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Le Premier ministre nigérien hostile à toute

« chasse aux sorcières »


By Nathalie Prevost - 9 septembre 2023

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PARTAGES
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En présence de plusieurs membres du gouvernement, A s’est prêté, lors d’une
première conférence de presse, dans une salle de la Primature pleine à craquer
à l’exercice très attendu de la conférence de presse. Sobre et policé, il ne s’est
que rarement emporté – contre la Communauté des Etats d’Afrique de l’Ouest
et la France – promettant le changement espéré des populations tout en se
défendant de toute chasse aux sorcières.

Paradoxe de l’histoire, le discret économiste nigérien, qui dirigeait jusqu’à tout


récemment la Banque Africaine de Développement au Tchad, est revenu au
gouvernement de son pays à la demande de la junte qui a renversé le Président
Mohamed Bazoum il y a six semaines alors qu’il l’avait quitté il y a treize ans, à
la faveur d’un autre coup d’Etat, alors qu’il était ministre des Finances du
Président Mamadou Tandja. Lamine Zeine avait fait partie des quelques
ministres détenus plusieurs semaines à l’issue du coup du 18 février 2010.

Ses atouts principaux sont sa proximité avec les Tchadiens, son expertise
technocratique face à une dette de huit millirds d’euros et son appartenance au
MNSD, membre de la coalition gouvernementale de l’ex Président Bazoum. Ce
qui en fait un Premier ministre consesuel

Mais la tension de ces lointains jours est peu de choses comparée à la situation actuelle
du Niger, dans la tempête de sanctions internationales d’une gravité inédite et la fièvre
d’une foule survoltée à laquelle il a rendu hommage. Le Premier ministre a remercié
«nos populations qui se sont massivement mobilisées pour apporter leur soutien au
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gouvernement et au Conseil National pour la Sauvegarde de la Patrie.» «Ces populations J
ne l’ont fait pas pour les beaux yeux du gouvernement et du conseil, elles se sont
mobilisées parce qu’elles sont animées d’un espoir de changement radical», a-t-il estimé,
les invitant à rester mobilisées «dans la paix et dans la non-violence.»

Les trois priorités du gouvernement sur lesquelles Lamine Zeine s’est exprimé dans son
propos liminaire sont la sécurité, la situation financière du pays et la préparation de la
rentrée scolaire, début octobre.

«Le plus important pour nous, c’est la sécurité. Nos forces de défense et de sécurité
travaillent depuis plus d’un mois pour assurer la sécurité du territoire, des personnes,
mais également des biens de ces personnes.»

Se félicitant de la toute récente neutralisation, le 1er septembre, de 10 terroristes, il a


précisé que ces personnes avaient été «libérées armées et sont venus frapper nos
populations.» Le Conseil National pour la Sauvegarde de la Patrie avait déjà, dans un
communiqué, affirmé que l’allié français avait libéré des prisonniers djihadistes sans
préciser pourquoi ni dans quel contexte[1].

«Le gouvernement et le CNSP travaillent à assurer la sécurité du territoire. C’est une


tradition pour l’armée nigérienne. Depuis toujours, nous avons réussi à conserver et
sauvegarder la territorialité de notre pays», a-t-il dit. Il a répondu, sans jamais le citer,
aux accusations du Président français selon lesquelles l’armée nigérienne avait
abandonné le terrain de la lutte contre le terrorisme pour s’emparer du pouvoir : «Cela
n’est pas exact.»

