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"A l'hôpital, votre identité, c'est votre sécurité"

1 erreur d’identité = 1 risque médical

Débriefing de l’analyse

La situation clinique analysée lors du séminaire de sésame s’est passée il y a trois ans à l’hôpital Saint
Michel, dans le service de gériatrie. Il faut tout d’abord se mettre dans le contexte d’un service
extrêmement chaotique. Des infirmières qui changeaient toutes les semaines, des médecins qui
regardaient ces dernières de haut, des patients dans le mal être écrivant des insultes sur les mures et
référant aux infirmières comme ‘les putes’, les familles menaçant de faire des recours,… un service où
tant le personnel soignant que les patients semblaient se sentir mal. Un jour la nième famille est venue
se plaindre, menaçant d’introduire un recours. La fille du patient en question est venue trouver
l’équipe en demandant ‘Pourquoi mon papa porte-t-il le nom d’une femme autour du poignet ?’ Une
faute médicale grave avait eu lieu sans même que l’équipe s’en soit rendu compte ; les bracelets
d’identification de deux patients avaient été échangés. En retraçant les évènements de la journée le
personnel s’est ainsi rendu compte que non seulement cet échange entre un homme et une femme
s’était produit au niveau des bracelets, mais par conséquence l’échange avait également été fait au
niveau des traitements de ces deux patients. C’est ainsi que l’ homme en question s’est vu administrer
un traitement gynécologique par erreur.

Si on reprend les différents évènements entre l’entrée du patient à l’hôpital, l’attribution du bracelet
d’identification et l’administration des traitements de nombreuses étapes de vérification d’identité
auraient dû avoir lieu. Cela montre que dans cette situation clinique il ne s’agit pas d’une seule erreur
mais de multiples erreurs médicales ayant mené à l’administration du mauvais traitement au mauvais
patient. On peut dès lors se poser la question de si la faute est à mettre sur les épaules de l’infirmière
qui a administré le médicament au patient ou si son erreur n’est qu’une conséquence du contexte et
de toutes les erreurs faites auparavant. Est-il donc crucial de mieux éduquer les soignants sur
l’importance de l’identitovigilance ou ne serait-il pas plus bénéfique d’avoir des consignes claires au
niveau de chaque institution de soins afin que l’identitovigilance soit réglementée et vérifiée plus
haut ?

Points forts de l’analyse

1. L’analyse de cette situation avec l’outil Girafe en réunissant le point de vue de stagiaires en
médecine et celui de stagiaires en infirmerie n’a fait qu’augmenter le sentiment d’importance
de la bonne entente entre ces deux spécialités complémentaires. Nous avons rapidement
remarqué la différence dans la manière de penser que nous avions concernant ce simple cas
clinique et cela a rendu cette analyse tellement plus riche qu’elle ne l’aurait été sans la
complémentarité. Les médecins, plus soucieux du diagnostic et de l’importance du corps
correctement soigné se retrouvaient face aux infirmiers plus soucieux du ressentis des
patients. Cela a permis de se remettre en question face à certains automatismes que nous
avons acquis au sein de notre pratique à l’hôpital sans même nous rendre compte que nous
laissions une partie de prise en charge émotionnelle des patients de côté.
2. Ayant remis en question l’auteur de la faute menant à cette erreur grave nous avons décidé
de réfléchir à la situation idéale pour éviter tout problème d’identitovigilance. Pour ceci nous
avons comparé le système utilisé au Canada et l’impact que ça aurait sur notre société tant au
niveau médical qu’au niveau financier. (analyse plus poussée élaborée par la suite)

Limites de l’analyse

1. Le manque de certains détails du cas clinique nous a légèrement bloqué durant l’analyse de
celui-ci. La stagiaire étant en fin de stage lorsque cette situation éthique a eu lieu certains
éléments de la suite de l’histoire ne sont pas connus. Le traitement exacte ainsi que la raison
pour laquelle le patient s’est retrouvé avec le mauvais bracelet autour du poignet ne sont
également pas entièrement connus. Ceci nous a, au premier abord, limité puis a fini par nous
donner l’opportunité de réellement envisager toutes les pistes possibles, ce qui ne fut donc
pas forcément limitatif.

