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LA RELIGION

1)SCIENCE, RAISON ET RELIGION

2)TOLÉRANCE, ATHÉISME ET FANATISME

3)POLITIQUE ET RELIGION

4)ILLUSION ET RELIGION

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LA THÉOLOGIE EPICURIENNE

Epicure, Lettre à Ménécée (123-124) : deux des quatre éléments du tétrapharmakon


nous ramènent à la religion : ne pas craindre les dieux, ne pas craindre la mort.

Ne pas craindre les dieux, incorruptibles et bienheureux. Les dieux sont sinecura et
toute idée de Providence (intervention des dieux dans ce monde) est étrangère à leur
nature. Les dieux n’interviennent pas dans le monde physique (cf. Lettre à Hérodote
76 et 77). Les dieux ignorent la peur et le besoin des autres. Ils n’éprouvent ni colère
ni bienveillance. Les dieux vivent en autarcie et c’est ce que nous devons viser aussi.
Cette autarcie est pour Épicure : « Le plus précieux des biens. ». « C’est dans la
suffisance à soi que le sage est heureux » (Sentences Vaticanes, 44), « Le fruit le
plus grand de la suffisance à soi-même : la liberté. » (Ibid, 77).Vouloir être heureux
c’est se rapprocher de la nature divine, le désir de bonheur est une esquisse en nous de
la nature divine, « notion commune du dieu tracé en nous ». Le parcours
philosophique vers le bonheur est donc travail pour se rapprocher de cette esquisse,
cette prolepse, cette vision mentale de la béatitude. Il y a donc nécessité du travail
philosophique pour être heureux et, en même temps, se rapprocher de cette vision
divine, la recherche est identique : la béatitude, l’état divin, c’est l’ataraxie. La
question épicurienne est : peut-on se diviniser, peut-on devenir comme des dieux ?
C’est cette question que Marx saluera en Capital, I.
Où sont ces dieux qui ne sont pas visibles, qui sont incorruptibles et bienheureux ? En
dehors des mondes, dans ce qu’on traduit par « intermondes ». « « Il y a dans
l’Univers des zones où les conditions d’existence sont toujours égales, comparables
à un climat toujours également tempéré, d’autres où elles sont changeantes. Dans
les premières, les vivants ne meurent pas, les secondes sont habitées par les vivants
mortels. » (Lucrèce, De Natura rerum, III, 18-22)

Les dieux n’existent pas objectivement pour nous, ils se constituent dans l’acte mental
qui nous fournit une image de la perfection.

Cette vision des dieux suppose une critique de la religion traditionnelle : « Ils ne sont pas
tels que la foule se les représente ; car la foule ne grade pas intacte la notion qu’elle
en a ». L’adhésion aux croyances populaires, faites de peur et de superstition, est la pire
des impiétés. « L’impie n’est pas celui qui rejette les dieux de la foule, mais celui qui
rattache aux dieux les opinions de la foule. »

Lucrèce : De Nature Rerum, V, 1168 à 1196 et VI245 à 386


Lucrèce essaie de faire la généalogie des superstitions. Comment la croyance en des dieux
s’est-elle transformée en terreur et folie ? Cette crainte des dieux n’est en rien naturelle pour
Lucrèce, il y a une histoire de la peur. Les premiers hommes avaient davantage peur des
animaux sauvages que des dieux (livre IV). Avec le dépassement de cette peur immédiate des
bêtes, va surgir la crainte secondaire d’un monde métaphysique ou de puissances occultes. Si

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cette crainte des dieux n’est pas inhérente à l’homme, alors il est possible de la supprimer par
l’exercice de la raison, elle n’a rien d’insurmontable. Ce sont les hommes qui fabriquent leur
propre malheur en fabriquant des peurs et des superstitions. Les dieux ne s’occupent ni des
bons ni des méchants, ils ne récompensent et ne punissent personne.

