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Revue des Etudes et Recherches en Logistique et Développement (RERLED) | Edition 2019 – Vol 1, N° 2 | ISSN 2458-5890

Localisation des activités nuisibles et dangereuses aux quartiers de


"Castilla" à Tanger (Maroc) : Cas des garages de mécanique
Brahim MARRAKCHI

bra.marrakchi@gmail.com
Enseignant-chercheur, Faculté des Sciences Juridiques, Économiques
et Sociales de Tanger. Université Abdelmalek Essâadi. Maroc.
Équipe de Recherche sur la Gouvernance Territoriale et le
Développement Durable.
Résumé :
L’objet de cet article est d’aborder et expliquer les facteurs et les éléments spatiaux qui ont
accordé à la zone de "Castilla" à Tanger sa forme actuelle ; notamment sa spécialisation en
entretien et réparation des véhicules. Ce type d’activité nuisible et dangereux pose énormes
défis urbains.

Mots-clés : Analyse spatiale, localisation, économies d’agglomération, forces centripètes,


forces centrifuges, territoire, garages de mécanique, Tanger.

Resumen:
El objetivo de este artículo es abordar y explicar los factores y los elementos espaciales que
han acordado la zona de “Castilla” en Tánger su forma actual; sobre todo su especialidad en
mantenimiento e reparación de los vehículos. Este tipo de actividad perjudicial y peligrosa
pone enormes desafíos urbanos.

Palabras claves: Análisis espacial, localización, economías de aglomeraciones, fuerzas


centrípetas, fuerzas centrifugas, territorio, garajes de mecánica, Tánger.

Abstract:
The purpose of this article is to discuss and explain the factors and spatial elements that have
given the zone of “Castilla” in Tangier its present form; including its specialization in vehicle
maintenance and repair. This type of harmful and dangerous activity poses enormous urban
challenges.

Keywords: Spatial analysis, location, agglomeration economies, centripetal forces,


centrifugal forces, territory, mechanical garages, Tangier.

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Les villes, comme un « concept interprétatif » (RÉMY et al., 1992 :7), sont des lieux qui
maximisent les interactions intra et extra-muros. Elles sont en fait des structures dynamiques
marquées par des phénomènes liés à la localisation, la production, la distribution et la
consommation dans l’espace. Il s’agit, à ce titre, d’identifier et de comprendre la logique
derrière la spatialisation des activités économiques (ROUZIER, 1993).
Dans ce contexte, la relation entre l’espace et les activités économiques est porteuse de
plusieurs phénomènes liés aux économies d’agglomération. Celles-ci, influent sur les niveaux
de la compétitivité et modifient les choix de localisation.
À cet égard, notre but est d’aborder certaines questions relatives à la localisation des activités
économiques, spécialement les garages de mécanique. Pour ce faire, nous avons choisi l’unité
spatiale de "Castilla" à Tanger. D’ailleurs, cette ville est découpée en 4 arrondissements :
"Médina" (58 Km²), "Souani" (10,5 Km²), "Mghogha" (25 Km²) et "Béni-Makada" (36 Km²).
La zone d’étude se situe à l’arrondissement de "Médina", et sa superficie à peine voisine le
0,7 km².
Dès les prémices de cet article, on doit mentionner que sur papier "Castilla" n’a aucune
reconnaissance par l’adressage officiel mené par la Commune ; elle est usuellement utilisée
par la population. Toutefois, cette dénomination figure aussi dans l’adressage de la Poste et
des agences bancaires.
À vrai dire, Tanger est transposée dans cet essai de « la ville dans l’espace à la ville comme
espace » (RACINE, 1996 : 213). Dit autrement, cela signifie que la ville du Détroit est
considérée comme un territoire non discriminant. Selon cette perspective, Tanger est un
espace « de coordination entre acteurs (…) poursuivant des objectifs différents mais
congruents » (COLLETIFS, 2008 : 181).
Par cette recherche également nous essayerons de découvrir l’influence que porte ce territoire
sur le niveau de compétitivité entre les garages de mécanique, et leurs choix de localisation.
En effet, l’analyse de la concentration des activités liées à l’entretien et à la réparation des
véhicules à "Castilla" montrera que l’étalement urbain à Tanger a eu une influence
remarquable sur les comportements spatiaux des agents économiques. Autrement dit, cette
localisation a eu des répercussions multiples sur les structures spatiales composées
essentiellement par des entités sociales et démographiques complexes.
Pour réaliser cette étude, nous avons surmonté deux obstacles. Le premier est relatif à
l’absence de différents travaux de recherche sur la zone d’étude. Nous avons comblé ce déficit
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par une enquête de terrain et par une série des entretiens individuels avec des personnages
(espagnols et marocains) ayant vécu ou travaillé à "Castilla" durant la période 1940-1970.* Le
deuxième obstacle est relatif au statut des garages de mécanique. Ils sont majoritairement des
unités de petite taille constituant la base de la vie sociale d’une partie non négligeable de la
communauté. Donc, ils sont complexes à étudier, puisqu’ils sont méfiants aux facteurs
extérieurs. Pour gagner leur confiance il faillait consommer beaucoup de temps pour établir
un mode de communication à la fois simple et crédible, sans déduire ou menacer leurs
intérêts. À cet égard, une citation s’impose : « la complexité de la société s’y retrouve et parce
qu’elle résulte déjà d’une combinatoire de principes spatiaux élémentaires » (LUSAULT,
2007 : 89).
Découvrir l’origine de la nomination de la zone est le premier pas pour dévoiler les
mécanismes qui sont derrières la forte concentration des activités d’entretien et de réparation
des véhicules. D’où vient le mot de "Castilla" ? Quel rôle pour les accidents historiques ? Les
économies d’agglomération sont-elles suffisantes pour expliquer la forte concentration des
garages de mécanique ? Comment "Castilla" a passé de la concentration à la saturation, puis à
la dispersion ? Et pour quelles raisons des centres secondaires ont-ils surgi ?

