Vous êtes sur la page 1sur 14

Version of Record: https://www.sciencedirect.

com/science/article/pii/S235200782030024X
Manuscript_c3a9043e8ff1cd9513a14ecf16537858

Evaluation post-mortem du statut nutritionnel chez un nourrisson par dosage des marqueurs
biochimiques dans le sang et le sérum et criblage des oligo-éléments dans les cheveux.

Postmortem assessment of nutritional status in an infant by biochemistry and screening for trace
elements in hair

Titre court : évaluation post-mortem du statut nutritionnel

Anne-Laure Pélissier-Alicot1,*, Cristian Palmière2, Pascal Kintz3, Marc Augsburger2, Lucile Tuchtan-

Torrents1, Patricia Garcia4, Valérie Baillif-Couniou1, Caroline Sastre1, Marie-Dominique Piercecchi1,

Georges Léonetti1

1
Aix-Marseille Université, APHM, CHU Timone, Service de Médecine Légale, Marseille, France

2
Centre Universitaire Roman de Médecine Légale, Lausanne, Suisse

3
Institut de Médecine Légale, Strasbourg, France

4
Aix-Marseille Université, APHM, CHU La Conception, Unité de Mort Inattendue du Nourrisson,

Marseille, France

*Auteur correspondant
E-mail : apelissier@ap-hm.fr

© 2020 published by Elsevier. This manuscript is made available under the Elsevier user license
https://www.elsevier.com/open-access/userlicense/1.0/
Résumé

L’objectif de cet article est de présenter deux approches, l’une basée sur les analyses biochimiques et
l’autre sur le dosage des oligoéléments dans les cheveux, afin d’explorer le statut nutritionnel
d’enfants pour lesquels une dénutrition est suspectée à l’autopsie. Nous présentons le cas d’une
fillette de 9 mois décédée au domicile. Le corps est transporté à l’Unité de Mort Inattendue du
Nourrisson le jour même (J0) où sont effectués différents prélèvements. Des ecchymoses ayant été
constatées à l’examen du corps, un signalement est effectué et le corps transporté à l’Institut
Médicolégal. L’autopsie effectuée à J1 révèle un traumatisme crânien, cause du décès, et un retard
staturopondéral majeur. Le magistrat ordonne, en plus de l’expertise toxicologique de référence, une
évaluation du statut nutritionnel de l’enfant. Les analyses toxicologiques et biochimiques sont
effectuées à partir des échantillons de sérum prélevé à J0 ainsi que de sang périphérique et de cheveux
prélevés à J1. Les analyses toxicologiques ne révèlent aucune anomalie. Les paramètres biochimiques
dosés dans le sérum (albumine, pré-albumine, urée, créatinine, acide urique) et le sang total (β-
hydroxybutyrate) sont normaux à l’exception d’une élévation de l’acide urique. Le dosage des
oligoéléments dans les cheveux par ICP-MS montre des résultats comparables à ceux obtenus dans
une population de sujets témoins et d’enfants de la même tranche d’âge. L’examen
anatomopathologique ne relève aucune lésion en faveur d’une dénutrition. En conclusion, ces deux
approches ont permis d’éliminer une dénutrition. Bien que peu exploitée, l’approche par criblage des
oligoéléments pourrait s’avérer utile, notamment pour augmenter la fenêtre de détection ou lorsque
les prélèvements nécessaires aux analyses biochimiques ne sont pas disponibles. D’autres études de
cas sont nécessaires pour étayer cette hypothèse.

