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Collection AL-MOUNA

dirigée par Sœur Aïda Yazbeck

Créé en 1986, le centre culturel Al-Mouna de N’Djamena se veut le creuset des


cultures du Tchad. En arabe, Al-Mouna veut dire « désirs, aspirations, souhaits ».
Il a pour objectif de promouvoir, sans distinction d’origines culturelles,
religieuses ou politiques, les relations entre Tchadiens, à travers formations,
dialogues, conférences, séminaires et spectacles. C’est un lieu d’accueil, de
rencontres, d’aide aux groupes voulant se structurer pour préserver leur
héritage culturel, de promotion des artistes tchadiens et d’aide pour leur
professionnalisation, et de promotion d’une culture de la paix. Al-Mouna est
aussi un centre de dialogue inter-religieux, interethnique, et un lieu de
promotion du bilinguisme. Il offre par ailleurs des services multiples :
bibliothèque, éditions et formations (langues, musique, danse et informatique)
et fait la promotion de la culture tchadienne dans toute sa diversité.

Déjà parus

Mariam Mahamat Nour, Aljawhara. Une fille du Sahel tchadien, novembre 2021
Ibrahim Mikail Abakar, L’enseignant veuf. Roman, octobre 2021
Arnaud Dingammadji, La Francophonie au secours de l’Afrique centrale en. crise
(1998-2016), septembre 2021
Ali Abdel-Rhamane Haggar, Tchad : du pouvoir intégral à l’alternance pacifique
ou au déluge… !? Les Chroniques d’un insomniaque, février 2021
Moustapha Abakar Malloumi, L’Etat est la seule ethnie rentable, février 2021
Tchoudiba BOURDJOLBO

Tchad : De la dictature
au populisme autoritaire
Le périple d’un État-nation à
réinventer

Préface du Pr Sergiu Mișcoiu


Du même auteur
• « Peuple moundang du Tchad : Histoire et culture ». Edition Al-mouna,
Ndjamena/Tchad, août 2019, 117 pages ;
• « La Persévérance, un combat pour la réussite », Edition L’Harmattan
Paris, 194 pages, décembre 2021.
• « Le poids de la diplomatie militaire tchadienne au Sahel et dans le
bassin du Lac-Tchad après la chute de Mouammar KADHAFI » dans le
volume “Communication de crise et résolution des conflits en Afrique
francophone, Ed. Maison des Livres scientifiques, Cluj-Napoca, Roumanie,
août 2021, pp. 106-130.
• « Afrique : Évolution politique et développement : le résultat d’un
système à géographie variable » dans le volume “anciens et nouveaux
conflits en Afrique subsaharienne” Studia Europaea“, Roumanie, 2020, pp.
227-250.

© Al-Mouna, 2021
Avenue Charles de Gaulle, rue Baibokoum
N’Djaména-Tchad
mailto:centrealmouna@yahoo.fr
http://www.centrealmouna.org

© L’Harmattan, 2022
5-7, rue de l’École-Polytechnique ; 75005 Paris
http://www.librairieharmattan.com
EAN Epub : 978-2-14-024480-3
Sommaire

Préface
Introduction

Chapitre 1
Inadaptabilité et inefficacité de l’État tchadien depuis
l’indépendance

Chapitre 2
Un processus démocratique sans alternance et de
gouvernance dans la violence

Chapitre 3
Les enjeux et défis de la démocratisation du Tchad

Chapitre 4
Le rôle de l’« ingérence démocratique » dans l’évolution
politique et de la construction de l’État tchadien

Chapitre 5
La géopolitique des conflits inter-tchadiens et leurs sources
lointaines : vers le conflit de demain

Chapitre 6
La corruption en passe de devenir une pratique normale au
Tchad

Chapitre 7
La gestion calamiteuse de la manne pétrolière : l’occasion
d’un développement raté
Chapitre 8
L’essor du populisme tchadien, le début de la révolte contre
la mal-gouvernance

Chapitre 9
Un dialogue réaliste ou un de trop ?

Conclusion

Références bibliographiques
Préface

Quand l’on entend le nom « Tchad », cela fait allusion à


une ancienne colonie française gouvernée successivement
par des régimes militaires à travers une main de fer. Il
demeure aujourd’hui l’un des derniers bastions du « pré-
carré » français et un rempart contre le terrorisme et
l’insécurité en Afrique noire francophone. Paradoxe : le
Tchad est un pays où rien ne semble marcher, pourtant il a
tous les atouts dont un pays a besoin pour fonctionner
normalement. Comment peut-on expliquer cette anomalie ?
L’auteur de cet essai politique pose le décor d’une
situation de crise à travers des points de vue qui touchent
presque tous les problèmes qui minent le processus de
développement et de démocratisation de ce pays d’Afrique
centrale classé parmi les plus pauvres du globe, mais dont
les éloges de son armée retentissent dans toutes les régions
d’Afrique. D’ailleurs c’est à ce niveau que s’articule la
question de l’impact de la coopération franco-tchadienne en
matière de défense et de sécurité sur le processus de la
stabilisation du Tchad, reconnu comme un pays de guerre.
C’est un ouvrage qui traite de la question de l’évolution
politique et de la construction de l’État tchadien depuis son
indépendance jusqu’à nos jours, caractérisée par des
épisodes de crises socio-économique, militaire et politique
prolongées que nous pouvons mieux comprendre à travers
les différentes thématiques abordées par M. Tchoudiba.
L’auteur lève l’équivoque sur la problématique du
développement du Tchad à travers les chapitres de cet
ouvrage riche d’informations et de données scientifiques. La
conclusion qui s’impose d’une manière presque naturelle est
que l’État-nation tchadien est à réinventer.
Zone de prédilection des hommes en treillis, c’est un pays
en crise perpétuelle multiforme qui ne fonctionne jamais en
plein régime comme un pays normal depuis sa fameuse
indépendance octroyée, après laquelle (et comme un
héritage empoisonné) la dictature a été instaurée très tôt
et a survécu à presque toutes les tentatives d’éradication à
travers les différents mouvements de contestation qui ont
eu des effets positifs dans certains pays africains.
Aujourd’hui, le système dictatorial d’hier a seulement
changé de couleur et fonctionne tranquillement sous la
bannière du populisme autoritaire entretenu à coup de
milliards de CFA prélevés des contribuables rongés, eux, par
une pauvreté sans égale.
Les tentatives de refonder un Tchad prospère et
dynamique ont échoué à plusieurs reprises à cause des
facteurs d’ordre interne et externe dont les conséquences
sont visibles. Un pays en panne où règne la guerre, la
pauvreté, la division, la mauvaise gouvernance, la
médiocrité, la corruption, le communautarisme, le
clientélisme, le complotisme, le gabegisme… Des maux qui
sont entretenus et qui profitent à leurs entrepreneurs sans
pour autant que ceux-ci s’inquiètent de la situation
chaotique dans laquelle se trouve le pays.
C’est un ouvrage qui arrive à point nommé pour édifier et
éclairer la nouvelle génération sur les enjeux et défis de la
construction d’un nouvel État-nation, au moment où le
Tchad, ayant vécu trente années sous le carcan de la théorie
de l’homme providentiel et aujourd’hui sous la houlette du
paternalisme présidentiel, organise une énième assise
nationale de la refondation (dialogue national souveraine).
Et tout cela dans un État dont une grande partie de la
population est victime de la mauvaise gouvernance et
appelle de plus en plus à la réorganisation sous la forme
d’une fédération.
In fine, c’est un ouvrage très nourri et documenté sur les
questions d’actualité politique, socio-économique,
géostratégique et géopolitique du Tchad dont nous vous
recommandons vivement la lecture.
Sergiu Mișcoiu
Professeur des universités en science politique
Directeur de thèses aux Universités Babes-Bolyai (Roumanie)
et Paris-Est (France)
Directeur du Centre de Coopérations Internationales de
l’Universités Babes-Bolyai
Introduction

Plus de 60 ans après l’indépendance, la République du


Tchad n’a pas encore trouvé la forme de son État tandis que
ceux qui avaient accédé aux indépendances au même
moment sont dans une phase avancée de la consolidation
de leurs États. Un retard aux conséquences énormes qui
sont ressenties au niveau global entrainant une absence
et/ou faible développement. Aujourd’hui, une grande partie
des Tchadiens revendique le fédéralisme au détriment de la
gestion centralisée de l’État qui est considérée comme une
catastrophe. Mais est-ce que le problème du Tchad se trouve
au niveau de la forme de son État ? Loin de débattre
profondément de cette thématique dans cette analyse, nous
osons croire que ça soit l’un ou l’autre, le plus important est
d’instaurer un État de droit. Au cas contraire la situation ne
pourrait s’améliorer.
Le modèle institutionnel hérité de la colonisation est pour
quelque chose dans cette inadaptabilité du modèle de
gouvernance face à la réalité outre du terrain. Des
décennies plus tard, les objectifs visés pour justifier ce
copier-coller du système de la Ve République française n’ont
pas été atteints. Et aujourd’hui, ce système est dénoncé par
le peuple qui en fait, dans la plupart des cas, le responsable
de la crise socio-économique et politique tchadienne
actuelle. Ce qui constitue l’un des modules des
mouvements de protestations populaires que ce dernier
canalise dessus toutes leurs énergies sans pour autant jeter
le regard sur les autres sources du problème tchadien.
Les conséquences de l’autoritarisme instauré très tôt,
après l’indépendance qui a perduré et vécu sous plusieurs
formes n’ont pas été bien cernées dans le processus de
l’évolution politique et de la construction de l’État tchadien.
Ce fut-il comme voulu par l’ancienne métropole ou propre
aux africains qui sont héritiers des grands royaumes ou
comme un système coopté de l’autre côté du bloc
soviétique ? Tout compte fait, ceux-ci ont eu de répercussion
directe sur l’évolution politique du Tchad qui n’arrive
toujours pas à trouver son propre schéma de gouvernance.
L’imbroglio politique où se trouve plongé le Tchad depuis
son indépendance nous amène à nous interroger
profondément sur les enjeux géostratégiques et le rôle
militaire de ce pays dans la sous-région. Cette place de
choix qui lui confère le rôle d’un acteur principal du
maintien de la paix et de la sécurité dans la sous-région à
cause de sa forte diplomatie militaire peut-elle être
appréhendée comme un atout ou une faiblesse pour son
développement socio-économique et politique ?
Il est aussi important de lever l’équivoque sur le rôle et
l’impact de la coopération franco-tchadienne, surtout en ce
qui concerne le domaine de la défense et de sécurité, sur la
construction du jeune État tchadien. Cela nécessite un
éclaircissement judicieux afin de permettre à la jeune
génération africaine en général et tchadienne en particulier
de saisir les méandres de ces coopérations ambigües qui
attisent les critiques avec des conséquences lourdes sur les
relations entre État, populations et partenaires.
« Le Tchad est le pays d’Afrique qui a connu le plus grand
nombre d’interventions militaires françaises depuis son
indépendance »1. Le point de départ d’une réflexion qui
débouche sur la problématique des enjeux et défis de la
sécurité et de défense dans la construction d’un État, mais
aussi du système de gouvernance qui divise plutôt qu’il ne
construit l’union sacrée. Sans oublier les facteurs internes et
externes qui jouent sur l’évolution politique biaisée par la
volonté de ses dirigeants qui se sont succédé à la tête de ce
pays en crise continuelle.
Le chaos actuel du pays, tributaire de la perpétuation du
régime militaire qui s’était invité très tôt à la tête de l’État
et qui aujourd’hui traverse une turbulence politique un peu
différente. Mais qui s’inscrit dans la même logique de
l’accaparement du pouvoir par une fratrie lève le voile sur le
rôle des hommes en treillis dans la construction de l’État
tchadien. Un rôle qui devrait se limiter au gardien des
valeurs et des institutions de la République et non de s’en
accaparer dangereusement.
Il s’agit de mettre en exergue la responsabilité de ces
acteurs politiques qui ont marqué par leurs empreintes la
construction tumultueuse et dangereuse de l’État tchadien
et le système bancal de la gouvernance. « Nul besoin de
rappeler que l’histoire politique du Tchad, depuis son
indépendance, est une succession ininterrompue de régimes
autoritaires et répressifs, et que la violence a été la voie
royale pour accéder au pouvoir »2 et non l’inverse.
Le pays a raté la parfaite occasion de son décollage
économique ceci à cause de la mauvaise gestion de la
manne pétrolière qui est tributaire du degré alarmant de la
corruption qui gangrène tout le système et qui met en
panne l’appareil de l’État. La corruption semble être
entretenue et constitue par la même occasion un moyen
efficace pour ses entrepreneurs d’atteindre leurs objectifs.
En levant l’équivoque sur ce fléau dans cette analyse, nous
osons contribuer à la recherche de solution pour un
développement socio-économique et politique d’un pays
meurtri par des décennies de guerre civile.
L’on questionne dans ce même cadre d’idée les bases
d’une vraie réconciliation nationale dont les fondements ont
été erronées dès les premières crises politico-militaires qui
avaient émaillé et entaché le processus de la construction
de l’État tchadien et de la recherche d’une paix durable. Les
blessures du passé ne sont pas oubliées, ce qui signifie que
la réconciliation nationale tant chantée dans toutes les
tentatives n’est qu’un leurre. Une barbouze qui cache
réellement la vraie image de la déchirure en question. Au
lieu de faire un examen approfondi de la situation afin de
trouver une solution idoine, certains individus
malintentionnés se livrent à une attitude contraire tendant à
rouvrir les plaies du passé pour des intérêts égoïstes et
malsains.
Chaque année à son lot de problèmes dans un continuum
qui se verrouille de plus en plus, mais l’année 2021 a sonné
tragiquement différente des dernières avec la disparition du
Chef de l’État, Idriss Déby Itno qui venait d’être rehaussé au
rang de Maréchal. Le cortège de problèmes s’est entassé
avec l’interminable mal-gouvernance après cette disparition
qui montre aussi que la bataille pour l’essor du Tchad est
loin d’être gagné malgré les différents efforts fournis et les
promesses de la refondation de l’État. Le plus en vogue est
la tenue d’un dialogue national inclusif porté par le
Président du Conseil National de Transition qui n’est rien
d’autre que le fils de l’ancien président. Entre espoir et
désespoir, le tchadien est débout face à un premier ennemi
qui n’est rien d’autre que lui-même. Optimiste d’un côté et
pessimiste d’un autre, tous sont en train de converger vers
l’idée de laisser une chance à cette énième messe nationale
qui semble être sur la bonne voie. Mais est-ce qu’il sera à la
hauteur de l’attente ?

1 Marielle Debos et Nathaniel Powell, « L’autre pays des « guerres sans fin » »,


Les Temps Modernes n° 693-694, no 2 (15 juin 2017) :) : 221 -66,
https://www.cairn.info/revue-les-temps-modernes-2017-2-page-221.htm.
2 Pape Abdou Ndour, « Penser l’après-Déby, quelle transition politique pour le
Tchad ? », consulté le 18 juillet 2021, https://www.wathi.org/penser-lapres-Déby-
quelle-transition-politique-pour-le-tchad/.
Chapitre 1
Inadaptabilité et inefficacité de l’État
tchadien depuis l’indépendance

La particularité géopolitique du Tchad au centre des


intérêts géostratégiques et géopolitiques
internationaux : Le Tchad, pays enclavé et de contraste
situé au centre de l’Afrique dans un bassin qui porte son
nom est un territoire très vaste de 1 284 000 km², soit deux
fois la superficie de la France. Il est le 20e pays le plus vaste
du monde et le 5e en Afrique.
Limité au nord par la Libye, au sud par la République
centrafricaine, à l’Ouest par le Niger, le Nigeria et le
Cameroun et à l’Est par le Soudan et le Soudan du Sud. Le
Tchad, départ sa situation au centre du continent, lui
confère, depuis les conquêtes de l’Afrique par les
Européens, une position géostratégique très importante qui
permet facilement de relier les différentes régions
africaines, c’est un bloc très important qui attise les regards
croisés des puissances.
Autrefois territoire divisé en royaumes dont les squelettes
demeurent jusqu’aujourd’hui, le Tchad fit, comme les autres
pays africains, l’objet de convoitise et de partage lors de la
Conférence de Berlin de 1884-85, entre la France,
l’Allemagne, la Grande-Bretagne et autres. Tout de même, la
première mention du nom Tchad date de 1800, et ce n’est
qu’en 1823 que les rives du lac Tchad furent atteintes par
les premiers Européens3. Il a fallu attendre 1879 pour
qu’une « commission supérieure du transsaharien » décide
de l’envoi d’une mission en Afrique4.
Protectorat français depuis 1900, c’est le 22 février 1920,
date marquant le début de la colonisation française au
Tchad après la victoire des troupes françaises venues de
plusieurs points stratégiques dirigées par le Commandant
Lamy, contre le conquérant Rabat. Un négrier soudanais qui
leur avait livré de farouches combats lors desquels, le
Commandant Lamy fut tué. C’est dans ce contexte de
domination et de lutte acharnée que les relations entre les
colons et les populations se sont poursuivies jusqu’à
l’indépendance, dans un élan de collaborations entachées
de lourdes irrégularités parmi lesquelles une indépendance
partielle après la participation du Tchad à la Deuxième
Guerre mondiale aux côtés de la France libre. Une
indépendance qui d’ailleurs, était intervenue non pas dans
un cadre de transfert de compétences politico-économiques
préparé et organisé comme il se le devait, mais plutôt dans
une logique de récompense, de gratitude ; ce qui déjà
faussait les bases d’une vraie indépendance.
C’est un pays culturellement et historiquement riche qui,
malheureusement, n’a pas son propre narratif, n’a pas un
mythe de fondation pourtant bourré de valeurs culturelles et
identitaires. Son appellation “Tchad” découle d’ailleurs de la
colonisation comme toute son histoire et celle de ces
différentes nations. Les écrits qui existent et qui sont
enseignés à l’école et dans les universités à ses fils, sont le
fruit des colons. Ecrits à tort ou à raison, les contextes de
leur rédaction ne sauraient s’inscrire dans l’élan d’une
profonde et réelle histoire nationale. N’a-t-on pas souvent
l’habitude de dire que quand l’histoire de la chasse sera
toujours écrite par le seul chasseur, l’on ne connaitra jamais
la vraie histoire du lion.
C’est une histoire à réécrire et un État à réinventer afin
que cette “république bananière” puisse prendre l’élan d’un
pays réellement indépendant et souverain comme l’avait
déclaré le premier président tchadien le jour de la
proclamation de l’indépendance. De là partira le vol du
nouveau Tchad pour que son patrimoine pillé par les colons
puisse lui être restitué. Car nous sommes sans ignorer que
le Tchad demeure l’un des premiers pays d’Afrique
francophone en nombre d’objets culturels et œuvres d’arts
pillés. C’est un vieux débat, mais qui reste d’actualité, car il
symbolise le caractère insupportable de la colonisation dont
la lutte pour les revendications doit s’inscrire dans la durée.
Le lien est fait ici avec l’un des propos de Thomas SANKARA
qui disait que : “l’esclave qui n’est pas capable d’assumer
sa révolte, ne mérite pas que l’on s’apitoie sur son sort”.
Une métaphore qui montre que la liberté ne se donne pas,
elle s’arrache au bout d’une lutte.
La position du pays au centre de l’Afrique lui confère un
rôle stratégique qui était visible depuis l’époque coloniale
en passant par les deux grandes guerres jusqu’à la période
aujourd’hui. Il continue d’ailleurs de jouer un rôle substantiel
dans la lutte contre le terrorisme et le maintien de la
sécurité dans la sous-région. L’un des atouts du Tchad
provient de la capacité de son armée légendaire qui se
démarque depuis la nuit de temps dans les guerres du
désert. Héritier des grands royaumes des périodes d’avant
la colonisation, la plus grande partie des peuples tchadiens
sont dépositaires d’un système de combat bien spécifique
et original aux anciens royaumes qui avaient basés leurs
économies sur les razzias5 et le trafic d’esclavage. « Il s’agit
d’une récupération contemporaine de l’imagerie des
cavaliers du Kanem-Bornou (ancien royaume musulman
médiéval situé au nord du Tchad), adepte de la razzia, dont
l’effet principal est la surprise et la rapidité »6.
De ce poids géostratégique du Tchad, au carrefour des
axes lourds, découlent les enjeux de sa domination et la
problématique de l’approche systémique du contrôle de
l’Afrique par les grandes puissances dont la France. « Le Lac
Tchad, ce point central, est l’objet de tant de convoitises
parce que celui qui le possédera sera le maître de l’intérieur
de l’Afrique »7. Un pays pas seulement grand en superficie,
mais aussi riche en ressources naturelles et humaines,
considéré comme le point de rencontre entre plusieurs
cultures, religions et une mosaïque ethnique de plus de 150
groupes. « La répartition des principaux groupes
linguistiques est la suivante : Sara (30 %), Arabes (15 %),
Mayo-Kebbi (12 %), Kanembou (9 %), Ouaddaï (15 %),
Hadjaraï (8 %), Toubou/Gorane (6 %), Zaghawa (1,5 %) »8. A
cheval entre le Sahara au Nord, le Sahel au centre et la
savane soudanienne au Sud, cette composition ethnique
très riche (à la rencontre de l’Afrique blanche et noire, entre
l’Afrique musulmane et chrétienne) est l’une des causes de
son enchevêtrement dans les séries de guerres
interminables.
Parfois au lieu d’être un facteur de développement, cette
diversité constitue le point d’achoppement qui fait naître
des conflits depuis l’indépendance dans un système de
conflits Nord-Sud qui cristallise la géopolitique interne du
pays. Un système de conflit nourri de tout bord dans une
trajectoire historique par des entrepreneurs politiques,
devenu une source intarissable des conflits qui est vu
comme un grand blocus au processus de développement et
de la démocratisation du pays. Aucun progrès n’est fait dans
le sens de construire un pont entre les différents groupes
ethniques qui constituent les enjeux du développement du
Tchad profond.
Qu’est-ce qui n’a pas marché ? Est-ce le modèle politique
et/ou du développement choisi ou bien les facteurs internes
et externes qui ont bloqué l’émancipation du pays ? Ces
interrogations nous guideront tout au long de cette réflexion
qui se donne pour ambition de lever l’équivoque sur
l’évolution politique, la construction de l’État, le processus
de la démocratisation et de développement du Tchad depuis
son indépendance le 11 août 1960.
Au regard de la trajectoire historique et politique du pays
qui avait sombré très tôt dans la dictature et qui engendra
par la même occasion des conflits et des crises politiques.
Ce qui a occasionné en même temps, la succession des
hommes en treillis à la tête de l’État. Le dernier à l’œuvre a
posé le jalon de la démocratie qui souvent bascule dans
l’autoritarisme et la monarchie. L’héritage d’un pouvoir d’un
père au fils comme dans une dynastie, adoubé par la
confiscation totale du pouvoir sans partage. Il en résulte des
conséquences dont l’impact sur le développement socio-
économique et politique est inédit.
L’après-indépendance a été marquée par l’instauration de
l’autoritarisme comme modèle de gestion étatique. La
situation politique et de développement alarmant actuel du
Tchad, est le résultat d’une part de cette pseudo-
indépendance attribuée et, d’autre part du désordre
politique qui s’était installé avec l’indépendance et qui
continue jusqu’à nos jours avec plus d’emprise. Un mauvais
héritage qui continue d’aliéner les espoirs de tout un peuple
et les efforts de la nation à assumer son autodétermination.
Le Tchad fait partie de la catégorie des pays fragiles,
pauvres et très endettés, classé toujours en dernière
position des pays les plus pauvres au monde en fonction de
l’indice de développement humain. Devenu producteur de
pétrole depuis 2003, l’exploitation de cette manne n’a
pourtant pas su faire sortir le pays du gouffre de la misère
en dépit des espoirs légitimes suscités par la prédiction de
la valeur ajoutée de l’or noir. Un échec qui aujourd’hui
témoigne le degré de la corruption et de la mal
gouvernance qui gangrène ce pays confronté aux enjeux et
défis de la forte croissance de sa population surtout la plus
jeune ; un capital humain qui au lieu de constituer un
facteur de développement comme il se devait dans un État
responsable, constitue plutôt un frein au processus de
développement. Le Tchad fait partie des pays africains qui
aujourd’hui ont la croissance démographique la plus rapide
de tous les continents (2,6 % en croissance annuelle durant
la période 1975-2009, contre 1,7 % pour l’Asie par
exemple)… la population africaine, très jeune (avec 40 % de
moins de 15 ans), est marquée par une forte fécondité (4,6
enfants en moyenne par femme) et une mortalité élevée
(espérance de vie à la naissance de 54 ans)9.
Au vu de ces chiffres qui sont en déséquilibre avec le
niveau de développement, le bilan de plus de 60 ans
d’indépendance reste médiocre et mitigé eu égard à l’élan
de certains pays qui avaient pris le train en marche à la
même période. Au fil des dernières années, malgré
d’énormes moyens financiers disposés grâce au revenu du
pétrole qui était considéré comme suffisante pour remettre
le pays sur le bon rail.
Les politiques menées par l’État tchadien depuis son
indépendance pour la construction de l’État-nation, un
modèle mis en place par les pères des indépendances était
inefficace et inadapté aux besoins réels de développement.
C’était un échec dans son ensemble à cause de manque de
réalisme de ses élites qui n’avaient pas su s’unir autour
d’un unique projet solide qui nécessitait l’union sacrée de
toutes les élites afin de lutter d’une seule voix contre le
néocolonialisme d’une part et les dérives internes orientées
par la recherche de l’intérêt personnel d’autre part. Raison
pour laquelle, quelques jours seulement après la
proclamation de l’indépendance en 1958, le pays avait
sombré dans une crise politique d’envergure liée à la
mésentente entre ses élites. Conséquence, en moins d’un
semestre soit entre le 16 décembre 1958 au 31 mai 1959,
quatre gouvernements se sont succédé à la tête du
gouvernement sans pour autant qu’ils ne puissent arriver à
poser le jalon d’un État dynamique et puissant.
Des épisodes de crises politiques qui ont fragilisé et divisé
le pays. C’est d’ailleurs à cette époque qu’était né le clivage
Nord-Sud et ceci en lien avec les intérêts égoïstes et
mesquins de certaines élites qui avaient manipulé la
population, étant elles-mêmes manipulées de l’extérieur. Ce
mauvais départ avait eu des conséquences politiques très
négatives sur le processus de développement du pays en
laissant la voix libre à l’ancien colon d’exploiter la situation
pour mieux diviser afin de continuer à dominer, tapis dans
l’ombre, le pays.
La puissance coloniale avait réussi à le piéger dans un
système de clivage et un élan de rivalité depuis 1920 avec
l’introduction forcée de la culture du Coton au-dessous du
16e parallèle surtout le Sud du pays. Le choix porté sur cette
culture de coton était supposé financer l’administration
coloniale à cause de ses valeurs marchandes de l’époque et
aussi à cause de sa praticabilité. Par la suite, elle a été
plutôt le catalyseur de la division Nord/Sud. C’est d’ailleurs
à cette période que naquit le terme porteur de division de
“Tchad utile” au détriment du grand Nord considéré comme
improductif, faisait ainsi naître la haine entre ces deux
grandes parties d’un même pays qui dans la norme des
choses devrait bénéficier de mêmes regards si réellement,
l’objectif recherché était le développement.
Rester sans projet de développement, orchestré par
l’administration coloniale, le Nord du Tchad va se voir lésé
d’où l’origine du désordre qui prendra l’allure d’une
vengeance. La première finit, par gagner sur la seconde
dont découlent plusieurs problèmes du Tchad, piégé dans un
cycle infernal de crise. Une zone qui sera délaissée par
l’ancien colon qui, ne voyait aucune importance, à la Libye
de Mouammar Kadhafi qui, avait une idée expansionniste
sur le Nord du Tchad. Ceci à une seule condition que ce
dernier ne traverse pas le 16e parallèle qui était la ligne de
démarcation du “Tchad utile” appelé aussi “Tchad coton”
devenu leur vache à lait.
Le premier président de la République du Tchad, François
N’Garta Tombalbaye pourtant considéré comme l’un des
révolutionnaires africains les plus nationalistes eu égard à
son patriotisme à sa capacité de leader. En instaurant le
monopartisme en 1962, calqué sur le modèle des régimes
autoritaires ainsi que son concept de “Tchaditude”, symbole
de l’authenticité et de l’identité du Tchad à travers la
pratique de l’initiation. La “tradiculturalité” imposée à tous
les membres du gouvernement, issus de différentes
communautés, avait ainsi posé les jalons d’un modèle de
gouvernance raté au plus haut niveau de l’appareil étatique
sous un autoritarisme hybride hérité de la colonisation et du
système de gestion traditionnelle africaine.
En choisissant le chemin du parti unique, le Parti
Progressiste Tchadien (PPT), section du Rassemblement
Démocratique Africain (RDA) d’Houphouët Boigny, le modèle
prisé par les révolutionnaires africains de l’époque, le
président N’Garta avait opté à travers cette politique
d’authenticité à l’enfoncement de la jeune République dans
le cycle infernal de conflits et de mésentente. Une nation
riche de ses diversités culturelles et linguistiques comme le
Tchad n’avait pas besoin à cette étape cruciale et fragile de
la construction de son État, de telle politique teintée de
penchant xénophobe et anti-culturel.
Accompagné d’abus de pouvoir, de marginalisation d’un
groupe au détriment de l’autre qui avait poussé une grande
partie de la population surtout celle du Nord qui subissait les
oppressions, aux révoltes qui vont se solder par de longues
crises politiques et de conflits meurtriers. Cette révolution
culturelle prônée par le premier dirigeant du Tchad, comme
modèle à travers l’authenticité et le retour à la source qui
traduisait l’endoctrinement et le mimétisme aveugle dans
un contexte tchadien avec une telle diversité culturelle avait
fini par poser le jalon d’un échec cuisant.
Les conséquences planent toujours avec des effets très
nuisibles pour la construction d’une unité nationale. Une
erreur monumentale, car le résultat de cette politique du
retour à la source avait fini par créer une crise politique et
des conflits qui ont sapé les vraies bases de la construction
d’un État-nation. D’une manière générale, la politique de
retour aux sources est une bonne chose dans le sens où si
elle est globale et basée sur un certain nombre de critères
où toutes les parties trouvent leur compte sans pour autant
qu’il y ait de frustration et de vandalisme des valeurs
culturelles des autres parties prenantes. Sinon, cela
ressemblerait plutôt à un crime contre l’humanité et cela est
valable aussi pour le régime actuel qui à chaque fois oublie
son rôle de fédérateur et se laisse emporter par le goût de
la vengeance caractérisé par l’état actuel du
communautarisme et du clientélisme au plus haut niveau de
l’État.
La recrudescence au Tchad, des conflits et crises
politiques depuis le matin de l’indépendance témoigne dans
l’ensemble de l’inefficacité et de l’inadaptabilité des
solutions aux crises politiques qui gangrènent le système.
La signature de différents traités et accords de paix n’avait
pas servi à grand-chose dans le règlement des crises
politiques et conflits engendrés par les erreurs de
gouvernance des premiers dirigeants. Des conflits qui
avaient continué avec des coups d’État qui se sont
multipliés jusqu’à dans la décennie 1990. Une période qui
avait vu l’introduction de la démocratie dans les pays à
régime autoritaire suite au soulèvement de masse populaire
comme expression de contestation contre les régimes
autoritaires. Avec plusieurs catalyseurs parmi lesquels, la
chute du mur de Berlin qui marqua le début de la fin de la
bipolarisation du monde. On comprend ici que le problème
politique et de développement de la République du Tchad
prend sa source depuis sa naissance dans les fondements
de son État diagnostiqué comme inefficace et inadaptable
dès le départ. Cela ne veut pas dire que tout a été un échec,
loin de là, mais d’une manière générale, le jalon a été mal
posé, ce qui impacte négativement sur son processus de
développement.
La construction de l’État tchadien est un processus freiné
par les crises politiques, les multiples rébellions et les
guerres civiles. Le premier mouvement de rébellion au
Tchad, le FROLINAT (Front de Libération Nationale) naquit
avec et après les évènements de Mangalmé à Nyala au
Soudan voisin le 22 juin 1966. C’était la conséquence
directe de la politique du premier chef de l’État à travers
son projet de révolution culturelle sous la houlette du
Mouvement Nationale pour la Révolution Culturelle après la
dissolution du PPT en 1973. « Dès 1965, des jacqueries
paysannes au centre du pays ont donné naissance à des
mouvements armés structurés ; la guerre aura duré
plusieurs décennies avec des hauts et des bas, et en
particulier avec les interventions militaires française et
libyenne, l’enjeu principal étant le pouvoir dans la mesure
où toutes les passations se sont faites par les armes »10.
La naissance des mouvements politico-militaires avait
engendré de conflits sanglants avec des crises politiques
sans fin installés depuis 1979. Ils avaient fait beaucoup de
victimes, un chaos économique sans oublier les
déplacements de milliers des Tchadiens vers les pays
voisins notamment au Cameroun, Nigéria, Centrafrique et
autres dont certains ne reviendront jamais.
Depuis le coup d’État du 13 avril 1975 qui a porté le
général Félix Malloum au pouvoir jusqu’à nos jours, la
succession à la tête de l’État tchadien a été souvent réalisée
au prix d’effusion de sang. En effet, les guerres civiles du
12 février 1978 font installer le pays dans un cycle de
violences infernales11. D’un coup d’État à un autre,
l’évolution politique et la construction du pays s’étaient
faites à couteau tiré et à coup d’arme. Des scénarii non
souhaitables pour une jeune nation comme celle-ci, des
évènements qui ont toujours d’impact sur le processus de
développement du Tchad avec un point culminant, le
communautarisme comme l’un des grands facteurs de la
décohésion sociale caractéristique du quotidien. Depuis les
années 60, les clivages Nord/Sud n’ont cessé de s’accentuer
et se sont même amplifiés depuis que le pouvoir central est
entre les mains d’originaires de la région du BET, peu
soucieux d’établir des structures étatiques viables12.
Depuis le premier coup d’État et après ce maudit
évènement qui avait acté la mort du premier président
tchadien le 13 avril 1975 par un autre chef de guerre qui se
hisse à la tête de l’État. Le deuil ne semble pas être clos
jusqu’aujourd’hui, utilisée comme moyen de pression par
certains groupes pour toujours diviser la masse et tirer leur
épingle du jeu. Des acteurs au sein de l’hémicycle tchadien,
semble être un moyen efficace de ségrégation et du
nouveau communautarisme grandissant. Ici, l’hypothèse
selon laquelle certains individus en panne d’idées, utilisent
les brulures de l’histoire pour diviser le peuple déjà à
l’agonie se confirme à travers cette stratégie de diviser pour
mieux régner dans une société profondément en crise. Si les
dirigeants qui se sont succédé à la tête de l’État tchadien
depuis l’indépendance, avaient tous la volonté de construire
un État-nation, le Tchad ne serait pas à ce niveau critique de
son développement. Des progrès et des contre-progrès se
sont succédé et dont le résultat global est un échec.
Des progrès remarquables ont été faits et beaucoup l’ont
remarqué et signalé, mais qui n’ont pas été évolutifs.
D’ailleurs avant les sombres évènements qui ont débuté en
1979 suite à des malentendus qui avaient servi de canevas
pour renouer avec les armes et qui dit long sur l’intention de
certains cadres qui avaient choisi le chemin de la guerre et
non celui du dialogue. Les intérêts personnels ont primé sur
ceux d’un pays victime d’une division communautaire.
« Tout est parti du Lycée Félix Éboué, le 12 février 1979,
lorsqu’un groupe d’élèves nordistes a fait irruption dans une
salle de classe pour demander au professeur d’arrêter les
cours afin de leur permettre de faire passer un communiqué
du CCFAN, le Conseil de commandement des forces armées
du Nord dirigé par Hissein Habré, Premier ministre du
Général Félix Malloum, président de la République à
l’époque »13. Parmi les propos qui témoignent le Tchad que
nous voulons, il y’a celui d’un fervent défenseur de la non-
violence, Ali Abderrahmane Haggar qui avait déclaré qu’« à
l’époque il n’y avait pas des quartiers des sudistes et des
nordistes. On s’éclatait sur les terrains de football au Tchad.
Et aujourd’hui il y a un Tanga sud et un Tanga nord,
métaphore du clivage Nord-Sud dans les sociétés africaines
maintenant à N’Djamena… il va falloir commencer à
redessiner l’aménagement sur la base de l’intérêt
professionnel des gens, des congrégations, etc. Hissein
Habré porte une grande responsabilité dans ce qui est arrivé
dans ce pays »14.
Aux innombrables difficultés qu’avait rencontrées le Tchad
depuis son jeune âge et qui perdurent à nos jours, se trouve
le caractère éphémère des accords de paix ainsi que tous
les mécanismes y afférant. Tout débute pendant et avec le
gouvernement du deuxième président Felix Malloum, une
période pendant laquelle, le pays avait connu sa page la
plus sombre de l’histoire et qui avait attiré l’attention de
certains pays voisins sur le risque de déstabilisation du pays
et qui impacterait aussi les pays voisins. C’était dans ce
contexte de peur qu’un premier accord a été trouvé, moins
impactant et contraignant qu’il était, sous la houlette du
Nigéria et qui avait vu la participation des pays comme la
République centrafricaine, le Soudan, la Lybie… de loin ou
de près. Malheureusement que cette première action dans
la quête de la paix au Tchad à travers l’accord de KANO 1,
du nom de la ville où c’était passé la rencontre, n’avait pas
pu faire long-feu à cause des intérêts divergents et égoïstes
de ses propres fils. Cet accord qui devait marcher a été
piétiné par certains groupes signataires qui par la même
occasion avaient provoqué des échauffourées qui vont
entrainer le pays dans le gouffre et le cycle noir de la guerre
et de la pauvreté. La problématique de cette impasse
politique se focalise sur la répartition des pouvoirs entre les
partisans du président de la République et ceux du Premier
ministre, Hissein Habré15.
On peut affirmer avec aisance en ce qui concerne le Tchad
que presque toutes les cohortes à partir de 1960 avaient
vécu et subi d’une manière ou d’une autre, les atrocités des
guerres civiles, conflits divers entre groupes interposés et
les crises politiques et socio-économiques qui en
découlaient. Cela expliquerait, le quotidien des tchadiens
violentés par des conflits sanglants qui normalement ne
devraient pas avoir lieu. L’exemple le plus élucidant et
pratique est l’accord de KANO 1 qui avait techniquement vu
la naissance du GUNT (Gouvernement d’Union Nationale de
Transition) qui réunissait tous les groupes politico-militaires.
Et au nom de cet accord qui avait tout pour réussir, le
Général Felix Malloum qui avait gouverné le pays entre
(1975-1979), en guise de respect de cet accord, céda
pacifiquement le pouvoir à Goukouni Weddeye après moult
tractations. C’était sans nul doute un geste sans précédent,
symbole de cette quête de paix dont certains, soucieux en
premier, le Chef de l’État qui voulait en découdre une fois
pour toute avec les fantômes de la guerre, mais sans avoir
raison. Un compromis qui n’avait même pas fait une
semaine avant qu’une autre crise politique et militaire
s’éclate entre les politico-militaires.
Le Conseil d’État présidé par Goukouni Weddeye balbutiait
à cause des tiraillements autour du pouvoir de N’Djamena
dont le branle-bas était l’œuvre de ses propres élites qui
avaient mis en place des factions militaires rien que pour
prendre les rênes du pouvoir qui souffrait déjà trop de ce
désordre. Les jeux d’acteurs ont été orientés par égoïsme et
non par la volonté de construire le pays. Pourtant pendant la
même période, les élites des autres pays s’unissaient autour
d’un projet solide de construction de l’État-Nation comme ce
fut le cas en Afrique du nord, de l’ouest et partout ailleurs.
Du président Goukouni Weddeye en passant par Hissein
Habré jusqu’à Idriss Déby Itno, la gestion politique et
administrative du pays se trouvait confisquée entre les
mains d’un clan, celui du président en exercice16.
Entre volonté et égoïsme, tiraillés entre régionalisme et
communautarisme, les dirigeants tchadiens de l’ancienne
génération n’ont pas eu raison sur la force du mal, car ils
avaient failli et n’avaient pas pu mettre fin aux épisodes de
crises politico-militaires dont l’héritage semble se perpétuer
au milieu de la nouvelle génération. Depuis décembre 1990,
date de prise du pouvoir par Idriss Déby, la démocratie a
été proclamée. Le Tchad est donc censé enterrer
définitivement les alternances politiques violentes. Or, plus
que jamais, c’est le retour à la guerre17. C’est aussi sous le
règne d’Idriss Déby que des fractures nouvelles se sont
ouvertes entre les frères tchadiens partagés entre plusieurs
tendances politico-militaires qui entrainent le pays dans une
nouvelle spirale de violence.
La crise de l’État, dès le début des années 60, résulte de
son incapacité à créer un sentiment d’unité, à instaurer la
justice, à garantir la paix et la sécurité intérieure18. Or, ce
Tchad méridional se trouve marginalisé politiquement
depuis le retournement politique de 1979, où des originaires
du Nord (Goukouni Weddeye, Hissein Habré puis Idriss
Déby) s’installent au pouvoir19. On a tendance, depuis ce
changement, de la géopolitique de gouvernance et de pôle
de commandement vers le Nord du pays, d’assister à une
sorte, cette fois-ci, de la marginalisation du Sud au
détriment du Nord. Une situation qui vient une fois encore
compliquer le fragile équilibre entre le Nord et le Sud du
pays. Les politiques de cohésion sociale mise en place par le
gouvernement actuel ne semblent pas faire le poids, elles
ressemblent plutôt à une formalité qui ne dit pas son nom et
entre-temps, un grand fossé accompagné de haine se
creuse entre les filles et les fils du Tchad qui sont victimes
d’une manipulation entretenue.

