Vous êtes sur la page 1sur 50

CHAPITRE 1

STRUCTURE COMPORTEMENTS ET PERFORMANCE

1.1 Rappel sur les aspects normatifs de CP&P


1.2 Le lien structure-comportement-performance
1.3 La délimitation du marché pertinent
1.4 Mise en œuvre et limites de l’approche SCP
"Economie industrielle", Chapitre 1, © Marc Baudry 2

1.1 Rappels sur les aspects normatifs de la CP&P

• La demande:
• La décroissance de la courbe de demande traduit un effet de substitution entre le
bien étudié et d’autres biens
• Il y a une double lecture de la courbe de demande individuelle

prix

De l’axe des abscisses


à celui des ordonnées,
la courbe indique le
prix maximal que
l’individu est prêt à
payer pour une unité
de bien en plus
(Consentement à
Payer Marginal quantité
CAPmg) De l’axe des ordonnées à celui des abscisses, la courbe donne la quantité
de bien que l’individu souhaite acheter et consommer pour le prix donné
"Economie industrielle", Chapitre 1, © Marc Baudry 3

1.1 Rappels sur les aspects normatifs de la CP&P


• La surface sous la courbe donne la somme des consentements marginaux
à payer, soit le CAP total pour la quantité donnée en abscisse
• Cette surface est exprimée en unités monétaires (produit des unités des axes)
• Elle mesure la valeur privée accordée par l’individu à sa consommation
• En soustrayant la valeur effectivement payée (prix fois quantité) on obtient
l’excès de valeur privée sur la valeur marchande: c’est le surplus du
consommateur qui mesure le gain à l’échange pour l’individu
prix

Valeur marchande
Prix p0

quantité
Quantité q0
"Economie industrielle", Chapitre 1, © Marc Baudry 4

1.1 Rappels sur les aspects normatifs de la CP&P

• La demande totale:
• C’est la somme horizontale des demandes individuelles
• Pour un même prix en ordonnée on additionne les demandes individuelles
• => on peut donc évaluer la somme des surplus comme la surface sous la demande totale

Le surplus total ainsi obtenu se décompose bien en la somme des surplus individuels
Il en est de même pour la valeur privée totale (somme des surplus et des valeurs marchandes) et la
somme des valeurs privées
prix prix prix

Individu A Individu B Individus A+B

quantité quantité quantité


"Economie industrielle", Chapitre 1, © Marc Baudry 5

1.1 Rappels sur les aspects normatifs de la CP&P

• L’offre:

• L’objectif d’un producteur est de maximiser son profit total, différence


entre ses recettes et son coût

• Le profit croît tant que ce que rapporte une unité de bien en plus en
termes de recettes (recette marginale Rmg) est supérieur à ce qu’elle
coûte à produire (Coût marginal Cmg)

• En CP&P, les recettes sont le produit du prix fixé par le marché et de la


quantité choisie
• => la recette marginale est directement donnée par le prix de marché
et elle est indépendante des choix d’un producteur en particulier
• Il existe un niveau de production optimal unique si et seulement si le
coût marginal de production est croissant
• Cette quantité égalise le coût marginal et le prix de marché
"Economie industrielle", Chapitre 1, © Marc Baudry 6

1.1 Rappels sur les aspects normatifs de la CP&P

Prix
Rmg Quantité
et Maximisant Cmg
Cmg le profit

Prix fixé sur (« par ») le marché

quantité

Cmg < Rmg Cmg > Rmg


Une unité de Une unité de
production production
en plus en moins
accroît le accroît le
profit profit
"Economie industrielle", Chapitre 1, © Marc Baudry 7

1.1 Rappels sur les aspects normatifs de la CP&P

• L’égalisation entre prix et Cmg ne caractérise toutefois la quantité offerte


en CP&P qu’à condition que le profit soit positif
• Il faut pour cela que le coût marginal excède le coût moyen
Par définition

C q 
p q  C q   0  p  Cmg q   CM q 
q

= dès lors qu’on considère la quantité maximisant le profit

• Or, la courbe de coût marginal coupe la courbe de coût moyen en son


minimum (définit le seuil de rentabilité comme le seuil de production en deçà
duquel la production génère une perte)

 CM q  q  C q   q  C q 
0  0
q q
2

C q 
 q  C q   q  C q   0  Cmg q  
q
"Economie industrielle", Chapitre 1, © Marc Baudry 8

1.1 Rappels sur les aspects normatifs de la CP&P

• La double lecture de la courbe d’offre

prix

quantité
"Economie industrielle", Chapitre 1, © Marc Baudry 9

1.1 Rappels sur les aspects normatifs de la CP&P

• La surface sous la courbe de coût marginal donne la somme des


coûts marginaux de production, donc le coût variable de production

prix

quantité
"Economie industrielle", Chapitre 1, © Marc Baudry 10

1.1 Rappels sur les aspects normatifs de la CP&P


• Au seuil de rentabilité le profit est juste nul
• Or, le profit est la différence entre le chiffre d’affaires, le coût variable de
production et le coût fixe de production
• => Au seuil de rentabilité, la différence entre le chiffre d’affaire et le coût variable
est le coût fixe

prix

quantité
"Economie industrielle", Chapitre 1, © Marc Baudry 11

1.1 Rappels sur les aspects normatifs de la CP&P


• En CP&P on peut donc lire de deux manières le profit
• Soit par la différence entre chiffre d’affaires, coût variable et coût fixe
• Soit par la différence entre chiffre d’affaires et coût moyen multiplié par la production

prix

quantité
"Economie industrielle", Chapitre 1, © Marc Baudry 12

1.1 Rappels sur les aspects normatifs de la CP&P

• L’offre totale:
• C’est la somme horizontale des offres individuelles
• Pour un même prix en ordonnée on additionne les offres individuelles
• => on peut donc évaluer la somme des profits à partir de l’offre totale de la
même manière que les profits individuels à partir des offres individuelles

prix prix prix


offreur A offreur B offreurs A+B

quantité quantité quantité


"Economie industrielle", Chapitre 1, © Marc Baudry 13

1.1 Rappels sur les aspects normatifs de la CP&P

• L’optimum social:
• Du point de vue social, il faut déterminer la quantité produite et consommée qui maximise la
différence entre
• La somme des valeurs privées accordées à leurs consommations par les individus (CAP total)
• Le coût total de production de ce qui est consommé