Les dieux n’ont pas non plus créé les hommes, ceux-ci sont nés du hasard, des atomes, du
vide et du clinamen. « Le monde n’a nullement été créé pour nous par une volonté divine
tant il se présente entaché de défauts » (II, 180-181)

Les crimes de la religion de la foule

La religion (qui pour Lucrèce est superstition) peut engendrer des crimes impies . Lucrèce
critique les poètes sacrés (on retrouve ici les critiques que Platon adressait aux poètes et à la
peinture immorale qu’ils faisaient des dieux) et les prophètes qui sèment la crainte et assoient
leur pouvoir sur une fausse doctrine. Il donne pour exemple le sacrifice d’Iphigénie (I, 80)qui
fait passer le devoir paternel après l’obéissance superstitieuse à de faux devins. Il faut
substituer à cette superstition une doctrine véridique et morale, libérer les esprits par la
science, éliminer la croyance aux peines éternelles, à la possibilité d’âmes errantes aux Enfers
(tel Achille), de revenants, soigner par la raison la peur des fantômes. Le matérialisme nous
libère de la peur et nous permet de ne régler nos actions que sur la raison et la vertu.
La croyance en l’immortalité de l’âme ne nous apaise pas, tout au contraire elle est source
d’angoisse et d’appréhension. Expliquer le monde par la physique fournit protection contre
toute superstition. Point n’est besoin d’un dieu créateur ou organisateur pour rendre compte
de ce qui est et de sa genèse. Le seul ordre émane des lois physiques non d’une volonté
divine.
La connaissance est donc une thérapeutique et à la crainte et à la violence. Il existe une fin
pratique au savoir, ce n’est pas un but en soi. Cette thérapeutique est d’abord purificatrice : il
s’agit de « vomir » les préjugés (livre VI). Elle est ensuite apaisante et vertueuse. Il s’agit de
trouver remède au mal de vivre, remède réel et non un expédiant comme la passion, les
honneurs, la cupidité. Pour Lucrèce cette course aux honneurs et à l’argent est l’expression de
la peur de la mort, un divertissement sans cesse entretenu. L’homme cherche des illusions de
protection alors que sa raison lui permet de trouver une santé durable. Il faut en finir avec
l’agitation et l’insomnie d’une âme craintive et angoissée. Il faut trouver une position de vie
tranquille et paisible.

L’examen critique de la raison et de la morale

L’avancée dans le savoir nous permet de rejeter hors de notre conception du divin tout ce qui
est incompatible avec elle (Spinoza s’en souviendra). Avant Bayle, Lucrèce affirme que les
phénomènes célestes ne sont pas des dieux et ne sont pas produits par eux. La théologie
astrale (Platon puis Aristote postulent que les astres sont doués d’âmes intelligentes et
immortelles) n’a pas de sens.

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Spinoza, « l’athée vertueux »

Liberté d’expression religieuse


Traité Theologico-Politique (GF) 1670

Spinoza, excommunié de la Synagogue, soupçonné d’athéisme ou d’hérésie. Critique la


lecture textuelle des textes dits sacrés. Pour Spinoza, héritier de Descartes, seule la raison est
juge . Livres peuvent être manipulés, interprétés, tronqués, mal traduits. La seule autorité
n’est pas le livre, mais la raison.

Du point de vue politique, il existe un droit naturel lié à l’exercice de la raison. La loi peut
m’interdire d’agir contre la sécurité de l’Etat et l’intérêt général. En dehors de ces limites,
liberté de parler, écrire, enseigner, publier. L’Etat ne peut régler que les actions inférant dans
la bonne marche de la société civile. (chap.IV). Le pacte civil ne vise donc que ce qui est
nécessaire à une vie commune prospère et pacifique (chap.XVI). Apologie de la démocratie
« union des hommes en un tout qui a un droit souverain et collectif sur tout ce qui est en
son pouvoir. » (p.267). La liberté de critiquer la/les religion(s) est donc un droit démocratique
qui doit être garanti. Il ne s’agit en aucun cas d’appeler à la violence contre des croyants mais
d’exercer sa raison dans tous les domaines, sans passion.

Chap. XX : « Où l’on montre que dans un Etat libre il est loisible à chacun de penser ce
qu’il veut et de dire ce qu’il pense ».
L’âme d’un homme est inaliénable. Impossible de transférer son droit naturel de penser, juger,
critiquer, évaluer. Faculté de faire un libre usage de sa raison ne peut être abandonnée à un
autre (p.328). c’est un droit dont « personne , le voulût-il, ne peut se dessaisir . »(ib.)
La finalité de l’Etat est de libérer l’individu de la crainte (cf Hobbes), « la fin de l ‘Etat est
donc en réalité la liberté. » (329) . l’Etat doit garantir la liberté de penser, de parler et de
publier et protéger l’homme des querelles d’opinion violentes. Dès lors nul ne peut m’imposer
ce qui est vrai ou m’interdire de remettre en cause des doctrines de quelque ordre qu’elles
soient. Aucune doctrine n’est infaillible ou sacrée. Seule la raison est réellement divine c’est
elle qui éclaire nos actions, nos mobiles, elle ne peut nous égarer. Il n’y a pas d’hérésie
rationnelle.

