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Monde arabe
Maghreb
Machrek
N° 145
juil.-sept. 1994
Etudes
Dans une << Lettre ouverte aux docteurs de la Loi >>, publiée le 18 mars 1957
par l'hebdomadaire Démocratie (1 ), un groupe de femmes marocaines posait les
questions suivantes :
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(1) Démocratie était l'organe du PDI (Parti de la Démocratie et de l'Indépendance, Hizb al-shûra wa-1-isriq-
/al) , en langue française.
périmée de la famille et une source de maux sociaux. Nous réclamons aussi J'égalité
de J'homme et de la femme devant l'héritage >> (2).
Ces revendications étaient alors Je fait de quelques femmes instruites, elles-
mêmes « évoluées >>, et représentant l'avant-garde féminine du mouvement nationa-
liste marocain. Elles n'avaient pas trouvé leur Bourguiba pour accélérer le mouve-
ment d'émancipation de la femme et introduire, par le truchement du droit, de nou-
velles mœurs et de nouvelles pratiques sociales. À l'époque, c'était la famille royale
qui donnait l'exemple. Dès 1947, la fille aînée de Mohammed V, Lalla Aicha, s'était
montrée dévoilée en public, lors de l'inauguration d'une école de filles à Tanger. Au
lendemain de l'indépendance, les journaux, les magazines et surtout les actualités
cinématographiques (dont le public était extrêmement friand) montraient régulière-
ment Je roi Mohammed V entouré de ses enfants (deux fils et quatre filles), habillés
« à J'européenne >>, participant aux différentes manifestations patriotiques. La dispo-
sition générale de la société était favorable au changement, et Je discours nationalis-
te-salafiste, avec ses deux composantes istiqlalienne et « shuriste >>, encourageait la
participation des femmes à l'édification d'un nouveau Maroc indépendant, et appelait
Monde arabe à la réforme de leur statut (3).
Maghreb
Machrek
Changer la condition de la femme n'était pas une revendication propre aux
W145 « évolués >> qui avaient eu accès à la culture et au mode de vie européens : elle fai-
juil.-sept. 1994 sait partie du programme du réformisme musulman , depuis la fin du XIXe siècle.
Lors de son exil cairote, Allal al-Fassi publie, en 1952, un livre intitulé Al-Naqd al-
Maroc :
le Code
Dhati (« L'Autocritique >>), où il consacre plusieurs pages aux problèmes de la famil-
du statut personnel le marocaine, et insiste sur la nécessité de la réformer. Fidèle à la tradition de Moha-
med Abduh, il n'atteint cependant pas le radicalisme du Tunisien zaytounien Tahar
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(2) Démocratie du 4 février 1957 ; cité par Maurice Boonnans, Statut personnel et famille au Maghreb de
1940 à nos jours, Pari s-La Haye, Mouton, 1977.
(3 ) Po ur les débats et les positions des différents acteurs, voir Boormans, op. cil., p. 188-192.
(4) Tahar al-Haddad (1900-1 935) est une des fi gures marquantes de l'avant-garde réformiste tuni sienne. Après
des études à la Zitouna, il s'engage dans l'action syndicale auprès de Mohamed Ali au sein de la CGTT, pre-
mier syndicat ouvrier autonome tunisien (1924- 1925). Il relate cette expérience dans son livre Al-Ummal al-
tunisiyyun (Les travailleurs tuni siens), 1927 . En 1930, il publie son ouvrage le plus connu et le plus contro-
versé, lmra 'atuna fi-1- shari'a wa-1-mutjtama ' (<< Notre femme dans la Loi et dans la société »), qui <<apparaît,
avec le recul du temps, préfig urer les lignes essentielles des réformes modernes, puisque la plupart de ses
thèses ont été adoptées par la Tunisie indépendante >>, cf. Boormans, in Documents sur la f amille au Ma gh-
reb, Rome, !PO, 1979, p. 25 et sqq, et du même auteur, Statut personnel.. . op. cil. , p. 123-148.
(5) Article repris dans Al-iqna' bi-1-difâ' (<<convaincre en défendant >>), de Abd-ai-Wahid b.Aii b.Abdallah . Le
'alim en q uestion s'appelle Mohamed Bouziane al-Touzani .