Q* Q*
Max  D
*
1
q  dq   Cmg q  dq  CF
Q 0 0

Valeur privée accordée par les consommateurs Coût variable et coût fixe de production

• La condition du premier ordre pour cette maximisation indique que cette quantité Q* est
précisément celle de concurrence pure et parfaite égalisant la demande au coût marginal de
production (le coût fixe n’apparaît pas dans la condition mais doit être inférieur au reste )

*  
D Q  Cmg Q
1 *  
• Ce résultat explique le rôle normatif central de la concurrence pure et parfaite en
économie et tout particulièrement en économie industrielle
• Rappel: une approche normative en économie est une approche qui cherche à déterminer
comment il « serait bien » que les choses fonctionnent alors qu’une approche positive
s’intéresse à la façon dont les choses fonctionnent effectivement
"Economie industrielle", Chapitre 1, © Marc Baudry 14

1.1 Rappels sur les aspects normatifs de la CP&P


• L’une des raisons qui fera qu’on s’écarte de cet idéal normatif de la CP&P est que les
offreurs arrivent à faire payer un prix plus élevé que le coût marginal de production
• La quantité d’équilibre est alors inférieure à la quantité de CP&P, le prix est donné par la courbe de
demande inverse et il excède le coût marginal
• Il en résulte une perte du gain total à l’échange ( surplus total), en principe au détriment des consommateurs

• L’excès du prix sur le coût marginal est une mesure du pouvoir de marché du ou des offreurs
• On utilise le plus couramment une mesure relative en rapportant cet excès au prix: c’est le taux de marge ou
indice de pouvoir de marché (attention: en analyse financière le taux de marge est plutôt rapporté au coût)

prix

quantité
"Economie industrielle", Chapitre 1, © Marc Baudry 15

1.2 Le lien Structure-Comportement-Performance

• L’idée est de développer une approche mettant formellement en évidence


le lien de causalité entre:
• La structure du marché
• Pour l’instant, cette dernière est abordée sous l’angle du nombre N de firmes offrant le bien
• Le comportement des firmes
• Celui-ci est assimilé à la maximisation du surplus et à la façon dont chaque firme s’ajuste
aux décisions des autres
• La performance des firmes
expliqueraient • Cette dernière est mesurée par le taux de marge

• Dans le modèle de base, on considère N firmes offrant un même bien


homogène
• Chaque firme sait que
• La quantité totale Q influence, via la courbe de demande inverse, le prix D-1(Q) auquel
elle peut vendre
• La quantité totale varie du fait de la variation de l’offre de chaque firme ET de la
perception qu’elle a de l’ajustement des offres des firmes concurrentes à sa propre offre
• Ce dernier effet est appelé variation conjecturale
"Economie industrielle", Chapitre 1, © Marc Baudry 16

1.2 Le lien Structure-Comportement-Performance

• Si Q désigne la quantité totale produite et offerte du bien et qi la quantité


offerte par la firme i on a du point de vue de i N
  qj
N
Q  qi   q j qi
j 1et j  i
  d’où
Q
 qi
 1i avec i 
j 1et j  i

 qi

Mesure la croyance qu’à la firme i quant à la variation des quantités


offertes par ses concurrentes suite à une variation d’une unité à la marge
de sa propre offre => c’est la variation conjecturale pour la firme i

• La firme i cherche à maximiser son profit par rapport à la quantité qi , ce


qui peut être représenté par le programme suivant:

Max D Q  qi  C i qi   CF i
1
qi
Coût fixe de production pour la firme i
Recette, égale au prix donné par la Coût variable de production
demande inverse en fonction de la pour la firme i, la fonction
quantité totale offerte multiplié par la de coût pouvant différer
quantité offerte par la firme i d’une firme à une autre
"Economie industrielle", Chapitre 1, © Marc Baudry 17

1.2 Le lien Structure-Comportement-Performance

• La condition du premier ordre pour cette maximisation donne:

 D1 Q 
1   i  qi  D1 Q   Cmg i qi   0
Q
D Q   Cmg i qi   D1 Q  qi
1

Soit en divisant par le prix p et en arrangeant  1   i 


p Q p

D’où finalement par définition de la demande inverse (qui indique le prix p) et sachant
que la dérivée d’une fonction réciproque est l’inverse de la dérivée:

p  Cmg i qi  q p  Cmg i qi  q 1


 i
1
1  i   i 1   i 
p Q Q p p Q  Q/ p
pQ Relation A
Variation
A indique que la quantité qi (qui Indice de performance (taux
conjecturale
de marge) de la firme i
intervient des deux cotés) est choisie de pour la firme i
sorte à égaliser le taux de marge avec Part de marché de la firme i Élasticité prix du bien
le produit des trois éléments de droite en unités physiques
"Economie industrielle", Chapitre 1, © Marc Baudry 18

1.2 Le lien Structure-Comportement-Performance

• La relation précédente indique que, pour une firme maximisant son profit,
le taux de marge (indice de performance) est proportionnel à
• Sa part de marché
• Ceteris paribus, une part de marché élevée est source de performance

• Sa variation conjecturale qui mesure la réactivité de la concurrence


• Ceteris paribus, moins la concurrence est réactive (θi proche de 0) plus la performance
est élevée et, inversement, plus la concurrence est réactive (θi proche de -1), plus la
performance est faible