Supprimer du budget les dépenses superfétatoires

En ce qui concerne la situation économique et financière du pays, Lamine Zeine s’est


étendu sur l’endettement du Niger «qui étouffe notre économie.» «Nous sommes
aujourd’hui à un stock de dette estimé à 5200 milliards de francs CFA (8 milliards
d’euros). Il est composé de 3200 milliards de dette extérieure et 2000 milliards de dette
intérieure.» Se souvenant de son bilan au ministère des Finances au coup d’Etat du 18
février 2010, il a précisé qu’à cette époque «le stock de dette extérieure était évalué à
moins de 300 milliards tandis que la dette intérieure était de moins de 2 milliards de
francs.» Du fait de ce ré-endettement, le service de la dette est évalué, a-t-il dit, à 858
milliards de francs CFA par an (environ 1 milliard 300 millions d’euros). «La masse
salariale payée entre janvier et juillet s’établit à 266 milliards. Les ressources internes
mobilisées par les régies financières se situaient fin juillet à 524 milliards», a-t-il
poursuivi. «Les deux mois, fin juillet et août, nous avons par le biais de l’effort de
mobilisation des ressources internes assuré les paiements des salaires de la fonction
publique et des forces de défense et de sécurité.»

Il a ajouté que le ministère des Finances s’était vu confier deux actions urgentes :
l’élaboration d’une loi de finance rectificative «pour intégrer les nouveaux besoins et faire
partir tout ce qui est superfétatoire» et, parallèlement, la préparation de «la loi de
finances 2024». Le deuxième chantier concerne «un programme de résilience pour la
sauvegarde de la patrie.» Ce programme «va intégrer tous les besoins des Nigériens
pour que nous puissions ensemble sortir de cette situation en tenant compte de
l’embargo qui vous le savez est injuste, illégal, inhumain, inacceptable.»
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Le Premier ministre a enfin affirmé que toutes les dispositions étaient prises pour assurer
une très bonne rentrée, dans moins d’un mois, aux niveaux supérieur, secondaire et
universitaire. Les deux ministres en charge de l’Education et de l’Enseignement supérieur
ne sont pas des politiques mais des personnalités respectées dans ce secteur.

Après ce rapide point, Lamine Zeine a répondu à un flot de questions sur tous les sujets.

Sur la dette, dont le montant a semblé le stupéfier lui-même, il a précisé que des
instructions avaient été données «au ministre délégué de faire très rapidement une
évaluation stricte et de procéder à une renégociation de ces dettes.» Il s’est montré
optimiste pour la suite, ajoutant que «si le Niger se mobilise assez pour assurer ses
dépenses de souveraineté, rien ne l’empêchera d’honorer ses engagements vis à vis de
ses partenaires.»

Des sanctions injustes et illégales

En ce qui concerne les pressions intenses de la communauté internationale qui ont


conduit à abattre un arsenal de sanctions très lourdes sur le pays, le ministre s’est
efforcé de démontrer, par un rappel historique, l’injustice de ces sanctions à l’égard d’un
pays, le Niger, qui s’est toujours montré engagé dans l’intégration régionale.

«Dommage que notre grand voisin pays ami, le Nigéria, s’associe à cette entreprise de
démolition», a-t-il dit, déplorant, en particulier, la rupture du contrat
d’approvisionnement de l’électricité «qui date de Diori Hamani», le premier Président du
Niger. «Vous avez coupé l’electricité. Ce n’est pas nous que vous pénalisez. Vous
pénalisez le boutiquier du coin, la femme qui a son petit commerce de poisson, les
pharmacies. Ce n’est pas acceptable. L’approvisionnement en énergie électrique est un
aspect purement commercial entre deux sociétés. C’est un accord commercial que le
Nigéria a foulé du pied.»

Concernant les discussions avec la Communauté des Etats d’Afrique de l’Ouest, il a


évoqué la venue de plusieurs délégations ainsi que l’envoi d’une délégation du Niger.
«Les discussions avancent dans le bon sens et je pense que, très bientôt, cette question
sera résolue.» Il a remercié les efforts de l’Algérie qui a proposé un plan de sortie de
crise pour faire avorter le projet d’intervention militaire de la CEDEAO. Il a également
rappelé que des plaintes avaient été déposées pour contester les sanctions ordonnées
par la CEDEAO et l’UEMOA. Le Mali avait gagné son procès devant la cour de justice de
l’UEMOA contre des sanctions de même nature en 2022. «Le traité de la CEDEAO n’a
nulle part prévu cette batterie de mesures comme celles prises par l’organisation avec la
fermeture des frontières, le gel des avoirs, les embargos sur les médicaments et les
vivres et même une menace d’intervention armée contre un Etat membre.»

