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Le droit du sport1

Conférence au Collège universitaire français de Moscou


22 avril 2014

Par Mathieu Maisonneuve


Professeur agrégé des universités en droit public
Vice-doyen de la Faculté de droit et d’économie de La Réunion

Dans un libre d’entretiens intitulé « A la première personne » et publié en 2000, le Président


Vladimir Poutine déclarait : « si je n’avais pas fait de sport, je ne sais pas comment j’aurais
tourné ».

Paraphrasant le président Poutine, je pourrais pour ma part dire que si je n’avais pas fait de
droit du sport, j’aurais probablement mal tourné.

J’aurais probablement mal tourné parce que je me serais concentré sur mon petit domaine, sur
un pan franco-français du droit administratif.

J’aurais probablement mal tourné, non seulement parce que je serais passé à côté de bien des
branches du droit, mais aussi et surtout parce que je serais passé à côté des problématiques
bien plus générales auxquelles ouvre le droit du sport

Albert Camus disait que tout ce qu’il savait de la morale, c’était au football qu’il le devait.
Pour ma part, je peux dire, sans trop exagérer, que tout ce que je sais du droit, c’est au sport
que je dois.

Le sport, comme toute activité humaine, est saisie par le Droit, partout. Par quel(s) droit(s) ?
A vrai dire, par tous les droits.

Pas seulement par tous les droits nationaux. Bien sûr on fait du sport à peu près partout dans
le monde. Mais plus généralement par toutes les catégories de droit. Par les droits étatiques et
par des droits-non étatiques. Par le droit commun et par le droit spécial. Par le droit privé et
par le droit public. Par le droit international et par le droit transnational.

Essayons de mettre de l’ordre dans tout cela.

La summa divisio du droit du sport est celle qui oppose, en son sein, le droit sportif stricto
sensu (I) et le droit étatique du sport (II) ; summa divisio que vient quelque peu brouiller le
droit du dopage (III).

                                                                                                               
1  Le  style  oral  de  la  conférence  a  été  conservé  

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I. Le droit sportif stricto sensu

Le droit sportif stricto sensu, c’est le droit produit par les institutions sportives. Par les
fédérations sportives nationales (la fédération russe de football, de hockey sur glace, etc.). Par
les fédérations sportives internationales (l’UEFA, la FIFA, etc.). Par les comités olympiques
(le Comité international olympique, le Comité national olympique russe, etc.).

Ces règles sont assurément juridiques. La question n’est pas celle de leur juridicité, mais celle
de leur soumission aux droits étatiques.

C’est la question de l’autonomie du mouvement sportif.

L’autonomie du mouvement sportif n’est pas un concept juridique consacré en tant que tel par
les Etats, si ce n’est dans des déclarations politiques ou symboliques.

C’est surtout et d’abord un concept juridique revendiqué.

Le mouvement sportif a longtemps réclamé une autonomie complète. C’est-à-dire pouvoir


s’organiser selon ses propres règles, sans immixtion des droits étatiques.

C’est irréaliste : le sport est une activité territoriale, les fédérations sportives ont leur siège sur
le territoire des Etats, et le droit sportif est nécessairement susceptible d’heurter les
souverainetés étatiques.

La question est ainsi plus celle du degré d’autonomie du mouvement sportif, que son
autonomie tout court.

Ce degré est très variable selon les Etats, selon les sports. Mais disons que les institutions
sportives nationales ont une autonomie limitée et que les institutions sportives internationales
ont une autonomie relativement importante.

Cela s’explique en grande partie par le fait que les institutions sportives nationales exercent
leurs activités sur le territoire d’un seul Etat, auquel elles sont étroitement liées et qu’elles ne
peuvent quitter.

Les institutions sportives internationales, elles, peuvent installer leur siège où elles le
souhaitent, ce qui permet d’aller là où le droit étatique est le moins contraignant pour elle, et
organiser leurs événements où elles le souhaitent également, ce qui leur donne un moyen de
pression important sur les Etats, en tout cas pour celles qui organisent des événements
majeurs.

Il ne s’agit pas à proprement parler d’une autonomie juridique particulière qui serait reconnue
aux institutions sportives internationales, mais simplement d’un rapport de force qui peut
parfois leur être favorable et leur permettre d’imposer leurs lois.

Par exemple, l’attribution des Jeux olympiques à une ville est subordonnée à un engagement
de l’Etat concerné selon lequel il fera tout ce qui est nécessaire pour que le droit du CIO
puisse s’appliquer sur le territoire de l’Etat pendant la compétition.

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L’Etat peut bien sûr refuser, mais s’il veut avoir les Jeux, il n’a guère le choix et l’intérêt de
les obtenir le conduit souvent à prendre cet engagement.

Mais hors cas particuliers, hors ces cas de rapport de force favorables, comment les
institutions sportives internationales font-elles pour maintenir un haut degré d’autonomie ?

Principalement en évitant aussi souvent que possible la confrontation entre leurs règles et les
règles étatiques.

Dans un premier temps, elles ont tout simplement réussi à interdire à leurs membres tout
recours en justice.