• L’inverse de l’élasticité prix du bien (généralement négative)


• Ceteris paribus, plus l’élasticité prix est faible en valeur absolue (demande à forte pente)
plus la performance est élevée. Autrement dit, le fait d’être confronté à une demande peu
sensible aux variations de prix accroît la performance,

• La performance d’une firme résulterait donc d’une combinaison favorable


de ces trois facteurs
"Economie industrielle", Chapitre 1, © Marc Baudry 19

1.2 Le lien Structure-Comportement-Performance

• Commentaires sur la variation conjecturale

• Dans le cas où θi=-1 (impossibilité pour la firme d’agir individuellement


sur la quantité totale) on retrouve comme cas particulier une situation
identique à la concurrence pure et parfaite puisque la tarification se fait
au coût marginal
• Dans le cas où θi=0 (absence de réaction des firmes concurrentes) on
retrouve le cas d’un équilibre à la Cournot Nash
• Un équilibre à la Cournot-Nash est un équilibre où chaque entreprise traite les
quantités choisies par ses concurrentes comme données et invariantes
• Il y a donc équilibre lorsque, à quantités données pour les concurrentes, chaque firme
maximise son propre profit
• Si en outre la part de marché est égale à un, on retrouve alors le cas du
monopole avec un taux de marge inversement proportionnel à l’élasticité prix
de la demande

• Dans un équilibre de Stackelberg, on a θS=0 pour le suiveur et θL=q’S*(qL)


pour le leader (avec qS*(qL) la fonction de réaction effective du suiveur)
"Economie industrielle", Chapitre 1, © Marc Baudry 20

1.2 Le lien Structure-Comportement-Performance

• Partant de la relation A, on peut calculer la moyenne arithmétique des taux


de marges des firmes d’un secteur
• Le secteur est traditionnellement défini comme l’ensemble des entreprises offrant
un même bien ou des biens satisfaisant les mêmes besoins

• Même si les études empiriques sur l’approche SCP appliquent cette définition du
secteur, en fait la relation implique que les entreprises non seulement offrent le
même bien mais le font sur le même marché
• La délimitation pratique de ce marché est loin d’être évidente -> cf la discussion sur le
marché pertinent en 1.3

• Si on raisonne plus spécifiquement sur la moyenne arithmétique pondérée


par les parts de marché des firmes on obtient

 qi p  Cmg i qi   1 N  qi qi 
1   i 
N
  
   
i 1  Q p    Q / p i 1  Q Q 
• Cette pondération se justifie si on prend le point de vue des consommateurs et qu’on
cherche le taux de marge moyen auquel sont « soumis » les consommateurs
"Economie industrielle", Chapitre 1, © Marc Baudry 21

1.2 Le lien Structure-Comportement-Performance


• Dans le cas d’un oligopole à la Cournot-Nash (θi=0), la relation se
simplifie en
N  qi p  Cmg i qi   1 N indice de concentration de
     si
2
Hirschman Herfindahl
i 1  Q p    Q / p i 1 (HHI)

• Le taux de marge moyen auquel sont soumis les consommateurs est donc
inversement proportionnel à l’élasticité prix de la demande et proportionnel à
l’indice HHI
• L’indice de concentration HHI s’obtient comme la somme des carrés
des parts de marché des entreprises
• La valeur minimale du HHI est 1/N, elle est obtenue lorsque les N firmes
du marché se partagent à parité le marché
• Cette structure de marché donne donc la performance la plus faible ceteris paribus
• La valeur maximale de HHI est 1, elle est obtenue lorsqu’une seule firme
détient tout le marché (monopole)
• Cette structure de marché donne donc la performance la plus forte ceteris paribus
"Economie industrielle", Chapitre 1, © Marc Baudry 22

1.2 Le lien Structure-Comportement-Performance


 
 p qi   Cmg i qi  qi 
N N
• Cette dernière relation peut 1
encore s’écrire  i 1 i 1
 HHI
 pQ    Q/ p
 
• Sous l’hypothèse d’absence de coûts fixes et de coûts variables
proportionnels aux quantités, le numérateur s’interprète comme la somme des
profits des firmes du secteur
• La relation ne nécessite pas de supposer que les firmes opèrent sous les mêmes conditions
de coût => il n’y a donc pas nécessairement symétrie entre firmes et, par conséquent, elles
peuvent avoir des parts de marché et des marges individuelles différentes
• Le dénominateur donne quant à lui la somme des recettes des firmes du
secteur
• On obtient alors une variante sectorielle de la relation A
• Elle indique que le taux de rentabilité dans le secteur (ratio profits sur recettes)
est inversement proportionnel à l’élasticité prix et proportionnel au HHI

 1
 HHI
R   Q/ p
"Economie industrielle", Chapitre 1, © Marc Baudry 23

1.2 Le lien Structure-Comportement-Performance

• L’intérêt de ces relations impliquant le HHI est d’éclairer le principe de


base d’un aspect important de la politique de la concurrence
• Limiter (dans l’intérêt des consommateurs) le pouvoir de marché des entreprises d’un
secteur requiert, à élasticité prix donnée de la demande, de limiter la concentration de
ces entreprises

• Lorsque des entreprises d’un secteur veulent fusionner (ou qu’une entreprise
veut en acquérir une autre) les autorités de la concurrence doivent donc
mettre en balance deux aspects de l’opération de concentration
• Un aspect positif qui repose sur les synergies qui peuvent être tirées de l’opération et
qui sont supposées conduire à une baisse des coûts et donc des prix
• Ces synergies peuvent venir de la mise en commun de compétences ou savoirs complémentaires
à des innovations de process ou des innovations managériales (les innovations de produit sont à
mettre à part car elles peuvent conduire à l’émergence d’un nouveau marché), elles peuvent
également venir d’une capacité accrue à négocier de meilleurs tarifs avec les fournisseurs
• Un aspect négatif qui tient à une plus forte concentration sur le marché et donc à un
pouvoir de marché plus élevé
• Les autorités de la concurrence se basent notamment sur le niveau initial et la variation du HHI
pour apprécier cet effet
• Il doit toutefois, selon la relation, être modulé selon la valeur de l’élasticité prix de la demande
"Economie industrielle", Chapitre 1, © Marc Baudry 24

