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Analyse Linéaire – On purge bébé– FEYDEAU- Scène 2

Introduction :
(Accroche) : Georges Feydeau est un auteur du 19eme siècle. Il excelle dans le vaudeville où
il manie une satire virulente du monde des affaires et du monde privé de la bourgeoisie
(Présentation de l’œuvre) : On purge bébé est un vaudeville de Georges Feydeau, représenté
pour la première fois le 12 avril 1910 au Théâtre des Nouveautés. Elle remporte
immédiatement un bon succès et les critiques de théâtre soulignent la justesse de
l’observation de Feydeau. Certains qualifient même sa pièce de « petit chef-d’œuvre » et la
comparent aux comédies de Molière. Il s'agit d'une pièce en un acte, composé de six scènes
musicales et de théâtre contemporain, dans laquelle des bourgeois élèvent un enfant
infernal avec une présence imminente du comique.
(Présentation générale du passage) : Dans cet extrait de la scène 2, Mr Follavoine,
porcelainier s’apprête à recevoir M Choulloux. Julie Follavoine son épouse, est en chemise
de nuit et tient un pot de chambre à la main, qu’elle brandit devant son mari car Toto, leur
enfant, est constipé et qu’il faut le soigner. M Follavoine, embarrassé par la tenue de son
épouse (M Choulloux arrive) essaye de lui expliquer l’importance de ses affaires avec lui :
conclure un marché concernant l’achat de pots de chambre en porcelaine incassable pour
l’Armée Française.
La scène montre l’affrontement de deux époux qui se déchirent au nom de valeurs
opposées.
Le titre de l’œuvre suscite d’emblée le sourire par l’allusion scatologique. Toto, le bébé, (il a
en fait 7 ans) est constipé et il faut le purger. Cependant son père est préoccupé par l’arrivée
de M Chouilloux avec qui il espère conclure une affaire financière de la plus haute
importance.
L’extrait à analyser précède l’entrée de M Chouilloux. Le public assiste à la discussion du
couple qui dégénère en dispute.
(Problématique) Nous allons voir comment le comique met en valeur la satire du couple et
du monde des affaires.
(Annonce du plan) : L’enchainement des répliques ne permet pas de dessiner une
construction du passage porteuse de sens. Il n’y a pas de mouvements.

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La scène présente une dispute matinale entre Julie et son époux, Follavoine est gêné
depuis l’entrée de son épouse sur la scène, par la chemise de nuit et le pot de chambre
rempli d’eau sale qu’elle tient à la main, brandit ou déplace d’un lieu à un autre.

 Le comique présent dans le titre et l’intrigue se poursuit avec le nom des personnages
« Follavoine » serait par la métaphore et le calembour « fol d’avoine » c’est-à-dire fou
d’argent.Débute ainsi la satire du bourgeois qui ne pense qu’à s’enrichir, accentuée par le
double sens de la « folle d’avoine », une graminée sauvage nuisible aux autres cultures.
 M Chouilloux, quant à lui possède un nom farfelu, qui par le jeu des sonorités renvoie à la
bétise « ouille » et l’aveuglement « dans les choux »
 Julie porte un « joli » prénom par paronomase, qui contraste de manière burlesque avec son
personnage sans gène

FOLLAVOINE : Chouilloux, c’est le président de la commision d’examen, chargée par l’Etat


