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HABER - Le Naturalisme Accompli de Lhomm - Travail Alieneì Et Nature. PUF - RENAU - 2008 - 01 - 0129
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HABER - Le Naturalisme Accompli de Lhomm - Travail Alieneì Et Nature. PUF - RENAU - 2008 - 01 - 0129
nature
Stéphane Haber
Dans Actuel Marx Confrontations 2008, pages 129 à 145
© Presses Universitaires de France | Téléchargé le 24/10/2023 sur www.cairn.info par Federico Puletti via Bibliothèque nationale de France (BnF) (IP: 194.199.3.13)
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Éditions Presses Universitaires de France
ISBN 9782130568377
DOI 10.3917/puf.renau.2008.01.0129
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« Le naturalisme accompli de
l’homme » :travail aliéné et nature
Stéphane HABER
1. M44, M3 IV, V, XXVI ; ES 87, 89, 136 ; GF 144, 146, 170 ; Vrin 146, 147, 166 ;
MEW 536, 538, 577 ; MEGA² 389, 391, 408. La formule « le naturalisme accompli de
l’homme » apparaît en M3 V. L’investissement théorique du terme « naturalisme » semble
bien relever de l’initiative de Marx. Avant lui, Kant l’utilise pour désigner une sorte de
confiance naïve dans la valeur de l’observation sans méthode des phénomènes naturels
(voir Critique de la raison pure, GF, Paris, 2006, p. 687) et, par une extension audacieuse,
pour caractériser la position des tenants de la « religion naturelle ». Hegel identifie
« naturalisme » à « matérialisme » (Leçons sur l’histoire de la philosophie, Vrin, Paris, t.
6, 1985, p. 1718). Le terme réapparaît sous la plume de Feuerbach (voir par exemple
L’Essence du christianisme, op. cit., p. 225, à propos de J. Böhme) mais sans faire l’objet
d’une attention particulière.
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2. Le jeu sur les deux sens du verbe leiden, « pâtir » – qui signifie en même temps
« être passivement affecté par quelque chose » (jusque dans la « passion ») et « éprouver
de la douleur, souffrir » –, est caractéristique des Manuscrits. Il trouve son origine chez
Feuerbach (voir par exemple Manifestes philosophiques, Paris, 10/18, 1973, p. 154) chez
qui la douleur est comprise comme une accentuation de la passivité sensible
caractéristique, selon lui, de la vie humaine.
3. A. Schmidt, Le Concept de nature chez Marx [1962], Paris, PUF, 1993.
4. K. Marx, F. Engels, L’Idéologie allemande, Paris, Éditions Sociales, 1980, p. 480-
481.
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« LE NATURALISME ACCOMPLI DE L’HOMME » 131
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« LE NATURALISME ACCOMPLI DE L’HOMME » 133
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générique est rendu étranger à l’homme signifie qu’un homme est rendu
étranger à l’autre, comme chacun d’eux est rendu étranger (entfremdet
ist) à l’essence humaine »9.
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« LE NATURALISME ACCOMPLI DE L’HOMME » 135
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C’est sur cette base que Marx, par une généralisation audacieuse qui
frôle ouvertement le langage rousseauiste, présente le communisme comme
un naturalisme pratique. Dans l’ordre des textes que nous avons l’habitude
de regrouper sous le titre de « Manuscrits de 1844 », il s’agit de la première
mention du terme, et elle est tout à fait spectaculaire :
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la vision et, pour Marx, c’est elle qui est la plus importante – l’immanence
propre à l’autodéploiement du naturel pour et dans un sujet vivant précédant
logiquement le mouvement d’objectivation dont il est pourtant solidaire17.
Comme pour éviter les tensions nées de ce monisme ontologique, la
suite du texte s’engage dans une sorte de fuite en avant artificialiste, voire
industrialiste, qui menace de fragiliser encore l’ensemble. À ce niveau,
l’auteur parvient bien, comme il entendait le faire, à jeter une passerelle
entre le naturalisme philosophique et les analyses économiques concrètes du
« premier manuscrit », mais c’est au prix d’une restriction dont la pertinence
n’est pas vraiment prouvée. En effet, tout d’un coup, sous l’influence d’une
obligation de revenir au plus vite à sa cible critique principale (l’aliénation
dans le travail industriel contemporain), Marx ramène l’objectivation
expressive au modèle du travail productif, alors même que d’autres
modalités que celle-là avaient été signalées par lui (telles que le langage ou
la création artistique)18. L’argument qui a implicitement compté dans ce
recentrage industrialiste, argument qui relaie la philosophie idéaliste de
l’« activité » et que confirmeront certaines pages un peu forcées de
L’Idéologie allemande où les cerisiers deviendront subitement des produits
de l’histoire19, c’est celui qui souligne l’importance du couplage historique
accompli dans la modernité entre les sciences de la nature et l’activité
économique. Car, suivant l’esprit des Lumières, l’auteur accorde
apparemment une valeur émancipatrice aux progrès de la connaissance en
tant que tels ; et c’est le fait que ces progrès aient été stimulés par le
développement des forces productives, ou du moins que ce développement
ait formé l’un de ses effets involontaires, qui l’incite à y voir la
manifestation majeure de l’auto-affirmation humaine. Incarnation de la
puissance créatrice de l’espèce humaine, l’industrie devrait, de plus, être
comprise comme le vecteur principal de cette coproduction du naturel et du
social dont Marx parlait plus abstraitement dans les paragraphes précédents :
il écrit ainsi que « la nature telle que l’industrie la fait est donc – quoique
sous une forme aliénée – la vraie nature anthropologique »20.