1.2 Le lien Structure-Comportement-Performance

• Le HHI est souvent multiplié par 10000


• Revient à raisonner sur des % du marché au lieu de parts
• Cette convention est adoptée dans ce qui suit

• Les autorités de la concurrence aux USA et en Europe considèrent par


exemple qu’un HHI inférieur à 1000 signale une industrie peu concentrée
• Correspond par exemple à 10 firmes se répartissant à égalité le marché

• Un HHI entre 1000 et 1800 signale un marché moyennement concentré


• Un HHI de 1666 correspond approximativement à 6 firmes se répartissant à
égalité le marché

• Au-delà d’un HHI de 1800 le marché est considéré comme fortement


concentré
• Un HHI de 5000 correspond par exemple à 2 firmes se répartissant à égalité le
marché
"Economie industrielle", Chapitre 1, © Marc Baudry 25

1.2 Le lien Structure-Comportement-Performance

• Exemple: le marché des smartphones en France en 2012

• Classement des fabricants par ordre décroissant de part de marché


• Samsung:48%
• Apple:18%
• Nokia:9%
• Sony:8%

• Le reste du marché est supposé se répartir à égalité entre HTC, RIM (Blackberry), LG et
Huawei, soit 4,25% chacun

• Le HHI est de 2845,25


• Le marché est donc jugé fortement concentré
"Economie industrielle", Chapitre 1, © Marc Baudry 26

1.2 Le lien Structure-Comportement-Performance

• Exemple: le marché des smartphones en France en 2021


• Classement des fabricants par ordre décroissant de part de marché
https://www.01net.com/actualites/france-quels-sont-les-plus-grands-vendeurs-de-
smartphones-en-2021-2051413.html

• Samsung: 37,31%
• Apple: 21,84%
• Xiaomi: 19,11%
• Oppo: 6,64%
• Wiko: 4,05%
• Huawei: 2,29%
• Le reste du marché
représente 8,76%
• Le HHI est de 2376,36

• Le marché est donc toujours jugé fortement concentré même si la concentration


a baissé et certains acteurs ont disparu alors que d’autres sont apparus
"Economie industrielle", Chapitre 1, © Marc Baudry 27

1.3 La délimitation du marché pertinent

• L’analyse menée jusqu’à présent présuppose que le marché est clairement


délimité
• Or, ce n’est presque jamais le cas
• Dans l’exemple des smartphones, on a présupposé que le marché pertinent pour
analyser la concentration était le marché national
• Or tous les fabricants mentionnés sont présents dans d’autres pays européens et au-delà
• => le marché pertinent est-il la France, l’Europe, ou est-il encore plus large?
• Si la répartition du marché est significativement différente dans d’autres pays
européen…
• … et que le marché pertinent s’avère être le marché européen (pour des raisons
de goûts et habitudes des consommateurs par exemple)…
• … alors la concentration doit être étudiée à l’échelon européen et non pas
national
• On est susceptible d’obtenir un HHI différent et de modifier la conclusion quant à la
concentration du secteur
• De même, on peut poser la question de savoir si les « phablettes » et les
smartphones à écran « normal » font parti ou non du même marché pertinent
"Economie industrielle", Chapitre 1, © Marc Baudry 28

1.3 La délimitation du marché pertinent

• Il existe différentes méthodes pour identifier le marché pertinent


• On part à chaque fois de la définition la plus étroite du marché en se basant
sur les produits offerts par les firmes parti prenantes à l’opération de
concentration dont les autorités de la concurrence doivent se saisir
• On examine ensuite la pertinence d’élargir aux substituts les plus proches

• On identifie au moins quatre méthodes classiques


• L’approche par les corrélations de prix
• L’approche par les élasticités prix croisées
• L’approche par les flux commerciaux
• L’approche par le test du monopoleur hypothétique
• Se distingue des trois précédentes par le fait qu’elle intègre explicitement la notion de
pouvoir de marché en plus de celle de substituabilité entre les biens
• C’est la méthode la plus construite et la moins ad hoc des quatre
"Economie industrielle", Chapitre 1, © Marc Baudry 29

1.3 La délimitation du marché pertinent

• L’approche par les corrélations de prix


• L’idée de départ est que des biens appartenant au même marché sont
fortement substituables par les consommateurs car ils remplissent les
mêmes besoins
• Leur différences de prix ne peuvent refléter que
• 1) des différences de coût de transport ou de fourniture
• Dans le cas contraire, il y aurait possibilité d’arbitrage, c’est-à-dire de réaliser un
profit à partir d’opérations d’achat et revente de biens
• 2) des différences de qualité et donc de coût de fabrication
• La différence est donc liée uniquement liée à des caractéristiques des biens

• Une conséquence directe est qu’un écart anormal de prix ne peut pas être
observé durablement, les comportement d’arbitrages forçant l’écart à
revenir à son niveau normal
• Un corollaire est que les prix des biens doivent varier de la même manière (sinon
l’écart se creuse entre eux), donc qu’ils sont fortement corrélés dans leur évolution.
"Economie industrielle", Chapitre 1, © Marc Baudry 30