d’adopter le modele qui sera imposé comme type à l’adjudicataire. Comprends tu
maintenant l’interet qu’il y a à se la ménager ? J’ai le brevet de la porcelaine incassable ?
n’est ce pas ? Que par l’influence de Chouilloux la commission adopte la porcelaine
incassable et ça y est. L’affaire est dans le sac et ma fortune est faite !
 Dès la première réplique de Follavoine , on observe un contraste burlesque entre les
connotations dépréciatives du nom « Chouilloux » et le titre ronflant que rappelle
Follavoine : « président ». Follavoine cherche à impressionner son épouse en le valorisant à
l’aide de tournures qui occultent dans un premier temps la visée de leur rendez vous –
vendre des pots de chambre aux soldats, dont l’identité est masquée par le groupe nominal
« adjudicataire », mot bien plus soutenu que « soldat » qu’il remplace. La caricature est donc
ici mise en valeur de manière burlesque.
 Follavoine expose la situation à Julie à l’aide de questions rhétoriques « comprends tu ». Il
utilise des expressions familières « l’affaire est dans le sac », « ma fortune est faite » qui
montrent que l’appât du gain est sa seule motivation. Mais la perspective de devenir riche
l’enthousiasme. Le jeu de Julie théâtralise aussitôt son échec, indiqué par la didascalie
« songeuse » et la réduction comique des grands mots de Follavoine devenus dans la bouche
de Julie de simples « ça » reprise deux fois dans la réplique :

JULIE : reste un instant songeuse, hochant la tête, puis. Oui !.... et ça te mènera à quoi ça ?
 Dans le Vaudeville, les didascalies abondent ; le dramaturge indique très précisément
comment interpréter le texte. La réaction de Julie est d’abord de garder un silence lourd de
sens « songeuse » « hochant la tête » ; on attend qu’elle félicite son époux mais son langage
corporel est éclairé par l’adverbe « oui » suivi d’un suspens matérialisé par les « … » puis une
question qui déprécie les efforts de Follavoine pour glorifier son projet. Elle y fait allusion à
l’aide deux « ça » méprisants.

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FOLLAVOINE :, avec emballement. A quoi ? Mais si je réussis, c’est le pactole ! Je deviens du
jour au lendemain le fournisseur exclusif de l’armée française.

 Indifférent à sa réserve, Follavoine lui répond avec une euphorie suggérée dans la didascalie
« emballement » au lieu « d’enthousiasme » ; le dramaturge caricature le personnage grâce
à ce mot familier dont seuls les lecteurs ont connaissance, mais qui doit guider le langage
corporel d’un acteur qui s’enfièvre à l’idée de devenir riche.
 Follavoine rêve en grand, Le pactole – antonomase de Pactole, petite rivière qui d’après
plusieurs légendes grecques charriait des paillète d’or – est un fleuve grec qui désigne
métaphoriquement la fortune. Il a de nouveau recours à une tournure hyperbolique pour
évoquer la grandeur de ses projets « le fournisseur exclusif » omettant de spécifier le
complément du nom « fournisseur de pots de chambre » ce qu’il va fournir à l’armée
française.

JULIE : Le fournisseur des pots de chambres de l’armée française ?

 Sous la forme d’une question rhétorique, l’épouse quant à elle explicite aussitôt de manière
ironique la teneur grotesque du projet financier.
FOLLAVOINE, avec orgueil. De tous les pots de chambre de l’armée française !

 Ignorant l’ironie de son épouse, Follavoine s’enorgueillit . Le sens de la didascalie « avec


orgueil » est renforcée par l’indéfini de la tonalité « tous » qui détermine le GN « pots de
chambres » associée de manière burlesque à « l’armée française ». Il y a un contraste
burlesque entre les produits vendus et la fierté de l’homme d’affaires.
JULIE : fronçant le sourcil. Et … on le saura ?

 Julie agit ici comme le révélateur de ces ridicules jeu de scène : « froncer les sourcils »
accompagner d’une question brève où le sujet « on » renvoie au monde de la grande
bourgeoisie, l’univers des Follavoine, et aussi la cible favorite de Feydeau. Les points de
suspension théâtralisent ici encore le dédain de Julie.
FOLLAVOINE, de même. Mais tout naturellement qu’on le saura !

 La satire se double ici d’un autre motif cher à Feydeau – la satire du couple.
 Ils partagent le même tic « froncer les sourcils » mais la discorde entre eux s’amplifie au
moment ou Julie s’aperçoit que l’affaire sera publique et que son statut de femme
bourgeoise sera entaché par le produit qui fera leur fortune. L’enchainement des répliques
fonctionne à l’aide des reprises des mêmes mots interprétés différemment selon le
personnage. Follavoine jubile, Julie méprise.
JULIE. Oh ! non… Oh! non, non, non, non, non, non!...je ne veux pas être la femme d’un
monsieur qui vend des pots de chambre.

