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1 Motif / Motif; Motive

MOTIF / Motif; Motive

Diane Desrosiers-Bonin
en collaboration avec Jean-Marie Grassin
Modifié le 5 janvier 2005
par NC

ÉTYMOLOGIE / Philology
De l'adj. latin médiéval motivus «mobile», lui-même dérivé de motus «mû»,
participe passé du verbe movere «mouvoir», le terme apparaît comme adjectif
au XIVe siècle en moyen français où il conserve l'idée de mouvement, de
déplacement. Il est utilisé surtout comme substantif depuis la Renaissance où
il acquiert une signification psychologique (mouvement de la volonté humaine).
Au XVIIIe siècle, le français emprunte à l'italien motivo le terme de musique et,
au XIXe siècle, à l'allemand Motiv le terme appliqué métaphoriquement aux
beaux-arts (architecture, peinture).

ÉTUDE SÉMANTIQUE / Definitions


1. (Sens courant). Cause à l'origine d'un mouvement physique ou, transposé sur
le plan psychologique, facteur déterminant d'une action humaine volontaire.
Motif est alors synonyme de «cause», «raison», «mobile».

2. (Par une extension en musique). La plus petite ligne musicale récurrente et


distinctive d'une mélodie ou d'un rythme.

3.(Beaux-arts). Tout élément décoratif, tout ornement accessoire, souvent


répété dans une œuvre d'art.

4.(Théorie littéraire). Unité thématique minimale sur laquelle se construit le


thème. V. l’article THEME.

5.(Narratologie). Unité narrative minimale dont la récurrence fonctionnelle au


sein d'un récit ou d'un ensemble de récits peut être indicative du genre.
Entité narrative minimale (= fonction chez Propp).

6. motifème:

7. leitmotif; allomotif:
V. Article LEITMOTIF

CORRÉLATS / Collocations
ARCHÉTYPE/Achetype,
CARPE DIEME,
DIÉGÈSE/Diegesis,
ÉMIQUE/Emic, ÉLÉMENT/Element,
FABLE/Fabla, FIGURE/Figurative language, FONCTION/Function, FORMALISME/Formalism,
FORME/Form, FORMULE/Formula,
IMAGE/Image, INTRIGUE/Plot; Schem, ISOTOPIE/Isotopy,
LEITMOTIV/Leitmotif,
MATÉRIAU, MOTIFÈME/Motifene, MOTIVÉ/Motivated, MYTHE/Myth,
PERSONNAGE/Character, Pattern,
RÉCURRENCE/Reccurence, REFRAIN/Refrain,
SCÈNE/Stage, SCHÈME/Schema; Scheme, STOFF, SUJET/Subject,
THÉMATIQUE/Thematic; Thematics, THÈME/Theme, TOPOS, TYPE/Type character,
Motif / Motif; Motive 2

UBI-SUNT, UNITÉ/Unit; Unity; Oneness.

NOMENCLATURES / Families of terms


ARTS/Theory, History of art,
FONCTIONS/Functions,
LINGUISTIQUE/Language,
MUSIQUE/Music,
NARRATION/Narrative,
RÉPÉTITION/Recurrence, RYTHME/Rythm; Tempo,
TEXTUALITÉ/Textual criticism, THÉMATIQUE/Theme, THÉORIE/Theory of literature,
UNITÉ/Unit.

