi que des toi-
lettes et des gymnases. « Nous
avons passé nos derniers jours au
téléphone pour trouver des salles
c­ onsultante pour des ONG,
présentatrice de télévision
ou encore enseignante, elles
ont en commun de ne pas
avoir pu bénéficier des ponts
aériens vers les pays occiden-
taux lors de l’arrivée au
pouvoir des talibans. – (AFP.)
R oyau m e - U n i
Nombre record de
traversées de migrants
de la Manche en un jour
Les autorités britanniques
ont détecté 872 arrivées de
International | 7
m e rcr e di 6 s e pt e m b r e
Le budget alloué
à l’éducation
a beaucoup
souffert
des politiques
d’austérité
décidées par VALLÉE DU RHÔNE
les tories Gigonda s
Domaine Bertrand
de classe d’urgence. Dans une des Stehelin
écoles, la cour de récréation est Cuvée les Blâches
vraiment petite, cela va être très 2022 AOP
12.99 €
compliqué d’y loger dix salles de
classe temporaires [sous des ten-
tes] sans compter qu’il faudra leur
amener l’électricité et toute la lo-
gistique », s’inquiétait la responsa-
ble. « Il est inacceptable que nous
soyons dans une telle situation. Un
programme de rénovation et de
construction d’écoles de qualité
aurait dû être planifié depuis des
années », a fustigé la commissaire
pour les droits de l’enfant en An-
gleterre, Rachel de Souza. LOIRE
Dimanche, pressé par les mé-
dias britanniques, Jeremy Hunt, Menetou-
le chancelier de l’Echiquier, a pro- Sa lon
mis de dépenser « autant qu’il le Domaine de
faudra pour résoudre ces problè- Beaurepaire
mes aussi vite que possible, car la
sécurité des enfants est notre prio- 2022 AOC
8.99 €
rité numéro un ». Les syndicats en-
seignants ainsi que le Labour ré-
clament que la ministre de l’édu-
cation nationale, Gillian Keegan,
publie une liste officielle des éco-
les concernées par les fermetures
ou menacées par la présence de
RAAC.
Or, le pire pourrait être à venir,
pour le public britannique et le
gouvernement Sunak : selon le
Sunday Mirror, jusqu’à 7 000 éco-
les n’auraient pas encore été
­inspectées et des centaines pour-
raient donc faire face à d’éven-
tuelles fermetures.
Par ailleurs, des palais de justice
et au moins 41 hôpitaux contien-
nent aussi du RAAC et présentent
de gros risques. La députée tra-
vailliste Meg Hillier, présidente
de la commission parlementaire
Année 2023 - Photos non contractuelles - LIDL RCS Créteil 343 262 622 |
des comptes publics, a raconté
aux médias britanniques que,
lors d’une visite avec d’autres élus
dans un hôpital qu’elle n’a pas
nommé, les patients obèses
étaient reçus au rez-de-chaussée
de peur que les planchers des éta-
ges s’effondrent sous eux.
A cela, il faut ajouter l’amiante,
qui pourrait aggraver une situa-
tion déjà alarmante. Selon le
­Sunday Times, qui a consulté des BORDEAUX
experts en bâtiment, les murs en
RAAC qui se désagrègent risquent
Fronsa c BIO
d’exposer dangereusement le Château La Justice
­public à ces fibres cancérigènes, 2021 AOC
8
alors que des milliers de bâti-
ments publics et hôpitaux n’ont
99 € **
.
toujours pas été désamiantés. p
Cécile Ducourtieux
migrants ayant traversé
la Manche sur de petites
­embarcations pour la seule
journée du samedi 2 septem-
bre, un record depuis
le début de l’année.
Au total, plus de 21 000 per-
sonnes sont arrivées de cette Toutes les bouteilles de cette page sont de contenance 75 cl.
**
Sondage représentatif auprès de 2825 clients de 38 cavistes réalisé SCANNEZ
façon au Royaume-Uni en mai 2023, méthode CAWI (computer assisted web interview). pour retrouver
depuis le début de l’année, Distinction délivrée par l’Institut de la Qualité (IAQ). le catalogue
un nombre qui suggère
une légère baisse de rythme
par rapport aux plus de
45 000 arrivées détectées
L’ABUS D’ALCOOL EST DANGEREUX POUR LA SANTÉ, À CONSOMMER AVEC MODÉRATION
en 2022. – (AFP.)
 France
8|
Rentrée scolaire
Evolution des effectifs du premier degré, maternelle et élémentaire,
public et privé, France entière, en millions
6,88 6,78
7 380 000
6,5
6 soit 24,3 % des effectifs
5,5
5 35 ans
4,5
4
1995 2000 2005 2010 2015
Evolution des effectifs du second degré, collège, lycée général
et technologique, lycée professionnel, public et privé, France entière,
en millions
5,73
5,5
5,30
5 44 ans
4,5
4 400 000
1995 2000 2005 2010 2015
* Champ : France métropolitaine et DROM (hors Mayotte pour le privé), ensemble des agents payés par l’éducation nationale, en activité au 30 novembre. Public et privé sous contrat
Avec moins d’élèves, quelle école demain ?
Le système scolaire aura perdu environ 500 000 élèves entre 2022 et 2027. Le gouvernement doit faire des choix
E
t si la baisse du nombre d’élèves
redonnait de l’air à l’éducation
nationale ? Si 12 millions d’élè-
ves faisaient leur rentrée, lundi,
le système scolaire devrait en
perdre environ 500 000 entre
2022 et 2027 : près de 400 000 dans le pre-
mier degré et plus de 100 000 dans le second
degré. Le gouvernement est à l’aube de choix
décisifs pour les conditions d’apprentissage
des élèves et de travail des enseignants. Il
aura, entre autres, à placer le curseur entre
suppression de postes d’enseignants et
­réduction du nombre d’élèves par classe.
Avec un nombre de naissances en baisse
quasi constante depuis 2010, les écoles pâtis-
sent du phénomène depuis près de dix ans,
mais cette diminution va s’accélérer, selon les
travaux de la direction de l’évaluation, de la
prospective et de la performance du minis-
tère de l’éducation nationale. Après une
baisse de 58 000 élèves entre 2021 et 2022, le
premier degré s’attend à perdre 73 000 élèves
en 2023, puis 224 000 entre 2024 et 2027. Une
baisse inédite depuis au moins quarante ans.
Ces trajectoires se profilent pour le second de-
gré à partir de 2024, en particulier au collège.
Les acteurs de l’éducation font pression sur
le ministère de l’éducation nationale pour
que la baisse du nombre d’élèves ne conduise
pas mathématiquement à des suppressions
de postes massives. En la matière, la logique
est loin d’être toujours respectée : les collèges
et les lycées ont connu des suppressions de
postes ces dernières années alors que le nom-
bre d’élèves était plutôt en augmentation.
30 élèves par classe au lycée
La FCPE est en première ligne sur le sujet. La
fédération de parents d’élèves a lancé, en
­février, une pétition qui a récolté près de
76 000 signatures. Elle y demande « l’ouver-
ture d’une réflexion collective » afin de « défi-
nir un projet éducatif national partagé ». « La
baisse démographique est une opportunité à
saisir pour permettre à tous les enfants et
adolescents de vivre une scolarité permettant
leur épanouissement et leur bien-être »,
­martèle Grégoire Ensel, son président. « Quel
service public d’éducation voulons-nous ? Il y
a un choix d’école à faire, un choix quantitatif,
mais aussi qualitatif, sur les conditions
­d’apprentissage des élèves et les conditions de
travail des personnels », abonde Elisabeth
­Allain-Moreno, secrétaire générale du syndi-
cat d’enseignants SE-UNSA.
Evolution des effectifs* d’enseignants du premier degré,
maternelle et élémentaire, public et privé, France entière
6,42
6,06
360 000
340 000
Projection
320 000
300 000
2022 2027 2015 2016 2017 2018 2019 2020 2021 2022
Evolution des effectifs* d’enseignants du second degré,
collège, lycée général et technologique, lycée
professionnel, public et privé, France entière
500 000
5,65
5,54
480 000
460 000
440 000
Projection
420 000
2022 2027 2015 2016 2017 2018 2019 2020 2021 2022
La Cour des comptes appelle, elle aussi, dans
une note de juillet, à « tirer parti » de cette
baisse démographique, un « phénomène
­majeur » pour l’éducation nationale. L’ins-
tance a fait ses calculs : cette diminution du
nombre d’élèves « devrait en principe ­conduire
à une baisse corrélative des effectifs d’ensei-
gnants, de l’ordre de 15 000 emplois entre 2022
et 2027 », « en réalité 9 000 emplois environ »,
pour « laisser au ministère une marge de
manœuvre dans sa gestion des effectifs ».
Néanmoins, la Cour juge que la baisse du
nombre d’élèves doit permettre d’« amélio-
rer le taux d’encadrement des élèves, en parti-
culier dans le premier degré », de « favoriser
d’autres organisations des classes », comme
le dédoublement des classes en éducation
prioritaire, mis en place depuis 2017, et
­d’engager une concertation entre les élus
­locaux et l’Etat sur « les perspectives plurian-
nuelles de fermeture et d’ouverture de classes,
en particulier dans les zones rurales ».
Cette diminution des effectifs n’est pas uni-
forme. Les zones rurales sont très fortement
touchées, mais certains centres-villes aussi.
Paris compte près de 30 000 élèves en moins
dans ses écoles depuis 2010 et s’attend encore
à une diminution de 9 000 élèves entre 2023
et 2025. La baisse commence à se répercuter
dans le second degré avec près de 4 700 élèves
en moins en deux ans. « Nous scrutons avec
attention trois éléments : le nombre d’élèves se-
ra-t-il conforme à nos prévisions dans nos éco-
les ? Quel impact, à terme, dans le second degré
et quelle conséquence pour la répartition entre
public et privé sous contrat ? », relate Antoine
Destrés, le directeur de l’académie. Les écoles
parisiennes comptent en moyenne 20 élèves
par classe et, alors que le premier ­degré était
épargné jusque-là, comme ­partout en France,
des suppressions de ­postes ont été entérinées
pour cette rentrée.
La taille des classes fait partie des données
scrutées de près. En la matière, la France n’est
pas une bonne élève : elle a les classes les
plus chargées d’Europe. Dans les écoles, on
compte en moyenne 22 élèves par classe,
contre 19 pour l’ensemble de l’Union euro-
péenne (UE). Si le dédoublement des classes
de grande section, CP et CE1 en éducation
prioritaire a permis de faire baisser cet indi-
cateur, près de 28 % des classes comptent en-
core 25 élèves ou plus (contre 42 % en 2017).
« Il existe des effets de seuil. Entre 20 et 24 élè-
ves maximum par classe, on peut davantage
observer les élèves, repérer les difficultés,
Age des enseignants du premier degré,
public et privé, France entière, en 2021
70 ans
370 493
58 ans
50 ans
44 ans
21 ans
0 3 000
Age des enseignants du second degré,
public et privé, France entière, en 2021
70 ans
483 189
58 ans
50 ans
35 ans
21 ans
0 5 000
prendre le temps d’y remédier », explique
Guislaine David, porte-parole du syndicat
des enseignants du primaire, SNUipp-FSU.
Dans les collèges et les lycées généraux et
technologiques, la taille des classes n’a cessé
d’augmenter depuis 2007. Là encore, la
France arrive bonne dernière de l’UE, avec
près de 26 élèves par classe en collège, contre
21 en moyenne. En lycée général et technolo-
gique, la moyenne dépasse les 30 élèves par
classe. Ce critère est « un élément détermi-
nant du niveau et des résultats scolaires.
Quand le nombre d’élèves par classe est
­au-dessus de la moyenne européenne, il ne
faut pas s’étonner que les résultats aux éva-
luations internationales en pâtissent », confie
Le premier degré le sociologue de l’éducation Pierre Merle.
s’attend à perdre
« Perspective de court terme »
73 000 élèves La crise de l’attractivité du métier d’ensei-
gnant vient complexifier la donne. Depuis
à la rentrée 2023, plusieurs années, les concours ne font pas le
plein. La Cour des comptes évalue le nombre
puis 224 000 entre de postes non pourvus à plus de 1 100 par an
2024 et 2027. entre 2017 et 2021. Ce chiffre est monté à
4 000 pour la session 2022, puis à 2 700 envi-
Une baisse inédite ron en 2023. Ces postes vacants ont une inci-
dence sur la composition du corps ensei-
depuis au moins gnant, qui compte davantage de contrac-
quarante ans tuels (7,4 % en 2020, contre 4,8 % en 2010), et
sur les conditions de travail, les heures
­supplémentaires ne faisant que croître.
Cette crise pourrait s’amplifier dans les pro-
chaines années du simple fait des départs à la
retraite d’enseignants. La direction de l’ani-
mation de la recherche, des études et des sta-
tistiques du ministère du travail en anticipe
300 000 d’ici à 2030. Pour compliquer le tout,
la carte de la baisse des effectifs et celle de l’at-
tractivité des territoires pour les enseignants
ne se superposent pas. Dans le premier degré,
par exemple, l’académie de Rennes perd plus
d’élèves en 2021 que Versailles ou Créteil,
mais attire bien plus les professeurs.
Du point de vue des acteurs de l’éducation,
cette gestion prospective constitue néan-
moins l’angle mort de l’action ministérielle.
« Chaque ministre s’inscrit dans l’agenda de
son gouvernement, dans une perspective de
court terme, sans réflexion spécifique à moyen
terme. Le temps politique l’emporte très large-
ment sur le temps éducatif », juge Pierre Merle.
« Aucun travail prospectif n’est mené en con-
certation. Les ministres changent souvent et
veulent marquer leur passage Rue de Grenelle
sans forcément prendre en compte ces tendan-
0123
­
­Mardi 5­ septembre 2023
17 722 enseignants
de plus de 58 ans,
soit 4,7 % des effectifs
90 675 enseignants
de plus de 50 ans,
6 000 9 000 12 000 15 000
46 115 enseignants
de plus de 58 ans,
soit 9,5 % des effectifs
164 990 enseignants
de plus de 50 ans,
soit 34 % des effectifs
10 000 15 000 20 000
Infographie : Le Monde Source : DEPP
ces de fond », remarque Elisabeth Allain-Mo-
reno. Le nouveau ministre, Gabriel Attal, a
­annoncé préparer un plan sur l’attractivité du
métier d’enseignant. Une première réunion
avec les syndicats est prévue le 13 septembre.
Les collectivités locales, qui gèrent les lo-
caux, donc les fermetures d’établissements,
sont aussi en demande. « De combien d’ensei-
gnants a-t-on besoin sur un territoire donné ?
C’est un dialogue de gestion que nous n’avons
pas avec l’éducation nationale », reconnaît la
présidente du Réseau français des villes édu-
catrices, Emilie Kuchel, alors que la baisse du
nombre d’élèves crée « un sentiment d’insé-
curité » chez les élus locaux, qui « se deman-
dent chaque année combien de postes vont
être supprimés et l’impact sur leurs établisse-
ments ». La première ministre, Elisabeth
Borne, s’est engagée, le 31 mars, à donner une
« vision à trois ans » des fermetures de classes
dans les seules zones rurales, et ces collectivi-
tés attendent que ce travail commence.
Si la tentation est grande, pour un élu local,
de retarder jusqu’au dernier moment les
choix à faire, tant les oppositions sont vives à
chaque fermeture d’établissement, certaines
collectivités tentent d’anticiper. Le départe-
ment des Deux-Sèvres a adopté, début février,
un « plan collège 2050 », partant du constat
que ses collèges compteront 12 % d’élèves en
moins d’ici à 2032, et expérimente des solu-
tions sur le territoire de la Gâtine. La ferme-
ture d’un collège, qui compte 89 élèves, vient
d’être actée. Deux autres, situés à 500 mètres
l’un de l’autre, vont fusionner. Un autre en-
core va disposer, d’ici à 2028, d’un internat,
une première pour le département. Dans des
zones encore moins denses, la ­collectivité fait
le choix de conserver deux collèges de
100 élèves, pour ne pas allonger le temps de
transport scolaire. « La démarche va prendre
vingt ans pour couvrir l’ensemble du départe-
ment, mais on se doit de réfléchir à long
terme », concède Coralie Denoues (divers
droite), présidente du conseil départemental.
« Cet enjeu d’aménagement du territoire
n’est pas neutre, alors que ces questions de
­démographie percutent les enjeux liés au
­réchauffement climatique, à la sobriété éner-
gétique et même aux questions de mixité
­sociale, souligne Alexis Torchet, du
­SGEN-CFDT. Il s’agit de choix démocratiques
­majeurs qui ne peuvent pas se décider sur un
coin de table. Ils nécessitent dialogue et dé-
bats, avec les parents et les personnels. » p
Sylvie Lecherbonnier
0123
­
­Mardi 5­ septembre 2023
Evolution du nombre moyen d’élèves par classe dans le premier degré,
public et privé, France entière
25 24,8
23,5
23
21
19
17
15
2013 2015
Evolution du nombre moyen d’élèves par classe dans le second degré,
public et privé, France entière
35
30
28,5
25 24,5
21,7
20
Lycée professionnel
15
1995 2000
Comment le privé affronte
la réduction de ses effectifs
Dans ses établissements, l’équilibre économique dépend
du nombre d’élèves. Des changements sont en cours pour faire face
D epuis quelques années,
l’enseignement privé
sous contrat scrute de
près les courbes démographi-
ques. En 2027, le système scolaire
comptera 500 000 élèves de
moins qu’en 2022, dont 400 000
en primaire, et la tendance va se
poursuivre. S’il est difficile de
­savoir comment cette baisse se
répartira entre le public et le privé
sous contrat, ce dernier sait qu’il
doit se préparer à perdre des
­dizaines de milliers d’élèves sur
les quelque 2 millions qu’il scola-
rise. A la rentrée 2023, le ministère
de l’éducation nationale anticipe
une nouvelle baisse de 14 000 élè-
ves (64 800 pour le public), après
un recul de 12 000 en 2022.
Un tournant pour le secteur
privé sous contrat, dont les effec-
tifs n’avaient cessé de croître entre
2011 et 2021. Mais là où le creux dé-
mographique est vu par beaucoup
d’acteurs du public comme une
chance d’alléger les classes à coût
constant, il est observé d’un œil
soucieux dans le privé. « Notre
équilibre économique dépend du
nombre d’élèves », rappelle Phi-
lippe Delorme, secrétaire général
de l’enseignement catholique.
Anticiper
Les collectivités territoriales ver-
sent aux établissements privés,
­financés à 73 % par de l’argent pu-
blic, des « forfaits » pour couvrir
les dépenses de fonctionnement
dont le montant dépend du nom-
bre d’élèves. Les établissements
perçoivent, en outre, des contri-
butions des familles, qui paient
des frais pour chaque enfant ins-
crit. « Ce sont comme de petites en-
treprises : si leur équilibre financier
est rompu, ils seront amenés à fer-
mer », résume Bruno Poucet, his-
torien et spécialiste de l’enseigne-
ment privé. C’est déjà le cas en
Bretagne ou à Lille.
Alors que les effectifs du privé ne
reposent que sur la volonté et la
Maternelle
Elémentaire
19,3
C’est le nombre moyen d’élèves
par classe dans l’Union européenne
en 2019-2020 en élémentaire.
Le minimum est en Pologne avec 16,6 élèves,
et le maximum en France avec 22,1 élèves.
2017 2019
Lycée général
et technologique
Collège (hors Segpa)
2005 2010
Infographie : Le Monde
possibilité des parents d’inscrire
leurs enfants, le secrétariat géné-
ral de l’enseignement catholique a
déjà engagé une « démarche pros-
pective » pour s’adapter à la nou-
velle donne. « L’enseignement ca-
tholique est un peu à un carrefour,
détaille Philippe Delorme. Nous
réfléchissons à la fois à la question
démographique, mais aussi à no-
tre ­organisation, à notre projet
éducatif et pédagogique, pour as-
surer notre présence sur le terri-
toire et répondre aux besoins. »
Le diocèse de Lille a même man-
daté un « cabinet de prospective
­scolaire ». Tout est étudié : la dé-
mographie, les flux d’élèves entre
public et privé, les politiques de
construction d’infrastructures et
de logements, jusqu’à la nature et
la taille des logements, permet-
tant d’anticiper le type de familles
amenées à s’y installer. « On est en
capacité d’anticiper les effectifs sur
cinq ans, et donc de nous adapter
et de nous redéployer en fonction
des ­besoins », explique Hubert
­Antoine, le directeur diocésain.
Certains expérimentent des dis-
positifs comme la mutualisation
des directions d’écoles pour ré-
duire les coûts, ou encore les re-
groupements d’établissements.
Plus largement, c’est à « l’attracti-
vité » de leur offre que travaillent
les établissements. « Nous déve-
loppons le lien de continuité entre
école, collège et lycée », indique,
par exemple, Christophe ­Geffard,
directeur diocésain du ­Finistère.
« Le risque, avec cette nécessité
d’attirer des élèves, est de voir se
renforcer la concurrence entre
privé et public, ainsi qu’entre éta-
blissements privés », note Bruno
Poucet. Se pose ainsi la question
de l’équilibre à moyen terme en-
tre public et privé, alors que les ef-
fectifs du second ont proportion-
nellement plus augmenté que
ceux du public en dix ans, et bais-
sent moins vite. La part du privé
sous contrat dans les effectifs
France | 9
m e rcr e di 6 s e pt e m b r e
22,4
21,6
2022
RETROUVEZ TOUTE NOTRE SÉLECTION EN SUPERMARCHÉ
BORDEAUX
4+2
Borde aux
Terres Légendaires
2022 AOP
30,3
OFFERTES*
Le carton de 6 bouteilles
25,9 dont 2 OFFERTES : 11,32 €
(1 L = 2,52 €) au lieu
de 16,98 € (1 L = 3,77 €)
SOIT LA
BOUTEILLE
1.
89 €
17,9
2015 2022
Sources : DEPP ; OCDE
La bouteille à l’unité
2.83 €
VALLÉE DU RHÔNE
4+2
CÔTES DU RHÔNE
Vieilles Vignes
2022 AOP
OFFERTES*
Le carton de 6 bouteilles
dont 2 OFFERTES : 11,92 €
d’élèves en France a par consé-
quent légèrement augmenté, pas-
sant de 16,5 % en 2011 à un peu
plus de 17 % en 2022. Dans le
même temps, la mixité sociale
(1 L = 2,65 €) au lieu
de 17,88 € (1 L = 3,97 €)
dans ces établissements, qui con- SOIT LA
centrent de plus en plus d’enfants BOUTEILLE
1.
de familles très favorisées, a nette-
ment reculé.
Des évolutions qui suscitent des
inquiétudes notamment dans
99 €
l’académie de Paris, où la chute
du nombre d’élèves est la plus
forte. Selon des projections de Ju-
La bouteille à l’unité
lien Grenet, directeur ­adjoint de
l’Institut des politiques publi-
ques, la part des élèves ­scolarisés
2.98 €
en 6e dans le privé est passée de
35,4 % en 2020 à 37,5 % en 2022, et
Année 2023 - Photos non contractuelles - LIDL RCS Créteil 343 262 622 |
pourrait atteindre les 50 % à hori- SUD-OUEST
4+2
zon 2030. « Le rectorat ferme de
nombreuses classes dans le public
CÔTES DE G aSCOGNE
faute d’élèves, mais pas dans le COLOMBARD
privé, dit Jean-Noël Aqua, élu S aUVIGON BL aNC
communiste au Conseil de Paris. Confidence de Gascogne
Vu le niveau de ségrégation entre OFFERTES* 2022 IGP
les deux secteurs, cette dynamique
Le carton de 6 bouteilles
pose un vrai problème politique et
dont 2 OFFERTES : 14,92 €
nécessite une action du rectorat. »
(1 L = 3,32 €) au lieu
Au ministère de l’éducation
de 22,38 € (1 L = 4,97 €)
­nationale, on se dit « vigilant sur
ce point », tout en rappelant que
Paris est un territoire particulier.
Au niveau national, la répartition SOIT LA
des moyens budgétaires selon la BOUTEILLE
2.49 €
règle non écrite du « ratio des
20 % » – 20 % des moyens du pu- **
blic pour le privé, qu’ils soient à la
hausse ou à la baisse – conduit de
toute façon à limiter la part du
privé dans les effectifs globaux.
« Même si la répartition globale La bouteille à l’unité
reste stable, des déséquilibres
­peuvent se renforcer localement, 3.73 €
notamment dans les grandes ag-
glomérations, puisque le privé a la
souplesse de gérer les moyens dont Toutes les bouteilles de cette page sont de contenance 75 cl.
**
Sondage représentatif auprès de 2825 clients de 38 cavistes réalisé SCANNEZ
il dispose et de redéployer son offre en mai 2023, méthode CAWI (computer assisted web interview). pour retrouver
là où la demande est forte », es- Distinction délivrée par l’Institut de la Qualité (IAQ). le catalogue
time Julien Grenet. Reste à savoir
si la baisse démographique per-
mettra de rebattre les cartes du
profil social des établissements. p
L’ABUS D’ALCOOL EST DANGEREUX POUR LA SANTÉ, À CONSOMMER AVEC MODÉRATION
Eléa Pommiers

10 | France
La dernière évasion de Rédoine Faïd aux assises
Le procès du braqueur s’ouvre à Paris, mardi. En 2018, il s’était échappé de la prison de Réau en hélicoptère
A
ucun risque d’évasion
imminente n’avait été
décelé à son sujet, mais
l’adjointe au chef du
centre pénitentiaire de Réau (Sei-
ne-et-Marne) avait bien repéré ces
drones qui survolaient parfois
l’établissement depuis que Ré-
doine Faïd, braqueur multirécidi-
viste et multicondamné, avait été
transféré dans cette prison ultra-
sécurisée en novembre 2017. Elle
avait averti sa direction en fé-
vrier 2018, attirant aussi l’atten-
tion sur l’absence de filins anti-in-
trusion aérienne au-dessus de la
cour d’honneur, à laquelle, certes,
les détenus n’avaient pas accès.
C’est de cette cour que Rédoine
Faïd s’envolera en hélicoptère cinq
mois plus tard, lors d’une évasion
digne des films de gangsters qui le
fascinent, et qui vaut à cet homme
de 51 ans de comparaître devant la
cour d’assises de Paris à partir du
mardi 5 septembre.
Dimanche 1er juillet 2018 au ma-
tin, Rédoine Faïd quitte la cellule
L ’
H E U R
E D U
M O N
D E
207 où il est à l’isolement pour re-
trouver son frère Brahim, venu lui
rendre visite. La veille, le détenu
avait demandé à avancer cette ren-
contre, d’abord prévue l’après-
midi, pour ne pas manquer le
match Espagne-Russie, en hui-
tième de finale de la Coupe du
monde de football, à 16 heures. Ré-
doine Faïd arrive au parloir à 9 h 15.
Trois mois de cavale
Il est 11 h 18 lorsqu’un Alouette II,
un petit hélicoptère vieillot des an-
nées 1950, s’engouffre dans la cour
d’honneur de la prison – elle a, de-
puis ce jour, été dotée de filins anti-
intrusion. A bord, trois hommes
cagoulés et le pilote qu’ils ont pris
en otage dans un aérodrome à
proximité. Ce dernier a pour ordre
de rester en vol stationnaire à 1
mètre au-dessus du sol. Un
homme reste à bord avec lui, un
deuxième monte la garde dans la
cour, fusil d’assaut à la main, le
troisième attaque la porte d’un bâ-
timent à coups de meuleuse, le
ANALYSE
LE TEMPS DE L’ÉCOUTE
Disponibles sur toutes les plateformes de podcasts
tout dans le brouillard d’un fumi-
gène obstruant la vision des sur-
veillants et des caméras.
Le pêne de la porte cède en qua-
rante secondes, l’homme à la meu-
leuse s’engage dans un couloir, et
atteint, deux grilles en fer sciées
plus tard, la zone des parloirs, dont
il extrait Rédoine Faïd, avec qui il
effectue le trajet en sens inverse.
On se serre dans le petit Alouette
II, qui s’élève, puis s’éloigne sous
les acclamations d’autres détenus.
L’affaire a duré moins de dix minu-
tes, aucun coup de feu n’a été tiré.
L’hélicoptère se pose à Gonesse
(Val-d’Oise), 50 kilomètres au nord,
ses occupants grimpent dans une
première voiture, puis une se-
conde, qui s’engage sur l’auto-
route A1, franchit le péage de Sen-
lis (Oise), et s’évapore. Il est 12 h 11,
Rédoine Faïd, l’un des détenus les
plus surveillés de France, a dis-
paru. Une fois encore.
Cinq ans plus tôt, le braqueur
était parvenu à s’échapper d’une
première prison, celle de Sequedin
ACTUALITÉ
RÉCIT
PODCASTS
(Nord) : équipé d’un pistolet et
d’explosifs dissimulés dans son
sac de linge sale, il avait pris en
otage quatre surveillants et fait
sauter cinq portes. Il avait été rat-
trapé six semaines plus tard. Après
Réau, Rédoine Faïd tiendra quatre-
vingt-quinze jours.
Au cours de leurs recherches, les
enquêteurs ont bénéficié de l’aide
involontaire des malfaiteurs, qui
avaient mis plus de soin dans les
préparatifs de l’évasion que dans
ses lendemains. Une semaine
après les faits, un chasseur décou-
vre dans une forêt, mal cachés,
des fusils d’assaut, des gilets pare-
balles, des talkies-walkies, le tee-
shirt que portait Rédoine Faïd le
jour de son évasion, et la meu-
leuse lui ayant ouvert les portes.
Sur ce matériel, on trouvera l’ADN
de Rachid Faïd, grand frère de Ré-
doine, et de leur neveu Ishaac He-
rizi, soupçonnés d’avoir pris place
dans l’hélicoptère.
Trois semaines après l’évasion,
Rédoine et Rachid Faïd sont filmés
Design graphique : Cheeri
On ignore
toujours
l’identité
du troisième
membre
du commando
cagoulé
par la vidéosurveillance d’un cen-
tre commercial de Sarcelles
(Val-d’Oise), où ils ont abouti à l’is-
sue d’une course-poursuite avec
des policiers, consécutive à un
contrôle routier. L’étau se resserre
autour du cercle familial et de
Creil, ville natale du braqueur, où
sa cavale s’achève le 3 octobre : il
est arrêté à 1 kilomètre du quartier
où il a grandi, dans l’appartement
d’une connaissance de son neveu.
Onze personnes comparaîtront
à ses côtés, notamment les petites
mains de la logistique mais aussi
deux accusés plus inattendus : Jac-
ques Mariani, figure majeure du
milieu corse, et l’un de ses anciens
proches. Les enquêteurs ont ac-
quis la certitude qu’ils avaient été
sollicités par Rédoine Faïd pour un
projet d’évasion de Fresnes (Val-
de-Marne) en 2017, et soupçon-
nent que les liens ont perduré.
La cour aura sept semaines, jus-
qu’au verdict, attendu le 20 octo-
bre, pour évoquer les derniers
mystères de l’évasion. On ignore
toujours l’identité du troisième
membre du commando cagoulé,
jamais retrouvé. Par ailleurs,
Les Restos du cœur
étranglés par l’inflation
L’association a annoncé qu’elle allait devoir
éconduire quelque 150 000 personnes
N ous demandons des ré-
ponses concrètes, pré­-
cises, immédiates, et le
lancement d’un plan d’urgence
­alimentaire. » Le président des
Restos du cœur, Patrice Douret, a
adressé un appel à l’aide aux « for-
ces politiques et aux forces éco­-
nomiques » lors du « 13 heures » de
TF1, dimanche 3 septembre. Il dé-
crit au Monde une « situation iné-
dite » : jamais, depuis leur créa-
tion en 1985 par Coluche, les Res-
tos du cœur n’avaient aidé autant
de monde – ils ont déjà accueilli
1,3 million de personnes cette an-
née, contre 1,1 million en 2022. Et
jamais l’association n’avait
autant dépensé, du fait de ces be-
soins accrus et de l’inflation : elle
doit acheter plus du tiers de la
nourriture qu’elle distribue et
faire face aux surcoûts d’électri-
cité, de transports…
« A ce rythme-là, si on ne fait rien,
même les Restos du cœur pour-
raient mettre la clé sous la porte
d’ici trois ans », a prévenu Patrice
Douret sur TF1, annonçant devoir
dès cet automne « réduire forte-
ment » le nombre de personnes
accueillies pour se concentrer sur
ceux qui ont les plus faibles « res-
tes à vivre ». Quelque 150 000 per-
sonnes seraient ainsi privées de
l’aide alimentaire des Restos. « On
devra aussi réduire les quantités
pour tous ceux qu’on pourra ac-
cueillir », regrette Patrice Douret.
Sur TF1, il a rappelé avoir alerté
le gouvernement depuis plu-
sieurs mois, mais « nous ne som-
mes pas suffisamment entendus et
je dirais même, peut-être, pas suf­-
fisamment pris au sérieux ». Avec
les trois autres associations béné-
ficiant de l’aide alimentaire euro-
péenne – les banques alimen-
taires, le Secours populaire et la
Croix-Rouge –, il a demandé au
0123
­
­Mardi 5­ septembre 2023
aucune complicité interne n’ayant
été établie, ni chez les surveillants
ni chez les détenus, on ne sait pas
comment les malfaiteurs ont eu
connaissance de la configuration
complexe de l’établissement.
A l’instruction, Rédoine et Ra-
chid Faïd sont restés mutiques. « Je
peux vous donner les raisons pour
lesquelles j’ai décidé de participer à
son évasion, a juste dit le second.
C’est l’accumulation de peines. C’est
un mouroir. » Au moment de sa
fuite, Rédoine Faïd purgeait, entre
autres, une peine de dix ans pour
son évasion de 2013 et une de
vingt-cinq ans pour avoir organisé
un braquage, en 2010, au cours du-
quel une policière municipale
avait perdu la vie à Villiers-sur-
Marne (Val-de-Marne). La fin de sa
peine était fixée à 2046.
A l’isolement depuis dix ans, in-
carcéré à Condé-sur-Sarthe (Orne)
depuis mai – et à Fleury-Mérogis
(Essonne) le temps du procès –,
Rédoine Faïd a aussi droit au dis-
positif de la « gestion menottée »,
très strict, qui l’empêche de faire
un pas hors de sa cellule sans être
entravé. Il entre au parloir avec les
menottes aux poignets, on les lui
retire de l’extérieur à travers une
trappe. Les rencontres avec ses
proches se font derrière une vitre
et un Hygiaphone, sous le regard
d’un surveillant. Ses conversa-
tions téléphoniques, hormis avec
ses avocats, sont écoutées en di-
rect. L’accusé, qui encourt la per-
pétuité, compte faire de son pro-
cès celui, aussi, de ses conditions
de détention. p
Henri Seckel
printemps à rencontrer Emma-
nuel Macron. Il a aussi appelé,
dans une tribune au Monde, à ren-
forcer le Soutien européen à l’aide
alimentaire. Sans résultat.
Cette fois, des élus de nombreux
partis se sont émus de la situation,
dimanche. Plusieurs ont soutenu
l’idée du « plan d’urgence alimen-
taire ». Dans la grande distribu-
tion, Les Mousquetaires et Carre-
four ont promis d’effectuer des
dons et d’organiser des collectes.
Aide de 15 millions d’euros
La ministre des solidarités, Aurore
Bergé, s’est exprimée lors du
« 20 heures » de TF1. Elle a indiqué
que l’aide alimentaire du gouver-
nement avait été portée à 156 mil-
lions d’euros cette année et que,
« dans les prochains jours, 15 mil-
lions d’euros » seront « mis sur la
table » pour aider les Restos à
« passer cette période », et 6 mil-
lions d’euros débloqués en faveur
des associations d’aide aux tout-
petits. A l’instar de M. Douret, elle
a lancé « un appel solennel aux
grandes entreprises ». Elle compte
les recevoir rapidement, en même
temps que les présidents des gran-
des associations de solidarité.
Cette annonce « ne répond pas à
l’urgence », puisque « même en ré-
duisant le nombre de personnes ac-
cueillies et les quantités données,
nous avons besoin de 35 millions
d’euros pour terminer notre exer-
cice à l’équilibre en mars, réagit
M. Douret. D’autre part, les 15 mil-
lions annoncés englobent une di-
zaine de millions d’euros déjà pré-
vus dans le cadre du plan “Mieux
manger pour tous”. Il y a néan-
moins une avancée et une volonté
de la ministre d’aller dans le bon
sens, et nous resterons attentifs aux
propositions qui seront faites ». p
Claire Ané