 Julie ne refuse pas la fortune mais le produit qui la rend possible. Ici, une réplique qui
suggère de manière comique le refus tragique avec l’interjection « oh » marquant la surprise

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et la déception avec la répétition de l’adverbe « non ». Contraste de nouveau burlesque ,
entre la souffrance suggérée et la cause de cette souffrance : Être l’épouse « d’un monsieur
qui vend des pots de chambre » Julie met à distance son époux en utilisant le mot
« monsieur » qui le transforme en étranger aux projets ridicules.
FOLLAVOINE. Hein !... Mais en voilà des idées ! Mais songe que c’est la fortune !

 Surprise totale de Follavoine suggérée par l’interjection familière « hein » amplifiée par les
trois points point de suspension qui creusent le fossé entre les époux., La répétition de
« mais » concourent à suggérer la stupeur de l’époux qui ne peut pas concevoir que sa
propre femme ne partage pas sa joie à l’idée de s’enrichir. Nouvelle allusion à l’argent qui
est la seule motivation du personnage.

JULIE. Ca m’est égal ! c’est dégoutant ! Elle gagne l’extrême droite de la scène.

 La rupture entre eux se poursuit et s’aggrave, « dégoutant » surprend de la part de Julie qui
a un pot de chambre plein à la main. Mais les lois du paraître au sein de leur cercle mondain
l’emportement sur sa lucidité. L’éloignement de Julie avec Follavoine est matérialisé par le
déplacement de Julie, qui semble prête à sortir de scène pour ne plus être proche de lui.
FOLLAVOINE. Mais, nom d’un chien ! qu’est-ce-que je fais donc d’autre aujourd’hui ? J’en
vends des vases de nuit ! J’en vends tous les jours !... pas sur ce pied-là, mais j’en vends !

 Indignation de Follavoine exprimée de nouveau dans une tournure très familière « nom d’un
chien » et d’une tournure orale de la question rhétorique « qu’est-ce que » au lieu de « que
fais-je ». Il cherche à anoblir son produit à l’aide d’une périphrase « vase de nuit » plus
poétique, appartenant à un registre plus soutenu que « pot de chambre ». « pas sur ce pied-
là » suggère la grandeur du projet financier tandis que l’itération de « j’en vends » mine le
projet par le comique de répétition. En mettant en valeur la répétition du verbe « vendre »,
je jeu de l’acteur soulignera l’emphase grotesque de l’homme d’affaire.
JULIE, revenant devant la table. Oh ! « tu en vends, tu en vends »… comme tu vends d’autres
choses, tu es fabricant de porcelaine, c’est tout naturel que tu vendes les articles qui relèvent
de ton industrie ; c’est normal, c’est bien ! mais te spécialiser ! devenir le monsieur qui vend
exclusivement des pots de chambre ! Ah ! non, non ! même pour le compte de l’Etat, non !

 Julie se rapproche de Follavoine comme pour l’affronter ; elle reprend ses propos en les
ridiculisant. Le métier de porcelainier est acceptable selon Julie mais pas le projet de
spécialisation en pots de chambre qui est entrepris. Feydeau caricature l’enrichissement des
industriels accompli à tout prix, sans autre valeur que celle de la fortune. Le verbe « vendre »
envahit toutes les répliques, déprécié de manière systématique.
FOLLAVOINE, déconcerté et affolé. Mais tu es folle ! mais réfléchis !
JULIE, adossée à la table et les bras croisés. Oh ! c’est tout réfléchi ! Tu es bien aimable ;
mais je n’ai pas envie de marcher dans la vie, auréolée d’un vase de nuit. Je n’ai pas envie
d’entendre dire, chaque fois que j’entrerai dans un salon. « Qui est donc cette dame, C’est
Madame Follavoine, la femme du marchand de pots de chambre ! » Ah ! non ! non ! non !

