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ÉCONOMIE Le KATOIS
FARINE ET PATES ALIMENTAIRES : A qui profite l’interdiction
de l’importation au Mali ?
Toute décision économique gé- entreprises domestiques, car la prohi-
nère des coûts et des bénéfices. bition les met à l’abri de la concurrence
La prohibition n’est point au-des- étrangère. Pour la même demande, la
sus de ce principe économique. prohibition contribue ainsi à booster
la demande des produits des entre-
Les prohibitions commerciales font prises domestiques ; dans la mesure
partie des pratiques sophistiques com- où celles-ci peuvent désormais sa-
battues sans ménagement par les éco- tisfaire la demande résiduelle laissée
nomistes orthodoxes – des Classiques vacante par les entreprises étrangères
à la nouvelle économie Classique en ne pouvant plus avoir accès au mar-
passant par les Monétaristes – parti- ché domestique. Dans le but de sa-
sans de la liberté de circulation, donc tisfaire cette demande résiduelle, les
du laissez-faire. entreprises domestiques accroissent
La preuve de leur opposition aux pra- logiquement leurs capacités de produc-
tiques commerciales restrictives ou tion. Cette augmentation de capacités
prohibitives transparaissait déjà dans productives des entreprises nationales gap ; en ce moment, il n’y aura pas de heureusement ne se limiterait pas au
ces propos savamment écrits en 1854 doit déboucher normalement sur une perte de richesse. Une telle réflexion facteur travail. Ce qui se passerait une
par Frédéric Bastiat : « Je ne suis pas hausse de leurs niveaux d’embauche. doit être mise en face de la question fois que les capacités installées avant
de ceux qui disent : La protection s’ap- Cette hausse de la demande de travail suivante : comment les entreprises la prohibition seraient pleinement utili-
puie sur des intérêts. – Je crois qu’elle venant desdites entreprises devrait in étrangères après avoir supporté les sées, de nouvelles installations verront
repose sur des erreurs, ou, si l’on veut, fine produire la baisse du niveau de coûts de transport et de dédouane- le jour dans le secteur protégé. Et ces
sur des vérités incomplètes. Trop de chômage du pays. Cette baisse du ment parviennent-elles à se hisser au installations ne verraient jamais le jour
personnes redoutent la liberté pour niveau de chômage serait plus signi- niveau des producteurs nationaux sur sans la prohibition. Et tous ces mouve-
que cette appréhension ne soit pas ficative d’autant plus que l’empreinte le territoire malien ? La réponse est ments de travail et capital ainsi décrits
sincère. » Sophismes économiques, du secteur bénéficiant de la prohibition évidente, c’est parce que les entre- seraient faits au détriment des autres
Petits pamphlets I, page 1. serait importante sur le marché natio- prises domestiques sont probablement emplois alternatifs qui seraient leurs
Pourtant, malgré le rabâchage des nal du travail. inefficaces. Si tel est le cas, l’interroga- destinations naturelles si la prohibition
inefficacités occasionnées par la mise C’est l’analyse côté face de la prohibi- tion suivante s’impose : est-ce que les n’avait pas vu le jour. En définitive, la
en œuvre des pratiques restrictives tion qui permet de révéler au grand jour producteurs nationaux de farine et de richesse globale du pays se contracte-
ou prohibitives de la part des écono- la réalité sophistique de l’interdiction pâtes alimentaires peuvent instaurer ra sans aucun doute. Et la faute à qui ?
mistes orthodoxes, ces pratiques sont de l’importation des produits comme le niveau de farine et de pâtes alimen- La faute à la prohibition !