12 | France
Pissevin, ghetto de Nîmes prisonnier des trafics
Le quartier vit au rythme des conflits entre bandes pour s’approprier cette « centrale d’achats » de drogue
Enquête
Nîmes et Marseille -
correspondants
S
ur la fresque qui recouvre
les murs défraîchis des
­immeubles de la dalle Wa-
gner, au cœur du quartier
de Pissevin, un slogan à moitié ef-
facé : « Nîmes, quartiers d’avenir ».
Quelques adolescents traînent
devant la médiathèque, fermée
depuis trois mois, des hommes en
djellaba passent devant le bureau
de poste, également clos. Des da-
mes âgées discutent, assises sur
des chaises pliantes. La dalle pa-
raît avoir retrouvé son calme, en
cette fin d’après-midi du 1er sep-
tembre. La présence policière sem-
ble avoir fait taire, du moins pour
un temps, les « Ara ! Ara ! » (« atten-
tion », en arabe) poussés par les
« choufs », les guetteurs, qui d’ordi-
naire y surveillent, perchés sur les
toits plats des magasins aux ri-
deaux depuis longtemps baissés,
l’arrivée des forces de l’ordre.
« Ils sont dans les parages », as-
sure pourtant, résigné, Alain Lor-
geas, 83 ans, l’une des figures de
Pissevin, où il a emménagé en 1972
et dont il préside l’union de quar-
tier. « Ils se cherchent juste un
­nouveau point de deal », renchérit
Raouf Azzouz, président de l’asso-
ciation de quartier Les Mille Cou-
leurs. Tous deux sont las, après dix
jours, de raconter les mêmes cho-
ses aux médias, venus nombreux
au chevet de la « ZUP », comme on
surnomme ce quartier situé dans
le sud-ouest de Nîmes, à la suite de
la fusillade du 21 août, au cours de
laquelle Fayed, 10 ans, a trouvé la
mort dans la voiture de son oncle,
un militaire sans lien avec le trafic,
prise pour cible par des tireurs
­armés de fusils-mitrailleurs.
Une tragédie de plus, dans un
quartier qui semble s’y être rési-
gné. Comme la municipalité
­nîmoise. « Aucun élu n’est venu [à
la suite de la mort de Fayed] »,
­déplore Raouf Azzouz. Il est loin le
mois de février 2020, où deux
­fusillades entre bandes, causant
trois blessés, avaient déclenché
une grande marche blanche, à
­laquelle avaient participé nombre
d’élus, dont le maire de Nîmes,
Jean-Paul Fournier (Les Républi-
cains). Les tirs, comme la guerre
sans fin que se livrent des bandes
de narcotrafiquants pour s’appro-
prier le « four » (point de vente)
Wagner, l’un des plus rentables de
la ville, avec plus de 25 000 euros
de bénéfices par jour, font partie
du quotidien. « Une gangrène, un
cancer, qui est là et qui pourrit
tout », peste Raouf Azzouz.
« Embauchés pour tirer »
Avant les balles qui ont tué Fayed
et grièvement blessé son oncle,
dans le quartier voisin de Valde-
gour, le 7 août, quatre hommes à
scooter ont tiré sur un groupe
d’adolescents, faisant deux bles-
sés graves, dont un mineur de
15 ans. Le 2 août, c’est un homme,
connu des services de police, qui
est blessé par balle près de la dalle.
Des vendettas sans fin, dont la
­police a souvent du mal à démêler
les causes. « Il y a une instabilité
qui explose depuis la fin de 2022,
explique un policier, bon connais-
seur du dossier de la “ZUP”. Des
jeunes veulent déloger les clans en
place. » Quitte à faire appel à des
ressources extérieures, comme
ces « Marseillais qui apparais-
sent » depuis quelques mois à Val-
degour, « embauchés pour tirer ».
Difficile d’accuser la police de ne
pas faire son travail. Le parquet de
Nîmes confirme qu’au moins
trois enquêtes pour « assassinat
en bande organisée » sont ouver-
tes, onze autres pour « tentatives
d’assassinat ». Quatre autres dos-
siers d’homicides ou de tentatives
d’homicide liés au narcotrafic nî-
mois sont traités par la juridiction
interrégionale spécialisée de Mar-
seille. Difficile, aussi, d’invoquer
les lenteurs de la justice. A la suite
Policiers dans
le quartier
Pissevin,
à Nîmes,
le 22 août.
NICOLAS TUCAT/AFP
de la mort de Fayed, le parquet a
communiqué une longue liste de
condamnations récentes pour des
affaires liées aux stupéfiants, dont
neuf, depuis 2021, à l’issue d’ins-
tructions judiciaires. Mais rien
n’arrête la spirale des violences.
Paradoxalement, reconnaît le
cadre policier, la situation actuelle
est en partie la résultante de ces
coups de filet successifs. « Lorsque
l’on tape une tête de réseau, il y a le
risque que les choses dégénèrent »,
en particulier en ouvrant le sec-
teur à la concurrence. « C’est une
hydre : si l’on coupe une tête, une
autre repousse », explique Fahd
Mihih, un avocat spécialisé dans
les dossiers de stupéfiants nîmois.
Depuis 2017, au moins trois
­réseaux importants ont été dé-
mantelés. Les dossiers judiciaires
de ces affaires, que Le Monde a pu
consulter, permettent de dresser
un tableau, par essence partiel, des
rivalités à l’origine des fusillades.
En 2017, l’une des têtes du trafic à
Pissevin, Pierre Guest, un enfant
du quartier au casier judiciaire
bien fourni, avec six mentions
avant ses 18 ans, est arrêté et incar-
céré. Depuis sa cellule au centre
pénitentiaire de Muret (Haute-Ga-
ronne), il tente de poursuivre à
­distance la surveillance de ses af-
faires. Mais « quand Guest tombe, il
laisse un vide », raconte Me Mihih.
D’autres clans se précipitent
pour le combler, dont la famille
Haouam. Là encore, une enquête,
menée en 2018 et en 2019, fera
tomber en partie ce réseau. C’est
« l’affaire du parking P4 », du nom
du sous-sol de la galerie commer-
çante Wagner, qui sert alors de
« drive-in », où les clients, « jusqu’à
200 par jour », se souvient
Me Guillaume Martine, qui défen-
dait Mohamed Haouam, présenté
comme la tête du réseau, sont ser-
vis sans quitter leur voiture.
Quinze personnes sont renvoyées,
à la fin de 2020, aux assises. Moha-
med Haouam, alors en cavale, est
Lors de
la fusillade
du 21 août, Fayed,
10 ans, a trouvé
la mort
dans la voiture
de son oncle
condamné à onze ans de prison. Il
a été arrêté le 15 mai en Espagne.
Pourtant, estime Me Martine, le
clan « ne contrôlait plus grand-
chose ; d’ailleurs, [le] frère [de
­Mohamed Haouam] a fait l’objet
d’une “jambisation” [s’est fait tirer
dans les jambes] fin 2019 ».
« Une ville dans la ville »
Après le clan Haouam, une autre
famille, les Loualich, reprend le
contrôle du deal. Au point que
Pierre Guest tente, depuis sa cel-
lule, de monter une alliance avec
le caïd d’un autre quartier sensible
nîmois, celui du Mas-de-Mingue,
au sud-est de la ville, pour s’en
prendre à ces nouveaux concur-
rents au cours des deux fusillades
du début de 2020. Dans ses messa-
ges, cités dans le dossier, il est sans
équivoque : « Je veux que le gérant,
il soit fumé. » L’attaque ne vise plus
à « jambiser », mais à tuer. L’opéra-
tion sera un échec, puisque Khatir
Loualich, la cible désignée par
Pierre Guest, n’est pas touché.
Il faudra une nouvelle enquête
policière, la même année, pour
­affaiblir le clan Loualich. C’est
« l’affaire Wagner 2 », qui dé-
marre, notamment, grâce au pira-
tage par les polices européennes
d’EncroChat, un système néerlan-
dais de téléphones cryptés utilisé
par les dealeurs. L’enquête mon-
tre la mainmise du trafic sur toute
la dalle Wagner, où des magasins
sont utilisés comme entrepôts et
des habitants contraints à jouer le
rôle de « nourrices », en stockant
drogue et armes chez eux.
Elle montre aussi le degré d’orga-
nisation du trafic, avec ses petites
mains, les « choufs », les « char-
bonneurs », qui vendent, les ­« por-
tiers », chargés de surveiller les
planques, le grossiste, qui fournit à
la demande cocaïne ou ­ecstasy, ou
la casse automobile de la com-
mune voisine de Caissargues
(Gard), utilisée pour blanchir l’ar-
gent. Sans parler de l’arsenal dé-
ployé pour tenir les rivaux à dis-
tance : en 2020, les enquêteurs re-
trouveront, dans une Renault Sce-
nic, une vingtaine d’armes, dont
des fusils d’assaut ou des pistolets-
mitrailleurs. Des armes de guerre,
utilisées par des jeunes qui ne sa-
vent pas toujours s’en servir, ce qui
explique en partie les « 70 % de vic-
times collatérales » constatées par
les policiers lors de ces fusillades.
Coups de filet et procès ne
­parviennent pas à endiguer le
« C’est une hydre :
si l’on coupe
une tête, une
autre repousse »
Fahd Mihih
avocat
t­ rafic et ses violences, faute, peut-
être, de pouvoir toucher les réels
donneurs d’ordre, souvent instal-
lés au Maghreb. « Nîmes, c’est une
centrale d’achat, un couloir d’ache-
minement, explique un bon con-
naisseur du dossier, avec des gros-
sistes qui alimentent ensuite toute
la France. » Pissevin est situé à un
emplacement stratégique, juste à
côté de l’autoroute qui mène en
Espagne, d’où remonte la drogue.
Situé sur les hauteurs, le quartier
de 14 000 habitants est sorti de
terre dans les années 1960, à l’épo-
que où la France, en pénurie de
­logements, se couvrait de grands
ensembles. Pissevin, comme tant
d’autres, connaît, dès les ­années
1980, le cycle infernal de paupéri-
sation et de ghettoïsation, ren-
forcé par les 6 kilomètres qui le sé-
parent du centre de Nîmes. « On
ne peut pas dire que l’on ne fait rien
à Pissevin. Les quartiers prioritaires
de la ville sont tous traversés par le
tram-bus [une ligne de bus priori-
taire], et il n’y a aucune volonté
d’isolement de notre part », sou-
tient Julien Plantier, le premier ad-
joint à la mairie de Nîmes. Il a fallu
attendre 2020 pour que ce trait
d’union relie le prospère centre-
ville à son quartier le plus pauvre.
Soixante ans d’isolement géo-
graphique et social ont fait de Pis-
sevin « une ville dans la ville », ex-
plique Raouf Azzouz. Ou plutôt
une deuxième ville, une zone à
part. Ses habitants descendent
­rarement dans le centre, les
­touristes qui se concentrent
autour des bâtiments romains de
la Maison carrée et des arènes
n’imaginent pas qu’ils se trou-
vent à quelques kilomètres de
cette cité où règne un taux de chô-
mage supérieur à 45 % en 2020 et
où 70 % de la population vivait
sous le seuil de pauvreté en 2018.
Le narcotrafic prospère et four-
nit un revenu à de nombreux
­jeunes du quartier. Le métier de
guetteur, souvent exercé par des
mineurs, payés autour de 50 euros
la journée, n’est pourtant pas sans
risques. Trois jours après la mort
de Fayed, le 24 août, un jeune de
18 ans était abattu. Surnommé
« Béziers », sa ville d’origine, il était
vraisemblablement venu « chou-
fer » à Pissevin. Un homme de
20 ans a été mis en examen, jeudi
28 août, dans ce dossier.
La municipalité renvoie le plus
souvent la responsabilité de l’insé-
curité du quartier à l’Etat, accusé
de ne pas fournir les moyens poli-
ciers nécessaires. En juin, la ville
décidait de fermer la médiathèque
Marc-Bernard, située sur la dalle
Wagner, en expliquant que les em-
ployés municipaux s’y faisaient
fouiller par les dealeurs, pour véri-
fier qu’ils n’étaient pas policiers.
« C’est arrivé une fois », nuance Gé-
rard Miesch, du syndicat Sud-mu-
nicipaux, qui déplore cette « ins-
trumentalisation, dans le cadre
d’un bras de fer avec [le ministre de
l’intérieur] Gérald Darmanin », et
dénonce, plus globalement, une
« politique d’abandon des services
publics dans le quartier ».
« Les gens veulent partir »
« On est les derniers à y aller », cons-
tate Mathieu Rouvières, éducateur
spécialisé du Comité de protection
de l’enfance et de l’adolescence
Gard-Lozère, qui se rend régulière-
ment dans les trois tours de la
­galerie Wagner. Il décrit les cages
d’escalier en ruine, des familles
­vivant « sans matelas ». La plupart
des appartements, revendus à bas
prix par les habitants qui ont
quitté la dalle, sont la propriété de
« marchands de sommeil », qui les
louent notamment la commu-
nauté comorienne, à laquelle
­appartient la famille du petit
Fayed. Les dealeurs, eux, ont in-
vesti le bas des tours et leurs sous-
sols, allant jusqu’à demander leurs
papiers d’identité aux travailleurs
sociaux qui tentent d’y accéder.
« On sait qu’il y a un vrai pro-
blème et que certains sont prêts à
profiter de la grande misère des fa-
milles », reconnaît Julien Plantier.
Un projet de réhabilitation des co-
propriétés dégradées est en cours.
Mais l’élu avoue à demi-mot que,
pour le moment, il ne semble
guère porter ses fruits. Tout
comme le grand plan de réhabili-
tation porté par l’Agence natio-
nale pour la rénovation urbaine,
signé en 2021, mais dont les tra-
vaux n’ont toujours pas débuté.
« La rénovation urbaine bloque,
alors que l’argent est là », enrage
0123
­
­Mardi 5­ septembre 2023
Raouf Azzouz, dépité par des mois
d’allers-retours entre Etat, mairie
et département, qui se renvoient
la responsabilité du retard. « Il a
fallu attendre les autorisations ad-
ministratives et environnementa-
les. Et maintenant se pose la ques-
tion de la sécurisation des chan-
tiers. Les entreprises sont prêtes à
venir, mais veulent des garanties, et
je les comprends, mais nous, nous
ne sommes pas prêts à payer cette
facture », se défend Julien Plantier.
Pour la conseillère municipale
Valérie Rouverand (Renaissance),
la volonté de la municipalité de
désenclaver Pissevin n’y est pas.
Elle en veut notamment au maire
de ne pas avoir signé le contrat de
sécurité intégré proposé par
l’Etat. « Il souhaite la présence de
CRS de façon pérenne, mais cela
n’existe pas ! Par contre, depuis
­octobre 2021, notre ville aurait pu
bénéficier de cet instrument. Mais
le maire a refusé. » De nombreux
interlocuteurs estiment que les
priorités de la mairie sont ailleurs,
dans le centre-ville, avec une ob-
session : obtenir l’inscription de
la ville au Patrimoine mondial de
l’Unesco, manquée d’un cheveu
en 2018. Le dossier de candidature
sera réexaminé en septembre.
Le 24 août, à la veille de la visite
du ministre de l’intérieur, Gérald
Darmanin, venu annoncer des
renforts policiers, dont des CRS,
« jusqu’à la fin de l’année », et la
création d’un groupe interminis-
tériel de recherches consacré au
blanchiment et basé à Nîmes, la
mairie a envoyé une pelleteuse
déblayer les tas d’ordures qui
s’amoncelaient le long de la dalle.
La vue de l’engin de chantier a
­révolté les habitants, dont les
­demandes de nettoyage restaient
lettre morte depuis des mois.
« Les gens veulent partir, ils cher-
chent à déménager. Plus de
400 personnes ont fait des deman-
des de relogement », assure Raouf
Azzouz. Du moins ceux qui en ont
les moyens. Pour d’autres, il faut se
résigner à vivre au milieu des tra-
fics. « Il y a une grosse inquiétude
du côté des parents. On a tous très
peur », explique Stéphanie Ots-
mane, du collectif Les Gilets roses,
qui va à la rencontre des jeunes du
quartier. Une autre mère, sous le
couvert de l’anonymat, renchérit :
« On a le sentiment d’être dans une
spirale infernale. » p
Agathe Beaudouin
Samuel Laurent et Luc Leroux
0123
­
­Mardi 5­ septembre 2023
Elisabeth Borne confirme
de nouveaux 49.3 sur le budget
Le gouvernement prépare l’opinion publique et Les Républicains au
recours à cet article de la Constitution pour le projet de loi de finances
C’
est bel et bien la
­rentrée et, avec elle,
l’heure des explica-
tions de texte.
­Dimanche 3 septembre, la
­première ministre, Elisabeth
Borne, puis le ministre de l’écono-
mie, Bruno Le Maire, ont successi-
vement rappelé les grands axes
de ce qui sera leur automne politi-
que. Un message aux Français,
mais aussi aux élus de l’opposi-
tion, alors que les débats autour
du premier texte majeur de la
rentrée, le projet de loi de finan-
ces 2024, promettent, cette année
encore, des heures enflammées.
« Les oppositions considèrent
que voter un budget, c’est dire son
appartenance à une majorité, a
expliqué Elisabeth Borne dans un
entretien sur RTL. Les oppositions
ne voudront pas, c’est tout à fait
respectable, et on aura à recourir
certainement cet automne à des
49.3, car notre pays a besoin d’un
budget. » La première ministre n’a
pas utilisé l’article 49 alinéa 3 de la
Constitution depuis la réforme
des retraites, lors de laquelle son
gouvernement avait manqué de
chuter à neuf voix près. Elle avait
alors assuré, dans un entretien à
l’Agence France-Presse, fin mars :
« L’objectif que je fixe pour l’avenir,
c’est pas de 49.3 en dehors des
­textes financiers. »
Dimanche, Mme Borne, qui,
­depuis son retour de vacances, ne
s’était exprimée longuement qu’à
deux reprises (sur France Bleu le
23 août et lors des universités
d’été du Medef, le 28), a également
vanté le bilan législatif de cette
première année de majorité rela-
tive : « On a voté des textes sur le
pouvoir d’achat, (…) sur l’assuran-
ce-chômage, les retraites, donc on
avance et les oppositions veulent
faire croire le contraire. » Manière,
A Mayotte, l’exécutif promet des bouteilles
gratuites pour faire face à la pénurie d’eau
La colère monte sur l’île victime d’une sécheresse historique, où l’on évoque une crise prévisible
Saint-Denis (La Réunion) -
correspondance
U n aller-retour express à
Mayotte. En déplacement
dans l’océan ­Indien, le
nouveau ministre délégué chargé
des outre-mer, Philippe Vigier, est
parti de la base ­aérienne 181 Lieu-
tenant-Roland-Garros de La Réu-
nion, samedi 2 septembre, pour
quatre heures de vol aller, et qua-
tre heures retour en avion mili-
taire CASA CN-235, faute de vols
commerciaux, afin de « veiller à la
bonne mise en place du plan d’ur-
gence de lutte contre la crise de
l’eau ». Le temps d’annoncer ce
qu’il décrit comme « un véritable
plan Marshall pour Mayotte ».
Depuis plusieurs mois, les
300 000 habitants – 500 000,
­selon plusieurs élus locaux, en rai-
son de l’immigration illégale ve-
nue des Comores – sont confron-
tés à de sévères coupures d’eau en
raison d’une sécheresse histori-
que, la plus importante depuis
1997, d’infrastructures défaillan-
tes et d’investissements jamais
réalisés. Pour tenir jusqu’à la sai-
son des pluies, qui n’arrivera pas
avant novembre, des mesures de
restrictions s’appliqueront à partir
de lundi 4 septembre. L’eau ne cou-
lera au robinet qu’un jour sur trois.
Admettant que « la situation
que vivent les Mahoraises et les
notamment, de renvoyer la balle
dans le camp des Républicains
(LR), avec qui le bras de fer avait été
particulièrement serré en 2022.
Jouer la carte du 49.3 serait ­
« contraire à l’esprit » de la Consti-
tution, selon le président du
­Sénat, Gérard Larcher (LR), invité
dimanche de « Questions politi-
ques » (France Inter, Franceinfo,
Le Monde). « Je crois d’abord aux
vertus du dialogue », a-t-il insisté.
Mi-juin, M. Larcher avait mis en
garde le gouvernement contre
une possible censure votée par la
droite à l’Assemblée, en évoquant
des « risques d’accidentologie »
lors de l’examen du budget.
« Principe de responsabilité »
« C’est quand même extraordi-
naire qu’avant même la présenta-
tion du budget la première minis-
tre indique déjà recourir au 49.3 !
D’autant plus que nous sommes à
la veille d’une nouvelle réunion des
dialogues de Bercy [ces concerta-
tions préparatoires, prévues
mardi, entre le ministre délégué
au budget, Thomas Cazenave, et
les députés de tous bords] »,
­déplore pour sa part Véronique
Louwagie. Pour la députée LR de
l’Orne, « si les oppositions que
nous sommes ne votent pas en
­faveur du budget présenté, ce n’est
pas au motif que nous sommes
dans l’opposition, c’est avant tout
et en premier lieu parce que le
­budget proposé ne répond pas à
nos convictions et à nos valeurs ».
A gauche, on ne se dit pas
­surpris. « Gabriel Attal [le précé-
dent ministre délégué au budget]
nous avait dit dès juillet qu’il y
aurait vraisemblablement des
49.3 », indique Eric Coquerel, le
président La France insoumise de
la commission des finances de
l’Assemblée. « Le problème, c’est
Mahorais en matière d’eau [est]
inacceptable », Philippe Vigier a
annoncé que de « l’eau en
­bouteille sera distribuée aux per-
sonnes vulnérables à raison de 2 li-
tres par jour et par bénéfi-
ciaire ». Trente mille personnes
ont déjà été identifiées par
l’agence régionale de santé (ARS).
Des bouteilles doivent être
­importées de La Réunion et de
l’île Maurice. Une aide va être
créée pour les entreprises « dont
l’activité est significativement
­empêchée ou complètement arrê-
tée en raison des coupures d’eau ».
Le ministre délégué aux outre-
mer est revenu sur les mesures
déjà annoncées localement. Des
chantiers en cours visent à assurer
une meilleure répartition de l’eau
sur le réseau entre le nord de l’île et
le sud, qui souffre le plus. Un plan
de réparation des fuites – elles
sont estimées entre 25 % et 30 %
du volume distribué – est pro-
grammé. Une campagne de
­nouveaux forages et de recherche
de captages doit être lancée. Des
travaux visent à augmenter la
­capacité de l’usine de dessalement
de l’île de Petite-Terre, qui ne fonc-
tionne pas à plein régime. Quinze
cuves seront installées sur le terri-
toire pour constituer des stocks.
Selon Gilles Cantal, préfet chargé
de l’eau, l’Etat a engagé près de
30 millions d’euros.
qu’on risque d’avoir un 49.3 en
­version absolutiste, dans lequel le
gouvernement ne laissera rien
passer », regrette le député de
­Seine-Saint-Denis. Une référence
au budget 2023, pour lequel le
gouvernement avait lui-même
choisi les amendements figurant
dans la version finale du texte
adopté, en en supprimant
­certains, pourtant votés durant
les débats, comme celui sur la
taxation des superdividendes.
Sur le contenu de ce budget
2024, « on a augmenté la fiscalité
sur le tabac cette année et on ne
prévoit pas de l’augmenter l’an
prochain », a également déclaré
Elisabeth Borne. Des propos
­repris quelques heures plus tard
par son ministre de l’économie,
qui tentait, lui aussi, de rassurer.
« Nous n’augmentons pas les taxes
sur le tabac et l’alcool (…), c’est une
mesure de cohérence par rapport
à notre politique fiscale », a dé-
claré Bruno Le Maire sur BFM-TV.
La réalité est plus complexe : les
accises (taxes indirectes) sur le
­tabac restent indexées sur l’infla-
tion, et leur rythme de hausse a
bien été alourdi en 2022 (aligné
sur l’inflation de l’année précé-
dente et non de l’année N-2). Il
n’était en revanche pas prévu
­d’aller au-delà de l’inflation. Sur
L’exécutif tente
par tous
les moyens de
contrer la petite
musique de
hausse d’impôts
que contiendrait
le budget 2024
Samedi matin, Philippe Vigier a
confirmé le financement par
l’Etat d’un osmoseur pour trans-
former l’eau de mer en eau pota-
ble d’une capacité de 1 000 mètres
cubes – sans préciser le calendrier
de son installation. Lundi 28 août,
le ­directeur de l’ARS Mayotte, Oli-
vier Brahic, avait informé que les
­contrôles de la qualité de l’eau dis-
tribuée allaient être doublés pour
éviter que la « crise de l’eau se dou-
ble d’une crise sanitaire ». M. Vigier
a demandé que les résultats de ces
contrôles soient communiqués
aux dix-sept communes de l’île.
« C’est un peu tard »
Réagissant à cette visite, la dépu-
tée Estelle Youssouffa (Libertés,
­indépendants, outre-mer et terri-
toires), qui réclamait la distribu-
tion de bouteilles d’eau aux plus
vulnérables, estime que « ces
­annonces sont un début ». « Il
­faudra surveiller leur mise en place,
ajoute l’élue mahoraise. Ces mesu-
res auraient dû être prises bien plus
tôt. En venant sur place, M. le mi-
nistre a pu faire la différence entre
ce qui remonte à Paris et la réalité. »
« M. Vigier a pu constater la rési-
lience des Mahorais malgré leurs
souffrances, abonde le député
Mansour Kamardine (Les Répu-
blicains). Les choses vont dans la
bonne direction, même si c’est
un peu tard. Donc, le compte n’y
l’alcool, l’exécutif avait déjà fait
volte-face durant l’été.
Pas de quoi faire vaciller le
­gouvernement, qui tente par tous
les moyens de contrer la petite
musique de hausse d’impôts que
contiendrait le budget 2024. Il
faut dire qu’il prévoit l’augmenta-
tion de plusieurs taxes « brunes »,
comme celles sur les autoroutes
ou les billets d’avion, et l’extinc-
tion de niches fiscales, notam-
ment dans le domaine du loge-
ment. Mais aussi, en matière de
santé, le doublement de la fran-
chise sur les boîtes de médica-
ments, qui devrait passer de
50 centimes à 1 euro (dans la
­limite de 50 euros par an). Ce n’est
ni une taxe ni un impôt mais un
« principe de responsabilité », a
tenté de persuader M. Le Maire,
dimanche. « Sur les médicaments,
il y a eu des abus dans la consom-
mation, il faut que le tout-gratuit
ait un prix », a-t-il encore argué.
Si le locataire de Bercy a redit
que l’actuelle majorité « veut
­continuer à baisser les impôts », il
a jugé « pas responsable » une ris-
tourne sur le prix des carburants.
Vendredi, le président de la
­région Hauts-de-France, Xavier
Bertrand (LR), avait réclamé une
baisse « pour tous » de 15 à 20 cen-
times sur le prix du litre
­d’essence, reparti à la hausse cet
été. Cette proposition « coûte
12 milliards d’euros », a rejeté
M. Le Maire, ajoutant qu’elle ne
serait « pas cohérente avec les
­engagements budgétaires », avec
« la lutte contre le réchauffement
climatique et le verdissement de
notre fiscalité et la fin du “quoi
qu’il en coûte” », et alors que le
bouclier tarifaire sur le gaz et
l’électricité « va coûter plus de
30 milliards d’euros en 2023 ». p
Audrey Tonnelier
est pas car ces mesures ne produi-
ront pleinement leurs effets
qu’en 2024. D’ici là, il faut bien de
l’eau pour ­vivre. » Le parlemen-
taire ­demande que l’eau en
­bouteille soit distribuée à « tous
les Mahorais allocataires du RSA,
et pas ­seulement aux étrangers en
situation difficile ».
A Mayotte, la colère ne monte
pas seulement à cause des restric-
tions, mais parce que cette crise
était prévisible. Une importante
sécheresse avait déjà frappé l’île
en 2017. Des chantiers avaient
alors été engagés, sans aboutir à
une sécurisation de la ressource
en eau. « L’Etat le savait et mainte-
nant on parle de plan d’urgence, se
désole Anne, une habitante de
Mamoudzou, contactée par télé-
phone et qui a souhaité rester
anonyme. Ici, c’est la catastrophe.
Quand l’eau coule, c’est entre 8 et
12 heures, et pas jusqu’à 16 heures.
Les tours d’eau ne sont pas respec-
tés. C’est très difficile. »
Avant cet aller-retour rapide à
Mayotte, Philippe Vigier avait
­prévenu, depuis La Réunion, qu’il
n’était pas « [le magicien] Gérard
Majax, qui règle tout en une
­seconde ». « Nous sortirons de
cette crise de l’eau », promet-il
néanmoins, en assurant que la
­situation est suivie « au plus haut
niveau du gouvernement ». p
Jérôme Talpin
Au mont Mézenc,
la rentrée mutique
de Laurent Wauquiez
Le président LR de la région Auvergne-
Rhône-Alpes cherche à rebâtir son image
Mont Mézenc (Haute-Loire) -
envoyé spécial
C iel bleu et grand bol d’air
frais à 1 753 mètres, Lau-
rent Wauquiez a effectué
dimanche 3 septembre sa rentrée
politique au mont Mézenc (à che-
val entre la Haute-Loire et l’Ardè-
che). Avant son ascension tradi-
tionnelle, un proche de l’ancien
patron du parti Les Républicains
(LR) avait prévenu : « La matière
politique sera maigre, mais il fera
beau et c’est une balade sympa. »
Le président de la région Auver-
gne-Rhône-Alpes a été fidèle à sa
stratégie : celle du silence.
Sa douzième montée n’a, cette
fois, donné lieu à aucun discours.
Ce n’était pour lui pas le moment
d’évoquer les propos d’un Nicolas
Sarkozy jugeant son ancien mi-
nistre trop « petit bras » pour la
présidentielle de 2027, ni les ren-
trées politiques à droite du minis-
tre de l’intérieur, Gérald Darma-
nin, ou de David Lisnard, maire LR
de Cannes. « Profitez plutôt du
paysage, tout n’est pas un signe »,
conseille M. Wauquiez aux jour-
nalistes venus au rendez-vous,
où s’étaient pressés des militants
et quelques élus locaux.
Pour défendre la longue prise
de recul de celui qui rêve d’inver-
ser le cours d’une « décadence
française », le député LR du
Rhône, Alexandre Portier, manie
la métaphore cycliste : « Il y aura
un temps pour les discours politi-
ques, pour la campagne. Nous
sommes encore dans une étape
de plaine, ce n’est pas le moment
d’attaquer mais de remonter en
équipe le peloton et de construire
l’unité du parti. »
« Marcher lentement »
En attendant de voir leur cham-
pion à l’offensive dans les grands
cols, les cadres de LR ont appris à
composer avec les rares cartes
postales (deux entretiens au
Point et au Figaro en six mois, des
vidéos sur sa chaîne YouTube)
envoyées par le candidat LR pres-
que tout désigné pour la pro-
chaine présidentielle. « Il faut
comprendre qu’il n’est pas dans
la petite phrase politique », le dé-
fendait récemment Eric Ciotti
au micro de BFM-TV.
Cet hiver, le patron du parti de
droite a pourtant souffert de l’ex-
trême discrétion de son ami lors
de la réforme des retraites, alors
qu’Eric Ciotti peinait à se faire
­entendre de ses propres troupes à
l’Assemblée nationale. De l’his-
toire ancienne, indique-t-on dans
le clan des deux hommes. Un
temps moins zélé à vanter les
­mérites du président de région,
M. Ciotti fait de nouveau chauffer
les salles en faisant applaudir
« Laurent ». « Cette promesse de
victoire [en 2027], c’est Laurent qui
l’incarne avec force et talent », lan-
çait-il le 27 août lors de sa rentrée
politique au Cannet (Alpes-Mari-
times). Ce jour-là, Laurent Wau-
quiez se tenait en seconde ligne :
« C’est le jour d’Eric, pas le mien. »
Sur les pentes du mont Mézenc,
l’ex-député de la circonscription
est bien chez lui et donne le
tempo de la montée. Pantalon
noir et chemise blanche, en
chaussures de randonnée, il a pro-
mis « de marcher lentement ». En
Eu ro pé enn es
Jordan Bardella
confirme qu’il sera
tête de liste du RN
Le président du Rassemble-
ment national, Jordan Bar-
della, a annoncé dimanche
3 septembre, dans un entre-
tien au Figaro, qu’il serait
France | 13
L’ex-patron LR
n’a prononcé
aucun discours.
« Profitez plutôt
du paysage,
tout n’est pas un
signe », a-t-il dit
tête d’un cortège un temps blo-
qué par un troupeau de brebis et
une dizaine de manifestants éco-
logistes venus dénoncer le projet
de déviations de la RN 88 (« Lau-
rent, c’est la rentrée, il faut revoir sa
copie », scandent-ils), l’ex-minis-
tre accélère quand la route se ca-
bre entre les cailloux et les sou-
ches d’arbres. D’humeur légère, il
ironise sur l’équipement d’une
collaboratrice (« mais ce sont des
chaussures de bobo lyonnaise »)
ou évoque ses vacances le long
des chemins de Saint-Jacques de
Compostelle (850 kilomètres en
vingt-cinq jours). « C’est pour cela
qu’on ne te voit pas dans les mé-
dias », blague un sympathisant.
L’intéressé sourit mais ne relève
pas. Il pose au sommet avec les
étudiants de l’Union nationale
­interuniversitaire, le syndicat
étudiant classé à droite, pour
l’image. Les sondages semblent
glisser sur lui et son équipe. Celui
d’OpinionWay publié ce diman-
che dans Le Parisien le situe en
cinquième place parmi les per-
sonnalités capables de rassem-
bler la droite et le centre, loin der-
rière Edouard Philippe, arrivé pre-
mier. Dans son entourage, on
­rappelle que les favoris finissent
très rarement à l’Elysée, en citant
Edouard Balladur ou Alain Juppé.
Laurent Wauquiez n’appartient
pas à cette catégorie ; il souffre en-
core dans l’opinion d’une image
dégradée d’insincérité, depuis
qu’il a trop parlé devant les
­étudiants de l’EM Lyon, en 2018.
Dans son clan, on est persuadé
que cette image se travaille et se
change. Par le temps et la discré-
tion ? C’est le pari de l’ancien pré-
sident de LR (2017-2019), qui se
tient à l’écart de « l’agitation du
magma politique », comme il le
dit, et laisse Eric Ciotti gérer les af-
faires courantes (comme le choix
de la tête de liste pour les euro-
péennes de 2024), restructurer
le parti et changer les statuts
pour dégager les primaires de son
chemin vers 2027.
Laurent Wauquiez presse le pas
dans ses montagnes, moins dans
la course pour la présidentielle.
« Il a une volonté froide et est très
déterminé, contrairement à ce
qu’on dit », confiait récemment le
député LR de l’Isère, Yannick Neu-
der. Impossible de mesurer cette
détermination ou de sonder son
analyse sur l’initiative de Saint-
Denis d’Emmanuel Macron avec
les chefs de partis. Rendez-vous
est pris au campus des jeunes mi-
litants LR, le 30 septembre ou le
1er octobre à Valence. Pour l’heure,
le randonneur esquive, lâche un
dernier mot : « Vous [les journalis-
tes], vous étiez les seuls payés
aujourd’hui pour marcher dans
un si bel endroit. » Une balade à
défaut d’une rentrée politique. p
Alexandre Pedro
« naturellement » tête de liste
de son parti aux européennes
de juin 2024. L’eurodéputé
voit dans ce scrutin une « élec-
tion de mi-mandat » et « l’uni-
que occasion pour les Français
de sanctionner le gouverne-
ment et de préparer l’après-
Emmanuel Macron ». – (AFP.)
 Planète
14 |
C ata s t r o p h e s N at u r e l l e s
Au Québec, avec
les mégafeux,
l’avenir obscurci
de la forêt boréale
Plus de 6 000 feux se sont déclarés au Canada
depuis le début de l’année. En Abitibi-
Témiscamingue, région dépendante de
l’industrie forestière, les incendies sont vécus
comme un traumatisme inédit
Reportage
Abitibi-Témiscamingue (Canada) -
envoyée spéciale
L
e long de la route 117, qui file de
Montréal vers le nord du Québec,
le décor semble, à première vue,
immuable. Des murs d’épinettes
vert sombre, ce conifère qui peu-
ple la forêt boréale canadienne, se
dressent telles des sentinelles de chaque côté
de la voie sur des centaines de kilomètres.
Seule fantaisie dans ce spectacle statique, le
mouvement des branches agitées par la brise
des trembles et des bouleaux, ces feuillus
également présents dans la forêt primaire.
Mais, à la sortie du parc de La Vérendrye, la
plus grande réserve forestière protégée de
l’Abitibi-Témiscamingue, une région située
dans l’ouest de la province de Québec, il suf-
fit d’un détour de quelques kilomètres, par-
courus sur un chemin forestier cahoteux,
pour que surgisse un tout autre paysage. Où
que le regard se porte, des monts et des val-
lons noircis et arasés, des épinettes et des
pins gris consumés comme des tiges d’allu-
mette. Des troncs charbonneux gisent à
terre. Des énormes blocs de granit rose ont
été fracassés sous l’intensité de la chaleur. La
blancheur des troncs de bouleaux, intacts,
accroche la lumière du soleil de cette fin
août : ils sont les seuls rescapés du brasier
qui a ravagé la région dans les premiers jours
de juin. Trois mois après le passage de l’in-
cendie le plus intense jamais subi, bleuets,
fougères, épilobes aux fleurs violettes et
feuillus repoussent déjà dans le sol meuble.
Après l’Alberta, dans l’ouest du Canada,
début mai, les provinces atlantiques de l’est
du pays quelques semaines plus tard, et
avant que les flammes ne s’emparent de la
Colombie-Britannique et des Territoires du
Nord-Ouest – forçant encore, ces derniers
jours, plusieurs dizaines de milliers de per-
sonnes à évacuer leurs habitations –, le
Québec a lui aussi vécu une saison des feux
hors du commun.
Chacun ici a conservé dans son smartphone
les photos de cette saison en enfer –les flam-
mes qui surgissent à l’arrière du chalet, la fu-
mée, « la boucane » dit-on dans la région, qui
fait perdre tous les repères, le soleil trans-
formé en disque opaque dans un ciel orange
vif, les files de voitures fuyant les brasiers – et
les messages affolés échangés avec les pro-
ches : « C’est l’apocalypse », a écrit un homme
à son épouse. Depuis le mois de mai, 668 in-
cendies ont ravagé plus de cinq millions
d’hectares au Québec, soit près d’un tiers de la
superficie brûlée à travers tout le Canada, où
plus de 6 000 feux ont été enregistrés en 2023.
Les surfaces touchées sont à l’échelle de
l’immensité du pays, démesurées. Dans le
Grand Nord, le plus grand feu jamais réperto-
rié dans la province, de plus de un million
d’hectares, était toujours sous observation
fin août. Il a démarré le 27 mai. Mais, excep-
tionnellement, cette année, les flammes
n’ont pas seulement sévi au-delà de la « li-
mite nordique » du territoire, au nord du
50e parallèle, là où la forêt boréale est réguliè-
rement en proie à des feux estivaux. Elles se
sont aussi attaquées aux zones dites « de pro-
tection intensive », où sont installés de nom-
breux villages et où la forêt est exploitée par
les hommes. Ce sont 1,5 million d’hectares
qui sont partis en fumée sur ces terres habi-
tées, cent fois plus que la moyenne annuelle
de ces dix dernières années.
Durant cette saison infernale, l’Abitibi-Té-
miscamingue a été la région la plus dure-
ment touchée au sud de la limite nordique. Le
brasier le plus important, le feu « 344 » selon
la terminologie de la Société de protection
des forêts contre le feu (Sopfeu) du Québec,
qui attribue à chacun des foyers un numéro, a
rasé à lui seul plus de 500 000 hectares – près
de cinquante fois la superficie d’une ville
comme Paris. Trois mois après s’être déclaré,
le « 344 » menace toujours : il est considéré
comme maîtrisé, mais pas officiellement
éteint. A l’affût de la moindre fumerolle, des
hélicoptères survolent la zone sans relâche.
poissons asphyxiés
Sur les rives du lac Matchi-Manitou,
l’auberge du même nom organisait il y a
quelques semaines encore des séjours de
pêche pour les amateurs de doré, ce poisson
à la chair goûteuse. En quelques heures, le
1er juin, le feu 344 a transformé ses huit cha-
lets en tas de cendres. Le verre des fenêtres a
fondu sous la chaleur, les chaises en métal
se sont entortillées sur elles-mêmes. Au mi-
lieu d’un amas de charbon, un service d’as-
siettes en faïence reste miraculeusement
intact. Des résidus noirs obscurcissent l’eau,
qui vient lécher la plage de sable blanc,
­désormais déserte.
A une vingtaine de kilomètres au nord-
ouest, Eric Paquet, propriétaire de la pour-
voirie (le nom des auberges de pêche et de
chasse au Québec) du lac Guéguen, a vu ce
jour-là le ciel virer au rouge et la fumée en-
vahir l’air. « Mon urgence, dès qu’on a reçu
l’ordre d’évacuation de la sécurité civile, a été
d’aller rechercher les pêcheurs partis sur le
lac, inconscients du danger, car ils préfèrent
éteindre leur portable pour jouir de leur tran-
quillité. » Lors de son expédition de secours,
Eric Paquet voit flotter à la surface de l’eau,
« rendue plus chaude qu’à Miami », les cada-
vres de poissons asphyxiés. Ce 1er juin, tous
ses clients ont été ramenés à bon port, et ses
chalets ont échappé aux flammes. Mais
après avoir réussi à surmonter l’absence de
touristes pendant la pandémie de Covid-19,
le ­quinquagénaire, qui a investi 1 million de
dollars canadiens (680 000 euros) dans
cette auberge en vue d’assurer sa retraite,
voit une nouvelle fois sa saison estivale ré-
duite à néant. « Va-t-on revivre des feux de
cette intensité ? Oui, c’est écrit. Entre nos hi-
vers de moins en moins rigoureux et nos étés
de plus en plus chauds et précoces, ajouté au
phénomène El Niño que nous ­subissons ac-
Denis Dubé, de l’entreprise Produits forestiers Résolu, sur un terrain de la forêt incendiée,
au sud-est de Senneterre (Québec), le 24 août. photos : GUILLAUME SIMONEAU POUR « LE MONDE »
tuellement, ça pourrait même arriver dès
l’année prochaine. Mais où aller installer une
nouvelle affaire quand le monde entier subit
les mêmes tourments ? », s’interroge-t-il.
Dans la région, le feu 344 est surnommé le
« feu de Quévillon », du nom de Lebel-sur-
Quévillon, une localité de 2 160 habitants si-
« Va-t-on revivre tuée à 650 kilomètres au nord de Montréal,
des feux de qui s’est retrouvée au cœur du brasier. Guy La-
frenière, son maire, n’a nul besoin de consul-
cette intensité ? ter le petit calendrier posé derrière son bu-
reau pour se souvenir, heure par heure, de ce
Oui, c’est écrit. qu’il a vécu trois mois auparavant. « Le ven-
dredi 2 juin à 16 heures, la sécurité publique
ça pourrait m’appelle pour me prévenir qu’un feu s’en vient
même arriver dès sur la ville. Elle m’informe qu’il faudra peut-
être envisager, sous quarante-huit heures, une
l’année prochaine » évacuation. » Il s’affaire, appelle des bénévoles
Éric paquet en renfort. Mais quarante minutes plus tard,
propriétaire d’une auberge nouveau coup de fil. Le ton a changé. « Vous
au lac Guéguen avez trois heures pour partir, c’est un ordre. »
De sa mairie, Guy Lafrenière voit les flam-
mes s’élever, à 4 kilomètres de sa bourgade.
Un message d’alerte est lancé sur le groupe
Facebook de la municipalité, un camion de
pompiers sillonne les rues sirène hurlante, les
élus font du porte-à-porte pour presser les ha-
bitants de se munir d’une simple valise avec
du linge de rechange et de fuir. Dans les six
autobus qui emmènent ceux qui n’ont pas de
véhicule vers la ville de Senneterre, à une pe-
tite centaine de kilomètres au sud, qui va ac-
cueillir les réfugiés trente et un jours durant,
des enfants pleurent. « C’était effrayant », re-
connaît l’édile. Deux avions stationnés à l’aé-
roport embarquent une dizaine de patients
dans les hôpitaux de la région. « A 21 heures,
Lebel était une ville fantôme », se souvient-il.
Le maire reste seul, avec deux membres de
son cabinet et dix-sept pompiers municipaux
volontaires, un maigre contingent pour faire
face au feu qui approche. En bordure de la
ville, l’usine de pâte à papier Nordic Kraft
abrite des réservoirs de mazout et des wagons
de chlore, prêts à exploser.
0123
­
­Mardi 5­ septembre 2023
L’orage qui s’est déclaré la veille au soir a
frappé depuis l’Ontario voisin tout le nord du
Québec. Une ligne de foudre a allumé simul-
tanément près de deux cents foyers. La région
entière, qui sort d’un printemps inhabituelle-
ment chaud et sans eau – « 0,1 millimètre de
pluie tombé entre avril et mai, nous n’avions ja-
mais vécu cela », témoigne Guy Lafrenière –,
s’enflamme tel un fétu de paille. Seuls les lacs,
les cours d’eau et parfois les routes servent de
« freins naturels » aux flammes qui se propa-
gent. Le feu saute de cime en cime, projette à
des kilomètres à la ronde des tisons incandes-
cents, qui embrasent à leur tour les sols dessé-
chés des forêts. Les ordres d’évacuation s’en-
chaînent. Au total, 25 000 personnes au Qué-
bec devront quitter leur résidence pour quel-
ques heures ou plusieurs semaines.
Renforts de l’étranger
Ce 2 juin, Aldé Paré et Liliane Dion, 81 ans
tous les deux, ont abandonné leur dîner qui
mijotait sur la gazinière, ils ont sauté dans
leur caravane pour se réfugier chez leur fille
Hélène, à Senneterre. De retour dans leur pa-
villon de briques rouges de Lebel-sur-Qué-
villon, Aldé, droit comme un « i » dans sa
chemise violette, assure qu’il se trouve
« chanceux » de n’avoir pas perdu sa maison.
Mais deux « camps de chasse » du couple, ces
petits chalets rudimentaires construits au
bord de l’eau où les Québécois aiment passer
leur temps libre pour profiter de la pêche, de
la chasse et du bois, sont « passés au feu ».
Les traumatismes laissés par les incendies
tiennent parfois à une perte dérisoire. « Une
table basse sur laquelle notre fille Geneviève
avait laissé son empreinte de pied lorsqu’elle
était petite s’est entièrement consumée. Ça
peut paraître “niaiseux” mais c’est comme si
toute ma vie était concentrée dans cette petite
table ronde, s’étouffe Liliane, la voix brisée.
Depuis trois mois, j’ai le sentiment que le feu
est entré dans mes poumons, je ne parviens
plus à respirer. » Le feu, qui enflamme tous
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­Mardi 5­ septembre 2023
Un chargement de bois brûlé, mais exploitable, à l’usine Produits forestiers Résolu, à Senneterre, le 23 août.
Marc Waltz, agent de protection de la Société de protection des forêts contre le feu, à Val-d’Or, le 25 août.
Nation crie
de Waswanipi
Surface brûlée par les feux au 3 septembre l’ouest du territoire autour d’autres localités
Forêt boréale également menacées, Marc Waltz n’a pu que
superviser le défrichage de tranchées coupe-
feu à l’aide de volontaires, et installer des sys-
CANADA
tèmes d’arrosage autour de l’usine Nordic
Lebel- Kraft. « Cette usine, c’était mon Fort Alamo. Si
sur-Quévillon elle sautait, toute la ville y passait, se sou-
vient-il. La seule action possible était de ra- « Le feu est
lentir le feu pour sauver des vies et les infras- une bête en soi,
Senneterre Québec tructures essentielles. »
Val-d’Or Ro imprévisible.
ute Le Québec ne dispose que de 243 pompiers
11 7 à temps plein spécialisés dans les feux de fo-
QUÉBEC
rêt. Malgré le renfort exceptionnel de con- Nous avons dû
ONTARIO tingents étrangers – quelque 300 pompiers
Montréal
français, espagnols, américains et sud-co-
nous résoudre
Ottawa
réens se sont relayés au fil des jours –, l’agent à nous mettre
d’intervention de la Sopfeu estime qu’il
aurait fallu multiplier « au moins par dix les en mode défensif »
les souvenirs sur son passage, joue parfois effectifs » pour espérer venir à bout de ce feu Marc Waltz
des farces. Le chalet de leur fille Hélène Paré, dantesque. « Avec la chaleur dégagée par les agent de la Société
pourtant au cœur de la fournaise, a été épar- brasiers, on ne pouvait même pas envisager de protection des forêts
gné. « On se dit que nos aïeux ont veillé sur de larguer de l’eau par avion, elle se serait éva- contre le feu
lui », veut croire la volubile quinquagénaire. porée avant même de toucher le sol », ajoute-
Malgré le caractère exceptionnel des incen- t-il. Ce sont la baisse des températures et le
dies endurés au Québec cet été, aucune ville retour de la pluie qui, fin juin, ont finale-
n’a été détruite dans la province, et aucune ment eu raison de la vigueur des incendies.
victime n’est à déplorer. Mais aucun feu n’a
été éteint non plus par la seule action des Une épreuve pour la filière bois
pompiers. Marc Waltz, agent de protection de Maîtriser les bordures du feu à défaut de
la Sopfeu, a été assigné au « 344 » dès son éclo- l’éteindre, préserver les vies humaines, les
sion. Vingt-quatre jours de travail d’affilée, pompiers de la Sopfeu estiment avoir ac-
entrecoupés de nuits courtes et un constat à compli leur mission. « Mais ils n’ont pas pro-
l’issue de cette épreuve : « Il nous a fallu revoir tégé la forêt », regrette Guillaume Côté. Cet
complètement notre façon d’appréhender le entrepreneur forestier de 28 ans a perdu
feu. Avec un brasier de 107 kilomètres de long dans le feu de Quévillon deux de ses machi-
et de 97 kilomètres de large, un périmètre de nes, une abatteuse et un transporteur, ainsi
2 000 kilomètres et des flammes de quinze mè- que son « camion garage » avec tous ses
tres de hauteur au-delà des arbres, il était im- outils. Deux millions de dollars canadiens
possible de l’attaquer de front. Le feu est une de pertes sèches, auxquels il faut ajouter le
bête en soi, imprévisible. Nous avons dû nous manque à gagner des huit semaines, à rai-
résoudre à nous mettre en mode défensif. » son de 50 000 dollars de revenus hebdoma-
Avec, à ses côtés, seulement vingt pom- daires perdus, où il lui a été impossible de
piers disponibles pour protéger Lebel-sur- repartir « bûcher » dans les bois, tant que le
Quévillon aux premiers jours de juin, quand feu était jugé « hors de contrôle » par les
des hommes étaient déjà déployés à l’est et à autorités. « J’ai ce métier dans le sang, mais
je ne sais pas si je m’en relèverai », se désole-
t-il, insatisfait de l’aide de 50 millions de
dollars accordée aux entreprises sous
forme de prêts remboursables, annoncée le
5 juillet par le gouvernement du Québec.
« Ce qui vient de se passer n’est pas qu’une
anomalie, ça va forcément se reproduire. Le
gouvernement doit en tirer les leçons, aug-
menter les effectifs de pompiers, mais aussi
aider les entrepreneurs forestiers à survivre »,
poursuit Guillaume Côté. Lors d’un déplace-
ment le 25 août à Kelowna, en Colombie-Bri-
tannique, où un incendie toujours en cours
a détruit plus de 200 habitations, le premier
ministre canadien, Justin Trudeau, n’a pas
fermé la porte à l’idée de créer un service fé-
déral permanent de lutter contre les feux,
pour pallier les ressources limitées des pro-
vinces aujourd’hui chargées de la protec-
tion des forêts. Sans pour autant proposer
d’avancées concrètes.
En Abitibi-Témiscamingue, la destruction
de la forêt boréale est vécue comme un trau-
matisme. Notamment parce que l’industrie
forestière, forte de ses quelque 60 000 em-
plois directs et indirects, est, avec l’activité
minière, l’un de ses principaux moteurs éco-
nomiques de la région. Exploitée de façon
intensive depuis le début du XIXe siècle, la fo-
rêt fait encore vivre des villes entières.
La priorité ici est moins de s’alarmer de ce
puits de carbone qui a libéré dans l’atmos-
phère plus de 1 milliard de tonnes de CO2 de-
puis début mai (pour l’ensemble des incen-
dies canadiens) ou de s’inquiéter de la fragili-
sation des écosystèmes forestiers, que de
souligner l’urgence à reprendre coupes, ré-
coltes et sciages qui fournissent en bois de
construction et en pâte à papier tout le conti-
nent nord-américain. « En quelques jours, les
incendies ont réduit en cendre des milliers de
mètres cubes de bois qui attendaient d’être ré-
coltés », explique Patrick Garneau, directeur
régional de Produits forestiers Résolu, l’une
des plus grosses entreprises du secteur au
Québec. La perte est néanmoins relative
pour ce secteur industriel : quand il n’a pas
été entièrement consumé, le bois brûlé ne
l’est qu’en surface et reste exploitable une
fois débarrassé de la suie.
Mais le secteur est aujourd’hui engagé
dans une course contre la montre. Car à
peine le feu étouffé, un autre danger guette
déjà : le longicorne. Ce coléoptère à la cara-
pace noire et aux longues antennes a pro-
fité du printemps pour pondre ses œufs en-
tre le tronc et l’écorce du bois mort. Ses lar-
ves, affublées de puissantes mandibules, se
nourrissent de la pulpe du bois en creusant
des cavités dans les troncs. Depuis juin, la
forêt de Quévillon est devenue un immense
garde-manger à ciel ouvert pour ces insec-
tes. Quand les abatteuses et les excavatrices
chargées de débarrasser la forêt de ses stig-
mates noirs font une pause, quand les énor-
mes trucks de chargement, lourds de
quinze tonnes de troncs calcinés, cessent
leurs va-et-vient, Denis Dubé, superviseur
chez Produits forestiers Résolu, invite à ten-
dre l’oreille. La forêt résonne du « scrouic
scrouic » des larves voraces. Pour l’industrie
forestière, les trous qu’elles laissent der-
rière elles font baisser la valeur commer-
ciale des produits. « Nous nous donnons jus-
qu’à la fin du printemps pour récolter ce bois
brûlé, avant d’aller de l’avant en reprenant
nos coupes de bois vert », déclare, optimiste,
Patrick Garneau.
Repartir comme avant, vraiment ? En re-
plantant des conifères, alors que ce sont les
feuillus qui ont le mieux résisté au feu, qui
ont servi de pare-feu efficaces à certaines
habitations, et que leurs repousses sont
déjà visibles dans les parcelles dévastées ?
Le débat sur la régénération de la forêt bo-
réale couve à bas bruit, dans cette région
frappée de stupeur par la catastrophe d’am-
pleur inégalée qu’elle vient de vivre, mais
qui ne remet pas en cause sa dépendance au
commerce du bois.
Le forestier en chef du Québec, Louis Pel-
letier, un ancien dirigeant d’entreprise fo-
restière, doit réviser d’ici quelques semai-
nes, à l’intention du gouvernement du Qué-
bec, ses recommandations sur les futurs vo-
lumes de bois pouvant être récoltés sans
accroître la déforestation. Nul ne sait com-
ment il prendra en compte l’année 2023 :
comme une année « accidentelle » au vu de
l’ampleur des dégâts causés par les incen-
dies, ou comme l’indice de la menace qui
pèse désormais sur tout l’écosystème de la
forêt canadienne ? Une étude publiée le
22 août dans le cadre du World Weather At-
tribution, a démontré que le changement
Planète | 15
climatique a rendu sept fois plus probable
le contexte météorologique de chaleur et de
stress hydrique qui a favorisé les incendies
au Canada en 2023.
Henri Jacob, le militant écologiste qui a
fondé en 2000 Action boréale, une associa-
tion de défense de la forêt canadienne, subo-
dore déjà que rien ne va changer. Il a passé le
mois d’août à baguer des sauvagines, des
oiseaux aquatiques sauvages, dans des ma-
rais situés dans le périmètre du brasier de
Quévillon, afin d’étudier leur migration.
« Pour la première fois en vingt-neuf ans, je
n’ai vu ni castor ni ours ni orignal ni lynx dans
cette zone ravagée par les flammes. »
Atterré par les dégâts majeurs en termes
de biodiversité provoqués par ces incen-
dies, il tempête contre l’inertie des gouver-
nements, fédéral et provincial, à lutter con-
tre le dérèglement climatique. « Nous sa-
vions que cela allait se produire, et nous sa-
vons que cela se reproduira. Le pire drame,
c’est que nous considérons qu’il n’y a pas de
drame. » Le septuagénaire à la barbe blan-
che répète inlassablement ce que le gouver-
nement du Québec ne veut pas entendre,
selon lui, pour ne pas froisser le puissant
lobby forestier local : pour assurer la
­pérennité de la forêt, le moment est venu de
renoncer à ne replanter que les lucratives
épinettes noires. Elles sont les seules à
­intéresser l’industrie forestière, mais el-
les constituent, insiste-t-il, le combustible
des futurs feux.
Dans un chalet de bois de la Station d’en-
seignement et de recherche sur la forêt, si-
tuée sur les rives du lac Hébécourt, dans
l’ouest de l’Abitibi-Témiscamingue, une
carte affichée au mur recensant les incen-
dies subis par le territoire depuis 1717 per-
met au chercheur Yves Bergeron de resituer
la catastrophe de 2023 dans une perspective
historique. « Les feux de cette année sont évi-
demment exceptionnels au Québec. Il faut
remonter aux années 1920 pour avoir des
équivalents. Mais le XXe siècle est globale-
ment un siècle qui a connu peu d’incendies
comparativement aux deux siècles précé-
dents notamment, aussi faut-il être prudent
dans nos périodes de référence. » La forêt bo-
réale a des cycles naturels, cent qua-
rante ans pour arriver à maturité, explique-
t-il. Et les feux ont toujours représenté des
« perturbations naturelles » lui permettant
de se régénérer. Sous l’effet de la chaleur des
flammes, les cônes de pins gris par exemple
s’ouvrent et essaiment les graines qui don-
neront naissance à de nouvelles pousses.
appel des populations autochtones
Si Yves Bergeron convient que le réchauffe-
ment climatique accroît les risques d’incen-
die dans les années à venir, il est surtout at-
tentif à la façon dont la main de l’homme va
accélérer ou à l’inverse freiner la prochaine
régénération. Les surfaces affectées sont
telles qu’elles ne se régénéreront pas toutes
de façon naturelle. « Mais il est illusoire de
croire que nous pourrons replanter partout,
ajoute son collègue de l’Institut de recher-
che sur les forêts, Osvaldo Valeria. Les coûts
seraient prohibitifs. » Forts de leurs recher-
ches sur la forêt boréale primitive, celle qui
n’a pas été exploitée par l’homme, les deux
scientifiques estiment néanmoins que le
ministère des ressources naturelles,
chargé de la replantation, devra privilégier
un reboisement mixte de résineux et
feuillus afin de créer un environnement
plus résistant au feu.
Située à la limite sud du feu 344, la com-
munauté anichinabée (algonquine) de Lac-
Simon, une réserve autochtone de
2 500 personnes, a elle aussi dû fuir quel-
ques jours, début juin, la toxicité de l’air. En
cette fin d’été, son chef, Lucien Wabanonik,
confie « avoir la rage au cœur ». Les popula-
tions autochtones ont un attachement an-
cestral à leurs territoires qui, depuis des
millénaires, les approvisionnent en gibier
comme en plantes médicinales. « Cela fait
des années que les Premières Nations aler-
tent sur la nécessité de protéger tout ce qui
constitue le cosmos, l’eau, la terre, les ani-
maux et les hommes. Mais personne ne nous
écoute. » Attristé que les hommes aient par-
ticipé à « abîmer » le précieux écosystème
de la forêt boréale, le poumon vert de l’hé-
misphère Nord, Lucien Wabanonik est sans
illusion sur les leçons qu’ils s’apprêtent à en
tirer. Le chef anichinabé envisage avec fata-
lisme un avenir lourd de menaces : « Nous
allons payer très cher l’action de l’homme
sur le dérèglement du cosmos. » p
Hélène Jouan
 Économie & Entreprise
16 |
« Je ne suis
pas inquiète
pour France
Télévisions »
La présidente du groupe,
Delphine Ernotte Cunci,
affiche sa détermination, alors
qu’une grève perturbe la rentrée
Entretien
D’
ici quelques jours,
les sociétés de
l’audiovisuel pu-
blic (France Télévi-
sions, Radio France, France Mé-
dias Monde, Institut national de
l’audiovisuel, Arte) connaîtront
les moyens qui leur seront al-
loués afin de mettre en œuvre les
contrats d’objectifs et de moyens
actuellement en discussion, pour
les cinq prochaines années, avec
le ministère de la culture.
« Nous sommes doublement in-
quiets, alerte Denis Gravouil, le se-
crétaire général de la CGT specta-
cle. Sur le niveau des budgets eux-
COURS DU SOIR HISTOIRE DE L’ART
COMMENT REGARDER
UN TABLEAU
avec Françoise Barbe-Gall
À partir du 20 septembre, participez à 5 séances de 2 heures.
Une approche thématique de la peinture autour des couleurs pour
obtenir des clés de compréhension et acquérir des réflexes de lecture.
Françoise Barbe-Gall est historienne d’art française et conférencière
dans les musées nationaux. Elle a également enseigné à l’École du
Louvre entre 1982 et 2011. Depuis 2020, elle assure un programme
régulier de conférences en ligne. Elle est l’autrice de nombreux livres
sur la peinture, notamment Comment regarder un tableau et Comment
parler d’art avec les enfants.
ateliers.lemonde.fr
mêmes, mais aussi sur le système
de financement de l’audiovisuel
public par une fraction de la TVA,
mis en place après la suppression
de l’ex-redevance. La pérennisa-
tion de ce dispositif n’est toujours
pas assurée. »
A France Télévisions, pourtant,
ces incertitudes sur l’avenir, mais
aussi les coups de boutoir des
chaînes privées ou la grève qui af-
fecte les journaux depuis diman-
che 3 septembre n’entament pas
la sérénité de la présidente, Del-
phine Ernotte Cunci.
L’information de France Télévi-
sions fait sa rentrée sous la
menace d’un préavis de grève
SAISON 3
La présidente de France Télévisions, dans son bureau, à Paris, le 31 août. CHLOE SHARROCK/MYOP POUR « LE MONDE »
contre la suppression du
« 12-13 » et du « 19-20 » de
France 3. Que répondez-vous
à ceux qui y voient une dimi-
nution du pluralisme ?
J’ai conscience que pour les an-
ciens de la rédaction nationale de
la Trois, supprimer ce qui était
« leur » édition n’est pas simple.
Cependant, que nous disent les té-
léspectateurs ? Qu’ils attendent
une info locale vue de chez eux,
des campagnes et des périphéries,
moins parisiano-centrée. Nous
passons de deux éditions natio-
nales quotidiennes sur France 3
(les « 13 heures » et « 20 heures »
de France 2 restent !) à quarante-
huit éditions régionales.
C’est pour nous une façon de re-
donner la parole à des gens que
l’on voit peu sur les antennes, et
de la place à ce qui se passe en de-
hors des lieux de pouvoir. En un
mot, je porte une stratégie de re-
conquête de tous les territoi-
res. Nous nous décentralisons.
C’est un mouvement nécessaire
et attendu par les Français.
Baptisées « ICI 12/13 » et « ICI
19/20 », ces éditions portent
le nom d’une marque, ICI,
que vous partagez déjà sur
le numérique avec Radio
France. La prochaine étape
semble être l’élaboration
d’un projet éditorial commun,
soit un pas de plus vers une
fusion avec France Bleu…
Je n’ai jamais été ambiguë sur ce
sujet : je suis favorable aux rap-
prochements et aux coopérations
les plus poussées possibles avec
mes collègues de l’audiovisuel
public. En proximité, je suis pour
une forme d’union entre France 3
et France Bleu, avec laquelle nous
partageons déjà plus de trente
matinales communes. On peut et
on doit aller beaucoup plus loin
pour mieux nous répartir sur le
terrain, rendre compte de la diver-
sité et de la richesse des territoi-
res. Une marque unique, une li-
gne éditoriale commune… tout
cela sera précisé dans le contrat
d’objectifs et de moyens qui est en
cours de négociation avec l’Etat.
Irez-vous jusqu’à acter dans
ce contrat une transformation
des rédactions ?
Le contrat d’objectifs et de
moyens définit des grands enjeux
et des grands objectifs ; pour la fa-
çon dont on va procéder, ce sont
les personnels sur le terrain qui
nous le diront. On travaille déjà
sur des rapprochements immobi-
liers, mais il est évident que nous
devons accélérer tant sur le plan
éditorial que structurel.
Inclura-t-il aussi le projet
de gouvernance commune
entre France Télévisions,
Radio France et France Médias
Monde pour Franceinfo ?
« Il est évident
que nous devons
accélérer tant sur
le plan éditorial
que structurel »
J’ai toujours été pour les coopé-
rations éditoriales, moins pour
les grands mécanos qui mobili-
sent les équipes pendant des an-
nées et ne font pas toujours avan-
cer les dossiers.
Etes-vous confiante sur le
montant de l’enveloppe dont
disposera France Télévisions
ces cinq prochaines années ?
Ces dernières années, France Té-
lévisions a fait de fortes écono-
mies, tout en restant à l’équilibre.
Il faut résoudre l’équation budgé-
taire, mais la volonté d’avoir, en
France, un service public fort est
partagé par l’Etat. La ministre de la
culture [Rima Abdul Malak] l’a
rappelé à de nombreuses reprises.
C’est ce qui me rend confiante.
D’ici à 2030, nous aurons à por-
ter des investissements impor-
tants autour de la tech et de la
jeunesse. Pour la saison à venir,
ma priorité, c’est l’information.
Outre la rénovation profonde de
nos JT, je veux qu’on remonte les
audiences de Franceinfo, car elles
ne sont pas satisfaisantes. Nous
allons créer un JT pour les jeunes
de 12 à 18 ans, qui sera diffusé sur
les réseaux sociaux. Je veux
qu’on travaille sur de nouveaux
formats pour ces derniers, sur
nos chaînes et en numérique.
En juin, les parlementaires ont
fait des préconisations suscep-
tibles d’affaiblir France Télévi-
sions. Cela vous inquiète-t-il ?
La proposition de loi du séna-
teur Laurent Lafon [Union des dé-
mocrates et indépendants, Val-de-
Marne] et le rapport des députés
Jean-Jacques Gaultier [Les Répu-
blicains, Vosges] et Quentin Ba-
taillon [Renaissance, Loire] sont
tous deux extrêmement positifs,
puisque chacun insiste sur la né-
cessité d’un audiovisuel public
fort et bien financé. Nos audien-
ces progressent, nous sommes
l’offre d’information à laquelle les
Français accordent la plus grande
confiance, et la représentation na-
tionale réaffirme sa volonté d’un
audiovisuel public fort. Donc,
non, je ne suis pas inquiète.
Les députés, comme les séna-
teurs, semblent avoir été sensi-
bles au lobbying des chaînes
privées…
Rien de neuf : cela fait près
de quarante ans que les chaînes
privées exercent un lobbying.
Après l’échec de Salto, faites-
vous le deuil d’une alliance
des médias français face aux
­plates-formes internationales ?
Je ne fais jamais le deuil des al-
liances. On gagne plus à partager,
à créer, à défendre ensemble, plu-
tôt qu’à s’opposer. Sur l’intelli-
gence artificielle, par exemple,
0123
­
­Mardi 5­ septembre 2023
« Je porte
une stratégie
de reconquête
de tous les
territoires »
nous devons construire ensemble
un avenir dans lequel on respecte
le droit d’auteur, on tire profit des
capacités qu’il offre, etc. J’ai sans
doute considéré trop vite que l’al-
liance que nous avions réussi à
créer constituait la nouvelle nor-
malité de nos relations. Or, on est
revenus trente ans en arrière.
France 2 est près d’égaler, voire
de dépasser, l’audience de TF1.
Est-ce un objectif ?
Non. TF1 se porte bien, et c’est
une bonne chose. Je revendique
l’objectif de toucher un maximum
de Français, mais je suis surtout
fière de réaffirmer notre diffé-
rence. Lorsque l’on propose « Drag
Race France », par exemple, et que
l’on encourage la tolérance dans
les cours d’écoles, oui, je suis fière.
Lors d’une audition à l’Assem-
blée nationale, début juillet,
vous avez assuré que France
Télévisions ne représentait
pas la société telle qu’elle était,
mais telle qu’« on voudrait
qu’elle soit ». Que vouliez-vous
signifier par là ?
L’extrait qui a circulé laissait
supposer que je revendiquais le
fait de déformer la réalité, ce qui
est évidemment faux. Nous de-
vons représenter la société dans
toute sa diversité (socio-écono-
mique, culturelle…) et donner
aussi à voir des « rôles modèles »
pour inciter à une plus grande
mixité. Les femmes physiciennes
ou astronautes sont peu nom-
breuses, ce n’est pas une raison
pour ne pas les exposer.
Comment regardez-vous ce qui
s’est passé cet été au « Journal
du dimanche », où toute une
rédaction s’est dressée contre
la nomination d’un directeur
venu de l’extrême droite ?
Cela fait partie d’un mouve-
ment plus large de polarisation et
d’une forme « d’américanisation »
de l’espace public, qui se trans-
forme en une galaxie de médias
d’opinion, où les citoyens ne se
parlent plus mais s’invectivent.
Notre mission, celle de rassem-
bler, d’exposer le débat plutôt que
le combat, de défendre le plura-
lisme et lutter contre les fausses
informations, etc., s’en trouve
plus que jamais renforcée. p
Propos recueillis par
Aude Dassonville
et Brice Laemle
0123
­
­Mardi 5­ septembre 2023 Économie & Entreprise | 17

