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La normalisation
comptable
internationale
Origine, pratiques et enjeux
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L
e champ de l’information financière et la ques-
internationale est depuis
tion de sa normalisation ont connu des boule-
plusieurs années une
question d’actualité.
versements de fortune au cours des cinq der-
Cet article s’intéresse à nières années. La chenille, assez chétive, de
l’histoire, aux enjeux, aux l’International Accounting Standards Committee
aspects formels et plus (IASC), entourée de nombreux ennemis, s’est méta-
informels du processus de
morphosée en l’International Accounting Standards
normalisation. L’origine du
normalisateur international,
Board (IASB), régulateur aux couleurs vives disposé à
la procédure établie pour jouer un rôle prédominant. En effet, l’Union euro-
l’élaboration des normes péenne espère que l’IASB puisse l’aider à construire un
internationales ainsi que marché financier unique, et d’autres y voient l’ultime
les contraintes et espoir de restaurer la crédibilité de l’information finan-
préoccupations pesant
cière, après les événements désastreux qui se sont pro-
sur ce processus et
susceptibles d’influencer
duits aux États-Unis.
les futures normes sont L’IASB est assez différent de l’IASC, tant par son
analysées dans cet article. poids vis-à-vis des gouvernements et des entreprises,
que par son processus de normalisation. L’IASB tra-
verse encore, toutefois, sa période de lune de miel
(peut-être l’intervention surprenante de Jacques Chirac
22 Revue française de gestion
en juillet 2003 en marque-t-elle la fin ?1). Wales – ICAEW) ont lancé le projet dans
Il reste à savoir si l’IASB pourra produire les coulisses du congrès mondial de la
des normes fiables et si les commissions de comptabilité en octobre 1972, et ont réussi
surveillance pourront exiger un respect à établir Londres comme le siège du nor-
uniforme de ces normes. Cet article ana- malisateur.
lyse la normalisation internationale Benson, dans son autobiographe, explique
d’abord en étudiant son évolution histo- que cette initiative constitue l’évolution
rique, puis en explicitant le processus de naturelle d’un comité qu’il avait créé en
normalisation et enfin, en en discutant les 1964 (Accountants’ International Study
interfaces avec l’Union européenne. Group) pour faciliter les échanges tech-
niques entre les États-Unis, le Canada et la
1. L’IASC et les origines Grande Bretagne, suite à la demande
de la normalisation comptable d’autres pays. Ce fut d’ailleurs l’explication
internationale donnée au conseil de l’ICAEW lors d’une
Bien que divers comptes rendus des ori- demande d’approbation et de financement
gines de l’IASC aient été écrits (e.g. Ben- du projet en janvier 1973. Bocqueraz et
son, 1989 ; Brennan, 1979), ceux-ci n’ont Walton (1999) constatent que cette explica-
été, jusqu’à présent, que des références en tion est devenue l’histoire officielle de la
passant dans des ouvrages d’une plus naissance de l’IASC, mais des entretiens
grande envergure, et aucune analyse des 27 inédits (avec entre autres Douglas Morpeth)
années d’histoire de cette institution n’a et les commentaires d’un ancien président
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1. Jacques Chirac a écrit à Romano Prodi, président de la Commission européenne, pour lui demander de ne pas
approuver les normes internationales sur les instruments financiers, et de revoir la place de la Commission dans le
processus de normalisation.
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été publiée en 1972 et qui prenait modèle l’IASC l’écriture des normes proprement
sur l’Aktiengesetz de 1966 régissant le dite, et l’IFAC a signé avec l’IASC des
droit de sociétés en Allemagne. Olson a « engagements mutuels », par lesquels
pensé qu’un normalisateur international l’IFAC obtenait un rôle plus important dans
pourrait peut-être faire contrepoids à l’har- le gouvernement de l’IASC (surtout dans la
monisation européenne alors à l’œuvre. nomination des membres du board), mais
Dans ses premiers jours l’IASC a bénéficié, qui consacraient l’indépendance de l’IASC
comme peut-être l’IASB aujourd’hui, d’une (Cairns, 1996). Néanmoins, les normes dif-
période de grâce : les organisations qui fusées à l’époque étaient peu robustes, et
l’entouraient étaient bienveillantes et n’étaient pratiquement pas appliquées. Les
l’IASC s’occupait de questions techniques modalités de préparation des normes en
sans que cela ne prête à controverse. Au fil affectaient la qualité. En effet, chaque
du temps, toutefois, il est apparu clairement norme était d’abord préparée par un sous-
qu’aucun des pays membres n’avait l’inten- comité constitué sur la base du volontariat,
tion d’appliquer formellement les normes et devait ensuite être soumise à l’approba-
sur son territoire, alors que des organisa- tion du board de l’IASC dont les effectifs
tions concurrentes commençaient d’ailleurs allaient toujours croissant. Pour parvenir à
à entrer en jeu. L’Organisation des nations une majorité de voix suffisante, les normes
Unies (ONU) et l’Organisation pour la devaient souvent, en définitive, comporter
coopération économique et le développe- plusieurs options concurrentes.