Mots-clés : dénutrition, biochimie post-mortem, criblage des oligo-éléments


Summary

The aim of this article is to present two complementary approaches, one based on biochemical
investigation and the other on the testing of trace elements in hair, in order to explore the nutritional
status of children for whom denutrition is suspected at autopsy. A 9-months-old girl was found dead
at home. The corpse was transferred to a specialized hospital unit in sudden infant death syndrome at
D0. As the first examination showed ecchymosis, an inquiry has been opened. Autopsy was done (D1)
and revealed a traumatic brain injury, cause of death, and a severe growth retardation. In this context,
the magistrate ordered, in addition to toxicological investigations, to carry out any analysis to evaluate
the nutritional status of the child. Analyses were performed in a serum sample obtained at D0 and in
peripheral blood and hair sampled during the autopsy. All the toxicological investigations were
negative. Biochemical analyses showed an increase of uric acid, while albumin, pre-albumin, urea,
creatinine and β-hydroxybutyrate concentrations were within the normal range. The testing for trace
elements by ICP-MS showed concentrations comparable to those measured in healthy subjects and in
children from the same age group. The pathological examination do not show any lesion in favor of a
denutrition. In conclusion, these two complementary approches allowed to rule out a starvation.
Although little exploited in this indication, the testing for trace elements in hair could be useful,
especially to increase the detection window or when the samples required for biochemical analyzes
are not available. Further case studies are needed to support this hypothesis.

Keywords: starvation, postmortem biochemistry, testing for trace elements in hair


Introduction

La dénutrition est définie comme un état pathologique, lié à un déficit calorique et protéique,
entraînant des conséquences mesurables des fonctions et/ou de la composition corporelle, et associé
à une aggravation du pronostic de certaines pathologies [1]. Fréquente chez le sujet âgé ou en phase
terminale d’une pathologie, cancéreuse notamment, elle est plus rare chez l’enfant. Elle revêt chez ce
dernier un caractère particulier du fait du retentissement sur la croissance staturo-pondérale [2]. La
première année de vie représente d’ailleurs une période à haut risque de dénutrition du fait du
caractère rapide de cette croissance [3]. Même si certaines causes organiques de dénutrition par
défaut d’apport protido-énergétique ou par hypercatabolisme ne peuvent être exclues, ces tableaux
doivent faire rechercher, en particulier dans les pays industrialisés, une maltraitance [2].

En post-mortem, si le diagnostic de dénutrition prolongée est aisé à l’autopsie, où l’on observe une
émaciation extrême avec disparition des boules de Bichat, un retard staturo-pondéral, qui sera
apprécié par rapport aux courbes de croissance de la tranche d’âge, une hypotrophie du tissu adipeux
sous-cutané, une réduction du poids des organes et une involution du thymus et des ganglions
lymphatiques [4], la détermination de son caractère létal et de la cause immédiate du décès, qui est
généralement en lien avec une infection liée à la baisse de l’immunité, une défaillance cardiaque en
sur anémie profonde, une déshydratation, une hypoglycémie ou une hypothermie, doivent faire appel
à des explorations complémentaires [2]. Dans ce cadre, la biochimie post-mortem s’avère être
actuellement la stratégie de choix. Dans la mesure du possible, le bilan biochimique devrait
comprendre (i) le dosage de l’albumine et de la pré-albumine dans le sérum obtenu à partir du
prélèvement fémoral pour documenter une carence protidique, (ii) le dosage du β-hydroxybutyrate
dans le sang total, l’humeur vitrée, et le cas échéant le fluide péricardique, complété par un dosage
sanguin de l’acétone et de l’acétoacétate, afin de rechercher une cétose de jeûne, (iii) le dosage de
l’urée, de la créatinine et de l’acide urique dans le sérum afin de rechercher une déshydratation, (iv)
le dosage du glucose dans l’humeur vitrée, éventuellement complété par un dosage de l’insuline et de
l’hémoglobine glyquée pour rechercher une hypoglycémie sévère, et (v) le dosage des catécholamines
urinaires pour éliminer une hypothermie [5-7].

Une autre approche, basée sur le criblage des oligo-éléments dans les cheveux, pourrait s’avérer
complémentaire. Cette approche a été envisagée pour évaluer le statut nutritionnel des individus ainsi
que leur exposition à d’éventuels contaminants [8]. Si cette approche présente les intérêts habituels
de l’analyse capillaire, notamment la possibilité d’élargir la fenêtre de détection, ainsi que la facilité
d’obtention et de conservation du prélèvement [9], de nombreuses questions subsistent encore,
notamment quant aux valeurs de référence, en particulier chez l’enfant [10]. L’influence de l’âge et du
sexe sur les concentrations des différents oligo-éléments soulève également des interrogations. Selon
Sakai et al. [11], seuls le cuivre et le manganèse présentent des variations liées au sexe. Concernant
l’âge, les auteurs observent une diminution des concentrations en zinc, cuivre et manganèse jusqu’à
l’adolescence suivie d’une aumentation jusqu’à la vingtaine. Llorente Ballesteros et al. [10] ont relevé
des variations liées au sexe pour l’argent, le cuivre, le cadmium, le strontium, le bismuth, le baryum,
et le thallium ; les concentrations en zinc et en cuivre augmenteraient régulièrement jusqu’à
l’adolescence, celles de manganèse augmenteraient jusqu’à l’âge de 10 ans pour chuter ensuite ; les
concentrations des autres éléments présenteraient des profils variables. Selon Ha et al. [12], les
concentrations de tous les oligoéléments augmentent régulièrement jusqu’à 25 ans, avec une
amplitude plus marquée pour le calcium et le magnésium. Ces deux éléments seraient également
significativement plus élevés chez la femme à l’âge adulte.

