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Maroc.

Le Code du statut personnel


Mustafa al-Ahnaf
Dans Monde Arabe 1994/3 (N° 145), pages 3 à 26
Éditions La Documentation française
ISSN 1241-5294
DOI 10.3917/machr1.145.0003
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Maroc
Le Code du statut personnel
M. ai·Ahnat

Monde arabe
Maghreb
Machrek
N° 145
juil.-sept. 1994

Etudes
Dans une << Lettre ouverte aux docteurs de la Loi >>, publiée le 18 mars 1957
par l'hebdomadaire Démocratie (1 ), un groupe de femmes marocaines posait les
questions suivantes :
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3
<< Si l'islam, comme vous le dites, a institué une constitution des droits de la
femme pour toutes les époques et toutes les sociétés et l'a placée sur un plan social
très élevé, faisant d'elle l'égale de l'homme, pourquoi donc, sur les points qui vont
suivre, constate-t-on une discrimination entre l'homme et la femme et une situation
privilégiée de l'homme:
1) Pourquoi, en droit musulman, le témoignage de la femme ne compte-t-il
que pour moitié par rapport à celui de l'homme, et, dans certains cas, est-il nul ?
2) Pourquoi la femme musulmane n'a-t-elle pas occupé de charge mini sté-
rielle ?
3) Pourquoi l'islam n'a-t-il pas autorisé la femme à assister aux manifestations
religieuses au même titre que l'homme ?
4) Pourquoi le père, ou le tuteur, a-t-il le droit absolu de marier sa fille ou sa
pupille avec qui il veut sans la consulter ou tenir compte de son opinion ? Pourquoi
ce droit octroyé au père n'est-il pas octroyé à la mère ?
5) Pourquoi la femme veuve ou divorcée doit-elle se faire représenter par un
homme dans l'acte de mariage?
6) Pourquoi l'islam donne-t-il à l'homme seul le droit de répudier sa femme, et
prive-t-il la femme de ce droit?
7) Pourquoi insulte-t-on la dignité de la femme par ce hadith : "Les femmes
sont peu religieuses et peu intelligentes" ?
8) Pourquoi n'autorise-t-il pas la femme à voyager seule sans un contrôleur
sûr (c'est une accusation formelle de sa pureté) ? >>
Un mois auparavant, le même périodique avait publié un article, signé Souad,
et intitulé : <<Nous voulons l'égalité avec l'homme >>, dénonçant << l'esprit paternalis-
te et condescendant que l'homme dit "évolué" manifeste à notre égard >>, et affirmant
sans ambages : << Nous voulons que soit abolie la polygamie qui est une conception

(1) Démocratie était l'organe du PDI (Parti de la Démocratie et de l'Indépendance, Hizb al-shûra wa-1-isriq-
/al) , en langue française.
périmée de la famille et une source de maux sociaux. Nous réclamons aussi J'égalité
de J'homme et de la femme devant l'héritage >> (2).
Ces revendications étaient alors Je fait de quelques femmes instruites, elles-
mêmes « évoluées >>, et représentant l'avant-garde féminine du mouvement nationa-
liste marocain. Elles n'avaient pas trouvé leur Bourguiba pour accélérer le mouve-
ment d'émancipation de la femme et introduire, par le truchement du droit, de nou-
velles mœurs et de nouvelles pratiques sociales. À l'époque, c'était la famille royale
qui donnait l'exemple. Dès 1947, la fille aînée de Mohammed V, Lalla Aicha, s'était
montrée dévoilée en public, lors de l'inauguration d'une école de filles à Tanger. Au
lendemain de l'indépendance, les journaux, les magazines et surtout les actualités
cinématographiques (dont le public était extrêmement friand) montraient régulière-
ment Je roi Mohammed V entouré de ses enfants (deux fils et quatre filles), habillés
« à J'européenne >>, participant aux différentes manifestations patriotiques. La dispo-
sition générale de la société était favorable au changement, et Je discours nationalis-
te-salafiste, avec ses deux composantes istiqlalienne et « shuriste >>, encourageait la
participation des femmes à l'édification d'un nouveau Maroc indépendant, et appelait
Monde arabe à la réforme de leur statut (3).
Maghreb
Machrek
Changer la condition de la femme n'était pas une revendication propre aux
W145 « évolués >> qui avaient eu accès à la culture et au mode de vie européens : elle fai-
juil.-sept. 1994 sait partie du programme du réformisme musulman , depuis la fin du XIXe siècle.
Lors de son exil cairote, Allal al-Fassi publie, en 1952, un livre intitulé Al-Naqd al-
Maroc :
le Code
Dhati (« L'Autocritique >>), où il consacre plusieurs pages aux problèmes de la famil-
du statut personnel le marocaine, et insiste sur la nécessité de la réformer. Fidèle à la tradition de Moha-
med Abduh, il n'atteint cependant pas le radicalisme du Tunisien zaytounien Tahar
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al-Haddad (4). Dans Je cadre général des « Desseins de la Loi musulmane >> (Maqa-
sid al-shari'a), A. al-Fassi se prononce pour l'abolition de la polygamie (son « inter-
diction pure et simple >> , écrit-il), la réglementation du talaq (répudiation-divorce), et,
afin de pallier les méfaits de cette institution, il pense « qu'il faut prescrire J'attribu-
tion d'un "don de consolation" à la répudiée, c'est-à-dire J'octroi d'une compensation
convenable selon son rang et la fortune du mari >> (p. 224), clause prévue par Je droit
musulman classique.
La question de la femme a été longuement débattue au lendemain de l'indé-
pendance, et le parti de l'Istiqlal, gardien du salafisme politique, comptait dans ses
rangs des femmes et des hommes favorables aux idées modernes, et en tout cas hos-
tiles aux croyances et aux pratiques traditionnelles. En 1956, un 'alim * de la Qara-
wiyyine (la célèbre uni versité de Fès), pouvait écrire dans Je journal al- 'Alam : « Un
jour viendra où nous verrons Sa Majesté Je roi publier des dahirs renversant de pied
en cap les lois désuètes, y compris celles dictées par la doctrine de Malik >> (5) ; tan-
dis que l'hebdomadaire en langue française du parti d'Allal al-Fassi s'en prenait vio-
lemment au voile, au divorce, à la polygamie et à la dot.
Les femmes nationalistes se prévalaient de leur participation à la lutte patrio-
tique pour revendiquer l'égalité des sexes : << La femme, majeure dans la résistance,

(2) Démocratie du 4 février 1957 ; cité par Maurice Boonnans, Statut personnel et famille au Maghreb de
1940 à nos jours, Pari s-La Haye, Mouton, 1977.
(3 ) Po ur les débats et les positions des différents acteurs, voir Boormans, op. cil., p. 188-192.
(4) Tahar al-Haddad (1900-1 935) est une des fi gures marquantes de l'avant-garde réformiste tuni sienne. Après
des études à la Zitouna, il s'engage dans l'action syndicale auprès de Mohamed Ali au sein de la CGTT, pre-
mier syndicat ouvrier autonome tunisien (1924- 1925). Il relate cette expérience dans son livre Al-Ummal al-
tunisiyyun (Les travailleurs tuni siens), 1927 . En 1930, il publie son ouvrage le plus connu et le plus contro-
versé, lmra 'atuna fi-1- shari'a wa-1-mutjtama ' (<< Notre femme dans la Loi et dans la société »), qui <<apparaît,
avec le recul du temps, préfig urer les lignes essentielles des réformes modernes, puisque la plupart de ses
thèses ont été adoptées par la Tunisie indépendante >>, cf. Boormans, in Documents sur la f amille au Ma gh-
reb, Rome, !PO, 1979, p. 25 et sqq, et du même auteur, Statut personnel.. . op. cil. , p. 123-148.
(5) Article repris dans Al-iqna' bi-1-difâ' (<<convaincre en défendant >>), de Abd-ai-Wahid b.Aii b.Abdallah . Le
'alim en q uestion s'appelle Mohamed Bouziane al-Touzani .
* Docteur de la lo i, pluriel « 'u/ama ' "• habituellement transcrit en Oulémas.
sera-t-elle mineure dans l'indépendance?>>, demandaient-elles aux hommes avec
insistance, et d'exiger que soit réalisée l'égalité dans « les droits politiques et
civiques », sans autre restriction que celle qu'impose la capacité civile.

- Le Code du statut personnel de 1957


Cependant, toutes ces idées vont être reléguées au second plan, lorsqu'il s'agi-
ra, en 1957, d'élaborer le premier Code du statut personnel marocain, la fameuse
Mudawwana que les féministes voudront transformer de fond en comble. Élaboré par
le ministre de la Justice Abdelkrim Benjelloun, et un groupe d'experts, le projet du
Code fut soumis à une commission formée du Roi lui-même, et comptant dix Oulé-
mas parmi lesquels les trois grandes figures du salafisme marocain : Mohamed Belar-
bi Alaoui, Mukhtar al-Soussi - tous deux ministres rattachés au Conseil de la Cou-
ronne - et Allal al-Fassi, qui en deviendra le rapporteur. Réunie pour la première fois
le 13 octobre 1957, la Commission avait pour mission d'étudier les dispositions pro-
posées par le ministère de la Justice. C'était Hassan II, alors prince héritier, qui don- Monde arabe
nait le ton en déclarant : «Je considère personnellement que le but de cette mudaw- Maghreb
Machrek
wana n'est pas un but religieux ou juridique, mais comme une consolidation des fon- N" 145
dements sociaux sur lesquels vit le Maroc du xxc siècle, devant les idées et les ten- juil.-sept. 1994
dances contradictoires, afin que nous puissions, grâce à vos efforts, affirmer les bases
réelles de l'islam et enrayer ainsi les superstitions et les mauvaises intentions qui veu- Etudes
lent faire de l'islam une législation arriérée et réactionnaire» (6).
Mais le résultat fut largement en deçà des attentes. Manifestement préparée à
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la hâte (la Commission n'eut que trois séances de travail) , la Mudawwana n'avait
repris ni les idées réformatrices de « l'Autocritique » d'Allal al-Fassi ni tenu compte
des revendications de la petite avant-garde féministe, ni même conservé les disposi-
tions relativement libérales du projet du ministère de la Justice (7). Elle n'avait fait
que codifier le Fiqh Uurisprudence) traditionnel malékite maghrébin. Il semble que le
législateur d'alors avait pour principal souci l'abolition du « Dahir berbère » qui, à
partir de 1930, avait soustrait une partie de la population marocaine au droit maléki-
te. Le retour à la situation précoloniale était perçu comme un signe d'authenticité et
d'indépendance, et la fidélité à la lettre du Fiqh malékite comme une garantie de la
continuité de la tradition arabo-musulmane. La suppression des pratiques non
conformes au droit musulman , tel qu'élaboré par les Oulémas, était plus importante
que la réforme sociale souhaitée par la majorité de l'opinion publique. Le progrès,
pour Allal al-Fassi et ses compagnons de la Commission de codification, consistait à
retrouver l'esprit et la lettre des textes juridiques musulmans, et non à prendre en
considération les transformations subies par la société marocaine pendant la période
coloniale et à adapter les lois aux nouvelles conditions de la famille. Le salafisme se
met au service du conservatisme nationaliste pour sauver une certaine identité. Le
chef de l'Istiqlal se sentait plus proche et plus solidaire de ses anciens camarades ou
maîtres de la Qarawiyyine avec lesquels il parlait le même langage, que de l'aile
moderniste et laïcisante de son parti (Ben Barka, Bouabid, etc.), qui était à mille
lieues des préoccupations théologico-juridiques de la Commission de codification de
la Mudawwana. Ses vitupérations contre les mariages mixtès en disent long sur son
état d'esprit d'alors.
Reste le côté « positif » de la Mudawwana, qui a été souligné par la majorité
des commentateurs, à savoir : la codification de ce qui auparavant relevait de l'inter-

(6) Pour les noms et fonctions des membres de la Commission, et ses ·travaux, voir Hammad Laraki : Sharh
Qantîn az-zawaj (commentaire du Code du mariage), Casablanca, Imprimerie royale (s.d.), p. 12.
(7) Le projet ayant opté pour la solution d'Abou Hanifa concernant J'inutilité du tuteur matrimonial (wali) pour
la fille majeure, Allal ai-Fassi s'y oppose en faisant valoir les traditions de la soc iété marocaine, laquelle serait
<< choquée >> par une telle disposition. On imposa donc Je wali comme condition de la validité du mariage.
prétation du Qadi Uuge) ; la fixation d'un âge minimum au mariage ; l'abolition de
l"Uif (droit coutumier, qui, entre autres, déshéritait les filles dans certaines régions
berbères) ; la suppression du Djabr (droit du père ou du tuteur de contraindre sa fille
ou sa pupille au mariage sans tenir compte de sa volonté) ; droit de la femme à une
mut'a (don de consolation) en cas de répudiation abusive. C'était peu de choses par
rapport aux tâches à réaliser et aux espérances soulevées par l'Indépendance (8) .

