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Économie appliquée

Mécanisme de marché et régimes monétaires : l’apport de Knut


Wicksell
Tchinguiz Chamchiev

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Chamchiev Tchinguiz. Mécanisme de marché et régimes monétaires : l’apport de Knut Wicksell. In: Économie appliquée,
tome 63 n°1, Mars 2010. pp. 35-62;

doi : https://doi.org/10.3406/ecoap.2010.1933;

https://www.persee.fr/doc/ecoap_0013-0494_2010_num_63_1_1933;

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Résumé

La théorie du processus cumulatif de Knut Wicksell montre que le fonctionnement du mécanisme de marché dépend du contexte
institutionnel dans la sphère monétaire. Wicksell distingue trois régimes monétaires : le système de crédit simple, le système de crédit
organisé et le système de crédit pur. Si le taux naturel diffère du taux monétaire, l’ajustement automatique à l’équilibre n’est possible
que dans les deux premiers systèmes. En revanche, dans le système de crédit pur, les forces de marché sont incapables de restaurer
l'équilibre, ce qui se traduit par la variation cumulative du niveau des prix. Selon Wicksell, le système de crédit pur représente un
horizon vers lequel évoluent les régimes monétaires du monde réel. L’organisation du système bancaire et la politique monétaire
doivent ainsi être analysées dans le cadre de ce système de crédit. C’est pourquoi Wicksell est favorable à l’abolition de l’étalon-or et
à la mise en place de la politique monétaire active en vue d’assurer la stabilité des prix.

Abstract

Knut Wicksell’s theory of cumulative process shows that the working of the market forces depends on the institutional context in the
monetary sphere. Wicksell distinguishes three monetary regimes : the simple credit system, the organized credit system and the pure
credit system. When the natural rate of interest is different from the money rate, the automatic adjustment takes place only in the first
two systems. However, in the pure credit system, the market forces are unable to restore the equilibrium, what results in the
cumulative variation of the price level. According to Wicksell, the pure credit system is a horizon toward which the monetary regimes of
the real world evolve. So, the organization of the banking system and the monetary policy must be analyzed within the framework of
this credit system. This is why Wicksell is favorable to the abolition of the gold standard and to the active monetary policy for ensuring
the price stability.
In Économie Appliquée, tome LXIII, 2010,
n° 1, p. 35-62

Mécanisme de marché
et régimes monétaires :
l’apport de Knut Wicksell

Tchinguiz Chamchiev*

La théorie du processus cumulatif de Knut Wicksell montre que le


fonctionnement du mécanisme de marché dépend du contexte institu¬
tionnel dans la sphère monétaire. Wicksell distingue trois régimes
monétaires : le système de crédit simple, le système de crédit organisé
et le système de crédit pur. Si le taux naturel diffère du taux monétaire,
l’ajustement automatique à l’équilibre n ’est possible que dans les deux
premiers systèmes. En revanche, dans le système de crédit pur, les
forces de marché sont incapables de restaurer V équilibre, ce qui se tra¬
duit par la variation cumulative du niveau des prix. Selon Wicksell, le
système de crédit pur représente un horizon vers lequel évoluent les
régimes monétaires du monde réel. L’organisation du système ban¬
caire et la politique monétaire doivent ainsi être analysées dans le
cadre de ce système de crédit. C’est pourquoi Wicksell est favorable à
l’abolition de l’étalon-or et à la mise en place de la politique moné¬
taire active en vue d’assurer la stabilité des prix.

Knut Wicksell’ s theory of cumulative process shows that the working


of the market forces depends on the institutional context in the mone¬
tary sphere. Wicksell distinguishes three monetary regimes: the simple

Chercheur associé au Centre des recherches économiques sur la politique


publique en économie de marché (CREPPEM) de T Université Pierre Mendès France
de Grenoble et au Laboratoire d’économie dionysien de l’Université Paris 8.
Courriel chingiz.shamshiev@yahoo.fr
:
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credit system, the organized credit system and the pure credit system.
When the natural rate of interest is different from the money rate, the
automatic adjustment takes place only in the first two systems.
However, in the pure credit system, the market forces are unable to
restore the equilibrium, what results in the cumulative variation of the
price level. According to Wicksell, the pure credit system is a horizon
toward which the monetary regimes of the real world evolve. So, the
organization of the banking system and the monetary policy must be
analyzed within the framework of this credit system. This is why
Wicksell is favorable to the abolition of the gold standard and to the
active monetary policy for ensuring the price stability.

INTRODUCTION

Knut Wicksell n’a pas proposé de formalisation de la théorie du pro¬


cessus cumulatif qu’il a élaborée. Il considérait qu’elle n’était pas suf¬
fisamment développée pour être traduite en langage mathématique. De
nombreuses interprétations, souvent très différentes les unes des
autres, ont visé à combler cette lacune. Dans la grande majorité des cas
elles sont faites en termes d’offre et de demande de biens et de capital.
Une telle lecture de la théorie monétaire de Wicksell n’est pas arbi¬
traire puisqu’elle trouve sa justification dans les textes de l’auteur.
Les interprétations existantes sont divisées en trois catégories : 1) les
modèles d’équilibre statique ; 2) les modèles d’équilibre dynamique
dans le sens où les variables endogènes sont datées et expriment des
variations en fonction du temps ; 3) les modèles d’équilibres séquen¬
tiels.
Les travaux représentatifs de ces catégories sont les suivants.
Patinkin (1952, 1965) considère que Wicksell a construit un système
d’équilibre général intertemporel : si un choc exogène provoque l’ap¬
parition d’un écart entre le taux d’intérêt naturel et le taux d’intérêt
monétaire, l’accroissement de la masse monétaire et du niveau des prix
conduit, par le biais de la réaction des banques face à la baisse de leurs
réserves, à la disparition de l’écart entre les taux et donc à l’instaura¬
tion de l’équilibre. Chez Patinkin, le processus cumulatif n’est qu’une
variation du prix relatif d’un bien causée par la variation de son offre.
Si l’offre d’un bien varie sans limite, son prix se modifie aussi sans
limite. Cela s’applique à tous les biens, aussi bien à la monnaie qu’au

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blé ou au travail. Hicks (1939) pense que le processus cumulatif de


Wicksell est une expression de l’indétermination du système d’équa¬
tions due à l’absence de l’équation du taux d’intérêt qu’on trouve chez
Keynes (1936). Myrdal (1939) interprète le processus cumulatif
comme un déséquilibre monétaire, c’est-à-dire une déviation par rap¬
port à l’équilibre monétaire. Cet auteur voie la théorie de Wicksell sur¬
tout comme une tentative de définir les conditions de l’équilibre moné¬
taire en vue d’analyser les déviations par rapport à celui-ci. Frisch
(1936, 1952) et Haavelmo (1978) présentent le processus cumulatif de
Wicksell sous forme d’un modèle de déséquilibre dynamique : les
variables sont datées et expriment des variations en fonction du temps ;
une distinction est faite entre les grandeurs ex ante et ex post. Hicks
(1965) interprète le processus cumulatif comme une séquence d’équi¬
libres statiques connectés entre eux par les anticipations statiques. Le
processus cumulatif prend la forme d’une variation des grandeurs
d’équilibre général temporaire. Cette analyse s’inspire des interpréta¬
tions de la théorie monétaire de Wicksell par les auteurs l’École de
Stockholm comme Akerman (1933), Lindahl (1939) et Lundberg
(1937) qui considèrent que la théorie de Wicksell doit être analysée en
termes séquentiels.
De nombreuses critiques ont été adressées à la théorie du processus
cumulatif de Wicksell. L’impossibilité de définir un taux d’intérêt dans
une économie sans monnaie mais avec plusieurs biens a été formulée,
entre autres, par Myrdal (1939). Sraffa (1932) a montré que dans un
monde sans monnaie, il y a autant de taux d’intérêt que de biens.
Garegnani (1980) a démontré que le capital agrégé ne peut pas être
mesuré indépendamment du taux d’intérêt, et le taux d’intérêt dépend
de la valeur du capital. Wicksell était conscient de cette difficulté l.
Pour la contourner, il faut soit supposer que le taux d’intérêt est exo¬
gène, soit supposer que les prix monétaires sont donnés. Cette diffi¬
culté est fondamentale pour la théorie de la répartition de Wicksell 2
mais pour la théorie du processus cumulatif elle est secondaire puisque
cette théorie est compatible avec toute théorie des prix relatifs, y com¬
pris celle de Sraffa3.