Dans le cadre du diagnostic de dénutrition, les principaux éléments d’intérêt seraient le cuivre, le zinc,
le manganèse, le chrome et le sélénium [9]. Les auteurs présentent cette double approche appliquée
à un cas de décès d’un nourrisson de 9 mois dans un contexte de maltraitance.

Description du cas

L’enfant X., âgée de 9 mois, est découverte inanimée dans le lit de ses parents. Les secours
constateront le décès à leur arrivée. Le corps est transporté le jour même (J0) au sein de l’Unité de
Mort Inattendue du Nourrisson (UMIN) de l’AP-HM où sont effectués un examen de corps ainsi que
différents prélèvements, dont deux prélèvements de sang veineux fémoral pour bilan bactériologique,
virologique, hématologique, génétique et toxicologique [13]. L’examen de corps montrant des
ecchymoses ainsi qu’un traumatisme crânien, les praticiens de l’UMIN effectuent un signalement au
Procureur de la République. Le corps est alors transféré dans le service de Médecine Légale où une
autopsie est effectuée le lendemain (J1). L’examen externe montrera de nombreuses ecchymoses au
niveau du visage, du tronc et en région pariéto-occipitale gauche, ainsi qu’un retard staturopondéral
sévère, le poids (4,8 kg) et la taille (61 cm) étant très inférieurs au 5ème percentile, alors que les autres
mensurations, notamment le périmètre crânien, sont dans les limites de la normale. L’autopsie
révèlera une fracture complexe par enfoncement pariéto-occipitale gauche ainsi qu’une hémorragie
sous-arachnoïdienne diffuse associée à un hématome sous-dural. Les médecins légistes concluront à
un décès par traumatisme crânien chez un enfant présentant un retard staturo-pondéral majeur. Sont
prélevés lors de l’autopsie un échantillon de sang périphérique ainsi qu’une mèche de cheveux châtain
de 8 cm, orientée. En plus des analyses toxicologiques entrant dans le cadre de l’expertise
toxicologique de référence, l’Ordonnance de Commission d’Expert précise, afin de documenter une
éventuelle malnutrition par défaut de soins, de « procéder à toute analyse permettant d’évaluer
l’existence de carences alimentaires ou d’une dénutrition chez X. ». Les prélèvements effectués à
l’UMIN sont alors récupérés et placés sous scellés. Une expertise anatomopathologique est également
ordonnée.

Matériels et méthodes

Prélèvements

Le sérum obtenu à partir du prélèvement sanguin effectué à l’UMIN à J0 a été récupéré. Un


prélèvement de sang total ainsi qu’un prélèvement de cheveux ont été effectués lors de l’autopsie à
J1. L’humeur vitrée n’a pas été prélevée.

Analyses toxicologiques

Le dosage des alcools a été effectué par chromatographie en phase gazeuse avec injection par espace
de tête et détection par ionisation de flamme après séparation sur colonne capillaire DB-ALC 2
(Agilent®). Les solvants et volatiles ont été recherchés par chromatographie en phase gazeuse couplée
à la spectrométrie de masse avec injection par espace de tête et détection par spectrométrie de masse
sur un ensemble ThermoFocus GC + DSQII (Thermo Scientific®). La teneur en HbCO a été déterminée
dans le sang périphérique par spectrophotométrie sur CO-Oxymètre (ABL80 Flex, Radiometer®). Les
investigations ont été complétées par un double screening de l’échantillon sanguin par
chromatographie en phase liquide après extraction en milieu alcalin, séparation sur colonne en phase
inverse et détection spécifique par spectrophotomètre à barrette de diodes et spectrométrie de masse
en tandem sur un système Xévo TQD® (Waters).