1.3 La délimitation du marché pertinent

• En termes statistiques, cela signifie que l’écart entre les prix se résume à un
« bruit blanc », c’est-à-dire un terme aléatoire stationnaire (identiquement et
indépendamment distribué de date en date
• => il est possible de tester cette propriété par les techniques de l’économétrie des
séries temporelles

prix
Prix du
L’écart entre les deux
bien A courbes de prix n’est pas
constant (plus petit à la
date en vert qu’à la date
en rouge), mais il est
stationnaire au sens
statistique du terme
Prix du
bien B
temps
"Economie industrielle", Chapitre 1, © Marc Baudry 31

1.3 La délimitation du marché pertinent

• Le test s’applique notamment pour délimiter spatialement un marché


• Exemple: sur un même marché pertinent pour les automobiles, une différence de prix
allant au-delà d’une différence de coût de transport des véhicules incite à acheter là où le
prix est faible pour revendre avec profit là où le prix est fort

• Il faut toutefois s’assurer que le lien entre les prix n’est pas factice et dû à un
facteur commun indépendamment de toute substituabilité
• Le prix d’une matière première importante peut être un facteur commun de co-évolution
du coût de production et donc du prix de biens qui ne sont pas substituts
• Exemple: le prix des terres rares affecte fortement le prix des téléphones portables
(batterie et composants électroniques) mais aussi celui des éoliennes (aimants pour le
moteur électrique)

• => Si initialement, on se contentait de vérifier que les prix étaient fortement


corrélés dans le temps, on applique aujourd’hui des tests économétriques
plus sophistiqués
• Notamment le test de causalité de Granger qui indique qu’un prix p1 « cause » un prix p2
si ses fluctuations améliorent significativement la prévision du prix p2.
• On aura bien un même marché s’il y a causalité réciproque des deux prix car cela révèle
leur interdépendance
• On peut également adopter un test dit de co-intégration afin de valider la relation de long
terme entre les deux prix
"Economie industrielle", Chapitre 1, © Marc Baudry 32

1.3 La délimitation du marché pertinent


• Un exemple où cette méthode a été appliquée est celle du cas Nestlé/Perrier
• La direction Générale de la Concurrence de la Commission Européenne a eu à traiter en
1992 d’une OPA de Nestlé sur Perrier
• Nestlé a tenté d’argumenter que le marché pertinent était celui des « boissons
rafraichissantes »
• Inclut les sodas en plus des eaux de source plates ou gazeuses
• Il était en effet dans l’intérêt de Nestlé d’élargir le plus possible le marché pour diluer le
poids de deux entreprises sur le marché et abaisser les risques apparents de
concentration
• Après enquête, la DG concurrence a toutefois déterminer que
• Les boissons rafraichissantes étaient deux à trois plus chères que les eaux de
source embouteillées
• Le prix des boissons rafraichissantes avait diminué sur les cinq dernières années
alors tandis que ceux des eaux de source avaient augmenté sans que leur parts
respectives de marché ne soient fortement affectées
• => la Commission Européenne a considéré que les boissons rafraichissantes ne
faisaient pas partie du marché pertinent et a limité ce dernier aux eaux de source
embouteillées
• Nestlé a été contraint de vendre les marques Vichy, Thonon, Perval et Saint-
Yorre a un concurrent « viable » (Castel) pour pouvoir acquérir Perrier
"Economie industrielle", Chapitre 1, © Marc Baudry 33

1.3 La délimitation du marché pertinent

• L’approche par les élasticités prix croisées


• Une élasticité prix croisée mesure de combien varierait la quantité demandée d’un
premier bien si le prix d’un deuxième bien augmentait de 1%
• Une mesure « propre » des élasticités prix croisées nécessite d’estimer un système de
demande par des techniques économétriques adéquates (méthodes SUR notamment)
• Un simple calcul à partir de séries chronologiques pourrait être biaisé par l’impact de
l’évolution d’autres variables explicatives de la demande communes aux différents biens

• L’intuition pour une application à la délimitation de marché est qu’au sein d’un
même marché pertinent les élasticités prix croisées des différents biens
(substituts) doivent être fortes
• Reste toutefois à déterminer à partir de quel niveau une élasticité prix est forte => il y a
une marge d’interprétation non négligeable
• Un autre problème est l’asymétrie possible des élasticités prix:
• L’élasticité prix croisée d’un bien 1 par rapport à un bien 2 n’est pas la même que celle d’un bien 2 par
rapport à un bien 1 (le signe peut même être différent)
• => on risque d’arriver à des conclusions contradictoires selon le sens dans lequel on raisonne
"Economie industrielle", Chapitre 1, © Marc Baudry 34

1.3 La délimitation du marché pertinent

• Dans le cas Nestlé/Perrier, la Commission Européenne avait également appliqué


ce test
• L’élasticité prix croisée des eaux de sources embouteillées et des boissons
rafraichissantes autres s’était avérée très faible, ce qui confortait la conclusion déjà
obtenue à partir des évolutions de prix

• En fait, le critère doit être surtout utilisé pour rejeter l’hypothèse que deux biens
feraient partie du même marché pertinent
• Des élasticités prix croisées fortement positives n’impliquent pas nécessairement que les
biens sont de bons substituts, tout particulièrement si le producteur d’un des biens exerce
déjà un pouvoir de marché fort!
• En effet, en pratiquant des prix particulièrement élevé (par rapport au coût marginal) un
producteur disposant d’un pouvoir de marché fort pousse les acheteurs à la limite du
basculement vers d’autres biens ne constituant que des substituts très imparfaits mais
ayant l’intérêt d’avoir des prix faibles
• => si un fort pouvoir de marché est déjà exercé, il y a un risque important d’obtenir
« mécaniquement » une élasticité prix croisée forte
"Economie industrielle", Chapitre 1, © Marc Baudry 35