1 Benetti (1974).
2 Ibid.
3 Nell (1967) raisonne sous cette hypothèse. La courbe qui relie la valeur du capi¬
tal et le taux d’intérêt peut être construite en supposant que l’une des variables est exo¬
gène [Benetti (1974)]. Le processus cumulatif peut être vu comme la perturbation et la
restauration répétitives d’un certain système des prix relatifs, quelque soit la théorie de

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D’autres critiques ont visé la notion de valeur d’échange de la mon¬


naie. Par exemple, Sraffa (1932) considère que l’indice des prix est une
construction conventionnelle. Des indices différents peuvent être
construits, et en fonction des indices choisis les prix monétaires vont
baisser, augmenter ou rester stables quand le taux d’intérêt naturel est
supérieur au taux monétaire. Davidson reproche à Wicksell de consi¬
dérer la stabilité du niveau des prix monétaires comme l’expression de
la stabilité de la valeur d’échange de la monnaie 4. Davidson définit la
valeur d’échange de la monnaie comme un rapport entre la masse
monétaire et le niveau des prix. Il en découle qu’en cas de hausse de la
masse monétaire le niveau des prix doit s’accroître pour que cette
valeur reste stable.
L’idée que le taux d’intérêt naturel ne dépend pas du taux monétaire
a été remise en cause par Davidson 5, Mises 6, Cassel7 et Wicksell lui
même8. Si le taux d’intérêt monétaire diminue par rapport au taux
naturel, la hausse de l’investissement qui en résulte doit entraîner une
baisse du taux naturel jusqu’à son égalisation avec le taux monétaire.
Le processus cumulatif doit alors s’arrêter. Davidson avance l’idée que
si le taux d’intérêt naturel augmente grâce au progrès technique, la
quantité produite et les ventes deviennent plus élevées. Si dans ce cas
la masse monétaire reste inchangée, les prix monétaires vont baisser et
entraîner vers le bas le taux naturel. La politique monétaire proposée
par Wicksell sera alors inappropriée la baisse du taux d’intérêt en
:

réaction à la baisse des prix va entraîner l’expansion monétaire et, en


conséquence, l’inflation. Wicksell lui-même admettait que lors de l’in¬
flation l’épargne forcée peut provoquer une baisse du taux naturel mais

la valeur sous-jacente, les prix relatifs étant les rapports des prix monétaires. Ce rai¬
sonnement pose un problème d’interprétation de l’état de déséquilibre soit les prix
:

relatifs qui correspondent à cet état sont déterminés autrement que les prix relatifs
d’équilibre, soit les deux systèmes de prix relatifs sont déterminés en fonction de la
monnaie (cela n’implique pas nécessairement l’introduction de la monnaie dans la
théorie de l’équilibre général concurrentiel car logiquement d’autres théories des prix
relatifs avec monnaie sont envisageables). L’interprétation est d’autant plus importante
que les prix relatifs peuvent ne pas être restaurés au cours du processus cumulatif.
4 Thomas (1935), Uhr (1962, p. 270-276). Les numéros de page renvoient toujours
à la version traduite ou à la réimpression du texte cité si la traduction ou la réimpres¬
sion figurent dans la liste des références.
5 Thomas (1935), Uhr (1962, p. 256-260).

6 Uhr (1962, p. 256-260).


7 Ibid.

8 Wicksell (1906, p. 199-200).

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il considère que cette hausse forcée de l’épargne ne peut pas être suf¬
fisamment forte pour éliminer un écart positif entre les taux.
Davidson considère que la règle de politique monétaire préconisée
par Wicksell est non seulement inefficace mais aussi injuste. Si le taux
naturel augmente suite à l’accroissement de la productivité marginale
du travail, le taux de salaire réel doit augmenter aussi. Dans le cas où
les salaires monétaires ne varient pas, les prix monétaires doivent dimi¬
nuer pour assurer aux travailleurs une rémunération selon leur produc¬
tivité marginale. Or, si les prix monétaires sont maintenus stables, les
travailleurs seront sous-payés, ou bien les salaires monétaires vont
augmenter en provoquant une spirale inflationniste sans augmentation
du salaire réel.
Dans son ouvrage fondamental, Myrdal (1939) reproche à Wicksell
d’avoir mal défini le concept d’équilibre monétaire. Si l’égalité du taux
monétaire avec la productivité marginale du capital, et l’égalité entre
l’épargne et l’investissement sont les conditions valables de l’équilibre
monétaire, la stabilité des prix ne l’est pas. Car les deux premières
conditions sont compatibles avec n’importe quel niveau des prix.
Dans le présent article, nous allons exposer un modèle du processus
cumulatif de Wicksell en termes d’offre et de demande de biens et de
capital. Nous allons principalement nous inspirer du travail de Frisch
(1952). Toutefois notre propre exposition est beaucoup plus simple et
proche des textes de Wicksell.
A la différence des interprétations existantes en termes d’offre et de
demande, y compris de celle de Frisch, nous allons mettre en évidence
l’idée qui occupe, nous semble-t-il, une place importante dans le rai¬
sonnement de Wicksell : le fonctionnement du mécanisme de marché
dépend du contexte institutionnel monétaire. Wicksell distingue trois
régimes monétaires ou, comme il les appelle, « systèmes de crédit » :
le système de crédit simple, le système de crédit organisé et le système
de crédit pur. (On n’inclut pas le système d’espèces pur du fait que le
crédit, et donc le taux d’intérêt, y sont absents.) Si le taux naturel dif¬
fère du taux monétaire, l’ajustement automatique à l’équilibre n’est
possible que dans les deux premiers cas. Dans le troisième système, les
forces de marché sont incapables de restaurer l’équilibre, ce qui se
solde par la variation cumulative du niveau des prix. Puisque le
système de crédit pur représente un horizon vers lequel tendent les sys¬
tèmes de crédit des pays développés sous l’impulsion de la sophistica¬
tion des techniques de crédit et de la concentration bancaire, les insti¬
tutions monétaires et la politique de stabilité des prix doivent être
élaborées dans le cadre du crédit pur.

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Les critiques adressées à Wicksell ne feront pas l’objet d’une étude


spéciale. Certaines d’entre elles seront évoquées quand l’exposition du
modèle permettra de les nuancer. À notre avis, il est peu probable que
Wicksell puisse confondre les trois définitions du taux naturel : la pro¬
ductivité marginale du capital, le taux d’équilibre et le taux stabilisa¬
teur des prix. Il est plus probable qu’il distingue ces trois notions tout
en considérant qu’elles ont des valeurs égales à l’équilibre. De plus,
nous allons montrer que l’arrêt endogène du processus cumulatif n’est
possible que dans un cas extrême où l’ensemble du revenu additionnel
est épargné, ce qui justifie le refus par Wicksell de traiter ce cas comme
général.
L’article se compose de trois sections. Dans la première section,
nous allons présenter les notions de taux d’intérêt naturel et de taux
d’intérêt d’équilibre ainsi que le fonctionnement du marché du capital
prêtable dans le système de crédit simple. Dans la deuxième section,
sera exposé le processus cumulatif de hausse des prix monétaires dans
le système de crédit pur. Dans la troisième section, sera présentée l’ex¬
plication par Wicksell des causes de l’écart entre les taux d’intérêt ainsi
que sa vision du mécanisme d’ajustement par le marché dans le sys¬
tème de crédit organisé et des mesures à adopter pour stabiliser le
niveau général des prix.