Smartphones : la Chine mise sur l’Europe

Conjo nctu re
La patronne du FMI
salue des discussions
« productives » en Chine
La patronne du Fonds
Les marques chinoises s’attaquent au très haut de gamme, le seul segment rentable ­monétaire international
(FMI), Kristalina Georgieva,
s’est ­félicitée, lundi 4 septem-
bre, de « discussions très pro-
Berlin rer de son image originelle, celle recul de 23 % par rapport à la ficatifs dans le classement avant ductives et substantielles »
d’une marque s’adressant à un
Le marché, même période en 2022, attei- la fin de 2023 ». avec les ­dirigeants chinois,

S
i le Salon international de
la radiodiffusion de Berlin
(IFA), qui se tient du ven-
dredi 1er au mardi 5 sep-
tembre, reste un des grands ren-
dez-vous européens de l’électro-
nique grand public, il ne rythme
pas l’actualité du secteur des
smartphones. Peu de marques y
sont représentées cette année, et
elles sont encore moins nom-
breuses à y avoir fait des annon-
ces, à l’exception du chinois Ho-
nor, qui témoigne de son intérêt
pour le marché européen.
Fondée en 2013, Honor n’était,
jusqu’en 2020, qu’une sous-mar-
que de Huawei. Mais le géant de
Shenzhen a dû s’en séparer, au dé-
but de la décennie, pour retrouver
un peu d’aisance financière,
quand il a été frappé de plein
fouet par les sanctions américai-
nes visant à freiner son ascension.
Depuis, Honor a pris un nou-
veau départ, essayant de se dépa-
public jeune au budget contraint.
A l’image de nombreuses autres
marques chinoises avant elle
(Xiaomi, Oppo, Vivo…), elle en-
tend se forger une solide réputa-
tion à l’étranger. En France, elle
revendique déjà la quatrième
place du marché.
Symbole de cette ambition, la
marque présentait, vendredi, un
produit haut de gamme, le Honor
Magic V2, un téléphone pliant,
dont le prix – qui n’a pas été com-
muniqué – devrait approcher les
2 000 euros. La marque, qui avait
invité Le Monde à sa conférence
de lancement, a dévoilé un
­concept étonnant de « téléphone
sac à main », qui transforme le
terminal en accessoire de mode.
L’entreprise, qui dispose d’une
équipe de 10 000 ingénieurs, dit
avoir beaucoup investi dans sa
recherche et développement
pour créer ces nouveaux pro-
duits. Elle peut en tout cas se
en déclin, souffre
à la fois d’un
suréquipement
des clients et
de l’inflation
vanter de présenter un télé-
phone pliant particulièrement
fin et léger.
Depuis que Huawei a ouvert la
voie, les marques chinoises n’hé-
sitent plus à s’attaquer au très
haut de gamme, le seul rentable
dans un marché en déclin, qui
souffre d’un suréquipement des
consommateurs et de l’inflation.
Les livraisons de téléphones sont
au plus bas au niveau depuis 2014
et chutent de manière quasi inin-
terrompue depuis 2017.
La situation n’est pas meilleure
en Europe. Au premier trimestre,
les expéditions ont souffert d’un
gnant un plus bas depuis le
deuxième trimestre de 2012, se-
lon le cabinet Counterpoint. Mais
le prix moyen de vente des termi-
naux a atteint un plus haut histo-
rique au premier trimestre
Situation « très compétitive »
Dans ce contexte compliqué,
­l’Europe est stratégique pour les
acteurs chinois, d’autant que leur
marché domestique se porte très
mal, étant à son niveau le plus
bas depuis 2014. Selon un rapport
de Canalys datant du 23 mai, le
marché européen est aujourd’hui
solidement accaparé par trois
marques : le sud-coréen Sam-
sung, qui détient 35 % de parts de
marché, l’américain Apple (33 %)
et le chinois Xiaomi (15 %).
Derrière, « la situation du mar-
ché devient incroyablement com-
pétitive », explique Kieren Jessop,
analyste chez Canalys. Pour lui,
« il y aura des changements signi-
D’autant que la compétition
pourrait être perturbée par un
­litige juridique qui oppose Nokia
à Oppo sur l’utilisation par le
­chinois de brevets du finlandais,
et a donné lieu à l’ouverture de
procès en Allemagne, au Royau-
me-Uni et en France. Si Nokia
l’a emporté outre-Rhin, il a été
débouté dans l’Hexagone, ce
qui n’a pas empêché Oppo de se
retirer du marché national. S’il
était amené à prendre des déci-
sions similaires dans d’autres
pays du Vieux Continent, il lais-
serait une place de choix à
ses concurrents.
En attendant, les leaders du
marché ne sont pas menacés, et
Apple compte bien attiser l’appé-
tit de ses consommateurs fidè-
les, avec la sortie de sa nouvelle
génération de smartphones
(iPhone 15), qui doit être présen-
tée le 12 septembre. p
Vincent Fagot
à l’issue d’une visite dans le
pays, ­première étape de sa
tournée asiatique. Le FMI a
abaissé en juillet sa prévision
de croissance mondiale pour
2023, mais prévoit toujours
5,2 % de hausse du PIB pour
la Chine, en phase avec l’ob-
jectif du gouvernement chi-
nois « d’environ 5 % ». – (AFP.)
S anté
Nestlé cède
le médicament contre
les allergies Palforzia
Nestlé a annoncé, lundi
4 septembre, céder le médi-
cament contre les allergies
aux arachides Palforzia au
­laboratoire biopharmaceuti-
que Stallergenes Greer.
Le groupe suisse, qui avait
engagé, en 2022, une revue
stratégique de ce traitement,
n’a pas précisé le montant
de la transaction. – (AFP.)

L’économie britannique
plus solide que prévu
La croissance 2021 du Royaume-Uni
a été fortement revue à la hausse

Londres - correspondance (2,1 %), du Japon et du Canada

(3,5 % chacun) ou des Etats-Unis

P eut-être que le Royaume-

Uni ne va pas si mal, après
tout. » En titrant leur note,
vendredi 1er septembre, les écono-
mistes du groupe de services fi-
nanciers Nomura n’ont pas caché
leur énorme surprise. L’Office na-
(6,1 %). « Le Royaume-Uni n’est plus
à la traîne du G7 et pas si loin de la
moyenne », conclut Ruth Gregory,
du cabinet Capital Economics.
Simon French, économiste en
chef de la banque d’investisse-
ment Panmure Gordon, juge « in-

tional des statistiques (ONS),
l’équivalent britannique de
l’Insee, a revu de façon très signifi-
cative la croissance du pays pour
l’année 2021 et, dans une moindre
La rénovation
croyable » la révision des don-
nées : « Tous les titres qui annon-
çaient que “le Royaume-Uni n’est
pas revenu à son niveau prépandé-
mie” sont désormais obsolètes. »

mesure, pour 2020. D’un coup, le
Royaume-Uni, qui semblait à la
traîne des autres pays occiden-
taux depuis la pandémie, ne pa-
raît pas être au fond du trou.
énergétique,
L’erreur de l’ONS vient des cham-
boulements provoqués par le
­Covid. Avec des écoles et des hôpi-
taux qui ont fermé brusquement
puis rouvert, des pénuries de ma-

En 2021, année exceptionnelle de
rebond en sortie de pandémie, la
croissance aurait été de 8,7 %, soit
1,1 point de plus qu’annoncé initia-
c’est un sujet
tières premières et des prix qui
ont fait des bonds imprévisibles,
les modèles d’estimation du PIB
ont été mis à mal. L’institut a eu

lement. Une telle révision est sans
précédent. Si tous les instituts sta-
tistiques continuent à revoir leurs
chiffres des années après les pre-
mières estimations, les change-
d’actualité.
une difficulté à calculer les con-
sommations intermédiaires des
entreprises, c’est-à-dire, tous les
biens et les services qui sont utili-
sés pour fabriquer les biens et ser-

ments dépassent rarement 0,1 ou
0,2 point. L’un dans l’autre, en
comptant une contraction un peu
moins forte pour 2020, les nouvel-
les mesures changent profondé-
C’est aussi
vices finaux. Il a fallu attendre la
production de données détaillées
à l’intérieur des secteurs pour
mieux le comprendre.
Le principal changement vient

ment l’analyse de l’économie bri-
tannique : au quatrième trimestre
2021, son produit intérieur brut
(PIB) était 0,6 % au-dessus de son
niveau d’avant la pandémie,
­contre une estimation précédente
qui le situait 1,2 % au-dessous.
Le gouvernement britannique
jubile. « Le narratif décliniste à pro-
pos du Royaume-Uni et de ses pers-
pectives de long terme est tout sim-
plement faux », estime Jeremy
Hunt, le chancelier de l’Echiquier.
Soudain, la comparaison interna-
tionale n’est plus aussi négative
pour le Royaume-Uni. Le pays pa-
raissait être celui du G7 qui avait le
moins bien rebondi après la pan-
démie. Le Brexit était souvent uti-
lisé pour expliquer le phénomène.
« Incroyable »
Les nouveaux calculs remettent
en question cette hypothèse. Au
deuxième trimestre (à la condi-
tion que les estimations pour 2022
et 2023 ne soient pas elles-mêmes
revues !), l’économie britannique
était finalement 1,5 % au-dessus de
son niveau prépandémique,
mieux que l’Allemagne (0 %), pres-
que au même niveau que la France
(1,6 %) et au-dessous de l’Italie
notre métier.
du secteur des services, qui a fina-
lement crû de 10,9 % en 2021, soit
3,9 points de plus que l’estimation
initiale. L’ampleur de la révision
pour certains sous-secteurs laisse
stupéfait. Les ventes en gros, par
exemple, ont fait un bond de
32,4 % en 2021, au lieu de 2,7 %.
Inversement, les secteurs de l’in-
dustrie et de la construction ont
Avec Mon Parcours Rénovatvation,
vat
été révisés à la baisse. Là encore, Leroy Merlin vous accom
ompagne
om
les erreurs dans certains sous-sec- dans votre projet, du diagnostic
teurs sont spectaculaires. C’est jusqu’au suivi de travaux et
criant pour l’industrie « de l’élec- on déduit même MaPrimeRénov’.
tricité, du gaz, de la vapeur et de
l’air conditionné » : sa croissance,
Alors, on s’y met quand ?
calculée en hausse de 5,1 %, était fi-
nalement en baisse de 32,1 %.
Cette révision majeure des sta-
tistiques vient rappeler les diffi-
cultés permanentes auxquelles
font face les responsables écono-
miques. Si les prévisions se révè-
lent très souvent fausses, même
la mesure de l’économie actuelle
est délicate. Vendredi, aux Etats-
Unis, un autre avertissement de
ce genre est intervenu : la création
d’emplois au mois de juin a été es- Scannez
timée à 105 000, deux fois moins pour en savoir plus On peut tout construire ensemble, même l’avenir.
que la première estimation, il y a
deux mois, qui était de 209 000. p
Éric Albert

18 | Économie & Entreprise
Le centre intégré
de traitement des
déchets de Vert-le-
Grand (Essonne),
le 24 octobre 2022.
EMMANUEL DUNAND/AFP
L’humanité dans
l’impasse du plastique
Dossier
I
l passe sa vie en Espagne entre Barce-
lone – sa ville natale –, en télétravail, et
Valence, où la société de négoce de
plastiques usagés qu’il a créée début
2023, avec cinq ­partenaires, sous le
nom de Reciplast, possède un simple
bureau. Mais, en réalité, Alex Moreno March,
Catalan quadragénaire, est tradeur à l’échelle
planétaire. Son métier est de mettre en con-
tact les entreprises publiques ou privées qui
collectent les déchets plastiques des particu-
liers et des industriels en Océanie, en Améri-
que latine, en Asie et en Europe, avec les fir-
mes qui vont transformer les résidus, sur
tous ces continents, en pastilles ou en paillet-
tes appelées à connaître une nouvelle vie
sous forme de tuyaux d’arrosage, de sacs ou
de bouteilles d’eau.
« Nous nouons des partenariats avec ceux
qui récupèrent les plastiques et nous organi-
sons ensuite l’acheminement, par bateau ou
par avion, jusque chez les recycleurs et les utili-
sateurs finaux de déchets », explique le jeune
entrepreneur. Après six mois d’existence, Re-
ciplast, qui a pour actionnaire l’entreprise de
recyclage espagnole Power Resources, achète
et revend déjà plusieurs milliers de tonnes de
plastiques par mois, à commencer par le po-
lyéthylène téréphtalate (PET), employé pour
fabriquer les bouteilles d’eau minérale. Le
marché est florissant. S’il existe dans le
monde quatre ou cinq gros acteurs présents
dans ce négoce, une multitude de petites
structures comme Reciplast sont en train
d’apparaître, signe que le voyage des plasti-
ques a de beaux jours devant lui – même si
des pays comme la Chine, depuis 2018, ou
l’Indonésie, depuis 2019, ne veulent plus en
recevoir des Occidentaux, afin de ne plus être
la destination mondiale du recyclage.
« Le recyclage est un leurre »
En 2022, le marché du plastique a été estimé
entre 416 milliards et 551 milliards d’euros,
dont 43 milliards d’euros pour les activités
liées au recyclage. En France, l’Agence de la
transition écologique (Ademe) évalue le mar-
ché de la collecte et de la préparation des plas-
tiques usagés à 200 millions d’euros, celui de
la régénération, à 500 millions d’euros. Une
manne extraordinaire pour certains, une ca-
tastrophe pour d’autres.
En 2021, le Fonds mondial pour la nature a
affirmé que le coût du plastique pour la so-
ciété, l’environnement et l’économie était
« dix fois plus élevé » que son coût de produc-
Rien ne semble pouvoir ralentir la croissance du marché
des matériaux plastiques, appelé à tripler en volume
d’ici à 2060. Le recyclage est à la peine et aucun produit
de substitution n’est encore à la hauteur des enjeux
tion. « Sans efforts de la communauté interna-
tionale pour enrayer la production, le coût du
plastique représentera bientôt 7 100 milliards
de dollars [6 520 milliards d’euros] par an, soit
plus que l’équivalent du PIB de l’Allemagne, de
l’Australie et du Canada réunis », prédit-il.
Plastifiée, la planète l’est sur terre, en mer et
jusque dans le vivant. Depuis 1950, l’homme
a fabriqué 8,3 milliards de tonnes de plasti-
que, selon une étude de scientifiques améri-
cains qui fait référence, parue en 2017 dans la
revue Science Advances. Plus des trois quarts
ont fini dans des décharges, autorisées ou
sauvages. Aujourd’hui, les plages sont infes-
tées de « larmes de sirène », ces microbilles
bourrées de substances toxiques servant de
matière première à la production de presque
tous les plastiques, tandis que les microplasti-
ques – des particules mesurant parfois quel-
ques micromètres – sont aspirés par les végé-
taux et le plancton, et ingérés ensuite par les
animaux. Toute la chaîne alimentaire est
ainsi contaminée. Les humains mangent le
La piste balbutiante des matériaux biosourcés
Les estimations de Plastics Eu-
rope, une association de fabricants
basée à Bruxelles, sont formelles : le
plastique est à 98,5 % d’origine fossile.
Une hégémonie qui contraste avec les
débuts des matières aux propriétés
plastiques, au XIXe siècle, lorsque cel-
les-ci étaient prélevées dans la nature :
le latex des hévéas pour fabriquer le
caoutchouc, la cellulose du bois pour
la viscose utilisée dans le textile, la ca-
séine du lait pour les colles…
Au XXe siècle, c’est une succession
de « curiosités de laboratoire »,
comme le relève l’encyclopédie des
plastiques du mouvement Utopia,
qui donnera lieu à la mise sur le mar-
ché de produits de synthèse : la baké-
lite en 1909, le PVC et le polystyrène
en 1933, le Plexiglas l’année suivante,
0123
­
­Mardi 5­ septembre 2023
(3,76 millions de tonnes) est déjà passée à
l’état de déchets. Parmi ces déchets, une part
de 18,3 % seulement a été recyclée au niveau
national. Et encore ! Le recyclage s’accompa-
gnant de « plus de 36 % de pertes », il n’a donné
lieu qu’à la production de 440 000 tonnes de
matières premières réutilisables. Moins de
7 % des quantités mises initialement sur le
marché. « Le recyclage est un leurre », ne cesse
de répéter Nathalie Gontard, directrice de re-
cherche à l’Institut national de recherche
pour l’agriculture, l’alimentation et l’environ-
nement. D’après elle, ce n’est que « par l’émo-
tion » que le public finira par entendre le mes-
sage consistant à dire qu’il faut réduire à
néant la consommation, plutôt que de s’éver-
tuer à réutiliser le plastique usagé. Facile à
dire, alors qu’aucun matériau de substitution
n’existe encore véritablement.
« La matière plastique est très décriée, mais
dans bien des cas elle ne peut pas être rempla-
cée, souligne Luc Averous, professeur à l’Ecole
européenne de chimie, polymères et maté-
riaux de Strasbourg. Dans le bâtiment, elle di-
minue la facture énergétique quand elle est
utilisée comme isolant thermique, et, pour les
menuiseries, elle coûte deux fois moins cher
que l’aluminium. » En comparaison avec le
métal, justement, sa fabrication s’effectue à
des températures bien plus basses, autour de
200 oC, et émet donc moins de CO2. « Dans
l’emballage, le plastique ne peut être remplacé
par le papier que si l’on ajoute des polymères
pour empêcher l’eau de pénétrer par l’extérieur
et par l’intérieur. Dans le secteur biomédical, il
est indispensable du fait de sa très faible den-
sité. Les sutures, les implants, les adhésifs chi-
rurgicaux sont tous fabriqués à partir de poly-
mères », ajoute l’expert.
L’influence des industriels
L’heure a donc beau ne pas être au ralentisse-
ment de l’offre, l’OCDE a tout de même créé
l’émoi, en juin 2022, après avoir annoncé
« qu’en l’absence de mesures radicales (…) la
quantité de déchets plastiques produits dans le
monde triplera presque d’ici à 2060 », pour
­dépasser les 1 200 millions de tonnes par an.
Devant cette impasse, l’association Utopia,
lancée en 2019 par des étudiants en école de
commerce, fait le pari de la pédagogie. Elle a
entrepris, à travers des forums citoyens, de
rédiger une « encyclopédie des plastiques ».
« C’est en retraçant toute l’histoire, dans une
approche holistique, que nous comprendrons
comment nous en sommes arrivés là », expli-
que Baptiste de La Gournerie, l’un de ses
­fondateurs. Agé de 25 ans, ce Breton s’in-
quiète qu’en moins d’un siècle le plastique ait
« bouleversé la hiérarchie des substances ».
Avec une accélération vertigineuse : « Plus de
la moitié de tous les plastiques ont été fabri-
qués depuis 2000 », souligne-t-il.
plastique, le respirent et l’ingèrent par la Face à la menace, il faut « réformer la pro-
peau, en particulier celui contenu dans les vê- duction, la consommation et la gestion des
tements polymères ou celui dégagé par le ­déchets », analyse-t-il, appelant à un change-
frottement des pneus sur les routes. ment sociétal « profond ». Il dénonce l’in-
Afin de lutter contre ce fléau, le Programme fluence des industriels de la pétrochimie qui,
des Nations unies pour l’environnement am- avec la fin annoncée des énergies fossiles, se
Depuis 1950, bitionne l’adoption d’un traité mondial con- tournent vers la production de plastiques de
l’homme a fabriqué tre la pollution plastique avant la fin de 2024, commodité et en inondent la planète.
qui a donné lieu à une session de négocia- Pour l’écologiste Flore Berlingen, autrice de
8,3 milliards tions, au printemps, à Paris. Objectif : limiter Recyclage. Le grand enfumage (Rue de l’Echi-
la production à des niveaux « durables », pro- quier, 2020), le recyclage « n’est pas en soi une
de tonnes de mouvoir une économie circulaire des plasti- mauvaise chose », mais on y consacre des
ques « qui protège l’environnement et la santé sommes « délirantes », « d’autant qu’il s’agit
plastique. Plus humaine », assurer une collecte, une gestion souvent de projets destinés à donner une se-
des trois quarts et un recyclage « efficaces » des déchets. conde vie aux bouteilles en plastique ou aux
A lui seul, toutefois, le recyclage ne résoudra vêtements à usage éphémère », qui sont pro-
ont fini dans pas le problème. En 2019, calcule l’Organisa- duits dans des volumes gigantesques.
tion de coopération et de développement « Je suis ébahie de voir l’argent, privé mais
des décharges économiques (OCDE), seuls 15 % des déchets aussi public, qu’on y met. Au Havre [Seine-Ma-
plastiques étaient collectés au niveau mon- ritime], la région Normandie finance l’améri-
dial et 9 % étaient recyclés. En France, sur les cain Eastman pour bâtir une usine chiffrée à
6,45 millions de tonnes de plastiques con- 850 millions d’euros », observe-t-elle. Avec une
sommées en 2020, un peu plus de la moitié capacité de 160 000 tonnes, ce sera la plus
le Nylon en 1939, la silicone en 1940… bou. Dans le Finistère, Kaïros em- Si les trois quarts de ces matériaux
« Le monde entier peut être plastifié, et ploie le lin pour réaliser des décors et sont biosourcés (dont l’origine est bio-
la vie elle-même », écrit Roland Bar- des présentoirs offrant les mêmes logique ou végétale), un quart seule-
thes dans Mythologies, en 1957. caractéristiques que le plastique. ment est biodégradable (se décom-
Dans un étrange retour à la case dé- Dans l’Yonne, APM met du chanvre pose naturellement). « Il n’y a pas de
part, la recherche s’intéresse aujour­- dans des équipements intérieurs lien entre biosourcé et biodégradable »,
d’hui à la biomasse, pour mettre au automobiles. tient, en effet, à rappeler Luc Averous,
point des matériaux plastiques professeur à l’ECPM de Strasbourg.
« 100 % biosourcés » ou « biocomposi- Un quart est biodégradable « Un plastique peut être d’origine fos-
tes ». « L’idée est de réduire le taux de Autres plastiques ayant le vent en sile et biodégradable. C’est le cas de la
molécules de synthèse, en introduisant poupe : les polyhydroxyalcanoates polycaprolactone, qui remplace le plâ-
dans la matière plastique des fibres na- produits par des bactéries, ainsi que tre quand on répare un bras cassé. »
turelles qui apportent un renforcement les plastiques obtenus avec l’acide po- En outre, ajoute cet expert, « la biodé-
mécanique et permettent d’autres lylactique issus de la fermentation du gradation n’est pas sans effet sur l’envi-
fonctionnalités », explique José-Marie sucre ou de l’amidon du maïs et de la ronnement, car elle amène à produire
Lopez-Cuesta, professeur au Centre canne à sucre. Actuellement, les du CO₂ ou du méthane, selon qu’elle se
des matériaux des Mines d’Alès. ­capacités mondiales de production de produit en milieu aérobie ou anaéro-
En Haute-Garonne, par exemple, la bioplastiques s’élèvent à 2,2 millions bie ». La solution, selon lui ? Utiliser
société Cobratex fabrique des embal- de tonnes, mais ce nombre pourrait des plastiques à longue durée de vie. p
lages réutilisables à partir du bam- tripler d’ici à 2027. Gu. D.
0123
­
­Mardi 5­ septembre 2023 Économie & Entreprise | 19

Les matières plastiques

s’infiltrent partout
grande unité au monde de recyclage chimi- La production mondiale Part du plastique dans les émissions de CO2 mondiales
que des déchets d’emballages en PET, bou-
teilles de boissons gazeuses, jus de fruits, si- de plastique devrait tripler
rops diluables et eau minérale. d’ici à 2060
Le britannique Plastic Energy a choisi, lui,
d’installer son usine de recyclage d’une capa-
cité de 30 000 tonnes à quelques kilomètres
Production mondiale de plastique
En millions de tonnes
4,7 % 3,8 % 3,5 %
sont dus à l’industrie au trafic aérien au numérique
de celle d’Eastman. Quant au canadien Loop
1 000 plastique
Industries, associé à Suez, il a, lui aussi, un
projet dans la région devant démarrer,
n Déchets plastiques accumulés dans les milieux aquatiques
comme Eastman, en 2025. Actuellement, sur 800 io
Plus de la moitié En millions de tonnes
ct
44 usines de recyclage chimique en projet en de tous les plastiques je
Europe, 13 sont situées en France. « Tout est 600 ro
ont été fabriqués

P
une question d’argent, résume à sa façon José- depuis 2000
Marie Lopez-Cuesta, professeur au Centre des 493
400
matériaux des mines d’Alès. Pour que tout le
monde prenne conscience du ­problème, il fau- 200
drait que la matière plastique, qui ne vaut pas
grand-chose, acquière une valeur. Le jour où 140
elle sera considérée comme précieuse, les
points de vue changeront automatiquement ». 1950 2000 2050 2060

Encore faudrait-il mettre en place des dis-
positifs généralisés de consigne, des pénali-
tés pour ceux qui ne s’y plient pas, une régle-
mentation sévère sur la réutilisation des nou-
veaux produits, une éducation au civisme
dans les écoles, des pressions sur toutes les
sociétés qui fabriquent des emballages non
recyclables… « Une réorganisation, aussi, des
éco-organismes [les sociétés qui récoltent les
déchets auprès des producteurs], dont les
structures capitalistiques sont telles que leurs
ambitions sont modulées par le poids de leurs
actionnaires, souvent des entreprises pollueu-
ses », souligne José-Marie Lopez-Cuesta.
S’agissant du recyclage, ce chercheur s’ins-
crit « totalement en faux » contre ceux qui
considèrent l’humanité condamnée au « dé-
cyclage », ce processus de dévalorisation qui
conduit à transformer un déchet en un pro-
duit de qualité moindre. Selon lui, « nous
avons les capacités technologiques de réparer
et de reformuler les plastiques », afin d’obtenir
des matériaux performants. « On ne le fait
pas, pour des questions de coûts et de maîtrise
des filières de tri et d’identification. Mais, si on
mettait le paquet, on pourrait gérer le stock
patrimonial des plastiques en fin de vie, en
ayant des ambitions plus élevées que d’en
faire des bacs à fleurs. »
« Réduire notre consommation »
Cependant, le problème n’est pas qu’une af-
faire de volonté. « Les recycleurs sont confron-
tés à une réalité physico-chimique, à savoir la
présence d’additifs qui s’avèrent compliqués à
retirer des résines plastiques usagées », souli-
gne Raphaël Guastavi, directeur adjoint à la
direction économie circulaire de l’Ademe. De
nombreuses sociétés y parviennent, à l’instar
d’EffetMer, dans l’Hérault, qui fabrique des
lunettes de soleil à partir du plastique récu-
péré en mer ou sur le littoral. En Saône-et-
Loire, Paprec vient de mettre en route une
unité de recyclage de bouteilles de lait en po-
lyéthylène haute densité, matériau jusqu’ici
transformé en tuyaux pour l’industrie du bâ-
timent et qui peut désormais servir à fabri-
quer de nouvelles bouteilles, sous réserve
d’obtenir une homologation.
En France, seul le PET des bouteilles d’eau,
de soda et d’une petite partie des bouteilles
de lait peut actuellement retourner à son
usage d’origine. Dans les faits, ces récipients
ne sont recyclés qu’à 17 %, le reste devenant
des textiles, des barquettes ou des mousses
polyuréthanes pour l’isolation des bâti-
ments, comme le fait la société Soprema, à
Strasbourg. Dans le secteur des emballages,
qui représente 39 % du plastique consommé
en Europe, le taux de recyclage dépasse à
peine les 8 %. C’est encore pire dans les équi-
pements électriques et électroniques (3,2 %)
et dans l’automobile (2,9 %).
Auteurs d’un rapport remarqué en 2020
(« Pollution plastique : une bombe à retarde-
ment ? »), le député (groupe Modem et indé-
« L’enjeu est de couper le robinet de la production »
pendants) du Maine-et-Loire Philippe Bolo et
la sénatrice (groupe Socialiste, écologiste et
républicain) du Lot Angèle Préville ont pu-
blié, le 29 juin, une étude plus poussée sur le
recyclage. Leur diagnostic corrobore celui des
milieux académiques les plus pondérés : « Le
recyclage ne peut pas permettre à l’industrie
plastique d’atteindre la neutralité carbone
en 2050. Il doit s’intégrer dans une stratégie
plus large visant à réduire notre consomma-
tion de plastiques. »
Qu’il soit mécanique, comme les granulés
qu’achète et revend la société Reciplast en
Espagne – c’est d’ailleurs le cas de 99 % des
plastiques recyclés aujourd’hui, d’après
l’institut de recherche IFP Energies nouvel-
les –, ou qu’il soit chimique, au moyen de
technologies en phase de test qui ne vont
pas sans soulever des interrogations quant à
leur impact environnemental, le recyclage
ne serait, pour les deux élus, qu’un « amor-
tisseur temporel de la formation de déchets,
sans permettre de les éviter ». p
Guillaume Delacroix
10,7
de la production mondiale de pétrole
sert à fabriquer du plastique
La demande de plastique par secteur en Europe
Des déchets encore mal recyclés
Différents traitements
des déchets plastiques dans l’UE*
En 2020
Recyclés Incinérés
14 % 48 %
Le cycle du recyclage du plastique en France
En 2020
6,45 millions
de tonnes
consommées
3,76 millions
de tonnes deviennent
des déchets
Infographie Le Monde : Victoria Denys et Benjamin Martinez
Sources : « Le recyclage des plastiques », note n° 39, Sénat, 2023 ; Atlas du plastique 2020, Geyer ; OCDE ; Plastics Europe ; Utopia ; Citeo
Baptiste Monsaingeon est socio-
logue, maître de conférences à l’uni-
versité Reims-Champagne-Ardenne,
auteur d’Homo detritus. Critique de la
société du déchet (Seuil, 2017).
Comment les plastiques ont-ils
pris tant de place dans nos vies ?
Dans les imaginaires sociaux, les
plastiques sont corrélés à l’hygié-
nisme, mouvement marqué par l’ap-
parition des poubelles à la fin du
XIXe siècle. L’idée qu’un objet usagé est
un vecteur potentiel de pathologies
fait son chemin. Ce qui mènera à
l’« usage unique » à partir de la
deuxième moitié du XXe siècle. Si cette
logique est devenue une norme mon-
diale de consommation, elle ne date
l’époque moderne. A la fin du XIXe siè-
cle, on inventait l’hygiène féminine en
coton à usage unique et on faisait la
promotion du col de chemise jetable…
2019 Prévisions 2060
%
Origine des microplastiques primaires rejetés dans les océans
En pourcentage
0,3 % Granulés de plastique
2 % Articles d’hygiène
et de soin
3,7 % Peinture marine
39,6 % Emballages
7 % Marquage routier
20,4 % Construction 24 % Poussières urbaines
9,6 % Automobile
6,2 % Matériel électronique
et informatique 28 % Pneus
4,1 % Produits domestiques,
loisirs et sport
3,4 % Agriculture
35 % Textiles
synthétiques
16,7 % Autres (électroménager,
mobilier, médical...)
Les emballages
sont recyclés en des produits
Chaque année, on estime que 8 à 15 millions de tonnes de moins bonne qualité
de déchets plastiques ne sont pas comptabilisées selon le type de plastique
PET
(bouteilles d’eau...)
sont recyclés en
textiles et toiles
Enfouis Exportés Mal gérés ou perdus d’isolation pour
28 % 8% 2% le bâtiment
* Avec le Royaume-Uni.
PEHD et PP
(flacons, bouchons, tubes
... le reste et boîtes en plastique...)
est incinéré sont recyclés en sièges
ou enfoui auto, tuyaux pour le
bâtiment, pots de fleurs
et mobilier urbain
929 000 440 000 tonnes
de tonnes sont préparées de matière première
pour le recyclage... recyclée obtenues PE
(films et emballages
souples en plastique...)
sont recyclés en sacs-
690 000 poubelles, tuyaux
de tonnes sont d’irrigation, bassines
recyclées et seaux
Au départ, les plastiques sont-ils mes le fruit d’une forme de déchet, le toyer la surface des océans que de
considérés comme éphémères ? déchet géologique issu de la putré- couper le robinet de production des
La question de l’imaginaire que l’on faction sur des millions d’années. plastiques. Sinon, tout va recom-
incorpore dans ces matériaux est fon- Dans l’opinion publique, la bascule mencer inlassablement.
damentale. En 1955, le magazine amé- s’opère avec la médiatisation des
ricain Life fait l’apologie du consumé- flottants à la surface des océans et la D’où vient le sentiment que l’hu-
risme d’élimination en publiant, en découverte d’un « continent plasti- manité ne pourra pas s’en défaire ?
manchette, la photo d’une famille je- que » dans le Pacifique par Charles Comme l’a dit la chercheuse austra-
tant en l’air assiettes, gobelets et cou- Moore, en 1997. lienne Gay Hawkins dans une étude
verts en plastique, pour vanter la libé- publiée en 2018, les plastiques sont
ration de la femme par la disparition Pourquoi cette prise de conscience « la peau du commerce ». Ils sont de-
des tâches ménagères. Le titre paraît n’a-t-elle pas été suivie d’effets ? venus un élément indissociable des
aujourd’hui surréaliste : « Throwaway A l’époque, on se dit que ce n’est pas sociétés contemporaines, du fait du
living », « le mode de vie jetable ». grave, qu’on va ramasser ces déchets développement des flux marchands.
et les traiter. C’est ce que fait l’écolo- C’est pour cela que ces matériaux por-
Quand les déchets commencent-ils giste néerlandais Boyan Slat, à partir tent en eux une malédiction à la-
à être considérés comme des années 2010. Il a alors 17 ans. Pré- quelle il est impossible d’échapper.
des problèmes ? senté comme un génie, il collecte Nous ne sommes pas uniquement
A l’origine, les plastiques apparais- beaucoup d’argent grâce à Instagram face à un problème technique de chi-
sent comme un moyen de valoriser et finance des barges flottantes, qu’il mistes, qui serait lié au coût du baril
des produits issus du raffinage du envoie repêcher les plastiques en de pétrole. Et bien malin celui qui
pétrole. Il est intéressant de noter mer. Or, cette solution n’en est pas trouvera des alternatives. p
que les plastiques sont donc eux-mê- une. L’enjeu n’est pas tant de net- Propos recueillis par Gu. D.