ÉQUIVALENTS / Correspondences
Allemand / German : das Motiv recouvre tous les sens donnés en français; le terme Beweg-
grund ne s'emploie qu'au sens de «causes».
Anglais / English : Bien qu'il s'applique aux trois sens, on réserve le substantif motive pour
le premier emploi; on recourt plutôt au mot motif pour les sens littéraires.
Arabe / Arabic : document I en annexe]
allomotif: (v. le commentaire).
leitmutif ou leitmotiv: (v. le commentaire).
motifème: (v. le commentaire).
Chinois / Chinese : [voir document II en annexe] zhuti ou par [voir document III en
annexe], translittération phonétique de motif.
Coréen / Korean :
Danois / Danish :
Espagnol / Spanish : motivo.
Français / French : motif comme synonyme de «cause», «raison», «intention». En termes
musical et littéraire, on utilise également les mots leitmotiv et thème. Dans le domaine des
beaux-arts, on retrouve le terme anglais pattern (patron dynamique). En narratologie,
lemotif est généralement considéré comme synonyme de fonction narrative.
Grec / Greek :
Hongrois / Hungarian :
Italien / Italian : motivo.
Hébreu / Hebrew :
Japonais / Japanese :
Latin :
Néerlandais / Dutch :
Persan / Farsi :
Polonais / Polish : motyw.
Portugais / Portuguese : sens 1 causa, razão, intenção; motivo, tema.
Roumain / Romanian :
Russe / Russian : Aux sens 2 et 3, on utilise le terme ìîòèâ motiv, calque de
l'usage occidental; le terme ïðè÷èíà prièina renvoie uniquement au sens de
«causes».
Viêtnamien / Vietnamese :

COMMENTAIRE / Analysis
Dans le domaine des études littéraires, iconographiques et ethnographiques, il
règne au sujet de la notion de «motif» une telle confusion qu'il est parfois
difficile de tracer la frontière entre le «motif», le «thème», l'image, la «figure»,
le «topos», l'«allomotif», le «motifème», etc. Ce flottement terminologique tient
sans doute à la plurivalence du terme. En effet, motif peut tout aussi bien
désigner un mot, une phrase, une situation, qu'un objet, une image, un concept
3 Motif / Motif; Motive

ou une idée qui se répète, soit dans la littérature en général (on parle alors de
topos), soit au sein d'une même œuvre (où il devient synonyme de leitmotif).
Nous proposons de distinguer trois emplois différents du terme dans le champ
de la critique littéraire.

1. Le motif comme mobile


Dans sa première acception, le motif est entendu comme «cause», «raison»,
«mobile». En ce sens, on le rencontre notamment en psychologie. L'approche
stylistique connue sous le nom de Motiv und Wort, mise de l'avant par L.
Spitzer et H. Sperber, entre autres, analyse ainsi l'œuvre littéraire comme
l'expression d'une motivation psychologique ou socio-psychologique et rattache
ses traits stylistiques récurrents à la manifestation d'un étymon spirituel. On
retrouve également la notion de motif en linguistique avec la motivation
comme limitation de l'arbitraire du signe chez Saussure. Dans Figures III,
Gérard Genette utilise le terme pour différencier les divers types de
comparaison et de métaphore. A l'aide de ce critère, il distingue par exemple la
comparaison non motivée («mon amour est comme une flamme») de la
comparaison motivée «mon amour brûle comme une flamme» où la chaleur
joue le rôle de motif (ground) 1.
2. Le motif comme unité narrative
La problématique relative à la notion de motif, dans sa deuxième acception,
apparaît à la fin du XIXe siècle. Terme traditionnel en histoire de l'art et en
musique, le motif a d'abord attiré l'attention des folkloristes qui tentaient de
dégager des paramètres fixes pour l'établissement d'une typologie des contes.
En 1910, le savant finnois, Antti Aarne, élaborait un premier essai de
classification des contes basé sur la notion de «type» 2. Cet index, divisé par
sujets et par sous-classes de motifs, ne donnait pas cependant de définitions
précises de ces deux notions. Dans la même ligne de pensée, Arthur Christensen
proposait quelques années plus tard le plan d'un dictionnaire des motifs
empiriquement définis comme
[...] des épisodes qui captivent l'auditoire par leur étrangeté ou par leur effet
comique ou tragique, et qui, par leur caractère dramatique et serré, se
retiennent facilement dans tous leurs détails. De tels éléments prégnants qui
«prennent», selon une loi psychologique difficile à définer [sic], et qui se
détachent plus ou moins facilement de leur connexion primitive pour entrer

1
Genette (Gérard). Figures III. Paris: Seuil, 1972, pp. 29-31.

2
«Verzeichnis der Märchentypen», in Folklore Fellows
Communications, 3, 1911. Ce catalogue, devenu célèbre, illustre
bien la méthode «historico-géographique» d'analyse des contes,
élaborée par l'Ecole finnoise. Il devait être revu en 1928, puis
traduit et augmenté en 1961 par S. Thompson. «The Types of the
Folktale. A classification and Bibliography. Antti Aarne's
Verzeichnis des Märchentypen», in Folklore Fellows Communica-
tions, 184, 1964.
Motif / Motif; Motive 4

dans de nouvelles combinaisons, nous les appelons des motifs3.