Analyses biochimiques

L’albumine, la pré-albumine, l’urée, la créatinine et l’acide urique ont été dosés dans le sérum sur un
système de chimie intégré Dimension Xpand Plus® (Siemens Healthcare Diagnostic) et le β-
hydroxybutyrate a été dosé par une méthode enzymatique photométrique sur sang total [14]. Le
dosage de l’acétoacétate n’a pas pu être réalisé compte-tenu de la très faible quantité d’échantillon
disponible.

Profilage élémentaire dans les cheveux

La recherche de 15 éléments (manganèse, cuivre, zinc, sélénium, aluminium, strontium, argent, étain,
antimoine, baryum, mercure, thallium, plomb, arsenic, bismuth) a été effectuée dans la mèche de
cheveux prélevée à l’autopsie par une méthode préalablement validée [9]. Brièvement, après
décontamination par de l’acétone, 50,9 mg de cheveux ont été mis à incuber 60 mn à 70°C dans 1 mL
acide nitrique à 65 %. Après dilution au 1/40ème dans une solution de rhodium (standard interne), Triton
X-100, acide nitrique et eau bidistillée, l’échantillon est analysé sur NexION 300 ICP-MS (Perkin Elmer).
La mèche a été analysée sans segmentation. Les concentrations physiologiques ont été établies chez
65 sujets âgés de 4 à 73 ans [9], comparées à celles mesurées chez 45 sujets sains adultes [15] et à
celles mesurées dans un échantillon de filles âgées de 0 à 5 ans issues d’un échantillon de 648 enfants
âgés de 0 à 18 ans [10].

Résultats

Analyses toxicologiques

Le taux d’HbCO est de 1,5 %, soit une valeur physiologique. La recherche des alcools est négative, de
même que la recherche des principes actifs et/ou métabolites de principes actifs de médicaments et
stupéfiants ainsi que celle des solvants et volatiles.

Marqueurs biochimiques

Les résultats détaillés sont présentés dans le tableau 1. La concentration de β-hydroxybutyrate est
physiologique, de même que les concentrations d’albumine, de pré-albumine et d’urée. La créatinine
présente une légère augmentation par rapport aux valeurs normales pour la tranche d’âge. Seule la
concentration d’acide urique est élevée.

Criblage élémentaire

Les résultats détaillés du criblage élémentaire sont présentés dans le tableau 2. Les valeurs mesurées,
en particulier celles du cuivre, du zinc, du manganèse, du chrome et du sélénium, éléments d’intérêt
dans le diagnostic de dénutrition, sont compatibles avec celles obtenues dans la population témoin [9]
et avec celles mesurées dans la population de filles âgées de 0 à 5 ans [10]. Seule la concentration de
baryum est plus élevée que les concentrations obtenues dans la population pédiatrique, mais reste
dans les valeurs mesurées dans la population témoin.

Expertise anatomopathologique

L’expertise anatomopathologique ne révèle aucune lésion hépatique en faveur d’une carence


protidique ou vitaminique. L’existence d’une hémorragie sous-durale, sous-arachnoïdienne et intra-
ventriculaire est confirmée. On note également l’existence d’une dilatation ventriculaire avec abrasion
du corps calleux dont le mécanisme, processus anoxo-ischémique anténatal ou processus carentiel, ne
peut être précisé.