- Critiques et projets de réforme


C'est donc la critique de la Mudawwana , la nécessité de la réformer et la
dénonciation de certaines de ses dispositions qui vont occuper la scène à partir de la
fin des années 70, lorsque l'ère des conspirations putschistes de l'aile insurrectionnel-
le de l'UNFP (Mohamed El-Basri et ses adeptes), des coups d'État militaires avortés,
et des mots d'ordre révolutionnaires des groupes « marxistes-léninistes >> se clôt pour
faire pl ace à un « consensus >> national autour du trône alaouite, au lendemain de la
Monde arabe « Marche Verte >> (novembre 1975). Et c'est le pouvoir lui-même qui va prendre les
Maghreb devants en nommant, en 1979, une Commission royale de codification, chargée de
Machrek réviser la Mudawwana (9). « Le choix retenu , commente A. Moulay Rchid, accorde
W145
juil.-sept. 1994 une place de choix à l'adulte citadin de formation juridique arabe traditionnelle >>
(10).
Maroc: Au cours de toute une année de travail, la Commission élabora << le projet le
le Code
du statut personnel
plus complet qui ait été produit depuis 1957-1958 >> , mais dans un secret quasi-
absolu. Le 5 mai 1981, le représentant du ministère de la Justice annonça que le pro-
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6 jet était prêt et qu'il allait bientôt paraître. De fait, c'est un << Groupe de travail et de
recherches sur la famille >> qui en divulgua le contenu grâce à des complicités au sein
de la Commission. Ayant achevé sa tâche, celle-ci ne savait pas s'il fallait l'envoyer
au Secrétariat général du gouvernement ou le soumettre d'abord à l'approbation du
Conseil des Oulémas. Il resta donc en suspens avant d'être renvoyé aux calendes
grecques, après les émeutes sanglantes de juin 1981 à Casablanca - non sans avoir
été fortement critiqué par les juristes, les associations féminines, les spécialistes de la
famille et même les partis politiques.
L'étude la plus approfondie sur les réformes à apporter à la Mudawwana est
sans conteste celle du juriste Abderrazak Moulay Rchid dans sa thèse intitulée La
condition de la femme au Maroc (11). Il revendique son appartenance au courant
<< moderniste >> qui refuse << la transposition aveugle d'un modèle occidental >>, et
n'exclut pas << les valeurs authentiques façonnées par l'islam >> . Il considère que l'in-
terprétation sunnite << ne peut aucunement avoir le monopole de la vérité isla-
mique >> , et prend donc ses distances à l'égard de l'orthodoxie. Partant du principe
que le droit musulman << est essentiellement une œuvre humaine >> , il estime qu'il
est nécessaire d' << innover >>. L'innovation peut se faire soit par << création >> , soit par
<< interprétation >> , sans pour cela contredire l'esprit du législateur musulman. Il suf-
fira aux Oulémas et aux codificateurs de la Mudawwana de suivre la voie tracée
par le Prophète Muhammad pour pouvoir légitimement continuer son << œuvre
réformiste >> .

(8) Pour un bilan de la Mudawwana, cf. Ahmad Khamlichi et A. Moulay Rchid, Mudawwanat a/-ahwal a/-
shakhsiyya ba 'd khamsa 'ashara sana min suduriha (La Mudawwana, quinze ans (sic ! lire 25 ans) après sa
parution). Revue juridique, économique et politique du Maroc, n° 10, 1981, p. 30 à 62.
(9) Y figurent deux professeurs de l'université Qarawiyyine ; le doyen de la Faculté de Droit de Rabat ; deux
Oulémas ; une dizaine de hauts fonctionnaires et dix-neuf hauts magistrats du ministère de la Justice.
( 10) « Le projet de Code de statut personnel >>, polycopié de la Faculté de Droit de Rabat, p. 7.
(Il) Soutenue en 1981 et publiée en 1985 par les Editions de la Faculté des Sciences juridiques, économiques
et sociales de Rabat.
Pour Moulay Rchid, le problème le plus grave qui agite la société marocaine
et empêche le dialogue en son sein est celui du << dualisme culturel » : «C ultures
rivales, la culture nationale [arabo-islamique] et la culture occidentale véhiculent des
idées, des valeurs, et une certaine image de la femme ( ... ). Ces représentations sont
un véritable tissu de contradictions ... >> (p. 35). Cette structure schizophrénique se
retrouve à tous les échelons de la vie sociale, depuis le sommet de l'État jusqu'aux
comportements quotidiens les plus banals, en passant par l'action gouvernementale,
la politique des partis, les résolutions de la Ligue des Oulémas, la radio et la télévi-
sion, la presse, la création artistique et littéraire, et surtout dans la formation des
juges chargés d'appliquer la loi . Tant que la dualité culturelle reste un des fonde-
ments de l'édifice social, conclut l'auteur, il ne faut pas s'attendre à des perspectives
encourageantes.
Parlant de l'intérieur de l'i slam, Moulay Rchid se réclame d'une « méthode
d'interprétation progressive et courageuse>>, celle-là même que le Coran a adoptée.
Aussi s'autorise-t-il , dans la deuxième partie de sa thèse ( « Éléments en vue d'une
réforme du statut >> p. 248-538), à proposer les mesures susceptibles de mener à
« l'égalité foncière entre l'homme et la femme >> et à « la suppression de toute diffé- Monde arabe
Maghreb
renciation fondée sur la prétendue supériorité de l'un sur l'autre sexe>>.
Machrek
Salué comme « un plaidoyer courageux en faveur de l'égalité des sexes au N° 145
Maroc >> ( 12), l'ouvrage de Moulay Rchid prône les réformes suivantes : juil. -sept. 1994
1. La suppression du tuteur matrimonial (wali) pour la fille majeure lors de la
Etudes
conclusion du contrat de mariage .
2. L'abolition de la prééminence maritale au sein du couple, et ce en vue de
promouvoir une relation conjugale égalitaire.
7
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3. La révision du statut patrimonial de l'épouse au sein du couple, par la mise
en question de la division traditionnelle du travail entre les conjoints et la consolida-
tion de « la liberté de l'épouse d'administrer et de disposer de ses biens >>.
4. L'abolition de la polygamie et de la répudiation afin de mettre un terme à la
précarité du lien matrimonial.
5. La révision du statut successoral de la femme en vue de « l'égalité succes-
sorale entre les sexes >>, qui est la « perspective finale de l'islam >> (p. 462) ( 13).
Les autres mesures proposées se rapportent à « la femme dans le travail >> , et
visent au renforcement de la législation sociale, pour mieux protéger la femme tra-
vailleuse, et à l'égalité réelle (entre les sexes) au sein de la fonction publique.
Ces revendications seront celles-là même que les militantes féministes présen-
teront en mars 1992. Écrite en français pour un public francophone, la thèse de
Moulay Rchid et l'audacieuse critique qu'elle fait du droit musulman traditionnel ne
semblent pas avoir intéressé les gardiens du temple du Fiqh, Oulémas salafistes ou
militants islamistes .
Depuis une vingtaine d'années, les recherches sur la famille se sont multipliées
( 14 ), et leurs conclusions sont invariablement les mêmes : l'évolution de la réalité
sociale est en contradiction flagrante avec les dispositions de la Mudawwana, et
celle-ci est désormais incapable de résoudre les problèmes et les conflits que connaît
la famille marocaine. La situation de fait des femmes, leur praxis sociale et la place
qu'elles occupent dans la société et dans la famille sont la démonstration parlante de
l'inadéquation de leur statut juridique et une dénonciation implicite du retard scanda-
leux de ladite Mudawwana. C'est à démontrer cette vérité qu'ont été consacrées des
centaines d'études et d'articles.

( 12) Préface de J. Deprez.


( 13) << Cette thèse, ajoute l'auteur, a été défendue par certains docteurs de la loi . On peut c iter à titre d'exemple
Tahar ai-Haddad en 1930, en Tunisie , (p. 462).
(14) Voir à ce sujet M. Kerrou et M. Kharoufi , << Maghreb . Familles, valeurs et changements sociaux », in
Maghreb-Machrek n° 144, p. 26-39.
Parmi les recherches universitaires engagées, il convient de citer la thèse de
Farida Bennani : <<La division du travail au sein du couple à la lumière du droit
marocain et du fiqh musulman : le sexe comme critère >> ( 15). Écrite en arabe, le tra-
vail de cette jeune juriste se place sur le même terrain que celui choisi par Moulay
Rchid : celui de la critique du droit musulman traditionnel à partir de l'esprit de l'is-
lam bien compris. Optant elle aussi pour la <<méthode d'interprétation progressive >>,
F. Bennani mène une attaque en règle contre toutes les idées reçues des Fuqaha (plu-
riel de Faqih, jurisconsulte) sur la femme et son statut. Elle montre que l'islam, en
tant que religion, n'a rien à voir avec les représentations qui ont été façonnées en son
nom concernant l'inégalité des sexes, les fonctions respectives de l'homme et de la
femme au sein de la famille et de la société, et la division sexuelle du travail. L'islam
des origines, celui du Coran et de la pratique prophétique, n'a pas dit son dernier mot
concernant ces questions. << Il n'existe pas dans les sources de la shari'a, écrit-elle,
d'affirmation qui fixe les différences naturelles entre l'homme et la femme, mais [ces
sources] contiennent plutôt une déclaration globale concernant leur égalité intellec-
tuelle et physique >> (p. 198). Les choix adoptés par le Fiqh, et qui ont été dotés d'une
Monde arabe couverture divine, sont l'œuvre de jurisconsultes, c'est-à-dire une œuvre purement
Maghreb
humaine. Ils ont été ensuite entérinés et reproduits par les rédacteurs de la Mudaw-
Machrek
N" 145 wana, et imposés aux femmes marocaines au nom de la fidélité à l'islam et à ses
juil. -sept. 1994 principes fondamentaux.
Maroc:
Non seulement les rôles définis par la Mudawwana, à travers la fidélité aux
le Code textes malékites, ne sont pas conformes à l'esprit de la religion musulmane, mais ils
du statut personnel sont en contradiction avec les rôles effectivement vécus au sein de la nouvelle famil-
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8 le marocaine. Aussi, le discours juridique sur la famille se rapporte-t-il à une << famil-
le imaginaire >> , et la << famille idéale conforme au droit>> n'a-t-elle aucune existence
dans la réalité. La division sexuelle du travail, telle que la définissent le Fiqh et la
Mudawwana, a désormais un << caractère mythique >> , et les conceptions dominantes
concernant la famille idéale imposées par le droit marocain << sont devenues légen-
daires >>, car elles n'ont qu'un rapport lointain avec la réalité de la majorité des
familles marocaines. Les transformations structurelles et fonctionnelles que connaît
la famille ont imposé un nouvel équilibre que le droit doit entériner. Si le futur légis-
lateur de la Mudawwana veut que les textes juridiques soient conformes à la réalité
de la famille marocaine actuelle, conclut l'auteur, s'il veut que soit réalisée l'égalité
effective des droits et des devoirs familiaux, << il n'a qu'à abandonner la fidélité au
Fiqh malékite dont il copie les statuts légaux, conçus dans un contexte social et his-
torique déterminé >>, et fournir un effort personnel qui le conduira à une nouvelle
conception du droit, << conforme à la manière dont l'islam a conçu la relation entre les
conjoints >>. La modernisation du droit musulman est devenue une nécessité vitale
pour l'évolution de la famille, et la << méthode progressive >> est la voie qui mènera à
<< une égalité rationnelle entre les époux >>, et qui mettra fin à << l'hégémonie de la
pensée salafiste et de l'idéologie patriarcale>> (p. 197).
Dénonçant les deux faces, <<salafiste et moderne>>, de l'idéologie religieuse
<< qui a joué un rôle d'avant-garde >> dans la validation des structures traditionnelles,
F. Bennani la résume en ces termes : << L'espace public, le travail productif et l'ac-
quisition sont un droit pour l'homme ; la claustration, les corvées et les travaux
ménagers un devoir pour la femme >> . De tout cela, l'islam est innocent.
Ce n'est donc pas à partir d'une quelconque idée << laïque importée >> que la cri-
tique de la Mudawwana est opérée, mais bien au nom d'une << certaine idée>> de l'is-
lam. Il était facile pour les Oulémas, comme pour le courant religieux, de rejeter en

( 15) Publications de la Faculté des sciences juridiques, économiques et sociales de Marrakech (en arabe),
1993.
bloc dans les années 60 et 70, les « idées gauchistes » sur la famille et l'émancipation
des femmes professées par les mouvements « marxistes-léninistes » comme faisant
partie de la doctrine « communiste-athée », étrangère à la société musulmane, et
ennemie de la religion en général ; désormais, il leur faudra compter avec ceux qui
leur contestent le monopole de l'interprétation et les obligent à leur répondre.

