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Nadège Leroux
2008/1 n° 97 | pages 14 à 25
ISSN 0396-8669
ISBN 9782749209104
DOI 10.3917/vst.097.0014
Article disponible en ligne à l'adresse :
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https://www.cairn.info/revue-vie-sociale-et-traitements-2008-1-page-14.htm
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14 Qu’est-ce qu’habiter ?
Les enjeux de l’habiter
pour la réinsertion
NADÈGE LEROUX
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une chambre, tout espace réduit où l'on Habiter ne va pas sans cohabiter, et a for-
aime à se blottir, à se ramasser sur soi- tiori avec ses propres voisins. « Cohabiter, 17
même, est, pour l'imagination, une soli- c'est coproduire et négocier des temps et
tude, c'est-à-dire le germe d'une des usages dans lesquels nous pouvons
chambre, le germe d'une maison. » affirmer notre identité, sa pratique et sa
L'appropriation signifie que l'on peuple la représentation. » La cohabitation peut
demeure de ses propres objets chargés de être une source d'obligations, mais aussi
sens (de vécu) et d'histoires familiales ou de solidarité : elle s'organise autour des
personnelles, il s'agit de faire témoigner défenses collectives, de l'aide et du sou-
« les choses ». tien, des services rendus.
La présentation de soi se fait par la pré- La cohabitation implique le partage des
sentation de ses objets : « Ces détermi- espaces de vie, des espaces d'articula-
nismes sociaux et culturels sont d'autant tion et des espaces publics : c'est le fait
plus forts que l'un des rôles instrumen- de « voisiner », c'est-à-dire mettre en
taux que la société de consommation scène et confronter les différentes
confère à l'acquisition et à la disposition cultures de l'habiter entre des personnes
des objets est précisément d'opérer ou des familles de provenances sociales
et culturelles diverses, qui n'ont pas
comme actes d'intégration sociale. Les
choisi d'être ensemble ni de se fréquen-
objets sont au cœur d'enjeux de person-
ter, tout en trouvant une grande proxi-
nalisation, d'une expression dont l'objec-
mité physique.
tif premier est d'être individualisante et
Les habitants peuvent ne pas s'entendre
de soutenir une réalisation de soi. »
(bruits, odeurs, saleté, animaux, etc.), et il
Marqueur d'identité, l'habitat est le
faut pour cela laisser le choix de ne pas se
témoin du réseau social d'appartenance,
côtoyer systématiquement (rencontres et
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tous les résidants, devenant alors le pro- possible (et donc la réinsertion sociale
18 longement de la demeure. pour les personnes les plus exclues).
Les espaces intermédiaires rassemblent et Il s'agit d'être soi pour soi-même, pour
distinguent, accompagnent et accueillent les autres et avec les autres : « Pour être
les transformations au sein des dyna- intégré dans une vie répondant aux
miques. C'est peut-être en développant dynamiques urbaines, aux mouvements
le sens de la collectivité (principes de rési- généraux de la division du travail, on doit
dentialisation) que l'on peut susciter l'im- toujours lier nos histoires et nos destins à
plication des habitants dans la régulation d'autres individus et groupes plus ou
des espaces de vie, afin de s'y identifier moins proches, spatialement et sociale-
plus spontanément. ment. »
Voisiner L'acte de « voisiner » est à la fois un
Le Corbusier défendait, lors du CIAM témoin et un moyen de constituer le lien
(Congrès international d’architecture social. De la rue à son « chez-soi », les
moderne) de 1946, l'idée du prolonge- filtres successifs marquent les transitions
ment du logis, c'est-à-dire les aménage- entre la vie sociale, la vie communautaire,
ments extérieurs favorisant la vie et la vie personnelle ou familiale : rue
collective. publique, rue privée, ruelle, passage,
L'architecture devrait pouvoir suggérer les espaces communs ou espaces partagés,
pratiques et les usages sans les imposer, seuils, allées, cours, espace privé, porte,
et laisser place à l'investissement person- clé, serrure, « chez-soi ».
nel des habitants dans le marquage des « La maison est un grimoire où se lisent
limites matérielles entre les espaces les formes de sociabilité, la montée de
(privé/public ou privé/privé) : haies, clô- l'intimité familiale et le croissant souci de
tures, barrières, sols différenciés, seuils. soi. » L'habitat est donc à la fois une
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que peut-on dévoiler ou non au monde influent sur les rapports sociaux (capacité
extérieur ? d'hospitalité, de partage, de vie commune). 19
Les enjeux de l’habitat sont d’autant plus Pour être « chez soi », il faut donc être
grands pour les personnes sans domicile dans « ses meubles », dans « ses objets »
fixe : réintégrer un logement, c'est retrou- (un livre, une photo, un tableau, etc.), qui
ver une vie normée et « normale » (c'est- renseignent sur la vie de l'habitant et qui
à-dire retrouver sa place dans la société), permettent de savoir qui l'on est : ils sont
c'est aussi retrouver la place du corps, et la continuité temporelle de l'identité.
c'est bien sûr investir un lieu et le faire Parce qu'il est l'expression directe de
sien après des mois ou des années passés l'existence et qu'il fait partie intégrante
dans des lieux impersonnels. de l'identité de la personne, le « chez-
Les enjeux de l’habitat soi » participe inévitablement à l'insertion
Constituer son « chez-soi » sociale de chaque individu, et constitue
Se constituer son « chez-soi », c'est inves- une étape essentielle dans la stabilisation
tir un lieu et le posséder par l'appropria- et la connaissance de soi.
tion, y faire habiter son corps, y faire En tenant compte du besoin d'appropria-
habiter ses objets. L'habitat est à la fois le tion des objets et des lieux, comment se
nid, l'habit, le repère. constituer un « chez-soi » ? Le fait d'ha-
« Versant actif du chez-soi, l'appropriation biter n'est pas sans obstacles : il répond
est action sur ce qui est “hors soi” pour le tout d'abord aux modes d'existence que
rendre propre et y reconnaître le soi. » le climat et la civilisation imposent (cor-
L'appropriation va donc s'exercer entre la respondre à la société dans laquelle nous
personne et un objet ou un lieu, qui peu- vivons), et il relève d'un apprentissage qui
vent être possédés en fonction des quali- rend plus ou moins possibles les différents
tés et des potentialités qui leur sont processus d'appropriation.