20 | Économie & Entreprise
L’automobile
européenne
menacée par la
percée chinoise
Les groupes du Vieux Continent
sont sous pression, la guerre
des prix pourrait s’amplifier
Munich (Allemagne) -
envoyée spéciale
P
our la deuxième édition
d’affilée, le salon alle-
mand de l’automobile se
tient à Munich, du
mardi 5 au dimanche 10 septem-
bre, et plus à Francfort. Pour ne pas
prendre de front les associations
de défense de l’environnement et
montrer que le secteur s’adapte
aux changements sociétaux, il se
définit comme un salon de la mo-
bilité. On y verra des vélos-cargos
et des solutions pour le transport
public, même si les constructeurs
automobiles en restent les vedet-
tes. Ils ont d’ailleurs investi le cen-
tre de la ville pour faire participer
le grand public à cet événement.
BMW y présente ainsi la nou-
velle famille Mini, avec deux mo-
dèles électriques, au cœur de la
vieille ville. Volkswagen a investi
la place de l’Odéon, qu’elle partage
cette année avec le chinois BYD. Le
stand du premier constructeur al-
lemand se veut ouvert pour facili-
ter le dialogue et montrer l’enga-
gement environnemental de la
marque. Car le secteur ne peut
ignorer les critiques que suscite
l’empreinte environnementale de
voitures suréquipées, plus gran-
des et plus lourdes, face aux be-
soins urgents de diminuer les
émissions de CO2. Vendredi 1er sep-
tembre, dans la soirée, quelques
activistes bloquaient déjà la circu-
lation devant le nouveau lieu con-
sacré à l’art et aux expositions du
constructeur munichois BMW.
Les derniers chiffres sur le mar-
ché ne montrent toutefois guère
de rejet de la voiture. Selon les
données publiées par l’Association
des constructeurs européens
d’automobiles, juillet était le dou-
zième mois d’affilée de croissance
des immatriculations. Soit une
hausse de 17,6 % depuis le début de
l’année en Europe : 6,3 millions de
voitures y ont été immatriculées
sur les sept premiers mois de 2023.
En juillet, les ventes de voitures
diesel sont repassées devant les
électriques, l’essence restant loin
devant (35,8 %). La France échappe
Pertes & profits | voiture électrique
p a r Ph i l ip pe E s cande
BYD et la nouvelle conquête de l’empire du Milieu
Wang Chuanfu n’a pas l’extrava-
gance et les blousons serrés
d’Elon Musk. Il préfère le profil
bas et les costumes cravates siglés
du nom de son entreprise : BYD
(Build Your Dreams). Il a pourtant
battu le patron de Tesla sur son
propre terrain, la voiture électri-
que. Au rythme actuel, il ne lui
faudra que quelques années pour
devenir le leader mondial de l’in-
dustrie automobile. Sur les sept
premiers mois, il a vendu 1,4 mil-
lion de voitures, toutes électri-
ques, soit un million de plus que
Tesla. Il produit davantage que
BMW ou Mercedes et vient d’en-
trer dans le top 10 mondial.
Cette ascension est d’autant
plus spectaculaire que le groupe
est le plus jeune de ce classement.
à cette tendance : l’électrique re-
présente 15,4 % des immatricula-
tions, les véhicules hybrides 32 %,
le diesel étant tombé à 10 %.
« Attention au syndrome de
l’étoile qui brille encore, alors
qu’elle est déjà morte ! », met tou-
tefois en garde Eric Champar-
naud, associé du cabinet de con-
seil en marketing C-Ways, face à ce
dynamisme apparent. Le marché,
qui devrait terminer l’année à
1,8 million d’immatriculations en
France, en hausse à deux chiffres
(14 %), est encore 20 % au-dessous
du niveau de 2019. Surtout, ces
données intègrent les comman-
des passées il y a plusieurs mois,
et même en 2022, que les cons-
tructeurs ont tardé à livrer à cause
des difficultés d’approvisionne-
ment en semi-conducteurs ou des
goulets d’étranglement dans la lo-
gistique. Les prises de comman-
des nouvelles progressent moins
vite que ces chiffres d’immatricu-
lations, prévient le consultant.
« Exceptionnel »
« C’est vrai, mais un marché en
hausse à deux chiffres, c’est tout de
même exceptionnel », rassure
Thomas Dubruel, directeur com-
mercial de Dacia pour la France. Il
est sans inquiétude pour la suite.
Son entreprise est sur une niche
qui séduit les consommateurs :
sur la vente aux particuliers, Da-
cia est désormais la première
marque de l’Hexagone, avec 16 %
de part de marché. Sur l’ensemble
du secteur, en incluant la vente
aux entreprises, elle est troi-
sième, à 9 %, devant Citroën et
derrière Renault et Peugeot. Elle
tire les ventes du groupe Renault,
en hausse de 19 % à la fin d’août,
contre 3 % pour Stellantis en
France. La marque au losange pré-
sentera, à Munich, son nouveau
Scenic électrique.
« Dans les mois qui viennent, il va
falloir gérer la baisse des comman-
des », reconnaît d’ailleurs François
Roudier, porte-parole de la Plate-
forme automobile, qui représente
toute la profession. « Cela a déjà
commencé : certaines marques re-
commencent à vendre aux loueurs
Face aux Renault, Peugeot, Volk-
swagen, Ford ou Toyota, tous plus
qu’octogénaires, BYD ne fabrique
des automobiles que depuis
2003. Et la maison mère a été fon-
dée par Wang Chuanfu en 1995
dans l’activité la plus promet-
teuse de l’époque, les batteries
d’appareils électroniques. Sur les
dix modèles de voitures électri-
ques les plus vendus en Chine,
sept sont fabriqués par BYD. Et le
mouvement s’accélère. Il détient
37 % du marché chinois, soit qua-
tre fois plus que Tesla.
Son secret ? L’intégration verti-
cale et sa science de la batterie.
Il possède ses mines de lithium
et vend ses composants à tous
les constructeurs. Cela lui permet
de voir ses bénéfices exploser de
Lors de la présentation des nouveaux modèles du chinois BYD, au Salon de l’automobile de Shanghaï, le 18 avril. HECTOR RETAMAL/AFP
de courte durée ou à pousser les
concessionnaires à acheter des vé-
hicules de démonstration », cons-
tate Eric Champarnaud.
Ce serait le cas pour certaines
marques de Stellantis, mais pas
chez Dacia ou BMW, le gagnant du
secteur sur les véhicules haut de
gamme. Point positif pour les
clients, cela signifie que l’envolée
des prix est finie. La course des
marques pour augmenter leur
marge financière s’annonce plus
difficile. Tesla n’y est pas pour
rien : le constructeur a lancé une
guerre des tarifs sur l’électrique.
L’américain, dont la présence
dans les salons est rare, sera à Mu-
nich avec une Model 3 revisitée.
Si les constructeurs français s’ef-
forcent de ne pas toucher à leurs
tarifs, ils jouent sur le montant des
mensualités proposées lors des
ventes en location de longue du-
rée pour rester compétitifs. Cette
stratégie a toutefois une limite : la
hausse des taux d’intérêt. « Ce
mode d’achat atteint 52 % du mar-
ché, constate Eric Champarnaud.
C’est sans doute un plafond. »
Autre facteur de pression sur les
prix à venir, la présence en force
« Dans les mois
qui viennent,
il va falloir gérer
la baisse des
commandes »
François Roudier
porte-parole de la Plate-
forme automobile
200 % en 2023 après 400 % de
hausse en 2022, alors qu’il mène
avec Tesla une guerre des prix
­en train de mettre à genoux les
quelque 160 concurrents qui se
disputent le marché domestique.
Usines dans le monde entier
Cet argent gagné sur les batteries
lui permet de partir à l’internatio-
nal, ouvrant des usines dans le
monde entier, notamment en
­Europe. Ce n’est pas du goût des
constructeurs du Vieux Conti-
nent, car BYD, à la différence de
Tesla, est un spécialiste de la voi-
ture populaire, et à petit prix. Une
bonne nouvelle pour la pénétra-
tion de l’électrique et la lutte con-
tre le changement climatique et
une très mauvaise pour les Stel-
des constructeurs chinois. Ils dé-
montrent à Munich, un an après
Paris, leur volonté de s’implanter
sur le marché européen. La MG4,
la voiture électrique de SAIC Mo-
tor, a déjà percé en France. Cela
va-t-il pousser l’Allemagne, dont
le chancelier, Olaf Scholz, doit
inaugurer le salon mardi, à re-
joindre la France dans la mise en
place d’un « score environne-
mental », qui réserverait le bonus
écologique aux modèles produits
localement et donc plus vertueux
pour le climat ?
Ce n’est pas du tout ce que préco-
nise Walter Mertl, le nouveau di-
recteur financier de BMW. « Nous
sommes un groupe mondial et
nous sommes favorables au libre-
échange. Chaque fois qu’un pays
ou une région met en place une
barrière, il y a une réaction, et per-
sonne n’y gagne. Regardez le bilan
du Brexit », explique-t-il. Il se ré-
jouit de la présence des concur-
rents asiatiques : « C’est une occa-
sion d’avoir un dialogue avec eux. »
C’est d’ailleurs avec le groupe
Great Wall que BMW a mis au
point la plate-forme de la plus pe-
tite et légère de ses voitures élec-
triques, la nouvelle Mini Coo-
per S. Elle sera produite en Chine,
alors que l’autre nouveau mo-
dèle, la Mini Countryman, plus
grande et plus chère, le sera en
­Allemagne. Comme pour la Neue
Klasse, la future gamme de voitu-
res électriques que prépare BMW,
son interface numérique a été
particulièrement travaillée. In-
dispensable pour séduire les
clients chinois. p
Sophie Fay
lantis, Renault et Volkswagen. La
firme emploie déjà 630 000 per-
sonnes dans le monde et a déjà
embauché 30 000 ingénieurs de
plus cette année dont 80 % pour
la recherche-développement.
Les années 2000 ont été celle
de l’Internet et des télécoms en
Chine avec l’émergence de stars
comme Huawei, Alibaba ou Ten-
cent. Désormais, le pays compte
plus que jamais sur la voiture
électrique pour rebondir indus-
triellement. Cette année, l’em-
pire du Milieu devrait devenir
le premier exportateur mondial
devant le Japon. Et Wang
Chuanfu, bien plus sage que Jack
Ma, le fondateur d’Alibaba banni
par les autorités, sera à la tête de
cette nouvelle conquête. p
La revanche
technologique de la Chine
Le rapport de force s’inverse. Désormais, ce
sont les constructeurs étrangers qui veulent
bénéficier de transferts de compétences
E n Chine, les temps sont durs
pour les marques étrangè-
res. Après avoir longtemps
dominé le premier marché mon-
dial, leur influence s’est rétrécie
ces cinq dernières années. Au pre-
mier semestre, les marques chi-
noises étaient majoritaires, après
avoir progressé de sept points en
un an. Ce déclin est lié à la rapide
montée en puissance des modèles
électriques, qui représente 22,7 %
des immatriculations (contre 15 %
en Europe) et ont permis aux
­constructeurs locaux de creuser
l’écart face aux européens, japo-
nais et américains.
Hormis Tesla, doublée, début
2023, par BYD, mais qui apparaît
comme la seule marque occiden-
tale capable de suivre le rythme,
les concurrents étrangers souf-
frent de l’étroitesse de leur
gamme et de leur retard en ma-
tière de véhicules électriques. La
guerre des prix lancée au prin-
temps par Tesla contribue aussi à
leur marginalisation.
Pour tenter de revenir dans le
jeu, certains groupes occidentaux
se sont résolus à se rapprocher de
leurs compétiteurs chinois pour
négocier des partenariats dont les
termes n’ont plus rien à voir avec
ceux des années 2000. Le rapport
de force s’est inversé : désormais,
ce sont les constructeurs étran-
gers qui cherchent à bénéficier de
transferts de technologie, et ils
devront les payer au prix fort.
Volkswagen, qui vient de perdre
sa place historique de numéro un
des ventes et ne pèse que 2,4 % des
immatriculations de voitures
électriques (contre 3,5 % voici un
an), s’est lancé dans une course
aux accords de coopération. Le
groupe allemand, qui écoule 40 %
de sa production en Chine, estime
ne pas avoir de temps à perdre. En
juillet, il a annoncé un investisse-
ment de 700 millions de dollars
(643 millions d’euros) au sein de
la marque XPeng, dont il a a ac-
quis près de 5 % du capital.
Volkswagen utilisera une plate-
forme informatique sophistiquée
dotée d’un supercalculateur ex-
trêmement puissant mis au point
par son partenaire. Cela lui per-
mettra de concevoir deux véhicu-
les destinés aux chinois, très ver-
sés dans les services connectés et
les fonctions de conduite auto-
matisée. Le premier pourrait être
commercialisé à partir de 2026.
0123
­
­Mardi 5­ septembre 2023
Alors que sa filiale Audi s’est rap-
prochée de SAIC Motor, le groupe
Volkswagen a engagé en parallèle
des pourparlers avec Leapmotor
pour progresser dans le domaine
de l’architecture logicielle. Il a
aussi conclu un contrat avec Hori-
zon Robotics, spécialiste de l’in-
telligence artificielle, pour accélé-
rer ses recherches en matière de
voiture autonome.
« Architectures très innovantes »
Pour sa part, Ford est en train de
créer sur le même modèle une
joint-venture spécialisée dans la
voiture électrique avec son parte-
naire Chongqing Changan. Selon
Bloomberg, Stellantis discute
avec Leapmotor. Actuellement, le
groupe américano-européen ne
produit plus en Chine que
100 000 véhicules par an avec la
joint-venture DPCA, formée il y a
trente ans entre PSA et Dongfeng.
Pour autant, il n’entend pas re-
noncer à une présence significa-
tive sur un marché qui devrait en-
registrer 24 millions d’immatricu-
lations en 2023, mais où les places
risquent de devenir de plus en
plus chères. Selon le cabinet Alix-
Partners, les constructeurs locaux
devraient réaliser 65 % des imma-
triculations en 2030, soit dix
points de plus qu’aujourd’hui.
Autrefois moquée pour son
penchant à copier les modèles oc-
cidentaux, l’automobile chinoise
est devenu une référence qu’il
n’est plus question d’ignorer.
Cette bascule ne surprend par Ja-
mel Taganza, associé au cabinet
Inovev. « Après s’être inspirés des
Occidentaux, ces constructeurs
sont entrés dans une phase de dé-
veloppement de leur propre mo-
dèle. Ils ont conçu des architectu-
res très innovantes et les ont déjà
au moins en partie amorties,
compte tenu de la taille de leur
marché intérieur », estime-t-il.
Le danger, selon lui, serait que
s’installe une dépendance et que
les firmes étrangères s’habituent
à renoncer à développer leurs
propres plates-formes, y compris
pour les modèles destinés à l’Eu-
rope ou aux Etats-Unis. « S’ils ne
maîtrisent plus ce domaine, les
constructeurs non chinois vont se
mettre en danger. A terme, le ris-
que est qu’ils se condamnent à ne
plus être que des assembleurs », in-
siste M. Taganza. p
Jean-Michel Normand
 Culture
0123
­
­Mardi 5­ septembre 2023 | 21

La Mostra sous l’influence des plates-formes

Mené par des films produits par Netflix ou Amazon, le contingent américain est affecté par la grève des acteurs

Cinéma
Venise (Italie) - envoyé spécial

L
e soleil se lève sur le
­Festival du film de
­Venise. ­Peter, lui, s’est
­réveillé bien plus tôt, à
4 h 30, pour disposer du meilleur
emplacement sur la rambarde
qui longe le tapis rouge. Les traits
tirés, la voix traînante, le Suèdois
lutte pour rester concentré. A
­Göteborg, il travaille pour une
entreprise d’outillage. Sur la la-
gune, ses instruments sont rudi-
mentaires : deux parapluies, ser-
vant à sécuriser les places de sa
fille et de son épouse, encore au
lit, et un calepin, qu’il fait signer
aux vedettes de passage.
Depuis une dizaine d’années,
durant ses vacances, le quadragé-
naire écume les principaux festi-
vals de cinéma, en quête d’auto-
graphes. « En général, j’adore
­Venise, mais cette édition est vrai-
ment pourrie, il y aura très peu
d’Américains », peste-t-il dans sa
barbe. Il se réfère à la grève des
­acteurs hollywoodiens, qui em-
pêche la majeure partie d’entre
eux, depuis le 14 juillet, de pro-
mouvoir leurs films.
Avec sa casquette, protégeant
des yeux de rapace, Peter ressem-
ble aux tueurs les plus méticu-
leux des films de ses réalisateurs
préférés, Michael Mann et David
Fincher. Ça tombe bien, l’un et
l’autre sont de la partie véni-
tienne, avec Ferrari pour le
­premier et The Killer pour le
­second, tous deux en compéti-
tion. « Cette année, ce seront mes
deux objectifs prioritaires », lâche
le chasseur d’autographes.
Pour sa 80e édition, la Mostra a
ceci de paradoxal que les films
américains y marquent leur
grand retour, après des années de
disette pandémique, en même
temps que les stars, à quelques
exceptions près, brillent par leur
absence. L’oxymore est d’autant Adam Driver, le 31 août, à la première du film « Ferrari », de Michael Mann, lors de la Mostra de Venise. YARA NARDI/REUTERS
plus saillant que la délégation
hollywoodienne est majoritaire-
ment constituée de films diffusés
par l’ennemi numéro un des le briscard hollywoodien est par- de sa femme Felicia (Carey mot que s’échangent nombre de Mann, William Friedkin, mort le
­grévistes, les plates-formes de venu à mettre sur pied l’une de
Adam Driver, qui ­Mulligan) et amant d’hommes festivaliers, à Venise comme 7 août à 87 ans, s’est ainsi tourné
­streaming. En France, Ferrari sor- ses plus vieilles lunes, qu’il cares- campe le coureur bien plus jeunes que lui, le voilà ailleurs ? « Chez Netflix, Prime ou vers le théâtre pour son film pos-
tira directement sur Amazon sait depuis les années 1990 : accueillant tantôt « l’été qui Apple, le rôle du producteur est thume, The Caine Mutiny Court-
Prime ­Video et The Killer sur ­porter à l’écran l’histoire du
et constructeur chante en lui », tantôt la mélanco- amoindri, voire inexistant, confie Martial. Adapté d’une pièce de
­Netflix, qui présente quatre « Commendatore », ainsi qu’on automobile Enzo lie la plus noire, prisant ici l’extra- un producteur français tradition- Herman Wouk (1915-2019), elle-
autres films à la Mostra, dont surnomme l’illustre industriel version propre au métier d’inter- nel, sous couvert d’anonymat. Les même adaptée de son roman
Maestro, de Bradley Cooper, et émilien. Après avoir successive-
Ferrari, a redit prète, là l’introversion propre à cinéastes affrontent moins de Ouragan sur le Caine (1951), le film
La Merveilleuse ­Histoire de Henry ment envisagé Robert De Niro, sa « solidarité » celui de créateur. ­contraintes et de contradictions. suit le procès d’un lieutenant de
­Sugar, de Wes Anderson. Christian Bale et Hugh Jackman Le film de Bradley Cooper, qui Dans le même temps, ils subissent marine, accusé d’avoir fomenté
Autant d’œuvres dont les dans le rôle-titre, le cinéaste l’a
à ses collègues joue le rôle-titre, se noie dans cet plus frontalement la concurrence sans motif valable une mutinerie
­acteurs n’ont pu rejoindre la Séré- confié au bien nommé Driver, qui grévistes océan de non-choix. Il glisse du des séries, érigées en modèle par les contre son capitaine, durant une
nissime, à la notable exception de remplit l’office avec davantage de noir et blanc à la couleur, de la co- plates-formes. D’où cette profusion tempête. Lui plaide le strict res-
ceux de Michael Mann, qui ont bé- crédibilité que dans le récent médie au drame, de l’esbroufe à de films dilués et délayés comme pect de la loi, tout en s’appliquant
néficié d’une dérogation du fait House of Gucci (2021), de Ridley grandes heures de la rencontre l’épure, traversant les époques à The Irishman, de Scorsese… » à démontrer les pathologies men-
du statut « indépendant » de sa Scott, son premier tour de chauffe entre Hollywood et la conquête grand renfort de béquilles narra- Si l’on en juge le contingent tales dont souffrirait son ancien
production. Jeudi 31 août en parmi les affres de l’entrepreneu- spatiale, de « space opera », Mann tives et de postiches. Si bien que anglo-saxon de la Mostra, l’esthé- supérieur. Mis en valeur par un
­conférence de presse, Adam riat à l’italienne. accorde les cœurs et les moteurs, la musique se trouve pareille- tique du « streaming » fait bel et montage au couteau, les acteurs
­Driver, qui campe le coureur et les trilles d’une soprano aux li- ment reléguée au rôle d’acces- bien tache d’huile. Quand bien déploient des trésors de dialecti-
constructeur automobile Enzo « Race opéra » de Michael Mann gnes des engins et des circuits. Un soire, raccordant tant bien que même ils ne sont ni produits ni que, semant le doute dans l’esprit
Ferrari, a ainsi pu redire sa « solida- Au fil des réécritures du scénario, lyrisme assumé à pleine gorge, au mal toutes les disparités du film. diffusés par des plates-formes, du spectateur : où s’arrête la disci-
rité » à ses collègues grévistes et à Mann a resserré son intrigue point que la scène centrale du Aggro Dr1ft, d’Harmony Korine, et pline ? Où commence la tyrannie ?
leur principal syndicat, la SAG-AF- autour d’une année charnière, film se passe, justement, dans une Esthétique des films flux Pauvres créatures, de Yorgos Lan- La Merveilleuse Histoire de
TRA, épinglant au passage les pla- 1957, durant laquelle, pour le salle d’opéra. Stendhal, qui s’y Autre candidat de Netflix aux thimos, croulent sous les couches Henry Sugar ne parle, en un sens,
tes-formes : « Pourquoi de petites ­patron de la Scuderia, les dilem- connaissait en la matière, vantait ­Oscars, The Killer, de David d’effets visuels et sonores, aplatis- que de ça. Présenté lui aussi hors
sociétés comme Neon et STX Inter- mes se chevauchent à foison. « ce plaisir tout physique et machi- ­Fincher, souffre des mêmes sant leurs audaces. compétition, ce court-métrage de
national [respectivement distri- Enzo ­Ferrari est, alors, un homme nal que la musique donne aux ­défauts. Le long d’une intermina- Quel serait l’antidote de ces quarante minutes est l’adapta-
buteurs et producteurs de Ferrari écartelé. Entre son épouse, Laura nerfs de l’oreille en les forçant à ble voix off, son personnage ­lentes et lancinantes dérives nu- tion par Wes Anderson d’une
aux Etats-Unis] peuvent-ils répon- ­(Penélope Cruz), et sa maîtresse, prendre un certain degré de ten- ­central, interprété par Michael mériques ? Le spectacle vivant, ré- nouvelle de Roald Dahl (1916-
dre aux demandes les plus élevées Lina (Shailene Woodley). Entre la sion ». A mesure qu’il exhorte ses ­Fassbender, se targue de faire par- pondent une poignée de francs-ti- 1990). Les décors, semblables à
de la SAG-AFTRA alors que de gros- mémoire du défunt fils qu’il a eu pilotes à la plus haute concentra- tie de l’élite des tueurs à gages, reurs. Sur cette grande estrade ceux d’un modeste spectacle de
ses compagnies comme Amazon avec la première, Dino, et l’avenir tion − sur la piste comme en de- grâce à des facultés d’attention et qu’est la lagune, eux ont opposé, marionnettes, s’emboîtent les
ou Netflix ne le peuvent pas ? » qui s’offre à celui qu’il a conçu, hors −, à mesure qu’il s’inflige une d’anticipation supposément ex- au règne des plates-formes, le uns dans les autres, au même ti-
Un dérapage parfaitement dans le plus grand secret, avec la série de choix et de renonce- traordinaires. Dès la première ­recours aux plateaux. A l’instar tre que les récits, pareillement
­contrôlé, raccord avec l’excellente seconde, Piero. Entre sa « passion ments, le corps longiligne d’Enzo scène, au pied du ­Panthéon à Paris, des visées opératiques de Michael imbriqués. En fouillant dans
tenue de route dont fait montre funeste », la course automobile, et Ferrari se tend, et le film avec, durant laquelle le sicaire manque une bibliothèque, Henry Sugar
Michael Mann tout au long de la raison économique, qui lui dans un vrombissant crescendo. lamentablement sa cible, il s’avère (Benedict Cumberbatch), un mil-
­Ferrari. Aujourd’hui âgé de 80 ans, commande de vendre davantage Maestro, de Bradley Cooper, em- tout le contraire : un esprit distrait liardaire égoïste et désœuvré, dé-
de bolides, ainsi que le lui souf- prunte un chemin symétrique- et confus, perdu dans la vacuité de L’ère des couvre l’histoire d’un yogi qui
flent ses ­conseillers. En somme ment inverse. Il raconte l’histoire ses digressions. Comme celle de parvenait à « voir sans ses yeux ».
voilà ­réunis, autour de la même d’une autre figure du XXe siècle, le Maestro, la mise en scène de The
plates-formes Comment réitérer ce prodige ? En
« Maestro », de piste, les ressorts principaux musicien Leonard Bernstein. Lui Killer épouse les errances et les er- conduirait-elle portant son attention, chaque
(amour, mort, trahison, ambi- refusait obstinément de privilé- rements du protagoniste, irrigués soir, des années durant, sur un
Bradley Cooper, tion…) de la dramaturgie ita- gier l’un de ses mille penchants. par un assommant coulis sonore.
à celle des objet précis. Le film, produit et
qui joue le rôle- lienne, telle que l’ont fixée plu- Chef d’orchestre prisé des mélo- A cet égard, ces deux films flux formes plates, diffusé par Netflix, a le mérite de
sieurs siècles d’opéra. manes et pédagogue suivi par des sont représentatifs d’une certaine rappeler une règle aussi simple
titre de Leonard Le réalisateur de Heat (1995) ne millions de téléspectateurs, com- esthétique actuelle, qui voit le
pour reprendre que vertigineuse : face aux flux de
Bernstein, se noie s’y est pas trompé, qui invente positeur de musique tour à tour contenant se confondre avec le un bon mot divertissement, le cinéma, où
avec ce Ferrari une sorte de nou- sérieuse, sacrée ou légère, il contenu. L’ère des plates-formes qu’il soit projeté, est d’abord une
dans un océan veau sous-genre, le « race opéra » : aimait, de son propre aveu, « trop conduirait-elle à celle des formes
échangé à Venise discipline du regard. p
de non-choix de même que l’on a pu parler, aux de choses à la fois ». Mari dévoué plates, pour reprendre un bon comme ailleurs ? Aureliano Tonet