- 1992 : la campagne des féministes


contre la Mudawwana
La campagne pour le changement de la Mudawwana, lancée à la veille de la
Journée internationale de la Femme, le 7 mars 1992, par l'Union de l'action féminine
(UAF) (16) se place en effet d'emblée dans le cadre, déjà tracé par A. Moulay Rchid
et Farida Bennani, d'une lecture moderniste de l'islam. La déclaration solennelle, où
sont défini s les raisons et les objectifs de cette campagne, s'adresse à l'opinion
publique nationale et internationale. Elle constate que ce sont « les profonds change-
ments que connaît la situation des femmes et l'ambition grandissante de celles-ci de Monde arabe
Maghreb
réaliser l'égalité et l'émancipation dans le cadre de la consolidation de la démocratie Machrek
politique et sociale (.. .) [qui ont] incité le mouvement féministe marocain à mettre la W145
révision de la Mudawwana à la tête de ses revendications ». La « surdité » des res- juil.-sept. 1994
ponsables devant des années de réclamations, de revendications, ne peut cacher ce
Etudes
qu'ils feignent d'ignorer, à savoir que l'application de la Mudawwana, outre qu'elle
lèse les droits fondamentaux de la femme, aggrave la crise de la famille et engendre
des drames sociaux, tels que le vagabondage de milliers d'enfants mineurs.
9
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Dans une lettre ouverte à la Chambre des députés ( 17), l'UAF définit ses
revendications, après avoir développé une argumentation qui se déploie sur plusieurs
registres.
Alors que la femme représente la moitié des électeurs, le tiers des chefs de
famille, et le tiers de la population active, pas une seule séance du Parlement, dont le
mandat vient à terme, ne lui a été consacrée. Aussi, et afin que huit années de légis-
lature ne soient pas des «années blanches », l'UAF invite-t-elle les députés à rattra-
per le temps perdu et à étudier le dossier de la Mudawwana, dans le cadre de la
considération des principes suivants :
1. Une véritable démocratie ne peut fonctionner, ni même exister, s'il n'y a pas
égalité des citoyens et des citoyennes devant le droit. Elle ne se borne pas à « démocra-
tiser la relation entre l'État et la société, mais nécessite la démocratisation des relations
à l'intérieur de la société même, y compris la relation entre l'homme et la femme dans
la vie publique et au sein de la famille, qui est le noyau fondamental de la société ... ».
2. Le Code du statut personnel ne peut se limiter à une école juridique ou une
interprétation qui exclut toutes les autres, de même qu'il ne peut être rivé à la « litté-
ralité des textes ». C'est d'ailleurs là, ajoute le Bureau exécutif de l'UAF, l'opinion de
S.M. le Roi , quand il était prince héritier, dans son discours d'orientation devant la
Commission de codification de la Mudawwana, et l'esprit selon lequel a été rédigé le

( 16) L'Union de l'Action féminine a été créée en 1987, en unifiant les comités de soutien de la revue Le 8 mars
(première revue féministe en arabe, fondée en novembre 1983) et les cellules féminines de l'Organisation de
l'Action démocratique et populaire (OADP), parti né d'une scission de I'USFP et dont les membres se sont
alliés à des courants gauchistes marxistes léninistes. L'UAF, dont l'animatrice principale est Latifa Djebabdi,
enseignante de philosophie ayant travaillé à l'Institut d'arabisation, regroupe des intellectuelles, cadres et ensei-
gnantes, âgées en majorité de 30 à 40 ans, arabisantes, et militantes résolues. Sur cette association féministe
en particulier, et .les mouvements féministes marocains en général, cf. Zakya Daoud, Féminisme et politique
au Maghreb, Paris, Maisonneuve et Larose, 1994, p. 3 13-345.
( 17) Texte in Le 8 mars, n° 57, mars 1992.
premier projet élaboré par le ministère de la Justice ( 18). Ce qui est demandé, « c'est
de suivre les desseins de la chari'a (maqâsid al-shari'a) que sont l'équité, la justice,
l'égalité, le respect de la dignité humaine, et la garantie des conditions de progrès et
de vie honorable pour la société musulmane ».
3. La signature par le Maroc de la Convention de Copenhague (pour l'élimina-
tion de toutes les discriminations à l'égard des femmes) et des résolutions de la
Conférence de Nairobi « exige la révision de toutes les lois qui représentent un pré-
judice pour la femme, et à leur tête la Mudawwana du statut personnel >>.
4. La Mudawwana est en contradiction flagrante avec la Constitution, qui est
la loi suprême du pays, et qui proclame l'égalité entre les deux sexes, le droit de la
femme d'être électrice et éligible, et garantit le droit au travail pour tous les citoyens
sans discrimination de sexe, alors que la Mudawwana est fondée sur l'inégalité des
droits et des obligations, la dépendance de la femme vis-à-vis de l'homme, lequel
peut lui confisquer son droit au travail, et son droit de se marier par elle-même après
avoir atteint l'âge de la majorité.
5. La Mudawwana, rédigée depuis plus de trente ans, est dépassée dans la réa-
Monde arabe lité quotidienne. Elle est en contradiction avec les progrès réalisés dans la structure
Maghreb
familiale et les relations sociales en général. L'accession des femmes à l'enseigne-
Machrek
N• 145 ment (notamment supérieur) et aux plus hauts postes dans l'administration et l'écono-
juil.-sept. 1994 mie, le fait pour elles de contribuer aux dépenses de 35 % des familles, et d'être le
véritable chef de 17 % d'entre elles, sont en criante contradiction avec les textes de
Maroc :
le Code
la Mudawwana qui les maintiennent dans un état de minorité à vie, les place en état
du statut personnel d'infériorité, leur impose une tutelle et les prive d'un droit de regard sur leurs enfants.
6. La Mudawwana est devenue non seulement incapable de résoudre les pro-
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blèmes de la famille marocaine, mais elle représente pour celle-ci un facteur de crise et
d'éclatement dans la mesure où elle accorde au mari un droit absolu de répudiation, sans
intervention de la justice. D'où les drames sociaux qui en résultent pour les femmes et les
enfants (par exemple le pourcentage annuel des divorces-répudiations a atteint 50 % du
nombre des mariages dans la même période, dans l'ensemble du Maroc, et 58 % pour la
ville de Casablanca), sans compter la multiplication des dossiers relatifs aux questions de
pension alimentaire, qui s'entassent dans les tribunaux.
Pour toutes ces raisons, l'UAF appelle la Chambre des députés à assumer ses res-
ponsabilités en œuvrant pour le changement de la Mudawwana, première revendication
de la femme marocaine, « qui n'a ménagé aucun effort dans la défense de l'indépendan-
ce et de l'unité du pays, et qui a le droit d'exiger de sauvegarder sa dignité, et de réali-
ser son égalité avec l'homme, son frère >>. Et ce dans le cadre des principes suivants :
-Considérer la famille comme une institution fondée sur l'équité, l'égalité et la
solidarité entre les deux conjoints.
-Considérer que la femme, au même titre que l'homme, peut accéder à la plei-
ne capacité dès qu'elle atteint l'âge de la majorité légale.
-Lui donner le droit de se marier elle-même dès qu'elle atteint la majorité,
sans recours à un tuteur matrimonial (wali) .
- Reconnaître les mêmes droits et les mêmes obligations pour les deux
conjoints.
-Mettre le divorce entre les mains de la Justice et donner à la femme comme
à l'homme le droit de demander le divorce à la Justice.

( 18) Voir plus haut. Dans ce di scours, le prince hériti er déplorait que << certains jeunes Marocains possèdent une
licence en droit et ne connai ssent rie n sur les lois de l'islam >> . Il en fai sait porter la responsabilité, partiellement
au moin s aux fuqaha . qui pré tende nt que << le ftqh se transmet, mais ne donne pas matière à rai sonnement, alors
qu'en vérité, le ftqh est raisonneme nt , puisqu'il permet la cohabitation entre les individus. Nous ne vivons pas
da ns une société musulmane pure, mais dans une socié té où il y a des juifs, des chrétiens et des musulmans.
Aussi de vons-nous connaître notre chari'a, la comprendre, la transmettre, afin qu'elle ne nous apparaisse point
comme une législation arrié rée par rapport au droit étranger que nous é tudions. Dieu a achevé la religion , mais
la législatio n est possible dans tous les te mps» (in H. Laraki , Slwrh Qami11 az-zawaj. op. cit. , p. 12.
-Interdire la polygamie.
-Donner à la femme un droit de tutelle sur les enfants au même titre que
l'homme.
-Considérer le travail et les études comme un droit inaliénable que l'homme
ne peut retirer à sa femme.

- La pétition pour un million de signatures


Ce sont ces mêmes revendications que les militantes de I'UAF vont reproduire
dans leur pétition destinée à rassembler un million de signatures à travers l'ensemble
du territoire marocain, en vue de montrer aux députés et aux pouvoirs publics que le
changement de la Mudawwana est une demande de la majorité de la population, et
pas seulement l'exigence d'une avant-garde féministe.
Il apparaît, à la lecture de cette lettre ouverte, que les arguments qui y sont
développés en appellent à la fois à l'idée de l'État de droit (fondé sur la démocratisa-
Monde arabe
tion des relations entre l'État et la société civile, et entre les citoyens eux-mêmes) ; à Maghreb
une lecture moderniste du droit musulman ne tenant compte que de l'esprit égalitaire Machrek
et équitable de l'islam ; à l'ordre juridique (la constitutionnalité des lois et la confor- N° 145
juit.-sept. 1994
mité des lois internes aux conventions internationales (19)) ; à la primauté de la réa-
lité sociale sur l'ordre légal, et à la nécessité pour le droit de marcher au pas du réel, Etudes
sous peine de devenir un handicap sur la voie du progrès, et un facteur de crise et de
conflit au sein de la cellule familiale et de la société tout entière.
La campagne contre la Mudawwana est lancée en plein débat sur la démocra- 11
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tisation des institutions publiques et la révision de la Constitution, souhaitée tant par
le Roi que par les partis politiques. Les féministes en profitent pour rappeler aux
« forces démocratiques » et partis de l' « opposition nationale » qu'une véritable
démocratie ne saurait être instaurée si elle ignore les droits élémentaires de la femme.
Dans un mémorandum adressé par le Bureau exécutif de I'UAF à ces partis, il eSt dit
explicitement que « les réformes institutionnelles ne doivent pas seulement viser le
dépassement du despotisme politique, mais doivent aussi tendre à l'abolition de la
masculinité du pouvoir, en tant qu'elle est l'autre face et le complément de ce despo-
tisme. L'édification de l'État de droit ne peut advenir à l'ombre de la margirialisation
de la moitié de la société, et la confiscation de ses droits à la pleine citoyenneté ».
Aussi les « partis patriotiques » sont-ils tenus « d'assumer leur pleine responsabilité
pour faire (échec) à cette marginalisation méthodique des femmes », et de présenter
les revendications relatives au statut de la femme comme une partie intégrante des
réformes politiques et constitutionnelles visant à l'instauration de l'État de droit.
L'égalité de l'homme et de la femme, à tous les niveaux de la vie sociale, la protec-
tion de la famille, de la maternité et de l'enfance doivent être consignées dans la
Constitution, et concrétisées par la création d'institutions qui les garantissent. Enfin,
I'UAF revendique un quota minimum de 20 % de femmes dans toutes les institutions
élues (20).
Avant d'aborder les réactions suscitées par la pétition anti-Mudawwana, il nous
faut signaler un fait significatif : dans le communiqué de presse (21) du 7 mars 1992,

( 19) À la différence de l'Algérie et de la Tunisie, la Constitution marocaine ne mentionne pas que les traités
internationaux ont une autorité supérieure à celle des lois internes. Voir à ce sujet : A. Moulay Rchid : La
f emme et la Lai au Maroc, Casablanca, Le Fennec, 1991 , p. 21 à 39 ; voir auss i : La non discrimination à
l'égard des f einmes entre la Convention de Copenhague et le discours identitaire, Colloque, Tunis, 13-16jan-
vier 1988. UNESCO-CERP, Tunis 1989, notamment, Ben Achour Sana-Lagh!llani Slim, << Droit international,
droit interne et droit musulman >> ; Bouraoui Soukeina, << Les réserves des Etats parties à la Convention de
Copenhague >> .
(20) Voir le texte du mémorandum in Le 8 mars, n° 57, mars 1992, p. 5 (en arabe).
(21 ) Ibid p. 3.
<< le principe de l'égalité de l'héritage » entre l'homme et la femme est explicitement
revendiqué. Comme nous l'avons vu, il disparaît tant de la lettre ouverte à la Chambre
des députés que du mémorandum adressé aux partis d'opposition, et du texte définitif
de la pétition qui a circulé à des milliers d'exemplaires. Bien que défendue par certains
réformi stes musulmans, et revendiquée par les juristes modernistes (22) - qu'ils se
réclament de l'islam ou du droit positif-, l'égalité en matière d'héritage a rarement
figuré dans les programmes des associations féministes dans le monde arabe. Seul
l'Irak républicain du général Kassem l'a instituée en 1959, mais elle a été abrogée dès
l'arrivée au pouvoir du colonel Aref et du parti Ba'th en 1963 (23). Comme l'égalité se
heurte à un << texte péremptoire >> (nass qat'i) du Coran, il faut beaucoup de hardiesse
pour la revendiquer ou la défendre publiquement. Généralement, seules les périodes
révolutionnaires sont propices à ce genre d'audace. Entre la déclaration du 7 mars, la
lettre ouverte au Parlement et la pétition, un pas en arrière a été fait par les féministes
de l'UAF. Pour des raisons éminemment politiques sans doute (24).