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plus intolérable que les personnes sans intérieure avant l'intimité. Tous les autres
abri subissent. espaces de la maison parlent du soi et de 23
ses secrets : « La cuisine, où se parler et
Fermer et ouvrir sa maison
manger ensemble se superposent à l'inces-
Habiter, c'est aussi se montrer, se mettre
sante lutte contre l'impropre. La salle de
en scène sur un espace défini ; c'est la
bains, lieu de corps cachés, tendue entre la
révélation choisie et maîtrisée de soi.
pudeur et le narcissisme. »
« L'habitation est, dans son essence,
Toutes ces limites, entièrement maîtrisées
limite assumée. Elle procède du consente-
par l’habitant, constituent des étapes
ment de l'habitant à se doter d'un univers
d'appropriation : elles sont les preuves
borné, d'un dedans à partir duquel il a
que l’on accède à un espace privé et
accès à son for intérieur et sans lequel
impliquent une modification de nos agis-
l'impulsion vers le dehors et donc vers la
sements, que l'on soit habitant ou invité.
liberté n'aurait ni ancrage ni sens. »
Plus on a envie d'ouvrir sa « maison »,
Le fait d'ouvrir ou de fermer sa maison
plus on rend ces limites accessibles et
s’établit dans la gestion des limites. De
franchissables.
nombreux filtres sont à traverser pour
atteindre l'habitation. Conclusion
Il y a la rue (« ma » rue), puis « mon » Nous avons compris que l'habitat et l'acte
immeuble. L'immeuble ne se laisse pas visi- d'habiter font partie intégrante de la vie
ter comme ça : il faut défier soit le digi- de l'homme dans notre société : la
code, soit le (la) concierge avant demeure est l'enveloppe qui permet de se
d'atteindre l'escalier ou l'ascenseur. Là, on protéger et donc de survivre ; elle permet
est déjà un petit peu chez soi : on le par- aussi de vivre son intimité, de cacher tout
tage avec nos voisins, mais on s'y sent à ce qui est dérangeant ou trop secret dans
l’aise et en sécurité, à l’abri du tumulte de la vie d'une personne, afin de montrer
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c'est leur redonner une existence. Habiter les gens de la rue », habiter c'est égale-
24 un lieu, être résidant, avoir son « chez- ment avoir la possibilité de choisir le toit
soi » et voisiner sont autant d'éléments avant le travail ; pouvoir justifier d'un sta-
qui rendent possible la reconstruction du tut de résidant afin d'avoir la légitimité de
lien social et la reconstruction de soi : demander, d'obtenir et d'assurer un
l'habitat peut participer à la réinsertion emploi (identité administrative, dissimula-
des personnes sans abri. tion du statut de SDF, logement comme
L’absence du domicile est fondamentale- symbole de stabilité, conditions d'hygiène
ment constitutive de la condition des per- correctes). Avoir une adresse... La boîte
sonnes sans domicile : en réintégrant un aux lettres comme reconnaissance de
logement, la personne changera alors de l'identité. Une véritable boîte aux lettres, et
statut et ne sera plus SDF. Mais les choses non pas une simple domiciliation où l'on
ne sont pas si simples, car la vie dans la rue vient chercher son courrier, avec toutes les
nécessite plus qu'une réponse matérielle autres personnes sans domicile, derrière
pour se faire oublier : on peut se déshabi- une banque d'accueil. La boîte aux lettres
tuer des repères privatifs quand on a passé est directement rattachée à l'habitation :
trop de temps « dehors ». Il faut pouvoir elle est le premier signe de propriété et
reprendre possession des lieux, recons- d'appartenance, elle représente un geste
truire une domesticité en son intérieur, du quotidien et un premier lien avec le
créer des liens avec son environnement. monde actif (le flux, les échanges).
L'accès au logement reste aujourd'hui Se constituer un chez-soi, c'est réap-
très difficile à cause des contraintes nor- prendre le « savoir-habiter » en acceptant
matives auxquelles les candidats à la réin- l'enfermement et la solitude, en s’organi-
sertion doivent se soumettre (en plus de sant un logement à son image, et en sor-
la raréfaction des logements sociaux). Les tant de la marginalité. Il s'agit d'une
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ANNONCE
Le Centre Hospitalier Gérard Marchant fête ses 150 ans à Toulouse
Juin 2008-Octobre 2008
Histoire de la psychiatrie en Haute-Garonne
Expositions – Journées découvertes – Conférences – Animations
Le Centre Hospitalier Gérard Marchant, qui œuvre d’autres populations, tels que les enfants, les ado-
depuis 150 ans au service des Toulousains et des lescents, les seniors ou les détenus. L’évolution des
Haut-Garonnais, invite le public à découvrir les pratiques thérapeutiques a conduit l’hôpital à
grandes étapes qui ont jalonné son histoire et son développer un réseau de proximité, en multipliant
évolution. les structures à travers le département, et à diver-
Depuis l’inauguration en 1858, de l’Asile public sifier les modes de prise en charge au profit des
hospitalisations de jour, des accueils à temps par-
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