22 | Culture
Croisements stylistiques
à Jazz à La Villette
Le festival parisien a reçu Steam Down, Ezra
Collective et l’Organ Trio de Delvon Lamarr
Musique
D epuis plusieurs années,
le festival Jazz à La
­Villette, dans le parc du
même nom à Paris, met à son pro-
gramme annuel des musiciennes
et des musiciens de ladite « nou-
velle scène britannique du jazz »,
apparue peu ou prou au milieu
des années 2010. Des artistes qui
se retrouvent dans divers collec-
tifs, jouent parfois dans plusieurs
groupes, mettent le jazz en jeu
avec d’autres genres, la soul,
l’électro, les musiques des An-
tilles britanniques, la pop, le rap…
Sont déjà venus au festival les
groupes Maisha, Kokoroko mené
par la trompettiste Sheila Maurice-
Grey, GoGo Penguin (qui revient
samedi 9 septembre), la saxopho-
niste Nubya Garcia, la chanteuse
Zara McFarlane, et le saxophoniste
Shabaka Hutchings − probable-
ment le plus connu. Samedi 2 sep-
tembre, le festival recevait sous la
charpente métallique de la Grande
Halle deux formations, Steam
Down, fondée en 2017, et Ezra
­Collective, née en 2016.
Au cœur de Steam Down, qui
mêle à l’improvisation jazz des
éléments d’afrobeat (popularisé
dans les années 1970 par le Nigé-
rian Fela Kuti, mort en 1997) et du
rap, il y a le saxophoniste et chan-
teur Wayne Francis, dit Ahnansé.
Durant le concert, il évoque l’im-
portance pour lui du saxopho-
niste américain Wayne Shorter
(1933-2023). Ce qui s’entend par
moments dans la construction de
ses interventions solistes, dont le
lyrisme peut aussi évoquer celui
de Pharoah Sanders (1940-2022).
Ses phrases trouvent un complé-
ment dans la force vocale du
chanteur Afronaut Zu. Un passage
vers le reggae, un autre vers le
souvenir d’un voyage en Colom-
bie mènent la musique du groupe
vers d’autres terrains, plaisants,
mais sans se montrer très créatifs.
C’est aussi ce qui ressort de la
prestation du quintette Ezra Col-
lective. A sa tête, le batteur Femi
Samedi
16/09
11h30–22h
Réservation conseillée
rp@telerama.fr
Koleoso. L’afrobeat est là aussi une
source évidente, avec des ajouts de
musique cubaine. Sans vraiment,
en tout cas lors de ce concert, aller
au-delà de la référence stylistique,
la développer. Quelques parties
solistes du claviériste Joe Armon-
Jones et du trompettiste Ife Ogun-
jobi relancent l’intérêt. A plusieurs
reprises, l’élan de cette musique,
certes euphorisante, est coupé
par des monologues de Femi Ko-
leoso. « Ezra Collective veut vous
rendre heureux (…), la joie est la
plus belle chose au monde. » Dans
la salle, on danse, on chante « lala-
lala » à la demande.
Fluidité swing
Entre les formations britanni-
ques, le festival a reçu, pour la
deuxième fois, l’Organ Trio de
l’Américain Delvon Lamarr, fondé
à Seattle en 2015. Soul jazz de la fin
des années 1950, début des an-
nées 1960, et funk dominent. A
l’orgue Hammond, avec cabine
Leslie (système d’amplification et
de modulation du son par rota-
tion), jeu de basse au pédalier de
l’orgue, Delvon Lamarr ne fait pas
passer sa virtuosité au premier
plan. Les membres actuels du trio,
le guitariste Josh Perdue, en jeu
surtout rythmique, subtil dans
l’emploi de la pédale d’effet wah-
wah, et le batteur Sam Groveman,
sont de précis accompagnateurs.
Les compositions originales
sont dans l’esprit de leurs sources,
Chicken Leg ou Seven, dans une
métrique impaire en sept temps
tout en fluidité swing. La reprise
de Move On Up, de Curtis Mayfield
(1942-1999), recrée les sections de
vents et de cordes, la douceur vo-
cale de l’original. Et le Ain’t It
­Funky Now, de James Brown (1933-
2006), rappelle que le parrain de
la soul et du funk a été aussi à l’oc-
casion un organiste fort correct. p
Sylvain Siclier
Jazz à La Villette, au parc de
La Villette, accès 221, avenue
Jean-Jaurès, Paris 19e. Jusqu’au
10 septembre. De 21 € à 32 €.
Rencontres
Radio
&Podcasts
Maison
de la Poésie,
Paris
Sami Bouajila seul sur scène dans
un monologue réaliste et brutal
Au Théâtre de l’Œuvre, à Paris, l’acteur incarne à la fois un père, ouvrier
immigré, et son fils, SDF, dans un texte écrit par Emilie Frèche
Sami Bouajila dans « Un prince »,
le 3 septembre, à Paris. OLIVIER WERNER
Théâtre
P
as évident de démarrer
une saison par un spec-
tacle dont la gravité
­tranche avec la douceur
d’un été qui joue les prolonga-
tions. C’est le pari courageux (car
peu racoleur) que fait le Théâtre de
l’Œuvre, à Paris, en opérant une
entrée en matière à laquelle il n’a
pas vraiment habitué son public.
Depuis le départ, en juin 2016, de
son ancien directeur, Frédéric
Franck, ce théâtre privé,
aujourd’hui dirigé par François-
Xavier Demaison, Benoît Lavigne
et Kim Poignant, a délaissé l’âpreté
Entrée gratuite
pour les
rencontres
d’auteurs tels que Rainer Werner
Fassbinder ou Thomas Bernhard
pour lui préférer une relative légè-
reté, en accueillant notamment
des humoristes et des chanteurs.
Avec Un prince, texte écrit par
Emilie Frèche, mis en scène par
Marie-Christine Orry et qu’inter-
prète seul sur scène l’acteur Sami
Bouajila, le changement d’am-
biance est net : les mots qui défer-
lent racontent une existence ins-
crite sous le régime du déracine-
ment, de la précarité et de la dé-
tresse morale. Le monologue ne
plaisante pas avec la brutalité du
réel. L’homme qui entre sur le
­plateau en poussant devant lui un
Avec
le festival
chariot de cartons défraîchis n’a
pas la vie facile. Loin d’éluder la
misère sociale, Emilie Frèche met
les mains dans le cambouis en dé-
ployant les destins confondus
d’un ouvrier immigré et de son
fils, SDF, deux figures à ce point
entremêlées sous sa plume que
l’on a parfois du mal à s’y retrou-
ver. Si le sérieux du propos est in-
contestable, son traitement
n’évite pas certains écueils, la ro-
mancière cédant trop souvent à
un pathos inutile – ce qui ne la
hisse pas au niveau d’un Fassbin-
der ou d’un Bernhard.
Double clin d’œil à Beckett
Mais l’écrivaine, connue pour son
combat contre l’antisémitisme et
dont le roman, Vivre ensemble
(Stock), a déclenché, en 2018, une
polémique autour d’un amal-
game problématique entre vécu et
fiction, dont Le Monde s’était fait
l’écho, ne cherche pas à rivaliser
avec ses prédécesseurs. Son sujet
se nomme Sami Bouajila. Voici dix
ans qu’elle a écrit cette pièce pour
lui. Dix ans donc que l’ouvrier im-
migré et son fils attendent que le
comédien, César du meilleur ac-
teur en 2021 pour son rôle dans Un
fils, vienne les sortir des replis de
la fiction où ils sommeillaient.
C’est que le comédien, né
en 1966 et formé à l’école d’art
dramatique de Saint-Etienne, se
fait rare sur les planches. En 2022,
on a pu le voir jouer à Antibes
dans Disgrâce, un texte d’Ayad
Akhtar mis en scène par Daniel
Benoin. Mais le cinéma le sollicite
à plein temps et l’on comprend les
réalisateurs : l’interprète est de
ceux dont la présence est syno-
nyme d’intensité et d’émotion.
Il arrive par la coulisse, en ra-
geant et en grommelant, empêtré
dans des habits trop chauds, la tête
coiffée d’un chapeau miteux, le
pas lourd et le visage moite. On le
croirait tout droit sorti des ­pages
de Samuel Beckett. Le décor est
d’ailleurs à l’avenant. Il n’y a rien
sur scène hormis une motte de
terre qui évoque le mamelon dans
lequel est recluse Winnie, héroïne
d’Oh les beaux jours. Ce ­double clin
d’œil à l’auteur irlandais n’est pas
innocent. L’absurde est le noyau
dur de la représentation. Plus que
l’absurde même, l’ineptie de
faits historiques qui ont accouché
d’une situation incongrue : un im-
migré quitte sa terre natale pour
venir travailler à l’usine en France.
Quarante ans plus tard, son fils est
0123
­
­Mardi 5­ septembre 2023
Plus que
l’absurde,
l’ineptie des faits
historiques est
le noyau dur de
la représentation
licencié de cette même usine, cel-
le-ci ayant choisi de se délocaliser
dans le pays du père.
A quoi aura servi l’exil des
­parents s’il a pour corollaire le dé-
racinement de leurs enfants ?
Cette question hante la représen-
tation. L’acteur fait plus que la re-
prendre à son compte. Il la relie à
sa propre histoire en projetant,
sur les murs, une vidéo noir et
blanc de son père, un Tunisien
immigré qui était peintre en bâti-
ment. Même regard, même ovale,
même douceur des traits, la res-
semblance est saisissante.
Sami Bouajila endosse plusieurs
rôles. Clochard magnifique qui vit
au pied des tours en imaginant
des plaines d’arganiers, berger
qui veille sur son troupeau de
­chèvres, amoureux transi d’une
jeune Jeanne, il se réinvente en
prince, au paradis, sous le soleil,
loin de la banlieue hostile. Mais il
n’est jamais aussi bon que lors-
qu’il se déleste du fantasme et du
sentimental pour entrer dans une
parole directe déclinée au pré-
sent, l’imparfait auquel a parfois
recours l’autrice étant un défi re-
doutable posé à l’incarnation.
Il n’est jamais aussi éloquent que
lorsque, secoué d’un hoquet silen-
cieux, il pointe le réel du doigt : la
mère qui pleure malgré l’achat de
la télé pour conjurer l’ennui, la voi-
sine qui menace chaque jour d’ap-
peler le commissariat, le licencie-
ment par l’usine, le chômage. Et il
n’est jamais aussi ­convaincant que
quand il se campe derrière un
tulle tendu, scrute le public dans
les yeux et lui explique, sans dé-
tour, ce dont a rêvé un père pour
un fils. Rêvé au point de quitter
une terre natale et d’en laisser,
pour héritage, un impossible
deuil. De toute évidence, Sami
Bouajila sait de quoi il parle. p
Joëlle Gayot
Un prince. Avec Sami Bouajila.
Texte d’Emilie Frèche. Mise
en scène : Marie-Christine Orry.
Théâtre de l’Œuvre, Paris 9e.
Jusqu’au 30 septembre.
0123
­
­Mardi 5­ septembre 2023
Toute la fantasmagorie de Victor Sjöström
Pionnier du muet, le réalisateur suédois est l’objet d’une rétrospective complète à la Fondation Pathé, à Paris
Cinéma
L
a Fondation Jérôme Sey-
doux-Pathé, à Paris, desti-
née à entretenir la mé-
moire du cinéma muet,
fait sa rentrée sous la bannière
d’un grand nom du genre, le Sué-
dois Victor Sjöström (1879-1960),
auquel est consacrée une rétro­-
spective complète du 6 septem-
bre au 10 octobre. L’initiative per-
met de sortir enfin ce formidable
pionnier, auteur de La Charrette
fantôme (1921) ou du Vent (1928),
des remises un peu poussiéreuses
des manuels d’histoire, et de don-
ner meilleure prise sur une
œuvre finalement peu connue,
rarement montrée.
Figure de proue de l’école scan-
dinave, Victor Sjöström prit une
part considérable, dès le début
des années 1910, à l’essor de la
­cinématographie locale, qui, en
une poignée d’années, acquit un
rayonnement international grâce
à des récits d’une force exception-
nelle, inscrits dans les fascinants
paysages nordiques teintés de
fantasmagorie. Sa renommée lui
valut, en 1924, de faire le grand
saut vers Hollywood, où, rebap-
tisé « Seastrom », il tourna une
­dizaine de films pour le studio
MGM, avant que la révolution
­sonore ne l’éloigne des plateaux.
Pureté élémentaire
Comédien de formation, visage
taillé à la serpe, regard perçant et
carrure imposante, Sjöström joue
souvent dans ses propres films,
qui racontent le combat éternel
de l’homme aux prises avec des
forces plus grandes que lui – la
­nature, la société ou ses propres
­démons. Après une première car-
rière sur les planches, l’acteur et
metteur en scène passe derrière la
caméra en 1912, à l’invitation de
Charles Magnusson, patron de la
société cinématographique sué-
doise Svenska Biografteatern, qui
recrute alors diverses personnali-
tés du théâtre pour donner un
tour plus ambitieux à ses produc-
tions. En cinq ans, Sjöström en-
chaîne une trentaine de films, la
plupart disparus dans l’incendie
La fin de l’enquête sur le chanteur de Rammstein fait débat
Till Lindemann avait été mis en cause mi-juin par plusieurs femmes pour des agressions sexuelles après ses concerts
Berlin - correspondant
Y européenne du
a-t-il toujours une affaire
Rammstein ? Outre-Rhin,
la question fait débat
­depuis que le parquet de Berlin a
annoncé, mardi 29 août, avoir
mis fin aux poursuites visant Till ­
Lindemann, le chanteur du
­célèbre groupe de metal alle-
mand, soupçonné d’avoir drogué
et agressé sexuellement des
­jeunes femmes venues assister
à ses concerts.
« Aucun élément n’a permis
d’établir que l’accusé a eu des
­rapports sexuels avec des femmes
contre leur gré, qu’il leur a admi-
nistré des substances susceptibles
d’altérer leur volonté ou qu’il a
­profité d’un rapport de force avec
des mineures pour les inciter à
avoir des relations sexuelles », s’est
justifié le parquet, qui avait
ouvert une enquête contre Till
Lindemann, mi-juin, à la suite de
la publication de plusieurs témoi-
gnages sur les réseaux sociaux et
dans la presse allemande.
La réaction du chanteur ne s’est
pas fait attendre. « Je remercie tous
ceux qui ont attendu la fin de l’en-
quête avec impartialité », a-t-il
écrit sur Instagram, après l’an-
nonce du parquet. Dans un
­communiqué posté sur X (ancien-
nement Twitter), ses avocats ont
Ses films
racontent
le combat éternel
de l’homme
aux prises avec
des forces plus
grandes que lui
qui dévasta les entrepôts de la so-
ciété (alors nommée SF) en 1941,
ainsi en va-t-il de l’héritage muet
qu’on estime détruit à 80 %.
Le plus ancien film conservé,
­Ingeborg Holm (1913), témoigne
déjà d’une réussite hors du
­commun, arrachant le muet à ses
origines théâtrales. Cet émouvant
mélodrame d’une veuve con-
trainte par la faillite d’abandon-
ner ses enfants à l’Assistance pu-
blique fit tant d’effet à sa sortie
qu’il entraîna une réforme des
services sociaux suédois. Dé-
coupe harmonieuse de l’espace et
jeu tout en sobriété des comé-
diens s’allient dans une épure
confondante de naturel. Dans la
dégringolade de l’héroïne, dé-
chue de son statut bourgeois, se
dessine un destin commun aux
grands personnages de Sjös-
tröm : un devenir clandestin ou
hors la loi qui consiste à s’éloigner
de toute communauté humaine.
Les Proscrits (1918), authentique
chef-d’œuvre, que le critique fran-
çais Louis Delluc tenait en son
temps pour « le plus beau film du
monde », accomplit magnifique-
ment cette logique. Dans la cam-
pagne islandaise du XIXe siècle,
un vagabond tombe amoureux
d’une riche fermière, mais leur
union se heurte à la coutume vil-
lageoise : ils s’enfuient alors dans
les montagnes, loin du monde.
Tourné en décors naturels, dans
la Laponie suédoise, le film ouvre
ses cadres aux solitudes escar-
pées : geysers, falaises, grottes,
chutes d’eau, source chaude en-
tourent l’intimité du couple, qui
s’invente là, à l’air libre, un nouvel
Eden. Le cinéma de Sjöström
­déniche sa formule ascension-
été plus diserts et surtout plus
menaçants : « Avec la clôture de
l’enquête pénale, il apparaît que les
graves accusations portées contre
notre client sur les réseaux sociaux
et dans les médias ne reposaient
sur rien. Sur cette base, nous inten-
terons des actions au civil si
­celui-ci est à nouveau l’objet de
soupçons infondés. »
Pour Till Lindemann, cette déci-
sion est évidemment une victoire,
trois mois après le début d’une
­affaire qui l’a secoué sans pour
autant lui aliéner son public.
­Certes, le chanteur, âgé de 60 ans, a
été lâché en juin par sa maison
d’édition, Kiepenheuer & Witsch,
chez qui il a publié trois recueils de
poèmes. Certes, Universal Music a
cessé de faire la promotion des dis-
ques de Rammstein. Malgré cela,
les ventes des albums du groupe,
fondé en 1994, se sont littérale-
ment envolées en juin et en juillet.
Sa tournée européenne, enta-
mée le 20 mai à Vilnius, en Litua-
nie, soit cinq jours seulement
avant les premières accusations
portées contre le chanteur, a été
un indéniable succès : de Berne à
Bruxelles en passant par
­Lisbonne, Madrid, Vienne,
­Budapest ou Saint-Denis, près de
Paris, les concerts se sont tenus à
guichets fermés. A Berlin, où trois
dates étaient programmées, mi-
L’actrice Hilda Borgström dans « Ingeborg Holm » (1913), de Victor Sjöström. Droits Réservés/Fondation Jérôme Seydoux-Pathé
nelle : gravir avec ses personnages
les degrés de la fable, vers ces
­cimes dégagées où chaque geste
atteint une pureté élémentaire.
Pourtant, ses héros n’en sont
pas moins des êtres torturés, han-
tés par le passé, rongés par la faute
ou le remords, en quête effrénée
de rédemption. Les films de
­Sjöström visent souvent à réparer
un accroc du temps et, pour ce
faire, manient allègrement flash-
back et récits enchâssés. Tel le
vieil homme de Terje Vigen (1917),
d’après un poème d’Henrik Ibsen
publié en 1882, que le spectacle
d’une mer agitée renvoie en
­boucle au souvenir de l’expédi-
tion malheureuse qui détruisit sa
vie. Poème de la mer dont il
juillet, les 60 000 places du stade
olympique ont également été
­prises d’assaut. Finalement, tout
s’est donc passé comme prévu,
mis à part la présence dans certai-
nes villes de manifestants oppo-
sés à la venue du groupe, comme
à Berlin et à Vienne, où ils furent
plusieurs centaines.
Un « système de recrutement »
Pour les médias qui ont donné la
parole aux accusatrices de Till
­Lindemann, l’abandon des pour-
suites ne met pas fin à l’affaire.
D’abord parce que le parquet, qui
avait été saisi par des tiers et non
par des victimes présumées du
chanteur, n’a pu interroger
­celles-ci, qui ont préféré parler à
des journalistes, sous couvert de
l’anonymat, plutôt qu’à la justice.
Sollicités par le parquet, les ­médias
concernés ont refusé de commu-
niquer leurs noms, au nom du
principe de protection des sour-
ces. « Il n’y avait donc pas de possi-
bilité de préciser suffisamment
d’éventuelles accusations, pas plus
que de se faire une idée de la crédi-
bilité des victimes présumées et de
la vraisemblance de leurs déclara-
tions dans le cadre d’interrogatoi-
res », a conclu le parquet, justifiant
ainsi l’abandon de l’enquête.
Reste que cette décision ne
­remet pas en cause les témoigna-
épouse rythmes et fluidité, le film
dépeint l’existence individuelle
comme un frêle esquif ballotté
par les flots.
Torsion baroque du récit
Dans La Charrette fantôme,
d’après le recueil de nouvelles Le
Charretier de la mort et autres nou-
velles fantastiques (Albert Bon-
niers Förlag, 1912), de Selma Lager-
löf, un ivrogne fini est, une nuit de
Saint-Sylvestre, amené par la Mort
en personne à retraverser sa vie en
spectateur, pour mieux en saisir le
désastre. A la torsion baroque du
récit, répond l’usage virtuose de la
surimpression (le mélange de
deux images imprimées l’une sur
l’autre) : splendide archaïsme
La tournée
groupe de metal,
entamée en mai
à Vilnius, a été
un indéniable
succès
ges parus dans la presse, ont sou-
ligné les différents médias alle-
mands à l’origine des révélations.
Ces récits ont permis d’établir
l’existence d’un véritable « sys-
tème de recrutement » au profit de
Till Lindemann, selon l’expres-
sion de la chaîne NDR, qui a
­publié plusieurs témoignages ac-
cablants : pendant les concerts de
Rammstein, il était ainsi habituel
que de jeunes spectatrices soient
repérées, puis invitées à des fêtes
en petit comité, où elles étaient
présentées au chanteur comme
de vulgaires objets sexuels.
« On reproche à Till Lindemann
des comportements impudiques.
En soi, l’impudicité n’est pas un
­délit. Mais les médias ont le droit
de porter des jugements sur des
gens indépendamment du fait
que leur comportement soit pu-
nissable ou non par le code
montrant des personnages cernés
par leurs vies parallèles.
La courte carrière américaine du
cinéaste s’avère tout aussi pas-
sionnante. Dans Larmes de clown
(1924), le génial acteur transfor-
miste Lon Chaney – Le Fantôme de
l’opéra (1925), de Rupert Julian, L’In-
connu (1927), de Tod Browning – y
livre une prestation ahurissante,
dans la peau d’un scientifique dé-
chu en clown de cirque se con-
damnant tous les soirs à un nu-
méro humiliant, qui consiste à re-
cevoir un déluge de baffes.
Le Vent condense d’un trait tou-
tes les ­recherches du réalisateur
et donne au cinéma hollywoo-
dien l’un de ses grands classiques.
Une jeune fille (Lillian Gish) s’ins-
­ énal », a notamment expliqué
p 2 septembre, une campagne
­Heribert Prantl, éditorialiste à la
Süddeutsche Zeitung, après
l’abandon des poursuites.
Première femme à être sortie du
silence, le 25 mai, assurant avoir
été droguée, trois jours plus tôt à
Vilnius, lors d’un concert en
marge duquel le chanteur de
Rammstein aurait insisté pour
avoir un rapport sexuel avec elle,
Shelby Lynn a, de son côté, carré-
ment mis en doute l’indépen-
dance du parquet de Berlin.
« Cela ne veut absolument pas
dire que [Till Lindemann] est inno-
cent. S’il avait été un citoyen
lambda comme vous et moi, que
pensez-vous qu’il se serait passé ? »,
s’est interrogée cette Nord-Irlan-
daise de 24 ans sur Instagram, le
réseau social où elle s’était fait
connaître, le 25 mai, en postant
une photo de son ventre, marqué
d’un gros hématome, accompa-
gnée de ce commentaire : « J’ai été
droguée lors du concert. Je n’avais
bu que deux verres juste avant et
Till a donné à chacun un shot de
­tequila. Je ne sais pas quand cela
m’est arrivé ni comment. » Mer-
credi 30 août, dans son nouveau
post, la jeune femme a assuré
« avoir encore un catalogue d’in-
formations » à rendre publiques
contre le chanteur. p
Thomas Wieder
Culture | 23
talle dans une contrée perdue,
aux ­confins de l’Amérique, où
souffle en permanence une bise
infernale, qui pourrait être aussi
le grondement de ses propres dé-
sirs. Le tourment d’une âme
prend, ici comme ailleurs, la
forme d’un phénomène naturel,
par lequel Sjöström s’attache à
­filmer l’invisible. Toute la poésie
de son cinéma réside dans cette
disproportion : face à la frêle sil-
houette humaine, l’effrayante
beauté du monde qui menace
de l’engloutir. p
Mathieu Macheret
Cycle Victor Sjöström, Fondation
Jérôme Seydoux-Pathé, du
6 septembre au 10 octobre.
Mus iqu e
La société Höfner lance
une recherche
de la première basse
de Paul McCartney
La compagnie allemande
d’instruments de musique
Höfner a lancé, samedi
mondiale de recherche de la
première basse modèle 500/1
(en forme de violon) achetée
en 1961 par Paul McCartney.
L’instrument, qui vaudrait
plus de 10 millions d’euros,
aurait été volé ou perdu au
cours de l’année 1969. Sur
une page de son site, la firme
allemande encourage toute
personne ayant des informa-
tions à se manifester, en
­précisant que l’anonymat
­serait respecté.
Arts
Les Pays-Bas restituent
des trésors volés
au Sri Lanka
Les Pays-Bas ont remis
au Sri Lanka, lundi 28 août,
les ­titres de propriété de six
­trésors de l’époque coloniale,
dont un canon en bronze du
XVIIIe siècle magnifiquement
orné, saisi par les soldats
­hollandais en 1765 et
­actuellement conservé au
­Rijksmuseum d’Amsterdam.
Deux épées en or et en
­argent, deux fusils et un
­couteau, remontant à
­l’époque où l’île faisait partie
de l’empire colonial néerlan-
dais, font aussi partie des lots
­d’objets restitués. – (AFP.)
24 | Télévision
Attentats djihadistes, le douloureux réveil de l’Occident
Cette série en trois volets retrace le bouleversement géostratégique d’un terrorisme européen toujours à l’œuvre
Arte
Mardi 5 – 20 h 55
Série documentaire
Q
uelque 150 attentats
depuis 2001 en Eu-
rope, quarante ans
d’expansion d’une
idéologie mortifère
et des démocraties qui ont com-
mis des erreurs dont l’effet a été
d’augmenter le péril : pour cerner
le phénomène du terrorisme isla-
miste, il fallait bien près de trois
heures de décryptage.
Avec Djihad sur l’Europe, Magali
Serre et Hugo Micheron recons-
truisent en trois épisodes une his-
toire qui démarre en 1979 avec
l’intervention russe en Afghanis-
tan. Leur collecte d’archives et de
témoignages de premier plan il-
lustre le bouleversement géostra-
tégique qu’a entraîné une idéolo-
gie révolutionnaire et totalitaire.
Pour tous ceux qui connaissent
mal l’enchaînement funeste et
s’interrogeaient, après chaque at-
tentat à Paris, Londres, Madrid ou
Bruxelles, sur les ressorts du ter-
rorisme islamiste, cette série fera
office d’œuvre pédagogique.
Le premier volet embrasse la pé-
riode 1979-2001. En 1989, l’armée
soviétique se retire de Kaboul et,
quelques mois plus tard, les Occi-
dentaux sont à la fête : le mur de
Berlin est tombé et ils ne voient
pas l’autre face du scénario – le
Le procès d’une mère infanticide, entre distance et proximité
Inspiré de l’affaire Fabienne Kabou, « Saint Omer » met en lumière les non-dits et les préjugés racistes lors du jugement de ce fait divers
Canal+ Cinéma
Mardi 5 - 21 h 00
Film
D ans Saint Omer, il y a la
mère, et la mer, à marée
haute, devant laquelle
une femme dépose sa fillette âgée
de 15 mois, un soir d’automne,
afin que les vagues l’emportent.
L’accusée à la peau noire se re-
trouve dans le box de la cour d’as-
sises de la petite ville du Pas-de-
Calais. Une femme noire affronte
les préjugés de Blancs déclassés. Et
ce puissant tableau postcolonial
GRILLE N° 23 - 205
PAR PHILIPPE DUPUIS
Retrouvez l’ensemble de nos grilles sur
1 2 3 4 5 6
I
II
III
IV
V 5
VI
VII
VIII
IX
X 4. Sein familier. Formation militaire.
SOLUTION DE LA GRILLE N° 23 - 204
HORIZONTALEMENT I. Transposable. II. Radios. Ami. III. Uvées. Cuitas.
IV. Ciné. Côte. Lô. V. Un. Spore. Air. VI. Lac. Insultée. VII. Anse. ONU.
VIII. Nèpes. Termes. IX. Tue. Ere. Aéré. X. Externalisas.
VERTICALEMENT 1. Truculente. 2. Ravina. Eux. 3. Aden. Capet. 4. Niées.
Ne. 5. SOS. Pisser. 6. PS. Cône. RN. 7. Cors. Tea. 8. Sauteuse. 9. Amie. Rai.
10. Bit. Atomes. 11. Aliénera. 12. Essoreuses.
Image extraite de la série documentaire « Djihad sur l’Europe ». ARTLINE FILMS
terme « djihadisme » ne figure pas
encore dans leurs dictionnaires…
Or, à Peshawar, au Pakistan,
Oussama Ben Laden a versé, cha-
que mois, 10 000 dollars au bu-
reau des services qui recrute des
« Arabes afghans » pour défendre
leurs frères. Une armée de moud-
jahidine s’est constituée, armée
par les Etats-Unis de Ronald Rea-
gan dans la logique de la guerre
nous regarde au fond des yeux.
Inspirée par le procès de Fabienne
Kabou – elle abandonna son en-
fant sur la plage de Berck-sur-Mer,
le 19 novembre 2013, et fut con-
damnée en appel, en 2017, à
quinze ans de réclusion crimi-
nelle –, Alice Diop s’attache à la
personnalité complexe de l’hé-
roïne, ici nommée Laurence Coly
(Guslagie Malanda). Celle-ci est
vue à travers les yeux d’une autre
femme noire, Rama, romancière
(Kayije Kagame) et alter ego de la
cinéaste, venue assister au procès
en vue de l’écriture de son
jeux.lemonde.fr
7 8 9 10 11 12
froide. Le FBI s’intéresse peu aux
levées de fonds des islamistes : il y
voit une économie pour le contri-
buable américain !
Une lutte sans merci
En 1992, en Bosnie, les crimes,
massifs, commis par les forces ser-
bes ont occulté ceux de groupes is-
lamistes qui jouent au foot avec la
tête de Serbes décapités, comme le
deuxième roman. L’interprétation
des deux comédiennes installe
une atmosphère quasi fantastique
dans ce film trempé d’angoisse.
Peindre le portrait d’une femme
Alice Diop fit elle-même le dépla-
cement, en 2016, tant elle était
perturbée par l’histoire de Fa-
bienne Kabou. Avec l’accusée, ori-
ginaire comme elle du Sénégal,
elle ressentait un mélange confus
de distance et de proximité. Toute
la complexité de cette femme
noire devait affleurer à l’écran,
loin des clichés réducteurs.
HORIZONTALEMENT
I. Une petite pause pour le porte-
plume et le lecteur. II. Rose de Noël.
Un plaisir quand ils passent à table.
III. Gaz en tube. Rayées comme des
fauves. IV. Suivent le temps. Gros fu-
meur européen. V. Très salé. En or et
toujours debout chez Gounod.
Entrent en résistance. VI. Note.
Au bout de l’avenue. Arrose Munich
sur son passage. VII. En sortant du
sort, elle peut être méchante. Mit en
mouvement. VIII. Toujours du côté
du pouvoir en place. X. Singe-arai-
gnée en Amérique du Sud. Des len-
tilles pour l’étable. X. Forme d’avoir.
Passée à tabac.
VERTICALEMENT
1. Retombe, sans grâce ni charme.
2. Un sauvage fournisseur d’huile.
3. Réduit en esclavage par les Spar-
tiates. Caractère celtique ancien.
5. Excellente appréciation. Tuniques
en feu. 6. Possessif. Attache en re-
montant. 7. Donnai les couleurs de
l’arc. Grande partie du globe. 8. Des
cailloux plein le désert. Fatiguai mon
auditoire. 9. Grand dieu sur le Nil.
Finissent et repartent aussitôt.
10. Mettent le feu en sortant des
reins. 11. Retiennent solidement. Fait
vinaigre. 12. Fondasse de nouveaux
groupes.
montrent des images jamais vues
jusqu’ici. Les accords de Dayton
entraîneront leur départ du pays,
mais, un peu partout, les réseaux
sont désormais structurés et en-
tendent internationaliser la lutte.
Au Royaume-Uni, le « Londonis-
tan », dans lequel Scotland Yard
voit « une bande de rigolos », est le
foyer d’une mobilisation que va
renforcer le déclenchement de la
Tout au long de cette affaire, la
réalisatrice a été frappée par les
non-dits autour de la couleur de la
peau de la mère infanticide. Son
langage érudit et son élocution en
étonnaient plus d’un, comme un
reste de racisme ordinaire. Puis le
malaise grandit lorsque Fabienne
Kabou se montra cassante et
­manipulatrice, assumant froide-
ment son acte, glaçant les jurés.
Dans Saint Omer, le portrait de
l’accusée se trouve sensiblement
adouci par rapport à celui de Fa-
bienne Kabou. L’important ici
n’est pas de « coller » au réel, mais
sudoku
n°23-205
7 4 8 5
5 7
2 9 5 8
6 3
1 6
5 3 Chaque chiffre ne doit
4 7
Réalisé par Yan Georget (https://about.me/yangeorget)
N° 97
SEPTEMBRE
2023
LE GRAND TURC
L’EUROPE FACE
À L’EMPIRE OTTOMAN OR NOIR
Quand le monde
avait soif de pétrole
guerre en Irak par George W. Bush,
en 2003. Déjà galvanisés par les at-
tentats du 11 septembre 2001, des
jeunes vont s’engager dans une
lutte sans merci. « Sans vraie for-
mation religieuse, mais déterminés
jusqu’à rechercher la mort », dit
Jean-François Ricard, procureur
du Parquet national antiterroriste.
Polices et services secrets sont
soupçonnés d’exagérer la menace
terroriste afin de justifier des im-
pératifs de politique étrangère.
Après avoir découvert que le 11-
Septembre a été fomenté à Ham-
bourg, l’Europe relèvera 191 morts
à Madrid en 2004, 52 à Londres,
en 2005, la série ne s’arrêtera plus.
Barack Obama annonce, en 2011,
la mort de Ben Laden, mais son re-
fus d’impliquer son pays en Syrie
contribuera à l’instauration de l’or-
ganisation Etat islamique, qui re-
crutera 6 000 combattants euro-
péens, téléguidera des attentats à
Paris, Bruxelles et ailleurs, et inspi-
rera aussi des « loups solitaires ».
Quel avenir pour l’idéologie dji-
hadiste ? Comment la contrer ?
Comment mieux soutenir les mu-
sulmans qui défendent une lec-
ture généreuse du Coran ? Ces
questions concluent la série mais
restent sans vraie réponse. p
Jean-Pierre Stroobants
Djihad sur l’Europe, de Magali
Serre et Hugo Micheron
(Fr., 2023, 3 × 54 min.)
de peindre le portrait d’une
femme avec tout le soin et la dé-
mesure qu’apportaient les grands
peintres à leurs modèles. Les réfé-
rences picturales d’Alice Diop vont
de La Belle Ferronnière, de Léonard
de Vinci, peint entre 1495 et 1497, à
Grape Wine (1966), de l’Américain
Andrew Wyeth, portrait d’un va-
gabond d’une extraordinaire
­modernité. Deux œuvres aux-
quelles font écho plusieurs plans
rapprochés de l’accusée.
Il faut imaginer le film comme
une photo de l’affaire Kabou,
qu’Alice Diop aurait laissé tremper
4 8 9 3 5 7
2 1 6 8 4 9
3 5 7 2 1 6
3 9 1 6 4 5 1 3 8 2
9 3 2 5 7 4
1 7 8 9 6 2
8 9 1 4 2 3
7 2 3 6 9 5
9 5 6 4 7 8 1 9
7 Très facile
Complétez toute la
grille avec des chiffres
allant de 1 à 9.
être utilisé qu’une
seule fois par ligne,
6 par colonne et par
carré de neuf cases.
LE GRAND TURC
L’EUROPE FACE
À L’EMPIRE OTTOMAN
CHEZ VOTRE
MARCHAND DE JOURNAUX
et sur
boutique.histoire-
et-civilisations.com
­
0123
­Mardi 5­ septembre 2023
Notre
sélection
Mar di 5 se pte mbre
France 2
Joyeuses Pâques
21.10 Une reprise de la pièce de Jean
Poiret (1980) par Nicolas Briançon,
Gwendoline Hamon, Alice Dufour,
Claire Nadeau. Pendant le week-end
de Pâques, un quadra amène chez
lui une jolie jeune femme. Mais son
épouse revient et les surprend.
Ushuaïa TV
Dans les pas de Lou
21.40 Ce documentaire d’Hervé
Tiberghien (2020) suit la « marche
sauvage » de deux mois de la petite
Lou, avec sa mère, sur les chemins de
traverse du Ladakh, en Inde, sac sur
le dos et à la main un carnet où elle
peint et écrit tous les soirs l’aventure
avec enthousiasme et délicatesse.
TCM Cinéma
Blue Velvet
22.40 Le film mythique de David
Lynch (1986), avec Isabella Rossellini,
Dennis Hopper… A l’affût de
l’anormalité, le réalisateur traque les
choses cachées dans une petite ville
d’Amérique qui se révèle un
labyrinthe d’horreurs incongrues.
TF1
Les Tuche : un phénomène
qui Tuche tout le monde
22.55 Dans la foulée de la diffusion
du film Les Tuche (2011), ce
documentaire décrypte le succès
phénoménal de cette comédie.
dans un bain, pour en révéler une
autre texture, plus trouble et plus
universelle. Sans doute est-ce pour
cette raison que ce grand film poli-
tique, proche du thriller, a séduit le
jury de la Mostra de Venise, où il
fut récompensé, en 2022, d’un
Lion d’argent (Prix du jury) et d’un
Lion du futur pour un premier
film, avant d’avoir le César du
meilleur premier film en 2023. p
Clarisse Fabre
Saint Omer, d’Alice Diop. Avec
Guslagie Malanda, Kayije Kagame
(Fr., 2022, 122 min).
0123 est édité par la Société éditrice
du « Monde » SA. Durée de la société :
99 ans à compter du 15 décembre 2000.
Capital social : 124.610.348,70 ¤.
Actionnaire principal : Le Monde Libre (SCS).
Rédaction 67-69, avenue Pierre-Mendès-France,
75013 Paris. Tél. : 01-57-28-20-00
6 1 2
5 3 7 Abonnements par téléphone au 03 28 25 71 71
(prix d’un appel local) de 9 heures à 18 heures.
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Midi-Print, Gallargues le Montueux
Origine du papier : France, Belgique.
Taux de fibres recyclées : 87 %. Ce journal est imprimé sur un
papier issu de forêts gérées durablement et de sources controlées.
Eutrophisation : PTot = 0.008 kg/tonne de papier
0123
­
­Mardi 5­ septembre 2023
Styles | 25

Gastronomie
Guainville (Eure-et-Loir)

E
n faisant visiter le domaine de
Primard, Romain Meder fronce
les sourcils. On admire l’impo-
sante demeure XVIIIe qui fut
longtemps celle de Catherine Deneuve,
les buis taillés au cordeau, les rosiers
jouant aux alpinistes sur des arbres hauts
comme des immeubles dans ce parc de
40 hectares qui borde l’Eure à Guainville
(Eure-et-Loir). Lui redresse les couverts
sur une table des Chemins, son établisse-
ment gastronomique fraîchement étoilé,
et inspecte sa brasserie, Octave, posée
juste à côté. Plus loin, il éteint métho­-
diquement les luminaires allumés en
plein jour dans des salles de l’hôtel. Et,
­arrivé dans son potager, commence par
mettre à l’ombre des cagettes de petits
pois abandonnés à la morsure du soleil.
Bosquets joufflus, vergers gorgés de
soleil, champs couvrant l’horizon… La
nature affolante du domaine est pour le
chef une source d’inquiétude (la séche-
resse sévit ici aussi) et d’inspiration. « Ce
soir, je vais tenter d’utiliser de la feuille de
poivre du Sichuan pour relever l’assaison-
nement de petits pois, confie-t-il. Et faire
un kombucha de rose. »
Romain Meder s’est mis au vert. Mais,
pieds dans la terre, ce géant doux de
44 ans garde la même rigueur et la
même créativité que lorsqu’il officiait
encore au Plaza Athénée, à Paris, il y a Romain Meder, au domaine de Primard, et son plat carottes sucrines capucines proposé cet été au restaurant « Les Chemins ». FLORENCE BROCHOIRE POUR « LE MONDE »
deux ans. Le trois-étoiles était alors l’am-
bitieux navire amiral des établisse-
ments de son mentor, Alain Ducasse.
Avant une mise à l’arrêt et un débarque-
ment qui l’a forcé à prendre des chemins
de traverse. Ses nouvelles pérégrina-
tions, à une heure de train des dorures
Romain Meder,
un chef les mains sur terre
gastronomiques parisiennes, dans un
village où personne ne connaissait son
nom, pourraient ressembler à un déclas-
sement. C’est tout l’inverse. Le nouveau
chapitre logique, bucolique, d’une odys-
sée culinaire au long cours. Ancien fidèle d’Alain Ducasse, le concepteur de la naturalité,
Ce Franc-Comtois, fils d’une infirmière
et d’un horticulteur, a grandi à Neurey- le Franc-Comtois de 44 ans a repris en 2022 les fourneaux
lès-la-Demie (Haute-Saône), une bour-
gade de 300 habitants proche de Vesoul. du domaine de Primard, en Eure-et-Loir, où il veut « prouver
A peine son CAP boucherie en poche, il
s’envole pour la Martinique où il effec- qu’on peut prendre du plaisir avec du végétal »
tue son service militaire en gérant la
tambouille des officiers. Grâce au trai-
teur haut de gamme Potel et Chabot, il
continue à jouer à saute-frontières – re- tes et radicales de ses prédécesseurs. ses produits, des morilles à la crème et du che pas certains clients de repartir fâchés
pas présidentiel à Beyrouth, Bal du tsar à C’est aussi une révolution en matière de toum, sorte de crème à l’ail orientale. parce qu’il n’y a pas de « vraie » viande,
Saint-Pétersbourg… – pour des événe- communication : Jean Imbert est une Ses tables, où le service s’effectue en comprendre du bœuf. Ses steaks à lui
ments démesurés. Avant de rejoindre star des réseaux sociaux qui aimante au baskets, ne sont pas intimidantes, mais sont d’épais morceaux de betterave. « Je
en 2006 Alain Ducasse, une rencontre Plaza des bataillons de people ; Romain débordent d’imagination. Il compose les glisse dans les burgers, et c’est ce que
décisive. Le patron l’envoie bientôt su- Meder est un taiseux qui préfère ses chez Octave des formules à partir de nous proposons aux enfants plutôt que
perviser le restaurant du Musée d’art is- fourneaux aux mondanités. 28 euros et décline des intitulés de plats des nuggets et des frites, sourit-il. Tant pis
lamique à Doha, au Qatar. « Là-bas, j’ai Le Franc-Comtois rebondit d’abord rassurants (céleri rémoulade, saucisse si ça ne plaît pas, on ne facturera pas. Mais
appris à travailler les céréales, le millet, le avec Alain Ducasse chez ADMO, restau- aux herbes…) qui continuent de surpren- ça aura au moins provoqué une discus-
sorgho, et des légumineuses avec des rant éphémère où il poursuit ses expéri- dre. A l’image de cet artichaut qu’on ef- sion avec les parents. Je veux prouver qu’on
­nutritionnistes pour lutter contre la mal- mentations végétales perché sur le toit- feuille amoureusement avant de faire peut prendre du plaisir avec du végétal. »
bouffe », se souvient-il.
Aux Chemins, terrasse des Ombres, face à la tour Eiffel ; trempette dans la sauce – un mousseux Et pour accomplir sa mission, le chef
on découvre mais aussi chez Sapid, cantine parisienne houmous – cachée à l’intérieur du lé- ne recule devant aucune expérimenta-
« Une cuisine sans complaisance » focalisée sur les légumes. Puis il prend la gume. Dans son restaurant gastrono­- tion. « C’est une tête chercheuse, observe
« Cette expérience était essentielle pour le
un somptueux tangente. « Je cherchais un endroit à la mique Les Chemins, dont les baies son ancien collègue Vincent Maillard,
projet que nous avons mené ensuite au tempura campagne, et j’ai appris qu’Eric Frechon s’ouvrent sur la roseraie, on déjeune à qui pilote les restaurants de l’hôtel Lily
Plaza en nous focalisant sur les céréales, quittait le domaine de Primard, se sou- partir de 95 euros (formule en quatre of the Valley, près de Saint-Tropez. Au
les légumes, le poisson, estime aujour­-
de fleurs vient-il. Je suis arrivé un jour de mars 2022, temps). Cher pour un restaurant une Plaza, il avait un frigo entier dévolu à ses
d’hui Alain Ducasse. Ce concept que j’ai d’acacias, il pleuvait, mes pieds s’enfonçaient dans la étoile, raisonnable si l’on considère qu’au expériences : saucisson de poulpe, cerise
baptisé “naturalité”, c’est moi qui l’ai boue, je me suis demandé ce que je faisais moins une autre finira par briller sur mise à maturer dans la cire d’abeille… »
créé, mais c’est Romain qui l’a mis en
composant là et, au fur et à mesure de la visite, j’ai vu le cette table unique. En cuisine, le chef ne Aux Chemins, on découvre un somp-
œuvre. Je l’ai choisi parce que ce n’est pas un bouquet potentiel incroyable du lieu. » bégaie pas. « Je ne voulais pas travailler du tueux tempura de fleurs d’acacias, com-
un produit des restaurants étoilés, il n’a En avril 2022, il devient officiellement caviar, de la truffe blanche ou de l’ané- posant un bouquet multicolore qu’on
pas de barrières. »
multicolore chef du domaine. Mais repart de zéro. mone de mer comme on faisait au Plaza, ose à peine découper ; un tartare d’algue
En 2016, le Plaza décroche trois étoiles qu’on ose « Quand on a ouvert la brasserie Octave, ici ça n’aurait pas de sens, estime-t-il. Je ne au goût subtilement herbacé ; une brio-
Michelin. Les audaces du jeune chef se rappelle-t-il, on était quatre en cuisine voulais pas non plus d’une cuisine bour- che fourrée de betterave fermentée, à
­épatent, mais peuvent aussi crisper. Ro-
à peine et je taillais moi-même les frites au cou- geoise : la cuisine à l’ancienne ne peut pas tremper dans un savoureux civet de bet-
main Meder ne cherche pas à plaire mais découper teau. C’est dur quand on a piloté un trois- être la cuisine de demain. » terave. Preuve que le légume le plus ba-
à marquer. « Il a élaboré une cuisine sans étoiles avec trente employés ! J’ai vécu une nal peut faire des miracles.
complaisance, avec beaucoup d’aspéri- énorme remise en question. Et en même Sandwich au pastrami de betterave A l’aise dans ses bottes, le chef garde
tés, explique Amaury Bouhours, l’actuel temps, la réalité c’est ça : on n’est jamais Le voilà donc reparti sur le sentier du vé- des fourmis dans les jambes. Alain Du-
patron des fourneaux du Meurice, un arrivé et un cuisinier doit garder un côté gétal, mais connecté au monde qu’il dé- casse confie, énigmatique, qu’ils n’ex-
autre palace parisien, qui travailla à ses couteau suisse, être capable de préparer fend. Grandeur nature. « Nous sommes cluent pas de travailler à nouveau en
côtés. C’est incroyable ce qu’il a osé : aussi bien une carotte fermentée que de sur la bonne voie, lance-t-il. Au festival tandem pour « aller encore plus loin que
­imaginez des sardines grillées dans un la chair à saucisse. » musical We Love Green, cette année, il n’y la naturalité ». Romain Meder se voit
palace ! Des cuissons avec une part de Romain Meder s’enracine dans son avait que des plats végétariens, comme bien, quant à lui, ouvrir un restaurant
brûlé, des fermentations, des acidités et nouveau terroir. Avec Gérard Germaine, notre sandwich au pastrami de betterave, axé sur la transmission. « J’ai des jeunes
des amertumes poussées. » le jardinier du domaine, il met sur pied et ça n’a posé de question à personne ! Les commis qui arrivent ici sans connaître
En 2021, le chef et son patron se pren- un potager de 300 mètres carrés (en lieu nouvelles générations sont prêtes. » Le vraiment les légumes, souligne le chef. Je
nent un coup de louche sur la tête : ils et place du terrain de foot des petits-en- chef cuisine rarement des viandes classi- suis heureux si je peux les sensibiliser. On
sont remplacés au Plaza par Jean Imbert, fants de Catherine Deneuve). Mais il se ques, qui, selon lui, ne sont jamais doit être utile à l’environnement, aux
ancien vainqueur de « Top Chef ». Sous fournit toujours chez ses anciens maraî- meilleures que grillées. Il s’autorise néan- ­paysans. » Mais le soleil décline, et le chef
les lustres en cristal, le nouveau venu re- chers et a déniché des pépites dans les en- moins des protéines animales : la seiche repart au travail, une salade à la main et
visite une cuisine bourgeoise au parfum virons. Le jour de la visite, on le voit serrer se glisse dans une saucisse au navet ; l’es- lâche, laconique : « Ce soir, j’aimerais
d’Ancien Régime – brioche Marie-Antoi- la pince d’un producteur de pâtes au blé cargot se dissimule dans une gelée de su- trouver un moyen de donner un côté
nette au caviar, tarte chantilly truffée… –, tendre qui habite à quelques kilomètres, reau. Parfois, même, de belles poulardes “waouh” à cette sucrine. » p
à l’exact opposé des fulgurances futuris- très heureux de l’assiette composée avec passent par le domaine. Ce qui n’empê- Léo Pajon
26 | Carnet
Mohammed
Al-Fayed
Homme d’affaires égyptien
A Londres, en 1989.
Peter Macdiarmid/Getty Images
T
oute sa vie, Mohammed
Al-Fayed a rêvé d’être ac-
cepté par l’élite et l’aris-
tocratie britanniques. Il
est mort mercredi 30 août sans
n’avoir jamais réussi à obtenir la
nationalité britannique et en
étant persona non grata au sein
de la famille royale. Il a passé les
vingt-cinq dernières années de
son existence à dénoncer le
« meurtre » de son fils Dodi aux cô-
tés de la princesse Diana, en 1997.
Cet « homme profondément mal-
honnête », pour reprendre l’accu-
sation d’un avocat lors d’un des
nombreux procès qui ont émaillé
sa vie, a mélangé mensonges, lé-
gendes et soif éperdue de recon-
naissance. Même son âge était in-
certain : 94 ans, selon la date de
naissance donnée dans un rapport
du gouvernement britannique ;
90 ans, à en croire ce que le multi-
millionnaire égyptien a écrit dans
le Who’s Who, où il affirme être né
à Alexandrie en janvier 1933.
Fils d’un instituteur, s’appelant
alors simplement Fayed – il ajou-
tera l’article al plus tard –, il dé-
bute en vendant des boissons
fraîches avant de se lancer dans
les affaires avec la famille saou-
dienne Khashoggi et de se marier
avec l’une des filles, Samira. De
leur union, qui durera seulement
deux ans, naît leur fils, Dodi.
Charmeur, hâbleur, M. Al-Fayed
multiplie les initiatives : il monte
une société de transport mari-
time, devient conseiller du sultan
de Brunei, fait affaire avec le dicta-
teur haïtien « Papa Doc », François
Duvalier, en se faisant passer
pour un cheikh koweïtien… Dans
les années 1960, il finit par s’ins-
taller à Londres.
Ex-propriétaire de Harrods
De ces premières décennies, il tire
une leçon : l’apparence de la ri-
chesse compte plus que tout. Son
train de vie, son goût pour les
femmes et les voitures de luxe lui
permettent de rencontrer le con-
seiller d’un dirigeant de Dubaï. En
lui facilitant l’accès à des finance-
ments auprès de banques occi-
dentales, il engrange une énorme
commission qui lui permet d’in-
vestir dans l’immobilier, notam-
ment sur Park Lane, la grande ave-
nue qui longe Hyde Park, au cœur
de la capitale britannique.
Dans la rue perpendiculaire se
trouve Harrods, le grand magasin
des riches Britanniques. En 1985, il
l’achète, ainsi que sa maison mère,
House of Fraser, pour 615 millions
de livres. Rapidement, l’affaire
s’envenime. Les autorités britanni-
ques ouvrent une enquête pour
1929 ou 1933 Naissance
à Alexandrie (Egypte)
1954 Epouse Samira
Khashoggi, fille d’un homme
d’affaires saoudien
1985 Rachat de Harrod’s
1997 Rachat du Fulham FC
et mort de son fils Dodi
30 août 2023 Mort
à Londres
connaître l’origine des fonds. Pour
contre-attaquer, M. Al-Fayed
« achète » les services de deux dé-
putés, leur versant d’importantes
sommes en liquide en échange de
questions à poser au Parlement en
sa faveur. L’homme d’affaires
égyptien finira par révéler lui-
même cette pratique, provoquant
un gigantesque scandale, qui mè-
nera au changement du code de
conduite des députés.
En parallèle de cette bataille,
M. Al-Fayed fait tout pour se rap-
procher de la famille royale. Il
sponsorise les courses hippiques
d’Ascot, adorées par la reine Eliza-
beth II, pour pouvoir se faire pho-
tographier avec elle. Il invite Diana
pour des vacances sur son yacht.
C’est là que Dodi, son fils, en fait la
rencontre, menant à leur romance
en 1997. Leur tentative d’échapper
aux paparazzis depuis le Ritz de
Paris – un hôtel qui appartient à
M. Al-Fayed – se termine dans un
pilier du pont de l’Alma, les tuant
tous les deux le 31 août 1997.
L’Egyptien ne s’est jamais remis
du drame. Pendant des années, il
a accusé la famille royale d’avoir
organisé ce qu’il qualifie de
« meurtre ». Pendant l’enquête
menée au Royaume-Uni, il a ac-
cusé, sans apporter de preuve, ce-
lui qui est aujourd’hui le roi Char-
les d’être « heureux » de cette
mort : « Ils l’ont finie, ils l’ont tuée. »
M. Al-Fayed a aussi été l’un des
premiers hommes d’affaires
étrangers à investir dans le foot-
ball. En 1997, il achète le Fulham
FC, alors en seconde division. En
quelques années, il réussit à le
faire passer en Premier League.
Fulham atteindra même la finale
de la coupe d’Europe, en 2010.
En 1985, l’Egyptien s’est marié en
secondes noces avec la manne-
quin finlandaise Heini Wathén, de
vingt-cinq ans sa cadette, avec qui
il a eu quatre enfants. Pendant la
dernière décennie de sa vie, le con-
troversé homme d’affaires a
vendu l’essentiel de ses activités :
Harrods en 2010, le club de Fulham
en 2013. Récemment, il a été l’objet
d’accusations de harcèlement et
d’attouchements sexuels. p
Éric Albert
­
0123
­Mardi 5­ septembre 2023
Simone, David Newhouse,
Le Carnet
son épouse,
Nicole,
sa fille,
Les familles Chavranski, Desvignes,
Caroline Ulmer-Newhouse,
ses enfants,
leurs conjoints, Catherine Malek et
Jean-Christophe Ulmer, Arta
Souvenir
Vous pouvez nous faire
Bienenfeld et alliées,
Ses cousins et neveux,
Ses amis de toujours
et leurs enfants,
Constance, Claire, Samson, Zoé,
Tobie, Emma, Antonin,
ses petits-enfants,
leurs compagnes et compagnons,
Marcus,
tu étais née il y a juste un siècle à
Marseille.
parvenir vos textes son arrière-petit-fils,
soit par e-mail : ont la tristesse d’annoncer le décès
de
ont la tristesse d’annoncer le décès
Tes tableaux sont toujours là, tu
n’as pas disparu.
carnet@mpublicite.fr de
(en précisant impérativement Henri CHAVRANSKI,
Hommage
Peter NEWHOUSE,
votre numéro de téléphone ancien directeur de société,
et votre éventuel numéro survenu le 24 août 2023, M.A. Oxford,
membre de l’équipe Axel
d’abonné ou de membre à l’âge de quatre-vingt-treize ans.
de boxe d’Oxford, BOGOUSSLAVSKY
de la SDL) Voyageur du monde, il repose
francophile, (1937-2023),
à Toulouse-le-Château, son village comédien,
soit sur le site : survenu le 25 août 2023,
peintre et écrivain,
d’adoption dans le Jura qu’il aimait à l’âge de quatre-vingt-dix-sept ans.
https://carnet.lemonde.fr
tant.
L’équipe du Carnet reviendra Conformément à ses dernières a été enterré le vendredi 1er septembre
Que la Terre lui soit légère. volontés, il reposera à Dejoux, près 2023, au cimetière de La Bocca, annexe
vers vous dans les meilleurs de ceux qu’il a chéris.
Abadie, 258, avenue Michel-Jourdan, à
délais pour vous confirmer
Paris. Ils tiennent à remercier le personnel Cannes (Alpes-Maritimes).
la parution. de Ger’home, à Courbevoie.
Isabelle Chevrier, Anne Chevrier, Balthazar Bogousslavsky,
Catherine et Richard Muller, Françoise newhouse.david@gmail.com
carnet@mpublicite.fr carolinenewhouse@aol.com Agnès Perlemuter.
et Olivier Freitas,
https://carnet.lemonde.fr ses quatre filles et leurs conjoints,
Julien, Aurélie et Laure de Montjou, Fanny Noël, Formation
Tiphaine et Mélodie Midot, Lucas et son épouse,
AU CARNET DU «MONDE» Martial Muller, Hannah et Abigail
Pascale, Nathalie, Frédérique,
Juliette Antoinette,
Stern, Dora, Marc-Elie et Teresa Freitas, ses filles
Naissance ses douze petits-enfants, et leurs conjoints,
Libby-Ruth Bachmeyer, Ses petits-enfants,
Clémentine PERRIN, son arrière-petite-fille,
Benoît CHALHOUB, ont la tristesse d’annoncer le décès
et leur fille, ont la profonde tristesse de faire part de
Iris Formation continue
du décès de Jean-Marc NOËL,
ainsi que leurs familles, Arabe, chinois, japonais, russe...
ont la joie d’annoncer la naissance de Jacques CHEVRIER, survenu à l’âge de quatre-vingt-sept Apprenez une langue à l’Inalco
écrivain et universitaire français, ans, le 31 août 2023.
Théa, professeur émérite
avec des enseignants experts
en littérature comparée La cérémonie aura lieu le jeudi de l’enseignement des langues
le 25 août 2023, à Paris. 7 septembre, à 14 heures, au
à l’université Paris IV-Sorbonne, orientales en contexte professionnel.
crématorium de Mérignac, avenue
51, rue Froidevaux, ancien élève de l’ENS de Saint-Cloud, du Souvenir, à Mérignac, dans la plus Inscriptions jusqu’au
75014 Paris. ancien directeur du Centre stricte intimité.
international d’études francophones, 8 septembre 2023.
chevalier de la Légion d’honneur, Ni fleurs ni couronnes. www.inalco.fr
Mariage
survenu le mardi 29 août 2023. Zoé Chauveau-Rock, César Chauveau, Communication diverse
Paris. La Haye.
Laetitia Chauveau-Chatillon,
Léo GRIFFATON-SONNET Une cérémonie religieuse a lieu ce ses enfants,
lundi 4 septembre, à 14 h 30, en l’église Ses petits-enfants
et
de Trigavou, suivie de l’inhumation au Et arrière-petites-filles,
Dilian van der VOORT
cimetière de Lanhélin, Mesnil-Roc’h
sont heureux de faire part de leur (Ille-et-Vilaine). ont la tristesse de faire part du décès
mariage le samedi 2 septembre 2023, de
à la mairie du 5e arrondissement de « Elle est retrouvée.
Paris. Quoi ? – L’Éternité.
Myriam Envie d’être utile ? Rejoignez-nous !
VERSINI-CHAUVEAU,
C’est la mer allée
avocate au barreau de Paris,
Avec le soleil. » Les bénévoles de SOS Amitié
Décès
L’éternité - Arthur Rimbaud. survenu le 27 août 2023, écoutent
Paris. Magny-en-Vexin. Bordeaux. à l’âge de quatre-vingt-sept ans. par téléphone et/ou par internet
5, rue Le Verrier,
Le Lavandou. ceux qui souffrent de solitude,
75006 Paris. Bon voyage Mimi. de mal-être et peuvent avoir
Sophie Brinet et Madeleine, Camille chevrier.sorbonne@gmail.com des pensées suicidaires.
Brinet et Isée, Alexandre Brinet,
Marjorie Cavaignac et Vassili, Avis de messe
Anaïs et Antonin, Nous recherchons des écoutants
ses enfants, belle-fille et petits-enfants,
Françoise La Balme, Le jeudi 7 septembre 2023, à 17 h 30,
le frère Jean-Miguel Garrigues op bénévoles
sa compagne ont l’immense tristesse d’annoncer
célèbrera une messe en mémoire de sur toute la France.
et ses enfants, Alix et Vincent, le décès de leur mère,
L’écoute peut sauver des vies
Dominique et Lydie Brinet, Riva et Hélène PINET-HEISBOURG
Johanna, Hubert Brinet, Dimitri et Eléonore FAUCHER, et enrichir la vôtre !
(1923-2023)
Margaux, réalisatrice et scénariste, Choix des heures d’écoute,
ses frères, belle-sœur, ses nièces et et de son fils, formation assurée.
neveu
survenu le 27 août 2023.
Et toute sa famille, Pierre En IdF RDV sur
(1947-2020),
La cérémonie aura lieu le mercredi www.sosamitieidf.asso.fr
ont la tristesse de faire part du décès
6 septembre, à 13 h 30, au crématorium dans la crypte du couvent dominicain En région RDV sur
de
du cimetière du Père-Lachaise, Paris 20e. de l’Annonciation, 222, rue du Faubourg
www.sos-amitie.com
Jean-Philippe BRINET, Saint-Honoré, Paris 8e.
Lucie et Guillaume,
survenu le 6 août 2023, à Paris, Tom, Manon et Pauline,
à l’âge de quatre-vingts ans. Micheline,
Une bénédiction aura lieu le
6 septembre, à 14 h 30, au cimetière
ont la douleur de faire part du décès Vos
dédicaces
de
du Père-Lachaise, avenue de l’Ouest,
division 63, à l’occasion de l’inhumation.
Françoise-Frédérique
se •
brinet.sophie@orange.fr GAUTHIER,
819,�':!!ge
camillebr2@free.fr
alexandre.brinet@numericable.fr survenu le 21 août 2023, à Paris.
francoise.labalme@gmail.com
Hélène,
s
lifffffef du
Monique et Marina Yotnahparian son épouse,
Et tous ses amis, Gilles, Thierry et Cedrine,
du
Monde
ses enfants,
ont le grand chagrin d’annoncer la Gabriela et Rafaela,
mort de ses petites-filles
Et toute sa famille,
Bernard CHARDÈRE,
font part du décès de
à Lyon, le 25 août 2023, dans sa
quatre-vingt-treizième année.
Christian MALHERBE,
L’inhumation a eu lieu le vendredi AET Autun 1958-1965,
1er septembre, au cimetière de La ingénieur retraité Thales,
Guillotière, à Lyon, dans le souvenir
de survenu le 24 août 2023, à Paris,
à l’âge de soixante-quinze ans.
Alice CHARDÈRE
(1931-2016). malherbe.hc@orange.fr
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.telltonde
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0123
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­Mardi 5­ septembre 2023
Aïcha Limbada
« Au XIX siècle,
e
la nuit de noces
installe un rapport de
domination du mari »
Dans un livre
très documenté,
l’historienne restitue
avec rigueur et
sensibilité l’imaginaire
nuptial du XIXe et du
début du XXe siècle
Entretien
D
ans La Nuit de noces. Une his-
toire de l’intimité conjugale,
l’historienne Aïcha Limbada,
membre de l’Ecole française de
Rome, étudie l’un des moments
les plus secrets de la vie des
hommes et des femmes du XIXe et du dé-
but du XXe siècle : la nuit qui suit la céré-
monie de mariage.
Quelles sont les sources qui
­permettent de raconter un moment
aussi intime que la nuit de noces ?
Contrairement à ce que l’on pourrait
penser, de nombreuses sources, au
XIXe siècle, évoquent la nuit de noces.
Une vie, le roman de Guy de Maupassant,
contient la scène de nuit de noces la plus
marquante de la littérature française,
mais ce moment est également présent
dans de nombreux romans, chansons ou
pièces de théâtre, puisque la nuit de no-
ces contrariée est une intrigue classique
des vaudevilles. La première nuit est en
outre représentée sur un mode léger,
voire grivois, dans les cartes postales qui
circulent en grand nombre.
En dehors des productions fictionnel-
les, la nuit de noces figure en bonne
place, au XIXe siècle, dans les manuels
conjugaux de nature médicale qui don-
nent des conseils aux époux, mais aussi
dans les études savantes de folkloristes
qui observent les rites nuptiaux, les es-
sais sur le mariage écrits par des penseurs
ou les textes féministes… La recherche de
témoignages directs, indispensables
pour mieux cerner les expériences vé-
cues, a été plus difficile, car habituelle-
ment les époux ne laissent pas de traces
écrites sur leur propre nuit de noces. J’ai
trouvé dans les archives judiciaires reli-
gieuses conservées au Vatican des récits
extraordinaires produits par des femmes
et des hommes qui, dans un contexte de
séparation conjugale, racontent la façon
dont leur nuit de noces s’était passée.
Au XIXe et au début du XXe siècle,
la nuit de noces se confond-elle
quasiment toujours, pour les femmes,
avec la « première fois » ?
A l’époque, une minorité de jeunes filles
perdent leur virginité avant le mariage en
raison d’une relation sexuelle désirée,
d’un viol ou d’une activité prostitution-
nelle. Et, dans les classes populaires ur-
baines, le concubinage n’est pas rare.
Mais, en principe, les femmes doivent en-
trer dans la sexualité au cours de la nuit
de noces ; c’est d’ailleurs ce qui se passe la
plupart du temps.
On n’attend pas la même chose des
hommes : presque tous ont eu, avant de
se marier, des expériences sexuelles avec
des femmes de leur entourage ou des
prostituées. Au XIXe siècle, la virginité fé-
minine est une obsession masculine : de
nombreux discours fictionnels et médi-
caux expriment la crainte qu’une épouse,
au soir de son mariage, soit non vierge ou
« demi-vierge ». Ce terme désigne, à l’épo-
que, une femme qui a déjà eu des expé-
riences sexuelles tout en préservant son
hymen pour pouvoir donner le change
pendant la nuit de noces.
Beaucoup de femmes sont élevées
dans l’ignorance totale de la sexualité.
Pourquoi ?
Au XIXe et au début du XXe siècle, une
partie des femmes arrivent au soir du
mariage sans même se douter de l’exis-
tence des relations sexuelles. On les dési-
gne par le terme péjoratif d’« oies blan-
ches ». Elles sont informées par leur mère
quelques heures, voire quelques minu-
tes, avant d’aller dans la chambre nup-
tiale de l’existence de pratiques (souvent
non explicitées) que leur mari leur de-
mandera et auxquelles elles devront se
plier. Parfois, elles vont au lit sans se dou-
ter de ce qui va se passer, comme le mon-
trent les témoignages que j’ai mis au jour.
Cette ignorance entretenue par les mères,
et plus largement par les femmes déjà
mariées, est instituée au nom de la pu-
deur et des convenances. Elle profite aux
hommes et rend les relations intimes
très inégalitaires : les femmes doivent
s’en remettre entièrement aux volontés
et aux gestes de leur mari.
Est-ce vrai dans tous les milieux ?
L’ignorance totale concerne plutôt les
milieux bourgeois, mais elle peut aussi
exister à la campagne, comme le montre
ce témoignage d’une jeune femme trau-
matisée par les avances sexuelles de son
mari le premier soir : elle pensait que se
marier ne consisterait qu’à faire le mé-
nage chez l’homme à qui on la destinait…
Même une femme qui sait à peu près à
quoi s’attendre peut mal vivre cette pre-
mière fois, notamment parce qu’elle n’est
pas nécessairement éveillée au désir et
que cette relation sexuelle revêt un carac-
tère obligatoire.
Cette situation est dénoncée par des
hommes et des femmes de lettres, des fé-
ministes ou des médecins qui, à partir de
la seconde moitié du XIXe siècle, alertent
sur les effets néfastes de cette ignorance
féminine, jugée responsable de trauma-
tismes et de mésentente conjugale. Mais,
le plus souvent, ils se contentent de con-
seiller aux hommes d’initier leur femme
avec plus d’adresse et de douceur, sans
s’adresser directement aux femmes.
Pour beaucoup de femmes du XIXe siè-
cle, la nuit de noces est un moment
terrifiant, voire un viol. Les archives
documentent-elles ces violences ?
En 1829, dans la Physiologie du mariage,
Honoré de Balzac enjoint aux hommes de
ne pas commencer « le mariage par un
viol ». L’expression « viol légal » est, par la
suite, employée. Il faut cependant atten-
dre 2006 pour que le code pénal recon-
naisse qu’un viol peut avoir lieu entre
deux personnes « unies par les liens du
mariage »… Au XIXe siècle, seules certai-
nes pratiques non désirées et considérées
comme anormales et violentes retien-
nent l’attention des juges, car elles ne relè-
vent pas du devoir conjugal au sens strict.
Dans les procès matrimoniaux que j’ai
consultés, les femmes racontent, parfois
avec retenue, parfois très explicitement,
la façon dont elles ont vécu l’obligation
Idées
des relations sexuelles imposées par leur
mari ou par l’entourage (famille, prêtres,
médecins…). Témoigner devant le tribu-
nal ecclésiastique de ces violences était
certainement très éprouvant, mais c’était
une porte de sortie pour se libérer d’un
mariage malheureux.
Vous montrez que la nuit de noces
est un moment profondément
­inégalitaire, « surdéterminé »,
selon vous, par la différence entre
les sexes. En quoi les devoirs et
les attentes ­envers les deux sexes
sont-ils différents ?
La façon dont le code civil de 1804 pré-
sente les devoirs de chacun dans le couple
marié s’applique aussi à la sphère intime :
« Le mari doit protection à sa femme, la
femme obéissance à son mari », précise
l’article 213, qui n’a été abrogé qu’en 1938.
Au cours de cette épreuve qu’est la nuit de
noces, l’homme actif et sachant doit ini-
tier son épouse et prouver sa virilité en la
La Nuit de noces. « déflorant », tandis que l’épouse passive
une histoire et ignorante doit se laisser faire et prouver
de l’intimité sa virginité. Cette relation sexuelle inau-
conjugale gurale détermine la place de chacun dans
d’Aïcha Limbada, le couple : elle installe structurellement
La Découverte, un rapport de domination du mari sur sa
352 p., 23 €. femme jusque dans leurs gestes les plus
intimes. Plutôt qu’un idéal de fusion ou
d’harmonie, elle est pensée comme une
confrontation des corps et des sexes.
Parce qu’elle consacre un changement
symbolique de statut, la nuit de noces
est un rite de passage encadré
par des croyances et des pratiques
qui concernent le couple, mais aussi
la communauté qui l’entoure.
Quelles sont-elles ?
Au XIXe siècle, dans une France très
­majoritairement rurale, la nuit de noces
est traditionnellement encadrée par la
­communauté villageoise. De nombreux
rites festifs ponctuent ce moment : bals,
cortèges nocturnes, chants, perturba-
tions joyeuses consistant à entrer dans la
chambre nuptiale. Les époux ne sont pas
L’épreuve nuptiale dévoilée
C’est un livre passionnant qui s’aven- passage qui se déroule à l’abri des re-
ture dans un territoire longtemps dé- gards, l’historienne analyse des sources
laissé par les historiens : l’intimité. Mar- d’une très grande richesse : traités médi-
chant sur les pas de Michelle Perrot ou caux, manuels conjugaux, essais sur
d’Alain Corbin, Aïcha Limbada, avec La l’institution matrimoniale, romans,
Nuit de noces. Une histoire de l’intimité écrits personnels, récits de faits divers et,
conjugale (La Découverte, 352 pages, surtout, des procédures matrimoniales
23 eu­­ros), entend contribuer à écrire en droit canonique.
« l’histoire des hommes et des femmes or- L’historienne restitue avec précision,
dinaires » du XIXe et du début du XXe siè- rigueur et sensibilité l’imaginaire nup-
cle en s’intéressant à l’un des événe- tial de l’époque, mais aussi les pratiques
ments les plus secrets de leur existence : des couples qui viennent de convoler.
la nuit de noces. Pour étudier ce rite de Ces temps sont marqués par une puis-
| 27
Yann legendre
réellement seuls. La montée des valeurs
bourgeoises préconisant la retenue et la
pudeur contribue cependant progressi-
vement à l’abandon de ces rites populai-
res, considérés comme peu respectueux
de l’intimité du couple et jugés inconve-
nants ou grossiers.
Les époux sont alors moins entourés :
ils s’isolent même parfois de façon radi-
cale en faisant coïncider leur première
nuit avec le départ pour le voyage de no-
ces, qui les éloigne de la curiosité de leur
entourage. La classe bourgeoise, qui pro-
duit majoritairement les écrits et les ima-
ges sur la première nuit, construit un
imaginaire nuptial opposant la nuit de
noces rurale, traditionnelle, voire archaï-
que, dominée par la sphère publique, et la
nuit de noces urbaine, bourgeoise et plus
moderne, recentrée sur la sphère privée
et valorisée comme le modèle à suivre.
Votre livre prend fin dans les années
1920. Pourquoi ?
La diminution notable des mentions de
la nuit de noces dans les sources impri-
mées de cette époque révèle un moindre
intérêt pour cette question. Si l’enjeu
s’amenuise, c’est parce que la « première
fois » et la « nuit de noces » sont plus sou-
vent disjointes : depuis la fin du XIXe siè-
cle, la généralisation de l’alphabétisation
des femmes, la diffusion des combats fé-
ministes, la mode libérant progressive-
ment les corps, l’évolution des mœurs qui
valorisent davantage le mariage d’amour
et les pratiques telles que le flirt… favori-
sent une émancipation relative et une
sexualité prénuptiale plus développée.
Malgré ces évolutions, les femmes se
marient encore fréquemment avec
l’homme avec qui elles ont eu leurs pre-
mières relations sexuelles. Les années
1920 restent une période marquée par un
discours nataliste appuyé, une interdic-
tion de la contraception et de l’avorte-
ment et la persistance d’injonctions mo-
rales qui incitent les femmes à attendre le
mariage pour entrer dans la sexualité. p
Propos recueillis par Anne Chemin
sante dissymétrie entre les sexes : impré-
gnée par les représentations qui distin-
guent le masculin du féminin, la nuit de
noces est une terrible épreuve pour les
épouses, qui n’ont d’autre choix, comme
le montrent les stupéfiantes archives va-
ticanes exhumées, que de se soumettre
aux impératifs du « devoir conjugal ».
Six ans après #metoo, cette immersion
dans le XIXe siècle apporte une précieuse
profondeur historique aux controverses
sur le consentement. p
A. Ch.
 0123
28 | Idées ­
­Mardi 5­ septembre 2023