Monde arabe - La contre-offensive des islamistes


Maghreb
Machrek
N° 145 Grosso modo, les revendications des féministes marocaines ne dépassent pas
juil.-sept. 1994 le plafond des réformes instituées par Bourguiba en Tunisie, dès le 13 août 1956
(25). Et pourtant elles soulèvent immédiatement les foudres des mouvements isla-
Maroc: mistes et des Oulémas qui leur sont favorables. Les premiers à réagir ont donc été les
le Code
du statut personnel responsables du « Mouvement de la Réforme et du renouveau >> (Harakat al-islah
wa-l-tajdid) et leur journal al-Raya (26). Dans un communiqué daté du 21 avril 1992
12
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et adressé au << Peuple marocain musulman >>, Abd-al-llah Benkirane stigmatise, au
nom du Bureau exécutif du mouvement qu'il dirige, la campagne et celles qui la
mènent. Au nom du « devoir de conseil et de clarification >>, commandé par Allah,
les islamistes légalement reconnus - en tant qu'association et non en tant que parti
politique- définissent leur position en 14 points, courts et tranchants:
1) le peuple marocain est « historiquement, effectivement et constitutionnelle-
ment musulman >>, et l'islam recommande l'obéissance sans réticence à Dieu ;
2) la fonction essentielle de l'État en Islam, gouvernants et gouvernés, est l'ap-
plication des dispositions légales de la chari'a et la protection de celle-ci contre toute
violation;
3) la lutte contre les injustices et les nuisances est une obligation légale pour
les autorités compétentes ;
4) l'islam interdit qu'on trompe les gens en vue de réaliser des objectifs de
groupe ou personnels en recourant à des méthodes ambiguës ou détournées ;
5) les textes de la pétition sont d'une ambiguïté telle qu'il devient difficile de
repérer les points où elle contredit les dispositions légales de la religion, << ce qui montre
que ceux qui la propagent veulent exploiter l'ensemble des musulmans >> (sic ! ) ;
6) le fait que la pétition ne se réfère pas même une seule fois à l'islam montre
que ses auteurs ne le reconnaissent pas en tant que fondement de la législation dans
ce pays musulman ;

(22) Voir plus haut Moulay Rchid, Tahar Haddad, etc.


(23) Voir à ce sujet Li nant de Bellefonds (Y.) : << Le Code de statut personnel irakien du 30 décembre 1959 >>
in Studia islam ica, 1960, p. 79-135, et les références données par Moulay Rchid : La condition ... , p. 463 et
suivantes.
(24) << Sagement >>, commente Zakya Daoud, << les fémini stes ne touchent pas à l'héritage, toujours tabou >>, op.
cit. p. 333-334.
(25) Voir, dans ce numéro, l'article de Z. Daoud.
(26) Et non Er-Rai (Z. Daoud, op. cit. p. 338). Des coquilles et de petites erreurs rendent incompréhensibles
les références de cette page : En-Nouar (i l faut lire En-Nour) ; Sahoua (lire As-Sahwa, qui n'est pas' de Yaci-
ne mai s d'un groupe de << néo-Oulémas >>, formés dans les facultés de droit ou à Madrasat al-Hadith ai-
Hasaniyya. De même, p. 314 et suiv .. il s'agit de Latifa Djebabdi et non Djebaldi.
7) la pétition contient des revendications contraires aux dispositions inva-
riables de la chari 'a: celle par exemple d'interdire ce que Dieu a rendu licite en
matière de polygamie ; de mettre le divorce (talaq : répudiation) entre les mains du
juge, d'établir l'égalité successorale entre le frère et la sœur;
8) ceux qui appellent à ces changements n'ont pas de capacité en la matière ;
ils ne sont pas des Oulémas-juristes, mais sont au contraire connus pour leurs obé-
diences gauchistes, historiquement et intellectuellement hostiles à la religion en géné-
ral, et à l'islam en particulier ;
9) la méthode utilisée pour rassembler les signatures est malintentionnée, puis-
qu'elle vise à utiliser une pression numérique dans une affaire gouvernée par des textes
légaux (nusus shar'iyya) qu'il n'est pas permis de rejeter si nous sommes musulmans.
La campagne a aussi des objectifs électoralistes en vue d'attirer l'élément féminin ;
10) «nous appuyons la rénovation de la Mudawwana dans le cadre de la révi-
sion de toutes les lois du pays afin qu'elle soit conforme à la shari'a islamique » ;
Il) « nous appelons ces gens à revenir à leur Dieu, à retrouver le droit chemin
et à s'attacher à leur religion, afin qu'ils se libèrent des mauvaises croyances, de l'im-
Monde arabe
périalisme intellectuel et du défaitisme civilisationnel » ;
Maghreb
12) «nous appelons l'ensemble des musulmans à ne pas signer cette pétition, Machrek
ni à la faire circuler, à ne pas appuyer cette campagne ni à y participer » ; N° 145
13) « nous appelons les Oulémas, individus et institutions, à expliciter le juge- juil.-sept. 1994
ment de la loi religieuse (shar') sur cette pétition, sur ceux qui l'appuient, sans crain- Etudes
te de personne, et conformément à leur devoir de divulguer le savoir» ;
14) « nous appelons l'ensemble des associations et des organismes islamiques
à assumer leur devoir de défendre la shari'a islamique, notamment ce qui en reste
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13
dans la Mudawwana de statut personnel, loi dont la seule source est l'islam».
La réaction des Oulémas qui sympathisent avec les courants islamistes n'a pas
tardé à venir. Déjà ce même numéro d'al-Raya (du 20 avril 1992) contient unefatwa
d'un 'alim de l'establishment (27) où il est dit que les revendications féministes sont
contraires à la lettre de l'islam, et conduisent celles et ceux qui les soutiennent ou les
propagent à l'apostasie. Dans le journal as-Sahwa, le même 'alim publie une « opinion
juridique >>; après avoir rappelé les versets et les hadiths qui appuient les solutions
adoptées par la Mudawwana et montré que les réformes demandées sont contraires aux
textes invariants de l'islam, il insinue que la campagne féministe rentre dans le cadre
d'une conspiration contre l'islam (dont les racines << maçonniques >> remontent au début
du siècle avec Qassim Amin (28)), qui vise à << éliminer ce qui reste de la Loi de l'is-
lam dans les pays de l'islam, et à occidentaliser le monde tout entier » .
Mais la réponse islamiste la plus violente dans sa formulation et la plus grave
dans ses conséquences est venue d'un groupe d'Oulémas indépendants, dans un
mémorandum/lettre ouverte adressé au Premier ministre et au président de la
Chambre des députés, et publié par le journal al-Raya (29), où ils prenaient publi-
quement position au nom de leur <<devoir devant Dieu, et devant la Umma, l'Etat et
les générations musulmanes marocaines >>. Tout d'abord, ils disent leur déception
devant la gauche marocaine qui, après avoir pris un parti << juste et honorable >> lors
de la guerre du Golfe, retourne aux positions marxistes extrémistes qui ont orienté
son action depuis le début de l'indépendance. Reprenant la thèse du complot contre
les Arabes et l'islam, ils placent la campagne pour la révision de la Mudawwana dans

(27) Il s'agit de Mohammed al-Habib ai-Tujkali , professeur à la Faculté de Théologie de Tétouan el à I'Uni-
versitÇ Qarawiyyine.
(28) Egyptien, auteur du premier livre féministe dans le monde arabe, Tahrir al-Mar'a (L'émancipation de la
femme) , Le Caire, 1899.
(29) ldriss ai-Kiuani , Omar al-Jidi, Ahmed ai-Raysouni, Mohammed Ezzedine Tawfiq Abdellalif Guessous,
Saad-Eddine Kiuani, Abdelkader Hassan al-Asimi al-M'faddal Benchekroun, Mohamed al-Manouni, Moha-
med Ben Moulay Tayeb Alaoui ai-Jsmaïli, Hadj Ahmed Ma'ninou, Abdelaziz Ben Seddik, Othman Jouriou,
Benabdallah el Oukerli, Ali b. Ahmed Raysouni, Mohamed Lamine Boukhobza.
le contexte d'une croisade qui vise à frapper l'islam dans l'une de ses forteresses : « la
cellule familiale ». Il s'agit d'une << grave agression » qui s'appuie sur << un réseau
d'organisations et d'associations politiques, syndicales et juridiques et des comités
d'action dans l'ensemble des villes marocaines ».
En fait, les revendications de I'UAF procèdent, selon les signataires du mémo-
randum, d'une << imitation aveugle de la situation de la famille en Occident ». Ce qui
montre, de la part de ces femmes, une ignorance des règles élémentaires de la
recherche sociologique, puisque chaque civilisation repose sur une philosophie et des
principes cohérents et qu'on ne peut transposer tel détail d'une société à une autre.
Cette << erreur méthodologique >> de cette faction de la jeunesse féministe est le résul-
tat de son << orientation marxiste >>, << appuyée par les programmes de tous les minis-
tères de l'Éducation nationale depuis l'aube de l'indépendance >>, et qui a conduit aux
drames actuellement vécus .
S'en prenant aux revendications féministes point par point, les Oulémas isla-
mistes commencent par se référer à des articles publiés dans des journaux de gauche,
pour montrer que réclamer, de la part de la femme , la capacité civile et l'égalité avec
Monde arabe
l'homme, revient en fait à revendiquer la libre disposition d'elle-même, c'est-à-dire la
Maghreb
Machrek liberté sexuelle. Ceux qui demandent << l'équité et l'égalité entre les conjoints >> veu-
N" 145 lent en fait transformer << la société marocaine en société animale, licencieuse, athée,
juil.-sept. 1994 rejetant non seulement les textes du Coran et de la Sunna et les dispositions légales
Maroc:
de la chari'a, mais aussi toutes les valeurs morales et religieuses mondiales au nom
le Code de la civilisation, de la modernité et du progressisme >> . Ces gens veulent-ils, s'écrient
du statut personnel les Oulémas <<en créant une Mudawwana progressiste et moderne, généraliser l'insti-
14 tution du Club Méditerranée en vue de remplacer la vieille institution familiale héri-
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tée des époques de la décadence ? >>.
Puis, reprenant les arguments traditionnels relatifs à la polygamie, la répudia-
tion/divorce (en maintenant la confusion entre les deux), et la tutelle de la femme sur
ses enfants, les signataires disent que le droit de la femme au travail et aux études
doit, après le mariage, être soumis à un compromis entre les devoirs envers la vie
conjugale, les droits personnels, et les conditions de travail et d'étude. Chaque cas est
un cas particulier, et ne saurait obéir à des règles générales. La revendication relève
donc de la << simple démagogie >> .
Puis, après un petit paragraphe sur l'héritage dans l'islam et dans le << droit
occidental >>, le verdict tombe : les revendications relatives à la suppression du
tuteur matrimonial, à l'interdiction de la polygamie et à l'égalité successorale,
contredisent et rejettent les dispositions légales du Coran et de la Sunna, et de ce
fait conduisent à l'apostasie (ridda), et leurs auteurs sont passibles des peines légales
sanctionnant la ridda (soit la condamnation à mort après un sursis de trois jours
pour se repentir). Ce crime de lèse-chari'a se double d'un deuxième crime, selon les
Oulémas signataires, ce lui de détourner les musulmans de leur religion, et de défor-
mer leur foi. Ce verdict islamique ne touche pas, ajoutent-ils, la liberté d'expression
et d'opinion garantie par la Constitution , c~r il s'élève contre la tentative de faire
d'un Etat dont la religion est l'islam un << Etat laïque sans religion >>, et vise << un
groupe de gauchistes extrémistes >>, qui veulent << imposer une opinion et une doc-
trine étrangères >> à un État islamique et à trente millions de musulmans. Aussi << les
j uristes - partisans de la pensée marxiste - doivent-ils comprendre que la chari'a
is lamique est chez nous la source fondamentale de la législation marocaine ( .. .).
Toutes les lois qui ne sont pas conformes à la chari'a doivent être considérées
comme des résidus de l'occupation coloniale, en attendant qu 'elles soient chan-
gées >> . Bref, la campagne dirigée contre la Mudawwana est plus dangereuse encore
pour le peuple marocain que le <<Dahir berbère >> , lequel ne visait que la moitié de
la population , alors que les promoteurs de la pétition << visent à sortir le peuple
marocain tout entier du pouvoir de la chari'a >>.
Et les signataires de présenter au gouvernement et à la Chambre des députés
les revendications suivantes :
- arrêter cette campagne et stopper la fitna (sédition) qu'elle risque d'allumer
dans les différentes villes marocaines ;
-soumettre ceux qui en sont responsables à une instruction judiciaire afin de
connaître leurs motivations et leurs objectifs réels, et ceux qui les manipulent secrè-
tement ;
-prendre les mesures légales qui s' imposent à partir des conclusions de l'ins-
truction.