3 Zakinet Dangbet (2015), Des transhumants entre alliances et conflits, les


Arabes du Batha (Tchad) : 1635-2012, Thèse de doctorat, Aix-Marseille
Université, Institut des Mondes Africains (IMAF, CNRS – UMR 8171, IRD – UMR
243, 470 pages.
4 Ibid., Zakinet Dangbet (2015).
5 Rezzou en Touareg, c’est une méthode développée dans le Sahara et le Sahel
qui consiste en des attaques armes sur les populations nomades axée sur le vol
des troupeaux, le pillage des biens et les captures d’esclaves.
6 Bruce. M. Géopolitique de l’armée : Etude comparée du Tchad, du Rwanda et
de l’Angola, 2016 https://amecas.wordpress.com/2016/07/11/geopolitique-de-
larmee-etude-comparee-du-tchad-du-rwanda-et-de-langola/ consultée le
09/09/2020
7 Adoum Souleymane Abdoulaye, “Tchad : des guerres interminables aux
conséquences incalculables”, Guerres mondiales et conflits contemporains,
2012, pp. 45-55.
8 Doual Mbainaissem, « Conflits au Tchad et au Darfour », Outre-Terre no 17, no
4 (2006) :) : 357 -70, https://www.cairn.info/revue-outre-terre1-2006-4-page-
357.htm?contenu=resume.
9 Nations-Unies, (2009), Démographie et développement en Afrique : éléments
rétrospectifs et prospectifs, An article of the journal Cahiers québécois de
démographie, 2011, p. 331-364
10 Saleh, M. Ibni Oumar Mahamat. « Le Tchad objet d’un double enjeu »,
Nouvelles Fondations, vol. 5, no. 1, 2007, pp. 134-138.
11 Adoum, S. (2012). Tchad : des guerres interminables aux conséquences
incalculables. Guerres mondiales et conflits contemporains, 248 (4), 45-55.
https://doi.org/10.3917/gmcc.248.0045
12 Ibid., Saleh, M. Ibni Oumar Mahamat.
13 Deutsche Welle (www.dw.com « Les séquelles de la guerre civile de 1979
toujours présentes chez les Tchadiens | DW | 12.02.2019 », DW.COM, consulté le
24 avril 2021, https://www.dw.com/fr/les-s%C3%A9quelles-de-la-guerre-civile-de-
1979-toujours-pr%C3%A9sentes-chez-les-tchadiens/a-47483166.
14 Ibid., « Les séquelles de la guerre civile de 1979 toujours présentes chez les
Tchadiens »
15 Ibid., Adoum, S. (2012). Tchad : des guerres interminables aux conséquences
incalculables.
16 Adoum, S. (2012). Op.cit. page. 18.
17 Saleh, M. Ibni Oumar Mahamat. Op.cit. page. 18.
18 Saleh, M. Bini Oumar Maqamat. Op.cit. page. 18.
19 Tulipe, S. (2004). Le bassin tchadien à l’épreuve de l’or noir : Réflexions sur la
« nouvelle donne pétro-politique » en Afrique centrale. Politique africaine, 94 (2),
59-81. https://doi.org/10.3917/polaf.094.0059
Chapitre 2
Un processus démocratique sans
alternance et de gouvernance
dans la violence

À l’évidence, dans son essence profonde et conformément


à ses initiateurs du siècle des Lumières (John Locke, Jean
Jacques Rousseau, Montesquieu), le constitutionnalisme
répond à une idéologie libérale fondée sur la croyance au
droit comme promoteur de l’ordre légitime universel, et de
la Constitution comme limite à l’arbitraire du pouvoir20.
C’est par ce modèle de gouvernance axé sur le système
constitutionnel qu’à l’indépendance le jeune État tchadien,
comme la plupart des États, avait choisi de fonctionner.
Mais le premier régime, après s’être installé, ne respecta
guère les principes de ce modèle constitutionnel qu’il s’était
investi. Le chef d’État s’était accaparé très tôt de toutes les
prérogatives politiques et juridiques. On a assisté très
rapidement à l’installation d’un système paternaliste
caractérisé par l’autoritarisme au détriment du régime
présidentialiste voulu et souhaité comme le symbole d’un
bon héritage. Le rejet de cet héritage libéral s’était poursuivi
par l’entremise d’autres dirigeants qui se sont succédé à la
tête de l’État tchadien, un va-et-vient entre autoritarisme et
démocratie jusqu’à ce qu’à un moment, la dictature finisse
par s’installer longuement et qui découlait des évènements
de 1990.
C’est à cette période que refait surface le mimétisme
démocratique calqué sur le modèle libéral, mais cette fois-ci
avec une touche spécialement africaine dont le résultat
plonge ce processus d’évolution dans un sommeil
démocratique qui se revendique teinté de valeurs africaines
profitables aux dirigeants qui veulent s’éterniser au pouvoir
en brandissant des raisonnements constitutionnellement
infondés. C’est cette léthargie délibérée qui bloque la mise
en place de l’État de droit et de la démocratie libérale qui
sont les conditions sine qua non de développement d’un
pays et de l’émancipation d’un peuple. Le manque de
liberté seul suffit pour mettre en péril le processus de
l’évolution démocratique et en même temps, cela est
profitable à ceux qui l’empêchent de s’épanouir au moment
où sous certains cieux, la démocratie s’épanouit
véritablement parce que les hommes ont décidé de
respecter la Constitution.
Le dysfonctionnement de la démocratie par
l’instrumentalisation de la Constitution qui la détourne de
son objectif résulte des manœuvres des dirigeants qui
veulent s’éterniser au pouvoir, car ayant eu la formule du
tripatouillage de la Constitution à tout bout de champ.
Pourtant, il est clair que la stabilité constitutionnelle impulse
le développement par l’entremise de la bonne gouvernance
ouverte sur l’État de droit et de la démocratie et en même
temps dans un monde en évolution dont les nouveaux
enjeux et défis de gouvernance se font apparaître avec
fracas. Ce qui oblige la modification de la Constitution pour
mieux s’adapter, et ceci selon l’état de l’art et le respect du
droit, mais pas pour des intérêts grotesques qui se
résument à un pur péché d’orgueil et de soif du pouvoir.
Une jeune démocratie comme celle-ci n’a pas besoin de cet
accaparement qui entraine la corruption à s’installer à tous
les niveaux de l’appareil étatique. Dans de telles conditions,
peu importe la capacité intellectuelle des hommes à
travailler pour influer le développement, le résultat reste
mitigé. Face à un système ancré dans la corruption, les
cadres compétents qu’ils auront l’air, ne pourront pas faire
bouger les lignes raison pour laquelle avant d’avoir des
hommes forts, il faut mettre en place avant tout des
institutions fortes. Afin que les deux puissent aller ensemble
dans un mouvement d’équilibre.
C’est bien sûr ce tropisme général de l’accaparement du
pouvoir par un seul individu qui est dénoncé et qui se
traduit à la base par la contestation des élections
irrégulières, mais qui permet quand même à l’intéressé d’en
profiter malgré les crises internes profondes et multiformes.
Ce sont ces différentes crises politiques qui lèvent le voile
sur le régime militaire qui gouverne à la place d’un régime
démocratique de façade. La conférence nationale
souveraine de 1993, censée mettre fin à ce système
militaire a totalement échoué. Le faux point de départ de ce
processus démocratique qui souffre beaucoup plus des
aléas d’une armée clanique qui s’était invitée au rendez-
vous depuis le putsch de 1990 que d’autres facteurs du
recul démocratique que fait face le pays. L’armée qui se
devait d’être neutre dans ce processus de démocratisation
prend parti ou fait partie intégrante du groupe qui a pris en
otage les institutions de l’État depuis l’insurrection dont la
cause a été très salutaire. Par la suite, elle devait jouer son
rôle de gardien des valeurs démocratiques tout en
maintenant une position neutre et en refusant de se rendre
complice de la mal-gouvernance.
Après trois décennies, si la culture de l’alternance
démocratique ne nait pas, cela signifierait clairement que
l’on a opté pour une démocratie trompeuse et néo-
paternaliste. Mais si l’on est conscient des valeurs
démocratiques, l’on doit la cultiver en montrant un bon
exemple dans cette marche vers la démocratisation du pays
de prime à bord.
S. Miscoiu et al (2015) observe en ce qui concerne la
démocratie dans les pays d’Afrique de l’Ouest et Centrale
sous le vocable de néo-présidentialisme qui est : « une
manière spécifique de personnaliser le pouvoir politique qui
combine le messianisme anticolonialiste, incarné par le
leader autochtone fort, avec la rhétorique de la
modernisation et du développement socio-économique de
type intensif-capitaliste ou, autrement dit, une forme à part
de populisme identitaire et d’autoritarisme décisionnel aux
accents modernisateurs »21.
Depuis son indépendance, la construction de l’État-nation
n’a pas été un long fleuve tranquille. Avec l’avènement de la
démocratie en 1990, qui soufflait comme un vent de la
reconstruction, la multiplication des coups d’État parsemés
de conflits et de guerres sanguinaires dans un cycle infernal
d’un éternel recommencement des crises politico-militaires.
Leurs origines lointaines se trouvent dans les années 1960
liées à l’incapacité des élites à s’unir autour d’un vrai et
unique projet de société dont allait naître un État puissant.
Quant aux origines proches, elles se trouvent dans la
gestion du pays depuis l’avènement de la démocratie par un
petit groupe qui s’appuie sur les divisions internes d’une
société décousue. Le risque est très grand aujourd’hui à
cause d’un régime autoritaire qui a trop duré au pouvoir et
qui évidemment active les dangereuses fibres ethniques et
régionales comme aux bons vieux temps pour se maintenir
au pouvoir. C’est très difficile quand un homme dure au
pouvoir avec des méthodes dures. Cela découle dans la
plupart de cas de la passation du pouvoir du père au fils
comme dans une monarchie des siècles passés.
Les attentes et les espoirs qui étaient nés avec le
renversement de l’autoritarisme et l’instauration de la
démocratie vont vite s’éroder à cause d’une transition
démocratique qui n’existait que de nom. Elle n’a pas pu
installer un système démocratie en marche comme dans
certains pays africains qui ont pris le train en marche au
même moment que la République du Tchad. Le fait que
depuis 1990 après la prise de pouvoir par les armes et qui
s’inscrivait dans la suite logique du cercle vicieux de
l’alternance politique par les armes, ne peut pas être
considérée ou appréhendée comme favorable à la transition
démocratique réelle dans le sens où elle n’a pas débouché,
par la suite, sur une alternance démocratique. Mais pire sur
une transmission du pouvoir du père au fils jamais arrivée
dans l’histoire politique du Tchad.
La fragilité de l’évolution démocratique de l’État tchadien
trouve son explication dans cette involution qui caractérise
une démocratie de façade qui permet et profite au régime
en place de jouer avec les normes juridiques qui organisent
le fonctionnement de l’État. Et quand on n’aura pas franchi
cette première étape c’est-à-dire celui du changement de
régime, on ne pourrait pas encore parler de l’évolution de la
démocratie tchadienne. Ce qui veut dire une fois encore de
plus que, depuis toutes ces années après la naissance de la
démocratie, le Tchad est toujours à l’étape première et n’a
pas encore amorcé la phase de la transition démocratique
pendant que les pays qui ont démarré au même moment
sont à un niveau qu’on pourrait qualifier d’un peu stable.
Cela le ramène très loin en arrière comparable à la situation
de certains pays après les indépendances d’où le constat de
la stagnation où de recul démocratique.
Ceci étant, l’on ne pourrait énoncer les avancées de la
démocratie comme le miroite l’actuel régime et sa suite
logique, la junte militaire qui vient de s’installer pour se
dédouaner, mais sans une vraie transition qui demeure
l’indicateur principal qui donne à la démocratie son vrai
sens. L’on ne pourrait concrètement situer le système de la
gouvernance actuelle qui a plus des caractéristiques d’un
régime militaire qu’un régime démocratique dans son
ensemble. On est tenté de justifier l’échec de la
démocratisation par cette largesse de confiance donnée aux
ambassadeurs de la démocratie. Une situation qui
rapidement occasionna l’accaparement du pouvoir par un
groupe armé qui a perdu de vue l’objectif principal d’un
mouvement politico-militaire qui avait vu la participation de
presque toutes les couches sociopolitiques du pays. Une
bravoure qui s’était transformée en un tuyau de
raisonnement pour justifier l’approche de l’homme
providentiel.
La personnalisation du pouvoir a très vite fini par trouver
des supporteurs dans un système où la corruption est
entretenue et sert de canal afin de mettre en place un
réseau et un groupe d’intérêt qui supporte et
développement la théorie de l’homme providentiel. Le déclic
provient aussi de là, car on n’est pas sans savoir qu’on
construit un système fragile dans l’intention de pouvoir
l’exploiter. C’est aussi tout cela qui explique l’incapacité
d’assurer une transition démocratique ajoutée au blocus
érigé contre certaines personnalités politiques considérées
comme des menaces. La disparition du grand homme
politique tchadien Pr. Ibni Oumar Mahamat Salah du parti
PLD. Et dernièrement, la modification de la Constitution dont
le principal objectif était de verrouiller l’âge d’éligibilité à la
candidature présidentielle à plus de 40 ans, était diligentée
contre le jeune opposant Dr. Succès MASRA. Tous ces
stratagèmes s’inscrivent directement dans cette logique
d’exclusion accompagnée de toute cette manipulation et
crime qui disent déjà long sur l’image qu’on a de la
démocratie tchadienne.
La manipulation de la Constitution, leur modification dans
un sens unique, non pas pour servir le peuple comme il se le
doit, mais plutôt pour aider une seule personne à se
perpétuer à la tête de l’État en ôtant le caractère sacré de la
Constitution qui d’ailleurs est un phénomène qui caractérise
certains États de l’Afrique Centrale et de l’Ouest, demeure
l’un des grands enjeux de la gouvernance dans les pays
d’Afrique francophone.
Le verrou de la limitation des mandats ne permet pas la
libre expression du peuple ni ne facilite la rotation des
hommes politiques à la tête de l’État comme le jeu de la
démocratie l’exige. Sous le régime du Président Déby, le
Tchad a connu un recul constant des principes
démocratiques, notamment la levée des limites
constitutionnelles imposées aux mandats présidentiels, de
sorte que le Chef de l’État a pu briguer un troisième mandat
en 200522 et s’en est suivi les autres mandats. Le point
culminant de cette mascarade et de ce manque de
patriotisme et de sérieux est la modification de l’article 61
de cette fameuse Constitution afin de pouvoir briguer plus
de deux mandats comme l’avait prédisposé cet article. Et
avec le remplacement de la Constitution de 1996 par celle
de 2018 qui a vu naître la Quatrième République qui par
pure stratégie élimina le poste du Premier ministre, traduit
un mimétisme éhonté sans valeur ajoutée pour le pays sauf
pour des intérêts personnels et mesquins. On assiste encore
plus au renforcement du pouvoir du Chef de l’État qui, par
ruse et ricochet, chaperonne tous les grands titres. Une
gourmandise qui sera couronnée par le titre de Maréchalat
quelques temps avant son tragique décès qui nécessite à
que la lumière soit faite dessus.
En ce qui concerne sa soif de pouvoir et de puissance,
après plus de 30 ans de gouvernance calamiteuse et sans
partage, érigé au rang de maréchal par un législateur et un
gouvernement qui lui était totalement favorable. Idriss Déby
Itno, sexagénaire nécessitant la retraite, protégé de la
France après sa victoire écrasante à la dernière élection
présidentielle, s’apprêtait à briguer un sixième mandat sauf
cas de force majeure comme ce qui s’était passée dans un
contexte inédit de contestation et de risque de crise
politique.
On assiste à des pratiques politiques à travers la
pérennisation du pouvoir personnel ou sa confiscation par
un groupe qui l’accompagne dans une élasticité
institutionnelle qui ne permet pas à ce que le minimum
démocratique voulu puisse influer le développement. Cela
fait penser à une quête de démocratie et de la construction
d’État de droit dans un contexte de déficit marqué par
l’absence d’alternance après des décennies de gestion dont
la question de droit de l’Homme et de la mauvaise
gouvernance restent d’actualité. Un vide politique et
institutionnel, un carcan construit de tout bord pour
permettre au régime en place de se perpétuer au pouvoir
dont les élections qui demeurent l’un des critères de la
démocratie sont relativement démocratiques.
La question de l’alternance démocratique se pose
aujourd’hui avec acuité et la goutte d’eau qui pourrait
déverser l’eau du vase semble provenir du plan de la
succession à la tête de l’État par un de ses proches parents
eu égard au changement récent de la forme de l’État. La
situation demeure très fragile même si elle semble être
maitrisée par l’homme fort de N’Djamena qui a su attirer les
faveurs de la communauté internationale à cause de
l’intervention de son armée dans la sous-région pour le
maintien de la paix et de la sécurité.
Des interventions militaires qui avaient fini par soigner
l’image d’un homme en perte de vitesse sur le plan
internationale et régionale en lui donnant une grande cote
de popularité avec les influences qui y sont rattachées.
Pendant que le peuple tchadien souffre de l’insécurité
interne à cause de différents conflits dont les brèches sont
tendues par la mauvaise gouvernance et l’absence de l’État
de droit. A cela s’ajoute plusieurs d’autres problèmes à
savoir une crise économique sans fin qui avait d’une part
pris sa source dans les interventions militaires très
couteuses dont le pays s’était engagé et ceci sur plusieurs
fronts. Cette diplomatie militaire n’est pas une mauvaise
chose en soi, mais coute trop chère pour un pays très
pauvre comme le Tchad dont son économie subie aussi le
choc de la chute du prix du baril de pétrole sur le marché
international sans oublier les conséquences multiples du
changement climatique qui sévit avec acuité dont les plus
pauvres sont les premiers victimes.
A tous ceux qui s’interrogent sur le devenir politique du
Tchad, peu importe la posture entre optimisme et
pessimisme, à l’allure où vont les choses, l’on est loin d’une
alternance démocratique dans le sens premier du terme. Le
pouvoir a pris le goût de la drogue et plusieurs acteurs se
sont invités au spectacle et personne n’est sans ignorer
qu’en matière de drogue après le premier coup, l’on ne peut
s’en empêcher un deuxième, un troisième et ainsi de suite.
« A moyen terme, beaucoup de Tchadiens et de diplomates
sont surtout inquiets des risques de crise de succession
violente le jour où le président, dont la santé fait l’objet de
spéculations récurrentes, quittera le pouvoir »23.
Aujourd’hui, l’on est sur le point de réussir à dévier le piège
d’après Déby, mais le chao n’est pas encore écarté et tout
pourra aussi dépendre de la bonne ou mauvaise ténue du
dialogue national qui se profile à l’horizon avec Déby-fils qui
semble jusqu’ici à la hauteur de la situation.
La santé démocratique actuelle du Tchad est en net recul
eu égard aux violations multiples des droits de l’homme et
de liberté, l’absence d’un État de droit qui entraine une
forme d’injustice la plus élevée, manque de la liberté de
presse, la corruption qui demeure parmi les plus élevées au
monde… L’apprentissage démocratique a trop duré parce
qu’il profite au régime en place qui endort le peuple par le
discours sans changement.
Normalement, la démocratie est une valeur universelle
dont les textes la protégeant demandent à être respectés et
non à être modifiés pour des intérêts personnels et qui
fausse les bases de la lutte pour le pouvoir. La démocratie
est prise en otage par un groupe qui a réussi à manipuler
les textes et des normes juridiques. Les hommes qui sont
appelés à les protéger sont dans la même situation. Le
tripatouillage des textes a débouché aujourd’hui sur un
système instable ouvert à la corruption qui le conduit vers
une situation très dangereuse. La démocratie tchadienne
est un système a réinventé vu la préoccupation des plus
grands nombres, mais qui se heurte à un refus total qui ne
dit pas son nom, mais qui s’explique par le tripatouillage
des textes et normes juridiques et surtout des hold-up
électoraux.
L’usage de la force pour se maintenir au pouvoir est une
chose qu’il ne faut pas faire, car c’est une approche qui
conduit à la longue à une crise dont le processus finit par
être un chaos. C’est cette inquiétude qui fait planer le
doute. Les peuples sont fatigués de chercher le chemin de
l’alternance par les jeux des urnes, mais en se rendant
compte de cette impossibilité, la plupart préfère se
recroqueviller sur soit après des années mouvementées qui
n’ont pas pu bouger les lignes. L’espoir d’une alternance et
d’une transition politique à la tête de l’État est considéré
comme de l’utopie. La chance de voir pour la première fois
le Tchad passé à une transition politique par la voie des
urnes depuis son indépendance est très minime.
L’élection est considérée aujourd’hui comme une simple
routine, c’est devenu seulement un prétexte pour se
conformer aux règles internationales. Une oligarchie
démocratique qui profite et permet aux autocrates de se
maintenir au pouvoir en maintenant une haute filière de
corruption sans pour autant acter le développement. La
démocratie au Tchad n’est pas encore ancrée dans la
démocratie réelle qui doit aller avec des pratiques qui
définissent les modalités. La trajectoire politique tchadienne
véhiculée par des étapes de violences qui ont marqué son
histoire pèse lourdement sur l’ossature de la maquette
actuelle de la gouvernance loin de la démocratie libérale qui
devrait être le dénominateur commun de la gestion
publique de l’État. La démocratie tchadienne se cherche
sans s’écarter de la crainte de tomber dans l’oligarchie au
détriment d’une politique publique de qualité.
La démocratie tchadienne, sans alternance politique,
ressemble au modèle que les oligarques veulent imposer à
l’Afrique en parlant d’une démocratie africaine qui, selon
ces mêmes autocrates, doit se cadrer avec les réalités
africaines comme si l’Afrique est un continent à part entière
et où l’on doit obéir à certaines lois spécifiques. Se
positionner en défendant cet argument, c’est autant
cautionner les dirigeants qui aujourd’hui se maintiennent au
pouvoir après avoir épuisé leur mandat se trouvent à
tripatouiller les Constitutions en la torpillant de gauche à
droite. Ce refus de se conformer aux normes de la
démocratie libérale découle de leur envie de s’éterniser au
pouvoir et certains justifient et légitiment cette position de
complaisance notoire par des raisonnements liés à leur
indispensabilité qu’ils miroitent. Une situation qui
caractérise cette étape de la métamorphose de la
démocratie en Afrique francophone et principalement en
Afrique centrale.
Nul n’a besoin de justifier et de revendiquer sa place à la
tête de l’État par l’urgence, le but de finaliser un projet
politique. Cela regagne la sphère de la dictature avec toutes
les atrocités et le principe de l’homme providentiel qui
demeure aujourd’hui le malheur de l’Afrique. À ce niveau en
se fiant à leurs instincts de domination et de soif du pouvoir,
on oublie que nul ne peut accomplir une mission de portée
nationale en s’abrogeant des lois qui existent bel et bien. La
caricature politique existerait à travers cet accaparement de
la mauvaise raison en tirant toujours le rideau sur soi. Le
tripatouillage constitutionnel est le résultat de cette
caricature politique dont les ordres sont exécutés à la lettre
dans un système où la séparation du pouvoir n’existe que
de nom. Le bricolage de la Constitution qui a débouché
aujourd’hui sur la VIe République présente cette situation qui
persiste et en face de laquelle, la Communauté
internationale reste muette.
Ici, le développement serait regardé comme un passage
obligé, voire une condition sine qua none pour pacifier
l’Afrique en y instaurant durablement, et de façon
irréversible la démocratie grecque dans toute sa plénitude.
Car, on ne le dira jamais assez, « là où il y a le
développement, il y a la paix et l’État de droit », « là où il y
a la croissance et le développement inclusifs, les jeunes ne
sont pas désœuvrés et ne sont donc pas recrutés pour des
aventures de tout genre »24.
L’analyse selon laquelle la démocratie est extrinsèque à la
société africaine et qui conduit à dire que l’Afrique n’a pas
une culture démocratique est à nuancer, car dans la gestion
africaine de la chose collective, le système de l’arbre à
palabre dont les citoyens qui ont droit à la parole donnent
leur point de vue avant que le chef conclut. C’est un modèle
type d’une démocratie africaine et ce n’est pas pour le
plaisir que ce système de gestion a été instauré, mais parce
qu’il était efficace. Donc nous sommes face à une réalité
vivace depuis la nuit des temps qu’aujourd’hui pour des
intérêts politiques, on essaie de se dédouaner en critiquant
la démocratie libérale comme un système qui n’est pas
adapté au contexte africain pour la simple raison de
s’éterniser au pouvoir.
Le principe de l’alternance au sommet de l’État est, pour
les Africains, la solution élémentaire à leurs problèmes de
gouvernance,25 car d’une manière générale, c’est l’un des
critères de la démocratie qui apaise les tensions et propulse
le développement même si parfois cela ressemble à un vrai
leurre. Et dans le contexte du Tchad, l’alternance voulue ici
n’est pas celle liée au changement à la tête de l’État par
des hommes appartenant à un même parti qui est en
quelque sorte le bonnet blanc-blanc bonnet, mais une vraie
alternance à la tête de l’État avec la montée d’un chef
d’État issu d’un parti politique d’opposition. Et pour aller
plus loin, on doit même écarter les partis satellites pour ne
pas que le régime sortant ait toujours la main sur l’appareil
de l’État par ordonnance. Il s’agit de l’alternance
démocratique axée sur le changement du système en
général pour que les choses puissent marcher normalement
sans une main interne comme ce fut le cas dans plusieurs
pays dont l’exemple le plus élucidant demeure celui du RD
Congo cf. alliance J. Kabila-F. Tshisekedi. Pour être clair :
l’alternance n’est pas une panacée et, s’il va de soi que les
pays africains, comme tous les autres, ont besoin
d’institutions fortes, ils ont tout autant besoin de leaders
d’exception pour les installer26.