I. - LE CRÉDIT SIMPLE
ET L’AJUSTEMENT PAR LE MARCHÉ

Chez Wicksell, on trouve deux définitions principales du taux d’in¬


térêt naturel. Selon la première définition, c’est un taux qui égalise
l’offre et la demande de capital prêtable. D’après la seconde définition,
il s’agit d’un taux de rendement anticipé du capital :
rate of interest at which the demand for loan capital and
« The
supply of savings exactly agree, and which more or less corres¬
ponds to the expected yield on the newly created capital, will then
be the normal or natural real rate. » [Wicksell (1906), p. 193] 9.

9 Voir aussi Wicksell (1906, p. 211 ; 1914, p. 222).

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Nous pensons que la dernière définition est plus appropriée 10. En


effet, à l’équilibre le taux d’intérêt de marché est égal au taux de ren¬
dement anticipé par les investisseurs. Il est donc possible de dire que
ce dernier égalise l’offre et la demande d’épargne H. Pourtant, le taux
d’équilibre et le taux de rendement anticipé sont des concepts diffé¬
rents. Au déséquilibre ils ne sont pas égaux. Lors du processus cumu¬
latif les entrepreneurs prennent leurs décisions sur la base non pas du
taux d’équilibre potentiel mais du taux de rendement anticipé de l’in¬
vestissement. C’est cette dernière grandeur qui joue le rôle-clé dans le
raisonnement de Wicksell. Les processus cumulatifs résultent de la dif¬
férence entre le taux de rendement anticipé et le taux monétaire. Cela
explique d’ailleurs pourquoi ces processus peuvent être décrits en sup¬
posant que l’épargne est absente 12. Quant au taux d’intérêt d’équilibre,
ce n’est qu’une racine, méconnue des entrepreneurs, de l’équation
décrivant l’égalité entre l’épargne et l’investissement 13. Nous allons
revenir sur ce point plus bas.
Wicksell décrit le marché du capital dans les termes suivants :

« [Le taux d’intérêt naturel] is essentially variable. If the pros¬


pects of the employment of capital become more promising, demand
will increase and will at first exceed supply; interest rates will then
rise and stimulate further saving at the same time as the demand
from entrepreneurs contracts until a new equilibrium is reached at
a slightly higher rate of interest. » [Wicksell (1906), p. 193].

Nous avons l’interaction entre les épargnants qui reportent leur


consommation et les investisseurs qui anticipent un taux de rendement
sur le capital emprunté. Le taux d’équilibre résulte de cette interaction.
Quelques précisions, fidèles à Wicksell, doivent être apportées.
L’épargne est une partie du revenu détournée de la consommation
présente en vue du placement sur le marché du capital. L’individu

La deuxième définition est aussi adoptée par les auteurs comme Frisch (1952),
10
Uhr (1951, p. 94 ; 1962), Haavelmo (1978, p. 142), Jonung (1979, p. 181).
11 Wicksell dit parfois que le taux naturel est le taux qui s’établirait dans l’écono¬

mie, si la monnaie n’y existait pas. Car dans ce type d’économie l’équilibre est tou¬
jours en place. Mais cela ne veut pas dire que, sous certaines conditions, cet équilibre
ne peut pas être atteint dans une économie monétaire. C’est pourquoi toute référence
à l’économie de troc est inutile (Marschak, 1941). Nous allons revenir sur ce point plus
bas.
Wicksell le fait dans le chapitre 7 de Geldzins und Giiterpreise (Wicksell, 1898).
12
Le processus cumulatif sans épargne est aussi présent chez Frisch (1952, p. 683-687).
13 Voir Frisch (1936, p. 105).

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arbitre entre la consommation présente et différée. Celle-ci implique ce


que les auteurs marginalistes appellent une « abstinence », i.e. le refus
d’une consommation présente au profit d’une autre dans le futur.
Puisque les individus ont une préférence naturelle pour le présent (une
quantité X d’un bien consommée aujourd’hui apporte plus de satisfac¬
tion que la même quantité de ce bien consommée demain), ils n’ac¬
ceptent cette abstinence qu’en échange d’une rémunération. La rému¬
nération du placement est proportionnelle au taux d’intérêt. Le
comportement des épargnants en fonction du taux d’intérêt monétaire
i a la forme suivante :

Figure 1

La pente positive de la courbe d’épargne S montre que si la rému¬


nération de l’épargnant augmente, le niveau de consommation qu’il est
prêt à différer augmente aussi. De plus, si le taux d’intérêt augmente,
le nombre d’épargnants sur le marché devient plus important et, par
conséquent, l’épargne totale s’accroît. Si le taux d’intérêt baisse,
l’épargne totale diminue.
Wicksell décrit le comportement de l’investisseur sur la base du
détour de production de Bôhm-Bawerk. La production de n’importe
quel bien exige l’utilisation de facteurs primaires de production le tra¬ :

vail et les ressources naturelles 14. Le capital est composé de l’en¬


semble des biens dans l’économie. Les biens de production constituent
le capital investi et les biens de consommation constituent le capital
libre. Le capital peut être vu comme les facteurs primaires accumulés

14 Wicksell inclut dans la catégorie des facteurs primaires les biens de capital
durables.

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et détournés de la production des biens de consommation pour la pro¬


duction du capital. Par conséquent, l’accroissement de l’investissement
implique un détournement plus important des facteurs primaires de la
production immédiate des biens de consommation, ce qui cause la
réduction de celle-ci. Il en résulte une baisse de la consommation
immédiate de ces biens. Or, l’accumulation du capital permet d’ac¬
croître dans le futur la productivité marginale des facteurs primaires, si
bien que les investisseurs peuvent proposer aux prêteurs une partie du
supplément de 1’ output futur. Tant que la différence entre le taux d’in¬
térêt et la productivité marginale du capital est positive, les investis¬
seurs espèrent gagner un surprofit, ce qui les incite à accroître l’inves¬
tissement afin de maximiser leur profit total. Si la productivité
marginale du capital est décroissante, à un moment donné l’investisse¬
ment doit cesser de croître. À l’équilibre le taux d’intérêt est égal à la
productivité marginale du capital.
Supposons que la productivité marginale du capital est le taux de
rendement de la dernière unité du capital investi. Si les rendements
sont constants, le taux de rendement marginal est égal au taux de ren¬
dement moyen. Les deux taux sont différents dans le cas où les rende¬
ments sont décroissants. Nous allons supposer que la productivité mar¬
ginale du capital est décroissante, si bien que la courbe qui met en
relation le taux de rendement marginal et le montant total de l’inves¬
tissement a une pente négative :

Figure 2

La courbe de productivité marginale du capital montre quel est le


taux de rendement marginal qui correspond à un niveau donné de l’in¬
vestissement. Ce dernier est égal à une quantité de biens de production

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investis multipliée par leur prix. L’accroissement marginal de la pro¬


duction, qui entre dans le calcul du taux de rendement marginal, est
également exprimé en prix monétaires. La courbe exprime une relation
technique entre l’investissement et la production. Elle est donc
construite sous l’hypothèse que le prix relatif entre les biens de pro¬
duction et les biens de consommation est constant. Si le niveau moyen
des ces prix se modifie, la courbe d’investissement se déplace. Par
exemple, si le prix des biens de production et celui des biens de
consommation augmentent dans la même proportion, alors que le
niveau de l’investissement réel reste inchangé, la courbe d’investisse¬
ment doit se déplacer vers le haut et la droite pour préserver le niveau
du taux de rendement marginal. La courbe doit se déplacer dans le sens
opposé, si le prix des biens de production et celui des biens de consom¬
mation baissent dans la même proportion.
Les variations du taux de rendement marginal qui résultent de la
modification du prix relatif entre les biens de production et les biens de
consommation ne sont pas décrites par la courbe d’investissement. Par
exemple, si le prix des biens de production augmente tandis que celui
des biens de consommation reste inchangé, le taux de rendement mar¬
ginal et le taux de rendement moyen s’établissent aux niveaux respec¬
tifs inférieurs à ceux qui s’établiraient, si l’augmentation de l’investis¬
sement était réelle et non pas nominal, i.e. inférieurs aux points sur les
courbes de taux moyen et de taux marginal. Pour rétablir le taux moyen
et le taux marginal initiaux (techniques), le prix des biens de consom¬
mation doit augmenter dans la même proportion, ce qui va déplacer les
courbes vers le haut et la droite.
Selon Wicksell, le prix des biens de production dépend de l’offre et
de la demande de ces biens. Celle-ci dépend de la valeur nette des reve¬
nus anticipés qui est actualisée au taux d’intérêt de marché. La
demande de biens de production ne varie pas, si cette valeur est nulle,
i.e. si le taux de marché est égal au taux naturel. La demande aug¬
mente, si la valeur actualisée nette est positive ; elle diminue dans le
cas où cette valeur est négative. Quand la demande de biens de pro¬
duction augmente et l’offre reste constante, leur prix monte. Dans cette
situation, le montant de l’investissement augmente.
L’unification des courbes S et I donne une représentation complète
du marché du capital :