ment (OCDE) ont toutes deux créé des À cette époque, les normes internationales
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Au milieu des années 1980, les normes mande cotée à New York. Il est possible
internationales (IAS) semblaient donc que l’intérêt manifesté pour les normes
manquer d’objectifs et de principes direc- internationales par les Américains, qui dis-
teurs clairs pour structurer leur contenu, posaient d’une influence très forte dans
mais une nouvelle étape allait débuter l’OICV, était en fait motivé par la volonté
dans la vie de l’organisation. En effet, d’attirer des entreprises européennes vers
l’IASC allait conclure un accord avec les bourses américaines. L’arrivée de
l’Organisation internationale des commis- Daimler avait changé la donne, la recon-
sions de valeurs (OICV), par lequel le naissance des normes IAS, qui n’était
normalisateur acceptait de revoir ses qu’un moyen, ne semblant plus indispen-
normes afin qu’elles puissent devenir le sable pour permettre la réalisation de l’ob-
cadre de référence mondialement reconnu jectif poursuivi.
pour la présentation de l’information Finalement, l’IASC a survécu à cet échec,
financière publiée par les entreprises et sous un nouveau secrétaire général les
recherchant une cotation sur plusieurs relations avec l’OICV ont redémarré. Lors
places boursières. L’OICV voulait unifor- du congrès annuel de l’OICV à Paris en
miser les règles de cotation des entre- 1995, les deux organisations ont conclu un
prises dans les pays autres que leur pays deuxième accord et lancé un deuxième
d’origine, ou règles de cotation secon- programme de révision des normes inter-
daire. Pour la première fois dans son his- nationales. Ce nouveau programme ne
toire, l’IASC disposait ainsi d’un but spé- proposait pas la seule amélioration des
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avec les principaux normalisateurs teurs ont pu cerner son mode opératoire et
nationaux. Certains membres du board ont ses préoccupations. Ainsi, l’IASB dispose
donc le devoir de rester en relation suivie d’un processus officiel pour élaborer une
avec un normalisateur national, les pays norme (due process), mais il est maintenant
concernés étant les États-Unis, le Canada, clair qu’en parallèle viennent s’y ajouter
la Grande-Bretagne, la France, l’Alle- des processus officieux. De même, alors
magne, l’Australie et le Japon. La nouvelle que le board est doté d’un cadre conceptuel
structure comporte également un conseil de officiel qui le guide dans l’élaboration de
50 membres, le Standards Advisory Coun- ses normes, il est évident au vu des débats
cil (SAC), qui se réunit trois fois par an et qui ont eu lieu que d’autres paramètres sont
qui permet des échanges avec d’autres nor- pris en compte lorsqu’il s’agit de prendre
malisateurs, des entreprises, des organisa- des décisions. Dans la dernière partie du
tions professionnelles, notamment. Dans présent article il sera question du mode de
ses derniers jours, l’IASC comportait un fonctionnement de l’IASB, qu’il soit ou
comité chargé de l’interprétation des non officiel.
normes. Ce comité, renommé International L’IASB reste basé à Londres, comme le
Financial Reporting Interpretations Com- fut l’IASC, et sa langue de communica-
mittee (IFRIC) continue son travail, y com- tion demeure l’anglais. Seuls quatre
pris désormais un rôle de liaison avec les membres du board sur quatorze ne sont
commissions de bourse et les comités d’ur- pas de langue maternelle anglaise, et la
gence des normalisateurs nationaux. majeure partie de l’équipe technique (the
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2. L’IASB continue à se référer aux anciennes normes de l’IASC sous l’appellation « International Accounting
Standards » (IAS), comme auparavant, mais ses propres normes sont dénommées « International Financial
Reporting Standards » (IFRS) qui est aussi le terme générique retenu par l’IASB pour désigner toutes les normes
internationales.