20 Adama Kpodar, « Bilan sur un demi-siècle de constitutionnalisme en Afrique


noire africaine. », s. d., 33.
21 Sergiu Mi coiu, « Recul démocratique et neo-presidentialisme en Afrique
Centrale et Occidentale », consulté le 7 février 2021,
https://www.academia.edu/35465128/Recul_democratique_et_neo_presidentialis
me_en_Afrique_Centrale_et_Occidentale.
22 Les conflits, l’insécurité et leurs répercussions sur le développement au Tchad
(2018), Commission économique pour l’Afrique des Nations Unies
https://repository.uneca.org/bitstream/handle/10855/24348/b11889500.pdf?
sequence=1&isAllowed=y
23 « Les défis de l’armée tchadienne », Crisis Group, 22 janvier 2021,
https://www.crisisgroup.org/fr/africa/central-africa/chad/298-les-defis-de-larmee-
tchadienne.
24 René N’Guettia Kouassi, « Coopération Afrique Europe : pourquoi faut-il
changer de paradigme ? », Civitas Europa N° 36, no 1 (7 septembre 2016) : 85
-97, https://www.cairn.info/revue-civitas-europa-2016-1-page-85.htm.
25 « [Édito] Élections présidentielles : l’alternance n’est pas (forcément) la
solution – Jeune Afrique », JeuneAfrique.com (blog), 20 janvier 2021,
https://www.jeuneafrique.com/1107418/politique/edito-elections-presidentielles-
lalternance-nest-pas-forcement-la-solution/.
26 Ibid., « [Édito] Élections présidentielles : l’alternance n’est pas (forcément) la
solution – Jeune Afrique ».
Chapitre 3
Les enjeux et défis de la
démocratisation du Tchad

Existe-t-il une démocratie sans alternance ? La réponse


est simplement non, car une démocratie doit bénéficier de
l’alternance qui est l’un de ses piliers. Il ne s’agit pas de
n’importe quelle alternance, mais d’une vraie à travers un
réel changement de régime pas comme celle qui se passe
souvent dans plusieurs États d’Afrique noire où l’alternance
est héréditaire et condescendante. La pratique d’une
démocratie à reculons comme l’ont mentionné plusieurs
chercheurs africains sur cette thématique « De la
démocratie à reculons, l’on pratique une personnalisation
du pouvoir politique au sein de régimes démocratiques »27
est un constat d’une situation très alarmante qui demande à
être corrigé.
La question de l’alternance reste au centre des principes
et valeurs de la démocratie dans la plupart des pays
d’Afrique noire depuis l’année 1990. Le début d’un
changement insufflé par les conséquences positives de la
chute du mur de Berlin et qui a posé les jalons de la
démocratie en Afrique subsaharienne en général et au
Tchad en particulier. Elle est considérée comme une
tradition et est inséparable des élections qui sont aussi
indissociables à la démocratie. L’alternance démocratique
quand elle existe fait disparaître toutes les autres voies de
la quête du pouvoir dont on en fait recourt par obligation et
par envie de vouloir rétablir la justice et l’alternance. A ce
niveau, l’on perd souvent le discernement entre la soif du
pouvoir et la volonté de libérer le peuple.
L’alternance démocratique permet d’évaluer le
fonctionnement démocratique d’un État indépendant dans
une quête permanente de l’amélioration du système.
Pourtant au Tchad, cette culture démocratique est
confisquée, un mort-né qui demeure la relique d’une
alternance politique caractérisée par la prise de pouvoir par
les armes. Une perpétuation de l’héritage du pouvoir par les
armes qui symbolise l’une des étapes sombres de l’histoire
moderne de l’Afrique prise dans le piège du néo-
paternalisme.
La conférence de la Baule, qui s’est déroulée en juin 1990
à l’initiative de François Mitterrand et en présence des chefs
d’États africains, semble théoriquement constituer le point
de départ d’un processus devant théoriquement déboucher
sur l’émergence de régimes démocratiques en Afrique noire
francophone28. Les Conférences Nationales Souveraines qui
s’en suivirent, s’inscrivaient dans cette démarche de la
démocratisation des pays africains dont la France s’en est
accaparé la paternité. Mais en réalité c’était l’œuvre des
peuples africains, fatigués par les longues années de
dictatures et de monopartisme. Ils avaient décidé d’en
découdre en descendant dans les rues ou en rejoignant le
maquis à l’exemple du Tchad. Une promesse qui par la suite
s’était transformée en une vraie tromperie et mascarade.
Les peuples ont très vite baissé la garde en laissant place
à l’un des plus grandes tricheries et escroquerie
démocratique orchestrés par les filles et fils du continent
sous l’appui des forces extérieures. Dans le cas du Tchad, le
1er décembre 1990 marqua le début d’une ère nouvelle par
l’acte posé qui avait vu la mobilisation de plusieurs
tchadiens pour enrayer la dictature d’Hissein Habré. Le
multipartisme fut instauré rapidement un an après, en 1991.
La Constitution du pays a été modifiée comme partout en
Afrique après un referendum en 2005 témoignant la fragilité
de la démocratie tchadienne qui avait permis au régime de
Déby-père, venu lui aussi au bout des armes, de se
représenter de nouveau aux échéances électorales. C’était
de cette manière qu’il va briguer plusieurs autres mandats
qui après va déboucher sur la VIe République qui confirme
l’approche d’une démocratie teinté sur le modèle des
systèmes autoritaires. Le jeu de pouvoir visible depuis
quelques décennies retracent l’histoire et l’ombre de la
dictature avant l’avènement de la démocratie qui est
ressentie aujourd’hui par la population comme un populisme
autoritaire.
“Le plaisir est immense pour tous les combattants des
forces patriotiques d’avoir contribué à l’éclosion du cadeau
le plus cher que vous espériez. Ce cadeau n’est ni or ni
argent : c’est la liberté”29. Par ce discours lors de son
message à la Nation du 04 décembre 1990, on comprend
l’incertitude et l’ambiguïté traversés par les tchadiens qui
avaient cette fois-ci, une lueur d’espoir après la succession
des régimes autoritaires à la tête de l’État depuis
l’indépendance. Avec pour seul grand objectif, la
construction d’un État central fort en faveur de la
démocratie qui garantissait au peuple la liberté individuelle
et collective qu’elle soit directe ou indirecte, considérée
comme le modèle de gestion étatique le plus efficace et le
plus adapté au monde.
Aujourd’hui, nombre de Tchadiens ne croient pas à
l’alternance à la tête du pays par la voie des urnes, car la
résignation face à un régime atypique est totale30. Les
élections à répétition suivant une seule et unique direction
sont considérées comme une farce et donnent l’image
caricaturale d’une démocratie de façade sans alternance
dans un pays stratégique avec des richesses énormes et
variées. La cause de la convoitise de son ancien maitre et
surtout des nouveaux acteurs qui s’invitent dans le pays
pour piocher dans un territoire très riche, paralysé par un
système de corruption qui leur facilite la tâche.
Malgré son arrivée très jeune au pouvoir, le président
après avoir cumulé plusieurs mandats à la tête de l’État par
des élections contestées de tout bord (les partis
d’opposition, les sociétés civiles et le peuple) a fini par
réussir à fixer les bases d’une démocratie de façade. On
remarque que tout est fait en faveur d’un homme, car au
même moment que l’âge minimum est fixé à 45 et ramené
à 40 in extremis par un forum bis suite à un peu de
pression, l’âge maximum lui n’a pas posé de problème. Ce
qui laisse un champ libre à l’homme fort de N’Djamena de
régner comme un roi sur un pays dont la majorité de la
population jeune n’a connu aucun autre dirigeant que lui
depuis leur naissance. Cela témoigne encore une fois de
plus l’excès de zèle de cet homme qui dirige le pays comme
bon lui semble. « Le Tchad n’a jamais connu la démocratie,
et le projet « libéral » conçu par Idriss Déby au début de son
mandat n’a guère de chance d’être ressuscité : on voit mal
comment une ethnie représentant 1 % de la population
pourrait consentir à son suicide politique par la voie des
urnes »31. Si ce n’est par d’autres moyens de pression et de
manipulation. La présence des hommes incompétents à la
tête des différentes institutions, à l’Assemblée Nationale
renvoie à ce système mafieux qui brille par la ruse et
l’illégalité.
Lors du deuxième forum national dont les partis
d’opposition ont toujours refusé de participer, les dernières
décisions prises, ressemblaient à des instructions d’un
groupe d’influence. Raison pour laquelle ces derniers
avaient refusé d’y prendre part, car pour eux, leurs
présences n’allaient rien changer, mais plutôt donner de la
valeur à cette confiscation du droit du peuple par un groupe
d’intérêt dont les objectifs étaient connus de tous. Ce
nouveau visage politique est le résultat d’un projet bien
construit depuis longtemps, semble désorienter le vent de
l’alternance vers une autre direction.
Les déclarations d’intentions ont attisé un sentiment de
défiance dans le milieu jeune considéré dans les différents
discours comme fer de lance de la nation, mais en réalité se
voit écarter de toutes grandes responsabilités et instances.
Une partie de la jeunesse exploitée à des fins politiques
trouve qu’à même une place parmi les vieux loups du
système sans toutefois peser de leur poids et place.
Certains jeunes sont cooptés pour jouer un rôle qui ne
répond pas au politique d’insertion de la jeunesse dans le
monde du travail. Ce qui créé de frustration et qui débouche
sur des crises socio-politiques d’envergures. D’ailleurs le
manque d’une vraie politique axée sur la jeunesse, le taux
élevé de chômage, l’inadaptabilité et l’inefficacité du
système éducatif sont les caractéristiques d’un
désintéressement et d’un abandon.
La présidence à vie semblait se dessiner dans un pays
meurtri qui a épousé le principe de la démocratie que
tardivement. Cette période actuelle de la démocratie
ressemble à celle d’après les indépendances où certains
dirigeants africains, en pères des indépendances, se sont
éternisés au pouvoir pour des raisons multiples en
brandissant leur caractère irremplaçable et indispensable.
Le Tchad était considéré comme l’une des poches de
résistance de la présidence à vie. Au 21e siècle, cela peut
être interprété comme les caractéristiques d’une
démocratie malade. Les contextes ont changé et
normalement ça doit être le cas dans tous les pays d’Afrique
noire. Mais cette anomalie montre que le chemin est encore
long pour arriver à un niveau passable dont on n’aura pas
assez de problèmes à faire une alternance démocratique.
Idriss Déby Itno entre ainsi dans la liste des dinosaures
africains avec une particularité liée à une époque très
différente de celle d’avant. Le problème majeur ici, n’est pas
l’âge d’un dirigeant ni sa durée au pouvoir qui ne cadre pas
avec les réalités d’un État démocratique, mais le résultat. Il
n’était pas plus âgé que Ronald REGAN qui avait brigué un
deuxième mandat à 73 ans en 1984 aux États-Unis ni de
l’actuel président Joe BIDEN. Mais s’il est vrai qu’à un
certain âge tout devient difficile tout en sachant que les
anciens présidents affirment clairement que le pouvoir use
terriblement. Le réel problème c’est la longévité au pouvoir
sans pour autant le développer et le laisser en héritage aux
générations futures. Encore une fois, s’attarder sur son bilan
à l’extérieur du pays en le qualifiant d’un panafricaniste
actif, ressemblerait à une pure farce et un grand pêché aux
yeux du peuple qui broie le noir tous les jours de leur vie.
La vision actuelle du régime en place qui est dans une
continuité nuisible, laisse planer de doutes sur leur capacité
à faire évoluer la culture démocratique dans un pays à
l’histoire sombre qui a besoin de la mise en place d’un vrai
État de droit pour espérer renaître de ses cendres.
Cependant, de nombreux doutes planent sur l’espoir de voir
évoluer la démocratie tchadienne minée par un groupe qui a
accédé au pouvoir par les armes et qui s’impose aujourd’hui
par le même moyen. Décidemment, les Déby-fils sont
engagés avec l’aide de la France à faire-valoir cet héritage.
Plus rien ne leur fait peur sauf les bruits de bottes qui les
menacent uniquement sans grande inquiétude, car ayant la
France de leur côté dans un élan de répressions contre le
peuple comme au temps de la dictature précédente. Les
traces de l’ancien régime du parti unique sont encore
vivaces aujourd’hui à travers l’entretien d’un clientélisme
politique et la mise en place d’une stratégie d’intimidation
et de corruption.
Dans ce contexte d’instabilité, les défis auxquels est
confrontée la jeune pseudo-démocratie tchadienne sont
nombreux. Il y a ceux à court, moyen et long terme qui font
présager un avenir politique sombre, une période
d’incertitude dont on n’arrive pas à bien lire l’avenir
politique du pays. La crise de succession à la tête de l’État
pourrait être la cause d’une transition violente eu égard à la
situation avant tout de l’armée tchadienne qui est restée
sans réforme majeure. L’on ressent beaucoup plus la
présence d’une armée clanique au service d’un homme et
qui crée presque toutes les crispations au sein même de la
mouvance présidentielle. Presque tous les scénarii autour
de vacance du pouvoir laissent des conclusions de risques
de violences élevées qui pourraient mettre en péril le petit
effort de la démocratisation du pays.
L’itinéraire frayé par cette spécificité démocratique
tchadienne semble sauter des étapes importantes, jeune
qu’elle est et mieux qu’elle voudrait rapidement ressembler
à une veille démocratie. Les perdants de cette évolution
démocratique moins responsable des valeurs universelles,
sont les partis politiques d’oppositions qui se voient priver
dans un système moins compétitif où la diversité est de
moindre. La démocratie se retourne contre elle-même et
contre certains groupes qui sont victimes de l’involution du
système. La pathologie démocratique témoigne la perte de
la substance, le dépérissement de la démocratie, la preuve
de la trahison des valeurs démocratiques du point de vue du
tripatouillage constitutionnel.
Il apparaît aujourd’hui au grand jour que l’on a affaire à un
régime clanique qui a colonisé l’État dans ses moindres
recoins (armée, douanes, impôts, régie de recettes…). Le
soutien de la France à Déby-père et aujourd’hui au fils,
malgré cette situation, est sans faille. Appui financier, appui
politique et dissuasion militaire, tout a été mis en œuvre
pour le soutenir et le maintenir au pouvoir32. Pourtant, la
démocratie tchadienne ou africaine n’est pas différente de
celle mondiale, car ce sont les mêmes valeurs qui sont
mises en exergue partout. Mais dans le cas du Tchad, le
locataire du Palais Rose33 trouve matière dans le fait que les
réalités du Tchad sont différentes des autres pays d’Afrique
et du monde. Loin de distraire le peuple qui aspire à
l’alternance démocratique, il donne l’allure de se dédouaner
en mettant en exergue le bien-fondé du choix de se
maintenir au pouvoir. Le régime justifie son étalage au
pouvoir depuis plus de trois décennies par le fait qu’il serait
selon leurs propres mots chantés à tous les journalistes qui
l’ont interviewé sur le sujet, qu’il est indispensable pour le
Tchad. Il est allé plus loin en affirmant que même à
certaines occasions dont il avait voulu se reposer, il a été
obligé contre sa volonté à diriger le pays. Partir sur de tels
raisonnements et en s’appuyant sur la théorie de l’homme
providentiel pour justifier une éternisassions au pouvoir ne
corrobore à aucun principe et valeur de la démocratie.
D’ailleurs le simple constat d’un manque de volonté
politique de préparer la relève est porteur de cette stratégie
de se maintenir au pouvoir en activant le scénario du chaos
à cause d’une absence qui trouve rapidement de preneur
parmi les pessimistes.
L’on ne peut au grand jamais justifier une mauvaise
gestion étatique par des idioties et des convictions
personnelles orientées par la soif du pouvoir qui s’explique
par tous ces mécanismes orchestrés afin de tirer tous les
intérêts de leurs côtés. Aujourd’hui, cela est révolu, car se
battre pour la paix et la sécurité d’un pays ne pourrait
jamais s’expliquer par l’accrochage et l’éternisassions au
pouvoir par tous les moyens.
Les uses et coutumes africaines ne peuvent pas aussi
justifier la non-alternance démocratique ni l’accaparement
des richesses d’un pays par un seul clan comme aux temps
des grandes chefferies qui basaient leurs prospérités sur les
razzias et consort. La démocratie exige une alternance
politique et démocratique en respectant la Constitution.
Sinon pourquoi avoir choisi la démocratie comme modèle de
gestion étatique si ce n’est pas pour en respecter les
valeurs et principes ?
Il est vrai qu’il peut avoir de développement sans
démocratie, nous n’allons pas s’hasarder dans ce débat,
mais dans ce contexte précis sans la démocratie, on ne peut
pas parler de développement et c’est ainsi que dans le cas
du Tchad, l’année 1990 semblait posé les jalons du
développement socio-économique et politique du pays et de
l’État de droit dont dépendait le développement. Mais la
trahison est grande et l’on constate qu’on est loin de cet
objectif de la démocratisation du pays.
On passe d’une élection calamiteuse à celle
catastrophique à cause des velléités constitutionnelles
vécues de façon scandaleuse et qui pose les bases des
enjeux et défis liés à l’alternance. L’usure du pouvoir jugée
anormale compromet l’évolution du processus de la
démocratisation. L’élection à un tour accompagnée des
autres arguments gadgétisent la démocratie qui pourtant a
été choisie comme régime politique dont seul le peuple
devait disposer de la souveraineté.
Le mode de scrutin uninominal à deux tours comme le cas
du Tchad dont on ne laisse même pas la chance à
l’opposition démocratique de se coaliser pour faire face au
parti au pouvoir. C’est une anomalie ce système de scrutin
basé sur le hold-up qui est un mode bien connu du paysage
électoral tchadien. Les dernières élections respectives ont
été guidées par cette stratégie qui théoriquement et
pratiquement avec le hold-up électoral paralysent et
anéantissent la volonté de l’alternance démocratique.
La limitation d’âge et la durée du mandat et tous les
ricochets qui les complètent sont des stratégies pour
permettre à des dirigeants véreux de se maintenir au
pouvoir contre toute attente. Peu importe si un leader a
dépassé la date de péremption fixée par les gardiens du
dogme démocratique, pourvu que le peuple lui ait renouvelé
sa confiance via des élections honnêtes et raisonnablement
transparentes34. La réinvention de la démocratie semble
obligatoire face à une dérive autoritaire considérée comme
le dénominateur commun de certains pays en Afrique à
l’exemple du Tchad.
Le processus de la démocratisation était lancé tout de
même, des frissons et de craintes sous-jacentes existent liés
à allure d’une démocratie en mode prudence pour ne pas
dire une démocratie balbutiante qui ne profite pas de toutes
ses prérogatives. Des imperfections qui auraient par la force
des choses pu se corriger dans le temps et dans l’espace
comme l’aurait voulu le processus de démocratisation
comme dans les pays du Nord, mais dans le cas du Tchad,
les imperfections avaient perduré laissant place à une
démocratie à deux vitesses entre les baministes35 et le bas
peuple.
Un scepticisme qui avait réduit la chance de la
démocratisation du Tchad qui d’une part était obligé de
fonctionner avec les déboires des partisans d’arme de
l’ancien président de la République pour qui l’acquis
démocratique leur donnait un avantage et une priorité sur
les autres. Cela avait entrainé le pays dans la situation d’un
poids deux mesures, reflétant une démocratie précaire à
travers l’intention d’un groupe qui pouvait saboter les
choses par une moindre insatisfaction. Là réside l’un des
grands problèmes à la démocratisation du Tchad.