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L’apport de Knut Wicksell 45

Figure 3

Wicksell raisonne au plein emploi Supposons, de plus, que les


15.
quantités offertes sur chaque marché sont constantes, si bien que seule
la demande peut varier. Le prêt ne se fait qu’au moment où les plans
des entrepreneurs et des épargnants sont compatibles ex ante. Si le taux
naturel augmente par rapport au taux d’intérêt de prêt, égal au taux
d’équilibre, la demande de crédit des entrepreneurs augmente. Mais au
taux d’intérêt d’équilibre les épargnants ne veulent pas satisfaire la
demande additionnelle de capital. Cela renforce une compétition entre
les investisseurs et donc une pression sur les épargnants pour accroître
leur offre de capital. Le taux d’intérêt proposé par les investisseurs
augmente jusqu’au point où l’épargne nouvelle s’égalise avec l’inves¬
tissement nouveau. Un nouveau taux d’intérêt d’équilibre /*’ s’établit
avec l’épargne et l’investissement plus élevés.
Le taux d’intérêt d’équilibre dépend de la structure des prix relatifs
des biens et des services. Quand l’équilibre sur le marché du capital est
perturbé, il se produit un ajustement de tout le système de prix relatifs
jusqu’à l’instauration du nouvel équilibre. Cet ajustement ne modifie
pas le niveau général des prix monétaires. Ce dernier reste inchangé
tant que la masse monétaire et l’emploi des facteurs sont constants.

15 Wicksell utilise cette hypothèse uniquement dans sa théorie de la monnaie. Dans


sa théorie de la valeur, l’emploi des facteurs et les quantités produites sont variables.

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Il est devenu habituel de présenter le système, qui fonctionne selon


les principes présentés supra, comme un système sans monnaie.
Wicksell a d’ailleurs largement contribué à cette interprétation 16 .

Cependant, il reconnaît qu’un résultat identique peut être obtenu en se


plaçant d’emblée dans le cadre monétaire. Il suffit que la masse moné¬
taire et la vitesse de circulation de la monnaie soient constantes 17.
Cette hypothèse implique que le crédit ne peut pas se faire sans
épargne préalable. Le système ayant cette caractéristique est appelé par
Wicksell le « système de crédit simple ». On pourrait même envisager
le système de crédit simple avec des banques, à condition que celles-ci
aient un comportement particulier. Supposons que les banques ne prê¬
tent que ce qu’elles ont recueilli préalablement sous forme de dépôts.
Dans ce cas, elles sont obligées de fixer les taux d’intérêt en fonction
de l’offre et de la demande. Par exemple, si l’investissement désiré
augmente, les banques doivent augmenter le taux d’épargne pour
accroître les dépôts et satisfaire la demande des entrepreneurs. La
hausse du taux d’épargne implique celle du taux de crédit, ce qui
décourage l’investissement. Les banques vont continuer à augmenter
les taux d’intérêt jusqu’à la satisfaction totale de la demande de crédit.
Si elles refusent d’augmenter le taux d’intérêt suite à l’accroissement
de la demande, les épargnants prêteront directement aux entrepreneurs
à un taux plus élevé que celui proposé par la banque. Soucieuses d’évi¬
ter le manque à gagner, les banques sont incitées à accroître le taux,
c’est-à-dire à agir conformément au mécanisme d’offre et de demande.
La spécificité du système de crédit simple est que l’offre de crédit y
est limitée par l’épargne, si bien que la demande de crédit peut être
satisfaite uniquement par l’offre d’épargne. Aucun pouvoir d’achat
supplémentaire ne peut être créé. Il en résulte que l’offre globale est
égale à la demande globale 18. Or, c’est seulement dans le cas où ces
grandeurs sont différentes que le niveau des prix monétaires peut se
modifier. Wicksell est explicite sur ce point :

A general rise in prices is [...] only conceivable on the assump¬


«
tion that the general demand has for some reason become, or is
expected to become, greater than supply. » [Wicksell (1906), p. 159] .

16 Voir Wicksell (1898, p. 102).


17[...] The “natural” rate need not be understood as “the interest rate as it would
«
be in moneyless economy” - an interpretation suggested by some authors. It is not
necessary to postulate artificially such an economy. It suffices to postulate a state in
which the quantity of money is given. » [Marschak (1941), p. 128].
18 Ohlin (1937, p. 53-54), Hansson (1992, p. 551).

Économie Appliquée, 1/2010


L’apport de Knut Wicksell 47

Si la masse monétaire et la vitesse de circulation sont constantes, la


demande globale doit être constante aussi. Par exemple, l’augmenta¬
tion de I sur la fig. 3, qui signifie l’augmentation de la demande glo¬
bale de biens, est exactement compensée par l’augmentation de S , qui
signifie sa baisse, si bien que la demande globale de biens ne varie pas.
Si l’offre globale de biens est supposée constante, le niveau général
des prix ne se modifie pas. Seuls les prix relatifs varient. Etant donné
que l’équilibre global est une condition nécessaire et suffisante pour
que le niveau général des prix reste inchangé, la valeur constante de la
monnaie devient un corollaire de l’équilibre sur le marché du capital
de prêt assuré par le taux d’intérêt d’équilibre égal au taux naturel.

II. - LE CRÉDIT PUR ET LE PROCESSUS CUMULATIF

Dans le système de crédit organisé les banques ont la possibilité de


« créer » la monnaie. Cela a deux conséquences : (i) elles peuvent
consentir plus de crédits que n’en permet l’épargne ; (ii) elles sont
capables de faire les crédits avant de collecter l’épargne. Dans cette
situation, le mécanisme d’ajustement par l’offre et la demande de capi¬
tal ne peut pas fonctionner. Au lieu de ce mécanisme nous avons la
politique discrétionnaire des banques en matière de taux d’intérêt. Or,
rien n’assure que le taux administré par les banques soit égal au taux
d’intérêt d’équilibre. Le système bancaire organisé n’a aucun intérêt de
se comporter selon le principe d’offre et de demande de capital. Par
conséquent, la différence non nulle entre le taux naturel, qui corres¬
pond à un système donné de prix relatifs, et le taux fixé des banques
devient possible. D’après Wicksell, une telle différence doit provoquer
les processus cumulatifs d’inflation ou de déflation 19 .

19 Notons qu’il existe une confusion chez Wicksell quant à l’horizon temporel du
modèle. On trouve chez Wicksell une indication qu’il s’agit du court terme parce que
seule la production des biens de consommation est présente dans les modèles du pro¬
cessus cumulatif des chapitres 7, 8 et 9 de Geldzins und Güterpreise tandis que les
biens d’investissement sont donnés. Mais à d’autres occasions Wicksell note explici¬
tement que le taux d’intérêt qui a un impact significatif sur les prix est le taux long
[Wicksell (1898), p. 90-92], Les banques ne fixent que les taux courts qui se répercu¬
tent sur le taux long « par contrecoup » {ibid.). Wicksell ne donne pas d’explication du
rapport entre les taux court et long. De plus, ces deux hypothèses sont contradictoires
parce qu’il en résulte que les entrepreneurs s’endettent au taux d’intérêt long pour
financer la production qui se déroule sur le court terme.