Chacun peut défendre son opinion mais « par la raison seule, non par la ruse, la colère ou
la haine. »(329)Cela condamne le « fanatique » qui ne supporte pas l’opposition à ses idées.
On peut vivre dans la concorde tout en « professant ouvertement des opinions différentes »
(334), preuve de la bonne santé d’une société démocratique.

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LOCKE
Lettre sur la tolérance(1689)PUF

Epistola rédigée en latin pendant exil politique de Locke en Hollande. Locke connaît les
thèses de Spinoza et de Bayle (qu’il a rencontré à Rotterdam) qui tous deux condamnent la
notion de contrainte religieuse et de vérité religieuse infaillible. Il s’inscrit dans l’histoire de
la liberté de conscience ouverte par Descartes. Aucun homme ne peut juger à la place d’un
autre de la validité de ses croyances. Chacun a le droit de s’occuper lui-même et comme il
l’entend de la santé de son corps. Idem pour la santé de son âme. Pas de directeur de
conscience. En matière de religion chacun doit « s’occuper de ses propres affaires » (p.35),
affaire privée. Chacun a le droit de décider de ce qui est son intérêt, de la manière la meilleure
de mener sa vie, son métier, sa famille. Pourquoi ne serait-ce pas la même chose au sujet de
son salut ? Aussi absurde de croire qu’une seule religion est bonne que de croire que seuls les
médecins du Vatican peuvent m’adresser une potion (p.37). Il existe des médicaments divers
et seul le malade peut décider de son médecin et de sa médecine. Pour la santé de l‘âme il
existe des chemins divers et nul ne peut m’en imposer un . Au delà de la diversité des
dogmes, il y a « la raison universelle de la tolérance » (p.49).
Locke distingue clairement les fonctions de l’Etat et celle de l’Eglise. Comme Bayle il
s’appuie sur le libre jugement de la conscience. La tâche du magistrat est de faire respecter
l’ordre, non d’imposer ou d’interdire une religion. Chacun a droit de croire et de pratiquer
(pour les choses « indifférentes » ou « rites de circonstances », soit non nuisibles à l’intérêt
général).Récusation d’un droit divin supérieur au droit positif. Récusation d’un royaume autre
que que la société civile. Il n’y a d’autre souverain que celui qui gouverne l’Etat. Séparation
nette Eglise/Etat.

Son objet : interdire la persécution d’une religion par une autre. »Aucune personne privée ne
doit en aucune façon porter atteinte aux biens civils d’autrui ou les détruire sous prétexte
qu’il professe une autre religion ou pratique d’autres rites. Tous ses droits d’homme et de
citoyen doivent lui être conservés comme des droits sacrés. » (p.25)
« Aucune personne, aucune Eglise et même aucun Etat n’a donc un droit quelconque à
porter atteinte à des biens civils d’un autre ni, sous prétexte de religion, de la dépouiller de
ses possessions terrestres. Celui qui est d’un autre avis, je voudrais qu’il pensât au nombre
infini de procès et de guerres qu’il offre ainsi au genre humain ; quelle incitation au
pillage, au meurtre et aux haines éternelles : nulle part la sécurité, ou la paix, ou moins
encore l’amitié ne pourront s’établir et subsister entre les hommes si devait prévaloir
l’opinion que la souveraineté est fondée sur la grâce et que la religion doit être propagée
par la force et par les armes. » (P.31)

Ses limites :
La tolérance pour Locke se limite à la liberté de choisir sa religion dans la limite de l’ordre
public et du respect des lois positives. Il ne s’agit pas pour autant de permettre la liberté de
conscience, c’est à dire de pouvoir renoncer à toute croyance religieuse. Dès l’Essai sur la
tolérance, Locke affirme que les athées sont des « bêtes sauvages de l’espèce la plus
dangereuse et incapable de vivre en société ». Pour lui l’athée est un sous-homme, il n’a pas
la capacité rationnelle de voir l’évidence et la nécessité de l’existence d’un dieu et de
l’immortalité de l’âme. Etrangement, c’est par rationalisme qu’il critique l’athéisme. A la
suite de Descartes, il reprend l’idée que la raison mène à Dieu.
Ne pas croire en Dieu c’est donc être fou, avoir perdu la raison, ou être ivre de passions
jusqu’à être aveugle devant toutes les preuves que me fournit ma raison. Il ne croit pas aux