27 Ibid., Sergiu Mi coiu, « Recul démocratique et neo-presidentialisme en Afrique


Centrale et Occidentale ».
28 Arditi Claude. Tchad : chronique d’une démocratie importée. In : Journal des
anthropologues, n° 53-55, Automne-hiver 1993 – Printemps 1994. L’ethnologue
dans les hiérarchies sociales. pp. 147-153, https://www.persee.fr/doc/jda_1156-
0428_1993_num_53_1_1798 consulté le 10/01/2021
29 http://www.politique-africaine.com/numeros/pdf/044128.pdf consulté le
02/06/2020
30 Adoum, S. (2012). Tchad : des guerres interminables aux conséquences
incalculables. Guerres mondiales et conflits contemporains, 248 (4), 45-55.
https://doi.org/10.3917/gmcc.248.0045
31 René Lemarchand, « Où va le Tchad ? », Afrique contemporaine n° 215, no 3
(2005) :) : 117 -28, https://www.cairn.info/revue-afrique-contemporaine-2005-3-
page-117.htm.
32 M. Ibni Oumar Mahamat Saleh, « Le Tchad objet d’un double enjeu » Op.cit.
Page. 18.
33 C’est le nom officiel que porte la Présidence de la République du Tchad
34 « [Édito] Élections présidentielles : l’alternance n’est pas (forcément) la
solution – Jeune Afrique » Op.cit. Page. 36.
35 Terme utilisé pour désigner les frères d’armes qui avaient renversé le régime
dictatorial d’Hissein Habré en 1990 qui tire son nom de la localité de Bamina
dont la rébellion a été lancé. Un groupe très restreint composé de quelques
hommes, les privilégiés du régime qui occupent les postes les plus jutés du
gouvernement.
Chapitre 4
Le rôle de l’« ingérence
démocratique »
dans l’évolution politique et de la
construction de l’État tchadien

Pendant la période de la bipolarisation du monde, les


grandes puissances limitaient les pressions pour le maintien
des valeurs de la démocratie libérale par peur de voir les
pays qui sont supposés être leurs alliés changer de camp.
Mais le contexte a changé avec l’avènement du
multilatéralisme porté par l’ingérence démocratie des
grandes puissances dans la régulation et l’équilibre de la
gouvernance dans le monde en général et en Afrique en
particulier. Les pressions de la Communauté internationale
pour imposer la démocratie comme norme et non comme
une exception est à géométrie variable. La lecture de la
situation du Tchad est élucidant dans le sens où elle
constitue ce baromètre qui permet de mesurer les résultats
de la Communauté internationale dans son rôle de gardien
des valeurs de la démocratie libérale.
C’est à ce niveau que l’on constate l’échec et l’hésitation
de la Communauté internationale a imposé le label de la
démocratie dans un pays comme le Tchad qui en a
véritablement besoin, car il souffre éperdument de ce
déficit. La rhétorique de la démocratie véhiculée par la
Communauté internationale se retrouve remise en cause à
la lumière de cette situation tchadienne. « On serait même
en droit aujourd’hui d’inverser la thèse et de considérer
presque l’intervention d’acteurs extérieurs comme la voie la
plus normale, la plus représentative, de la démocratisation,
les évolutions mues par des forces locales étant
l’exception »36. À ce niveau, se dégage un sentiment
d’abandon suite au constat de deux poids deux mesures qui
s’impose. L’on se demande qu’est-ce qui a conduit à cette
situation de crise dont la communauté internationale reste
sourde ?
Plusieurs grandes organisations internationales comptent
d’ailleurs au nombre de leurs missions, voire de leurs
conditions d’appartenance, l’attachement à la démocratie
(ou tout au moins à certaines valeurs universelles en
matière de droits de l’homme et de respect du droit
international). À ce niveau, on se demande pourquoi le cas
du Tchad semble être une exception de trop qui hypothèque
la vie de tout un peuple qui aspire au bien-être. Il existe une
batterie de cadres normatifs issus de multiples institutions
internationales qui fonctionne comme un système pour
barrer la route aux écarts de gouvernance. On a
l’impression d’être à l’époque où le principe de la non-
ingérence dans les affaires intérieures d’un pays tiers était
en vogue. Pourtant, l’on a changé de diplomatie, ce qui
laisse comprendre que la Communauté internationale est
investie d’un rôle qui doit être ressenti dans tous les pays
souverains du monde peu importe le contexte
géostratégique.
Le problème de la démocratie tchadienne est loin des autres
cas, des différents facteurs et phénomènes interviennent
pour caractériser l’aspect spécifique qui joue en faveur du
régime en place qui a su par des voies et moyens, tirer les
ficelles de son côté. L’influence extérieure joue très
grandement dans l’imposition de ce système politique
appuyé par la confiance totale d’une armée à ossature
clanique qui sait jouer un rôle qui lui attire toutes les faveurs
de cette dernière en ce dernier temps. Cette belle aventure
prendra de l’ampleur en 2013 avec l’intervention de l’armée
tchadienne aux côtés de la France au Mali. Une intervention
victorieuse qui a permis au Mali de se revitaliser et de ne
pas se transformer en une poudrière ni en une base du
djihadisme.
Dans l’art de la guerre, le célèbre ouvrage de Sun Tzu, il
est mentionné que : « la guerre est d’une importance vitale
pour un État, c’est le domaine de la vie et de la mort. La
conservation ou la perte de l’empire en dépende. Il est
impérieux de le régler »37. Partant de ce traité de stratégie
militaire, on comprend rapidement les raisons qui ont porté
l’armée tchadienne et son mentor Déby au centre des
intérêts de la Communauté internationale en général et de
la France en particulier. Le rapport de force qui se dégage
montre à suffisance la nécessité et l’importance d’une
armée imposante dans les situations de conflictualités
comme celles dans le Sahel.
Les prétextes pour soutenir le coup d’État par la France et
la Communauté internationale, proviendraient-ils du risque
d’embrasement de la sous-région aux prises avec le
terrorisme dans l’instabilité ? La déstabilisation du Tchad
serait considérée comme inadmissible par ces dernières qui
aujourd’hui cautionnent une méthode de prise de pouvoir
outre que celle prévue par la Constitution, mais par la
manière la plus déloyale ? Sinon comment comprendre que
le cadre démocratique légitime est juste écarté par un
groupe qui a le soutien sans faille de la France. Pourtant le
Tchad fait face à un problème de développement entretenu
par le système en place qui se perpétue et se réorganise à
travers une junte militaire.
La situation politique se détériore de jour en jour à cause
du manque de la transparence lié aux conflits d’intérêts et
pour justifier le non-respect de restriction et de limitation de
mandat inscrit dans la Constitution. Ces derniers
brandissent des raisonnements liés à leurs profondes envies
de s’éterniser au pouvoir sans pour autant être inquiété par
la pression de la Communauté internationale qui est censée
jouer un rôle d’arbitre et de gardien des valeurs de la
démocratie libérale. « Curieusement, en dépit de ces échecs
démocratiques, les pays africains continuent d’apporter leur
bonne contribution au projet d’exploitation des Européens
qui a mené à leur création lors de la Conférence de Berlin de
1884 »38.
Emmanuel Macron déclarait sans complexe que : « La
France ne laissera jamais personne ni aujourd’hui ni demain
remettre en cause la stabilité et l’intégrité du Tchad »39. Des
mots surprenants qui viennent enterrer la tradition du
gouvernement français de se porter garant de la démocratie
dans le monde. Par cet acte sans scrupule, le chef de l’État
français en se déplaçant au Tchad pendant cette période
difficile de crise sanitaire mondiale, vient compromettre le
processus lent de la démocratisation du Tchad en
encourageant la dynastie de gouvernance à la tchadienne.
Cet acte comme un coup de pied dans la fourmilière,
impactera négativement sur le processus de la
démocratisation de l’Afrique au Sud du Sahara qui fait un
va-et-vient entre la normale et l’anarchie. Les conséquences
de cette dérive autoritaire et politique se font déjà sentir
avec le retour aux mutineries dans les casernes et aux
coups d’État comme aux bons vieux temps des années
1970-90. Car au cours de l’année 2020-2021, l’Afrique a
enregistré cinq coups d’État (Mali, Tchad, Mali, Guinée et
Soudan et à peine commence l’année 2022 avec un autre
coup d’État au Burkina-Faso sans compter ceux qui n’ont
pas réussi au Niger, en Guinée Bissau… La résurgence de ce
phénomène est-il une coïncidence ou la conséquence
directe de “cette ingérence démocratique” jugée par les
africanistes comme une goutte d’eau qui fait déborder le
vase.
Le plus incommode se situerait au niveau du changement
de position du peuple qui aujourd’hui, soutient ouvertement
les push au détriment des régimes démocratiquement élus.
Ce renversement de la situation n’est-il pas aussi un
message à l’endroit de la communauté internationale après
leur déception vis-à-vis du recul démocratique général
constaté dans l’Afrique francophone dont la communauté
internationale consent.
A ce niveau, la vision de la Communauté internationale
chaperonnée par la France pose problème. S’il faut que la
même communauté internationale sanctionne et condamne
les coups d’État dans certains pays (Mali, Burkina-Faso,
Guinée…) et le cautionne dans un autre pays dans les
mêmes contextes, c’est du deux poids deux mesures d’une
autre époque. Et par cet acte, la France se trouve piégée
par une erreur dont les conséquences poursuivront et
tâcheront négativement le parcours contesté du couple
franco-africain. Cela impacterait sans nul doute
définitivement la politique africaine de la France symbolisée
par la promotion des principes démocratiques et de bonne
gouvernance. Bref, le tir est à rectifier si réellement cette
dernière veut toujours continuer à être au côté de la
construction politique de l’Afrique sur la base de la
démocratie libérale.
La légitimité internationale accordée à certains dirigeants
comme celui du Tchad porte un coup à la conception que les
peuples africains ont de la Communauté internationale. Des
institutions qui à la base depuis quelques décennies ont
choisi d’axer leurs soutiens financiers et techniques aux
différents pays en fonction du progrès vers la bonne
gouvernance qui est un véritable défi. Mais vu le contexte
actuel dont on est amené à constater une situation
contraire, les peuples s’interrogent sur la volonté réelle de
cette Communauté internationale à légitimer des régimes
qui sont contestés de l’intérieur et qui ne respectent guère
les valeurs que défend la Communauté internationale. On
ne sent pas vraiment l’efficacité de cette conditionnalité qui
doit être un verrou pour empêcher certains dirigeants
africains avides du pouvoir de s’éterniser au pouvoir.
Le bilan de la Communauté internationale est ici à somme
nulle, une régulation qui est perçue, pas comme un levier de
gouvernance démocratique, mais comme un système
caricatural qui a pris place sur le processus de la
démocratisation des pays africains à l’image du Tchad qui
souffre depuis des années de cette complicité. Plusieurs
analyses ont montré que le déficit démocratique est la
cause principale de la pauvreté dans les pays africains à
l’instar du Tchad. « Les donateurs occidentaux contribuent
aussi à l’échec démocratique en soutenant n’importe quel
pays d’Afrique où des élections ont lieu de manière
démocratique, même si un candidat autocratique
l’emporte »40.
La légitimité internationale manque d’outils dans sa boite
dans le sens où le bilan de sa politique reste mitigé et
contesté par le peuple. Après des décennies d’une politique
d’aide en fonction de l’État de droit et de démocratie, les
conditions restent inchangées sans pour autant que les
sanctions ou mesures soient appliquées
proportionnellement à l’égard de ces dirigeants véreux qui
continuent sans crainte de bafouiller les valeurs universelles
de la démocratie et de la bonne gouvernance. En réalité,
l’on peut affirmer, sans exagérer, que l’Afrique est loin du
compte au regard de l’idéal occidental qu’elle est obligée
d’intégrer dans son mode de vie à son corps défendant.
Exception faite de quelques rares pays, l’exercice d’État de
droit ou de démocratie s’apparente, dans la plupart des cas,
à une véritable guéguerre. En la matière, les acquis stables
et irréversibles sont extrêmement rares ; faisant même dire
que l’Afrique reste attachée à la logique de « perpétuels
recommencements »41.
Le rôle joué depuis quelque temps par la communauté
internationale dans la promotion de la démocratie libérale
en Afrique ne passe pas inaperçu aux yeux des peuples et
de différents acteurs de développement. C’est cette forme
d’intervention que J. KEUTCHEU (2014) désigne sous le
vocable de « l’ingérence démocratique » qui « est entendue
ici comme une intervention tendant, directement ou
indirectement, à imposer un régime démocratique à une
entité souveraine par des pressions multiformes
(conditionnalités, menaces ou recours à la force) »42.
Cet interventionnisme international axé sur plusieurs
moyens de pression à savoir les aides au développement
auxquels les pays comme le Tchad se trouvent assujettis et
qui sont conditionnées par l’amélioration de la gouvernance
de ces pays semble ne pas porter les mêmes fruits au
Tchad. La Communauté internationale n’a pas exigé le
retour aux valeurs démocratiques après la disparition
tragique d’Idriss Déby pourtant c’était une bonne occasion
de promouvoir la démocratie au Tchad pour la première fois
dans l’histoire du pays. Mais elle a laissé sans sanction, un
régime purement militaire prendre le pouvoir, symbole d’un
désordre à grande échelle.
Loin de s’atteler sur le caractère d’ingérence de cette
politique internationale dans les affaires internes des pays
qui polarise des idées et qu’on a tendance à trouver
impartiale. On se demande le rôle que cet outil joue dans la
fabrication de la démocratie tchadienne dont les valeurs
sont piétinées par la continuité d’un régime sous des
prétextes qui ne tiennent pas debout juridiquement et qui
sont anticonstitutionnels. Quand l’on s’interroge sur le rôle
de cet interventionnisme démocratique sur la mise en orbite
du système de bonne gouvernance tchadienne. L’on est
trop vite amené à penser que les pressions de la
communauté internationale sur le pouvoir de N’Djamena
sont insuffisantes pour pouvoir insuffler la machine
démocratique tchadienne et à la mettre sur la voie de ses
paires. On constate un système inverse : au lieu que la
pression vienne de l’extérieur, c’est plutôt de l’intérieur par
un peuple qui aspire à la démocratie, mais qui est lâché par
la communauté internationale. A ce niveau, la conclusion de
la Conférence de Baule, de la position de la France de
promouvoir la démocratie tombe à l’eau. Le discours de
François MITTERAND est désapprouvé par la politique
d’Emanuel MACRON qui s’en fiche de la démocratie
tchadienne.
Ceci étant, pour que cette politique publique
internationale puisse porter ses fruits dans un pays comme
le Tchad, dirigé par des militaires ayant puisé leurs
expériences, inspirations et tactiques d’homme de guerre et
de gouvernance dans des modèles autoritaires, il va falloir
que les contraintes et les garde-fous soient plus robustes
que ceux-ci. Au cas contraire, le pays continuera à être
dirigé par des hommes sans foi ni loi comme ce qui se passe
actuellement.
Il y a aussi et surtout les enjeux des intérêts d’acteurs
dans un pays hautement géostratégique comme le Tchad à
l’interface de plusieurs zones d’intérêts et la capacité et
l’aisance de ses chefs successifs à mettre de l’ordre dans la
sous-région. Ce contexte de mal nécessaire joue
grandement en défaveur de la démocratisation d’un pays et
pèse lourdement aussi sur le développement de ce dernier.
Il dépend en grande partie aujourd’hui d’un nouveau régime
pour enrayer la corruption qui paralyse tout le système de
gestion étatique. Voilà ce à quoi on doit s’attendre si les
acteurs internationaux sont guidés par des intérêts outre
que les objectifs et la logique des politiques publiques
internationales dans les pays africains comme le cas du
Tchad qui, a certainement besoin du coup de main de la
communauté internationale.
En aucun cas, le silence complice de la Communauté
internationale contribuera au basculement inexorable dans
une impasse quand le régime au pouvoir ne s’inquiètera
plus de rien, car ayant le soutien de cette dernière. La
tournure que prend cette situation devient plus qu’une
équation à plusieurs inconnues pour la démocratisation du
Tchad. Les disparitions, les enlèvements et les liquidations
gratuites des hommes politiques tchadiens par le système
en place sont suffisants pour attirer l’attention de la
Communauté internationale sur la situation chaotique du
Tchad. Sinon aucune solution ou changement ne se profilera
à l’horizon quand un fils qui remplace son père à la tête
d’un pays comme dans une monarchie persiste et signe sur
la même routine sanguinaire que celui de son défunt père.
Ceci étant, on ne pourrait finir cet axe de réflexion sans
toutefois toucher le plus grand soutien de ce système
complexe dont le dénominateur n’est pas commun aux
autres démocraties balbutiantes, mais dont l’objectif reste
le même, celui de se perpétuer au pouvoir. Il s’agit du
facteur le plus important qui donne de la valeur ajoutée à
cette démocratie, le facteur extérieur. C’est-à-dire une main
extérieure qui soutient le régime en place et sans laquelle,
l’alternance politique ou démocratique se serait déjà
effectuée depuis longtemps. Sans s’allier aux théories
complotistes, la France et certaines firmes internationales et
même la Communauté internationale à travers plusieurs
gymnastiques restent le plus grand soutien et le dernier
rempart de ce régime qui souvent bascule dans
l’autoritarisme. Ceci étant entre la realpolitik qui ne
respecte pas, dans la plupart du temps, les valeurs
universelles de la démocratie, car pour des intérêts
géostratégiques et de puissance, la Communauté
internationale peut choisir librement de fermer les yeux sur
les déboires d’un régime. C’est à ce niveau que la voix du
peuple ne compte plus surtout quand les intérêts
géostratégiques de certains groupes internationaux priment
sur ceux du peuple. Dans le cas du Tchad, cela s’est passé à
plusieurs reprises d’abord pendant la guerre entre le Tchad
et la Libye sous le règne du dictateur Hissein Habré. La
Communauté internationale en l’occurrence la France et les
États-Unis pour des intérêts géostratégiques et politiques
ont porté une main forte à un dictateur qui à l’intérieur du
pays massacrait son propre peuple.
Et dernièrement avec le régime Déby puis de son fils qui
en raison de leurs gestes pour maintenir la paix et la
sécurité dans la sous-région, en intervenant militairement
sur plusieurs fronts ont amené la Communauté
internationale à fermer les yeux sur des atrocités commises
sur le peuple. Cela va sans dire qu’il n’y a pas de
démocratie qui est mise en avant par la communauté
internationale, mais la realpolitik et ceci peu importe les
conséquences internes.
Si l’implémentation de la démocratie est l’une des
préoccupations premières de la Communauté internationale,
appréhendée sous le prisme de défenseur de valeurs
universelles de droits de l’Homme et des libertés. Cela doit
se caractériser et se concrétiser dans le cas précis du Tchad,
par des sanctions allant aux embargos sur l’acquisition par
le régime de N’Djamena de certaines armes et matériels
militaires destinés à torturer le peuple désespéré dont le
simple droit de manifester qui lui restait est confisqué par
un régime dont les bassesses ne sont plus à décrire.
Les sentiments anti politiques françaises vont crescendo à
cause de plusieurs facteurs d’ordre politique et stratégique.
Les ambitions de la France sur le Tchad, son “pré-carré”
semble intact. Depuis le premier président tchadien jusqu’à
l’actuel, la France fait la pluie et le beau temps. « La France,
qui est traditionnellement l’arbitre des prises de pouvoir au
Tchad, est doublement présente dans son ancienne colonie.
Elle perpétue une présence militaire quasi permanente
depuis l’indépendance du Tchad en 1960, à travers
notamment les 1 200 hommes et les moyens aériens dont
elle dispose dans le cadre de l’opération Épervier »43. Elle
choisit et en même temps balaie les dirigeants selon ses
propres ambitions. Ceci « au nom de l’accord de
coopération militaire datant de 1976, la France reconnaît un
soutien actif au gouvernement tchadien »44. Dans ce cas de
figure, le grand perdant est le peuple qui aspire à un
encrage démocratique avec des impacts réels sur
l’amélioration de leur condition de vie.
Les mêmes stratégies avec les mêmes partenaires qui
pourtant avaient décidé de mettre fin à des coopérations
qui irritent tant par leur caractère que par leurs tentacules
et approches. Ce à quoi l’on assiste prouve que la fin de la
“françafrique” n’est pas pour aujourd’hui ni pour demain. La
présence du président français E. Macron auprès du chef de
la junte militaire le jour des obsèques d’Idriss Déby Itno est
le symbole de cette coopération tronquée, symbole d’une
démonstration de force que les peuples d’Afrique
n’accepteront plus dans les années qui viennent. Le
message qui ressort, assorti du discourt nous ramène aux
époques après les indépendances pendant lesquelles le
colon s’était engagé d’accompagner les jeunes États sans
pour autant avoir une plus-value.
Les époques ont changé, mais décidément pas les
rapports de force qui se renforcent davantage. Cela ne
ressemble pas à une erreur, mais à une démonstration de
force à une époque où les rivalités sont de plus en plus
rudes entre les différentes puissances. « La priorité de Paris
semble être les enjeux politiques et militaires dans le Sahel
et le Bassin du Lac Tchad, au point de fermer les yeux sur
cette violation flagrante de la Constitution du Tchad en
matière de vacance du pouvoir »45.
La Communauté internationale en général et la France en
particulier doivent prendre leur responsabilité allant dans le
sens de l’encouragement et de l’accompagnement d’un
processus de transition démocratique et civile et non de
prendre position et d’accepter la prise de pouvoir par un
groupe des hommes en treillis sans exiger le retour à l’ordre
constitutionnel immédiatement.
A ce moment charnière de l’histoire politique du Tchad,
condamner le processus de l’accaparement du pouvoir par
des militaires et exiger le respect des valeurs universelles
des droits de l’homme et de la démocratie est la première
des choses à faire et non accepter comme la mise en scène
d’un scénario construit à l’avance au nom des intérêts qui
ne devraient passer en premier lieu. La préoccupation de
quelques-uns qui militent encore pour l’implantation d’une
vraie démocratie au Tchad se trouve à ce niveau de la
conception erronée de la crise politique tchadienne par la
communauté internationale.
Plusieurs erreurs politiques attisent les critiques du
peuple. La Communauté internationale et surtout la France
lors des obsèques d’Idriss Déby ITNO, lui avaient rendu un
vibrant hommage pour son engagement en faveur de la
lutte contre le terrorisme et le maintien de la paix dans la
sous-région. Ce qui est normal et mérité, mais fermer les
yeux sur une mascarade anticonstitutionnelle peut
provoquer à la longue une grave crise socio-politique. « Le
rôle important que joue le Tchad dans la lutte contre le
terrorisme et la préservation de la sécurité en Afrique
subsaharienne ne justifie en aucun cas la violation du cadre
démocratique et constitutionnel tchadien ou des traités
internationaux »46.
La position de la Communauté internationale semble
s’approcher de l’acceptation de la succession par
accaparement anticonstitutionnel du pouvoir par un groupe
d’intérêt. L’adoption unilatérale et sans consultation d’une
charte de transition taillée sur mesure vient s’ajouter aux
lots des irrégularités. Cela ne réponds ni aux normes des
traités internationaux ni à la Constitution tchadienne qui
prévoit dans son article 81, les conditions d’une éventuelle
transition par le président de l’Assemblée nationale ou de
son vice. La Communauté internationale semble ne pas
s’inquiéter des conséquences de cette désastreuse situation
dans le futur en Afrique francophone en général et au Tchad
en particulier.
Le silence radio de la Communauté internationale face à
cette crise politico-militaire est à la fois un signal fort à
l’égard des jeunes États qui sont sur la voie de la
démocratisation. Et comme une bombe à retardement, l’on
court désormais le risque du retour aux coups d’État qui,
impacteraient négativement le processus démocratique
amorcé. Cela place la Communauté internationale entre le
marteau et l’enclume à l’image de la crise malienne qui leur
met dos au mur avec une tendance de deux poids deux
mesures qui décrédibilisera celle-ci dans un proche avenir
dans son “pré-carré” qui attire depuis quelque temps la
convoitise de certaines puissances comme la Russie, la
Chine, la Turquie…
C’est un paradoxe qui se résume à travers cette
déclaration faite sur l’antenne de la BBC Afrique : « La
France rentre dans une période difficile parce qu’elle va
avoir à justifier une position qui est assez injustifiable. C’est-
à-dire, il y a un coup d’état au Mali, la France demande le
respect de la Constitution et le retour au pouvoir des civils.
Il y a un coup d’État au Tchad où le fils du président se
coopte 18 mois de transition avec la promesse de vagues
élections, et la France dit bravo, vive la stabilité
politique »47. C’est un contexte qui ouvre les yeux des
Africains sur un monde différent où la diplomatie
internationale agit selon les lignes d’intérêts qui lui sont
fidèles loin des cris des peuples. Mais c’est aussi une grande
leçon à l’endroit des africains qui n’arrivent toujours pas à
prendre en main leur propre destin. Dans cette zone de
turbulence, un grand danger guette les dirigeants africains
qui chercheront à s’aventurer dans des nouvelles relations
au risque de tomber dans les mêmes erreurs.
La confusion et la haine s’installent au milieu de la base
classe, ce qui fait craindre de plus le sentiment anti-français
qui pourrait s’élargir à d’autres grandes puissances qui sont
vues comme décideurs de la diplomatie internationale
surtout en ce qui concerne l’Afrique au sud du Sahara. C’est
un phénomène qui est en résurgence et pour éviter le pire,
il va falloir que la Communauté internationale écoute la voix
du peuple qui souffre. C’est de cette manière qu’elle pourra
corriger certaines erreurs et reconquérir le cœur meurtri des
africains.
Le peuple tchadien, les sociétés civiles et les partis
politiques ont tous appelé la Communauté internationale à
la rescousse afin d’aider à l’organisation d’une transition
démocratique civilo-militaire et non le contraire. Mais cet
appel d’urgence n’a pas fait effet comme l’aurait voulu les
différentes composantes et les forces vives de la nation
tchadienne. « Nous appelons l’Union africaine et les
autorités françaises à tout mettre en œuvre pour permettre
le retour à l’ordre constitutionnel, à agir en faveur d’une
transition menée par un gouvernement civil dans les plus
brefs délais et à appuyer la mise en place d’une
concertation nationale inclusive associant les autorités, les
acteurs et actrices politiques et de la société civile
tchadienne. Nous réitérons notre appel concernant l’absolue
nécessité de mettre au cœur de leurs préoccupations le
respect des droits humains, des libertés fondamentales et
du bien-être des populations »48. Cette demande formelle et
légitime lancée par le président de la Ligue Tchadienne des
Droits de l’Homme (LTDH), englobe toutes les
préoccupations et les aspirations du peuple tchadien. Il
s’agit de la volonté de voir naître une vraie démocratie
après plusieurs décennies de confiscation de leurs droits et
libertés dans une répression hors norme.
A ce niveau, l’interpellation de la Communauté
internationale par le bas peuple et la société civile sur la
dérive du Tchad par le régime au pouvoir, demeure légitime
et fondée. Et c’est à ce niveau d’ailleurs que le rôle de la
Communauté internationale doit se prévaloir dans ce
nouveau chapitre de l’histoire du Tchad qui commence.
Surtout que le processus de réconciliation nationale ne peut
pas être positif sans ce rôle que doit jouer la Communauté
internationale qui est très capital et pionnier.
36 Laurence Whitehead, « Entreprises de démocratisation : le rôle des acteurs
externes », Critique internationale no 24, n° 3 (2004) : 109 -24,
https://www.cairn.info/revue-critique-internationale-2004-3-page-109.htm.
37 Jean Lévi et Alain Thote, Sun Tzu : L’art de la guerre, Paris, Nouveau monde,
Collection « Sodis », 2013
38 « La « démocratie » à l’occidentale en Afrique est juste une manière de
renforcer l’idéologie néolibérale », ritimo, consulté le 26 juillet 2021,
https://www.ritimo.org/La-democratie-a-l-occidentale-en-Afrique-est-juste-une-
maniere-de-renforcer-l.
39 Discourt d’Emanuel Macron aux funérailles d’Idriss Déby à N’Djamena le
23 avril 2021
40 Ibid., La « démocratie » à l’occidentale en Afrique est juste une manière de
renforcer l’idéologie néolibérale
41 Ibid., René N’Guettia Kouassi, « Coopération Afrique Europe : pourquoi faut-il
changer de paradigme ? »
42 Joseph Keutcheu, « L’« ingérence démocratique » en Afrique comme
institution, dispositif et scène », Études internationales 45, n° 3 (2014) : 425 -51,
https://doi.org/10.7202/1027554ar.
43 Tchad : quand le soutien français vacille, Perspective Monde (2008)
https://perspective.usherbrooke.ca/bilan/servlet/BMAnalyse?codeAnalyse=845
44 Ibid., Tchad : quand le soutien français vacille.
45 « Tchad : La France et la communauté internationale ne peuvent… », OMCT,
consulté le 30 juillet 2021,
https://www.omct.org/fr/ressources/declarations/tchad-la-france-et-la-
communauté-internationale-ne-peuvent-continuer-à-ignorer-le-coup-détat.
46 Ibid., « Tchad : La France et la communauté internationale ne peuvent… ».
47 « La transition militaire au Tchad place la communauté internationale entre le
marteau et l’enclume », BBC News Afrique, consulté le 1 août 2021,
https://www.bbc.com/afrique/45732335.
48 « Tchad : Agir pour une transformation démocratique répondant aux
aspirations des populations », Fédération internationale pour les droits humains,
consulté le 30 juillet 2021, https://www.fidh.org/fr/regions/afrique/tchad/tchad-
agir-pour-une-transformation-democratique-repondant-aux.
Chapitre 5
La géopolitique des conflits inter-
tchadiens et leurs sources lointaines :
vers le conflit de demain