I. "Castilla" : Naissance d’une zone… de l’étalement vers la


concentration
L’étalement urbain de l’unité spatiale reconnue en tant que "Castilla" a suivi un processus
urbanistique particulier (1). D’ailleurs, le mot "Castilla" en lui-même englobe toute une série
des évènements qui comblent une partie non négligeable de l’économie géographique du
Tanger zone internationale1 (2). Les premières activités à s’installer ont déclenché un
processus de concentration qui a maintenu une croissance en crescendo après l’Indépendance
et le retour de Tanger à la souveraineté marocaine (3).

1. Prémices : Origine de la zone


Une photo aérienne prise de la zone d’étude au début de 1947 illustre un processus
urbanistique dans un état embryonnaire. Durant les années 1940 la zone d’étude était encore
un domaine non résidentielle et faiblement peuplée à la propriété la société espagnole

*
La réalisation de cette étude a été également poussée par la motivation du chercheur qui natif de "Castilla" (3 ème
génération).
1
Statut établi à Tanger entre 1923 et 1956 sur une superficie de 373 km².
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INIMEX. En fait, cette zone, en sa totalité, est considérée comme l’une des périphéries de la
ville.

2
Photos n°1 : Zone de "Castilla" au début de 1947

La première grande mutation urbaine déclencha environ 1948 lorsqu’INIMEX commença à


aménager des lotissements. Pourtant, la zone était encore sans aucune attractivité sur le plan
résidentiel. Pour cette raison, et dans le but de commercialiser les lots, l’entreprise espagnole
donna des facilitations de crédit à intérêt nul à la fois pour accéder aux terrains et pour acheter
des matériaux et de produits de construction fabriqués par dite entreprise. D’ailleurs, la
spécialité d’INIMEX est la production des matériaux de construction et la location des outils
de construction et des accessoires pour bricolage. Son usine se situait "al Gandori", mais son
local à la zone d’étude était réservé uniquement au stockage et à la commercialisation de ses
produits (sable, gravier, ciment, béton, granulat, etc.), ainsi que la réparation et l’entretien de
son parc automobile.
Les premières familles à s’y installer sont des français. Ils ont opté des lotissements réservés
aux villas, puis des espagnoles (zone R+2) à côté d’une seule famille mixte (italiano-
marocain). Dès le début des années 1950, quatre familles marocaines rejoignirent le quartier.3
Néanmoins, la majorité des résidents était de nationalité espagnole, notamment de la région
Castille (Léon et aussi La Manche), d’où vient la nomination de cette zone.

