Vous êtes sur la page 1sur 4

CE, 26 mars 2009, Commune de Saint-Denis, A

Ceci est une proposition de corrigé complet. Vous trouverez en italique et entre crochets les éléments de
méthodologie qui n’ont pas besoin de figurer dans votre devoir mais qui vous permettent de suivre le
raisonnement.

[Introduction]

[Accroche/ partie optionnelle] Si la question de l’articulation entre les pouvoirs de police administrative du
maire au niveau local et les pouvoirs de police administratif exercé au niveau national n’est pas nouvelle,
comme en témoigne le premier arrêt fiché en la matière rendu en 1902 (CE, 1902, Commune de Néris-les-
Bains), elle se pose avec acuité depuis une dizaine d’années. De nombreuses affaires ont ainsi pu faire
l’actualité récente sur l’articulation des pouvoirs entre niveau local et national, comme la compétence du
maire en matière d’épandage de produits phytosanitaires ou en matière de mesures liées à la prévention de
la COVID-19. L’arrêt commenté s’inscrit dans ce contexte.

[Présentation de l’arrêt/fiche d’arrêt]

[Faits et procédure]
Le maire de la commune de Saint-Denis a adopté, le 14 septembre 2006, une mesure de police
administrative générale interdisant l’installation d’antennes de téléphonie mobile autour des établissements
recevant des enfants ou des personnes âgées. Trois opérateurs de téléphonie mobile ont demandé au tribunal
administratif de Cergy-Pontoise d’annuler cet arrêté, demande à laquelle le tribunal a fait droit. La Cour
administratif d’appel de Versailles a ensuite rejeté l’appel de la ommune, qui se pourvoit en cassation dans
l’arrêt commenté.

[Question de droit] La question de droit posée au Conseil d’Etat est alors la suivante : alors même qu’il
existe une police administrative spéciale au niveau étatique, le maire, autorité de police administrative
générale, est-il compétent pour réglementer l’implantation des antennes relais au niveau local ? Dans la
négative, l’invocation du principe de précaution permet-elle de déroger aux règles de compétence ?

[Solution] Le Conseil d’Etat va rejeter l’appel de la commune de Saint-Denis et retenir la compétence


exclusive de la police administrative spéciale au niveau étatique au niveau local, à laquelle le principe de
précaution ne permet pas de déroger.

[Portée et formulation de la problématique.] Or, depuis l’arrêt Société des Films Lutetia (CE, 1959), le
Conseil d’Etat juge qu’il est loisible à une autorité de police générale de compléter les mesures de police
spéciale lorsque cela est justifié par des circonstances locales. Ainsi, dans quelle mesure cette décision
renouvelle-t-elle la jurisprudence relative à la combinaison des autorités de police administrative ?

[Annonce du plan] Cet arrêt constitue une application classique de la jurisprudence relative l’affirmation
de la primauté de la police administrative spéciale sur la police administrative générale, appliquée à la
police de l’implantation des antennes-relais (I). En outre, en ne laissant aucune possibilité d’intervention
pour le maire, elle complète la jurisprudence sur les possibilités existant pour l’autorité de police
administrative générale d’agir au niveau local (II).
I. La réaffirmation du principe de primauté de la police administrative spéciale sur la police
administrative générale

Après avoir jugé que le législateur avait entendu créer une police administrative spéciale de l’implantation
des antennes-relais (A), le Conseil d’Etat réaffirme la primauté d’application de cette police (B).

A. L’affirmation de l’existence d’une police administrative spéciale de l’implantation des


antennes-relais

« le législateur a organisé une police spéciale… et à la protection de la santé publique ». [Si les paragraphes
sont numérotés, vous pouvez ici citer le paragraphe]

La police administrative a pour objet de prévenir les atteintes à l’ordre public. Si l’ordre public
général est défini à l’article L. 2212-1 du code général des collectivités territoriales (CGCT) comme l’ordre,
la sécurité et la salubrité publics, de nombreuses polices administratives spéciales visent à protéger des
ordres publics spéciaux, c’est-à-dire des sphères spécifiques de la vie en société. On peut par exemple citer
la police administrative des installations classées pour la protection de l’environnement, la police
administrative du cinéma ou encore la police des jeux d’argent.
Dans cet arrêt, le Conseil d’Etat juge que le législateur a entendu créer une police administrative
spéciale en matière de communication électroniques, dont une des missions est de réglementer et
coordonner « l’implantation sur le territoire national des stations radioélectriques » au nombre desquelles
figurent les antennes-relais. Il estime ainsi qu’il ressort des dispositions du code des postes et des
communications électroniques que le ministre chargé des communications, une autorité administrative
indépendante (ARCEP) et établissement public (ANFR) sont les autorités de police compétentes en la
matière.
Ainsi, le Conseil d’Etat déduit des dispositions législatives l’existence d’une police administrative
spéciale ayant le même objet que la mesure de police administrative générale adoptée par le maire contestée
en l’espèce.