L’une des grandes causes de la mésentente et de la


division entre les frères tchadiens, une réalité qui n’est plus
à démontrer remonte à la période de la conquête du Tchad
par la France qui utilisa de diverses stratégies de division
entre les peuples africains en général et tchadiens en
particulier. En effet, la France, en changeant le rapport de
force établit à l’avance Nord/Sud par Sud/Nord, a fini par
créer une zizanie entre les peuples du Nord et du Sud du
Tchad dont l’Ouest, l’Est et le Centre se retrouvent
engloutis.
La subdivision du Tchad en deux parties si bien réelle et
visible pose aujourd’hui un sérieux problème de société à
travers un vivre ensemble qui se heurte souvent à ces deux
grands ensembles approximativement visible sur le plan
religieux, économique, historique et ethnique. Comme un
piège bien posé et réussi, cette diversité qui se résume en
deux camps et qui est bien ancrée dans le quotidien
tchadien est un grand fléau que les Tchadiens n’ont pas vu
venir.
Le rattachement du Tchad à l’Afrique-Équatoriale française
en 1910, dont la capitale est Brazzaville (Congo) marque
clairement la volonté politique de mettre fin aux échanges
transsahariens (commerciaux, culturels et religieux) et de
faciliter par divers moyens (constructions de routes et de
voies ferrées) la pénétration des produits français à partir de
la côte, et de valeurs nouvelles véhiculées par les missions
catholiques et les écoles49. Premièrement le rapport de
force entre les Tchadiens était établi suivant un circuit
d’échange orienté vers le Sahara, la France en avait
renversé et redirigé vers le golfe de Guinée, chose qui était
déjà considérée comme un choc chez les Tchadiens du Nord.
Deuxièmement, elle a créé une mésentente entre les deux
parties en donnant seulement de la valeur aux peuples du
Sud. C’est ici que débutent les sources des conflits Nord/Sud
et les crises socio-politiques et économiques tchadiennes.
En soulevant un peuple sur un autre relevait d’un
stratagème bien réfléchi dont le peuple n’avait pas réussi à
comprendre et par la suite avait ouvert la brèche et l’avait
tendue à des conflits en gestation.
Ce fossé de haine s’agrandira au fil du temps jusqu’à
trouver son point d’appui après l’indépendance partielle
octroyée par la France à l’État tchadien dont les dirigeants
étaient déjà divisés sur des sujets intrinsèquement liés à
l’ossature du décor implanté par la force coloniale. A ce
niveau, les peuples étaient les plus perdants, n’étant
incapables de se réunir autour d’un projet unique. Personne
n’a pu faire face à cette velléité despotique. La République
du Tchad a été proclamée par une Assemblée qui avait du
mal à s’unir autour d’un projet qui nécessitait l’union sacrée
des frères tchadiens50.
Le piège remonte donc à une époque avant la mise en
place de l’État tchadien et entretenu aujourd’hui par des
élites à la solde des concepteurs de cette division réussie,
car du premier président à l’actuel, l’on suit très bien ce
plan de déstabilisation du pays. Le contexte actuel le
démontre à suffisance dans un élan de revanche. Depuis les
années 60, le clivage Nord/Sud n’a cessé de s’accentuer et
s’est même amplifié depuis que le pouvoir central est entre
les mains d’originaires de la région du BET, peu soucieux
d’établir des structures étatiques viables51.
Les conflits Nord-Sud bien ancrés dans le quotidien des
Tchadiens ayant fait assez de victimes, bloquent par la
même occasion la cohésion nationale nécessaire pour le
processus de développement. Ceux-ci viennent corroborer
la thèse selon laquelle, les élites profiteraient du privilège
qu’elles ont auprès de leurs communautés pour se hisser et
rester au sommet de l’État. Une stratégie qui perdure à
travers les régimes de la famille Déby, comme une capsule
efficace sinon comment comprendre qu’un État comme le
Tchad qui est relativement une puissance militaire régionale,
n’arrive pas à mettre fin à des crises internes et à des
conflits intercommunautaires violents ?
On est loin de cette démocratie ethnique dont le pouvoir
est donné au plus nombreux par la force du nombre et qui
expliquerait certaines guerres dans les pays africains après
les indépendances dont on a constaté les revendications par
les armes après avoir eu gain de cause par la voie des
urnes. Aujourd’hui dans le contexte actuel du Tchad, la
thèse de la démocratie ethnique est écartée dans le sens où
l’ethnie au pouvoir est excessivement minoritaire, mais qui
bénéficie d’une situation particulière appuyée par une main
interne. On est dans un contexte où les différents
historiques entre les ethnies majoritaires profitent à un petit
groupe qui est militairement très fort. C’est un cas assez
unique qui profite à un groupe qui a eu le temps de
s’organisation et d’avoir une domination. L’élément qui
vient peut-être renforcer la thèse de la démocratie ethnique
trouve son explication dans l’ossature religieuse du pays
partagée en grande partie entre christianisme et islamisme,
l’animisme n’occupe qu’une petite partie de la population.
L’argument religieux est plus raisonnable, car le calcul y
est par le simple fait que l’ethnie au pouvoir est musulmane
donc du Nord, et par la solidarité religieuse, reçoit le soutien
par condescendance de presque tous les musulmans du
pays qui d’ailleurs sont majoritaires et s’identifient aux
peuples du Nord qui historiquement affirment avoir une
revanche à prendre sur les peuples du Sud en grande partie
chrétienne qui ont été sollicités et choisis par les colons
français pour diriger le pays après l’indépendance. C’est
aussi tout ce contexte historique teinté de haine et de
complot qui pourrait mieux expliquer la situation politique
actuelle du Tchad. Tout compte fait, on est face à une
démocratie enracinée dans des idéologies terrorisantes qui
laissent présager un avenir politique incertain.
Dans ce cas précis du Tchad, il faut, après avoir mis en
exergue les poids de ces deux facteurs (ethnique et
religieux) sur l’alternance démocratique, les nuancer. Il
serait judicieux qu’après une longue analyse d’avancer que
ce n’est ni le facteur ethnique ni le facteur religieux qui
alimente directement cette démocratie même s’ils sont pour
beaucoup. Il existe en réalité d’autres facteurs qui se sont
greffés aux deux principaux et qui expliquent davantage
l’évolution de ce processus démocratique unique en son
genre.
Les raisons qui confirment cette approche s’expliqueraient
par le fait que ce sont en général et sans distinction
d’ethnie et de religion que les peuples de tous les horizons
tchadiens combattent et dénoncent un régime qui est
considéré comme illégal aux yeux des peuples sans
distinction de religion ni d’ethnie. L’un des exemples qui
élucide et confirme cette hypothèse est que, la rébellion qui
est considérée comme un moyen d’alternance politique au
dernier ressort après plusieurs tentatives par les voies des
urnes est dans la plupart du temps, créée et alimentée par
les peuples du Nord, de l’Est et du Centre du Tchad et
rarement du Sud. Tout ça pour dire que les groupes qui
combattent le régime de N’Djamena, se recrutent en grande
partie parmi les ethnies du Nord et apparentés qui
appartiennent en même temps à la religion musulmane. Des
groupes de peuples qui sont seulement fatigués de ce
régime et qui sont contraints de choisir cette voie de la
force dont le régime fini toujours par avoir raison sur eux et
à plusieurs reprises. C’est ici qu’intervient le facteur externe
qui vient expliquer cette forme de démocratie marquée par
l’absence de l’alternance depuis plus de trois décennies
même si en ce dernier temps, certains sont tentés de faire
le lien avec la recrudescence de la rébellion après 2003. La
date qui marque l’entrée du Tchad dans la liste des pays
producteurs de pétrole, à un business entretenu qui permet
aux intéressés de revendiquer leur part du gâteau. Il faut
dire encore une fois que cette hypothèse de la rébellion
entretenue qui prend l’allure d’un business est à prendre sur
des pincettes, vues la détermination de certains groupes à
en découdre avec le régime de N’Djamena qui brandissent
comme raison principale l’injustice criarde et la mauvaise
gouvernance. Un leitmotiv qui trouve sens dans cet
environnement politique dont raison de la solidarité
démocratique est à chercher ailleurs loin des raisons
annoncées très haut mais qui reste pertinente.
La source ethnique et religieuse est plus ou moins
écartée, maintenant on est face à des facteurs qui se
recruteraient au clientélisme et au népotisme portés par
cette filière de corruption. Des facteurs mus par un système
complexe qui se superposent et se juxtaposent aux
premiers facteurs qui séparément ne tiennent pas route
pour expliquer la force de cette démocratie atypique
marquée par un non alternance qui commence déjà à
devenir un sujet urgent à régler.
On comprend ici que la forme actuelle de la démocratie à
la tchadienne, profite bien à un petit groupe nanti
chaperonné par l’ethnie du président. Les Zaghawa dont
viennent s’ajouter quelques groupuscules de gens influents
qui font partie du cercle depuis le début de leur périple sans
oublier les sympathisants de tous bords, de toutes les
ethnies et qui forment un groupe puissant d’influence très
harmonisé dont leurs intérêts sont conditionnés par leurs
soutiens au régime. C’est ce dernier groupe de personnes
mu par l’intérêt personnel qui apporte un total soutien au
régime au pouvoir et qui fait partie intégrante d’ailleurs qui
constitue la force de ce système complexe et flatteur. C’est
sur eux que réside le fardeau de division et de la
manipulation.
Ce dernier groupe d’influence qui fait partie intégrante
désormais du système dont il est obligé d’en défendre se
recrute parmi les intellectuels qui ont compris que c’est la
seule voie d’entrer dans la danse et de se mettre en valeur,
après avoir constaté la force et la capacité de se maintenir
au pouvoir contre toute attente. Voilà un peu ce qui
ressemble à ce système complexe nourri par des hommes
sélectionnés dans toutes les couches socio-culturelles et
religieuses tchadiennes et qui, mine de rien se donnent à
fond pour un système où la séparation de pouvoir n’est pas
au rendez-vous depuis la mise en œuvre du processus
démocratique. Ce qui veut dire qu’on peut réussir à être
légal dans l’illégal quand l’on réussit à mettre en place une
machine qui leur est favorable à cent pour cent. Mais la
question qu’on est amenée à poser c’est jusqu’à quand cela
peut durer et jusqu’à où cela peut nous amener dans la
mesure où aucune voie de changement de régime n’est à
l’horizon. Ce qui est sûr, même si une énième élection leur
semble favorable comme tout est fait dans l’ombre dans ce
sens et comme toujours, on se demande la suite que cela va
prendre. Tout de même la voie de la démocratie héréditaire
n’est pas à écarter comme à l’ancienne dans les autres pays
dont le fauteuil présidentiel est passé d’un père au fils après
la mort du père au su et au vu de ses supporteurs qui ont
sans nul doute un intérêt à gagner celui de profiter des
avantages absolues d’association.
Un bilan négatif de construction d’un État-nation se
dégage à travers la succession de ces dirigeants qui ont
tous failli à leur mission à la tête de l’État. C’est aussi le
résultat des dirigeants qui visaient beaucoup plus leur
intérêt personnel que celui de la nation qui dépendait et
nécessitait une vraie construction à la base. « Aujourd’hui
comme hier, l’hégémonie du Nord sur les populations du
Sud s’accompagne de graves tensions ethno-régionales,
débouchant régulièrement sur des violences
intercommunautaires »52. C’est une réalité qui existe dont
certains là considère comme taboue, ce qui empêche de la
traiter à la base et efficacement pourtant, elle continue de
faire assez de dégâts.
Le facteur ethnique joue en faveur de l’instabilité du pays,
car les logiques ethnicistes priment sur celles
institutionnelles. À voir seulement la position de certaines
personnalités au sein du gouvernement, non pas par leur
capacité, mais par leur appartenance à un groupe ethnique.
L’on comprend aisément l’emprise de ce phénomène qui se
traduit par une vassalité qui ne dit pas son nom qui est
renforcée autour du régime et qui l’aide à asseoir sa
domination. Le développement et la construction nationale
se retrouvent piégés dans ce système qui ouvre
grandement la voie à une instrumentalisation des conflits à
tous les niveaux et dans toutes les régions du pays.
Dès la prise de pouvoir d’Hissein Habré en 1982, on
assiste à des infiltrations massives d’éleveurs, de
commerçants, de cadres administratifs en provenance du
BET (Borkou-Ennedi-Tibesti) ou ces zones sahéliennes –
phénomène par ailleurs fortement stimulé par les
sécheresses répétées qui ont affecté ces zones et poussé
des centaines d’éleveurs vers les pâturages du Sud. Le
mouvement prend une nouvelle ampleur sous Idriss Déby53.
Certaines élites politiques semblent profiter des failles,
des divergences ou encore des zones d’ombre entre les
différents groupes qui composent les couches sociales. Les
conflits Nord-Sud, cultivateurs-éleveurs, éleveurs-éleveurs,
agriculteur-agriculteurs… sont les catalyseurs de ces conflits
qui caractérisent la géopolitique interne du pays. Depuis les
années 60, les clivages Nord/Sud n’ont cessé de s’accentuer
et se sont même amplifiés depuis que le pouvoir central est
entre les mains d’originaires de la région du BET, peu
soucieux d’établir des structures étatiques viables54. La
référence exemplaire est la situation du Tchad sous la
gouvernance de Déby lors de laquelle, les conflits inter-
ethniques et communautaires se sont multipliés davantage.
Les conflits agriculteurs-éleveurs sont en passe de devenir
la deuxième source de mortalité après les guerres civiles,
les guerres de pouvoirs… Avec des conséquences
multidimensionnelles dont le premier perdant est le Tchad.
Le grand fossé creusé entre les peuples du Nord et ceux
du Sud depuis l’indépendance du pays qui a choisi la laïcité
comme la plupart des pays au Sud du Sahara, s’ajoute à la
division religieuse et à toutes les autres sources de tensions.
Un contexte très difficile qui de plus en plus est
instrumentalisé par certaines élites et contribue à renforcer
le régime en place qui est fortement clientéliste. D’ailleurs
c’est l’ethnie du président de la République, les Zaghawa
qui occupent les grands postes dans le gouvernement
depuis 1990, suivi de différentes ethnies du Nord en général
forcément à cause de la solidarité régionale, religieuse,
historique et plus loin des chrétiens et animistes qui sont
dans l’ensemble marginalisés. Cette fabrication sociale est
la conséquence directe de la mauvaise intention de
certaines élites qui ne visent pas le développement du pays,
mais leur intérêt personnel. Il faut se dire que, c’est la
conséquence des erreurs du premier régime avec l’impact
qui s’en suit aujourd’hui dont les premières victimes sont
aujourd’hui, les peuples du Sud.
Cette relation de cause à effet reste aujourd’hui visible à
travers un nouveau type de conflits dérivés de l’ancien
système, les conflits entre agriculteurs-éleveurs qui se
localisent beaucoup plus dans la zone méridionale à
dominance chrétienne et animiste à vocation agro-pastorale
sur des terres riches du Sud. Ce sont des conflits
instrumentalisés qui ont tout pour durer longtemps compte
tenu du rapport de force qui se dégage entre les
propriétaires des troupeaux en grande partie des hauts
cadres et surtout les militaires hauts gradés du régime
actuel. Originaires du Nord du pays, ils symbolisent la
puissance et la domination avec tous les pouvoirs qui les
accompagnent contre les populations autochtones, pauvres,
marginalisées qui ont une seule activité, l’agriculture.
C’est un système de conflits dont se greffe encore un
autre prototype en gestation et ébullition, l’enlèvement des
personnes contre rançons par des hommes puissamment
armés qui vendent la peur et la violence dans une zone où
la politique de la bonne gouvernance et de l’État de droit
n’est qu’un discours. Tous ces systèmes de conflits montrent
la faille du processus de la construction et de la
démocratisation du pays dont les intérêts égoïstes et
mesquins de certains hauts cadres sont vus comme un frein
au développement du pays. Parfois, on est tenté de lier ces
différents conflits à un phénomène entretenu. « Ce sont
surtout les politiciens qui entretiennent ou forment les
conflits de tribus et de régions pour des profits
personnels »55. La preuve est là encore aujourd’hui si nous
observons bien le Tchad profond qui somnole dans un élan
de division basée sur des divergences tantôt intrinsèques
(appartenance ethnique, culturelle…) tantôt extrinsèques
(appartenance religieuse, politique…)56. Et les causes
internes des conflits au Tchad ont beaucoup à voir avec la
lutte pour le pouvoir politique57.
Depuis l’indépendance, la construction de l’État-nation
souffrait de la mauvaise volonté de certaines élites et cela
s’était fait voir très tôt avec le premier régime et bien avant
même la proclamation de l’indépendance. Des leaders qui
avaient du mal à s’entendre autour d’un projet de société
unique et durable à cause des intérêts personnels et
égoïstes drainant derrière eux, leurs communautés dont ils
avaient la capacité de les manipuler.
Les sources de certains conflits sanguinaires et crises
politiques sont les conséquences de ce manque de
patriotisme de certains cadres et qui ont eu des
conséquences très graves sur le développement du pays, le
classant toujours parmi les pays les plus pauvres au monde.
Les divisions ethniques et religieuses amplifient la fragilité
sociale et politique du Tchad. Ces divisions sont en grande
partie dues à des contestations relatives au pouvoir
politique58.
Les conflits agriculteurs-éleveurs doivent être
appréhendés sous plusieurs prismes, car, de nombreux
facteurs entrent en corrélation dans ce conflit à
dénominateur complexe qu’on ne saurait simplement
l’expliquer comme l’on a tendance à faire. La logique des
politiques de réconciliation et de résolution de ces conflits
n’arrive pas à trouver un équilibre entre les différents
groupes ethniques, ce qui met encore en péril la
construction nationale et la cohésion sociale.
La présence d’éleveurs, arabes en majorité, qui s’est
développée depuis la sécheresse de 1984, est à l’origine
d’affrontements périodiques souvent mortels avec les
agriculteurs autochtones. « Alors que ces conflits pourraient
être résolus par les autorités locales au cas par cas, on
assiste depuis un an à une aggravation de la situation liée à
la présence de militaires “nordistes” qui encouragent les
éleveurs à la violence »59.
L’une des causes la moins soulignée est le changement
climatique (caractérisé par le décalage des isohyètes 200 et
600 mm plus bas vers le Centre et le Sud du pays). Ce qui
pousse les éleveurs nomades musulmans du Nord à se
délocaliser afin de se positionner beaucoup plus au Sud à
cause des manques de ressources naturelles au Nord. Le
changement climatique est sans nul doute l’une des sources
des grands épisodes de sècheresses des années 70 et 80,
caractérisés par la réduction parfaite des ressources
naturelles dans le pays. C’est une cause qui est à considérer
aux côtés des autres si un jour, l’on espère trouver une
solution idoine à ce fléau.
Les raisons de la raréfaction de ressources naturelles ne
trouvent pas seulement des explications dans le
changement climatique, mais aussi dans la croissance
démographique de la population humaine et animale qui
s’est rapidement accrue au même moment pendant que les
ressources naturelles sont restées les mêmes ou en
régressions à cause de la demande élevée. A ce niveau,
sans toucher les causes directes de ces conflits, nous
comprenons la complexité de ces conflits qui nécessite une
analyse profonde qui pourrait déboucher sur une solution
durable. Les véritables enjeux et défis demeurent l’accès
coordonné de ces ressources en eaux et pâturages dans un
contexte de justice sans faille.
L’État doit avoir le monopole de la violence comme
théorisé par Max Webber (1864-1920) ainsi que l’efficacité
de son pouvoir coercitif afin qu’aucun groupe ne puisse
avoir ce monopole de violence comme le montre le cas des
éleveurs dans le cas précis du Tchad. Jouissant d’une grande
impunité, les éleveurs font trop peu d’efforts pour empêcher
leur bétail de saccager les champs des cultivateurs,
provoquant ainsi de multiples accrochages. Comme le
montrent les événements de Bebedjia en novembre 2004, il
suffit d’un incident mineur pour déclencher de graves
affrontements intercommunautaires60. Des conflits qui dans
la plupart de cas se transforment en conflits religieux c’est-
à-dire entre chrétien et musulman et qui fait surgir en
même temps le problème de l’islamisme dans un grand Sud
peuplé en grande partie des chrétiens. La laïcité du Tchad
n’empêche pas que de tels questionnements surgissent eu
égard à la multiplication des mosquées et des écoles
coraniques dans le grand Sud et qui s’accompagne de
l’agrandissement de la famille musulmane qui était au
départ minime. La grande peur et l’inquiétude demeurent
aussi le radicalisme à un moment où le terrorisme menace
le pays, mais tout compte fait, ce n’est pas cette question
qui tergiverse dans le grand Sud, mais plutôt, les actes
barbares entre les éleveurs et les agriculteurs qui posent de
grands problèmes de cohabitation et qui ne devraient plus
exister à ce stade de la construction de l’État-nation
tchadien.
Les conflits agriculteurs/éleveurs profitent de
l’antagonisme Nord/Sud pour s’implanter dans le temps et
dans l’espace si l’État ne prend pas ses responsabilités
régaliennes. Sans tergiverser, cette conflictualité qui
s’enracine est un frein direct au processus de
développement et de la démocratisation du pays.

49 Ibid., Arditi Claude. Tchad : chronique d’une démocratie importée.


50 Tchoudiba BOURDJOLBO (2020). Afrique, évolution politique et
développement : résultat d’un système à géographie variable dans “Anciens et
nouveaux conflits en Afrique sub-saharienne”, Studia Europaea, p. 227-250.
51 Saleh M. Ibni Oumar Mahamat Op.cit. Page. 18.
52 René Lemarchand, Op.cit. Page. 48.
53 René Lemarchand, Ibidem
54 Saleh M. Ibni Oumar Mahamat Op.cit. page. 18.
55 Adoum, S. (2012). Tchad : des guerres interminables aux conséquences
incalculables Op.cit. Page. 18.
56 Tchoudiba BOURDJOLBO (2020). Afrique, évolution politique et
développement : résultat d’un système à géographie variable Op.cit. Page. 65.
57 Les conflits, l’insécurité et leurs répercussions sur le développement au Tchad
(2018), Commission économique pour l’Afrique des Nations Unies, p. 34
https://repository.uneca.org/bitstream/handle/10855/24348/b11889500.pdf?
sequence=1&isAllowed=y
58 Les conflits, l’insécurité et leurs répercussions sur le développement au Tchad
Op.cit. Page. 72.
59 Arditi Claude. Tchad : chronique d’une démocratie importée. Op.cit. page. 58.
60 René Lemarchand, « Où va le Tchad ? » Op.cit. page. 62.
Chapitre 6
La corruption en passe de devenir
une pratique normale au Tchad