2
Source : Page web "tangerjabibi", http://www.tangerjabibi.com/industria_inimex.htm (consultée le 20 février
2011). La page n’existe plus depuis 2015.
3
Dont la famille de ma grande mère maternelle.
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2. Émergence des premières activités :


Outre le dépôt la société INIMEX4, "Castilla" commença à accueillir les premières activités,
de nature agro-alimentaire essentiellement, qui ont modifié par la suite la morphologie de la
zone. On s’y installa à l’époque :

 "Bodegas Morenito", unité espagnole de la mise en bouteille de vin blanc ou


rouge importé de l’Espagne et distribuer localement.

 "Galletas Diego", petit atelier espagnol de production des biscuits, employant 4


personnes.

 "Dolomites", petit atelier de production et de distribution des glaces.

 Commerçant marocain d’alimentation générale.

 Cinq ateliers de réparation des véhicules (3 espagnols, un italien, un marocain).


Parallèlement à ces activités, il existait également un hôtel reconverti rapidement au début des
années 1950 en chambres à louer individuellement aux militaires ; puis devenu à partir de
1960 un bâtiment résidentiel.5
Il existait aussi bien avant une firme de propriétaire espagnole, situant à la place où était
fondu en 1981 l’école primaire de Mohamed Hassan el Ouazzani.

3. Début de la concentration
Le rôle de la société INIMEX est crucial dans l’émergence des activités liées à la réparation et
l’entretien des véhicules à "Castilla". Son atelier entra en activité depuis 1950 ; quelques
années après d’autres ateliers ont surgi. Le métier et le savoir-faire était principalement italien
et espagnol, à côté, tout près de "Castilla", d’un seul marocain surnommé "Mucho" (le célèbre
garage Mucho). En 1961, un marocain d’origine rifain, après avoir acquis le métier chez un
espagnol, a décidé d’ouvrir son atelier au cœur de "Castilla" (garage Daoudi), et entra en
concurrence avec les ateliers qui y existent.
En paire avec cet étalement urbain, la zone d’étude a manifesté une grande tendance vers la
spécialisation des activités liées à l’entretien des véhicules, mais aussi à la commercialisation
des produits de sanitaire et de construction.6 En fait, la croissance de ces activités s’est

4
Le dépôt existe encore à la croisée de la rue Cadi Ayad avec la rue de Fès.
5
Localisation actuelle : Immeuble n°8, rue Cadia Ayad.
6
Veuillez consulter l’annexe n°1.
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développée avec le degré de l’évolution des activités humaines (habitat, production,


distribution, culture, etc.).
Donc, la morphologie de la zone d’étude "Castilla", c’est-à-dire la forme et l’organisation
spatiale, la densité et les affectations, s’est radicalement métamorphosée au fil du temps.
Effectivement, la zone en 1945 comptait 15 résidents (3 familles) ; 10 ans plus tard, ce chiffre
a légèrement augmentait en passant à 48. Après l’indépendance, en 1969, "Castilla" comptait
300 personnes ; aujourd’hui, ils sont 520 ménages, faisant 2000 résidents. Jusqu’à 1956 il n’y
avait au total que 12 activités économiques seulement, contre 345 activités en 2010 et 353 en
2011 et 363 en juin 2017. Il n’y avait qu’un seul épicier, contre 35 aujourd’hui !
Donc, du quartier périphérique, semi-structuré et entouré par des bidonvilles dans les années
1970/80, au quartier limitrophe au cœur de la ville, structuré, aménagé et quasiment saturé en
2017. Uniquement cinq parcelles non encore bâties. L’expérience de "Castilla", comme le
déjà éprouvé les expériences des autres villes, montre que l’étalement urbain ne peut résister à
la demande foncière et à l’essor des transports mécanisés (BILLARD et al., 2008 :347). À ce
point-là, les accidents ou les évènements historiques, ainsi que les économies
d’agglomération, ont joué un rôle moteur.

II. Forte concentration : facteurs explicatifs

Il s’agit d’un processus collectif et aléatoire où les "accidents historiques" et les "petits
évènements" (1) sont des facteurs qui ont poussé à une concentration élevée des activités liées
à l’entretien des véhicules. Le rôle des économies d’agglomération n’est que le résultat et le
constat des interactions entre les garages de mécaniques (2).