La normalisation comptable internationale 27
Évidemment, seule la partie publique des plus complexes) est laissé pour que des
débats peut être analysée. réactions puissent se manifester. L’équipe
Les dossiers débattus par le board sont en technique analyse alors les commentaires
grande partie préparés par les membres de reçus et apporte ses conclusions que le
l’équipe technique. L’IASB peut recourir à board discutera durant les séances ouvertes.
des comités externes pour consultation, ce Jusqu’à présent, la position de l’équipe
qu’il a fait pour son projet concernant les technique veut que les commentaires qui
contrats d’assurance ou pour celui traitant concernent des arguments déjà considérés
de la comptabilité des PME, mais ses sta- par le board au cours du processus d’élabo-
tuts ne l’y obligent pas. En principe, le ration soient rejetés, seuls les commentaires
mécanisme du processus officiel d’élabora- qui soulèvent des aspects non traités jus-
tion d’une norme veut qu’après que le qu’alors pouvant susciter un amendement à
board s’est mis d’accord pour inscrire un la proposition. Cependant, les tables rondes
projet à son ordre du jour, des membres de qui furent tenues en mars 2003 sur la comp-
l’équipe technique soient désignés pour tabilisation des instruments financiers ont
rédiger les documents établissant les ques- conduit le board à reconsidérer des déci-
tions à traiter. Ces documents sont lus et sions précédentes.
discutés par les membres du board lors des Après discussion, une version finale de la
réunions publiques, de même que par cha- norme est préparée et soumise au vote et, si
cun d’eux, à titre individuel, en dehors de elle est approuvée, la norme est publiée. Le
ces réunions. Lorsque l’équipe technique vote lui-même ne s’effectue pas en séance
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jet de rapport sur la performance financière besoins respectifs des participants. Il s’agit
et avec les État-Unis sur les comptes conso- donc d’une normalisation par compromis
lidés et la prise en compte des produits. social. Une caractéristique de l’approche
Tout en appliquant la même procédure for- consensuelle est que les normes s’ajoutent
melle, l’équipe technique de l’IASB tra- de manière incrémentale, sans toujours
vaille en étroite collaboration avec celle du tenir compte de l’ensemble des règles pré-
pays concerné. Cette dernière peut aussi cédentes, et peuvent avec le temps s’avérer
participer aux réunions de l’IASB, en per- manquer de logique. L’approche adoptée
sonne ou par téléphone. L’IASB et l’orga- par l’ancien IASC a pu faire l’objet de cri-
nisme de normalisation étrangère s’infor- tiques similaires.
ment de leurs propositions respectives et Le nouvel IASB s’est engagé à écrire des
les projets sont discutés en détail durant les normes qui soient cohérentes avec le cadre
réunions (qui ont lieu trois fois par an) de conceptuel. Ainsi, des observateurs ont pu
tous les organismes nationaux de normali- remarqué que certains membres de l’IASB
sation qui sont en liaison permanente avec adoptent une interprétation très fidèle du
le board. On peut distinguer un travail cadre. Par exemple, Walton (2002c) rap-
commun, comme celui avec la France sur porte que Jim Leisenring, auparavant
la première application des IFRS, qui membre du FASB pendant dix ans, a
débouche sur une norme IFRS, et un tra- déclaré que le principe déterminant devant
vail comme celui avec les États-Unis sur être suivi pour établir les normes est que
les comptes consolidés qui mène à une les éléments d’actif et de passif doivent être
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dans le Connecticut. Ce document a établi porte quel sujet, la norme la plus récente
que tous deux aborderaient la convergence soit adoptée, quel qu’en soit le board d’ori-
par différents moyens, tels qu’un projet de gine, en partant du principe que la dernière
convergence à court terme pour réviser les norme représente la meilleure position.