Iannis Roder Le port de l’abaya

est bel et bien un geste politique
C’est pour se conformer à des normes religieuses propagées par les islamistes que l’abaya est couramment portée,
affirme le professeur d’histoire-géographie, favorable à l’interdiction de ce vêtement annoncée par Gabriel Attal

L
a loi du 15 mars 2004 interdit le
port de signes et ­tenues ostensi-
bles par lesquels les élèves mani­-
festent une appartenance reli-
gieuse. C’est en application de cette loi
que le ministre de l’éducation nationale,
Gabriel Attal, a décidé qu’« on ne pourrait
plus porter l’abaya à l’école ». Si l’émer-
gence de ce vêtement avait été signalée
dès 2010 dans quelques établissements
scolaires de Seine-Saint-Denis, ce n’est
que récemment que son port s’est
étendu de manière significative.
Afin d’éviter de tomber sous le coup de
la loi, des élèves ont développé une rhéto-
rique selon laquelle le port de cette robe
n’aurait pas de signification religieuse.
Leur argumentaire affirme qu’il s’agirait
d’une « simple robe », qu’elle serait « cultu-
relle et non cultuelle ». Qui croit-on trom-
per ainsi ? Ces jeunes filles, formatées à
des discours bien rodés et à des éléments
de langage identiques à Lille, à Nice ou à
Toulouse, ne font que reprendre les dis-
cours islamistes dont l’intention est de
­saper l’école de la République, qui repré-
sente pour l’islam politique un danger,
car elle propose l’accès à la liberté indivi-
duelle par le savoir.
Pas religieux, le port de l’abaya ? Les
boutiques en ligne proposant des « vête-
ments islamiques » ou « pour femmes
­musulmanes » suggèrent le ­contraire. De
fait, l’abaya est couramment portée
dans le but de se conformer à des nor-
mes religieuses demandant aux fem-
mes d’être « respectables », donc
­ pudiques ». Cette conception ­rabaisse
« Cette dimension politique nous est éga-
la femme, coupable par nature et som-
mée de soustraire ses formes – comme
le voile soustrait sa chevelure – au re-
gard des hommes, au risque de
­déclencher le mépris, la colère, voire la
violence de ces derniers.
La situation des femmes iraniennes ou
afghanes nous le rappelle tous les jours.
C’est comme cela que se mettent en
place le ­contrôle du corps des femmes et
une police du vêtement, mais aussi que
l’islamisme fait peu à peu glisser l’islam
vers des normes rigoristes, faisant ac-
croire à une partie de la jeunesse fran-
çaise que certaines pratiques ­seraient
musulmanes quand elles sont en réalité
islamistes.
Appartenance communautaire
Le port de l’abaya s’inscrit dans cette lo-
gique, car il constitue bel et bien un geste
politique relevant davantage du port
d’un uniforme que d’une banale coquet-
terie : cette robe permet de se distinguer,
donc de se reconnaître, tout en se sou-
mettant à des ­règles de conduite dont la
philosophie est étrangère à celle de
l’école de la République. Elle marque
ainsi une appartenance communautaire
et, s’il est difficile à certaines de l’enlever,
c’est bien qu’elles enfreindraient ces
­règles, parfois comprises comme abso-
lues. D’ailleurs, un « simple vêtement »
pourrait-il donner lieu au déchaînement
qui, sur les réseaux sociaux, a accompa-
gné l’annonce de l’interdiction ?
lement rappelée par la présence, en 2011,
lors des incidents liés au port d’abayas
dans un lycée de Saint-Ouen (Seine-
Saint-Denis), d’Abdelhakim Sefrioui – si-
nistre personnage au cœur de la
­mécanique qui a conduit à l’assassinat de
Samuel Paty –, qui se faisait passer pour
l’oncle de l’une des élèves afin de pouvoir
faire pression sur la proviseure. Ces
­jeunes filles disaient alors porter ce vête-
ment volontairement, et nombreuses
aujourd’hui sont celles qui répètent in-
lassablement : « C’est mon choix. »
Rien ne garantit que certaines ne le font
pas sous pression, ­directe ou indirecte,
par l’intériorisation d’un contrôle social
émanant de leur environnement
­immédiat et véhiculant un message con-
traire à l’égalité républicaine. Or, c’est là
l’objet de la loi du 15 mars 2004 : protéger
des pressions, le temps de l’école, les jeu-
nes citoyens ou citoyennes en formation.
Cette loi s’inscrit ainsi dans la continuité
de celle de 1905, qui dispose, dans son ar-
ticle premier, que « la République ­assure la
liberté de conscience » de tous les citoyens,
mais aussi, dans son article 31, que chacun
doit être protégé des pressions.
Il serait en outre curieux que l’école, qui
a fait de l’égalité femmes-hommes une
priorité, autorisât en son sein des vête-
ments dont le port est « un signe de
­soumission patriarcale », pour ­reprendre
les termes utilisés, à l’époque pour le
voile, par Jean-Luc Mélenchon dans une
interview à Marianne. C’était en 2010.
Oui, ce type
de vêtement
doit être
proscrit au sein
des écoles
de la République
Alors, oui, ce type de vêtement doit être
proscrit au sein des écoles de la Républi-
que, où chaque enfant a, le temps de sa
scolarité et donc de sa construction ci-
toyenne, le droit de se voir offrir la possi-
bilité de se dégager des déterminismes, de
profiter de cette « respiration laïque »
chère à la philosophe Catherine Kintzler.
A l’école, le jeune n’est plus uniquement
l’enfant de ses parents et de son milieu ; il
est un élève, car il progresse dans la cons-
truction de son libre arbitre, de son auto-
nomie, possiblement dégagé du poids de
ce qui le contraint par ailleurs, et cela,
juste le temps de l’école, puisque rien
­n’interdit aux élèves de revêtir ce qu’ils
veulent une fois hors de l’établissement.
La République ne demande pas aux
­élèves d’adhérer à ses discours, ni même
à ses enseignements. Elle demande
qu’on les suive et qu’on ne les conteste
pas, car ils sont basés sur la science et sur
la raison, c’est-à-dire sur ce qui est dé-
montrable et a priori acceptable par tous,
ouvrant ainsi l’accès au libre arbitre et à
l’émancipation individuelle. Or, porter
une tenue qui, au regard des représenta-
tions communes, permet assurément
d’identifier des élèves par leur apparte-
nance religieuse peut également exercer
une forme de pression, non seulement
sur les élèves, mais également sur le pro-
fesseur, qui enseigne des sujets dont
nous savons aujourd’hui qu’ils peuvent
prêter à discussion, voire à contestation,
pour des raisons religieuses.
C’est le cas, par exemple, de certains
textes des philosophes des Lumières, de
la relation entre Rimbaud et Verlaine, de
la naissance de la vie et de bien d’autres
thèmes. L’immixtion des revendications
et des croyances au sein de l’école avait
déjà appelé des réactions de l’institution
­scolaire. Que l’on se souvienne de Jean
Zay [1904-1944], qui affirmait que « les
écoles doivent rester l’asile inviolable où
les querelles des hommes ne pénètrent
pas ». Montrons-nous dignes du minis-
tre du Front populaire. p
Iannis Roder est professeur
d’histoire-géographie, directeur
de l’Observatoire de l’éducation
de la Fondation Jean Jaurès

Agnès De Féo Le gouvernement n’a pas compris

l’effet boomerang des lois coercitives
Interdire ce vêtement dans les établissements aussi le cas des collégiennes et ly-
céennes en abaya qui se couvrent
scolaires risque de s’avérer contre-productif, prévient les cheveux dès la sortie de leur
la sociologue. Elle appelle à ne pas surestimer un établissement. Preuve que ce vête-
ment exprime la religiosité, il
phénomène adolescent restant, selon elle, inoffensif, s’achète dans des boutiques et des
en dépit de son signifiant religieux et subversif sites spécialisés à destination
d’une clientèle musulmane prati-
quante, plutôt que dans le prêt-à-
femmes en lutte pour leurs droits
dans une société où elles ­estiment
ne pas être respectées.
Il y a dix-neuf ans, l’interdiction
des signes religieux à l’école publi-
que visait la disparition du voile
musulman du système scolaire.
Elle l’a pourtant multiplié dans
l’espace public et a provoqué la
blic, ainsi qu’encourager la déso-
béissance civile. Et, bien sûr, aug-
menter l’audience des prédica-
teurs de TikTok, que les jeunes
femmes en abaya plébiscitent
pour incarner l’opposition à la-
quelle elles adhèrent – et qui les
aident à retourner le stigmate.
Rappelons que les recruteurs de

L
a rentrée scolaire voit fleu-
rir, cette année, une énième
polémique autour du vête-
ment musulman ­féminin.
L’abaya est en passe de ­devenir
une cause nationale depuis la dé-
claration de Gabriel Attal du
27 août selon laquelle « l’abaya ne
pourra plus être portée à l’école »,
qui fait écho à celle de Nicolas
Sarkozy, quatorze ans plus tôt, le
22 juin 2009 – « La burqa n’est pas
la bienvenue sur le territoire de la
République française » –, aboutis-
sant à la loi d’interdiction de dissi-
mulation du visage dans l’espace
Il serait bon public du 11 octobre 2010. Dans
ces deux déclarations, ce ne sont
de redonner pas les usagères qui occupent le
sa place sujet de la phrase, mais l’objet
qu’elles portent (abaya, burqa), un
à la subjectivité objet exogène qui ­menacerait
l’intégrité de la nation.
de celles Une représentation aussi carica-
turale pourrait faire sourire si elle
qui portent n’était plébiscitée par une grande
l’abaya, ce que partie des Français et instrumen-
talisée par des personnalités poli-
les politiques tiques, révélant en passant leur
­obsession pour le corps des mu-
sont incapables sulmanes ­depuis l’époque colo-
de faire niale. Des usagères, il n’est que peu
question. Elles restent les grandes
aujourd’hui inconnues des spéculations dont
elles font l’objet. Or, soupçonner
ces jeunes filles de manœuvrer
contre l’école, c’est surestimer un
phénomène minoritaire adoles-
cent qui reste inoffensif.
Disons-le d’emblée : l’abaya est
bel et bien marquée religieuse-
ment, même si les intéressées
s’en défendent. En affirmant ingé-
nument que l’abaya n’est pas une
tenue religieuse mais tradition-
nelle, portée par goût vestimen-
taire, les adolescentes concernées
jouent sur sa « polymorphie ». Si
les robes élégantes portées no-
tamment dans les pays du Golfe
peuvent ­effectivement s’appeler
« abayas », ce terme possède une
tout autre acception en France.
Par sa forme épurée, ses ­couleurs
unies, sans broderie ni coupe cin-
trée, et souvent des élastiques
aux ­poignets, l’abaya correspond
bien à l’image de l’habit de pieu-
ses musulmanes que se font cel-
les qui la portent.
Les femmes que j’ai pu rencon-
trer dans le cadre de mes recher-
ches sociologiques accompagnent
leur abaya d’un long voile, iden­-
tifié comme islamique par la
­manière dont il est fixé sur la tête,
ne laissant aucun doute sur l’ex-
pression de leur confession. C’est
porter mainstream. Même si, sor-
tie de son contexte, elle est perçue
comme une simple robe, l’abaya
est portée en France pour son si-
gnifiant islamique. Celles qui l’ar-
borent à l’école devraient donc lo-
giquement tomber sous le coup de
l’interdiction de la loi de 2004.
Nouvelle croisade
Mais, en disant cela, nous restons
au degré zéro du sens obvie. Pour
saisir le phénomène, il est néces-
saire de comprendre ce qu’expri-
ment les porteuses d’abaya, sans
se limiter à leur argumentaire de
­façade, sans non plus surinterpré-
ter leur message. L’abaya est deve-
nue aujourd’hui un objet désiré
pour sa dimension subversive
(comme le niqab au moment de
son interdiction en 2010) : celles
qui en font usage expriment ainsi
leur fierté d’être musulmanes con-
tre l’obsession ­sociétale de les effa-
cer de l’espace public.
Leur détermination à porter
l’abaya s’accompagne d’exclama-
tions comme « je fais ce que je
veux, personne ne décide de ma fa-
çon de m’habiller » ou de slogans
féministes, tel le fameux « mon
corps m’appartient ». Si la tenue est
religieuse, le discours l’est beau-
coup moins : il est celui de jeunes
création d’établissements confes-
sionnels musulmans. Il y a treize
ans, celle du voile intégral a égale-
ment créé une émulation, incitant
des femmes à porter le niqab parce
qu’il faisait l’unanimité ­contre lui.
La visibilité musulmane chez les
jeunes ne doit plus être comprise
comme une simple expression
­religieuse, mais comme une résis-
tance aux polémiques récurrentes
cherchant à l’interdire depuis plus
de deux décennies. Par l’aversion
et les mesures de rétorsion qu’il
provoque, le vêtement islamique
est devenu un moyen de trans-
gresser les normes, il est même le
seul aujourd’hui à « choquer le
bourgeois ».
Le gouvernement n’a pas tiré
les leçons des échecs précédents.
Il n’a pas compris l’effet boome-
rang des lois coercitives qui n’ont
fait que décupler l’expression vi-
sible de l’islam dans la société, au
lieu de l’effacer. Celles-ci ont, au
contraire, favorisé le repli sur soi,
le communautarisme et le sépa-
ratisme tant décriés. Cela n’em-
pêche pas le gouvernement de
réitérer aujourd’hui, avec une
nouvelle interdiction qui devrait
transformer l’abaya en tendance
contestataire, le multiplier à
l’université et dans l’espace pu-
Daech ont usé de la loi de 2010
pour convaincre des femmes de
s’engager en Syrie et en Irak. Plu-
tôt que de spéculer sur l’abaya et
d’en faire l’objet d’une nouvelle
croisade, il serait bon de redon-
ner sa place à la subjectivité de
celles qui la portent, ce que les
politiques sont incapables de
faire aujourd’hui, impatients de
jouer sur la corde sensible électo-
raliste. Le gouvernement fran-
çais, qui invoque les lois de 1905
et de 2004 pour « protéger les va-
leurs de la République » face à une
robe d’adolescente, révèle sa
grande faiblesse et son manque
d’initiative pour créer un vivre-
ensemble apaisé qui ­ferait fi des
différences. p
Agnès De Féo est sociologue
à l’Institut de recherches
et d’études sur les mondes
arabes et musulmans et
à l’université d’Aix-Marseille.
Elle est l’autrice de « Derrière
le niqab. 10 ans d’enquête
sur les femmes qui ont porté
et enlevé le voile intégral »
(Armand Colin, 2020)
0123
­
­Mardi 5­ septembre 2023
Richard Malka Pénaliser
l’acte de brûler des corans
D
est extraordinairement dangereux
Alors que le Danemark veut bannir la dégradation publique d’objets religieux, l’avocat
de « Charlie Hebdo » s’insurge de voir ce pays céder à la pression de régimes très répressifs
C
ela ne se passe pas au
royaume du Danemark du
XVIIe siècle, mais bien
aujourd’hui. Le Danemark si
progressiste, fine fleur de la social-dé-
mocratie européenne, va rétablir,
tout en s’en défendant, le délit de
blasphème, avec emprisonnement à
la clé. En 2023.
Ironie de l’histoire, ce délit médié-
val a été supprimé du code pénal da-
nois il y a à peine six ans après de
longs débats, mettant fin à trois cent
trente-quatre ans d’interdiction de
l’offense à Dieu. Selon le ministre de
la justice, cette volte-face se justifie-
rait par des impératifs de sécurité na-
tionale. On parle de la crise dite des
« corans brûlés », énième saison,
écrite par de mauvais scénaristes du
choc des civilisations.
Et comme nous n’apprenons ja-
mais du passé, on tombe dans le pan-
neau, jusqu’à la déraison. Ce n’est pas
le piège de quelques activistes qui est
infernal – cela, on ne pourra jamais
l’empêcher –, c’est l’absence de ré-
flexion, de mémoire, de hauteur de
vue et de mesure de tant de chefs
d’Etats et de dignitaires religieux.
Reprenons. Au cours des derniers
mois, deux Irakiens se déclarant
athées, réfugiés politiques en Suède,
multiplient de spectaculaires auto-
dafés de corans en présence de la
presse, dûment convoquée. Ils me-
nacent de poursuivre leurs profana-
tions (ils ont aussi piétiné le livre sa-
cré et y ont inséré des tranches de
bacon) jusqu’à l’interdiction du Co-
ran, qu’ils considèrent « plus dange-
reux que les armes nucléaires ». A
tout le moins, ils réclament qu’en
soient retirés « les versets sur le meur-
tre ». Mais, au fond, peu importe
leurs motivations.
Des partis d’extrême droite en
Suède et au Danemark ont embrayé.
Ces deux pays, dont les autorités ont
pourtant fermement condamné les
incendiaires de papier, ont alors es-
suyé une avalanche de réprobations
menaçantes. Elles émanent de régi-
mes dont les dirigeants semblent
considérer que si l’émetteur d’une
opinion transgressive n’est pas im-
médiatement brûlé (comme au Pa-
kistan), pendu (comme en Iran) ou
décapité (comme en Arabie saou-
dite), c’est que le pays où il réside par-
tage son opinion.
Acceptant cette logique folle, le Da-
nemark – et peut-être bientôt la
Suède, qui a interdit à plusieurs repri-
ses des autodafés du Coran cette an-
née – propose de légiférer pour punir
de deux ans de prison et d’une
amende le « traitement inapproprié
d’objets ayant une signification reli-
gieuse importante pour une commu-
nauté religieuse ». Comme si la pen-
Le pire, c’est
de légitimer l’idée
que des attaques
contre la
religion puissent
être punies par
l’incarcération
sée, de guerre lasse, avait définitive-
ment cédé aux pressions religieuses.
Passons sur la fourberie d’habillage
consistant à inclure les catholiques et
les juifs dans cette histoire, à l’évi-
dence pour faire bonne mesure. On
ne doute pas que ceux-ci puissent se
sentir également blessés par l’auto-
dafé de leurs livres saints, mais on n’a
pas souvenir d’avoir entendu quel-
ques représentants notables de ces
religions réclamer l’emprisonne-
ment des auteurs de tels faits.
La seconde hypocrisie consiste à
prétendre qu’il ne s’agirait pas de res-
taurer le délit de blasphème puisque
« l’expression verbale ou écrite » ne re-
lèverait pas de la loi, est-il précisé. Il
me semble que ce qui était reproché
au chevalier de La Barre était de ne
pas s’être découvert au passage d’une
procession. Le blasphème peut tout
aussi bien relever d’une parole, d’un
écrit, d’un dessin ou d’un geste. Faire
une distinction n’a aucun sens.
Incohérence totale
Autrement dit, aux termes de la nou-
velle loi danoise, l’on pourra hurler
des insultes contre Mahomet, dessi-
ner Allah dans les pires situations
outrageantes, écrire de violents pam-
phlets sur le Coran, mais pas le brû-
ler. Nul doute d’ailleurs que ces
moyens d’expression restés licites se
multiplieront pour jouer avec l’inter-
diction et en démontrer l’absurdité.
Je ne vois pas comment l’on peut juri-
diquement traiter différemment des
moyens d’expression. L’incohérence
est totale et, même sous l’angle des
promoteurs de cette loi, le remède
envisagé sera pire que le mal qu’il en-
tend combattre.
Concernant les futurs débats de
­juristes afin de définir ce qu’est un
« objet ayant une signification reli-
gieuse importante » – la burqa ?
l’étoile de David ? une hostie ? –, ils
promettent des échanges potentiel-
lement ubuesques.
Il n’est pas question de supporter
aveuglément le fait de brûler des
­corans. On ne peut pas d’un côté
s’émouvoir de la réécriture d’ouvra-
ges du passé ou de leur effacement
des bibliothèques et applaudir
quand un coran est brûlé. Les livres
témoignent d’un passé et plutôt que
de les brûler ou de les effacer, dé-
marche peu constructive, il serait
préférable de les critiquer, de les
contextualiser, de les expliquer et,
encore mieux, d’en écrire d’autres.
Brûler un livre, n’importe quel livre,
n’a jamais rien produit de bon, ni
élevé l’intelligence collective ou fait
progresser un débat.
Pour autant, rendre cet acte péna-
lement répréhensible, c’est s’enga-
ger sur une pente extraordinaire-
ment dangereuse.
On ne peut que comprendre les
préoccupations sécuritaires et di-
plomatiques de ces deux pays.
Néanmoins, ne suffisait-il pas de dé-
sapprouver les actes commis tout en
expliquant que, sous nos latitudes,
les citoyens sont libres de dire ce
qu’ils veulent de toutes les reli-
gions ? Le message de ce projet de loi
est autre, et il est désastreux.
Le ministre de la justice danois se
rend-il compte du signal qu’il vient
d’envoyer à des pays dont aucun n’est
démocratique : faites pression, orga-
nisez des manifestations devant nos
ambassades, menacez-nous pour des
actes de simples citoyens qui n’enga-
gent qu’eux, et nous changerons nos
cette loi suppose
qu’il existerait
une obligation
au respect des
religions et
qu’elle primerait
sur la liberté
de critique
lois. Pense-t-il que cela s’arrêtera là ?
Une fois ce premier gain empoché, ce
renoncement en appellera d’autres.
On peut s’étonner, au demeurant,
que ce soit des pays dans lesquels
l’athéisme et le renoncement à sa re-
ligion – l’apostasie – constituent des
crimes passibles de la peine de mort
qui demandent à des pays de liberté
religieuse de changer leur loi. La logi-
que voudrait, peut-être, que ce soit
l’inverse qui se produise. Et pourtant
la culpabilisation fonctionne.
Comment est-il possible que le
­Danemark accepte les leçons « de res-
pect des religions » données par la
­Syrie de Bachar Al-Assad et l’Iran d’Ali
Khamenei, deux régimes qui s’em-
barrassent assez peu du respect des
droits humains les plus élémentaires
de leurs propres peuples ?
Le second message de cette loi,
c’est qu’il existerait non seulement
une obligation au respect des reli-
gions – au nom de quoi ? –, mais que
celle-ci l’emporterait sur la liberté de
critique. Autrement dit on en revien-
drait, pas à pas, à une loi de Dieu su-
périeure à celle des hommes.
Ce projet induit également que le
Danemark va voter une loi spécifique
pour les musulmans, car personne
ne sera dupe. Ce qui reviendra inévi-
tablement à les pointer du doigt et à
les désigner globalement comme
­désireux d’emprisonner les blasphé-
mateurs. On peut avoir une idée des
conséquences électorales.
Néanmoins, le pire de ce projet de
loi, ce n’est pas de renoncer au cou-
rage de défendre ses valeurs, ni
même de trahir la liberté d’expres-
sion, ce qui induira un regain de pres-
sion sur tous les pays où règne le
droit de ne pas respecter les innom-
brables « objets religieux » que l’ima-
gination féconde des hommes de
Dieu ne manquera d’ailleurs pas de
multiplier. Le pire de ce projet, c’est
de légitimer l’idée que des attaques
contre la religion puissent être sanc-
tionnées par l’incarcération.
Les esprits libres – en particulier
musulmans, et plus spécifiquement
iraniens – risquent de payer cher
cette aberration législative, finale-
ment bien plus irresponsable et por-
teuse de ténèbres que les actes qu’elle
entend réprimer. p
Richard Malka est avocat
et essayiste. Il est notamment
l’auteur du « Droit d’emmerder
Dieu » (Grasset, 2021) et du « Traité
sur l’intolérance » (Grasset,
96 pages, 12,50 euros)
La piètre stratégie
des Verts les rend
inaudibles
Analyse
ure rentrée pour Eu-
rope Ecologie-Les
Verts (EELV). Le parti,
qui voulait se refonder
et s’élargir lors de l’été, a surtout
dû gérer les retombées de ses pro-
pres tentatives de buzz – comme
l’invitation du rappeur Médine –
et subi les coups politiques de ses
partenaires de la Nouvelle Union
populaire écologique et sociale
(Nupes). Le 14 octobre, EELV a
prévu de mettre en scène sa mue
en devenant Les Ecologistes, au
terme d’Etats généraux censés
« ouvrir grand » les portes du parti.
Malgré l’installation remarquée
de Marine Tondelier à leur tête et
alors qu’une majorité de Français
se dit soucieuse d’agir contre le
réchauffement climatique, les
Verts commencent l’automne
dans un coin, au cours d’une ren-
trée où le gouvernement impose
ses thèmes. Lors de la réunion des
chefs de parti autour d’Emma-
nuel Macron, mercredi 30 août, la
question climatique a été absente
ou presque – malgré les tentati-
ves de Mme Tondelier –, le prési-
dent reconnaissant néanmoins la
décision du Conseil d’Etat sus-
pendant la dissolution du mou-
vement Les Soulèvements de la
Terre. Les écologistes et La France
insoumise (LFI) lui demandaient
de cesser la « criminalisation » des
mouvements écologistes, il ne
s’est engagé à rien.
Sur la polémique Médine, les
élus écologistes, certains l’avouent
franchement, ont donné le bâton
pour se faire battre. Une « petite er-
reur », un « problème » ou encore
une « grosse connerie », les cadres
d’EELV appliquent tout l’éventail
du langage à l’invitation à débattre
avec le rappeur. Elle a prêté le flanc
aux accusations de laxisme sur
l’antisémitisme, alors même que
le parti compte certains des mili-
tants les plus engagés sur la ques-
tion, comme en témoigne l’orga-
nisation par les Verts, en avril au
Sénat, d’une journée d’étude sur la
haine des juifs. Les Verts ont pris
de front cette polémique et se sont
déchirés sur l’attitude à adopter.
Alors que LFI, qui avait également
invité l’artiste, a nié en bloc que lui
ou ses tweets puissent être antisé-
mites, sans ciller.
Médiatiquement, la culture mi-
litante des Verts a des désavanta-
ges. Chez les écologistes, les dé-
saccords s’exposent, les nuances
ne se comptent pas. David Cor-
mand, ancien numéro un du
parti, l’assume : « Militant, étymo-
logiquement, ça vient de militaire,
c’est le contraire de ce qu’on est.
Politiquement, c’est un handicap,
oui, peut-être, mais si on n’avait
plus ça, on ne serait pas écolo. » Il
déplore, par ailleurs, une certaine
tentation à « spéculer sur le collec-
tif » : « Rien de plus facile pour être
médiatique quand on est Vert que
de dire du mal des Verts. » Cela
vaut aussi pour les partenaires et
adversaires politiques. De Va-
lence, Jean-Luc Mélenchon ne
s’est pas privé de railler, chez les
Verts, « le sens de l’à-propos qu’on
leur a toujours reconnu », en par-
lant des élections européennes
de 2024 et de leur refus de con-
duire une liste commune.
Stratégiquement, les Verts se re-
trouvent démunis et en colère,
face au coup politique mené par
EELV se retrouve
démuni face au
coup politique
de Jean-Luc
Mélenchon et
Ségolène Royal
Idées | 29
Sur la polémique
Médine, les élus
écologistes,
certains l’avouent
franchement,
ont donné
le bâton pour
se faire battre
le fondateur de LFI, de mèche
avec l’ancienne ministre socia-
liste Ségolène Royal, qui s’est pro-
posée de conduire une liste uni-
taire. « Jean-Luc Mélenchon et sa
garde prétorienne, j’espère qu’ils
vont comprendre, un jour, que la
politique, ça n’est pas simplement
du Meccano », rétorque l’ancien
député écologiste Noël Mamère.
Et, pourtant, la politique est
aussi un enchaînement de
« coups » stratégiques. A ce jeu-là,
les Verts ne sont pas forts en cette
rentrée, assumant d’ailleurs ne
pas vouloir « jouer », au risque de
se rendre inaudibles. Très concrè-
tement, il était difficile d’enten-
dre les arguments de Marie Tous-
saint, la tête de liste d’EELV pour
2024, sous les huées des militants
« insoumis », samedi, à Valence.
Deux écologies en tension
L’autre difficulté des Verts réside
dans la teneur de leur message.
Celui-ci prône non seulement des
politiques d’ampleur, mais aussi
un changement des modes de vie
pour lutter contre le réchauffe-
ment climatique. Les écologistes
sont les cassandres de cette cause,
au risque de se retrouver rejetés
pour un message éminemment
désagréable, faute de récit majo­-
ritaire sur la possibilité d’une so-
briété heureuse. Barbecue ou
sexisme, Sandrine Rousseau as-
sume de mettre en évidence ces
résistances qui touchent à la vie
quotidienne. Certains dans le
parti préféreraient aller vers des
« territoires de compromis »,
comme le dit Noël Mamère.
Cette tension entre une écologie
lanceuse d’alerte et une écologie
de gouvernement qui reste à in-
venter n’est pas neuve. Yannick
­Jadot avait tenté la synthèse en
penchant vers le côté « gouverne-
ment », avec peu de succès lors de
la présidentielle. Aujourd’hui, Ma-
rine Tondelier assume de garder le
lien avec la nébuleuse associative
et les actions militantes, en ba-
taillant contre leur qualification
d’« écoterroristes ». Un défi politi-
que quasi homérique, à l’heure où
les éternelles accusations d’ama-
teurisme pleuvent sur le parti.
En cette rentrée, les écologistes
reçoivent néanmoins un appui :
celui du philosophe Dominique
Bourg. Dans son « journal éco-phi-
losophique » à paraître en septem-
bre, intitulé Au cœur des années af-
freuses, sales et méchantes (PUF,
192 pages, 18 euros), il prend la dé-
fense de l’écologie politique, cible,
selon lui, de nombreux « hallalis »
médiatiques. « La recherche de mo-
des de vie respectueux du vivant,
d’un vivre-ensemble plus harmo-
nieux sur les ZAD (…), la ­pratique de
la désobéissance civile n’ont rien, au
sens négatif, de radical. Elles consti-
tuent bien plutôt des freins fragiles
à l’embardée suicidaire d’une civili-
sation devenue folle. »
S’il n’est pas certain que l’argu-
mentation fasse taire les
­détracteurs des Verts, elle conso-
lera, en tout cas, les cadres d’un
parti à la responsabilité toujours
plus grande pour imposer politi-
quement l’urgence climatique,
mais aux dimensions toujours
aussi étroites. p
Julie Carriat
(service politique)