L’espoir d’un départ rapide des forces françaises

«Aucun pays au monde n’a été sanctionné comme le nôtre l’a été ces dernières
semaines. Ca ne se justifie pas qu’on empêche un pays de disposer des médicaments.
Ca ne se justifie pas qu’on empêche un pays d’importer de la nourriture pour ses
populations», s’est-il exclamé. «Par un moyen ou par un autre, légaux, nous sommes en
train de mobiliser les ressources pour faire face à ça. Le ministre en charge du
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Commerce a été instruit pour s’assurer de la disponibilité de toutes les denrées J
alimentaires de 1ere nécessité et il est prévu l’opération de vente à prix modéré et dans
les zones où cela s’exige, que la distribution soit gratuite.»

Lamine Zeine a eu des mots contrastés à l’égard de la France, l’un des pays les plus
engagés dans le projet d’intervention militaire, qui refuse de reconnaître les autorités
issues du putsch, réclame le rétablissement du Président Mohamed Bazoum à son poste
et refuse de rapatrier son ambassadeur, déclaré non grata et désormais dépourvu de
statut diplomatique à Niamey.

Evoquant les forces françaises déployées au Niger dans le cadre de la coopération anti-
terroriste, il a rappelé que «le gouvernement avait déjà dénoncé les accords qui leur
permettent d’être sur notre territoire. Elles sont dans une position d’illégalité. Et je pense
que les échanges qui sont en cours devraient permettre très rapidement que ces forces
se retirent de notre pays.»

Paris a reconnu mezzo voce, mercredi, que des mouvements étaient en cours, discutés
entre les deux armées, pour déplacer une partie des hommes et du matériel militaires
français déployés au Niger.

«En ce qui concerne l’ambassadeur, je pense qu’il n’y a rien à faire. Il n’a pas eu le
comportement adéquat en tant que diplomate. Moi-même, j’ai demandé, pour préserver
les relations entre Etats – la France est un pays avec lequel nous avons toujours
développé des relations de coopération – j’ai demandé au ministère des Affaires
étrangères de lui envoyer un message officiel pour l’inviter à venir échanger avec nous,
voir dans quelle mesure on pourrait procéder à un règlement, une désescalade. Il a
refusé de le faire. C’est un comportement de mépris et ce n’est pas acceptable. Donc
toutes les mesures qui doivent être prises envers un diplomate manquant au devoir de
sa charge le sont et nous attendons simplement que ce partenaire non valable quitte
notre pays le plus rapidement possible.»

Faire la lumière sur l’utilisation des ressources publiques

Répondant à des questions pressantes sur les mesures prises par les autorités
concernant les détournements de fonds et la corruption reprochés au régime renversé,
l’une des grandes revendications de la population qui manifeste dans les rues, il a
répondu, là encore, avec modération. «S’agissant des audits, les instructions sont
données, non pas pour faire la chasse aux sorcières, mais pour savoir l’usage qui a été
fait des ressources publiques. Vous pouvez compter sur nous. La justice sera saisie pour
examiner les dossiers des inspections d’Etat, les rapports de la Cour des Comptes et tout
ce qui est en lien avec la gestion des biens publics, tout en acceptant le droit des
personnes concernées d’exercer leurs droits contradictoires.»

Il a salué le prochain retour de Hama Amadou, la personnalité morale de l’opposition, qui


avait été emprisonné lors du scrutin de 2016 et interdit de se présenter, pour cause
d’inéligibilité, en 2021. Hama Amadou a passé l’essentiel des dix dernières années en
exil et en prison. Il a été le Premier ministre de Lamine Zeine dans les années 2000 et ce
dernier a jugé normal qu’il «rentre au pays pour participer à l’effort de mobilisation de
toutes les énergies.»