Pour lui, le motif, la partie la plus simple du conte, constituait «un épisode
complet et terminé» (p. 6) et se distinguait du thème présenté comme «l'idée
fondamentale exprimée par un motif ou un assemblage de motifs» (p. 8).
Par la suite, S.Thompson, qui avait collaboré au catalogue d'Aarne, devait
réaliser son index des motifs 4 et chercher à déterminer la nature des éléments
constituants des contes. Il offre à son tour une conception intuitive du motif
dont il relève deux caractéristiques: son caractère inhabituel et sa récurrence
dans la tradition écrite ou orale. Il répartit les motifs en trois classes: les
personnages, les «objets» ou détails de second plan et les incidents. Cette
dernière classe regroupe le plus grand nombre de motifs 5. De même, chez R.
M. Volkov (Skazka, 1924), les motifs correspondent aussi bien aux attributs,
au nombre ou aux gestes des héros qu'aux objets. Cette taxinomie fondée sur
les notions de «type» et de «motif» fut également employée pour la constitution
du répertoire des contes populaires français de P. Delarue et M.-L. Tenèze6.
Alors que tous ces travaux tentent de définir empiriquement le motif par des
éléments de contenu variables mais récurrents, une autre approche, ébauchée
à la fin du XIXe siècle dans le but, elle aussi, de dégager des critères pour la
description et le classement des récits, privilégie plutôt les invariants formels

3
«Motif et thème. Plan d'un dictionnaire des motifs de
contes populaires, de légendes et de fables», in Folklore Fellows
Communications, 59, 1925, p. 5.

4
Thompson (Stith). Motif-Index of Folk Literature (6 vol.).
Bloomington, 1955-1958.

5
La définition du motif que S. Thompson suggère dans ses
divers écrits demeure plutôt vague; cf. «Narrative Motif-Analysis
as a Folklore Method», in Folklore Fellows Communications, 161,
1955, p. 7. Voir aussi: Courtès (Joseph). «Motif et type dans la
tradition folklorique: Problèmes de typologie», in Littérature,
45, 1982, pp. 114-127.

6
Delarue (Paul). Le conte populaire français (t. I). Paris:
Editions Erasme, 1957; Delarue (Paul) et Tenèze (Marie-Louise).
Le conte populaire français (t. II). Paris: Editions G.-P.
Maisonneuve et Larose, 1964.
5 Motif / Motif; Motive

du conte et considère le motif comme un élément stable de l'ossature narrative


7
.
Cette approche trouve ses origines chez J. Bédier, qui a joué un rôle
d'avant-garde par rapport aux recherches des formalistes russes 8, et chez A.
N. Veselovsky, qui emprunte à Aarne et aux folkloristes la notion de «motif».
Il apporte toutefois une distinction fondamentale entre le motif défini comme
la plus petite unité du récit, un élément indécomposable et irréductible auquel
la phrase correspond, et le sujet, compris comme un ensemble de motifs 9. Cette
distinction sera reprise et développée par Chklovsky 10, Tomachevsky 11 et
Propp. Tomachevsky appelle «motif» la «plus petite particule du matériau
thématique» et la fait coïncider avec la proposition (p. 268). Il subdivise
également les motifs en deux classes: «Les motifs qui changent la situation
s'appellent des motifs dynamiques, ceux qui ne la changent pas, des motifs
statiques». Il en donne la définition suivante: «Les descriptions de la nature, du
lieu, de la situation, des personnages et de leur caractère, etc., sont des motifs
typiquement statiques; les faits et gestes du héros sont des motifs typiquement
dynamiques» (p.272). Par ailleurs, sur le plan de la séquence, unité narrative
supérieure, Tomachevsky distingue les motifs associés et les motifs libres:
[...] certains motifs peuvent être omis sans pour autant détruire la succession de la
narration, alors que d'autres ne peuvent l'être sans que soit altéré le lien de causalité qui
unit les événements. Les motifs que l'on ne peut exclure sont appelés motifs associés; ceux

7
Pour un historique plus détaillé de cette question, on
pourra consulter les ouvrages suivants: Erlich (V.). Russian
Formalism. History - Doctrine (1955). La Haye: Mouton, 1969;
Segre (C.). Structures and Time. Narration, Poetry, Models.
Chicago/Londres: University of Chicago Press, 1979, pp. 1-56;
Simonsen (M.). Le conte populaire. Paris: PUF, 1984.