B. L’application de la jurisprudence classique en matière de primauté de la police


administrative spéciale sur la police administrative générale

« celui-ci ne saurait, sans porter atteinte aux pouvoirs de police spéciale conférés aux autorités de l'Etat,
adopter sur le territoire de la commune une réglementation portant sur l'implantation des antennes relais
de téléphonie mobile et destinée à protéger le public contre les effets des ondes émises par ces antennes »

Le Conseil d’Etat juge qu’en matière d’implantation des antennes-relais, les autorités étatiques qui
détiennent les pouvoirs de police spéciale sont, en principe, les seules compétentes pour prendre les mesures
de police relatives à leur implantation.
Il fait pour cela une application classique de la jurisprudence relative à la combinaison des autorités
de police. Pour rappel, en matière de combinaison de police générale, le principe hiérarchique prime et
l’autorité de police nationale prime sur l’autorité locale (CE, 1902, Commune de Néris-les-bains). En outre,
lorsque sont en cause deux autorités de police administrative spéciale, celles-ci sont indépendantes l’une de
l’autre et s’appliquent sans préjudice des mesures prises par l’autre autorité. Surtout, dans le cas similaire
au cas d’espèce, le Conseil d’Etat juge de façon constante que l’autorité de police spéciale a la compétence
de principe dans son domaine d’intervention (voir par exemple CE, 1959, Société des Films Lutetia ; CE,
1953, Société Narbonne).
C’est donc logiquement qu’il a été jugé que l’autorité de principe était l’autorité étatique de police
administrative spéciale. Le Conseil d’Etat justifie en particulier sa décision par le fait que seule cette autorité
dispose d’un niveau d’expertise suffisant et peut assortir ses décisions de garanties destinées veiller à la
protection de la santé publique, en limitant l’exposition du public aux champs électromagnétiques.
Toutefois, le Conseil d’Etat se démarque ici de sa jurisprudence traditionnelle sur la place laissée
à l’autorité de police générale au niveau local.

II. L’absence de possibilité d’intervention du maire en tant qu’autorité de police générale au


niveau local

Le Conseil d’Etat juge que ni ses pouvoirs de police générale (A), ni l’application du principe de
précaution (B) n’habilite le maire à intervenir en matière d’implantation d’antennes-relais.

A. L’exclusion en l’espèce de la possibilité d’intervention de l’autorité de police générale au


niveau local

« le maire ne peut, ni au titre de ses pouvoirs de police générale ni en se fondant sur le principe de
précaution, adopter une réglementation portant sur l'implantation des antennes relais de téléphonie mobile
et destinée à protéger le public contre les effets des ondes émises par ces antennes »

Le Conseil d’Etat juge qu’en matière de police des ondes électromagnétiques, le maire ne peut
adopter de réglementation en complément de l’autorité nationale de police spéciale, sur le fondement des
articles L. 2212-1 et suivants du code général des collectivités territoriales.
Cette jurisprudence peut sembler en contradiction avec la jurisprudence traditionnelle sur la
combinaison entre police administrative spéciale et générale. En effet, depuis l’arrêt Société des films
Lutetia, le Conseil d’Etat admet que l’autorité de police générale au niveau local peut compléter les mesures
de police administrative spéciale afin de préserver l’ordre public général – sécurité, salubrité et tranquilité
– si les circonstances locales le justifient. Or, en l’espèce, le Conseil d’Etat ne mentionne pas de possibilité
d’action du maire fondée sur les circonstances locales et ne lui réserve aucune place.
En réalité, la décision commentée s’inscrit dans un courant jurisprudentiel qui, dans des cas
spécifiques, a interprété des dispositions législatives instaurant des polices administratives spéciales comme
excluant l’intervention des autorités locales (par exemple pour la police de la circulation aérienne, CE,
1930, Compagnie aérienne française). Le Conseil d’Etat justifie cela, dans la décision commentée, par
l’expertise nécessaire en matière de police des communications électroniques.
Cette jurisprudence a été étendue par la suite dans plusieurs cas de concours de police : le Conseil
d’Etat a ainsi exclu l’exercice du pouvoir de police du maire en matière d’utilisation de produits
phytosanitaires (CE, 2020, Commune d’Arcueil) ou en matière de prévention de l’épidémie de COVID-19
(CE, 2021, Commune de Sceaux, Ligue des droits de l’Homme).

B. L’inopérance du principe de précaution pour bouleverser la répartition des compétences


entre autorités de police administrative

« qu'il résulte de ces dispositions que le principe de précaution, s'il est applicable à toute autorité publique
dans ses domaines d'attributions, ne saurait avoir ni pour objet ni pour effet de permettre à une autorité
publique d'excéder son champ de compétence et d'intervenir en dehors de ses domaines d'attributions »

Le maire de la commune de Saint-Denis soutenait qu’il était compétent pour réglementer


l’implantation des antennes-relais sur le territoire de sa commune en se fondant sur le principe de
précaution. Il estimait notamment que les mesures prises au niveau national ne permettent pas de prévenir
les atteintes à la santé publique en raison de l’émission des normes électromagnétiques.
Le principe de précaution, consacré par l’article 5 de la Charte de l’environnement, est un principe
à valeur constitutionnelle (CE, 2006, Commune d’Annecy) qui implique que l’ensemble des autorités
administratives de prendre les mesures nécessaires afin de limiter les impacts potentiels à l’environnement.
Le Conseil d’Etat rappelle dans la décision commentée que ce principe s’applique à toutes les autorités
administratives. Deux ans plus tard, il a été par exemple jugé que le préfet ne pouvait déclarer d’utilité
publique une opération d’expropriation si elle ne respectait pas le principe de précaution (CE, 2013,
Association STOP THT).
En l’espèce, le Conseil d’Etat précise ici que si le principe de précaution s’applique bien à l’autorité
étatique en charge de la police spéciale des communications électroniques. Toutefois, il précise que
l’application de ce principe n’a pas pour objet de remettre en cause la répartition initiale des compétences
entre police spéciale et générale. Ainsi, le maire ne peut pas se fonder sur ce principe pour justifier sa
compétence.

Il résulte ainsi de tout ce qui précède qu’en l’absence de base légale pour fonder la compétence du
maire de la commune de Saint-Denis, celui-ci était incompétent pour adopter l’arrêté contesté, que le
Conseil d’Etat a donc annulé.

Vous aimerez peut-être aussi