Académique Documents
Professionnel Documents
Culture Documents
chartes
Berger De Xivrey Jules. Documents historiques inédits, tirés des archives de Poitiers.. In: Bibliothèque de l'école des chartes.
1840, tome 1. pp. 225-237;
doi : https://doi.org/10.3406/bec.1840.444247
https://www.persee.fr/doc/bec_0373-6237_1840_num_1_1_444247
DOCUMENTS HISTORIQUES
INÉDITS,
1 Datum pro copia , sub sigillo npud. Pictavis ad conlractus constilulo, pro
domino duce Bituvicensi et Alvergnie , comité Piciavensi , Bolouie et A'vcrguie,
227
ïl est, curieux devoir, au milieu du treizième siècle, le seigneur
de Gençay jouer vis-à-vis de ses vassaux le rôle modeste du Lapin
de la fable.
Les prétentions des moines ne se bornaient pas, en effet, à
l'abolition du double impôt dans les cas précités. Par un autre usage,
ils devaient encore tous les ans à leur seigneur un repas donné à
quatorze personnes de sa maison . On peut supposer qu'à une époque
beaucoup plus ancienne ce repas, établi sans doute en
reconnaissance de quelque service, dut être assez somptueux et assez
agréable pour être considéré comme une fête par les officiers du
seigneur de Gençay, et comme une forte dépense pour les religieux
du prieuré de Gizay. Ceux-ci, voulant très-probablement arriver
par gradation à l'abolition de cette coutume onéreuse,
s'appliquèrent par une suite d'empiétements, qui, s'ajoulant à la tradition, en
étaient à la fin devenus eux-mêmes des coutumes intégrantes,
s'appliquèrent, dis-je, à rendre ce repas à peu près insupportable.
Voici comme ils s'y prirent: les termes de l'engagement
primitif auquel remontait la tradition se bornaient probablement à
l'obligation d'un repas fourni tous les ans par le prieuré à quatorze
personnes de la maison du seigneur ; et c'est dans ces termes généraux
que cette charte, si minutieuse de détails , comme nous le verrons
pius bas dans l'exposé des transactions utiles au prieuré, présente
d'abordl'obligation: « Quoddam prandium annuum coslumale, seu
quamdam comestationem annuam cqslumalem ad quatuordeciin
personas tantummodo de servientibus nostris.» Mais comme la
tradition ne spécifiait pas quand et comment ce repas annuel serait
servi, les religieux, avec le temps , avaient fini par faire passer en
usage de le servir sans sauces, et, ce qui était pire, dans l'hiver (il
est même probable qu'ils n'en choisissaient pas le jour le moins
froid), de plus, toutes les portes ouvertes et sans feu ni paille :
« Sine igné, sinepalea, sine salsa, etapertis ostiis domus, et tempore
hyemali.b Or, lors même que les mets eussentèté abondants et
choisis, il est probable qu'avec de telles conditions les officiers du
seigneur de Gençay durent peu insister pour conserver ce privilège,
D'ailleurs l'abandon de ce repas ne tirait pas à grande
conséquence, en comparaison des avantages très-réels de l'impôt doublé
■
Ce mémoire, approuvé par ces magistrats , dont trois y ont
apposé leurs signatures, offre plusieurs particularités intéressantes ,
dont quelques-unes même se rapportent à l'histoire générale de
la France. Tels sont les articles suivanis :
« Item par l'ordonnance de messeigneurs de la ville , le
« xxixe jour d'aoust, à un chevaucheur qui apporta les lettres
« du Roy, comme Baonne esloit françoys ex s
« Item pour le feu qui fut fait devant Noslre-
« Dame -la -Grant, à cause desd. nouvelles, et
« pour pain et vin, pour ce que l'on fit table ronde
« par l'ordonnance du conseil xlv
« Item pour la despence que Jamet, Gervain et
« moy fîsmes le vie jour de septembre à Lezignen ,
« où nous fusmes parler a monseigneur le maire
« par le commandement de messieurs de la ville xn vi'1
« Item à Jehan de la Fontaine, par le comman-
« dement de monseigneur le maire, pour certai-
« nes leclres qu'il avait fait pour la ville xxvn vi
Nous voyons en effet, dans l'histoire du règne de Charles VII ,
que le comte de Dunois , nommé lieutenant et capitaine général
pour le roi, partit de Tours au mois d'avril 1451, réduisit
entièrement la Guienne, conquête qu'il termina par la prise de Bnyonne ,
230
au mois d'août. Ici le budget de la ville de Poitiers nous conserve
la trace des fêtes qui se célébrèrent dans le royaume à la nouvelle
de ces victoires si éminemment nationales.