Économie Appliquée, 1/2010


48 T. Chamchiev

Wicksell choisit comme cadre d’analyse le « système de crédit


pur ». Dans ce système les banques ont un pouvoir illimité d’émission
monétaire. Elles y sont donc en mesure de fixer et maintenir indéfini¬
ment n’importe quel taux d’intérêt. Nous supposons qu’il existe un
seul taux d’intérêt bancaire, et il n’y a aucune garantie que ce taux i
coïncide avec le taux d’équilibre i* égal au taux naturel r*. La diver¬
gence entre les deux provoque l’inflation, si i < i * = r*, et la déflation,
si i > i* = r*. Ces variations des prix monétaires s’accompagnent des
perturbations sur les marchés des biens d’investissement et des biens
de consommation ainsi que de la divergence entre l’épargne et l’inves¬
tissement globaux. La restauration des prix relatifs d’équilibre ne
conduit pas à la disparition de l’écart entre l’épargne et l’investisse¬
ment qui persiste aussi longtemps que les taux ne sont pas égaux.
Exposons à l’aide de graphiques simples le processus de hausse cumu¬
lative des prix :

Figure 7a et 7b

Figure 8a et 8b

Économie Appliquée, 1/2010


L’apport de Knut Wicksell 49

L’interaction de l’offre et de la demande sur les marchés peut être


décrite en quatre étapes (les figures 7a et 8b correspondent au marché
des biens de consommation ; la figure 7b décrit le marché du capital et
la figure 8a décrit le marché des biens d’investissement ; pour simpli¬
fier, supposons des courbes d’offre verticales, ce qui veut dire que les
facteurs primaires ne se déplacent pas d’un secteur à l’autre) :

1. Au départ le taux bancaire i est égal à /* = r*. À cause de la baisse


de i la différence entre ce taux et le taux d’intérêt naturel devient
positive (i < = r*). L’épargne est découragée et l’investissement
z*
est encouragé, si bien que l’investissement ex ante devient supé¬
rieur à l’épargne (/’ > S’). La demande de biens de consommation
augmente (D’ > D, fig. 7a) puisque les épargnants diminuent leur
épargne au profit de la consommation présente (le glissement vers
le bas sur la courbe S). Le prix des biens de consommation aug¬
mente parce que l’offre de ces biens est constante ( P croît sur la
fig. 7a). Cela entraîne un accroissement du taux de rendement
marginal anticipé pour un niveau donné d’investissement la :

courbe I se déplace vers V (fig. 7b). L’investissement ex ante de


montant /’ donne maintenant le même taux de rendement margi¬
nal que /*. Le taux naturel initial r* est donc restauré.
2. En vertu des forces du marché cette situation devrait engendrer un
accroissement du taux d’intérêt jusqu’à ce que l’équilibre des
grandeurs ex ante soit restauré. Mais dans le système étudié l’ac¬
tion de ces forces n’apporte pas d’ajustement puisque le taux
d’intérêt est invariable. Au taux bancaire i’ les entrepreneurs
cherchent à investir le montant V(l). Le crédit bancaire ex-nihilo
couvre la différence (I’(l) - S’). La demande de biens d’investis¬
sement augmente mais puisque leur offre est constante le prix de
ces biens augmente aussi (P’ > P sur la fig. 8a). Cela pousse le
taux de rendement marginal anticipé au-dessous de V, et donc en
dehors de la courbe /’, parce que la hausse de l’investissement
effectif n’est provoquée que par la hausse du prix des biens de
production tandis que la production effective reste invariable par
hypothèse.
3. En vertu de l’effet-revenu, cette hausse des prix des biens d’in¬
vestissement entraîne une nouvelle hausse de la demande de biens
de consommation. Le prix de ceux-ci augmente encore (P” > P’
sur la fig. 8b). Cela fait déplacer la courbe d’investissement vers
la position /” (fig. 7b). Le taux de rendement marginal monte au

Économie Appliquée, 1/2010


50 T. Chamchiev

dessus du niveau initial r* parce que la courbe d’investissement se


déplace pour compenser non seulement la baisse (S* - S) mais
aussi la hausse (/’-/*). Le prix relatif des biens d’investissement
par rapport aux biens de consommation est perturbé à nouveau.
L’écart entre l’investissement et l’épargne devient encore plus
grand.
4. Si on continue le raisonnement, la courbe d’investissement conti¬
nue à se déplacer indéfiniment vers le haut et à droite :

i’ = r’

S’ S* = I* Y

Figure 9

À l’équilibre, le taux d’intérêt i* égalise l’épargne et l’investisse¬


ment OS* = /*). Au départ, le taux bancaire est égal au taux d’équilibre
(/ = i *) et au taux de rendement marginal (i = r*). Supposons que le
système bancaire fixe le taux d’intérêt au niveau Cela provoque une
hausse de l’investissement ex ante et une baisse de l’épargne ex ante.
La hausse de l’investissement anticipé se traduit par la baisse du taux
de rendement marginal anticipé (le déplacement de A à B). La baisse
de l’épargne entraîne une augmentation du prix des biens de consom

Économie Appliquée, 1/2010


L’apport de Knut Wicksell 51

mation (de A à A”). Il en résulte un déplacement de la courbe d’inves¬


tissement (de I à /’). Cela permet de restaurer le taux de rendement
marginal anticipé r* mais avec l’investissement ex ante F (de B à C).
Car le déplacement de la courbe de / à /’ est proportionnel au glisse¬
ment sur la courbe S de A à A”. La demande de biens de production
augmente à nouveau (de C à D ). La hausse totale du prix des biens de
production est telle que l’investissement nominal monte de 7* à I’(l).
Cela provoque, par l’ effet-revenu, un accroissement supplémentaire du
prix des biens de consommation. La courbe d’investissement se
déplace donc de F à 7”. Le taux de rendement marginal r” de l’inves¬
tissement F 1 ) devient plus élevé que le taux naturel initial (de D à E).
Les entrepreneurs cherchent à rétablir l’égalité entre le taux de rende¬
ment et le taux d’intérêt i’. Il en résulte l’accroissement du prix des
biens d’investissement de 7 ’(7) à 7 ’(2). L’effet-revenu entraîne une nou¬
velle hausse du prix des biens de consommation, ce qui déplace la
courbe d’investissement de 7” à F”. Le taux de rendement r” est donc
restauré (de F à G). Le raisonnement peut continuer indéfiniment. Le
crédit bancaire couvre la différence entre les niveaux successifs de l’in¬
vestissement et S’, ce qui sanctionne l’augmentation du niveau des
prix. La hausse des prix continue tant que le taux bancaire est inférieur
à r, d’un côté, et au taux d’équilibre virtuel, de l’autre. Notons qu’avant
la hausse des prix des biens de consommation et à la suite de chaque
nouvelle hausse de l’investissement nominal, le taux de rendement
marginal se fixe au-dessous des niveaux déterminés par la courbe de
productivité marginale. Car la hausse nominale de l’investissement ne
s’accompagne pas de la hausse de 1’ output.
Il faut remarquer que le taux naturel reste inchangé à partir du point
E. Il est supérieur au taux de rendement marginal initial r*. Le taux
d’équilibre virtuel augmente après chaque déplacement de la courbe
d’investissement. Cela montre que le taux d’intérêt qu’il faut comparer
au taux d’intérêt bancaire n’est ni le taux d’équilibre initial (qui serait
le taux de marché, si les banques ne créaient pas de monnaie), ni le
taux d’équilibre virtuel qui correspond à chaque nouvelle intersection
entre les courbes.
De manière plus générale, disons qu’il faut distinguer quatre
notions : le taux d’intérêt monétaire qu’exigent les prêteurs, le taux
d’intérêt d’équilibre, le taux de rendement marginal et le taux qui sta¬
bilise le niveau des prix monétaires. Wicksell a été surtout critiqué
pour avoir confondu les trois dernières notions en une seule catégorie
de taux d’intérêt naturel. Il semble, toutefois, que sur ce point Wicksell