* Docteur de la lo i, pluriel « 'u/ama ' "• habituellement transcrit en Oulémas.
sera-t-elle mineure dans l'indépendance?>>, demandaient-elles aux hommes avec
insistance, et d'exiger que soit réalisée l'égalité dans « les droits politiques et
civiques », sans autre restriction que celle qu'impose la capacité civile.
(6) Pour les noms et fonctions des membres de la Commission, et ses ·travaux, voir Hammad Laraki : Sharh
Qantîn az-zawaj (commentaire du Code du mariage), Casablanca, Imprimerie royale (s.d.), p. 12.
(7) Le projet ayant opté pour la solution d'Abou Hanifa concernant J'inutilité du tuteur matrimonial (wali) pour
la fille majeure, Allal ai-Fassi s'y oppose en faisant valoir les traditions de la soc iété marocaine, laquelle serait
<< choquée >> par une telle disposition. On imposa donc Je wali comme condition de la validité du mariage.
prétation du Qadi Uuge) ; la fixation d'un âge minimum au mariage ; l'abolition de
l"Uif (droit coutumier, qui, entre autres, déshéritait les filles dans certaines régions
berbères) ; la suppression du Djabr (droit du père ou du tuteur de contraindre sa fille
ou sa pupille au mariage sans tenir compte de sa volonté) ; droit de la femme à une
mut'a (don de consolation) en cas de répudiation abusive. C'était peu de choses par
rapport aux tâches à réaliser et aux espérances soulevées par l'Indépendance (8) .
(8) Pour un bilan de la Mudawwana, cf. Ahmad Khamlichi et A. Moulay Rchid, Mudawwanat a/-ahwal a/-
shakhsiyya ba 'd khamsa 'ashara sana min suduriha (La Mudawwana, quinze ans (sic ! lire 25 ans) après sa
parution). Revue juridique, économique et politique du Maroc, n° 10, 1981, p. 30 à 62.
(9) Y figurent deux professeurs de l'université Qarawiyyine ; le doyen de la Faculté de Droit de Rabat ; deux
Oulémas ; une dizaine de hauts fonctionnaires et dix-neuf hauts magistrats du ministère de la Justice.
( 10) « Le projet de Code de statut personnel >>, polycopié de la Faculté de Droit de Rabat, p. 7.
(Il) Soutenue en 1981 et publiée en 1985 par les Editions de la Faculté des Sciences juridiques, économiques
et sociales de Rabat.
Pour Moulay Rchid, le problème le plus grave qui agite la société marocaine
et empêche le dialogue en son sein est celui du << dualisme culturel » : «C ultures
rivales, la culture nationale [arabo-islamique] et la culture occidentale véhiculent des
idées, des valeurs, et une certaine image de la femme ( ... ). Ces représentations sont
un véritable tissu de contradictions ... >> (p. 35). Cette structure schizophrénique se
retrouve à tous les échelons de la vie sociale, depuis le sommet de l'État jusqu'aux
comportements quotidiens les plus banals, en passant par l'action gouvernementale,
la politique des partis, les résolutions de la Ligue des Oulémas, la radio et la télévi-
sion, la presse, la création artistique et littéraire, et surtout dans la formation des
juges chargés d'appliquer la loi . Tant que la dualité culturelle reste un des fonde-
ments de l'édifice social, conclut l'auteur, il ne faut pas s'attendre à des perspectives
encourageantes.
Parlant de l'intérieur de l'i slam, Moulay Rchid se réclame d'une « méthode
d'interprétation progressive et courageuse>>, celle-là même que le Coran a adoptée.
Aussi s'autorise-t-il , dans la deuxième partie de sa thèse ( « Éléments en vue d'une
réforme du statut >> p. 248-538), à proposer les mesures susceptibles de mener à
« l'égalité foncière entre l'homme et la femme >> et à « la suppression de toute diffé- Monde arabe
Maghreb
renciation fondée sur la prétendue supériorité de l'un sur l'autre sexe>>.