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idées innées de Descartes (il est empiriste comme le sera Hume) mais néanmoins il affirme
que la croyance en un Dieu et l’espérance du salut sont raisonnables.
Plus grave, il soupçonne que l’athée est incapable de devenir un être moral. Locke ne
sépare finalement pas l’Eglise et l’Etat. Religion et politique sont toujours liées. Les devoirs
religieux, quels qu’ils soient, préparent l’obéissance aux devoirs civils. Celui qui n’espère pas
un bonheur futur dans l’immortalité de l’âme ne peut viser qu’un plaisir terrestre bestial.
L’athéisme est donc un délit en soi. IL ouvre à la débauche, au crime. L’athée n’a peur
d’aucun châtiment éternel et n’espère aucune récompense future, il va donc exiger sa
récompense dans l’espace matériel étroit dans lequel il évolue. L’image de l’athée est donc
pire que celle de l’hérétique qui, lui, au moins, croit en quelque chose. Si l’athée ne croit ni en
Dieu ni en l’immortalité de l’âme, Locke en déduit qu’il ne croit en rien. C’est un insensé-
insensible, étranger à la charité, plongé dans les biens terrestres et asservi à un profit
immédiat. Les « mortalists » sont donc des obstacles à un ordre civil dépassant l’intérêt
individuel.
Dans la Lettre sur la tolérance, il affirme qu’il ne faut d’aucune façon tolérer
l’athéisme (p. 83 ed. P.U.F.). Pourquoi ? Parce que l’athée n’a pas de parole. Le terme latin
qu’il emploie est fides, fides c’est la foi, la confiance. L’athée qui n’a pas confiance en
l’existence de Dieu et l’immortalité de l’âme, ne se fie donc à rien ni à personne. Il n’est en
retour pas digne de confiance. C’est un infidèle, un incroyant auquel on ne peut prêter foi non
plus. Fides c’est aussi le crédit que je mets en autrui. On ne peut accorder de crédit, de
croyance, à celui qui ne croit en rien, qui n’accorde aucun crédit à la religion, quelle qu’elle
soit. Ce qui est ici remis en cause c’est sa loyauté, sa droiture. L’athée ne peut être un honnête
homme, il n’est jamais de bonne foi, c’est un fourbe qui toujours ne sert que son intérêt,
fraude, trompe. Fides c’est aussi la promesse. Pourquoi l’athée tiendrait-il ses promesses ?
Que vaut une parole qui n’a pas de témoin ? Celui qui craint Dieu et promet devant lui ne peut
se défaire de son engagement. Que vaut une promesse pour un être voué à une vie courte et
qui désespère de tout ?
Mais l’accusation n’est pas que morale. Ce qui inquiète Locke, c’est la paix civile. C’est le
pacte qui fonde la société (Cf. Hobbes in Léviathan). Or, ce pacte, ce contrat, qui le garantit ?
Le souverain pour Hobbes, un dieu auquel je crois, peu importe quel il soit, affirme Locke.
Locke ne croit pas qu’un athée puisse être autonome et s’imposer ses propres devoirs. Voilà
pourquoi il évoque la question du serment « jusjusrandum ».
Le serment c’est le lien social, c’est par lui que l’individu devient citoyen, lié au corps social
qui le dépasse. Le serment est le point d’Archimède de toute société. Prêté devant Dieu il
acquiert de la valeur, mais devant qui l’athée prête-t-il serment, qui sont ses témoins ? L’athée
ne peut être lié au corps social, il ne peut devenir animal politique, il reste animal tout court,
individu, donc dangereux. « Tout se dissout » écrit Locke, tout se défait sans serment, il n’y a
pas de société possible. L’athée est donc l’anarchiste, celui qui refuse tout ordre, divin
d’abord, humain ensuite. Car Locke n’arrive pas à séparer les deux. L’ordre divin est premier,
formateur. L’opiniâtre, c’est celui qui résiste outre mesure. C’est d’ailleurs ainsi qu’Augustin
justifie les persécutions contre les infidèles. Il faut les faire céder dans leur opiniâtreté. Locke,
en prônant une tolérance religieuse mais en refusant de tolérer l’athéisme, ne se démarque pas
totalement d’Augustin.
Bayle, dans le Commentaire philosophique sur ces paroles de Jésus Christ « Contrains les
d’entrer » (1686) fustige les conversions forcées . Locke semble prendre sa suite mais
néanmoins n’admet pas que l’on refuse d’entrer dans une religion. Nous sommes libres
d’entrer dans le festin que nous choisissons mais pas de tous les refuser. Dès lors la parabole
du festin de noces (Luc 14.15-24) vaut toujours. La conscience errante est libre de trouver le
chemin de son salut, mais elle doit en choisir un, se déterminer à s’engager dans une des voies
proposées ou même dans la sienne propre pourvu qu’elle espère en ce salut. Pas de tolérance