Dès son origine, la corruption signifie détruire


complètement, détériorer ou anéantir. Elle est la
dégradation de ce qui est saint ou ce qui constitue une
valeur morale. Il y a corruption dès lorsqu’il y’a un
détournement en échange de don, de cadeau, de promesse,
etc. C’est le détournement de pouvoir, d’abus de pouvoir
qu’on a reçu par délégation dans l’action publique. Elle met
en cause l’intégrité d’une personne, d’une société jusqu’à
toute une nation.
Dans la société moderne, la corruption constitue un risque
grave pour le développement d’un pays et altère la vie en
société et c’est d’ailleurs une des grandes causes de la
pauvreté multidimensionnelle vu son caractère trans-
sectoriel. Cela n’est guère un comportement à accepter en
société raison pour laquelle elle est considérée comme une
infraction grave et met une société en danger.
Elle est sans nul doute un fléau contre la démocratie, met
l’état de droit en péril et empêche l’efficacité des
institutions de l’État. La lutte contre ce fléau est un enjeu
majeur et un chaos politique qui dégrade les vertus et
valeurs d’une république. « Considérée jadis comme l’huile
dans les rouages d’un État bureaucratique pléthorique, la
corruption est aujourd’hui présentée comme le principal
obstacle au développement économique et comme une
menace réelle pour les régimes démocratiques »61. Une
raison de faire de son combat une lutte à tous les niveaux
dont le rôle de l’intellectuel se trouve au centre en un
lanceur d’alerte et en même temps le premier à la révoquer.
Depuis la nuit des temps, le phénomène de la corruption
est un mal qui ne disparait jamais et qui va toujours de pair
avec l’évolution du monde. Son caractère intarissable nourri
par plus d’un, ne veut pas dire qu’on doit le laisser paralyser
le système jusqu’à ce qu’il devient un phénomène ordinaire
comme la tendance actuelle dans une République comme le
Tchad.
Dans une société où la pratique de la corruption est une
routine : le pot-de-vin, les commissions, le trafic d’influence,
l’évasion fiscale, l’extorsion, le népotisme, les flux financiers
illicites, le détournement de fonds publics, les dessus de
tables, le favoritisme, la fraude sont les pratiques les plus
visibles. Les réseaux de corruption sont plus puissants et
entretenus que les hommes qui en détiennent le monopole,
deviennent plus puissants que l’État. C’est sauf dans les
pays les plus corrompus au monde que les individus
s’enrichissent aussi illégalement et que l’État devient une
petite entité dans leur main. C’est l’un des grands dangers
de la corruption qui fait que la construction de l’État-nation
dans les pays d’Afrique noire est un échec. Une corrélation
directe existe entre un taux élevé de corruption et un
régime autoritaire qui dans le cas du Tchad se dissimule
sous le soi-disant État démocratique.
Selon le classement 2021 de l’Indice de perception de la
corruption (Transparency), le Tchad est classé 43e sur 54
pays africains et 160e sur 180 au monde62. Une position qui
demeure involutive depuis la naissance de l’État tchadien
ou du moins avec l’avènement de la démocratie dont l’effet
positif était attendu. L’indice de classement est basé sur
une échelle de zéro à 100 en fonction de la corruption dans
le secteur public plus généralement de la douane, santé,
administration générale, éducation, passation de marché…
La volonté politique pour lutter contre ce fléau reste qu’un
discours et sur le terrain, le phénomène gagne de place et
ceci de plus en plus. Et si jusqu’à ce niveau aucune vraie
politique n’est mise en place pour le combattre, cela signifie
qu’il sert de passerelle à un groupe d’intérêt qui s’enrichit
sur le peuple.
« Il apparaît clairement que la mauvaise santé de l’Afrique
trouve son origine d’abord et surtout dans une mauvaise
gouvernance. Nombre de dirigeants poursuivent des
intérêts qui ne correspondent que rarement avec ceux de la
nation et pour lesquels les suffrages leur a été, vaille que
vaille, accordés »63. Il y’a un lien direct entre la corruption
et la pauvreté et aussi l’inégalité sociale très visible au
Tchad à cause de l’inégale redistribution de richesse. C’est
un phénomène qui bloque le développement et d’une
manière ou d’une autre, chaque individu se trouve mêlé à la
corruption même si, celle directement indexée ici est la
grande corruption. Tout est lié, car que ça soit à petite ou à
grande échelle, elle met à mal tout un système et qui à la
longue, la fait écrouler. Le pouvoir vient avec la corruption
et les deux vont ensemble pour faire de la vie du peuple un
calvaire. La corruption associée au pouvoir, dépossède une
société de tous ses acquis et la rend esclave d’un petit
groupe oligarchique. C’est une manière délibérée de voler la
vie à toute une société et de la manipuler.
Il y a une corrélation directe entre corruption et fragilité
d’État aussi comme ce qui se passe actuellement au Tchad.
Elle ralentit le développement économique et sape les
bases des institutions étatiques. La perception de la
corruption n’est plus un secret pour personne et cela
devient un réflexe dans une société qui se perd dans la
mêlée. « La corruption érode la confiance, affaiblit la
démocratie, entrave le développement économique et
aggrave encore les inégalités, la pauvreté, la division
sociale et la crise environnementale. L’exposition de la
corruption et la responsabilisation des corrompus ne
peuvent se produire que si nous comprenons le
fonctionnement de la corruption et les systèmes qui la
permettent »64.
La corruption est au centre des problèmes du
développement, elle est au cœur de la vie politique,
économique et sociale. C’est une question transversale qui
touche tous les secteurs en particulier de l’espace de
pouvoir. C’est une pratique qui dépossède une société de
ses valeurs démocratiques avec tous les enjeux qui s’y
rattachent. La vie publique est obscène, prise en otage par
ce phénomène qui n’est pas abstrait, mais réel.
Quand aucune vraie mesure n’est mise en place pour
lutter contre un tel cataclysme qui constitue le plus grand
obstacle au développement, le risque est qu’elle devient
une pratique ordinaire. Conséquence, quelques groupes
d’intérêt, s’enrichissent du jour au lendemain sans toutefois
être inquiétés de rien et de surcroit avec l’aide de
facilitateurs professionnels qui sont placés à tous les
niveaux administratifs.
La faillite de l’élite intellectuelle, leur complicité dans une
gestion alarmante de la chose publique est le résultat d’un
système de corruption construit dans l’intérêt de satisfaire
les besoins d’un groupe d’intérêt. Si la corruption perdure et
se trouve à tous les niveaux du système de gouvernance,
sait que quelque part il y a la volonté délibérée de la
maintenir contre toute attente. Et dans ce cas de figure, peu
importe le niveau et la capacité de certains hommes
compétents, plébiscités à la tête de certaines institutions, le
développement ne pourrait s’amorcer.
Le Tchad ainsi que plusieurs pays d’Afrique noire font face
à cette difficulté pourtant l’on a beau chanter qu’un État
pour un développement socio-économique et politique n’a
pas besoin des hommes forts, mais des institutions fortes.
On peut encore nuancer en disant qu’avoir des hommes
compétents et forts ne suffit pas pour amorcer le
développement, mais un ensemble de compétences et
d’institutions fortes.
Dans la plupart de cas c’est la volonté des dirigeants qui
conditionne et oriente le développement d’un pays surtout
dans un pays gouverné par un régime militaire comme le
Tchad où la caste dirigeante fait tout pour se maintenir au
pouvoir. Les failles viennent de là et ouvrent la voie à une
dangereuse corruption dont les plus perdants sont les
peuples qui ressentent cela directement dans leur vie
quotidienne. La situation du Tchad est exceptionnelle eu
égard au fait qu’on est désormais face à un parti politique
qui se substitue à l’État et d’ailleurs se confond à l’État,
instaurant un flou total au plus haut niveau de la
gouvernance. Un parti-État comme dans les pays
communistes qui témoigne du degré de la corruption qui
existe.
L’assujettissement du peuple du moins ceux qui préfèrent
la facilité, devient un problème de développement et un
grand danger qui crée le flou et qui finit par légitimer un
régime démérité et insolvable dont l’objectif n’est pas de
développer le pays, mais de se maintenir au pouvoir en
utilisant tous les moyens disponibles sans toutefois peser
ses conséquences sur la société à la longue. De grands
adeptes du « Prince » de Nicolas Machiavel, mais qui
utilisent cette philosophie politique uniquement dans un
seul but, celui de se maintenir au pouvoir sans pour autant
ne serait-ce que créer de condition de mieux vivre au
peuple comme ailleurs. Si aujourd’hui un État doit
fonctionner au gré et désir d’un homme qui n’investit pas
dans l’éducation ni la santé sauf dans l’armée, le choix est
clair et qu’il s’agit juste d’un rempart.
Le choix est clair si un dirigeant s’entoure des
universitaires chevronnés et des intellectuels de tout bord
qui sont sensés orienter et peser par leurs capacités
intellectuelles et de conseillers qu’ils sont pour influer le
développement. Mais qui jusqu’à preuve du contraire, rien
ne bouge c’est-à-dire qu’on ne voit pas toujours de
changement. Est-ce que cela est dû au système, à la
corruption intrinsèque qui est un grand facteur du sous-
développement ou à la complicité et/ou incompétence de
cette élite ?
Face à un système de corruption, si les élites n’arrivent
pas à faire bouger les lignes, cela renvoie à un système qui
doit perdurer sans espoir d’un avenir meilleur. Et c’est en
même temps prendre pour complice tous ceux qui
participent à renforcer le système de corruption et à faire
souffrir le bas peuple qui est pris dans le piège des mauvais
élèves de la mondialisation. Dans de telles circonstances,
les choses vont aller de mal en pire pas à cause du seul
groupe d’intérêt, mais à cause de tous ceux qui s’y joignent
brutalement sans penser au rôle premier qu’ils doivent
jouer, celui d’être au service de la communauté et non de
sa propre personne comme un pseudo-intellectuel, barbare
et avide du gain facile. Faut-il encore le rappeler que le rôle
d’un intellectuel ou d’une élite est de défendre une cause
juste, de se positionner toujours du côté de la raison et de
participer à résoudre un problème crucial qui dans ce cas
précis est la corruption.
Un ennemi commun sans visage, sans nom, mais d’une
criminalité accrue aggravant la dégradation, la déperdition
des institutions de l’État. Les jeux de concurrences, les
conflits d’intérêts, les criminalités des élites. La pire des
choses, c’est la professionnalisation de ce phénomène, le
premier facteur de déstabilisation. Un pouvoir détenu par
l’oligarchie politique face à un peuple désemparé qui ne sait
plus à quel saint se vouer. L’ambiance malsaine, inégale,
injuste construit comme légitime dans un système
démocratique corrompu.
L’échec de la politique de développement est dû à la
corruption par la caste dirigeante avec des conséquences
très ressenties sur le peuple qui se retrouve dans le gouffre
de la misère. Le politique a failli dès lors que les politiques
de développement sont construites pour laisser libre cours à
la corruption avec tous ses effets pervers sur la société.
L’inefficacité des politiques de développement et
l’incompétence des élites ouvrent grandement le chemin à
la corruption et est en même temps la conséquence de
cette dernière.
Le pouvoir et l’argent accumulés par la corruption
n’attirent que la violence, la colère et elle entraine tous les
jours l’affaiblissement de l’État de droit. Toute une
démocratie devient corruptible et change seulement de
forme et continue de noyer le système. Pris au piège du
caractère inéluctable de la corruption, on se dit que la
démocratie est en danger, car il ne s’agit pas seulement de
mettre en place une sorte de carcan démocratique, mais de
travailler et de militer tous les jours pour qu’à un moment
donné, l’on tire le système vers le haut et non vers le bas.
Collectivement, il est impossible de laisser en place d’une
oligarchie prendre la place de la démocratie.
Cette corruption criarde est le résultat du déficit
démocratique et encore une fois, la faute revient à ceux qui
fabriquent cette démocratie taillée sur mesure sans
continuum de régulation et de l’équilibre du contrat social.
L’on ne peut construire un État moderne durable sans lutter
promptement contre le phénomène de la corruption au cas
contraire, l’on ne ferait que faire du surplace comme ce qui
se passe actuellement.
A cause de la corruption, plusieurs projets de
constructions des infrastructures pour le développement se
sont transformés en « éléphants blancs »65. Dans ce
domaine, le constat est aberrant, car la corruption existe à
tous les niveaux sans pourtant que les grands adeptes
puissent être inquiétés. De l’attribution du marché public à
leur exécution par les bénéficiaires qui font partie du
système, l’on fait face à un grand détournement de fonds
publics. C’est un moyen de redistribution d’argent entre les
groupes d’intérêt qui se protègent efficacement et qui ont la
main mise sur le système dans sa totalité. Plusieurs
exemples de détournement de fonds dans le secteur des
travaux publics existent et qui sont très scandaleux et qui
témoignent du caractère corrompu du système de
gouvernance dans lequel se trouve le Tchad aujourd’hui.
« La corruption s’alimente en collusions entre certains
pouvoirs et provoque l’exclusion du tiers. De ce fait, elle
empêche ou rend problématique la Constitution d’un espace
public, entendu comme système d’interférence et de
communication entre acteurs sociaux et les idées et les
intérêts dont ils sont porteurs »66.
« Au lieu de lutter contre la corruption qui gangrène
toutes les institutions de l’État pour redorer son blason en
assainissant environnement économique et social, le Tchad
consacre plutôt ses efforts, ces dernières années, à la
guerre. Aujourd’hui, la corruption s’est installée dans tous
les domaines et à travers tout le pays »67. Avec la création
d’un ministère en charge de la lutte contre la corruption
dans le secteur public, l’on croyait à une amélioration de la
situation, mais le constat est autre avec une augmentation
nette de ce phénomène. Cela ressemble à un pur jeu pour
animer la galerie et vouloir se conformer aux normes
voulues par la communauté internationale. « C’est pourquoi
dans de nombreux états corrompus, les financements de
l’éducation et de la santé sont souvent délaissés en faveur
de larges projets de défense, qui, en raison de leur taille et
de leur caractère discrétionnaire, facilitent la corruption de
grande échelle. Les contrats de défense peuvent par
exemple être financés au détriment de cliniques rurales
spécialisées dans les soins préventifs, comme l’ont montré
Gray et Kaufmann (1998) »68.
La corruption freine l’investissement et l’innovation, car
elle bloque les performances économiques de plusieurs
manières. En se référant à l’Indice de Développement
Humain (IDH) du Tchad, conclusion tirée des
investissements dans les secteurs de base comme la santé,
l’éducation, l’alimentation, etc. Les conséquences sont
directement ressenties sur l’espérance de vie (53 % pour les
femmes contre 47 % pour les hommes)69, le taux
d’analphabétisme, la durée des études, etc. L’on se rend
compte de la situation désastreuse où se trouve le Tchad lié
au phénomène de la corruption qui s’est développement
sous la gouvernance de l’actuel régime qui brille par son
incapacité à diriger un État avec tous les atouts possibles
pour rendre un pays prospère. « L’Indice de Développement
Humain (IDH) du PNUD a placé le Tchad au 184ème rang sur
187 pays en 2014 »70. Et la valeur de l’IDH du Tchad pour
2019 s’établit à 0.398 – ce qui place le pays dans la
catégorie « développement humain faible » et au 187e rang
parmi 189 pays et territoires71. La position du Tchad peu
importe les résultats de différentes études, reste inchangée,
toujours en bas de liste, le mettant parmi les pays les plus
pauvres au monde avec la corruption comme la principale
cause.
Les secteurs de base comme l’éducation et la santé
souffrent tellement de l’encrage de la corruption qu’il est
souvent impossible d’y croire. Pourtant ce sont les secteurs
prioritaires dans la construction d’un pays dont-on ne peut
s’en passer ni accepter des erreurs dessus. C’est tellement
paradoxal qu’on se demande parfois s’il s’agit réellement
d’un État avec des valeurs et d’identités comme les autres,
ou il s’agit juste d’une mise en scène orchestrée.
Simplement en faisant la différence entre la part qui est
normalement allouée à ces secteurs et celle réellement
utilisée dans ces domaines, on est frappé par ce manque de
volonté criarde et absurde qui passe sous silence.
Les budgets consacrés à la santé et à l’éducation
continuent de baisser au profit du secteur de la défense et
de la sécurité dont le régime en place en fait un fonds de
commerce dans la Sous-région. Ce qui lui permet d’avoir le
soutien de la communauté internationale en particulier de la
France qui continue de le défendre contre la volonté du
peuple qui est par la même occasion terrifié et maltraité.
Par exemple, « la part du budget national consacré à la
santé est passée de 6,6 % en 2004 à 5,6 % en 2010. En
2011, les dépenses de santé par habitant étaient de 35
USD, pour une norme fixée par l’Union africaine à 44 USD.
Le budget de l’éducation (7 % du budget national en 2010,
comparé à 15,4 % en 2004) est l’un des plus faibles
d’Afrique »72. Dans ce cas de figure, peut-on dire que l’État
est conscient des enjeux de l’éducation et de la santé qui
dans un jeune État comme celui-ci doivent être prioritaires.
L’absurdité et l’incohérence sont les maitres mots qui
expriment cette situation catastrophique et déplorable.
Le taux de pauvreté s’explose avec la croissance de la
population et entre temps aucune politique de
développement durable ne l’accompagne. On assiste juste à
la vampirisation de l’économie par un groupe d’intérêt qui
saute à l’œil et dont aucun petit doigt n’est levé contre.
« L’enquête ECOSIT 3 de 2011 évalue le taux de pauvreté
national à 46.7 % (moins de 1 $ US / j), contre 55 % en
2003, avec 52,5 % des populations touchées par la pauvreté
en milieu rural et 20,9 % en milieu urbain »73. Et pire
encore, « au Tchad, 85.7 % de la population (soit
13,260 milliers de personnes) vivent en situation de
pauvreté multidimensionnelle et 9.9 % autres sont
considérées comme des personnes vulnérables à la
pauvreté multidimensionnelle (soit 1,527 milliers de
personnes) »74. Quand la corruption s’invite et s’installe
profondément dans un système, le résultat est un échec, un
fiasco total sur le plan de développement.
Dans le secteur de la santé dont les enjeux et défis sont
énormes à cause de la fragilité et de la vulnérabilité du
système. L’argent qui lui est alloué par exemple est
normalement disposé à construire des infrastructures et
équipements, à acheter des médicaments, à former des
personnels qualifiés, etc. Et parmi les conséquences qui en
suivent directement, l’on retrouve une hausse artificielle du
prix de traitement résultat de la raréfaction des ressources,
la baisse de la qualité de traitements, la recrudescence des
médicaments de contrefaçon et un blocage à la mise en
place d’une bonne politique de santé.
Egalement dans le domaine de l’éducation, le phénomène
de la corruption est un grand facteur de déstabilisation du
système. De prime abord, la part du budget réservée à
l’éducation est très faible, eu égard aux enjeux et défis
auxquels elle fait face. Ce qui est alarmant et très grave est
le fait que la petite part du budget alloué au secteur de
l’éducation est grignotée de tout bord par les pontes du
régime.
Tout compte fait, le système de l’éducation est inefficace
et en même temps fait face à une corruption à tous les
niveaux, rien de plus pour former une main-d’œuvre
incompétente qui ne répond pas au critère du marché de
l’emploi. De toutes les manières, on connait les raisons qui
poussent à maintenir cet état d’urgence, car si cela ne
profite pas au pays, il est clair qu’il est bénéfique à ceux qui
tirent les ficelles. Voilà l’héritage qu’on les jeunes qui sont
les responsables de demain, en commun. Au lieu de former
les cadres de demain, l’on forme les bombes de demain
dont l’incompétence, l’inefficacité, les gains faciles et
consorts s’invitent au rendez-vous. L’ironie du sort, de tous
les discours au caractère trompeur, l’on attend “jeunesse
fer-de-lance de demain”, mais sans toutefois la dotée de la
principale source et pouvoir qui est l’éducation de qualité.
L’on ne peut prétendre aimer sa jeunesse et la noyer en
même temps, c’est du suicide et l’obscurcissement de
l’avenir.
Il se trouve que la situation est très complexe et profonde.
La corruption gagne de terrain à cause de manque de
l’implémentation d’un bon système éducatif. Tout par de là,
car on sait très bien que la construction d’un État moderne
doit impérativement passée par la construction d’un bon
système éducatif sinon c’est la corruption et la mal-
gouvernance qui vont finir par gagner le terrain. Cela part
du principe de la contamination de la borne centrale qui par
conséquent touche tous les secteurs.
Cela nous amène à dire que, parmi tous les maux qui
gangrènent le développement du Tchad, la corruption est le
plus dangereux, facilitée par l’absence d’un bon système
éducatif depuis plus de trois décennies et qui laisse libre
accès à la paralysie de tout le système. La responsabilité
incombe en premier lieu à l’État qui, dans ce cas précis, est
remplacé par un parti politique dont le culte de la
personnalité est en train de devenir un phénomène normal
et normalisé. Pourtant, cette pratique n’avait pas sa place
dans les régimes précédents par devoir et responsabilité de
préparer les élites de demain. Tout compte fait, la corruption
a fait reculer les politiques de développement qui étaient
jugées prioritaires et indispensables.
Les conséquences sont visibles le taux d’alphabétisme
reste bas, un système éducatif de faible qualité et moins
efficace, en crise qui pond des jeunes malformés, rien appris
dans les livres et aveuglés par le gain facile. « L’ampleur de
la corruption dans le secteur de l’éducation ne coute pas
seulement des milliards aux sociétés, elle sape également
l’effort vital de fournir un enseignement pour tous, en
empêchant les parents les plus pauvres d’envoyer leurs
enfants à l’école, en retirant des équipements aux
infrastructures scolaires, en baissant la qualité de
l’éducation, mettant en péril l’avenir de la jeunesse »75.
La séquestration du secteur de l’éducation par le
phénomène de la corruption fait des victimes dans tous les
sens. On fait ici le lien avec l’insécurité, le banditisme, la
hausse de la violence et surtout du réservoir de
ravitaillement de l’extrémisme violent. Ce sont les laissés
pour compte, ceux dont le système a mis de côté à cause
de la corruption et qui par la suite se constitue en un grand
danger pour le pays. Conséquence, au lieu de construire des
écoles, l’on serait obligé de construire des prisons, mais ça
sera trop tard parce que le système serait devenu
incontrôlable. L’argent volé aurait servi à désamorcer la
bombe en amont afin qu’elle ne puisse pas exploser en aval.
Cette situation, semble être avantageuse pour ceux qui font
l’économie de la crise pour pouvoir continuer à régner dès
lors qu’on réfléchit comme un homme de guerre et rien
d’autre.
A part le secteur de l’éducation et de la santé, le
phénomène de la corruption au Tchad comme dans la
plupart des pays d’Afrique francophone dont l’usage
s’incorpore de plus en plus dans les habitudes, touche
sévèrement plusieurs secteurs directement concernés par
les institutions de l’État. Le système judiciaire et tout son
corpuscule, les services de sécurités et de défense, la
douane et les impôts, les parlementaires, les institutions
religieuses, tous les institutions et organes de l’État, le
secteur privé, etc. sont de près ou de loin concernés par ce
phénomène dangereux. Même les moteurs de la lutte contre
ce fléau comme les médias, la société civile, les partis
politiques ne sont pas épargnés par ce dernier.
Les médias surtout publics, que ça soit de la presse écrite
et/ou audiovisuelle, sont de mèche et roulent dans la
corruption. La chaine de corruption dans ce domaine va du
mécanisme de contrôle aux structures de presses en
passant par l’influence des propriétaires des médias qui font
presque tous, partis du régime dans l’optique d’avoir la
gouvernance de ce domaine. D’ailleurs l’éthique et la
déontologie semblent quitter ce milieu à cause de la
corruption qui est entretenue méticuleusement.
L’indépendance de la presse n’existe que de nom et est
utilisée rien que pour se légitimer auprès de la communauté
internationale comme les élections qui sont tout le temps
truquées et qui servent de laisser-aller aux yeux des
bailleurs de fonds pour torturer le peuple.
Il n’est plus à démontrer que la grande corruption a pris
d’importantes proportions avec l’avènement de la fameuse
démocratie en 1990 qui soi-disant était censée instaurer un
État de droit. Elle a grandement servi au régime en place de
se maintenir au pouvoir contre toute attente. Le peuple par
ricochet et par le facteur d’emprise s’est familiarisé avec ce
phénomène de tel enseigne que cela est devenu une
pratique qui est en passe de devenir ordinaire. Comme un
permis, par l’entremise de la corruption, les élections
permettent aux dirigeants d’avoir le libre accès de piller le
peuple et de le soumettre à une sorte de dépendance
inhumaine en le privant de toute sorte de préalables comme
la santé, l’éducation, l’électricité, la sécurité,
l’alimentation…
Comme l’arme secrète, efficace et redoutable, elle sert à
l’achat de votes des électeurs lors des élections. Des
électeurs qui ont perdu confiance après des décennies de
mensonges et de vols et étant enclins au gain facile et
reçoivent en contrepartie quelques miettes d’argents et de
présents. C’est à ce niveau qu’intervient le vol du caractère
sacré du vote qui est censé être la voix réelle d’un peuple.
On comprend nettement mieux ici le sens de la grande
corruption à travers le tort infligé à la jeune démocratie qui
fait du surplace depuis plus de trente ans.
Les classes sociales les plus touchées par ce phénomène
d’achat de vote propre aux pays africains en général et à la
République du Tchad en particulier, qui ont hérités
brusquement après les indépendances, de la démocratie
occidentale, se recrutent parmi les plus pauvres et les moins
instruits, faciles à corrompre, n’ayant pas des valeurs
républicaines et nationalistes. On décrit à présent l’une des
raisons délibérées du refus de la construction d’un bon
système éducatif. Tout semble s’expliquer à ce niveau, car
c’est une hypothèse qui se justifie à travers plusieurs
exemples et approches.
L’achat des votes qui n’est plus à démontrer comme
pratique ignoble, a des impacts très négatifs sur le
développement socio-économique et politique du pays. Une
fois que ces apprentis sorciers sont élus avec à leur tête leur
mentor n’ont aucune pression et obligation envers leurs
peuples dont ils chiffonnent à tout bout de champ. La raison
étant simple, car avec un réseau de corruption entretenu au
plus haut niveau par les moyens financiers de l’État, chose
impossible dans un pays de droit. Ils vont revenir comme
d’habitude avec les mêmes stratégies pour tromper le
peuple qui s’appauvrit de plus en plus, victime d’un
système méticuleusement construit.
La stratégie de la corruption de l’électorat est axée sur
des présents comme les kits de campagne (habits,
casquettes, écharpes, pagnes, fanions et assimilés), de
l’alcool, de l’argent et d’autres objets susceptibles d’attirer
l’attention de ces pauvres gens qui sont spoliés et appauvris
par ces politiciens véreux à chaque occasion. On assiste
dans la plupart des cas, à des dépenses très colossales afin
d’acheter les voix de la population par l’argent des
contribuables dont les conséquences directes sont la baisse
du budget de l’État et l’inégale répartition des richesses.
Cette pratique qui est vivace au Tchad, fait que le
processus démocratique reste ébranler et constitue en
même temps, un enjeu majeur de la construction de l’État
avec un accent particulier sur l’évolution de la démocratie.
Dans ce cas de figure, les élus ne représentent guère leur
électorat et cela influence par la même occasion sur la prise
de décision sans perdre de vue le fait que cette pratique
ignoble enlève au vote son caractère sacré et son pouvoir
de sanction avec tout son poids dans un système de
minimum démocratique.
Le plus ahurissant se traduit par le fait que le parti au
pouvoir sans état d’âme, aveuglé par la puissance de la
corruption, utilise les moyens tous azimuts de l’État pour
des campagnes électorales. Le comble de tout est que les
fonds de campagnes, dépassent de loin les investissements
dans les secteurs clés du développement comme la santé et
l’éducation. Pour la petite anecdote, des milliards sortis des
caisses de l’État sont utilisés pour l’achat de votes par de
hauts cadres du pays qui font tous partie intégrante du parti
au pouvoir qui se substitue depuis des années à l’État. Nous
sommes dans un contexte où un parti politique mine de rien
est plus puissant que l’État. Cela ne se fait nulle part sauf
dans un pays comme le Tchad.
L’un des grands enjeux est que les corrupteurs ne sont
pas punis par la loi sauf quelques-uns s’il existe,
ressemblent à un règlement de compte. La confiance
disparait dans un système décrédibilisé où règne un
manque de confiance totale. La corruption dans le domaine
de la justice, de la sécurité, de la douane et impôts… sont
aussi dangereuse que dans les autres domaines avec
l’appareil de justice qui est ancré dans la corruption. Ce qui
aggrave l’injustice, l’insécurité, le viol, le vol, les crimes…
Et, la population la plus touchée, demeure celle qui est
facilement corruptible comme les pauvres illettrés, mais
aussi et surtout les femmes, les vrais opposants et tous
ceux qui osent dénoncer ce fléau. Ce propos de Jacqueline
Moudéina, avocate et farouche défenseure des droits de
l’homme et libertés au Tchad, résume les atrocités de ce
fléau sur l’un des piliers de l’État qu’est la justice.
« L’appareil judiciaire est complètement malade. Et j’ai
toujours dit que la justice, c’est le miroir dans lequel on se
regarde quand on veut mener une bonne démocratie. La
corruption bat son plein et quand certains juges osent lever
le petit doigt, ceux-là sont sanctionnés. La justice est
utilisée pour mater les opposants, pour mater les
défenseurs des droits de l’homme. On ne peut pas parler
d’une démocratie qui avance, mais on ne peut pas se dire
qu’on stagne non plus. C’est là où je vous dis qu’il y a du
recul et j’insiste là-dessus. C’est un recul considérable »76.
Le Tchad, classé parmi les pays les plus fragiles et les plus
pauvres au monde par les institutions internationales est à
mettre directement en corrélation avec son statut de l’un
des pays le plus corrompu au monde. « Le score du Tchad
pour le Country Policy and Institutional Assessment (CPIA)
de la Banque mondiale est de 2,51 sur une échelle de 5 en
2014. Son score est de 2,9 sur 5 dans les listes harmonisées
de la Banque Mondiale, de la Banque asiatique de
développement et de la Banque africaine de
développement. Et l’Indice des États Fragiles du « Fund for
Peace and Foreign Policy Magazine » l’avait classé en 2014,
le 6ème pays le plus fragile sur 178 États »77. Plusieurs
raisons expliquent cette situation dont se trouve le Tchad et
aucune vraie mesure n’est entreprise pour l’amélioration de
la gestion publique qui souffre de manque de transparence
depuis des décennies. Tout ce que l’on remarque dans ce
domaine est juste un simple constat comme ce fut le cas
lors d’un récent discours du chef de l’État, Idriss Déby ITNO
qui constatait qu’« En dépit des mesures prises pour
assainir l’administration publique, je constate que les
mauvaises pratiques notamment la corruption, les
détournements des biens publics, les malversations
financières et économiques persistent. Tous ces maux,
toutes ces déviances doivent être combattus avec plus de
rigueur et de détermination afin de répondre pleinement
aux exigences du progrès économique et social de notre
pays,… »78.
Des déclarations politiques qui ne s’accompagnent pas
d’actes concrets, juste pour animer la gallérie et redorer le
blason. Car « les mesures entreprises jusqu’ici pour
combattre la corruption sont axées sur la seule politique de
la sanction. Ce qui est matérialisé par les opérations
médiatisées telles que Cobra qui sont perçues par d’aucuns
comme « une chasse aux sorcières » contre certaines
personnalités devenues trop ambitieuses ou en
indélicatesse avec le pouvoir et par d’autres comme « une
case d’initiation en vue d’une promotion »79.

61 Giorgio Blundo, « La corruption entre scandales politiques et pratiques


quotidiennes », in Monnayer les pouvoirs : Espaces, mécanismes et
représentations de la corruption, Cahiers de l’IUED (Genève : Graduate Institute
Publications, 2016), 11 -19, http://books.openedition.org/iheid/2614.
62 Borgia Kobri, « Classement 2021 des pays africains selon l’indice de
perception de la corruption (Transparency) », Agence Ecofin, consulté le 3 avril
2021, https://www.agenceecofin.com/actualites/2901-84668-classement-2021-
des-pays-africains-selon-lindice-de-perception-de-la-corruption-transparency.
63 Léonard Matala-Tala, « La participation et l’implication des différents acteurs
ACP-UE », Civitas Europa N° 36, no 1 (7 septembre 2016) : 17 -55,
https://www.cairn.info/revue-civitas-europa-2016-1-page-17.htm.
64 « Whatis corruption ? », Transparency.org, consulté le 3 avril 2021,
https://www.transparency.org/en/what-is-corruption?token=-cH1Q0kKiaXAuTaJ-
qMv0P-SB5KyS6SY.
65 « Des réalisations d’envergure, souvent prestigieuses et d’initiative publique,
qui s’avèrent plus coûteuses que bénéfiques et dont l’exploitation ou l’entretien
devient un fardeau financier ».
66 Giorgio Blundo, « La corruption entre scandales politiques et pratiques
quotidiennes », Op.cit. Page. 77.
67 « Rapport mondial sur la corruption 2008 », s. d., 282.
68 Barthoulot Arnault, « Les conséquences de la Corruption », s. d., 124.
69 Deuxième Recensement Général de la Population et de l’Habitat (RGPH2) de
2009
70 Évaluation de la coopération de l’Union européenne avec la République du
Tchad 2008-2014, Rapport final Volume 3, Mars 2016, 222 pages.
http://www.oecd.org/derec/ec/Evaluation-chad-annex2-fr.pdf
71 Rapport sur le développement humain 2020, PNUD, 8 pages
http://hdr.undp.org/sites/all/themes/hdr_theme/country-notes/fr/TCD.pdf
72 Évaluation de la coopération de l’Union européenne avec la République du
Tchad 2008-2014 Ibid.
73 http://www.oecd.org/derec/ec/Evaluation-chad-annex2-fr.pdf
74 Rapport sur le développement humain 2020, PNUD Ibid.
75 Barthoulot Arnault, « Les conséquences de la Corruption », s. d., 124.
76 « Invité Afrique – Tchad : « On ne peut même pas parler de démocratie » »,
RFI, 1 décembre 2020, https://www.rfi.fr/fr/podcasts/invité-afrique/20201201-
tchad-on-ne-peut-même-pas-parler-de-démocratie.
77 Évaluation de la coopération de l’Union européenne avec la République du
Tchad 2008-2014, Op.cit. Page 101.
78 Economiste, « Lutte contre la Corruption : Le Tchad toujours mal classé dans
le dernier rapport de Transparency International », consulté le 6 avril 2021,
http://www.croset-td.org/2014/12/lutte-contre-la-corruption-le-tchad-toujours-
mal-classe-dans-le-dernier-rapport-de-transparency-international/.
79 Ibid., Economiste, « Lutte contre la Corruption : Le Tchad toujours mal classé
dans le dernier rapport de Transparency International »
Chapitre 7
La gestion calamiteuse de la manne
pétrolière : l’occasion
d’un développement raté