normes existantes ou la poursuite de projets L’IASB est ainsi en train de corriger ses
communs dans des domaines, tels que l’in- règles pour les comptes consolidés afin de
formation en matière de performance finan- se conformer, plus au moins, aux normes
cière ou la prise en compte des produits. 141 et 142 du FASB, alors que le FASB a
Le principe de convergence avec les États- publié la proposition de l’IASB sur la
Unis reconnaît explicitement que les socié- comptabilisation des stock-options avec
tés étrangères cotées dans ce pays répu- l’intention de procéder à une modification
gnent à établir « l’état de réconciliation des règles américaines. Les forces relatives
20F », par lequel elles doivent expliquer les du FASB et de l’IASB ont probablement
écarts entre profits et capitaux propres éva- subi l’impact des scandales américains. Il
lués selon les règles domestiques et ceux est cependant trop tôt pour dire ce qu’il
obtenus par application des règles améri- adviendra du processus de convergence.
caines (voir Bay et Bruns, 2003). La Secu- Un mot-clé dans les discussions du board
rities and Exchange Commission (SEC) (Walton, 2002b) est la cohérence (consis-
aux États-Unis n’a pas levé cette exigence, tency). L’analyse des débats indique claire-
bien que l’OICV ait reconnu les normes ment que les membres souhaitent la cohé-
IFRS pour l’élaboration des états financiers rence des normes a) avec le cadre
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l’IASB ( Gilbert Gélard, Hans-Georg Bruns des deux membres du board à temps partiel
et Geoffrey Whittington, respectivement). (John Smith) est partenaire dans un des
Tous les États membres européens ne dis- « Big Four » et les réseaux sont également
posent pas de mécanismes de surveillance présents dans l’IFRIC, mais loin d’y être
boursière, tels que la COB, notamment majoritaires. Chacun des réseaux dispose
pour le contrôle des états financiers des d’une unité technique spéciale, appelée le
sociétés cotées. Une fois que les IFRS « bureau IAS », qui observe de très près
seront en vigueur en Europe, le contrôle de l’activité de l’IASB et répond aux questions
conformité sera effectué par les régulateurs des clients concernant l’application des
des pays concernés. Ceci signifie que cer- IFRS. Les spécialistes IFRS se rencontrent
tains pays devront faire évoluer leurs sys- régulièrement pour comparer leurs posi-
tèmes actuels, mais aussi qu’il est néces- tions et coopérer sur des projets communs.
saire de mettre en place une coordination Tous ont également participé à au moins
étroite entre les régulateurs sur des ques- une rencontre avec le board. De plus,
tions telles que l’interprétation et l’applica- l’équipe technique du board sollicite par-
tion des IFRS. En 2002, les États membres fois des commentaires sur les propositions
ont créé le Committee of European Securi- durant les périodes de rédaction et les
ties Regulators (CESR) dont la tâche est de bureaux IAS sont sollicités pour contrôler
coordonner l’action réglementaire. Le l’existence éventuelle d’un « défaut fatal »
CESR s’appuie sur deux sous-comités qui dans les propositions de normes – travail
s’occupent de différents aspects de l’infor- que réalise également l’IFRIC.
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façon de faire. Le besoin de formation sera leurs comptes consolidés et même, éven-
donc grand. Il faut bien comprendre, égale- tuellement, pour les comptes sociaux. Il est
ment, qu’un board à plein temps est désor- probable que les petites et moyennes entre-
mais en place pour élaborer et améliorer les prises ne se satisferont pas à long terme
normes en vigueur d’une façon permanente, d’un système national à deux vitesses. Aux
ce qui va conduire à une situation où les États-Unis, seules 16 000 entreprises sont
normes seront régulièrement appelées à obligées de suivre les normes du FASB,
changer. mais la vaste majorité des entreprises non
Ces questions sont d’autant plus impor- cotées applique également ces normes, soit
tantes que, dans plusieurs pays, il semble pour des questions de standing, soit parce
que les entreprises non cotées veuillent que leurs banquiers l’exigent. Préparons-
elles aussi utiliser les IFRS, au moins pour nous donc pour dix ans de changements !
BIBLIOGRAPHIE
W. Bay, et H.-G. Bruns, “Multinational companies and international capital markets”, Inter-
national Accounting, P. Walton, A. Haller et B. Raffournier, 2e édition Thomson Learning,
Londres, 2003, p. 385-404.
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