30 | 0123
Économie | chronique
par St ép hane Laue r
Etats-Unis : l’union fait la force
E
videmment, vus de
France, patrie de la con-
flictualité sociale, les
mouvements de grève en
cours aux Etats-Unis n’ont rien
d’impressionnant. Depuis le dé-
but de l’année, un peu plus de
323 000 salariés ont débrayé. Une
goutte d’eau pour un pays qui en
compte 136 millions. Le « grand
soir » n’est pas pour tout de suite.
Malgré tout, cela faisait plusieurs
décennies qu’une telle ébullition
n’avait pas été constatée.
De la très médiatique grève des
acteurs et des scénaristes à Hol-
lywood aux infirmières, en pas-
sant par le personnel de net-
toyage dans les hôtels ou les ser-
veurs dans la restauration, les re-
vendications se multiplient. Ces
dernières semaines, sous la pres-
sion des syndicats, les pilotes
d’American Airlines ou les livreurs
d’UPS ont déjà obtenu de substan-
tielles augmentations salariales.
Le 14 septembre, les contrats des
150 000 salariés de Ford, General
Motors et Stellantis arrivent à
échéance. L’UAW, le syndicat du
secteur automobile, a appelé à
stopper le travail si les trois cons-
tructeurs ne consentaient pas à la
semaine de 32 heures et à une
hausse des rémunérations de
46 % sur quatre ans.
La situation n’a rien à voir avec
celle qui prévalait avant 1980. En-
tre 1945 et l’élection de Ronald
Reagan, chaque année, entre 1 mil-
lion et 4 millions d’Américains
avaient recours à la grève. Le point
de bascule intervient en août 1981,
quand le président fraîchement
élu casse la grève illégale des con-
trôleurs aériens en licenciant les
grévistes et en les remplaçant au
pied levé par des militaires. Le
mouvement syndical ne s’est ja-
mais remis de cet épisode. Le taux
de syndicalisation, qui avait at-
teint son apogée en 1954 avec plus
d’un tiers des ­salariés affiliés à une
organisation, est tombé à 10 %.
Rapport de force inversé
Comme le notent les sociologues
Judith Stepan-Norris et Jasmine
Kerrissey dans leur dernier
ouvrage, Union Booms and Busts
(Oxford University Press, 2023,
non traduit), les législations défa-
vorables se sont multipliées. Des
Right-to-Work Laws, ces lois sur le
« droit de travailler », sont en vi-
gueur dans plus de la moitié des
Etats. Elles interdisent les accords
syndicaux avec les employeurs et
privent les organisations des coti-
sations versées par les salariés. Par
ailleurs, la loi sur les faillites per-
met à une entreprise de se réorga-
niser et d’annuler tous les accords
négociés précédemment avec les
syndicats. Enfin, les entreprises
ont de plus en plus recours à des
cabinets de conseil pour les aider à
éviter l’implantation de syndicats
(Union Avoidance).
Pendant des décennies, l’opi-
nion s’est accommodée de ce dé-
clin. Ce n’est désormais plus le cas.
Selon un sondage publié le
30 août par l’institut Gallup, 71 %
des Américains soutiennent le
travail des organisations syndica-
les. Alors que le Conseil national
des relations du travail constate
une hausse spectaculaire des péti-
tions dans les entreprises pour
pouvoir disposer d’un syndicat, le
mouvement social a enregistré,
en 2022, deux succès très médiati-
sés, chez Amazon et Starbucks.
Les raisons de ce printemps so-
cial sont multiples. Les tensions
inflationnistes nourrissent les re-
vendications. Les pénuries de
main-d’œuvre contribuent à in-
verser le rapport de force entre
employeurs et salariés. Mais les
syndicats tirent parti surtout du
désenchantement des classes
moyennes face à la montée des
inégalités. Même si, aux Etats-
Unis, le PIB par habitant a cru
beaucoup plus vite qu’en Europe,
l’indicateur dissimule de fortes
disparités. Pendant que les reve-
Les syndicats
tirent parti du
désenchantement
des classes
moyennes
face à la montée
des inégalités
nus de la moitié la moins riche de
la population ont fait du surplace
ces quarante dernières années,
ceux du sommet de la pyramide
ont explosé.
De plus en plus de chercheurs
font la corrélation entre la hausse
des inégalités et le déclin des syn-
dicats. Déjà en 2011, une étude me-
née par Bruce Western, professeur
de sociologie à Harvard, et Jake
­Rosenfeld, de l’université de
Washington montrait que, entre
1973 et 2007, alors que le taux de
syndicalisation perdait 26 points,
les inégalités de salaires dans le
privé bondissaient de 40 %.
En 2021, Lawrence Mishel et Josh
Bivens, économistes à l’Economic
Policy Institute ont démontré le
lien entre le déclin syndical et le
maintien des salaires à un niveau
bas du fait d’un moindre pouvoir
de négociation. Ils relèvent que,
jusque dans les années 1970, la ré-
munération horaire augmentait
au même rythme que la producti-
vité. L’indexation n’est désormais
plus de mise. Le salaire horaire
moyen est inférieur de 45 % à ce
qu’il devrait être si le lien avec la
productivité avait été maintenu.
La thèse est aujourd’hui reprise à
son compte par la Maison Blan-
che. La vice-présidente, Kamala
Harris, et la secrétaire au Trésor,
Janet Yellen, ont rendu public, le
28 août, un rapport qui estime que
l’écart de salaire entre un syndi-
qué et un non-syndiqué ayant le
même profil professionnel s’élève
à 15 % en faveur du syndiqué.
Le document dresse en parallèle
un tableau sombre de la classe
moyenne. Outre la stagnation des
revenus, il souligne la dégra­-
dation de l’accès au logement, à
l’éducation et à la santé, et la gé-
néralisation du recours à l’endet-
tement pour pouvoir joindre les
deux bouts. Il affirme aussi que
40 % de la génération née dans les
années 1980 n’aura pas suffi­-
samment accumulé d’épargne
pour assurer sa retraite. Jamais la
proportion n’avait été aussi im-
portante pour celles nées entre
1930 et 1980.
Au-delà du constat, qui résonne
auprès du cœur de l’électorat de
Joe Biden à un an de la présiden-
tielle, les leviers d’action permet-
tant de redonner un élan au mou-
vement syndical restent toutefois
limités. Les législations dépen-
dent largement des Etats fédérés,
qui restent plus préoccupés par
leur capacité à attirer les investis-
sements qu’à revenir à l’Amérique
d’avant Reagan. p
Le blocus
du Haut-
Karabakh
doit cesser
C haque jour qui passe ac-
centue le risque d’une ca-
tastrophe humanitaire
depuis que le président azer-
baïdjanais a décidé de soumettre
le Haut-Karabakh à un blocus
d’un autre temps. Trois ans après
sa victoire contre les forces ar-
méniennes, Ilham Aliev semble
décidé à pousser son avantage,
aidé par la passivité d’une force
d’interposition russe déployée
après un cessez-le-feu obtenu
sous l’égide de Moscou.
Enclave sur laquelle la souverai-
neté de l’Azerbaïdjan est recon-
nue internationalement mais
peuplée majoritairement d’Ar-
0123
­
­Mardi 5­ septembre 2023
méniens qui y jouissent de facto
d’une forme d’autonomie, le
Haut-Karabakh n’a connu aucun
répit depuis le début du délite-
ment de l’Union soviétique. La
reconquête de zones tampons
par Bakou et la prise d’une partie
de l’enclave elle-même au prix de
milliers de morts dans les deux
camps en 2020 n’ont pas donné
lieu à une paix des braves, bien
au contraire.
Depuis décembre 2022, le corri-
dor de Latchine, le seul qui reliait
encore le Haut-Karabakh à l’Ar-
ménie, concentre les tensions.
Après l’installation de barrages,
officiellement pour des raisons
de sécurité, le régime d’Ilham
Aliev a décidé en juillet de fer-
mer hermétiquement cette
route, y compris au Comité in-
ternational de la Croix-Rouge,
qui était la dernière organisation
humanitaire internationale à
pouvoir accéder à l’enclave. Plus
de 100 000 Arméniens y survi-
vent, un chiffre contesté par
l’Azerbaïdjan.
En usant sans vergogne de
l’arme de la faim et des priva-
tions, y compris pour les fourni-
tures médicales, Bakou veut con-
traindre les Arméniens du Haut-
Karabakh à se tourner vers lui en
désespoir de cause. Au lieu de
chercher le chemin difficile
d’une cohabitation sur une terre
tourmentée, ce régime offre
ainsi un impossible marché à ces
Arméniens : la soumission, alors
qu’ils sont honnis en Azerbaïd-
jan, ou l’exil.
L’enfermement du président
azerbaïdjanais dans cette pos-
ture intransigeante n’est pas
seulement une colossale faute
politique, qui décuple les haines
au lieu de les réduire. Son blocus
du Haut-Karabakh est aussi, et
surtout, un défi aux règles les
plus élémentaires du droit inter-
national. En restant sourd aux
mises en garde adressées par la
Cour internationale de justice
dès février, Ilham Aliev s’expose
à de sérieuses accusations.
L’ancien procureur de la Cour
pénale internationale Luis Mo-
reno Ocampo a déjà sonné la
charge en assurant dans un rap-
port publié en août qu’« un géno-
cide est en cours contre les
120 000 Arméniens vivant dans le
Haut-Karabakh ». Bakou s’en est
offusqué, mais la convention des
Nations unies de 1948 dispose
bien qu’« infliger délibérément à
un groupe des conditions d’exis-
tence calculées pour entraîner sa
destruction physique totale ou
partielle est considéré comme un
génocide ».
La gravité de la menace rend
encore plus déplorable l’impuis-
sance du Conseil de sécurité des
Nations unies, qui s’est réuni le
16 août sur ce sujet sans parvenir
à la moindre décision. Cette im-
puissance est d’autant plus con-
damnable que la levée de ce blo-
cus est l’un des très rares sujets
de consensus entre Moscou et
Washington. Le secrétaire d’Etat,
Antony Blinken, et son homolo-
gue russe, Sergueï Lavrov, ont en
effet demandé dans des termes
similaires la réouverture du cor-
ridor de Latchine au cours des
derniers mois.
Cette passivité internationale,
ou cette indifférence, a duré bien
trop longtemps. La réouverture
du corridor de Latchine est une
obligation humanitaire. Bakou
doit comprendre que le maintien
du blocus ne ferait qu’accroître
une instabilité dont la région a
déjà beaucoup trop souffert. p
 Du 15 au 17 septembre 2023

trois jours de rencontres et de spectacles

Lors de l’édition
2022 du festival.
MARWEN FARHAT
POUR « LE MONDE »

LE FESTIVAL DU MONDE REMERCIE SES PARTENAIRES

Cahier du « Monde » No 24469 daté ­­Mardi 5­ septembre 2023 - Ne peut être vendu séparément
 0123
2 | Le festival du Monde ­­Mardi 5­ septembre 2023

Des visites guidées pour découvrir le journal de l’intérieur

Bienvenue
au Festival
du Monde !

L’
histoire du Monde
n’appartient pas seule-
ment à celles et ceux
qui réalisent le journal, au quoti-
dien, depuis bientôt quatre-
vingts ans. Elle est également
le produit du lien qui s’est tissé
avec vous, que vous nous lisiez
ou non de manière assidue.
Notre courrier des lecteurs
comme les dialogues en live que
nous vous proposons régulière-
ment témoignent tout à la fois
de l’attachement, du respect, des
irritations, parfois des incom-
préhensions, que nous pouvons
susciter. Mais aussi et surtout
d’une immense curiosité sur
la façon dont nous fabriquons
notre journal et notre site. C’est
pour y répondre que nous vous
proposons ce Festival du Monde,
dont la neuvième édition aura
lieu du 15 au 17 septembre.
Des dizaines de journalistes
du Monde, représentant tous les
services et tous les métiers, se
mobiliseront pendant trois jours A l’occasion du festival et dans le cadre tions sur la façon dont nous travaillons à Oslo, il a été construit au-dessus des évoque, selon Kjetil Thorsen, cofonda-
pour vous rencontrer, vous in- des 39es Journées du patrimoine, le et sur notre histoire (en photo, visite voies ferrées, enjambant une dalle non teur de Snohetta, les notions de transpa-
former, vous écouter et répondre Groupe Le Monde ouvre exceptionnelle- guidée lors de l’édition 2022). constructible (d’où son profil caractéristi- rence et d’opacité qui sont au cœur du
à vos questions. L’actualité, notre ment au public les portes de son siège. C’est aussi l’occasion de découvrir que en arche). Il évoque aussi par sa travail des journalistes.
raison d’être, sera au cœur du Vous pourrez, en petits groupes, visiter de l’intérieur cet immeuble spectaculaire, forme une vague déferlant vers le parvis Les visites démarrent du pilier sud ;
festival. Nous prendrons le notre immeuble pendant une heure, situé à l’entrée du quartier Paris Rive de la gare voisine. Sa façade, composée elles sont gratuites sur inscription sur
temps de décrypter et d’analyser en compagnie d’un représentant surprise gauche. Imaginé par l’agence internatio- d’environ 20 000 panneaux de verre, Festival.lemonde.fr. p
un certain nombre de grands de la rédaction, et poser toutes vos ques- nale d’architecture Snohetta, basée donne l’impression d’être pixellisée et Photo : Camille Millerand pour « Le Monde »
enjeux à l’occasion de neuf
grands débats portant, par exem-
ple, sur la guerre en Ukraine, sur
la mobilisation contre la réforme
des retraites ou sur l’urgence

La conférence de midi, un rite

climatique. Vous pourrez aussi
échanger, en petit comité, lors
de rencontres thématisées, avec
tous les services du journal.

quotidien au cœur de la rédaction

Le Festival du Monde s’inscrit
par ailleurs dans le cadre de
deux événements phares de la
rentrée : les Journées du patri-
moine et la Paris Design Week.
Inauguré voici trois ans, C’est là que se décide la couverture de l’actualité pour les versions papier et numérique du journal
le nouveau siège du Monde s’est

imposé comme la signature
architecturale marquant l’entrée
dans le quartier Paris Rive
gauche. Sa visite gratuite vous
est proposée dans le cadre des
Journées du patrimoine.
Cœur du festival, le parvis de
notre immeuble vous accueillera
dans une scénographie conçue
par le studio 5·5, dont le travail
de design circulaire fait partie du
parcours de la Paris Design Week
– vous pourrez vous y restaurer,
rencontrer nos journalistes,
assister à des performances
de théâtre et vibrer aux sons
du monde entier.
Nous vous invitons également
à compléter cette découverte
du quartier en suivant avec nos
journalistes des parcours théma-
tiques dans ce 13e arrondisse-
ment qui est le nôtre depuis
vingt ans. Enfin, parce que
notre représentation du monde
s’élabore aussi à travers l’art et
la culture, nous vous proposons
trois spectacles, qui constituent
autant de portes d’entrée vers
des thématiques d’actualité.
Bon festival ! p
Emmanuel Davidenkoff,
Gilles van Kote, Joséfa Lopez
et Yoanna Sultan-R’bibo
L
e rite est immuable. Chaque
jour de la semaine, l’espace en
mezzanine situé au cœur de la
rédaction du Monde, dans l’im-
meuble de l’avenue Pierre-
Mendès-France, dans le 13e ar-
rondissement de Paris, s’anime quelques
minutes avant midi. La plupart des servi-
ces de la rédaction y envoient un repré-
sentant, chef de service ou adjoint. Ce
sont donc entre vingt et trente person-
nes qui prennent place autour de la
grande table ou sur les banquettes qui
font office de second rang pour la « conf »
– la conférence de rédaction de midi.
Jusqu’à ces dernières années, la journée
de la rédaction du Monde était ponctuée
de trois conférences de rédaction : celle
de midi était encadrée par la réunion de
7 h 30, connue pour se tenir dans le bu-
reau du directeur du Monde et en posi-
tion debout, et par un troisième rendez-
vous en fin d’après-midi, pour faire un
point sur l’état d’avancement du journal
et esquisser quelques pistes de « une ».
Cette réunion se tient désormais en tout
petit comité, à 17 h 30.
Départ d’un cycle
Quant à la première, elle a tout bonne-
ment disparu à l’occasion du premier
confinement et n’a jamais repris. Consa-
crée pour l’essentiel à la « une » du jour-
nal et à son éditorial, et positionnée trois
heures en amont du bouclage de l’édition
imprimée du Monde, elle se justifiait de
moins en moins, à une époque où l’écra-
sante majorité des lecteurs lisent leur
journal sur les supports numériques et
non plus sur le papier.
A l’inverse, une conférence de rédac-
tion intégralement consacrée à la cou-
verture numérique de l’actualité a désor-
mais lieu tous les matins de la semaine à
9 h 15, en présence d’une partie de
l’équipe travaillant exclusivement pour
Lemonde.fr. Elle est précédée à 8 h 30
d’une réunion visant à déterminer les
­articles et sujets d’actualité méritant l’en-
voi d’une alerte sur les supports numéri-
ques dans la journée.
Mais revenons à la sacro-sainte confé-
rence de rédaction de midi : héritière de
la tradition des médias imprimés, elle
donne le signal de départ d’un cycle de
presque vingt-quatre heures qui s’achè-
vera le lendemain à 10 h 30 avec l’envoi
Chaque service annonce
son « menu » du jour,
en se concentrant
sur ses principaux sujets
des derniers fichiers de l’édition papier
vers les imprimeries de Tremblay-en-
France (Seine-Saint-Denis) et de Mont-
pellier. Ce qui ne signifie pas que l’on n’y
parle pas du numérique : il s’agit bien d’y
faire le point sur la couverture de l’actua-
lité sur l’ensemble des supports où l’on
retrouve Le Monde.
La conférence est animée par la direc-
trice de la rédaction, Caroline Monnot, ou,
en son absence, par Jérôme Fenoglio, le di-
recteur du Monde. Ils sont accompagnés
par l’équipe de la direction de la rédaction,
en particulier les journalistes chargés du
suivi et de la coordination de l’actualité du
jour. La conférence est ouverte à l’ensem-
ble de la rédaction, mais il est rare, sauf ac-
tualité exceptionnelle, que d’autres jour-
nalistes y assistent s’ils n’ont pas une rai-
son particulière de le faire. Pour les sta-
giaires que Le Monde accueille, il s’agit, en
revanche, d’un passage obligé lors de leur
séjour dans la rédaction.
La conférence s’ouvre par un point ef-
fectué par le rédacteur en chef chargé de
l’actualité sur le site du Monde, qui
brosse le tableau des sujets traités depuis
le matin sur L­ emonde.fr et ceux qui méri-
teraient un approfondissement. Puis
chaque service thématique est invité à
annoncer son « menu » du jour, concocté
généralement à l’issue d’une conférence
de service qui s’est tenue à 11 heures ou à
11 h 30, en se concentrant sur ses princi-
paux sujets d’actualité.
C’est l’occasion pour les dif-
férents services de se coor-
donner – une nécessité en-
core plus évidente pour les
sujets dont la couverture met
à contribution l’ensemble de
la rédaction. Pour la direc-
tion de la rédaction, c’est le
moment de prendre connais-
sance des articles en prépara-
tion, d’affiner un ­angle, de
commander un « papier »
supplémentaire, de demander à un ser-
vice de s’intéresser à un sujet que l’on
sent poindre, de définir les heures de
publication, de sélectionner les articles
qui feront l’objet d’alertes et d’imaginer
à quoi ressemblera le quotidien du len-
demain ainsi que sa « une ».
Le représentant des éditorialistes du
Monde a généralement l’honneur de
prendre la parole en dernier pour évo-
quer le ou les sujets d’actualité qui pour-
raient être évoqués le lendemain dans
ce rendez-vous quotidien au travers
­duquel Le Monde exprime son point de
vue. Ce choix peut faire l’objet d’un
­débat… quand un sujet ne s’impose pas
de lui-même.
La conférence de rédaction dure envi-
ron trois quarts d’heure. A son issue, les
services se voient attribuer un quota de
pages en vue de l’édition imprimée du
lendemain, à partir du « chemin de fer »
concocté en tenant compte de la pagina-
tion totale prévue et de l’implantation
des publicités et des suppléments spé-
ciaux, ainsi qu’en fonction des menus
des différents services qui viennent
d’être énoncés. Il s’agit de donner à cha-
cun la place nécessaire pour publier les
articles destinés au journal papier.
Grincements de dents
Affirmer que cela ne se fait jamais sans
grincements de dents ou sentiment d’in-
compréhension serait, bien sûr, mentir.
Les négociations peuvent d’ailleurs durer
quelques minutes supplémentaires, voire
connaître des prolongations en début
d’après-midi. Mais la conférence de rédac-
tion n’est plus focalisée sur l’édition pa-
pier comme elle l’était encore par le passé.
Un article recalé de l’édition imprimée
pour cause de manque de place sera dans
tous les cas publié sur le site du Monde.
Nous ne serions pas complets si nous
n’évoquions pas un virage pris sous la
contrainte en mars 2020, au début de la
pandémie de Covid-19 : la possibilité de
participer à la conférence de rédaction en
visioconférence, mise en place lors du
premier confinement. Du jour au lende-
main, d’un rendez-vous 100 % physique,
la conférence de rédaction était alors de-
venue une réunion à distance, avec seule-
ment cinq ou six journalistes présents au
siège du journal.
Miraculeusement, ce rendez-vous quo-
tidien a toujours pu se tenir presque
­normalement, malgré les difficultés de
connexion des premiers jours, les micros
laissés malencontreusement ouverts et
les épisodes comiques qui ont émaillé les
visioconférences du monde entier.
Depuis lors, les journalistes sont reve-
nus à la rédaction, la conférence de rédac-
tion s’est repeuplée et la grande majorité
des participants sont présents physique-
ment. Mais la situation sanitaire et la pos-
sibilité du télétravail ont changé la donne,
et celles et ceux qui le souhaitent peuvent
toujours y participer à distance. p
G. v. K.
0123
­­Mardi 5­ septembre 2023
VENDREDI 15 SEPTEMBRE
Débat
Jusqu’où la puissance
chinoise ira-t-elle ?
15 heures – 16 h 30, auditorium
Dans les grands dossiers géopolitiques comme dans
notre consommation au quotidien, la Chine est in-
contournable. La puissance de ce régime totalitaire
désinhibé et adossé à un nationalisme en plein réveil
suscite des inquiétudes croissantes, surtout en Occi-
dent. La crise due au Covid-19 a marqué une inflexion
majeure en mettant à nu les visées à long terme de
Pékin. La plus évidente est celle de promouvoir son
propre « modèle de gouvernance » et de désocciden-
taliser le système normatif international. Alors que
les Etats-Unis s’efforcent d’embarquer les Européens
et certains pays de la zone Indo-Pacifique dans une
stratégie d’endiguement, le scénario d’une confron-
tation n’est plus à exclure.
L’option de jouer le Sud contre le Nord et, au-delà, les
pays pauvres contre les pays riches, se dessine à l’évi-
dence comme la réponse de la Chine à ce risque d’un
choc avec l’Occident. Le tout en cristallisant un re-
groupement de régimes autoritaires face au « péril
démocratique ». La guerre en Ukraine n’a fait qu’accé-
lérer cette recomposition, notamment en renversant
la dynamique interne de l’axe Russie-Chine, la pre-
mière étant en passe d’être vassalisée par la seconde.
Alors, à quoi joue la Chine ? L’Europe doit-elle se mé-
fier de ce géant ?
Avec la participation d’Alice Ekman, sinologue et
analyste responsable de l’Asie à l’European Union
Institute for Security Studies, autrice de « Dernier
vol pour Pékin » (Editions de l’Observatoire, 2022) ;
Thierry Pairault, sinologue et socio-économiste,
directeur de recherche émérite (CNRS/EHESS),
spécialiste de la Chine-Afrique.
Un débat conçu et animé par Frédéric Bobin
et Harold Thibault.
Atelier
Coupe du Monde de rugby
Nouvelle-Zélande - Namibie :
assistez au match
et au live du service Sport
20h – 22h30, Café de la presse
De la Coupe du monde de football ou de rugby aux
Jeux olympiques, le service Sport suit au quotidien
l’actualité sportive. Comment faire vivre ces événe-
ments sans en diffuser les images ? Comment inté-
resser un public plus large ? Comment trouver le ton
adéquat ? Venez poser vos questions aux journalis-
tes du service Sport. Cette rencontre sera suivie de la
diffusion du match de Coupe du monde de rugby
Nouvelle-Zélande - Namibie, commenté en direct
par le service avec les journalistes Gabriel Richa-
lot, Clément Martel et Valentin Moinard.
Parcours
Parcours gastronomique
dans le 13e,
des Frigos à Tempero
17 heures – 19 heures
Suivez le journaliste gastronomique Léo Pajon
dans le 13e arrondissement pour découvrir des lieux
de gourmandise et des chefs en vue. En vous racon-
tant les dessous de son métier, Léo vous fera entrer
dans le restaurant des Frigos, un endroit historique
qui a longtemps servi à la réfrigération des aliments
acheminés en train. Vous vous faufilerez aussi dans
les cuisines de Refugee Food, une association qui
vise à la réinsertion professionnelle de réfugiés,
avant d’aller goûter aux spécialités franco-brésilien-
nes d’Alessandra Montagne, dans ses restaurants
Nosso et Tempero, tout près de la Bibliothèque na-
tionale de France.
Point de départ : devant les Frigos de Paris.
Arrivée : locaux du « Monde ».
Performances
artistiques
Le Local Brass Quintet
inaugure le Festival
17 heures – 17 h 45, parvis
Deux trompettes, un cor, un trombone, un tuba…
L’un des quintettes de cuivres les plus prometteurs
de sa génération fera vibrer l’arche du Monde. Lau-
réats du prestigieux concours international d’Osaka,
au Japon, artistes Jeunes Talents depuis 2017 et sou-
tenus par le mécénat musical de Caisse des dépôts,
François Petitprez, Javier Rossetto, Benoît
Collet, Benjamin Gallon et Tancrède Cymer-
man revisitent les répertoires classiques et jazz.
Rencontre avec le service Sciences, en septembre 2022. CAMILLE MILLERAND POUR « LE MONDE »
Conversation, animée par Audrey Garric, entre l’auteur Frédéric Ferrer (au centre) et la paléoclimatologue
Valérie Masson-Delmotte (à droite), en septembre 2022. MARWEN FARHAT POUR « LE MONDE »
Pour l’édition 2023, Tarif de nuit (Olivier Clairouin et Arthur Nancel) propose un DJ-set le vendredi. Jane Roussel
Le Balotop de Sylvain
Riéjou : viens danser
17 h 45 – 18 h 30, parvis
« Quelle est la chanson qui vous donne envie de dan-
ser ? » Voilà la question que vous posera le danseur
contemporain Sylvain Riéjou. A partir de ce top 3 de
chansons rythmées naîtra une mise en scène ludi-
que et festive pendant laquelle vous serez invités à
suivre des principes chorégraphiques simples.
Octetology :
l’hommage à Piazzolla
18 h 45 – 19 h 30, parvis
Plongeons dans le Buenos Aires des années 1950,
­celui du nuevo tango d’Astor Piazzolla. Les musi-
ciens d’Octetology font revivre son répertoire, et
rendent un hommage vibrant au tango moderne. Ils
interpréteront des extraits de l’album Neotango,
sorti en 2023 chez Paraty. Proposé par Visit Argentina.
La Badauê Batucada,
sensation percussions
19 h 30 – 20 h 30, parvis
Le voyage continue en Amérique du Sud avec la
­Badauê Batucada, un orchestre de percussions et
Le festival du Monde | 3
de danseurs, premier représentant du samba-reggae
en France. Ce genre musical, né à Bahia, est le pont qui
relie l’Afrique au Brésil au son des tambours. On suit
(en rythme) les musiciens pour une déambulation fes-
tive sur le parvis, qui s’illuminera à la tombée de la nuit.
L’arche du Monde en lumières
avec BOA
21 heures – minuit, parvis
Les nuits du festival seront aussi belles que les jours.
Sur le parvis, l’arche éclatante vibrera d’étincelantes
polychromies grâce à BOA, un collectif artistique,
concepteur du programme lumineux de la voûte de
l’immeuble du Monde. Régnera une atmosphère iné-
dite et pailletée, les lumières se mouvant au rythme
des sonorités musicales des soirées du festival.
Tarif de nuit,
des DJ 100 % électriques
21 heures – minuit, parvis
Arthur et Olivier, alias Tarif de nuit, sont copilotes
musicaux depuis près de dix ans, naviguant des scè-
nes parisiennes (Le Barboteur, Chez Moune, Le Mo-
tel…) aux fêtes de village estivales du Lot, en passant
par les soirées organisées au Monde. Car, oui, le jour,
Olivier Clairouin est journaliste au Monde, responsa-
Dans les
kiosques
partenaires
Durant tout le festival, sur le parvis
en accès libre, de jolis kiosques dessinés
par le studio de design 5.5 accueilleront
nos partenaires.
L’Ecole du vin de Bordeaux, et ses vigne-
rons, proposera ainsi des animations
en continu, le vendredi de 18 heures
à 21 heures, et le samedi et le dimanche
de 12 heures à 21 heures (avec une pause
de 15 heures à 17 heures). Il s’agira de
déguster des vins à l’aveugle et, en soirée,
de faire vos jeux autour du casino du vin.
Le tout avec modération, bien sûr.
La Thaïlande, elle, a choisi de mettre
en lumière sa gastronomie. Le samedi,
à 11 h 30 et à 18 heures, et le dimanche
à 11 h 30, « Cooking with Morgane »
vous dévoilera les secrets du pad thaï,
végétarien ou non, et du poulet au curry.
Des démonstrations suivies de dégusta-
tions ! Avant de laisser place à Ma cantine
thaï, qui offre le meilleur de la cuisine
de rue du pays.
L’office du tourisme Visit Argentina
célébrera la culture argentine à travers
des rendez-vous gastronomiques
et culturels le vendredi dès 17 h 30,
et le samedi et le dimanche toute la
journée : vous pourrez goûter au fameux
maté, boisson traditionnelle, rencontrer
des chefs, feuilleter de la littérature
argentine ou découvrir l’artisanat
des tisserands de la province de Jujuy.
Billetterie
Tickets en vente sur le site du festival
Festival.lemonde.fr/billetterie
Tarifs
Débats 15 € tarif plein /12 € tarif réduit.
Spectacles 19 € tarif plein/16 € tarif réduit.
Parcours 15 € tarif plein / 12 € tarif
réduit (à l’exception du Parcours
gastronomique dans le 13e :
20 € tarif plein/17 € tarif réduit).
Ateliers entre 3 € et 10 € tarif unique.
Tarif réduit (sur présentation d’un justifi-
catif) : abonné au Monde, moins de 26 ans,
étudiant, titulaire d’une carte chômage,
titulaire du RSA, titulaire d’une carte
CMI et accompagnant, titulaire
d’un badge salarié du groupe.
Gratuit, sur réservation
Les « visites du Monde » dans le cadre
des Journées du patrimoine et les
« rencontres avec la rédaction » situées
à l’intérieur du journal (Café de la gare
et Buffet de la presse). Ouverture
des inscriptions des événements gratuits
dès le 1er septembre.
En accès libre
(gratuit, sans réservation)
Programmation parvis :
performances artistiques
et rencontres avec la rédaction.
Accès
Le Monde, 67-69 avenue Pierre-Mendès-
France, Paris 13e.
Métros: Gare-d’Austerlitz, Gare-de-Lyon,
Quai-de-la-Gare.
ble de la rubrique Pixels. Leur carburant : un mélange
de disco, de house et d’eurodance, peu sobre, mais
garanti 100 % électrique.
Spectacle
« Prouve que tu existes,
ou l’art de la manipulation »
19 heures – 21 heures, Auditorium
« Une fantaisie qui interroge » : ainsi se présente le spec-
tacle signé par le Théâtre du Palpitant. Caroline de
Vial et Gérald Garnache interprètent Sublime et
Sigmund, conférenciers à l’University of London Col-
lege. Ne cherchez pas cet établissement, il est fictif. Di-
vination, transmission de pensée, lancer de couteau,
détournement d’attention et mentalisme composent
le cocktail de ce show, au cours duquel vous serez aussi
invités à découvrir, à la faveur d’un test troublant, si
vous êtes cernés par des personnalités manipulatrices.
Le spectacle sera suivi par un échange sur les « fake
news » et la manipulation avec Grégoire Borst, pro-
fesseur de psychologie du développement et de neu-
rosciences de l’éducation à l’Université de Paris, et di-
recteur du Laboratoire de psychologie du développe-
ment et de l’éducation de l’enfant.