Économie Appliquée, 1/2010


52 T. Chamchœv

mérite d’être clarifié et non pas critiqué. Une distinction est indispen¬
sable à faire entre le raisonnement à l’équilibre et celui au déséquilibre.
À l’équilibre les grandeurs sont toutes égales mais cela ne veut pas dire
qu’elles signifient la même chose. Si l’on suppose que les quantités
produites ne varient pas, le niveau des prix monétaires ne peut se modi¬
fier qu’à cause des variations de la masse monétaire et de sa vitesse de
circulation. Pour que la masse monétaire augmente, l’épargne doit être
inférieure à l’investissement. Donc, le taux bancaire doit être inférieur
au taux d’équilibre. De plus, les entrepreneurs doivent être incités à
accroître l’investissement. Le taux bancaire doit donc être inférieur au
taux de rendement marginal anticipé, et rien ne nous oblige à dire que
le taux d’équilibre est toujours égal à ce taux de rendement anticipé.
L’exemple ci-dessus, où le taux de rendement anticipé est supérieur au
taux d’équilibre initial et inférieur au taux d’équilibre virtuel qui aug¬
mente avec la courbe d’investissement, en est la preuve. Pour rétablir
la stabilité des prix monétaires, la création monétaire ex-nihilo et les
incitations à étendre l’investissement doivent disparaître. Cela signifie
que le taux bancaire, le taux d’équilibre et le taux de rendement anti¬
cipé doivent à nouveau devenir égaux. Ce taux bancaire est alors le
taux qui stabilise les prix. On retrouve l’égalité initiale des quatre gran¬
deurs. Pourtant, cela ne veut pas dire que le taux de stabilisation des
prix est identique au taux d’équilibre 20. Par exemple, si 1’ output aug¬
mente, la stabilité des prix monétaires nécessite un accroissement de la
masse monétaire. Et pour cela le taux bancaire doit être inférieur tant
au taux d’équilibre, qu’au taux de rendement anticipé. Dans ce cas, le
taux de stabilisation est inférieur au taux d’équilibre, ce qui veut dire
qu’il faut distinguer la notion de stabilité monétaire et celle d’équilibre
sur le marché du capital.
Nous avons raisonné supra avec la courbe d’épargne demeurant
immobile. Cette prémisse n’est valable que si et seulement si l’effet
revenu ne concerne pas le niveau d’épargne et se répercute entièrement
sur la demande, et donc sur le prix, de biens de consommation. La
courbe d’épargne reste ainsi intacte pendant que la courbe d’investis¬
sement se déplace. La suppression de cette hypothèse modifie les
résultats. Si l’effet-revenu a un impact uniforme sur l’épargne et la
demande de biens de consommation (la propension marginale à
consommer est constante), la courbe S doit se déplacer en sorte que le

Pour une critique, selon laquelle Wicksell confond le taux de stabilisation des
20
prix avec le taux d’équilibre voir Halm (1946, p. 331) qui reprend les thèses de Hayek
(1931) et de Lindahl (1939).

Économie Appliquée, 1/2010


L’apport de Knut Wicksell 53

taux d’équilibre virtuel reste au niveau du point A’ sur la figure 9. Ce


point est plus élevé que l’équilibre initial A mais à partir du point A’ le
nouveau taux d’équilibre reste égal au taux naturel. Ce cas de figure
explique pourquoi Wicksell semble confondre le taux naturel avec le
taux d’équilibre. Toutefois, d’autres cas sont envisageables, ce qui
nous oblige de distinguer les deux taux. Considérons encore un cas de
figure. Si la propension marginale à consommer est décroissante en
fonction du revenu, la courbe S va se déplacer plus que celle d’inves¬
tissement. Le déplacement de la courbe I va se ralentir. Le taux natu¬
rel doit se réduire progressivement. A un moment donné l’effet-revenu
cessera de déplacer la courbe d’investissement. Seule la courbe
d’épargne sera alors déplacée. Dans ce cas, la hausse des prix doit s’ar¬
rêter. Une telle hausse ne sera donc pas cumulative en dépit du fait
qu’elle se déroule dans le cadre du système de crédit pur21.
Le processus cumulatif s’accompagne de l’extension de la masse
monétaire. Si les prix monétaires varient en rapport direct avec la masse
monétaire, ils doivent s’accroître. Tant que le déséquilibre persiste, la
création monétaire continue en poussant vers le haut le niveau général
des prix. Celui-ci est donc indéterminé. Nous savons simplement que
les prix doivent augmenter sans pour autant savoir quelle est la propor¬
tion de l’accroissement que provoque une différence donnée entre le
taux naturel et le taux bancaire. Pour Wicksell, à une différence donnée
entre les taux correspond l’accroissement infini des prix monétaires 22.

21 Pour une analyse du processus cumulatif qui tient compte de l’effet-revenu sur
l’épargne et l’investissement voir Marschak (1941). Halm (1946, p. 332) reprend la
critique de Cassel, selon laquelle le processus cumulatif doit s’arrêter à cause de la
baisse du taux de rendement réalisé, et donc anticipé, provoquée par l’accroissement
de l’investissement. Wicksell admet qu’au plein emploi le processus cumulatif peut
s’arrêter à cause de l’augmentation de l’épargne forcée que provoque l’inflation. Le
déplacement de la courbe S à droite peut être interprété en ces termes. Comme le note
à juste titre Boulding (1966, p. 142), tous les cas de figure sont envisageables en fonc¬
tion des hypothèses sur la relation entre l’épargne et le revenu global.
22 La différence entre r et i, plus précisément le signe de cette différence, détermine
le signe de la variation du niveau des prix monétaires mais elle ne détermine pas le prix
monétaire du bien-numéraire, nécessaire à l’obtention des prix monétaires à partir de
la structure des prix relatifs [Myrdal (1939)]. Si on prend pour numéraire l’ensemble
des biens d’investissement, le signe de (r - i) indique la direction du changement du
prix monétaire du bien composite-numéraire à partir duquel il est possible de calculer
celle des prix monétaires de tous les autres biens. Hansson remarque à juste titre que :
« [...] During a cumulative process, which is a disequilibrium phenomenon, the
connection between value theory and monetary theory proceeds via the difference bet¬
ween the money rate and the normal rate [le taux naturel]. This difference determines
changes in the price level and not the level itself. Thus cumulative process in the first
instance an analysis of changes in the general price level [...]. » [Hansson (1992)].

Économie Appliquée, 1/2010


54 T. Chamchiev

Comment relier la variation du revenu global à celle de la masse


monétaire et du niveau général des prix ? Le revenu varie en fonction
des prix et des quantités. Chez Wicksell, celles-ci sont constantes. Par
conséquent, seule la variation nominale du revenu global est possible.
Or, elle doit être accompagnée de la variation de la masse monétaire
et/ou de la vitesse de circulation. On retrouve ainsi l’équation quanti¬
tative qui relie ces deux variables au revenu, sous réserve que Wicksell
raisonne avec la masse monétaire endogène. Cela veut dire que la
masse monétaire s’adapte au revenu nominal qui assure l’équilibre du
système. Si le revenu nominal est indéterminé, comme ce doit être lors
du processus cumulatif, la masse monétaire l’est aussi.
Ce raisonnement nécessite deux conditions : (a) la création moné¬
taire est un élément déterminant du modèle car elle permet d’empêcher
l’ajustement à l’équilibre en laissant inchangé le taux bancaire ; (b) la
hausse uniforme des prix monétaires est aussi cruciale car elle permet
de rétablir la structure initiale des prix relatifs, et donc le taux naturel
supérieur au taux bancaire. Ces conditions requièrent une analyse de la
création, de la dépense et de la destruction monétaire ainsi que du pro¬
cessus de formation des prix monétaires qui dépasse largement le cadre
d’analyse traditionnel du processus cumulatif de Wicksell. Cette ana¬
lyse est pourtant présente chez Wicksell.
Hicks (1939) interprète le processus cumulatif de Wicksell comme
Y indétermination de la masse et du revenu monétaires. D’après lui, la
théorie du taux d’intérêt de Keynes ne trouve pas sa place dans le
schéma wicksellien parce qu’on y trouve pas d’arbitrage entre la mon¬
naie, qui ne rapporte pas d’intérêt, et les actifs financiers. Chez
Wicksell, seule la monnaie de crédit qui rapporte de l’intérêt est pré¬
sente. Donc, la courbe LM ne peut pas être construite. D’où l’impossi¬
bilité de déterminer la masse monétaire et le niveau des prix.