Au total, aucun élément en faveur d’une dénutrition ou d’une déshydratation n’a été retenu à l’issue
des analyses.
Discussion

Les mécanismes conduisant à des tableaux de malnutrition chez l’enfant répondent à deux entités
distinctes. La première, ou carence protido-énergétique, est provoquée par un défaut d’apports, et se
manifeste principalement dans les pays en voie de développement où elle prend le nom de marasme.
Dans les pays industrialisés, cette situation, moins fréquente, s’observe chez les nourrissons en
situation de précarité, victimes de maltraitance, souffrant de troubles du comportement alimentaire,
de dysphagie, ou chez l’adolescent dans le cadre de l’anorexie mentale [1, 2]. La seconde entité
correspond à un hypermétabolisme avec hypercatabolisme. Dans ce cadre, l’augmentation des besoins
protido-énergétiques peut-être provoquée par un sepsis sévère, un polytraumatisme, des brûlures
étendues ou encore une intervention chirurgicale. La dénutrition peut également se manifester lors
de pathologies chroniques, et se rapproche alors du tableau de malnutrition protido-énergétique
œdémateuse de type Kwashiorkor [2]. Le décès chez les enfants présentant une dénutrition sévère
peut être provoqué par une complication infectieuse liée à la baisse de l’immunité, une défaillance
cardiaque liée à une anémie profonde, une déshydratation, une hypokaliémie, une hypothermie ou
encore une hypoglycémie. L’utilisation des marqueurs biochimiques vise à préciser ces différentes
situations [4-7]. Cette approche présente cependant des limites. L’albumine, avec une demi-vie de 21
jours, est essentiellement un marqueur de dénutrition chronique et s’avère plus sensible dans les
dénutritions par hypercatabolisme que dans les dénutritions par carence. Sa diminution n’est pas
spécifique et peut s’observer en cas d’insuffisance hépatique, de malabsorption ou de syndrome
néphrotique. La pré-albumine, avec une demi-vie de 2 jours, est un marqueur plus sensible dans les
cas de dénutrition précoce. Ininterprétable en cas d’inflammation ou d’insuffisance rénale, elle est
augmentée dans certaines carences protidiques pures, ce qui peut égarer le diagnostic. Enfin, comme
pour l’albumine, elle est dosée dans le sérum, milieu souvent impossible à obtenir en post-mortem [4].
L’élévation des corps cétoniques est précoce, dans les 12 à 24 heures suivant l’arrêt de l’alimentation,
dès lors que les acides gras deviennent le principal substrat énergétique de l’organisme [2].
Généralement plus marquée pour le β-hydroxybutyrate que pour l’acétoacétate, elle n’est pas non
plus spécifique des états de carence et peut également être observée en cas d’acidocétose diabétique,
d’acidocétose alcoolique, d’hyperthyroïdie sévère, d’intoxication par les salicylés ou par l’isoniazide
[4]. Le diagnostic différentiel peut alors faire appel au dosage de l’éthanol et/ou de l’éthylglucuronide
dans le sang total, l’urine et l’humeur vitrée pour éliminer une acidocétose alcoolique et à un bilan
toxicologique pour éliminer une intoxication [4-6, 15, 16]. Il est à souligner que la concentration des
corps cétoniques tend à diminuer lors de la phase terminale de la dénutrition [2].
Le dosage des oligo-éléments dans les cheveux est une approche très différente. L’interprétation est
complexe et doit prendre en compte l’absence de corrélation entre le signal mesuré et l’intensité de
la carence éventuelle, les variations endogènes des concentrations mesurées, l’influence de la vitesse
de pousse des cheveux, de leur couleur, de l’âge, du sexe, de la race, et enfin des shampoings utilisés
qui peuvent induire des variations de concentration des éléments d’intérêt en fonction de leur
composition [9]. D’autre part, les valeurs de référence décrites dans la littérature ne sont pas
concordantes pour tous les éléments, et l’influence du sexe et de l’âge demeure mal connue [8-12].
Au-delà du fait que la méthodologie de l’échantillonnage est différente et la taille de l’échantillon
variable entre ces études, les techniques analytiques et la segmentation des cheveux ne sont pas
forcément les mêmes d’une étude à l’autre, rendant la comparaison difficile. Peut enfin se poser le
problème de l’origine géographique de l’échantillon, et, de facto, du rôle des contaminants
atmosphériques dans les résultats de ces dosages [10]. Enfin, chez le jeune enfant, le problème d’une
éventuelle contribution in utero n’a pas non plus été abordé à notre connaissance. Quoi qu’il en soit,
dans le cas présent, les concentrations mesurées chez la victime sont concordantes, notamment pour
les principaux éléments d’intérêt dans la dénutrition, avec celles mesurées dans la population de
référence du laboratoire, mais aussi dans la population pédiatrique de la même tranche d’âge issue
d’une autre zone géographie. L’élévation isolée de la concentration de baryum n’a pas d’explication à
notre connaissance. Ces résultats vont dans le même sens que ceux du bilan biochimique. D’autres
études sont naturellement nécessaires afin de déterminer si l’analyse capillaire présente un intérêt
dans ce contexte, notamment pour élargir la fenêtre de détection ou lorsque les prélèvements
nécessaires à la biochimie ne sont pas disponibles.