Machrek
Salué comme « un plaidoyer courageux en faveur de l'égalité des sexes au N° 145
Maroc >> ( 12), l'ouvrage de Moulay Rchid prône les réformes suivantes : juil. -sept. 1994
1. La suppression du tuteur matrimonial (wali) pour la fille majeure lors de la
Etudes
conclusion du contrat de mariage .
2. L'abolition de la prééminence maritale au sein du couple, et ce en vue de
promouvoir une relation conjugale égalitaire.
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( 15) Publications de la Faculté des sciences juridiques, économiques et sociales de Marrakech (en arabe),
1993.
bloc dans les années 60 et 70, les « idées gauchistes » sur la famille et l'émancipation
des femmes professées par les mouvements « marxistes-léninistes » comme faisant
partie de la doctrine « communiste-athée », étrangère à la société musulmane, et
ennemie de la religion en général ; désormais, il leur faudra compter avec ceux qui
leur contestent le monopole de l'interprétation et les obligent à leur répondre.
( 16) L'Union de l'Action féminine a été créée en 1987, en unifiant les comités de soutien de la revue Le 8 mars
(première revue féministe en arabe, fondée en novembre 1983) et les cellules féminines de l'Organisation de
l'Action démocratique et populaire (OADP), parti né d'une scission de I'USFP et dont les membres se sont
alliés à des courants gauchistes marxistes léninistes. L'UAF, dont l'animatrice principale est Latifa Djebabdi,
enseignante de philosophie ayant travaillé à l'Institut d'arabisation, regroupe des intellectuelles, cadres et ensei-
gnantes, âgées en majorité de 30 à 40 ans, arabisantes, et militantes résolues. Sur cette association féministe
en particulier, et .les mouvements féministes marocains en général, cf. Zakya Daoud, Féminisme et politique
au Maghreb, Paris, Maisonneuve et Larose, 1994, p. 3 13-345.
( 17) Texte in Le 8 mars, n° 57, mars 1992.
premier projet élaboré par le ministère de la Justice ( 18). Ce qui est demandé, « c'est
de suivre les desseins de la chari'a (maqâsid al-shari'a) que sont l'équité, la justice,
l'égalité, le respect de la dignité humaine, et la garantie des conditions de progrès et
de vie honorable pour la société musulmane ».
3. La signature par le Maroc de la Convention de Copenhague (pour l'élimina-
tion de toutes les discriminations à l'égard des femmes) et des résolutions de la
Conférence de Nairobi « exige la révision de toutes les lois qui représentent un pré-
judice pour la femme, et à leur tête la Mudawwana du statut personnel >>.
4. La Mudawwana est en contradiction flagrante avec la Constitution, qui est
la loi suprême du pays, et qui proclame l'égalité entre les deux sexes, le droit de la
femme d'être électrice et éligible, et garantit le droit au travail pour tous les citoyens
sans discrimination de sexe, alors que la Mudawwana est fondée sur l'inégalité des
droits et des obligations, la dépendance de la femme vis-à-vis de l'homme, lequel
peut lui confisquer son droit au travail, et son droit de se marier par elle-même après
avoir atteint l'âge de la majorité.
5. La Mudawwana, rédigée depuis plus de trente ans, est dépassée dans la réa-
Monde arabe lité quotidienne. Elle est en contradiction avec les progrès réalisés dans la structure
Maghreb
familiale et les relations sociales en général. L'accession des femmes à l'enseigne-
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N• 145 ment (notamment supérieur) et aux plus hauts postes dans l'administration et l'écono-
juil.-sept. 1994 mie, le fait pour elles de contribuer aux dépenses de 35 % des familles, et d'être le
véritable chef de 17 % d'entre elles, sont en criante contradiction avec les textes de
Maroc :
le Code
la Mudawwana qui les maintiennent dans un état de minorité à vie, les place en état
du statut personnel d'infériorité, leur impose une tutelle et les prive d'un droit de regard sur leurs enfants.