8
Bédier (J.). Les fabliaux. Etudes de littérature populaire
et d'histoire littéraire du moyen âge (1893). Genève/Paris:
Slatkine/Champion, 1982.

9
Veselovsky donne ces définitions dans son dernier ouvrage
inachevé, Poétique des sujets (1897-1906) (Poètika sjuzetov.
Saint-Pétersbourg, 1913), que cite V. Propp dans sa Morphologie
du conte, pp. 21-23.

10
Chklovsky (Victor). Sur la théorie de la prose (O teorii
prozy. 1925). Lausanne: Editions l'Age d'Homme, 1973.

11
Tomachevsky (Boris). «Thématique» (1925), in Théorie de la
littérature. Paris: Seuil, 1965, pp. 263-307.
Motif / Motif; Motive 6

que l'on peut écarter sans déroger à la succession chronologique et causale des
événements sont des motifs libres (p. 269-270)12.
Quant à V. Propp, en qui l'on reconnaît un précurseur des méthodes d'analyse structurale des
récits, il établit que la spécificité du conte merveilleux russe ne réside pas dans les motifs tels
que ses prédécesseurs les ont définis mais dans les unités dont se compose la structure
narrative. Par conséquent, il substitue aux motifs de Veselovsky et aux éléments de Bédier
la notion de fonction, c'est-à-dire «l'action d'un personnage, définie du point de vue de sa
signification dans le déroulement de l'intrigue [...] quels que soient les personnages, et quelle
que soit la manière dont ces fonctions sont remplies» 13.
Mettant de côté les éléments variables du conte, les travaux du folkloriste russe
ont marqué le point de départ de toute une série de recherches portant sur la
logique du récit. Dans la plupart de celles-ci, le motif se présente comme une
entité narrative minimale, synonyme de la fonction de Propp.
A la suite des études de R. P. Armstrong 14 et J. L. Fischer 15, la contribution
d'A. Dundes 16 s'inscrit dans le prolongement direct de Propp. Empruntant la
terminologie du linguiste K. C. Pike, Dundes rebaptise en effet la fonction
proppienne motifème. Il met également au point le terme allomotif pour
désigner les diverses formes sous lesquelles le motifème se manifeste dans le

12
Dans le prolongement de cette analyse, A.J. Greimas
reprend la dichotomie statique/dynamique qu'il applique à la
notion de sème; cf. GREIMAS (Algirdas Julien). Sémantique
structurale. Recherche de méthode. Paris: Larousse, 1966, pp.
122-123. R. Barthes, lui, assimile la notion de «fonction» aux
motifs associés de Tomachevsky et celle d'«indice» aux motifs
libres; cf. «Introduction à l'analyse structurale des récits»,
in Poétique du récit. Paris: Seuil, 1977, pp. 19-25.

13
Propp (Vladimir). Morphologie du conte (Morfologija
Skazki. 1928). Paris: Seuil, 1965, p. 31.

14
Armstrong (R.P.). «Content Analysis in Folkloristics», in
Trends in Content Analysis. Urbana (Illinois), 1959, pp. 151-170.

15
Fischer (J.L.). «A Ponapean Œdipus Tale», in The Anthropo-
logist Looks at Myth. pp. 109-124 et «Sequence and Structure in
Folktales», in Men and Cultures. Philadelphia, 1960, pp. 442-446.

16
Dundes (Alan). «The Morphology of North-American Indian
Folk-tales», in Folklore Fellows Communications, LXXXI: 195,
1964.
7 Motif / Motif; Motive

conte et réserve à chacune de ces unités étiques le nom de motif 17.