III. - LA STABILITÉ MONÉTAIRE :

AJUSTEMENT AUTOMATIQUE
OU POLITIQUE ACTIVE ?

Sur la question des causes de la divergence entre le taux naturel et


le taux bancaire la position de Wicksell est claire : puisque les deux
taux sont variables, ils peuvent tous les deux causer une divergence. Le
pouvoir d’achat de la monnaie et le taux d’intérêt monétaire n’ont pas

Économie Appliquée, 1/2010


L’apport de Knut Wicksell 55

de relation directe. La connexion entre les deux se fait par le taux d’in¬
térêt naturel. Cependant, il semble que Wicksell penche nettement plus
vers l’idée que l’écart en question provient des variations du taux natu¬
rel. Les banques sont très conservatrices dans leur politique et ne chan¬
gent que rarement leur routine de gestion23. Les variations du taux
bancaire doivent être durables et plus importantes qu’elles n’en sont en
réalité pour déstabiliser les prix :
In practice , the rate of interest is altered only in steps of one
«
half to one per cent, and only after lengthy intervals of time, during
which the rate of interest [...] remains completely unaltered. It
would therefore appear that these changes are too small to exert
more than a very diminutive influence on the structure of prices »
[Wicksell (1898), p. 90].
Dans ce cas, la responsabilité de l’apparition de l’écart revient au
taux naturel 24 . Il varie beaucoup plus souvent que le taux offert par le
système bancaire. Wicksell dit que « [...] the natural rate may move
further than the money rate » 25 car il dépend de « all the thousand and
one things which determine the current economic position of commu¬
nity; and with them it constantly fluctuates » 26.
Quelles politiques de stabilisation doivent-elles être envisagées ?
Pour Wicksell, le taux d’intérêt naturel fluctue de manière continue
mais le taux bancaire, au contraire, varie de façon discontinue par les
sauts de 0,5 % ou 1 %. Pour cette raison, il y a peu de chance que les
deux taux coïncident. Le taux monétaire se retrouve toujours soit au
dessus, soit au-dessous du taux naturel. L’économie avec le crédit
organisé doit donc constamment subir les effets perturbateurs de la
divergence entre les taux :
« An exact coincidence of the rates of interest is therefore unli¬
kely. For changes in the (average) natural rate may be presumed
[...] to be continuous, while the money rate of interest is usually rai¬
sed or lowered only in discontinuous jumps [...]. » [Wicksell
(1898), p. 106].
Wicksell met en avant deux points. Le premier est que l’inflation et
la déflation résultent de la divergence des taux et non de leurs mouve

23 Wicksell (1898, p. 118).


24 Voir Ohlin (1937, p. 223), Hansson (1992), Leijonhufvud (1992).
25 Ibid. (p. 107).
26 Ibid. (p. 106).

Économie Appliquée, 1/2010


56 T. Chamchiev

ments individuels. Le second point est que la probabilité de ce que la


divergence entre les taux soit égale à zéro est infiniment petite.
En reformulant le premier point, on peut dire que le processus
cumulatif résulte du crédit plus élevé que l’offre d’épargne, situation
rendue possible par le système bancaire moderne. C’est une réalité de
tous les jours qu’il faut affronter et comprendre. Wicksell est loin d’ac¬
cuser les banques de s’interposer entre les offreurs de capital et les
investisseurs, ou de mener une politique en matière de taux d’intérêt
telle que la divergence apparaisse 27 Tout au contraire, dans ses deux
.

principaux ouvrages monétaires il souligne l’énorme progrès écono¬


mique qu’ont apporté les améliorations dans l’organisation du crédit.
Wicksell défend simplement l’idée que le système bancaire doit être
organisé de telle sorte que les mécanismes ou les mesures en matière
de taux d’intérêt, qui visent à prévenir les fluctuations brutales, soient
possibles.
D’après Wicksell, dans le système de crédit organisé où les réserves
métalliques sont à la base de la création monétaire, l’ajustement auto¬
matique à l’équilibre est possible. La hausse des prix augmente la
demande du public pour les pièces, ce qui conduit à la diminution des
réserves bancaires. Ce drainage interne des réserves oblige les banques
à relever le taux d’intérêt pour préserver leur solvabilité. Le drainage
des réserves vers l’extérieur (qui agit à travers le déficit de la balance
commerciale) est aussi envisageable et son effet sera le même. En plus,
la baisse du prix de l’or (en termes de biens) réduit sa production deve¬
nue moins rentable et augmente son utilisation industrielle ce qui veut
dire que l’offre de métal baisse et sa demande à des usages non moné¬
taires augmente. Il en résulte que les sources d’or s’assèchent et que les
banques sont obligées d’accroître les taux d’intérêt pour défendre leurs
réserves. Pourtant, Wicksell est loin d’être un partisan du système
d’étalon-or. Il pense que ce système a beaucoup de défauts, tant sur le
plan de la stabilité que sur celui de la croissance.
Wicksell admet que la convertibilité des billets en or peut renforcer
la confiance du public en monnaie bancaire, faciliter la perception du
pouvoir d’achat des billets (à travers le prix relatif de l’or) et accroître
les réserves en or du pays 28 Mais il pense que cela limite la création
.

monétaire et donc freine la croissance économique29. De plus, la

Les auteurs de la banque libre interprètent souvent Wicksell comme un auteur


27
ayant démontré l’effet déstabilisateur de la politique bancaire.
28 Wicksell (1914a, p. 56-57).
29 Ibid.

Économie Appliquée, 1/2010


L’apport de Knut Wicksell 57

convertibilité n’assure pas la stabilité des prix. À long terme , la valeur


d’échange des billets convertibles en termes des biens dépend de celle
de l’or. La valeur d’échange de l’or dépend de sa demande (monétaire
et industrielle) et de son coût marginal de production. Tant la demande
d’or que sont coût marginal sont des facteurs variables. D’où la varia¬
bilité inévitable de la valeur d’échange des billets convertibles30. En
plus, ces facteurs sont difficilement maîtrisables31. À court terme, la
valeur d’échange des billets convertibles dépend de leur quantité. Si les
banques n’observent pas les réserves relatives et se concentrent sur les
réserves absolues, elles peuvent accroître l’émission des billets avec le
même stock d’or. L’inflation peut donc avoir lieu, même si le stock
d’or est invariable 32 .

Wicksell s’attaque à la libre frappe des pièces car elle fait dépendre
le niveau des prix dans un pays de la politique monétaire dans l’autre.
Par exemple, si le pays A mène une politique monétaire expansion¬
niste, la balance commerciale du pays B peut devenir excédentaire, ce
qui doit provoquer l’appréciation de la monnaie du pays B par rapport
à celle du pays A. L’appréciation peut conduire à l’afflux du métal vers
B et, par l’effet indirect, à la hausse des prix monétaires dans B. Si la
frappe libre est en place, l’effet direct devient possible. Dans ce cas,
l’inflation ne peut pas être empêchée à l’aide de la hausse du taux d’in¬
térêt bancaire dans B. Pour rendre la politique du taux d’intérêt effi¬
cace, la frappe libre doit être abolie 33 .
Cependant, Wicksell est sceptique quant à la possibilité d’éliminer
l’effet direct grâce à la suppression de la frappe libre des pièces. Dans
le cas où seul l’effet indirect est possible, la politique du taux d’intérêt
peut compenser la variation du stock monétaire. Mais la frappe libre
peut être remplacée par l’émission des billets de faible dénomination
qui ne dépend pas du taux d’intérêt 34 .
Ainsi, Wicksell est pour l’abolition de la convertibilité en or au pro¬
fit de la monnaie gérée par la politique de la banque centrale. Le cri¬
tère de la bonne politique monétaire ne peut pas être le simple respect
de la convertibilité, comme c’est le cas sous l’étalon or, puisque la
valeur d’échange de l’or dépend aussi de l’émission des billets 35.