- La réserve des partis politiques


Cette guerre ouverte des islami stes contre les revendications fé ministes, et cet
appel à la répression suscitent de violentes réac tions de la part de I'U AF et de
I'OMDH (Organi sation marocaine des droits de l'Homme), mais les parti s politiques ,
aussi bien que le pouvoir, se sont abstenus d'intervenir dans le débat, tout occupés Monde arabe
qu'ils étaient à discuter les réformes constitutionnelles que le Roi voulait bien envi- Maghreb
Machrek
sager*. Certes, la base féministe de I'USFP partageait pleinement les sentiments des
N° 145
pétitionnaires, mai s la position officielle des dirigeants du parti était qu'il fallait juil.-sept. 1994
attendre les réformes, et qu'il ne fallait pas briser le front uni des réformes démocra-
tiques par des actions parallèles qui ne font pas l'unanimité. Le comité exécutif de Etudes
I'UAF avait déjà répondu à cette objection spécieuse en déclarant que, justement, il
ne pouvait y avoir de démocratie ni de réforme démocratique si l'on continue d'igno-
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rer la situatio n juridiquement inférieure de la femme (30). 15
Qu a nt au parti de l'Istiqlal , il voyait la campagne contre la Mudawwana
comme implicitement dirigée contre son chef hi storique, Allal-ai-Fassi, lequel lui
avait donné sa caution morale, politique et religieuse. Aussi a-t-il pesé de tout son
poids pour que son allié, I'USFP, ne s'associe pas à l'action des femmes. Il a plutôt
exhumé une pétition , vieille de quelques années, que les femmes istiqlaliennes
avaient conçue en vue de faire respecter les di spos itions de la chari'a qui s'opposent
au discours dominant sur l'infériorité de la femme (31 ).
C'est Latifa Smirès-Bennani, présidente de l'Organisation de la femme istiqla-
lienne (OFI) (32), qui se charge de défendre le point de vue de son parti . La révision
de la Mudawwana est une chose trop importante pour être ignorée par l'Istiqlal, mais

(30) Voir << Mémorandum aux parti s patriotiques » in Le 8 mars, no 57, mars 1992 , et la déclaration du
Conse il national de I'UAF après sa réunion du 5 juillet 1992 dans Anoua/, 13 juillet 1992. Aicha Lakhmas,
responsable de I'UAF, déclare dans une interview, qu'il est << erroné de dire que le lemps n'est pas celui de
changer la Mudmvwana, parce que celle question susci te des divergences et affaiblit le front de l'opposition.
D'abord parce que la rév ision de la Mudawwana est une vieille revendication , ensuite parce que toutes les
questions peuvent provoquer des divergences, et la mei lleure façon de les aborder, c'est d'accepter un dialogue
démocratique ... » .
(3 1) <<A u nom des principes du Coran et de la chari'a islamique, qui confirment l'égalité entre l'homme et la
femme dans les droits et les obligations», puis au nom des articles de la Constitution qui instituent celle égali -
té, <<du rôle que la femme a joué dans l'hi stoire de l'islam >>, et des efforts que les femmes marocaines ont four-
nis et fournissent pour la libération el l'unificat ion de la patrie, la pétition istiqlalienne << confirme la nécessité
pour la femme d'exercer tous ses droits et obligations légales (shar'iyya) el constitutionnelles, et d'assumer la
responsabilité de participer à la vie publique y compris les conseils lég islatifs gouvernement aux, les hauts
postes adm inistratifs et diplomatiques » et << dénoncent toute tentati ve de ségrégation ou de marg inalisation >> .
Elle confirme son << attachement au principe islamique » qui reconnaît l'indépendance financière el économique
de la femme, et condamne toute restriction ou recul concernant ce principe. Elle demande l'interdiction des pro-
grammes d'information ou de publicité qui portent attei nte à la digni té de la femme en tant qu'être humain res-
ponsable ; et elle demande, enfin au gouvernement et aux députés du Parlement << d'adopter les lois susceptibles
de lever toutes les injustices qui touchent la femme, el de pern1ettre à celle-ci d'exercer pratiquement les droits
naturels légitimes ». La pétition se termine par un verset du Coran, in al-A/am du 25 mai 1992.
(32) Elle sera élue député aux élections législatives de 1993, au même titre que Badia Skalli, de I'USFP. Ce
sont les deux premières femmes marocaines à entrer au Parlement.
* Sur le débat autour de la réforme de la Constitution, voir M. Rousset, << Maroc 1972- 1992, une Constitution
immuable ou changeante?», in Maghreb-Machrek n° 137, juil.-sepl. 1992, p. 15-24. NDLR.
il faut multiplier les contacts et les études pour élaborer des alternatives (33). Abu
Bakr al-Kadiri (34) - vétéran du parti, et compagnon d'Allal al-Fassi - , est plus
explicite : « La revendication de la révision doit viser le particulier et non le général.
Il y a dans la Mudawwana des dispositions légales qui ne souffrent aucune révision,
car elles sont issues du Coran et de la Sunna». La femme istiqlalienne doit veiller à
ne pas dépasser l'horizon tracé par l'islam, qui garantit tous les droits de la femme ;
« il y a des idéologies et des déviations concernant l'orientation de la femme » qui
sont inadmissibles, et il revient aux istiqlaliennes de les corriger (35).
Le Parti pour le progrès et le socialisme (PPS, ex-communiste) quant à lui ,
appuie les revendications féminines, mais il préfère le faire à travers sa propre orga-
nisation : l'Association démocratique des femmes marocaines. Dans une déclaration
faite à l'occasion de la journée du 8 mars, cette association dénonce le Code du sta-
tut personnel, << vieux de trente ans, franchement rétrograde, et tout à fait inadapté
aux mutations du vécu des femmes, et, qui plus est, en contradiction avec l'esprit et
les dispositions de la Constitution ( ...) » ; elle dénonce aussi << le sexisme largement
affiché dans certains milieux politiques » (36). Mais à part leur participation au
Monde arabe <<Comité national de coordination pour le changement de la Mudawwana et pour la
Maghreb défense des droits des femmes », les femmes du PPS font quand même cavalier seul,
Machrek
N° 145 et la campagne pour le million de signatures reste essentiellement le fait de l'UAF,
juil. -sept. 1994 dont les principales responsables appartiennent à l'Organisation d'Action démocra-
tique et populaire (OADP), vestige de l'opposition gauchiste du début des années 70,
Maroc:
le Code
légalisée et représentée au Parlement quelques années plus tard.
du statut personnel

16 - L'écho de la campagne
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Pendant plusieurs mois, l'UAF organise des rencontres, des meetings, des
conférences et des débats dans la plupart des villes marocaines . L'écho rencontré par
cette campagne au sein de la population dépasse largement le cercle des femmes ins-
truites. Des centaines de milliers de signatures sont recueillies. Et c'est ce qui
explique la violence des réactions islamistes, d'une part, ou celles des milieux
proches du ministère de l'Intérieur ; ainsi ce titre du journal Asrar : << Changement de
la Mudawwana ou suppression de l'islam? Les [femmes] gauchistes pour une seule
épouse et cent amantes, mille bâtards et un million de prostituées » (37).
Mais les sentiments de toutes celles qui participent à la campagne ou la sou-
tiennent est que leurs revendications n'ont rien de contraire à la religion. Fatima-
Zahra Azerouil (38) résume bien cette attitude : « Comme tout le monde, dit-elle,
moi aussi, en tant que femme musulmane, j'ai le droit d'avoir ma propre lecture des
textes. Et en lisant les textes, je n'ai jamais senti que l'islam peut être contre moi ...
Nous, en tant que chercheurs, nous avons le droit de parler au nom de l'islam » (39).
C'est aussi l'opinion de l'OMDH qui , à plusieurs reprises, soutient le projet de révi-
sion de la Mudawwana, révision qu'elle avait elle-même souhaitée depuis 1990, et
dénonce « le terrorisme intellectuel » inadmissible « de ceux qui publient des fatwas
pour accuser des citoyens d'apostasie et réclamer des sanctions contre eux ».
L'OMDH << considère que le fait de revendiquer la révision d'un droit positif n'est pas
un crime en soi, mais un droit pour tout citoyen » ; et que « le recours aux confé-

(33) Al-A/am du 25 mai 1992.


(34) Militant nationaliste de la première heure, il est le représentant de l'aile islamique orthodoxe au sein de
la direction de l'Istiqlal.
(35) Inte rvention dans la conférence organisée par l'OF! sur << la femme marocaine et la Loi >>, al-A/am du
21 juillet 1992.
(36) ln a/-Baya11e du 10 mars 1992.
(37) Asrar du 20 mai 1992.
(38) Enseignante à la faculté des Lettres d'Ain Chok (Casablanca), responsable de la collection << Femmes et
institutions>> aux éditions Le Fennec ; auteur de Femmes et Hommes: cha11gement difficile.
(39) L'Opinion, avril 1992.
renees, déclarations et pétitions pour demander le changement des lois, sont des
moyens caractéristiques de l'action de la société civile» (40).
De fait, c'est là que gît l'importance de la campagne des féministes marocaines.
Pour la première fois dans l'histoire du monde arabe, une action populaire d'envergu-
re est lancée par et pour les femmes. Et les revendications avancées, qui ne dépassent
guère ce que les femmes tunisiennes avaient déjà obtenu dès 1956 sans combat, sont
nettement en deçà des moyens d'action utilisés . Ce ne sont donc pas les réformes pro-
posées qui ont suscité la violence des réactions, mais l'esprit de révolte qui les a
accompagnées, et le débat qu'elles ont imposé à la société tout entière. Les islamistes
et les conservateurs ne s'y sont pas trompés : ils ont jugé les femmes pétitionnaires
non sur ce qu'elles disaient, mais sur ce qu'elles désiraient effectivement. Aussi est-il
toujours vain de dire les choses à moitié dans des situations où la polarisation des
attitudes et des conflits touche au paroxysme. C'est à la violence du langage - celle
du discours islamiste d'une part, et des interventions orales des féministes (41)
d'autre part - qu'on reconnaît ce qui se cache au fond des cœurs, et qui, peut-être,
explosera au grand jour. Il faut être attentif à cette violence verbale, aux anathèmes,
et aux exclusions, pour repérer les luttes sourdes qui se déroulent dans la société, - Monde arabe
Maghreb
notamment dans les États où les moyens et les occasions d'agir trouvent leur limite
Machrek
dans la répression, et que le discours officiel tente de couvrir de sa voix tonitruante. N° 145
juiL-sept. 1994