Plus récemment, L. Dolezel a rapatrié dans le domaine de l'analyse des textes
littéraires la notion de motifème 18. L'approche qu'il préconise comporte trois
niveaux: le motifème, le motif de structure et le motif de texture (p. 58). Le
premier niveau, de nature métalangagière, consiste à attribuer une série
d'expressions désignant une action à une autre série exprimant l'actant. Dolezel
définit ainsi le motifème comme une proposition s'apparentant à la fonction
de Propp. Le deuxième niveau, lui aussi de nature métalangagière, s'attache
aux segments narratifs où l'action est assignée à un personnage. En effet,
pour Dolezel, le motif structurel se limite aux seuls motifs dynamiques (p. 60).
Enfin, au troisième niveau, le motif de texture correspond à une phrase du
texte lui-même. W. Hendricks et E. Güttgemanns adoptent le même point de
vue que Dolezel au sujet du motifème 19. Equivalent de la fonction proppienne,
le motifème relève, selon eux, de la structure profonde du texte alors que
l'allomotif, notion qu'ils empruntent à Dundes, ressortit à la structure de
surface.
Depuis quelques années, d'autres chercheurs tentent aussi, tout en s'inspirant
de la logique des actions, d'intégrer au modèle d'analyse structurale les
composantes variables négligées par Propp. Pour le folkloriste et médiéviste
Mélétinsky, par exemple, le motif se présente comme un micro-sujet
comprenant une action mais aussi des personnages avec leurs attributs et divers
objets remplissant des rôles logiquement définis 20. Le modèle que C. Segre

17
Dundes (Alan). «From Etic to Emic Units in the Structural
Study of Folktales», in Journal of American Folklore, LXXV: 296,
1962, pp. 95-105. Aussi appelé motif émique, le motifème est un
concept générique abstrait qui correspond à la fonction chez
Propp. L'allomotif, unité étique, est la représentation textuelle
d'événements ou d'actions et le motif leur actualisation
particulière (p. 101).

18
Dolezel (Lubomir). «From Motifemes to Motifs», in Poetics,
4, 1972, pp. 55-90.

19
Hendricks (William O.). «Methodology of Narrative Structu-
ral Analysis», in Semiotica, VII: 2, 1973, pp. 163-184. Güttge-
manns (Erhardt). «Fundamentals of a Grammar of Oral Literature»,
in Patterns in Oral Literature. La Haye/Paris: Mouton, 1977, pp.
77-97.

20
Selon Mélétinsky, le motif possède une structure compa-
rable à celle de la proposition. Cf. Mélétinsky (E.M.).
«L'organisation sémantique du récit mythologique et le problème
de l'index sémiotique des motifs et des sujets», in Le conte,
pourquoi? Comment? Folktales, Why and How?. Paris: Editions du
C.N.R.S., 1984, pp. 23-24.
Motif / Motif; Motive 8

élabore à partir des textes eux-mêmes tient également compte des actions et des
personnages mais aussi de leurs attributs et de leurs motivations 21.
De leur côté, les sémioticiens de toute allégeance manifestent un intérêt
croissant pour le motif que certains placent même au cœur de leurs réflexions
méthodologiques. Les recherches menées par le Groupe d'Entrevernes, par
exemple, exploitent la notion de motif dans une perspective greimassienne 22.
Partant de la notion de figure - une «unité de contenu stable définie par son
noyau permanent (ensemble de traits sémantiques minimaux) dont les
virtualités se réalisent diversement selon les contextes» (p. 91) - ils tentent de
repérer les relations qui s'établissent entre diverses figures lexématiques et
forment un réseau auquel on réserve le nom de parcours figuratif (p. 94). En
mettant en rapport plusieurs parcours figuratifs, on obtient ainsi une
configuration discursive appelée «sujet» ou «motif» 23.
Dans cette optique, les travaux de J. Courtès 24 réalisent en quelque sorte la
synthèse des études de type «sémantique» de Lévi-Strauss et morphologique de
Propp, auxquels s'ajoutent, en termes de sémiotique textuelle, les apports
théoriques importants d'A. J. Greimas. Reconnaissant l'importance de la
syntaxe narrative, sans toutefois postuler la nécessité d'un ordre fixe de
succession des actions, Courtès déplore cependant que Propp et ses successeurs
aient réduit le conte à une suite d'éléments invariants, les fonctions qui, seules,
ne peuvent rendre compte de la richesse et de la complexité des contes. Il
récupère donc les données variables dont l'analyse morphologique fait
l'économie et fonde son propre modèle interprétatif sur ces «détails» récurrents.
Bien qu'il considère la signification fonctionnelle du motif, Courtès s'intéresse
plus spécifiquement à son organisation interne, c'est-à-dire aux relations
d'opposition sous-jacentes à la trame narrative et révélatrices de la logique de
l'imaginaire collectif.
Sa conception du motif s'appuie sur certaines des thèses avancées par l'historien