1. Rôle des "accidents historiques"


Les contingences historiques et même géographiques peuvent expliquer les dynamiques
d’agglomération (SUIRE et al., 2002). À cet égard, Paul Krugman, a mis l’accent sur le rôle
des évènements historiques pour expliquer le choix de localisation des entreprises et la
dynamique des systèmes soumis à une situation d’équilibres multiples (KRUGMAN, 2009).
En effet, si la société INIMEX, vers les fins des années 1940, n’avait pas installé son unité (à
la fois de vente et de stockage)7 les dynamiques d’agglomération n’auraient pas pu
l’opportunité de se développer à "Castilla". Autrement dit, le développement des activités

7
Le dépôt se trouvait à l’époque au rue de Fès, n°174. Il existe encore à la croisée de la rue Cadi Ayad avec la
partie d’extrême sud de la rue de Fès.
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liées à la réparation des véhicules et à la vente des produits de sanitaire suivraient un parcours
différent. En fait, INIMEX a rempli une panoplie divergente des activités : la construction, la
vente et la location des matériaux de construction et des accessoires de bricolage, la
production de céramiques, l’importation de bois, la réparation des véhicules et la
représentation des marques (automobiles et des camions). Parmi ces marques figuraient
"Austin Motor Corporation". La société disposa également d’une autre antenne à Fès.
Cet évènement historique a accordé à "Castilla" l’image d’une zone spécialisée dans ce
domaine et qui assure des services à la fois avec une grande qualité et un prix concurrentiel.
Cette image est transmise et renforcée de génération en génération. Malgré que les activités
d’INIMEX soient cessées trois ans après l’indépendance du Maroc, d’autres garages de
mécaniques et d’autres commerçants des matériaux et accessoires de construction se sont
installés pour y profiter des économies d’agglomération créées par INIMEX.

2. Rôle des économies d’agglomération


En principe, les villes « maximisent à la fois les économies d’agglomération et les économies
de réseau » (ROZENBLAT, 2007 : 96). Si la zone d’étude parvient à attirer progressivement
un pourcentage élevé des activités d’entretien des véhicules, c’est parce que les forces
centripètes, dans une première étape, ont développé davantage, que les forces centrifuges. Ces
forces centripètes demeurent à "Castilla" plus complexes et regroupent plusieurs effets :

 taille du marché ;

 diminution des coûts de formation et/ou de recrutement ;

 proximité dans la transmission du savoir-faire et des connaissances ;

 disponibilité de fournisseurs spécialisés et de clients ;

 effets externes purs ;

 nouveaux avantages compétitifs entre les garages de mécanique.


Il revient à la société INIMEX de jouer le rôle de déclencheur ; puis, les autres premiers
garages des espagnols et des italiens ont suivi cette initiative, dès le début de 1950, pour en
profiter des économies d’agglomération (externalités pécuniaires, technologiques et de
réseaux). Ce qui montre que la localisation et la croissance de ces activités n’ont pas été
uniquement influencées par la taille du marché (clients), mais aussi par les relations entre les
garages en amont et en aval. Il s’agit en fait d’un exemple concret qui prouve encore une fois
que toutes les formes de concentration économique sont sensibles à l’existence d’économies
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d’agglomération ; et que les dynamiques des échanges ont une logique d’agglomération
(KRUGMAN, 1991). Paul Krugman parle dans un contexte différent d’une localisation issue
d’un processus de causalité circulaire et cumulative. D’ailleurs, ce concept est important pour
mieux comprendre la formation des inégalités territoriales.
Dans ce cadre logique, les premiers garages de mécanique ont encouragé le développement
d’un processus d’apprentissage interactionniste qui accorda, comme nous l’avons déjà
mentionné, à la zone progressivement une réputation en cette matière. Ils ont du surcroît
transmis le savoir-faire du métier aux apprentis marocains.8 En outre, la localisation de ces
activités nuisibles s’accorde avec les normes d’aménagement, puisque "Castilla" était encore
une zone périphérique enregistrant une faible densité urbaine.
Aujourd’hui, les activités liées à l’entretien des véhicules localisées au "Castilla" sont de
nature différente. En fait, la zone offre aux clients qui viennent pour réparer leurs véhicules
tout un service complet :

 Réparation et entretien des véhicules automobiles.

 Commerce et réparation de motocycles.

 Commerce et réparation de vélos.

 Commerce d’équipements automobiles.

 Commerce de portes automatiques et système d’alarme.

 Réparation des clés automobiles.

 Lavage-auto.

 Dépannage.

 Location des véhicules.