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 La scène de ménage tourne à l’avantage de Julie comme le suggèrent les didascalies :
Follavoine « déconcerté et affolé », Julie « adossée à la table et les bras croisés » ; elle s’est
rapprochée de Follavoine et l’affronte. Le jeu des comédiens doit mettre en valeur la
violence de leu opposition.
 La dernière réplique de Julie est d’abord ironique « tu es bien aimable » remarque
antiphrastique, puis pleinement comique par la gestuelle qu’elle propose. Tout d’abord elle
semble en effet mimer une démarche, avec une métaphore empreinte d’ironie « auréolée
d’un vase de nuit » ; le mot « auréole » appartient au champs lexical de la peinture et
renvoie au cercle d’or qui entoure le visage des Saints de l’iconographie catholique. Le halo
doré est ici remplacé par un pot de chambre comique. Puis Julie ébauche une saynète avec
trois personnages et un dialogue « Qui est donc cette dame ? », qu’elle interrompt en
reprenant son refus lancinant, pathétique et burlesque « Ah ! non ! non ! »

Conclusion :
(Reprise des conclusions des mouvements) : Dans cet extrait de la scène 2 nous avons une
représentation comique qui dénonce la violence des rapports conjugaux et la fascination
pour l’argent dans la grosse bourgeoisie. L’abondance des didascalie fait entendre la voix du
dramaturge qui donne à voir la satire grâce au jeu des comédiens. L’écriture du Vaudeville
est une mécanique de précision où le rythme, le rire, les cibles de la satire remportent un
grand succès.
Aujourd’hui encore on parle de «théâtre de Boulevard» pour désigner ces œuvres drôles et
satiriques – en références aux lieux où elles sont le plus souvent à l’affiche- les grands
boulevards à Paris.
D’ailleurs, on purge bébé est encore monté. Lagarce lui-même l’a mis en scène comme il l’a
fait pour Le Malade Imaginaire, intéressé par la manière dont le théâtre est le lieu d’une
lecture lucide des grands problème contemporains – l’enfant Roi, l’avidité des industriels, la
guerre conjugale, la difficulté de communiquer, la peur de la mort.
(Réponse à la problématique) Le comique grinçant permet de révéler toutes les formes de
contradiction dévoilées par la satire.

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Vocabulaire :
 Calembour: Jeu de mots fondé sur la différence de sens entre des mots qui se prononcent
de la même manière (ex : « Vieux motard que j'aimais » pour « Mieux vaut tard que
jamais ») (personne alitée et personnalité)

 Paronomase: Procédé qui consiste à rapprocher, à l'intérieur d'une phrase ou d'un vers,
des paronymes dans un but stylistique (par exemple Qui vivra verra. Qui se ressemble
s'assemble) La paronomase est une figure de mots par jeux de sonorités qui repose sur
l'association de deux paronymes, à savoir deux mots qui se ressemblent phonétiquement
mais qui sont pourtant presque antonymes. Le but de ce rapprochement est de souligner
paradoxalement la différence de sens dans la ressemblance de sons

 Antiphrastique: en rhétorique, propre à l'antiphrase


(Rhétorique) Figure de style, par laquelle on emploie un mot, une locution, une phrase,
pour signifier le contraire

 Lagarce : Jean-Luc Lagarce (1957-1995) est depuis le début du XXIeme siècle un des
auteurs contemporain le plus joué en France. Metteur en scène de textes classiques aussi
bien que de ses propres pièces, c'est en tant que tel qu'il accède à la reconnaissance de
son vivant.
Depuis sa disparition, son œuvre littéraire (vingt-cinq pièces de théâtre, trois récits, un
livret d’opéra…) connaît un succès public et critique grandissant ; elle est traduite en plus
vingt-cinq langues
Parmi ses œuvres les plus connues, on retrouve Théâtre et Pouvoir en Occident (1979),
Voyage de Madame Knipper vers la Prusse Orientale (1980), Les règles du savoir-vivre
dans la société moderne (1994) ou encore Le Pays lointain (1995).

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