- L'intervention du Commandeur des croyants Etudes

Le roi Hassan II le sait mieux que quiconque, et son discours du 20 août 1992
17
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est, entre autres objectifs, destiné à mettre fin au débat public sur la Mudawwana :
«Sache, ma chère fille, femme marocaine, que la Mudawwana est d'abord une affai-
re qui relève de Mon ressort. C'est Moi qui porte la responsabilité de la Mudawwana
ou de son application. Réfère-toi à Moi» (42). En d'autres termes, le débat qui se
déroulait dans la société, fût-ce même sous forme d'anathèmes et de monologues,
doit cesser pour laisser place à un « dialogue » entre celui qui détient tous les pou-
voirs en tant que Commandeur des croyants, et celles qui doivent présenter leurs
doléances sous forme de supplication. En aucune manière la question de la Mudaw-
wana ne doit être mêlée aux prochaines campagnes référendaires et électorales. Le
ton est péremptoire, voire menaçant (43). Il ne faut pas mêler ce qui relève du tem-
porel et de la politique avec le domaine de la religion. Sous-entendu : la Mudawwa-
na fait partie de ce dernier. Le Maroc est, et doit rester étranger à cet « amalgame
dangereux que nous sentons proche de nous dans le monde musulman », car, « tel un
explosif ou de la poudre, il risque d'ébranler l'équilibre de la société marocaine» .
En faisant de la révision de la Mudawwana une affaire personnelle relevant de
ses seules prérogatives, le Roi a décidé d'arrêter net un débat qui devenait dangereux
pour l'État et ses assises idéologiques. Il n'intervient pas pour orienter les discussions,
les corriger ou les «pacifier», mais pour les interdire. Il sait, par la Loi qu'il a insti-
tuée, et le consensus politique qu'il a depuis longtemps imposé, que sa personne est
sacrée, et que tout ce qui relève de sa compétence ne doit plus intéresser quiconque.
L'expérience montre aussi qu'une fois que le Roi a parlé, le silence se fait dans les
rangs. Critiquer ou commenter défavorablement, c'est invariablement s'exposer au

(40) Déclaration de l'OMDH in Anoua/ du !"août 1992.


(4 1) Lors de la Conférence nationale organisée les !8 et 19 avril 1992 par I'UAF (<<La Mudawwana entre les
textes el la réalité >> ), on a pu entendre des propos d'un radicalisme sans faille concernant l'inégalité entre
l'homme et la femme , notamment : l'interdiction pour celle-ci de se marier avec un non-musulman ; l'inégali-
té successorale; le douaire (mahr) est une opération commerciale de vente el d'achat; la nafaqa (l'entretien)
de la femme par l'homme ne fait qu'entériner l'infériorité du sexe féminin, etc. Un intervenant a parlé de
Mudawwanat a/-ahwâl al shakhsiyya (la Mudawwana des affres personnels, jeu de mots intradui sible).
(42) Voir annexe n° !.
(43) lyyaki thumma iyyaki! (double mise en garde qui, en arabe, exprime la menace).
châtiment. Les partis s'interdisent de le faire pour mille et une raisons qui les regar-
dent. Les associations ont peu d'autonomie et trop peu de courage pour oser le faire ;
les intellectuels critiques n'ont ni l'âme ni l'audace des martyrs. Il ne s'est trouvé donc
aucune voix dans le pays pour dire ce que beaucoup pensent en privé, à savoir que
le souverain s'empare de ce qui ne lui appartient pas, que la législation est l'affaire du
Parlement, et qu'il a spolié les féministes des fruits d'une campagne réussie.
Mais là ne s'arrête pas l'intervention royale. Hassan II va choisir lui-même ses
interlocutrices, et noyer celles qui ont été à l'origine de la campagne dans une multi-
tude de femmes et d'associations féminines qui n'y ont participé ni de près ni de loin.
Le 29 septembre 1992, il reçoit au Palais de Skhirat une délégation des « représen-
tantes des mouvements, des organisations, et des associations de femmes du Maroc »
(44), parmi lesquelles figurent une seule représentante de l'UAF, mais sept chargées
de mission au Cabinet Royal ou auprès de différents ministères. Ayant déjà annoncé
qu' << il n'y a que le Serviteur de Dieu, Amir al-Muminine, qui soit en mesure de
résoudre [le] problème » de la Mudawwana, Hassan II définit le cadre et la procédu-
re des réformes qu'il envisage: <<Vos doléances sont là, et nous ne pouvons ni inter-
Monde arabe dire ce que Dieu a permis, ni rendre licite ce qu'il a proscrit (.. .). Je réunirai un grou-
Maghreb
Machrek
pe d'Oulémas à qui je demanderai de me préparer une réponse, et de me faire des
N° 145 suggestions sur les points contenus dans vos rapports. Certaines propositions vous
juil.-sept. 1994 seront soumises, et si les deux parties parviennent à se mettre d'accord, nous procé-
derons alors à l'amendement nécessaire des articles de la Mudawwana dans le but de
Maroc:
le Code parvenir à une situation meilleure. À défaut de cet accord, vous ne vous rencontrerez
du statut personnel plus, car je ne veux pas que l'on dise que l'homme s'est dressé contre la femme (... ).
18 Si vous ne parvenez pas à une entente, je prendrai alors les responsabilités qui m'in-
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combent en tant qu'Amir al-Muminine et que père de famille, mais avant tout en tant
qu'Amir al-Munùnine qui respecte la religion et la Sunna ».

- Les réformes consenties


Alors que depuis plus d'une décennie, les partisans de la réforme du Code du
statut personnel demandent que soient associés à toute entreprise de révision non
seulement des juristes, mais aussi des médecins, des démographes, des sociologues
et des spécialistes de la famille, sans parler des représentantes des organisations
féminines, le Roi désigne une commission de consultation faite d'Oulémas officiels,
de hauts magistrats, d'un seul juriste connu pour ses idées réformistes musulmanes
(44) Voir annexe n° 2.
(45) Le professeur A. Khamlichi, de la Faculté de Droit de Rabat, auteur de plusieurs ouvrages relatifs au
Code du statut personnel. li s'est prononcé très o!>jectivement, dans une interview à as-Sahwa (islamiste indé-
pendant), n° 13, sur le problème de la réforme. A une question relative à l'ijrihad, il répond : << La proclama-
tion par un individu de son opinion ne change rien à la vie réelle et ne touche pas les règles qui organisent la
coexistence sociale. Mais si l'objectif de l'ijrihad est de créer la règle de droit contraignante, il n'y a plus place
pour l'ijrihad indi viduel. Pour la capac ité d'ijrihad... nous trouvons des gens qui disent que cette capacité
revient aux seuls Oulémas et à personne d'autre. Là je pose les questions suivantes :
Qui sont ces Oulémas ? Et si l'on veut les nommer précisément, est-ce possible ? Je parle ici du côté pratique
et empirique, et non du côté théorique et imaginaire.
Si nous supposons, par pure hypothèse, que nous les désignons par leurs noms, cette année par exemple, et
qu'ils sont cent, mille ou deux mille, si ces Oulémas se réunissent et se mettent d'accord (unanimité ou majo-
rité) sur une disposition légale, est-ce que celle disposition devient applicable? Y aura-t-il un Dahir royal
comme pour les lois votées par le Parlement ?
Cela ne P!!Ul être. Parce que d'une part, cela n'exi ste pas dans la Constitution, et d'autre part on ne peut ima-
g iner un Etal dont les lo is émaneraient de deux institutions dont les référents et les conceptions divergent.
Aussi dirais-je que les Oulémas ou Fuqaha - pour ce qui concerne les dispositions de la Mudawwana - ont
la capacité de définir ces dispositions, de montrer leurs sources dans le Coran , la Sunna et l' ijrihad, et tout ce
qu'en disent les écoles juridiques. Mais la capacité de décision effective relative à ces dispositions, elle revient
à la nation tout entière par voie de référendum, ou par l'institution qui di spose constitutionnellement du droit
de légiférer, c'est-à-dire le Parlement. La nation dans son ensemble a la responsabilité de l'observance des lois
dictées par la religion. La mission des Oulémas est de les dire explicitement, mais il revient à la nation de les
discuter et d'en choisir ce qui lui semble conforme aux desseins de la chari'a et aux règles fondamentales de
la religion. >> (Salé, le 4 juillet 1992)
( 45), des ministres de la Justice et des Affaires islamiques, et de son propre
conseiller, Abdelhadi Boutaleb (46), qui en présidera les travaux. Ceux-ci, à la
lumière des « hautes directives de Sa Majesté », vont durer plusieurs mois, et c'est
le 1er mai 1993, à l'occasion de la Fête du travail, que Hassan II, convoquant de nou-
veau les représentantes des organisations féminines, leur remet en mains propres le
projet de révision pour avis. « Après réception des commentaires et suggestions des
organisations féminines, nous dit la version officielle (47), et après débats appro-
fondis, la Commission Royale a soumis les résultats de ses travaux à Sa Majesté le
Roi qui les a approuvés ». En réalité, les jeux étaient faits depuis le discours du
20 août 1992. Abdelhadi Boutaleb (48), en tant que porte-parole des desiderata
royaux, a été la cheville ouvrière de la réforme proposée et finalement adoptée par
Dahir, le Roi agissant comme législateur durant la vacance du Parlement, ce qui
était le cas en 1993.
Présentée comme un « nouveau jalon que Sa Majesté pose dans l'espace des
droits de l'Homme pour en élargir davantage les frontières », la révision de la
Mudawwana reste « t;v... . ' l'authenticité marocaine islamique, sunnite, et malé-
kite» (49). Elle devient en fait 1 LtilVre du seul souverain. Contrairement à certains Monde arabe
Maghreb
pays occidentaux où, cédant au « mythe de la libération à outrance », on a abouti à Machrek
« des pratiques juridiques délétères » et où « le législateur organise la perversion au N° 145
lieu de la réprimer», le Maroc, qui «a grandement fait évoluer l'ijtihad », se carac- juiL-sept 1994
térise par une conscience « au fin fond » de laquelle il y a une « empreinte spirituel-
Etudes
le multi-séculaire, que ne pourrait effacer ni le déni coupable des valeurs sacrées, ni
la déviation excessive sous le couvert d'une modernisation de façade ».
Des considérations morales et religieuses ont donc guidé l'esprit du législateur 19
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marocain, et les réformes apportées ne visent qu'à la « préservation de la religion, à
la protection de la jeunesse et l'expansion des valeurs nationales ». Que sont deve-
nues les revendications féminines dans tout cela ? Peu de chose, si l'on en juge par
les amendements apportés. Ceux-ci concernent :
1) le rôle du tuteur matrimonial (wali), lequel voit son pouvoir limité. Désor-
mais, « le mariage ne peut être conclu sans le consentement de l'épouse, son accord
et la signature par ses soins de l'extrait de l'acte de mariage par devant deux adouls
(notaires)». De même, «la femme majeure, orpheline de père, a le droit de conclure
elle-même ou de déléguer un wali de son choix». Autrement dit, la femme majeure
qui a encore son père ne peut conclure elle-même son mariage. Seul le recours à la
contrainte est abandonné ;
2) la représentation légale et la garde de l'enfant. Désormais la représentation
légale est assurée dans l'ordre suivant: a) le père; b) la mère majeure en cas de décès
du père ou perte de capacité légale de celui-ci. La ~edification apportée place la mère
en seconde position, alors qu'elle n'avait aucun droit à la tutelle légale. Quant à la
garde de l'enfant, en cas de dissolution du mariage, elle revient en priorité à la mère
puis, dans l'ordre, au père, à la grand-mère maternelle, etc. Le changement rend justi-
ce ici au père, qui figurait au sixième rang dans l'ancien texte de la Mudawwana.

(46) Voir annexe n° 3.