4 | Le festival du Monde
Samedi 16 SEPTEMBRE
Débats
Pour convaincre, les militants
doivent-ils heurter ?
11 heures – 13 heures, auditorium
L’urgence climatique, le féminisme, l’anticapitalisme,
l’antifascisme, les droits LGBT +… se trouvent convo-
qués dans les propos de celles et ceux qui ne peuvent
plus attendre. Jeunes pour la plupart, ils empruntent
aux plus anciens des modes d’action qu’ils habillent
de leur créativité et de leurs énergies. Souvent arrêtés,
parfois condamnés, ces activistes n’abandonnent pas
leurs causes. Lassés d’un jeu démocratique qu’ils ju-
gent stérile, de grands rendez-vous militants ineffica-
ces selon eux, de combats judiciaires souvent perdus,
certain·e·s veulent en découdre avec le système.
Le Festival du Monde interroge ces nouvelles radica-
lités en plusieurs temps :
Carte blanche (ou rouge ou noire)
à Alain Damasio écrivain de science-fiction
et coauteur de On ne dissout pas un soulèvement.
40 voix pour Les Soulèvements de la Terre
(Seuil, 2023).
Peut-on sourire en tirant le signal d’alarme,
dédramatiser et rester efficace ?
Avec Mathilde Caillard, alias « MC danse pour le
climat », militante à Alternatiba Paris et assistante
parlementaire ; Andrée De Backer, membre de
Scientifiques en rébellion, chercheuse en science
des matériaux à l’université de Lille.
L’usage de la violence est-il
un passage obligé ?
Avec Pauline Boyer, activiste climat, écoféministe
et coautrice du Manifeste pour la non-violence
(Charles Léopold Mayer, 2022) ; Benoît Feuillu,
porte-parole du mouvement Les Soulèvements
de la Terre ; Tal Madesta, militant trans, auteur
de La Fin des monstres (La Déferlante, 2023).
Peut-on rester dans le cadre et porter
la contestation de l’intérieur
ou faut-il bifurquer et sortir du jeu ?
Avec Valérie Masson-Delmotte, paléoclimatolo-
gue, ex-coprésidente du groupe de travail numéro
un du Groupe d’experts intergouvernemental
sur l’évolution du climat (GIEC) ; Raphaël Yven,
directeur d’hôpital et cofondateur du réseau le
Lierre ; Nos lèvres révoltées, chorale féministe
qui militera en chansons.
Un débat conçu et animé par Léa Iribarnegaray
et Rémi Barroux.
Entre science et politique,
à quoi servent
les économistes ?
13 h 30 – 15 heures, auditorium
Depuis la création de la science économique au
XVIIIe siècle, les économistes flirtent en permanence
avec le politique. Souvent pris en défaut sur leurs pré-
visions, ils voient rarement venir les crises. Ce qui
n’empêche pas le pouvoir et ses opposants de les
consulter… Et de s’en méfier tout autant. De leur côté,
les économistes travaillent volontiers à la demande
des gouvernements pour produire d’ambitieux rap-
ports qui s’empilent, souvent sans grand effet. On se
souvient du rapport Attali sous Nicolas Sarkozy et,
plus récemment, des rapports Tirole et Blanchard sur
les grands défis économiques ou Pisani-Ferry et
­Mahfouz sur le coût de la transition climatique. Que
sont-ils devenus ? Certains de ces chercheurs sont
passés de l’autre côté du miroir, acceptant des postes
politiques. Quelles leçons en tirent-ils ? Comment
sont organisés les autres pays en matière de collabo-
ration entre le pouvoir politique et les économistes ?
Avec Laurence Boone, secrétaire d’Etat chargée
de l’Europe, ancienne cheffe économiste de
l’Organisation de coopération et de développe-
ment économiques (OCDE) ; Natacha Valla,
professeure d’économie à Sciences Po, ancienne
directrice générale adjointe de la Banque centrale
européenne ; Valérie Charolles, philosophe
et anthropologue ; Philippe Martin, doyen de
l’Ecole d’affaires publiques, ancien président délé-
gué du Conseil d’analyse économique ; Timothée
Parrique, économiste de la décroissance, auteur
du livre Ralentir ou périr (Seuil, 2022).
Avec les témoignages en vidéo des correspondants
étrangers. Un débat conçu et animé par
Philippe Escande et Béatrice Madeline.
Paris Design Week
x « Le Monde » : le réemploi
est-il l’avenir du design ?
14 heures – 15 heures, parvis
Le Festival du Monde s’associe pour la deuxième an-
née consécutive avec le studio 5·5, qui a imaginé une
scénographie unique sur le parvis de notre immeu-
ble, à partir des déchets de l’imprimerie du journal.
Avec Jean-Sébastien Blanc et Claire Renard,
du studio 5·5, et Léa Collette-Germier, cheffe
de projet économie circulaire pour Les Canaux.
Un débat animé par Véronique Lorelle.
Le manga, marqueur
de la culture pop française
15 h 30 – 17 heures, auditorium
Rap, mode, cinéma, gastronomie… les clins d’œil à des
œuvres comme Dragon Ball, One Piece, Naruto, etc. se
sont multipliés ces dernières années dans la culture
populaire française. Quand ces séries n’inspirent pas
0123
­­Mardi 5­ septembre 2023
Lors de l’édition 2022 du festival, le débat « Ukraine : raconter la guerre », animé par Isabelle Mandraud et Emmanuel Grynszpan (au centre). CAMILLE MILLERAND POUR « LE MONDE »
directement les pseudonymes et univers visuels des
artistes. Et pour cause, la bande dessinée japonaise n’a
eu de cesse d’étendre son influence dans l’Hexagone
depuis son arrivée dans les librairies et sur les écrans,
il y a plus de trente ans. Mais pourquoi donc le manga,
longtemps méprisé dans les sphères culturelles, est-il
devenu une véritable référence artistique en France et
pourquoi voit-il son influence émerger dans autant
de registres ? Nostalgie, lectures coup de cœur et coup
de poing, mais aussi processus de création seront au
centre de la discussion avec les invités.
Avec la participation de Mory Sacko, chef
cuisinier français étoilé ; Ringo, chroniqueuse
manga et animatrice sur le Mouv’.
Un débat conçu et animé par Pauline Croquet
et Laetitia Limmois.
Vivre en Ukraine
en temps de guerre
17 h 30 – 19 heures, auditorium
Le 24 février 2022, l’Europe découvre la guerre à ses
frontières. La Russie a décidé d’envahir son voisin
ukrainien. Un an et demi plus tard, à l’arrière du
front ou à Kiev, la vie a presque repris son cours,
comme avant, malgré les fréquentes attaques de
missiles et de drones. A l’inverse, à Kherson, occu-
pée par les Russes pendant huit mois, les habitants En 2022, l’atelier de « une » du jour, avec Caroline Monnot (à g.), directrice de la rédaction. CAMILLE MILLERAND POUR « LE MONDE »
ont rebasculé dans l’horreur peu après leur libéra-
tion par l’armée ukrainienne, en novembre 2022.
Entre les zones du front et l’arrière, le contraste est tion… L’exploitation des données, qu’elles soient pu- écoanxiété, rapport à la famille… La jeunesse de 2023
saisissant. Mais ce qui réunit tous les Ukrainiens bliques ou non, est au cœur du travail des journalis- est en pleine mutation.
aujourd’hui, c’est l’espoir que leur armée parvienne tes du service Décodeurs, où se mêlent compétences Avec Marine Miller et Séverin Graveleau.
à mettre la Russie et ses ambitions impérialistes en techniques et éditoriales.
échec. Comment vivent les Ukrainiens en temps de
guerre ? Comment survivent-ils sous l’occupation
Avec Jonathan Parienté et Maxime Ferrer. … avec le service Idées
russe et les bombardements ? et Débats
… avec le service Economie 14 heures – 15 heures, Café de la presse
Avec Rafael Yaghobzadeh, photographe ;
12 heures – 13 heures, buffet de la gare Publier des tribunes. Donner la parole à des cher-
Ioulia Shukan, chercheuse et maîtresse de
conférences en études slaves à l’université Paris- Pouvoir d’achat, inflation, salaire, transport, urba- cheurs, scientifiques, politiques, écrivains, intellec-
Nanterre ; Dmytro Bahnenko, journaliste ukrai- nisme, énergie, immobilier… Chaque jour, Le Monde tuels. Eclairer, polémiquer, réagir à l’actualité.
nien à Kherson, aujourd’hui engagé volontaire analyse l’actualité par le prisme économique. Des ­Comment s’opèrent les choix ? Comment travailler
dans l’armée. Un extrait de son documentaire ­sujets complexes qu’il faut rendre accessibles à tous. avec les auteurs ? Comment créer le débat ?
Occupied sera diffusé, suivi d’un entretien vidéo Comment ? Quels sont les grands enjeux à maîtriser ?
avec lui ; une habitante de Kiev, témoignera Avec Virginie Larousse et Alain Salles.
Avec notamment Eric Béziat.
de la vie dans la capitale ukrainienne.
Un débat conçu et animé par Emmanuel … avec le service Snapchat-
Grynszpan et Faustine Vincent. … avec le service Design TikTok
12 h 30 – 13 h 30, foyer de l’auditorium
15 heures – 16 heures, buffet de la gare
De plus en plus, Le Monde propose des formats nu-
TikTok, ce n’est pas que des chorégraphies, et Snap-
Rencontres
mériques originaux sur son site. Des enquêtes ou des
longs formats alliant article, photo, infographie, vi-
chat, des filtres qui vous donnent une tête de chien.
Ces réseaux sociaux sont également l’endroit parfait
déo. C’est le service Design qui se charge de ces mises
… avec « Le Monde Afrique » en scène immersives. Comment raconte-t-il l’actua-
pour parler aux jeunes générations, et leur expliquer
11 heures – 12 heures, buffet de la gare lité de façon visuelle et pédagogique ? Comment crée-
­clairement des choses compliquées… à condition
d’utiliser leur langage.
Terrain d’affrontements, de ressources, de menaces t-il une unité entre toutes ces productions ?
terroristes, mais aussi du changement climatique… Avec Olivier Laffargue et Syrielle Mejias.
Avec Thomas Steffen et Mélina Zerbib.
l’Afrique est au cœur des défis du XXIe siècle. Décryp-
ter sa capacité à y répondre, depuis le continent, mais
… avec la rédaction en chef … avec le service Sciences
aussi parmi ses diasporas, et raconter les évolutions
de ses sociétés sont un enjeu majeur pour compren- du quotidien 15 heures – 16 heures, Café de la presse
Ce n’est un secret pour personne, la science inonde
dre la marche du monde. Depuis 2015, Le Monde y 12 h 30 – 13 h 30, parvis
nos vies. Dans nos ordinateurs, nos voitures ou nos
consacre un service entier, ainsi qu’un réseau de cor- Pour imaginer et concevoir un journal, il faut des
cuisines, derrière nos moyens de communiquer ou
respondants sur tout le continent. journalistes, mais aussi une direction de la rédaction. de nous soigner se cachent des révolutions scienti-
Avec Anna Sylvestre-Treiner et Pierre Lepidi. Son rôle : coordonner la production d’articles, enca- fiques qui ont bouleversé notre quotidien. Pour-
drer la rédaction, produire l’édition papier. Au tant, nombre de citoyens voient les mathémati-
… avec les Décodeurs Monde, ils sont une dizaine à assurer cette mission. ques, la physique, la biologie, la médecine comme
Avec Caroline Monnot. des boîtes noires indéchiffrables. Pour eux, com-
11 h 30 – 12 h 30, Parvis
Elaborer des bases de données à des fins d’enquête, prendre les exploits du télescope James-Webb ou les
exploiter des téraoctets de documents, rendre … avec le service Campus subtilités du nouveau vaccin à ARN messager appa-
compte de la vigueur ou du déclin d’une épidémie 14 heures – 15 heures, buffet de la gare raît souvent hors de portée.
ou rendre compréhensibles les résultats d’une élec- Etudes, sexualités et genres, relation au travail, Avec Sandrine Cabut et Nathaniel Herzberg.
0123
­­Mardi 5­ septembre 2023
En septembre 2022, rencontre avec le service Planète. CAMILLE MILLERAND POUR « LE MONDE »
Pour l’édition 2023, des danseuses de la K-pop Dance Academy livreront une performance le samedi. K-pop Dance Academy
… avec le service Vidéo
16 heures – 17 heures, buffet de la gare
Dans un monde complexe, l’actualité n’est pas tou-
jours simple à appréhender. Qu’il s’agisse des ques-
tions climatiques, des enjeux géopolitiques ou en-
core des débats de société, Le Monde s’engage à les
rendre plus faciles à comprendre.
Avec Donald Walther, Marc Bettinelli
et Fanny Zarifi.
… avec « Le Monde in English »
16 heures – 17 heures, Café de la presse
Depuis quatre-vingts ans, le journal Le Monde publie
l’actualité dans ses colonnes et sur son site : des conte-
nus en français sur l’actualité mondiale. Mais, depuis
un an, il part à la rencontre de ses lecteurs étrangers
en proposant une version « in English ». Quels sont les
papiers choisis ? Comment sont-ils traduits ?
Avec notamment Elvire Camus.
… avec le service Styles
17 heures – 18 heures, buffet de la gare
Enquêter sur le boom de la cuisine végétarienne, dé-
fricher les destinations à découvrir en 2024, couvrir
les défilés de la semaine de la mode à Paris ou à Lon-
dres, dénicher les dernières tendances design au
­Salon du meuble de Milan… Etre journaliste au ser-
vice Styles, c’est, à travers des enquêtes, des portraits,
des reportages, suivre l’actualité des secteurs mode,
gastronomie, design et voyage. Et décrypter la société
dans sa composante « art de vivre et loisir ».
Avec notamment Yoanna Sultan.
… avec le service Société
17 heures – 18 heures, Café de la presse
Hausse des taux d’intérêt, chute des mises en cons-
truction, logement social débordé… La crise est là,
résultat de problèmes conjoncturels et structurels.
Les journalistes du service Société observent ce
­secteur pas comme les autres, premier budget des
Français, et mal-aimé des politiques publiques de-
puis de nombreuses années.
Avec Claire Ané et Véronique Chocron.
… avec le service International
15 h 30 – 16 h 30, parvis
Ils couvrent l’actualité à travers la planète. De la
guerre en Ukraine, en passant par les élections
­américaines ou le conflit israélo-palestinien, le
­service ­International est présent sur le terrain et au
siège du Monde pour expliquer ce qu’on ne voit
pas. Entre reportages et articles pédagogiques, ils
tentent de faire comprendre la géopolitique à
l’échelle mondiale.
Avec Stéphanie Le Bars.
Ateliers
La « une » du jour
10 heures – 12 heures, café de la presse
Vingt festivaliers, trois journalistes de la rédaction
pour les accompagner et deux heures pour imagi-
ner ensemble la « une » du Monde daté dimanche-
lundi. A l’issue de cet atelier, les journalistes, qui
auront réalisé dans la matinée la véritable « une » du
journal, viendront comparer leurs choix éditoriaux
avec ceux des festivaliers.
Avec Emmanuel Laparra et Caroline Monnot.
Création de manga
11 heures – 12 h 30, foyer de l’auditorium
Vous êtes débutant ou amateur de dessin, venez
participer au Mang’Atelier afin de maîtriser les
­différentes étapes pour la réalisation du portrait
d’un personnage de manga : proportions, expres-
sion, couleur, et ­codes du genre. Vivien Bimuala,
auteur et professeur de dessin manga, vous accom-
pagnera pour parfaire vos traits de crayon et déve-
lopper votre imagination.
Dégustation de vins :
Bordeaux innove en blanc !
12 h 30 – 13 h 30, café de la presse
Ophélie Neiman, journaliste au Monde spécialiste
des vins, sera accompagnée par des vignerons pour
vous proposer des ateliers œnologiques et partir à
Le festival du Monde | 5
la découverte du vignoble du Bordelais. Sous ré-
serve d’évolution selon la disponibilité des vigne-
rons. Ces ateliers sont accessibles exclusivement
aux personnes majeures. En partenariat avec les
Vins de Bordeaux.
Fresque du climat
14 heures – 16 heures, foyer de l’auditorium
Comprendre les causes et les enjeux du changement
climatique, c’est l’objectif de la Fresque du climat.
Créé en 2015, cet atelier utilise cartes pédagogiques et
discussions collectives pour sensibiliser le public.
­Entre rires, convivialité et sérieux, venez participer à
ce casse-tête citoyen.
Animé par Brigitte Billard, responsable RSE
du Groupe Le Monde.
Les 5·5 refont « le Monde »…
et un tabouret
15 h 30 – 17 heures, petit parvis
Des bobinots, du papier journal (Le Monde, bien sûr)…
Il n’en fallait pas plus au studio 5·5 pour imaginer un
tabouret durable, solide et unique, upcyclé.
Assistez à la création en direct de cette assise éco-
conçue, par le studio 5·5, pionnier de l’upcycling.
Education aux médias
Entre les lignes
16 h 30 – 17 h 30, foyer de l’auditorium
Depuis plusieurs années, Le Monde s’est engagé dans
l’éducation aux médias et à l’information par le biais
de l’association Entre les lignes. Hiérarchie de l’infor-
mation, caricatures, sources d’information sur les
­réseaux sociaux, détournement des images…
Avec Alexandre Pouchard.
Dégustation de vins :
les bordeaux au fil du temps
18 h 30 – 19 h 30, café de la presse
Un atelier pour comprendre comment les vins
­évoluent au fil des générations et des transmis-
sions ; certains refont le même vin de leurs parents,
d’autres décident de tout changer ou créent une
­cuvée. Des histoires de successions à découvrir en
dégustation.
Avec Laure Gasparotto.
Parcours
Balade urbaine :
« la Seine, ligne de vie »
10 h 30 – 12 heures, parvis accueil Sud
Une promenade au fil de l’eau, qui racontera la géo-
graphie et l’histoire des quartiers qui bordent la
Seine dans les 12e et 13e arrondissements.
Avec Olivier Razemon.
De Denfert à la Seine :
Paris face au réchauffement
(parcours à vélo)
14 heures – 16 heures, départ depuis
le jardin de l’Observatoire, 14e
On part sur les chemins du 13e à bicyclette, à la recher-
che des lieux de fraîcheur, du jardin de l’Observatoire
au square René-Le-Gall, pour redécouvrir l’histoire
de l’arrondissement et comprendre comment
s’adapter aux épisodes de canicule.
Avec Cécile Cazenave.
performances
artistiques
Nuit orange s’aime,
se dispute, se quitte
13 h 30 – 14 heures ; 15 heures – 15 h 30 ;
16 h 30 – 17 heures, parvis
Pour la deuxième année d’affilée, le Festival du
Monde accueille Nuit orange, un collectif artistique
du 13e arrondissement qui tisse des liens entre les
arts, les genres, les gens, et, si possible, en débordant
les espaces « conventionnels » de représentation, du
théâtre de rue aux expériences itinérantes. Sur le
parvis, Nuit orange proposera un tour du Monde… ou
plutôt de votre monde, car c’est à partir de vos histoi-
res que les comédiens vont jouer et rêver. La troupe
s’empare en effet de deux chroniques du supplé-
ment l’Epoque, « S’aimer comme on se quitte » et
« Comment je me suis disputé », tenues par Lorraine
de Foucher et Clara Georges. Des chroniques qui
ont déjà quelque chose de profondément théâtral…
La fresque participative
d’art urbain, avec Cecilio
13 h 30 – 17 heures, petit parvis
Parce que le 13e est l’arrondissement du street art,
l’art urbain sera à nouveau présent au 9e Festival du
Monde. Et vous serez les artistes ! Cecilio (Cécile
Jaillard), peintre muraliste habituée des pinceaux et
des fresques participatives, vous proposera de réali-
ser pendant deux jours une œuvre collective et évo-
lutive avec la technique du collage. Déchirer, décou-
per, recouvrir, coller, maroufler, repeindre, inscrire…
Tout le matériel sera mis à disposition pour faire un
petit tour du Monde et faire passer des messages.
Negitachi, la chorale geek
17 heures – 17 h 45, parvis
Le groupe vocal des Negitachi, « les poireaux » en
­japonais, est passionné par la culture « geek/otaku »,
c’est-à-dire ayant un rapport avec l’informatique, les
jeux vidéo, les dessins animés ou Internet. Cette drôle
de chorale réinterprète a cappella les génériques
d’Olive et Tom, de Pokémon, de One Piece ou les musi-
ques de Game of Thrones. Un voyage musical et ludi-
que qui devrait plaire aux enfants… et aux grands.
Archange Gospel
donne de la voix
18 h 30 – 20 heures, parvis
Une heure et demie de chants joyeux, de « good
­vibes » et d’énergie, avec une vingtaine de chanteurs
de gospel. Prêts pour un bain de joie ? Archange
Gospel sort le gospel des églises pour partager
l’énergie de cette musique afro-américaine. Une per-
formance avec une vingtaine de chanteurs et Malik
Young en chef de chœur, accompagnés par la diva
Jo Ann Pickens et le pianiste Hubert Samut, qui
n’hésiteront pas à vous faire participer.
K-pop Dance Academy,
la pop coréenne en folie
20 h 30 – 23 h 30, parvis
La K-pop, ou Korean Pop, c’est le nom donné à la mu-
sique pop sud-coréenne. Un genre musical apparu
dans les années 1990, qui mêle pop, électro, RnB,
­hip-hop, dance et rock. Des groupes célèbres dans le
monde entier soulèvent les foules, comme BTS, ou
SHINee, en passant par Blackpink, Stray Kids ou
Ateez. Et sur ces musiques, il y a des chorégraphies
bien huilées, dont la génération Z raffole. Pour le fes-
tival, la K-pop Dance Academy viendra nous faire
une démonstration de danse, avec une initiation à la
clé pour les plus curieux. Ensuite, place au « ran-
dom », des « battles » de K-pop entre initiés… ou non.
Spectacle
« Bérénice »
20 heures – 22 h 15, auditorium
La lecture de Bérénice que propose le collectif Nuit
orange à l’occasion du Festival du Monde se fera en
partie en arabe littéraire. La comédienne et metteuse
en scène Marie Benati a en effet choisi de revisiter
l’œuvre en faisant interpréter les personnages étran-
gers à Rome – Bérénice, Antiochus, Phénice et Arsace
– dans une autre langue (un dispositif de surtitrage
est prévu). Mise en abyme, explique-t-elle, d’une alté-
rité qui tout à la fois « les isole et les protège », recours
à une « langue de la confidence, du secret, de la sincé-
rité », expression d’un territoire « où Titus, où Rome,
ne peuvent pas les suivre ». L’objectif de cette Bérénice
polyglotte est aussi de « s’adresser au public le plus
large possible, et de porter auprès de chaque public un
message de curiosité et de tolérance ».
Le spectacle sera précédé d’un débat avec
le journaliste du Monde Nabil Wakim, autour de
son essai L’Arabe pour tous. Pourquoi ma langue
est taboue en France (Seuil, 2020).
Bérénice, de Jean Racine. Une lecture de la
compagnie Nuit orange. Mise en scène : Marie
Benati. Distribution : Ghina Daou (Bérénice, reine
de Palestine) ; Sanae Assif (Phénice, sa confi-
dente) ; Edouard Dossetto (Titus, empereur
de Rome) ; Leslie Gruel (Paulin, sa confidente) ;
Majd Mastoura (Antiochus, roi de Commagène) ;
Adam Karoutchi (Arsace, son confident).

6 | Le festival du Monde
Rencontre en septembre 2022
avec le service International.
CAMILLE MILLERAND pour « Le Monde »
Dimanche 17 SEPTEMBRE
Débats
Adaptation : la France est-elle
prête à vivre par + 4 °C ?
11 heures – 12 h 30, auditorium
Adaptation. Le mot a fait irruption dans l’espace pu-
blic, comme le titre accrocheur d’un roman d’antici-
pation, ou d’une série catastrophe à succès. Il ne
s’agit pourtant ni d’une fiction ni du futur. La France
fait face au défi du siècle pour adapter le pays à un ré-
chauffement climatique qui pourrait atteindre 4 de-
grés en 2100 en métropole. Pendant plusieurs mois,
la rédaction du Monde a enquêté sur cette France qui
est déjà en train de muter. De nouvelles espèces d’ar-
bres s’enracinent quand d’autres meurent, des agri-
culteurs changent de modèle, des assureurs transfor-
ment leur activité, des vallées montagneuses s’inter-
rogent sur leur avenir, des îles ultramarines sont me-
nacées de disparition. Nos usines Seveso sont-elles
prêtes pour les vagues de chaleur et les événements
extrêmes ? Les écoles pourront-elles accueillir les
­enfants pendant les prochaines canicules ? Les jour-
nalistes, les photographes et les infographistes de la
rédaction qui ont participé au projet vous racontent
ce que cette enquête leur a appris de l’état de prépara-
tion du pays au climat de demain.
Avec Nicolas Chapuis, Perrine Mouterde,
Luc Bronner, Aline Leclerc, Eléa Pommiers,
Nathalie Guibert et Francesca Fattori.
Un débat conçu et animé par Nabil Wakim
et Manon Rescan.
La France est-elle devenue
ingouvernable ?
13 h 30 – 15 heures, auditorium
La première moitié de l’année 2023 fut marquée par
une crise sociale spectaculaire déclenchée par une
­réforme des retraites adoptée sans vote à l’Assemblée
nationale. Revenu dans l’arène, Emmanuel Macron a
tourné la page des explosions de colère et de violen-
ces qui ont agité l’Hémicycle et la rue. La politique de
la Ve République est critiquée pour sa verticalité. Con-
séquences : un ressentiment face à la confiscation du
débat démocratique et la polarisation à l’extrême du
débat public. La tripartition de la vie politique déclen-
chée menace-t-elle la paix sociale ? Le procès en mé-
pris pourrait-il avoir des conséquences électorales ?
Avec la participation de : Roland Cayrol, politolo-
gue ; Cynthia Fleury, philosophe ; Raphaël
Llorca, essayiste. Un débat conçu et animé par
Ivanne Trippenbach et Mariama Darame.
Faut-il rendre les œuvres
« convenables » ?
15 h 30 – 17 heures, auditorium
Les Dix petits nègres, l’œuvre culte d’Agatha Christie,
s’intitule désormais Ils étaient dix. Les œuvres de
Roald Dahl, romans pour la jeunesse vendus à plus de
200 millions d’exemplaires, comme Charlie et la cho-
colaterie, vont être allégés de mots jugés blessants :
« gros » est désormais banni pour décrire un person-
nage, « minuscule » devient « petit », une sorcière à
l’apparence de « caissière de supermarché » devient
« scientifique de haut niveau ». Ces modifications, uti-
lisées le plus souvent pour corriger des termes jugés
sexistes ou racistes, touchent la littérature mais con-
cernent d’autres disciplines de l’art. Un metteur en
scène d’opéra a changé la fin de Carmen, de Bizet : l’hé-
roïne n’est plus tuée, c’est elle qui tue, au motif qu’on
« ne peut pas applaudir le meurtre d’une femme ». Il ar-
rive aussi que des photographies ou des tableaux, ju-
gés problématiques, soient écartés d’une exposition
afin d’éviter toute polémique. Pour certains, il s’agit de
censure. Pour d’autres, ce sont de simples aménage-
ments pour s’adapter à une époque qui se veut plus
inclusive, plus respectueuse des minorités et de la di-
versité des groupes sociaux. La liberté de création est-
elle menacée ? L’autocensure, en hausse ? Qu’en est-il
du droit d’auteur, au sens où, dans l’immense majo-
rité des cas, les modifications ne sont pas faites par les
artistes eux-mêmes, mais par leurs ayants droit ?
Avec Mame-Fatou Niang, enseignante de
littérature française à l’université Carnegie Mellon,
Pittsburgh (Pennsylvanie), spécialiste de l’anti­-
racisme en France ; Karine Tuil, écrivaine, lauréate
du prix Interallié et du prix Goncourt des lycéens
pour Les Choses humaines (Gallimard, 2019).
Un débat conçu et animé par Michel Guerrin
et Raphaëlle Rérolle.
Faut-il avoir peur de
l’intelligence artificielle ?
17 h 30 – 19 heures, auditorium
A la fin de 2022, le monde découvre ChatGPT. Cette
intelligence artificielle (IA) est capable de créer des
images et des textes bluffants. Aujourd’hui, son utili-
sation semble omniprésente. Mais entre les appels de
chercheurs craignant que l’IA entraîne l’extinction de
l’humanité, et ceux qui affirment qu’une superintel-
ligence pourrait résoudre presque tous les problè-
mes, il est difficile de s’y retrouver. Comment utilise-
t-on cette IA ? Quels usages en fait-on ? Où en est la re-
cherche ? Comment préparer l’après-ChatGPT ? Quel-
les en sont les limites ? Doit-on fixer des règles ?
Avec Naila Murray, responsable de la recherche
au laboratoire d’intelligence artificielle de Meta
(Facebook, Instagram…) à Paris, pour l’Europe,
l’Afrique et le Moyen-Orient.
Une démonstration des potentiels de l’IA sera aussi
proposée car il est possible, en quelques clics, de com-
poser une musique avec MusicGen, des paroles avec
ChatGPT, une pochette avec Midjourney et un clip
avec RunwayML… Mais la technologie se fait plus in-
quiétante quand elle se met au service de la désinfor-
mation ou des cybercriminels.
Un débat conçu et animé par Alexandre Piquard
et David Larousserie.
Rencontres
… avec les grands reporters
10 h 30 – 11 h 30, parvis
Ils travaillent pendant des mois sur un sujet. Parfois
secrètement. Ils sont en lien avec des sources confi-
dentielles, partent sur le terrain, mènent des enquê-
tes. Les grands reporters sont les plumes qui abreu-
vent le journal de contenus inédits et recherchés.
Avec Ariane Chemin et Philippe Broussard.
… avec « Le Monde des livres »
11 heures – 12 heures, buffet de la gare
La critique littéraire a accompagné le développement
de la presse écrite. Elle est présente dans les colonnes
du Monde depuis sa première parution. Reste qu’elle
tient une place singulière dans l’univers médiatique.
Quels sont les liens entre, d’un côté, la critique litté-
raire comme genre, et le journalisme comme métier,
de l’autre ? Y a-t-il des différences, voire des différends ?
Avec notamment Jean Birnbaum.
Rencontre avec le service Politique, lors de l’édition 2022. CAMILLE MILLERAND pour « Le Monde »
… avec le service Politique
11 h 30 – 12 h 30, parvis
Ils suivent à la trace les partis politiques, font des nuits
blanches lors de chaque élection, doivent faire la part
des choses entre vérité et petits secrets. Les journalis-
tes politiques font l’identité du journal. Comment tra-
vaillent-ils ? Est-il possible de rester neutre ? Quelles
relations entretiennent-ils avec les politiciens ?
Avec notamment Gwennoline Le Cornec
et Jérémy Lamothe.
… avec le service Photo
12 heures – 13 heures, buffet de la gare
Chaque jour, l’actualité doit être mise en images pour
donner à voir autant qu’à comprendre. Des choix
­artistiques et éditoriaux cruciaux pour informer le
lecteur. Comment les ­photos sont-elles choisies ?
Comment illustrer ce qui n’est pas toujours illustré ?
Avec notamment Nicolas Jimenez.
… avec le service Edition
12 heures – 13 heures, foyer de l’auditorium
Ils n’écrivent pas les papiers, leur nom n’apparaît ja-
mais en signature, et pourtant ils interviennent sur
tous les articles pour les mettre en valeur. Ce sont les
journalistes éditeurs. Leur rôle : vérifier les informa-
tions, enrichir les papiers et les titrer. Ils font aussi en
sorte que le journal soit bouclé à l’heure et que les ar-
ticles soient mis en ligne dans le bon tempo.
Avec notamment Pauline Jallon
et Ludovic Barth.
… avec la rubrique Justice
13 h 30 – 14 h 30, café de la presse
Les procès sont aussi une fenêtre d’observation sur
la société et ses tensions, ce qu’elle tolère ou ne to-
lère plus. ­Intimité, débats, enjeux politiques, écono-
miques, écologiques, sociaux, culturels… Tout vient
débattre dans les salles d’audience.
Avec Pascale Robert-Diard.
… avec les éditorialistes
13 h 30 – 14 h 30, foyer de l’auditorium
Chaque jour, Le Monde prend position sur un fait
d’actualité dans le cadre de son éditorial. Comment
0123
­­Mardi 5­ septembre 2023
le sujet est-il choisi ? Comment s’élabore la prise de
position défendue ? Pourquoi n’est-il pas signé ?
Avec notamment Stéphane Lauer.
… avec le service Culture
14 heures – 15 heures, buffet de la gare
Avec la multiplication des plates-formes numériques,
l’inflation du nombre de festivals, de spectacles, les
sorties de films ou de disques par dizaines chaque
­semaine, l’offre culturelle se développe et prend des
formes diverses, parfois hybrides. Comment s’y retrou-
ver ? Comment choisir, faire découvrir des personnali-
tés nouvelles à l’heure de cet hyperchoix ?
Avec Guillaume Fraissard.
… avec le service Planète
14 heures – 15 heures, parvis
Réchauffement climatique, extinction de la biodi-
versité, catastrophes naturelles, rapports alarmistes
du GIEC… Parler de l’environnement est rarement
­signe de bonnes nouvelles. Comment informer sans
plomber le moral des lecteurs ? Comment transmet-
tre de l’information sans être moralisateur ?
Avec notamment Simon Roger.
… avec le service Podcast
14 h 30 – 15 h 30, foyer de l’auditorium
Le Monde a dû, ces dernières années, s’adapter aux
nouveaux formats numériques et développer une
grammaire audiovisuelle : vidéos, « stories », podcasts.
Comment parler actu en audio ? Quelle est la spécifi-
cité du format podcast dans l’écriture et le ton ? Com-
ment travaille-t-on avec les reporters de la rédaction
pour réaliser les épisodes de « L’Heure du Monde » ?
Avec Jean-Guillaume Santi et Adèle Ponticelli.
… avec « M Le magazine
du Monde »
15 heures – 16 heures, buffet de la gare
Le Goût de M, Le Goût du Monde, M Le magazine du
Monde… Ces dernières années, Le Monde a développé
de nombreux titres pour s’adapter aux attentes des
lecteurs. Comment proposer une offre magazine et
lifestyle quand on est un journal d’actualité ?
Avec notamment Marie-Pierre Lannelongue
et Nicolas Santolaria.
0123
­­Mardi 5­ septembre 2023
En septembre 2022,
la conférence-spectacle
« A la recherche
des canards perdus ».
MARWEN FARHAT POUR « LE MONDE »
… avec la rédaction en chef
du Monde.fr
15 heures – 16 heures, parvis
Le 31 décembre 2022, Emmanuel Macron profite de
ses vœux présidentiels pour annoncer une réforme
des retraites, censée entrer en vigueur à l’été 2023.
Très vite, une mesure centrale s’impose dans le débat
public : le report progressif de l’âge légal de départ à
la retraite de 62 à 64 ans. Mais le projet de réforme va
se heurter à l’opposition d’un mouvement social
massif, renforcé par le parcours chaotique du texte
au Parlement. Comment la rédaction numérique du
journal a-t-elle choisi de couvrir en direct un événe-
ment qui s’est étalé sur près de six mois, ponctué par
quatorze journées de mobilisation nationale ?
Avec Geoffroy Clavel.
… et atelier avec la Correction
15 heures – 17 heures, café de la presse
Ça fait des fautes, un journaliste ? Eh oui ! Tout le
monde fait des fautes. Même les plus grands écri-
vains, même les plus grands journalistes. La preuve,
les correcteurs ont toujours existé, dans l’édition
comme dans la presse. Concordance des temps, er-
reurs d’orthographe et de grammaire, coquilles,
ponctuation et typographie sont leur lot quotidien,
avec une bonne pincée de vérification d’informa-
tions (dates, noms, données chiffrées…).
De 15 heures à 16 heures, des correcteurs feront dé-
couvrir ce métier de l’ombre. Après cette rencontre,
de 16 heures à 17 heures, ce sera au public de jouer !
Celui-ci sera invité à participer à la correction de la
« une » du jour.
Muriel Gilbert et Luc Le Digabel, correcteurs du
journal, seront là pour guider les participants de cet
atelier (déjà complet) et leur livrer tous leurs secrets.
Ne pas oublier son stylo rouge !
… avec le service Pixels
16 heures – 17 heures, buffet de la gare
Rachat de Twitter par Elon Musk, campagnes de dé-
sinformation menées par la Russie ou des acteurs
privés, succès planétaire de TikTok : plus que jamais,
les réseaux sociaux sont au cœur de nos vies – et de
l’actualité. Protection de la vie privée, modération,
influence, enjeux financiers, influenceurs et usages
des adolescents : le service Pixels ausculte au quoti-
dien ces entreprises ultrapuissantes, et leurs im-
pacts sur la société.
Avec Pauline Croquet et Damien Leloup.
Ateliers
Dans la peau d’un infographiste
10 h 30 – 12 heures, foyer de l’auditorium
Ils racontent le monde en cartes et en infographies.
Guerre, pandémie, migrations… l’actualité s’explique
aussi en dessins. Durant une heure trente, les carto-
graphes du service infographie vous racontent leur
quotidien et vous proposent de participer à la con-
ception de leur prochaine page géopolitique.
Avec Delphine Papin.
La « une » de sa naissance
10 heures – 11 h 30, café de la presse
La documentation du Monde vous propose de revi-
vre les moments historiques de l’actualité à travers
les « unes » du quotidien depuis sa création, en 1944.
Découvrez comment le journal a évolué au fil du
temps. A quel moment la photo a-t-elle fait son appa-
rition ? Comment s’est construite l’identité du
Monde ? Quelles « unes » ont marqué son histoire ? Et
repartez avec la « une » de votre naissance imprimée.
Avec Muriel Godeau et Sophie Dupont.
En 2022, la visite
des locaux du journal
avec Jérôme Fenoglio
CAMILLE MILLERAND pour « Le Monde ».
Les danseuses Laura Bachman
(à g.) et Marion Barbeau,
à voir sur le parvis le dimanche.
Neels Castillon
Dégustation de vins :
bordeaux atypiques en rouge
12 heures – 13 heures, café de la presse
Laure Gasparotto sera accompagnée par des vigne-
rons pour vous proposer des ateliers œnologiques et
partir à la découverte du vignoble du Bordelais. En
partenariat avec les Vins de Bordeaux.
Fresque du climat
15 h 30 – 17 h 30, foyer de l’auditorium
Comprendre les causes et les enjeux du changement
climatique, c’est l’objectif de la Fresque du climat.
Créé en 2015, cet atelier utilise cartes pédagogiques et
discussions collectives pour sensibiliser le public.
Animé par Brigitte Billiard, responsable RSE
du Groupe Le Monde.
Dégustation de vins : boire un
bordeaux dans le bon millésime
17 h 30 – 18 h 30, café de la presse
Quand faut-il déboucher cette bouteille de bordeaux ?
Faut-il, comme le préconisait grand-père, la faire
vieillir vingt ans ? Ou faut-il, faute de place, la boire
dans l’année ? Tout dépend du vin qu’elle renferme.
Aujourd’hui, les vignerons bordelais élaborent des
­cuvées conçues pour être consommées dans leur jeu-
nesse, et d’autres qui nécessitent de la patience avant
d’atteindre le firmament. Décryptage.
Avec Ophélie Neiman.
Parcours
Parcours en famille :
à la découverte des secrets
du Jardin des plantes
11 heures – 12 heures, parvis
Jardin botanique vieux de quatre cents ans et écrin
du Muséum national d’histoire naturelle, le Jardin des
plantes regorge de mystères et de recoins insolites. Du
Le festival du Monde | 7
labyrinthe à la gloriette de Buffon, cachée dans les
hauteurs, aux drôles de statues qui habitent le lieu en
passant par le cèdre du Liban de Jussieu planté en 1734
et qui dépasse les 20 mètres de hauteur, venez décou-
vrir en famille tous les secrets de ce joli jardin.
Point de départ et arrivée : Le Monde. Accessible
aux familles à poussette, gratuit pour les moins
de 16 ans. Avec Tiphaine Thuillier.
Performances
artistiques
Difé Kako, un monde créole
13 heures – 14 heures, parvis
Installée dans le 13e arrondissement, la compagnie
Difé Kako, dirigée depuis vingt-cinq ans par la cho-
régraphe Chantal Loïal, promeut les danses et les
musiques afro-antillaises, notamment à travers le
festival Mois Kreyol, qui se déroule, chaque année,
en métropole, pendant le mois d’octobre.
La fresque participative
d’art urbain, avec Cecilio
13 h 30 – 17 heures, petit parvis
Parce que le 13e est l’arrondissement du street art,
l’art urbain sera à nouveau présent au 9e Festival du
Monde. Et vous serez les artistes ! Cecilio (Cécile
Jaillard), peintre muraliste habituée des pinceaux et
des fresques participatives, vous proposera de réali-
ser pendant deux jours une œuvre collective et évo-
lutive avec la technique du collage. Déchirer, décou-
per, recouvrir, coller, maroufler, repeindre, inscrire…
Tout le matériel sera mis à disposition pour faire un
petit tour du Monde et faire passer des messages.
Tango, démonstration et
initiation, par Tango Young Paris
16 heures – 16 h 30, parvis
Depuis six ans, l’association Tango Young Paris orga-
nise cours de danse, bals, festivals, événements pour
les entreprises dans une volonté d’inclusion de tous
les publics. Danser le tango, c’est aussi s’interroger
sur la place de la personne qui guide et de celle qui
suit, avec en ligne de mire la dynamique de fluidité
des rôles, qui peuvent s’inverser.
« Ne me touchez pas »,
duo de danse
de Laura Bachman
et Marion Barbeau
17 heures – 17h30, parvis
Ne me touchez pas est un spectacle de danse qui
tente de rendre visible le toucher. Rendre visible
son absence. Rendre visible l’énergie entre deux
corps, l’espace qui les sépare ou la force qui les attire
l’un vers l’autre. Explorer le toucher sous toutes ses
formes, à travers son aspect purement physique
autant qu’à travers sa place dans nos cultures, dans
nos sociétés. Pour le festival, les danseuses Laura
Bachman, promesse 2023 du Monde, et Marion
Barbeau, découverte dans le film En corps, réalisé
par Cédric Klapisch, présenteront en exclusivité
des ­extraits du spectacle, un avant-goût de la tour-
née, sans lumières et sans costumes, presque
comme une séance de travail, permettant un
échange avec le public.
Le spectacle Ne me touchez pas commencera
sa tournée à Paris les 16, 17 et 18 novembre
à La Villette avant de poursuivre à travers la France
et de revenir à Paris au Théâtre de la Bastille
les 18, 19 et 20 janvier 2024.
Le bal populaire
du Petit Orchestre parisien
19 h 30 – 23 heures, parvis
Le grand bal populaire du Petit Orchestre parisien,
c’est un mélange entre la boum du collège, la guin-
guette à papa et le concert rock. Un grand bal pour
danser, chanter, se déhancher. Avec ses chanteurs et
ses musiciens, le Petit Orchestre parisien a à son
actif des centaines de bals et de soirées folles. Et il
compte bien allumer le feu. Et voir grandir la flamme
du festival dans vos yeux.
Spectacle
Le journal de guerre
d’Olga et de Sasha
20 h 30 – 22 h 30, auditorium
Pendant un an, M Le magazine du Monde a publié le
journal de bord de deux sœurs ukrainiennes, Olga
et Sasha, respectivement 34 et 32 ans, l’une vivant à
Paris, l’autre à Kiev, ou plus exactement à Kyiv, puis-
que c’est dans cette orthographe qu’elles ont toutes
les deux souhaité écrire le nom de leur capitale. Un
journal qui raconte leur conflit. Intime et politique.
Un texte, à la fois puissant et d’une simplicité pres-
que quotidienne, qui alterne les moments de vie,
de doute, de violence, de poésie et parfois de drôle-
rie absurde. Il raconte également et peut-être sur-
tout l’éveil d’une conscience patriotique et le surgis-
sement d’une identité culturelle longtemps en-
fouie. De cette matière foisonnante a été extrait un
spectacle qui conserve la forme du journal et cher-
che à faire entendre l’impact de l’atrocité de la
guerre sur deux sœurs, qui vivent la même peur,
mais éloignées l’une de l’autre.
Texte d’Olga Kurovska, Sasha Kurovska
et Elisa Mignot (Actes Sud, septembre 2023).
Conception : Marcel Bozonnet,
Grégoire Biseau et Jérôme Castel.
Musique : Jérôme Castel et Olga Kurovska (chant).
Distribution : Macha Isakova et Olena Davy-
denko. Le spectacle sera suivi d’un débat
avec l’équipe du spectacle et en présence
d’Olga et de Sasha Kurovska.
 0123
8 | Le festival du Monde ­­Mardi 5­ septembre 2023

Le parvis, épicentre de l’événement

Fresque
Animations participative

PETIT PARVIS Espace rencontre Espace restauration

avec la rédaction du vendredi midi
et spectacles au dimanche soir

Kiosques partenaires Bar à vins de Bordeaux

et buvette

PARVIS
ACCUEIL NORD
Entrée vers le Café
ACCUEIL SUD de la presse, le Buffet
de la gare Entrée vers
SCÈNE l’Auditorium
et le Foyer
de l’auditorium
Entrée pour les visites
de l’immeuble et
départ des parcours
thématiques

Vers la gare
d’Austerlitz
R*
s PM Point info
ENTRÉE
Vers le métro 6
A ccè E et boutique
R TI
SO

AVENUE PIERRE-MENDÈS-FRANCE

* Personnes à mobilité réduite

Un tour du monde Le mobilier du festival,

des saveurs un modèle de design circulaire
Du 13e arrondissement à l’Argentine en
passant par la Thaïlande et le Bordelais, Confiée au studio 5·5, la scénographie du parvis est une étape de la Paris Design
le festival se met aux goûts du jour Week. L’occasion d’évoquer lors d’un débat la question du réemploi des matériaux

P T
rêts pour un voyage des
papilles ? « Le Monde
passe à table » – rubri-
que et newsletter qui
suit l’actualité de la gastronomie
et du vin – étant devenu un ren-
dez-vous incontournable pour les
lecteurs, le festival a choisi cette
année de célébrer des chefs et des
saveurs d’ici et d’ailleurs, pour un
autre tour du monde.
Il débute tout près, dans le
13e arrondissement, avec un par-
cours gastronomique animé par
Léo Pajon. En vous racontant les
dessous de son métier, notre
journaliste culinaire vous en-
traîne dans le restaurant des Fri-
gos, lieu historique et mystérieux
qui a longtemps servi à la réfrigé-
ration des aliments acheminés
en train. Avant de pénétrer dans
les cuisines du Refugee Food, as-
sociation qui vise à la réinsertion
professionnelle de réfugiés, et de
goûter aux spécialités franco-
brésiliennes d’Alessandra Monta-
gne, la cheffe qui monte, dans ses
restaurants Nosso et Tempero.
De retour sur le parvis du
Monde, voici un joli « food
court », qui, pendant toute la du-
rée du festival, est consacré aux
cuisines de rue. A déguster ? Les
rouleaux de printemps vietna-
miens de Rolls, les falafels savou-
reux des Chefs nomades, les em-
panadas dorées du Clasico argen-
tino ou le poulet croustillant de
Ma cantine thaï.
Pour étancher les soifs, un bar à
vins du Bordelais propose une
(re)découverte de ses rouges,
blancs ou rosés, pour des maria-
ges étonnants et détonants avec
la street food. Des vignerons vous
font déguster leurs nectars, et
l’Ecole du vin de Bordeaux vous
initie à des expériences insolites,
yeux bandés et nez… dans le verre.
Une édition du festival qui met
particulièrement en lumière deux
pays, l’Argentine et la Thaïlande.
Pour une virée en Amérique du
Sud, il y a donc les fameuses em-
panadas à manger avec les doigts,
mais aussi des ateliers de prépara-
tion de la sauce chimichurri, in-
dispensable aux barbecues argen-
tins, ou des dégustations d’alfajo-
res, ces délicieux biscuits fourrés.
Dulce de leche et pad thaï
Pas de cuisine argentine sans
une larme de dulce de leche : le
chef Fernando de Tomaso, à la tête
de Biondi et Blanca, deux restau-
rants argentins (et parisiens) répu-
tés, propose samedi 16 septembre
sa version du fameux dessert typi-
que, tandis que Gustavo Calderon,
du Gaucho argentino, et l’Ecole
française du maté dévoilent tout
le week-end les secrets de la bois-
son emblématique du pays, sym-
bole de partage et de convivialité.
On continue le voyage de l’autre
côté du globe, en Thaïlande, avec
la cheffe Morgane Ramirez, qui,
sur sa chaîne YouTube « Cooking
with Morgane », partage des cen-
taines de recettes asiatiques faci-
les. Samedi 16 et dimanche 17 sep-
tembre, elle concocte devant vous
trois plats typiques thaïlandais, le
pad thaï aux crevettes, le poulet
au curry rouge et le pad thaï végé-
tarien, avant de les faire déguster.
De quoi mettre en appétit, pour fi-
nir le repas chez Ma cantine thaï,
qui sert une cuisine familiale et
savoureuse. Tous les goûts du
monde sont au festival. p
Y. S.-R.
out a commencé lors de
la huitième édition du
Festival du Monde,
en 2022, pour laquelle le
studio 5·5, pionnier du design du-
rable, a conçu et aménagé une
scénographie et un mobilier uni-
ques, sur le parvis du Monde, en
fouillant avec ingéniosité dans
les poubelles de l’imprimerie du
groupe, à Tremblay-en-France.
La collecte fut riche : guirlan-
des multicolores faites des jour-
naux imprimés qui servent à ré-
gler les rotatives, tabourets en
papier moulé pressé dans du plâ-
tre, ­tables et petits kiosques à
base de bobinots (supports en
carton pour les bobines de pa-
pier) et de plaques d’impres-
sion… Autant de créations que
nous avons stockées et qui se-
ront réutilisées, cette année,
pour accueillir le public.
Faire « bouger les lignes »
En 2023, cette scénographie est
l’une des étapes du parcours de la
Paris Design Week (qui a lieu du
7 au 16 septembre). L’équipe de
Claire Renard et de Jean-Sébastien
Blanc, cofondateurs du studio 5·5,
a imaginé sur le parvis une nou-
velle mise en scène plus ouverte
sur la rue, pour abriter tous les
événements en extérieur du festi-
val : rencontres avec la rédaction,
spectacles, performances, dégus-
tations culinaires…
Samedi 16 septembre, les desi-
gners viendront également ra-
conter leur façon de créer de
nouveaux objets, toujours res-
pectueuse de la planète, en pui-
sant dans les ressources disponi-
bles alentour, considérées long-
temps comme des déchets.
Les premiers faits d’armes du
studio 5·5 remontent à 2003 lors-
qu’il s’illustre avec « Réanim. La
médecine des objets », exposition
d’objets récupérés et réhabilités
réalisée en partenariat avec le
­Secours populaire. « Aujourd’hui,
les projets responsables restent
trop souvent à l’état d’embryon, et
il est urgent d’agir, souligne Jean-
Sébastien Blanc. Il est temps de
sortir des concepts utopiques, des
pièces uniques ou des séries limi-
tées, pour enfin donner naissance
à de véritables produits, qui tou-
chent le plus grand nombre, témoi-
gnant de la capacité du design à
construire un monde meilleur. »
Parmi leurs dernières actions
susceptibles de faire « bouger les
lignes » et de proposer des alter-
natives de consommation, leur
mission auprès de l’association
Les Canaux. Fondée en 2017 sous
l’impulsion de la Ville de Paris,
elle agit dans tout le territoire
pour encourager et accompagner
fabricants et éditeurs de meubles
dans l’économie circulaire. De-
puis deux ans, à la demande de
l’association, les 5·5 transmettent
leur savoir-faire aux candidats
hexagonaux sélectionnés dans le
cadre du programme Le Booster
du mobilier circulaire des Ca-
naux, dont Léa Collette-Germier
a la responsabilité.
La jeune femme, qui participera
aussi à la conférence sur le réem-
ploi proposée au festival, assiste
les entreprises pendant dix-huit
mois, de la transformation d’un
déchet en matière première jus-
qu’à la commercialisation de
meubles 100 % réemploi. « Notre
objectif, explique-t-elle, est d’abou-
tir à un mobilier design éco-res-
ponsable produit en série sur le casion de la Paris Design Week,
territoire, à des prix raisonnables dans l’exposition « Faites con-
et en valorisant un maximum de fiance au mobilier upcyclé », du
matières premières secondaires. 7 au 13 septembre au Cercle des
Les 5·5 m’épaulent dans cette tâ- Gobelins (1, place d’Italie, Paris 13e).
che. » Fauteuils en lattes de lit, « Des projets que nous sommes
étagères en lames de plancher ou fiers de voir exister : nous n’encou-
en fer à béton (issu de l’industrie rageons pas de microséries ou des
du bâtiment), lampes faites de pièces collectors, mais une vraie fi-
béquilles : des meubles design, lière économique. C’est chouette :
produits en série à partir de ma- enfin, nous sommes entendus ! »,
tériaux de réemploi, ont déjà vu s’exclament de concert les créa-
le jour ces derniers mois. teurs Jean-Sébastien Blanc et
Claire Renard, qui montreront
Un tabouret en papier journal aux festivaliers, réunis sous l’ar-
En 2023, dix-sept entreprises che du Monde, les étapes de la fa-
candidates ont été retenues pour brication d’un tabouret à partir de
participer à la troisième édition vieux journaux recyclés. p
de ce programme innovant, qui véronique Lorelle
met le mobilier en économie
­circulaire au cœur des préoccu- « Paris Design Week x “Le
pations. « Petites ou grandes, Monde” : le réemploi est-il
­elles ressentent une vraie néces- l’avenir du design », samedi
sité de changer leur façon de 16 septembre, à 14 heures,
faire, mais ne savent pas quel sur le parvis, en accès libre.
­chemin emprunter, ce pour quoi « Les 5·5 refont “Le Monde”…
nous les guidons », indique Léa et un tabouret », samedi
Collette-Germier. 16 septembre, 15 heures,
Trois projets, déjà au stade de démonstration sur le petit
prototypes, seront dévoilés à l’oc- parvis, en accès libre.
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