Approfondissement de l’analyse de la situation

Analyse selon le principe du principlism

Analysons cette situation clinique selon les quatre principes structurant l’analyse des discussions
bioéthiques proposés par Beauchamp et Childress.

- Le respect de l’autonomie ; le sujet est un individu à part entière capable de juger ce qui est
bon pour lui.
➔ L’autonomie du patient joue une part cruciale dans la vérification de l’identité des
patients. Ceux-ci ont un rôle énorme à jouer dans l’identitovigilance. En administrant des
médicaments sans même en discuter avec le patient, on lui retire toute notion
d’autonomie face à sa prise en charge. Ce principe n’a donc pas été respecté. Un patient,
gériatrique ou non, doit participer à sa prise en charge pour garder le plus d’autonomie
possible.
- La non-malfaisance ; ne pas nuire.
➔ La non malfaisance n’a pas été respectée dans cette situation clinique. Au lieu de traiter
de façon correcte le patient, les soignants lui ont administré un traitement qui ne lui était
absolument pas destiné.
- La bienfaisance ; Prendre des décisions ou agir dans l’intérêt du patient.
➔ La bienfaisance n’a pas été respectée non plus. Malgré que l’administration du mauvais
traitement au mauvais patient n’ait pas été intentionnelle, plusieurs étapes de la prise en
charge de ce patient ont mal été effectuées. Il y a eu un manque de vérification lors de la
pose du bracelet d’identification, lors du passage du médecin le matin, lors de tous les
actes effectués au cours de la journée par différentes infirmières, ainsi que finalement lors
de l’administration du traitement.
- La justice ; Il est à prendre en compte qu’on est dans une société gouvernée par des lois.
➔ La justice n’a très certainement pas été respectée. L’hôpital impose des règles
d’identitovigilance à toute personne contribuant de façon directe ou indirecte à la prise
en charge des soins d’un patient. De nombreuses étapes d’identitovigilance ont été
ignorées lors de la prise en charge. La justice est le principe qui a le plus fortement été
violé dans cette situation clinique.

Ressource supplémentaire : Politique d’identitovigilance belge

En 2007 l’OMS s’est rendu compte que 10% des erreurs médicales sont liées à des erreurs d’identité
des patients et sont donc évitables. C’est alors qu’elle a proposé des solutions pour réduire ce nombre,
nommé l’identitovigilance.

L’identitovigilance est l’ensemble des mesures mises en place pour assurer l’identité correcte du
patient à toutes les étapes de sa prise en charge médicale. Ceci afin de garantir les bons soins au bon
patient, au bon moment. C’est un système de prévention d’erreurs médicales liées à l’identité.

Au jour d’aujourd’hui, les cas d'identification inexacte sont encore trop nombreux, avec parfois des
conséquences graves pour les soins et la santé des patients. L'identification correcte est donc un enjeu
majeur pour la sécurité des soins.

Afin de décider la politique d’identification exacte pour laquelle chaque institution opte ainsi que de
vérifier la mise en place correcte de celle-ci, les hôpitaux sont tenus de mettre en place un comité
d’identito-vigilance (CIV). Celui-ci aura donc comme rôle de définir ses objectifs liés à
l’identitovigilance, de surveiller la bonne application des mesures prises et de suivre les incidents
d’identitovigilance arrivant malgré tout.
Mesures d’identification secondaire :

- La pose d’un bracelet d’identité. Cette mesure est beaucoup utilisée mais ne suffit pas à elle
seule en tant qu’identification secondaire. Lors de chaque acte médical/ transfère/.. l’identité
reprise sur le bracelet doit être vérifiée par un interrogatoire.
- Vérifier l’identité du patient par une question ouverte : ‘Pouvez-vous me donner votre nom,
prénom et date de naissance ?’ La formulation ‘Etes-vous bien Madame X ?’ ne convient pas
comme identification. Il faut poser la question en tant que question ouverte puis vérifier que
la réponse corresponde bien à l’identité reprise sur le bracelet.
- Ne jamais nommer un patient par sa pathologie ou son numéro de chambre. Le nommer par
son nom en parlant de lui évite beaucoup d’erreurs.