6. La Mudawwana est devenue non seulement incapable de résoudre les pro-
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( 18) Voir plus haut. Dans ce di scours, le prince hériti er déplorait que << certains jeunes Marocains possèdent une
licence en droit et ne connai ssent rie n sur les lois de l'islam >> . Il en fai sait porter la responsabilité, partiellement
au moin s aux fuqaha . qui pré tende nt que << le ftqh se transmet, mais ne donne pas matière à rai sonnement, alors
qu'en vérité, le ftqh est raisonneme nt , puisqu'il permet la cohabitation entre les individus. Nous ne vivons pas
da ns une société musulmane pure, mais dans une socié té où il y a des juifs, des chrétiens et des musulmans.
Aussi de vons-nous connaître notre chari'a, la comprendre, la transmettre, afin qu'elle ne nous apparaisse point
comme une législation arrié rée par rapport au droit étranger que nous é tudions. Dieu a achevé la religion , mais
la législatio n est possible dans tous les te mps» (in H. Laraki , Slwrh Qami11 az-zawaj. op. cit. , p. 12.
-Interdire la polygamie.
-Donner à la femme un droit de tutelle sur les enfants au même titre que
l'homme.
-Considérer le travail et les études comme un droit inaliénable que l'homme
ne peut retirer à sa femme.
( 19) À la différence de l'Algérie et de la Tunisie, la Constitution marocaine ne mentionne pas que les traités
internationaux ont une autorité supérieure à celle des lois internes. Voir à ce sujet : A. Moulay Rchid : La
f emme et la Lai au Maroc, Casablanca, Le Fennec, 1991 , p. 21 à 39 ; voir auss i : La non discrimination à
l'égard des f einmes entre la Convention de Copenhague et le discours identitaire, Colloque, Tunis, 13-16jan-
vier 1988. UNESCO-CERP, Tunis 1989, notamment, Ben Achour Sana-Lagh!llani Slim, << Droit international,
droit interne et droit musulman >> ; Bouraoui Soukeina, << Les réserves des Etats parties à la Convention de
Copenhague >> .
(20) Voir le texte du mémorandum in Le 8 mars, n° 57, mars 1992, p. 5 (en arabe).
(21 ) Ibid p. 3.
<< le principe de l'égalité de l'héritage » entre l'homme et la femme est explicitement
revendiqué. Comme nous l'avons vu, il disparaît tant de la lettre ouverte à la Chambre
des députés que du mémorandum adressé aux partis d'opposition, et du texte définitif
de la pétition qui a circulé à des milliers d'exemplaires. Bien que défendue par certains
réformi stes musulmans, et revendiquée par les juristes modernistes (22) - qu'ils se
réclament de l'islam ou du droit positif-, l'égalité en matière d'héritage a rarement
figuré dans les programmes des associations féministes dans le monde arabe. Seul
l'Irak républicain du général Kassem l'a instituée en 1959, mais elle a été abrogée dès
l'arrivée au pouvoir du colonel Aref et du parti Ba'th en 1963 (23). Comme l'égalité se
heurte à un << texte péremptoire >> (nass qat'i) du Coran, il faut beaucoup de hardiesse
pour la revendiquer ou la défendre publiquement. Généralement, seules les périodes
révolutionnaires sont propices à ce genre d'audace. Entre la déclaration du 7 mars, la
lettre ouverte au Parlement et la pétition, un pas en arrière a été fait par les féministes
de l'UAF. Pour des raisons éminemment politiques sans doute (24).
(27) Il s'agit de Mohammed al-Habib ai-Tujkali , professeur à la Faculté de Théologie de Tétouan el à I'Uni-
versitÇ Qarawiyyine.
(28) Egyptien, auteur du premier livre féministe dans le monde arabe, Tahrir al-Mar'a (L'émancipation de la
femme) , Le Caire, 1899.
(29) ldriss ai-Kiuani , Omar al-Jidi, Ahmed ai-Raysouni, Mohammed Ezzedine Tawfiq Abdellalif Guessous,
Saad-Eddine Kiuani, Abdelkader Hassan al-Asimi al-M'faddal Benchekroun, Mohamed al-Manouni, Moha-
med Ben Moulay Tayeb Alaoui ai-Jsmaïli, Hadj Ahmed Ma'ninou, Abdelaziz Ben Seddik, Othman Jouriou,
Benabdallah el Oukerli, Ali b. Ahmed Raysouni, Mohamed Lamine Boukhobza.
le contexte d'une croisade qui vise à frapper l'islam dans l'une de ses forteresses : « la
cellule familiale ». Il s'agit d'une << grave agression » qui s'appuie sur << un réseau
d'organisations et d'associations politiques, syndicales et juridiques et des comités
d'action dans l'ensemble des villes marocaines ».