 Auto-école.
Au total, elles sont 140 activités liées aux véhicules (neufs ou d’occasions) localisées dans
cette zone sélectionnée. Pour autant, la réparation et l’entretien de véhicules accaparent un
pourcentage de 51,5%, tandis que le commerce d’équipements et des pièces automobiles
arrive en deuxième position avec 28,5%. Pour autant, l’ensemble de ces activités liées aux
véhicules représentent 38,5% de toutes les branches d’activités localisées à "Castilla".

8
Dans cette catégorie nous soulignons également le garage de "José Parres", l’un des premiers garages de
mécaniques à s’installer à Tanger (1936) non loin de "Castilla" au rue de Fès, n°77.
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Néanmoins, les activités liées au commerce d’équipement de sanitaire avoisinent le seuil de


11%.

III. Saturation de "Castilla" et l’émergence des centres secondaires


Si cette concentration est porteuse des économies d’agglomération, dans un deuxième temps
elle est devenue source de déséconomies d’agglomération (1). En effet, chaque localisation
n’est qu’une recherche d’économies d’agglomération, et chaque délocalisation n’est qu’une
conséquence de déséconomies d’agglomération. Pour autant, la théorie des places centrales
garde encore un certain regain d’intérêt ; elle est transposable à certains niveaux pour illustrer
l’organisation spatiale de ces activités (2).

1. Rôle de déséconomies d’agglomération :


Si les économies d’agglomération ont joué un rôle positif dans le regroupement des garages
de mécanique à "Castilla", dans une deuxième phase les déséconomies d’agglomération ont
joué un rôle contraire, rendant nocif l’environnement urbain. En effet, le développement des
forces centrifuges ont incité à la dispersion des garages de mécanique hors "Castilla".
D’ailleurs, en principe ce sont ces forces qui poussent à la dispersion des firmes et à
l’immobilité d’une partie de la main d’œuvre (CATIN et al., 2002 : 411).
Ces forces centrifuges, dans le cas de la zone d’étude "Castilla", sont simples et de natures
différentes : intensification de la concurrence (FUJITA et al., 2003 : 379), coûts fonciers,
congestion, pollution, transfert des technologies et du savoir-faire organisationnel, etc. En ce
qui concerne ce dernier point, il est prouvé que les forces centrifuges sont déterminées
principalement par la nature et l’intensité des externalités de connaissance (CATIN et al.,
2002).
À ce titre, le développement des activités de garages de réparation et d’entretien des véhicules
ont engendré plusieurs bouleversements :

 Nuisance de la tranquillité publique par le bruit.

 Hausse significative de la pollution atmosphérique et des émissions de gaz.

 Augmentation des maladies respiratoires et de certaines d’autres maladies chroniques


telles que l’hypertension.9

9
D’après l’enquête que nous avons effectuée 69% des familles à "Castilla" comptent au moins un membre
affecté par une maladie respiratoire et/ou l’hypertension.
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 Occupation intensive des trottoirs et des voies publiques qui coulent vers la partie Sud
de la rue de Fès.

 Accroissement des besoins de transport dans la zone.

 Congestion urbaine.

 Augmentation de la rente foncière.

 Saturation de la zone.
En fait, 85,5% des entretiens des véhicules s’effectuent sur les voies publiques. Il est tout à
fait concevable que cette concentration n’est pas porteuse d’avantages pour toutes les
composantes du territoire. Certes, "Castilla" est aujourd’hui un lieu majeur de concentration
des garages de mécaniques, mais marqué par des inégalités environnementales qui affectent
négativement une catégorie fragile de résidents. C’est ce que certains chercheurs ont qualifié
par le paradoxe de la localisation (PILON, 2007 : p.11-13).
Ces inégalités sont de plus en plus palpables. Les villes « sont donc à la fois le moteur de
l’économie et le signe de ses dérèglements » (LOROT, 2001 : 476) qui se manifestent par la
marginalité et l’exclusion d’une partie du territoire (MARRAKCHI, 2007 : 80).
Bref, ces dynamiques montrent que l’inanité des effets de la concentration des garages de
mécanique n’y existe pas. À contrario, cette concentration a entraîné la création d’un véritable
centre de gravité à "Castilla" ; mais peu compatible avec le développement durable.
D’ailleurs, « nombreux sont ceux qui voient dans l’étalement urbain l’antithèse de tout
principe de développement durable » (BARCELO, 2004 : 16).
En tout cas, l’étalement urbain a été toujours un défi pour le développement durable
(AGUEJDAD, 2009 : 48-49). Dans notre cas d’étude, cet étalement s’est accompagné, depuis
les années 1990, par une modification de l’occupation du sol et par la pollution (rejets de CO2,
odeurs, bruit). Ces facteurs soulevés ci-dessus ont poussé une partie des activités liées à
l’entretien des véhicules à se diffuser vers les zones les plus proches. Comment ce processus a
conduit finalement à l’émergence de nouveaux centres secondaires ?