21
Segre (Cesare). Structures and Time. Narration, Poetry,
Models. Chicago/Londres, University of Chicago Press, 1979, p.
64 et pp. 118-120.

22
Groupe d'Entrevernes. Analyse sémiotique des textes.
Introduction. Théorie-Pratique. Lyon: Presses universitaires de
Lyon, 1979.

23
Pour une définition des notions de «figure», de «parcours
figuratif» et de «configuration discursive», cf. Greimas (A.J.).
Du sens II. Essais sémiotiques. Paris: Seuil, 1983, pp. 57-66.

24
Courtès (Joseph). Le conte populaire: poétique et mytholo-
gie. Paris: PUF, 1986.
9 Motif / Motif; Motive

et théoricien de l'art, E. Panofsky 25. Il revient en effet à celui-ci d'avoir été


parmi les premiers à réfléchir sur la théorie du motif en histoire de l'art. Selon
Panofsky, les motifs sont des éléments visuels correspondant à des objets
naturels (êtres humains, animaux, plantes, maisons, etc.) représentés par des
lignes, des couleurs, des volumes. Ces formes, de même que leurs relations
mutuelles reconnues comme événements, sont perçues et identifiées sur la base
de l'expérience pratique et sont chargées de contenu factuel et de qualités
expressives. Panofsky dégage trois niveaux de signification. Le premier niveau,
celui de la signification primaire ou naturelle où interviennent les motifs, se
subdivise en «signification de fait» et en «signification expressive». Vient
ensuite le niveau de la signification secondaire ou conventionnelle qui se réalise
lorsque des motifs et des combinaisons de motifs sont mis en relation avec des
thèmes ou des concepts. Ces motifs porteurs d'une signification secondaire,
c'est-à-dire d'une connaissance surajoutée par la culture, peuvent être appelés
images. Le troisième niveau est celui de la «signification intrinsèque», ou
contenu.
J. Courtès prolonge la réflexion théorique d'E. Panofsky. Il transpose en effet
ce que l'historien de l'art appelle le niveau de la signification primaire ou
naturelle sur le plan figuratif qu'il définit comme «tout contenu d'une langue
naturelle ou d'un système de représentation ayant un correspondant perceptible
au plan de l'expression du monde «naturel» (que ce dernier soit donné ou
construit)» (p. 18, en italique dans le texte). Puis, il rapproche le niveau de la
signification secondaire ou conventionnelle du plan thématique qu'il présente
comme un «investissement sémantique abstrait, de nature conceptuelle, n'ayant
aucune attache nécessaire avec l'univers du monde naturel» (p. 18, en italique
dans le texte). Il relie enfin le troisième plan de la signification intrinsèque à
l'imaginaire collectif qui serait une sémantique fondamentale.
De plus, alors que Panofsky dénomme «motif» une entité autonome
reconnaissable, c'est-à-dire des objets et des événements dotés de certaines
qualités expressives: l'épée, le putto, le petit chien, par exemple, et qu'il appelle
«composition» l'association de divers motifs dans un même tableau, Courtès,
lui, associe le motif panofskyen à la «figure» ou unité figurative (un ensemble
formé de traits figuratifs). De là, il constate que les difficultés d'interprétation
que rencontre Panofsky viennent du fait qu'il considère le motif comme une
unité autonome, indépendamment de sa disposition syntagmatique. Pour sa
part, Courtès tient compte de cette dimension et envisage plutôt le motif comme
une certaine combinaison de figures assemblées selon une stratégie
thématico-narrative déterminée, c'est-à-dire selon un parcours figuratif qui
manifeste un programme narratif et un dispositif actanciel spécifiques, de même
qu'il actualise certains traits relevant de la sémantique profonde ou de surface.
Courtès appelle donc «motif» un ensemble récurrent d'unités figuratives. Il
distingue deux types d'organisation des figures. Lorsque le schéma syntaxique
qui sert de support au motif est permanent, cet ensemble dessine une
«configuration». D'ordre fonctionnel stable, les configurations relèvent de l'axe
syntagmatique. Lorsque le motif occupe une position syntaxique flottante, qu'il
s'insère dans une structure narrative variable, Courtès réserve le nom de
«motifème» à ce groupe de figures. Le motif se présente donc soit comme une