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Au-delà de Hama, la bête noire du parti rose au pouvoir depuis douze ans, le
gouvernement a été instruit de décrisper la situation en libérant tous les prisonniers
politiques.

Un dialogue inclusif, déjà annoncé par le général Tchiani lors de son allocution publique il
y a quelques semaines, sera organisé pour discuter «de toutes les questions intéressant
la vie de la nation. Il s’agit de refonder notre pays, notre nation et la détermination est
sans faille. Tout le monde prendra part au dialogue.»

Revenant sur le risque d’intervention militaire étrangère, le Premier ministre a mis les
choses au point. «En tant que gouvernement responsable, on s’attend à tout moment à
ce que le pays soit attaqué et c’est ce qui est dommage. Toutes les dispositions sont
prises pour que nous puissions nous défendre. Ce serait une guerre injuste si on décidait
de nous attaquer. Nous sommes en pourparlers pour que la raison soit entendue», a dit
le Premier ministre, précisant que «ces pays qui poussent (en faveur de l’option
militaire) sont 3 ou 4 sur les 15 membres de l’institution communautaire.» «Mais nous
sommes déterminés à nous défendre si jamais il y a une attaque et on ne parle pas au
hasard.»

L’ambassadeur de France n’a pas à rester

Répondant à une question d’un journaliste français sur la situation de l’ambassadeur


Sylvain Itté, il a martelé, un peu plus vif que dans son propos antérieur : « le
gouvernement français peut raconter ce qu’il veut. Ce qui nous intéresse c’est si c’est
possible de maintenir une coopération avec ce pays avec lequel nous avons partagé
énormément de choses. Mais vous ne pouvez pas exiger, une fois qu’on a dit qu’un
ambassadeur qui s’est mal comporté, on lui demande de partir, il n’a pas à rester ici.
C’est chez nous. Vous pensez qu’on va envoyer la police rentrer dans l’ambassade ? Non,
nous sommes respectueux de la réglementation. Nous reconnaissons que c’est un
territoire français. Personne n’ira à l’intérieur. Mais votre ambassadeur s’il sort, c’est une
personne en situation irrégulière. Imaginez qu’un Nigérien se présente à l’aéroport de
Paris sans visa, sans passeport. Vous allez le laisser circuler? On souhaite simplement
que très rapidement la raison prévale, que cette personne se dise qu’elle n’a rien à faire
chez nous.»

Concernant le dialogue engagé avec la CEDEAO, il a expliqué que l’organisation ouest-


africaine avait posé 3 conditions préalables à l’ouverture d’un dialogue. «La 1ere, il
faudrait qu’on fasse preuve d’ouverture et de disponibilité pour que les échanges se
fassent. La 2e, ils voulaient voir l’ancien Président parce qu’en Occident, on a dit que
l’ancien Président est dans une cave, qu’il était malade, etc. Et ils ont posé comme
condition qu’il fallait qu’ils aient accès à lui. Et la 3e condition, il fallait avoir une idée de
la période que prendra la transition. Sur cette question, le chef de l’Etat l’a dit, il
demande aux Nigériens qui vont se retrouver de travailler sur une période qui ne saurait
excéder trois années. Il n’a jamais dit ‘trois ans, il faut faire trois ans’. C’est un plafond
qui a été indiqué et par tradition, on connaît la durée des transitions qui ont eu lieu dans
le pays. A l’intérieur de ça, les Nigériens décideront. Pas quelqu’un d’autre.»

[1] Toutefois, le Président Bazoum ne s’était pas caché de négocier avec les groupes
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armés terroristes, en particulier l’Etat islamique au Sahel, très actif dans la région des J
trois frontières, y compris en libérant certains combattants. On dispose de très peu
d’informations et de données précises sur les détails de ces négociations qui semblent,
cependant, avoir joué un rôle dans la frustration de certains officiers nigériens contre le
régime. .

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