1.3 La délimitation du marché pertinent

• Ce principe a notamment été mis en évidence à partir du cas DuPont et du


célèbre paradoxe du Cellophane (Cellophane fallacy en anglais)
• Grâce au dépôt de nombreux brevets, la société américaine DuPont disposait dans les
années 1950 du quasi monopole de la fabrication de cellophane (plastique d’emballage),
• Le U.S. department of Justice des Etats Unis avait alors intenté un procès à DuPont pour
monopolisation du marché
• DuPont s’était défendu en arguant que les élasticités prix croisées (évaluées au prix
observés) avec d’autres matériaux d’emballage étaient fortes
• La Cour Suprême avait validé l’argument de DuPont et avait conclu en sa faveur à une
faible part de marché du bien sur le marché pertinent définit ainsi de manière large

• Toutefois dès 1955, les économistes Mueller et Stocking (AER) avaient développé la
preuve que les élasticités prix pouvaient être fortes du fait même de l’exercice d’un
pouvoir de marché
• => depuis ce cas, on considère qu’il est souhaitable de procéder à ce test des élasticités prix croisées
en les évaluant non pas aux prix observés mais à des prix proches de ce qu’ils seraient en situation
concurrentielle (donc proche du coût marginal ou du coût unitaire) s’ils ne le sont pas déjà
"Economie industrielle", Chapitre 1, © Marc Baudry 36

1.3 La délimitation du marché pertinent

• Illustration du paradoxe du cellophane

• Cas type: celui d’un système de demande linéaire (on s’intéresse à la délimitation
du marché pour le bien 1)

Bien 1 D1  p1   1   1 p1

Bien 2 D 2  p1 , p 2    2   2 p 2    1 p1

• Les élasticités prix varient, elles dépendent du point de la courbe de demande où on se place

  D1 p1     p    p
2
 1 p1
 D1   0  1 1 1 1 2 1 10
p1
 1   1 p1  p1  1   1 p1
  1 p1   D2   1  2   2 p 2 
p1  0 p1
 D2  0
 2  2 p2
    1 p1  p1  2   2 p2    1 p1 2
"Economie industrielle", Chapitre 1, © Marc Baudry 37

1.3 La délimitation du marché pertinent

• L’approche par les flux commerciaux

• C’est une approche spécifique à la délimitation géographique des marchés

• L’idée est qu’un marché peut être géographiquement délimité en regardant à qui
achètent les consommateurs
• On regarde plus spécifiquement les flux d’achat principaux des consommateurs de la
zone géographique concernée à l’origine par l’opération de concentration pour déterminer
quels sont les producteurs en concurrence auprès de ces consommateurs
• La méthode permet notamment de déterminer si la langue (donc les dépenses de
publicité) et/ou le cadre culturel et juridictionnel (facilité d’entrée de concurrent) font que
le marché est national ou plus étendu
• Le principal défaut de la méthode est que l’absence de flux en provenance d’autres
zones géographiques ne signifie pas qu’il n’y a pas pour la zone concernée un risque
d’entrée
• Celui-ci serait justement intégré en maintenant volontairement les prix bas
"Economie industrielle", Chapitre 1, © Marc Baudry 38

1.3 La délimitation du marché pertinent

• Le cas du verre plat italien est illustratif de ce problème

• Il ne s’agissait pas à proprement parler d’un contrôle de concentration mais d’une action
contre une entente supposée nuire aux consommateurs

• Le cas a été traité en 1988 par la Commission Européenne


• Dans les années 1980, les producteurs de verre plats italiens assuraient 80% des ventes
nationales et bénéficiaient d’organisations professionnelles suspectées de coordonner les
acteurs
• La quasi absence d’achat à l’extérieur de la péninsule aurait pu laisser penser que le
marché était strictement national
• Il a toutefois été prouvé que les producteurs italiens prenaient en compte le risque
d’entrée de concurrents potentiels localisés en Turquie et en Europe de l’est pour fixer
leurs prix
• => le marché pertinent n’était pas le marché national
• L’approche est à croiser avec une approche de corrélation de prix, Ici les prix italiens ne dépassant
pas les prix turcs ou est-européens d’un montant excédant significativement les coûts de transport
ces concurrent n’entraient pas sur le marché tout en représentant une menace limitant l’exercice d’un
pouvoir de marché,
"Economie industrielle", Chapitre 1, © Marc Baudry 39

1.3 La délimitation du marché pertinent

• L’approche par le test du monopoleur hypothétique

• L’idée clé de cette approche est que le marché pertinent est un marché qui peut
être monopolisé
• Un monopoleur qui contrôlerait ce marché pourrait exercer son pouvoir de marché
sans craindre la concurrence de substituts qu’il ne produirait pas

• La méthode est donc itérative


• On part de la définition la plus étroite du marché
• On teste si un monopoleur pourrait exercer son pouvoir de marché: cela dépend des
reports de demande vers les substituts les plus proches
• Si le test conclut négativement, on élargit le marché au substitut le plus proche
• C’est le bien qui, parmi les biens qui ne sont pas encore intégrés au marché par l’analyse,
connaîtrait à prix inchangé la hausse des ventes la plus forte en valeur (hausse de chiffre
d’affaires) suite à une hausse du prix du bien dont on cherche le marché pertinent
• On pourrait aussi raisonner sur la hausse de profit plutôt que du chiffre d’affaires. Le bien sélectionné
ne serait pas forcément le même.