(47) Le Matin du Sahara du 14 novembre 1993.
(48) Abdelhadi Boutaleb, né en 1923 à Fès, a fait des études à l'Université Qarawiyyine. Entre 1944 et 1948,
il est professeur du Prince héritier, le futur roi Hassan II. Il compte parmi les fondateurs du, Parti de la démo-
cratie et de l'indépendance (PD!), et reste jusqu'en 1959 membre de son Bureau politique. A cette date, il fait
partie de la minorité de ce parti qui se joint à la gauche de l'Istiqlal pour constituer l'Union nationale des
forces populaires (l'UNFP de Mehdi Ben Barka) qu'il quittera l'année suivante. Après avoir occupé plusieurs
fois le poste de ministre, il est nommé Conseiller du roi Hassan II en 1976. Professeur de droit constitution-
nel à la Faculté de Droit de Casablanca, il devient Directeur. général de l'ISESCO en 1982, et de nouveau
Conseiller du Roi en 1991. C'est donc un grand commis de l'Etat et un fidèle du Palais qui a été choisi pour
mener à bien la révision souhaitée, d'autant que son adhésion au salafisme est sans tâche (cf. ses ouvrages :
<<Le salafisme, une vision d'avenir>>, et <<Le réveil islamique>>, en arabe).
(49) Le Matin du Sahara du 14 novembre 1993. Toutes les citations reproduites ici sont tirées du premier
article de A. Boutaleb sur << La réforme du Code du statut personnel >>.
3) le divorce, qui est, d'après le président de la Commission, << le point qui a le
plus polarisé l'intérêt de toutes les parties consultées ». Contrairement à ce que reven-
diquaient les féministes , le divorce n'est pas mis entre les mains de la Justice, mais
est simplement réglementé. Le droit de répudiation appartient toujours à l'homme,
mais est compensé par un <<don de consolation » (mut'a) que le mari << qui prend
l'initiative de répudier sa femme >> doit remettre à celle-ci. A. Boutaleb ne peut s'em-
pêcher de reconnaître qu'il <<est certain, à ce propos, que, depuis que les relations
sociales sont devenues moins empreintes de religion et de morale, le divorce a pris
l'ampleur d'un fléau national, déséquilibrant l'ordre familial et jetant la jeunesse dans
la déréliction ». Les pétitionnaires n'avaient rien dit d'autre. Pourtant, au nom de cette
même religion -auxquelles les relations sociales échappent de plus en plus-, le
législateur n'a cherché qu'à << rendre plus complexes les modalités » de la répudiation
<< en recourant à divers stratagèmes juridiques » ;
4) le régime de la polygamie, lequel n'aurait suscité << que des commentaires et
des propositions succincts de la part des groupes consultés ». Ce qui signifie que
cette pratique est en voie de disparition. Or, au lieu de renforcer cette tendance socia-
Monde arabe le et de mettre fin à l'inégalité la plus flagrante entre les deux sexes, par l'interdiction
Maghreb
pure et simple de la polygamie, le législateur marocain choisit de faire confiance au
Machrek
N' 145 qadi qui appréciera les préjudices causés à la femme en cas de nouvelle union de son
juil. -sept. 1994 mari . Comme les jurisconsultes musulmans des premiers siècles, il reconnaît à la
femme le droit d'adjoindre une clause de monogamie au moment de la conclusion de
Maroc:
le Code
l'acte de mariage. Mais dans tous les cas, c'est <<le juge [qui] refusera l'autorisation
du statut personnel de polygamie », << si une injustice est à craindre entre les épouses ». Comme la répu-
diation, la polygamie n'est pas abolie, mais assortie de quelques réserves déjà formu-
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lées par les anciens Fuqaha ;
5) enfin, une idée chère au roi Hassan II, l'institution d'un conseil de famille
<<chargé d'assister le juge dans ses attributions dans les affaires de famille », et dont
la composition et le rôle exact <<seront fixés par décret».

• Quelques conclusions
La campagne pour le changement de la Mudawwana, si elle n'a réalisé aucun
de ses objectifs majeurs, a eu le mérite de révéler les débats passionnés implicites qui
se déroulent au sein de la société. Quotidiennement, les nouveaux modes de vie, les
nouvelles pratiques sociales, l'avance inexorable des valeurs marchandes, engendrent
des conflits et des crises que la société dite traditionnelle est incapable de résoudre,
sinon de comprendre. Les nostalgiques de la tradition feignent d'ignorer que ce sont
les nécessités économiques qui dictent la plupart des comportements sociaux, et que
les individus se côtoient en vivant chacun son propre drame au sein d'une famille
censée être unie. Les Oulémas islamistes, eux, s'étonnent, dans leur réponse à la péti-
tion féministe, que celle-ci demande le droit de tutelle sur ses enfants, alors que nous
vivons dans << une époque où la plupart des pères, sans parler des mères, ont perdu
90 % de leur ancienne autorité traditionnelle sur leurs enfants, du fait de dizaines de
facteurs culturels, éducatifs et médiatiques apportés par la civilisation contemporaine,
avec lesquels ont disparu les valeurs d'obéissance et de respect dus aux parents, aux
personnes âgées et aux enseignants ». De son côté, A. Boutaleb soutient que « la
crise familiale dont les drames s'étalent dans les prétoires, n'est pas tant due à une
carence de la législation mais plutôt à une dégradation des mœurs sociales». Ainsi
les tenants du pouvoir tombent d'accord avec la contestation islamique pour affirmer
que le mal a des origines morales et éducatives, et qu'il peut être extirpé par la res-
tauration de la morale et la réorientation de l'éducation. Mais, comme on l'a déjà dit
au xrxcsiècle : Qui éduquera les éducateurs ?
La pétition et les effets divers qu'elle a provoqués ont eu aussi le mérite de
montrer que la référence à l'islam reste le plafond indépassable de l'ensemble des
acteurs sociaux et politiques. La bataille se déroule autour de l'interprétation et de
l'appropriation de la parole sacrée. Alors que, du temps de l'indépendance, quand tout
le monde était censé être musulman parce que marocain , le débat était ouvert et la
tolérance répandue, de nos jours, tous ceux qui prennent la parole ont beau commen-
cer par faire une profession de foi islamique, l'anathème, l'excommunication et l'ac-
cusation d'apostasie et de blasphème sont la règle. C'est que l'irreligion, qui n'a pas
droit de cité dans l'espace public des discours, existe bel et bien dans la société, et
ceux qui se sont donné pour mission de la combattre doivent la traquer là où elle se
manifeste, en actes, dans mille détails de la vie quotidienne, et, en cachette, dans les
discours parallèles (littérature, chansons, etc.) .
Enfin, cette défaite des femmes aura permis encore une fois de mesurer la
nature et les limites de la <<démocratie hassanienne » qui, tout en autorisant certaines
contestations, se réserve le droit de les prendre à son compte en leur donnant l'orien-
tation qu'elle a déjà choisie. Elle tolère le << chahut », tant qu'il permet aux gouvernés
de gémir, et aux gouvernants d'entendre la << voix du peuple». Quant aux questions Monde arabe
Maghreb
les plus importantes, elles sont négociées dans les coulisses. Une seule fois, en 1979,
Machrek
le statut de la femme a fait l'objet d'un petit débat au Parlement, à propos d'amende- W145
ments suggérés par des députés de la majorité royaliste. Il a vite tourné court. La juil.-sept. 1994
réforme de la Mudawwana et la campagne qui l'a précédée ont tracé les frontières de
Etudes
ce qui peut être dit et de ce qui peut être fait sous le règne du Makhzen modernisé.
Le Roi garde le dernier mot. Seule la réalité peut aujourd'hui lui porter contradic-
tion ; mais le système fonctionnera plus difficilement le jour où les << acteurs
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sociaux » (classes, groupes et organisations) parleront le langage de cette réalité.
Sans codes ni métaphores.

ANNEXES

1. Discours royal mettant fin au débat sur la Mudawwana


(20 août 1992)

<< ••• On ne peut, à l'occasion de l'anniversaire de la Révolution du Roi et du Peuple,


évoquer le peuple marocain sans rendre hommage particulièrement à la femme marocai-
ne : l'épouse, la mère, la fille. Je sais tout ce qu'elle a enduré, les responsabilités qu'elle a
assumées dans la révolution et sa contribution à son triomphe.
Je M'adresse à elle pour lui dire : J'ai entendu et écouté tes plaintes au sujet de la
Mudawwana ou de l'application de la Mudawwana. Sache, Ma chère fille, femme maro-
caine, que la Mudawwana est d'abord une affaire qui relève de Mon ressort. C'est Moi qui
porte la responsabilité de la Mudawwana ou de sa non-application. Réfère-toi à Moi.
Garde-toi de mêler, lors de la campagne référendaire et des campagnes électorales qui la
suivront, ce qui est du domaine de ta religion à ce qui relève du temporel et de la poli-
tique.
Grâce à Dieu, le Maroc est resté et restera à jamais étranger à U)l tel amalgame dan-
gereux que Nous sentons proche de nous dans le monde islamique. Evite donc d'aborder
ce sujet lors des campagnes électorales.
Que les hommes politiques et les orateurs l'évitent aussi à l'occasion de ces cam-
pagnes car, tel un explosif ou de la poudre, il risque d'ébranler l'équilibre de la société
marocaine.
Femme marocaine, adresse toi à Moi, écris au Cabinet Royal. Associations fémi-
nines, adressez vos observations, vos critiques, doléances et ce qui vous paraît nuire à la
femme et à son avenir, au Roi du Maroc, qui en tant qu'Amir Al Mouminine, a compé-
tence d'appliquer et d'interpréter le dernier verset révélé au Prophète, sur Lui la bénédic-
tion:
"Aujourd'hui, J'ai rendu votre religion parfaite. J'ai parachevé Ma grâce sur vous".
Je connais les constantes de la religion comme Je sais où peut intervenir l'effort
d'interprétation en religion (1'/jtihad). , ,
Gardez-vous donc de tout amalgame. Ecrivez-moi. Ecrivez au Cabinet Royal. Nous
sommes prêts à vous rencontrer, à nous réunir avec vous, à remettre les choses à leur
place. Effectivement, il existe des lacunes, une application imparfaite de la Mudawwana,
il y a discrimination, il y a injustice. Mais laissez-nous réparer tout cela hors de la scène
politique pour que nous ne nous retrouvions pas pris dans des courants qui ne sauraient
avoir place chez nous et ne l'auront jamais. Au demeurant nous pourrons nous atteler à
cette tâche le plus tôt possible, pas nécessairement jusqu'au terme des élections, peut-être
dès septembre dont nous séparent onze jours seulement.
Si vous M'écrivez- car il n'y a que le Serviteur de Dieu, AmirAl Mouminine, qui
soit en mesure de résoudre ce problème-, Je consulterai les Ouléma et ne croyez surtout
Monde arabe pas que les Ouléma du Maroc sont des fanatiques .
Maghreb
Dieu vous garde de tels amalgames ... >>
Machrek
N" 145
juil.-sept. 1994

Maroc: Il. Les femmes et associations féminines


le Code
du statut personnel
reçues par le roi Hassan Il (ter mai 1993)
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A - Femmes cadres, femmes universitaires et femmes membres d'associa-
tions:

-Son Altesse la Princesse Lalla Fatima Zahra Al Azizia : Présidente de l'Union


nationale des femmes marocaines,
- Lalla Zineb Alaoui : Chargée de mission au Cabinet Royal,
- Assia El Alaoui : Chargée de mission au Cabinet Royal,
- Najat Lamrabet : Chef de Cabinet de SAR la Princesse Lalla Meriam, Rabat,
- Rabia Belfkih : Chargée de mission auprès de M. le Premier ministre,
- Saâdia Belmir : Magistrat à la Cour suprême chargée d'études auprès de M . le
ministre de la Justice,
- Halima Nazih: Fonctionnaire, membre de l'Union nationale des femmes maro-
caines et de la Ligue des Femmes fonctionnaires,
- Fatima Dahbi : 2° vice-présidente de l'Union nationale des femmes marocaines,
Rabat,
- Rabiaâ Lamrini : Présidente de l'Union nationale des femmes marocaines, Rabat,
- Leila Abouzid : Écrivain, journaliste, Rabat,
-Fatima Bouaâjaja : Professeur d'Études islamiques à la Faculté des lettres de
Casablanca,
- Naïma Bouazzaoui : Professeur de médecine, Rabat,
- Fouzia Zhiri : Professeur à la Faculté de droit de Rabat,
- Fatima Hassar : Présidente de la Ligue de la Protection de l'Enfance, deuxième
vice-présidente de l'Association Bouregreg, Salé,
- Aziza Bennani : Doyenne de la Faculté des Lettres de Mohammedia,
- Aïcha Benomar (épouse Bennis) : Enseignante universitaire, Casablanca,
- Bouchra Alaoui : Magistrat, Casablanca,
- Sabah Chraibi Bennouna : Professeur à l'ISCAE, Casablanca,
- Zhor Mesfioui : Pharmacienne, présidente de l'Union nationale des femmes maro-
caines, à Khouribga,
- Rabiaâ Mejjat : Enseignante, présidente de l'Union nationale des femmes maro-
caines, à Al-Hoceima,
- Fatima Laïli : Membre du Conseil consultatif spécial pour le Sahara, Laâyoune,
- Guejmoula Bent Abbi : Fonctionnaire, Laâyoune,
-Fatima Abou lhsane : Directrice de Lycée et présidente de l'Union nationale des
femmes marocaines à Agadir,
-Fatima Daânoune : Enseignante et secrétaire générale de l'Union nationale des
femmes marocaines,
- Rahma Loudiyi: Membre de l'Union nationale des femmes marocaines à Tanger,
- Rahma Zegouri : Médecin à Ouarzazate.