En fait, les revendications de I'UAF procèdent, selon les signataires du mémo-
randum, d'une << imitation aveugle de la situation de la famille en Occident ». Ce qui
montre, de la part de ces femmes, une ignorance des règles élémentaires de la
recherche sociologique, puisque chaque civilisation repose sur une philosophie et des
principes cohérents et qu'on ne peut transposer tel détail d'une société à une autre.
Cette << erreur méthodologique >> de cette faction de la jeunesse féministe est le résul-
tat de son << orientation marxiste >>, << appuyée par les programmes de tous les minis-
tères de l'Éducation nationale depuis l'aube de l'indépendance >>, et qui a conduit aux
drames actuellement vécus .
S'en prenant aux revendications féministes point par point, les Oulémas isla-
mistes commencent par se référer à des articles publiés dans des journaux de gauche,
pour montrer que réclamer, de la part de la femme , la capacité civile et l'égalité avec
Monde arabe
l'homme, revient en fait à revendiquer la libre disposition d'elle-même, c'est-à-dire la
Maghreb
Machrek liberté sexuelle. Ceux qui demandent << l'équité et l'égalité entre les conjoints >> veu-
N" 145 lent en fait transformer << la société marocaine en société animale, licencieuse, athée,
juil.-sept. 1994 rejetant non seulement les textes du Coran et de la Sunna et les dispositions légales
Maroc:
de la chari'a, mais aussi toutes les valeurs morales et religieuses mondiales au nom
le Code de la civilisation, de la modernité et du progressisme >> . Ces gens veulent-ils, s'écrient
du statut personnel les Oulémas <<en créant une Mudawwana progressiste et moderne, généraliser l'insti-
14 tution du Club Méditerranée en vue de remplacer la vieille institution familiale héri-
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(30) Voir << Mémorandum aux parti s patriotiques » in Le 8 mars, no 57, mars 1992 , et la déclaration du
Conse il national de I'UAF après sa réunion du 5 juillet 1992 dans Anoua/, 13 juillet 1992. Aicha Lakhmas,
responsable de I'UAF, déclare dans une interview, qu'il est << erroné de dire que le lemps n'est pas celui de
changer la Mudmvwana, parce que celle question susci te des divergences et affaiblit le front de l'opposition.
D'abord parce que la rév ision de la Mudawwana est une vieille revendication , ensuite parce que toutes les
questions peuvent provoquer des divergences, et la mei lleure façon de les aborder, c'est d'accepter un dialogue
démocratique ... » .
(3 1) <<A u nom des principes du Coran et de la chari'a islamique, qui confirment l'égalité entre l'homme et la
femme dans les droits et les obligations», puis au nom des articles de la Constitution qui instituent celle égali -
té, <<du rôle que la femme a joué dans l'hi stoire de l'islam >>, et des efforts que les femmes marocaines ont four-
nis et fournissent pour la libération el l'unificat ion de la patrie, la pétition istiqlalienne << confirme la nécessité
pour la femme d'exercer tous ses droits et obligations légales (shar'iyya) el constitutionnelles, et d'assumer la
responsabilité de participer à la vie publique y compris les conseils lég islatifs gouvernement aux, les hauts
postes adm inistratifs et diplomatiques » et << dénoncent toute tentati ve de ségrégation ou de marg inalisation >> .
Elle confirme son << attachement au principe islamique » qui reconnaît l'indépendance financière el économique
de la femme, et condamne toute restriction ou recul concernant ce principe. Elle demande l'interdiction des pro-
grammes d'information ou de publicité qui portent attei nte à la digni té de la femme en tant qu'être humain res-
ponsable ; et elle demande, enfin au gouvernement et aux députés du Parlement << d'adopter les lois susceptibles
de lever toutes les injustices qui touchent la femme, el de pern1ettre à celle-ci d'exercer pratiquement les droits
naturels légitimes ». La pétition se termine par un verset du Coran, in al-A/am du 25 mai 1992.