25
Panofsky (Erwin). Essais d'iconologie. Thèmes humanistes
dans l'art de la Renaissance (Studies in Iconology. Oxford
University Press, 1939). Paris: Gallimard, 1967.
Motif / Motif; Motive 10

configuration, c'est-à-dire une unité discursive variable si l'on considère la


structure narrative du récit comme un invariant, soit comme le noyau central
stable d'un motifème 26.
Enfin, parmi les travaux récents en sémiotique textuelle, l'étude d'U. Eco sur la
coopération interprétative dans les textes narratifs 27 fait aussi appel, avec une
intention didactique, à la notion de «motif». En effet, Eco raccroche
accessoirement à sa définition du scénario intertextuel le motif ou topos. Ainsi,
en regard de sa compétence encyclopédique, le lecteur infère, à partir des
indications que lui fournit le texte, des scénarios, soit commun (c'est-à-dire
découlant de l'expérience pratique), soit intertextuel (qui résultent de la
connaissance que le lecteur a d'autres textes); scénarios que, successivement,
les états de la fabula manifestés dans le texte infirment ou valident. L'auteur de
Lector in fabula émet également l'hypothèse que les scénarios intertextuels
qu'élabore le lecteur se répartissent hiérarchiquement en quatre catégories dont
le motif ne serait qu'un type. Il distingue provisoirement: 1) les scénarios
maximaux ou fabulae préfabriquées, récit standard dont le déroulement suit un
schéma d'actions défini, le roman policier de série par exemple; 2) les
«scénarios motifs» qui apparaissent comme
des schémas assez flexibles, du type «la jeune fille persécutée» où on
détermine certains acteurs (le séducteur, la jeune fille), certaines séquences
d'actions (séduction, capture, torture), certains décors (le château des
ténèbres), etc., sans que pour autant soient imposées des contraintes précises
quant à la succession des événements» (p. 106);
3) les scénarios situationnels, qui comportent certaines contraintes quant au
développement de l'action, mais qui peuvent néanmoins se combiner de diverses
façons pour produire différentes histoires (Eco donne l'exemple du «lancer de
la tarte à la crème»); 4) les scénarios-topoi rhétoriques (tels que les entend
Curtius) qui imposent certaines modalités descriptives.
Eco différencie donc momentanément le motif et le topos rhétorique du concept
plus vaste de scénario intertextuel qui prescrit «le nombre des acteurs, les
instruments, les types d'action, les propos» (p. 107). Cependant, il ne rappelle
plus cette distinction par la suite et conclut que «la notion de motif [...]
s'identifie à celle de scénario intertextuel» (p. 137).
De cette rétrospective, il ressort que la notion de «motif» a beaucoup évolué
depuis les premiers essais de définition des folkloristes jusqu'aux plus récents
travaux en sémiotique textuelle. Son histoire semble pourtant tracer un
mouvement hélicoïdal. Les chercheurs ont d'abord pris comme point de départ
de leur typologie des contes les éléments qui, prélevés à la surface du texte, se
répétaient sous des formes semblables d'un conte à l'autre. Puis, tentant de
contourner les difficultés que posait pour la classification des récits la

26
Greimas (A. J.) et Courtés (J.). Sémiotique. Dictionnaire
raisonné de la théorie du langage. Paris: Classiques Hachette,
1979; id. Sémiotique. Dictionnaire raisonné de la théorie du
langage. II (Compléments, débats, propositions). Paris: Classi-
ques Hachette, 1986.