• On recommence le test sur le marché élargi est ainsi de suite jusqu’à ce que le test soit
positif
"Economie industrielle", Chapitre 1, © Marc Baudry 40

1.3 La délimitation du marché pertinent

• Le test repose sur la comparaison de l’élasticité prix (directe) estimée avec une
élasticité prix critique qui est définie et calculée selon deux variantes
• PREMIÈRE VARIANTE
• On définit le marché pertinent d’un bien i comme le plus petit regroupement des n=1 à N
meilleurs substituts tel qu’un monopoleur hypothétique contrôlant la production de ce
groupement trouvera profitable, sous l’hypothèse que le prix des autres biens de ce
groupement sont inchangés et qu’à ces prix ces autres biens sont disponibles en quantité
toujours suffisante, d’accroitre de manière non transitoire le prix du bien i d’un montant
faible mais significatif
On teste donc initialement si le profit après hausse du prix du bien i a augmenté
ou pas par rapport au profit avant la hausse

• On fixe généralement ce montant à 5% durant une période d’un an

• Le caractère non transitoire et faible mais significatif de la hausse de prix fait qu’on
désigne aussi parfois le test (dans la première comme dans le deuxième variante) sous
l’acronyme de test SSNIP
• de l’anglais Small but Significant Non-transitory Increase in Price

• Le caractère non transitoire renvoie à l’idée qu’on laisse le temps à la demande de se


reporter sur les éventuels substituts, la durée exacte à laquelle il correspond dépend
donc fortement de l’inertie observée dans la demande
"Economie industrielle", Chapitre 1, © Marc Baudry 41

1.3 La délimitation du marché pertinent

• On montre (cf Annexe) que le test de l’élasticité critique est vérifié si et seulement si

1  n vn
ii    ni
 i  x ni  i  x vi

• Le terme de droite de l’inégalité définit l’élasticité critique

• A la première étape du test, c’est-à-dire en considérant la délimitation la plus étroite du


marché, le test se résume à

1
ii 
i  x
• Le terme additionnel introduit aux étapes suivantes revient à internaliser dans le calcul du
monopoleur hypothétique l’effet de report de demande sur les substituts
"Economie industrielle", Chapitre 1, © Marc Baudry 42

1.3 La délimitation du marché pertinent

• SECONDE VARIANTE

• On définit le marché pertinent d’un bien i comme le plus petit regroupement des n=1 à N
meilleurs substituts tel qu’un monopoleur hypothétique contrôlant la production de ce
groupement choisira de manière optimale, sous l’hypothèse que le prix des autres
biens du groupement sont inchangés et qu’à ces prix ces autres biens sont disponibles
en quantité toujours suffisante, d’accroître le prix du bien d’un montant certes faible
mais néanmoins significatif et non transitoire.
On détermine donc la hausse de prix qui serait appliquée pour passer à une
tarification de monopole

• A nouveau on fixe généralement ce montant à 5% sur un an

• Dans cette seconde variante comme dans la première un point important est que si le
marché est déjà fortement concentré, le prix est déjà proche de son niveau optimal
• => une hausse de 5% ferait dépasser du prix optimal d’un monopoleur (seconde variante)
et générait alors probablement une perte (première variante)
• Le test serait alors mécaniquement négatif et favorable au monopoleur en place

• Pour éviter ce problème, il est conseillé en cas de concentration initialement forte de


raisonner sur des prix de départ et des marges proches de ce qu’ils seraient en
concurrence plutôt que ceux observés
• Donc un prix proche du coût marginal ou du coût unitaire et un taux de marge proche de zéro
"Economie industrielle", Chapitre 1, © Marc Baudry 43

1.3 La délimitation du marché pertinent

• Pour cette seconde variante on montre (cf Annexe) que le test de l’élasticité critique est
vérifié si et seulement si

1 x  v 
ii  1    n n  n i 
 i  x  n i vi 

• Le terme de droite de l’inégalité définit de nouveau l’élasticité critique

• A la première étape du test, c’est-à-dire en considérant la délimitation la plus étroite du


marché, le test se résume à

1 x
ii 
i  x
• Le terme additionnel introduit aux étapes suivantes revient là aussi à internaliser dans le
calcul du monopoleur hypothétique l’effet de report de demande sur les substituts
"Economie industrielle", Chapitre 1, © Marc Baudry 44

1.4 Mise en œuvre et limites de l’approche SCP

• L’approche SCP a fortement influencé et influence encore largement la


politique de la concurrence dans les pays développés
• Les Etats Unis ont été précurseurs en la matière
• Le Sherman Act de 1890 est la première tentative de loi visant à limiter les
comportements anticoncurrentiels. Il comprend deux sections
• La première section prohibe les ententes illicites visant à restreindre les échanges
• La seconde section sanctionne les abus de position dominante et les tentatives de monopolisation

• Un point important à souligner est que ne tombent en principe sous le coup de cette loi que
les comportements dont l’objectif premier est de renforcer un pouvoir de marché
• Renvoie au contexte historique et au souci de limiter le pouvoir de la Standard Oil

• Mais de nombreuses opérations de concentration visent en premier lieu la recherche de


synergies baissant potentiellement les coûts de production et donc ne conduisant pas
nécessairement mais seulement incidemment à un pouvoir de marché accru
• Elles ne sont alors pas concernées par le Sherman Act

• En outre le Sherman Act ne permet d’intervenir qu’une fois l’abus de position dominante
constaté
"Economie industrielle", Chapitre 1, © Marc Baudry 45

1.4 Mise en œuvre et limites de l’approche SCP

• Le Sherman Act a donc été complété en 1914 par le Clayton Act


• Celui-ci rend illégaux:
• La discrimination par les prix si elle restreint substantiellement la concurrence voire permet de créer un
monopole
• Les ventes exclusives et les ventes liées si elles restreignent substantiellement la concurrence
• Les concentrations d’entreprises si elles ont pour effet de restreindre substantiellement la concurrence

• Le fait pour toute personne de diriger plusieurs entreprises concurrentes

• Une différence importante par rapport au Sherman Act est que les autorités de la
concurrence (pour le troisième point) se saisissent du cas avant l’opération de
fusion-acquisition,
• Plus précisément il doit y avoir notification de l’opération pour examen dès lors que les parties
remplissent certains critères (notamment de chiffre d’affaires cumulé) qui sont régulièrement acualisés