Dans un second temps, elles leur ont imposé le recours à un juge privé : le Tribunal arbitral du
sport (TAS). Les clauses de renonciation à tout recours en justice étant de plus en plus bravé
par les clubs et joueurs, au nom du droit fondamental au juge, les institutions sportives
internationales leur ont substitué des clauses compromissoires en faveur du TAS.

Toutes ou presque procèdent ainsi. Tant et si bien qu’une très grande partie du contentieux
sportif international échappe toujours aujourd’hui au juge étatique.

Qui était compétent pour traiter les litiges en rapport avec les Jeux de Sotchi ? Le TAS, ou
plus exactement la chambre ad hoc qu’il a spécialement constituée pour l’occasion.

Qui serait demain compétent pour trancher un litige qui naîtrait en l’UEFA et le Spartak
Moscou à propos d’une sanction que la première aurait prise à l’encontre du second. Là
encore le TAS.

La vérité, c’est que le TAS est bien la « Cour suprême du sport mondial ». Est-ce une bonne
chose ? Est-ce une mauvaise chose ? On peut en discuter. Est-ce un facteur d’autonomie du
mouvement sportif ? C’est certain.

Qui juge les litiges soumis au TAS ? Des arbitres, c’est-à-dire des personnes privées, choisies
par les parties sur une liste fournie par le TAS.

Quel droit est appliqué par les arbitres ? Principalement la lex sportiva au sens large. C’est-à-
dire le droit produit par les institutions sportives internationales elles-mêmes et quelques
grands principes généraux du droit qui se dégagent au fil des sentences.

Il y a bien des règles de droit étatique, surtout suisses, qui s’appliquent parfois, mais c’est
surtout à titre supplétif ou comme méthode d’interprétation du droit sportif.

Il est très rare que le droit sportif soit confronté à un droit étatique.

Certes, les sentences rendues par le TAS peuvent faire l’objet d’un recours en annulation
devant le Tribunal fédéral suisse. Mais le seul grief de fond que l’on peut invoquer à leur
encontre devant lui est la violation de l’ordre public international au sens du droit suisse. Or le
Tribunal s’en fait une conception si restreinte que les risques qu’une sentence du TAS soit
annulée pour ce motif sont minimes.

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Selon le Tribunal fédéral, une sentence arbitrale est contraire à l'ordre public matériel
seulement « lorsqu'elle viole des principes juridiques fondamentaux au point de ne plus être
conciliable avec l'ordre juridique et le système de valeurs déterminants » et il ajoute
généralement qu’ « au nombre de ces principes figurent, notamment, la fidélité contractuelle
("pacta sunt servanda"), le respect des règles de la bonne foi, l'interdiction de l'abus de droit,
la prohibition des mesures discriminatoires ou spoliatrices, ainsi que la protection des
personnes civilement incapables » (Trib. féd., 19 avril 1994, Émirats arabes unis c/ Westland
Helicopters, ATF 120 II 166).

Autrement dit, pour qu’une sentence du TAS ayant fait application d’une règle sportive soit
annulée, il faut, non pas seulement qu’elle ait méconnu une simple règle de droit étatique,
mais un principe ancré au plus profond de la conscience juridique suisse.

Le cas ne peut être qu’exceptionnel. À ce jour, deux sentences du TAS sur les centaines qui
ont été rendues ont été annulées pour ce motif (Trib. féd., n° 4A_490/2009, 13 avril 2010,
Club Atlético de Madrid SAD c/ Sport Lisboa E Benfica - Futebol SAD & FIFA ; Trib. féd., n°
4A_558/2011, 27 mars 2012, Francelino da Silva Matuzalem c/ FIFA).

II. Le droit étatique du sport

Le droit étatique qui s’applique aux activités sportives est double : il s’agit à la fois du droit
commun, qui s’applique au sport comme aux autres activités humaines, et du droit spécial,
c’est-à-dire de règles spécialement édictées pour s’appliquer à telle ou telle question sportive.

Cette ambivalence du droit étatique du sport se vérifie à peu près dans les tous les Etats. Mais
la place du curseur entre droit commun et droit spécial varie d’un Etat à l’autre.

Schématiquement, on distingue les Etats anglo-saxons, dans les lesquels il y a peu de droit
spécial du sport, et les Etats latins, dans lesquels il y en a traditionnellement plus.

Si s’agissant du droit sportif, le maître mot était « autonomie », s’agissant du droit étatique du
sport, il est « spécificités ».

Comment prendre en compte les spécificités du sport par rapport aux autres activités
humaines ? En la dotant d’un pan entier de droit étatique spécial ? C’est une option. En
laissant le juge adapter au cas par cas le droit étatique commun ? C’est une autre option.

Tout dépend du degré de spécificité que l’on estime nécessaire.

Prenons l’exemple de la lutte contre la violence à l’extérieur des stades. On peut très bien
considérer que le droit pénal commun est suffisant pour lutter contre cette violence, par
exemple via l’infraction de coups et blessures volontaires, ou de mise en danger de la vie
d’autrui, pour reprendre des qualifications françaises.

Mais on peut aussi considérer qu’il faut des dispositions spéciales contre cette forme de
violence. C’est le choix fait en France avec les interdictions administratives et pénales de
stade.