30 Wicksell (1919, p. 242).


31 Ibid.
32 Ibid.
33 Wicksell (1919, p. 242 ; 1917, p. 76-77).
34 Wicksell (1919, p. 242).
35 Ibid.

Économie Appliquée, 1/2010


58 T. Chamchiev

Wicksell pense que l’évolution historique des systèmes de crédit est


un mouvement en tendance vers le système de crédit pur. Avec le déve¬
loppement des instruments de crédit, les banques deviennent de moins
en moins sensibles aux exigences de réserves. D’où l’idée de Wicksell
que le mécanisme d’ajustement basé sur la réaction spontanée des
banques face au drainage des réserves est peu efficace. Le célèbre
« paradoxe de Gibson », où les mouvements des prix à très long terme
du xixe siècle sont en relation directe avec les taux d’intérêt36, en est
la preuve car il montre que la stabilité des prix est rarement atteinte. La
difficulté provient de la forte variabilité du taux d’intérêt naturel et de
la lente réaction des banques. Les banques modifient leurs taux seule¬
ment après la modification de leurs réserves qui elle-même survient
après la variation du taux naturel et du niveau des prix. Le mécanisme
d’ajustement automatique ne peut donc agir qu’avec un retard qui s’ac¬
croît en fonction du degré du développement du crédit. Plus le crédit
est développé moins les banques sont sensibles aux variations des
réserves.
Puisque la hausse des prix est inévitable si l’on se confie au seul
mécanisme de marché, Wicksell plaide en faveur de mesures poli¬
tiques, conscientes, des autorités monétaires publiques qui pourraient
diminuer l’instabilité des prix grâce à la surveillance de leur mouve¬
ment et l’ajustement adéquate des taux d’intérêt. D’après Wicksell, la
banque centrale doit augmenter le taux d’intérêt en cas de hausse des
prix monétaires, et le diminuer en cas de leur baisse. La mise en pra¬
tique de cette règle doit permettre l’ajustement tendanciel du taux ban¬
caire au taux d’intérêt naturel en mouvement 37 .
Patinkin (1965, p. 593) adresse deux critiques à la méfiance de
Wicksell envers le mécanisme d’ajustement par les réserves. D’abord
Wicksell suppose que les banques n’observent que leurs réserves abso¬
lues. Or, si elles observaient les réserves relatives par rapport aux
dépôts, les banques augmenteraient immédiatement leurs taux d’inté

36 Keynes (1930, p. 177-78), Patinkin (1968, p. 232), Goodzeit (1991, p. 62-72).


37 Wicksell propose d’augmenter le taux bancaire à un niveau plus élevé que le taux
naturel initial pour neutraliser non seulement l’effet de l’écart des taux mais aussi celui
d’une possible anticipation de la hausse des prix « To put an immediate stop to any
:

further rise in prices, it would not be sufficient for the banks to restore the rate of inter¬
est to its original level. This would have the same effect on the business world as would
a somewhat lower rate of interest at a time when prices are not expected to alter. If on
the other hand, the banks continue to maintain the rate of interest at its lower level,
two forces will be operating in the direction of higher prices, and the rise will be cor¬
respondingly more rapid. » [Wicksell (1898), p. 97].

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L’apport de Knut Wicksell 59

rêt après la hausse du taux naturel pour empêcher l’augmentation du


crédit et/ou attirer les dépôts en monnaie de réserve. Ensuite, Patinkin
n’accepte pas l’interprétation par Wicksell du paradoxe de Gibson car,
d’après Patinkin, cette interprétation revient à dire que les banques ne
peuvent pas apprendre à réagir correctement même à long terme « [...] :

the validity of Wicksell’s interpretation of the Gibson paradox rests on


the assumption that bankers never learn - even in the long run! »
[Patinkin (1968), p. 233].

CONCLUSION

Wicksell distingue trois systèmes de crédit. Le système de crédit


simple est caractérisé par l’absence de la création monétaire ex-nihilo.
Les banques y peuvent exister mais à condition qu’elles ne prêtent que
les moyens de paiements préalablement collectés sous forme des
dépôts. Dans le système de crédit organisé, les banques peuvent créer
la monnaie ex-nihilo. Dans le système de crédit pur, les banques ont le
pouvoir d’émission illimité.
La relation entre le taux d’intérêt monétaire, la masse monétaire et
le niveau des prix est différente selon le système de crédit. Le régime
monétaire en place est déterminant pour le fonctionnement du méca¬
nisme d’offre et de demande.
Dans le système de crédit simple, l’offre globale est toujours égale
à la demande globale car toute variation de l’épargne, et donc de la
demande de biens de production, est contrebalancée par une variation
de la demande de biens de consommation. Si l’épargne augmente, la
demande de biens de production augmente aussi mais celle de biens de
consommation diminue, si bien que la demande globale ne se modifie
pas. Pour que cet équilibrage fonctionne, l’épargne doit toujours être
égale à l’investissement. Si la concurrence parfaite est en place, le taux
d’intérêt permet de ramener systématiquement à l’équilibre le marché
du capital.
A l’équilibre, le taux d’intérêt de marché est égal au taux fixé par les
épargnants et à la productivité marginale du capital. Le niveau des prix
reste inchangé tant que la demande et l’offre de capital sont à l’égalité,
i.e. tant que le taux d’intérêt monétaire est égal au taux d’équilibre et
au taux d’intérêt naturel.
Dans le système de crédit organisé, la demande globale peut excé¬
der l’offre globale grâce à la création monétaire ex-nihilo. Si l’on est

Économie Appliquée, 1/2010


60 T. Chamchlev

dans le système de crédit pur, les banques peuvent fixer n’importe quel
taux d’intérêt et ajuster la masse monétaire. Le taux d’intérêt bancaire
devient alors inélastique. Si les banques le fixent au-dessus ou au
dessous du taux naturel et que l’épargne est différente de l’investisse¬
ment, la création monétaire comble le déficit du capital prêtable. L’état
de déséquilibre peut ainsi persister indéfiniment. Dans ce cas, le niveau
des prix va se modifier de façon illimitée, même si les conditions de la
concurrence parfaite sont respectées.
Le régime monétaire en place détermine l’aptitude du système à
retrouver l’équilibre suite à un choc exogène. Si dans le système de
crédit simple la stabilité des prix monétaires est assurée par les forces
de marché, dans le système de crédit pur ces mêmes forces sont res¬
ponsables de la variation illimitée des prix.
D’après Wicksell, ce résultat théorique a des implications pratiques
importantes. Car dans les pays développés, les systèmes de crédit ten¬
dent dans leur évolution vers le système de crédit pur. La sophistica¬
tion des techniques de crédit et la concentration bancaire croissante
sont les facteurs déterminants de cette évolution. Cela étant, il est
nécessaire de choisir le système de crédit pur comme cadre d’analyse
pour élaborer les propositions concernant la réforme des institutions
monétaires et la politique monétaire. Selon les propositions de
Wicksell, la banque centrale publique doit surveiller l’évolution du
niveau général des prix et augmenter son taux d’intérêt en cas de l’in¬
flation et le diminuer en cas de la déflation. En minimisant l’écart
moyen sur une période donnée entre le taux naturel et le taux moné¬
taire, la banque centrale pourra minimiser les fluctuations du niveau
général des prix.

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