(32) Elle sera élue député aux élections législatives de 1993, au même titre que Badia Skalli, de I'USFP. Ce
sont les deux premières femmes marocaines à entrer au Parlement.
* Sur le débat autour de la réforme de la Constitution, voir M. Rousset, << Maroc 1972- 1992, une Constitution
immuable ou changeante?», in Maghreb-Machrek n° 137, juil.-sepl. 1992, p. 15-24. NDLR.
il faut multiplier les contacts et les études pour élaborer des alternatives (33). Abu
Bakr al-Kadiri (34) - vétéran du parti, et compagnon d'Allal al-Fassi - , est plus
explicite : « La revendication de la révision doit viser le particulier et non le général.
Il y a dans la Mudawwana des dispositions légales qui ne souffrent aucune révision,
car elles sont issues du Coran et de la Sunna». La femme istiqlalienne doit veiller à
ne pas dépasser l'horizon tracé par l'islam, qui garantit tous les droits de la femme ;
« il y a des idéologies et des déviations concernant l'orientation de la femme » qui
sont inadmissibles, et il revient aux istiqlaliennes de les corriger (35).
Le Parti pour le progrès et le socialisme (PPS, ex-communiste) quant à lui ,
appuie les revendications féminines, mais il préfère le faire à travers sa propre orga-
nisation : l'Association démocratique des femmes marocaines. Dans une déclaration
faite à l'occasion de la journée du 8 mars, cette association dénonce le Code du sta-
tut personnel, << vieux de trente ans, franchement rétrograde, et tout à fait inadapté
aux mutations du vécu des femmes, et, qui plus est, en contradiction avec l'esprit et
les dispositions de la Constitution ( ...) » ; elle dénonce aussi << le sexisme largement
affiché dans certains milieux politiques » (36). Mais à part leur participation au
Monde arabe <<Comité national de coordination pour le changement de la Mudawwana et pour la
Maghreb défense des droits des femmes », les femmes du PPS font quand même cavalier seul,
Machrek
N° 145 et la campagne pour le million de signatures reste essentiellement le fait de l'UAF,
juil. -sept. 1994 dont les principales responsables appartiennent à l'Organisation d'Action démocra-
tique et populaire (OADP), vestige de l'opposition gauchiste du début des années 70,
Maroc:
le Code
légalisée et représentée au Parlement quelques années plus tard.
du statut personnel
16 - L'écho de la campagne
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Le roi Hassan II le sait mieux que quiconque, et son discours du 20 août 1992
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• Quelques conclusions
La campagne pour le changement de la Mudawwana, si elle n'a réalisé aucun
de ses objectifs majeurs, a eu le mérite de révéler les débats passionnés implicites qui
se déroulent au sein de la société. Quotidiennement, les nouveaux modes de vie, les
nouvelles pratiques sociales, l'avance inexorable des valeurs marchandes, engendrent
des conflits et des crises que la société dite traditionnelle est incapable de résoudre,
sinon de comprendre. Les nostalgiques de la tradition feignent d'ignorer que ce sont
les nécessités économiques qui dictent la plupart des comportements sociaux, et que
les individus se côtoient en vivant chacun son propre drame au sein d'une famille
censée être unie. Les Oulémas islamistes, eux, s'étonnent, dans leur réponse à la péti-
tion féministe, que celle-ci demande le droit de tutelle sur ses enfants, alors que nous
vivons dans << une époque où la plupart des pères, sans parler des mères, ont perdu
90 % de leur ancienne autorité traditionnelle sur leurs enfants, du fait de dizaines de
facteurs culturels, éducatifs et médiatiques apportés par la civilisation contemporaine,
avec lesquels ont disparu les valeurs d'obéissance et de respect dus aux parents, aux
personnes âgées et aux enseignants ». De son côté, A. Boutaleb soutient que « la
crise familiale dont les drames s'étalent dans les prétoires, n'est pas tant due à une
carence de la législation mais plutôt à une dégradation des mœurs sociales». Ainsi
les tenants du pouvoir tombent d'accord avec la contestation islamique pour affirmer
que le mal a des origines morales et éducatives, et qu'il peut être extirpé par la res-
tauration de la morale et la réorientation de l'éducation. Mais, comme on l'a déjà dit
au xrxcsiècle : Qui éduquera les éducateurs ?