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D’une manière générale, la France a fait le choix d’un droit du sport très spécial. Il existe
même un code du sport, comme il existe un code civil ou un code pénal.

Les règles qu’il contient sont très nombreuses et concernent aussi bien les subventions aux
clubs, que le régime des sociétés sportives ou la vente des droits de retransmission télévisée.

Au Royaume Uni, il n’existe que très peu de règles étatiques spécialement applicables sport.
Cela ne veut toutefois pas dire que les spécificités du sport sont juridiquement niées.

Prenons l’exemple du droit de l’Union européenne. Le 15 décembre 1995, la Cour de justice


des communautés européennes a rendu un arrêt qui bouleversé le football mondial : l’arrêt
Bosman.

Dans cet arrêt, la Cour a notamment condamné le système des quotas tel qu’il était prévu par
l’UEFA, à savoir, à l’époque, le 3+2 : 3 étrangers au maximum pouvaient être alignés en
compétition officielle + 2 étrangers licenciés depuis plus de 5 ans dans le pays concerné.

Selon la Cour, ce système était contraire au principe de libre de circulation des travailleurs
communautaires au sein de l’Union européenne. Il est vrai que ce système limitait fortement
la possibilité pour un français d’aller jouer en Italie ou pour un belge d’aller jouer en Espagne.

L’arrêt Bosman a eu des conséquences d’autant plus importantes qu’il a été étendu par
d’autres arrêts à tous les ressortissants des pays liés par un accord d’association avec l’UE
(CJCE, 2003, Kolpak) ; puis, plus généralement, aux ressortissants de tous les pays liés par un
simple accord de partenariat avec l’Union européenne prévoyant un principe de non-
discrimination entre les ressortissants (CJUE, 12 avril 2005, Simutenkov).

Ces pays sont si nombreux que, en fait, il n’y a quasiment plus que les ressortissants
américains et asiatiques qui sont concernés par les quotas dans les clubs européens.

On a dit de cet arrêt qu’il constituait la négation ce qui fait l’essence du sport, en tout cas dans
le modèle européen, par exemple l’ancrage local, l’amour du maillot, en ce qu’il permettait
désormais de constituer des équipes de mercenaires étrangers.

Il est vrai que dans cet arrêt, comme dans d’autres qui l’ont précédé, la Cour affirme
clairement que le sport est soumis au droit de l’Union européenne, en tout cas lorsqu’il
constitue une activité économique.

Mais la Cour affirme aussi classiquement que des atteintes au droit de l’Union européenne
sont admissibles dès lors qu’elles sont justifiées par la poursuite d’un objectif légitime et sont
proportionnées à l’objectif poursuivi.

C’est ainsi qu’elle a parfaitement admis la légalité du critère de la nationalité comme critère
de sélection en équipe nationale.

Si la Cour a sanctionné le système des quotas dans les clubs, ce n’est pas parce que les
objectifs qu’il poursuivait étaient mauvais ; c’est parce qu’il n’était pas proportionné à ces
objectifs.

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Lorsque les mesures sont proportionnées, la Cour ne sanctionne pas les atteintes au droit de
l’Union européenne, comme ce fut par exemple le cas dans l’affaire Lethonen (13 avril 2000).

Après avoir « retoqué » la règle du 6+5 envisagée par le FIFA, la Commission européenne
semble disposé à admettre la règle du joueur formé localement (8 sur 23 dans les règlements
de l’UEFA) et le Conseil d’Etat français l’a déjà juge compatible avec e droit de l’Union (CE,
8 mars 2012, Ligue nationale de volley-ball).

Le juge est parfaitement capable de prendre en compte les spécificités du sport en se glissant
dans les interstices du droit commun, lorsque cela est justifié.

III. Le droit mixte du sport

La troisième composante du droit du sport est relativement nouvelle. C’est le droit mixte du
sport qui brouille la frontière classique entre droit sportif stricto sensu et droit étatique du
sport.

Tel est par exemple le cas du droit du dopage. Après s’être longtemps ignorés, les droits
étatiques et sportifs du dopage sont désormais réunis. Ils le sont depuis qu’a été adopté le
code de mondial antidopage et que ce code s’est imposé comme la source matérielle
universelle du droit du dopage.

Ce code est le résultat d’un processus original de coopération institutionnalisée entre les Etats
et le mouvement sportif. C’est en effet au sein de l’Agence mondiale antidopage, fondation de
droit suisse composée et financée paritairement que le code mondial antidopage a été adopté.

Sa diffusion est le fruit d’une action coordonnée des Etats et du Mouvement sportif. De leur
côté, les institutions sportives, en le reprenant dans leurs règlements, lui ont donné la force
normative qui lui manquait. De leur côté, les Etats se sont engagés, par la Convention
internationale de lutte contre le dopage conclue en 2005 sous l’égide de l’UNESCO, à enlever
de leur droit respectif tout obstacle à l’application des princes du code mondial antidopage.

Le droit du dopage constitue ainsi une remarque exemple du « pluralisme ordonné » cher au
Professeur Mireille Delmas Marty.

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