L’une des plus grandes réserves de l’or noir au monde et


très riche en ressources minières. Ce fut le résultat des
prospections faites par une société américaine très tôt après
l’indépendance. Mais après moult tractation entre les
gouvernements qui se sont succédé à la tête du Tchad et le
néocolonialiste français, il a fallu attendre pratiquement en
2003 pour que le Tchad entre dans le cercle restreint des
pays producteurs du pétrole bruit. Il faut le dire sans
complexe que c’était le résultat d’une lutte acharnée depuis
l’indépendance, un combat qui était amorcé par le tout
premier président dont découlait près que toutes ses
mésententes avec l’ancien colon après les bras de fer
gagnés, mais qui lui avaient fait perdre son fauteuil
présidentiel d’ailleurs jusqu’à provoquer sa mort en 1975
avec le coup d’État qui était appuyait par la France.
Mais le fruit de ce combat sera gangrené et mis à mal par
les fantômes de la corruption qui avaient beaucoup plus
trouvé une place privilégiée avec l’avènement de la
démocratie nominale. Avec cette nouvelle ère, le
détournement des fonds publics avait eu raison sur le
discours des lumières brandi à tout bout de champ par le
nouveau locateur de la présidence. Au début de
l’exploitation de cette manne pétrolière, le développement
du pays semblait décoller, le pays et surtout la capitale
ressemblait à un vaste chantier en pleine construction avec
des grues perchées qui se voyaient le haut des immeubles.
Le symbole d’un pays en construction qui avait été très
rapidement englouti par de multiples corruptions.
L’exploitation du pétrole au Tchad était intervenue dans
des conditions exceptionnellement difficiles, celles d’une
nation enclavée dotée d’un capital humain et d’un physique
très insuffisants, et en l’absence quasi totale
d’infrastructures de base, ont dû être créées par l’industrie
pétrolière dans la région productrice80.
Dès l’ouverture de la vanne, le pétrole est devenu la
première recette d’exportation du Tchad, devant le coton et
la gomme arabique. En 2004, pour sa première année
d’exploitation, le pays a engrangé 67,5 milliards de francs
CFA (103 millions d’euros)81 sans pour autant avoir de réel
impact sur la vie des populations, car le quotidien social du
tchadien était resté le même ou du moins avait régressé. Le
plat du tchadien lambda n’a pas changé avec cette manne
pétrolière dont on a vu la partie de 5 % allouée à la
génération future être réutilisée dans des conditions
déplorables par un gouvernement insouciant de l’avenir du
pays.
Malgré ses richesses pétrolières, le Tchad est l’un des pays
les plus pauvres et les moins développés du monde. Il se
situe avec constance aux derniers rangs de l’indice de
développement humain (IDH)82 de tout le temps depuis la
mise sur le marché de ce produit qui a beaucoup plus causé
de malheur que de bonheur aux peuples. Cette analyse
montre que l’exploitation du pétrole n’a pas pu sortir le pays
de la pauvreté malgré les discours du gouvernement
donnant l’allure d’une réussite qui ne se voit guère sur le
terrain. Le peu des infrastructures (routières, bâtiments et
autres) construit çà et là ont été de mauvaise qualité et se
sont dégradées très rapidement symbolisant les
détournements des fonds publics alloués à des telles
réalisations par des individus mal intentionnés qui font
partie intégrante du régime en place reconnus sous le
vocable des « intouchables ».
Apparemment, l’implication de la Banque Mondiale dans
l’exploitation du pétrole tchadien surtout dans le cadre de
l’établissement d’un système de transparence des gestions
de recettes, n’aurait servi à rien dans la mesure où, les
prérequis établis par cette institution au préalable n’ont pas
été respectés. La corruption qui dans la plupart des cas en
Afrique, profite aux élites dirigeantes a beaucoup progressé
avec pour conséquence immédiate, l’augmentation de la
pauvreté qui amène encore le pays à s’endetter de plus en
hypothéquant par la même occasion son développement.
« L’exploitation de la richesse pétrolière a exposé le pays
sur différents aspects de la malédiction des ressources
naturelles : dépenses publiques non productives, corruption,
faible compétitivité extérieure, flambée de la dette
publique, faible imposition hors pétrole, comportement
d’État rentier et risque de conflit »83.
La production était à plus de 200 000 barils par jour pour
une bagatelle de plus de 4 milliards de dollar par an en
revenu, de quoi lancer son développement pour un pays qui
ne dépassait même pas 10 millions d’habitants et selon les
dernières estimations, les réserves autour de Doba seraient
d’environ 930 millions de barils, et les pétroliers semblent
ne pas exclure la découverte d’autres gisements ailleurs au
pays84. Ce bilan médiocre résulte du grand détournement
organisé autour du revenu de cette manne dont une partie
importante a servi à l’achat des armes et le budget de la
défense au moment où le peuple tire le diable par la queue.
A titre indicatif, le Logone Oriental, la région où se trouve
le bassin pétrolier de Doba, une zone majoritairement rurale
très productive et très peuplée (38 % de la population), est
aujourd’hui la troisième région la plus pauvre du Tchad
malgré les milliers de barils de pétrole exportés chaque jour.
64,7 % de sa population vit dans la pauvreté avec un revenu
moyen de 396 F CFA, soit 0,56 euro par personne et par
jour. Les paysans du bassin de Doba sont les grands
perdants du projet pétrole85. Pourtant cette région était
censée profiter des premières retombées, mais pas le
contraire comme ce fut le cas. Ce contexte de non
développement nous plonge directement dans un Tchad
sans une vraie politique de développement qui souffre
malgré les importantes ressources qu’il dispose.
Finalement, l’effet inverse a eu raison à cause de la
corruption et surtout de l’absence d’ingéniosité et de
manque de bonnes initiatives de développement. Toutes les
stratégies de développement ont été axées sur les revenus
du pétrole pourtant, le pays regorge plusieurs d’autres
ressources naturelles plus pratique que le pétrole qui ont
été oubliées à cause du manque de politiques publiques
axées sur la diversification de richesse. L’avènement de
l’ère pétrolière pour ouvrir un nouveau chapitre de l’histoire
du Tchad, augurant d’un futur meilleur. Le pays a tort de
faire de la manne pétrolière une source de dépenses
publiées productives, d’accélération de la croissance et de
lutte contre la pauvreté86.
Rattrapé par l’erreur commise, le développement
balbutiant qui était nourri par un seul secteur a subi un
grand choc à cause de la chute du prix de baril de pétrole
sur le marché international. Il a fallu que cela vienne
s’ajouter à la théorie qui semble confirmer la malédiction
des hydrocarbures qui se trouve au centre des débats sur
les enjeux de l’exploitation de l’or noir tchadien, détruisant
par le même fait l’environnement et rendant fragile le
processus de la démocratisation lancé depuis 1990.
Le projet pétrole Tchad qui fit naître tant d’espoirs pour le
développement du pays est devenu, après quelques années
d’exploitation, un cauchemar qui a transformé le paradis
rêvé en enfer. « L’exploitation du pétrole a détruit le
système de production paysanne, privant les agriculteurs de
leurs moyens de subsistance, polluant les eaux, les sols et
l’air, divisant la population et semant le désespoir surtout
chez les jeunes »87. Une main basse sur le pétrole a
provoqué le malheur du peuple après des promesses faites
par le gouvernement qui se sont envolées à la minute
même que l’or noir a commencé à couler. Une fierté
devenue une malédiction aux yeux du peuple et de la terre
nourricière qui a vomi cette ressource, dont les
gymnastiques pour son exploitation à couter la vie à
plusieurs dirigeants tchadiens qui ont fait de ce rêve une
réalité qui devrait servir d’exemple, pour le reste de la sous-
région.
L’exploitation du pétrole tchadien s’accompagne de
l’agrandissement de risques de conflits liés au réveil des
anciennes tensions. Pollution indescriptible, destruction de
l’environnement, spoliation des populations locales,
violation généralisée des droits de l’homme pour
l’alimentation d’un régime politique corrompu dominé par
des élites nordistes, basant leur pouvoir sur l’exploitation
effrénée des ressources du Sud88. Il n’est plus à démontrer
que les recettes provenant des ressources naturelles,
mènent plus souvent à la recherche de rente et à la
corruption dans les pays qui n’ont pas mis en place une
gouvernance de qualité suffisante avant la découverte de
ces ressources (Sala-i-Martin et Subramanian, 2003 ; Karl,
2007), cité par Bernard GAUTHIER et Albert ZEUFACK89.
Prenons seulement, l’apport en développement que devait
produire les revenus du pétrole tchadien exploiter depuis
l’an 2003, si le Tchad avait mis en place un système efficace
de lutte contre la corruption. L’on est sans ignorer que
l’argent du pétrole de Doba est entré plus dans les poches
de particuliers que dans la caisse de l’État et voilà les
conséquences. « Depuis la fin de la construction de
l’oléoduc Doba-Kribi en 2003, long de 1 070 kilomètres, le
Tchad a connu un taux de croissance économique
spectaculaire, passant de 1 % en 2001 à 48 % en 2004 »90.
Mais cette croissance économique n’est pas visible dans les
ménages ni dans les secteurs clés du développement. Où
est parti l’argent de toute cette manne et à qui profite-t-il ?
Véritablement, le pétrole est une malédiction pour le
Tchad cela confirme objectivement la thèse de la
malédiction des matières premières qui ont touché presque
tous les pays de l’Afrique noire connus sous le vocable du
« syndrome hollandais »91. Aujourd’hui, plus de 60 % des
Tchadiens vivent en dessous du seuil de pauvreté pourtant
les revenus de cette ressource devrait servir aux causes des
plus grandes. Malheureusement, « le Tchad reste très
vulnérable aux effets pervers du syndrome hollandais
(dutchdisease) »92. Pourtant pour le cas du Tchad, l’on avait
pensé que cette malédiction n’allait pas avoir lieu à cause
de l’implication directe de la Banque mondiale pour la
première fois dans la gestion du pétrole dans un pays en se
portant garant. Effet inverse, cela n’a pas servi à grande
chose et n’a pas pu stopper un dirigeant très gourmand qui
ne pensait rien qu’à remplir ses poches et celles de ses
entourages. Et malgré le plan en béton mis en place par
cette institution internationale afin de permettre la bonne
gestion des revenus en mettant surplace une caisse pour les
générations futures (5 % du revenu), tout a été mis en
déroute pour des intérêts politiques personnels et
immédiats. Malgré les promesses inscrites dans ces
statistiques, les retombées du pétrole n’ont jusqu’à présent
guère amélioré encore les conditions de vie de la
population93. Au contraire, la vie est devenue plus cher
qu’auparavant et les pauvres se sont appauvris de plus. Les
populations de la zone pétrolière ont été spoliées de leurs
terres selon un barème très précis qui n’ont servi à rien ni à
les aider à trouver une autre terre pour cultiver et y habiter.
Voilà le triste sort qui a été réservé aux premiers concernés
de cette exploitation pétrolière et entre-temps, un petit
groupe en profite de cette manne de la manière la plus
absolue faisant intervenir la règle de deux poids, deux
mesures. Tout cela à cause de la corruption, de la mal-
gouvernance et de l’accaparement du pouvoir par un
groupe armé qui ne pense rien qu’à leurs propres intérêts.
Si la manne pétrolière a profité à une frange de la
population, c’est bien sûr au régime en place et ses
proches. Cela est visible dans le quotidien d’un groupe
restreint de la famille présidentielle et certains de leurs
acolytes. Le secteur étatique qui a bien bénéficié de cette
manne, demeure le secteur de la défense et qui dit défense
dit toujours clan au pouvoir, car l’armée tchadienne et
clanique jusqu’à preuve du contraire et au service d’un
homme qui clame haut et fort qu’il n’est pas venu au
pouvoir par un billet d’avion d’Air-Afrique. Ce qui dit long sur
ses ambitions et les raisons qui sous-tendent le financement
du secteur de la défense est étroitement liée à cette volonté
délibérée de s’éterniser au pouvoir raison pour laquelle, il a
stratégiquement préféré de s’armer au moment où le
peuple mourait de faim et de maladie pour se maintenir au
pouvoir contre tout refus d’alternance démocratique ou
militaire. C’est très exagéré de gérer ainsi le patrimoine
d’un pays dont les conséquences finies toujours par
retomber sur la construction du pays.
Dans l’ensemble, le pays s’est appauvri et le niveau de vie
des Tchadiens qui devait s’améliorer a baissé à cause de
manque et de méconnaissance de bonnes politiques de
développement. Une incompétence qui se trouve mêlée au
manque de volonté politique. A son arrivée au pouvoir en
1990, Idriss Déby avait dit : « Je ne vous promets ni or, ni
argent, mais la liberté ». Dès le milieu des années 1990 et
encore davantage depuis que le pétrole dans le Sud du pays
est exploité, le contrat politique a changé : la promesse de
développement et de sécurité a supplanté celle de liberté94.
C’est un cas unique au monde dont les revenus du pétrole
se dilapident de cette manière. Le pays est en crise
énergétique avec le coût de l’électricité le plus élevé de la
région qui est la somme de l’échec de la gestion de
l’exploitation du pétrole. C’est incontestablement un fiasco
qui a fini par agacer le peuple.
L’entrée du Tchad dans le club des pays producteurs de
pétrole l’a transformé en un État rentier. Ainsi, entre 2004 et
2014, le budget de l’État a plus que quadruplé, passant
d’environ 670 millions de dollars à plus de 2,8 milliards de
dollars. Ces recettes nouvelles ont dans un premier temps
été mises au service de la survie du régime, avec
notamment le renforcement de l’armée et l’achat de
matériel militaire95 au détriment des investissements socio-
économiques. Conséquence, les conditions de vie des
ménages n’ont pas été améliorées pire encore, elles ont
reculé. « Les niveaux d’insécurité alimentaire sont très
élevés, avec des déficits quasi structurels : en 2012, 41,6 %
des ménages étaient en situation d’insécurité alimentaire
modérée ou sévère ; en 2013, 2,1 millions de personnes
souffraient d’insécurité alimentaire et 450 000 enfants de
moins de 5 ans souffraient de malnutrition aigüe »96. Tels
sont les symptômes d’une mauvaise gestion des revenus
pétroliers, dont la corruption qui s’était invitée dans la
danse dès le début du projet.
Le partage de gâteau s’était très vite invité au rendez-
vous qui avait fini par mettre en péril, la petite partie qui
était allouée aux peuples. Les marchés de l’État ont été
attribués à des entreprises et individus sans respect des
critères d’attribution des marchés publics raison pour
laquelle les investissements ont été dans l’ensemble, un
gros échec. Par incompétence et dans la précipitation dont
le seul objectif était d’en profiter des revenus rapidement,
c’était la noyade économique totale sans système de
contrôle fiable. C’est le Tchad qui avait perdu de ce
dérapage du pouvoir tchadien.
Contradiction totale, devenu pays producteur de pétrole,
c’est à ce moment que les choses se compliquent
davantage pour ce pays qui est en tête de liste des pays
pauvres très endettés (PPTE) et se trouve dans une impasse
financière et budgétaire totale avec tout ce pactole encaissé
depuis l’ouverture de la vanne de Doba en 2003. Les
secteurs qui ont par la suite souffert de cette mauvaise
gestion de la rente pétrolière sont les secteurs de base
comme l’éducation, la santé, l’agriculture, les
infrastructures, etc.
L’exploitation du pétrole a fait perdre de vue le progrès de
l’agriculture à travers la négligence des projets de
développement agricole qui sont considérés comme les
meilleurs au monde et très avantageux. Mais dans ce cas
précis, tout a été aux oubliettes de ce domaine et de l’autre
côté dans un secteur neuf dont aucune expertise nationale
n’était connue, cela a entrainé une exploitation dangereuse
avec des parts qui ont été mal-négociés.
Le périple de l’exploitation du pétrole tchadien laisse le
pays avec une importante leçon d’usage qui pourrait servir
à la longue à une prise de décision dans le futur. En bref,
même s’il n’y a pas eu de réel impact sur le développement
avec une situation figée qui semble corroborer l’hypothèse
de la malédiction des hydrocarbures.

80 Sharmini Coorey, and Bernardin Akitoby (2013). Tchad : les leçons des
années pétrole dans Richesse Pétrolière dans Afrique centrale : Les moyens
d’une croissance solidaire, page 260
https://www.elibrary.imf.org/view/IMF071/12595-9781475584233/12595-
9781475584233/ch10.xml?language=es&redirect=true
81 Anne-Claire POIRSON. Où est passé l’argent du pétrole tchadien ?, ?, Monde
Diplomatique, 2005, page16 https://www.monde-
diplomatique.fr/2005/09/POIRSON/12758
82 Les conflits, l’insécurité et leurs répercussions sur le développement au Tchad
Op.cit. Page. 72.
83 Sharmini Coorey, and Bernardin Akitoby (2013). Ibid.
84 Adoum, S. (2012). Tchad : des guerres interminables aux conséquences
incalculables. Op.cit. page. 18.
85 http://www.comboniane.org/afrique-tchad-lexploitation-du-petrole-au-tchad-
et-la-population-de-la-region.html Consulté le 04/09/2020
86 Sharman Corey, and Bernardin Akitoby Bernardin Akitoby (2013). Tchad : les
leçons des années pétrole Op.cit. Page. 100.
87 http://www.comboniane.org/afrique-tchad-lexploitation-du-petrole-au-tchad-
et-la-population-de-la-region.html Consulté le 04/09/2020
88 Tulipe, S. (2004). Le bassin tchadien à l’épreuve de l’or noir : Réflexions sur la
« nouvelle donne pétro-politique » en Afrique centrale. Politique africaine, 94 (2),
59-81. https://doi.org/10.3917/polaf.094.0059
89 Sharmini Coorey, and Bernardin Akitoby (2013). Tchad : les leçons des
années pétrole Op.cit. Page. 100.
90 René Lemarchand, « Où va le Tchad ? » Op.cit. page. 58.
91 Inspirée du cas des Pays-Bas des années 1960, l’expression « syndrome
hollandais », ou « maladie hollandaise » désigne le phénomène économique qui
relie exploitation de ressources naturelles et déclin de l’industrie manufacturière
locale. Par extension, l’expression est utilisée pour désigner les conséquences
nuisibles provoquées par une augmentation significative des exportations de
ressources naturelles par un pays.
92 René Lemarchand, « Où va le Tchad ? » Op.cit. page. 58.
93 René Lemarchand, « Où va le Tchad ? », Ibidem
94 Tchad : entre ambitions et fragilités, International Crisis-group, Rapport
Afrique N°233 | 30 mars 2016, 44 pages
https://www.refworld.org/pdfid/56fcd9664.pdf consulté le 12/01/2021
95 Ibid., Tchad : entre ambitions et fragilités,
96 Évaluation de la coopération de l’Union européenne avec la République du
Tchad 2008-2014
Chapitre 8
L’essor du populisme tchadien,
le début de la révolte contre la mal-
gouvernance

Le président Déby, à son arrivée au pouvoir en 1990, avait


promis la liberté et la paix dans un élan d’espoir qui a fini
par devenir un imbroglio total. Et après plus de 30 ans de
règne sans alternance à la tête de l’État, la première
question qui nous vient à la tête c’est de se demander s’il
existe réellement une démocratie au Tchad ? Sur le papier
oui, mais en pratique loin de répondre par l’affirmative, vue
la santé politique du Tchad qui sombre dans une crise
politique accentuée par le tripatouillage de la Constitution à
répétition et qui est devenue un simple document-cadre que
l’on modifie à tout bout de champ pour des intérêts
personnels et mesquins. A titre d’exemple, en une année,
elle a fait l’objet de modification à deux reprises sans
référendum et avec le décès tragique de son plus grand
modificateur le 20 avril 2021. Son fils qui a pris le pouvoir
dans un contexte d’illégitimité constitutionnelle, vient de la
mettre dans un autre cycle de modification à but personnel
ou pas, cela suscite de questionnements et de révoltes.
Avec la mise en place d’un Conseil Militaire de Transition
(CMT) après la mort de Déby, la Constitution a été
suspendue sans toutefois respecter les règles prévues dans
de telles conditions. À la place, une Charte de transition
taillée sur mesure avec un fond creux a vu le jour et en
espace d’une journée, a fait l’objet d’une retouche. De quoi
provoquer la colère d’un peuple qui ne se sent pas concerné
par la loi qu’il est sensé respecter.
Le volet sacré de la Constitution tchadienne a disparu
depuis le jour où elle a été modifiée pour permettre au
régime en place de se maintenir au pouvoir au détriment de
la plus large famille des opposants tchadiens. Le comble de
ce énième changement de Constitution se solde par une
volonté de s’éterniser au pouvoir comme un roi sur le trône.
Un projet qui semble marché comme sur des roulettes
raison encore une fois de plus de démontrer que le partage
du pouvoir n’est pas au rendez-vous. Le forum national
inclusif qui dans la norme des choses devrait regrouper tous
les fils du Tchad avec des résolutions qui devraient
plébisciter la nouvelle Constitution, s’était transformé en un
congrès du parti au pouvoir appuyé par quelques
sympathisants afin de donner au président, le fauteuil de
président à vie dont il pouvait laisser en héritage à sa
progéniture comme un empire. C’est un cheminement qui
suit son cours actuellement au Tchad, après le Gabon, le
Togo, le Congo…
Un coup de force, boycotté par les partis d’opposition, les
syndicats, les associations de jeunes et les sociétés civiles
qui pourtant leur avaient martelé que le pays traversait de
multiples crises et qu’il fallait d’abord s’attaquer à
l’immédiat s’il était conscient des vrais problèmes que
traverse le pays. Mais comme l’objectif du régime en place
était de chercher par voie et moyen à se maintenir au
pouvoir, ces recommandations ont été balayées d’un revers
de main.
C’est dans cette condition de crises financière et
économique, politique et de développement que la
Constitution de la VIe République a été forgée sans que le
peuple puisse avoir leur mot à dire comme dans un système
démocratique moderne. Les réformes institutionnelles qui
ne visaient rien que le prolongement d’un homme au
pouvoir et en plus en lui attribuant toutes les fonctions et
pouvoirs des institutions qui ont été supprimées à cause de
la forme de l’État qui naquit en devenant, lui seul, président
de la République, chef de l’État, chef du gouvernement, chef
suprême des armées, président du Conseil Suprême de la
magistrature, général des corps armés, etc. étaient le
symbole du néo-paternalisme qui a été vu comme une
menace contre la démocratisation et combattu depuis fort
longtemps dans plusieurs pays de l’Afrique noire.
En dépit d’une répression qui est réelle et d’une involution
du processus démocratique qui bloque la démocratisation
du pays dans une situation dont l’intérêt pour le
rétablissement des valeurs républicaines, reste muette. Le
système politique tchadien perd de légitimité au sein de la
population. Un processus qui ne favorise pas le
développement et que le tchadien moyen ne s’en soucie
pas trop.
Le sixième mandant de Déby s’inscrivait dans un contexte
de renégat et de contestations sociopolitiques d’envergures.
Les promesses de développement non réalisées sont de trop
et frustes les peuples qui s’inscrivent en faux et s’opposent
à un nouvel épisode de manipulation.
Après plus de 30 ans, la gouvernance ne s’est pas trop
évoluée dans une situation où on ne sent pas la force d’un
État indépendant. Les institutions en grande partie gérées
par les fidèles du parti au pouvoir ne respectent pas les
principes de la démocratie. On tend vers une démocratie
communiste dont l’État est dirigé par un parti politique qui
se renforce de plus en plus et dont le chef ne rend de
compte à personne et un respect à sens unique lui est voué.
Toute tombe petit à petit dans un système austère où se
développe un puissant culte de la personnalité qui avait
conduit certains pays après les indépendances à une dérive
totale. Le renforcement du parti au pouvoir respecte
l’ossature d’un pouvoir d’influence dont les membres se
recrutent parmi les peuples qui ne voient pas d’autre
chemin que celui-ci. On ne peut considérer ce phénomène
et l’expliquer par le nationalisme comme dans les pays
communistes à l’exemple de la Chine, mais comme une
vraie dérive qui attire la colère du peuple.
La légitimité du président est grandement divergente et
demeure le ventre mou de cette situation véritablement
profitable au régime qui utilise les moyens de l’État pour se
légitimer. Ce qui est dans les normes des choses
impossibles. C’est aussi tous ces paradoxes qui fédèrent les
différentes forces de la nation autour d’un projet de
revendication naturellement uniformisé.
C’est dans ce contexte d’injustice à répétition que les
différentes couches de la société commencent à réagir à
l’unanimité autour d’un point commun symbolisé par la mal-
gouvernance. Le pouvoir essaie de contenir un mouvement
qui pousse et appelle à l’alternance et dont les actions sont
étouffées dans l’œuf. À ce niveau, on peut dire que le
gouvernement parvient à tout contrôler en bafouillant le
droit des citoyens à la liberté d’expression et de manifester
qui est inscrit dans la Constitution de la République. Le
gouvernement est très réactif et répressif comme dans le
cas des régimes autoritaires dont il est strictement interdit
de se soulever contre le gouvernement. Le système reste et
donne l’allure d’être ouvert, mais dans l’ensemble reste
autoritaire. À ce niveau où le régime est puissant et dont
tout lui semble acquis et réussit, nait un populisme
disparate dont le dénominateur commun est l’alternance, la
justice et la cohésion.
On ne voit pas par quel moyen le processus de la
démocratisation pourrait aboutir à une alternance à la tête
de l’État. L’on pourra attendre une maturité démocratie
comme ce fut le cas dans certains pays d’Afrique
francophone dont les pères des indépendances se sont
éternisés au pouvoir par la force. Les élections ne semblent
plus être un moyen de l’alternance pour une grande partie
des citoyens qui ont fini par croire à cette impossibilité qui
se perpétue. C’est même une des raisons du ras-le-bol du
peuple qui commence à prendre de l’ampleur. Il faut aussi
dire que c’est à cause de trois décennies de gouvernance
sans partage et que le peuple fatigué, longtemps pris de
peur par les menaces et les tortures individuelles, a fini par
se mettre à l’école du populisme. Un populisme naissant qui
est manqué de l’automatisme, mais qui commence à faire
tâche d’huile et à forcer la main à un régime qui se croyait
tout permis.
Depuis l’instauration des élections au suffrage universel
comme l’une des bases de la démocratie qui normalement
débouche sur l’alternance. Les électeurs se lassent dans un
contexte qui ne change pas et qui reste le même. Un éternel
recommencement d’un cycle à sens unique dont le jeu est
scellé dès le début. Ce qui explique relativement la vision
des électeurs de l’utopie de l’alternance politique parce
qu’ils ne voient pas par quel moyen et de quelle manière
cela peut être possible, car le jeu électoral a montré ses
limites avec d’innombrables hold-up électoraux qui se sont
profilés à l’horizon depuis plus de trois décennies.
Le mécontentement contre le régime en place ne date pas
d’aujourd’hui, c’est le résultat d’une mauvaise gestion de
l’État depuis ses débuts au gouvernement en 1990 dont lui
et ses éléments se sont accaparés de la richesse du pays
contre toute attente. Cet accaparement de la richesse du
pays par un seul clan provoque le mécontentement et le
soulèvement qui prend encrage au sein de la population
tchadienne sans distinction de religion ni d’ethnie. Au
départ, plusieurs stratégies à caractères communautaires et
divisionnistes ont été utilisées pour renverser la cadence du
populisme, mais avec le temps, le peuple s’est rendu
compte de son vrai ennemi qui est le système en place.
La démocratie c’est aussi la place des citoyens qui
s’expriment et se font entendre par plusieurs moyens. Et
dès lors que leurs droits de vote se retrouvent piétiner, ils
peuvent et ont le droit d’exprimer leurs opinions autrement
loin de suivre aveuglément, s’engager dans un mouvement
social afin de faire pression sur le pouvoir public et les élus.
Les mouvements sociaux interviennent comme une sorte
d’expression et une simplification procédurale contre
l’oligarchie, une maladie qui gangrène la démocratie. Cela
explique la souffrance du peuple et qui cherche à prendre
son destin en main.
Le populisme s’inscrit ici dans un contexte de rappel à la
démocratisation qu’on sent de plus en plus en net recul.
C’est ainsi que le populisme tente de venir au secours de la
démocratie qui est prise au piège et qui demande un rappel
à l’ordre contre un groupe qui au départ incarnait la
naissance d’une démocratie dans un pays meurtri par une
série de souffrances et de guerres civiles, de rébellions et de
conflits intercommunautaires. L’expérimentation de la
démocratisation tchadienne difficile à faire progresser dans
une spécificité tâtonnante sans équilibre dont les étapes
semblent figées dans le temps. L’enjeu principal qui pousse
aux mouvements populistes, est le caractère menaçant et
risquant de cette démocratie sans alternance et qui
échappe facilement aux régulateurs de celle-ci. Les tensions
sont liées à la difficulté de mise en œuvre des principes et
valeurs de la démocratie.
Un État a besoin d’une démocratie pour fonctionner
correctement. La dictature démocratique est vue comme le
dysfonctionnement de celle-ci. Les failles de la démocratie
tchadienne sont grandissantes, ce qui pousse des gens
issus de différentes couches sociales à se mettre dans le
rôle d’un justicier pour empêcher le pire. Les peuples ont le
sentiment que leurs points de vue ne sont pas pris en
compte, qu’ils ne sont pas considérés à juste titre dans un
système qui devrait s’étaler dans un respect mutuel.
L’exclusion d’une grande partie de la population explique la
recrudescence de ces mouvements populistes.
Malgré les dispositifs militaires mis en place par le régime
qui ressemble beaucoup plus à un régime autoritaire que
démocratique avec un service de renseignement semblable
à celui de l’ancien régime dictatorial à l’exemple des
méthodes de tortures, de renseignements et d’enlèvements.
Et les dispositifs juridiques qui interdisent les manifestations
et les contestations, cela n’empêche pas des mouvements
sociaux, symptômes d’un malaise social et politique et
d’une crise en gestation à prendre de l’ampleur.
Plusieurs causes s’invitent pour expliquer cette multiple
grogne sociale qui s’est transformée en une revendication
politique par une masse disparate avec peu de stratégie et
qui manque de coordination. Pourtant sans une bonne
coordination face à ce régime expérimenté et utilisant les
moyens de l’État pour des intérêts d’un parti politique, la
contestation ne pourrait pas faire bouger les lignes comme
ce fut le cas à l’approche des élections précédentes dont le
parti au pouvoir a réussi à tirer son épingle du jeu en
utilisant les moyens de l’État à des fins personnelles.
L’avantage que le pouvoir en place a sur les mouvements
sociaux se trouve dans le fait qu’il est la suite logique de
l’ancien régime dictatorial et que ce sont les mêmes
tortionnaires qui ont été reconduits à des fonctions
semblables dans le nouveau système. Les mêmes stratégies
et moyens utilisés contre les pauvres citoyens qui font
usage de leur droit de manifester.
Les étudiants, les diplômés sans emplois, les élèves, les
collectifs de syndicats, la société civile, les partis politiques,
les associations, etc. ont tous épousé ce combat et ce
moyen avec de nombreux points de revendications. Les plus
essentiels à retenir sont l’injustice sociale, la cherté de la
vie, la corruption, l’impunité et surtout la modification de la
Constitution réduisant la chance des jeunes de se présenter
à l’élection présidentielle. Mais aussi et surtout la nouvelle
candidature de l’homme fort de N’Djamena qui est vu
comme un refus de l’alternance après plusieurs mandats à
la tête du pays sans aucun changement.
Les mouvements de contestation font face à une armée
au service d’un homme et non au service de la nation qui
aide le régime en place à diriger avec une main de fer et
contre toute alternance démocratique. Une armée qui
demeure fortement corrompue et organisée sur des bases
ethniques. « Des membres de l’ethnie Zaghawa, parfois
même du sous-groupe bideyat d’Idriss Déby, les Bilia, se
situent généralement au sommet de la hiérarchie militaire,
sont majoritaires dans la Direction générale des services de
sécurité des institutions de l’État (DGSSIE) et bénéficient
d’une impunité presque totale »97.
L’une des raisons de la création des multiples rébellions
qui ont fait que reculer le pays résulte aussi de cette
situation de ras-le-bol, mais tout compte fait, cela n’aboutit
à rien vu le soutien militaire qu’apporte la France à ce
régime qui continue de règne comme un seul maître dans
un pays dirigé par une main de fer. La source principale des
crises politico-militaires tchadiennes se recrutent dans des
mécontentements au sein des communautés qui ont la
culture de guerre depuis longtemps. D’une manière
générale, c’est le résultat de l’insatisfaction et de la
détérioration de relations après de promesses non tenues et
de la perpétuation de l’injustice.
Comme un effet d’entrainement, les dernières élections
s’étaient déroulées sans nul doute dans un climat très tendu
entre grogne sociale, manifestation, contestation et
boycottage dans un pays ayant une longue tradition de
coups d’État depuis le premier président jusqu’à ce dernier.
Ce qui fait que le processus de la démocratisation est une
vraie faillite et qui pousse la jeune génération a emprunté le
chemin de la rue pour exprimer leurs opinions d’une
manière légale selon la Constitution. Le gouvernement fait
un usage disproportionné de la force dans les
manifestations et l’utilisation des balles réelles par les
forces de défense et de sécurité dans le contexte de
manifestation et d’exercice des droits de réunions
pacifiques.
« Les mouvements sociaux qui s’amplifient, mobilisant en
particulier les jeunes, reflètent un malaise profond au sein
de la société et sont la conséquence d’un enchevêtrement
de crises qui peuvent fonctionner comme une trappe à
conflits »98. Et parmi les sujets clés qui font grincer les
dents, existent la dénonciation de la modification de la
Constitution de la VIe République en excluant 80 % des
Tchadiens à la course aux élections à cause de la limitation
d’âge à 40 ans. Une loi injuste qui vient entériner une
volonté personnelle de bloquer le processus de la
démocratisation du pays pourtant Déby père avait débarqué
à la tête de l’État à seulement 38 ans. Et voilà que son fils
prend les rênes du pouvoir à l’âge de 37 ans. Ce sont toutes
ces injustices de trop qui font envenimer les choses et
créent un climat social tendu.
Depuis l’indépendance du pays, il n’y a pas eu une
alternance démocratique au pouvoir et cela devient de plus
en plus pesant et embarrassant pour un peuple qui aspire à
un minimum démocratique. De coup d’État en en guerre-
civile, une malédiction qui a bien eu des impacts négatifs
sur le développement socio-économique du pays est
aujourd’hui intolérable. Il est hors de question de cautionner
une prise de pouvoir par les armes dans un pays qui saigne
encore des conséquences des évènements passés. Mais
certains Tchadiens ont perdu l’espoir d’une alternance
démocratique aujourd’hui raison pour laquelle, ils optent
pour l’alternance par la force qui est à écarter, mais qui
reste pour eux la seule solution.
Les mécontentements qui au départ étaient pour des
revendications sociales à cause de l’injustice, de la
corruption, de l’impunité, etc. prennent dorénavant une
couleur politique afin de dénoncer la prise en otage du
pouvoir par des coups d’État électoraux à répétition. Et la
stabilité politique promise par le gouvernement n’est qu’une
pure flatterie, une stratégie d’endormir le peuple comme
toujours, car l’un des critères clés de l’évolution
démocratique d’un pays demeure l’alternance démocratique
au niveau de la tête de l’État.
Les mouvements sociaux portés par des leaders jeunes
des partis politiques et des sociétés civiles témoignent la
face visible de la crise politique qui se pointe à l’horizon et
qui sont les conséquences d’une marginalisation d’une
partie de la population surtout la plus grande c’est-à-dire les
jeunes dans les instances décisionnelles étatiques. Pourtant
dans tous les pays du monde, les jeunes sont sollicités et
contribuent activement au développement d’un pays.
Les réseaux sociaux qui avaient efficacement servi de
moyen à la révolution comme outil de communication dans
certains pays n’arrivent pas à produire les mêmes effets à
cause de l’arbitraire, de la manipulation et le non-respect
des libertés d’expression et de presse par le pouvoir en
place. Un pouvoir qui décide à chaque fois de couper
l’internet sur toute l’étendue du territoire et ceci pendant
des jours sans respecter le droit du peuple à accéder à
l’internet. Cette condition ne permet pas à la masse de faire
bouger les lignes avec les nouveaux outils modernes de
communication et de l’information qui restent sous le
contrôle de l’État. Tout de même, la lutte ne fait que
commencer à travers une jeunesse qui ose franchir les
lignes de la soumission aveugle.
Tout compte fait, les mouvements sociaux constituent
aujourd’hui l’un de grands moyens de revendication dans un
pays en ébullition comme le Tchad qui nécessite de pression
de tous les bords et à tous les niveaux afin que les choses
puissent aller un peu de l’avant. Nous constatons que les
descentes dans les rues ce dernier temps sont prolifiques et
font bouger les lignes eu égard à la considération rapide des
revendications des manifestants par le gouvernement. C’est
un rapport de force payant qui demande à être intensifié
surtout à cette période clé de la construction de l’Etat
tchadien qui fait appel à toutes les forces vives de la nation
et à la responsabilité citoyenne.
Face à cette montée des mouvements sociaux, l’on doit
faire attention à l’extrémisme qui pourrait mettre à mal le
petit progrès de développement. On veut ici faire allusion à
la destruction des biens publics et privés par certains
individus qui parfois n’arrivent pas à faire la différence entre
la revendication citoyenne et la manifestion violente. Ce qui
conduit le plus souvent à l’extrémisme à travers les actes
de vandalisme (casses et pillages) et de profanation.