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pour le libre penseur. Ma liberté est donc toute relative, la norme est la croyance, la refuser
c’est devenir, non l’ennemi de Dieu, mais l’ennemi de l’Etat et de mes concitoyens. L’athée
est un danger public, il trouble l’ordre public par sa parole, son exemple, la contamination
qu’il propage. C’est au nom du salut de l’Etat et du salut public que Locke condamne sans
réserve l’athéisme. L’Etat aurait donc besoin de religion ou tout du moins de la religiosité de
ses sujets, pour affirmer la sacralité des serments, la divinité du corps social. Ne peut-il
trouver une légitimité en lui-même ? Ne puis-je obéir aux lois et aux devoirs par pure
rationalité ? La confiance en l’homme de Locke est bien limitée. Lui aussi manque de foi, il
n’accorde aucun crédit dans la capacité humaine à être l’auteur de ses propres valeurs, de ses
propres lois et de ses propres espoirs.

Il n’admet pas non plus les religions qui prônent l’insoumission aux lois positives d’un Etat,
le mépris du pouvoir civil. Obéir à un autre royaume, c’est comme trahir son pays et obéir à
un pouvoir étranger. Interdiction aussi des religions qui troublent l’ordre public ou la morale :
p.57

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Le fanatisme

Fanum : temple.
Qu’est-ce qu’un temple ? Lieu physique et métaphysique. Lieu , de culte, de rites, de
passage.
Ouverture de liens entre espace physique/politique et espace métaphysique.
Nécessite initiation, préparation et règles rituelles et cultuelles.
Fonction du temple : faciliter le changement de lieu entre espace profane (pro-fanum)et
espace sacré. Fonction symbolique qui permet de fournir des méthodes pour passer d’un
espace à un autre.
Dans le temple : autre mode de vie, rituel qui n’a pas de sens en dehors du temple, interdits
possibles. Temple espace privé : je peux en interdire l’accès à qui le responsable du temple en
décide. Pas de recours.
Les lois du temple : législation propre au temple, néanmoins impossible d’y transgresser lois
civiles et lois cosmopolites. Je ne peux que rajouter des règles compatible avec lois positives
et universelles. Pratiquant reste un citoyen et un homme. Dans le temple, tout n’est pas
permis.

Qu’est ce qu’un fanatique :


-celui qui ne reconnaît pas la possibilité d’existence d’autres temples, d’autres voies pour
accéder à un espace métaphysique. Sens unique. Toute autre voie est tortueuse, fausse et
mauvaise.
-celui qui ne reconnaît pas l’espace profane. But du fanatique : extension de l’espace du
temple -1)à la société -2)à l’humanité. Finalité : disparition progressive du profane.
-il n’y a de vérité que révélée : haine de la raison. La vérité révélée est INFAILLIBLE. Lien
privilégié du fanatique avec le ou les dieux. Sentiment d’être élu pour représenter et
accomplir une parole. Le fanatique est un medium. Sa parole ne peut donc être contredite
puisqu’elle serait remise en cause de la parole divine.
-il n’y a de loi que divine et de droit que divin. Loi divine au dessus droits de l’homme et
droits positifs. Avant tout prescriptive. Royaume céleste domine royaume terrestre.
-Puisque « toute puissance vient de Dieu », le fanatique est figure d’autorité et est habité par
la fureur divine pour imposer vérité et loi.
-Contre toute hétérodoxie , tout autre dogme est faux voire mauvais.
-Impossibilité d’obéir à une loi qui n’est pas celle du temple, but théocratie internationale.
-Impossibilité à devenir citoyen et à s’identifier à un corps social, le fanatique appartient au
royaume de Dieu(x).