Cependant, Marx termine ce passage en attirant l’attention sur le fait
que la valorisation des sciences de la nature n’a pas comme unique fonction
17. M44 : M3 VIII ; ES 93 ; GF 151 ; Vrin 151 ; MEW 542 ; MEGA² 394 : « C'est
seulement grâce à la richesse objectivée de l'essence humaine que se crée et se forme la
richesse de la sensibilité subjective de l'homme, qu'une oreille devient musicienne, qu’un
œil perçoit la beauté de la forme, bref que les sens deviennent capables de jouissance
humaine, deviennent des sens qui s'affirment comme des forces essentielles de l'homme ».
18. M44 : M3 VIII ; ES 94 ; GF 152 ; Vrin 152 ; MEW 542 ; MEGA² 395 : « On voit
comment l'histoire de l'industrie et l’existence devenue objective de l'industrie forment le
livre ouvert des forces essentielles de l'homme, la psychologie humaine étalée au dehors ».
19. K. Marx, F. Engels, L’Idéologie allemande, op. cit., p. 24.
20. M44 : M3 IX ; ES 96 ; GF 153 ; Vrin 153 ; MEW 543 ; MEGA² 396.
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25. M44 : M3 XXII ; ES 132 ; GF 165 ; Vrin 162 ; MEW 574 ; MEGA² 404.
26. M44 : M3 XXVI ; ES 136 ; GF 169-170 ; Vrin 165-166 ; MEW 577 ; MEGA²
407-408 : « Quand l'homme réel, l’homme pourvu d’un corps, installé sur la terre solide et
ronde, l'homme communiquant avec toutes les forces de la nature, pose en s’aliénant ses
forces effectives, objectives, qui deviennent du coup des objets étrangers, ce n'est pas le
fait de poser qui est sujet. Loin d'être le sujet, cet acte de poser n'est ici que le côté
subjectif de forces essentielles objectives dont l'action doit être également objective.
L’être objectif agit d'une manière objective et il n'agirait pas objectivement si l'objectivité
n'était pas incluse dans la détermination de son essence même. Ils ne crée et ne pose
d’objet que parce qu'il est posé lui-même par des objets, parce que, par son origine, il est
nature ».
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27. M44 : M3 XXVI ; ES 136-137 ; GF 170-171; Vrin 166 ; MEW 578 ; MEGA² 408.
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28. M44 : M3 XXVII ; ES 138 ; GF 172 ; Vrin 167 ; MEW 579 ; MEGA² 409.
29. M44 : M3 XXXIV ; ES 149 ; GF 184 ; Vrin 176 ; MEW 588 ; MEGA² 418.
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de l’activité. Car bien que la philosophie du travail (en fin de compte plus
englobante que l’exaltation de l’« industrie » qui s’annonçait plus haut dans
le texte) occupe une place éminente dans le dispositif théorique qui se met
en place de cette façon, elle n’en constitue pas le cœur, mais reste au
contraire subordonnée à la thèse naturaliste.
L’image d’une nature révélée et réveillée par le travail productif, dans
laquelle A. Schmidt a pu voir le noyau dur de la pensée de Marx et dont,
selon lui, il suffisait de rappeler certains aspects pour qu’elle alimente
l’écologisme contemporain, n’illustre ainsi qu’une dimension possible du
rapport non distordu à la nature30. En suivant les idées de 1844, le « travail »
devrait plutôt être conçu, plus raisonnablement, comme un paradigme
fondamental pour les différentes formes d’activité qui, bien comprises,
conjoignent la réalisation des possibles les plus prometteurs dont l’homme
est capable (du fait de sa nature propre) avec un mouvement de
reconnaissance de la nature extérieure qui se prolonge dans une façon de
s’associer aux diverses manifestations de l’effectivité de celle-ci. Car une
nature qui se découvre d’abord tragiquement dans l’expérience de
l’aliénation vécue, c’est-à-dire dans l’expérience subjective d’un corps
propre diminué et réprimé du fait de la non-satisfaction de ses premiers
besoins, ne saurait se laisser complètement médiatiser par le travail :
première, elle demeure également autonome. Il n’en reste pas moins que ce
que suggèrent les Manuscrits, c’est que, quoiqu’il soit impossible de les
rattacher immédiatement l’une à l’autre ou de les déduire l’une de l’autre, la
pensée de l’aliénation sociale et l’affirmation décidée du naturalisme
forment un ensemble cohérent dont les deux éléments n’ont pas intérêt à
chercher à trop s’isoler l’un de l’autre.
30. A. Schmidt est lui-même revenu sur cette première valorisation dialectique du
travail qui fut la sienne en reconnaissant la primauté de la sensibilité. D’où une
remarquable réévaluation de Feuerbach. Voir Emanzipatorische Sinnlichkeit, Hauser,
Munich, 1973.