Ces analyses doivent bien entendu être confrontées aux résultats des examens
anatomopathologiques. Ces derniers peuvent révéler, chez les sujets présentant une dénutrition
prolongée, une atrophie du corps calleux et des tubercules mamillaires en lien avec une avitaminose
[17]. Des modifications hépatiques à type de stéatose, en lien avec la carence protéique ou
vitaminique, peuvent également être observées [18]. L’examen anatomopathologique s’avère enfin
extrêmement utile pour éliminer une cause organique de dénutrition (malabsorption, cancer etc.) et
préciser le mécanisme létal [4, 18].

Dans ce cas, la présence d’ecchymoses multiples et du traumatisme crânien associés à l’absence de


toute pathologie organique à l’autopsie ont naturellement fait suspecter une dénutrition par carence
d’apport dans un contexte de maltraitance. Cependant, ni les analyses biochimiques ni le criblage des
oligo-éléments n’ont confirmé ce diagnostic, et l’expertise anatomopathologique n’a pas relevé de
lésions spécifiques de dénutrition. La saisie du dossier médical a toutefois permis d’apprendre que
l’enfant avait présenté un retard de croissance intra-utérin ainsi qu’un petit poids de naissance (2 kg)
et une cassure de la courbe de croissance. L’association d’un retard staturopondéral à une
hyperuricémie peut se rencontrer dans certaines pathologies rénales [19], mais cette hypothèse n’a
pas pu être explorée de manière plus approfondie.

En conclusion, les analyses biochimiques et le criblage des oligo-éléments ont montré des résultats
concordants et ont permis d’éliminer le diagnostic de dénutrition chez cet enfant. Bien que peu
exploitée et a priori plutôt destinée à des études épidémiologiques, l’approche par criblage des
oligoéléments pourrait s’avérer utile pour élargir la fenêtre de détection ou lorsque les prélèvements
nécessaires aux analyses biochimiques sont absents. D’autres études de cas sont cependant
nécessaires pour étayer cette hypothèse. Enfin, le diagnostic de dénutrition, qui demeure un
diagnostic d’élimination, doit également prendre en compte les données autopsiques et
anatomopathologiques.