Danger social du fanatique :

« Quiconque ose dire « hors de l’Eglise point de salut » doit être chassé de l’Etat. »
« Il est impossible de vivre en paix avec des gens qu’on croit damnés. Les aimer serait haïr Dieu qui
les punit. Il faut absolument qu’on les ramène ou qu’on les tourmente. »
Rousseau, Contrat social, livre IV

« Ne donnons rien au droit de la naissance et à l’autorité des pères et des pasteurs, mais rappelons
à l’examen de la conscience et de la raison tout ce qu’ils nous ont appris depuis notre enfance. Ils
ont beau me crier « soumets ta raison » autant peut m’en dire celui qui me trompe. Il me faut des
raisons pour soumettre ma raison. »
Rousseau. Emile IV Profession de foi du vicaire savoyard.

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Qui est le fanatique ?

Au départ : devin chargé d’interpréter augure, homme du temps . Aruspice : annonce le fatum.
Dévoile et annonce vérité divine.
Etre intermédiaire, medium homme-dieu. Détient pouvoir d’interprétation de dieu.Il se
laisse posséder par divinité.
Incarnation temporaire du divin. Il prête son corps au divin.
Supposé porteur de vérité.
Figure sacrée et admirée : homme choisi, marginal, vivant une expérience particulière.
Nécessairement opposé à la science : savoir seulement humain.
Parole divine qui sert de guide, n’a pas à se justifier, inaccessible aux incroyants.

Il se dit « inspiré », comme en délire, emporté par une passion démesurée, 1 ardeur excessive
pour :
-une relig°, mais existe forme laïque fanatisme
-un parti,
-une cause

Double caractéristique :
-homme de passion non de raison, + proche fou que sage. H. de l’act° et non contemplat°
-déterminé par son excès : pas de mesure, pas de contrôle. Pas maître de lui, aliéné, hors de
lui. Danger immédiat pour autrui et l’Etat : violence de déraison+excès. Celui qui tue ou
se tue.
-Incontrôlable par pol., autorité religieuses, loi morale.

Fasciné par mort : massacres aveugles.


-Fréquents rites d’auto-mutilation
-Notion de sacrifice valorisée, figure du martyr. Son sacrifice fait foi.
-Haine et mépris du corps au profit d’un esprit pur.
-Se veut modèle, exemplaire. Veut prouver par son sacrifice de la puissance de sa vérité.
-Soldat de l’absolu contre quiconque s’oppose à vérité dite révélée.

Inaccessible au doute
L’homme qui ne doute pas. Connivence immédiate avec vérité divine. Prétend ne pas avoir
besoin de guide. Homme orgueilleux qui nie tous les efforts des théologiens, philosophes,
scientifiques. Nie tout travail de la pensée. Eloigné du sens commun, du bon sens.
Interdiction des études, valorisation de l’obscurantisme . Ennemi des livres.

N’enseigne pas mais endoctrine


Vérité révélée ne peut être enseignée, juste transmise. Il persuade mais ne convainc pas.
Contagion passionnelle et violente.

Fanatique : hors logos, pas homme de tolérance


Toute autre parole est fausse, mensongère, ennemie.
Le fanatique impose le silence.
Sa parole est vraie, donc bonne, donc juste
Projet : fonder un ordre du monde à partir duquel toute conduite devra se régler.

9
Fanatique plus dangereux que superstitieux :
Superstitieux ne passe pas sous l’échelle
Le fanatique m’interdit d’y passer sous peine de sanction.

Nécessairement asocial
-« Rompt tous les liens de la société » . Voltaire. Henriade.
-« Allume la discorde ». (ibid.)
-Se sert de l’imagination des autres hommes pour diviser : dit des choses effrayantes, agit sur
la peur. Cette peur accroît son pouvoir.
-Pas inspiré par amour de la divinité mais par sa crainte, devient lui-même celui qui inspire et
répand la crainte. Reproduit terreur divine en la faisant régner.