27
Eco (Umberto). Lector in fabula ou la Coopération
interprétative dans les textes narratifs. Paris: Grasset, 1985.
11 Motif / Motif; Motive

variabilité de ces éléments, ils ont essayé d'en dégager les dénominateurs
communs. Ils ont alors abstrait, sous un terme générique, la fonction que
remplissaient ces éléments dans le déroulement logique du récit (axe
syntagmatique). De là, les chercheurs se sont intéressés aux diverses
permutations que subissaient les éléments au sein d'une même fonction et d'un
récit à l'autre (axe paradigmatique) et se sont interrogés sur leur signification.
Finalement, de ce plan supérieur de nature métalangagière, les études ont
progressé en marquant un retour aux unités textuelles elles-mêmes considérées
du point de vue de leur fonction logique au sein du récit, ainsi que du point de
vue de leur signification intra et intertextuelle. On constate donc que, du plan
de la manifestation textuelle au plan thématique abstrait et de là, au plan de la
manifestation textuelle, s'est invariablement posé le problème du choix des
unités de base et de leur délimitation (définition de leur statut).
Le motif comme unité thématique
Relevant de l'analyse thématique, la notion de motif s'enrichit en dernier lieu
d'une troisième signification. Rattaché au thème qu'il concourt à spécifier, le
motif ainsi conçu désigne habituellement une simple unité lexicale qui, bien
qu'elle puisse être diversement modulée, se répète au sein d'un texte ou d'un
ensemble de textes. C'est sous cette acception, sans plus de distinguos, qu'on
le rencontre le plus souvent. Jean-Pierre Richard suit, par exemple, les diverses
manifestations du motif du casque à travers le roman de Louis-Ferdinand
Céline, Casse-Pipe, le motif de l'étoile dans la poésie mallarméenne ou celui du
métro dans l'œuvre célinienne 28. De façon plus générale, les définitions que l'on
donne du motif empiètent largement sur celle du thème avec lequel on le
confond parfois ou auquel on le subordonne. Le thème se démarque alors du
motif par son caractère plus général et souvent plus abstrait.
Malgré ces précisions, la notion de motif comme unité «thématique» demeure
assez floue. Deux traits caractéristiques se dégagent pourtant: 1) le caractère
itératif du motif, non seulement sa récurrence intertextuelle (au sein d'un genre
ou d'une tradition littéraires 29 mais également sa répétition dans un texte unique
ou dans un ensemble de textes; 2) la configuration récurrente mais variable du
motif, c'est-à-dire un certain agencement d'unités lexicales pouvant être repris
avec ou sans modifications. Diane Desrosiers-Bonin
Université McGill

28
Richard (Jean-Pierre). «Casque-pipe», in Littérature
(Motifs, transferts et réécriture), 30, mai 1978, pp. 3-17. Cet
article est repris dans Microlectures. Paris: Seuil, 1979, pp.
239-255. Voir aussi du même auteur: «Feu rué, feu scintillé» et
«Prendre le métro», in Microlectures. Paris: Seuil, 1979, pp.
109-134 et pp. 205-219. Quelques analyses de thèmes et de motifs
sont également rassemblées dans Pages paysages. Micro-lectures
II. Paris: Seuil, 1984.

29
Lorsque la récursivité du motif se manifeste à l'intérieur
d'une tradition littéraire, on réserve au motif le nom de topos.
Pour une définition de la notion de topos, voir Curtius (Ernst
Robert). La littérature européenne et le moyen âge latin (I).
Paris: PUF, 1956, pp. 133-134.
Motif / Motif; Motive 12

Bibliographie / References
nE 16/déc. 1980 – Problématiques des motifs.– Limoges : PULIM; Paris: CID, 1980.
Guerreau-Jalabert, Anita. Index des motifs narratifs dans les romans. Genève : Drez 1992.
Vax, Louis. – [thème, motif, schème,] chapitre 3
Wahba, Magdi.– A dictionary of literary terms.– Beirut-Lebanon : Librairie du liban.

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