toujours omniprésentes dans nos éco- dans le cas malien. Tous les supposés taires pré-prohibition sans augmenter Un dernier argument en défaveur de
nomies contemporaines. Pour preuve, « bienfaits économiques » de la prohi- à long terme leurs prix unitaires ? J’en la prohibition est la tentation de son
les autorités maliennes de la transition bition présentés supra « côté pile » doute. extension à d’autres secteurs. Dans les
viennent d’interdire l’importation de la occultent avec fracas les consomma- Une autre argutie présentée par les pays à économie de marché comme le
farine de blé et de pâtes alimentaires teurs des produits. Toute cette analyse prohibitionnistes est la promotion du Mali, presque tous les secteurs sont
jusqu’à nouvel ordre par le biais de est déroulée par les supporteurs de la travail national. Un tel raisonnement ouverts à la concurrence. En accordant
l’arrêté interministériel n°2023-1960 / prohibition ou des mesures restrictives considère le travail comme un but ou un privilège à un secteur, les autorités
MIC-MEF-SG du 11 août 2023. qui ont à leur tête les producteurs et une finalité et non un moyen. C’est politiques doivent se préparer à rece-
En réalité, tous les décideurs ou leurs lobbies en ignorant purement et comme si la tâche ultime des décideurs voir une avalanche de doléances ve-
Hommes politiques qui mettent en simplement les consommateurs. Inu- est d’augmenter le temps de travail. nant des autres secteurs voulant eux
œuvre les mesures restrictives (à tra- tile de soutenir qu’une économie n’est Ils oublient que leur principale tâche aussi se mettre à l’abri de la concur-
vers les taxes ou les quotas) ou prohi- pas composée exclusivement de pro- consiste à créer les conditions pou- rence. De vous à moi, quel produc-
bitives sont toujours de bonne foi ! ducteurs qui ont en face d’eux un Etat. vant permettre l’accroissement de la teur aime la concurrence dans ce bas
Mais malheureusement, l’économie En plus, l’analyse de la prohibition côté richesse nationale et non le contraire ! monde ? Dans une telle perspective,
est loin d’être simplement une ques- pile considère le travail comme une Je note deux sophismes dans un tel les décideurs en accordant ce privilège
tion de bonne foi ! Ne dit-on pas que fin en soi et non un moyen. Et enfin, argumentaire. En accédant à la de- destructeur aux producteurs de farine
les souffrances des Hommes résultent les fervents supporteurs de la prohibi- mande des producteurs les autorités et de pâtes alimentaires doivent s’at-
de leurs erreurs ? tion (principalement les producteurs et publiques au lieu « d’augmenter le tra- tendre à d’autres demandes venant
Parmi la panoplie de raisons pouvant leurs lobbies) apprécient mal l’impact vail » peuvent même le diminuer. Dans de secteurs concurrentiels. Je regarde
être évoquées pour justifier la mise en de la prohibition sur la richesse du le cas du Mali, l’importation qui repré- personnellement du côté des produc-
œuvre de telles mesures sophistiques, pays. Ces différentes erreurs d’appré- sente les achats de produits (farine et teurs avicoles qui sont dos au mur ! Et
je retiens celles-ci : la promotion des ciation servent de soubassement aux pâtes alimentaires) étrangers par les en ce moment, quels arguments faut-il
intérêts nationaux, l’indépendance du raisonnements sophistiques promou- commerçants maliens est carrément présenter à ceux-ci pouvant servir de
pays vis-à-vis de l’étranger, la sauve- vant la prohibition de l’importation des enrayée. Ce qui veut dire que les auto- base de rejet de leur doléance qui de-
garde du travail national et la protection produits. rités ont fait leur choix entre le secteur vient du coup légitime dans un pays à
des industries nationales naissantes Dégâts de la prohibition industriel et le secteur commercial. Par économie de marché ?