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La critique marxiste de la religion

Les grandes lignes de la critique marxiste de la religion se trouvent dans la Contribution à la


critique de la philosophie du droit de Hegel (édition Allia).
Pour Marx la religion est un produit idéologique qui vise à rendre supportable une situation
économique en elle-même insupportable. La religion est un discours humain à fin politique,
« l’homme fait la religion, ce n’est pas la religion qui fait l’homme » (p.7). La religion est
donc un outil dont le but est de produire une vision illusoire de la condition humaine concrète,
envisagée du point de vue des rapports de production. Cette illusion a deux fonctions :
d’abord consoler celui qui ne trouve pas dans sa vie le bonheur auquel il espérait prétendre,
ensuite justifier la non égalité des conditions et l’exploitation dont certains sont l’objet. « Cet
État, cette société produisent une religion, une conscience erronée du monde » (p.8)
La critique de cette illusion est nécessaire pour donner une vision claire des conditions de vie
réelles. Il y a une histoire de la religion, ce n’est pas un discours qui a surgi de besoins réels
ou d’aspirations éternelles. Le discours religieux peut-être étudié comme n’importe quel autre
discours rhétorique et ses images peuvent faire l’objet d’une interprétation politique.
Contrairement à Hobbes ou Rousseau qui craignaient la violence que pouvaient susciter les
discours religieux contre l’État, Marx pense que la religion est le discours nécessaire au
maintien d’une réalité économique et d’une stabilité politique qui la sert. L’illusion religieuse
est douce, plaisante, elle aide à supporter les souffrances mais n’en soigne pas les causes, elle
les rend juste supportables. Voilà pourquoi Marx affirme nécessaire de détruire l’illusion
religieuse : la situation réelle a besoin d’illusion pour éviter révoltes et indignation. Cette
destruction mettra à nu les souffrances réelles et chacun prendra conscience de leur
importance. Devenant insupportables, les causes réelles en seront cherchées, de vrais remèdes
économiques et politiques seront demandés. Le processus a donc trois temps, et le moment
de prise de conscience est un moment douloureux. Lutter contre la religion est en effet lutter
contre un monde qui a besoin d’illusion :
« Il faut rendre l’oppression réelle plus dure encore en y ajoutant la conscience de
l’oppression. »(p.14)

Comme Hegel, Marx pense que « l’histoire a une mission »(p.9) et dans cette mission la
religion doit être dépassée. Pour Hegel c’est la philosophie qui dépasse la religion, pour Marx,
c’est la conscience universelle d’une situation historique injuste et dépassable. Pour les deux
la religion a fin de disparaître, vers l’État de droit rationnel chez Hegel, vers une liberté qui
n’a plus besoin d’État chez Marx. Le sens de l’histoire vise dans les deux cas à la suppression
de la religion comme discours. Néanmoins Marx seul prône l’athéisme comme nécessité à une
prise de conscience de la situation réelle. L’athéisme est pour lui un moment nécessaire à
l’avancée historique vers la fin du cycle dialectique de la lutte des classes. « Ces conditions
sociales pétrifiées, il faut les forcer à danser. »(p.15)
L’athéisme a pour projet de remettre l’homme au centre du monde, « pour l’homme, la
racine c’est l’homme lui-même ». Lorsque Marx veut remettre la philosophie de Hegel à
l’endroit, la renverser, il veut inverser les racines de l’humanité. Les racines de l’homme sont
purement humaines, l’homme fait l’homme et toutes les réalités humaines, point n’est besoin
d’aller chercher au ciel des origines ou des valeurs.
L’homme se crée et crée des dieux qui masquent l’origine de sa propre production. Il faut que
l’homme reprenne possession de lui-même, prenne conscience qu’il est son propre principe,
son propre maître et son propre juge.
« La critique de la religion aboutit à cette doctrine, que l’homme est, pour l’homme, l’être
suprême. Elle aboutit donc à l’impératif catégorique de renverser toutes les conditions
sociales où l’homme est un être abaissé, asservi, abandonné, misérable. »(p.25)

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Freud : L’avenir d’une illusion
(les références sont données dans l’édition PUF)

Fonction de la religion :
-« Besoin de rendre supportable la détresse humaine » (p.26)
-Besoin de croire qu’une Intelligence supérieure arrange les choses au mieux (théodicée),
pour notre bien (p.27) au milieu du chaos apparent. C’est la Providence bienveillante.
-Besoin de se sentir protégé des dangers de la nature comme des dangers sociaux (p.26)
-Besoin de secours infantiles, appel à un Père tout puissant.
-Besoin de croire que la mort n’est pas anéantissement mais nouvelle existence (p.27)
-Besoin de croire en une justice « le bien trouve toujours sa récompense, le mal son
châtiment, si ce n’est dans cette vie ci, du moins dans une existence ultérieure qui
commence après la mort (...) toutes les terreurs, souffrances, cruautés de la vie seront
effacées. »(p.27)

La religion est une création humaine


-Peur des puissances naturelles
-Tentative de les influencer favorablement par des rites

La religion, comme toute illusion est l’expression d’un désir


-« Une illusion n’est pas la même chose qu’une erreur » (p.44)
-L’illusion est issue du désir : « Nous appelons illusion une croyance quand, dans la
motivation de celle-ci, la réalisation d’un désir est prévalente . » (p.45)
-« Les doctrines religieuses sont toutes des illusions. » (p.45), comparables pour certaines à
des « idées délirantes » (ibid.)
-Désir d’être protégé et aimé par un Père idéal qui succèderait à la fonction paternelle dont on
conçoit les limites.