Echo fidèle de la situation des peuples dans leurs intérêts comme
dans leurs affections, cette comptabilité municipale nous montre,
après les fêtes du triomphe, les maux alors surtout inséparables de
la guerre.
« Item à Jenin Martin , pour porter leclres au Boy et à monsei-
« gneur du Mayne à Taillebourg, pour faire en aler les gens d'ar-
a mesd'entours Poictiers, qui faisoient merveilleux maux xxx s
« Item à Colin de Senou, pour son cheval qui mena le-
€ dit Jenin pour six jours xv
Bientôt Charles VII, que nous venons délaisser à Taillebourg ,
revient vainqueur dans la ïouraine en passant par ie Poitou. Le
retentissement de sa présence se fait sentir , de plus d'une façon ,
dans nos parties de deniers.
«Item au pr.evost à la crye et autres sergens le xxvie jour de
< novembre, pour faire crier que les vivres n'enchérissent pour la
a venue du Boy in s iv d
« Item à Chaneroche pour porter certaines lettres
« à monseigneur le maire, lequel estoit à Tours de-
€ vers le Boy, etluy baillay auPalays xxvn vi
La ville de Poitiers paraît avoir profité du séjour du roi à Tours
pour solliciter des mesures favorables à ses finances. En effet,
pendant que la cour est dans cette ville, le maire de Poitiers ne la
quitte point, et il y reçoit plusieurs messages.
« Item à Pierre Denys , sergent , pour porter leclres à monsei-
« gneur le seneschal, maistre Estienne Chevalier et à monseigneur
« le maire , à Tours , touchant le fait d'avoir argent sur le double-
« ment et tiercement des fermes xls
Toutefois les Poitevins se gardèrent bien de faire intervenir
l'autorité royale dans leurs démêlés avec l'amiral. Là, on les voit payer
sans contestation l'amende à laquelle ils avaient été condamnés
envers ce grand officier.
« Item ay baillé à Guillaume Bogier pour bailler à maistre
« Jehan Le Gay pour ung deffault en quoy la ville estoit condemp-
« née envers monseigneur l'admirai pour les guelz de cheniche
XXVIIIs VI d
Les autres sommes sont principalement pour l'entretien des
portes de ville, ponts et, chaussées, notamment des ponls Saint-
23!
Ladre et du Rochereuil , qui exigeaient des réparations
très-fréquentes; et ensuite pour les cérémonies publiques, aux grandes
fêtes de la religion. Voici ce qui fut alloué pour ce genre de
dépenses à Pâques de 1552:
«Item à Etienne Brigon, menuisier, pour avoir fait la roue de-
« vant NostreDame x s x (1
« Item à Champdiver pour avoir paint lad.
* roue vin x
« Item à Jehan Lequex, sergier, pour avoir
« demy cent de cire, laquelle fut mise en lad.
« roue vin1 x
« Item à Bertrand Margot pour quatre toy ses
« et demye de pavé qu'il a fait à la Boucherie,
« dessoulz et environ les bancs de la ville xl
« Item pour le disner des sergens le lende-
« main de Pasques xl
« Item pour le disner des coustres de Nos-
« tre-Dame, ledit jour xv
« Item pour porter la chayne au pré Labasse xx
« Item pour deux torches, poysans chascune
« quatre libvres qui furent portées devant Гу-
« mageNostre-Dame, compris xxd que eurent
« deux hommes qui portèrent lesd. torches xxi vni
« Item pour nectoyer les chemins pour aler
« en lad. procession entours lad. ville xxvi vm
Un autre jour, qui n'est pas daté, la ville donna au provincial des
frères-mineurs un repas considérable, à en juger par le détail des
provisions :
« Item fut donné par l'ordonnance de messeigneurs de la ville au
« provincial des frères-mineurs deux chevreaux coustans vin s iv (i,
« une douzaine pouletz et une douzaine pigeons , coustans xvs;
a pour iv oysons xs, et pour un mouton vnis ivd; et pour xx
« potz devin xvis vind; et pour cinquante grans miches vms ivd :
« pour ce, pour toute lad. despence xlvi8 vind »
C'est par tous ces genres de détails que les anciennes chartes
nous fournissent sur la vie de nos pères ces mille notions
particulières qui, par leur comparaison avec les grands événements
contemporains, nous montrent seulement alors ces derniers dans toul
leur jour et avec leur parfaite compréhension.