Conflits d’intérêts : aucun


Références

[1] Crenn P. Connaître et traiter la dénutrition en pratique ambulatoire. Nutr Clin Metab
2011;25:183-189.
[2] Abély M. Mécanismes de la dénutrition chez l’enfant et l’adolescent. Arch Pediatr 2005;19:199-
206.
[3] Piloquet H. Evaluation de la dénutrition chez le nourrisson. Arch Pediatr 2014;21:30-31.
[4] Palmiere C, Tettamanti C, Augsburger M, Burkhardt S, Sabatasso S, Lardi C, et al. Postmortem
biochemistry in suspected starvation-induced ketoacidosis. J Forensic Leg Med 2016;42:51-55.
[5] Holstein A, Titze U, Hess C. Postmortem analysis of vitreous humor for detection of antemortem
disorders in glucose metabolism. An old method revisited. Exp Clin Endocrinol Diabetes 2018; doi:
10.1055/a-0752-0028.
[6] Rousseau G, Reynier P, Jousset N, Rougé-Maillart C, Palmiere C. Updated review of postmortem
biochemical exploration of hypothermia with a presentation of standard strategy of sampling and
analyses. Clin Chem Lab Med 2018;56:1819-1827.
[7] Madea B, Ortmann J, Doberentz E. Forensic aspects of starvation. Forensic Sci Med Pathol
2016;12:276-298.
[8] Contiero E, Folin M. Trace elements nutritional status. Use of hair as a diagnostic tool. Biol Trace
Elem Res 1994 ;40 :151-160.
[9] Kintz P. Carences nutritionnelles, oligo-éléments et cheveux. Place de l’ICP-MS. Ann Toxicol Anal
2007;XIX:65-69.
[10] Llorente Ballesteros MT, Navarro Serrano I, Izquierdo Álvarez S. Reference levels of trace elements
in hair samples from children and adolescents in Madrid, Spain. J Trace Elem Med Biol
2017;43:113-120.
[11] Sakai T, Wariishi M, Nishiyama K. Changes in trace elements concentrations in hair of growing
children. Biol Trace Elem Res 2000;77:43-51.
[12] Ha BJ, Lee GY, Cho IH,Park S. Age- and sex-dependence of five major elements in the development
of human scalp hair. Biomater Res 2019. DOI: 10.1186/s40824-019-0179-5
[13] Bajanowski T, Vege A, Byard RW, Krous HF, Arnestad M, Bachs L, et al. Sudden infant death
syndrome (SIDS) – standardised investigations and classification: recommandations. Forensic Sci
Int 2007;165:129-143.
[14] Grabherr S, Widmer C, Iglesias K, Sporkert F, Augburger M, Mangin P, et al. Postmortem
biochemistry performed on vitreous humor after postmortem CT-angiography. Legal Med
2012;14:297-303.
[15] Goullé JP, Mahieu L, Castermant J, Neveu N, Bonneau L, Laine G, et al. Metal and metalloid multi-
elementary ICP-MS validation in whole blood, plasma, urine and hair. Reference values. Forensic
Sci Int 2005;153:39-44.
[16] Palmiere C, Augsburger M. The postmortem diagnosis of alcoholic ketoacidosis. Alcohol Alcohol
2014;49:687-688.
[17] Piercecchi-Marti MD, Pélissier-Alicot AL, Leonetti G, Tervé JP, Cianfarani F, et al. Pellagra: a rare
disease observed in a victim of mental and physical abuse. Am J Forensic Med Pathol 2004;25:342-
344.
[18] Solarino B, Grattagliano I, Catanesi R, Tsokos M. Child starvation and neglect: a report of two fatal
cases. J Forensic Legal Med 2012;19:171-174.
[19] Rhone ET, Carmody JB. Birthweight and serum acid uric in American adolescents. Pediatr Int
2017;59:949-950.
Tableau 1 Résultats des analyses biochimiques

Valeurs normales (pour la tranche d’âge et la


Sérum (J0) Concentration mesurée
méthode utilisée)
Albumine 39 g/L 35 – 52 g/L
Pré-albumine 0,2 g/L 0,1 – 0,2 g/L
Urée 5,4 mmol/L 2,9 – 7,7 mmol/L
Créatinine 97 µmol/L 40 – 90 µmol/L
Acide urique 1014 µmol/L 142 – 339 µmol/L
Sang total (J1) Concentration mesurée Valeurs normales
β-hydroxybutyrate 153 µmol/L 58 - 170 µmol/L
Tableau 2 Résultats du criblage élémentaire.

Elément Concentration Valeurs normales Valeurs normales


mesurée (ng/mg) (ng/mg) en (ng/mg) pour la
population générale tranche d’âge10
9

Manganèse 0,25 0,01 - 0,9 0,208 - 0,410


Cuivre 13,6 8,3 - 112 12,7 - 36,1
Zinc 80 109 - 580 38,7-91,5
Sélénium 0,60 0,18 - 1,3 0,3 - 0,6
Aluminium 21,3 1 - 23,7 20,5 - 55,7
Strontium 1,3 0,6 - 14,4 0,38 - 1,57
Argent 0,65 0,02 - 1,7 0,199 - 0,719
Etain 0,9 0,017 - 2,9 Non disponible
Antimoine Contaminé < 0,063 Non disponible
Baryum 1,6 0,24 - 5,3 0,3 - 0,7
Mercure 0,5 0,044 - 1,74 Non disponible
Thallium < LOQ < 0,002 Non disponible
Plomb 2,1 0,15 - 6,13 0,67 - 2,20
Arsenic < LOQ 0,036 -0,16 < 0,05 - 0,10
Bismuth 0,02 0,001 - 0,07 0,01 - 0,09

Vous aimerez peut-être aussi