Accusation des faux moralistes contre les doctrines athées (dont le freudisme)
-Initient chaos social et moral (pp.50 et 52)
-Ôtent consolation sans rien offrir en retour, « cruauté gratuite » , « la science (...)ne
suffirait pas aux hommes » (p.50)

Réponse de Freud
-Le croyant qui le désire continuera de croire, la critique de la religion est inoffensive (p.51)
-L’éthique de la psychanalyse est la vérité, la vérité est la plus haute valeur et la plus morale.
On ne peut, au nom de la morale, refuser la science.
-La religion n’est pas si précieuse que l’homme ne puisse s’en passer :
« Pendant des milliers d’années la religion a gouverné les sociétés humaines ; elle a eu le
temps de montrer ce qu’elle était capable d’accomplir. Si elle avait réussi à rendre heureux
la majorité des hommes, à les consoler, à les réconcilier avec la vie, à en faire des soutiens
de la culture, il ne viendrait à personne d’aspirer à un changement actuel des choses. »
(p.53)

-Au contraire la religion a montré son impuissance a offrir le bonheur à l’humanité (p.54) et
elle a des effets pervers : supplément d’angoisse, dégoût de la vie terrestre et de ses plaisirs,
culpabilité démesurée.

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Elle ne rend pas plus moral, elle incite à la guerre, à la persécution, à l’intolérance. C’est un
soutien à l’immoralité car elle déresponsabilise : « Dieu seul est bon, l’homme est faible et
pécheur. » (54)
La nécessité de la religion est donc très exagérée.

La disparition de la religion est envisageable et souhaitable en temps que dogme imposé


-Comparable aux névroses infantiles qui « disparaissent spontanément quand l’enfant
grandi (...)La religion serait la névrose obsessionnelle de l’humanité. »(p.61)
-Destin de la religion : disparaître progressivement au profit de la science, âge adulte de
l’humanité.
« Les dogmes religieux sont comme des survivances névrotiques et nous sommes
maintenant à dire que sans doute l’heure a sonné de les remplacer. » (p.62)

Il est temps selon Freud de réconcilier l’homme avec la vie terrestre, de le faire accéder à la
vérité, de lui apprendre à refuser la tromperie, d’œuvrer pour le développement intellectuel et
moral, de protéger l’enfant contre les effets néfastes de l’éducation religieuse (p.67) qui les
terrorise par la menace des enfers et les limite dans leur raison comme dans leur imagination.
Éducation religieuse comparée à « coutume de déformer par des bandages la tête des enfants
dès leurs premières années. » L’éducation religieuse serait source de faiblesse mentale. Freud
juge que l’on ne doit pas imposer ces doctrines, ces « absurdités » (p.68) à un âge où l’on ne
peut en débattre ni les critiquer. Il demande la suppression de l’éducation religieuse (libre à
l’adulte de croire ensuite à ce qu’il juge compatible avec ses valeurs et sa raison.)

Comparaison de la religion et de la drogue (cf. Marx)


-Nécessité d’un sevrage progressif
-Il n’existe de besoin de religion que chez celui qui y a été accoutumé dès l’enfance (p.70)
-L’homme peut réinvestir ses espoirs dans la vie présente (p.71)
« Rien ne peut, à la longue, résister à la raison » (p.78), « La science fournit la preuve
qu’elle n’est pas une illusion. » (p.79)

Religion et science ne peuvent être mises sur le même pied


-La science est ouverte à critique, à réfutation, elle ne cesse d’évoluer, elle expose sa
méthode, ses critères de validation. La science résiste aux pressions religieuses qui tentent de
l’affaiblir. « La transformation des opinions scientifiques est évolution, progrès et non
démolition. » (p.79)

« Non, notre science n’est pas une illusion. Mais ce serait une illusion de croire que nous
puissions trouver ailleurs ce qu’elle peut nous donner. » (p.80, phrase de conclusion).

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