232
La troisième pièce va nous faire passer de l'administration de la
commune dans les luttes de la chicane. Cette pièce n'est postérieure
à la précédente que de vingt ans. Elle est également en français ,
et datée du 14 juillet 1472. Elle constate :
Les mauvais traitements auxquels Jehan Sigoyn, sergent du roi,
déclare avoir été en butte, de la part des détenteurs d'un champ, en
possession duquel frère André Boulyé, prieur de Monstreuil-Bonnin,
avait été mis par les privilèges royaux de l'université de Poiiiers.
« Pour estre presens à la notification d'icelles, je queray avecques
« moy messire Jacques de Lancières, prebstre, messire Pierre Ri-
« boteau et Georges Nyot. Et ce fait, nous transporlasmes en la
« dicte pièce de terre, où illecques nous trouvasmes Giraudeau
« Dupuys, dit Partion, lequel avoit une arbalesle bandée devant
« luy, qu'il ne desbanda point, Jehan Vouillé qui avoit une arba-
« leste devant soy, non bandée, lequel avoit des traiz et garrotz à sa
« saihture, Mathurin Dupont, ung vouge en sa main, Leturc une
« javeline, Jehan Dutertre ung vouge en sa main, et ung nommé
« Charenton et austres, embaslonnez, ausquels et chascun d'eulx
« je nottilîay et feis assavoir la dicte sauvegarde, et leur feis les inhi-
« bitions et défenses en telz cas appartenantes. Et aussi leur notli-
« fîay et feis assavoir que le diet prieur avoit eu la joyssance ou re-
« créance par la dicte sentence du droit et choses déclarées es dictes
« lettres , et qu'il ne le perturbassent ni empeschassent es diz
« droiz. Et ce pendant sur vindrent illecques Estienne Dupont,
«George Charenton et autres, embastonnez, lesquels dessus diz
« dirent audit messire Jacques de Lancières, qu'il saillist hors du
« dit champt, ou sinon qu'ilz l'en feroient saillir. Et lors le dit de
« Lancières s'en yssit hors du dit champt, et en soy en yssant, l'un
« d'iceulx le bouta d'un vouge ou javeline par le derrière. Et ce
« fait, moy voyant leur malice je m'en yssis du dit champt. Et en
« moy issant, l'un d'iceulx, qu'on dit estre des serviteurs du com-
« mandeur de la Vausseau, me cuida frapper par le derrière, d'un
« vouge ou javeline, et frappa sur ma robbe et la croupe de mon
« cheval. Et m'en alay en chemin du Roy; ouquel chemin survin-
« drent Jacques Charron , frère du dit commandeur, une espée
« sainte et un grand paul au coul, Pierre Caillon, ung espiot en sa
« main, ausquelz d'abundant je noltifiay la dicte sauvegarde et en
f feis lecture. Et après ce, deis audit de Lancières qu'il me escrivist
« les noms et surnoms des dessus diz, ainsi que je les luy nomme-
« roie. Et en iceulx escrivanl, vint Mathelin Dupont qui ousta d'en-
« tře les mains l'escriptoire au dit messire Pierre Ribotleau, et l'un
« des serviteurs dudit commandeur ousta le papier où escrivoit les
« diz noms le dit de Lancières. Lesquelz dessus diz dirent et don-
« nèrent plusieurs paroles el menasses audit prieur présent, et nous
« dirent plusieurs parolles, par quoi ii nous convint de partir d'il-
« lecques. Et ce je certifie à tous... etc. »
II me semble que cet exploit a, si l'on peut dire, quelque chose de
pittoresque. Ces vilains, embàtonnés, armés de leurs vouges et
javelines, soutenus par le frère du commandeur de la Vausseauet
par plusieurs de ses valets; un de ceux-ci arrachant le papier où
écrivait, le prêtre de Lancières, tandis que Mathelin Dupont ôle
récritoire des mains du sieur Ribotleau ; eí. le sergent Sigoyn, en
robe sur son cheval dominant cette scène : le tableau est tout fait,
et certes prêterait a des poses variées et à de curieuses indications-
des habitudes du moyen âge, dans trois ou quatre de ses diverses
conditions sociales : un chevalier el ses valets, un prêtre, un
bourgeois, un sergent du roi, et force vilains.
B. de Xivrkt