La pétition et les effets divers qu'elle a provoqués ont eu aussi le mérite de
montrer que la référence à l'islam reste le plafond indépassable de l'ensemble des
acteurs sociaux et politiques. La bataille se déroule autour de l'interprétation et de
l'appropriation de la parole sacrée. Alors que, du temps de l'indépendance, quand tout
le monde était censé être musulman parce que marocain , le débat était ouvert et la
tolérance répandue, de nos jours, tous ceux qui prennent la parole ont beau commen-
cer par faire une profession de foi islamique, l'anathème, l'excommunication et l'ac-
cusation d'apostasie et de blasphème sont la règle. C'est que l'irreligion, qui n'a pas
droit de cité dans l'espace public des discours, existe bel et bien dans la société, et
ceux qui se sont donné pour mission de la combattre doivent la traquer là où elle se
manifeste, en actes, dans mille détails de la vie quotidienne, et, en cachette, dans les
discours parallèles (littérature, chansons, etc.) .
Enfin, cette défaite des femmes aura permis encore une fois de mesurer la
nature et les limites de la <<démocratie hassanienne » qui, tout en autorisant certaines
contestations, se réserve le droit de les prendre à son compte en leur donnant l'orien-
tation qu'elle a déjà choisie. Elle tolère le << chahut », tant qu'il permet aux gouvernés
de gémir, et aux gouvernants d'entendre la << voix du peuple». Quant aux questions Monde arabe
Maghreb
les plus importantes, elles sont négociées dans les coulisses. Une seule fois, en 1979,
Machrek
le statut de la femme a fait l'objet d'un petit débat au Parlement, à propos d'amende- W145
ments suggérés par des députés de la majorité royaliste. Il a vite tourné court. La juil.-sept. 1994
réforme de la Mudawwana et la campagne qui l'a précédée ont tracé les frontières de
Etudes
ce qui peut être dit et de ce qui peut être fait sous le règne du Makhzen modernisé.
Le Roi garde le dernier mot. Seule la réalité peut aujourd'hui lui porter contradic-
tion ; mais le système fonctionnera plus difficilement le jour où les << acteurs
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ANNEXES
* Remarquer l'absence de Nezha Alaoui, reçue en septembre 1992, mais non le 1" mai 1993. Elle était la seule
représentante de l'UAF (en tant que membre de l'OADP).
IV. Le texte de la Mudawwana révisé (extraits*)
* Commentaire des nouvelles dispositions par Je Professeur Abdelhadi Boutaleb, in Le Matin du Sahara et du
Ma ghreb, novembre 1993.
6° Les pièces justifiant la dissolution du mariage et permettant de s'assurer de l'ac-
complissement de la retraite de continence (idda) : l'acte de divorce, l'acte de dissolution
du mariage par consentement mutuel (khol'), l'acte de divorce judiciaire ou le certificat de
décès du conjoint ;
7° Un certificat médical de chacun des futurs époux établissant qu'ils sont
indemnes de toute maladie contagieuse» ...
L'article 99 dispose que "la garde de l'enfant fait partie des obligations mises à la
charge du père et de la mère, tant qu'ils demeurent unis par les liens du mariage. En cas
de dissolution du mariage, la garde de l'enfant est confiée en priorité à la mère, puis dans
l'ordre, au père, à la grand-mère maternelle, etc. (le reste sans changement).
L'article 102 stipule que "la garde dure pour le garçon jusqu'à l'âge de 12 ans et
Monde arabe pour la fille jusqu'à l'âge de 15 ans. Au-delà, l'enfant peut choisir de résider chez la per-
Maghreb sonne de son choix qui peut être son père, sa mère ou tout autre parent mentionné à l'ar-
Machrek ticle 99 ci-dessus".
W145
juil.-sept. 1994
Maroc :
le Code
du statut personnel
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