face à la concurrence étrangère. Les producteurs maliens de farine et conséquent, elles décident de détruire Il ne fallait pas prohiber
Toutes ces raisons évoquées supra de pâtes alimentaires et leurs lobbies le travail déjà bien établi dans le sec- Toute décision économique génère des
peuvent être considérées comme demandent la protection vis-à-vis de teur du commerce au profit d’un hypo- coûts et des bénéfices. La prohibition
louables ! Défendre son pays contre la concurrence extérieure parce qu’ils thétique travail au niveau du secteur n’est point au-dessus de ce principe
les agressions surtout externes est ne sont pas capables d’y faire face. industriel. Je n’ai aucune envie de dire économique. En vérité, une mesure
une très bonne chose. Sauf, qu’au En acceptant de donner une suite fa- au lecteur que le signe du solde issu prohibitive génère plus de coûts que
plan économique, la défense du pays vorable à leur demande de prohibition, de ce processus n’est pas de prime de bienfaits. C’est vrai que la prohibi-
ne peut être ramenée à l’échelle de les décideurs politiques (qui peuvent abord en faveur des prohibitionnistes. tion fait l’affaire des producteurs qui
la défense militaire. Surtout quand le être de très bonne foi) valident auto- Un autre sophisme lié à cette argu- sont mis à l’abri de concurrence étran-
pays a souscrit au crédo du libéra- matiquement la création de la rareté tie de la sauvegarde du « travail na- gère. Ce qui pourrait leur permettre
lisme économique et social. (Voir Le sur les marchés des produits visés. En tional » prend appui sur le fait que la d’augmenter leurs prix en restreignant
Katois N°039 Nouvelle Série du mardi quelque sorte ils donnent leurs quitus prohibition dérègle l’allocation des fac- leurs productions et donc augmenter
11 juillet 2023 page 7 pour un examen pour la diminution de la richesse des teurs de production (travail, capital et leurs profits. Tous les supposés bien-
de l’idéologie économique défendue maliens. Au Mali, en 2022, les importa- terre) dans l’économie malienne. En faits attribués à la prohibition ne sont
dans la constitution du 22 juillet 2023 tions de pâtes alimentaires ont culminé admettant que la concurrence empê- que des sophismes économiques. Car
du Mali). à un peu plus de 16.094 tonnes pour cherait les producteurs nationaux à au lieu d’augmenter le travail national
Pourquoi la prohibition de l’importa- une valeur marchande de près de 7,07 utiliser pleinement toutes leurs capa- (qui n’est même pas une fin en soi) le
tion de la farine de blé et de pâtes ali- milliards de francs CFA. Dans la même cités de production déjà installées ; détruit en déréglant leurs affectations
mentaires relève-t-elle du sophisme année, ce sont près de 19.605,5 tonnes et qu’avec la prohibition qu’ils y par- naturelles. Au lieu d’augmenter la taille
économique ? Et Quelles sont les de farines de froment et de méteil qui viendraient. Dans une telle éventua- du gâteau (richesse nationale) la com-
conséquences inéluctables d’une telle ont été importées par les opérateurs lité, ils pourraient embaucher jusqu’à prime à travers les inefficacités qui la
pratique pour un pays comme le Mali ? économiques maliens pour une valeur une pleine utilisation de leurs capaci- caractérisent. En fin, à travers l’effet
Prohibition commerciale côté pile et estimée à un peu plus de 7,5 milliards tés respectives. Une chose est sûre et de contagion qu’elle génère, elle peut
côté face de nos francs. En prohibant l’importa- certaine, cette pleine utilisation serait conduire fatalement le pays dans le
A vue d’œil une prohibition de l’im- tion de ces deux produits, les autori- impossible sans le « coup de pousse » sillon tortueux du totalitarisme écono-
portation est une bonne chose. Sous tés amputent la richesse des maliens des autorités. Ce qui laisse penser que mique dont les préceptes ont été mis
un tel angle, la prohibition permet de de ces valeurs. En voulant rétorquer à le travail a été attiré vers un secteur en en échec par la liberté économique de-
restreindre les entrées des produits in- l’analyse précédente, d’aucuns pour- dehors de tout déplacement naturel de puis belle lurette.
criminés. Ce qui du coup contribue à ront dire que les entreprises nationales ce facteur. Ce processus de fonction-
redonner du pouvoir de marché aux en prenant le relais vont satisfaire le nement biaisé de l’économie mal Madou CISSE FSEG

Hebdomadaire d’informations générales - 10ème Année - N°046 Nouvelle Série - Mercredi 6 Septembre Août 2023

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