97 Tchad : entre ambitions et fragilités, Op.cit. page. 106.


98 Tchad : entre ambitions et fragilités, Op.cit. page. 106.
Chapitre 9
Un dialogue réaliste ou un de trop ?

Dans le document de référence du Forum d’Oslo intitulé »


The Promise and Perils of National Dialogues », Katia
Papagianni définit les dialogues nationaux comme « des
processus de négociation inclusifs conçus pour élargir la
participation aux transitions politiques au-delà des élites en
place, à un large éventail de groupes politiques, militaires
et, dans certains cas, de la société civile »99. Ce ne sont pas
des évènements politiques nouveaux, mais des moyens
pacifiques de régler les conflits internes d’un pays et
d’accroître les chances d’une paix durable. Ils sont
organisés dans plusieurs pays avec des contextes bien
différents les uns les autres. Le dénominateur commun est
de mettre fin à une crise quelconque et d’instaurer une paix
durable.
Durant ces dernières années, le monde a enregistré la
ténue de plusieurs dialogues nationaux inclusifs beaucoup
plus dans les pays arabes et en Afrique ancrés dans les
conflits intestins. Dans l’ensemble, c’est un bon outil et une
bonne approche de recherche de solution, mais les
motivations qui se cachent dernière leur organisation sont
diverses. Certains l’organise réellement dans l’optique de
déboucher sur une résolution nationale à un problème qui
gangrène profondément un pays, à une vraie réconciliation
entre les enfants d’un même pays. D’autres, les plus
égoïstes, l’organise dans l’intérêt personnel celui de se
maintenir au pouvoir, d’apaiser les interrogations et colères,
de rallier des nouveaux à leurs causes et ceci sous la
bannière de l’inclusion de façade à l’exemple des dialogues
organisés par Déby-père pendant son règne. La dernière
motivation fait que nombreux sont ceux qui s’interrogent et
suivent de près avec réticence, l’évolution de ce processus
de dialogue, car c’est la énième fois que de tels
évènements se déroulent sans qu’ils y aient des impacts
positifs sur l’évolution politique du pays. En quoi et
comment, ce dialogue national inclusif serait différent des
précédents ?
Loin de le considéré comme un parfait capsule qui peut
faire stopper d’un seul coup une hémorragie, car ce n’est
pas une panacée, mais un processus utile parmi tant
d’autres et qui a une forte chance de réussite s’il est basé
sur des objectifs crédibles. N’ayant pas une norme et/ou un
modèle standard, il revient aux âmes bien-nées de
véritablement l’adapter au contexte spécifique d’un pays à
l’exemple du Tchad dont les attentes sont nombreuses et
urgentes. Surtout la refondation de l’État et la mise en place
d’une nouvelle Constitution, la réforme politique et
institutionnelle, la lutte contre l’injustice et la corruption
sous toutes ses formes, la transgression vers une paix
durable, la réforme de l’armée sur une base nationale,
résoudre le problème sécuritaire etc. le tout sur la base de
l’inclusion.
Il existe de risque et de faible résultat lorsqu’il est
organisé par ceux qui tirent les ficelles, c’est-à-dire par le
parti au pouvoir. Il est préférable qu’il soit issu de la
collaboration de tous les acteurs afin d’avoir la crédibilité et
l’accord de la grande masse sans lesquels, le résultat sera
mitigé et bafoué par cette dernière. C’est à ce niveau
qu’intervient la Communauté internationale dans un rôle
d’appui, d’orientation et d’arbitrage sans partie prise.
En effet, il est important de mentionner que, le succès
d’un dialogue national inclusif ne se mesure pas au
remplissage d’une grande salle de conférence par des
milliers de personnes non représentatives ni par des
centaines de sujets moins importants. Mais des thématiques
précis et des acteurs représentatifs des différentes couches
socio-politiques facilitent la fluidité et l’approfondissement
des débats autour des grands problématiques. Pour éviter le
piège de l’improductivité et le dérapage des conversations
comme dans les trois conférences précédentes qui toutes,
ont accouché d’une souris, il serait préférable d’être
méticuleux. Pour la réussite d’un dialogue national inclusif, il
est préférable de mettre sur pied un terme de référence et
un plan d’action bien détaillé.
Les conditions pour la tenue d’un bon dialogue national
inclusif sont nombreuses. Il est impossible de le mener dans
un contexte de manque de volonté politique, d’injustice
sociale, d’insécurité, d’impartialité, d’exclusion, de violation
de droit de l’homme et de liberté… afin qu’il ne puisse pas
être accueilli avec réticence et scepticisme qui pourrait faire
basculer les choses négativement.
L’après Déby se solde d’une part par la monté des
mouvements de contestation massive (partis politiques,
sociétés civiles, activistes, diaspora, association des
étudiants, sans-emplois…) qui appellent tous à la
refondation de l’État et au changement de régime politique.
Mais d’autre part, l’on assiste à l’enracinement et à la
continuité d’un système symbolisé par le néo-paternalisme
étatique. La grande partie des tchadiens qui réclament le
changement opte aujourd’hui pour le fédéralisme comme
solution à cet imbroglio étatique tchadien. Cette option qui
émane en grande partie des populations du Sud du pays et
surtout de la base c’est-à-dire la couche la plus vulnérable
est le résultat de la mal gouvernance, de l’injustice et du
manque de développement. Tout compte fait, la solution
aux problèmes du Tchad ne se trouve pas uniquement dans
la forme de l’État, qui ne pourrait pas marcher comme il se
le devait sans l’instauration de l’État de droit. L’étape à
franchir ici est l’amorce d’une vraie prise de conscience
portée par le patriotisme afin de pouvoir sauver le Tchad de
l’impasse socio-politique dans laquelle, il se trouve.
Une impasse qui a tendance à se transformer en une
norme après des décennies d’un semblant d’enthousiasme
et de quête de son propre chemin de gouvernance. A
chaque pan de son histoire, l’on constate le renouvèlement
d’un même instinct, d’un même argumentaire
condescendant avec les mêmes faits et gestes qui
ramènent au paradoxe du retour à la case de départ et du
surplace. De la proclamation de l’indépendance en passant
par les sombres périodes de guerre-civiles des années 1979
pour enfin déboucher sur les années 1990 qui marqua un
tournant décisive dans le changement de paradigme de
gouvernance politique tchadienne. C’étaient les mêmes
leaders avec les mêmes tendances politico-militaires qui
avaient pesé de leurs poids dans la prise de décisions lors
des grandes assises. Les résultats n’avaient pas été à la
hauteur des enjeux et défis de la construction de l’État-
nation de la trame du Tchad, héritier d’une particularité et
diversité ethnique, socio-culturelle et religieuse qui avait
besoin d’une dose de patriotisme et de nationalisme
suffisante.
D’après tout ce qui précède, force a été de constater que
la plus grande partie des différents leaders ne se
préoccupaient guère de l’intérêt général du pays, mais
profitaient de leurs titres et/ou fonctions, de leurs poids
politiques représentatifs des différentes communautés afin
de servir leurs ambitions politiques démesurées. Ils
activaient facilement les fibres dangereuses du
communautarisme et de la religion pour arriver à leurs fins
et ceci sur les regards convoitant de l’extérieur qui par ruse,
les exploitaient à chaque fois que les occasions se faisaient
sentir et à moindre coût de surcroit.
A titre indicatif, en 1979 le GUNT (Gouvernement d’Union
Nationale de Transition) dirigé par Goukouni Weddeye choisi
lors des Accords de Kano et de Lagos au Nigéria a été un
échec à cause de la mésentente entre les propres fils du
Tchad. Chacun voulait au même moment accéder à la
magistrature suprême et personne ne voulait faire de
concession. Sans scrupule, les conséquences avaient été
atroces pour le Tchad avec l’étalement d’une guerre-civile
dont les cellules dormantes continuent de paralyser le pays
jusqu’aujourd’hui. Comme au matin de l’indépendance dont
l’évolution politique et la construction de l’État-nation ont
été impactées négativement par certains leaders
malintentionnés, les démons du passé sont toujours là à
vouloir donner un coup dans la fourmilière. Dans ce cas de
figure, la première question qui nous vient à l’esprit est de
demander est-ce que les dignes filles et fils de ce pays sont-
ils réellement motivés pour la construction d’un État
dynamique et puissant comme ailleurs ou bien sont-ils de
façade ?
L’histoire du Tchad riche d’évènements auréolés de haut
et de bas est la première témoin qui lève l’équivoque sur les
intentions et la volonté des tchadiens à mettre sur pied un
système étatique durable au service du grand peuple plutôt
qu’à celui des groupes d’intérêts dont le complot et le goût
remontent à la période des indépendances pendant
laquelle, les tchadiens n’ont pas eu l’audace et le culot de
se fédérer autour d’un projet unique et unificateur.
Comment ont-ils pu arriver à cette situation d’égoïsme qui
fait passer les intérêts personnels au-dessus de ceux d’une
nation ? Autant de questions qui nous conduisent droit sur la
problématisation de la valeur ajoutée d’un nouveau
dialogue national synonyme d’une nouvelle tentative de
recherche de solutions à la crise tchadienne.
Aujourd’hui, tout le monde sait que le problème du Tchad
est plus profond qu’un simple dialogue bis qui pour être au-
dessus de la moyenne, devrait être représentatif en
impliquant tous les tchadiens sans distinction de zone
d’intérêts. Dès lors qu’on aura atteint ce niveau
d’engagement et pour marquer la différence avec les
précédentes, le défis se situera au niveau de l’application
des grands engagements et décisions pris. Car c’est à ce
niveau que les tchadiens ont péché et trébuché par le passé
et dont découle les craintes de la base.
L’un des défis, c’est le manque de l’union sacrée entre les
filles et fils du Tchad autour des grands projets de la
République à l’égard de ce dialogue national qui doit
relancer et remettre sur le bon rail, le pays de Toumaï. Le
plus grand obstacle pourrait venir des semeurs de troubles,
des personnes malintentionnées qui à chaque fois appuient
sur le bouton des fibres fragiles du communautarisme et du
régionalisme. Le Tchad a été victime par plusieurs fois dans
son histoire de cette machination qui souvent réussit à
détourner les leaders et les décisionnaires de l’objectif
principal qui est celui de l’intérêt du pays. Sans patriotisme,
les honteuses manipulations du peuple tourmenté par ses
semblables, seront légions.
Les enjeux et défis pour le développement socio-politique
et économique du Tchad sont nombreux et les
responsabilités sont partagées. Les solutions apportées pour
répondre aux différents problèmes politiques que le pays
fait l’objet depuis son accession à l’indépendance sont dans
l’ensemble démesurées ou bien peu performantes, en
déphasage réel avec la réalité interne du pays. Les
caractéristiques des défis sont presque les mêmes, les
politiques et programmes de développement n’ont
d’impacts réels en termes de solution aux divers problèmes
parce que ceux-ci sont construits et montés en contradiction
avec les besoins réels du pays, mais plutôt dans un élan de
mimétisme négatif qui est considéré à juste titre comme un
danger pour l’éclosion du pays. Et, c’est l’une des raisons
pour lesquelles les enjeux et défis restent les mêmes ou
encore de plus.
Résultat des ancres flottantes qui l’empêchent de
déployer ses ailes comme l’aigle. Le besoin urge de
s’appesantir sur cette crise profonde qui s’abat comme
l’épée de Damoclès sur le peuple tchadien. « Le problème
central auquel le Tchad est confronté depuis 1960 n’est pas
tant l’opposition Nord/Sud, pulsation importante parmi tant
d’autres, que la construction d’un État moderne. Pour des
raisons historiques multiples, ce processus a avorté. Il existe
une identité tchadienne, largement rependue dans toutes
les fractions politiques, et confronté par les épreuves, mais
qu’il n’existe qu’un embryon d’État »100. Il est question
aujourd’hui de faire grandir cet embryon d’État qui arrive
difficilement à se tenir débout.
De coup d’État en guerre civile en passant par les
différents conflits intercommunautaires qui somnolent le
pays, l’on assiste à un cycle de réconciliation et de
refondation de l’État (Conférence, dialogue, forum…) sans
que les engagements prises soient mis en acte comme il se
le devait. Après la mort de Déby, l’on tend vers la
persistance de ce système de gouvernance par l’armée qui
devient providentiel avec toutes ses conséquences sur le
fonctionnement d’un État en quête de bonne gouvernance
pour son développement socio-économique qui tarde à se
mettre en place.
Les conférences nationales, faut-il le rappeler, sont une
invention, une contribution africaine à la théorie de la
démocratisation et ont été souveraines dans la plupart des
pays qui l’ont expérimentée101. À l’exemple de la
République du Tchad où elle s’était déroulée avec beaucoup
d’enthousiasme et ayant vu la participation de presque
toutes les couches de la vie politico-économique et sociale
de l’époque. Sur ce point, il y’a indiscutablement un progrès
avec l’instauration du multipartisme, de la liberté de presse,
de l’élaboration de la nouvelle Constitution soumis à
referendum après la tenue d’une Conférence Nationale
Souveraine, l’organisation des élections, le droit de
l’Homme etc.
Quelle que soit la voie empruntée, le processus de
démocratisation à travers (les Conférences Nationales
Souveraines) a presque permis dans tous les pays
l’instauration du multipartisme, du pluralisme politique,
économique et syndical, l’organisation d’élections
disputées, la rédaction de nouvelles Constitutions et leur
adoption par référendum ; bref, l’organisation de la vie
démocratique102. Le Tchad s’était bien lancé dans ce
processus qui va très tôt se heurter à des difficultés qui
découlaient des facteurs d’ordre politico-religieuses et
ethniques. La promesse de l’instauration de la démocratie
dans le pays se compromet sous la problématique de
l’alternance au pouvoir103.
Les conférences nationales initiées en Afrique au début
des années 1990, à la suite de la chute du mur de Berlin et
de l’effondrement des pays communistes de l’ancien bloc de
l’Est, ont inauguré la « vague de démocratisation », selon
l’expression de Samuel Huntington104. Celles-ci sonnaient
comme une rupture avec tous ces maux qui caractérisaient
la face sombre de l’histoire africaine d’après les
indépendances. Au Tchad, cette grande messe politique
commença le 15 janvier 1993 avec de l’enthousiasme et de
l’espoir d’un avenir radieux. Pour le peuple, le plus grand
défi était la renaissance du pays sous la bannière
démocratique.
Ce qui ressort de cette Conférence qui n’a pas été une
réussite, mais pas aussi un échec total, provient du fait que
les engagements n’ont pas été respectés ni les
recommandations prises en compte. La situation qui avait
prévalue par la suite était le syndrome d’une conférence
inachevée à cause de calculs politiques et stratégiques de
certaines âmes inassouvies et désapprouvées. La fermeture
de ce chapitre tonitruant nécessite de briser les chaines du
népotisme, du clientélisme et de la corruption en rompant
avec la logique du paternalisme étatique et de l’homme
providentiel qui gangrène notre pays à travers des pratiques
égoïstes, antinationalistes et ségrégationnistes.
Au départ, la Conférence nationale avait débouchée sur la
mise en place d’un gouvernement de transition qui avait la
lourde responsabilité d’organiser les élections libres et
transparentes. C’est à ce niveau que les choses n’avaient
pas bien démarré et avaient donné naissance à un
processus démocratique bancal et de façade. Le résultat
d’une Conférence nationale mal organisée teintée de
manipulation diverse qui a fini par montrer ses limites dans
le cas du Tchad. Les tripatouillages de la Constitution qui
s’étaient poursuivi par la suite en est l’un des exemples le
plus illustrant. Pourtant, La Conférence Nationale
Souveraine (CNS) avait dégagé les grandes lignes de la
future Constitution de la République. « L’élément majeur,
dans le cas du Tchad, était la limitation du mandat
présidentiel à cinq ans, renouvelable une fois, permettant
ainsi de rompre avec le pouvoir personnel et les cycles de
violence »105. Mais nous connaissons tous les désordres
institutionnels qui se sont installés par la suite au plus haut
niveau de l’État annihilant tous les efforts entrepris.
Une fois de plus dans l’histoire politique du Tchad, c’est
l’armée qui est sollicitée pour conduire la transition et
remettre sur le bon rail, le Tchad. Pourtant la gestion de
l’État par les hommes en treillis est fondamentale pour
appréhender les causes de conflits intercommunautaires et
de crises socio-politiques et économiques à répétition que
traverse l’État tchadien depuis son indépendance. Cette
mainmise de l’armée (anti-réformiste) sur l’appareil de l’État
depuis des décennies ne permet pas la mise en place d’un
puissant État-nation comme il se le devait. D’ailleurs jusqu’à
preuve du contraire, la République du Tchad est encore au
niveau de la recherche de la forme de son État (État
centralisé vers fortement centralisé, décentralisé, fédéré).
Cette difficulté est liée au système de conflictualité
instauré sitôt et qui perdure jusqu’aujourd’hui sous la forme
d’un communautarisme négatif. « L’armée a toujours
gouverné, et c’est pour garantir la continuité d’un pouvoir
militaire qu’elle a décidé de mettre en place le Comité
Militaire de Transition. L’objectif étant d’investir le processus
transitionnel en conditionnant les modalités et surtout
l’issue, comme ce fut le cas dans la grande majorité des
transitions qu’a connu le continent »106. A ce niveau, l’on
connait le danger qui guette cette nouvelle approche de
gouvernance axée sur le changement de paradigme de
moindre, car le fond risque d’être le même que les
précédents résultats des différents dialogues.
Les promesses ne suffisent pas pour garantir un dialogue
équitable, impartial et sans partie prise afin que les
résultats assortis puissent être exécutés. L’on a toujours
dénoncé le fait que le Tchad ne manque pas de beaux
textes ni de bonnes résolutions, mais le problème se
situerait au niveau de leurs applications par les hautes
instances de la République. Aujourd’hui, les actes sont plus
sollicités que jamais.
Le Président du CMT a bien sûr convoqué le dialogue
national inclusif considéré comme une étape importante
vers la résolution des conflits inter-tchadiens et la
progression vers une paix durable. Mais une chose est
claire, l’on ne peut être à la fois joueur et arbitre tout en
sachant que le cadre dans lequel émerge un dialogue joue
sur sa conception. « Je tiens à affirmer avec force que le
Conseil Militaire de Transition (CMT) n’est pas là pour
confisquer le pouvoir. Au terme de la période de transition
de 18 mois, le pouvoir sera rendu à un gouvernement civil,
à l’issue d’élections libres et démocratiques »107 et il avait
continué en ajoutant que : « Le conseil militaire de transition
n’a aucune ambition de gouverner solitairement le
pays »108. A travers ces propos qui laissent planer le doute
sur la volonté politique et l’engagement pour la tenue d’un
vrai dialogue national.
Si les tchadiens connaissent quelque chose des Déby, ce
sont des promesses fallacieuses et non ténues qui ne
ressemblent pas aux caractères des grands hommes d’État.
Et tout le monde sait qu’entre la parole et l’acte, la distance
est comme le ciel est la terre, mais le peuple espère que le
fils ne sera pas comme le père. Pour preuve, c’est la
première fois depuis la prise de pouvoir par Déby-père,
qu’une grande négociation entre les factions politico-armées
et le gouvernement est entamée à l’image de celle de Doha
au Qatar, un pré-dialogue précédé de la rencontre de Rome,
ceci dans le cadre de la préparation du grand dialogue
national inclusif. Déby-père s’était basé sur la ruse comme
stratégie pour piéger les groupes rebelles à tour de rôle à
travers des rencontres éphémères et sans compromis
durable.
Aujourd’hui plus que jamais, les regards sont tournés vers
les différents processus, les étapes, les stratégies en
espérant que les promesses faites soient tenues et que les
recommandations, les meilleurs soient prises en compte
pour la renaissance du Tchad. Tels sont les grands défis qui
attendent les décideurs tchadiens afin de lancer les bases
d’un État-nation dynamique et prospère que les peuples
appellent de tous leurs vœux.

99 Elizabeth Murray Signant, Susan et United States Institute of Pace, Dialogues


nationaux sur la consolidation de la paix et les transitions : créativité et pensée
adaptative, 2021, https://purl.fdlp.gov/GPO/gpo173410.
100 Triade, Jean-Louis. “Le refus de État L’exemple Tchadien.” Esprit (1940-), no.
100 (4) (1985) : 20-26. Accessed April 23, 2021.
http://www.jstor.org/stable/24270841.
101 Guèye, B. (2009). La démocratie en Afrique : succès et résistances.
Pouvoirs, 129 (2), 5-26. https://doi.org/10.3917/pouv.129.0005
102 Guèye, B. (2009). Ibid.
103 Adoum, S. (2012). Tchad : des guerres interminables aux conséquences
incalculables. Guerres mondiales et conflits contemporains, 248 (4), 45-55.
https://doi.org/10.3917/gmcc.248.0045
104 Guèye, B. (2009). La démocratie en Afrique : succès et résistances.
Pouvoirs, 129 (2), 5-26. https://doi.org/10.3917/pouv.129.0005
105 M. Ibni Oumar Mahamat Saleh Op.cit. page. 18.
106 Pape Abdou Ndour, « Penser l’après-Déby, quelle transition politique pour le
Tchad ? », consulté le 18 juillet 2021, https://www.wathi.org/penser-lapres-Déby-
quelle-transition-politique-pour-le-tchad/.
107 « La transition militaire au Tchad place la communauté internationale entre
le marteau et l’enclume », BBC News Afrique, consulté le 1 août 2021,
https://www.bbc.com/afrique/45732335.
108 Ibid.
Conclusion

La République du Tchad par sa position géostratégique et


géographique et par l’efficacité de son armée joue un rôle
central dans les relations internationales et les jeux
d’acteurs dans la sous-région. Sa diplomatie militaire très
performante en Afrique à travers le rôle de gendarme
qu’elle joue témoigne à sufficance son dynamisme dans ce
domaine dont il se classe parmi les meilleurs en Afrique.
Mais force est de constater que si dans le domaine militaire
surtout de l’interventionisme extérieur, le Tchad excèle, ce
ne pas le cas à l’intérieur ni dans d’autres domaines clés de
la République, car il se trouve dans l’impasse dépuis son
accession à la souverainneté nationale.
Dès son indépendance, le Tchad était victime d’une
situation de crises socio-politiques et administratives. Des
conflits naissaient très tôt, confisquant par la même
occasion l’espoir d’un essor politique et économique à tout
un peuple. Les périodes d’instabilités surtout les guerres-
civiles et les coups d’État ont hypothéqué le processus du
développement et l’avenir d’un Tchad radieux. Les accords
de paix signés entre les protagonistes n’ont pas pu installer
une paix durable à cause des intérêts égoïstes et mesquins
de certains leaders qui voulaient profiter du chaos beaucoup
plus que de la recherche de la paix dans un élan de rivalité
inavoué.
Aujourd’hui et après que le miel soit coulé à flot, le pays
demeure parmi les plus pauvres de la planète. Une lueur
d’espoir naquit quand l’heure de la démocratie avait sonnée
tambour battant, mais des décennies après, le bilan reste
médiocre dans l’ensemble. Constat : Au moment où les pays
frères du Tchad, lesquels ont acquis les fameuses
indépendances à la même période sont à une étape
avancée de leurs processus politique et de la construction
de leurs États. Réalisant des grands projets de
développement (infrastrucutres routières, chémin de fer,
industrialisation, indépendance économique, énergetique,
alimentaire et politique). Au moment où certains projettent
même d’explorer le ciel en envoyant leurs propres satéllites
dans l’espace, le Tchad lui cherche encore la forme de son
État, desorienté et éclaboussé de l’intérieur tout comme de
l’extérieur. Pris en tenaille, une situation qui ne lui permet
pas de sortir la tête de l’eau face à des enjeux et défis
pesant du développement.
L’héritage en commun, c’est celui d’une démocratie
balbutiante symbole d’un État néo-patrimonial caractérisé
par la recrudescence des divers conflits et des guerres,
bientôt de succession. L’exploitation du pétrole n’a guère
servit à rehausser le niveau de vie de la population ni à
l’essor de son économie qui reste basée sur un seul secteur,
le pétrole qui a vu et fait naître un grand réseau de
corruption et de mafias avec son corollaire, le détournement
de fonds publics à travers des sociétés d’écrans. Tous ces
échecs ont durant ces dernières années sucité des critiques
azimuts avec son corrolaire la naissance du populisme
tchadien appuyé et symbolisé par une diaspora de plus en
plus dynamique. Entre volonté et enthousiasme, les
revendications ont commencé à donner de fruits, symbole
d’un nouveau Tchad qui entre dans une nouvelle phase de
son histoire avec la disparition tragique de Déby-père en
avril 2021, dans un contexte très difficile à comprendre dont
le peuple attend des éclaircissements.
Cette disparition tragique d’un homme dont le fantôme
plane encore sur le pays, entre espoir et désespoir, met en
exergue les différents enjeux et défis à relever pour un
Tchad meilleur. Entre rupture et continuité d’un système, le
dialogue national inclusif porté par le Conseil Militaire de
Transition pourrait-il être à la hauteur de l’attente pour la
refondation de l’État tchadien ?
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