B - Femmes membres des partis politiques*

- Habiba Benkhouyi : Membre de l'UC, professeur à Marrakech,


- Zahia Dadi Skalli : Fonctionnaire, membre du RNI, Rabat,
- Latifa Smires Bennani : Professeur universitaire à Fès, membre du Bureau exé-
cutif du Parti de l'Istiqlal,
- Aïcha Belarbi : Membre du Secrétariat national des femmes unionistes (USFP),
Rabat,
-Fatima Ettag : Membre de la Commission de la Femme du MP, Rabat,
- Milouda Hazib : Directrice d'agence de voyage, membre du bureau politique du
PND, Marrakech,
- Fouzia Rebaâ : Administrateur-économe au CHU de Casablanca et membre du Monde arabe
secteur féminin du MNP, Maghreb
- Amina Lamrini : Enseignante, membre du Comité central du PPS, Machrek
N" 145
- Latifa Benkirane : Membre de la Commission administrative nationale de l'UMT
juil. -sept. 1994
et membre de l'UNFP à Tanger.
Etudes

Ill. La Commission royale 23


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pour l'étude de la Réforme de la Mudawwana
- Mohamed Lazrak : Professeur de hadith à la mosquée Sounna de Rabat,
- Mohamed Hakam : Professeur de fiqh à la mosquée Sounna de Rabat,
- Taher Baaj : Professeur de fiqh à la grande mosquée de Meknès,
- Abdelali Abboudi : Membre du Conseil provincial des oulémas de Tanger et pré-
sident de chambre près de la Cour suprême,
- Abdelkarim Daoudi : Professeur aux facultés de chari'a et des lettres de Fès et à
l'Institut supérieur d'études judiciaires de Rabat,
- Mohamed Mikou : Secrétaire général du Conseil consultatif des droits de l'Hom-
me,
- Chbihanna Hamdati : Chargée de mission au Cabinet Royal,
- Azeddine Sekkat : Président de chambre près la Cour suprême, détaché au cabi-
net du ministre de la Justice,
- Mohamed Bousoughi : Conseiller président de chambre près la Cour d'appel,
- Mohamed Braoui : Membre du Conseil des oulémas de Marrakech,
- Mohamed Benmaajouz M'Zghrani : Professeur à la faculté de droit de Fès,
- Hassan Sayeb : Alem, chercheur,
-Dr Ahmed Khamlichi , Professeur à la faculté de droit de Rabat,
-Dr Abdelwahab Tazi Saoud: Président de l'Université Qarawiyyine,
-Dr Moulay Driss Alaoui Abdellaoui : Membre de l'Académie du Royaume du
Maroc,
- Mohamed Othmani: Membre du Conseil des oulémas d'Agadir,
- Ahmed Afzaz : Président du Conseil provincial des oulémas d'Oujda et secrétai-
re général du ministère des Habous et des Affaires islamiques.
La commission comprend également MM :
- Ahmed Bensouda et Abdelhadi Boutaleb : Conseillers de SM le Roi,
-Moulay Mustapha Belarbi Alaoui : Ministre de la Justice,
- Abdelkébir Alaoui M'Daghri : Ministre des Habous et des Affaires islamiques.

* Remarquer l'absence de Nezha Alaoui, reçue en septembre 1992, mais non le 1" mai 1993. Elle était la seule
représentante de l'UAF (en tant que membre de l'OADP).
IV. Le texte de la Mudawwana révisé (extraits*)

Formalités du mariage : le tuteur matrimonial (art. 5)


... L'ancien article 5 du code de Statut Personnel stipulait :
<<1° La validité de l'acte de mariage est subordonnée à la présence simultanée de
deux adouls (notaires) pouvant attester de l'échange des consentements entre le futur
époux, ou son représentant, et le wali dûment mandaté par la future .
2° La fixation d'un sadaq (dot) donné par le mari à l'épouse est obligatoire. Tout
accord imeliquant la suppression de ce sadaq est interdit.
3) A titre exceptionnel, le juge peut connaître de toute contestation entre époux
découlant d'un mariage célébré en dehors des formes prévues par l'alinéa 1° ci-dessus, et
admettre à cet effet tous moyens de preuve ; >>

Révisé, cet article 5 est ainsi libellé :


« 1° Le mariage ne peut être conclu qu'avec le consentement et l'accord de l'épou-
se, ainsi que par l'apposition de la signature de cette dernière sur l'extrait de l'acte de
Monde arabe mariage dressé par deux adouls, en aucun cas, le wali ne dispose de pouvoir de contrain-
Maghreb te, sous réserve des dispositions des articles 12 et 13 ci-dessous.
Machrek
W145
2° La validité de l'acte de mariage est subordonnée à la présence simultanée de
juil. -sept. 1994 deux adouls (notaires) pouvant attester de l'échange des consentements entre le futur
époux, ou son représentant, et le wali.
Maroc: 3° La fixation d'un sadaq (dot) donné par l'époux à l'épouse est obligatoire. Tout
le Code accord imeliquant la suppression de ce sadaq est interdit.
du statut personnel 4° A titre exceptionnel, le Cadi peut connaître de toute action en reconnaissance de
24 mariage et admettre à cet effet tous moyens de preuve légaux. >>...
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Le contrat de mariage (art. 41 )
.. . Par ailleurs, il est à noter qu'une modification d'importance a été apportée à l'ar-
ticle 41 qui était ainsi libellé :
« Art. 41 : L'acte de mariage doit être dressé par deux adouls (notaires) sur pro-
duction des motifs suivants :
1° Un certificat délivré par l'autorité administrative au nom de chacun des futurs
époux et mentionnant leur âge, leur résidence et le nom du wali ;
2° Une pièce établissant l'état-civil du mari ;
3° Une pièce établissant, le cas échéant, que la future n'est plus engagée par les
liens d'un précédent mariage, permettant de s'assurer qu'elle a accompli I'idda (retraite de
continence) et qu'il n'y a aucun empêchement au mariage projeté >>.

Après révision, l'article 41 stipule désormais ce qui suit:


« Art. 41 : Les deux adouls ne peuvent dresser l'acte de mariage que sur production
des pièces sui vantes :
1° Un extrait d'acte de naissance de chacun des deux fiancés s'ils sont inscrits sur
les registres d'état-civil ;
2° Un certificat administratif pour chacun des deux fiancés mentionnant les noms
et prénoms des futurs époux , leur situation familiale, leur date et lieu de naissance, domi-
cile ou résidence ainsi que les noms et prénoms et noms patronymiques de leurs parents ;
3° Une copie de l'autorisation donnée par le Cadi lorsque l'intéressé n'a pas atteint
l'âge matrimonial ;
4° Un extrait de l'autorisation donnée par le Cadi pour le mariage du dément ou du
simple d'esprit;
5° Une copie de l'autorisation donnée par le Cadi à l'époux qui désire prendre plu-
sieurs femmes ;

* Commentaire des nouvelles dispositions par Je Professeur Abdelhadi Boutaleb, in Le Matin du Sahara et du
Ma ghreb, novembre 1993.
6° Les pièces justifiant la dissolution du mariage et permettant de s'assurer de l'ac-
complissement de la retraite de continence (idda) : l'acte de divorce, l'acte de dissolution
du mariage par consentement mutuel (khol'), l'acte de divorce judiciaire ou le certificat de
décès du conjoint ;
7° Un certificat médical de chacun des futurs époux établissant qu'ils sont
indemnes de toute maladie contagieuse» ...

La réforme de la polygamie (article 30 révisé)


( ...)
2) << La femme a le droit, (au moment de la conclusion de l'acte), de poser comme
condition à son futur mari de ne pas lui adjoindre de coépouse et à lui reconnaître le droit
de dissoudre le mariage au cas où il faillirait à cet engagement>>. ( ... )
3) << Si la femme ne s'est pas réservé le droit d'option et que son mari contracte un
nouveau mariage, elle peut saisir le Cadi pour apprécier le préjudice qui lui est causé par
la nouvelle union >>. ( ... )
4) <<Dans tous les cas, si une injustice est à craindre envers les épouses, le juge
refusera l'autorisation de polygamie>>. ( ... ) Monde arabe
Maghreb
Machrek
Répudiation - Divorce W145
juil.-sept. 1994
Primo : au niveau du code du statut personnel, l'article 48 a été ainsi complété :
-Art. 48: Etudes
1°) (la demande) du divorce doit être reçue par deux adouls en fonction dans le res-
sort territorial de la compétence du Cadi où se trouve le domicile conjugal ;
2°) le divorce ne sera enregistré qu'en la présence simultanée des deux parties, et
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après autorisation donnée par le Cadi.
Si l'épouse reçoit la convocation du Cadi et qu'elle ne se présente pas, il est passé
outre à sa présence au cas où le mari maintient sa décision de la répudier.
Par ailleurs, deux nouveaux articles ont été ajoutés :
-L'article 52 bis qui stipule: <<Tout époux qui prend l'initiative de répudier sa
femme doit lui remettre un don de consolation (mut'a) qui sera fixé compte tenu de i'état
de ses moyens et de la situation de la femme répudiée>>.
<< S'il est établi que la répudiation n'est pas basée sur des motifs valables, le Cadi
doit tenir compte de tout préjudice que la femme a subi au moment de l'évaluation du don
de consolation. >>.
-L'article 156 bis selon lequel <<est institué un conseil de famille chargé d'assis-
ter le Cadi dans ses attributions dans les affaires de famille >>.
Secundo : au niveau du code de Procédure civile, l'article 179 notamment a été
modifié et complété comme suit :
<< Sont applicables en matière de statut personnel les dispositions du titre III et les
chapitres premier et II du titre IV, en ce qu'elles ne sont pas contraires aux dispositions du
présent chapitre.

La représentation légale et la garde de l'enfant


Les articles 147 et 148 du code du statut personnel avaient ainsi défini la représen-
tation légale des enfants et désigné ceux qui sont habilités à l'exercer :
<<Art. 147: La représentation légale de l'incapable est assumée par la tutelle léga-
le, la tutelle testamentaire ou la tutelle dative.
<<Art. 148: La personne qui exerce la tutelle légale est, en droit, le père du mineur
ou le juge. Elle est désignée sous le nom de "tuteur légal".
Nommée par le père ou un tuteur testamentaire, elle est appelée "tuteur testamen-
taire".
Désignée par le juge, elle se nomme "tuteur datif'.

Ces deux articles ont été reformulés en un seul ainsi libellé :


«Art. 148: La représentation légale est assurée dans l'ordre suivant par:
1) Le père ;
2) La mère majeure, en cas de décès du père ou de perte de capacité légale de
celui-ci. Toutefois, la mère ne peut aliéner les biens du mineur qu'après autorisation du
Cadi;
3) Le tuteur testamentaire ou la personne qu'il délègue ;
4) Le Cadi ;
5) Le tuteur datif.
Sont considérés comme walis le père, la mère et le Cadi.
Sont considérés comme tuteurs testamentaires, le tuteur désigné par le père ainsi
que le délégué de ce tuteur.
Est considérée comme tuteur datif, la personne désignée par le Cadi.

L'article 99 dispose que "la garde de l'enfant fait partie des obligations mises à la
charge du père et de la mère, tant qu'ils demeurent unis par les liens du mariage. En cas
de dissolution du mariage, la garde de l'enfant est confiée en priorité à la mère, puis dans
l'ordre, au père, à la grand-mère maternelle, etc. (le reste sans changement).

L'article 102 stipule que "la garde dure pour le garçon jusqu'à l'âge de 12 ans et
Monde arabe pour la fille jusqu'à l'âge de 15 ans. Au-delà, l'enfant peut choisir de résider chez la per-
Maghreb sonne de son choix qui peut être son père, sa mère ou tout autre parent mentionné à l'ar-
Machrek ticle 99 ci-dessus".
W145
juil.-sept. 1994

Maroc :
le Code
du statut personnel

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