• C’est le Clayton Act qui, aux Etats Unis, correspond le plus à la philosophie de
l’approche SCP. Il structure encore fortement leur politique de la concurrence
"Economie industrielle", Chapitre 1, © Marc Baudry 46

1.4 Mise en œuvre et limites de l’approche SCP

• En Europe, le traité instituant la Communauté Economique Européenne


(traité de Rome de 1957) pose les fondements juridiques du marché
intérieur avec notamment un volet concurrence
• Il prévoit notamment l’établissement d’un régime assurant que la concurrence
n’est pas faussée au sein du marché commun
• Les comportements collusifs et les abus de position dominante sont visés. On est proche de l’esprit du
Sherman Act
• Une nouveauté par rapport aux Etats Unis est la législation sur les aides d’état (soutien d’un Etat à une
ou plusieurs industries d’un secteur)

• Mais il ne comprend pas de disposition spécifique au contrôle des concentrations

• Il faut attendre le Règlement Fusion 4064/89 du 21 décembre 1989 dans


le cadre de l’achèvement du marché intérieur en vue de la suppression
des frontières intérieures en 1992 (Traité sur l’UE de Maastricht) pour
qu’un texte spécifique au contrôle des concentrations apparaissent
• Le fil conducteur est que la suppression des frontières favorisera les concentrations, que des
effets bénéfiques sont attendus (renforcement de la compétitivité européenne…) mais
qu’elles ne doivent pas nuire à la concurrence et au consommateur
• Le contrôle des concentrations opère sur un mode assez proche de ce qu’il est aux Etats Unis
• Des modifications ont été apportées par le règlement 139/2004 pour affiner la question des seuils
d’intervention sans remettre en cause le fond
"Economie industrielle", Chapitre 1, © Marc Baudry 47

1.4 Mise en œuvre et limites de l’approche SCP

• En Europe comme aux Etats Unis, l’idée clé du contrôle des


concentrations est de mettre en balance les avantages en termes de
synergie et les désavantages en terme de pouvoir de marché
• Il n’y a pas une opposition systématique aux concentrations mais
seulement une opposition circonstanciée
• Exemple:
• Marché en duopole à la Cournot Nash (conjectures nulles) avec une firme 1 produisant au coût marginal
c1 et une firme 2 produisant au coût marginal c2
• La fusion des deux firmes permet de tirer parti de synergies et de produire à un coût marginal c0 plus
faible que c1 et c2
• La demande est linéaire et prend la forme Q=a-b p
• La relation clé A de l‘approche SCP prend la forme

p  ci 1 q i a 1 
   q1  q 2   ci  qi i  1 , 2
1

p b p b b  b
"Economie industrielle", Chapitre 1, © Marc Baudry 48

1.4 Mise en œuvre et limites de l’approche SCP

• Les quantités d’équilibre résolvent donc un système linéaire


• Elles s’écrivent:

 * a 1 2 
 q1   b c 2  c1  Par la fonction
1a 
3 3 3  de demande p*oli    c1  c 2 
 3 b 
 q*  a 1 2  inverse, on en
 b c1  c 2  déduit le prix
 2 3 3 3 

1a 
• La tarification de monopole résultant de la fusion donne quant à elle: p*mon    c0 
2b 
• La tarification de monopole sera plus avantageuse pour les consommateurs si et seulement si:

p*mon  p*oli  c0 
2
c1  c2   1 a
3 3b
"Economie industrielle", Chapitre 1, © Marc Baudry 49

1.4 Mise en œuvre et limites de l’approche SCP


• Si l’approche SCP a encore aujourd’hui une influence importante sur
la pratique du contrôle des concentrations, elle a subi des critiques
théoriques importantes
• Formellement, comme le montre l’exemple précédent, il a y
codétermination du prix (donc de la performance) et des quantités (donc de
la structure), ce qui va à l’encontre de la représentation causale S + C => P
• Plus généralement, l’ensemble des éléments de la relation clé A sont
susceptibles d’être le fruit d’une stratégie de long terme des entreprises donc
d’être tout autant endogène que le prix à long terme
• L’élasticité prix:
• Elle dépend de l’attachement du consommateur au produit, donc de la stratégie de différenciation
perçue (via la publicité) ou réelle par l’innovation (caractéristiques objectives du bien) => cf Chapitre 3

• La variation conjecturale:
• Elle dépend du degré de collusion tacite (donc légale) ou explicite (donc illicite) entre firmes => pourrait
faire l’objet de tout un chapitre spécifique

• Le degré de concentration:
• Il dépend des parts de marché qui elles mêmes peuvent résulter
• … de structure très particulière des coûts => cf Chapitre 2 pour le cas extrême du monopole naturel
• ,,, des choix de différenciation des produits (modifie le marché pertinent)=> cf Chapitre 3
"Economie industrielle", Chapitre 1, © Marc Baudry 50

1.4 Mise en œuvre et limites de l’approche SCP


• La prise en compte des divers éléments de stratégie de long terme
des firmes conduit plutôt à suggérer une simultanéité S-C-P
• La stratégie de différenciation de produit affecte ainsi simultanément la structure
du marché ET la performance de la firme
• De même une stratégie collusive permet aux firmes d’un même marché de
coordonner leurs comportements ET d’améliorer leur performance

• Justifie l’accent mis sur ces aspects dans les développements


plus récents de l’économie industrielle
• Les critiques ne remettent donc pas en cause le lien S-C-P mais
plutôt la causalité S&C => P
• Les conclusions tirées de la relation S-C-P en matière de contrôle
des concentrations restent donc valables
• Les critiques enrichissent plutôt qu’elles n’invalident l’approche en soulignant
la diversité des stratégies que peuvent adopter les firmes pour améliorer
leur performance et leur éventuelle ambivalence pour les consommateurs

Vous aimerez peut-être aussi