2. Émergence des centres secondaires : une réorganisation spatiale sous


forme des places centrales
Si, dans un premier temps, les garages de mécanique se sont concentrés excessivement à
"Castilla" c’est parce qu’elle réunit les facteurs d’une localisation optimale. Pour autant,

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chaque localisation est souvent en fonction de la nature « et de l’intérêt des consommateurs


dans une conjoncture historique donnée » (DE LA PRADELLE, 1996 : 94). Mais, elle est
souvent provisoire (POLÈSE, 2009 : p.87-89). En fait, même l’optimum peut se déplacer
également.Par sa spécialité et les services complets disponibles, se localiser à "Castilla" est
devenue un choix stratégique pour les garages soucis d’assurer un taux de rendement élevé.
Autrement dit, malgré la forte concurrence, les mécaniciens préfèrent de s’y installer parce
que les avantages comparatifs sont très élevés. Cette zone offre d’autres avantages. En effet,
elle se situe à :

 10 minutes de centre-ville.

 10 minutes du souk de "Casa Barata" (pour faire connaitre les nouveaux lubrifiants).

Néanmoins, la demande est devenue accrue face à une occupation intensive des locaux. Si la
rareté et le besoin accru mènent à l’augmentation de la rente foncière, les prix du m2 à
"Castilla" ont suivi un trend haussier. C’est ainsi que pour acheter un local de 45 m² le prix
oscille entre 2,5 et les 3 millions de DH.Ce constat a poussé certains ateliers à se localiser
dans les environs de Castilla. Donc, des centres secondaires ont commencé à se développer ;
mais ils ont resté strictement en arrière par rapport au centre principal. Comme une tâche
d’huile, les garages de mécanique se sont diffusés spatialement à partir du cœur de "Castilla".
Au fur et à mesure qu’on s’éloigne du centre, la concentration des activités devient de plus en
plus faible. C’est ainsi par exemple que la concentration est relativement forte à "Lala
Chafia", relativement moins au "Souani" (à l’exception de la place 20 août) ; encore plus
faible dans la zone du "Val Fleuri", et ainsi de suite.Grâce à son histoire, sa spécialité et son
accumulation des savoir-faire "Castilla" reste le cœur ou le noyau de toutes les activités
d’entretien et de réparation des véhicules à Tanger. Si par exemple un atelier ne parvient pas à
trouver la solution, il demande au client de rejoindre l’un des ateliers de "Castilla" ; idem
pour les pièces autos, etc. Cette forme de diffusion spatiale peut être schématisée comme suit :

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Figure 1 : Places centrales des activités liées à la réparation des véhicules à Tanger

Donc, les centres secondaires se situent à "Lalla Chafia" (0,5 km de "Castilla"), "Souani" (0,6
km de "Castilla") et "Ben Dibane" (2,6 km de "Castilla"). Ils sont aussi entourés par des
centres de taille inférieure rendant des services moins sophistiqués. À cause des accidents
historiques, ces centres secondaires sont fortement interconnectés avec le centre principal. En
plus, plusieurs chefs d’ateliers de ces centres ont été des apprentis à "Castilla".
Ce schéma postule qu’au sein de l’agglomération tangéroise les activités d’entretien et de
réparation des véhicules se localisent de façon concentrée dans des places centrales
hiérarchisées. Néanmoins, "Castilla" demeure le centre principal grâce à son histoire, sa
grande spécialité et les externalités de connaissances qu’il diffuse.

Conclusion
En somme, la localisation des activités liées à l’entretien et la réparation des véhicules n’est
que le résultat de la combinaison entre des forces centrifuges et des forces centripètes. Les
garages de mécanique déterminent leurs choix de localisation en fonction du résultat de cette
comparaison. Si "Castilla" est le centre majeur ces activités c’est grâce à certains accidents
historiques, où la première présence de la société INIMEX a joué un rôle déterminent. Mais,
l’hétérogénéité du territoire et des techniques a aussi un rôle important. Comment ?