Analyse éthique du système canadien

Lors de l’analyse de notre situation clinique avec l’outil Girafe nous avons longuement discuté de
la comparaison entre notre système belge d’identitovigilance et celui du Canada où ils utilisent le
système du double check. Chaque acte médical y est vérifié par une seconde personne. Ainsi la
responsabilité est partagée et cela pallie au fait que l’erreur est humaine et que le risque nul
n’existe pas. Quand une infirmière prépare les médicaments d’un patient, une seconde vérifiera
ce qui aura été préparé ; les molécules, les doses, la posologie ainsi que l’identité du patient avant
l’administration.

Dans cette situation clinique c’est une erreur légale qui a eu pour conséquence de nuire à la santé
du patient. J’ai dès lors trouvé cela intéressant d’analyser si, éthiquement parlant, il serait
opportun ou pas de rajouter une telle politique en Belgique pour éviter que ce genre d’erreurs ne
se reproduisent.

Analysons cette politique d’identitovigilance Canadienne selon les trois pôles de la visée éthique
de Paul Ricoeur ; ‘La vie bonne, avec et pour autrui, dans des institutions justes’.

- JE : le personnel soignant ; Cette politique mène à un sentiment de réassurance et à une


cohésion d’équipe beaucoup plus forte. L’équipe ne travaille plus séparément voire en
compétition mais bien en complémentarité les uns des autres. Ils ne portent plus la
responsabilité individuellement. Un frein possible à l’instauration de cette politique pourrait
être que le personnel soignant puisse ne pas comprendre l’aspect bénéfique et penser qu’il y
a un manque de confiance en leur capacités individuelles si cette politique était instaurée du
jour au lendemain. Il serait donc impératif d’en expliquer les objectifs et les conséquences à
long terme pour en avoir les effets bénéfiques au lieu de briser la confiance du personnel
soignant.
- TU : le patient ; se sentira rassuré par une telle politique de responsabilité partagée car cela
diminue le risque d’erreur médicale. Il se sentira mieux pris en charge par le fait qu’une
deuxième personne vérifie le travail de la première, augmentant également l’envie de la
première à éviter les erreurs. Le ‘tu’ se sentira donc bien plus en confiance face au personnel
soignant et les soins qu’on lui procure.
- IL : la société ; L’instauration d’une politique de ‘double check’ aura des conséquences au
niveau sociétal car comme nous le savons la société et la médecine se transforment de
manière réciproque. Nous pouvons nous poser la question des répercussions économiques
qu’une telle politique aura au niveau sociétal. Il est évident que cela représente un coût majeur
venant des soins de santé car un double check signifie une quantité de travail presque doublée.
Mais il faut prendre en compte les coûts que les erreurs médicales représentent. Un patient
sur dix sera un jour victime d’une erreur médicale causée par une erreur d’identité. Cela
représente donc également un coût sociétal énorme. En mettant en balance les deux on peut
se demander s’il n’est pas avantageux financièrement d’instaurer une politique telle que celle
du double check. Cette politique privilégie le professionnalisme, la sécurité des patients ainsi
qu’un renforcement du travail en équipe.

Réflexion personnelle

Je pense qu’une politique de double check est intéressante et que cela vaudrait la peine
d’effectuer des études détaillées du coût financier qu’elle représente mais il y a d’autres
options moins drastiques envisageables. Il faudrait commencer par investir dans des
formations sur le sujet et discuter d’alternatives pour atteindre une identification secondaire
plus fiable. Une possibilité serait de plus impliquer le patient dans sa propre prise en charge.
Le fait pour un patient de connaitre son traitement augmenterait son implication personnelle
dans sa prise en charge et diminuerait le risque d’erreur médicale.
Revenant sur les 4 principes éthiques du principlism, je pense qu’une solution pour réduire le
nombre d’erreurs médicales telle que celle observée dans ce cas clinique serait de prioritiser
le principe de l’autonomie du patient. Aucun des quatre principes n’a été respecté mais en
favorisant l’autonomie du patient on augmenterait le respect de la bienfaisance, la non
malfaisance et la justice. Une autre solution est d’adapter le principe de la justice en imposant
des formations voire en instaurant une politique telle que celle du double check mais cela
demande des changements de plus grande ampleur.
Bibliographie : guide_identito-vigilance_-_version_2017.pdf

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