10
Figure inspirée de la théorie des places centrales de Walter Christaller.
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En effet, la concentration des activités à "Castilla" est de deux types. La première, c’est la
concentration du même secteur d’activité (garages de mécanique). Ce type de concentration
profite d’un bassin d’emploi généré par l’accumulation du capital humain, des marchés locaux
de biens et services intermédiaires, des réseaux d’information, etc. La deuxième, c’est la
concentration des secteurs d’activité divergents.11 Ce type de concentration profite de la
proximité des fournisseurs et des clients permettant de réduire les coûts de transport.
La prise en considération de tous ces éléments apporte une véritable compréhension de la
localisation de ce type d’activités à "Castilla".
Dernier point à soulever, le projet "Tanger métropole"12 prévoit dans un axe la délocalisation
des garages de mécanique de "Castilla" vers l’entrée de la ville. Cependant, cette décision a
été prise d’une façon unilatérale, sans étude préalable, sans planning et sans prendre en
considération les intérêts de mécaniciens, ainsi que les autres activités qui assurent des
services complémentaires.

11
Veuillez consulter l’annexe n°1.
12
Projet de rénovation urbaine (2013-2017), représente 7663 milliards de dirhams (676 millions d’euro). Il
concerne des aspects liés à la logistique, les équipements, le socio-culturel, l’économie et la protection de
l’environnement.
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Références bibliographiques

Livres & Ouvrages collectifs


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Annexe n°1 : Activités économiques localisées dans la zone d’étude "Castilla"

Type d’activité Nombre


Agences bancaires 6
Agences d’assurance 1
Pharmacie 3
Imprimerie 1
Opticien 2
Crèche 2
Publicité 4
Téléboutique 2
Cyber Internet 2
Commerce et réparation des téléphones mobiles 2
Bureau de loterie 1
Salle de sport 1
Commerce de détail de cassettes, CD et DVD 1
Librairie et papeterie 1
Traiteur 3
Boucherie 1
Boulangerie et pâtisserie 5
Commerce d’alimentation générale (épicier) 35
Commerce de détail de produits laitiers, œufs (laiterie) 8
Commerce de détail de fruits et de légumes 2
Commerce de blés et de féculents 5
Vente de fruits secs 3
Fabrication mécanique (tournage et fraisage) 3
Hammam et douches 3
Commerce d’équipements automobiles 40
Location des véhicules 3
Réparation et entretien de véhicules automobiles 72
Commerce et réparation de motocycles 8
Commerce et réparation de vélos 1
Lavage-auto 5
Dépannage 1
Commerce de véhicules automobiles 3
Auto-école 4
Transit et transport international 1
Coiffure et esthétique 10
Commerce d’équipements de locaux commerciaux 1
Commerce de détail de matelas et de tapis 3
Blanchisserie/Teinturerie (Pressing) 3
Cordonnier (réparation de chaussures et d’articles en cuir) 2
Forgeron 2
Four traditionnel 2
Activités photographiques 1
Minoterie traditionnelle 2
Commerce de gros de sucre, café, thé et épices 3
Commerces des plantes médicinales (pharmacie traditionnelle) 1
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Commerce de machine de confection 1


Commerce de détail d’appareils électroménagers 8
Réparation des clefs 1
Réparation d’appareils électroménagers 1
Réparation des machines de construction 1
Réparation des machines de confection 2
Usine de textile-habillement 2
Menuiserie (de bois ou de cuivre) 5
Menuiserie métallique 1
Tailleur 8
Plombier 1
Plâtrerie 1
Commerce d’engin, de pompes et de machines électriques et hydrauliques 3
Commerce de portes automatiques et systèmes d’alarmes 3
Droguerie et commerce de céramique et verrerie 23
Commerce de gros de matériaux de construction et de sanitaires 6
Commerce de détail de meubles et d’équipements domestiques 6
Commerce de gros de matériels électriques et électroniques 2
Commerce de détail de bien d’occasion 3
Commerce de combustibles (gaz) 1
Commerce de détail d’habillement 3
Lunetterie et commerce d’optique 1
Snack 5
Restaurant populaire 3
Café 7
Total 353

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